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ENTRE UTOPIE ET HERESIE QUELQUES REMARQUES A PROPOS DE LA NOTION D'ESSAI par Alain Ménil I. L'ESSAI : UN MAUVAIS GENRE ? Dans sa Lettre a Freddy Buache, Godard revient sur les termes du dif- férend qui l'oppose 4 son commanditaire, la ville de Lausanne. Il tient entres peu de mots, mais il revient ceci : si le film n’a pu se faire, ou Sicelui que nous voyons n'est pas celui qui était « attendu >, Cest quil lui est reproché d’en avoir fait un « film de», et non « un film sur», Mais ce différend est doublé par une sorte de trouble qui entoure laréception de ces mémes images car nul ne peut décider si le film tel Quil est mont(r)é et vu correspond bien a celui qui aurait été initiale- ment tourné pour honorer la commande. Les images, les plans dont cette Lettre €st constituée oscillent entre plusieurs statuts : s’agit-il de f qui teste d’un film qui aurait été ensuite refusé, s’agit-il du film a. auteur — un réve de film comme on peut le dire d’un projet, 4 — €t qui ne trouverait a se montrer (et, littéralement, a se quien €tant adressé A cet autre destinataire (Freddy Buache) Fecoit le récit (la voix-off, les plans montrant Godard au travail, Une nowy sages » relatives a ce qu’aurait di étre le « résultat »)? Ale me teliser) Gui en elle hésitation s'installe au coeur de ce dispositif : la Lettre ME €st-elle le « film de » (Godard) « a propos de » (Lausanne), 87 ou est-ce un film au sujet du film «sur» — lequel a porté quant ? Parce que ce dernier n’a pas été accepté faute avoir su teni. son sujet en position d’objet, celui que nous voyons est-il alors |e témoignage rétrospectif d'un empéchement, le commentaire réflexif — sur un éventuel « échec », ou une ten tative risquée de dire qu’il n’a pas eu lieu, tout en le donnant en méme temps 4 voir et a laisser devi- her ce qu'il aurait pu étre, en quelques plans? ' Que nous donne a penser cette oscillation, qui n’est pas la moindre ! particularité du différend dont nous entretient Godard 2A Premigre vue, le conflit porte en effet sur Ja relation entre trois péles distincts - | le film, le commanditaire (la Ville de Lausanne), l’objet donné comme ! « sujet » (Lausanne, la ville). Curieusement, l'objet « film » n'est pas— encore — le moins du monde interrogé quant 4 son éventuelle assigna- tion 4 un genre quelconque : est-ce un documentaire ? Un mixte de promotion publicitaire et de célébration unanimiste comme les aiment les commanditaires politiques ? Le conflit tourne simplement autour d'une préposition — entre un film de, et un film sar, pas de demi- mesure ou de confusion possible semble dire le commanditaire, il fal- lait trancher, ou choisir, mais pas prétendre faire les deux, ou pire, pro- firer de Vapparente position d’objectivicé de l'objet pour tenter d’y umptimer sa matque, sa signature, et se faire reconnaitre en position d “auteur », et de maitrise. Le style, c’est l'homme. “'est bien ce qui es est reproché, n’avoir pas su renoncer a y imprimer sa marque. Sous Be mae de», ce serait donc simplement un excés de pre a] pes Bais ase euuataire qui serait incl erennse en cause — ne ep pe ateeion a souligner sa position d'auteur ou 4 le mant dere nent: Obsctnité de V'effer « JLG » ? A Ven croite, de son pee ee tort selon le commanditaire, dans ‘Vaffiemation ee serisicnc ie projec tuigenr ne oe maintenir le rapport 4 a sali ieee tireraic sa légitimicé ee ~ ici, la ville raed, ee objet aux conditions d une « object versaire, En cela, il m, usanne a Voccasion de son cing-centiéme sement de ce edi cee de I'humilité nécessaire & Vaccom cition Rac seulement attendu : Lausanne, son histolgee Ce différend ae rete etc... de dialogue de so, ven entendu, un exemple remarquablement i auteur prétend avoir répondu au mi termes dun contrat dont il dénonce, en méme temps, le peu de sérieux pour poe seulement étre rempli, en tous cas, il revendique aussi bien avoir fait ou tence un essai sur, qu’avoir signé le film, en en assumant da part de subjectivité artiste (ou faut-il dire : la part artiste de la subjectivité auctoriale ? — nous sommes au début de cette pro- gressive identification godardienne a la posture romantique de Yartiste, poussée jusqu’au paroxysme de l’identification christique dans l’Autoportrait de décembre). Si la réalité objective du différend nous laisse, au fond, indifférent, tout comme sa vérité factuelle, ce n'est pas simplement parce que en onze minutes, le temps que dure cette lettre, Godard réalise une ceuvre magnifique, c’est aussi que cette ceuvre est dans le méme temps de « JLG », et porte bien sur son objet — la ville de Lausanne. S'y montre en tous cas a sa hauteur. Pour autant, ce qui ne laisse pas de nous étonner, ce n’est pas quily ait divergence de vues entre le signataire de l’ceuvre et son commandi- taire. Ce n’est méme pas qu'il y ait quelque chose d’un malentendu dans cette tension entre l’exigence d’objectivité que réclamerait Vobjet annoncé comme unique sujet, ou le genre que serait la commande d’un document commémoratif, et cette irréductible part de la subjectivité ctéatrice qui entendrait se faire reconnaitre a chacun des plans qu'elle signe dans ce film — au risque de reconnaitre le caractére artificiel de la commande, ou la part d’arbitraire entre le « motif » annoncé (un documentaire célébrant en grandes pompes une ville d’importance relative), et son résultat (une ceuvre a inclure dans le catalogue rai- sonné de I’artiste). Non, ce qui nous étonne, C'est qu’en somme ils ne bataillent pas sur le statut du film comme film, ou son « genre ». De fait, le silence demeure quant a ce qui était « attendu » par le com- Manditaire : était-ce bien un documentaire ? Sait-il méme ce que c est méme un documentaire ? Ou bien, hypothése plus que probable, le ©ommanditaire — puissance publique et instance du politique dala, fois pd Confondrait-il pas, en méme temps, document et monument ae ‘Curieux silence sur le statut du film qui nous retient — d ‘autant plus ; eaepree que la question de son statut ou de son inscription dans ung cali. jinscrit dans une catégorie plus généralement réservée a | ea € de la lettre. La aussi, od réside-r-elle exactement ? Est-elle rit et prononcé par Godard et qut viendrait se ement congues, quand la partie image Set ; pi lai indécise, en ce qu'il pourrait s'agir aussi nd da étre fait pour Lausanne, et qui lui a été livré, ou de test i est alors advessé @ Freddy Buache, pour mémoi ae e quelque chose a eu lieu, qui a été mal regu ? questecion Be mies on aurait formulé le reproche autre; a coin Aiivole fait au lieu d'un documentaire un « poa, Einar hique. Mais de cela, ni le film ni l’'auteur JLG/JLG, ae le dira le générique de Hélas pour moi) ne disent occ ic Lexposé du différend ne parte pas sur la qwalificatin film — son inscription dans un genre précis, ou son assignation 3, a ~ donnée a l'exposé du différend : une lettre, dont on ne saurait dite, ay juste, quel est le destinataire réel (Freddy Buachey Lausanne malg tout, ou encore le « public », son public) ? La Lettre @ Freddy Buache encore tout cela a la fois, mais c’est dans cette indécision que s’a plit précisément la curieuse distorsion de la polémique inaugurale ; 3 défaut d’étre d’accord sur le rapport entre les termes du contrat et résultat donné, l'une et l'autre partie savent ou croient savoir ce qu’ en est d'un film, et si le film est posé comme essai, c’est qu’ils savent apparemment ce qu'il en est de l’essai, et pas seulement de l’essai au cinéma, Remplacons la formule — ce que reprocherait alors Lausanne’ Godard, c'est d’avoir fait un « essai de GLG) », et non un « essai sur ql (Lausanne) ». ea A bien des ¢ i i Batds, la « lettre » est une forme qui appartient Godard : des mul cane tiples « lettres ouvertes » que le cinéaste a pu €cti en ‘ie a données a lire sous cette forme, aprés les avoir rend Publiques, a celles qu'il aura « filmées ». Lettres ouvertes, qu’adressées & une Personne précise, tion du publ. € qui s’Enonce paradoxalement Im a propos d’un film, et film « dans » le film = € des plans qu’il aurait fallu faire comme l’inscri 1. On poutra se reporter ina A titre d'exemple, a i aux act Lae Caren als aux multiples lertres adresses avec Legg bar Jean-Luc Godard ou i la premitre occu Sein dit P Rolle, iggy." 22% So It levee au cinéma, vit pintérieur meme de la Lettre, de ce qu’auraj gis @ Freddy Buache est un flac eee a film hypothétique, c'est un film éminemment Re Je remarque Jacques Gesternkorn : « La lettre ane loxal », comme ctde {...] d'une puissante construction en abyme Daa oe quelle atteint le degré de réflexivité le plus poussé a ue ‘Parce rer, une réflexivité homo-filmique (par opposition & "4 ce nea pétéro-filmique du Mépris) puisque le film consiste 4 nous cea propre proces de conception. C'est le cété Camion du scénario, & an Im au complet -, Ec plutét qu'un différence qu’au film au conditionnel : “¢’aurait été un film”, [...] Godard substitue le film paradoxal (“voici le film qu'il aurait fallu faire”) »' Or il me semble que l’ensemble de ces conditions circonscrit sinon la question de l’essai, du moins celle de son probléme. Si c'est bien a un essai que se livre ici Godard, ce qu’il revendique a plusieurs titres, cet essai correspond a la forme qu’il entend pratiquer pour faire face aux « exigences » de la commande. Mais si les exigences de I’ceuvre et celles de la commande divergent tant, ne serait-ce pas aussi pafce que celles imposées par le commanditaire, et qui portent sur le choix de lobjet, se heurtent a celles propres a l'objet, qui réclame sa forme ptopre — celle tentée donc par Godard ? Et si, de tout cela, nous ne savons rien d’autre que ce qui nous est montré et narré, serait-ce que chacun sait immédiatement ce qu'il en est de l’essai ? oa Ou bien — autre effet produit par ce dispositif 4 erois temps, @ savoir la commande, I’échec, la lettre — on imagine tres bien que Godard Hi . . fri > Loccasion ou a autait pu revendiquer avoir voulu faire une experience 4 Voccastor f il avait de cette commémoration, d’avoir en somme refait ce quiil a la méme chose, donc, a faire dans sa carriére sur d’autres sujets — urs succéda- les personna identifiables a 4 per: ges ou les figures i i sais delle, OW Week-end), comme dans Deux ou trois chases que jt lalibi d’une construction empruntée au « TePO Fae M. © comme matrice fictionnelle — voit pat exemple ‘aie aa Une femme mariée ou encore Deux ou trois choses que Je ae cenkor : de Jean-Luc es Gerstenkorn, « Libres figures: 18 chcorique vgston J ard et le mtier dlartisse, 1! Hacmattan, 2001, p- A>: V8 a at, in Ke léidoscope, P.U.L., 1988, pp. 111-118. ou 2 la narration. Serait-ce cela, Vessai au cinéma ~ tout cerquellig veut, moins le récit, la narration, Vinerigue ? Car SIS at Lettre nest également pas un documentaire, ni méme, par le bénéfice d'un détour. nement métaphorique, « poéme » ou « expertmentated », comment se caractériserait-il sinon par l'évincement de la question du person. nage, ou l’évitement du récit ? i j : Et pourtant, incontestablement, cette Letrre est bel et bien Un essai, et JLG nous le montre aussi bien en le signant, et en revendiquant la priorité absolue d’une perception qui assume sa part de responsabilité quant au rapport a l’objet percu. Mais c'est tout autant que l'on peut affirmer que l’ceuvre tient bon son rapport a l’objet, jusque dans sa prétention a lobjectivité, prétendue ou fictive, peu importe. En quelques plans, l’auteur ne dit pas seulement ce qu'il aurait voulu ou pu faire (ou ce qu’il aurait fallu faire), si sezlement le temps, Vargent lui avaient été donnés, il le fait en méme temps. Et dans le méme ‘temps, en deux trois plans qui passent du vert au bleu, ow au travers d'un plan en mouvement, dont le mouvement est lui-méme le produit d'une méditation qui s‘énonce doublement, d’une facon qui tient a la fois du fegard rétrospectif (les mots viennent sur des images qui leur préexis- tent), et de l’anticipation (puisque le plan réalisé est la concrétisation de Ce qui est donné moins comme description verbale — registre illus- tratif — que comme élaboration d'un projet, recherche d’une solution Satisfaisante a un probléme)', f La difficulee ue nous rencontrons ici tient précisément a ce qué, de Tessai, il n'y a pas de définition commune possible, car il n'y a pas, at que ce soit a partir d’un terme connu dont of fond, de loi du genre — ferait dériver les success t fn » Sil n'y a que des traits spec estas ea a n'y a que des différences spécifiques, et i sais est un eit a aun substrat commun que l'on pense uy ri qui n'existe qu'au travers de ses cas particuliers Onttent et s'identifient sans doute a partir de pee toae, £C notamment ce « plan au cencte » 4 2, ath cit, pp, 52-54, ment que si régle il doit y avoir, celle-ci doit étre un Pe a il y a— peut-étre — de la régle, mais s'il y ena, est g pour ne la pas suivre constamment, ou conséquemment. C méme la seule régle attestée. Que l’on songe, une dernii Godard, qui pose que « la régle est de la culture quand Pexceptic de Vart »'; le chiasme, pour séduisant qu'il soit, ne répond ni question de l'existence de la régle nia celle de son éventuelle s, sion. L’exception (pour se laisser penser) doit bien se penser coy moment par lequel on s'excepte ou on excepte quelque chos Vensemble considéré ; pas d’exception qui ne soit tirée d’une ¢ tion ou classe commune : ce serait ce mouvement de l'except qui constitutif de ce qui se laisse ensuite classer, voire lister, co « exception » ou série _d’exceptions. Enfin, poser alors l’essai comm un art, voila qui recomplique singuligrement la question. . Ceci a d'importantes conséquences : on ne peut s’éviter de p Vessai a partir de quelques réussites éclatantes, mais celles-c elles prétendre au statut de modele, une fois admis le princi Vabsence de regle (sinon de principe)? Il n'y aura de typ Quinsatisfaisante, toujours & la merci d'un démenti ou d'un co exemple, et Yon ne pourra citconscrire un tertitoire — celui de Ve = que ses limites sont non seulen ee o eats encore y en avoir d'inconnus mais sana a cisclamen ee tous cas dans la carte théorique du cadre . eterminables, et cela en droit (en vertu du P cipe d’inexi 4 inexistence de la régle, posé comme condition mini Saisie originaire du genre), @ Certes, en ret stracane l'histoire du mot et celui de ses emplois les Seren de titre dun ouvrage, Starobinski signale qe “modele gone nte's Majeurs. Des exemples, il retient bien “ponyme, celui de Montaigne, mais il cite aussi bi vendement humain de Locke ou !' ms, de Voltaire, que la premi Vévidence, que la liste est un f% *0N voit bien, a gout qui ne prétend aucunement citconscrire une unité stylistique ou thématique, fencer soins constituer en modéle un mode d’écrit gu de composition’. La compléterait-on, en choisissant Tene autres auteurs, a dautres €poques, ladite liste, que c'est a tort a Yon en déduirait la position tenue par chacun des auteurs, tte : Irene a «objet > de leur propos. Et surtout, cela ne renseigneraie - aucun cas sur ce qui se joue quand on revendique, par exemple, le titre essai au point de l'inscrire dans l’intitulé de l’ouvrage. Cette diffi- culté n’est du reste pas levée parce qu’on aurait pris soin au préalable de distinguer entre un livre et un texte court, publié en revue. Mais si un essai, pris au sens littéraire du terme, ne se confond pas avec un recueil d’articles, une « divagation », une suite de Propos ou d’apho- rismes, ou encore des Pensées, détachées ou non, des Feuillets dispersés ouarrachés 4 l’oubli, des Miscellanées répugnent-ils a cette caractérisa- tion ? La réponse est déja moins assurée. Alors, qu'y a-t-il 2 penser sous le terme d’essai, si nous voulons bien en tirer quelque indication pour l'essai_cinématographique ? Par exemple, comment le sens proprement littéraire est-il posé, situé, dans Yensemble de la rubrique ? Et comment, au sein méme de cette tubrique tres générale qui permet aujourd'hui de regrouper tout et importe quoi qui ait quelque rapport avec ou lair du temps ou les Citconstances de l’actualité ou une vague coloration de pensée, faire la part juste de ce qui, dans |’essai, appartient réellement & la littérature 2 la pensée — et non a la précipitation journalistique ou éditoriale ? Sous la catégorie d’essai, on pense simultanément ou séparément fc ~ qui est contenu dans l'histoire d’un mot qui vient du latin exa- ‘Bim, lequel signifie la balance et renvoie a l’action de pesage, poids, $0n peut lui trouver un voisin ; examen, qui provient lui auss! méme origine commune exigo, exigere : pousser dehors, chasser, Parmi les multiples aspects sémantiques du terme essai, on fa que le terme sert A désigner aussi bien « l'action dessayer chose », que « les résultats de I’essai proprement dit ». Sous le Aspect, on le rapprochera de ce qu'on nomme par ailleurs aussy rience, ou expérimentation, en méme temps que Vidée ontigué a celle d’apercu, d’abrégé, d’avant-goat de la chose (le terme désignant aussi bien lV’échantillon que lop laquelle on s'assure des qualités ou des propriétés d’une deuxiéme aspect, ce sont les résultats de l’essai qu’on appréci du reste sous ce rapport-la qu'il est fait mention de la spé sémantique du mot « essai » en genre ou forme littéraire. Un. sens littéraire du mot, n’est donc pas 4 prendre pour un coup ni pour un simple essai, ou ce qu'il reste des premiers balbuti d'une ceuvre lorsque l'enfant est devenu grand et qu’ils acquit rétrospectivement, ce statut : ce serait, apparemment, confondre | sément les deux aspects. 4 Mais pourtant, un premier motif d’étonnement peut nous arrét alors que le premier aspect renvoie a l’acte par lequel on peut appréc les qualités ou les propriétés de l’objet que l'on soumet 4 cet €s que le second sens général vise le résultat proprement dit, la littéraire de l’essai garde pourtant du premier aspect dégagé un cet caractére expérimental, aventureux, par quoi l’essai se signale et se tingue d’autres formes d’écriture, ou en tous cas de leurs modes chés de composition. Et en effet, tout amateur ou lecteur d’essai bien savoir 4 quel propos ou a quelle occasion il a été écrit, il y a t jours d’une part une grande part d’aléatoire ou une trés grande lil entre les motifs et leur traitement, comme il y a pour le lect nécessité de retrouver inscrit dans la forme le processus méme } lequel J’écrivain est peut-étre allé de découvertes en rectificat d’hypothéses fructueuses en démentis cuisants. Au sens prop! littéraire donc, l’essai se distingue en effet du Traité ou de la comme il s'’oppose a |’Abrégé ou au Compendium. Et ce nest q abus qu’on peut l’assimiler A une simple étude ou a une Etudes de circonstances, alors ? Valéry le suggére, qui choisit ce ' pour qualifier les textes qu'il réunit sous le titre de l'un dentte Regards sur le monde actuel', 1\ précise que le trait commun a ces ¢ ou analyses est d’étre « au sens le plus véritable de ce terme essais : « point de vue de l’amateur », qui s'y entend mi politique ou le spécialiste, point de vue distancié du sp 1, « Diailleurs, ce ne sont ici que des études de circonstances. Il hier, il gn est aujourd ui, Elles one ce carnctére coma ceca véritable de ce terme. » (Regards sur le monde actuel et autres essais, Avant-Pt «1a Pléiade », Gallimard, 1960, p, 913), point de vue engagé du praticien, ou « de celui qui s’en méle » ? [essai serait donc clarification, tentative de distinction notionnelle, effort de précision. Mais les études de Valéry ont si peu a voir avec le sens scolaire du terme qu'il faudrait plutét se rappeler celles de Chopin, ou leur avoisiner le principe des variations sur un theme donné". Si essai n'est pas un traité, c'est patce que ce dernier se propose, en général, d’exposer les résultats d'une recherche, ou le détail des connaissances relatives 4 un domaine précis. Et ce n'est pas non plus une somme — qu’on l’entende comme récapitulation des connaissances exigibles sur un ensemble de questions diverses, ou comme abrégé, ou que, en s'assimilant au « point le plus haut », une somme soit le terme convenablement retenu pour qualifier l’ccuvre supréme, sinon ultime, qui parachéve la courbe créatrice d’une pensée et, en l’accomplissant, nous dispense d’en lire les codicilles et repentirs ultérieurs. En somme, si essai ne saurait se ramener a la seule exposition d’un résultat établi d'avance, et qu’il ne peut non plus préparer aux étapes suivantes, telle une propédeutique, c'est qu'il ignore la vocation didactique du Traité comme l’ambition encyclopédique de la Somme. II s’écrit pour lui Jméme — pour la découverte que son écriture autorise, ou que le déve- loppement de l'idée féconde. Sans contradiction aucune, il s'annonce en méme temps et comme un tout, et comme une partie ; il peut étre de dimension et de prétention variable, la hauteur et l'ambition Fequise par le choix de son objet ne constituant pas non plus un trait définitionnel suffisant. (A l’inverse, si l’essai n’a pas vocation au titre de Propédeutique, ou de manuel, il peut certes avoir quelque chose des Prolégoménes, du Discours, de la Méditation — moins le caractére com- Posé et conséquent que l’on trouve dans quelques exemples fameux ?) Lessai aurait-il gardé de son modele inaugural (I’ceuvre éponyme de ntaigne) une sorte d’allure bonhomme, qui emprunte plusieurs. Yoles, ou chemins de traverses ? Certes, il avance diversement, et sur eee ey Mais bien qu’une suite d'écudes puisse, selon I'usage qu’en fait un Valéry, constieuer un 5 confers 8 SéPit d'une préférence possible ites formes, ne seurnis en aug sonfondre avec une simple ébauche ou une esquisse. Parad c cans Sonim sux aspects manifestés dans la premiere rubrique d sf A voir avec le moment empirique et expérimental de la nc tout, il obéit A des régimes d’écriture fore différents, fort uns des autres, et cela, au sein d'une méme ceuvre. Il n'ignore plus le souci de la composition. Mais celle-ci emprunte a beauco d'autres genres ou formes les régles qu'elle se donne temporai Cest que l’essai garde surtout de‘son sens premier tae de tive hasardeuse, dont on espére seulement qu elle ne s y réduise Mais il y a bien, dans la volonté d’essai, quelque chose qui unit la tative (réussie, espere-t-on) et la tentation (suscitée par Vobjet qu s'est choisi, ou que constituerait la question qui fut le motif initial Ventreprise). Au demeurant, et Starobinski nous le rappelle, les tra ducteurs de l’ceuvre de Montaigne en latin ont donné comme €quiva- lents du titre soit conatus, qui signifie bien l’effort, en accentuant cette fois la persévérance dans l’entreprise, soit sentamen, qui présente Vayan= tage de dire en méme temps et la tentative et la tentation. De fait, ce battement qui hésite entre l’affirmation d’un enracinement dans une certaine tradition empiriste et la reconnaissance des incertitudes du désir nous dit aussi quelque chose de l'essai, dont Starobinski résume’ le‘caractére’en reconnaissant qu’il est bien constitué « par deux ver sants, l'un objectif, l'autre subjectif » et que « le travail de lessai consiste précisément a établir entre ces deux versants une relation indissoluble. »' : Que nous apprend cette délimitation d'un espace dont les limites sont comme deux versants retenus ou liés par un rapport indissoluble ? Qu’un essai se rapporte bien a un objet, qu’il rencontre un peu a facon dont on se heurte au réel — iJ y acomme une matité de l'objet 4 force le regard a le scruter d’autant plus activement, il y a une fac f ou une indépendance du monde donnée comme un obstacle, fait, mais qui se présente d’abord comme un déja-la dont il faut Népreuve, Ne serait-ce que pour s’en accommoder ; et d’ ‘autre pa ace qui réagit a ce contact, et tente d’en éprouver aussi la d’en mesurer les effets. Pole objectif et péle subjectif, donc, 4 comprennent dans le double rapport d’un sujet a un objet quill extérieur et qu’il lui faut soupeser, éprouver, etc., et d'un sui s'prouve lui-méme & cette occasion. Ce sont moins les ! extremes d'une ligne que ces deux poles permettent de cite? ie - yvement trés caractéristique de eae ere le de va-et- vil y aurait d’objectif dans l'objet, aaa e de s'y rapporter, uy) - mis a 1'é : Be chose que sot. D’ot les glissements pouibia LT pie, ou au registre des confessions, et qui font de l’essai far mi feme remps qu'un intermédiaire entre plusieurs types de press aie projets: raat P Que cette oscillation doive beaucoup au texte de Montaigne Starobinski le reconnait volontiers, mais jusque dans l’équivalent ne proposé, feniamen, nous trouvons bien le double effet d'une existence qui, extérieure au « sujet », s offre aussi comme une tentation pour la pensée, en méme temps que celle-ci se risque a la tentative de le pen- ser, de l’éprouver, de le « soupeser » — ce qu’est donc proprement «essayer ». L’essai est donc 4 la fois l’accomplissement d’un contrat entre ces deux aspects de la modalité ceuvrant a cette forme (centa- tive/tentation), en méme temps qu'il est le contact établi entre les deux polarités que configurent ici le versant objectif et le versant sub- ‘yn mol jectif. L’énumération de titres n’éclairant que ceux qui les connaissent, et le rappel étymologique ne faisant que dégager un aspect oublié ou méconnu de la notion, que reste-t-il donc si l’on ne veut pas faire dépendre sa compréhension de l’essai du cadre proposé par le seul modéle retenu comme ancétre générique, sinon 4 opéret par variation ~variation sur des traits distinctifs, dont on voit bien qu’ils ne sont pas articulables selon un rapport de conjonction ou d'implication, mais qu’ils constituent plutdt des opérateurs de réception et didencifi- tation. De fait, c'est plutét du point de vue du lecteur et de la récep- tion que la forme « essai » fait sens. Que nous disent alors les traits distinctifs réunis par Starobinski s'ils ne constituent pas les éléments dune définition, s’ils ne permettent pas de déterminer pat avance une forme génétique, encore moins la nature de la régle éventuelle (ou 5 lemene Possible) ? Ils désignent plutét les déterminants d’une compre i a iti ‘ser wae cé sont des variables possibles, 4 condita ace a émati coins systémati pont ystématiques, et encore m\ : pas systématiq! cial relig A ree liées. Elles circonscrivent moins, méme dans lépure 99 les limites d’un genre inexistant quielles ne saisissent us particuliére, la teneur d'une relation 4 partir de quoi id régime de l’essai se fait — au moins pour celui qui le lira et tra tel. Leur principale fonction est d’'indiquer & quoi not sons qu’il y a essai, ou a partir de quoi nous nous accordo: s'agit bien d’essai : indice d'un gofit et d'un intérét trouvés 4 prises risquées ou qui ne ressemblent a rien ? Cela, au moin quiil y ait, outre le concepteur ou l’essayeur, un autre qui soit dis tenter l’'aventure, a s'y preter, du moins, as'y essayer lui aussi, Rappelons quelques-uns de ces traits remarquables teley Starobinski : 1. Cest d’abord la liberté, tant d’un point de vue formel qu son rapport aux contenus Ou aux délimitations disciplinaires ; rapport, l’essai est caractérisé par son aspect « risqué, imsubor imprévisible et de dangereusement personnel. >t 2. Sous un deuxiéme aspect, c’est la trajectoire interne 4 le nous retient, et qui fait passer celui-ci du péle le plus objectal - a par exemple, du commentaire svr une ceuvre, ou d’un €crit cifco ciel, 4 une entreprise plus autobiographique, de sorte que: le dobjet dont le caractére objectif était au moins lune des di constitutives du genre s’efface pour n’étre plus qu’un prétexte, ow plement un matériau indéterminé, qui n’entre dans le champ 4 considérations que par hasard, aléatoirement, comme n'impot ( objet sur lequel notre pensée peut s’arréter, avant de l’abandon de passer a autre chose. C’est moins la pensée qui, pour se dévert se fixerait un objet, qu’elle ne s’annonce comme n’ayant d’autte mination que de se surprendre, moyennant la nécessité un objet pour ne pas tourner a vide, ou se réduire a la rumi inchoative.. Mir 3. Enfin, un dernier trait, plus difficilement repérable, et 1 reste semble pour Starobinski jouer plurét un réle prospectif, que cette forme, en droit comme en fait, est encore ouverte, © son histoire est inachevée — et qui pourrait s’énoncer ainsi avoir « une alliance entre la poésie et la science », aif appeiess de ses Ve Starobinski au terme de son interrogation, j conviendra Oe Eee de trouver une articulation entre le caraeee jmmpersonnel requis par la prétention a la saisie objective de son able ue reclame la science et l’effort d’invention requis par le caren nh ‘ ulier et personnel d'une telle entreprise ; étre a la fois « écoute ae sens communique et création de relations inattendues au sein du pré- sent »' Cest donc entre un certain nombre de péles opposés que l’essai sinstalle ou campe, et ce sera dans la variation singuliére qu'il opére entre ces quelques traits remarquables qu’il se reconnait et s’apprécie (car, bien sir, on peut toujours prendre le terme d’essai en mauvaise part et lui accorder une valeur péjorative). Si, dans son acception: posi- tive, l'essai ne souffre ni de ses lacunes, en ce qu’il a renoncé d’emblée 4 exhaustivité, ni de la partialité assumée de son angle d’attaque, ce ent parce qu'il se refuserait sagement a l’'ambition démesurée que serait l’encyclopédisme. Ce n'est pas non plus que la teneur d’une pensée soutenue, dense ou compacte l'effraie. L’essentiel est ailleurs : de son rapport a la tentative et a la tentation, comme de son oscillation entre un pdle tourné vers Vobjectivité du réel (et qui constituerait en un premier temps le motif ou le sujet sur lequel l'essai se fixe) et cet autre pole constitué pat la réverbération que Vobstacle objectif produit sur le sujet, découle pour Lessai un exercice tres parti- culier de l’acte d’écrire et de penser — aux risques de sa propre liberté. Il n'y a pas d’essai qui ne soit en quelque sorte l'expérience de sa Pfopre aventure, qui ne soit en méme temps qu'une recherche une investigation ou une enquéte @ propos de ou 2 l'occasion, l'occasion as invention, invention de sa propre méthode et de son BEopes bats be n'y a pas d’essai qui n’inclue en lui le vagabondage de abe ere ae ae — associations Pp érilleuses ce _ propre incer- a il n'y a pas d'essai qui ne soit accomp: : A t de la possibilité d’une nest pas simplem embardée ou ailleurs, on di ion. ui n’est jamais que " A appelle digression, et qi ss — pom dernier d Ze — une fois admis Je principe + uer et der; ier de la pensée 1e fe iS as gal i pensée, wz “ce libre de la pensée réclame parfois due 1 bid. p. 196, iy. oublié, négligé pour un autre, plus Diderot, qui s’y connaissait, ne dit-il p 1 traité, un essai ob I’on me jette quelques idées de génie lées, qu'un traité ot ces germes sont étouffés sous redites » ?' Mais l'on ajoutera aussitét qu’on ne saurait ¢ essai sur ou 2 propos qui ne soit constamment irrigué de cit de notes en bas de page, qui ne se nourrisse de lectures qu’il r dans toutes les acceptions de ce terme, et qui ne soit, ainsi, ment marqué par un rapport 2 son objet médiatisé par les multiples aux diverses sources ob il s'abreuve. Ce n'est donc pas simplement parce que le modeéle épony genre serait constamment truffé de références et de citations q genre le serait, c’est pour le coup sans doute la seule loi véritab genre, que seuls les amateurs érigent en régle d’écriture, de cont leur propre travail comme une sorte de marqueterie obsessionn entre la citation franche et le souvenir lointain que permet l’a Vessai ne répond pleinement 4 son ambition littéraire qu’en $ vant d’emblée dans ce que j’appellerais la dimension réflexive ¢ écriture surinvestie par sa propre historicité. Laquelle ne d’emprunts, de trahisons, de vols et od le texte cousu ne nécessairement les effets de ses rapiégages (l'image est chez Montat l'ceuvre de Godard, mais aussi de tant d’autres. L’essayiste est b bl phage — l’écriture appelle la lecture, la lecture relance la p e pensée suit un cours qui ne serait pas le sien s’il était, en effe la stricte exposition de la chose méme. 4 Alors, la premiére condition distinctive de l’essai ne serait x cette hésitation entre la rencontre d’un obstacle constitué pat | vité ou la facticité du réel et la libre affirmation, ou la contrainte d’un sujet confronté a cela, mais 4 ce va-et-vient con LDi he eh ses, Sur la diversité de nos jugements, in CEuvres completes, Club Frangais oa jusqu’a se fondre ou se confondr Ns Giaresibilite denier i ae ones dégageant un aspect, Immédiateté qui se nie dans le détour cena tei med tatiot tion qui se dénie en voulant trouver refuge dans lal : ane a «aspect » que l'on creuse obsessionnellement parte me pas l’essence se révélerait 1a, mais parce que cet as; e te horizons. En somme, pas d’essai sans Le de nouveaux s'impose avec l’insistance de ce qui peste suens caine cy réponse toute faite, pas d’essai sans la tentation d’all ee + ana r let voir sans savoir plus, pas d’essai sans la tentative désespérée d’arriver quelque part, en espérant que les détours et les errances auront eu pour accactam le plaisir de la pensée. Parce que, comme il est dit dans le Goat de la cerise : « c'est plus long par 1a, mais c’est plus beau. » Questions 4 reverser pour plus tard au compte des approches rela- tives a la notion d’essai cinématographique : si la lecture est la condi- tion premiére et derniére de l’écriture et, surtout, de l’essai en tant que genre littéraire, s'il n'y a d’écriture qu'informée et instruite par Ta lec- ture d’autres écritures, qu’en est-il de la forme-film ? Filme-t-on pour la seule raison d’une fascination pour le visible ? Un essai ne serait-il pas au cinéma la tentative d’inscription dans le matériau méme de l'image des différentes sources pré-existantes au film, et qui sont déja édiatisées par les multiples sources de de l'image, sinon toujours déja mi (de l’'imagination l'industrie production et de fabrication de l'image du visuel) ? Apres les diverses formes d’inserts pratiqués par Godard l'image filmique ira se complexifiant, en jouant de la citation, de la paraphrase, de la contradiction ou de la superposition conflictuelle - comme dans Histoire(s) du cinéma. Mais avant, Pasolini n’avait-il pas avec La Rabbia réalisé un film tout entier fait A partir de bandes préexistantes et empruntées, qu il juxtaposait, montait en les faisant jouer ensemble et se reprendre, se cone etc., ordonnant son entreprise plucdt au principe du collage qu re a ui proprement dit du montage ? Et que sont les ceuvres de ie a sinon un immense processus de complexification croissante de a 8 et des réseaux discursifs — qu’ils soient yerbaux, sonores ou. vise . i En a-t-on pour autant fini avec les question preelable’ sie 8 ie Se poser dés que |’on envisage Vessai ? Il ne andl Be et cen ee Taisons, La premiére tient en effec a ce que Starobins! dans ses premiéres oeuvres, mention a la facon dont cette question aura tra\ Silence étonnant, d’une part en ce que l'avenir du genre la forme d’une alliance entre science et poésie, suggére toire qui fait écho aux théses musiliennes sur V'essai et” Silence d’autant plus étonnant que si Starobinski signale qu’u le terme d’essayisme et son corollaire, essayiste, avaient une péjorative, Musil les a congus en trés bonne part. Mieux : ce ce dernier, du reste, la réponse formelle au double probléme affrontait, avec le divorce entre la science et la philosophie d’une et d’autre part leur divorce d’avec l'art et la vie. La seconde est les hypothéses de Starobinski rendent raison d'un certain Vessai, elles ne permettent pas de voir en quoi l’essai, considéré « forme », a pu infléchir durablement le travail de nombreux ci en leur offrant une perspective singuliére sur les rapports de la de V’art et de la vie, au point de pouvoir affirmer que leur vie semble ramener a renter de réaliser quelque chose d’une oeuvre’. ¥ I. ROBERT MUSIL : L'ESSAI COMME FORME: Considérer que I’essai corresponde a une exigence a la fois th et esthétique, et que sous ce rapport l’artiste puisse revend forme essai, non plus seulement @ céré de ou en marge de lceuvre. pale, mais pour qualifier son ceuvre tout entiére, cela co peut-€tre mieux a ce qui aura pu s’observer au cours du XX" un grand nombre d’artistes et de penseurs, en tous cas rendt compte de leurs trajectoires et de leurs propos que d’en ap| abstraitement a une « alliance de la science et de l’art ». Ma inscrire l’ceuvre entiére d’un artiste sous la catégorie d’e ment complet du rapport entre un projet (ici, écrire, compo un exercice (celui de la pensée) et une condition (celle que | peut-€tre comme vocation, ou ambition fait qu qu'une vie est quelque peu susceptible de n’étre pa ‘Musil nous permettra peut-étre de saisir 4 quelle hauteur l'essai_ qoit etre concu pour qu il soit justifié pleinement de ce n | ~ emploi : mais celui-ci ouvre au fond l’essai 4 l'ensemble des opé oye de Ja pensée et de la création, en se refusant a séparer les meee aspects jusque-la distincts des oeuvres (le travail préparatoire, le com- mentaire, les marginalia qui tendent de plus en plus a se faire recon- | raitre comme partie prenante du travail de l'ceuvre, comme piéces 4 essentielles d'un dispositif pensé en termes de laboratoire). / $i la notion d’essai retient tout particuliérement Musil, c'est qu'elle Jui semble décisive et opératoire quant au traitement de la question des rapports complexes et parfois contraires qui se sont définitivement noués entre science, philosophie, et connaissance. A cet égard, Musil arquer que seul le mot frangais permet de répondre a ces exigences, en ce qu iil saw la fois la dimension empiriste de l’entre- prise, et satisfait une vocation littéraire. Qu’y a-t-il alors dans l’essai, récisément dans sa dimension littéraire, qui ne peut étre dit qu’en frangais, Musil regrettant que son équivalent allemand soit trop unila- téralement lié a la pratique scientifique et expérimentale ? Serait-ce que ce dernier (Versuch) ignorerait en quoi la tradition empitiste, méme philosophiquement comprise, met en jeu les ressorts vitaux (et pas seulement intellectuels, ou théoriques, ou cognitifs) de la pensée 2 Si la science est victime du positivisme de son temps, c'est en tant quelle se refuse, selon Musil, a considérer a quel prix elle a da sa vic- foie sur Vancienne prétention philosophique 4 penser la toralité de Tétre. Car en renongant de ce fait 4 penser (la totalité de) existence, la philosophie est devenue ou bien affaire de spécialistes dissertant dogma- sans jamais croiser et tiquement sur des questions de métaphysique, 7 : intetroger leur fagon de vivre et de penser leur vie, ou bien se réduit a Une forme sophistiquée de sentimentalisme poisseux & d effusion vague- ment mystique — ce supplément d’ame qui se déploie d’autant rs faci- nt que les paralléles sur lesquelles il s'édifie sont largement étran- tient 4 rem: Gy Fins objeccen ox cous ce innasions UAE aa isan et lors de son intervention, il insiscera A juste etre SXF cerce autre Haha tea Bee iain cihcigue, explsimencale ct empiiss: Des 65a comune estat -€n somme. Mais précisément, la tradition anglo-saxonne de l'ssay oa ee oramment) ne cesse d'inerroger le rapport entre Jet termes ici en jeu a aires & route expérience réelle et effective de la réalité. De me ‘Musil ne cesse d’ironiser sur opposition entre I'« exactitude pédan ‘et celle des faits, ou encore sur la tension entre Vexactitude étipée rodble par la science et I'« -peu-pres » dont se satisfont toutes ig Guestions existentielles, ce n'est nullement pour imposer a celles précention a la constance des lois universelles de la Nature, et cg ercore moins au nom d'un irrationalisme qu’il souligne leur divorce! ‘Crest dans un fragment consacré 3 I'essai que Musil note ceci; ‘ Qu’est-ce que cette rigueur la ob l'exactitude est impossible ? Une apologie du péle sub. jectif, une concession a ce qui serait pensé comme relevant des abimes ineffables du Moi? Certainement pas — et la bipolarité constituée entre le domaine du savoir, de la science, et celui de l'art, de la vie ne recoupe pas tant opposition encre l'objectivité et 1a subjectivité, que fa distinction du rapport entre la subjectivité requise par la science, et dont le corollaire est la nécessaire soumission des résultats obtenus au critere de la vérité objective, avec la prise de conscience que certains domaines, certaines questions ne permettent ni cette froideur néces saire au sujet de la science, ni l'exactitude des faits et des lois expt mant I'enchainement causal de ceux-ci. Ce qui échappe A ces dernitres, comme a l'explication des premiets 44 voir avec un certain nombre de questions & 'ceuvre dans L/Hamme sans qualité: par exemple, la qualité de la causalité & Voeuvre dats Vacte d'un agent libre ; I'écart entre les lois physiques et les lo morales ; ou encore, l'effet de la distorsion produite entre la réduction des lois morales au modéle physique (soie le criomphe de la statisti dans les sciences sociales, ou la possibilité toujours confirmée que A ne faisons que vérifier la loi des grands nombres), et |'impossible om mation des causes dans quelque processus de concaténation, qui PU rendre ultimement raison d'un acte humain — par exemple, xP intégralement le cas Moosbrugger. Pour Musil, l'essai a entre autres enjeux celui de réduire 18 “se 3 1. Musil, Lite a Lome sans quali (bee HS), 1 parce, ch, 62, Poss Seth PP 2. Musil, De Fai in Estas, Sui, 1984, 3.34, - romanesque exercée par cer dio poissancs, céduits par histoire prcorypes. Les romanciets ¥ scécvorFéconnaissent le mécanisme ‘en quoi leur imagination ene dans l'obsession du pete fait vra, Foaceitude factuelle voulue par le modéle ue Musil plaideraic pour Ia disparicé en srrales, et impossible réduction des se Joneraire ; cette réduction a eu lieu, et la frouve son expression dramatique dans le Gqualités » ec des « qualités sans homme ». L incarnation anonyme. Le drame d’un homme d'un monde réduit & des constantes sta vérifiables qu’au prix de ce qui fait la force extraordinaire du poncif, 1a persistance d tion-instantanée du monde et de son récit une: consticuée par la forme générale des lois lier ne correspond > Ce qui retient Musil, ce sont tout au contraite; tion des régularités, des faits remarquables par leur quills sonc, au regard de la constance et de V'unif ‘uum ; ces contenus ne prétendene pas & la physiques, ou a la régularité des faits sociaux, de la Nature, ils ont a voir avec Vinvention & Tapport a sa propre norme: Bek Wet sa pleine et entiére signification d’épreuve, 1. CE lech, 17, exemplaire a plus ie » 17, exemplaice a plus d'un titre de cere Earls la cefaction «si Yen analyse la ncuce d'un mili EES. atelque deux douzaines de qualité, sensasons =. G1 Pour finig, il ae ceste plus que des hemaint, op aurait eS it du mal are ee

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