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Du même auteur

Marchands et Banquiers du Moyen Âge


PUF, « Que sais-je ? », 1955, 2001

Le Moyen Âge
Bordas, 1962

La Civilisation de l’Occident médiéval


Arthaud, 1964, 1984
Flammarion, « Champs », 1982, 1997, 2008

Le Moyen Âge (1060-1330)


Bordas, 1971

Les Propos de Saint Louis


Gallimard/Julliard « Archives », 1974

Pour un autre Moyen Âge


Temps, travail et culture en Occident : 18 essais
Gallimard, 1977, 1991

La Naissance du Purgatoire
Gallimard, 1981, 1991

L’Apogée de la chrétienté
(v. 1180-v. 1330)
Bordas, 1982, 1994

L’Imaginaire médiéval
Gallimard, 1985, 1991

La Bourse et la Vie
Économie et religion au Moyen Âge
Hachette, 1986, 1997

Histoire et Mémoire
Gallimard, 1988

La Vieille Europe et la Nôtre


Seuil, 1994

L’Europe racontée aux jeunes


Seuil, 1996

Saint Louis
Gallimard, 1996

Une vie pour l’histoire


Entretiens avec Marc Heurgon
La Découverte 1996

Pour l’amour des villes


Entretiens avec Jean Lebrun
Textuel, 1997

Un autre Moyen Âge


Gallimard, « Quarto », 1999

Saint François d’Assise


Gallimard, 1999

Un Moyen Âge en images


Hazan, 2000, 2007

Cinq personnages d’hier pour aujourd’hui


Bouddha, Abélard, Saint-François, Michelet, Bloch
La Fabrique, 2001

À la recherche du Moyen Âge


Entretiens avec Jean-Maurice de Montremy
Louis Audibert, 2003
et Seuil, « Points Histoire », n° 357, 2006

Le Dieu du Moyen Âge


Entretiens avec Jean-Luc Pouthier
Bayard, 2003

L’Europe est-elle née au Moyen Âge ?


Essai
Seuil, « Faire l’Europe », 2003 et « Points Histoire », 2010

Â
Héros du Moyen Âge, le saint et le roi
Gallimard, « Quarto », 2004

Un long Moyen Âge


Tallandier, 2004 et Hachette, « Pluriel », 2009

Héros et merveilles du Moyen Âge


Seuil, 2005 et « Points Histoire », 2009

Le Moyen Âge expliqué aux enfants


(avec la collaboration de Jean-Louis Schlegel)
Seuil, 2006

L’Europe expliquée aux jeunes


Seuil, 2007

Avec Hanka
Gallimard, 2008

Le Moyen Âge et l’Argent


Perrin, « Pour l’histoire », 2010

OUVRAGES COLLECTIFS
(édition et collaboration)

Du Moyen Âge aux Temps modernes


(1328-1715)
(avec Jean Rudel, Michel Arondel et Jacques Dupâquier)
Bordas, 1965

Hérésies et Sociétés dans l’Europe pré-industrielle


(XIe -XVIIIe siècle)
Mouton, 1968

Faire de l’Histoire
1. Nouveaux problèmes
2. Nouvelles approches
3. Nouveaux objets
(avec Pierre Nora)
Gallimard, 1974, 1986

Famille et Parenté dans l’Occident médiéval


(avec Georges Duby)
École française de Rome, 1977

La Nouvelle Histoire
(avec Roger Chartier et Jacques Revel)
Retz, « Encyclopédie du savoir moderne », 1978
et Bruxelles, Complexe, 1988, 2006

Histoire de la France urbaine


(sous la direction de Georges Duby)
tome 2. La ville médiévale
(avec André Chédeville et Jacques Rossiaud)
Seuil, 1980
repris sous le titre : La Ville en France au Moyen Âge
« Points Histoire » n° 247, 1998

Le Charivari
(avec Jean-Claude Schmitt)
Éditions de l’EHESS, 1981

Objets et Méthodes de l’histoire de la culture


Actes du colloques franco-hongrois de Tihany
(avec Béla Köpeczi)
Éditions du CNRS, 1982

Intellectuels français, Intellectuels hongrois


(XIIIe -XXe siècle)
(avec Béla Köpeczi)
Éditions du CNRS, 1986

Histoire de la France religieuse


tome 1. Des dieux de la Gaule à la papauté d’Avignon
tome 2. Du christianisme flamboyant à l’aube
des Lumières (XIVe -XVIIIe siècles)
tome 3. Du roi Très Chrétien à la laïcité républicaine
(XIVe -XVIIIe siècles)
tome 4. Société sécularisée et renouveaux religieux : XXe siècle
(avec René Rémond)
Seuil, 1988, 1988, 1991, 1992

Histoire de la France
(sous la direction d’André Burguière et Jacques Revel), 4 vol.
tome 2. L’État et les pouvoirs
Seuil, 1989
et sous le titre : La longue durée de l’État
« Points Histoire » n° 275, 2000

L’Homme médiéval
Seuil, 1989 et « Points Histoire » n° 183, 1994

Le Moyen Âge aujourd’hui


Â
Trois regards contemporains sur le Moyen Âge
(histoire, théologie, cinéma :
actes de la rencontre de Cerisy-la-Salle)
Léopard d’or, 1998

Patrimoine et Passions identitaires


Entretiens du patrimoine
Fayard, 1998

Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval


(avec Jean-Claude Schmitt)
Fayard, 1999

Les Calendriers
Leurs enjeux dans l’espace et dans le temps
(avec Jean Lefort et Perrine Mane)
Somogy, 2002

Une histoire du corps au Moyen Âge


(avec Nicolas Truong)
Liana Lévi, 2003
La première édition de cet ouvrage a paru
dans la collection « Le temps qui court », en 1957

ISBN 978-2-75-783579-1

(ISBN 2-02-000150-0, 1 re publication)

© éditions du seuil, avril 1957, février 1985


et mars 2000 pour la bibliographie

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo

Cet ouvrage a été numérisé en partenariat avec le Centre National du Livre.


Table des matières

Couverture

Du même auteur

Copyright

Préface

Introduction

Le XIIe siècle Naissance des intellectuels

Renaissance urbaine et naissance de l’intellectuel au XIIe siècle

Y a-t-il eu une renaissance carolingienne ?

Modernité du XIIe siècle anciens et modernes

L’apport gréco-arabe

Les traducteurs

Paris : Babylone ou Jérusalem ?

Les Goliards

Le vagabondage intellectuel

L’immoralisme

La critique de la société

Abélard
Héloïse

La femme et le mariage au XIIe siècle

Nouveaux combats

Saint Bernard et Abélard

Le logicien

Le moraliste

L’humaniste

Chartres et l’esprit chartrain

Le naturalisme chartrain

L’humanisme chartrain

L’homme-microcosme

L’usine et l’homo faber

Figures

Rayonnement

Le travailleur intellectuel et le chantier urbain

Recherche et enseignement

Les outils

Le XIIIe siècle La maturité et ses problèmes

Profil du xIIIe siecle

Contre les pouvoirs ecclésiastiques


Contre les pouvoirs laïcs

Soutien et main-mise de la papauté

Contradictions internes de la corporation universitaire

Organisation de la corporation universitaire

Organisation des études

Programmes

Examens

Climat moral et religieux

La piété universitaire

L’outillage

Le livre comme instrument

La méthode : la scolastique

Vocabulaire

Dialectique

Autorité

Raison : la théologie comme science

Les exercices : quæstio, disputatio, quodlibet

Contradictions — comment vivre ? salaire ou bénéfice ?

La querelle des réguliers et des séculiers


Contradictions de la scolastique : les dangers de l’imitation des
anciens

Les tentations du naturalisme

Le difficile équilibre de la foi et de la raison : l’aristotélisme et


l’averroisme

Les rapports entre la raison et l’expérience

Les relations entre la théorie et la pratique

De l’universitaire à l’humaniste

Le decline du moyen âge

L’évolution de la fortune des universitaires

Vers une aristocratie héréditaire

Les collèges et l’aristocratisation des universités

Évolution de la scolastique

Divorce entre la raison et la foi

Limites de la science expérimentale

L’anti-intellectualisme

La nationalisation des universités : la nouvelle géographie


universitaire

Les universitaires et la politique

La première université nationale : prague

Paris : grandeurs et faiblesses de la politique universitaire


La sclérose de la scolastique

Les universitaires s’ouvrent a l’humanisme

Le retour a la poésie et a la mystique

Autour d’aristote : le retour au beau langage

L’humaniste aristocrate

Le retour à la campagne

La rupture entre la science et l’enseignement

Essai bibliographique

Supplément bibliographique — Février 2000

Ouvrages collectifs :

Index

Repères chronologiques

Illustrations
Préface
Il peut paraître présomptueux de rééditer un livre d’histoire, vingt-
sept ans après sa première parution, sans le modifier. Mais je ne pense pas
que l’essentiel de la conception du monde scolaire et universitaire
médiéval qui y est présentée soit périmé. Il me semble au contraire que le
point de vue central de cet essai n’a cessé depuis 1957 d’être confirmé et
enrichi.
Il s’exprime d’abord par le mot « intellectuel » dont l’intérêt est de
déplacer l’attention des institutions vers les hommes, des idées vers les
structures sociales, les pratiques et les mentalités, de situer le phénomène
universitaire médiéval dans la longue durée. La vogue, depuis la parution
de ce livre, des études sur « l’intellectuel » ou « les intellectuels » n’est
pas seulement, ne doit pas être seulement une mode. Si, comme dans toute
perspective comparatiste pertinente, on ne sépare pas la visée sociologique
qui fait apparaître la cohérence du type, des structures, de l’étude
historique qui met en valeur les conjonctures, les changements, les
tournants, les ruptures, les différences, l’insertion dans la société globale
d’une époque, l’emploi du terme « intellectuel » est justifié et utile. Je n’ai
pas voulu en 1957 me livrer à un exposé théorique sur la notion que j’avais
empruntée à l’histoire, à la sociologie, à l’épistémologie du monde
occidental depuis le XIXe siècle, je n’ouvrirai pas ici, aujourd’hui, ce
dossier.
Mais ce n’est pas un hasard si la plupart des études les plus
intéressantes sur les « intellectuels » du passé ont récemment vu le jour
dans l’Italie de Gramsci. Une esquisse d’ensemble a été proposée par
Alberto Asor RosaI ; la notion d’« intellectuel » a été étendue dans un
colloque génois à la société antiqueII ; Giovanni Tabacco dans une
remarquable étude a situé « l’intellectuel médiéval dans le jeu des
institutions et des prépondérances sociales » au sein d’un volume de
l’Histoire d’Italie de l’éditeur de Gramsci, Einaudi, consacré tout entier
aux rapports des intellectuels avec le pouvoirIII.
Je suis conforté, pour revenir à « mes intellectuels », de voir dans une
excellente étude consacrée à la naissance de l’Université de Modène, la
seconde université italienne après Bologne, à la fin du XIIe siècle,
Giovanni Santini, se référant à mon livre de 1957, déclarer mieux que je
ne l’avais fait : « La naissance de “l’intellectuel” comme type
sociologique nouveau présuppose la division du travail urbain, tout
comme l’origine des institutions universitaires présuppose un espace
culturel commun, où ces nouvelles “cathédrales du savoir” peuvent surgir,
prospérer et se confronter librementIV. »
La division du travail, la ville, des institutions nouvelles, un espace
culturel commun à toute la chrétienté et non plus incarné dans le
morcellement géographique et politique du Haut Moyen Âge, voilà les
traits essentiels du nouveau paysage intellectuel de la chrétienté
occidentale au tournant du XIIe au XIIIe siècle.
Ce qui est en effet décisif dans le modèle de l’intellectuel médiéval
c’est son lien avec la ville. L’évolution scolaire s’inscrit dans la révolution
urbaine des Xe-XIIIe siècles. Le clivage entre école monastique, réservée
aux futurs moines, et école urbaine, en principe ouverte à tous, y compris à
des étudiants qui resteront des laïcs, est fondamental. Mais j’aurais dû
davantage montrer l’attraction des écoles et des universités urbaines sur le
milieu monastique. Si d’emblée les Ordres mendiants — malgré un débat
inauguré chez les Franciscains par saint François lui-même entre pauvreté
et savoir — se coulent dans le monde des écoles urbaines, plus
significative encore est la conversion de certains ordres monastiques
(Prémontrés, Cisterciens) à l’enseignement universitaire, par la fondation
de collèges pour les novices de leurs ordres dans les villes universitaires
dès le XIIIe siècle.
Citadins, les nouveaux intellectuels sont des hommes de métier. Ils
ont, comme les marchands, puisqu’ils sont « vendeurs de mots » comme
ceux-ci sont « vendeurs de temps », à vaincre le cliché traditionnel de la
science qui n’est pas à vendre étant don de Dieu. Dans la ligne du
médiéviste américain Gaines Post, j’ai souligné le caractère professionnel,
corporatif des maîtres et étudiants universitaires. À côté des grands livres
de Pearl Kibre, une série d’études a précisé les conditions matérielles,
techniques et juridiques de la profession universitaire.
J’aurais dû, dans cette perspective, davantage insister sur le caractère
révolutionnaire du curriculum universitaire comme mode de recrutement
des élites gouvernantes. L’Occident n’avait connu que trois modes d’accès
au pouvoir : la naissance, le plus important, la richesse, très secondaire
jusqu’au XIIIe siècle sauf dans la Rome antique, le tirage au sort, de
portée limitée parmi les citoyens des villages grecs de l’Antiquité.
L’Église chrétienne avait en principe ouvert à chacun la voie aux honneurs
ecclésiastiques. En réalité, les fonctions épiscopales, abbatiales, les
dignités ecclésiastiques étaient dévolues très majoritairement aux
membres de la noblesse, sinon de l’aristocratie. Jeunes nobles et bientôt
jeunes bourgeois fournissent certes la plus grande partie des étudiants et
des maîtres mais le système universitaire permet une réelle ascension
sociale à un certain nombre de fils de paysans. Il est donc important que
des études se soient intéressées aux étudiants « pauvres ». Dans la
typologie de la pauvreté à laquelle Michel Mollat et ses élèves ont fait
accomplir de si grands progrès, la pauvreté universitaire représente un cas
particulier. L’analyse de sa réalité et de sa conjoncture dépasse le domaine
de l’anecdote et les travaux de Jean Paquet ont été ici éclairants. Ce que
j’aurais surtout dû mieux mettre en lumière c’est que cette promotion
sociale s’est faite au moyen d’un procédé tout à fait neuf et
révolutionnaire en Occident : l’examen. L’Occident rejoignait ainsi —
modestement — un système dont mon ami Vadime Elisseeff pense qu’on
aurait intérêt à l’envisager dans une perspective comparatiste : le système
chinois.
Au terme de cette évolution professionnelle, sociale et
institutionnelle il y a un objectif : le pouvoir. Les intellectuels médiévaux
n’échappent pas au schéma gramscien, à vrai dire très général, mais
opérationnel. Dans une société idéologiquement contrôlée de très près par
l’Église et politiquement de plus en plus encadrée par une double
bureaucratie : laïque et ecclésiastique (la plus grande « réussite » à cet
égard est la monarchie pontificale qui, au XIIIe siècle précisément, réunit
les deux aspects), les intellectuels du Moyen Âge sont avant tout des
intellectuels « organiques », fidèles serviteurs de l’Église et de l’État. Les
universités sont de plus en plus des pépinières de « hauts fonctionnaires ».
Mais nombre d’entre eux, parce que la fonction intellectuelle, la
« liberté » universitaire, malgré ses limitations, y poussent, sont plus ou
moins des intellectuels « critiques », le seuil étant celui de l’hérésie. Dans
des conjonctures historiquement différentes et selon des personnalités
originales quatre grands intellectuels peuvent, du XIIIe au XIVe siècle,
illustrer la diversité des comportements « critiques » dans le monde
médiéval de l’enseignement supérieur : Abélard, Thomas d’Aquin, Siger
de Brabant, Wyclif.
J’aurais dû surtout — mais je n’avais pas lu l’article d’Herbert
Grundmann, de 1951 pourtant, « Sacerdotium — Regnum — Studium » —
mieux détecter la formation du pouvoir universitaire. J’aurais dû aussi, à
travers ces trois pouvoirs, le clérical, le monarchique, l’universitaire,
reconnaître le système trifonctionnel mis en valeur par Georges Dumézil.
À côté de la fonction religieuse et de la fonction politico-guerrière,
s’affirme donc une fonction de la science qui est, à l’origine, un aspect de
la troisième fonction, celle de l’abondance, de l’économie productive.
Ainsi se justifie théoriquement l’intellectuel autorisé, comme le
marchand, à profiter de son métier, à cause de son travail, de son utilité, de
sa création de biens de consommation. Les efforts qu’il déploie dès le
XIIIe siècle pour participer aussi du pouvoir ecclésiastique (son
acharnement à défendre sa situation juridique de clerc), pour s’arroger une
influence politique (saisissable à Paris dès la fin du XIIIe siècle),
manifestent la volonté du travailleur intellectuel à se distinguer à tout
prix, au mépris de ses origines sur le chantier urbain, du travailleur
manuel. L’intellectuel marginal parisien Rutebeuf, à l’époque de Saint
Louis, revendique : « Je ne suis ouvrier des mains. »
Sans tomber dans l’anachronisme, j’ai été ainsi amené à définir le
nouveau travail intellectuel comme l’union, dans l’espace urbain et non
plus monastique, de la recherche et de l’enseignement. J’ai donc
privilégié, parmi ceux qui, de la foule des maîtres et étudiants, se sont
hissés aux sommets de la création scientifique et intellectuelle et du
prestige magistral, les figures de proue. Peut-être ai-je eu tort d’écarter les
vulgarisateurs, les compilateurs, les encyclopédistes car, passés par les
universités, ils ont diffusé auprès des clercs et des laïcs instruits et, à
travers la prédication, auprès de la masse, le tout-venant de la recherche et
de l’enseignement scolastiques. Beaucoup ici est affaire subjective. La
compilation, aujourd’hui décriée, a été, au Moyen Âge, un exercice
fondamental de l’activité intellectuelle et non seulement de la diffusion
mais aussi de l’invention des idées. Le Père Chenu, le grand théologien et
historien qui a ouvert la voie des recherches où s’est engagé ce petit livre,
a peu de considération pour Pierre Lombard, l’évêque de Paris, d’origine
italienne, mort en 1160, dont le Livre des Sentences, transformant la Bible
en corpus de science scolaire, est devenu le manuel de base des facultés de
théologie du XIIIe siècle. Il m’apparaît en revanche comme un intellectuel
important, tout comme, juste après lui, ce chanoine parisien, Pierre le
Mangeur (Petrus Comestor), dévoreur de livres, qui avec son Histoire
scolastique et d’autres écrits intègre les nouveautés intellectuelles de son
temps dans un outillage, élémentaire mais fondamental pour les futurs
maîtres et étudiants. Inversement je répugne à ranger parmi les
intellectuels éminents du XIIIe siècle ce Dominicain, proche de Saint
Louis, Vincent de Beauvais, qui rédigea, avec le Speculum Majus, le
« Grand Miroir », une encyclopédie où passa, sans aucune originalité de
pensée, tout le savoir de son époque, arsenal pour la diffusion de ce savoir
auprès des générations suivantes. Pas plus que je ne compterais parmi eux
Robert de Sorbon, chanoine parisien, dont l’essentiel de l’œuvre (surtout
des sermons) est encore inédite mais dont l’importance historique est
d’avoir fondé un collège pour douze étudiants en théologie pauvres, noyau
de la future Sorbonne, à laquelle il légua sa bibliothèque, une des plus
importantes bibliothèques privées du XIIIe siècle. Ce Robert de Sorbon,
que Joinville jalousait parce qu’il devait partager avec lui la fréquentation
familière de Saint Louis, et à qui, lui, noble, ne manquait pas une occasion
de rappeler son origine paysanne, était un intellectuel « organique » de
seconde zone. Mais il a bien semé.
J’hésite encore plus aujourd’hui à tracer des frontières au monde
intellectuel du Moyen Âge entre les universitaires à proprement parler et
les « littérateurs » des XIIIe-XVe siècles. J’ai inclus Rutebeuf et Jean de
Meung, l’auteur de la seconde partie du Roman de la Rose, parce que,
anciens étudiants parisiens, ils ont fait écho dans leur œuvre aux conflits
idéologiques de l’Université de Paris au XIIIe siècle et exprimé certains
aspects importants de la « mentalité universitaire » : tendance à
« raisonner » (mais il ne faut pas parler de rationalisme), esprit corporatif,
anticléricalisme — surtout dirigé contre les Ordres mendiants —,
propension à la contestation. Et si j’avais développé l’étude des
intellectuels de la fin du Moyen Âge, j’aurais eu recours à cet étudiant
marginal, François Villon. Mais je me repens de ne pas avoir fait leur
place à de grands « écrivains » imprégnés par la formation et l’esprit
universitaires et dont une partie de l’œuvre relève de la théologie ou du
savoir scientifique. Je pense surtout à Dante, génie à vrai dire inclassable,
et à Chaucer en qui s’équilibrent la curiosité scientifique et l’imagination
créatrice, même si c’est à la seconde qu’il doit sa gloire.
Je regrette encore plus de ne pas avoir insisté, non plus au sommet
mais à la base du monde intellectuel, sur ces professionnels qui, au
XIIe siècle, ont annoncé la place de la culture dans le mouvement urbain.
À côté de certains hommes d’Église, enseignants de grammaire et de
rhétorique, avocats, juges, notaires surtout ont été parmi les artisans de la
puissance des villes. On fait aujourd’hui de plus en plus leur place, à juste
titre, aux éléments culturels dans la nature et le fonctionnement des villes
médiévales, à côté des aspects économiques et proprement juridiques et
politiques. Le marchand n’est plus le seul ni peut-être même le principal
acteur de la genèse urbaine dans l’Occident médiéval. Tous ceux qui par
leur science de l’écriture, leur compétence en droit et en particulier en
droit romain, leur enseignement des arts « libéraux » et,
occasionnellement, des arts « mécaniques » ont permis à la ville de
s’affirmer et, notamment en Italie, au Comune de devenir un grand
phénomène social, politique et culturel, méritent d’être considérés comme
les intellectuels de la croissance urbaine, un des principaux groupes socio-
professionnels auxquels la ville médiévale doit sa puissance et sa
physionomie.
Depuis 1957 des études de valeur ont permis d’enrichir notre
connaissance des universités et des universitaires du Moyen Âge sans
modifier le cadre que j’avais proposé. Les incorporer dans mon essai
aurait toutefois conduit à une réécriture presque complète de mon livre.
On trouvera dans l’abondante bibliographie la liste des travaux les plus
importants dont la lecture permettra la densification de mon texte.
Je mentionnerai trois domaines où les apports récents ont été
particulièrement significatifs.
Celui d’abord de la documentation. D’importantes bibliographies ont
été éditées. Elles permettront notamment de mieux connaître les centres
universitaires qui, éclipsés par les « grandes » universités ou situés dans
des zones géographiques plus ou moins excentriques, n’étaient pas entrés
dans le savoir commun. Des travaux prosopographiques impressionnants
par leur ampleur intronisent le quantitatif dans l’histoire des intellectuels
du Moyen Âge. L’inventaire des universitaires passés par Oxford ou
Cambridge, de ceux originaires de Suisse, du pays de Liège ou d’Écosse
permettra de faire progresser la géographie historique universitaire et
fournira des données précieuses pour l’histoire sociale, institutionnelle et
politique. Enfin les publications de sources ou le traitement informatique
de certaines sources ont repris après l’activité de la fin du XIXe et du
début du XXe siècle, et permettront peut-être de modifier certains points
de vue. Une thèse récente consacrée à la nation anglo-allemande de
l’Université de Paris au XVe siècle encore inédite, soutenue à l’École des
hautes études en sciences sociales par un chercheur japonais, aidé par
André Tuilier, directeur de la bibliothèque de la Sorbonne, apporte plus
que des nuances à l’image d’une université de Paris en déclin à la fin du
Moyen Âge. La bibliographie de cette nouvelle édition ne comprend pas,
sauf exception, de référence à des éditions de documents parce que cet
essai, quoique fondé sur une longue enquête scientifique, ne s’adresse pas
aux érudits. Mais il faut rendre ici hommage à ces savants qui, dans le
passé et dans un présent où leur tâche n’est pas facilitée par l’évolution
des conditions du travail scientifique, ont rendu et rendent possible, par
leur labeur et, souvent, leur intelligence, d’asseoir sur des bases solides les
nouvelles interprétations et interrogations que les historiens élaborent
aujourd’hui.
Le second progrès concerne le domaine du quotidien. On sait de
mieux en mieux où et comment logeaient maîtres et étudiants, comment
ils s’habillaient, ce qu’ils mangeaient (et buvaient), quel était leur emploi
du temps, quels étaient leurs mœurs, leurs dévotions, leurs conduites
sexuelles, leurs divertissements, leur mort et leurs testaments, et parfois
leurs funérailles et leurs tombeaux. Et aussi, bien sûr, leurs méthodes et
leurs instruments de travail, leur rôle dans l’évolution des techniques
intellectuelles et les comportements face au manuscrit puis au livre
imprimé. Saenger a montré comment les cours universitaires avaient
contribué à faire évoluer le lecteur médiéval de la lecture à voix haute à la
lecture visuelle, silencieuse. Une anthropologie des intellectuels
médiévaux se construit.
Enfin le rôle des universités et des universitaires dans la politique, et
de plus en plus après le XIIIe siècle dans la grande politique, a été de
mieux en mieux révélé. Dans la France de la succession des Capétiens aux
Valois et des déchirements de la guerre de Cent Ans (une Université de
Paris collaboratrice et assassin de Jeanne d’Arc), dans l’Angleterre de la
lutte des barons contre les rois au XIIIe siècle et des successions
dynastiques des XIVe et XVe siècles, dans la construction des États
tchèque, polonais et écossais, dans les affaires du Grand Schisme et des
grands conciles, à Constance, à Bâle, l’action de l’Université comme
pouvoir, comme pouvoir politique s’affirme.
Pour en finir avec les repentirs je dirai qu’ils sont surtout grands dans
la diachronie. Le sujet de cet essai c’est l’émergence et le triomphe d’un
nouveau type socio-professionnel aux XIIe-XIIIe siècles. Je n’ai évoqué le
Haut Moyen Âge que comme une préhistoire de mon sujet, préhistoire
barbare et balbutiante et ce qu’on n’ose plus appeler le Bas Moyen Âge,
les XIVe et XVe siècles que comme le déclin, la trahison du modèle
antérieur.
J’ai certainement poussé trop au noir, à la caricature, l’évocation
bâclée du Haut Moyen Âge. Dans son originalité comme dans la longue
durée, la période carolingienne n’a pas entièrement tourné le dos à des
modèles comparables, mutatis mutandis, à ceux du Moyen Âge à son
apogée et il n’a jamais été question pour moi de nier la réalité
intellectuelle d’une « Renaissance carolingienne », même si on en a
exagéré l’épaisseur. Mais je crois que dans l’Église et la monarchie des
temps carolingiens la nature et la fonction des écoles et des penseurs et
producteurs d’idées étaient très différentes de ce qu’elles furent au temps
de la prédominance de la culture urbaine et que leur diffusion ne dépassa
pas des cercles aristocratiques — ecclésiastiques et laïques — restreints. Il
faudrait sans doute étudier de plus près le fonctionnement des écoles
urbaines des Xe et XIe siècles dans la société de l’époque. À Liège, à
Reims, à Laon quelque chose s’ébauche dans l’activité intellectuelle qui
annonce la scolastique mais des arts libéraux aux matières des cinq
facultés (arts, médecine, droit civil et droit canon, théologie), de la sagesse
(sapientia), à la science (scientia, y compris science théologique), il y a
rupture plus que continuité. Un Rathier de Vérone, un Gerbert, un saint
Anselme ont certains traits des grands intellectuels du XIIIe siècle mais
les églises épiscopales où ils pensent et enseignent ne sont pas les
corporations universitaires qui se constituent au XIIe siècle. Pour prendre
l’exemple parisien, quand on passe de Pierre Lombard, de Pierre le
Mangeur, de Pierre le Chantre à Alexandre de Halès, à Guillaume
d’Auvergne (tout évêque de Paris qu’il fût), à Jean de Garlande, on change
de type de « maître ». Quand on passe sur la rive gauche, de la Cité au
quartier Latin, de l’école du chapitre cathédral aux écoles des maîtres
universitaires, en quelques dizaines d’années et en quelques dizaines ou
centaines de mètres, le paysage change profondément.
Là où beaucoup a changé aussi tout en restant dans le même cadre
institutionnel, c’est au XIVe et au XVe siècle. Mon essai ici est tout à fait
insuffisant et les travaux de ce dernier quart de siècle doivent conduire à le
corriger considérablement. Oui, l’enseignement universitaire des collèges
est différent de celui de l’université sans bâtiments du XIIIe siècle ; oui, il
n’y a plus de doctrine dominante, comme le fut (plus brièvement et moins
complètement que ne l’a dit une historiographie néo-thomiste de la
scolastique) l’aristotélisme ; oui la « raison » a pris d’autres formes à la
fin du Moyen Âge qu’à son apogée. Oui, il y a eu une crise universitaire
qui est un aspect de « la » crise des XIVe et XVe siècles et qui, comme
elle, est antérieure à la Peste noire de 1348 et se révèle au tournant du
XIIIe au XIVe siècle, dès 1270-1277 sans doute avec les condamnations
doctrinales de l’évêque Étienne Tempier à Paris. Oui, il est vrai par
exemple qu’un des grands adeptes de la devotio moderna, des nouvelles
formes de piété qui séduisent la société de la fin du Moyen Âge, Gerhard
Groote, fils d’un riche marchand de Deventer, après des succès
académiques à l’Université de Paris, se retire en 1374 chez les Chartreux
près d’Arnhem et exprime des sentiments violemment anti-universitaires,
la science n’étant qu’inutilité, instrument de cupidité, ruine de l’âme.
Seule la foi et une vie simple sauventV. Oui, il y a apparition d’un nouveau
type d’intellectuel, l’humaniste qui tend à remplacer l’universitaire
médiéval et souvent s’affirme contre lui. Mais ce qui brouille déjà les
cartes et que nous commençons à mieux apercevoir aujourd’hui c’est que
certains universitaires sont aussi des humanistes sans renier le moule d’où
ils sont sortis. Un Gerson, un Nicolas de Cues sont à cet égard
exemplaires.
Il y a plus. L’extension géographique du monde universitaire modifie
le paysage universitaire sans en détruire le cadre. En pays germaniques
(Vienne 1383, Erfurt 1379/1392, Heidelberg 1385, Cologne 1388,
Würzbourg 1402, Leipzig 1409, etc.), en Bohème (Prague 1347), en
Pologne (Cracovie 1364/1400), sans parler de la floraison universitaire
écossaise, espagnole, portugaise, française, italienne etc., de nouvelles
universités naissent, fondées sur le modèle bolognais ou parisien, le
système des facultés ou des « nations », le binôme maîtres/étudiants, etc.
quoique dans un rapport souvent nouveau avec les villes, les États, la
religion (mouvement hussite à Prague, conversion des Lithuaniens à
Cracovie, averroïsme à Padoue, etc.).
Si la scolastique classique, et en particulier la théologie, stagnent et si
le contrôle ecclésiastique paralyse par la censure de nombreuses facultés,
ce n’est pas le cas partout. La scolastique tardive semble, à la lumière de
certains travaux, en particulier polonais pour Cracovie, plus originale,
créative, de meilleur niveau qu’on ne l’a dit. La fréquentation universitaire
loin de baisser s’accroît, même dans les grandes universités anciennes. Les
beaux travaux de Jacques Verger entre autres corrigent les idées reçues.
L’opposition scolastique/humanisme est à réviser. Les universités jouent
un rôle plus important qu’on ne croyait dans la diffusion de l’imprimerie.
Ce que la plus grande importance des sources permet de mieux
étudier ce sont les rapports entre les universités et la société. À cet égard
plusieurs études concernant Oxford et Cambridge sont riches
d’enseignement.
Il reste que cette réhabilitation partielle de l’Université de la fin du
Moyen Âge (tout serait d’ailleurs beaucoup plus clair si on abandonnait la
coupure traditionnelle Moyen Âge/Renaissance et si on considérait un
long Moyen Âge jusqu’au XIXe siècle), la richesse des informations sur
les aspects sociaux des universités des XIVe-XVe siècles sont liées en
profondeur à une évolution essentielle du monde universitaire. Les
universités, les maîtres universitaires ne détiennent plus le monopole de la
production intellectuelle et de l’enseignement supérieur. Des cercles,
comme dans la Florence des Médicis, des collèges dont le plus illustre
sera le Collège de France à Paris, élaborent et diffusent un savoir en
grande partie nouveau dans des conditions élitistes nouvelles. Les
universités, elles, donnent une importance accrue à leur rôle social. Elles
forment de plus en plus des juristes, des médecins, des maîtres d’école
pour les États où des couches sociales nouvelles promises à des
professions plus utilitaires et moins brillantes demandent un savoir mieux
adapté à leurs carrières, pour les cours qui assureront, à des savants
détachés de l’enseignement, subsistance et réputation. L’intellectuel du
Moyen Âge issu de la ville et du travail universitaire, destiné au
gouvernement d’une Chrétienté désormais éclatée, disparaît.
Jacques Le Goff
novembre 1984

I. A. Asor Rosa, « Intellettuali », Enciclopedia, VII, Turin, Einaudi, 1979, p. 801-827.


II. Il comportamento dell’intellettuale nella società antica, Gênes, Istituto di filologia classica e medievale, 1980.
III. G. Tabacco, « Gli intellettuali del medioevo nel giuoco delle istituzioni e delle preponderate sociali », Storia d’Italia, Annali 4, ed. C. Vivanti, Intellettuali e potere,
Turin, Einaudi, 1981, p. 7-46.
IV. G. Santini, Università e società nel XII secolo : Pilio da Medicina e lo Studio di Modena, Modène, STEM Mucchi, 1979, p. 112.
V. Voir R.W. Southern, Western Society and the Church in the Middle Ages, Harmondsworth, Penguin Books, 1980, p. 334 s.
Introduction
La danse macabre qui emporte à la fin du Moyen Âge les divers
« états » du monde — c’est-à-dire les différents groupes de la société —
vers le néant où se complaît la sensibilité d’une époque à son déclin,
entraîne souvent à côté des rois, des nobles, des ecclésiastiques, des
bourgeois, des gens du peuple, un clerc qui ne se confond pas toujours
avec les moines et les prêtres. Ce clerc est le descendant d’une lignée
originale dans l’Occident médiéval : celle des intellectuels. Pourquoi ce
nom qui donne son titre à ce petit livre ? Ce n’est pas le résultat d’un
choix arbitraire. Parmi tant de mots : savants, doctes, clercs, penseurs (la
terminologie du monde de la pensée a toujours été vague), celui-ci désigne
un milieu aux contours bien définis : celui des maîtres des écoles. Il
s’annonce dans le Haut Moyen Âge, se développe dans les écoles urbaines
du XIIe siècle, s’épanouit à partir du XIIIe dans les universités. Il désigne
ceux qui font métier de penser et d’enseigner leur pensée. Cette alliance de
la réflexion personnelle et de sa diffusion dans un enseignement
caractérisait l’intellectuel. Jamais sans doute, avant l’époque
contemporaine, ce milieu n’a été aussi bien délimité et n’a mieux eu
conscience de soi qu’au Moyen Âge. Plutôt que du terme de clerc,
équivoque, il a cherché à se baptiser lui-même d’un nom dont Siger de
Brabant se fit au XIIIe le champion : philosophus, que j’ai écarté parce
que le philosophe est pour nous un autre personnage. Le mot est emprunté
à l’Antiquité. À l’époque de saint Thomas d’Aquin et de Siger le
philosophe par excellence, le Philosophe avec un P majuscule, c’est
Aristote. Mais au Moyen Âge, c’est un philosophe chrétien. Il est
l’expression de cet idéal des écoles du XIIe au XVe siècle : l’humanisme
chrétien. Mais humaniste, pour nous, désigne un autre type de savant, celui
de la Renaissance des XVe et XVIe siècles, qui s’oppose précisément à
l’intellectuel médiéval.
C’est dire que de cette esquisse — à laquelle j’aurais donné comme
sous-titre, si je n’avais craint et trop d’ambition et l’abus de termes
aujourd’hui galvaudés, « introduction à une sociologie historique de
l’intellectuel occidental » — d’illustres représentants de la riche pensée
médiévale se trouvent écartés. Ni les mystiques enfermés dans le cloître,
ni les poètes ou les chroniqueurs éloignés du monde des écoles et plongés
dans d’autres milieux, n’apparaîtront ici, sinon épisodiquement, en
contraste. Dante lui-même qui domine la pensée de l’Occident médiéval
n’y projettera qu’en ombre chinoise sa silhouette immense. S’il a
fréquenté les Universités, (et vînt-il jamais vraiment à Paris, rue du
Fouarre ?), si son œuvre dès la fin du XIVe siècle devient en Italie texte
d’explication, si la figure de Siger apparaît en son Paradis en des vers qui
ont paru étranges, il a suivi Virgile, par-delà la forêt obscure, en d’autres
chemins que ceux frayés ou foulés par nos intellectuels. Plus ou moins
marqués par leur passage dans les écoles, un Rutebeuf, un Jean de Meung,
un Chaucer, un Villon ne seront ici évoqués qu’à ce titre.

Ce n’est donc qu’un aspect de la pensée médiévale, un type de savant


parmi d’autres que j’évoque ici. Je ne méconnais ni l’existence, ni
l’importance d’autres familles d’esprit, d’autres maîtres spirituels. Mais
celui-ci m’a semblé si remarquable, si significatif pour l’histoire de la
pensée occidentale et si bien défini sociologiquement que sa figure et son
histoire ont retenu mon attention. Au reste, je le mets bien à tort au
singulier, quand il fut lui-même si divers — comme ces pages le
montreront, j’espère. D’Abélard à Ockham, d’Albert le Grand à Jean
Gerson, de Siger de Brabant à Bessarion, que de tempéraments, de
caractères, d’intérêts différents, opposés !

Savant et professeur, penseur par métier, l’intellectuel peut aussi se


définir par certains traits psychologiques qui peuvent s’infléchir en travers
d’esprit, par certains plis du caractère qui peuvent se durcir, devenir
habitudes, manies. Raisonneur, l’intellectuel risque de tomber dans la
ratiocination. Scientifique, le dessèchement le guette. Critique, ne va-t-il
pas détruire par principe, dénigrer par système ? Les détracteurs ne
manquent pas dans le monde contemporain pour en faire un bouc
émissaire. Le Moyen Âge, s’il a raillé les scolastiques fossilisés, n’a pas
été aussi injuste. Il n’a pas imputé la perte de Jérusalem aux universitaires
ni le désastre d’Azincourt aux Sorbonagres. Derrière la raison, il a su voir
la passion du juste, derrière la science la soif du vrai, derrière la critique la
quête du mieux. Aux ennemis de l’intellectuel, Dante a répondu depuis des
siècles, en mettant au Paradis où il les réconcilie les trois plus grandes
figures d’intellectuels du XIIIe siècle : saint Thomas, saint Bonaventure et
Siger de Brabant.
Le XIIe siècle
Naissance
des intellectuels
Renaissance urbaine et naissance de l’intellectuel au
XIIe siècle
Au début il y eut les villes. L’intellectuel du Moyen Âge — en
Occident — naît avec elles. C’est avec leur essor lié à la fonction
commerciale et industrielle — disons modestement artisanale — qu’il
apparaît, comme un de ces hommes de métier qui s’installent dans les
villes où s’impose la division du travail.
Auparavant c’est à peine si les classes sociales distinguées par
Adalbéron de Laon : celle qui prie — les clercs, celle qui protège — les
nobles, celle qui travaille — les serfs, correspondaient à une véritable
spécialisation des hommes. Le serf, s’il cultivait la terre, était aussi
artisan. Le noble, soldat, était aussi propriétaire, juge, administrateur. Les
clercs — surtout les moines — étaient souvent tout cela à la fois. Le
travail de l’esprit n’était qu’une de leurs activités. Il n’était pas une fin en
soi, mais ordonné au reste de leur vie, il était tourné par la Règle vers
Dieu. Au hasard de leur existence monastique ils ont pu prendre
momentanément figure de professeurs, de savants, d’écrivains. Aspect
fugace, toujours secondaire de leur personnalité. Même ceux qui
annoncent les intellectuels des siècles futurs n’en sont pas encore eux-
mêmes. Un Alcuin est d’abord un haut fonctionnaire, ministre de la
culture de Charlemagne. Un Loup de Ferrières est d’abord un abbé, qui
s’intéresse aux livres et aime citer Cicéron dans ses lettres.
Un homme dont le métier est d’écrire ou d’enseigner — et plutôt les
deux à la fois, un homme qui, professionnellement, a une activité de
professeur et de savant, bref un intellectuel, cet homme n’apparaît qu’avec
les villes.
On ne le saisit vraiment qu’au XIIe siècle. Sans doute la ville
médiévale n’éclôt pas en Occident à cette époque comme un brusque
champignon. Des historiens même la voient déjà toute constituée au XIe
au Xe siècle et chaque livraison de revue spécialisée apporte avec elle une
nouvelle renaissance urbaine — un peu plus loin dans le temps.
Sans doute il y a toujours eu des villes en Occident mais les
« cadavres » des villes romaines du Bas-Empire n’enserraient dans leurs
murailles qu’une poignée d’habitants, autour d’un chef militaire,
administratif ou religieux. Cités épiscopales surtout, elles ne groupaient
qu’un maigre laïcat autour d’un clergé un peu plus nombreux, sans autre
vie économique qu’un petit marché local destiné aux besoins quotidiens.
Sans doute, à l’appel probablement du monde musulman qui réclame
pour ses énormes clientèles urbaines — de Damas, de Foustât, de Tunis,
de Bagdad, de Cordoue — les matières premières de l’Occident barbare —
bois, épées, fourrures, esclaves — des embryons de villes — les « portus »
— se développent, autonomes ou accolés aux flancs des cités épiscopales
ou des « bourgs » militaires dès le Xe siècle, peut-être dès le IXe. Mais le
phénomène n’atteint une ampleur suffisante qu’au XIIe siècle. Alors il a
profondément modifié les structures économiques et sociales de
l’Occident et commence, par le mouvement communal, à en bouleverser
les structures politiques.
À ces révolutions s’en ajoute une autre — culturelle. À ces éclosions
ou à ces renaissances, s’en joint une autre, intellectuelle. C’est l’histoire
de ses protagonistes, les avatars de leurs successeurs jusqu’à la fin de ce
qu’on appelle le Moyen Âge, jusqu’à une autre « Renaissance », que ce
petit livre se propose d’esquisser.

Y a-t-il eu une renaissance carolingienne ?

S’il est difficile d’accepter une vraie renaissance urbaine,


suffisamment étoffée, avant le XIIe siècle, peut-on négliger dans le
domaine de la civilisation, l’époque — fin VIIIe, première moitié du
IXe siècle — qu’il est traditionnel d’appeler la renaissance carolingienne ?
Sans aller jusqu’à la nier, jusqu’à parler de prétendue renaissance,
comme certains historiens, nous voudrions en préciser les limites.
D’une renaissance elle n’a aucun des traits quantitatifs que nous
paraît impliquer cette notion. Si elle améliore la culture des fils de nobles,
élevés à l’école du Palais, des futurs clercs éduqués dans quelques grands
centres monastiques ou épiscopaux, elle met presque fin aux restes de
l’enseignement rudimentaire que les monastères mérovingiens répandaient
parmi les enfants des campagnes avoisinantes. Lors de la grande réforme
de l’ordre bénédictin de 817 inspirée à l’empereur Louis le Pieux par saint
Benoît d’Aniane et qui consacre le repliement sur soi du monachisme
bénédictin primitif, les écoles « extérieures » des monastères sont
fermées. Renaissance pour une élite close — numériquement très faible —
destinée à donner à la monarchie cléricale carolingienne une petite
pépinière d’administrateurs et de politiques. Les manuels d’histoire
républicains français se sont bien trompés en popularisant un
Charlemagne, illettré d’ailleurs, protecteur de la jeunesse des écoles, et
précurseur de Jules Ferry.
En dehors de ce recrutement pour la direction de la monarchie et de
l’Église, le mouvement intellectuel de l’époque carolingienne ne
manifestait pas davantage des aspects d’apostolat ni de désintéressement
dans son outillage et dans son esprit.
Les magnifiques manuscrits de l’époque sont des ouvrages de luxe.
Le temps qu’on passe à les écrire, en une belle écriture — la calligraphie
est signe, plus encore que la cacographie, d’une époque inculte où la
demande des livres est très faible —, à les orner splendidement pour le
Palais ou quelques grands personnages laïques ou ecclésiastiques,
manifeste que la vitesse de circulation des livres est infime.
Mieux même, ils ne sont pas faits pour être lus. Ils vont grossir les
trésors des églises, des riches particuliers. Ils sont un bien économique
plutôt que spirituel. Certains de leurs auteurs, recopiant les phrases des
anciens ou des Pères de l’Église, affirment bien la supériorité de la valeur
de leur contenu spirituel. Mais on les croit sur parole. Et cela ne fait
qu’ajouter à leur prix matériel. Charlemagne vend une partie de ses beaux
manuscrits pour distribuer des aumônes. Les livres ne sont pas considérés
autrement que les vaisselles précieuses.
Les moines qui les écrivent laborieusement dans les scriptoria des
monastères ne s’intéressent que très secondairement à leur contenu —
l’essentiel pour eux est l’application mise, le temps consommé, les
fatigues subies à les écrire. C’est œuvre de pénitence qui leur vaudra le
ciel. D’ailleurs, suivant ce goût pour l’évaluation tarifée des mérites et des
peines, que l’Église du Haut Moyen Âge a emprunté aux législations
barbares, ils mesurent au nombre de pages, de lignes, de lettres, les années
de purgatoire rachetées ou, à l’inverse, se lamentent de l’inattention qui
leur a fait, en sautant telle lettre, accroître leur séjour en purgatoire. Ils
légueront à leurs successeurs le nom de ce diablotin spécialisé à les
taquiner, le démon Titivillus des copistes, que retrouvera Anatole France.
La science pour ces chrétiens, chez qui sommeille le barbare, c’est un
trésor. Il faut le garder soigneusement. Culture fermée, à côté de
l’économie fermée. La renaissance carolingienne, au lieu de semer,
thésaurise. Peut-il y avoir une renaissance avare ?
C’est par une sorte de générosité involontaire que l’époque
carolingienne peut malgré tout garder ce titre. Sans doute le plus original
et le plus puissant de ses penseurs, Jean Scot Érigène, est demeuré sans
audience de son temps et ne sera connu, compris, utilisé qu’au XIIe siècle.
Mais alors, les manuscrits copiés dans les scriptoria carolingiens, la
conception des sept arts libéraux reprise par Alcuin au rhéteur du Ve siècle
Martianus Cappella, l’idée émise par lui de translatio studii — de relève
par l’Occident, et plus précisément par la Gaule, d’Athènes et de Rome
comme foyer de la civilisation, tous ces trésors amassés seront remis en
circulation, versés dans le creuset des écoles urbaines, absorbés — comme
la dernière couche d’apport antique — par la renaissance du XIIe siècle.

Modernité du XIIe siècle anciens et modernes

De faire du neuf, d’être des hommes nouveaux, les intellectuels du


XIIe siècle en ont le vif sentiment, et y a-t-il renaissance sans impression
de renaître ? Songeons aux renaissants du XVIe, à Rabelais.
Aussi dans leur bouche, sous leur plume, revient pour désigner les
écrivains de leur temps le mot : moderni. Des Modernes, voilà ce qu’ils
sont et savent être. Mais des modernes qui ne querellent point les
Anciens ; au contraire, qui les imitent, se nourrissent d’eux, se juchent sur
leurs épaules. On ne passe des ténèbres de l’ignorance à la lumière de la
science, s’écrie Pierre de Blois, que si l’on relit avec un amour toujours
plus vif les œuvres des Anciens. Qu’aboient les chiens, que grognent les
porcs ! Je n’en resterai pas moins le sectateur des Anciens. Pour eux
seront tous mes soins, et l’aube, chaque jour, me trouvera à les étudier.
Voici l’enseignement de base que donnait à Chartres, l’un des plus
fameux centres scolaires du XIIe siècle, le maître Bernard, selon la
tradition recueillie par un illustre élève : Jean de Salisbury : Plus on
connaîtra de disciplines et plus profondément on en sera imprégné, plus
pleinement on saisira la justesse des auteurs (anciens) et plus clairement
on l’enseignera. Ceux-ci, grâce à la diacrisis, que nous pouvons traduire
par illustration ou coloration, à partir de la matière brute d’une histoire,
d’un thème, d’une fable, à l’aide de toutes ces disciplines et d’un grand
art de la synthèse et de l’assaisonnement, faisaient de l’œuvre achevée
comme une image de tous les arts. Grammaire et Poésie se mêlent
intimement et couvrent toute l’étendue du sujet. Sur ce champ la Logique,
apportant les couleurs de la démonstration, infuse ses preuves rationnelles
dans la splendeur de l’or ; la Rhétorique, par la persuasion et le brio de
l’éloquence, imite l’éclat de l’argent. La Mathématique, entraînée par les
roues de son quadrige, passe sur les traces des autres arts et y laisse avec
une infinie variété ses couleurs et ses charmes. La Physique, ayant sondé
les secrets de la nature, apporte la contribution du charme multiple de ses
nuances. Enfin la plus éminente de toutes les branches de la Philosophie
l’Éthique, sans laquelle il n’y a pas de philosophe même de nom, surpasse
toutes les autres par la dignité qu’elle confère à l’œuvre. Épluche Virgile
ou Lucain et, quelle que soit la philosophie que tu professes, tu y trouveras
de quoi l’accommoder. En cela, selon la capacité du maître et l’habileté et
le zèle de l’élève, consiste le profit de la lecture préalable des auteurs
anciens. C’est la méthode que suivait Bernard de Chartres, la plus
abondante source des belles-lettres en Gaule aux temps modernes…
La philosophie et les arts libéraux, d’après Herrade de Landsberg.

Mais cette imitation n’est-elle pas servilité ? On verra plus tard les
entraves apportées par l’admission dans la culture occidentale d’emprunts
antiques mal digérés, mal adaptés. Mais au XIIe siècle que tout cela est
neuf !
Si ces maîtres qui sont des clercs, qui sont de bons chrétiens,
préfèrent comme text-book Virgile à l’Écclésiaste, Platon à saint Augustin,
ce n’est pas seulement parce qu’ils sont persuadés que Virgile et Platon
sont riches d’enseignements moraux et que derrière l’écorce il y a la
moelle (n’y en a-t-il pas davantage dans les Écritures ou les Pères ?), c’est
parce que l’Énéide et le Timée sont pour eux des ouvrages d’abord
scientifiques — écrits par des savants et propres à être objet
d’enseignement spécialisé, technique, alors que l’Écriture et les Pères qui
peuvent aussi être riches de matière scientifique (la Genèse n’est-elle pas
ouvrage de sciences naturelles et de cosmologie par exemple ?), ne le sont
que secondairement. Les Anciens sont des spécialistes, qui trouvent mieux
leur place dans un enseignement spécialisé — celui des arts libéraux, des
disciplines scolaires — que les Pères ou l’Écriture qui doivent être plutôt
réservés à la Théologie. L’intellectuel du XIIe siècle est un professionnel,
avec ses matériaux, les anciens, avec ses techniques, dont la principale est
l’imitation des anciens.
Mais utilisés pour aller plus loin, comme les navires italiens utilisent
la mer pour aller aux sources orientales de richesse.
Tel est le sens de la fameuse phrase de Bernard de Chartres qui a eu
un tel retentissement au Moyen Âge : Nous sommes des nains juchés sur
des épaules de géants. Nous voyons ainsi davantage et plus loin qu’eux,
non parce que notre vue est plus aiguë ou notre taille plus haute, mais
parce qu’ils nous portent en l’air et nous élèvent de toute leur hauteur
gigantesque…
Chartres : Vitrail Sud (XIIIe siècle)
Nous sommes des nains juchés sur des épaules de géants.
Hippocrate et Gallien (fresque d’Artagni)

Le sens du progrès de la culture, voilà ce qu’exprime l’image célèbre.


Tout court : le sens du progrès de l’histoire. Dans le Haut Moyen Âge
l’histoire s’était arrêtée, l’Église devenue triomphante en Occident l’avait
réalisée. Othon de Freysing reprenant la conception augustinienne des
deux cités déclare : à partir du moment où non seulement tous les hommes,
mais même les empereurs, à quelques exceptions près, furent catholiques,
il me semble que j’ai écrit l’histoire non de deux cités, mais pour ainsi
dire d’une seule, que je nomme l’Église.
On a parlé de la volonté d’ignorer le temps des féodaux — et avec
eux des moines intégrés dans les structures féodales. Guizot parvenu à la
victoire politique de la bourgeoisie croira aussi avoir atteint la fin de
l’histoire. Les intellectuels du XIIe siècle, dans ce décor urbain qui
s’édifie, où tout circule et change, remettent en marche la machine de
l’histoire et définissent d’abord leur mission dans le temps : Veritas, filia
temporis, dit encore Bernard de Chartres.

L’apport gréco-arabe

Fille du temps, la vérité l’est aussi de l’espace géographique. Les


villes sont les plaques tournantes de la circulation des hommes, chargés
d’idées comme de marchandises, les lieux d’échanges, les marchés et les
carrefours du commerce intellectuel. En ce XIIe siècle où l’Occident n’a
guère encore qu’à exporter des matières premières — encore que l’essor
textile s’éveille — les produits rares, les objets de prix viennent d’Orient,
de Byzance, de Damas, de Bagdad, de Cordoue. Avec les épices, la soie,
les manuscrits apportent à l’Occident chrétien la culture gréco-arabe.
L’arabe en effet est d’abord un intermédiaire. Les œuvres d’Aristote,
Euclide, Ptolémée, Hippocrate, Galien ont suivi en Orient les chrétiens
hérétiques — monophysites et nestoriens — et les Juifs persécutés par
Byzance, et ont été par eux léguées aux bibliothèques et aux écoles
musulmanes qui les ont largement accueillies. Les voici maintenant, en un
périple de retour, qui abordent les rivages de la chrétienté occidentale.
Très secondaire est le rôle de la frange chrétienne des états latins d’Orient.
Ce front de rencontre entre l’Occident et l’Islam est avant tout un front
militaire, d’opposition armée, le front des Croisades. Échanges de coups,
non d’idées et de livres. Rares sont les œuvres qui filtrent à travers cette
frontière de combats. Deux zones principales de contact accueillent les
manuscrits orientaux : l’Italie et plus encore l’Espagne. Ici, ni les
installations temporaires des musulmans en Sicile et en Calabre, ni les
vagues de la Reconquista chrétienne n’ont jamais empêché les échanges
pacifiques.
Les chasseurs chrétiens de manuscrits grecs et arabes déferlent
jusqu’à Palerme où les rois normands de Sicile, puis Frédéric II au milieu
de leur chancellerie trilingue — grecque, latine, arabe — animent la
première cour italienne renaissante, jusqu’à Tolède reconquise sur
l’Infidèle en 1087, où sous la protection de l’archevêque Raymond (1125-
1151) les traducteurs chrétiens sont à l’œuvre.

Les traducteurs

Les traducteurs : ce sont les pionniers de cette Renaissance.


L’Occident — Abélard le déplore et exhorte les religieuses du Paraclet à
combler cette lacune, dépassant ainsi les hommes dans le domaine de la
culture — n’entend plus le grec. La langue scientifique, c’est le latin.
Originaux arabes, versions arabes de textes grecs, originaux grecs sont
donc traduits, soit par des isolés, soit, le plus souvent, par des équipes. Les
chrétiens d’Occident se font assister par des chrétiens espagnols qui ont
vécu sous la domination musulmane : les Mozarabes, par des juifs, et
même par des Musulmans. Ainsi sont réunies toutes les compétences. Une
de ces équipes est célèbre : celle que forme l’illustre abbé de Cluny, Pierre
le Vénérable pour la traduction du Coran. Parti en Espagne pour une
tournée d’inspection des monastères clunisiens nés au fur et à mesure de la
Reconquista, Pierre le Vénérable conçoit le premier l’idée de combattre
les musulmans non sur le terrain militaire mais sur le terrain intellectuel.
Pour réfuter leur doctrine, il faut la connaître — cette réflexion, qui nous
paraît d’une naïve évidence, est une audace en ce temps de Croisade.
Qu’on donne à l’erreur mahométane le nom honteux d’hérésie ou
celui, infâme, de paganisme, il faut agir contre elle, c’est-à-dire écrire.
Mais les Latins et surtout les modernes, l’antique culture périssant,
suivant le mot des Juifs qui admiraient jadis les apôtres polyglottes, ne
savent pas d’autre langue que celle de leur pays natal. Aussi n’ont-ils pu
ni reconnaître l’énormité de cette erreur ni lui barrer la route. Aussi mon
cœur s’est enflammé et un feu m’a brûlé dans ma méditation. Je me suis
indigné de voir les Latins ignorer la cause d’une telle perdition et leur
ignorance leur ôter le pouvoir d’y résister ; car personne ne répondait,
car personne ne savait. Je suis donc allé trouver des spécialistes de la
langue arabe qui a permis à ce poison mortel d’infester plus de la moitié
du globe. Je les ai persuadés à force de prières et d’argent de traduire
d’arabe en latin l’histoire et la doctrine de ce malheureux et sa loi même
qu’on appelle Coran. Et pour que la fidélité de la traduction soit entière et
qu’aucune erreur ne vienne fausser la plénitude de notre compréhension,
aux traducteurs chrétiens j’en ai adjoint un Sarrasin.
Voici les noms des chrétiens : Robert de Ketten, Hermann le Dalmate,
Pierre de Tolède ; le Sarrasin s’appelait Mohammed. Cette équipe après
avoir fouillé à fond les bibliothèques de ce peuple barbare en a tiré un
gros livre qu’ils ont publié pour les lecteurs latins. Ce travail a été fait
l’année où je suis allé en Espagne et où j’ai eu une entrevue avec le
seigneur Alphonse, empereur victorieux des Espagnes, c’est-à-dire en
l’année du Seigneur 1142.
Mahomet (dessin exécuté par J. Baltrusaïtis reproduisant l’original du
XIIe s., extrait de Deux traductions latines du Coran au Moyen Âge, par
M. T. d’Alverny).

Prise à titre d’exemple, l’entreprise de Pierre le Vénérable se situe


dans les marges du mouvement de traduction qui nous occupe. Ce n’est
pas au-devant de l’Islam que vont les traducteurs chrétiens d’Espagne,
mais au-devant des traités scientifiques, grecs et arabes. L’abbé de Cluny
le souligne, c’est en offrant une large rétribution qu’il a pu s’assurer les
services de spécialistes. Il a fallu leur payer cher l’abandon momentané de
leur travail professionnel.
Qu’apporte à l’Occident ce premier type de chercheurs,
d’intellectuels spécialisés que sont les traducteurs du XIIe siècle : un
Jacques de Venise, un Burgundio de Pise, un Moïse de Bergame, un Léon
Tuscus à Byzance et en Italie du Nord, un Aristippe de Palerme en Sicile,
un Adélard de Bath, un Platon de Tivoli, un Hermann le Dalmate, un
Robert de Ketten, un Hugues de Santalla, un Gondisalvi, un Gérard de
Crémone en Espagne ?
Il comble les lacunes qu’a laissées l’héritage latin dans la culture
occidentale : la philosophie et surtout les sciences. Les mathématiques
avec Euclide, l’astronomie avec Ptolémée, la médecine avec Hippocrate et
Galien, la physique, la logique et l’éthique avec Aristote, voilà l’immense
apport de ces ouvriers. Et plus encore peut-être que la matière, la méthode.
La curiosité, le raisonnement et toute la Logica Nova d’Aristote : celle des
deux Analytiques (priora et posteriora), des Topiques, des Elenchi
(Sophistici Elenchi) qui vient s’ajouter à la Logica Vetus — la Vieille
Logique — connue à travers Boèce en plein regain de faveur lui aussi.
Voilà le choc, le stimulant, la leçon que l’hellénisme antique, au terme de
ce long périple par l’Orient et l’Afrique, communique à l’Occident.
Ajoutons-y l’apport proprement arabe. L’arithmétique avec l’Algèbre
d’Al-Kharizmi — en attendant que, dans les premières années du
XIIIe siècle, Léonard de Pise fasse connaître les chiffres dits arabes, en
réalité hindous mais venus d’Inde par les Arabes. La médecine avec Rhazi
— que les chrétiens appellent Rhazès ; et surtout Ibn Sinà ou Avicenne
dont l’encyclopédie médicale ou Canon allait être le livre de chevet des
médecins occidentaux. Des astronomes, des botanistes, des agronomes —
plus encore des alchimistes qui transmettent aux latins la recherche
fiévreuse de l’élixir. La philosophie enfin qui, à partir d’Aristote, bâtit de
puissantes synthèses avec Al Farabi et Avicenne. Avec les œuvres les mots
mêmes de chiffre, de zéro, d’algèbre, sont donnés par les Arabes aux
chrétiens dans le même temps qu’ils leur donnent le vocabulaire du
commerce : douane, bazar, fondouk (fondacco), gabelle, chèque, etc.
Ainsi s’explique le départ pour l’Italie, pour l’Espagne surtout de tant
d’assoiffés de connaissances comme cet Anglais, Daniel de Morley, qui
raconte à l’évêque de Norwich son itinéraire intellectuel.
La passion de l’étude m’avait chassé d’Angleterre. Je restai quelque
temps à Paris. Je n’y vis que des sauvages installés avec une grave
autorité dans leurs sièges scolaires, avec deux ou trois escabeaux devant
eux chargés d’énormes ouvrages reproduisant les leçons d’Ulpien en
lettres d’or, avec des plumes de plomb dans la main, avec lesquelles ils
peignent gravement sur leurs livres des astérisques et des obèles1. Leur
ignorance les contraignait à un maintien de statue mais ils prétendaient
montrer leur sagesse par leur silence même. Dès qu’ils essayaient d’ouvrir
la bouche je n’entendais que balbutiements d’enfants. Ayant compris la
situation, je réfléchis aux moyens d’échapper à ces risques et d’embrasser
les « arts » qui éclairent les Écritures autrement qu’en les saluant au
passage ou en les évitant par des raccourcis. Aussi comme de nos jours
c’est à Tolède que l’enseignement des Arabes, qui consiste presque
entièrement dans les arts du quadrivium2, est dispensé aux foules, je me
hâtai de m’y rendre pour y écouter les leçons des plus savants philosophes
au monde. Des amis m’ayant rappelé et ayant été invité à rentrer
d’Espagne, je suis venu en Angleterre avec une précieuse quantité de
livres. On me dit qu’en ces régions l’enseignement des arts libéraux était
inconnu, qu’Aristote et Platon y étaient voués au plus profond oubli au
profit de Titus et de Seius. Ma douleur fut grande et pour ne pas rester
seul Grec parmi les Romains, je me suis mis en route pour trouver un
endroit où apprendre à faire fleurir ce genre d’études… Que personne ne
s’émeuve si traitant de la création du monde j’invoque le témoignage non
des Pères de l’Église mais des philosophes païens car, bien que ceux-ci ne
figurent pas parmi les fidèles, certaines de leurs paroles, du moment
qu’elles sont pleines de foi, doivent être incorporées à notre enseignement.
Nous aussi qui avons été libérés mystiquement de l’Égypte, le Seigneur
nous a ordonné de dépouiller les Égyptiens de leurs trésors pour en
enrichir les Hébreux. Dépouillons donc conformément au commandement
du Seigneur et avec son aide les philosophes païens de leur sagesse et de
leur éloquence, dépouillons ces infidèles de façon à nous enrichir de leurs
dépouilles dans la fidélité.
Daniel de Morley n’a vu de Paris que l’aspect traditionnel, décadent,
dépassé. Il y a autre chose à Paris au XIIe siècle.
L’Espagne et l’Italie ne connaissent guère qu’un premier traitement
de la matière gréco-arabe, ce travail de traduction qui va permettre son
assimilation par les intellectuels d’Occident.
Les centres de cette incorporation à la culture chrétienne de l’apport
oriental se situent ailleurs. Les plus importants : Chartres, Paris
qu’entourent, plus traditionnels, Laon, Reims, Orléans, se trouvent dans
cette autre zone, d’échange et d’élaboration de produits finis celle-là, où
se rencontrent le monde du Nord et le monde du Midi. Entre la Loire et le
Rhin, dans la région même où le grand commerce et la banque se sont
localisés aux foires de Champagne, s’élabore cette culture qui va faire de
la France la première héritière de la Grèce et de Rome comme l’avait
prédit Alcuin, comme le chantait Chrétien de Troyes.

Paris : Babylone ou Jérusalem ?

De tous ces centres, Paris, favorisé par le prestige grandissant de la


monarchie capétienne, est le plus brillant. Maîtres et étudiants se pressent
soit dans la Cité et dans son école cathédrale, soit, de plus en plus
nombreux, sur la Rive Gauche où ils jouissent d’une plus grande
indépendance. Autour de Saint-Julien-le-Pauvre, entre la rue de la
Boucherie et la rue de Garlande ; plus à l’est autour de l’école des
chanoines de Saint-Victor ; au sud, escaladant la Montagne que couronne,
avec son autre grande école, le monastère de Sainte-Geneviève. À côté des
professeurs réguliers du Chapitre de Notre-Dame, des chanoines victorins
et génovéfains, des maîtres plus indépendants, les professeurs agrégés qui
ont reçu de l’écolâtre, au nom de l’évêque, la licentia docendi, le droit
d’enseignement, attirent des élèves et des étudiants en nombre croissant
dans leurs maisons particulières ou dans les cloîtres de Saint-Victor ou de
Sainte-Geneviève qui leur sont ouverts. Paris doit sa renommée d’abord à
l’éclat de l’enseignement théologique, celui qui se situe au sommet des
disciplines scolaires, mais bientôt plus encore à cette branche de la
philosophie qui, utilisant à plein l’apport aristotélicien et le recours au
raisonnement, fait triompher les démarches rationnelles de l’esprit : la
dialectique.
Ainsi Paris, dans la réalité et symboliquement, est pour les uns la
ville-phare, la source de toute jouissance intellectuelle, pour les autres
l’antre du diable où se mêlent la perversité des esprits gagnés par la
dépravation philosophique et les turpitudes d’une vie adonnée au jeu, au
vin, aux femmes. La grande ville c’est le lieu de perdition, Paris c’est la
Babylone moderne. Saint Bernard crie aux maîtres et aux étudiants de
Paris : Fuyez du milieu de Babylone, fuyez et sauvez vos âmes. Volez tous
ensemble vers les villes du refuge, où vous pourrez vous repentir du passé,
vivre dans la grâce pour le présent, et attendre avec confiance l’avenir
(c’est-à-dire dans les monastères). Tu trouveras bien plus dans les forêts
que dans les livres. Les bois et les pierres t’apprendront plus que
n’importe quel maître.
Et cet autre cistercien, Pierre de Celles : O Paris, que tu sais ravir et
décevoir les âmes ! Chez toi les filets des vices, les pièges des maux, les
flèches de l’enfer perdent les cœurs innocents… Heureuse école au
contraire que celle où c’est le Christ qui enseigne à nos cœurs la parole de
sa sagesse, où sans travail ni cours nous apprenons la méthode de la vie
éternelle ! On n’y achète pas de livre, on n’y paie pas de professeur
d’écriture, là nul embrouillamini des disputes, nulle intrication des
sophismes, la solution de tous les problèmes y est simple, on y apprend les
raisons de tout.
Saint Bernard, fondateur d’abbaye (école bourguignonne XVe siècle)
Jérusalem

Ainsi le parti de la sainte ignorance oppose l’école de la solitude à


l’école du bruit, l’école du cloître à l’école de la ville, l’école du Christ à
celle d’Aristote et d’Hippocrate.

L’opposition fondamentale entre les nouveaux clercs des villes et les


milieux monastiques dont la rénovation retrouve, au XIIe siècle, par-delà
l’évolution du mouvement bénédictin occidental, les tendances extrêmes
du monachisme primitif, éclate dans cette exclamation du cistercien
Guillaume de Saint-Thierry, ami intime de saint Bernard : Les frères du
Mont-Dieu ! Ils apportent dans les ténèbres de l’Occident la lumière de
l’Orient et dans les froidures des Gaules la ferveur religieuse de l’antique
Égypte, à savoir la vie solitaire, miroir du genre de vie du ciel.
Ainsi par un curieux paradoxe, au moment où les intellectuels urbains
puisent dans la culture gréco-arabe le ferment de l’esprit et des méthodes
de pensée qui vont caractériser l’Occident et faire sa force intellectuelle :
la clarté du raisonnement, le souci de l’exactitude scientifique, la foi et
l’intelligence appuyées l’une sur l’autre, le spiritualisme monastique
réclame, au cœur de l’Occident, le retour au mysticisme de l’Orient.
Moment capital : les intellectuels des villes vont éloigner l’Occident des
mirages d’une autre Asie et d’une autre Afrique : celles de la forêt et du
désert mystiques.
Mais le mouvement même de retraite des moines déblaie la voie pour
l’essor des écoles nouvelles. Le concile de Reims de 1131 interdit aux
moines la médecine en dehors des couvents : Hippocrate a le champ libre.
Les clercs parisiens n’ont pas écouté saint Bernard. Jean de Salisbury
écrit à Thomas Becket en 1164 : J’ai fait un détour par Paris. Quand j’y ai
vu l’abondance de vivres, l’allégresse des gens, la considération dont
jouissent les clercs, la majesté et la gloire de l’église tout entière, les
diverses activités des philosophes, j’ai cru voir plein d’admiration
l’échelle de Jacob dont le sommet touchait le ciel et était parcourue par
des anges en train de monter et de descendre. Enthousiasmé par cet
heureux pèlerinage j’ai dû avouer : le Seigneur est ici et je ne le savais
pas. Et ce mot du poète m’est venu à l’esprit : Heureux exil que celui qui a
cet endroit pour demeure. Et l’abbé Philippe de Harvengt, conscient de
l’enrichissement qu’apporte l’enseignement urbain, écrit à un jeune
disciple : Poussé par l’amour de la science te voilà à Paris et tu as trouvé
cette Jérusalem que tant désirent. C’est la demeure de David… du sage
Salomon. Un tel concours, une telle foule de clercs s’y presse qu’ils sont
en voie de surpasser la nombreuse population des laïcs. Heureuse cité où
les saints livres sont lus avec tant de zèle, où leurs mystères compliqués
sont résolus grâce aux dons du Saint-Esprit, où il y a tant de professeurs
éminents, où il y a une telle science théologique qu’on pourrait l’appeler
la cité des belles-lettres !

Les Goliards
Dans ce concert de louanges à Paris une voix s’élève avec une
vigueur singulière ; celle d’un groupe étrange d’intellectuels : les
Goliards. Pour eux, Paris est le Paradis sur terre, la rose du monde, le
baume de l’Univers.
Paradisius mundi Parisius, mundi rosa, balsamum orbis. Ces
Goliards qui sont-ils ? Tout s’ingénie à nous en cacher la figure.
L’anonymat qui couvre la plupart d’entre eux, les légendes qu’ils ont fait
complaisamment courir sur eux-mêmes, celles — parmi beaucoup de
calomnies et de médisances — qu’ont propagées leurs ennemis, celles
encore forgées par des érudits et des historiens modernes, égarés par de
fausses ressemblances, aveuglés par les préjugés. Certains reprennent les
condamnations des conciles et des synodes et de certains écrivains
ecclésiastiques des XIIe et XIIIe siècles. Ces clercs goliardiques ou errants
sont traités de vagabonds, de ribauds, de jongleurs, de bouffons. On en a
fait des bohèmes, de pseudo-étudiants, regardés tantôt d’un œil attendri —
il faut bien que jeunesse se passe — tantôt avec crainte et mépris :
trublions, contempteurs de l’Ordre, n’étaient-ils pas gens dangereux ?
D’autres au contraire voient en eux une sorte d’intelligentzia urbaine, un
milieu révolutionnaire, ouvert à toutes les formes d’opposition déclarée au
féodalisme. Où est la vérité ?
Si nous ignorons l’origine du terme même de Goliard, une fois
écartées les étymologies fantaisistes qui le font dériver de Goliath,
incarnation du diable, ennemi de Dieu, ou de gula, la gueule, pour faire de
ses disciples des goinfres et des forts en gueule, une fois reconnue
l’impossibilité d’identifier un Golias historique fondateur d’un ordre dont
les Goliards auraient été les membres, il nous reste quelques détails
biographiques de certains Goliards, des recueils de poésies placés sous
leur nom — individuel ou collectif, carmina burana — et les textes
contemporains qui les condamnent ou dénigrent.

Le vagabondage intellectuel

Qu’ils aient constitué un milieu où la critique de la société établie se


développait avec complaisance, il n’y a nul doute. D’origine urbaine,
paysanne ou même noble, ce sont d’abord des errants, représentants
typiques d’une époque où l’essor démographique, l’éveil du commerce, la
construction des villes font éclater les structures féodales, jettent sur les
chemins et rassemblent à leurs carrefours que sont les villes des déclassés,
des audacieux, des malheureux. Les Goliards sont le fruit de cette mobilité
sociale caractéristique du XIIe siècle. Premier scandale pour les esprits
traditionnels que ces échappés aux structures établies. Le Haut Moyen Âge
s’était efforcé d’attacher chacun à sa place, à sa tâche, à son ordre, à son
état. Les Goliards sont des évadés. Évadés, sans ressources, ils forment
dans les écoles urbaines ces troupes d’étudiants pauvres qui vivent
d’expédients, se font domestiques de leurs condisciples fortunés, vivent de
mendicité, car comme le dit Évrard l’Allemand : Si Paris est un Paradis
pour les riches, il est pour les pauvres un marais avide de proie et il
pleure la Parisiana fames, la faim des pauvres étudiants parisiens.
Parfois ils se font, pour gagner leur vie, jongleurs ou bouffons, d’où
sans doute le nom dont on les traite souvent. Mais songeons aussi que le
terme de joculator, de jongleur est à l’époque l’épithète que l’on jette à la
tête de tous ceux que l’on trouve dangereux, qu’on veut retrancher de la
société. Un joculator, c’est « un rouge », un rebelle…
Ces étudiants pauvres que n’attachent aucun domicile fixe, aucune
prébende, aucun bénéfice, s’en vont ainsi à l’aventure intellectuelle,
suivant le maître qui leur a plu, accourant vers celui dont on parle, allant
glaner de ville en ville les enseignements qu’on y donne. Ils forment le
corps de ce vagabondage scolaire si caractéristique lui aussi de ce
XIIe siècle. Ils contribuent à lui donner son allure aventureuse,
primesautière, hardie. Mais ils ne forment pas une classe. D’origine
diverse, ils ont des ambitions diverses. Sans doute ils ont choisi l’étude
plutôt que la guerre. Mais leurs frères sont allés grossir les armées, les
troupes des Croisades, maraudent au long des routes d’Europe et d’Asie,
vont piller Constantinople. Si tous critiquent, certains, beaucoup peut-être,
rêvent de devenir ceux qu’ils critiquent. Si Hugues d’Orléans, dit le
Primat, qui enseigna avec succès à Orléans et Paris, et acquit une
réputation de pince-sans-rire d’où est sorti le Primasso du Décaméron,
semble avoir mené une vie toujours impécunieuse et conservé un esprit
toujours alerte, l’Archipoète de Cologne vit aux crochets de Reginald de
Dassel, prélat allemand qui fut archi-chancelier de Frédéric Barberousse et
qu’il comble de flatteries. Serlon de Wilton s’est attaché au parti de la
reine Mathilde d’Angleterre et, repenti, est entré à Cîteaux. Gautier de
Lille vit à la cour d’Henri II Plantagenêt, puis d’un archevêque de Reims
et meurt chanoine. Ils rêvent d’un mécène généreux, d’une grasse
prébende, de vie large et heureuse. Ils veulent plutôt, semble-t-il, devenir
les nouveaux bénéficiaires de l’ordre social que le changer.

L’immoralisme

Pourtant les thèmes de leurs poésies s’attaquent âprement à cette


société. Il est difficile de refuser à beaucoup le caractère révolutionnaire
qu’on y a décelé. Le jeu, le vin, l’amour : voilà d’abord la trilogie qu’ils
chantent — qui a soulevé l’indignation des âmes pieuses de leur temps
mais plutôt incliné à l’indulgence les historiens modernes.

Je suis chose légère,


Telle la feuille dont l’ouragan se joue.

Tel l’esquif voguant sans pilote,
Comme un oiseau errant par les chemins de l’air,
Je ne suis fixé ni par l’ancre, ni par les cordes.

La beauté des filles a blessé ma poitrine.
Celles que je ne puis toucher, je les possède de cœur.

On me reproche en second lieu le jeu. Mais sitôt que le jeu
M’a laissé nu et le corps froid, mon esprit s’échauffe.
C’est alors que ma muse compose ses meilleures chansons.
En troisième lieu parlons du cabaret.

Je veux mourir à la taverne
Là où les vins seront proches de la bouche du mourant,
Après les chœurs des Anges descendront en chantant :
« À ce bon buveur que Dieu soit clément ».
Voilà qui semble anodin et ne fait qu’annoncer, génie en moins,
Villon. Prenons-y garde ; le poème a des traits plus perçants :

Plus avide de volupté que de salut éternel,


L’âme morte, je ne me soucie que de la chair.

Qu’il est dur de dompter la nature !
Et, à la vue d’une belle, de rester pur d’esprit.
Les jeunes ne peuvent suivre une loi si dure
Et n’avoir cure de leur corps dispos.
Est-il téméraire de reconnaître ici, dans cet immoralisme
provocateur, dans cet éloge de l’érotisme — qui, chez les goliards, va
souvent jusqu’à l’obscénité — l’ébauche d’une morale naturelle, la
négation des enseignements de l’Église et de la morale traditionnelle ? Le
goliard n’appartient-il pas à la grande famille des libertins qui, par delà la
liberté des mœurs et la liberté du langage, vise à la liberté de l’esprit ?
Dans l’image de la Roue de la Fortune qui passe et repasse dans la
poésie des clercs vagants, il y a autre chose qu’un thème poétique ; et
davantage sans doute, que ce qu’y virent leurs contemporains, qui la
représentaient sans malice, sinon sans arrière-pensée, dans les cathédrales.
Cependant, la Roue de la Fortune qui tourne et préside à un éternel retour,
le Hasard aveugle qui bouleverse les réussites, ne sont pas thèmes
révolutionnaires en leur essence : ils nient le progrès, ils refusent un sens à
l’Histoire. Ils peuvent appeler un bouleversement de la société, mais c’est
dans la mesure même où ils impliquent qu’on se désintéresse des
surlendemains. D’où vient, précisément, le goût que semblent avoir pour
ces thèmes — de révolte, sinon de révolution — les Goliards qui les ont
chantés dans leurs poésies et représentés dans leurs miniatures.

La critique de la société

Il est significatif que la poésie goliardique s’attaque — bien avant


que cela ne devienne un lieu commun de la littérature bourgeoise — à tous
les représentants de l’ordre du Haut Moyen Âge : l’ecclésiastique, le
noble, voire le paysan.
Dans l’Église les Goliards prennent pour cibles favorites ceux qui,
socialement, politiquement, idéologiquement, sont liés de plus près aux
structures de la société : le pape, l’évêque, le moine.
L’inspiration antipontificale et antiromaine des Goliards se mêle sans
se confondre à deux autres courants : le courant gibelin qui s’en prend
surtout aux prétentions temporelles de la papauté et soutient le parti de
l’Empire en face de celui du Sacerdoce ; le courant moralisateur qui
reproche au pontife et à la cour de Rome les compromissions avec le
siècle, le luxe, le goût de l’argent. Certes il y a eu des Goliards dans le
parti impérial — tel l’Archipoète de Cologne — et la poésie goliardique
est souvent à l’origine des satires anti-pontificales, même quand celles-ci
se contenteront de reprendre un thème devenu traditionnel et souvent vidé
de son âpreté. Mais, par le ton et l’esprit, les Goliards se distinguent fort
nettement des gibelins. Dans le pontife romain et son entourage ils visent
le chef et les garants d’un ordre social, politique, idéologique ; mieux
même, de tout ordre social hiérarchisé, car, plus que des révolutionnaires,
les Goliards sont des anarchistes. Au moment où la Papauté, depuis la
réforme grégorienne, cherche à se dégager des structures féodales et
s’appuie sur la nouvelle puissance de l’argent à côté de l’ancienne
puissance de la terre, les Goliards dénoncent cette nouvelle orientation
tout en continuant à attaquer l’ancienne tradition.
Grégoire VII avait déclaré : Le Seigneur n’a pas dit : mon nom est
Coutume. Les Goliards accusent ses successeurs de faire dire au Seigneur :
Mon nom est Argent :
COMMENCEMENT DU SAINT ÉVANGILE SELON LE MARC
D’ARGENT. En ce temps-là, le Pape dit aux Romains : « Quand le fils de
l’homme viendra au Siège de notre Majesté, dites-lui d’abord : “Ami !
pourquoi es-tu venu ?” Et s’il continue à frapper sans rien vous donner,
qu’il soit rejeté dans les ténèbres extérieures. » Il arriva qu’un pauvre
clerc vint à la Cour du Seigneur Pape et supplia, disant : « Ayez pitié de
moi, huissiers du Pape, parce que la main de la pauvreté m’a touché. Je
suis pauvre et indigent. C’est pourquoi je vous prie, venez en aide à ma
détresse et à ma misère. » Ceux-ci, l’ayant entendu, furent indignés et
dirent : « Ami ! que ta pauvreté soit avec toi pour ta perdition ! Va-t’en,
Satan, tu ne sais point ce que peut l’argent. Amen, Amen ! Je te le dis : Tu
n’entreras pas dans la joie de ton Seigneur avant d’avoir donné ton
dernier écu. » Et le pauvre s’en alla, vendit son manteau, sa tunique et
tout ce qu’il avait, et donna l’argent aux cardinaux, aux huissiers et aux
camériers. Mais ceux-ci dirent : « Qu’est-ce cela pour tant de monde ? »
Et ils le mirent à la porte. Et expulsé, il pleura amèrement, sans trouver de
consolation.
Après cela vint à la Cour un clerc riche, gros et gras, s’étalant, qui
avait commis un homicide au cours d’une sédition. Celui-ci donna tout
d’abord à l’huissier, en second lieu, au camérier, en troisième aux
cardinaux. Et ceux-ci délibérèrent entre eux d’en tirer davantage.
Le Seigneur Pape, ayant appris que les cardinaux et les officiers
avaient reçu de ce clerc des dons nombreux, en tomba très gravement
malade. Mais le riche lui envoya un électuaire d’or et d’argent, et le Pape
fut guéri aussitôt. Alors le Seigneur Pape convoqua ses officiers et leur
dit : « Frères, veillez à ce que personne ne vous séduise par de vaines
paroles. Je vous donne l’exemple. De la façon dont j’attrape, attrapez
aussi3. »
De compromis avec la noblesse, le clergé se compromet maintenant
avec les mercantis. L’Église qui a hurlé avec les féodaux, aboie avec les
marchands. Les Goliards, interprètes de ce groupe d’intellectuels qui
cherche à promouvoir, dans le cadre urbain, une culture laïque, stigmatise
cette évolution :

« L’ordre du clergé
tombe dans le mépris du laïque ;
la fiancée du Christ devient vénale,
de dame, femme publique.
(Sponsa Christi fit mercalis, generosa generalis.)

Le faible rôle de l’argent dans le Haut Moyen Âge limitait la simonie.


Son importance grandissante en amène la généralisation.
Le bestiaire satirique des Goliards, dans l’esprit du grotesque roman,
développe une frise d’ecclésiastiques métamorphosés en bêtes, fait surgir
au fronton de la société un monde de gargouilles cléricales. Le Pape-lion
dévore tout, l’évêque-veau, pasteur glouton, tond l’herbe avant ses brebis ;
son archidiacre est un lynx qui décèle la proie, son doyen, un chien de
chasse qui, avec l’aide des officiaux, chasseurs de l’évêque, tend les filets
et rabat les proies. Telle est « la Règle du Jeu » selon la littérature
goliardique.
Si le curé, considéré comme victime de la hiérarchie et confrère en
misère et en exploitation, est en général épargné par les Goliards, le moine
est violemment pris à partie. Il y a plus dans ces attaques que les
plaisanteries, traditionnelles, sur leurs mauvaises mœurs : goinfrerie,
paresse, paillardise. Il y a l’esprit séculier — proche de l’esprit laïque —
qui dénonce dans les moines des concurrents qui arrachent aux pauvres
curés prébendes, pénitents, fidèles. On retrouvera au siècle suivant cette
querelle à l’état aigu dans les Universités. Il y a plus encore, il y a le refus
de toute une part du christianisme : celle qui veut se couper du siècle, celle
qui repousse la terre, celle qui embrasse la solitude, l’ascétisme, la
pauvreté, la continence, l’ignorance même considérée comme
renoncement aux biens de l’esprit. Deux types de vie ; l’affrontement
poussé à l’extrême entre la vie active et la vie contemplative, le paradis
préparé sur terre en face du salut passionnément cherché hors du monde ;
voilà ce qui est au fond de l’antagonisme du moine et du Goliard, et qui
fait de celui-ci le précurseur de l’humaniste de la Renaissance. Le poète du
Deus pater, adiuva, qui détourne un jeune clerc de la vie monastique,
annonce les attaques d’un Valla contre la gens cucullata — la race à
cuculle.
Homme des villes, le Goliard manifeste aussi son mépris du monde
rural et n’a que détestation pour le paysan grossier qui l’incarne et qu’il
flétrit dans la célèbre Déclinaison du rustre

ce vilain
de ce rustre
à ce tferfero 4
ce voleur
ô brigand !
par ce pillard

ces maudits
de ces misérables
à ces menteurs
ces vauriens
ô détestables !
par ces infidèles.

Le noble enfin est sa dernière cible. Il lui refuse son privilège de


naissance.
Le noble c’est celui que la vertu a ennobli ;
Le dégénéré c’est celui qu’aucune vertu n’a enrichi.
À l’ancien ordre il oppose un ordre nouveau fondé sur le mérite.
La noblesse de l’homme, c’est l’esprit, image de la divinité,
La noblesse de l’homme, c’est l’illustre lignage des vertus,
La noblesse de l’homme, c’est la maîtrise de soi,
La noblesse de l’homme, c’est la promotion des humbles,
La noblesse de l’homme, ce sont les droits qu’il tient de nature,
La noblesse de l’homme, c’est de ne craindre que la turpitude.

Dans le noble il déteste aussi le militaire, le soldat. Pour l’intellectuel


urbain, les combats de l’esprit, les joutes de la dialectique ont remplacé en
dignité les faits d’armes et les exploits guerriers. L’Archipoète de Cologne
a dit sa répulsion devant le métier des armes (me terruit labor militaris)
tout comme Abélard qui fut un des plus grands poètes goliardiques, en des
œuvres qu’on récitait et chantait sur la Montagne Sainte-Geneviève
comme on fredonne aujourd’hui les chansons à la mode, et qui sont
malheureusement perdues.
C’est peut-être dans un domaine d’un singulier intérêt pour le
sociologue que s’est le mieux exprimé l’antagonisme du noble-soldat et de
l’intellectuel-nouveau style : les rapports entre les sexes. Au fond du
fameux débat entre le Clerc et le Chevalier qui a inspiré tant de poèmes, il
y a la rivalité de deux groupes sociaux en face de la femme. Les Goliards
ne croient pas pouvoir mieux dire leur supériorité en face des féodaux
qu’en vantant la faveur dont ils jouissent auprès des femmes. Elles nous
préfèrent, le clerc fait mieux l’amour que le chevalier. Dans cette
affirmation, le sociologue doit voir l’expression privilégiée d’une lutte de
groupes sociaux.
Dans la Chanson de Phyllis et de Flore dont l’une aime un clerc et
l’autre un chevalier (miles), l’expérience fait conclure aux héroïnes, en
une sentence qui singe les cours d’amour courtois :

« Conformément à la science
Conformément aux usages
Le clerc se révèle à l’amour
Plus apte que le chevalier. »

Malgré leur importance, les Goliards ont été rejetés dans les marges
du mouvement intellectuel. Sans doute ils ont lancé des thèmes d’avenir,
qui s’édulcoreront d’ailleurs au cours de leur longue fortune ; ils ont
représenté de la façon la plus vive un milieu avide de se libérer ; ils ont
légué au siècle suivant bien des idées de morale naturelle, de libertinage
des mœurs ou de l’esprit, de critique de la société religieuse qu’on
retrouvera chez des universitaires, dans la poésie de Rutebeuf, dans le
Roman de la Rose de Jean de Meung, dans certaines des propositions
condamnées à Paris en 1277. Mais le XIIIe siècle les a vues disparaître.
Les persécutions et les condamnations les ont touchés, leurs propres
tendances à une critique purement destructrice ne leur ont pas permis de
trouver leur place sur le chantier universitaire qu’ils désertaient parfois
pour saisir des occasions de vie facile ou s’abandonner au vagabondage, et
la fixation du mouvement intellectuel en des centres organisés : les
Universités, a finalement fait s’évanouir cette race d’errants.

Abélard

S’il fut Goliard, Pierre Abélard, gloire du milieu parisien, a signifié


et apporté bien davantage. Il est la première grande figure d’intellectuel
moderne — dans les limites de la modernité du XIIe siècle. — Abélard,
c’est le premier professeur.
La carrière d’abord est étonnante, à la mesure de l’homme. Ce Breton
des environs de Nantes, né au Pallet en 1079, appartient à la petite
noblesse dont la vie devient difficile face aux débuts de l’économie
monétaire. Il abandonne avec joie le métier des armes à ses frères et se
lance dans l’étude.
Si Abélard renonce aux armes du guerrier, c’est pour d’autres
combats. Toujours batailleur, il va être, selon le mot de Paul Vignaux le
chevalier de la dialectique. Toujours remuant, il se porte partout où il y a
un combat à livrer. Toujours éveilleur d’idées, il fait naître sous ses pas
des discussions passionnées.
Cette croisade intellectuelle le mène fatalement à Paris. Il y révèle un
autre trait de son caractère : le besoin de démolir les idoles. Sa confiance
en soi, qu’il avoue — de me presumens, dit-il volontiers, ce qui ne signifie
pas présumant trop de moi, mais prenant conscience de ma valeur —, le
fait s’attaquer au plus illustre des maîtres parisiens, Guillaume de
Champeaux. Il le provoque, le pousse dans ses retranchements, met les
auditeurs de son côté. Guillaume le force à partir. Mais il est trop tard
pour étouffer ce jeune talent. Il est devenu un maître. On le suit pour
l’entendre à Melun, puis à Corbeil, où il tient école. Le corps soudain est
défaillant chez cet homme qui ne vit que pour l’intelligence ; malade, il
doit se retirer quelques années en Bretagne.

Héloïse et Abélard (miniature du Roman de la Rose)


Rétabli, il va retrouver son vieil ennemi Guillaume de Champeaux à
Paris. Nouvelles joutes ; Guillaume ébranlé modifie sa doctrine en tenant
compte des critiques de son jeune contradicteur. Celui-ci, loin d’être
satisfait, redouble et va si loin qu’il doit à nouveau battre en retraite à
Melun. Mais la victoire de Guillaume est une défaite. Tous ses élèves l’ont
abandonné. Le vieux maître vaincu renonce à l’enseignement. Abélard
rentre en triomphateur et s’établit sur les lieux mêmes où son vieil
adversaire s’était retiré : sur la Montagne Sainte-Geneviève. Le sort est
jeté. La culture parisienne aura pour centre à jamais non l’île de la Cité
mais la Montagne, mais la Rive Gauche : un homme a fixé, cette fois, le
destin d’un quartier.
Abélard souffre de n’avoir plus d’adversaire à sa taille. Logicien, il
s’irrite d’ailleurs de voir placés au-dessus de tous, les théologiens. Il en
fait le serment : il sera théologien lui aussi. Il redevient étudiant et se
précipite à Laon aux leçons du plus illustre théologien du temps, Anselme.
La gloire d’Anselme ne tient pas longtemps devant la passion iconoclaste
du bouillant anti-traditionaliste.
Je m’approchai donc de ce vieillard qui devait sa réputation plus à
son grand âge qu’à son talent ou à sa culture. Tous ceux qui l’abordaient
pour avoir son avis sur un sujet dont ils étaient incertains, repartaient
plus incertains encore. Si l’on se contentait de l’écouter il semblait
admirable, mais si on le questionnait il se révélait nul. Pour le verbiage il
était admirable, pour l’intelligence méprisable, pour la raison vide. Sa
flamme enfumait la maison au lieu de l’éclairer. De loin son arbre tout
feuillu attirait les yeux mais quand on le regardait de plus près et avec
plus de soin, on s’apercevait qu’il n’y avait point de fruits. Lorsque je
m’approchai de lui pour cueillir son fruit, je vis qu’il ressemblait au
figuier que maudit le Seigneur ou à ce vieux chêne à quoi Lucain compare
Pompée

Il se tient à l’ombre d’un grand nom,


Tel un chêne superbe au milieu des champs.

Édifié, je ne perdis pas mon temps à son école.


On le met au défi d’en faire autant. Il relève le gant. On lui représente
que, s’il connaît à fond la philosophie, il ignore la théologie. Il réplique
que la même méthode y peut suffire. On invoque son inexpérience. Je
répondis que ce n’était pas mon habitude d’avoir recours pour professer à
la tradition, mais aux ressources de mon esprit. Il improvise alors un
commentaire des prophéties d’Ézéchiel qui enthousiasme ses auditeurs.
On s’arrache les notes prises à cette conférence pour les recopier. Un
public grossi le force à continuer son commentaire. Il rentre à Paris pour
le poursuivre.

Héloïse

C’est la gloire — qu’interrompt brutalement en 1118 l’aventure avec


Héloïse. Nous en connaissons le détail par cette extraordinaire
autobiographie qu’est l’Historia Calamitatum — l’Histoire de mes
malheurs —, ces Confessions avant la lettre.
Cela commence comme les Liaisons Dangereuses. Abélard n’est pas
un roué. Mais le démon de midi assaille cet intellectuel qui, à 39 ans, n’a
connu de l’amour que les livres d’Ovide et les chansons qu’il a composées
— par esprit goliardique et non par expérience. Il est au faîte de la gloire
et de l’orgueil. Il le confesse : Je croyais qu’il n’y avait plus que moi seul
de philosophe au monde… Héloïse, c’est une conquête à ajouter à celles de
l’intelligence. Et c’est d’abord une affaire de tête autant que de chair. Il
apprend l’existence de la nièce d’un confrère, le chanoine Fulbert : elle a
17 ans, elle est jolie, et si cultivée que sa science est déjà célèbre dans
toute la France. C’est la femme qu’il lui faut. Il n’en tolérerait point de
sotte ; il lui plaît qu’elle soit aussi bien faite. Question de goût et de
prestige. Froidement il élabore un plan qui réussit au-delà de toute
espérance. Le chanoine lui confie la jeune Héloïse comme élève, flatté de
lui donner un tel maître. Quand on parle salaire, Abélard fait aisément
accepter par l’économe Fulbert un paiement en nature : le gîte et le
couvert. Le diable veille. Entre le maître et l’élève c’est le coup de
foudre : commerce intellectuel, commerce charnel bientôt. Abélard
abandonne son enseignement, ses travaux, le diable au corps. L’aventure
dure, s’approfondit. L’amour est né, qui ne finira plus. Il va résister aux
ennuis, puis au drame.
Premier ennui : on les surprend. Abélard doit quitter la maison de
l’hôte trompé. Ils se rencontrent ailleurs. De furtives, leurs relations
s’étalent bientôt. Ils s’estiment au-delà du scandale.
Second ennui : Héloïse est enceinte. Abélard profite d’une absence de
Fulbert pour faire fuir sa maîtresse déguisée en religieuse chez sa sœur en
Bretagne. Héloïse y met au monde un fils qu’on affuble du prénom
d’Astrolabe. Du danger qu’il y a à être l’enfant d’un couple
d’intellectuels…
Troisième ennui : le problème du mariage. Abélard, la mort dans
l’âme, va offrir à Fulbert de réparer son acte en épousant Héloïse. Dans
son admirable étude sur le couple célèbre Étienne Gilson a montré que la
répugnance d’Abélard ne tient pas à sa qualité de clerc. Simple tonsuré il
peut canoniquement prendre femme. Mais il craint, marié, de voir sa
carrière professorale entravée, et de devenir la risée du monde scolaire.

La femme et le mariage au XIIe siècle

Le XIIe siècle connaît en effet un fort courant antimatrimonial. Au


moment même où la femme se libère, où elle n’est plus considérée comme
une propriété de l’homme ou comme une machine à faire des enfants, où
l’on ne se demande plus si elle a une âme — c’est le siècle de l’essor
marial en Occident — le mariage est objet de discrédit, aussi bien dans les
milieux nobles — l’amour courtois, charnel ou spirituel, n’existe qu’en
dehors du mariage, s’incarne dans Tristan et Iseult, Lancelot et Genièvre
— que dans les milieux scolaires où s’échafaude toute une théorie de
l’amour naturel qu’on retrouvera avec le Roman de la Rose de Jean de
Meung au siècle suivant.
Présence de la femme donc ; et l’apparition d’Héloïse à côté
d’Abélard, en même temps qu’elle se greffe sur le mouvement, appuyé par
les Goliards, qui revendique pour les clercs, y compris les prêtres, les
jouissances de la chair, manifeste avec éclat un aspect du visage nouveau
de l’intellectuel du XIIe siècle. Son humanisme exige qu’il soit
pleinement homme. Il refuse tout ce qui pourrait lui apparaître diminution
de soi. Il a besoin de la femme à ses côtés pour s’accomplir. Les Goliards,
avec la liberté de leur vocabulaire, soulignent, citations des deux
Testaments à l’appui, que l’homme et la femme ont été dotés d’organes
dont ils ne doivent pas mépriser l’usage. Débarrassons-nous du souvenir
de tant de grasses et douteuses plaisanteries et songeons à ce climat, à
cette psychologie, pour mieux saisir la portée du drame qui va éclater ;
pour mieux comprendre les sentiments d’Abélard.
Ce sont ceux d’Héloïse qui s’expriment d’abord. Dans une lettre
étonnante elle engage Abélard à renoncer à l’idée de mariage. Elle évoque
l’image du ménage d’intellectuels pauvres qu’ils formeraient : Tu ne
pourrais, lui dit-elle, t’occuper avec autant de soin d’une épouse et de la
philosophie. Comment concilier les cours scolaires et les servantes, les
bibliothèques et les berceaux, les livres et les quenouilles, les plumes et
les fuseaux ? Celui qui doit s’absorber dans des méditations théologiques
ou philosophiques peut-il supporter les cris des bébés, les berceuses des
nourrices, la foule bruyante d’une domesticité mâle et femelle ? Comment
tolérer les saletés que font constamment les petits enfants ? Les riches le
peuvent, qui ont un palais ou une maison suffisamment grande pour qu’on
puisse s’y isoler, dont l’opulence ne ressent pas les dépenses, qui ne sont
pas quotidiennement crucifiés par les soucis matériels. Mais telle n’est
pas la condition des intellectuels (philosophes) et ceux qui ont à se
préoccuper d’argent et de soucis matériels ne peuvent s’adonner à leur
métier de théologien ou de philosophe.
D’ailleurs il y a des autorités pour appuyer cette position et
condamner le mariage du sage. Et de citer Théophraste ou plutôt saint
Jérôme qui reprit ses arguments dans l’Adversus Jovinianum qui eut tant
de vogue au XIIe siècle. Et de joindre l’Ancien à côté du Père de l’Église,
Cicéron qui, après avoir répudié Terentia, refusa la sœur de son ami
Hirtius.
Abélard pourtant repousse le sacrifice d’Héloïse. Le mariage est
décidé, mais demeure secret. Fulbert, que l’on veut apaiser, est mis au
courant, assiste même à la bénédiction nuptiale.
Mais les intentions des divers acteurs ne sont pas les mêmes.
Abélard, la conscience en paix, veut reprendre son travail, Héloïse restant
dans l’ombre. Fulbert, lui, veut proclamer le mariage, publier la
satisfaction qu’il a obtenue, affaiblir sans doute le crédit d’Abélard à qui il
n’a pas pardonné.
Abélard, importuné, imagine un stratagème. Héloïse va faire retraite
au couvent d’Argenteuil où il lui fait revêtir l’habit de novice. Ce sera
couper court aux racontars. Héloïse, qui n’a plus d’autre volonté que celle
d’Abélard, attendra sous ce déguisement que les rumeurs se soient tues.
C’était compter sans Fulbert, qui se croit joué. Il imagine qu’Abélard s’est
débarrassé d’Héloïse en la faisant entrer dans les ordres, que le mariage
est rompu. Et c’est, de nuit, l’expédition punitive dans la maison
d’Abélard, la mutilation, l’attroupement le lendemain matin, le scandale.
Abélard va cacher sa honte à l’abbaye de Saint-Denis. On comprend,
à ce qui a été dit plus haut, l’étendue de son désespoir. Un eunuque peut-il
être encore un homme ?
Nous abandonnons ici Héloïse, qui n’appartient plus à notre propos.
On sait quel admirable commerce d’âmes entretiendront jusqu’à la mort,
d’un cloître à l’autre, les deux amants.

Nouveaux combats

La passion intellectuelle a guéri Abélard. Ses blessures pansées, il


retrouve toute sa combativité. Les moines ignorants et grossiers lui pèsent.
Orgueilleux, il pèse aux moines dont la solitude est au surplus troublée par
les nombreux disciples qui viennent supplier le maître de reprendre son
enseignement. Il écrit pour eux son premier traité de théologie. Son succès
déplaît. Un conventicule décoré du nom de concile est réuni à Soissons en
1121 pour le juger. Dans une atmosphère passionnée — ses ennemis pour
impressionner le concile ont ameuté la foule qui menace de le lyncher…
— malgré les efforts de l’évêque de Chartres qui réclame un supplément
d’instruction, le livre est brûlé et Abélard condamné à finir ses jours dans
un couvent.
Il retourne à Saint-Denis où les querelles avec les moines reprennent
de plus belle. Ne les attise-t-il pas en démontrant que les fameuses pages
de Hilduin sur le fondateur de l’abbaye ne sont que fariboles et que le
premier évêque de Paris n’a rien à voir avec l’Aréopagite que convertit
saint Paul ? L’année suivante il s’enfuit et trouve enfin refuge auprès de
l’évêque de Troyes. Il en obtient un terrain, près de Nogent-sur-Seine, s’y
installe en solitaire, construit un petit oratoire à la Trinité. Il n’a rien
oublié ; le livre condamné était consacré à la Trinité.
Son refuge est bientôt découvert par ses disciples et c’est la ruée vers
la solitude. Un village scolaire de tentes et de cabanes s’élève. L’oratoire,
agrandi et reconstruit en pierre, est dédié au Paraclet ; innovation
provocante. Seul l’enseignement d’Abélard peut faire oublier aux
campagnards improvisés les satisfactions de la ville. Ils se rappellent avec
mélancolie qu’en ville les étudiants jouissent de toutes les commodités qui
leur sont nécessaires.
La tranquillité d’Abélard ne dure pas longtemps. Deux nouveaux
apôtres, dit-il, organisent contre lui un complot. Il s’agit de saint Norbert,
fondateur des Prémontrés, et de saint Bernard, réformateur de Cîteaux. On
le persécute de telle sorte qu’il songe à s’enfuir à l’Est. Dieu sait combien
de fois, tombé dans le plus profond désespoir, j’ai songé à quitter le
territoire de la chrétienté et à passer chez les païens (aller aux Sarrazins,
précisera la traduction de Jean de Meung) pour y vivre en paix et,
moyennant tribut, vivre en chrétien parmi les ennemis du Christ. Je
pensais qu’ils me recevraient d’autant mieux qu’ils me croiraient moins
Chrétien, sur la foi des accusations dont j’étais victime.
Cette solution extrême — première tentation de l’intellectuel
d’Occident qui désespère du monde où il vit — lui fut épargnée.
Il est élu abbé d’un monastère breton. Nouveaux démêlés ; il se croit
chez les barbares. On n’y entend que le bas-breton. Les moines sont d’une
grossièreté inimaginable. Il tente de les dégrossir. Ils essaient de
l’empoisonner. Il s’enfuit en 1132.
On le retrouve en 1136 sur la Montagne Sainte-Geneviève. Il a repris
un enseignement plus fréquenté que jamais. Arnauld de Brescia, banni
d’Italie pour avoir fomenté des troubles urbains, se réfugie à Paris, se lie
avec Abélard et lui apporte l’auditoire de ses pauvres disciples qui
mendient pour vivre. Depuis l’ouvrage condamné à Soissons, Abélard
n’avait cessé d’écrire. Ce n’est pourtant qu’en 1140 que ses ennemis
reprennent l’attaque contre ses œuvres. Ses liens avec le proscrit romain
ont dû mettre le comble à leur hostilité. Il est normal que l’alliance de la
dialectique urbaine et du mouvement communal démocratique ait paru
significative à ses adversaires.

Saint Bernard et Abélard


À leur tête, saint Bernard. Suivant l’heureuse expression du Père
Chenu, l’abbé de Cîteaux est à une autre frontière de la Chrétienté. Ce
rural, qui est resté un féodal et d’abord un militaire, est mal fait pour
comprendre l’intelligentzia urbaine.
Contre l’hérétique ou l’infidèle il ne voit qu’un recours : la force.
Champion de la Croisade armée, il ne croit pas à la croisade intellectuelle.
Quand Pierre le Vénérable lui demande de lire la traduction du Coran pour
répliquer à Mahomet par la plume, il ne répond pas. Dans la solitude du
cloître, il puise dans la méditation mystique — qu’il élève à des sommets
— de quoi rentrer dans le monde en justicier. Cet apôtre de la vie recluse
est toujours en chemin pour combattre les innovations qui lui semblent
dangereuses. Pendant les dernières années de sa vie, il gouverne
pratiquement la Chrétienté, dictant ses ordres au Pape, applaudissant à la
constitution d’ordres militaires, rêvant de faire de l’Occident une
chevalerie, la milice du Christ : un grand inquisiteur avant la date.
Avec Abélard le choc est inévitable. C’est le second de saint Bernard,
Guillaume de Saint-Thierry, qui mène l’attaque. Dans une lettre à saint
Bernard il dénonce le nouveau théologien, excite son illustre ami à le
poursuivre. Saint Bernard se rend à Paris, essaie de débaucher les étudiants
avec le peu de succès que l’on sait, se persuade de la gravité du mal
répandu par Abélard. Une entrevue entre les deux hommes ne donne rien.
Un disciple d’Abélard suggère une réunion contradictoire à Sens devant
une assemblée de théologiens et d’évêques. Le maître se fait fort d’enlever
une fois de plus son auditoire. Saint Bernard, en sous-main, change du tout
au tout le caractère de l’assemblée. Il transforme l’auditoire en concile,
son adversaire en accusé. Dans la nuit qui précède l’ouverture des débats,
il réunit les évêques et leur communique un dossier complet qui présente
Abélard comme un dangereux hérétique. Celui-ci le lendemain ne peut que
récuser la compétence de l’assemblée et en appeler au Pape. Les évêques
transmettent à Rome une condamnation très mitigée. Saint Bernard,
alarmé, les gagne tous de vitesse. Son secrétaire porte à des cardinaux qui
lui sont tout dévoués des lettres qui arrachent au Pape une condamnation
d’Abélard dont les livres sont brûlés à Saint-Pierre. Abélard apprend la
nouvelle en chemin, se réfugie à Cluny. Cette fois-ci il est brisé. Pierre le
Vénérable, qui l’accueille avec une infinie charité, le réconcilie avec saint
Bernard, obtient de Rome la levée de son excommunication et l’envoie au
couvent de Saint-Marcel, à Chalon-sur-Saône, où il meurt le 21 avril 1142.
Le grand abbé de Cluny lui avait envoyé une absolution écrite, et par un
dernier geste d’exquise délicatesse, l’avait fait remettre à Héloïse, abbesse
du Paraclet.
Existence typique, en même temps que destin hors série. De l’œuvre
considérable d’Abélard nous ne pouvons dégager ici que quelques traits
marquants.

Le logicien

Abélard a d’abord été un logicien et, comme tous les grands


philosophes, il a d’abord apporté une méthode. Il a été le grand champion
de la dialectique. Avec son Manuel de Logique pour débutants (Logica
ingredientibus), et surtout avec le Sic et Non de 1122, il a donné à la
pensée occidentale son premier Discours de la Méthode. Il y prouve avec
une éclatante simplicité la nécessité du recours au raisonnement. Sur
aucune question les Pères n’ont été d’accord ; là où l’un dit blanc, l’autre
dit noir — Sic et Non.
D’où la nécessité d’une science du langage. Les mots sont faits pour
signifier — nominalisme — mais ils sont fondés dans la réalité. Ils
correspondent aux choses qu’ils signifient. Tout l’effort de la logique doit
consister à permettre cette adéquation signifiante du langage à la réalité
qu’il manifeste. Pour cet esprit exigeant le langage n’est pas le voile du
réel mais son expression. Ce professeur croit à la valeur ontologique de
son instrument : le verbe.

Le moraliste

Ce logicien a été aussi un moraliste. Dans l’Éthique ou Connais-toi


toi-même (Ethica seu Scito te ipsum), ce chrétien nourri de philosophie
antique accorde à l’introspection une aussi grande portée que les
mystiques monastiques, que saint Bernard ou Guillaume de Saint-Thierry.
Mais, comme l’a dit M. de Gandillac, tandis que pour les Cisterciens le
« socratisme chrétien » est avant tout une méditation sur l’impuissance de
l’homme pécheur, la connaissance de soi apparaît dans l’Éthique comme
une analyse du libre consentement par lequel il nous appartient d’accepter
ou de refuser ce mépris de Dieu qui constitue le péché.
Là où saint Bernard s’écrie : Engendrés du péché, pécheurs, nous
engendrons des pécheurs ; nés débiteurs, des débiteurs ; nés corrompus,
des corrompus ; nés esclaves, des esclaves. Nous sommes des blessés dès
notre entrée dans ce monde, durant que nous y vivons et lorsque nous en
sortons ; de la plante des pieds jusqu’au sommet de notre tête, rien n’est
sain en nous, Abélard répond que le péché n’est qu’un manque : pécher
c’est mépriser notre Créateur, c’est-à-dire ne point accomplir pour lui les
actes dont nous croyons que c’est notre devoir d’y renoncer pour lui. En
définissant de la sorte le péché de façon purement négative, comme le fait
de ne pas renoncer à des actes blâmables ou au contraire de nous abstenir
d’actes louables, nous montrons clairement que le péché n’est pas une
substance puisqu’il consiste dans une absence plutôt que dans une
présence, semblable aux ténèbres qu’on pourrait définir : l’absence de
lumière, là où il faudrait de la lumière. » Et il réclame pour l’homme ce
pouvoir de consentir, cet assentiment ou ce refus donné à la droiture qui
est le centre de la vie morale.
Ainsi Abélard a puissamment contribué à bouleverser les conditions
d’un des sacrements essentiels du christianisme : la pénitence. En face
d’un homme radicalement mauvais l’Église des temps barbares avait
dressé des listes de péchés et des tarifs de peines, calqués sur les lois
barbares. Ces pénitentiels attestent que, pour l’homme du Haut Moyen
Âge, l’essentiel dans la pénitence était le péché et, partant, la punition.
Abélard a exprimé et fortifié la tendance à inverser cette attitude.
Désormais l’important c’est le pécheur, c’est-à-dire son intention, et l’acte
capital de la pénitence sera la contrition. La contrition du cœur, écrit
Abélard, fait alors disparaître le péché, c’est-à-dire le mépris de Dieu, ou
encore le consentement au mal. Car la Charité divine, qui inspire ce
gémissement, est incompatible avec le péché. Les sommes de confesseurs
qui apparaissent à la fin du siècle auront incorporé ce renversement dans
la psychologie — sinon dans la théologie — de la pénitence. Ainsi, dans
les villes et les écoles urbaines, s’approfondissait l’analyse psychologique,
s’humanisaient au sens plein du terme les sacrements. Quel
enrichissement pour l’esprit de l’homme occidental !

L’humaniste

Du théologien ne soulignons qu’un trait. Nul plus qu’Abélard n’a


réclamé l’alliance de la raison et de la foi. Il a dépassé en ce domaine, en
attendant saint Thomas, le grand initiateur de la théologie nouvelle, saint
Anselme, qui avait lancé au siècle précédent sa formule féconde : la foi en
quête de l’intelligence (fides quærens intellectum).
Il satisfait par là les besoins des milieux scolaires qui en théologie
réclamaient des raisons humaines et philosophiques et sollicitaient
davantage de quoi comprendre que de quoi dire : à quoi servent, disaient-
ils, les mots dépourvus d’intelligibilité ? On ne peut croire ce qui ne se
comprend pas, et il est ridicule d’enseigner aux autres ce que ni soi, ni ses
auditeurs ne peuvent saisir par l’intelligence.
Pendant les derniers mois de sa vie à Cluny cet humaniste entreprit,
dans une grande sérénité, son Dialogue entre un philosophe (païen), un
juif et un chrétien. Il voulait y montrer que ni le péché originel, ni
l’Incarnation n’avaient apporté une coupure absolue dans l’histoire de
l’humanité. Il cherchait à mettre en valeur tout ce qui était commun aux
trois religions qui représentaient pour lui la somme de la pensée humaine.
Il visait à retrouver des lois naturelles qui, par-delà les religions, auraient
permis de reconnaître en tout homme le fils de Dieu. Son humanisme
s’achevait en tolérance et, face à ceux qui tranchaient, il cherchait ce qui
unit les hommes, se souvenant qu’il y a beaucoup de maisons dans la
demeure du Père. Si Abélard a été la plus haute expression du milieu
parisien, il faut aller chercher à Chartres d’autres traits de l’intellectuel
naissant.

Chartres et l’esprit chartrain

Chartres est le grand centre scientifique du siècle. Les arts du


trivium, grammaire, rhétorique, logique n’y étaient pas dédaignés : on l’a
vu dans l’enseignement de Bernard de Chartres. Mais à cette étude des
voces, des mots, Chartres préférait l’étude des choses, des res, qui étaient
l’objet du quadrivium : arithmétique, géométrie, musique, astronomie
C’est cette orientation qui détermine l’esprit chartrain. Esprit de
curiosité, d’observation, d’investigation qui, alimenté par la science
gréco-arabe, va rayonner. La soif du connaître va se répandre au point que
le plus célèbre des vulgarisateurs du siècle, Honorius dit d’Autun, va la
résumer en une formule frappante : L’exil de l’homme, c’est l’ignorance ;
sa patrie, c’est la science.
Cette curiosité indigne les esprits traditionalistes. Absalon de Saint-
Victor se scandalise de l’intérêt qu’on porte à la conformation du globe, la
nature des éléments, l’emplacement des étoiles, la nature des animaux, la
violence du vent, la vie des plantes et des racines. Guillaume de Saint-
Thierry écrit à saint Bernard pour lui dénoncer l’existence de gens qui
expliquent la création du premier homme non à partir de Dieu, mais de la
nature, des esprits et des étoiles. Guillaume de Conches réplique :
Ignorant les forces de la nature ils veulent que nous restions liés à leur
ignorance, nous refusent le droit de recherche, et nous condamnent à
demeurer comme des rustauds dans une croyance sans intelligence.
Ainsi sont exaltées et popularisées quelques grandes figures du passé
qui, christianisées, deviennent les symboles du savoir, les grands ancêtres
mythiques du savant.
Salomon est le maître de toute la science orientale et hébraïque, non
seulement le Sage de l’Ancien Testament, mais le grand représentant de la
science hermétique sous le nom de qui est placée l’encyclopédie des
connaissances magiques, le maître des secrets, le détenteur des mystères
de la science.
Alexandre est le Chercheur par excellence. Son maître Aristote lui a
inculqué la passion de l’investigation, l’enthousiasme de la curiosité, mère
de la science. On diffuse la vieille lettre apocryphe dans laquelle il raconte
à son maître les merveilles de l’Inde. On reprend la légende de Pline selon
laquelle il aurait fait du philosophe un directeur de la recherche
scientifique, placé à la tête de mille explorateurs envoyés dans toutes les
parties du monde. La soif de connaître aurait été le moteur de ses voyages,
de ses conquêtes. Non content de parcourir la terre, il aurait voulu sonder
les autres éléments. Sur un tapis volant il aurait parcouru les airs. Surtout
il aurait fait construire un tonneau de verre et, descendu dans la mer dans
cet ancêtre du bathyscaphe, il y aurait étudié les mœurs des poissons et la
flore sous-marine. Malheureusement, écrit Alexandre Neckam, il ne nous
a pas laissé ses observations.
Virgile enfin, le Virgile qui aurait annoncé le Christ dans la
quatrième églogue et sur le tombeau de qui aurait prié saint Paul, et qui
aurait rassemblé dans l’Enéide la somme des connaissances du monde
antique. Bernard de Chartres commente les six premiers livres du poème,
comme un ouvrage scientifique, au même titre que la Genèse. Ainsi se
forme la légende qui conduira à l’admirable personnage de Dante, à celui
qui sera appelé dans l’exploration du monde souterrain par l’auteur de la
Divine Comédie : Tu duca, tu signore e tu maestro.
Esprit de recherche pourtant qui se heurtera à une autre tendance des
intellectuels chartrains : l’esprit rationnel. Au seuil de l’âge moderne les
deux attitudes fondamentales de l’esprit scientifique semblent souvent
antagonistes. L’expérience pour les savants du XIIe siècle n’atteint que
des phénomènes, des apparences. La science doit s’en détourner pour
saisir par le raisonnement les réalités. On retrouvera ce divorce qui pesa si
lourd sur la science médiévale.
Alexandre en batyscaphe ?

Le naturalisme chartrain
De ce rationalisme chartrain la base est une croyance en la toute-
puissance de la Nature. Pour les Chartrains la Nature est d’abord une
puissance fécondante, perpétuellement créatrice, aux ressources
inépuisables, mater generationis. Ainsi se fonde l’optimisme naturaliste
du XIIe siècle. Siècle d’essor et d’expansion.
Mais la Nature est aussi le cosmos, un ensemble organisé et rationnel.
Elle est le réseau des lois dont l’existence rend possible et nécessaire une
science rationnelle de l’univers. Autre source d’optimisme, celui de la
rationabilité du monde, qui n’est pas absurde mais incompréhensible, qui
n’est pas désordre mais harmonie. Le besoin d’ordre dans l’univers
qu’éprouvent les Chartrains a même conduit plusieurs d’entre eux à nier
l’existence du chaos primitif. C’est la position de Guillaume de Conches
et d’Arnaud de Bonneval qui commente la Genèse en ces termes : Dieu,
distinguant la propriété des lieux et des noms, a assigné aux choses leurs
mesures adéquates et leurs fonctions, comme aux membres d’un corps
gigantesque. Même à ce moment reculé (la Création) il n’y a rien eu chez
Dieu de confus, rien d’informe, car la matière des choses, dès sa création,
a été formée en espèces congruentes.
C’est dans cet esprit que les Chartrains commentent la Genèse,
désormais expliquée selon les lois naturelles. Physicisme contre
symbolisme. Ainsi fait Thierry de Chartres qui se propose d’analyser le
texte biblique selon la physique et à la lettre (secundum physicam et ad
litteram). Ainsi fait de son côté Abélard dans l’Expositio in Hexameron.
Pour ces chrétiens ces croyances ne vont pas sans difficultés. C’est le
problème des rapports entre la Nature et Dieu. Pour les Chartrains, Dieu,
s’il a créé la Nature, respecte les lois qu’il lui a données. Sa toute-
puissance n’est pas contraire au déterminisme. Le miracle agit à
l’intérieur de l’ordre naturel. Ce qui importe, écrit Guillaume de Conches,
ce n’est pas que Dieu ait pu faire cela, mais d’examiner cela, de
l’expliquer rationnellement, d’en montrer le but et l’utilité. Sans doute
Dieu peut tout faire, mais l’important c’est qu’il ait fait telle ou telle
chose. Sans doute Dieu peut d’un tronc d’arbre faire un veau, comme
disent les rustauds, mais l’a-t-il jamais fait ?
Ainsi se poursuit cette œuvre de désacralisation de la nature, de
critique du symbolisme, prolégomène nécessaire à toute science, que le
christianisme, comme l’a montré Pierre Duhem, avait dès sa diffusion
rendue possible en cessant de considérer la nature, les astres, les
phénomènes comme des dieux — ainsi que le faisait la science antique —
mais comme les créations d’un Dieu. La nouvelle étape met en valeur le
caractère rationnel de cette création. Ainsi, comme on l’a dit, s’élevait
contre les partisans d’une interprétation symbolique de l’univers, la
revendication de l’existence d’un ordre de causes secondes autonomes
sous l’action de la Providence. Sans doute le XIIe siècle est encore plein
de symboles, mais ses intellectuels font déjà pencher la balance vers la
science rationnelle.

L’humanisme chartrain

Mais l’esprit chartrain est avant tout un humanisme. Non seulement


en ce sens secondaire qu’il fait appel pour l’édification de sa doctrine à la
culture antique ; mais surtout parce qu’il place l’homme au cœur de sa
science, de sa philosophie et presque de sa théologie.
Pour lui l’homme est l’objet et le centre de la création. Tel est le
sens, comme l’a admirablement montré le Père Chenu, de la controverse
Cur Deus homo. À la thèse traditionnelle, reprise par saint Grégoire, selon
laquelle l’homme est un accident de la création, un ersatz, un bouche-trou,
créé fortuitement par Dieu pour remplacer les anges déchus après leur
révolte, Chartres, développant saint Anselme, oppose l’idée que l’homme
a toujours été prévu dans le plan du Créateur et que c’est même pour lui
que le monde a été fait.
Les animaux symboliques

Dans un texte célèbre Honorius d’Autun a vulgarisé la thèse


chartraine : Il n’y a pas d’autre autorité, déclare-t-il d’abord, que la vérité
prouvée par la raison ; ce que l’autorité nous enseigne de croire, la raison
nous le confirme par ses preuves. Ce que l’autorité évidente de l’Écriture
proclame, la raison discursive le prouve : même si tous les anges étaient
restés dans le ciel, l’homme avec toute sa postérité aurait été pourtant
créé. Car ce monde a été fait pour l’homme et par monde j’entends le ciel
et la terre et tout ce qui est contenu dans l’univers ; et ce serait une
absurdité de croire que, si tous les anges avaient subsisté, celui-là
n’aurait pas été créé pour qui nous lisons que l’univers a été créé.
Soulignons au passage que les théologiens du Moyen Âge, quand ils
discutaient des anges — et même de leur sexe — pensaient presque
toujours à l’homme et que rien n’a été plus important pour l’avenir de
l’esprit que ces débats en apparence oiseux.
L’homme, les Chartrains le voient d’abord comme un être rationnel.
C’est en lui que s’opère cette union active de la raison et de la foi qui est
un des enseignements fondamentaux des intellectuels du XIIe siècle. C’est
dans cette perspective que je les vois s’intéresser si fort aux animaux
comme à des repoussoirs de l’homme. L’antithèse brute-homme est une
des grandes métaphores de ce siècle. Dans le bestiaire roman, dans ce
monde grotesque venu de l’Orient et que l’imagerie traditionnelle
reproduit pour son symbolisme, le monde des écoles voit un humanisme à
rebours et s’en détachera d’ailleurs pour inspirer aux sculpteurs gothiques
un nouveau modèle : l’homme.
On comprend ce qu’à ce rationalisme humaniste ont apporté les Grecs
et les Arabes. Pas de meilleur exemple à cet égard que celui d’Adélard de
Bath, traducteur et philosophe, un des grands voyageurs en Espagne.
À un traditionaliste qui lui propose une discussion, sur les animaux
précisément, il répond : Il m’est difficile de discuter des animaux. Moi,
j’ai en effet appris de mes maîtres arabes à prendre la raison pour guide,
toi tu te contentes de suivre en captif la chaîne d’une autorité
affabulatrice. Quel autre nom donner à l’autorité que celui de chaîne ?
Comme les animaux stupides sont menés par une chaîne et ne savent ni où
ni pourquoi on les conduit et se contentent de suivre la corde qui les tient,
ainsi la majorité d’entre vous sont prisonniers d’une crédulité animale et
se laissent conduire enchaînés à des croyances dangereuses par l’autorité
de ce qui est écrit.
Et encore : C’est avec les arguments de la dialectique qu’Aristote,
quand il voulait s’amuser, soutenait le faux devant ses auditeurs grâce à
son habileté sophistique, tandis que ceux-ci défendaient contre lui la
vérité. C’est que tous les autres arts, s’ils s’assurent les services de la
dialectique, peuvent marcher fermement, tandis que sans elle ils titubent et
ignorent la stabilité. Aussi les modernes pour la conduite des discussions
s’adressent surtout à ceux qui sont le plus fameux en cet art…
Adélard de Bath nous invite même à aller plus loin. Il n’est pas sûr
que les intellectuels du XIIe siècle n’aient pas tiré d’eux-mêmes, des
ressources de leur raison, l’essentiel de ce qu’ils ont souvent camouflé
sous le nom des Anciens et des Arabes pour mieux faire passer leurs
hardiesses auprès d’esprits habitués à juger d’après des autorités —
fussent-elles inédites. Voici son aveu : Notre génération a ce défaut ancré
qu’elle refuse d’admettre tout ce qui semble venir des modernes. Aussi
quand je trouve une idée personnelle si je veux la publier je l’attribue à
quelqu’un d’autre et je déclare : « C’est un tel qui l’a dit, ce n’est pas
moi. » Et pour qu’on me croie complètement, de toutes mes opinions je
dis : « C’est un tel l’inventeur, ce n’est pas moi. » Pour éviter
l’inconvénient qu’on pense que j’ai, moi, ignorant, tiré de mon propre
fond mes idées, je fais en sorte qu’on les croie tirées de mes études arabes.
Je ne veux pas que si ce que j’ai dit a déplu à des esprits attardés ce soit
moi qui leur déplaise. Je sais quel est auprès du vulgaire le sort des
savants authentiques. Aussi ce n’est pas mon procès que je plaide, mais
celui des Arabes.
Le plus neuf, c’est que cet homme doué de raison, qui peut ainsi
étudier et comprendre une nature elle-même ordonnée rationnellement par
le Créateur, est à son tour considéré par les Chartrains comme nature et
s’intègre ainsi parfaitement dans l’ordre du monde.

L’homme-microcosme

Ainsi se trouve vivifiée et chargée d’une signification profonde la


vieille image de l’homme-microcosme. De Bernard Silvestris à Alain de
Lille, la thèse se développe de l’analogie entre le monde et l’homme, entre
le mégacosme et cet univers en miniature qu’est l’homme. Par-delà les
analyses qui nous font sourire, où l’on retrouve dans l’être humain les
quatre éléments et où l’on pousse jusqu’à l’absurde les analogies, cette
conception est révolutionnaire. Elle force à considérer l’homme tout entier
et d’abord avec son corps. La grande encyclopédie scientifique d’Adélard
de Bath s’étend longuement sur l’anatomie et la physiologie humaines.
Ceci va de pair avec les progrès de la médecine, de l’hygiène, et les
soutient. Cet homme à qui l’on a rendu son corps aborde ainsi tout entier
cette découverte de l’amour humain qui est un des grands événements du
XIIe siècle, qu’un Abélard a vécu tragiquement et à quoi Denis de
Rougemont a consacré un livre fameux et contestable. Cet homme-
microcosme se trouve aussi, placé au centre d’un univers qu’il reproduit,
en harmonie avec lui, apte à en tirer les ficelles, en état de connivence
avec le monde. Des perspectives infinies lui sont ouvertes, que vulgarise
un Honorius d’Autun et plus encore peut-être cette femme extraordinaire,
l’abbesse Hildegarde de Bingen qui mêle les théories nouvelles au
mysticisme monastique traditionnel dans ces œuvres étranges qu’ont été le
Liber Scivias et le Liber divinorum operum. Des miniatures, aussitôt
célèbres, leur confèrent une portée exceptionnelle. Retenons celle qui
représente l’homme-microcosme dans une nudité, avec un amour pour le
modelé du corps, qui manifestent que l’humanisme des intellectuels du
XIIe siècle n’a pas attendu l’autre Renaissance pour s’ajouter cette
dimension où le goût esthétique des formes s’allie à l’amour des
proportions vraies.
L’Homme-microcosme, selon Hildegarde de Bingen.
(Manuscrit du liber divinorum operum de Lucques)
Le dernier mot de cet humanisme c’est sans doute que l’homme qui
est nature, qui peut comprendre la nature par la raison, peut aussi la
transformer par son activité.
L’usine et l’homo faber

L’intellectuel du XIIe siècle, placé au centre du chantier urbain, voit


un univers à l’image de celui-ci, vaste usine bourdonnante du bruit des
métiers. La métaphore stoïcienne du monde-fabrique est reprise dans un
milieu plus dynamique, avec plus de portée efficace. C’est Gerhoch de
Reichersberg qui dans son Liber de cedificio Dei parle de cette grande
fabrique du monde entier, cette sorte d’atelier de l’univers… (illa magna
totius mundi fabrica et quædam universalis officina).
Sur ce chantier l’homme s’affirme comme un artisan qui transforme
et crée. Redécouverte de l’homo faber, coopérateur de la création avec
Dieu et avec la nature. Tout œuvre, dit Guillaume de Conches, est œuvre
du créateur, œuvre de la nature, ou de l’homme-artisan imitant la nature.
Aussi se transforme l’image de la société humaine. Aperçue dans
cette perspective dynamique qui donne son sens aux structures
économiques et sociales du siècle, elle doit intégrer tous les travailleurs
humains. Dans cette réhabilitation du travail, les méprisés d’hier sont
intégrés à la cité humaine, image de la cité divine. Jean de Salisbury dans
le Polycraticus restitue à la société les travailleurs ruraux : ceux qui
travaillent dans les champs, dans les prés, dans les jardins, puis les
artisans : les ouvriers de la laine et tous les autres ouvriers mécaniques
qui travaillent le bois, le fer, le bronze et les autres métaux. Dans cette
perspective le vieux cadre scolaire des sept arts libéraux éclate.
L’enseignement nouveau doit faire sa place non seulement aux disciplines
nouvelles : la dialectique, la physique, l’éthique mais aux techniques
scientifiques et artisanales qui sont une part essentielle de l’activité de
l’homme. Hugues de Saint-Victor dans le programme d’études de son
Didascalion entérine cette conception nouvelle. Honorius d’Autun la
développe dans sa fameuse formule : L’exil de l’homme c’est l’ignorance ;
sa patrie c’est la science. Il ajoute en effet on y parvient par les arts
libéraux, qui sont autant de villes-étapes. La première ville c’est la
grammaire, la deuxième la rhétorique, la troisième la dialectique, la
quatrième l’arithmétique, la cinquième la musique, la sixième la
géométrie, la septième l’astronomie. Rien que de traditionnel jusqu’ici.
Mais le chemin n’est pas fini. La huitième c’est la physique où Hippocrate
enseigne aux pèlerins les vertus et la nature des herbes, des arbres, des
minéraux, des animaux. La neuvième c’est la mécanique où les pèlerins
apprennent le travail des métaux, du bois, du marbre, la peinture, la
sculpture et tous les arts manuels. C’est là que Nemrod éleva sa tour et
Salomon construisit le Temple. C’est là que Noé fabriqua l’arche,
enseigna l’art de la fortification et le travail des divers textiles. La
onzième c’est l’économique. C’est la porte de la patrie de l’homme. On y
règle les états et les dignités, on y distingue les fonctions et les ordres. On
y apprend aux hommes qui se hâtent vers leur patrie comment rejoindre,
selon l’ordre de leurs mérites, la hiérarchie des anges. Ainsi s’achève par
la politique l’odyssée de l’humanisme des intellectuels du XIIe siècle.

Figures

Parmi eux et même à Chartres il faudrait distinguer les personnalités


et les tempéraments. Bernard a surtout été un professeur soucieux de
donner par une solide formation grammaticale une culture de base et des
méthodes de pensée à ses élèves. Bernard Silvestris et Guillaume de
Conches ont surtout été des scientifiques — bons représentants à cet égard
de la tendance la plus originale de l’esprit chartrain. Avec eux le siècle
balance l’esprit littéraire qui séduit tant d’esprits. Comme Abélard le dit à
Héloïse : Plus soucieux d’enseignement que d’éloquence, je soigne la
clarté de l’exposition, non l’ordonnance de l’éloquence, le sens littéral,
non l’ornement rhétorique. Principe que suivaient les traducteurs qui
répugnaient aux belles infidèles. Je n’ai pas élagué ni altéré de façon
sensible les matériaux dont vous aviez besoin pour construire votre
magnifique édifice, écrit Robert de Chester à Pierre le Vénérable, si ce
n’est pour les faire comprendre… et je n’ai pas essayé de revêtir d’or une
matière vile et méprisable. Un Jean de Salisbury, pourtant, est humaniste
plutôt au sens qui nous est devenu familier, fait de culture aimable et de
bonheur d’expression. Quoique Chartrain, c’est un littéraire. Tout au plus
cherche-t-il à garder un heureux équilibre. De même que l’éloquence est
téméraire et aveugle que la raison n’éclaire pas, la science qui ne sait pas
user des mots est faible et comme manchotte. Les hommes deviendraient
des bêtes, s’ils étaient privés de l’éloquence dont ils ont été doués.
Gilbert de la Porrée est un penseur, le plus profond métaphysicien du
siècle peut-être. Ses malheurs — il fut victime lui aussi des
traditionalistes et de saint Bernard — ne l’ont pas empêché de passionner
de nombreux disciples (on range Alain de Lille, Nicolas d’Amiens parmi
les Porrétains) et de susciter dans son diocèse de Poitiers la ferveur du
peuple comme des clercs.

Rayonnement

Chartres a surtout formé des pionniers. À Paris, après les tempêtes


soulevées par Abélard, des esprits modérés entreprennent d’incorporer à
l’enseignement traditionnel de l’Église tout ce qu’on peut emprunter aux
novateurs sans soulever le scandale. Ce fut l’œuvre surtout de l’évêque
Pierre Lombard et de Pierre le Mangeur — dont la réputation de dévoreur
de livres était solide. Le Livre des Sentences du premier, l’Histoire
Écclésiastique du second — exposés systématiques des vérités
philosophiques et des faits historiques contenus dans la Bible — allaient
être des manuels de base pour l’enseignement universitaire du
XIIIe siècle. À travers eux la masse des prudents allait profiter quand
même des découvertes du petit nombre des audacieux.
Pierre Lombard et Pierre le Mangeur

Le travailleur intellectuel et le chantier urbain


Ce n’est que dans le cadre urbain que ce type d’intellectuel a pu se
développer. Ses adversaires, ses ennemis l’ont bien vu, qui englobaient
dans une même malédiction villes et intellectuels du nouveau genre.
Étienne de Tournai, abbé de Sainte-Geneviève à la fin du siècle, s’effare
devant l’invasion de la « disputatio » en théologie : On dispute
publiquement, en violation des constitutions sacrées, des mystères de la
divinité, de l’incarnation du Verbe… L’indivisible Trinité est coupée et
mise en pièces aux carrefours. Autant de docteurs autant d’erreurs, autant
d’auditoires autant de scandales, autant de places publiques autant de
blasphèmes. Marchands de mots (venditores verborum) dit-il encore des
maîtres parisiens.
Il fait ainsi écho à l’abbé de Deutz, Rupert, qui au début du siècle,
ayant appris qu’on se gaussait de lui dans les écoles urbaines, était
vaillamment sorti de son cloître et s’était rendu au milieu des ennemis, à
la ville. Il y voyait déjà la discussion à tous les coins de rue et prévoyait la
diffusion du mal. Il rappelait que tous les constructeurs de ville sont des
impies, qui, au lieu de camper dans ce lieu de passage qu’est la terre,
s’installent et y installent les autres. Parcourant toute la Bible, il en tirait
une grandiose fresque anti urbaine. Après la première ville bâtie par Caïn,
après Jéricho que les saintes trompettes de Josué démantelèrent, il
énumère Enoch, Babylone, Assur, Ninive, Babel. Dieu, dit-il, n’aime pas
les villes et les citadins. Et les cités d’aujourd’hui, bourdonnantes des
vaines disputes des maîtres et des écoliers, ne sont que la résurrection de
Sodome et de Gomorrhe.
C’est bien comme un artisan, comme un homme de métier
comparable aux autres citadins que se sent l’intellectuel urbain du
XIIe siècle. Sa fonction c’est l’étude et l’enseignement des arts libéraux.
Mais qu’est-ce qu’un art ? Ce n’est pas une science, c’est une technique.
Ars c’est « τεχνή », c’est la spécialité du professeur comme celle du
charpentier ou du forgeron. Après Hugues de Saint-Victor, saint Thomas
au siècle suivant tirera toutes les conséquences de cette position. Un art
c’est toute activité rationnelle et juste de l’esprit appliqué à la fabrication
des instruments tant matériels qu’intellectuels ; c’est une technique
intelligente du faire. Ars est recta ratio factibilium. Ainsi l’intellectuel est
un artisan ; parmi toutes les sciences, [les arts libéraux] sont appelés arts
car ils n’impliquent pas seulement la connaissance mais aussi une
production qui découle immédiatement de la raison, telle que la fonction
de la construction (la grammaire), des syllogismes (la dialectique), du
discours (la rhétorique), des nombres (l’arithmétique), des mesures (la
géométrie), des mélodies (la musique), des calculs du cours des astres
(l’astronomie).
Le jour où Abélard, réduit à la misère, constate qu’il est incapable de
cultiver la terre et qu’il a honte de mendier, il revient au professorat
(scolarum regimen). Je retournai au métier que je savais, incapable de
travailler avec mes mains, j’en fus réduit à me servir de ma langue.

Recherche et enseignement

Homme de métier, l’intellectuel a conscience de la profession à


assumer. Il reconnaît la liaison nécessaire entre science et enseignement.
Il ne pense plus que la science doit être thésaurisée mais il est persuadé
qu’elle doit être mise en circulation. Les écoles sont des ateliers d’où
s’exportent les idées, comme des marchandises. Sur le chantier urbain, le
professeur côtoie dans un même élan producteur, l’artisan et le marchand.
Abélard rappelle à Héloïse que ce sont les Philistins qui gardent leur
science pour eux et empêchent et eux et les autres d’en profiter. Quant à
nous, retournons à Isaac et creusons avec lui des puits d’eau vive, même si
les Philistins y font obstacle, même s’ils résistent, continuons avec
persévérance à creuser des puits avec lui pour qu’on nous dise à nous
aussi : « Bois l’eau de tes vases et de tes puits » (Prov. V, 15) ; et creusons
tellement que les puits sur nos places publiques débordent d’eaux
surabondantes au point que la science des Écritures ne soit pas limitée à
nous, mais apprenons aux autres à en boire. Générosité de l’intellectuel. Il
sait qu’il est le premier à en profiter. Si j’ai pu écrire ce livre, écrit à un
ami Hermann le Dalmate, c’est parce que j’ai dû soutenir dans les écoles
publiques les assauts insidieux des adversaires.

Les outils
Dans cette grande usine qu’est l’univers, l’intellectuel doit coopérer,
à sa place, avec ses aptitudes propres, au travail créateur qui s’élabore. Il
n’a pas d’ailleurs comme instruments que son esprit, mais aussi ses livres
qui sont ses outils d’ouvrier. Comme on s’éloigne avec eux de
l’enseignement oral du Haut Moyen Âge ! Giraud de Barri déclare :
Aujourd’hui les clercs illettrés sont comme les nobles inhabiles à la
guerre. Ils restent stupides à la vue d’un livre de lecture pour enfants
comme devant un soudain spectacle de théâtre, car ils ignorent que ce sont
là les instruments des clercs, alors que le forgeron sait que les filets sont
les instruments des pêcheurs et que le pêcheur sait que l’enclume et le
marteau sont les instruments du forgeron, aucun d’eux ne pourrait exercer
l’art de l’autre mais chacun sait en nommer les instruments, malgré son
ignorance de leur usage et de leur technique…
À ces artisans de l’esprit entraînés dans l’essor urbain du XIIe siècle,
il reste de s’organiser, au sein du grand mouvement corporatif couronné
par le mouvement communal. Ces corporations de maîtres et d’étudiants,
ce seront, au sens strict du mot, les universités. Ce sera l’œuvre du
XIIIe siècle.
1. Signes traversaux dont on marquait les fautes.
2. C’est-à-dire les sciences.
3. Trad, de O. Dobtache-Rojdesvensky.
4. À ce diable (Teufel)
Le XIIIe siècle
La maturité
et ses problèmes
Albert le Grand par Justus Van Ghent
Profil du x IIIe siecle
Le XIIIe siècle est le siècle des universités parce qu’il est le siècle les
corporations. En chaque ville où existe un métier groupant un nombre
important de membres, ceux-ci s’organisent pour la défense de leurs
intérêts, l’instauration d’un monopole à leur profit. C’est la phase
institutionnelle de l’essor urbain qui matérialise en communes les libertés
politiques conquises, en corporations les positions acquises dans le
domaine économique. Liberté ici est équivoque : indépendance ou
privilège ? On retrouvera cette ambiguïté dans la corporation universitaire.
L’organisation corporative fige déjà ce qu’elle consolide. Conséquence et
sanction d’un progrès, elle trahit un essoufflement, amorce une décadence.
Il en va ainsi pour les universités au XIIIe siècle, en accord avec le
contexte du siècle. L’essor démographique est à son comble, mais se
ralentit ; et la population de la Chrétienté reste bientôt stationnaire. La
grande vague de défrichements qui a conquis les terres nécessaires à la
nourriture de ce surplus humain déferle et s’arrête. L’élan constructeur
élève pour ce peuple chrétien plus nombreux un réseau d’églises neuves,
d’un esprit nouveau, mais l’ère des grandes cathédrales gothiques est clos
avec le siècle. La conjoncture universitaire a même courbe Bologne, Paris,
Oxford ne connaîtront jamais autant de maître et d’étudiants, et la
méthode universitaire — la scolastique — n’élèvera pas de monuments
plus éclatants que les sommes d’Albert le Grand, d’Alexandre de Halès, de
Roger Bacon de saint Bonaventure, de saint Thomas d’Aquin.
L’intellectuel qui a conquis sa place dans la cité s’avère pourtant
incapable, en face des choix qui s’offrent à lui, de choisir les solutions
d’avenir. Dans une série de crises qu’on pourrait croire de croissance, et
qui sont les avertissements de la maturité, il ne sait pas opter pour le
rajeunissement s’installe dans des structures sociales et dans des habitudes
intellectuelles où il s’enlisera.
Les origines des corporations universitaires nous son souvent aussi
obscures que celles des autres corps de métier. Elles s’organisent
lentement, à coup de conquêtes successives au hasard d’incidents qui sont
autant d’occasions. Les statuts ne sanctionnent souvent que tardivement
ces conquêtes. Nous ne sommes pas toujours sûrs que ceux que nous
possédons soient les premiers. À cela rien d’étonnant. Dans les villes où
elles se forment, les universités, par le nombre et la qualité de leurs
membres, manifestent une puissance qui inquiète les autres pouvoirs.
C’est en luttant, tantôt contre les pouvoirs ecclésiastiques, tantôt contre les
pouvoirs laïques qu’elles acquièrent leur autonomie.

Contre les pouvoirs ecclésiastiques

Contre les pouvoirs ecclésiastiques d’abord. Les universitaires sont


des clercs. L’évêque du lieu les réclame pour sujets. L’enseignement est
fonction ecclésiastique. L’évêque chef des écoles, a depuis longtemps
délégué ses pouvoirs en la matière à tel de ses officiers qui s’est appelé en
général écolâtre (scolasticus) au XIIe siècle et qui commence à s’appeler
plutôt chancelier. Celui-ci est rétif à abandonner son monopole. Là où ce
monopole n’est plus absolu, où des abbayes ont acquis une forte position
scolaire, elles constituent d’autres adversaires de la corporation
universitaire. La culture enfin est affaire de foi ; l’évêque revendique d’en
conserver le contrôle.
À Paris le chancelier perd pratiquement en 1213 le privilège de
conférer la licence, c’est-à-dire l’autorisation d’enseigner. Ce droit passe
aux maîtres de l’Université. En 1219 le chancelier, à l’occasion de l’entrée
de membres des ordres mendiants dans l’Université, tente de s’opposer à
cette nouveauté. Il y perd ses dernières prérogatives. En 1301 il cessera
même d’être le chef officiel des écoles. Lors de la grande grève de 1229-
1231 l’Université a été soustraite à la juridiction de l’évêque.
À Oxford l’évêque de Lincoln, éloigné de 120 miles de l’Université,
la préside officiellement par l’intermédiaire de son chancelier, tandis que
l’abbé du monastère d’Oseney et le prieur de S. Frideswide ne gardent plus
que des positions honorifiques. Mais bientôt le chancelier est absorbé par
l’Université, élu par elle, devient son officier au lieu d’être celui de
l’évêque.
À Bologne la situation est plus complexe. L’Église s’était pendant
longtemps désintéressé de l’enseignement du droit, considéré comme
activité séculière. Ce n’est qu’en 1219 que l’Université reçoit comme chef
l’archidiacre de Bologne, qui semble faire fonction de chancelier et
parfois est désigné sous ce nom. Mais son autorité est en fait extérieure à
l’Université. Il se contente de présider les promotions, d’absoudre les
offenses faites à ses membres.

Le pape et l’empereur concédant des privilège à l’Université de Bologne

Contre les pouvoirs laïcs

Contre les pouvoirs laïcs et d’abord contre le pouvoir royal. Les


souverains cherchaient à mettre la main sur des corporations qui
apportaient richesse et prestige à leur royaume, formaient une pépinière où
prendre leurs officiers, leurs fonctionnaires. À ces habitants de leurs états
qu’étaient les universitaires des villes de leur royaume ils voulaient
imposer une autorité que, avec les progrès de la centralisation
monarchique au XIIIe siècle, ils faisaient davantage sentir à leurs sujets.
À Paris l’autonomie de l’Université est définitivement acquise après
les sanglants événements de 1229 qui mettent aux prises les étudiants et la
police royale. Dans une bagarre plusieurs écoliers sont tués par les
sergents royaux. La majeure partie de l’Université fait grève, se retire à
Orléans. Pendant deux ans il n’y a presque plus de cours à Paris. Ce n’est
qu’en 1231 que saint Louis et Blanche de Castille reconnaissent
solennellement l’indépendance de l’Université, renouvellent et étendent
les privilèges que Philippe-Auguste lui avait reconnus en 1200.
À Oxford c’est à la faveur de l’éclipse du pouvoir de Jean sans Terre
excommunié que l’Université obtient ses premières libertés en 1214. Une
série de conflits en 1232, 1238 et 1240 entre les universitaires et le roi se
termine par la capitulation d’Henri III qu’a effrayé le soutien apporté par
une partie de l’Université à Simon de Montfort.
Mais luttes aussi contre le pouvoir communal. Les bourgeois de la
commune s’irritent de voir la population universitaire échapper à leur
juridiction, s’inquiètent du tapage, des rapines, des crimes de certains
étudiants, tolèrent mal que maîtres et étudiants limitent leur puissance
économique en faisant taxer les loyers, en imposant un maximum au prix
des denrées, en faisant respecter la justice dans les transactions
commerciales.
À Paris, c’est à la suite de rixes entre étudiants et bourgeois que la
police royale est brutalement intervenue en 1229. À Oxford, c’est après la
pendaison arbitraire de deux étudiants par les bourgeois exaspérés par le
meurtre d’une femme en 1209 que l’Université fera, en 1214, les premiers
pas vers l’indépendance. À Bologne enfin le conflit entre l’Université et
les bourgeois est d’autant plus violent que la Commune jusqu’en 1278
gouverne la ville pratiquement sans partage, sous la suzeraineté lointaine
de l’Empereur qui en 1158, en la personne de Frédéric Barberousse, avait
accordé des privilèges aux maîtres et étudiants. La Commune avait imposé
aux professeurs la résidence à perpétuité, en avait fait des fonctionnaires,
était intervenue dans la collation des grades. L’institution de l’archidiacre
avait limité son immixtion dans les affaires universitaires. Une série de
conflits suivis de grèves et de départs d’universitaires réfugiés à Vicence,
à Arezzo, à Padoue, à Sienne amena la Commune à composition. La
dernière lutte eut lieu en 1321. L’université n’eut plus à souffrir des
interventions communales.
De ces combats, comment les corporations universitaires étaient-elles
sorties victorieuses ? Par leur cohésion et leur détermination d’abord. En
menaçant d’employer et en utilisant effectivement cette arme redoutable :
la grève et la sécession. Les pouvoirs civils et ecclésiastiques trouvaient
trop d’avantages dans la présence des universitaires qui représentaient une
clientèle économique non négligeable, une pépinière unique de conseillers
et de fonctionnaires, une source éclatante de prestige, pour résister à ces
moyens de défense.

Soutien et main-mise de la papauté

Mais plus encore les universitaires avaient trouvé un allié tout-


puissant : la Papauté.
À Paris c’est Célestin III, en 1194, qui accorde à la corporation ses
premiers privilèges, ce sont surtout Innocent III et Grégoire IX qui
assurent son autonomie. En 1215 le cardinal Robert de Courson, légat
pontifical, donne à l’Université ses premiers statuts officiels. En 1231
Grégoire IX, qui a blâmé l’évêque de Paris pour son incurie et forcé le roi
de France et sa mère à céder, accorde de nouveaux statuts à l’Université
par la fameuse bulle Parens scientiarum dont on a dit qu’elle a été la
Grande Charte de l’Université. Dès 1229 le pontife avait écrit à l’évêque :
Alors qu’un homme savant en théologie est semblable à l’étoile du matin
qui rayonne au milieu du brouillard et doit illuminer sa patrie par la
splendeur des saints et apaiser les discordes, tu ne t’es pas contenté de
négliger ce devoir mais, selon les affirmations de gens dignes de foi, c’est
à cause de tes machinations que le fleuve de l’enseignement des belles-
lettres qui, après la grâce du Saint-Esprit, irrigue et féconde le paradis de
l’Église universelle, est sorti de son lit, c’est-à-dire de la ville de Paris, où
il s’étalait vigoureusement jusqu’alors. Par la suite, divisé en plusieurs
endroits, il a été réduit à rien, de même qu’un fleuve sorti de son lit et
dérivé en plusieurs ruisseaux s’assèche.
Procès intenté par le Pape à un Évêque (miniature du Décret de Gratien).

À Oxford c’est encore un légat d’Innocent III, le cardinal Nicolas de


Tusculum qui procure à l’Université le début de son indépendance. Contre
Henri III c’est Innocent IV qui la place sous la protection de saint Pierre
et du pape et qui charge les évêques de Londres et de Salisbury de la
protéger contre les entreprises royales.
À Bologne c’est Honorius III qui place à la tête de l’Université
l’archidiacre qui la défend contre la Commune. L’Université s’émancipe
définitivement lorsque la ville en 1278 reconnaît le pape comme seigneur
de Bologne.
Événement capital que ce soutien pontifical. Sans doute le Saint-
Siège reconnaît l’importance et la valeur de l’activité intellectuelle ; mais
ses interventions ne sont pas désintéressées. S’il soustrait les
universitaires aux juridictions laïques, c’est pour les placer sous la
juridiction de l’Église : ainsi, pour acquérir cet appui décisif, les
intellectuels se trouvent forcés de choisir la voie de l’appartenance
ecclésiastique, au rebours du fort courant qui les pousse vers la laïcité. Si
le pape enlève les universitaires au contrôle local de l’Église — et pas tout
à fait pourtant, puisqu’on verra l’importance, au cours du siècle, des
condamnations épiscopales dans le domaine intellectuel — c’est pour les
soumettre au Saint-Siège, les intégrer à sa politique, lui imposer son
contrôle et ses fins.
Par là, les intellectuels se trouvent soumis, comme les ordres
nouveaux, au siège apostolique qui les favorise pour les domestiquer. On
sait comment cette protection pontificale a détourné au cours du
XIIIe siècle les ordres mendiants de leur caractère et de leurs buts
primitifs. On sait, notamment, les réticences et la retraite douloureuse de
saint François d’Assise en face de cette déviation de son Ordre, engagé
désormais dans les intrigues temporelles, dans la répression par la force de
l’hérésie, dans la politique romaine. C’en est fait aussi, pour les
intellectuels, de l’indépendance, de l’esprit désintéressé des études et de
l’enseignement. Sans aller jusqu’au cas extrême de l’Université de
Toulouse, fondée en 1229, à la requête expresse des papes, pour lutter
contre l’hérésie, toutes les universités désormais subissent cette captation.
Sans doute elles y gagnent l’indépendance à l’égard de forces locales
souvent plus tyranniques, l’élargissement aux dimensions de la Chrétienté
tout entière de leurs horizons et de leur rayonnement, la sujétion à un
pouvoir qui sut en maintes occasions faire preuve de largeur de vues. Mais
elles paient cher ces conquêtes. Les intellectuels d’Occident sont, dans une
certaine mesure, mais à coup sûr, devenus des agents pontificaux.

Contradictions internes de la corporation universitaire


Il faut voir dès maintenant ce qu’il y a d’exceptionnel dans la
corporation universitaire, et qui explique son ambiguïté fondamentale
dans la société, la voue à des crises de structure.
Elle est, d’abord, une corporation ecclésiastique. Même si ses
membres sont loin d’avoir tous reçus les ordres, même si, de plus en plus,
elle comptera dans ses rangs de purs laïcs, les universitaires passent tous
pour des clercs, relèvent de juridictions ecclésiastiques, mieux même : de
Rome. Nés d’un mouvement qui allait à la laïcité, ils sont d’Église, même
quand ils cherchent, institutionnellement, à en sortir.
Corporation dont le but est le monopole local et qui bénéficie
largement des essors nationaux ou locaux, (l’Université de Paris est
inséparable de la croissance de la puissance capétienne, celle d’Oxford est
liée au renforcement de la monarchie anglaise, celle de Bologne profite de
la vitalité des communes italiennes) elle est, de façon unique,
internationale, dans ses membres — maîtres et étudiants venus de tous
pays — dans la matière de son activité — la science qui ne connaît pas de
frontières — dans ses horizons, que sanctionne la licentia ubique docendi,
le droit d’enseigner partout dont bénéficient statutairement les gradués des
plus grandes universités. Elle n’a pas, comme les autres corporations, de
monopole sur le marché local. Son aire, c’est la Chrétienté.
Par là, déjà, elle déborde le cadre urbain où elle est née. Mieux,
même, elle est conduite à s’opposer — violemment parfois — aux
citadins, tant sur le plan économique, que sur le plan juridictionnel et
politique.
Elle semble ainsi condamnée à chevaucher les classes et les groupes
sociaux. Elle semble promise, à l’égard de tous, à une suite de trahisons.
Pour l’Église, pour l’État, pour la Cité, elle peut être un cheval de Troie.
Elle est inclassable.
La ville de Paris, écrit à la fin du siècle le dominicain Thomas
d’Irlande, est, comme Athènes, divisée en trois parties : l’une celle des
marchands, des artisans et du populaire, qu’on appelle la grande ville ;
l’autre, celle des nobles hommes, où est la cour du roi et l’église
cathédrale, qu’on appelle la Cité ; la troisième, celle des étudiants et des
collèges, qu’on appelle l’Université.
La Sorbonne et ses environs (plan de Bâle).

Organisation de la corporation universitaire

La corporation universitaire parisienne peut être prise pour type. Au


cours du XIIIe siècle elle définit à la fois son organisation administrative
et son organisation professionnelle. Elle se compose de 4 Facultés (Arts,
Décret ou Droit Canon — le pape Honorius III lui a interdit
l’enseignement du Droit Civil en 1219 — Médecine, et Théologie) qui
forment autant de corporations à l’intérieur de l’université. Les Facultés
dites supérieures : Décret, Médecine et Théologie, sont dirigées par les
maîtres titulaires ou régents avec à leur tête un doyen. La Faculté des Arts,
de loin la plus nombreuse, est fondée sur le système des nations. Maîtres
et étudiants s’y groupent suivant une répartition correspondant très
grossièrement à leur lieu d’origine. Paris a quatre nations : la française, la
picarde, la normande, l’anglaise. À la tête de chaque nation il y a un
procureur, élu par les régents. Les quatre procureurs assistent le recteur,
tête de la Faculté des Arts.
L’Université possède pourtant des organismes communs aux quatre
Facultés. Ceux-ci restent toutefois assez lâches car les Facultés ont peu de
problèmes en commun à débattre. Il n’y a pas de terrains ou de bâtiments
relevant de l’ensemble de la corporation, à l’exception du terrain de jeux
du Préaux-clercs à l’extérieur des murs. L’Université, à l’image des
Facultés et des nations, se réunit dans des églises ou dans des couvents où
elle est accueillie en hôte : à Saint-Julien-le-Pauvre, chez les Dominicains
ou les Franciscains, dans la salle capitulaire des Bernardins ou des
Cisterciens, plus souvent dans le réfectoire des Mathurins. C’est là que se
réunit l’assemblée générale de l’Université composée des maîtres régents
et non-régents.
Au cours du siècle enfin un chef de l’Université émerge : le recteur
de la Faculté des Arts. On reviendra sur l’évolution qui fait de cette
Faculté le leader de l’Université. Elle doit cette prééminence au nombre
de ses membres, à l’esprit qui l’anime, plus encore à son rôle financier. Le
recteur des artistes, qui dispose des finances de l’Université, préside
l’assemblée générale. À la fin du siècle il est la tête reconnue de la
corporation. Il a définitivement conquis cette position au cours des luttes
entre séculiers et réguliers dont on parlera plus loin. Son autorité sera
pourtant toujours limitée dans le temps. Bien que rééligible, il ne tient ses
fonctions que pour un trimestre.
On retrouve, avec des variantes souvent considérables, cette
organisation dans les autres universités. À Oxford il n’y a pas de recteur
unique. Le chef de l’Université c’est le chancelier, choisi d’ailleurs
bientôt, comme on a vu, par ses collègues. Dès 1274 le système des
nations disparaît à Oxford. Sans doute le caractère éminemment régional
du recrutement l’explique. Désormais Septentrionaux ou Boreales —
incluant les Écossais — et Méridionaux ou Australes — Gallois et
Irlandais compris — ne forment plus de corps distincts.
À Bologne première originalité : les professeurs ne font pas partie de
l’Université. La corporation universitaire ne groupe que les étudiants. Les
maîtres forment le collège des Docteurs. À vrai dire Bologne comprend
plusieurs universités. Chaque faculté forme une corporation à part. Mais la
prépondérance des deux universités de juristes — la civile et la canonique
— est presque totale. Elle se renforce au cours du siècle du fait que la
fusion entre les deux organismes est pratiquement réalisée. Un seul recteur
est le plus souvent à la tête de l’institution. Comme à Paris il est
l’émanation des nations dont le système est à Bologne très vivace et très
complexe. Les nations sont groupées en deux fédérations, celle des
Citramontains et celle des Ultramontains. Chacune de celles-ci est divisée
en de nombreuses sections au nombre variable — jusqu’à seize pour les
Ultramontains, représentées par des conseillers (consiliarii) qui jouent
auprès du recteur un rôle considérable.
La puissance de la corporation universitaire s’appuie sur trois
privilèges essentiels : l’autonomie juridictionnelle — dans le cadre de
l’Église, avec certaines restrictions locales, et pouvoir d’appel au pape —,
le droit de grève et de sécession, le monopole de collation des grades
universitaires.

Organisation des études

Les statuts universitaires règlent ensuite l’organisation des études. Ils


définissent la durée des études, les programmes de cours, les conditions
d’examens.
Les indications concernant l’âge des étudiants et la durée des études
sont malheureusement imprécises et souvent contradictoires. Elles ont
varié suivant les moments et les lieux et des allusions éparses nous font
pressentir que la pratique s’éloignait fort parfois de la théorie.
Et d’abord à quel âge entrait-on à l’université et avec quel bagage ?
Très jeune sans doute mais ici se pose le problème : les écoles de
grammaire faisaient-elles ou non partie de l’université, l’enseignement de
l’écriture par exemple était-il donné avant l’entrée à l’université ou,
comme le prétend Istvan Hajnal, était-il une de ses fonctions essentielles ?
Un fait est certain c’est que le Moyen Âge a mal distingué les ordres
d’enseignement : les universités médiévales ne sont pas seulement
établissements d’enseignement supérieur. Nos enseignements primaire et
secondaire s’y donnaient partiellement ou étaient contrôlés par elle. Le
système des collèges — dont on parlera plus loin — accrut encore cette
confusion en dispensant dès l’âge de 8 ans l’enseignement à ses membres.
On peut dire qu’en gros l’enseignement de base des universités —
celui des arts — durait 6 ans et était dispensé entre 14 et 20 ans ; c’est ce
que prescrivaient à Paris les statuts de Robert de Courson. Il comprenait
deux étapes : le baccalauréat au bout de 2 ans environ, le doctorat en fin
d’études. Médecine et Droit s’enseignaient sans doute ensuite entre 20 et
25 ans. Les premiers statuts de la Faculté de Médecine de Paris prescrivent
6 ans d’études pour l’obtention de la licence ou doctorat en médecine —
une fois obtenue la maîtrise-ès-arts. La théologie enfin était œuvre de
longue haleine. Les statuts de Robert de Courson ordonnent 8 ans d’étude
et l’âge minimum de 35 ans pour l’obtention du doctorat. De fait la durée
de l’apprentissage du théologien semble bien avoir été de 15 à 16 ans :
simple auditeur pendant les six premières années, il devait ensuite
accomplir des stages : expliquer notamment la Bible pendant 4 ans, les
Sentences de Pierre Lombard pendant 2 ans.

Programmes

L’enseignement consistant essentiellement en un commentaire de


textes, les statuts mentionnent aussi les ouvrages au programme des
exercices universitaires. Ici encore les auteurs varient suivant les dates et
les lieux. À la Faculté des Arts, logique et dialectique l’emportent, du
moins à Paris où presque tout Aristote est commenté alors que Bologne
n’en explique que des extraits mais insiste sur la rhétorique avec le De
Inventione de Cicéron et la Rhétorique à Herennius et sur les sciences
mathématiques et astronomiques avec notamment Euclide et Ptolémée.
Chez les décrétistes, le Décret de Gratien est le manuel de base. Les
Bolonais y ajouteront les Décrétales de Grégoire IX, les Clémentines et les
Extravagantes. Pour le droit civil les commentaires portaient sur les
Pandectes divisés en trois parties : Digestum Vetus, Infortiatum et
Digestum Novum, sur le Code et sur une collection de traités appelée
Volumen ou Volumen Parvum et qui comprenait les Institutiones et les
Authentica, c’est-à-dire la traduction latine des novelles de Justinien.
Bologne y ajoutait un recueil de lois lombard : le Liber Feudorum. La
Faculté de Médecine s’appuyait sur l’Ars Medecinæ, recueil de textes
réunis au XIe siècle par Constantin l’Africain et comprenant des œuvres
d’Hippocrate et de Galien, à quoi vinrent s’ajouter plus tard les grandes
sommes arabes : le Canon d’Avicenne, le Colliget ou Correctorium
d’Averroès, l’Almansor de Rhazès. Les théologiens ajoutaient à la Bible
comme textes fondamentaux le Livre des Sentences de Pierre Lombard et
l’Historia Scholastica de Pierre le Mangeur.

Examens

Enfin étaient réglementés les examens et l’obtention des grades. Ici


encore chaque université avait ses usages, et les modifia avec le temps.
Voici deux curriculum scolaires types : celui du juriste bolonais et celui de
l’artiste parisien. Le nouveau docteur bolonais obtenait son grade en deux
étapes : l’examen proprement dit (examen ou examen privatum) et
l’examen public (conventus, conventus publicus, doctoratus) qui était
plutôt une cérémonie d’investiture.
Quelque temps avant l’examen privé le candidat était présenté par le
consiliarius de sa nation au recteur à qui il jurait qu’il remplissait les
conditions exigées par les statuts et qu’il ne chercherait pas à corrompre
ses examinateurs. Dans la semaine précédant l’examen un des maîtres le
présentait à l’archidiacre en répondant de sa capacité à affronter l’épreuve.
Le matin de celle-ci, après l’audition de la Messe du Saint-Esprit, le
candidat comparaissait devant le collège des docteurs dont l’un lui donnait
deux passages à commenter. Il se retirait chez lui pour préparer ce
commentaire qu’il faisait le soir dans un lieu public (la cathédrale le plus
souvent), devant un jury de docteurs, en présence de l’archidiacre qui ne
pouvait intervenir. Après le commentaire exigé, il répondait aux questions
des docteurs qui se retiraient ensuite et votaient. La décision étant obtenue
à la majorité, l’archidiacre proclamait le résultat.
Reçu à l’examen, le candidat devenait licencié mais ne prenait le titre
de docteur et ne pouvait effectivement enseigner magistralement qu’après
l’examen public. Conduit avec pompe à la cathédrale, le licencié y faisait
ce jour-là un discours et lisait une thèse sur un point de droit qu’il
défendait ensuite contre les étudiants qui l’attaquaient, jouant ainsi pour la
première fois le rôle du maître dans une dispute universitaire.
L’archidiacre lui délivrait alors solennellement la licence d’enseigner et
on lui remettait les insignes de sa fonction : une chaire, un livre ouvert, un
anneau d’or, la toque ou béret.
Un degré préliminaire était imposé au jeune artiste parisien. Sans
qu’on puisse l’affirmer avec certitude, il est probable que c’est à la suite
de ce premier examen : la determinatio que l’étudiant devenait bachelier.
La determinatio était précédée de deux épreuves préalables. Tout d’abord,
le candidat devait soutenir un débat avec un maître au cours des
responsiones qui se déroulaient pendant le mois de décembre précédant le
Carême pendant lequel aurait lieu l’examen. S’il avait subi l’épreuve avec
succès, il était admis à l’examen determinantium ou baccalariandorum, où
il devait prouver qu’il avait satisfait aux prescriptions des statuts et
manifester, par ses réponses aux questions d’un jury de maîtres, qu’il
connaissait les auteurs inscrits à son programme. Ce pas franchi, la
determinatio intervenait : pendant le Carême, il donnait une série de cours
où il devait montrer sa capacité à poursuivre la carrière universitaire.
Seconde étape : l’examen proprement dit qui conduisait à la licence
et au doctorat. Ici encore plusieurs phases. La plus importante consistait
en une série de commentaires et de réponses à des questions faites devant
un jury de quatre maîtres présidé par le Chancelier ou le vice-Chancelier.
Le candidat admis recevait solennellement quelques jours plus tard la
licence des mains du chancelier au cours d’une cérémonie où il devait
donner une conférence (collatio) qui n’était qu’une formalité. C’est
environ six mois plus tard qu’il devenait effectivement docteur au cours
de l’inceptio correspondant au conventus bolonais. La veille il prenait part
à une discussion solennelle appelée ses vêpres. Le jour de l’inceptio il
donnait sa leçon inaugurale en présence de la faculté et recevait les
insignes de son grade.
Les statuts universitaires comprenaient enfin toute une série de
dispositions qui, à l’exemple des autres corporations, définissaient le
climat moral et religieux de la corporation universitaire.

Climat moral et religieux

Ils prescrivaient — en même temps qu’ils limitaient — les fêtes et


divertissements collectifs. Les examens étaient en effet assortis de
cadeaux, de réjouissances et de banquets — aux frais du nouveau gradé —
qui scellaient la communion spirituelle du groupe et l’admission du
nouveau en son sein. Comme les beuveries, les potaciones des premières
guildes, ces manifestations étaient le rite où la corporation prenait
conscience de sa solidarité profonde. La tribu intellectuelle se révélait à
ces jeux où chaque pays apportait parfois sa note traditionnelle : bals en
Italie, courses de taureaux en Espagne.
Ajoutons-y ces rites d’initiation non officialisés par les statuts, qui
accueillaient à son arrivée à l’université le nouvel étudiant : le conscrit, le
bizuth, que nos textes appellent béjaune. Nous les connaissons par un
curieux document d’époque postérieure, le Manuale Scolarium de la fin du
XVe siècle où nous pouvons discerner les origines lointaines de ces
coutumes estudiantines. L’initiation du nouveau est décrite comme une
cérémonie de « purgation » destinée à dépouiller l’adolescent de sa
rusticité, voire de sa bestialité primitives. On se moque de son odeur de
bête fauve, de son regard égaré, de ses longues oreilles, de ses dents
semblables à des défenses. On le débarrasse de cornes et d’excroissances
supposées. On le lave, on lui lime les dents. Dans une parodie de
confession il avoue enfin des vices extraordinaires. Ainsi le futur
intellectuel abandonne sa condition originelle qui ressemble fort aux
images du paysan, du rustre dans la littérature satirique de l’époque. De la
bestialité à l’humanité, de la rusticité à l’urbanité, ces cérémonies où
apparaît, dégradé et à peu près vidé de son contenu originel le vieux fonds
primitif, rappellent que l’intellectuel a été arraché au climat rural, à la
civilisation agraire, au monde sauvage de la terre. L’anthropologue aurait
son mot à dire dans la psychanalyse des clercs.

La piété universitaire

Les statuts déterminent enfin les œuvres pieuses, les actes de


bienfaisance que la corporation universitaire aura à accomplir. Ils
requièrent de ses membres l’assistance à certains offices religieux, à
certaines processions, l’entretien de certaines dévotions.
Au premier rang sans doute la piété à l’égard des saints patrons et
d’abord à l’égard de saint Nicolas, patron des étudiants, des saints Côme et
Damien, patrons des médecins, et de bien d’autres. On retrouve avec une
singulière insistance dans l’imagerie universitaire la tendance corporative
à mêler intimement le monde sacré au monde profane des métiers. Elle
aime à rappeler Jésus au milieu des docteurs, à représenter les saints
munis des attributs des maîtres, à les vêtir des habits magistraux.
La piété universitaire s’inscrit dans les grands courants de la
spiritualité. On voit dans les statuts d’un collège parisien du XIVe siècle,
celui de l’Ave Maria, la part prise par les maîtres et les étudiants à la
dévotion eucharistique en plein essor, à la procession du Corpus Christi.
On retrouve dans la religion des intellectuels cette tendance de la
spiritualité à partir du XIIIe siècle à s’inscrire dans les cadres
professionnels de la société que le monde urbain définit. La morale
professionnelle devient un des secteurs privilégiés de la religion. Les
manuels de confesseurs, soucieux de s’adapter aux activités spécifiques
des groupes sociaux, réglementent la confession et la pénitence selon les
catégories professionnelles, classe et définit les péchés des paysans, des
marchands, des artisans, des juges, etc. Ils accordent une attention spéciale
aux péchés des intellectuels, des universitaires.

Rutebeuf priant la Vierge


Mais la religion des clercs ne se contente pas de suivre les courants
de la dévotion. Elle cherche parfois à les orienter, ou à définir parmi eux
un secteur qui lui serait propre. Il serait instructif d’étudier à cet égard la
piété mariale parmi les intellectuels. Elle y est fort vive. Dans les milieux
universitaires circulaient dès le début du XIIIe siècle des poèmes et des
prières dédiés spécialement à la Vierge dont le recueil Stella Maris, dû au
maître parisien Jean de Garlande, est le plus célèbre. Rien d’étonnant dans
cette piété qui apporte une présence féminine dans un milieu qui, malgré
l’héritage des Goliards, est essentiellement un milieu d’hommes et de
célibataires. Mais la piété mariale des intellectuels a ses caractères
propres. Elle reste toujours imprégnée de théologie, et les discussions sur
l’Immaculée Conception y seront passionnées. Si un Duns Scot s’en fera le
champion enflammé, elle rencontrera l’opposition pour des motifs
dogmatiques d’un saint Thomas d’Aquin qui suivra ici d’ailleurs la
position du grand dévot à la Vierge qu’a été, au siècle précédent, saint
Bernard. Il semble surtout que les intellectuels soient soucieux de
conserver au culte marial des résonances intellectuelles. Ils paraissent
désireux d’éviter qu’il ne tombe dans une piété trop affective et veulent y
maintenir l’équilibre entre les aspirations de l’esprit et les élans du cœur.
Dans la préface du Stella Maris Jean de Garlande trahit naïvement cette
tendance. « J’ai rassemblé, dit-il, des miracles de la Vierge extraits de
récits que j’ai trouvés dans la librairie de Sainte-Geneviève de Paris et je
les ai mis en vers pour mes étudiants de Paris afin de leur fournir un
exemple vivant… La cause matérielle de ce livre ce sont les miracles de la
Vierge glorieuse. Mais j’y ai inséré des faits qui intéressent la physique,
l’astronomie et la théologie… La cause finale réside en effet dans la foi
permanente au Christ. Aussi suppose-t-elle la théologie et même la
physique et l’astronomie. » On le voit, cette Étoile de la Mer, les
universitaires voulaient qu’elle fût aussi lumière de science.

L’outillage

Homme de métier, le membre de la corporation universitaire est muni


au XIIIe siècle d’un outillage complet. Écrivain, lecteur, professeur, il
s’entoure des instruments exigés par ses activités. Nous lisons dans le
Dictionnaire du maître parisien Jean de Garlande : « Voici les instruments
nécessaires aux clercs : des livres, un pupitre, une lampe de nuit avec du
suif et un chandelier, une lanterne, et un entonnoir avec de l’encre, une
plume, un fil à plomb et une règle, une table, et une férule, une chaire, un
tableau noir, une pierre ponce avec un grattoir et de la craie. Le pupitre
(pulpitum) se dit en français lutrin (letrum) ; il faut remarquer que le
pupitre est muni d’une graduation de crans qui permettent de le hausser à
la hauteur où on lit, car le lutrin est ce sur quoi on pose le livre. On
appelle grattoir (plana) un instrument en fer avec quoi les parcheminiers
préparent le parchemin. »

On a même découvert d’autres instruments qui, s’ils ne sont pas ceux


que tout clerc emploie, font partie de l’outillage de ses auxiliaires, les
copistes par exemple : notamment, une queue de parchemin et une roulette
permettant de retrouver l’endroit où l’on en était resté dans la copie.

Spécialiste, l’intellectuel s’encombre de tout un bagage qui l’éloigne


bien du clerc du Haut Moyen Âge dont l’enseignement essentiellement
oral ne nécessitait qu’un attirail très réduit pour l’écriture de rares
manuscrits, dont la technique relevait d’abord de soucis esthétiques.
Si les exercices oraux demeurent essentiels dans la vie universitaire,
le livre est devenu la base de l’enseignement. On comprend, à voir le
bagage dont s’entoure désormais l’intellectuel, qu’un saint François
d’Assise, apôtre du dépouillement, soit, entre autres raisons, hostile à cette
activité où l’équipement matériel devient nécessaire et de plus en plus
envahissant.

Le livre comme instrument

Le livre universitaire est un objet tout différent du livre du Haut


Moyen Âge. Il se rattache à un contexte technique, social et économique
tout nouveau. Il est l’expression d’une autre civilisation. L’écriture elle-
même change et s’adapte aux conditions nouvelles, comme l’a bien vu
Henri Pirenne : « La cursive répond à une civilisation où l’écriture est
indispensable à la vie de la collectivité aussi bien qu’à celle des
individus ; la minuscule (de l’époque carolingienne) est une calligraphie
appropriée à la classe lettrée au sein de laquelle l’instruction se confine
et se perpétue. Il est hautement significatif de constater que la cursive
reparaîtra à côté d’elle dans la première moitié du XIIIe siècle, c’est-à-
dire précisément à l’époque où le progrès social et le développement de
l’économie et de la culture laïques, généraliseront de nouveau le besoin de
l’écriture. » Les beaux travaux du Père Destrez1 ont montré dans toute leur
portée la révolution qui s’opère au XIIIe siècle dans la technique du livre
et dont l’atelier universitaire est le théâtre.
Non seulement les auteurs au programme devaient être lus par les
maîtres et les étudiants mais les cours des professeurs devaient être
conservés. Les étudiants les prenaient en note (relationes) et nous en
possédons un certain nombre. Mieux encore ces cours étaient publiés et
devaient l’être rapidement pour qu’ils pussent être consultés au moment
des examens, en même temps qu’ils devaient être produits à un certain
nombre d’exemplaires. La base de ce travail c’est la pecia. Lisons la
description du Père Destrez : « Une première copie officielle de l’ouvrage
que l’on veut mettre en circulation est faite sur des cahiers de quatre
folios, laissés indépendants les uns des autres. Chacun de ces cahiers, fait
d’une peau de mouton pliée en quatre, porte le nom de pièce : pecia. Grâce
à ces pièces, que les copistes empruntent l’une après l’autre, et dont la
réunion constitue ce que l’on appelle l’exemplar, l’espace de temps qui
eût été nécessaire à un seul copiste pour faire une seule copie, devient
suffisant, dans le cas d’un ouvrage qui comprend une soixantaine de
pièces, pour qu’une quarantaine de scribes puissent opérer chacun leur
transcription sur un texte corrigé sous le contrôle de l’Université et
devenu en quelque sorte texte officiel. »
Cette publication du texte officiel des cours a eu dans les universités
une importance capitale. Les statuts de l’Université de Padoue déclarent
en 1264 : sans exemplaires il n’y aurait pas d’Université.
L’intensification de l’usage du livre par les universitaires entraîne
toute une série de conséquences. Des progrès réalisés dans la confection
du parchemin permettent d’obtenir des feuilles moins épaisses, plus
souples et moins jaunes que celles des manuscrits antérieurs. En Italie où
la technique est plus avancée les feuilles sont très minces et d’une
blancheur éclatante.
Le format du livre change. Auparavant il était sensiblement celui de
nos in-folios. C’est une dimension qui ne peut convenir qu’à des
manuscrits écrits dans des abbayes et qui doivent y rester. Désormais le
livre est souvent consulté, transporté d’un endroit à un autre. Son format
devient plus petit, plus maniable.
La minuscule gothique, plus rapide, remplace l’ancienne lettre. Elle
varie avec les centres universitaires ; il y a la parisienne, l’anglaise, la
bolonaise. Elle correspond à un progrès technique elle aussi : l’abandon du
roseau pour la plume d’oiseau, d’oie en général, qui permet « plus
d’aisance et de rapidité dans le travail ».
L’ornementation des livres diminue : lettrines et miniatures se font
en série. Si les manuscrits de droit demeurent souvent luxueux, les juristes
appartenant en général à une classe riche, les livres des philosophes et des
théologiens, le plus souvent pauvres, n’ont qu’exceptionnellement des
miniatures. Souvent le copiste a laissé en blanc la place des lettrines et des
miniatures pour qu’un acheteur modeste pût acheter le manuscrit tel quel
tandis qu’un client plus riche faisait peindre les espaces ménagés.
À ces détails significatifs joignons l’abondance croissante des
abréviations — il faut produire vite —, les progrès du foliotage, de la
rubrication, des tables des matières, la présence parfois d’une liste
d’abréviations, le recours, chaque fois qu’il est possible, à l’ordre
alphabétique dans la présentation. Tout est mis en œuvre pour faciliter la
consultation rapide. Le développement du métier intellectuel a produit
l’ère des manuels — du livre maniable et qu’on manie. Témoignage
éclatant de l’accélération de la vitesse de circulation de la culture écrite et
de sa diffusion. Une première révolution est faite : le livre n’est plus objet
de luxe, il est devenu instrument. C’est une naissance, plus qu’une
renaissance, en attendant l’imprimerie.
Instrument, le livre est devenu produit industriel et objet commercial.
À l’ombre des universités se développe tout un peuple de copistes — ce
sont souvent des étudiants pauvres qui y gagnent leur subsistance — et de
libraires (stationarii). Indispensables au chantier universitaire ils s’y font
admettre comme ouvriers de plein droit. Ils obtiennent de bénéficier des
privilèges des universitaires, relèvent de la juridiction de l’université. Ils
gonflent les effectifs de la corporation, l’accroissent de toute une marge
d’artisans auxilaires. L’industrie intellectuelle a ses industries annexes et
dérivées. Certains de ces producteurs et commerçants sont déjà de grands
personnages. À côté « des artisans dont l’activité se réduisait à la revente
de quelques ouvrages d’occasion » d’autres « l’élargissaient jusqu’au rôle
d’éditeur international ».

La méthode : la scolastique

Avec son outillage, le technicien intellectuel a sa méthode, la


scolastique. D’illustres savants, au premier rang desquels Mgr Grabmann,
en ont raconté la constitution et l’histoire. Le Père Chenu dans son
Introduction à l’Étude de saint Thomas d’Aquin en a donné un lumineux
exposé. De cette scolastique, victime de dénigrements séculaires et qu’il
est si difficile de pénétrer sans apprentissage tant son aspect technique
rebute, essayons de dégager la figure et la portée. Le mot du Père Chenu
doit nous servir de fil conducteur : Penser est un métier dont les lois sont
minutieusement fixées.

Vocabulaire

Lois du langage d’abord. Si les fameuses controverses entre réalistes


et nominalistes ont empli la pensée médiévale c’est que les intellectuels
de l’époque accordaient aux mots un juste pouvoir et se préoccupaient
d’en définir le contenu. Il est essentiel pour eux de savoir quels rapports
existent entre le mot, le concept, l’être. Rien de plus opposé que ce souci
au verbalisme dont on a accusé la scolastique et où elle est d’ailleurs
tombée parfois au XIIIe siècle et souvent ensuite. Les penseurs et les
professeurs du Moyen Âge veulent savoir de quoi ils parlent. La
scolastique est à base de grammaire. Les scolastiques sont les héritiers de
Bernard de Chartres et d’Abélard.

Dialectique

Lois de la démonstration ensuite. Le deuxième étage de la scolastique


c’est la dialectique, ensemble de procédés qui font de l’objet du savoir un
problème, qui l’exposent, le défendent contre les attaquants, le dénouent et
convainquent l’auditeur ou le lecteur. Le danger ici c’est le raisonnement à
vide — non plus le verbalisme, mais le verbiage. À la dialectique il faut
donner un contenu non seulement de mots mais de pensée efficace. Les
universitaires sont les descendants de Jean de Salisbury qui disait : La
logique, à elle seule, demeure exsangue et stérile ; elle ne porte aucun
fruit de pensée, si elle ne conçoit pas par ailleurs.

Autorité
La scolastique se nourrit de textes. Elle est méthode d’autorité, elle
prend appui sur le double apport des civilisations précédentes : le
Christianisme et la pensée antique enrichie comme on a vu par le détour
arabe. Elle est le fruit d’un moment, d’une renaissance. Elle digère le
passé de la civilisation occidentale. La Bible, les Pères, Platon, Aristote,
les Arabes, ce sont les données du savoir, les matériaux de l’œuvre. Le
danger ici c’est la répétition, le psittacisme, l’imitation servile. Les
scolastiques ont hérité des intellectuels du XIIe siècle le sens aigu du
progrès nécessaire et inéluctable de l’histoire et de la pensée. Avec les
matériaux, ils construisent leur œuvre. Aux fondations ils ajoutent des
étages neufs, des édifices originaux. Ils sont de la lignée de Bernard de
Chartres, montés sur les épaules des Anciens pour voir plus loin. Jamais,
dit Gilbert de Tournai, nous ne trouverons la vérité, si nous nous
contentons de ce qui est déjà trouvé… Ceux qui écrivirent avant nous ne
sont pas pour nous des seigneurs mais des guides. La vérité est ouverte à
tous, elle n’a pas encore été possédée tout entière. Admirable élan de
l’optimisme intellectuel, à l’opposé du triste Tout est dit et l’on vient trop
tard…
La Philosophie entourée
d’Aristote, Platon, Socrate et Sénèque.

Raison : la théologie comme science

C’est qu’aux lois de l’imitation la scolastique unit les lois de la


raison, aux prescriptions de l’autorité les arguments de la science. Mieux
même, et c’est un progrès décisif du siècle, la théologie fait appel à la
raison, elle devient une science. Les scolastiques développent l’invitation
implicite de l’Écriture qui incite le croyant à rendre raison de sa foi :
Soyez toujours prêt à satisfaire à quiconque vous interrogera, à donner
raison de ce qui est en vous par la foi et l’espérance (I P. tr., 3, 15). Ils
répondent à l’appel de saint Paul pour qui la foi est l’argument des choses
invisibles (argumentum non apparentium) (Heb. XI, I). Après Guillaume
d’Auvergne, initiateur en ce domaine, et jusqu’à saint Thomas qui fera de
la science théologique le plus sûr exposé, les scolastiques recourront à la
raison théologique, raison illuminée par la foi (ratio fide illustrata). La
formule profonde de saint Anselme fides qucerens intellectus, la foi en
quête de l’intelligence se trouvera éclairée quand saint Thomas aura posé
en principe : la grâce ne fait pas disparaître la nature mais l’achève
(gratia non tollit naturam sed perficit).
Rien de moins obscurantiste que la scolastique pour qui la raison
s’achève en intelligence, dont les éclairs se parfont en lumière.
Ainsi fondée la scolastique se construit dans le travail universitaire,
avec ses procédés propres d’exposition.

Les exercices : quæstio, disputatio, quodlibet

À la base le commentaire de texte, la lectio, analyse en profondeur


qui part de l’analyse grammaticale qui donne la lettre (littera), s’élève à
l’explication logique qui fournit le sens (sensus) et s’achève en exégèse
qui révèle le contenu de science et de pensée (sententia).
Mais le commentaire donne naissance à la discussion. La dialectique
permet de dépasser la compréhension du texte pour traiter les problèmes
qu’il soulève, le fait s’effacer devant la quête de la vérité. Toute une
problématique remplace l’exégèse. Selon des procédés appropriés la lectio
se développe en qucestio. L’intellectuel universitaire naît à partir du
moment où il « met en question » le texte qui n’est plus qu’un support, où
de passif il devient actif. Le maître n’est plus un exégète mais un penseur.
Il donne ses solutions, il crée. Sa conclusion de la quæstio : la
determinatio, est l’œuvre de sa pensée.
La quæstio, au XIIIe siècle, se détache même de tout texte. Elle existe
en elle-même. Avec la participation active des maîtres et des étudiants elle
fait l’objet d’une discussion, elle est devenue la disputatio.
Le Père Mandonnet2 en a donné une description classique : Quand un
maître disputait, toutes les leçons données dans la matinée par les autres
maîtres et les bacheliers de la faculté cessaient, seul le maître qui tenait
sa dispute faisait une courte leçon pour permettre aux assistants
d’arriver ; puis la dispute commençait. Elle occupait une partie plus ou
moins considérable de la matinée. Tous les bacheliers de la faculté et les
étudiants du maître qui disputait devaient assister à l’exercice. Les autres
maîtres et étudiants, semble-t-il, étaient libres ; mais il n’est pas douteux
qu’ils s’y rendaient plus ou moins nombreux selon la réputation du maître
et l’objet de la discussion. Le clergé parisien ainsi que les prélats et
autres personnalités ecclésiastiques de passage dans la capitale
fréquentaient volontiers ces joutes qui passionnaient les esprits. La
dispute était le tournoi des clercs.
La question à disputer était fixée, à l’avance, par le maître qui devait
soutenir la dispute. Elle était annoncée, ainsi que le jour fixé, dans les
autres écoles de la faculté…
La dispute se tenait sous la direction du maître ; mais ce n’était pas
lui, à proprement parler, qui disputait. C’était son bachelier qui assumait
l’office de répondant et commençait ainsi son apprentissage de ces
exercices. Les objections étaient présentées, d’ordinaire, dans des sens
divers, d’abord par les maîtres présents, puis par les bacheliers, et
finalement, s’il y avait lieu, par les étudiants. Le bachelier répondait aux
arguments proposés, et, quand il était nécessaire, le maître lui prêtait son
concours. Telle était, sommairement, la physionomie d’une dispute
ordinaire ; mais ce n’en était là que la première partie, bien que la
principale et la plus mouvementée.
Les objections proposées et résolues, au cours de la dispute, sans
ordre préétabli, présentaient finalement une matière doctrinale assez
désordonnée, moins semblable cependant aux débris d’un champ de
bataille qu’aux matériaux demi-ouvrés d’un chantier de construction.
C’est pourquoi à cette séance d’élaboration en succédait une seconde, qui
portait le nom de détermination magistrale.
Le premier jour lisible, comme on disait alors, c’est-à-dire le premier
jour où le maître qui avait disputé pouvait donner sa leçon, car un
dimanche, un jour de fête, ou quelque autre obstacle pouvait empêcher que
ce fût le lendemain même de la dispute, le maître reprenait dans son école
la matière disputée la veille ou quelques jours plus tôt. Il coordonnait
d’abord, autant que la matière le permettait, dans un ordre ou une
succession logique les objections présentées contre sa thèse et leur
donnait leur formule définitive. Il faisait suivre ces objections de quelques
arguments en faveur de la doctrine qu’il allait proposer. Il passait ensuite
à un exposé doctrinal, plus ou moins étendu, de la question débattue, et
qui fournit la partie centrale et essentielle de la détermination. Il finissait
en répondant à chacune des objections proposées contre la doctrine de sa
thèse…
L’acte de détermination, confié à l’écriture par le maître ou un
auditeur, constitue ces écrits que nous appelons les Questions disputées et
qui sont le terme final de la dispute.
Enfin, dans ce cadre, un genre spécial se développa : la dispute
quodlibétique. Deux fois par an les maîtres pouvaient tenir une séance où
ils s’offraient à traiter un problème posé par n’importe qui sur n’importe
quel sujet (de quolibet ad voluntatem cujuslibet). Mgr Glorieux3 a décrit
cet exercice en ces termes : La séance commence vers l’heure de tierce
peut-être, ou de sexte ; d’assez bon matin, en tout cas, car elle risque de se
prolonger longtemps. Ce qui la caractérise en effet, c’est son allure
capricieuse, impromptue, et l’incertitude qui plane sur elle. Séance de
dispute, d’argumentation comme tant d’autres ; mais qui offre ce trait
spécial que l’initiative échappe au maître pour passer aux assistants.
Dans les disputes ordinaires, le maître a annoncé à l’avance les sujets
dont on s’occuperait, il y a réfléchi et les a préparés. Dans la dispute
quodlibétique, n’importe qui peut soulever n’importe quel problème. Et
c’est, pour le maître qui reçoit, le grand danger. Les questions ou les
objections peuvent venir de tous côtés, hostiles ou curieuses, ou malignes,
peu importe. On peut l’interroger de bonne foi, pour connaître son
opinion ; mais on peut essayer de le mettre en contradiction avec lui-
même, ou l’obliger à se prononcer sur des sujets brûlants qu’il préférerait
ne jamais aborder. Parfois ce sera un étranger curieux, ou un esprit
inquiet ; parfois ce sera un rival jaloux ou un maître curieux qui tentera
de le mettre en fâcheuse posture. Quelquefois les problèmes seront clairs
et intéressants, d’autres fois les questions seront ambiguës et le maître
aura bien de la peine à en saisir l’exacte portée et le véritable sens.
Quelques-uns se cantonneront candidement dans le domaine purement
intellectuel ; d’autres nourriront surtout des arrière-pensées de politique
ou de dénigrement… Il faut donc à celui qui veut tenir une dispute
quodlibétique une présence d’esprit peu commune et une compétence quasi
universelle.
1. La littérature quodlibétique, 1936.
Ainsi se développe la scolastique, maîtresse de rigueur, stimulatrice
de pensée originale dans l’obéissance aux lois de la raison. La pensée
occidentale allait en rester à jamais marquée, elle avait fait avec elle des
progrès décisifs. Sans doute s’agit-il de la scolastique du XIIIe siècle, en
pleine vigueur, maniée par des esprits aigus, exigeants, en plein élan. La
scolastique flamboyante de la fin du Moyen Âge pourra justement exciter
le mépris d’un Érasme, d’un Luther, d’un Rabelais. La scolastique
baroque suscitera le légitime dégoût d’un Malebranche. Mais l’inspiration
et les habitudes de la scolastique se sont incorporées aux nouveaux progrès
de la pensée occidentale. Descartes, quoi qu’il en ait, lui doit beaucoup.
Dans la conclusion d’un livre profond Étienne Gilson a pu écrire : On ne
peut comprendre le cartésianisme sans le confronter continuellement avec
cette scolastique qu’il dédaigne, mais au sein de laquelle il s’installe et
dont, puisqu’il l’assimile, on peut bien dire qu’il se nourrit.

Contradictions — comment vivre ? salaire ou bénéfice ?

Mais, ainsi armé, l’intellectuel du XIIIe siècle demeure confronté à


bien des incertitudes, placé en face de choix délicats. Les contradictions se
révèlent au cours d’une suite de crises universitaires.
Les premiers problèmes sont d’ordre matériel. Ils engagent
profondément.
Première question : comment vivre ? Du moment où l’intellectuel
n’est plus un moine dont la communauté assure l’entretien, il lui faut
gagner sa vie. Dans les villes les problèmes de la nourriture et du
logement, de l’habillement et de l’équipement — les livres sont chers —
sont angoissants. Et désormais la carrière d’étudiant est d’autant plus
coûteuse qu’elle est longue.
À ce problème deux solutions : le salaire ou le bénéfice pour le
maître, la bourse ou la prébende pour l’étudiant.
Le salaire lui-même peut se présenter sous un double aspect : le
maître peut être payé par ses élèves ou par les pouvoirs civils. La bourse
peut être le don d’un mécène privé ou la subvention d’un organisme public
ou d’un représentant du pouvoir politique.
Derrière ces solutions il y a des engagements divergents. La première
option fondamentale est entre salaire et bénéfice. Dans le premier cas
l’intellectuel s’affirme délibérément comme un travailleur, comme un
producteur. Dans le second, il ne vit pas de son activité mais peut l’exercer
parce qu’il est rentier. Tout son statut socio-économique se trouve ainsi
défini : travailleur ou privilégié ?
À l’intérieur de ce premier choix, d’autres de moindre importance,
mais non négligeables, se dessinent.
S’il reçoit salaire il peut être marchand — dans le cas où ses élèves le
paient — ou fonctionnaire — s’il est rétribué par le pouvoir communal ou
princier — ou une sorte de domestique — s’il vit des générosités d’un
mécène.
Prébendé, il peut recevoir un bénéfice attaché à sa fonction
intellectuelle et qui fait de lui un clerc spécialisé — ou être doté d’un
bénéfice auquel est déjà attachée une autre fonction pastorale : cure ou
abbaye, et n’être un intellectuel que par raccroc, en dépit même de sa
charge ecclésiastique.
Les choix depuis le XIIe siècle se firent en partie selon les
circonstances de lieu ou de date, la situation et la psychologie des
personnes.
On peut toutefois relever des tendances. Celle des maîtres est de vivre
de l’argent payé par leurs étudiants. À cette solution ils trouvent
l’avantage d’être libres vis-à-vis des pouvoirs temporels : commune,
prince, église, et même mécène. Elle leur paraît naturelle car c’est la plus
conforme aux habitudes du chantier urbain dont ils s’estiment membres.
Ils vendent leur science et leur enseignement comme les artisans vendent
leurs produits. Ils appuient cette revendication de légitimations dont nous
trouvons de nombreuses expressions. La principale c’est que tout travail
mérite salaire. C’est ce qu’affirment des manuels de confesseurs : le
maître peut accepter l’argent des étudiants — la collecta — pour prix de
son travail, de ses peines ; ce que rappellent souvent les universitaires,
comme le feront encore les docteurs en droit de Padoue en 1382 : Nous
jugeons qu’il n’est pas rationnel que le travailleur ne tire pas profit de
son travail. Aussi décrétons-nous que le docteur qui fera le sermon de
réponse au nom du collège pour la réception d’un étudiant recevra de
l’étudiant en reconnaissance de son travail trois livres d’étoffe et quatre
fioles de vin ou un ducat. D’où la chasse donnée par les maîtres aux
étudiants mauvais payeurs. Déjà le célèbre juriste de Bologne, Odofredus,
écrivait : Je vous annonce que l’année prochaine je ferai les cours
obligatoires avec la conscience que j’y ai toujours montré ; mais je doute
que je ferai des cours extraordinaires car les étudiants ne sont pas de bons
payeurs ; ils veulent savoir, mais ne veulent pas payer, conformément à
cette parole : Tous veulent savoir, mais aucun ne veut acquitter le prix.
Quant aux étudiants, à en juger par leurs lettres, soit authentiques,
soit proposées, à titre d’exemple, dans des manuels de correspondance, ils
cherchaient surtout à se faire entretenir par leur famille ou par un
bienfaiteur.
L’Église et plus spécialement la Papauté se fit un devoir de régler ce
problème. Elle proclama un principe : la gratuité de l’enseignement. La
plus légitime des raisons qui motivaient sa position était la volonté
d’assurer l’enseignement aux étudiants pauvres. Une autre, qui relevait
d’un état d’esprit archaïque et se référait à la période où il n’y avait
d’enseignement que proprement religieux, prétendait que la science était
don de Dieu et qu’elle ne pouvait par conséquent se vendre sous peine de
simonie ; et que l’enseignement faisait partie intégrante du ministère
(officium) du clerc. Saint Bernard avait dénoncé les gains des maîtres
comme profit honteux (turpis quæstus) dans un texte célèbre.
La Papauté décréta ainsi toute une série de mesures. Dès le troisième
concile de Latran de 1179 le pape Alexandre III proclamait le principe de
la gratuité de l’enseignement et de nombreux rappels de cette décision
furent faits par ses successeurs. En même temps il devait être créé près de
chaque église cathédrale une école dont le maître aurait son existence
assurée par la collation d’un bénéfice.
Mais, par là, la Papauté s’attachait par les liens de l’intérêt les
intellectuels condamnés à lui demander des bénéfices, et stoppait, ou du
moins freinait considérablement, le mouvement qui les portait vers le
laïcat.
Le résultat, c’est que seuls purent être professeurs dans les
universités ceux qui acceptaient cette dépendance matérielle vis-à-vis de
l’Église. Sans doute, à côté des universités, et malgré l’opposition
farouche de l’Église, des écoles laïques purent se fonder mais, au lieu de
dispenser une instruction générale, elles se cantonnaient dans un
enseignement technique essentiellement destiné aux marchands : écriture,
comptabilité, langues étrangères. Ainsi s’élargissait le fossé entre culture
générale et formation technique. Par là l’Église enlevait l’essentiel de sa
portée à l’opinion émise par Innocent III qui avait déclaré dans son
Dialogus : Tout homme doué d’intelligence… peut remplir la fonction
enseignante car il doit ramener par l’enseignement dans le droit chemin
son frère qu’il voit errer loin du chemin de la vérité ou de la moralité.
Mais la fonction de prêcher, c’est-à-dire d’enseigner publiquement, seuls
la possèdent ceux qui y sont désignés, c’est-à-dire les évêques et les
prêtres dans leurs églises, et les abbés dans les monastères, à qui est
confié le soin des âmes. Texte capital par lequel un pontife, pourtant peu
ouvert aux nouveautés, reconnaissait, face à l’évolution générale, la
distinction nécessaire à apporter entre la fonction religieuse et la fonction
enseignante. Sans doute cette opinion est émise en considérant un contexte
historique déterminé, celui d’une société toute entière chrétienne. Mais la
plus haute personnalité de l’Église avait reconnu, au moins dans ses
dispensateurs, le caractère laïque de l’enseignement. Ce texte n’a pas eu,
comme on sait, le développement qu’il méritait.
Pourtant, comme on verra, de nombreux maîtres et étudiants furent,
au Moyen Âge, des laïcs. Ils n’en participèrent pas moins aux distributions
de bénéfices ecclésiastiques et contribuèrent ainsi à aggraver un des
grands vices de l’Église du Moyen Âge et d’Ancien Régime : l’attribution
des revenus des bénéfices ecclésiastiques à des laïcs. Par ailleurs
l’institution d’un bénéfice spécial pour un seul maître par centre scolaire
s’étant révélée rapidement très insuffisante, maîtres et étudiants reçurent
des bénéfices ordinaires et vinrent aggraver cet autre fléau de l’Église : la
non-résidence des pasteurs.
Enfin la position de l’Église accrut les difficultés de ceux qui
cherchaient dans l’instruction des débouchés non ecclésiastiques,
notamment le droit civil et la médecine. Ils furent condamnés à se trouver
souvent dans des situations fausses car, si la vogue des études juridiques
principalement n’en fut pas diminuée, elles ne cessèrent d’être attaquées
par d’éminents ecclésiastiques. Roger Bacon déclarera : Tout dans le droit
civil a un caractère laïque. S’adresser à un art si grossier, c’est sortir de
l’Église. Comme il ne pouvait en être officiellement question dans les
universités, tout un ensemble de disciplines que l’évolution technique,
économique et sociale appelait à un grand développement et qui étaient
dépourvues de tout caractère religieux immédiat, furent pour des siècles
paralysées.

La querelle des réguliers et des séculiers

Une grave crise, qui secoua les universités au XIIIe siècle et au début
du XIVe, révéla l’ambiguïté de la situation des intellectuels et le
mécontentement de beaucoup. Ce fut la querelle des réguliers et des
séculiers, la violente opposition des séculiers à l’extension de la place
prise dans les universités par des maîtres appartenant aux nouveaux ordres
mendiants.
Les Dominicains en effet, dès l’origine, cherchèrent à pénétrer dans
les Universités, le but même de leur fondateur — la prédication et la lutte
contre l’hérésie — les conduisant à se munir d’un solide bagage
intellectuel. Les Franciscains y vinrent bientôt, à mesure que prenaient
dans l’ordre une influence croissante ceux qui l’éloignaient, sur certains
points au moins, des positions de saint François, hostile, on le sait, à une
science où il voyait un obstacle à la pauvreté, au dépouillement, à la
fraternité avec les humbles. Ils y furent d’abord bien accueillis. En 1220 le
Pape Honorius III félicite l’Université de Paris de l’accueil fait aux
Dominicains. Puis des heurts violents se produisirent. L’Université de
Paris connut les plus véhéments entre 1252 et 1290 et particulièrement
pendant les années 1252-1259, 1265-1271 et 1282-1290. Oxford en
souffrit aussi, plus tard, entre 1303 et 1320, entre 1350 et 1360 enfin.
De ces querelles la plus aiguë et la plus typique se situe à Paris entre
1252 et 1259. Elle culmine dans l’affaire Guillaume de Saint-Amour.
Complexe, elle est instructive.
Les protagonistes sont au nombre de cinq : les ordres mendiants et
leurs maîtres parisiens, la majorité des maîtres séculiers de l’Université, la
Papauté, le roi de France, les étudiants.
Au plus fort de la lutte un maître séculier Guillaume de Saint-Amour
publia une violente attaque contre les frères dans un traité intitulé : les
Périls des Temps Nouveaux. Condamné par le Pape, il fut banni malgré la
vive résistance d’une partie de l’Université en sa faveur.
Quels étaient les griefs des maîtres séculiers à l’égard des
Mendiants ?
Dans une première période, de 1252 à 1254, ces griefs sont presque
exclusivement d’ordre corporatif. Les séculiers reprochent aux Mendiants
de violer les statuts universitaires. Ils obtiennent les degrés en théologie et
l’enseignent sans avoir acquis préalablement la maîtrise-ès-arts. Ils ont
arraché au Pape en 1250 la possibilité d’obtenir, en dehors de la Faculté de
Théologie, la licence des mains du chancelier de Notre-Dame ; ils
prétendent avoir et occupent effectivement deux chaires alors que les
statuts ne leur en attribuent qu’une (sur quatre) ; et surtout ils rompent la
solidarité universitaire en continuant à donner des cours quand
l’Université est en grève. Ils l’ont fait en 1229-31, ils ont récidivé en 1253,
alors que la grève relève d’un droit reconnu par la Papauté et inscrit dans
les statuts. D’ailleurs, ajoutent les maîtres séculiers, ce ne sont pas de
vrais universitaires, ils font à l’Université une concurrence déloyale : ils
accaparent les étudiants et en détournent beaucoup vers la vocation
monastique ; vivant d’aumônes, ils ne leur réclament pas d’argent en
paiement des cours, et eux-mêmes ne se sentent pas liés par les
revendications d’ordre matériel des universitaires.
Tels sont les vrais griefs des séculiers. Ils vont loin. Ils sont
significatifs. Les universitaires ont vite pris conscience de
l’incompatibilité de la double appartenance à un ordre, quelque nouveau
que fût son style, et à une corporation, quelque cléricale et originale
qu’elle fût.
Des intellectuels qui n’ont pas reçu la formation de base essentielle
— celle que donne la Faculté des Arts —, pour qui le problème de la
subsistance matérielle ne se pose pas, pour qui le droit de grève ne signifie
rien, ne sont pas de vrais intellectuels. Ce ne sont pas des travailleurs
scientifiques, puisqu’ils ne vivent pas de leur enseignement.
Le pape Innocent IV se rendit à une partie au moins de ces
arguments ; sensible aux violations des statuts universitaires par les
Mendiants, il leur prescrivit d’y obéir le 4 juillet 1254 et, le 20 novembre
suivant, restreignait les privilèges des deux ordres par la bulle Etsi
animarum.
Mais son successeur Alexandre IV qui avait été cardinal protecteur
des Franciscains cassait la bulle de son prédécesseur dès le 22 décembre
par la bulle Nec insolitum et, le 14 avril 1255, par la nouvelle bulle Quasi
lignum vitæ il consacrait le triomphe entier des Mendiants sur les
universitaires.
La lutte rebondit, devint plus âpre, se transporta sur un autre plan,
non plus corporatif mais dogmatique. Les maîtres séculiers, Guillaume de
Saint-Amour au premier rang, et des écrivains comme Rutebeuf (dans des
poèmes de circonstance) et Jean de Meung (dans Le Roman de la Rose)
attaquèrent les ordres dans les fondements mêmes de leur existence et de
leur idéal.
Les Mendiants sont accusés d’usurper les fonctions du clergé :
confession et enterrement notamment ; d’être des hypocrites qui
recherchent plaisir, richesse, pouvoir : le fameux Faux-Semblant du
Roman de la Rose est un Franciscain ; et finalement d’être des hérétiques :
leur idéal de pauvreté évangélique est contraire à la doctrine du Christ et
menace de ruine l’Église. Argument polémique : les séculiers en voient
pour preuve les fameuses prophéties de Joachim de Flore très en vogue
chez une partie des Franciscains, qui annonçait le début pour l’année 1260
d’un âge nouveau où l’Église actuelle céderait la place à une nouvelle
Église dont la pauvreté serait la règle. Le développement des idées
joachimites par le Franciscain Gérard de Borgo San Donnino dans son
Introduction à l’Évangile Éternel publiée en 1254, vint fournir des armes
aux séculiers.
Sans doute les séculiers exagéraient. Des calomnies, des manœuvres
qui ne visaient qu’à jeter le discrédit sur les ordres ternissent leur cause.
Sur le fond, saint Bonaventure et saint Thomas d’Aquin lui-même, qu’on
ne peut soupçonner d’hostilité à l’égard de l’Université, surent répondre.
L’affaire eut donc ses aspects pénibles. La plupart des papes, trop
heureux de prendre un parti qui donnait satisfaction aux ordres qui leur
étaient tout dévoués en même temps qu’il enchaînait davantage les
universitaires, brisèrent les résistances des séculiers. Le roi de France,
saint Louis, tout acquis aux Franciscains, laissa faire : Rutebeuf lui
reprocha amèrement d’être un jouet entre les mains des Mendiants, et de
ne pas défendre son royaume à qui les droits de l’Université importaient
au premier chef. Les étudiants semblent avoir hésité ; beaucoup étaient
sensibles aux avantages de l’enseignement des Mendiants, plus encore à
l’éclat de leurs personnalités et à la nouveauté de certains aspects de leur
doctrine : paradoxe qui vint troubler l’affaire et l’obscurcit aux yeux de
ses historiens.
L’esprit nouveau est divisé entre les deux partis en cette lutte. D’un
côté les Mendiants étaient étrangers à l’aspect corporatif qui était la base
du mouvement intellectuel, ils détruisaient, en ses fondements sociaux et
économiques, l’espoir d’une classe nouvelle de travailleurs intellectuels ;
mais, installés en milieu urbain, proches des classes nouvelles, ils en
connaissaient mieux les besoins intellectuels et spirituels. La scolastique
n’a pas eu de plus éclatants représentants que certains de leurs membres ;
c’est un Dominicain, saint Thomas d’Aquin, qui l’a portée à son sommet.
Innocent IV par le compromis de la fin de son pontificat aurait pu
maintenir le ferment des Mendiants dans la corporation universitaire qui
serait restée maîtresse de son avenir. Ses successeurs ne l’ont pas su.
Un dominicain enseignant. (Miniature du 3e livre de Vincent de Beauvais).

Mais, sous sa forme nouvelle, la lutte révèle tout ce que l’esprit


universitaire avait d’opposé à tout un aspect de l’idéal monastique, repris,
revivifié mais porté aussi à son comble par les Mendiants.
Le problème de la pauvreté est bien un problème central qui divise
les uns et les autres. La pauvreté procède de cet ascétisme qui est refus du
monde, pessimisme à l’égard de l’homme et de la nature. À ce titre, déjà,
elle heurte l’optimisme humaniste et naturaliste de la majorité des
universitaires. Mais, surtout, la pauvreté, chez les Dominicains et les
Franciscains, a pour conséquence la mendicité. Ici, l’opposition des
intellectuels est absolue. Pour eux, on ne peut vivre que de son travail. À
cet égard ils expriment l’attitude de tous les travailleurs de l’époque qui,
quoi qu’on en ait dit, étaient en majorité hostiles, à cause de la mendicité,
aux nouveaux ordres. Le message de saint Dominique et de saint François
d’Assise s’en trouva oblitéré. Il était difficile de faire admettre comme
idéal un état qui ressemblait tellement à la misère dont toute une humanité
laborieuse cherchait à s’évader. Je puis bien assurer, dit Jean de Meung,
qu’il n’est écrit en nulle loi, au moins ce n’est pas dans la nôtre, que Jésus-
Christ et ses disciples, tant qu’ils allèrent par la terre, furent vus
quémandant leur pain : ils ne voulaient pas mendier (ainsi le professaient
jadis à Paris les théologiens).
… L’homme qui est robuste doit gagner sa vie en travaillant de ses
mains, s’il n’a de quoi vivre, bien qu’il soit religieux, ou désireux de
servir Dieu… Saint Paul commandait aux apôtres de travailler pour se
procurer le nécessaire, et il leur interdisait la truandise, disant : Œuvrez de
vos mains, et ne recouvrez jamais sur autrui.
Transposée sur ce plan, la querelle s’étendit en lutte entre le clergé
séculier en général et le clergé régulier. Les problèmes universitaires n’y
tinrent qu’une place secondaire. Pourtant les maîtres parisiens, qui avaient
tant perdu en l’affaire et qui, s’ils n’avaient pas toujours combattu avec les
bonnes armes, s’étaient battus pour la définition même de leur spécificité
durent entendre au concile de Paris de 1290 ces violents propos du légat
pontifical, le cardinal Benoît Gaetani, le futur Boniface VIII :
Boniface VIII
Je voudrais voir ici tous les maîtres Parisiens dont la sottise brille en
cette ville. Avec une folle présomption et une témérité coupable, ils se sont
arrogé le droit d’interpréter le privilège en question. S’imaginaient-ils
que la Curie romaine a pu accorder sans réflexion un privilège de cette
importance ? Ignoraient-ils donc que la Curie romaine n’a pas des pieds
de plume, mais de plomb ? Tous ces maîtres s’imaginent qu’ils ont auprès
de nous une immense réputation de savants ; nous les jugeons, au
contraire, sots entre les sots, eux qui ont infecté du poison de leur doctrine
et leurs propres personnes et le monde entier… Il n’est pas admissible que
n’importe quel privilège du Saint-Siège puisse être réduit à néant par les
arguties des maîtres.
Maîtres de Paris, vous avez rendu ridicules, et vous continuez encore
à le faire, toute votre science et votre doctrine… Comme c’est à nous que
le monde chrétien a été commis, nous devons tenir compte, non pas de ce
qui pourrait plaire à vos caprices de clercs, mais de ce qui est utile à tout
l’univers. Vous croyez peut-être jouir chez nous d’une grande réputation ;
mais votre gloire, nous ne l’estimons que sottise et fumée… Sous peine de
privation des offices et des bénéfices, nous défendons, en vertu de
l’obéissance, à tous les maîtres de prêcher désormais, discuter ou
déterminer, en public ou en particulier, sur le privilège des religieux… La
cour de Rome, plutôt que de révoquer le privilège, briserait l’Université
de Paris. Nous n’avons pas été appelés par Dieu pour acquérir la science
ou briller aux regards des hommes, mais pour sauver nos âmes. Et parce
que la conduite et la doctrine des frères sauvent beaucoup d’âmes, le
privilège qui leur a été confié leur sera toujours conservé4.
Les universitaires n’avaient-ils pas sauvé d’âmes ? Leur
enseignement avait-il mérité ces injures ? Le futur Boniface VIII savait
déjà s’attirer les inimitiés.

Contradictions de la scolastique : les dangers de l’imitation


des anciens

Graves aussi, et grosses de crises, furent les contradictions de l’esprit


scolastique.
Esprit rationnel mais fondé sur la pensée antique, il ne sut pas
toujours lui échapper, transposer les problèmes d’un contexte historique
périmé dans un contexte actuel. Saint Thomas lui-même fut parfois
prisonnier d’Aristote. Il y avait malgré tout quelque contradiction à aller
chercher l’explication du christianisme, son adaptation aux besoins du
temps à l’aide de doctrines antérieures au christianisme lui-même.
Les exemples pourraient être nombreux. Prenons-en trois.
Rien n’était plus essentiel pour les universitaires, on a tenté de le
montrer, que de définir les problèmes du travail, du moment où eux-
mêmes se posaient en travailleurs. Mais, pour les Anciens, le travail était
essentiellement le travail manuel, travail de l’esclave dont l’exploitation
faisait vivre les sociétés antiques, travail par conséquent méprisé. Saint
Thomas reprend à Aristote sa théorie du travail servile et Rutebeuf, le plus
pauvre des poètes-étudiants, proclame avec fierté :

« Je ne suis ouvrier des mains. »

La scolastique n’a pas su faire sa place au travail manuel — vice


capital, car en isolant le travail privilégié de l’intellectuel, elle consentait
elle-même à saper les bases de la condition universitaire, en même temps
qu’elle séparait l’intellectuel des autres travailleurs dont il était solidaire
sur le chantier urbain.
Métier de l’audace intellectuelle, de la curiosité passionnée, le métier
intellectuel, s’il devait savoir se tempérer de mesure, n’avait rien à gagner
en empruntant aux anciens une morale de la médiocrité, celle qui du μηδήν
ἄγαν des Grecs avait tiré l’« aurea mediocritas » d’Horace. C’est pourtant
une morale de juste milieu, signe d’embourgeoisement et de renoncement
mesquin, qu’elle prôna souvent : Qui ne prétend à rien, dit Le Roman de la
Rose, pourvu qu’il ait de quoi vivre au jour le jour, il se contente de son
gain, et ne pense pas que rien lui manque… Le juste milieu a nom
suffisance : là git l’abondance des vertus. Fermeture d’horizons, mort de
justes ambitions.
Dans ce monde dynamique du XIIIe siècle, où la scolastique bâtit à
l’unisson son œuvre, voilà qu’elle ne parvient pas à se détacher de la
théorie antique de l’art imitateur de la nature, qui méconnaît et entrave la
création du travail humain.
L’Art ne produit pas de formes si vraies, dit encore Jean de Meung. À
genoux devant Nature, très attentif, il la prie et requiert, comme un
mendiant et un truand pauvre de science et de pouvoir, mais soigneux de
l’imiter, qu’elle veuille bien lui apprendre à embrasser la réalité dans ses
figures. Il observe comme Nature travaille, car il voudrait bien faire une
telle œuvre, et il la contrefait comme un singe, mais son faible génie ne
peut créer des choses vivantes, si naïves qu’elles paraissent… Voilà,
hélas ! l’art qui s’apprête à vouloir être photographie.

Les tentations du naturalisme

La scolastique cherche les liens entre Dieu et la Nature ; mais le


naturalisme des intellectuels peut se développer en de nombreuses
directions. La tradition goliardique, toujours vivace à l’université, se
perpétue, truculente, avec moins d’agressivité mais plus d’assurance.
Nature et Genius ne se contentent pas de gémir chez Jean de Meung
comme chez Alain de Lille. La deuxième partie du Roman de la Rose est
un hymne à la fécondité inépuisable de la Nature, une invitation
passionnée à obéir sans réserve à ses lois, un appel à une sexualité
effrénée. Le mariage y est rudement traité. Les limitations qu’il impose y
sont stigmatisées comme contre nature au même titre que la sodomie.
Le mariage est un lien détestable… Nature n’est pas si folle qu’elle
fasse naître Marotte seulement pour Robichon, si nous regardons bien, ni
Robichon pour Mariette, ni pour Agnès, ni pour Perrette ; elle nous a
faits, beau fils, n’en doute pas, toutes pour tous et tous pour toutes…
Et la fameuse envolée toute rabelaisienne : Pour Dieu, seigneurs,
gardez-vous d’imiter belles gens, suivez la nature assidûment ; je vous
pardonne tous vos péchés, à condition que vous travailliez bien à l’œuvre
de Nature. Soyez plus vites que l’écureuil et plus légers que l’oiseau,
remuez-vous, tripez, sautez, ne vous laissez pas refroidir ni engourdir,
mettez tous vos outils en œuvre. Labourez, pour Dieu, barons, labourez et
restaurez vos lignages. Retroussez-vous pour cueillir le vent, ou, s’il vous
agrée, mettez-vous tout nus, mais n’ayez ni trop chaud, ni trop froid ; levez
aux deux mains les mancherons de vos charrues… Le reste brave par trop
l’honnêteté…
Cette vitalité débordante défie l’ennemie, la Mort. Mais l’homme,
comme le Phénix, renaît toujours. À la chevauchée de la Faucheuse il y a
toujours des rescapés. Si la Mort dévore le Phénix, le Phénix toutefois
demeure ; elle en aurait dévoré mille que Phénix serait demeuré. Ce
Phénix, c’est la forme commune que Nature reforme dans les individus, et
qui serait du tout perdue, si elle ne permettait à l’autre de vivre. Tous les
êtres de l’univers ont le même privilège : tant qu’il en subsistera un
exemplaire, leur espèce vivra en lui, et jamais la Mort ne l’atteindra…
Dans ce défi de la Nature à la Mort, dans cette épopée de l’humanité
toujours renaissante, dans ce vitalisme à la Diderot, où est l’esprit
chrétien, quelle place fait-on au Memento quia pulvis es et in pulverem
reverteris ?
Naturalisme qui peut aussi se développer en théorie de la société à la
Rousseau. Dans sa description de l’âge d’or et de l’âge de fer qui suivit,
Jean de Meung fait de toute hiérarchie sociale, de tout ordre social un mal
qui a remplacé le bonheur de l’égalité primitive où la propriété n’existait
pas. Lors il fallut chercher quelqu’un qui gardât les huttes, arrachât les
malfaiteurs et fît justice aux plaignants, et que nul n’osât contester son
autorité ; lors ils s’assemblèrent pour l’élire. Ils choisirent entre eux un
grand vilain, le plus ossu, le plus râblé et le plus fort qu’ils purent
trouver, et ils le firent prince et seigneur. Celui-ci jura de garder la
justice et de défendre leurs cabanes, si chacun personnellement lui
donnait sur ses biens de quoi vivre et ils y consentirent. Il tint longtemps
son office. Mais les voleurs pleins d’astuce s’attroupaient quand ils le
voyaient seul, et maintes fois, lorsqu’ils venaient dérober le bien d’autrui,
ils le malmenaient. Il fallut alors assembler de nouveau le peuple et
imposer la taille à chacun, afin de fournir des sergents au prince. Ils se
taillèrent alors communément, lui payèrent des rentes et des tributs et lui
concédèrent de vastes tènements. C’est là l’origine des rois, des princes
terriens : nous le savons par les écrits des anciens qui nous ont transmis
les faits de l’antiquité, et nous ne saurions trop leur en avoir d’obligation.

Le difficile équilibre de la foi et de la raison : l’aristotélisme


et l’averroisme
Les intellectuels du XIIIe siècle sauront-ils sauvegarder un autre
équilibre, celui de la foi et de la raison ? C’est toute l’aventure de
l’aristotélisme au XIIIe siècle. Car si Aristote signifie bien autre chose
que l’esprit rationnel, et si la raison scolastique s’alimente à d’autres
sources que le Stagirite, c’est autour de lui que se joue la partie.
L’Aristote du XIIIe siècle n’est pas celui du XIIe siècle. Il est plus
complet d’abord. Au logicien qu’avait surtout connu le XIIe siècle
s’ajoute, grâce à une nouvelle génération de traducteurs, le physicien, le
moraliste de l’Éthique à Nicomaque, le métaphysicien. Il est interprété
ensuite. Il arrive pourvu des commentaires des grands philosophes arabes,
d’Avicenne, d’Averroès surtout. Ceux-ci l’ont poussé à l’extrême, l’ont
éloigné autant qu’il était possible du christianisme.
Ce n’est pas un mais au moins deux Aristote qui pénètrent en
Occident : le vrai, et celui d’Averroès. C’est davantage, en fait, car chaque
commentateur, ou presque, a son Aristote. Mais deux tendances se
dessinent dans ce mouvement : celle des grands docteurs dominicains,
Albert le Grand et Thomas d’Aquin, qui veulent concilier Aristote et
l’Écriture ; celle des averroïstes qui, là où ils voient contradiction,
l’acceptent et veulent suivre et Aristote et l’Écriture. Ils inventent alors la
doctrine de la double vérité : l’une qui est celle de la révélation… l’autre
qui n’est que celle de la simple philosophie et de la raison naturelle.
Lorsqu’un conflit se produira nous dirons donc simplement : voici les
conclusions auxquelles me conduit ma raison en tant que philosophe, mais
puisque Dieu ne peut mentir, j’adhère à la vérité qu’il nous a révélée et je
m’y attache par la foi. Tandis qu’Albert le Grand déclare : Si quelqu’un
pense qu’Aristote est un Dieu, celui-là doit croire qu’il ne s’est pas
trompé. Mais s’il est convaincu qu’Aristote est un homme, il n’y a pas de
doute qu’il a pu se tromper comme nous, tandis que saint Thomas est
persuadé qu’Averroès ne fut pas tant un Péripatéticien qu’un corrupteur
de la philosophie péripatéticienne, Siger de Brabant, chef des averroïstes,
affirme : Je dis qu’Aristote a achevé les sciences, parce qu’aucun de ceux
qui l’ont suivi jusqu’à notre temps, c’est-à-dire pendant près de quinze
cents ans, n’a pu rien ajouter à ses écrits, ni y trouver une erreur de
quelque importance… Aristote est un être divin.
Contre l’aristotélisme albertino-thomiste aussi bien que contre
l’averroïsme, l’opposition est vive. Elle est menée par les augustiniens
qui, à l’autorité d’Aristote, opposent celle de Platon. Mais si saint
Augustin est une des grandes sources de la scolastique, le néo-
augustinisme appuyé sur le platonisme rencontre l’hostilité décidée des
grands scolastiques. Pour eux la pensée métaphorique de l’Académicien
est un grave danger pour la vraie philosophie. La plupart du temps, écrit
Albert le Grand, lorsque Aristote réfute les opinions de Platon, il ne réfute
pas le fond, mais la forme. Platon a eu en effet une mauvaise méthode
d’exposition. Tout chez lui est figuré et son enseignement est
métaphorique et il met sous les mots autre chose que ce que les mots
signifient, comme par exemple lorsqu’il dit que l’âme est un cercle. Le
thomisme s’oppose à cette pensée confuse et tout au long du siècle — et
des siècles — les augustiniens et les platoniciens combattront toutes les
nouveautés rationnelles, défendront des positions conservatrices. Leur
grande tactique au XIIIe siècle est de compromettre Aristote avec
Averroès, saint Thomas avec Aristote et par là avec Averroès. À travers
l’averroïsme, le thomisme sera toujours visé.
Averroès conversant avec Porphyre

Le siècle est traversé d’attaques anti-aristotéliciennes, qui sont autant


de crises universitaires.
Dès 1210 l’enseignement de la Physique et de la Métaphysique
d’Aristote est interdit à l’Université de Paris. L’interdiction est renouvelée
par le Saint-Siège en 1215 et en 1228. Pourtant dès sa fondation en 1229 la
très orthodoxe université de Toulouse, pour attirer la clientèle, signale
qu’on y enseignera les livres interdits à Paris. À vrai dire les interdictions
y sont restées lettre morte. Les livres condamnés figurent sur les
programmes. L’admirable construction thomiste semble avoir réglé le
problème ; la crise averroïste va tout remettre en question. Un certain
nombre de maîtres de la faculté des Arts, à la tête desquels Siger de
Brabant et Boèce de Dacie enseignent les thèses les plus extrêmes du
Philosophe — Aristote est devenu le Philosophe par excellence — saisies
à travers Averroès. Outre la double vérité, ils enseignent l’éternité du
monde — qui nie la création —, refusent à Dieu d’être la cause efficiente
des choses mais seulement la cause finale et lui dénient la prescience des
futurs contingents. Enfin certains — c’est douteux pour Siger lui-même —
affirment l’unité de l’intellect agent, qui nie l’existence de l’âme
individuelle.
L’évêque de Paris, Étienne Tempier, avait condamné dès 1270 les
averroïstes, et saint Thomas avait tenu à garder ses distances en les
attaquant vivement de son côté. Après sa mort (1274) une grande offensive
fut lancée contre l’aristotélisme. Elle aboutit à la double condamnation
prononcée en 1277 par l’évêque de Paris, Étienne Tempier et par
l’archevêque de Canterbury, Robert Kilwardby.
Étienne Tempier avait dressé une liste de 219 propositions
condamnées comme hérétiques. C’était un véritable amalgame. À côté des
thèses proprement averroïstes, une vingtaine de propositions atteignaient
plus ou moins directement l’enseignement de Thomas d’Aquin, d’autres
visaient des opinions émises dans des milieux extrémistes, héritiers des
Goliards et dont certaines avaient contaminé les averroïstes :
Saint Thomas écrasant Averroès
Saint Augustin écrasant Aristote
18 – Que la résurrection future ne doit pas être admise par le
philosophe, parce qu’il est impossible d’examiner la chose
rationnellement.
152 – Que la théologie est fondée sur des fables.
155 – Qu’il ne faut pas se soucier de la sépulture.
168 – Que la continence n’est pas en elle-même une vertu.
169 – Que l’abstention totale de l’œuvre de chair corrompt la vertu et
l’espèce.
174 – Que la loi chrétienne a ses fables et ses erreurs comme les
autres religions.
175 – Quelle est un obstacle à la science.
176 – Que le bonheur se trouve en cette vie, et non dans une autre.

Ce « Syllabus » suscita de vives réactions. L’ordre dominicain n’en


tint aucun compte. Gilles de Rome déclara : Il ne faut pas s’en soucier car
ces propositions n’ont pas été faites après convocation de tous les maîtres
parisiens, mais à la demande de quelques têtes bornées.
Un maître séculier de la faculté de théologie, Godefroy de Fontaines
se livra à une critique détaillée et impitoyable de la liste. Il réclama la
suppression des articles absurdes, des articles dont l’interdiction
empêcherait le progrès scientifique, de ceux sur lesquels il était permis
d’avoir des opinions différentes.
Bien que les condamnations ne fussent guère respectées, elles
décapitèrent le parti averroïste. Siger de Brabant finit misérablement sans
doute. Sa fin s’entoure de mystère. Emprisonné en Italie, il y aurait été
assassiné. Cette figure énigmatique est entrée dans la gloire grâce à Dante
qui le mit au Paradis à côté de saint Thomas et de saint Bonaventure.

Essa è la luce eterna di Sigieri


Che, leggendo nel vico degli strami,
Silloggizzo indiviosi veri.

(Celle-là c’est la lumière éternelle de Siger — Qui, dans son


enseignement dans la rue du Fouarre, — mit en syllogismes des vérités qui
déplurent.)
C’est que Siger, mal connu, représente un milieu plus mal connu
encore, qui fut, à un moment, l’âme même de l’Université de Paris.
Il exprime en effet l’opinion de la majorité de la Faculté des Arts qui,
quoi qu’on en ait dit, fut le sel et le levain de l’université, et lui imprima
souvent sa marque.
C’est là qu’on y donne la formation de base, c’est là que du nombre
jaillissent les discussions les plus passionnées, les curiosités les plus
hardies, les échanges les plus féconds. C’est là que l’on rencontre les
pauvres clercs qui n’iront pas jusqu’à la licence, encore moins au coûteux
doctorat, mais qui animent les débats de leurs questions inquiètes. C’est là
qu’on est le plus près du peuple des villes, du monde extérieur, qu’on se
préoccupe le moins d’obtenir des prébendes et de déplaire à la hiérarchie
ecclésiastique, qu’est le plus vivace l’esprit laïc, qu’on est le plus libre.
C’est là que l’aristotélisme porte tous ses fruits. C’est là qu’on pleure,
comme une perte irréparable, la mort de Thomas d’Aquin. Ce sont les
artistes qui, dans une lettre émouvante, réclament à l’ordre dominicain la
dépouille mortelle du grand docteur. L’illustre théologien a été l’un des
leurs.

Un examen de doctorat

C’est dans le milieu averroïste de la Faculté des Arts que s’élabore


l’idéal le plus rigoureux de l’intellectuel.
Le clerc, l’astronome et le computiste

C’est Boèce de Dacie qui affirme que les philosophes — ainsi


s’appellent les intellectuels — sont naturellement vertueux, chastes et
tempérants, justes, forts et libéraux, doux et magnanimes, magnifiques,
soumis aux lois, détachés de l’attrait des plaisirs…, ces mêmes
intellectuels qui de son temps sont persécutés par malice, par envie, par
ignorance et par sottise.
Magnanimes. Voilà le grand mot lâché. Comme l’a admirablement
montré le Père Gauthier5, c’est chez ces intellectuels qu’on trouve l’idéal
suprême de magnanimité qui était déjà chez Abélard vertu d’initiative,
passion d’espérance. Elle est enthousiasme pour les tâches humaines,
énergie dans leur force d’homme, confiance dans les techniques humaines
qui, au service de la force de l’homme, sont seules capables d’assurer la
réussite des tâches humaines. Elle est une spiritualité typiquement laïque,
faite pour des hommes qui restent engagés dans le monde, et cherchent
Dieu mais non plus immédiatement comme la spiritualité monastique,
mais à travers l’homme et à travers le monde.

Les rapports entre la raison et l’expérience

Autres conciliations difficiles à réaliser : celle entre la raison et


l’expérience, celle entre la théorie et la pratique.
C’est l’école anglaise, avec le grand savant que fut Robert
Grosseteste, chancelier d’Oxford et évêque de Lincoln, puis avec un
groupe franciscain d’Oxford d’où émerge Roger Bacon, qui tente la
première. Roger Bacon en définit le programme dans l’Opus Majus : Les
Latins ayant posé les bases de la science en ce qui concerne les langues, la
mathématique et la perspective, je veux maintenant m’occuper des bases
fournies par la science expérimentale, car sans expérience on ne peut rien
savoir suffisamment… Si quelqu’un qui n’a jamais vu du feu prouve par
raisonnement que le feu brûle, altère les choses et les détruit, l’esprit de
l’auditeur n’en sera pas satisfait et il n’évitera pas le feu avant d’avoir
posé la main ou une chose combustible sur le feu, pour prouver par
l’expérience ce que le raisonnement a enseigné. Mais une fois acquise
l’expérience de la combustion l’esprit est assuré et se repose dans la
lumière de la vérité. Donc le raisonnement ne suffit pas, mais
l’expérience. La scolastique ici s’apprête à se nier, l’équilibre est prêt à
être rompu, l’empirisme perce.

Les relations entre la théorie et la pratique

Ce sont les médecins, et avec eux les chirurgiens, les opticiens, qui
affirment l’union nécessaire entre théorie et pratique. La chirurgie qui est
apprise par la pratique seule, dit Averroès, et qui est exercée sans étude
préalable de la théorie, comme la chirurgie des paysans et de tous les
illettrés est une œuvre purement mécanique, n’est pas proprement
théorique, et n’est vraiment ni une science ni un art. Mais en revanche il
affirme : après les études théoriques le médecin doit se livrer avec
assiduité aux exercices pratiques. Les leçons et les dissertations
n’apprennent qu’une petite partie de la chirurgie et de l’anatomie. En
effet il y a peu de choses dans ces deux sciences qu’on puisse représenter
par des discours.
Première représentation d’un porteur de lunettes
(Musée de Besançon)
Mais la scolastique n’est-elle pas près de tomber dans une de ses
tentations majeures : l’abstraction ?
Sa langue, le latin, s’il demeure une langue vivante car il sait
s’adapter aux besoins de la science du temps et doit y exprimer toutes les
nouveautés, se prive des enrichissements des langues vulgaires en plein
essor, et éloigne les intellectuels de la masse laïque, de ses problèmes, de
sa psychologie.
Attaché aux vérités abstraites et éternelles, le scolastique risque de
perdre le contact avec l’histoire, avec le contingent, avec le mouvant,
l’évolutif. Quand saint Thomas dit : Le but de la philosophie n’est pas de
savoir ce que les hommes ont pensé, mais bien quelle est la vérité des
choses il repousse justement une philosophie qui ne serait qu’une histoire
de la pensée des philosophes, mais n’ampute-t-il pas la pensée d’une
dimension ?
Un des grands risques des intellectuels scolastiques, c’est de former
une technocratie intellectuelle. Voilà que les maîtres universitaires
accaparent à la fin du XIIIe siècle les hautes charges ecclésiastiques et
laïques. Ils sont évêques, archidiacres, chanoines, conseillers, ministres.
C’est l’ère des docteurs, théologiens et légistes. Une franc-maçonnerie
universitaire rêve de diriger la Chrétienté. Elle proclame avec Jean de
Meung, avec Boèce de Dacie que l’intellectuel est plus qu’un prince, plus
qu’un roi. Roger Bacon conscient que la science doit être travail collectif
et qui songe à une immense équipe de savants, voudrait aussi qu’auprès
des chefs temporels les universitaires dirigent les destins du monde. Il
implore le pape de prendre l’initiative de constituer cette cohorte
dirigeante. À propos de la comète de 1264 qui annonçait pestes et guerres
il s’écrie : De quelle utilité c’eût été à l’Église, si la qualité du ciel, à cette
époque, avait été trouvée par les savants et communiquée par eux aux
prélats et aux princes… Il n’y aurait pas eu une telle hécatombe de
Chrétiens ni tant d’âmes conduites en Enfer.
Vœu pieux, qui cache une utopie redoutable. À l’intellectuel aussi il
faut dire : sutor, ne supra… S’il est juste que la science s’achève en
politique, il est rarement bon que le savant finisse en politicien.
Saint Jérôme, par Dürer ?
1. La pecia dans les manuscrits universitaires du XIIIe et du XIVe s., 1935
2. Revue Thomiste, 1928, p. 267-9
3. La littérature quodlibétique, 1936.
4. Ce texte est cité par Mgr Glorieux dans un article intitulé : Prélats français contre religieux mendiants – Autour de la bulle « Ad fructus uberes » (1281-1290) paru dans
la Revue d’Histoire de l’Église de France, 1925. Mgr. Glorieux, quant à lui, distingue trois phases : opposition universitaire (1252-1259) ; opposition doctrinale (1265-
1271) ; opposition épiscopale (1282-1290).
5. Magnanimité. L’idéal de la grandeur dans la philosophie païenne et dans la théologie chrétienne. 1951.
De l’universitaire
à l’humaniste
Le decline du moyen âge
La fin du Moyen Âge est période de mue. L’arrêt de l’essor
démographique, puis son reflux qu’aggravent les famines et les pestes,
dont celle de 1348 fut catastrophique, les perturbations dans l’alimentation
de l’économie occidentale en métaux précieux qui produisent une famine
d’argent puis d’or rendue plus aiguë par les guerres : guerre de Cent Ans,
guerre des Deux Roses, guerres ibériques, guerres italiennes, accélèrent la
transformation des structures économiques et sociales de l’Occident.
L’évolution de la rente féodale qui prend massivement une forme
monétaire bouleverse les conditions sociales. Le fossé se creuse entre les
victimes et les bénéficiaires de cette évolution. La ligne de partage passe
au milieu des classes urbaines. Tandis que l’artisanat plus durement
exploité manifeste en certains endroits (Flandre, Italie du Nord, grandes
villes) des formes de prolétarisation et rejoint les conditions de la masse
paysanne, les couches supérieures de la bourgeoisie urbaine qui tire ses
ressources à la fois d’une activité précapitaliste en progrès et de revenus
fonciers qu’elle a su s’assurer s’amalgament aux anciennes classes
dominantes : noblesse, clergé régulier et haut clergé séculier qui
réussissent en majorité à rétablir en leur faveur une situation compromise.
Dans ce rétablissement les facteurs politiques jouent un rôle capital. Le
pouvoir politique vient au secours des puissances économiques. Pour des
siècles il va maintenir l’Ancien Régime. C’est l’ère du Prince. C’est en le
servant, en se faisant son fonctionnaire ou son courtisan, qu’on gagne
richesse, pouvoir, prestige. Les anciens puissants l’ont compris qui se
rallient aux tyrannies et aux monarchies en même temps que des hommes
nouveaux, par la faveur du prince, se glissent parmi eux.
Dans ce contexte l’intellectuel du Moyen Âge va disparaître. Le
devant de la scène culturelle va être occupé par un personnage nouveau :
l’humaniste. Mais celui-ci ne donne qu’à la fin la poussée qui fait
s’évanouir son prédécesseur. Celui-là n’a pas été assassiné, il s’est prêté à
cette mort et à cette métamorphose. La grande majorité des universitaires
au cours des XIVe et XVe siècles a préparé par ses reniements la
disparition de l’intellectuel médiéval.

L’évolution de la fortune des universitaires

Entre l’appartenance au monde du travail et l’intégration aux groupes


privilégiés, l’universitaire de la fin du Moyen Âge a définitivement choisi.
Il n’y a plus, avant des siècles en Occident, de travailleur intellectuel. Ou
plutôt ne pourront porter ce nom que d’obscurs enseignants des écoles
communales qui, si certains d’entre eux joueront un rôle dans les
mouvements révolutionnaires comme le Tumulte des Ciompi à Florence
en 1378, ne tiennent pas une place notable dans le mouvement intellectuel.
Sans doute les universitaires des XIVe et XVe siècles n’abandonnent-
ils pas les ressources qu’ils peuvent tirer d’un travail salarié. Mieux
même, ils s’accrochent âprement à ces petits profits en ces temps
difficiles. Ils réclament des étudiants le paiement des leçons — que
l’Église n’a pu enrayer en définitive — avec une avidité accrue. Ils
renforcent les prescriptions qui définissent les cadeaux que les étudiants
doivent aux maîtres au moment des examens. Ils restreignent toutes les
dépenses universitaires qui peuvent se faire à leur détriment. Le nombre
des étudiants pauvres qui reçoivent enseignement et grade gratuitement
décline rapidement par statut. À Padoue au début du XVe siècle il n’y en a
plus qu’un par Faculté : mesure théorique qui sauvegarde le principe
défendu par l’Église. C’est l’équivalent du denier à Dieu que le gros
marchand retire de ses bénéfices pour les pauvres.
Du même coup se trouve tarie cette alimentation des universités en
étudiants de condition modeste qui avaient été le ferment des facultés. Ne
parviendront, désormais, parmi eux que ceux qu’un protecteur entretiendra
pour se les attacher étroitement ou qui se contenteront d’une existence de
bohème où les ambitions intellectuelles sont secondaires — un Villon.
Une curieuse décision des docteurs en droit civil de Padoue illustre
cette évolution des rapports entre maîtres et étudiants. Une addition aux
statuts qui date de 1400 institue une échelle mobile des droits
universitaires perçus au bénéfice des maîtres, cependant que les étudiants
boursiers voient leurs bourses maintenues à un taux fixe. Par là cette
politique universitaire rentre dans un phénomène d’ensemble qui se
manifeste en Europe occidentale dans la seconde moitié du XIVe siècle.
Face à la hausse des prix, autorités administratives et donneurs de travail
s’efforcent de bloquer les salaires, n’admettant pas de lien entre le coût de
la vie et les rémunérations qui pourrait conduire à l’établissement d’une
échelle mobile des salaires tandis que les bénéficiaires de rentes, de cens,
de loyers tentent, souvent avec succès, d’en adapter les revenus au coût de
la vie, soit par des évaluations en nature soit par la traduction en monnaie
réelle des paiements évalués en monnaie de compte.
Cet exemple montre que les universitaires rejoignent les groupes
sociaux vivant de revenus d’ordre féodal ou seigneurial, ou capitaliste.
C’est d’ailleurs de revenus de cet ordre que les universitaires tirent la
majorité de leurs ressources. Bénéfices ecclésiastiques d’abord, mais aussi
placement de la fortune en biens immeubles : maisons et terres. Le
cartulaire de l’université de Bologne permet de suivre la constitution à la
fin du XIIIe siècle notamment, de fortunes universitaires considérables.
Les maîtres, cela vaut surtout pour les plus célèbres qui gagnent davantage
mais cela reste vrai, à un moindre degré, pour la plupart, sont devenus de
riches propriétaires. Suivant l’exemple des autres riches, ils se livrent
d’ailleurs aussi à une activité de spéculation. Ils se font usuriers. On les
voit surtout prêter à intérêt aux étudiants besogneux et retenir le plus
souvent en gage ces objets de double valeur pour eux : les livres.
François Accurse possède des biens à Budrio, à Olmetola, une
splendide villa à la Riccardina avec une roue hydraulique qui était pour le
temps une merveille. À Bologne il possède avec ses frères une belle
maison avec tour qui forme l’aile droite actuelle du Palais communal. Il
est entré avec d’autres docteurs dans une société commerciale pour la
vente des livres à Bologne et à l’étranger. Il s’est livré à l’usure sur une si
vaste échelle qu’à sa mort il doit demander l’absolution du pape
Nicolas IV, qui la lui accorde comme à l’habitude.
François Accurse

Il en va de même pour Alberto d’Odofredo, fils du grand Odofredo,


qui fut usurier non paeciol, ma sovrano, (non petit mais royal) et qui avait,
en même temps que de nombreux biens fonciers, des intérêts dans une
entreprise de lin.
Le maître Giovanni d’Andrea donne en dot à sa fille Novella en 1326,
600 bolognini d’or, somme considérable.
Mais ces revenus sont entraînés dans l’avilissement des rentes
féodales et foncières par suite de leur conversion en argent et des
vicissitudes monétaires de la fin du Moyen Âge scandé de dévaluations et
de crises. On voit se défaire la richesse de nombreux universitaires, les
maisons et les terres vendues une à une. D’où ce raidissement dans la
perception d’autres gains : cachets d’étudiants, salaires d’examens. D’où
aussi le renouvellement, à partir de ses bases économiques d’une partie du
personnel universitaire. D’où enfin les raisons d’ordre financier qui
pousseront les universitaires vers les nouveaux centres de richesse, vers la
cour des princes et l’entourage des mécènes ecclésiastiques et laïques.

Vers une aristocratie héréditaire

Le renouvellement de ce personnel est pourtant en partie stoppé par la


tendance des universitaires à se recruter héréditairement. Déjà le célèbre
juriste Accurse au XIIIe siècle avait réclamé un droit préférentiel pour les
fils de docteurs à la succession aux chaires vacantes à Bologne. Mais la
Commune y avait mis empêchement en 1295, 1299 et 1304. Vaines
mesures. Quand en 1397 les nouveaux statuts du collège des juristes
prescrivent de ne promouvoir qu’un seul citoyen bolonais par an au
doctorat, les fils, frères et neveux de docteurs en sont exemptés. C’était au
contraire leur faire une large place. À Padoue l’entrée gratuite dans le
collège des juristes pour tout docteur appartenant à la descendance
masculine d’un docteur, même si l’un des intermédiaires n’a pas été
docteur lui-même, est décrétée en 1394. En 1409 il est précisé qu’un fils
de docteur doit subir ses examens gratuitement. Cette constitution d’une
oligarchie universitaire, en même temps qu’elle contribuait à abaisser
singulièrement le niveau intellectuel, conférait au milieu universitaire un
des caractères essentiels de la noblesse : l’hérédité. Il en faisait une caste.
Pour se constituer en aristocratie, les universitaires adoptent un des
moyens habituels des groupes et des individus pour entrer dans la
noblesse, comme l’a admirablement vu Marc Bloch : ils mènent un train
de vie noble.
De leurs habits et des attributs de leur fonction ils font des symboles
de noblesse. La chaire qui s’accompagne de plus en plus d’un dais à allure
seigneuriale, les isole, les exalte, les magnifie. L’anneau d’or et la toque,
le béret qu’on leur donne au jour du conventus publicus ou de l’inceptio
sont de moins en moins des insignes de fonction et de plus en plus des
emblèmes de prestige. Ils portent la longue robe, le capuchon de vair,
souvent une collerette d’hermine et par-dessus tout ces longs gants qui
sont au Moyen Âge symbole de rang social et de puissance. Les statuts
réclament des candidats des quantités croissantes de gants à offrir aux
docteurs au moment de l’examen. Un texte bolonais de 1387 précise : Le
candidat sera tenu de déposer avant son doctorat, en temps voulu, entre
les mains du bedeau un nombre suffisant de gants pour les docteurs du
collège… Ces gants seront assez longs et amples pour couvrir la main
jusqu’au milieu du bras. Ils seront en bon cuir de chamois et assez larges
pour qu’on y entre les mains avec aisance et bien-être. Par bon cuir de
chamois il faut entendre qu’ils seront de ceux qu’on achète au moins 23
sous la douzaine.
Les fêtes de doctorat s’accompagnent de plus en plus de réjouissances
comme en donnent les nobles : bals, représentations théâtrales, tournois.
Les maisons des universitaires deviennent luxueuses et celles des
plus riches, comme Accurse, se flanquent de la tour théoriquement
réservée aux nobles. Leurs tombeaux sont de véritables monuments,
comme ceux qui ornent encore les églises de Bologne, ou se dressent
même en plein air.
Les recteurs de Bologne sont bientôt statutairement tenus à mener vie
noble, et l’on rencontre parmi eux des membres de la famille ducale de
Bourgogne et marquisane de Bade. Ils reçoivent le droit de porter les
armes et d’être accompagnés d’une escorte de cinq hommes.
Les artistes, moins estimés, obtiennent pourtant le privilège de ne pas
faire de service militaire et les étudiants, s’ils sont assez riches, peuvent se
trouver un remplaçant.
Une évolution significative se marque dans le titre de maître. Au
départ, au XIIe siècle, le magister, c’est le contremaître, le chef d’atelier.
Le maître d’école est maître comme le sont d’autres artisans. Son titre dit
sa fonction sur le chantier. Bientôt il devient titre de gloire. Déjà Adam du
Petit-Pont rabroue une cousine qui du fond des campagnes anglaises lui
écrit à Paris sans le saluer du titre envié. Un texte du XIIIe siècle déclare :
Les maîtres n’enseignent pas pour être utiles mais pour être appelés
Rabbi, c’est-à-dire seigneurs, selon le texte de l’Évangile. Magister
devient au XIVe siècle l’équivalent de dominus, de seigneur.
Les maîtres de Bologne sont appelés dans les documents : nobiles viri
et primarii cives — nobles hommes et principaux citoyens — et dans la vie
courante domini legum, les seigneurs juristes. Les étudiants appellent leur
maître favori : dominus meus, mon seigneur, et ce titre évoque les liens de
la vassalité.
Même un grammairien, Mino da Colle, déclare à ses élèves : La
possession si recherchée de la science vaut plus que n’importe quel autre
trésor ; elle fait sortir le pauvre de sa poussière, elle rend noble le non-
noble et lui confère une réputation illustre, et permet au noble de dépasser
les non-nobles en appartenant à une élite.
Voilà la science redevenue possession et trésor, instrument de
puissance et non plus fin désintéressée.
Comme l’a noté avec tant de perspicacité Huizinga, le Moyen Âge, à
son déclin, tend à établir une équivalence chevalerie-science, à donner au
titre de docteur les mêmes droits qu’à celui de chevalier. Science, Foy et
Chevalerie sont les trois lis du Chapel des fleurs de lis de Philippe de
Vitry (1335) et l’on peut lire dans le livre des faicts du maréchal de
Boucicaut : « Deux choses ont été instituées par la volonté de Dieu,
comme deux piliers pour étayer l’ordre des lois divines et humaines. Ces
deux piliers sont chevalerie et science, qui moult bien conviennent
ensemble. » Froissart en 1391 distingue les chevaliers en armes et les
chevaliers en lois. L’empereur Charles IV avait donné l’accolade à
Bartole, et le droit de porter les armes de Bohême. Terme de cette
évolution : François Ier en 1533 accorde la chevalerie aux docteurs de
l’Université.
On comprend que des personnages devenus si éminents n’acceptent
plus le risque d’être confondus avec des travailleurs. Ce serait renoncer à
la noblesse en vertu du principe de dérogeance, si fort en France surtout,
où Louis XI luttera vainement contre lui. Les intellectuels se joignent à
l’opinion qui tient à nouveau le travail manuel en profond mépris, ce qui,
au temps de l’humanisme, sera aggravé, comme l’a bien vu Henri Hauser,
par les préjugés nourris par les lettres gréco-latines. On est loin désormais
de l’élan qui dans les villes des XIIe et XIIIe siècles rapprochait arts
libéraux et arts mécaniques dans un dynamisme commun. Ainsi
s’accomplit le divorce, menaçant dans la scolastique, entre théorie et
pratique, entre science et technique. On le voit bien chez les médecins. La
séparation s’opère entre le médecin-clerc et l’apothicaire-épicier,
chirurgien. Au XIVe siècle en France une série d’édits et d’ordonnances
sanctionne la division des chirurgiens, le premier édit étant de Philippe le
Bel en 1311. On distingue désormais les chirurgiens de robe longue qui
ont les grades de bachelier ou de licencié, en vertu de statuts dont les
premiers connus sont de 1379, et qui forment une aristocratie chirurgicale,
et les barbiers qui font le poil et s’adonnent à la petite chirurgie, vendent
onguents et tisanes, saignent, pansent plaies et bosses, et ouvrent les
apostèmes. Deux confréries différentes — la religion se modèle sur la
société — les groupent, celle de saints Cosme et Damien pour les
premiers, celle du Saint-Sépulcre pour les seconds. On mesure quel
handicap va faire peser sur les progrès de la science cette cloison établie
entre le monde des savants et le monde des praticiens, le monde
scientifique et le monde technique.

Saint Cosme et saint Damien en habit de docteur


Les collèges et l’aristocratisation des universités

Cette aristocratisation de l’université se marque aussi dans le


développement des collèges qu’il faut restituer dans ses justes
perspectives. Fondations charitables, les collèges n’ont d’abord accueilli
qu’une très faible minorité de privilégiés, et n’ont pas été non plus les
centres d’études qu’on a dit. Si, plus tard, quelques-uns accaparèrent
certains enseignements au point que le collège fondé en 1257 par Robert
de Sorbon finit par se confondre avec la Faculté de Théologie et donner
son nom à l’Université de Paris, si les universités d’Oxford et de
Cambridge s’éparpillèrent dans les collèges devenus la base de
l’enseignement suivant un système qui demeure encore en grande partie
intact, ils n’ont pas eu en général, le rôle qu’on veut rétrospectivement
leur faire jouer. Beaucoup atteignirent rapidement la renommée : les
collèges d’Harcourt (1280) et de Navarre (1304) avec la Sorbonne à Paris ;
celui d’Espagne fondé à Bologne en 1307 par le cardinal Albornoz ;
Balliol (1261-1266), Merton (1263-1270), University (vers 1280), Exeter
(1314-1316), Oriel (1324), Queen’s (1341), New College (1379), Lincoln
(1429), All Souls fondé en 1438 pour le repos de l’âme des Anglais
tombés pendant la guerre de Cent ans, Magdalen (1448) à Oxford,
Peterhouse (1284), King’s Hall, Michael-house (1324), University (1326),
Pembroke (1347), Gonville (1349), Trinity Hall (1350), Corpus Christi
(1352), Godshouse (1441-1442), King’s College (1441), Queen’s College
(1448), S. Catharine’s (1475), Jesus (1497) à Cambridge. Mais ces
établissements, s’ils attirent naturellement vers eux des enseignements qui
n’avaient pas de bâtiment propre, sont des entreprises bien différentes de
l’image qu’on en a traditionnellement donnée. Ils deviennent le centre
d’une seigneurie, louent ou achètent des maisons, dans les environs
d’abord, puis dans la campagne et les villages des environs, les exploitent
commercialement. Ils se font reconnaître sur le quartier des droits de
juridiction, réglementent la circulation dans les rues avoisinantes, logent
dans leurs bâtiments, à Paris notamment, les grandes familles de
magistrats, surtout celles du Parlement. Le quartier de la Sorbonne devint
ainsi un des « enclos judiciaires » de Paris. Les collèges revenaient au
style des anciennes abbayes. Ils cristallisèrent l’aristocratisation des
universités, en accentuèrent le caractère fermé en même temps qu’ils
accroissaient la compromission des universitaires et de l’enseignement
avec une oligarchie — de robe surtout.
Ainsi les universités devenaient elles-mêmes des puissances ancrées
dans le temporel, propriétaires dont les soucis économiques débordaient
l’administration des affaires corporatives, des seigneuries. Les sceaux qui
avaient été l’insigne de la corporation devenaient les armes de la dame.

Nicolas de Cues
Évolution de la scolastique

À cette évolution sociale correspond une évolution parallèle de la


scolastique elle-même qui en vient à renier ses exigences fondamentales.
De l’extrême complexité de la philosophie et de la théologie aux XIVe et
XVe siècles, essayons de dégager quelques lignes de force qui s’éloignent
des positions de la scolastique du XIIIe siècle : le courant critique et
sceptique qui trouve son origine dans Duns Scot et Ockham ;
l’expérimentalisme scientifique qui, chez les Mertoniens d’Oxford et les
docteurs parisiens (Autrecourt, Buridan, Oresme) conduit à l’empirisme ;
l’averroïsme qui, à partir de Marsile de Padoue et de Jean de Jaudun,
s’achève surtout en politique, comme on verra, et que côtoient les grands
hérésiarques Wyclif et Jean Hus ; l’anti-intellectualisme enfin qui colore
bientôt toute la scolastique du déclin du Moyen Âge, se nourrit aux
sources du mysticisme de maître Eckhart et se vulgarise au XVe siècle à
travers Pierre d’Ailly, Gerson et Nicolas de Cues.

Divorce entre la raison et la foi

Avec les grands docteurs franciscains Jean Duns Scot (1266-1308) et


Guillaume d’Ockham (vers 1300-vers 1350) la théologie s’attaque au
problème majeur de la scolastique : l’équilibre de la raison et de la foi. À
partir de 1320 environ, comme l’a bien vu Gordon Leff1, la tradition
anselmienne de la foi en quête de l’intelligence est abandonnée en même
temps que les efforts pour trouver une union entre le créé et le divin, qui
avait été, à travers des approches différentes, l’ambition des augustiniens
comme des thomistes ; encore que le climat augustinien se retrouve
davantage aux XIVe et XVe siècles que l’esprit thomiste contre lequel
s’insurgent au contraire les penseurs de ce temps.
C’est Duns Scot qui, le premier, a entrepris de rejeter la raison des
affaires de la foi. Dieu est si libre qu’il échappe à la raison humaine. La
liberté divine devenant le centre de la théologie, celle-ci est mise hors
d’atteinte de la raison. Guillaume d’Ockham poursuivit cette œuvre et
rendit complet le divorce entre la connaissance pratique et la connaissance
théorique en appliquant les conséquences de la doctrine scotiste à la
relation de l’homme à Dieu. Il distingue une connaissance abstraite et une
connaissance intuitive. Par opposition à la connaissance intuitive, la
connaissance abstraite ne nous permet pas de savoir si une chose qui
existe, existe, ou si une chose qui n’existe pas, n’existe pas… La
connaissance intuitive est celle par laquelle nous savons qu’une chose est,
quand elle est, et qu’elle n’est pas, quand elle n’est pas. Sans doute,
comme l’a montré Paul Vignaux, la logique ockhamienne ne conduisait
pas forcément au scepticisme. Le processus de la connaissance
n’impliquait pas nécessairement l’existence de l’objet connu. La vérité
s’atteignait par deux ordres de démarches entièrement séparées : la preuve
ne concernait que ce que l’on pouvait assurer par l’expérience ; tout le
reste était affaire de spéculation, n’entraînant aucune certitude, tout au
plus des probabilités. Mais l’application de ces principes par Ockham lui-
même à la théologie débouchait sur le scepticisme. Dieu n’étant défini que
par sa toute-puissance, il devient synonyme d’incertitude, il n’est plus la
mesure de toutes choses… En conséquence, la raison ne pouvait plus
soutenir ou confirmer la croyance. La croyance ne pouvait qu’abandonner
le champ de la discussion, laissant la place libre au fait, ou se soumettre
au doute qui régissait tout le domaine extra-sensible.
K. Mischalsky a bien montré comment les ockhamistes ont, à partir
de ces données, développé philosophie et théologie en criticisme et
scepticisme. L’enseignement même des universités en porte la marque
profonde. Le commentaire des Sentences de Pierre Lombard, pierre de
touche de l’enseignement théologique jusque-là, est de plus en plus
dédaigné. Après Ockham les questions diminuent en nombre et se
concentrent de plus en plus sur la toute-puissance, le libre arbitre. Tout
l’équilibre de la nature et de la grâce est en même temps rompu. L’homme
peut accomplir tout ce que Dieu réclame de lui en dehors même de la
grâce. Tout enseignement dogmatique est de nulle portée. L’ensemble des
valeurs se trouve bouleversé. Le bien et le mal ne s’excluent plus
nécessairement. Les forces humaines ne peuvent plus être discutées qu’en
termes naturels, confrontées à l’expérience.
En face les adversaires de l’ockhamisme — comme l’oxfordien
Thomas Bradwardine — acceptent de se placer sur le même plan, posent
les mêmes problèmes. Leur autoritarisme qui fait de l’autorité du dogme
le centre de toute vérité et de toute connaissance conduit à une exclusion
aussi radicale de la raison. Comme l’a profondément vu Gordon Leff, sans
ce travail destructeur de la théologie sceptique il n’aurait pu y avoir ni
Renaissance ni Réforme. Désormais la route est libre pour un volontarisme
qui, déformé, perverti, légitimera la volonté de puissance, justifiera la
tyrannie du prince. Les derniers scrupules seront balayés — tels ceux de
Gabriel Biel qui, défendant son maître Ockham, affirme qu’il n’a malgré
tout pas trahi son métier d’intellectuel : Il serait honteux qu’un théologien
ne puisse donner quelque intelligence et quelque raison de croire, ou de
Pierre d’Ailly qui déclare en une pure réserve de style : Notre foi étant
vraie et très salutaire, il ne conviendrait pas qu’on ne puisse la défendre
ni la soutenir avec des arguments probables.

Limites de la science expérimentale

C’est ce criticisme qui sous-tend l’œuvre logique et scientifique des


Mertoniens comme William Heybtesbury et Richard Swineshead — issue
par ailleurs de la lignée de Grosseteste et de Roger Bacon — et des
Parisiens Nicdlas d’Autrecourt, Jean Buridan, Albert de Saxe, Nicole
Oresme. Ils se contentent de l’expérience : Je ne donne pas tout cela pour
assuré, mais je demanderai seulement à Messieurs les Théologiens de
m’expliquer comment tout cela peut se produire.
De ces maîtres on a fait les précurseurs des grands savants des débuts
de l’âge moderne ; Jean Buridan qui fut recteur de l’Université de Paris et
que la postérité connaît paradoxalement pour ses prétendues amours
scandaleuses avec Jeanne de Navarre et pour son âne célèbre, aurait
pressenti les fondements de la dynamique moderne, donné une définition
du mouvement d’un corps qui serait tout près de l’impeto de Galilée et de
la quantité de mouvement de Descartes. Si celui qui lance des projectiles
meut avec une égale vitesse un léger morceau de bois et un lourd morceau
de fer, ces deux morceaux étant d’ailleurs de même volume et de même
figure, le morceau de fer ira plus loin parce que l’élan qui est imprimé en
lui est plus intense. Albert de Saxe, par sa théorie de la pesanteur, aurait
exercé son influence sur tout le développement de la statique jusqu’au
milieu du XVIIe siècle, et conduit à l’étude des fossiles Léonard de Vinci,
Cardan et Bernard Palissy. Quant à Nicole Oresme qui aurait aperçu
clairement la loi de la chute des corps, le mouvement diurne de la terre et
l’usage des coordonnées, il serait le prédécesseur direct de Copernic.
Selon P. Duhem ses démonstrations s’appuient sur des arguments dont la
clarté et la précision surpassent de beaucoup ce que Copernic a écrit sur
le même sujet. Vues discutables, et qui ont été discutées. Il reste que,
même si ces savants ont eu ces intuitions remarquables, elles sont restées
longtemps stériles. Elles se heurtaient, pour devenir fécondes, à des
goulots d’étranglement de la science médiévale : l’absence d’un
symbolisme scientifique capable de traduire en formules claires et
susceptibles d’applications étendues et faciles les principes de leur
science, le retard des techniques incapables de tirer parti des découvertes
théoriques, la tyrannie de la théologie qui empêchait les « artiens » de
disposer de notions scientifiques claires. Les savants du XIVe siècle
commencent à révéler leurs secrets grâce aux travaux de A. Koyré, A.-L.
Maier, A. Combes, M. Clagett, G. Beaujouan. Mais il semble bien qu’ils
n’ont contribué au discrédit du rationalisme que pour s’engager dans des
impasses.
La sphère terrestre d’après Ptolémée

L’anti-intellectualisme
Ils rejoignent tout le courant anti-intellectualiste qui entraîne
désormais les esprits. Le mysticisme de maître Eckhart exerce sa
séduction sur la plupart des penseurs de la fin du Moyen Âge. En 1449 le
cardinal Nicolas de Cues, auteur de la dernière grande somme scolastique
du Moyen Âge prend la défense d’Eckhart, attaque l’aristotélisme et fait
l’Apologie de la docte ignorance. Le plus grand danger contre lequel les
sages nous ont mis en garde, c’est celui qui résulte de la communication
du secret à des esprits asservis à l’autorité d’une habitude invétérée, car
telle est la puissance d’une longue observance que la plupart préfèrent
renoncer à la vie plutôt qu’à la coutume ; nous en faisons l’expérience à
propos des persécutions infligées aux Juifs, aux Sarrasins, et à d’autres
hérétiques endurcis, lesquels affirment comme une loi leur opinion,
confirmée par l’usage du temps, et qu’ils mettent au-dessus de leur vie
même. Or aujourd’hui c’est la secte aristotélicienne qui prévaut, et elle
tient pour hérésie la coïncidence des opposés dont l’admission permet
seule l’ascension vers la théologie mystique. À ceux qui ont été nourris
dans cette secte, cette voie paraît absolument insipide et contraire à leur
propos. C’est pourquoi ils la rejettent au loin et ce serait un vrai miracle,
une véritable conversion religieuse, si, rejetant Aristote, ils progressaient
vers les sommets… Et après avoir pris la défense d’Eckhart il termine par
cette adresse : Je te livre ces déclarations pour que tu les lises et, si tu le
juges nécessaire, les fasses lire à d’autres, afin que par ta chaleur interne
croisse cette admirable semence et que nous nous élevions vers la vision
des réalités divines. Car j’ai déjà entendu dire que grâce à tes soins
fervents cette semence communiquée à travers l’Italie à des esprits zélés
portera beaucoup de fruits. Il n’est aucunement douteux que cette
spéculation l’emportera sur toutes les façons de ratiociner de tous les
philosophes, bien qu’il soit difficile de renoncer aux usages reçus. Et dans
la mesure où tu progresseras, n’oublie pas de me faire profiter sans cesse
de tes progrès. Car c’est là seulement que dans une sorte de pâture divine
je refais avec joie mes forces, autant que Dieu me le permet, usant de la
Docte ignorance et aspirant sans cesse à jouir de cette Vie que, pour
l’instant, je n’aperçois qu’à travers des images éloignées, mais vers
laquelle je m’efforce chaque jour d’approcher davantage. Que Dieu, tant
désiré et à jamais béni, nous accorde, délivrés de ce monde, d’y atteindre
enfin. Amen2.
Déjà Richard Fitzralph, au milieu du XIVe siècle, avait donné en
exemple sa propre conversion de la philosophie à une théologie fidéiste
exprimée dans une prière au Christ à qui il déclare : Jusqu’à ce que je
T’aie eu, Toi qui es la Vérité, pour me conduire, j’avais entendu, sans
comprendre, le tumulte des philosophes dont les bavardages étaient
dirigés contre Toi, les Juifs astucieux, les Grecs superbes, les Sarrasins
matérialistes et les Arméniens ignorants… Et dans sa Somme il abandonne
délibérément les arguments scolastiques pour n’user que du seul texte de
la Bible.
Le grand ennemi désormais, on l’a déjà vu chez Nicolas de Cues,
c’est Aristote. Auparavant, dit encore Fitzralph, ma pensée s’était
attachée aux enseignements d’Aristote et à des argumentations qui ne
paraissaient profondes qu’à des hommes profonds en vanité… Pierre
d’Ailly, qui fut recteur de Paris, lui fait écho : Dans la philosophie ou la
doctrine d’Aristote, il n’y a point ou peu de raisons évidemment
démonstratives… Concluons que la philosophie ou la doctrine d’Aristote
mérite plutôt le nom d’opinion que de science. En conséquence, ces gens
sont fort répréhensibles qui adhèrent avec entêtement à l’autorité
d’Aristote.
Gerson représenté en pèlerin

Telle était aussi la pensée de Jean Gerson, cet autre illustre recteur de
l’Université de Paris au tournant du XIVe et XVe siècle. On a pu lui
attribuer l’Imitation de Jésus-Christ qui déclare : Plusieurs se fatiguent et
se tourmentent pour acquérir la science, et j’ai vu, dit le Sage, que cela
aussi était vanité, travail et affliction d’esprit. À quoi vous servira de
connaître les choses de ce monde, quand ce monde même aura passé ? Au
dernier jour on ne vous demandera pas ce que vous avez su, mais ce que
vous avez fait, et il n’y aura plus de science dans les enfers, vers lesquels
vous vous hâtez. Cessez un vain labeur.
Ainsi la scolastique cède la place à un retour de la sainte ignorance, la
science rationnelle s’efface devant une piété affective dont les sermons et
les opuscules pieux de Gerson et de d’Ailly sont l’expression. Ainsi les
universitaires s’approchent d’une certaine spiritualité humaniste, celle de
la devotio moderna dont on sait quelle séduction elle exercera sur un
Érasme.

La nationalisation des universités : la nouvelle géographie


universitaire

Les universités perdent aussi, au cours de ces deux siècles, leur


caractère international. La cause principale en est la fondation de
nombreuses universités nouvelles dont le recrutement prend un aspect de
plus en plus national ou même régional.
Dès le XIIIe siècle les progrès de la Reconquista espagnole et
l’affermissement de l’autorité des monarques ibériques font naître dans la
péninsule des établissements qui, si certains d’entre eux développent des
écoles déjà antérieurement existantes, n’ont plus ce caractère de formation
spontanée et progressive de Bologne, de Paris et d’Oxford. Ce sont le plus
souvent de véritables créations auxquelles collaborent les souverains et les
papes.
Après l’échec de la fondation d’une université à Palencia,
Salamanque naît grâce aux efforts d’Alphonse IX de Léon entre 1220 et
1230. Elle est définitivement assise avec la charte d’Alphonse X le Sage,
illustre savant lui-même, en 1254 et la bulle de confirmation du pape
Alexandre IV en 1255. Puis apparaissent successivement Lisbonne et
Coïmbre (1290), Lérida (1300), Perpignan (1350), Huesca (1354),
Barcelone (1450), Saragosse (1470), Palma de Majorque (1483), Sigüenza
(1489), Alcala (1499), Valence (1500).

Faculté de théologie de Salamanque, Fray Luis de Leon enseigna dans


cette chaire.

À partir du XIVe siècle ce sont les pays du centre, de l’est et du nord


de l’Europe qui sont gagnés par le mouvement. Première dans l’Empire,
Prague est créée en 1347 par le pape Clément VI à la demande de
Charles IV qui en veut favoriser d’abord son royaume de Bohême. La
suivent Vienne, fondée par Rodolphe IV et Urbain V en 1365, refondée par
Albert III en 1383, Erfurt qui, munie des bulles de deux papes
(Clément VII en 1379 et Urbain VI en 1384) ne voit pourtant le jour qu’en
1392, Heidelberg (1385), Cologne (1388), Leipzig née en 1409 des crises
pragoises, Rostock (1419), Trèves qui fondée en 1454 n’exista vraiment
qu’à partir de 1473, Greifswald (1456), Fribourg-en-Brisgau (1455-1456),
Bâle (1459), Ingolstadt qui après avoir obtenu une bulle de Pie II en 1459
ne s’organisa qu’en 1472, Mayence (1476), Tübingen (1476-1477).
Cependant Louvain, fondée en 1425, attirait les étudiants des pays
bourguignons. Cracovie, fondée par Casimir le Grand en 1364 fut
refondée par Ladislas Jagellon avec l’aide de Boniface IX en 1397-1400,
Pecs enseigna le droit canon à partir de 1367, Budapest fondée en 1389,
fleurit éphémèrement en 1410 et Presbourg est fondée en 1465-1467. La
Suède eut son université à Upsal en 1477, le Danemark la sienne à
Copenhague en 1478. Tandis que Oxford et Cambridge accaparaient le
monde savant anglais, les rois d’Écosse fondaient trois universités à
Saint-Andrews (1413), Glasgow (1450-1451) et Aberdeen (1494).

Sceau de l’université de Cambridge

En Italie des universités éphémères dues souvent à des exodes de


maîtres et d’étudiants de Bologne ou d’ailleurs, se formèrent à Modène, à
Reggio d’Émilie, à Vicence, à Arezzo, à Verceil, à Sienne, à Trévise.
Naples, fondée par Frédéric II comme une machine de guerre contre la
papauté, n’eut de moments brillants que sous le règne de ce monarque.
D’autres universités n’eurent d’importance que par le soutien des princes
italiens qui voulaient en faire une pièce maîtresse de leurs états. La
principale fut Padoue, fondée en 1222, qui, à partir de 1404, devint
l’université de la république vénitienne. Dès 1244, Innocent IV avait fondé
auprès de la cour pontificale une université que les papes tentèrent de
vivifier aux XIVe et XVe siècles à mesure qu’ils affermissaient leur
autorité dans les États de l’Église. Sienne, qui eut une université dès 1246,
la refonda en 1357 par une bulle de l’empereur Charles IV, puis en 1408
par de nouveaux privilèges du pape Grégoire XII. Plaisance,
nominalement fondée en 1248, fut ranimée par Jean-Galéas Visconti en
1398 pour devenir le centre intellectuel de l’état milanais, rôle qu’elle
abandonna en 1412 à Pavie fondée depuis 1361. Florence, entre 1349 et
1472 joua un rôle important comme premier centre humaniste, mais, à
cette époque, Laurent le Magnifique lui préféra comme siège universitaire
pour l’état florentin Pise qui existait depuis 1343. Les Este firent revivre
en 1430 une université qui avait été fondée en 1391 à Ferrare. Le duché de
Piémont eut à partir de 1405, à Turin, une université qui connut des
vicissitudes, et Alphonse le Magnifique, roi d’Aragon et de Sicile fonda
une université à Catane en 1444 avec l’aide du pape Eugène IV.
Exemple, enfin, d’essais de régionalisation universitaire : la France.
À côté de Paris, de Montpellier et d’Orléans nées de centres scolaires déjà
considérables au XIIe siècle, à côté d’Angers, dont l’histoire est obscure,
Toulouse était, comme on sait, fondée en 1229 pour lutter contre l’hérésie
albigeoise. D’autres fondations, dues en grande partie aux événements
militaires, ne mirent au jour que des universités éphémères ou obscures.
Avignon fondée par Boniface VIII dès 1303 ne fut prospère que pendant le
séjour des papes. Cahors, fondée en 1332, dura peu ; Grenoble fondée par
le Dauphin Humbert II végéta à partir de 1339 ; Orange, impériale, n’eut
guère plus de succès entre 1365 et 1475. Louis II de Provence attira à Aix
à partir de 1409 des Bourguignons, des Provençaux, des Catalans, selon la
terminologie des nations à Montpellier. L’université de Dole, fondée par
Philippe le Bon, duc de Bourgogne, avec l’aide du pape Martin V, disparut
en 1481. Valence dut au dauphin, le futur Louis XI, une université qui ne
fut active que pour le droit à partir de 1452. Devenu roi il fonda une
université dans sa ville natale de Bourges en 1464, tandis que le duc de
Bretagne en créait une à Nantes en 1460, qui fut ranimée par Charles VIII
en 1498.
La division de la France entre les Anglais et Charles VII avait donné
naissance à trois universités qui devaient prospérer : Caen (1432) et
Bordeaux (1441) du côté anglais, Poitiers (1431) du côté français.
Montpellier mis à part à cause de sa spécialisation médicale, Paris restait
le grand centre intellectuel des terres françaises ou vivant dans l’orbite
française.
Pourtant cette multiplication des universités avait suffi sinon à faire
disparaître, du moins à réduire le recrutement international des plus
importantes, et en tous cas à ruiner le système des nations, si important
jusqu’alors chez elles puisqu’il était très souvent une pièce maîtresse de
leur structure. Pearl Kibre a retracé l’extinction des nations universitaires
au cours des XIVe et XVe siècles3.

Les universitaires et la politique

Ce processus prend place dans une évolution d’ensemble qui vit les
grandes universités devenir à la fin du Moyen Âge des puissances
politiques, jouer un rôle actif, de premier plan parfois, dans les luttes entre
états, être le théâtre de violentes crises mettant aux prises en leur sein des
« nations » inspirées désormais par un sentiment national, et, pour finir,
s’intégrer dans les nouvelles structures nationales des états. Évoquons
rapidement cette évolution à travers l’averroïsme politique d’Ockham et
de Marsile de Padoue, les crises de Prague et le rôle politique de
l’Université de Paris.
George de Lagarde, dans une suite célèbre d’études sur « La
Naissance de l’esprit laïque au déclin du Moyen Âge », a analysé avec
pénétration les thèses et l’activité politique de Guillaume d’Ockham et de
Marsile de Padoue. Malgré les différences qui séparent les deux hommes,
ils ont mené auprès de l’empereur Louis de Bavière, dans la première
moitié du XIVe siècle, une lutte commune contre la papauté et ses
prétentions temporelles.
De leur activité de polémistes et de théoriciens politiques émerge le
chef-d’œuvre de Marsile de Padoue, le Defensor Pacis. Il est aisé
d’apercevoir les traditions qui l’inspirent, outre l’esprit des communes
italiennes. La tradition gibeline d’abord qui soutient contre les aspirations
pontificales à la domination temporelle le principe de la séparation des
pouvoirs spirituel et temporel et la revendication de celui-ci par
l’empereur. Philosophiquement, une tradition averroïste qui interprète
Aristote tout autrement que ne l’a fait le thomisme, et qui aboutit, dans le
domaine de la philosophie sociale, à un empirisme que l’on définit assez
mal par naturalisme dans la mesure où il tend à libérer le politique du
moral, à donner aux volontés individuelles le pas sur les réalités objectives
profondes, à réduire l’ordre social à un équilibre mécanique, à substituer
la convention à la nature. S’y ajoutera l’influence des légistes et du clan
Dubois-Nogaret qui, autour de Philippe le Bel, a déjà mené au tournant du
XIIIe au XIVe siècle une lutte impitoyable contre la papauté pour la
défense de la monarchie naissante.
Le Christ remettant au pape et à l’empereur
les emblèmes de l’autorité spirituelle et du pouvoir temporel.

La conclusion c’est l’État complet, c’est l’affirmation de l’autonomie


de l’État, fondée sur la séparation du droit et de la morale. La conception
positiviste de la vie sociale conduit au droit divin de l’ordre établi. Si vous
résistez à l’autorité séculière, même si ses détenteurs sont infidèles ou
pervers, vous encourrez la damnation éternelle… L’État tout-puissant
revendique tous les droits dans la vie sociale dont l’unité est fortement
proclamée, il a le pouvoir législatif, exécutif, juridique. Il est universel :
sur un territoire donné aucun sujet ne peut échapper à l’autorité du prince.
En définitive l’État laïque ne se contente pas de rejeter l’Église dans le
domaine spirituel, il réclame pour lui-même une mission spirituelle, le
droit de régenter aussi ce domaine. Il dissout en définitive toute
distinction véritable entre le spirituel et le temporel : Sans doute il
n’appartient pas au législateur humain… de créer ou d’arrêter les
préceptes spirituels, ceux-ci n’étant autre chose que les injonctions ou les
permissions de Dieu lui-même, mais il appartient au législateur et au juge
humain de connaître de tous les actes licites ou illicites accomplis ou omis
par les hommes, laïcs ou prêtres, ministres ou séculiers, tant en ce qui
regarde les choses spirituelles que les choses temporelles, à la condition
toutefois, qu’il ne s’agisse pas d’une matière strictement spirituelle… On
croit entendre Luther : Tout ce qui n’est pas la vie de grâce intime, tout ce
qui matérialise la vie de l’Église est du monde et revient à l’État. Tout ce
qui est exécution de la loi morale dans le siècle échappe à l’Église et
revient à l’État.
Doctrine explosive, qui cheminera et se retrouvera dans des pensées
d’ailleurs aussi différentes que celles de Machiavel ou de Luther, de
Hobbes ou de Rousseau, de Hegel ou d’Auguste Comte, de Lénine ou de
Charles Maurras.
Mais ce qui distingue Ockham, et surtout Marsile de Padoue, de la
tradition gibeline, c’est qu’ils ne songent plus en définitive à réunir dans
un seul état laïque impérial, sinon toute l’humanité, du moins toute la
chrétienté.
Tout oppose — et ici spécialement — Marsile de Padoue à Dante
pour qui l’empereur aurait dû être au contraire le restaurateur de l’unité
fondamentale. La politique scolastique cherchait à étendre à tous les
hommes la cité d’Aristote transformée en cité chrétienne. La politique
marsilienne admet la diversité des nations et des États. On se demande, lit-
on dans le Defensor Pacis, s’il convient que tous les hommes vivant dans
un état civil et répandus sur toute la surface du globe terrestre se donnent
un chef suprême unique ou si, au contraire, il est préférable que, dans les
diverses contrées, séparées par des frontières géographiques,
linguistiques ou morales, chacune des communautés particulières se donne
tel gouvernement qui lui convient. Il semble bien que cette seconde
solution s’impose et qu’il faut y voir l’influence d’une cause céleste,
tendant à limiter la propagation indéfinie de l’espèce humaine. On peut
considérer, en effet, que la nature a entendu modérer cette propagation en
suscitant des guerres ou des épidémies et en semant des difficultés sous les
pas des hommes.

Dante (auteur inconnu)

L’ockhamisme et l’averroïsme politiques — s’ils soutiennent une


thèse extrême et très au-delà des conditions du XIVe siècle, mais qui eut
un retentissement considérable — s’accordent à une tendance générale de
la réflexion intellectuelle appliquée à l’examen de l’évolution politique.
Elle accepte la fin de l’unité, ici aussi, elle se soumet à la division, elle
prend son parti de la cassure de la chrétienté. Elle adopte le
particularisme.

La première université nationale : prague

Elle accepte même le sentiment national. Ainsi à Prague.


L’Université y a été fondée dans un milieu troublé. Internationale comme
toutes les Universités, elle est bientôt en passe d’être accaparée par les
maîtres et étudiants allemands d’autant plus nombreux qu’ils refluent de
Paris au moment du Grand Schisme. Ils se heurtent à l’élément tchèque de
plus en plus conscient de son originalité et de ses aspirations. Cette
opposition ethnique se double d’une opposition corporative : il s’agit de
savoir si les nations dominées par les Allemands l’emporteront sur la
nation tchèque, et quelle sera la répartition entre les différents groupes des
chaires et des offices universitaires. Tout ceci se fonde sur une opposition
sociale : l’élément tchèque s’appuie sur les classes populaires : paysanne
et artisanale autochtones tandis que les Allemands installés dans le pays
représentent surtout la richesse bourgeoise des villes, la majorité de la
noblesse et du clergé.
Jean Huss

Il suffit qu’un personnage de classe, Jean Hus, avec l’aide de ses


amis, apporte une doctrine philosophique et théologique qui doit beaucoup
à Oxford et à Wyclif, sache faire la liaison entre le milieu universitaire et
les milieux populaires de Prague et de Bohème, enthousiasme par son
éloquence et sa passion ses auditeurs et exerce sur le débile roi de
Bohème, Venceslas IV, une pression efficace, pour que le conflit éclate et
soit résolu au profit des Tchèques par le décret royal de Kutnà Horà de
1409. Tandis que la majorité des nations est renversée au profit des
Tchèques, tous les membres de l’Université doivent désormais prêter
serment de fidélité à la couronne de Bohème. Les Allemands quittent
l’Université de Prague et vont fonder celle de Leipzig. C’est une date dans
l’histoire médiévale ; une université nationale est née ; le monde
intellectuel se glisse dans les moules politiques.
Le chemin qui a conduit à l’intégration dans la monarchie nationale
l’Université de Paris a été coupé de traverses.

Paris : grandeurs et faiblesses de la politique universitaire

Avec le départ de beaucoup d’Anglais pendant la guerre de Cent Ans


et de nombreux Allemands au moment du Grand Schisme, l’Université de
Paris tendait déjà à devenir française dans son recrutement. Depuis au
moins le règne de Philippe le Bel elle jouait un rôle politique de premier
plan. Charles V l’appellera la fille aînée du Roi. Elle est officiellement
représentée dans les conciles nationaux de l’Église de France et dans les
assemblées des États Généraux. Sa médiation sera demandée au moment
de la lutte entre Étienne Marcel et les Parisiens et la Cour, lors de
l’insurrection des Maillotins ; elle sera signataire du traité de Troyes.
Son prestige est immense. Elle ne le tire pas seulement de ses
membres effectivement étudiants ou enseignants mais de tous les anciens
maîtres qui occupent par toute la France, et à l’étranger, des postes de
premier plan et ont conservé avec elle des liens étroits.
Pourtant elle demeure attachée à la Papauté d’autant plus que les
papes d’Avignon, tous français, la favorisent considérablement. Ils se
l’attachent par les liens de largesses toujours plus importantes. C’est
désormais chaque année que part pour la Cour d’Avignon un rotulus
nominandorum, un rôle contenant les noms des maîtres pour qui
l’Université demande au pape de donner des provisions ou des grâces
expectatives à des bénéfices ecclésiastiques. Si elle est la fille aînée du roi
de France elle est aussi la première école de l’Église et joue un rôle
international d’arbitre en matière théologique.
Le Schisme troubla cet équilibre. L’Université opta d’abord pour le
pape d’Avignon puis, lasse des exactions croissantes de la papauté,
soucieuse de rétablir l’unité de l’Église, elle fit décider son abandon —
momentané — par le roi de France et réclama inlassablement la réunion
d’un concile pour mettre fin au schisme par l’abdication des pontifes
rivaux. En même temps elle se faisait le champion de la supériorité du
concile sur le pape, et de l’indépendance relative de l’Église nationale à
l’égard du Saint-Siège, du gallicanisme. Mais si la première attitude lui
valait un grand prestige dans la Chrétienté, la seconde ne tendait à la
détacher de la papauté que pour la placer sous l’influence croissante de la
monarchie.
Son succès parut enfin s’affirmer. Le concile de Constance où elle
joua un rôle de leader sembla consacrer son triomphe. On y vit pourtant de
curieuses attitudes de certains universitaires. Comme l’a bien montré E. F.
Jacob4, les universitaires anglais y prirent, contre toute attente, le parti de
la papauté dans la collation des bénéfices. Ils pensaient à leurs intérêts,
mieux servis en définitive de ce côté.

Mais le concile de Bâle, où ils ne jouèrent d’ailleurs qu’un rôle


éphémère, se termina par un échec et la victoire de la papauté. Entre temps
une grave crise, française celle-là, avait fort ébranlé la position de
l’Université de Paris.
Les troubles du règne de Charles VI culminèrent avec la révolution
cabochienne à Paris, puis avec le partage du pays entre Anglais et
Français, Paris étant la capitale du roi anglais. Sans doute l’Université
n’embrassa pas tout de suite, ni toute entière, le parti bourguignon. Le duc
s’appuyait sur les ordres mendiants à qui l’Université était
traditionnellement opposée. Elle avait condamné et poursuivait Jean Petit,
l’apologiste du meurtre du duc d’Orléans. Au moment de la conquête
anglaise beaucoup de maîtres quittèrent Paris, entourèrent le dauphin,
formèrent l’ossature administrative du royaume de Bourges, vinrent
peupler la nouvelle Université de Poitiers.
Mais ceux qui étaient restés à Paris, après avoir burgundisé, se
soumirent aux volontés anglaises. Le plus fameux épisode de cette période
anglaise de l’Université de Paris, c’est l’action qu’elle mena contre Jeanne
d’Arc. En lui manifestant son hostilité — malgré Gerson — elle ne faisait
pas d’ailleurs que plaire à son maître étranger. Elle suivait aussi l’opinion
populaire très hostile à la Pucelle, comme en témoigne, entre autres, le
Bourgeois de Paris. Elle montrait aussi à quel point ces intellectuels
imbus d’eux-mêmes étaient incapables de se départir de leur morgue de
savants face à la glorieuse naïveté, à la candide ignorance de Jeanne. On
sait que l’Université conduisit le procès contre la Pucelle, et annonça la
condamnation au roi d’Angleterre avec une satisfaction non dissimulée.
Les cendres du bûcher de Rouen avaient sali le prestige de
l’Université. Aussi, Paris reconquis, Charles VII puis Louis XI montrèrent
leur méfiance envers la « collaboratrice » qui soutenait pourtant leur
politique gallicane et appuya vigoureusement la Pragmatique Sanction.
Jeanne d’Arc devant ses juges

En 1437 le roi lui enlève son privilège fiscal et la force à contribuer


aux aides levées pour la reconquête de Montereau. En 1445 son privilège
judiciaire lui est ôté à son tour et elle devient sujette du Parlement. Le roi
soutient la réorganisation opérée par le cardinal d’Estouteville, légat
pontifical, en 1452. En 1470 Louis XI impose aux maîtres et étudiants
sujets bourguignons de lui prêter serment d’obédience. En 1499 enfin
l’Université perd le droit de grève. Elle est dans la main du roi.
Dans toutes ces luttes, que devenait l’esprit de l’enseignement ? Il
suivait une double évolution qui permet de mieux comprendre les rapports
entre scolastique et humanisme, de nuancer leur opposition ; et de saisir le
passage de l’une à l’autre dans ce relais du flambeau intellectuel.

La sclérose de la scolastique

La scolastique d’un côté s’étiole, malgré des efforts de rénovation


intéressants, malgré les constructions d’un Nicolas de Cues soucieux de
concilier la tradition avec des besoins nouveaux. Elle continue d’ailleurs à
se déchirer elle-même. D’un côté les anciens que sont maintenant les
aristotéliciens et les thomistes, essoufflés, ratiocineurs. De l’autre les
modernes qui se rassemblent sous la bannière du nominalisme issu
d’Ockham. Mais ils se sont enfermés dans l’étude de la logique formelle,
dans des élucubrations sans fin sur la définition des mots, dans des
divisions et des subdivisions factices, dans le terminisme. Les anciens
obtiennent de Louis XI, en 1474, la prohibition de leur enseignement et de
leurs livres, par un édit rapporté dès 1481. Les plus actifs, ce sont peut-
être les scotistes qui tentent vainement de concilier un criticisme de plus
en plus verbal avec un volontarisme fidéiste de plus en plus nuageux. Ils
seront les victimes favorites des attaques d’Érasme et de Rabelais qui
accableront de leur ironie ou de leurs sarcasmes les scotistes prototypes
des scolastiques. Rabelais, d’ailleurs, les mettra tous dans le même panier
dans le catalogue burlesque que feuillette le jeune Pantagruel à la
bibliothèque de Saint-Victor. Pêle-mêle y sont donnés en pâture à la
raillerie Thomas Bricot très ingénieux interprète des nominalistes, Pierre
Tateret, chef du scotisme parisien après 1490, Pierre Crockart, rénovateur
de l’enseignement du thomisme, Noël Bédier, Jean Mair (Major), Jacques
Almain, ockhamistes notoires.
Le théologien,
illustration d’Holbein pour l’Éloge de la Folie

C’est de ce verbalisme que se moque aussi Villon dont l’oreille


distraite, mieux que n’importe quelle autre, n’entendait aux cours de
Sorbonne que le son creux des mots.
Finablement, en escrivant
Ce soir, seullet, estant en bonne,
Dictant ces lays et descrivant,
J’oys la cloche de Sorbonne
Qui tousiours a neuf heures sonne
Le salut que l’ange predit ;
Si suspendy et y mis bonne
Pour pryer comme le cueur dit.

Ce faisant, je m’entr’oublié
Non pas par force de vin boire,
Mon esperit comme lié ;
Lors je sentis dame Mémoire
Reprendre et mettre en son aulmoire
Ses espèces colateralles,
Oppinative faulse et voire,
Et autres intellectualles.

Et mesmement l’estimative,
Par quoy prospective nous vient,
Similative, formative,
Desquels bien souvent il advient
Que, par leur trouble, homme devient
Fol et lunatique par moys ;
Je l’ai leu, se bien m’en souvient,
En Aristote aucunes foiz.

C’est cette scolastique dépravée, caricaturale, moribonde que les


humanistes ont surtout rejetée.

Les universitaires s’ouvrent a l’humanisme

Pourtant l’enseignement universitaire s’ouvrait d’un autre côté à ces


goûts nouveaux. Dans les universités italiennes d’abord, où la scolastique
n’avait pas les mêmes traditions qu’à Paris ou Oxford, où la tradition des
lettres antiques s’était mieux maintenue et se réveillait plus tôt avec le
renouveau romain, où le reflux de la science byzantine en face de la
menace turque soutenait la résurgence de l’hellénisme. À Bologne, Pierre
de Muglio, enseigne la rhétorique de 1371 à 1382, Coluccio Salutati y
passe. Le grec y est enseigné depuis 1424 et Filelfe réussit à y gagner une
partie des étudiants d’abord indifférents. Surtout entre 1450 et 1455 le
célèbre cardinal Bessarion réorganise l’université en qualité de gouverneur
de la ville pour le pape et de recteur. L’enseignement des humanités
(studia humanitatis) ne cesse plus à Bologne.

Padoue a peut-être été plus précoce encore et au XVe siècle son


annexion par Venise y développe brillamment l’étude du grec, dont
s’émerveillera Alde Manuce. Après Guarino, Filelfe, Victorin de Feltre,
des byzantins réfugiés continuent la tradition avec Démétrius
Chalcondylas et Marc Mousourous. Ici, plus encore qu’à Bologne,
l’influence de Bessarion a été profonde.
Thomas More en famille (dessin de Holbein)

Les seigneuries naissantes favorisent ces courants. À Florence, à côté


de la fameuse Académie platonicienne, l’Université, avec Ambroise le
Camaldule, Aurispa, Guarino, Filelfe, explique Cicéron et Térence,
Lucien, Pindare, Démosthène, Plotin, Procus, Philon, Strabon. Quand
Laurent le Magnifique transporte l’Université de Florence à Pise en 1472,
on y crée aussitôt des chaires de poésie, d’éloquence, de mathématiques et
d’astronomie. Les Visconti, puis les Sforza, font de même à Pavie dont les
relations avec la France seront si étroites au XVe siècle et pendant les
guerres d’Italie. A Ferrare, les Este suivent cette politique et appellent
comme professeur et recteur l’un des principaux hellénistes du temps,
Théodore Gaza. À la Sapience de Rome, même ferveur pour les lettres
classiques qu’enseignent Filelfe, Enoc d’Ascoli, Argyropoulos, Théodore
Gaza.
Mais ni Oxford, ni Paris ne sont imperméables non plus à
l’humanisme, ni Prague où un cercle humaniste raffiné, perméable aux
influences italiennes — de Pétrarque à Cola di Rienzo — se forme au
milieu du XIVe siècle, autour de Charles IV et de la nouvelle Université.
Au début du XIVe siècle déjà Nicholas Trivet qui enseigna à Oxford, à
Londres et à Paris, commentait les Déclamations de Sénèque l’Ancien, les
tragédies de Sénèque le Jeune, Tite-Live. Surtout, le don à l’Université
d’Oxford en 1439 et 1443, par le duc Humphrey de Gloucester, de sa
bibliothèque riche en classiques grecs et latins et en Italiens y répandait
l’esprit de l’humanisme. Oxford s’apprêtait aux leçons de Linacre, de
Grocyn, de Colet, de Thomas More. Elle attendait Érasme.
La première génération des humanistes français avec Jean de
Montreuil, Nicolas de Clamanges, Gontier Col, Guillaume Fillastre, a des
liens avec l’Université de Paris. C’est d’être humaniste que, dans une
lettre à Guillaume Fillastre, Jean de Montreuil loue le chancelier Gerson :
… Alors que, selon la renommée, rien ne t’échappe de ce qu’on peut
savoir, et j’en connais de nombreux signes, je ne cesse de m’étonner que tu
ne suives pas la trace de l’illustre chancelier de Paris, homme d’une
exceptionnelle culture. Je ne veux pas parler de sa vie ni de ses mœurs, ni
même de sa science de la religion chrétienne ou de la théologie théorique,
dans lesquelles vous êtes tous deux parvenus à tant de distinction et de
hauteur. Je veux parler de l’art de conter et de persuader qui repose
surtout sur les règles de la rhétorique et de l’éloquence grâce auxquelles
on l’atteint et sans quoi l’expression, qui me paraît être le but de la
culture, est réduite à être inefficace, vide et creuse… Le théologien
Guillaume Fichet qui, en 1470, introduit l’imprimerie dans le Collège de
Sorbonne, est un ami de Bessarion, cherche à concilier son admiration
pour Pétrarque avec le respect de la tradition thomiste, souhaite la
résurrection du platonisme. Robert Gaguin, doyen de la Faculté de Droit
canon, groupe autour de lui des humanistes enthousiastes de Pétrarque, est
en relation étroite avec les Florentins. Si Érasme, dégoûté par la discipline
barbare que fait régner Jean Standonck au Collège de Montaigu ne conçoit
de son passage à l’Université que mépris pour la scolastique décadente
qu’on y enseigne, Jacques Lefèvre d’Étaples, maître ès arts, professeur au
collège du Cardinal Lemoine, répand à Paris une des plus pures formes
d’humanisme, sur laquelle il faut relire les belles pages d’Augustir
Renaudet.
Il reste que, si l’humanisme s’attaquait surtout à une scolastique
sclérosée, et si les universitaires se laissaient parfois entraîner à
l’humanisme, il y a opposition profonde entre l’intellectuel médiéval et
l’humaniste de la Renaissance.

Le retour a la poésie et a la mystique

L’humaniste est profondément anti-intellectualiste. Il es plus


littéraire que scientifique, plus fidéiste que rationaliste Au couple
dialectique-scolastique, il oppose pour le lu substituer le couple
philologie-rhétorique. Avec lui Platon déconsidéré comme philosophe aux
yeux d’Albert le Grand à cause de sa langue et de son style, retrouve grâce,
et parce qu’il est poète, est considéré comme le Philosophe Suprême.
Lefèvre d’Étaples, s’il donne une admirable édition de l’Éthique à
Nicomaque d’Aristote, penche vers les poète et les mystiques. Son idéal
est celui de la connaissance contemplative. Il publie les Livres
Hermétiques — dans la traduction de Marsile Ficin, — les œuvres du
Pseudo Denys les contemplations du Franciscain Raymond Lull, les
mystiques Richard de Saint-Victor, Sainte Hildegarde de Bingen
Ruysbrœck, et ce Nicolas de Cues enfin qui s’était fait l’apôtre de la Docte
Ignorance.
Lorenzo Valla lui-même, ce philologue rigoureux, le plus strict des
humanistes du Quattrocento, prêchant dans l’église des Dominicains de
Rome le 7 mars 1457 en l’honneur de saint Thomas d’Aquin y déclare son
éloignement pour sa méthode : Beaucoup sont convaincus qu’on ne peut
devenir théologien sans connaître les préceptes de la dialectique, de la
métaphysique, et de toute la philosophie. Que dire ? Craindrais-je de dire
toute ma pensée ? Je loue en saint Thomas l’extrême subtilité de
l’expression, j’admire sa diligence, je suis stupéfait devant la richesse, la
variété, la perfection de sa doctrine… Mais je n’admire pas autant la soi-
disant métaphysique, connaissances encombrantes qu’il vaudrait mieux
ignorer, parce qu’elles empêchent de connaître des choses meilleures. La
vraie théologie pour lui — comme pour Lefèvre d’Étaples — est chez
saint Paul qui ne parle pas en philosophe vide et trompeur — (per
philosophiam et inanem fallaciam).
Le premier livre imprimé à la Sorbonne
Salluste entouré de ses deux traducteurs italiens
Lorenzo Valla et Giovanni Bri.

La philosophie doit se voiler dans les plis de la rhétorique et de la


poésie. Sa forme parfaite c’est le dialogue platonicien.
Une querelle révélatrice avait opposé dans la première moitié du
XVe siècle un scolastique et un humaniste autour de la traduction
d’Aristote.

Autour d’aristote : le retour au beau langage

Leonardo Bruni avait publié à Florence une traduction nouvelle de


l’Éthique à Nicomaque d’Aristote. Ce travail s’imposait, disait-il, car
l’ancien traducteur, Robert Grosseteste et non, comme on l’a cru,
Guillaume de Moerbeke, travaillant pour saint Thomas, connaissait mal et
le grec et le latin, commettant des erreurs et écrivant une langue barbare.
Le cardinal Alonso Garcia de Carthagène, évêque de Burgos et
professeur à l’Université de Salamanque, lui répliqua vertement.
Le débat, il l’a bien vu, est entre forme et fond. Pour les humanistes
la première est tout, pour les scolastiques elle n’est que la servante de la
pensée.

Miniature ornant la traduction des « Éthiques » d’Aristote


par Nicolas Oresme.

Ma réponse, dit Alonso Garcia, c’est que Leonardo, s’il a montré


suffisamment d’éloquence, a fait preuve de peu de culture philosophique.
Il relève les trahisons de la pensée aristotélicienne commises par
l’humaniste en quête de belles phrases et prend la défense de l’ancien
traducteur dont il explique le dessein : Il n’a pas seulement traduit les
livres d’Aristote du grec en latin, mais il l’a interprété avec autant de
vérité que possible, et la plus grande élégance ni les plus beaux ornements
ne lui auraient pas fait défaut s’il avait voulu en user… Mais l’ancien
interprète, qui s’attachait davantage à la vérité philosophique, n’a pas
voulu d’excès d’ornements afin d’éviter les erreurs dans lesquelles celui-
ci est tombé. Il voyait bien en effet que la langue latine ne pouvait pas
aspirer à la même richesse d’expression que la grecque.
Et de donner à l’humaniste une leçon de philologie historique : La
langue latine n’a cessé d’emprunter non seulement aux Grecs mais aux
peuples barbares et à tous les peuples de la terre. De même plus tard le
latin s’est enrichi de mots gaulois et germains. Ne vaut-il pas mieux quand
il y a un équivalent vulgaire bref et exact l’adopter plutôt que d’avoir
recours à de longues circonlocutions en langage classique ?
Même réplique de la part du scolastique Jean Mair, qu’irritent les
railleries des érasmiens et des fabristes contre la barbarie des gothiques :
La science n’a pas besoin de beau langage.
Sans doute le latin scolastique mourait et n’exprimait plus qu’une
science elle-même fossile. Les langues vulgaires à qui appartenait l’avenir
conquéraient leurs dignités et il y aura des humanistes pour les y aider.
Mais le latin humaniste fit définitivement du latin une langue morte. Il
enlevait à la science le seul langage international qu’elle pût avoir en
dehors des chiffres et des formules. Il en faisait le trésor désuet d’une
élite.

L’humaniste aristocrate

Car l’humaniste est un aristocrate. Si l’intellectuel du Moyen Âge a


finalement trahi sa vocation de travailler scientifiquement, c’était en
reniant sa nature. L’humaniste, d’emblée, prend l’esprit, le génie pour
enseigne, quand même il pâlit sur les textes ou que son éloquence sent
l’huile. Il écrit pour les initiés. Quand Érasme publie les Adages ses amis
lui disent : Tu révèles nos mystères !
Oui, le milieu dans lequel naît l’humaniste est bien différent du
fiévreux chantier urbain, ouvert à tous, soucieux de faire progresser de
front toutes les techniques et de les relier dans une économie commune, où
l’intellectuel médiéval s’était formé.
Le milieu de l’humaniste, c’est celui du groupe, de l’Académie
fermée et, quand le véritable humanisme conquiert Paris, il ne s’enseigne
pas à l’Université, mais dans cette institution pour une élite : le Collège
des lecteurs royaux, le futur Collège de France.
Son milieu, c’est la cour du prince. Au sein même de la querelle
philologique qui l’opposa à Leonardo Bruni, Alonso Garcia semble en
avoir eu le pressentiment : L’« urbanité » désigne pour vous cette
« humanité » qui tant par les paroles que par le geste va au-devant des
honneurs. On désigne sous le nom d’« urbains » ceux qui ont pris
l’habitude de fléchir le genou, d’abaisser leur capuchon, de refuser la
préséance et les premières places même entre égaux. Mais ceux-là nous,
nous les appelons « curiales » ou si ce mot te déplaît car il a un autre sens
en droit civil, et si tu me permets d’user du langage vulgaire, nous les
appelons « courtisans » et l’« urbanité » nous l’appelons « curialité » ou
pour employer un mot du langage chevaleresque nous l’appelons
« courtoisie ». Balthasar Castiglione, moins d’un siècle plus tard, allait
résumer l’idéal social des humanistes dans Il Cortegiano — le Courtisan.
L’étymologie ici prend tout son sens. Du monde de la ville (urbs) on
est passé au monde de la cour. Différents intellectuellement, les
humanistes sont encore plus éloignés socialement des intellectuels
médiévaux.
Dès le début leur milieu c’est la protection des grands, le
fonctionnariat, la richesse matérielle. Gontier Col est receveur des aides
en France et en Normandie (où il trafique avec Charles de Navarre),
secrétaire du duc de Berry. Notaire puis secrétaire du roi, général sur la
finance des aides, un des deux trésoriers du roi, chargé de missions et
d’ambassades. Haï par le peuple, il voit son hôtel parisien pillé par les
cabochiens. Déjà fils de riches bourgeois, ce qui lui a permis de faire
traîner ses études, il a profité de ses mécènes et de ses charges pour
accroître considérablement sa fortune. Anobli, il a la censive de plusieurs
maisons à Sens, la seigneurie de Paron avec un vignoble, un hôtel à Paris,
rue Vieille-du-Temple. Il mène grand train de vie, possède une nombreuse
domesticité, des tapisseries, des chevaux, des chiens, des faucons, il a la
passion du jeu. Tout cela ne l’empêche pas de louer, à la manière des
anciens, la sancta simplicitas. Il fait partie de la Cour Amoureuse de
Charles VI, présidée par les ducs de Bourgogne et de Bourbon.
Jean de Montreuil cumule les protecteurs et les charges, il est
secrétaire du roi, du Dauphin, des ducs de Berri, de Bourgogne et
d’Orléans, aimant à faire valoir son influence auprès de ses relations (Toi
qui préfères, lui répliquent-ils avec flagornerie, user de ton crédit à la
cour pour tes amis plutôt que pour toi-même). Il cumule en même temps
les prébendes ecclésiastiques. S’il reste célibataire, c’est par pur égoïsme :

Tu nous as gâtés, Seigneur, alleluia !


Tu nous as délivrés du joug du mariage, alleluia !

Dans une lettre au cardinal Amédée de Saluces il se déclare comblé


jusqu’à la satiété. Il a une foule de livres, des provisions pour un an,
plusieurs habitations, des habits, des chevaux, des objets d’art jusqu’au
superflu. Il est célibataire, il a des amis incomparables ; sur quoi il
intrigue pour obtenir un gras bénéfice.
Le Prince s’est réservé la vie civile. Les humanistes le servent
souvent, mais toujours lui abandonnent la direction de la société. Ils
travaillent dans le silence. Ils dissimulent d’ailleurs qu’ils travaillent. Ce
qu’ils vantent c’est le loisir, l’oisiveté occupée aux belles-lettres, l’otium
de l’aristocratie antique. Ne rougis pas de cette illustre et glorieuse
oisiveté, dont les grands esprits se sont toujours délectés, écrit Nicolas de
Clamanges à Jean de Montreuil.

Le retour à la campagne

Ce loisir distingué et studieux, où le trouver mieux qu’à la


campagne ? Ici s’achève le mouvement qui retire l’intellectuel des villes
et le fait refluer vers la campagne. L’accord ici encore est parfait avec
l’évolution économique et sociale. Bourgeois enrichis et princes
investissent leurs capitaux dans la terre, y font construire des villas ou des
palais, modestes ou luxueux suivant leur fortune. L’Académie néo-
platonicienne de Florence se réunit dans la villa des Médicis à Careggi.
Jean de Montreuil, Nicolas de Clamanges, Gontier Col possèdent tous
des villas où ils se retirent pour le loisir humaniste. Jean de Montreuil
vante le calme de l’abbaye de Châlis et Nicolas de Clamanges la
tranquillité du prieuré de Fontaine-au-Bois. Ils y retrouvent l’homme
intérieur de saint Bernard, mais avec Cicéron et Horace. Fuyant la pompe
des cours et le tumulte des villes, tu habiteras la campagne, tu aimeras la
solitude, dit Jean de Montreuil.
Et voici le début du Banquet Religieux d’Érasme :

EUSÈBE – Maintenant que tout verdoie et rit dans les champs,


j’admire qu’il y ait des gens pour se délecter de la fumée des villes.
TIMOTHÉE – Tous ne sont pas sensibles à l’aspect des fleurs ou des
prés verdoyants, ou des sources et des rivières, ou, s’ils le sont, ils
préfèrent autre chose. Une volupté en chasse une autre, comme un clou un
autre clou.
EUSÈBE – Tu veux sans doute parler des spéculateurs ou de ces
marchands cupides qui leur sont semblables.
TIMOTHÉE – Oui, mais ils ne sont pas les seuls, mon cher, et je
pense à la foule innombrable des autres, jusqu’aux prêtres et aux moines
qui, sans doute par amour du gain, préfèrent vivre dans les villes et dans
les plus populeuses, ne suivant pas en cela l’opinion de Pythagore ou de
Platon, mais de certain mendiant aveugle à qui il était doux d’être pressé
par les foules humaines, car, disait-il, où il y a du monde (populus), il y a
à gagner.
EUSÈBE – Au diable les aveugles avec leur gain : nous, nous sommes
Philosophes.
TIMOTHÉE – Socrate, pourtant, tout Philosophe qu’il était, préférait
les villes aux champs, car il était avide d’apprendre, et les villes offrent
des lieux d’étude. Dans les champs il y a sans doute, disait-il, des arbres,
des jardins, des sources, des rivières, qui nourrissent la vue, mais qui ne
parlent pas et par conséquent n’enseignent rien.
EUSÈBE – Ce qu’a dit Socrate n’a de valeur que si tu te promènes
seul dans les champs. Encore qu’à mon avis la nature n’est pas muette,
mais elle parle de tous côtés et elle offre de nombreux enseignements à qui
la contemple, quand elle s’adresse à un homme attentif et docile. Quoi
d’autre ne cesse de proclamer ce visage si doux de la nature printanière,
sinon la sagesse de l’Artisan Divin, pareille à la bonté ? Mais Socrate,
dans cette retraite, n’enseigne-t-il pas beaucoup à son Phèdre, et n’en
apprend-il pas beaucoup en retour ?
TIMOTHÉE – Si on en rencontrait quelquefois de semblables, il n’y
aurait rien de plus agréable qu’un séjour campagnard.
EUSÈBE – Veux-tu courir ce risque ? Je possède un petit domaine
aux environs, pas grand mais plaisamment cultivé ; je vous y invite demain
à dîner.
TIMOTHÉE – Nous sommes nombreux ; nous ne tiendrons pas dans
ton domaine.
EUSÈBE – Qu’importe ! Tout le banquet sera champêtre, fait, comme
dit Horace, d’un festin qu’on n’a pas acheté. Le vin est sur place ; les
arbres offrent les melons, les pastèques, les figues, les poires, les pommes,
les noix, comme dans les Iles Fortunées, à en croire Lucien. Il s’y ajoutera
peut-être une poule de la basse-cour.
TIMOTHÉE – Eh bien, nous acceptons.

La rupture entre la science et l’enseignement


Ainsi les humanistes abandonnent une des tâches capitales de
l’intellectuel, le contact avec la masse, le lien entre la science et
l’enseignement. Sans doute la Renaissance, à la longue, apportera à
l’humanité la moisson d’un travail orgueilleux et solitaire. Sa science, ses
idées, ses chefs-d’œuvre alimenteront plus tard le progrès humain. Mais
elle est d’abord un repliement, un recul. Il n’est pas jusqu’à l’imprimerie
qui ne favorise peut-être d’abord — avant de répandre partout la culture
écrite — un rétrécissement de la diffusion de la pensée. Ceux qui savent
lire — une petite élite de favorisés — sont comblés. Les autres ne sont
plus nourris des miettes de la scolastique que leur apportaient les
prédicateurs et les artistes du Moyen Âge, tous formés par les Universités.
Il faudra peut-être attendre la Contre-Réforme pour qu’un art se dégage
qui, sous une forme peut-être contestable mais chargée d’intentions
didactiques et apostoliques, cherche à faire participer le peuple à la vie
culturelle.
Rien de plus frappant que le contraste entre les images qui
représentent au travail l’intellectuel du Moyen Âge et l’humaniste.
L’un est un professeur, saisi dans son enseignement, entouré d’élèves,
assiégé par les bancs, où se presse l’auditoire. L’autre est un savant
solitaire, dans son cabinet tranquille, à l’aise au milieu de la pièce dégagée
et cossue où se meuvent librement ses pensées. Ici c’est le tumulte des
écoles, la poussière des salles, l’indifférence au décor du labeur collectif,

Là tout n’est qu’ordre et beauté,


Luxe, calme et volupté.
Saint Jérôme, par Carpaccio
1. Past and Present, Avril 1956.
2. Traduction M. de Gandillac.
3. The nations in the medieval universities, 1948.
4. Bulletin of the John Rylands Library, 1946.
Essai
bibliographique
Les travaux les plus importants sont marqués d’un *

I. Le climat intellectuel et culturel du moyen âge

* F. Alessio, « Il pensiero dell’occidente feudale », in Vegetti,


Alessio, Fabietti, Papi, Filosofie e Società, I, Bologne, Zanichelli,
1975, p. 345-547. (Remarquable effort pour replacer la pensée
médiévale dans la société.)
Arts libéraux et Philosophie au Moyen Âge. Actes du 4e Congrès
international de philosophie médiévale, Montréal, 1967, Paris-
Montréal, Vrin, 1969. (De l’Antiquité aux Universités médiévales.)
* J.W. Baldwin, The Scholastic Culture of the Middle Âge 1000-
1300, Lexington (Mass.), 1971. (Excellent résumé de la science
scholastique dans une perspective culturelle large.)
G. Beaujouan, La Science antique et médiévale. Histoire
générale des sciences, ed. R. Taton, t. I, Paris, PUF, 1957.
S. Cilento, Medioevo monastico e scolastico, Milan, 1961.
(Contraste ou continuité ?)
* The Cultural Context of Medieval Learning. Proceedings of the
1st International Colloquium on Philosophy, Science and Theology in
the M.A., septembre 1973, ed. J.E. Murdoch et E.D. Sylla, Dordrecht-
Boston, Boston Studies in the Philosophy of Science, 1975,
vol. XXVI.
Culture et Travail intellectuel dans l’Occident médiéval. Bilan
des Colloques d’humanisme médiéval (1960-1980) fondés par le R.P.
Hubert, o.p., ed. G. Hasenohr et J. Longère, Paris, CNRS, 1981.
* E.-R. Curtius, La Littérature européenne et le Moyen Âge latin,
trad. fr., Paris, PUF, 1956. (Un classique, très « ittéraire ».)
Ph. Delhaye, La Philosophie chrétienne au Moyen Âge, Paris,
1959.
* O. Dobiache-Rojdesventsky, La Poésie des goliards, Paris,
1981. (Pour les textes.)
A. Forest, F. van Steenberghen, M. de Gandillac, Le Mouvement
doctrinal du IXe au XIVe siècle, in Histoire de l’Église, vol. XIII,
Paris, Bloud et Gay, 1956.
E. Gilson, L’Esprit de la philosophie médiévale, Paris, Vrin, coll.
« Études de philosophie médiévale », 1978, n° 33, 4e éd. (Un
monument vieilli.)
* H. Grundmann, « Litteratus-illiteratus die Wandlung einer
Bildungsnorm vom Altertum zum Mittelalter », Archiv für
Kulturgeschichte, 40, 1958, p. 1-65. (Le latin, pierre de touche du
grand clivage socio-culturel au Moyen Âge.)
A. Hughes, Medieval Music : The Sixth Liberal Art, Toronto,
1974.
* E. Jeauneau, La Philosophie médiévale, Paris, PUF, coll. « Que
sais-je ? », n° 1044, 1976, 3e éd.
B. Lacroix, L’Historien au Moyen Âge, Montréal-Paris, 1971.
(Un spécialiste.)
A. de Libera, Penser au Moyen Âge, Paris, Seuil, 1991. (Des
réflexions critiques intéressantes sur le présent essai.)
* H. de Lubac, L’Exégèse médiévale. Les quatre sens de
l’Écriture, 4 vol., Paris, Aubier, 1959-1961. (La méthode
fondamentale.)
G. Makdisi, « The Scholastic Method in Medieval Education : an
Inquiry into its Origins in Law and Theology », Speculum, n° 4, 1974,
p. 640-661. (La scholastique vue de l’Islam.)
* A. Murray, Reason and Society in the Middle Ages, Oxford,
Clarendon Press, 1978. (Un brillant essai sur le calcul et la raison au
tournant du XIIe au XIIIe siècle.)
* E. Panofsky, Architecture gothique et Pensée scolastique, trad.
fr., Paris, Ed. de Minuit, 1967, postface de P. Bourdieu. (Les
structures rationnelles savantes dans l’art et la pensée du
XIIIe siècle.)
* J. Paul, Histoire intellectuelle de l’Occident médiéval, Paris,
Armand Colin, coll. « U », 1973. (Bases solides, larges horizons.)
* P. Renucci, L’Aventure de l’humanisme européen au Moyen
Âge, Paris, Les Belles Lettres, 1953.
* P. Saenger, « Silent Reading : its Impact on Late Medieval
Script and Society », Viator, 1982, p. 367-414. (De la culture
monastique orale à la culture scolastique visuelle.)
B. Smalley, The Study of the Bible in the Middle Ages, Oxford,
1952. (La base de toute réflexion au Moyen Âge.)
* J. Stiennon, Paléographie du Moyen Âge, Paris, A. Colin,
1973. (Le phénomène culturel de l’écriture.)
L. Thorndike, « Elementary and Secondary Education in the
Middle Ages », Speculum, n° 15, 1940, p. 400-408.
* P. Vignaux, Philosophie au Moyen Âge, nouv. éd., Paris,
A. Colin, 1958.
J. Verger, « Tendances actuelles de la recherche sur l’histoire de
l’éducation en France au Moyen Âge (XIIe-XVe siècles) », Histoire
de l’Éducation, n° 6, avril 1980, p. 9-33.
* H. Waddell, The Wandering Scholars, Londres, 1934, 7e éd.
(Le classique sur les goliards.)
J.A. Weisheipl, « Classification of the Sciences in Medieval
Thought », Mediaeval Studies, 1965, t. 27.
M. de Wulf, Histoire de la philosophie médiévale, 1934-1935,
6e éd., 2 vol.

II. Le travail intellectuel au moyen âge avant les universités


* F. Alessio, « La filosofia e le “artes mechanicae” nell
secolo XII », Studi medievali, 3e série, 6e année, 1965, fascicule 1,
p. 71-161. (Hommes de métiers : philosophes et artisans.)
* J.W. Baldwin, Masters, Princes and Merchants. The Social
Views of Peter the Chanter and his Circle, Princeton, Princeton
University Press, 1970, 2 vol. (Première scolastique et société dans le
grand bouillonnement parisien à la fin du XIIe siècle.)
* R.L. Benson, G. Constable ed., Renaisssance and Renewal in
the XIIth Century, Cambridge (Mass.), 1982. (Plus à jour que le
Gandillac-Jeauneau : Entretiens…)
B. Bischoff, Mittelalterliche Studien, Stuttgart, 1966-1967, 2
vol. (La Renaissance carolingienne a eu lieu.)
* P. Classen, « Die hohen Schulen und die Gesellschaft im 12.
Jahrhundert », Archiv für Kulturgeschichte, 1966, XLVIII. (De
l’excellente histoire socio-intellectuelle.)
* M.D. Chenu, La Théologie au XIIe siècle, Paris, Vrin, coll.
« Études de philosophie médiévale », n° 45, 3e éd., 1976. (Un grand
classique toujours éclairant.)
M.D. Chenu, « Civilisation urbaine et théologie ; l’École de
Saint-Victor au XIIe siècle », Annales ESC, n° 29, Paris, 1974.
* Ph. Delhaye, « L’organisation scolaire au XIIe siècle »,
Traditio, n° 5, New York, Cosmopolitan Science and Art Service,
1947. (Toujours remarquable.)
* Entretiens sur la Renaisssance du XIIe siècle, Ed. M. de
Gandillac et E. Jeauneau, 1968.
R. Foreville, « L’école de Caen au XIe siècle et les origines
normandes de l’université d’Oxford », Études médiévales offertes à
M. Le Doyen A. Fliche, Paris, 1952.
U. Gualazzini, Ricerche sulle scuole preuniversitarie del Medio
Evo. Contributo di indagini sul sorgere delle università, Milan, 1943.
N.M. Häring, « Chartres and Paris Revisited », Essays in Honour
of Anton Charles Pegis, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval
Studies, 1974. (L’école de Chartres (XIIe siècle) a-t-elle existé ?)
D. Illmer, Erziehung und Wissensvermittlung im frühen
Mittelalter. Ein Beitrag zur Entstehungsgeschichte der Schule,
Kastellaun, Heun, 1970.
E. Jeauneau, Nani sulle spalle di giganti, coll. « Gli opuscoli »,
n° 3, Naples, 1969. (« Des mains sur les épaules de géants » : la
modernité du XIIe siècle.)
P.O. Kristeller, « The School of Salerno. Its Development and its
Contribution to the History of Learning », Bull. Hist. Medicine, XVII,
1945 ; repris dans : Kristeller, Studies in Renaissance Thought and
Letters, Rome, 1956.
A.M. Landgraf, Introduction à l’histoire de la littérature
théologique de la scolastique naissante, éd. fr. par A.M. Landry,
Montréal-Paris, 1973.
* E. Lesne, Histoire de la propriété ecclésiastique en France,
t. V : Les écoles de la fin du huitième à la fin du douzième siècle,
Lille, 1940. (Toujours fondamental.)
J. Longère, Œuvres oratoires de maîtres parisiens au
XIIe siècle : Étude historique et doctrinale, Paris, Études
augustiniennes, 1975, 2 vol.
H.C. MacKinney, Bishop Fulbert and Education at the School of
Chartres, University of Notre Dame (Indiana), 1957.
G. Post, « Alexander III, The “Licentia Docendi” and the Rise of
Universities », Anniversary Essays in Medieval History by the
students of C.H. Haskins, Boston-New York, 1929, p. 255-277.
* La Renaisssance du XIIe siècle : les écoles et l’enseignement,
G. Paré, A. Brunet et P. Tremblay, Paris, Vrin, 1933. (Un classique
dépassé mais toujours jeune.)
P. Riché, Écoles et Enseignement dans le Haut Moyen Âge, Paris,
Aubier, 1979. (Synthèse et bibliographie.)
* P. Riché, « Recherches sur l’instruction des laïcs du IXe au
XIIe siècle », Cahiers de civilisation médiévale, 1962.
* G. Santini, Università e società nell XII seculo : Pillio da
Medicina e lo Studio di Modena, Modène, 1974.
La scuola nell’Occidente latino dell’alto Medioevo. Settimane di
studio del centro italiano di studi sull’alto Medioevo, XIX, Spolete,
1972.
G. Théry, Tolède, ville de la renaissance médiévale, point de
jonction entre la philosophie musulmane et la pensée chrétienne,
Oran, 1944.
O. Weijers, « Terminologie des universités naissantes. Étude sur
le vocabulaire utilisé par l’institution nouvelle », Soziale Ordnungen
im Selbstverständnis des Mittelalters, in Miscellanea Medievalia,
n° 12, Berlin-New York, W. de Gruyter, 2 vol. 1979-1980.
E. Werner, Stadtluft macht frei. Frühscholastik und bürgerliche
Emanzipation in der ersten Hâlfe des 12. Jahrhunderts, Akademie
Verlag, 1976. (Un point de vue marxiste sur le rapport
ville/scolastique.)
* P. Wolff, Histoire de la pensée européenne, t. 1 : L’Éveil
intellectuel de l’Europe, Paris, Seuil, coll. « Points Histoire », 1971.

III. Généralités sur les universités médiévales

1. Bibliographies

* S. Stelling-Michaud, « L’histoire des Universités au Moyen


Âge et à la Renaissance au cours des vingt-cinq dernières années »,
Rapports du XIe Congrès international des sciences historiques,
Stockholm, I, 1960. (Bibliographie raisonnée.)
Bibliographie internationale de l’histoire des Universités.
I. Espagne, Louvain-Copenhague-Prague, études et documents
publiés par la section d’histoire de la faculté des lettres de
l’Université de Genève, t. 9, Genève, Droz, 1973.
A.L. Gabriel, Summary Bibliography of the History of the
Universities of Great Britain and Ireland up to 1800, University of
Notre Dame (Indiana), 1974.
S. Guénée, Bibliographie d’histoire des Universités françaises
des origines à la Révolution, t. I : Généralités et Université de Paris,
Paris, Picard, 1981 ; t. II : D’Aix-en-Provence à Valence et Académies
protestantes, Paris, Picard, 1978.

2. Études d’ensemble

* H. Rashdall, The Universities of Europe in the Middle Ages,


Oxford University Press, Powicke et Emden, nouv. éd., 1936, 3 vol.
(Toujours fondamental.)
S. d’Irsay, Histoire des universités françaises et étrangères des
origines à nos jours, t. 1 : Le Moyen Âge et la Renaissance, Paris,
Picard, 1933.
* J. Verger, Les Universités du Moyen Âge, Paris, PUF, coll.
« SUP », 1973. (Meilleur aperçu avec Cobban.)
* A.B. Cobban, The Medieval Universities : their Development
and Organization, Londres, 1975. (Meilleur aperçu avec Verger.)
H. Wieruszowski, The Medieval University, Princeton, Van
Nostrand Anvil Original, 1966. (Textes bien choisis traduits en
anglais.)

3. Genèse de l’université médiévale


H. Denifle, Die Entstehung der Universitäten des Mittelalters
bis 1400, Berlin, 1885. (Vieilli mais classique.)
* C.H. Haskins, The Rise of Universities, Ithaca (N.Y.), Cornell
Great Seal Books, 1957-1962. (Vieilli — 1re éd. 1923 — mais
classique et intelligent.)
H. Grundmann, Vom Ursprung der Universitàt im Mittelalter,
Berlin, Akademie-Verlag, 1957. (Classique du point de vue des
institutions et de la culture.)
* Le Origini dell’Università, ed. G. Arnaldi, Bologne, Mulino,
1974. (Excellente introduction et choix d’articles.)
* J. Verger, « Des écoles à l’Université : la mutation
institutionnelle », La France de Philippe Auguste, Paris, CNRS, 1982,
p. 817-846.
4. Documentation et aspects généraux

J. Verger, « “Studia” et Universités », Le Scuole degli ordini


medicanti, Todi, 1978, p. 173-203.
G. Ermini, « Concetto di Studium generale », Scritti di diritto
comune, ed. D. Segoloni, Università degli Studi di Perugia, Annali
della Facoltà di Giurisprudenza, Nuova Serie, n° 4, 1976.
* H. Grundmann, « Sacerdotium-Regnum-Studium. Zur Wertung
der Wissenschaft im 13 Jahrhundert », Archiv für Kulturgeschichte,
34, 1951. (Les bases théoriques du pouvoir universitaire.)
J. Monfrin et M.H. de Pommerol, « Les archives des Universités
médiévales : problèmes de documentation », Revue française de
pédagogie, n° 27, avril-juin 1974, p. 6-21.
M. Fournier, Les Statuts et Privilèges des Universités françaises
depuis leur fondation jusqu’en 1789, Paris, 1890-1891, 2 vol.
M.H. Jullien de Pommerol, Sources de l’histoire des Universités
françaises au Moyen Âge. Université d’Orléans, Répertoire, Paris,
INRP, 1978.
A.L. Gabriel, Garlandia. Studies in the History of the Mediaeval
University, Francfort-sur-le-Main, J. Knecht, 1969.
* P. Classen, « Zur Bedeutung der mittelalterlichen
Universitäten », Mittelalterforschung, Berlin, Colloquium Verlag,
1981, p. 115-123. (Éclairant.)
J. Le Goff, « Quelle conscience l’Université médiévale a-t-elle
eu d’elle-même ? », in Miscellanea Mediaevalia, Berlin, 1964, p. 15-
29. Repris dans Pour un autre Moyen Âge, Paris, Gallimard, 1977,
p. 181-197.
* P. Michaud-Quantin, Universitas. Expressions du mouvement
communautaire dans le Moyen Âge latin, Paris, Vrin, 1970.
J. Verger, « Université et communauté au Moyen Âge », CRE-
Information, n° 62, 2e trimestre 1983, p. 21-44.
A.L. Gabriel, « The Ideal Master of the Mediaeval University »,
The Catholic Historical Review, n° 1, vol. LX., University of Notre
Dame (Indiana), avril 1974.
G. Post, K. Giocarinis, R. Kay, « The Medieval Heritage of a
Humanistic Ideal : “Scientia donum dei est, unde vendi non potest” »,
Traditio, n° 11, 1955.

5. Pour une comparaison avec les autres cultures et sociétés


G. Makdisi, « Madrasa and University in the Middle Ages »,
Studia Islamica, 1970, p. 255-264.
G. Makdisi, D. Sourdel et J. Sourdel-Thomine ed.,
« L’enseignement en Islam et en Occident au Moyen Âge »,
Colloques internationaux de La Napoule 1, Revue des études
islamiques, n° 44, Paris, 1977.
G. Vajda, Introduction à la pensée juive du Moyen Âge, Paris,
1947.
Ph. Sherrard, The Greek East and the Latin West. A Study in the
Christian Tradition, Londres, 1959.
E. Balazs, La Bureaucratie céleste, Paris, Gallimard, 1968.
J. Needham, Clerks and Craftsmen in China and the West,
Cambridge University Press, 1970.
M. T. South, Li Ho, a Scholar Official of the Yuan-ho Period
(806-821), Leyde, Brill, 1959.
F. Châtelet, ed., La Philosophie médiévale du Ier siècle au
XVe siècle, Paris, Hachette, 1972. (Antiquité, hellénisme, islam,
Chine, Occident latin.)

IV. Universités et universitaires, surtout au XIIIe siècle

Academici e Irregolari, Naples, Giannini, 1979. (Goliards et


universitaires.)
C.M. Ajo G. y Sáinz de Zúñiga, Historia de las universidades
hispánicas. Origenes y desarrollo desde su aparición hasta nuestros
dias, I : Medievo y Renacimiento universitario, Madrid, 1957.
G. Arnaldi, « Il notaio-cronista e le cronache cittadine in Italia »,
La storia del diritto nel quadro delle scienze storiche. Atti del
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2. Bernard Silvestre (mort après 1159)


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3. Robert Grosseteste (v. 1170-1253)


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4. (Saint) Albert le Grand (v. 1200-1280)

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5. Roger Bacon (1214-1294)


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6. (Saint) Bonaventure de Bagnoregio (v. 1217-1274)


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7. (Saint) Thomas d’Aquin (1227-1274)


M.D. Chenu, Saint Thomas d’Aquin et la Théologie, Paris, Seuil,
coll. « Maîtres spirituels », n° 17, 1959.
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8. Raymond Lulle (1235-1315)

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Düsseldorf, 1962-1964.

9. Siger de Brabant (1235-1281)


F. van Steenberger, Maître Siger de Brabant, Louvain-Paris,
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10. Eckhart (v. 1260-1327 ?)

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11. Dante (1265-1321)

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12. Duns Scot (v. 1270-1308)

E. Gilson, Jean Duns Scot, Introduction à ses positions


fondamentales, Paris Vrin, 1952.

13. Guillaume d’Ockham (v. 1288-1348)


R. Guelluy, Philosophie et Théologie chez Guillaume d’Occam,
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14. Wyclif (1330-1384)


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15. Chaucer (v. 1340-1400)

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16. Jean Gerson (1363-1429)

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17. Nicolas de Cues (1401-1464)

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18. Gabriel Biel (mort 1495)


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Index
Abélard, Pierre, III, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7-8, 9, 10-11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18.
Absalon de Saint-Victor, 1.
Aberdeen (Université d’), 1.
Accurse, François, 1, 2, 3.
Adalbéron de Laon, 1.
Adam du Petit-Pont, 1.
Adélard de Bath, 1, 2, 3, 4.
Aix, 1.
Alain de Lille, 1, 2, 3.
Albert III, 1.
Albert le Grand, 1, 2, 3, 4, 5.
Albert de Saxe, 1.
Albornoz (cardinal), 1.
Alcala (Université d’), 1.
Alcuin, 1, 2, 3.
Alde Manuce, 1.
Alexandre, 1.
Alexandre de Halès, VIII, 1.
Alexandre III, 1.
Alexandre Neckam, 1.
Alexandre IV, 1, 2.
Al Farabi, 1.
Al-Kharismi, 1.
All Souls (collège d’), 1.
Almain, Jacques, 1.
Alphonse le Magnifique (Alphonse V), 1.
Alphonse VII, empereur des Espagnes, 1.
Alphonse IX de Léon, 1.
Alphonse X le Sage, 1.
Amédée de Saluces (cardinal), 1.
Ambroise le Camaldule, 1.
Angers, 1.
Anselme (saint), VIII, 1, 2, 3, 4.
Arezzo, 1, 2.
Aristippe de Palerme, 1.
Aristote, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11-12, 13, 14, 15, 16, 17, 18-19.
Argenteuil, 1.
Argyropoulos, 1.
Arnaud de Bonneval, 1.
Arnauld de Brescia, 1.
Asor Rosa, Alberto, I.
Astrolabe, 1.
Assur, 1.
Athènes, 1, 2.
Augustin (saint), 1, 2.
Aurispa, 1.
Autrecourt, Nicolas d’, 1, 2.
Averroès, 1, 2, 3, 4.
Avicenne (ou Ibn Sinà), 1, 2, 3.
Avignon, 1, 2.

Babel, 1.
Babylone, 1, 2, 3.
NB : Les auteurs modernes figurent à leur nom. Les personnages
du Moyen Âge figurent généralement à leur prénom.
Bacon, 1, 2, 3, 4, 5. Bagdad, 6, 7.
Bâle, VII, 1, 2.
Balliol (collège de), 1.
Barberousse (voir Frédéric Barberousse).
Barcelone (Université de), 1.
Bartole, 1.
Beaujouan, Guy, 1.
Becket (voir Thomas Becket).
Benoît d’Aniane (saint), 1.
Bernard (saint), 1, 2, 3-4, 5, 6, 7, 8, 9, 10.
Bernardins, 1.
Bernard de Chartres, 1-2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Bernard Silvestris, 1, 2.
Bessarion (cardinal), 1, 2, 3.
Biel, Gabriel, 1.
Blanche de Castille, 1.
Bloch, Marc, 1.
Boèce, 1, 2, 3, 4.
Bologne, II, 1-2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9-10, 11, 12, 13, 14, 15, 16.
Bonaventure (saint), 1, 2, 3, 4.
Boniface VIII (cardinal Benoît Gaetani), 1, 2, 3.
Boniface IX, 1.
Bordeaux (Université de), 1.
Borgo San Donnino (voir Gérard de Borgo San Donnino).
Boucicaut (maréchal de), 1.
Bourges, 1, 2.
Bradwardine, Thomas, 1.
Bricot, Thomas, 1.
Bruni, Leonardo, 1-2.
Budapest (Université de), 1.
Budrio, 1.
Buridan, Jean, 1, 2.
Burgos, 1.
Burgundio de Pise, 1.
Byzance, 1.

Caen (Université de), 1.


Cahors, 1.
Caïn, 1.
Cambridge (Université de), VI, X, 1, 2.
Cardan, Jérôme, 1.
Careggi, 1.
Casimir le Grand, 1.
Castiglione, Balthasar, 1.
Catane, 1.
Célestin III, 1.
Celles, Pierre de, 1.
Châlis (abbaye de), 1.
Chalon-sur-Saône, 1.
Charles IV (empereur germanique, roi de Bohême), 1, 2, 3, 4.
Charles V, 1.
Charles VI, 1, 2.
Charles VII, 1, 2.
Charles VIII, 1.
Charlemagne, 1, 2.
Chartres, 1, 2, 3, 4.
Chartres (évêque de), 1.
Chaucer, V, 1.
Chenu, Marie-Dominique, IV, 1, 2, 3.
Chrétien de Troyes, 1.
Cicéron, 1, 2, 3, 4, 5.
Cisterciens, II, 1.
Citeaux, 1.
Clagett, Marschall, 1.
Clément VI, 1.
Clément VII, 1.
Cluny, 1, 2.
Coïmbre (Université de), 1.
Col, Gontier, 1, 2, 3.
Cola di Rienzo, 1.
Colet, John, 1.
Cologne (Université de), IX, 1.
Combes, André, 1.
Comte, Auguste, 1.
Constance, VII.
Constantin l’Africain, 1.
Constantinople, 1.
Copenhague (Université de), 1.
Copernic, 1.
Corbeil, 1.
Cordoue, 1, 2.
Corpus Christi (collège du), 1.
Courson (voir Robert de Courson).
Cracovie (Université de), IX, 1.
Crockart, Pierre, 1.
Cues, Nicolas de, IX, 1, 2, 3, 4, 5.

Damas, 1, 2.
Daniel de Morley, 1, 2.
Dante, V, 1, 2, 3, 4, 5.
Dassel, Reginald de, 1.
Démétrius Chalcondylas, 1.
Démosthène, 1.
Descartes, 1, 2.
Destrez, Jean, 1, 2.
Diderot, 1.
Dole (Université de), 1.
Dominique (saint), 1.
Dominicains, 1, 2, 3, 4.
Dubois, Pierre, 1.
Duhem, Pierre, 1, 2.
Dumézil, Georges, IV.
Duns Scot, Jean, 1, 2.

Eckhart, Maître, 1, 2, 3.
Elisseeff, Vadime, III.
Enoc d’Ascoli, 1.
Enoch, 1.
Erasme, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
Erfurt (Université d’), IX, 1.
Este, 1, 2.
Estouteville (cardinal d’), 1.
Étienne de Tournai, 1.
Euclide, 1, 2, 3.
Eugène IV, 1.
Evrard (l’Allemand), 1.
Exeter (collège d’), 1.
Ezéchiel, 1.

Feltre, Victoria de, 1.


Ferrare, 1, 2.
Ferry, Jules, 1.
Fichet, Guillaume, 1.
Ficin, Marsile, 1.
Filelfe, 1, 2.
Fillastre, Guillaume, 1.
Fitzralph, Richard, 1.
Florence, X, 1, 2, 3, 4, 5.
Foustât, 1.
France, Anatole, 1.
François d’Assise (saint), II, 1, 2, 3, 4.
François Ier, 1.
Franciscains, II, 1, 2, 3.
Frédéric Barberousse, 1, 2.
Frédéric II, 1, 2.
Freysing (voir Othon de Freysing).
Froissart, 1.
Fulbert (chanoine), 1, 2-3.

Gaguin, Robert, 1.
Galien, 1, 2, 3.
Galilée, 1.
Gandillac, Maurice de, 1.
Garcia, Alonso, 1, 2, 3.
Garlande, Jean de, VIII, 1, 2.
Gautier de Lille, 1.
Gauthier (père R.-A.), 1.
Gaza, Théodore, 1.
Gérard de Crémone, 1.
Gérard de Borgo San Donnino, 1.
Gerbert, VIII.
Gerhoch de Reichersberg, 1.
Gerson, Jean, IX, 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Gilbert de la Porrée, 1.
Gilbert de Tournai, 1.
Gilles de Rome, 1.
Gilson, Étienne, 1, 2.
Giovanni d’Andrea, 1.
Giraud de Barri, 1.
Glasgow (Université de), 1.
Glorieux (Mgr Palimon), 1.
Godefroy de Fontaines, 1.
Godshouse (collège de), 1.
Goliards, 1, 2, 3-4, 5, 6, 7, 8, 9.
Gomorrhe, 1.
Gondisalvi, 1.
Gonville (collège de), 1.
Grabmann (Mgr Martin), 1.
Gramsci, Antonio, 1.
Greifswald (Université de), 1.
Grégoire VII (saint), 1, 2.
Grégoire IX, 1, 2.
Grégoire XII, 1.
Grenoble, 1.
Grocyn, 1.
Groote, Gerhard, IX.
Grosseteste (voir Robert Grosseteste).
Grundmann, Herbert, IV.
Guarino, 1, 2.
Guillaume d’Auvergne, VIII, 1.
Guillaume de Conches, 1, 2, 3, 4, 5.
Guillaume de Champeaux, 1, 2.
Guillaume de Saint-Amour, 1, 2.
Guillaume de Moerbeke, 1.
Guizot, François, 1.
Guillaume de Saint-Thierry, 1, 2, 3, 4.

Hajnal, Istvan, 1.
Harcourt (collège d’), 1.
Harvengt (voir Philippe de Harvengt).
Hauser, Henri, 1.
Hegel, 1.
Heidelberg (Université de), IX, 1.
Héloïse, 1, 2-3, 4, 5, 6, 7.
Henri II Plantagenêt, 1.
Henri III, 1, 2.
Hermann le Dalmate, 1, 2.
Heytisbury, William, 1.
Hildegarde de Bingen (sainte), 1, 2.
Hilduin, 1.
Hippocrate, 1, 2, 3, 4, 5.
Hirtius, 1.
Hobbes, 1.
Honorius d’Autun, 1, 2, 3.
Honorius III (pape), 1, 2, 3.
Horace, 1, 2, 3.
Huesca (Université de), 1.
Hugues d’Orléans, 1.
Hugues de Saint-Victor, 1, 2.
Hugues de Santalla, 1.
Huizinga, 1.
Humbert II, 1.
Humphrey de Gloucester, 1.
Hus, Jean, 1, 2.

Ingolstadt (Université d’), 1.


Innocent III, 1, 2, 3.
Innocent IV, 1, 2, 3, 4, 5.
Isaac, 1.

Jacques de Venise, 1.
Jacob, E.F., 1.
Jaudun, Jean de, 1.
Jean de Meung, V, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Jean de Montreuil, 1, 2, 3.
Jean de Salisbury, 1, 2, 3, 4, 5.
Jean Sans Terre, 1.
Jeanne d’Arc, VII, 1.
Jeanne de Navarre, 1.
Jéricho, 1.
Jérôme (saint), 1.
Jérusalem, 1, 2, 3.
Jesus, (collège de), 1.
Joachim de Flore, 1.
Joinville, V.
Josué, 1.
Justinien, 1.

Kibre, Pearl, II, 1.


Kilwardby, Robert (archevêque de Canterbury), 1.
King’s College, 1.
King’s Hall (collège de), 1.
Koyré, Alexandre, 1.
Kutnà Horà, 1.

Ladislas Jagellon, 1.
Lagarde, Georges de, 1.
Laon, VIII, 1, 2.
Latran, 1.
Laurent le Magnifique, 1, 2.
Lefèvre d’Etaples, Jacques, 1, 2.
Leff, Gordon, 1, 2.
Leipzig (Université de), IX, 1, 2.
Lemoine (cardinal), 1.
Lénine, 1.
Léon Tuscus, 1.
Léonard de Pise, 1.
Lérida (Université de), 1.
Liège, VIII. Linacre, 1.
Lincoln (évêque de), 1, 2.
Lincoln (collège de), 1.
Lisbonne (Université de), 1.
Londres, 1, 2.
Louis le Pieux, 1.
Louis (Saint), IV, V, 1, 2.
Louis XI, 1, 2, 3.
Louis II de Provence, 1.
Louis de Bavière, 1.
Loup de Ferrières, 1.
Louvain (Université de), 1.
Lucain, 1, 2.
Lucien, 1.
Lull, Raymond, 1.
Luther, 1, 2.

Machiavel, 1.
Magdalen (collège de), 1.
Mahomet, 1.
Maier, A.-L., 1.
Mair, Jean, 1, 2.
Malebranche, Nicolas, 1.
Mandonnet, Pierre, 1.
Marc Mousourous, 1.
Marcel, Étienne, 1.
Marsile de Padoue, 1, 2-3.
Martin V (pape), 1.
Martianus Cappella, 1.
Mathilde d’Angleterre, 1.
Mathurins, 1.
Maurras, Charles, 1.
Mayence (Université de), 1.
Médicis, X, 1.
Melun, 1.
Merton (collège de), 1.
Meung (voir Jean de Meung).
Michaelhouse (collège de), 1.
Mino da Colle, 1.
Michalski, C., 1.
Modène, II, 1.
Mohammed (traducteur sarrasin), 1.
Moïse de Bergame, 1.
Mollat, Michel, III.
Montaigu (collège de), 1.
Montfort, Simon de, 1.
Montpellier, 1, 2.

Nantes, 1, 2.
Naples (Université de), 1.
Navarre (collège de), 1.
Neckam (voir Alexandre Neckam).
Nemrod, 1.
New College, 1.
Nicolas d’Amiens, 1.
Nicolas de Clamanges, 1, 2.
Nicolas IV, 1.
Nicole (ou Nicolas) Oresme, 1, 2, 3.
Nicolas de Tusculum (cardinal), 1.
Ninive, 1.
Noé, 1.
Noël Bédier, 1.
Nogaret, Guillaume de, 1.
Nogent-sur-Seine, 1.
Norbert (saint), 1.

Ockham, Guillaume d’, 1, 2-3, 4, 5, 6, 7.


Odofredo, Alberto d’, 1.
Odofredus, 1.
Olmetola, 1.
Orange, 1.
Oresme (voir Nicolas Oresme).
Oriel (collège d’), 1.
Orléans, 1, 2, 3, 4.
Orléans (duc d’), 1.
Oseney (monastère d’), 1.
Othon de Freysing, 1.
Ovide, 1.
Oxford, VI, X, 1-2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14.

Padoue, IX, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.
Palencia, 1.
Palerme, 1.
Palissy, Bernard, 1.
Palma de Majorque (Université de), 1.
Paquet, Jean, III.
Paris, IV, X, 1, 2-3, 4, 5-6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20 ,
19 , 20 .
Paris (Université de), V, VII, IX, 1-2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12-13, 14 ,
15 , 16 -17 , 18 , 19 , 20 .
Paris (concile de), 1, 2.
Paris (évêque de), 1, 2.
Paul (saint), 1, 2, 3, 4, 5.
Pavie, 1, 2.
Pecs (Université de), 1.
Pembroke (collège de), 1.
Perpignan (Université de), 1.
Peterhouse (collège de), 1.
Petit, Jean, 1.
Pétrarque, 1, 2.
Philippe-Auguste, 1.
Philippe le Bel, 1, 2, 3.
Philippe le Bon, 1.
Philippe de Harvengt (abbé), 1.
Philippe de Vitry, 1.
Philon, 1.
Pie II (pape), 1.
Pise, 1, 2.
Pierre d’Ailly, 1, 2, 3-4.
Pierre de Blois, 1.
Pierre le Chantre, VII.
Pierre Lombard, IV, VIII, 1, 2, 3, 4.
Pierre Le Mangeur, IV, VIII, 1, 2.
Pierre de Muglio, 1.
Pierre de Tolède, 1.
Pierre le Vénérable, 1, 2, 3, 4, 5.
Pierre (saint), 1.
Pindare, 1.
Pirenne, Henri, 1.
Plaisance, 1.
Platon, 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Platon de Tivoli, 1.
Pline, 1.
Plotin, 1.
Poitiers, 1.
Poitiers (Université de), 1, 2.
Pompée, 1.
Post, Gaines, II.
Prague (Université de), IX, 1, 2, 3, 4, 5.
Prémontrés, II, 1.
Presbourg (Université de), 1.
Procus, 1.
Pseudo-Denys, 1.
Ptolémée, 1, 2, 3.
Pythagore, 1.

Queen’s College, Oxford, 1.


Queen’s College, Cambridge, 1.

Rabelais, 1, 2, 3.
Rathier de Vérone, VIII.
Raymond, archevêque de Tolède, 1.
Reggio d’Émilie, 1.
Reims, VIII, 1, 2.
Renaudet, Augustin, 1.
Rhazi (ou Rhazès), 1, 2.
Richard de Saint-Victor, 1.
Robert de Chester, 1.
Robert de Courson (cardinal), 1, 2.
Robert Grosseteste, 1, 2, 3.
Robert de Ketten, 1.
Rodolphe IV, 1.
Rome, III, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
Rostock (Université de), 1.
Rougemont, Denis de, 1.
Rousseau, 1, 2.
Rupert de Deutz, 1.
Rutebeuf, IV, V, 1, 2, 3, 4.
Ruysbroeck, 1.

Saint-Andrews (Université de), 1.


Saint-Denis (abbaye de), 1.
Saint-Marcel (abbaye de), 1.
Saint-Sépulcre (confrérie du), 1.
Saint Victor (voir Hugues de Saint-Victor et Richard de Saint-
Victor).
Saint Catharine’s College, 1.
Saint Frideswide (monastère), 1.
Salamanque, 1, 2.
Salisbury (voir Jean de Salisbury).
Salisbury (évêque de), 1.
Salutati, Coluccio, 1.
Santini, Giovanni, II.
Salomon, 1, 2, 3.
Saragosse (Université de), 1.
Scot Erigène, Jean, 1.
Seius, 1.
Sénèque l’Ancien, 1.
Sénèque le Jeune, 1.
Sens, 1.
Serlon de Wilton, 1.
Sforza, 1.
Sienne, 1, 2.
Siger de Brabant, III, 1, 2, 3, 4, 5.
Sigüenza (Université de), 1.
Socrate, 1.
Sodome, 1.
Soissons, 1, 2.
Sorbon, Robert de, V, 1.
Sorbonne, 1, 2, 3.
Strabon, 1.
Standonck, Jean, 1.
Swineshead, Richard, 1.

Tabacco, Giovanni, I.
Tateret, Pierre, 1.
Tempier, Étienne, IX, 1.
Térence, 1.
Terentia, 1.
Théophraste, 1.
Thierry de Chartres, 1.
Thomas d’Aquin (saint), III, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13 , 14 , 15 ,
16 , 17 , 18 .
Thomas Becket (saint), 1.
Thomas d’Irlande, 1.
Thomas More, 1.
Tite-Live, 1.
Titus, 1.
Tolède, 1, 2.
Toulouse (Université de), 1, 2, 3.
Trèves (Université de), 1.
Trévise, 1.
Trinity Hall (collège de), 1.
Trivet, Nicholas, 1.
Troyes, 1.
Troyes (évêque de), 1.
Tuilier, André, VI.
Tunis, 1.
Turin, 1.

Ulpien, 1.
University (collège de), 1.
Upsal (Université d’), 1.
Urbain V, 1.
Urbain VI, 1.

Valence (Université de), 1, 2.


Valla, Lorenzo, 1.
Verceil, 1.
Venceslas IV, 1.
Venise, 1.
Verger, Jacques, IX.
Vicence, 1, 2.
Vienne (Université de), IX, 1.
Vignaux, Paul, 1, 2.
Villon, François, V, 1, 2, 3, 4.
Vincent de Beauvais, V.
Vinci, Leonard de, 1.
Virgile, 1, 2, 3.
Visconti, 1, 2.

Würzburg, IX.
Wyclif, III, 1, 2.
Repères
chronologiques
1100-1166 El-Edrisi.
1121-1158 Traduction latine de la Nouvelle Logique d’Aristote.
v. 1121 Le Sic et non d’Abélard.
1126-1198 Averroès.
1140 Décret de Gratien.
1141 Concile de Sens. Condamnation d’Abélard.
1143 Traduction du Planisphère de Ptolémée.
1144-1203 Alain de Lille.
1145 Robert de Chester traduit l’Algèbre de Al-Kharizmi.
1146 Saint Bernard prêche la 2e Croisade à Vézelay.
avant 1147 Cantar de mio Cid.
1148 Concile de Reims. Condamnation de Gilbert de la Porée.
1154 Privilèges de Frédéric Barberousse aux maîtres et étudiants
de Bologne.
v. 1155-1170 Thomas : Tristan et Yseut.
1160 Béroul : Tristan et Yseut.
Les Niebelungen.
1163 Alexandre III interdit aux moines les études de médecine et
de droit.
1163-1182 Construction de Notre-Dame de Paris.
1167-1227 Gengis Khan.
1174 Privilèges de Célestin III aux maîtres et étudiants de Paris.
après 1177 Début de composition du Roman de Renard.
1180 Le Chapitre de Notre-Dame de Paris fonde le premier
collège : le collège des Dix-Huit.
1197 Saladin prend Jérusalem.
1200 Privilèges de Philippe-Auguste à l’Université de Paris.
1206-1280 Saint Albert le Grand.
1208 Fondation de l’ordre des Frères Prêcheurs.
1209 La première communauté franciscaine.
v. 1210-1295 Roger Bacon.
1214 Premiers privilèges d’Oxford.
1215 Statut de Robert de Courson pour l’Université de Paris.
1226-1270 Règne de saint Louis.
1221-1274 Saint Bonaventure.
1224-1274 Saint Thomas d’Aquin.
1230-1250 Entrée d’Averroès dans les Universités d’Occident.
v. 1235-v. 1284 Siger de Brabant.
1235-1315 Raymond Lulle.
1240 Robert Grosseteste traduit l’Éthique d’Aristote.
1245-1246 Enseignement de saint Albert le Grand à Paris.
1248-1254 Première croisade de saint Louis.
1248-1255 Enseignement de saint Bonaventure à Paris.
1252-1259 Enseignement de saint Thomas d’Aquin à Paris.
1254-1323 Marco Polo.
1255 Le Nouvel Aristote. Légende Dorée de Jacques de Voragine.
1257 Robert de Sorbon fonde à Paris un collège pour théologiens.
1260-1327 Maître Eckhart.
1265 Saint Thomas entreprend la Somme Théologique.
1265-1321 Dante.
1266-1268 Roger Bacon : opus majus, opus minus, opus tercium.
1270 Première condamnation de Siger de Brabant et de
l’averroïsme.
1276 Seconde partie du Roman de la Rose de Jean de Meung.
1277 Condamnation des doctrines thomistes et averroïstes.
1282 Adam de la Halle : Jeu de Robin et de Marion.
1291 Perte de Saint-Jean-d’Acre.
1293-1381 Jean Ruysbroek.
1294 Célestin V, pape des Spirituels.
v. 1300-1361 Jean Tauler.
v. 1300-1365 Henri Suso.
300-ap. 1368 Jean Buridan.
1304-1374 Pétrarque.
1309 Le pape Clément V s’installe à Avignon.
1312 L’Enfer, de Dante.
1313-1375 Boccace.
1329 Condamnation de Maître Eckhart.
1337 Début de la guerre de Cent ans. Première condamnation de
l’Ockhamisme par l’Université de Paris.
1337-1410 Froissart.
1340-1400 Chaucer.
1346 Bataille de Crécy.
1349-1353 Le Decameron de Boccace.
1376 La faculté de Montpellier obtient un cadavre annuel pour
dissection.
1377 Grégoire XI rentre à Rome.
1379 Fondation du New College à Oxford.
1387-1455 Fra Angelico.
1395 Gerson, chancelier de Paris.
1401-1464 Nicolas de Cues.
1402 Jean Hus, recteur de Prague.
1405-1457 Lorenzo Valla.
v. 1420 Imitation de Jésus-Christ.
1424 Aurispa, premier professeur de grec à Bologne.
v. 1425-1431 L’Agneau Mystique de Jean van Eyck.
1430-1470 François Villon.
1431 Le pape Eugène IV introduit les études humanistes à
l’Université de Rome.
1433-1499 Marsile Ficin.
1440 Le De docta ignorantia de Nicolas de Cues.
1450 Gutemberg ouvre un atelier d’imprimerie à Mayence.
1450-1537 Lefèvre d’Étaples.
1453 Prise de Constantinople par les Turcs.
1463-1494 Pic de la Mirandole.
1466 Création d’une chaire de grec à l’Université de Paris.
1466-1536 Érasme.
1469 Mariage d’Isabelle de Castille et de Ferdinand d’Aragon.
1469-1527 Machiavel.
1470 Introduction de l’imprimerie à l’Université de Paris.
1475 Traité de Picquigny : fin de la guerre de Cent ans.
1488 Barthélemy Diaz double le Cap de Bonne-Espérance.
1492 Christophe Colomb découvre l’Amérique. Prise de Grenade
par les Rois Catholiques.
1497 La Cène de Léonard de Vinci. Départ de Vasco de Gama.
Illustrations
Roger Viollet : p. 17, 174. — Roger Viollet-Bulloz : p. 184-185. –
Bulloz : p. 119. – Giraudon : p. 3, 9, 49, 73, 112, 114, 115, 122, 137,
138, 169, 179, 182, 192. – Giraudon-Anderson : p. 70, 124, 136. –
Alinari-Giraudon : p. I, 163. – Bibliothèque nationale : p. 6, 12, 18, 21,
26, 31, 32, 33, 58, 70, 84, 90, 91, 93, 99, 110, 128, 132-133, 134, 141,
152, 155, 158, 164-165, 166, 171, 177-178. – Bibliothèque de la
Sorbonne : p. 61, 75, 81, 146. – Archives photographiques : p. 2, 87, 88,
94. – Musée de Chantilly : p. 8, 11, 41, 55, 62, 117, 131. – Besançon :
p. 125, 130.

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