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La Cigale et la Fourmi

La Cigale, ayant chanté


Tout l'été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu'à la saison nouvelle.
« Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l'août, foi d'animal,
Intérêt et principal. »
La Fourmi n'est pas prêteuse :
C'est là son moindre défaut.
« Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse.
— Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
— Vous chantiez ? J’en suis fort aise.
Eh bien ! Dansez maintenant. »
LE LOUP ET LE CHIEN (*)

    Un Loup n'avait que les os et la peau ;


        Tant les Chiens faisaient bonne garde. (1) le poil luisant
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau, (2) se dit proverbialement d'un homme pauvre
Gras, poli (1), qui s'était fourvoyé par mégarde. qui n'est capable de faire ni bien ni mal
        L'attaquer, le mettre en quartiers, (Furetière)
        Sire Loup l'eût fait volontiers. (3) homme qui est sans bien ou sans crédit
        Mais il fallait livrer bataille (Furetière).
        Et le Mâtin était de taille Ici : pauvre hère
        A se défendre hardiment. (4) signifie au propre autant de viande qu'on
        Le Loup donc l'aborde humblement, en peut emporter avec la lippe, ou les lèvres
    Entre en propos, et lui fait compliment (Furetière)
        Sur son embonpoint, qu'il admire. (5) portants et mendiants prennent un "s",
        Il ne tiendra qu'à vous, beau sire, pourtant, ce sont des participes présents ; ce
D'être aussi gras que moi, lui repartit le Chien. n'est qu'à partir de 1679 que l'Académie
        Quittez les bois, vous ferez bien : déclarera qu'ils doivent rester invariables.
        Vos pareils y sont misérables, (6) restes
        Cancres (2), haires (3), et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? Rien d'assuré, point de franche lippée (4).
        Tout à la pointe de l'épée.
Suivez-moi ; vous aurez un bien meilleur destin.
    Le Loup reprit : Que me faudra-t-il faire ?
Presque rien, dit le Chien : donner la chasse aux gens
        Portants bâtons, et mendiants (5) ;
Flatter ceux du logis, à son maître complaire ;
        Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons (6) :
        Os de poulets, os de pigeons,
........Sans parler de mainte caresse.
Le loup déjà se forge une félicité
        Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant il vit le col du Chien, pelé :
Qu'est-ce là  ? lui dit-il.  Rien.  Quoi ? rien ? Peu de chose.
Mais encor ?  Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
    Où vous voulez ?  Pas toujours, mais qu'importe ?
 Il importe si bien, que de tous vos repas
        Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor.
Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor.
 
Le Lion amoureux Fille se coiffe volontiers 
D'amoureux à longue crinière. 

Sévigné, de qui les attraits  Le père donc ouvertement 

Servent aux Grâces (1) de modèle,  N'osant renvoyer notre amant (10), 

Et qui naquîtes toute belle,  Lui dit : "Ma fille est délicate ; 

À votre indifférence près,  Vos griffes la pourront blesser 

Pourriez-vous être favorable Quand vous voudrez la caresser. 

Aux jeux innocents d'une fable, Permettez donc qu'à chaque patte 

Et voir, sans vous épouvanter, On vous les rogne, et pour les dents, 

Un lion qu'Amour sut dompter ? Qu'on vous les lime en même temps. 

Amour est un étrange maître. Vos baisers en seront moins rudes, 

Heureux qui peut ne le connaître Et pour vous plus délicieux ; 

Que par récit , lui ni (2) ses coups ! Car ma fille y répondra mieux, 

Quand on en parle devant vous, Étant sans ces inquiétudes " . 

Si la vérité vous offense, Le Lion consent à cela, 

La fable au moins se peut souffrir : Tant son âme était aveuglée ! 

Celle-ci prend bien l'assurance (3) Sans dents ni griffes le voilà, 

De venir à vos pieds s'offrir,  Comme place (11) démantelée. 

Par zèle et par reconnaissance.  On lâcha sur lui quelques chiens : 

Du temps que les bêtes parlaient,  Il fit fort peu de résistance.

Les Lions entre autres voulaient   

Être admis dans notre alliance (4).  Amour, Amour, quand tu nous tiens 

Pourquoi non ? puisque leur engeance (5) On peut bien dire : "Adieu prudence."

Valait la nôtre en ce temps-là, 


Vocabulaire
Ayant courage, intelligence, 
(1) Divinités qui accompagnaient Vénus et représentaient la
Et belle hure (6) outre cela.  beauté
Voici comment il en alla :  (2) et
Un Lion de haut parentage (7) ,  (3) "Hardiesse" (dictionnaire de Richelet)
En passant par un certain pré,  (4) "Parenté et liaison qui naît entre des personnages par le
mariage" (dictionnaire de Richelet)
Rencontra bergère à son gré : 
(5) race, "se prend souvent en mauvaise part" (dictionnaire
Il la demande en mariage.  de Furetière)
Le père aurait fort souhaité  (6) "Tête d'un sanglier, d'un ours, d'un loup ou autres bêtes
Quelque gendre un peu moins terrible.  mordantes [...] Se dit au figuré d'une tête mal peignée, des
cheveux rudes, droits et mal en ordre" (dictionnaire de
La donner lui semblait bien dur ;  Furetière)
La refuser n'était pas sûr ;  (7) origine, naissance, parenté
Même un refus eût fait possible (8) (8) peut-être
Qu'on eût vu quelque beau matin  (9) Farouche, sauvage (du latin ferus)
Un mariage clandestin.  (10) prétendant
Car outre qu'en toute manière  (11) place forte
La belle était pour les gens fiers (9), 
La jeune veuve Je ne dis pas que tout-à-l’heure (2)
Une condition meilleure
« La perte d’un époux ne va point sans Change en des noces ces transports (3) ;
soupirs. Mais après certain temps souffrez qu’on vous
On fait beaucoup de bruit, et puis on se propose
console. Un époux, beau, bien fait, jeune, et tout autre
Sur les ailes du Temps la tristesse s’envole ; chose
Le Temps ramène les plaisirs. Que le défunt. - Ah ! dit-elle aussitôt,
Entre la veuve d’une année Un cloître est l’époux qu’il me faut. "
Et la veuve d’une journée Le père lui laissa digérer sa disgrâce (4).
La différence est grande : on ne croirait jamais Un mois de la sorte se passe.
Que ce fût la même personne. L’autre mois on l’emploie à changer tous les
jours
L’une fait fuir les gens, et l’autre a mille
attraits : Quelque chose à l’habit, au linge, à la
coiffure :
Aux soupirs vrais ou faux celle-là
s’abandonne ; Le deuil sert enfin de parure,
C’est toujours même note et pareil entretien. En attendant d’autres atours.
On dit qu’on est inconsolable ; Toute la bande des Amours
On le dit mais il n’en est rien, Revient au colombier ; les jeux, les ris (5), la
danse,
Comme on verra par cette fable,
Ont aussi leur tour à la fin.
Ou plutôt par la vérité.
On se plonge soir et matin
L’époux d’une jeune beauté
Dans la fontaine de Jouvence (6).
Partait pour l’autre monde. À ses côtés sa
femme Le père ne craint plus ce défunt tant chéri ;
Lui criait : " Attends-moi, je te suis ; et mon Mais comme il ne parlait de rien à notre belle :
âme, " Où donc est le jeune mari
Aussi bien que la tienne, est prête à s’envoler. Que vous m’avez promis ? " dit-elle. »
"
Vocabulaire
Le mari fait seul le voyage.
(1) Il laissa les larmes couler
La belle avait un père, homme prudent et
sage : (2) immédiatement, aussitôt
Il laissa le torrent couler. (1) (3) agitation de l'âme par la violence des
passions, par la douleur
À la fin pour la consoler :
(4) malheur
" Ma fille, lui dit-il, c’est trop verser de larmes ;
(5) rires
Qu’a besoin le défunt que vous noyiez vos
charmes ? (6) Furetière cite le roman de Huon de
Bordeaux où la fontaine de jouvence a le
Puisqu’il est des vivants, ne songez plus aux pouvoir de rendre une femme "aussi fraîche
morts. qu'une pucelle"

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