potentialités et impasses
Morgane Balsamo - étudiante Master de Sociologie - morgane.balsamo@yahoo.com
En France, la crise du Covid-19 a commencé en mars 2020 avec l'annonce du premier confinement.
Elle a consisté en un changement de nos modes de vie, mais on peut se demander si elle peut être considérée
comme un facteur de changement social. On peut définir le changement social comme une transformation qui
s'impose à tous les individus. Cette transformation doit être durable et non un changement temporaire. Elle
doit mener à un état de la société différent sur le plan économique et social.
Nous verrons dans un premier temps qu'un état de crise, par définition temporaire, peut ne pas pro-
duire de changements sociaux, mais seulement des modifications marginales. Dans un second temps, nous exa-
minerons le contexte dans lequel cette crise est survenue et en quoi la combinaison de la crise sanitaire avec
les changements contemporains peut contribuer à modifier durablement notre société.
La crise sanitaire que nous traversons actuellement peut être vue comme un événement temporaire,
dont les conséquences, bien qu'elles soient réelles, ne bouleverseront pas notre ordre social. Elles pourraient
cependant modifier, à la marge, certaines pratiques et perceptions
On peut considérer que les principaux changements induits par la crise du Covid-19 sont de l'ordre de
l'organisation de la vie courante ainsi que l'utilisation plus ou moins quotidienne d'un nouvel instrument : le
masque. Ce dernier est loin d'être anecdotique, si l'on en juge par la polémique autour de la capacité de la
France à en produire suffisamment, ou encore des manifestations anti-masque qui ont eu lieu dans plusieurs
pays d'Europe. Cependant, il semble peu probable, en France en tout cas, qu'il soit facteur d'un quelconque
changement social, au vu de ses contraintes (dépense supplémentaire, gène physique à le porter). En ce qui
concerne l'organisation de la vie courante, elle a été bouleversée par des mesures prises par la majorité des
gouvernements : le confinement et le couvre-feu, ainsi que la fermeture de lieux jugés non-essentiels. Ces me-
sures avaient pour objectif la restriction des contacts physiques, mais elles ont pu avoir comme conséquence la
rupture de liens sociaux et donc une potentielle dégradation de la santé mentale. Or, cette situation de restric-
tion des contacts sociaux n'est pas vouée à se pérenniser. En tant que "crise", on considère que cette pandémie
n'est qu'un moment dans notre histoire que l'on traversera, afin de reprendre une vie normale, c'est-à-dire la
vie que l'on menait avant le début de la crise.
Il est possible d'identifier un changement social lorsque les valeurs et les préférences collectives d'une
société se transforment. Ainsi, Max Weber voit l'avènement du puritanisme, et la révolution protestante en gé-
néral comme ayant permis la consolidation de la société capitaliste. Le travail, l'ascétisme et l'épargne ont été
des facteurs culturels de changement social. Or, on peut considérer que, malgré la crise actuelle, les valeurs et
préférences collectives se maintiennent. La peur d'un ébranlement de l'économie est réelle et les gouverne-
ments font tout pour la maintenir. Cette peur est aussi présente chez les citoyens, comme le montre l'étude qui
a été menée durant l'année 2020 par Sciences Po et le CNRS pour observer la manière dont la pandémie a été
vécue par les Français(e)s en termes d'opinions et de comportements 1. Ils ont étudié les préoccupations d'un
panel de 1200 personnes, en termes de santé et d'économie. Il en ressort, d'une part, qu'entre 30 et 40% des
personnes interrogées sont davantage préoccupées par l'économie que par la santé globale, et d'autre part,
que cette opinion est facilement manipulable, les arguments d'autorités sur ce sujet ayant un impact fort. Ainsi,
on observe davantage une volonté de persistance de notre modèle social et économique qu'une volonté de
changement.
Enfin, la place qu'a pris la crise sanitaire dans la vie de tout un chacun ainsi que la restriction des
contacts a entraîné une certaine mise à l'écart des conflits sociaux. Au niveau mondial, on observe une corréla-
tion négative entre les politiques de confinement et les événements liés à des conflits 2. Cela ne signifie pas que
1 Emanuele Ferragina, Carlo Barone, Emily Helmeid, Stefan Pauly, Ettore Recchi, Mirna Safi, Nicolas Sauger et
Jen Schradie, « Dans l’œil du cyclone. La société française après un mois de confinement », Projet Faire
face au Covid-19 : Distanciation sociale, cohésion et inégalité dans la France de 2020, n° 2, Paris: Sciences
Po - Observatoire Sociologique du Changement, mai 2020.
2 Nicolas Berman, Mathieu Couttenier, Nathalie Monnet and Rohit Ticku, “Les conflits à l’heure de la COVID-
19”, International Development Policy | Revue internationale de politique de développement, 12.2 | 2020,
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les différents conflits ont été étouffés par la crise mais celle-ci a eu des conséquences indéniables. De plus, la
médiatisation des conflits sociaux s'est drastiquement restreinte, particulièrement en France où ces dernières
années ont vu fleurir les mouvements sociaux, des Gilets Jaunes au mouvement sur les retraites. Ainsi, les
conflits sociaux, qui auraient pu mener à un changement social, ont perdu de leur importance avec la persis-
tance de la pandémie.
Si l'on considère que la crise de Covid-19 est une conséquence de l'activité humaine, au même titre
que le dérèglement climatique et l'augmentation des catastrophes naturelles, il est possible que des change-
ments s'opèrent dans un futur proche pour limiter notre impact sur l'environnement.
Si des épidémies ont eu lieu ces dernières décennies en Afrique et en Asie, en Europe, le Covid-19 a
tout d'un événement sans précédent au sens de Baehr. Il s'agit d'un événement qui a pour caractéristiques
d'être nouveau, inhabituel, non institutionnalisé, non prévu et original. De plus, l'idée qu'il faut se préparer à
l'apparition d'autres virus n'est pas incongrue. Ainsi, on peut imaginer que cette crise nous aura permis de sa-
voir, plus ou moins, comment gérer une épidémie. Elle a fait prendre conscience de la vulnérabilité des popula-
tions, y compris lorsqu'elles sont issues de pays riches. Des changements dans certaines sphères de la société,
notamment le système de santé, sont donc envisageables.
De plus, dans une perspective matérialiste, la crise a eu pour effet d'exacerber certaines tendances ac-
tuelles du changement social, notamment les inégalités. Selon la pensée de Marx, ce sont les rapports de pro-
duction qui déterminent les idées. Ainsi, l'augmentation des inégalités symbolise un accroissement de l'écart
entre les détenteurs des moyens de production et ceux qui n'ont que leur force de travail à échanger. Alexis
Trémoulinas, dans son ouvrage Sociologie des changements sociaux3, montre comment les inégalités se sont re-
composées au XXIème siècle. Aux critères traditionnels d'inégalités (revenus et patrimoine) se sont ajoutés de
nouvelles dimensions d'inégalités (comme la santé) qui se recomposent en fonction de critères comme l'âge, le
genre ou l'origine ethnique. Les mesures de restriction des déplacements n'ont pas eu le même impact sur
toute la population, et les individus les plus vulnérables ont été les plus durement touchés, comme le montre
l'évaluation du bien-être fait par les chercheurs de Sciences Po. La crise sanitaire a donc eu des conséquences
sur les changements déjà observés dans nos sociétés.
Enfin, dans le sillon de Weber, on peut se placer dans une perspective idéaliste. Contrairement au ma-
térialisme, l'idéalisme considère que les idées sont le moteur du changement dans une société. Ainsi, les évé-
nements actuels peuvent être déterminants pour changer de point de vue sur la place de l'être humain sur la
planète. Depuis plusieurs années, notamment grâce aux rapports du GIEC, nous savons qu'ils nous est indispen-
sable de changer nos modes de production et de consommation si nous ne voulons pas affecter notre environ-
nement de manière irrémédiable. La crise sanitaire qui a touché le monde entier peut nous permettre de
prendre conscience de l'importance à mettre en place une idéologie écologiste en lieu et place de l'idéologie
capitaliste.
Ainsi, une crise est perçue comme un changement temporaire et dans le contexte de la crise du Covid-
19, on peut observer des formes de maintien de la société dans l'état qui précédait l'arrivée de cet événement.
Dans le domaine de l'économie notamment, la tendance est davantage à la préservation qu'au changement.
Cependant, la crise peut également être un facteur de changement social, si elle est perçue comme l'avertisse-
ment d'une multiplication d'évènements de cette envergure à cause du modèle capitaliste qui régit nos socié-
tés.
3 Trémoulinas, Alexis. « Trois tendances ré centes du changement social dans les pays occidentaux », Alexis
Trémoulinas éd., Sociologie des changements sociaux. La Découverte, 2006, pp. 67-106.
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