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La gouvernance
publique en Tunisie
Principes, Etat des lieux et perspectives
NOVEMBRE 2013
Rapport annuel
La gouvernance
publique en Tunisie
Principes, Etat des lieux et perspectives
novembre 2013
Présentation :
L’Association Tunisienne de Gouvernance (ATG) est un acteur de premier plan de la société
civile, de la scène politique et du monde des affaires en Tunisie. Son approche transversale et
transdisciplinaire sur les questions de gouvernance lui permet d’avoir une exhaustivité des visions
portant sur les axes stratégiques du développement politique, économique et social de la Tunisie.
Objectifs :
Cercle de réflexion et d’échange, mais également, institution de référence, se spécialisant dans
les questions de gouvernance, l’ATG réunit des experts tunisiens réputés pour leur savoir-faire,
leur compétence et leur capacité à traiter, à étudier, à analyser et à publier des rapports et des
guides de bonnes pratiques en gouvernance publique et privée. Forte d’un capital relationnel
national et international, l’ATG apporte aux organismes politiques, publiques, para- publiques et
privés tunisiens, des avis d’experts et des réflexions de hauts niveaux, permettant aux différents
intervenants et opérateurs de perfectionner leurs réflexions, leurs programmes et leurs pratiques
dans les domaines de la gouvernance.
Valeurs :
L’ATG prône la transparence, l’équité, la compétence, l’éthique et la performance dans les politiques
et les affaires de l’Etat dans l’objectif d’hisser la Tunisie au diapason des nations prospères et
évoluées.
International et Partenariat :
L’ATG a noué un ensemble de partenariat au niveau national (ADDS) et international (POMED),
et contribue à développer des bonnes pratiques de gouvernance en collaboration avec d’autres
institutions. Son rayonnement national et international est bien confirmé à travers ses publications
et ses conférences périodiques.
Bureau Directeur :
Le Bureau Directeur élu par les membres fondateurs de l’ATG se compose comme suit :
Chargé des relations internationales : Dr. Bechir Bouzid, Global Manager à la Banque Mondiale
Chargé des relations avec les organismes publiques, privés et universitaires : Dr. Sofiène Toumi,
Enseignant-chercheur.
Contact :
Association Tunisienne de Gouvernance (ATG)
Tél : (+216) 71 96 06 96
Fax : (+216) 71 96 57 37
Mob. : (+216) 98 22 04 70
LA GOUVERNANCE PUBLIQUE EN TUNISIE
Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
a- La haute instance. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
b- L’ISIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
Bibliographie générale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
Introduction
Suite au changement de régime qui a gestion des affaires publiques particulièrement par
profondément modifié la donne politique en les deux derniers gouvernements de transition.
Tunisie, les nouveaux gouvernants ont estimé Par ailleurs, L’impréparation qui caractérise
qu’il fallait faire table rase du passé et refonder un nombre non négligeable de responsables
totalement le système de gouvernement. La politiques et administratifs a poussé à la prise
dynamique de reconstruction institutionnelle de plusieurs décisions stratégiques qui se sont
enclenchée devait pour les plus optimistes avérées inadaptées à la situation de crise de plus
non seulement changer la nature des rapports en plus larvée vécue par la Tunisie. C’est ainsi,
politiques en Tunisie, en instaurant une vraie qu’au lieu d’une conduite efficace de l’action
démocratie, mais surtout initier une nouvelle publique, les gouvernements de transition
approche de gestion des affaires publiques basée n’ont pas été dans la capacité de répondre,
sur la bonne gouvernance. sur la base de leurs programmes électoraux,
aux innombrables attentes économiques des
Les élections du 23 octobre 2011, censées tunisiens. De surcroît, n’ayant pas de projet
normalement déboucher sur un nouveau à proposer, la Troïka s’est installée dans des
paysage politique, ont mis à jour un clivage postures déclamatoires multipliant les promesses
idéologique dont les conséquences handicapent, et se coupant irrémédiablement de ses électeurs.
aujourd’hui encore, toute possibilité d’évolution La lutte contre la corruption et le népotisme,
vers un régime démocratique. Plus préoccupant faute de textes législatifs adéquats, n’a pas eu,
peut-être, un double crise, identitaire et pour l’instant, de résultat tangible. Le processus
sécuritaire, semble se surajouter à une impasse de rédaction de la Constitution qui aurait pu
politique due essentiellement à l’absence de toute créer un consensus national a abouti finalement
éthique dans la conduite des affaires de l’Etat et à diviser le peuple.
à une politisation à outrance de tous les rouages
de l’administration. Pourtant, l’émergence à De façon de plus en plus évidente, les
travers les urnes de la majorité qui gouverne gouvernements qui se sont succédé au cours
actuellement le pays ne peut aucunement être de cette période transitoire, ont été devant
considéré comme une représentation fidèle l’impossibilité de mettre en place le concept de
des tendances politiques réelles de l’électorat bonne gouvernance qui sous-tend la promotion
tunisien. Les vainqueurs des élections sont, en des valeurs d’équité et de probité dans la gestion
réalité, les bénéficiaires des dysfonctionnements des affaires publiques. Des paramètres tels
d’un mode de scrutin inadéquat adopté dans que la primauté du droit, la participation et la
la précipitation d’où l’interminable débat sur la transparence, qui sont les fondements de la
légitimité de la Troïka1 aujourd’hui au pouvoir. bonne gouvernance, sont restés au niveau de la
rhétorique.
Pourtant, à travers son histoire ancienne et
moderne, la société tunisienne est profondément Le présent rapport dans sa partie gouvernance
attachée à ses valeurs arabo-islamiques et a politique analysera à travers les paramètres
toujours rejeté toute confusion entre politique et sus indiqués le processus constitutionnel qu’a
religion. Actuellement, une fausse polarisation de connu la Tunisie, depuis le 14 janvier 2011,
la vie politique, entre islamistes et laïcs, exacerbe en identifiant les défaillances qui l’ont rendu si
la confusion et accentue l’incohérence dans la contesté. Il s’agit, en fait, de mesurer le degré
d’appropriation des gouvernements successifs
1 La coalition de trois partis politiques de Ennahda, Takattol, et des différents critères de la bonne gouvernance
Mottamar qui gouverne le paix.
chaque fois qu’il est question de prendre une une communication difficile entre l’Assemblée
décision engageant l’avenir de la Tunisie. En Nationale Constituante, le gouvernement et
effet, le respect des principes de l’Etat de droit la société civile. Le résultat de ces cafouillages
rend impérative l’exigence d’une nécessaire a été l’inefficience de l’action publique et le
reddition de comptes par les gouvernants dont mécontentement de la population. Cette gestion
la responsabilité politique n’a de sens que si elle hésitante des affaires publiques a surtout mis à
consacre le principe de l’égalité de tous devant mal les finances publiques tunisiennes puisque
la loi. C’est en renforçant ces fondamentaux de l’appareil économique tunisien n’arrivait plus à
la démocratie qu’on garantit la pérennité des répondre aux exigences du développement. C’est
institutions et que l’on renforce les fondements ce qu’essaiera d’analyser la seconde partie de ce
de la société juste. rapport (Chapitre II).
La première période de transition (celle avant Toute cette période de transition s’est donc
les élections du 23 octobre 2011) a mis à plat caractérisée par la difficulté à laquelle ont fait
les institutions de la Tunisie en suspendant la face les gouvernants pour proposer au peuple
Constitution, en procédant à la dissolution du tunisien un texte fondamental à même de
parlement, du Conseil économique et social et du consacrer le consensus national. Est-ce à cause
Conseil constitutionnel. Le vide ainsi créé n’a pas du manque d’appropriation populaire que le
pu être comblé suite aux élections du 23 octobre projet de Constitution proposé aujourd’hui est
par l’Assemblée Nationale Constituante. Les rejeté par une frange du peuple qui se considère
dispositions mêmes de la loi sur l’organisation dépossédée de sa révolution? La partie politique
des pouvoirs publics (16 décembre 2012) du rapport (Chapitre I) essaiera de démontrer
ont été peu respectées. Les gouvernements de que c’est à cause de l’absence des paramètres de la
transition successifs, faute de transparence, bonne gouvernance que la situation est tellement
n’ont pas permis au processus constitutionnel confuse aujourd’hui au moment où le dialogue
en cours de se développer dans la sérénité d’où national débute.
Chapitre I:
La Gouvernance Politique
Dans son sens matériel, l’Etat de droit peut se Cet ordonnancement juridique s’impose à
définir comme un système institutionnel dans l’ensemble des personnes juridiques. L’État, pas
lequel la puissance publique est soumise au plus qu’un particulier, ne peut ainsi méconnaître
droit, c’est-à-dire un système où tout le pouvoir ce principe6: toute norme, toute décision qui
politique est soumis au pouvoir normatif qui ne respecterait pas un principe supérieur serait,
en effet, susceptible d’encourir comme sanction
3 CARRE DE MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’Etat,
juridique l’annulation. L’acte irrégulier non
Sirey, 1920, tome I, pp. 488-489. conforme à une norme qui lui est supérieure sort
Sur la notion d’Etat de droit Cf. également GOYARD-FABRE (Si-
mone), “L’Etat de droit : problématique et problème”, in. L’Etat de 4 KELSEN (Hans), Théorie pure de droit, LGDJ, Paris, 1999.
droit, cahiers de philosophie politique et juridique, n°24, 1993, Presses
5 KELSEN (Hans),” La garantie juridictionnelle de la Constitu-
Universitaires de Caen, pp. 9-21. Cf. aussi TROPER (Michel), “Le
tion”, Revue de Droit Public, 1928, p. 197.
concept d’Etat de droit”, in. La théorie du droit, le droit, l’Etat, Paris.
PUF, coll. Léviathan.2001, pp. 267-281. 6 www.vie-publique.fr/th/glossaire/principe-legalite.html
ainsi de l’ordonnancement juridique et est réputé République. Ce n’est pas sans hésitation qu’il
n’avoir jamais existé. L’État, qui a compétence a été fait recours à l’article 57 pour couvrir
pour édicter le droit, se trouve ainsi lui-même d’un minimum de légalité constitutionnelle
soumis aux règles juridiques. Il serait intéressant la vacance du pouvoir. A cet égard, il a été fait
à cet égard de rappeler les dispositions de l’article appel au conseil constitutionnel, seul organe
76 de la Constitution de 1959 qui déclarait que habilité à constater la vacance définitive du
les avis du conseil constitutionnel s’imposent à pouvoir. L’interprétation qu’il a faite de l’article
tous les pouvoirs publics. 57, quoique politiquement contestable, a permis
le passage « pacifique » vers la destitution de
Un tel modèle suppose donc la reconnaissance l’ancien président en constatant que l’absence
d’une égalité entre les différents sujets de droit du président de la République en exercice du
soumis aux normes en vigueur. territoire tunisien, dans des circonstances de
crise, sans avoir délégué ses pouvoirs et sans
A ce niveau de l’analyse, il serait utile de savoir avoir présenté sa démission, était assimilé à un
dans quelle mesure le processus constitutionnel cas d’empêchement absolu. Or, il ne fait pas de
tunisien a-t-il été bâti sur le fondement de la doute que le régime de l’article 57 était peu adapté
primauté du droit et le respect de l’Etat de droit? à la situation d’effervescence révolutionnaire
que traversait le pays. Cet article était en fait
Le 14 janvier 2011 après le départ de l’ancien incapable de faire face aux exigences du moment
président de la République, le pays est rentré dans constitutionnel. Les perspectives d’éventuelles
une zone de turbulence juridique au sommet de élections présidentielles ou législatives étaient
l’Etat. considérées par une frange importante du peuple
tunisien comme une trahison des objectifs de
En l’espace de quelques heures, le pays est la révolution ; à savoir la rupture radicale avec
passé du régime de l’empêchement provisoire l’ancien ordre constitutionnel et l’appel à l’élection
de la présidence de la République avec recours d’une Assemblée nationale constituante.
à l’article 56 de la Constitution du premier
juin 1959 à celui de la vacance définitive avec Le discours présidentiel prononcé le 3 mars
invocation de son article 57, laissant se profiler le 2011 par le président intérimaire a constitué un
scénario d’élections présidentielles et législatives tournant décisif dans la gestation du processus
anticipées. En moins de 24 heures, on est passé de transition. Formalisé par le décret-loi n°14 du
d’une volonté de se maintenir au pouvoir à une 23 mars 2011, il marque une véritable rupture
obligation de partir, conformément au dispositif avec l’ordre juridique existant. Il est à signaler à
constitutionnel en vigueur. L’article 56, qui ce propos que d’autres alternatives s’offraient au
dispose qu’en cas d’empêchement provisoire le peuple tunisien notamment la révision du texte
président peut déléguer par décret ses attributions, originel de la Constitution de 1959 et le maintien
était politiquement incorrect et moralement des institutions constitutionnelles telles que le
répréhensible. Aussi, a-t-il été immédiatement parlement et le conseil constitutionnel tout en
abandonné au profit de l’article 57 sur la vacance démocratisant leurs modes de fonctionnement.
de la présidence de la République pour cause de
décès, de démission ou d’empêchement absolu. L’élection, le 23 octobre 2011 d’une Assemblée
Il était, en effet, manifestement notoire que la Nationale Constituante constitue, sans le moindre
fuite d’un président de la République se situait doute, une étape décisive dans le processus de
en dehors des hypothèses constitutionnelles transition démocratique. A ce niveau de l’analyse,
et que jusqu’à ce jour, il n’y a aucune trace du nous sommes en droit d’affirmer que le processus
décret du 14 janvier 2011 habilitant le premier transitionnel en Tunisie s’étale sur deux périodes
ministre à assurer l’intérim du président de la : Une première qui correspond à une étape de
normalisation et de légitimation institutionnelle, à cet effet, prenne ses fonctions » (article premier).
Il s’agit de la phase pré-constituante (Paragraphe Il instaure un régime politique transitoire dans
1), et une deuxième phase du processus lequel le pouvoir exécutif est confié à un chef
transitionnel débutant avec l’élection de d’Etat qui légifère par le biais des décrets-lois et
l’Assemblée Nationale Constituante. Il s’agit de la un chef de gouvernement qui assure la fonction
phase de la légitimité électorale (Paragraphe 2) exécutive proprement dite. A défaut d’une
légitimité électorale, le nouveau premier ministre
a pu, grâce à son charisme, jouir d’un large
Paragraphe 1 : La phase pré-constituante ou consensus de la part d’une frange importante des
de légitimité consensuelle forces politiques en présence.
Durant cette phase et malgré de nombreuses
turbulences engendrées notamment par les Le décret-loi dissout officiellement la Chambre
crises sociale et économique, la vie politique des députés, la Chambre des conseillers, le
semble rentrer dans une phase de normalisation Conseil constitutionnel et le Conseil économique
institutionnelle. Cette normalisation et social (article 2). Il redéfinit le pouvoir législatif
institutionnelle a pu se faire grâce notamment au désormais exercé par le chef de l’Etat après
recours à l’article 28 qui a permis au président délibération en conseil des ministres (articles 4
de la République par intérim, en se dotant et 5). le pouvoir exécutif, quant à lui, est confié
de la prérogative de légiférer par le biais des à un président de la République par intérim
décrets-lois, de combler le vide normatif du à assisté d’un gouvernement provisoire neutralisé
la dissolution des deux chambres législatives7. puisque ni le premier ministre, ni les membres
Conformément à cette base juridique, Plusieurs du gouvernement ne peuvent se présenter aux
actes ont contribué à l’encadrement juridique de élections de l’Assemblée Nationale Constituante
cette phase. D’abord, la promulgation du décret- (articles 6 à 15). Le texte maintient en l’état,
loi sur l’organisation provisoire des pouvoirs conformément à ses lois et règlements en vigueur,
publics du 23 mars 2011 (A). Ensuite, la mise le fonctionnement du tribunal administratif
en place de nouvelles institutions en charge de la et de la Cour des comptes, des collectivités
transition démocratique (B). locales, l’organisation et le fonctionnement de
l’appareil judiciaire. A ce titre, Il est important
de saluer, dans ce cadre, le rôle primordial joué
1 - L’organisation provisoire des pouvoirs publics par l’administration tunisienne qui a assuré la
Ne tirant sa légitimité d’aucune disposition continuité organique et fonctionnelle de l’Etat.
préétablie, le décret-loi n°14 du 23 mars 2011
constitue, sans conteste, l’acte fondateur du Ce texte qui n’est, en réalité, ni un décret ni ne sera
nouvel ordre constitutionnel et ce, en annonçant ultérieurement une loi, est un texte bref contenant
une série de mesures d’une valeur juridique 19 articles. Selon la littérature constitutionnelle,
et politique indéniables. Il s’agit d’un acte il s’agit d’une « petite Constitution ».
constitutif, générateur d’une nouvelle légalité,
fondateur d’un nouvel ordre constitutionnel. Ce décret-loi reprend les principes énoncés par
Il organise le fonctionnement provisoire des la Constitution du 1er juin 1959 et revalorise
institutions de l’Etat, « jusqu’à ce qu’une Assemblée certains principes auxquels le régime de Ben
nationale constituante, élue au suffrage universel, Ali a profondément attenté comme le suffrage
libre, direct et secret selon un régime électoral pris universel libre, la souveraineté du peuple,
l’incompatibilité dans l’exercice des mandats…
7 Le paragraphe 5 de l’article 28 de la Constitution tunisienne
de 1959 disposait que :”La Chambre des députés et la Chambre des A cet effet, le préambule déclare en ces termes :
conseillers peuvent habiliter le président de la République, pour un délai
limité et en vue d’un objet déterminé, à prendre des décrets-lois…”.
A l’origine, simple commission d’experts dont le Compte tenu de l’impact qu’aurait pu avoir cette
choix ne répond pas à des critères préalablement Haute instance sur la qualité du débat politique
définis, elle s’est transformée en organe politique et les choix futurs qui auraient pu donner une
de délibération, un « mini parlement » par l’effet vision plus claire du processus constituant,
du décret-loi du 18 février 2011. Elle a connu, des questions restent en suspens quant au rôle
ainsi, une nouvelle nature avec la représentation effectif joué par cette institution. Il est vrai que le
en son sein des partis politiques de l’opposition mode désignation de ses membres ainsi que ses
« historique », des représentants de la société prérogatives constituaient une entrave à son bon
civile militante ainsi que des personnalités fonctionnement dans la mesure où le principe de
nationales indépendantes. participation faisait défaut.
La Haute instance a été également mise en mesure N’aurait-il pas été plus judicieux de permettre,
d’émettre des avis sur l’activité gouvernementale, surtout aux jeunes, les vrais acteurs de la
en concertation avec le premier ministre. révolution, de participer à la prise de décision au
Quoique contestée de l’extérieur sur son acte de sein de cette instance et de se réconcilier enfin
naissance qui remonte aux derniers jours de l’ère définitivement avec la politique?
Ben Ali ainsi que sur les modalités de désignation
de ses membres et minée de l’intérieur par les b – L’ISIE : l’instance supérieure électorale
conflits idéologiques avec notamment le retrait
d’Ennahdha (parti islamiste au pouvoir), la Haute Dans la logique du processus transitionnel,
instance a donné au pays les textes fondateurs de il était primordial de retirer du ministère de
son processus démocratique : l’intérieur toute tutelle sur les élections afin
d’éviter les dérives du passé. En ce sens, l’ISIE
Le décret-loi du 10 mai 2011 relatif à l’élection a été conçue comme une véritable autorité
de l’Assemblée Nationale Constituante où ont publique indépendante, dotée de la personnalité
été retenus les principes d’un scrutin au suffrage morale et de l’autonomie financière8 en vue de
universel, libre, direct et secret, de la parité conduire l’opération électorale. Elle était chargée
des candidatures, d’un scrutin de listes à la de l’enregistrement des électeurs sur les listes
représentation proportionnelle, de l’inéligibilité électorales, de la gestion et du contrôle de la
de toute personne ayant exercé au sein des recevabilité des candidatures, de l’organisation
gouvernements antérieurs à l’exception de celle et du contrôle du contentieux de la compagne
dont il a été prouvé qu’elle n’a jamais adhéré électorale, de l’organisation du scrutin, du
au parti du rassemblement constitutionnel dépouillement des bulletins et de la compilation
démocratique et de toute personne ayant eu des des procès-verbaux, de l’annonce des résultats,
responsabilités au sein de ce parti ainsi que de de l’examen des recours avec validation ou
celle qui a sollicité la candidature du président invalidation des listes, ainsi que de la rédaction
déchu pour les élections de 2014 (article 15). d’un rapport définitif sur les élections9. A
ce stade, on ne peut que noter le manque
Le décret-loi n°87 du 24 septembre 2011 sur les d’expérience des membres de cette instance. En
partis politiques qui abroge la loi antérieure de effet, peu de personnes faisant partie de l’ISIE ont
1988 ; loi liberticide sur la base de laquelle s’est eu une expérience relative à l’organisation et au
construit l’autoritarisme politique. Ainsi a été monitoring des élections.
supprimé le régime de l’autorisation préalable du
ministre de l’intérieur et remplacé par celui de la
déclaration auprès du premier ministre (articles 8 Article 1 et 3 du décret-loi n° 2011-27 du 18 avril 2011
6 à 16). portant création d’une instance supérieure indépendante pour les
élections.
9 Article 4 du décret-loi n° 2011-27 du 18 avril 2011.
constituante. En effet, tout un Etat était à construire qui sera débattu en plénière. Ce projet, s’il
et elle a réservé une grande partie de ses travaux marque une avancée notable en matière des
à légiférer afin d’asseoir sur de bonnes bases le droits et des libertés, il comporte néanmoins
nouvel Etat et consacrer ainsi la souveraineté du certaines anomalies relatives notamment aux
peuple tunisien et l’indépendance du pays. Par contradictions qui frappent quelques-uns de ses
conséquent, la non-limitation de la durée de la articles concernant le caractère à la fois religieux
constituante de 1956 est compréhensible voire et civil de l’Etat, le déséquilibre qui persiste entre
justifiée. les deux têtes de l’exécutif au profit du chef du
gouvernement, l’absence de mécanismes efficaces
L’actuelle ANC a pour mission essentielle la de contrôle entre les pouvoirs et l’ambiguïté qui
rédaction de la nouvelle Constitution qui devra touche le contrôle de la constitutionnalité des
consacrer la réforme de l’Etat tunisien déjà lois.
existant pour en assurer la pérennité sur des bases
démocratiques et des institutions équilibrées. Il La tenue d’élections et la désignation d’un
ne s’agit point d’une mission de bâtisseur d’un gouvernement issu de ces élections devaient
nouvel Etat comme ce fût le cas pour la 1ère contribuer à la restauration de l’Etat de droit et
ANC. Ce contexte ne semble donc pas justifier à la mise en œuvre des objectifs de la Révolution
une durée prolongée pour aboutir à une nouvelle : vérité, justice transitionnelle et réconciliation,
Constitution même si d’autres opinions estiment transparence, participation, instauration d’une
que la phase actuelle est aussi exceptionnelle justice indépendante, instauration de médias
et que le facteur temps ne doit pas “stresser” indépendants, élaboration d’une constitution
les constituants. Le constat actuel est que cette démocratique, désignation d’une instance
assemblée semble s’inscrire dans la durée. indépendante pour la préparation des nouvelles
Pourtant, deux éléments au moins auraient dû élections, engagement de réalisations au profit
militer en faveur de la limitation de la mission de des jeunes au chômage et des régions jusque là
l’ANC à une année environ : marginalisées, etc.
1. Tout d’abord, un engagement moral pré- Tout cela devant assurer progressivement une
électoral en ce sens signé par la plupart des reprise économique, une amélioration des
partis représentés à l’assemblée. conditions de vie des Tunisiens et un apaisement
des tensions. Mais ces tâches apparaissent de
2. Ensuite, un autre engagement moral vis-à- plus en plus ardues. Le gouvernement n’arrive
vis des électeurs qui se sont présentés le 24 pas à prendre en mains les différents rouages de
octobre 2011 pour élire une ANC pour la l’Etat. une situation de non-droit et de violence,
durée d’un an comme indiqué explicitement puisqu’il s’agit maintenant d’une véritable guerre
dans le décret-loi convoquant ces électeurs. contre le terrorisme, semble caractériser l’étape
Toutefois, on peut considérer que l’élément actuelle.
temps peut ne pas être considéré avec sévérité
compte tenu effectivement de la primordialité Les véritables objectifs de la révolution ; à
de la période de transition et surtout à partir savoir la dignité, la liberté et l’emploi semblent
du moment où les élus s’attacheront à rédiger être relégués à un second plan laissant la place
une Constitution équilibrée, non partisane à d’autres problèmes que le peuple tunisien n’a
et adaptée aux réalités de notre pays et aux jamais soulevés durant toute son histoire.
aspirations du peuple.
En effet, jusqu’aux élections du 23 octobre, le
En juin 2013, l’Assemblée Nationale Constituante débat autour de la religion était quasiment absent
rend public le troisième projet de Constitution au sein des institutions qui étaient en place. La
révolution a été menée par des jeunes diplômés au système politique et à conserver son potentiel
chômeurs, de jeunes blogueurs et internautes, mobilisateur et contestataire.
qui, par les moyens modernes de communication,
ont réussi à mobiliser la rue. Ils ont été encadrés Mais sur les plans économique et social, et malgré
et encouragés par l’UGTT, l’ordre des avocats, les promesses de développement et de lutte contre
l’association des magistrats tunisiens, des partis le chômage faites dans le programme électoral, les
de gauche, la Ligue tunisienne des Droits de islamistes, se heurtant aux réalités de la gestion
l’Homme et les mouvements féministes. Les quotidienne des affaires publiques, trouvent de
seules préoccupations des gouvernants ont été plus en plus de difficultés à assumer leur rôle de
politiques, administratives, de gestion des crises, gouvernants ce qui impacte systématiquement
de mise sur pied d’un arsenal législatif pluraliste, sur la qualité de leur gouvernance.
démocratique, conformément aux objectifs de la
révolution. A ce titre, il est intéressant de noter que la
surenchère politique va souvent l’emporter
Mais, les élections, ont dégagé une différence sur la nécessité de prendre les décisions
capitale entre ce “peuple de la révolution” et adéquates dans les domaines qui influencent
“celui des élections” qui a fait confiance au directement la vie des tunisiens. Ces modalités
parti Ennahdha. De fait, au bout d’une période de gestion gouvernementale se sont distinguées
relativement courte, du départ de Ben Ali par la prolifération des questions secondaires
aux élections du 23 octobre, le mouvement a notamment à connotation religieuse au
rapidement occupé le devant de la scène et a saisi détriment des priorités économiques et sociales
la position de meneur du jeu de la transition. Le nationales. Cette approche va créer un sentiment
parti islamiste a su mobiliser les électeurs et il de confusion qui instillera le doute chez les
a investi la Constituante formant une coalition acteurs économiques, seuls capables de relancer
gouvernementale avec le CPR et Ettakatol mais les différents secteurs vitaux de développement.
en gardant pour lui-même les leviers de la
décision réelle et une véritable mainmise sur les Le débat constitutionnel, au sein de l’ANC,
rouages de l’Etat. illustre cette situation. La rédaction de la
Constitution a pris ainsi du retard à cause de
Depuis cette victoire du parti islamiste, la scène débats articulés autour de points de focalisation
publique a vu l’apparition des groupes “salafistes” tels que le rapport entre la Chariâa et le droit
et l’on assiste, de plus en plus, à une bipolarisation positif notamment avec la nouvelle signification
dangereuse de la vie intellectuelle, culturelle et que donne l’article 141 du projet de Constitution
politique dans le pays. Désormais, les Tunisiens à l’article 1er 14 relativement aux droits de la
vivent le dilemme d’un projet “société islamisée” femme, à la liberté de conscience, de penser et
et celui de ce que l’on a jusqu’ici pris l’habitude d’expression. Ce sont là, en quelque sorte, des
d’appeler “l’héritage arabo-musulman”, avec sa “abcès de fixation” autour desquels se fondent
tolérance et sa modernité qui unissaient, malgré aussi bien l’action et le militantisme politique
tout, les Tunisiens sur l’essentiel. réel que la confrontation théorique, culturelle
14 L’article 1er du projet dispose que : ” La Tunisie est un Etat libre,
Mais la difficulté, pour Ennahdha, en matière indépendant et souverain, sa religion est l’islam, sa langue est l’arabe et
de gouvernance, provient du fait que le parti son régime est la République”. Ces dispositions, qui figuraient éga-
islamiste doit concilier sa capacité à gérer les lement dans l’article 1er de la Constitution 1959, ont été toujours
interprétées dans le sens de la description de la réalité sociologique
affaires politiques sans radicalisme, afin de ne d’une société à majorité musulmane. L’article 141 du projet, en
pas inquiéter les chancelleries occidentales, prévoyant que l’islam est la religion de l’Etat, s’éloigne de cette
et la satisfaction de sa base électorale très interprétation ancrée dans l’ordre juridique tunisien et ouvre la
possibilité à une nouvelle interprétation qui ferait de la Chariaa la
conservatrice. Il cherche, à la fois, à participer source principale du droit.
et idéologique. Ces débats, censés relever des jeunesse désœuvrée et la pauvreté deviendront de
convictions personnelles des personnes, ont été la sorte le terreau idéal des prédicateurs salafistes
un facteur non négligeable de désaffection des appelant à user de la violence pour imposer leur
tunisiens pour la chose politique. De ce fait, les idéologie et tirer bénéfice du désordre ambiant.
critères de participation et d’inclusion ont connu L’extension spectaculaire du territoire du “non
un réel recul enlevant ainsi une part certaine de Etat” et la constitution de bandes et de réseaux
la légitimité des décisions prises dans le cadre souvent violents sont dangereuses pour la paix
de rédaction du projet de Constitution. N’était- civile, pour la sécurité et pour la confiance non
il pas plus judicieux, afin d’éviter ce décalage seulement des citoyens, mais des investisseurs
entre les gouvernants et les gouvernés, d’aligner à même de donner une nouvelle dynamique à
les principes sous-tendant ces questions sur les l’économie et à la lutte contre le chômage.
dispositions énoncées par les pactes des Nations-
Unies sur les droits de l’homme ratifiés par La violence de groupes politisés et radicaux a
la Tunisie et faisant partie intégrante du droit incontestablement freiné la reprise économique,
positif ? menaçant le processus de transition et portant
atteinte à la primauté du droit et à son règne au
En plus de ces questions afférentes au statut sein de la société tunisienne. Cette violence a pris
religieux ou civil de l’Etat, l’aspect qui a le plus plusieurs formes : agressions d’artistes ; blocage
fortement handicapé l’action gouvernementale de la faculté de la Manouba ; destruction de bars,
est, sans conteste, celui de l’émergence de la de dépôts d’alcool, de maisons closes. L’objectif
violence dans la vie politique tunisienne. non avoué de cette vague de violence était pour
ces groupes de se substituer à l’Etat pour imposer
Dans toutes les sociétés, seul l’Etat détient à la société tunisienne des choix en matière
le monopole de la violence. D’ailleurs, cette de religion et des pratiques fondées sur leur
monopolisation de la violence “légitime” selon propre interprétation de la doctrine religieuse
les termes de Max WEBER est l’un des attributs dont l’objectif premier est de porter atteinte aux
les plus importants de la souveraineté étatique. libertés fondamentales des citoyens. L’attaque de
L’utilisation de la force doit être seulement l’Ambassade des Etats-Unis et la destruction et
exercée par les autorités officielles et habilitées, le pillage de l’école Américaine, le 14 septembre
par le droit à le faire, et ce dans le cadre de 2012, a marqué aussi bien l’opinion nationale
l’Etat de droit pour garantir le respect des libertés qu’internationale.
individuelles et publique et l’intégrité physique
et mentale des citoyens. Aujourd’hui, en Tunisie, Malgré l’arsenal juridique mis à sa disposition
tel n’est plus le cas : la violence est exercée par pour appliquer la loi face à ces débordements, le
des groupes, souvent déstructurés, qui s’érigent gouvernement, peut être à cause de son attitude
en autorité imposant par la force, la menace et permissive vis-à-vis de ces groupements, n’a pas
la violence des comportements et des normes été capable de mobiliser l’opinion publique pour
étrangers aux mœurs et traditions du pays. le soutenir ratant ainsi une occasion d’actionner
le principe de participation qui aurait dû faciliter
La multiplication des trafics de tous genres l’appropriation par la population tunisienne
constitue également un facteur supplémentaire d’une stratégie de lutte contre la violence. A cette
de déstabilisation. L’exacerbation des trafics critique, le gouvernement, tout en condamnant
transfrontaliers de marchandises et, dans une cette violence, a mis en exergue l’effet de surprise
certaine mesure, de stupéfiants et d’armes, en mais a imputé aussi l’inefficacité de son action à
constitue les prémices. Des acteurs incontrôlés la bureaucratie et à sa non maîtrise des rouages
ont été ainsi attirés par la fragilité et la précarité administratifs particulièrement au sein du
économique et sociale de la Tunisie. le chômage, la ministère de l’intérieur.
Le grand débat public qui a suivi ces événements A titre d’exemple, le suivi de l’affaire qui a
malheureux n’a pas permis de réunir le conduit à l’emprisonnement de Sami Fehri,
consensus nécessaire pour assurer une meilleure figure connue du paysage médiatique, démontre
gouvernance de la sécurité publique en Tunisie l’existence d’interférence de la part de l’exécutif.
essentiellement à cause de l’absence des critères En effet, à la veille de la réunion de la Cour de
de participation et d’appropriation de la part Cassation afin de statuer sur sa remise en liberté,
des franges les plus actives du peuple à savoir la un nouveau mandat de dépôt a été émis contre
société civile. lui avec une rapidité qui ne laisse aucun doute
quant à l’intervention du ministère de la justice
Actuellement et face à l’émergence du phénomène dans cette affaire.
terroriste, les mêmes attitudes et les mêmes
réactions se perpétuent privant la Tunisie de la Plus surprenant encore et au moment où
réflexion et de la mise en place d’une stratégie l’opinion publique s’attendait à ce que la justice
nationale de lutte contre la violence. condamne ave rigueur les groupes extrémistes
arrêtés en flagrant délit de saccage de l’ambassade
Ce climat de non droit, d’impunité et de violence américaine, ces derniers s’en sortent avec
a connu son expression la plus malheureuse avec seulement deux années de prison avec sursis.
l’assassinat de Chokri BELAID, le 6 février 2013 La réprobation de l’opinion publique qui était
et de Mohamed BRAHMI, le 25 juillet 2013. unanime n’a pas décidé le ministère public à faire
appel de ces jugements.
Cette situation de non droit n’a pas touché
seulement les domaines constituant, sécuritaire Une troisième affaire attire également l’attention.
mais aussi la justice. Il s’agit de celle du rappeur « Weld 15 » qui
a écopé d’une sanction de deux années fermes
Depuis la révolution, La justice tunisienne, s’est de prison pour une chanson critiquant le corps
retrouvée à la croisée des chemins, ballotée entre de la police. Si les paroles insultantes du rappeur
les vieux démons des interférences de l’exécutif doivent être condamnées, est-il recevable d’un
et ses velléités d’indépendance. Malgré le rôle point de vue juridique et moral, qu’une justice
de plus en plus militant des syndicats de la post-révolutionnaire condamne à la prison ferme
magistrature, la question de l’indépendance un artiste ?
des juges est restée comme une des conditions
essentielles à la mise en place d’une justice qui Les trois affaires ci-dessus mentionnées
incarne les fondements de l’Etat démocratique. constituent des présomptions quant à
Force est de constater d’ailleurs que le traitement l’interférence du politique dans le domaine
réservé à la délimitation de la place de la justice judiciaire. Ces dysfonctionnements auraient pu
dans le cadre du processus transitionnel n’a pas être évités si le projet de la justice transitionnelle
été à la hauteur des aspirations des observateurs avait été mis en place ce qui n’est pas le cas à ce
nationaux et étrangers de la scène politique jour.
tunisienne. Aussi bien de la part de l’exécutif qu’à
travers les travaux de l’ANC, le pouvoir judiciaire Aujourd’hui, il apparaît de plus en plus urgent
s’est retrouvé l’objet d’interférences et de de mettre en place les instruments politiques
surenchères attentant au principe de la séparation et juridiques garantissant l’indépendance de la
des pouvoirs et ne respectant pas les paramètres justice. Le projet de la Constitution prévoit des
de la bonne gouvernance. Les dernières affaires dispositions garantissant une réelle indépendance
judiciaires traduisent ce constat et cristallisent la du pouvoir judiciaire car le renforcement
crainte d’une justice sous influence. des prérogatives du Conseil Supérieur de la
Magistrature vers plus d’un pouvoir intrinsèque
absentéisme qui a caractérisé le déroulement des légitimité électorale, et ne prenant pas en compte
travaux de l’ANC a été un facteur de déception les spécificités et les exigences de la période
pour l’opinion publique17. Si l’on rajoute à transitoire, le gouvernement n’a pas jugé utile de
cela la nette tendance de l’ANC à privilégier le recourir à l’apport de la société civile excluant de
traitement de questions législatives ayant trait au facto le principe de la participation d’un acteur
fonctionnement quotidien du gouvernement au important du nouveau paysage démocratique
détriment de son rôle premier de rédaction de la tunisien.
Constitution, on peut comprendre la désaffection
et le désintérêt portés par le peuple tunisien vis- Cette position d’indifférence du gouvernement
à-vis de l’ANC18. s’est accentuée au point de déboucher sur les
incidents de Siliana au cours desquels, des
Un autre phénomène a été constaté également citoyens qui manifestaient, pacifiquement en
c’est celui du non recours à l’expertise nationale faveur de la prise en compte des revendications
dans le domaine constitutionnel ainsi que le de leur région, ont été réprimés notamment
peu d’intérêt porté au rôle essentiel qu’aurait par le recours à la chevrotine ce qui a eu un
pu jouer la société civile au cours de cette phase effet négatif pour l’image du gouvernement
importante de la vie politique tunisienne. En effet, qui, dans ce cas aussi, a refusé le principe de la
et malgré un encadrement des ONG tunisiennes participation populaire pour décider de l’avenir
par des experts de la société civile internationale du développement régional.
et l’apport pertinent des différentes conférences
organisées afin d’améliorer et d’enrichir le projet En plus de cela, les nouvelles nominations opérées
de Constitution, les constituants, se fondant par le gouvernement de la Troïka au niveau de
souvent sur leur légitimité électorale, ont toutes les structures administratives (centrales,
opté pour ne pas prendre en considération les régionales, locales) ont eu pour critère, souvent,
propositions de la société civile. l’appartenance partisane voire familiale19 et n’ont
pas été fondées sur le critère de la compétence.
Cette prise de position vis-à-vis de la société
civile a également été celle du gouvernement de Au niveau régional, la nomination des
la Troïka. En effet, S’appuyant uniquement sur sa gouverneurs s’est faite également sur une base
partisane ce qui a créé des mouvements de
questions essentielles pour le fonctionnement du gouvernement contestation dont certains ont abouti à l’éviction,
telles que la discussion et l’adoption du budget de l’Etat. par la population, du gouverneur désigné par le
17 A titre d’exemple, l’Association « Al Bawsala » a publié son gouvernement20.
rapport sur les activités de l’ANC durant la période du 17 janvier
au 25 février 2013. Selon ce rapport, durant cette période, l’ANC
a tenu 22 séances plénières pour l’examen et la discussion de loi se De même et avec le soutien des nouveaux
rapportant à la création de l’ISIE. La moyenne des présences est de gouverneurs qui disposent d’un pouvoir de
90 élus par séance. Le plus grand nombre de présences est de 123
élus, 3 séances ont été marquées par la présence de moins de 50 désignation au niveau local, le parti Ennahdha
élus dont une séance avec moins de 40 députés. La moyenne des a essayé d’influencer les nominations des
présences est de 41% le plus grand taux de présence étant de 44% membres des délégations spéciales prévues par
seulement. Pour plus de détails Cf.
http://tuniscope.com/index.php/article/22363/actualites/politique/ la loi organique des communes pour remplacer
ministres-deputes-absents-034416#.UnRk--KLJSY provisoirement les conseils municipaux. Les
18 Déjà en octobre 20121, SIGMA Conseil, en collaboration avec changements ainsi effectués, peu représentatifs
le journal Le Maghreb, a publié son Baromètre politique. 70% des
tunisiens n’ont pas confiance dans les institutions partisanes, 60%
des sondés confirment ne plus croire en l’ANC, et estiment que 19 L’exemple le plus frappant est la nomination du gendre du
cette dernière n’est pas prête de prendre en considération leurs chef du mouvement Ennahdha au poste du ministre des affaires
revendications. Tandis que 55 % déclarent ne pas faire confiance étrangères.
au gouvernement actuel, surtout concernant les solutions qui
20 Il en est ainsi de l’éviction populaire du gouverneur de Kebili
se rapportent à la hausse des prix. Pour plus de détails, voir le
M. Salah SEBAI en mai 2012.
numéro du quotidien Le Maghreb du 09 octobre 2012.
des sensibilités politiques locales, vont créer un d’Ennahdha et celles du reste des sensibilités
déséquilibre au sein de ces nouvelles entités au politiques représentées. L’inclusion de la Chariâa
détriment d’une large représentativité des citoyens en tant que source suprême du droit n’a pas
dans les instances de la gestion de leurs affaires été acceptée par une partie non négligeable
municipales. Une occasion exceptionnelle de de l’opinion publique tunisienne. Grâce aux
favoriser une participation équitable des citoyens manifestations et aux mouvements populaires
dans la prise de décision au niveau communal a dans les deux camps, un consensus a émergé entre
été ainsi ratée. les constituants et la société civile. Les médias ont
joué également un rôle déterminant en mettant
Il n’est donc pas inexact de constater que les en exergue les opinions divergentes des différents
gouvernements de transition n’ont pas joué la protagonistes et la raison l’a emporté puisque les
carte de la démocratie locale et ont gardé les termes retenus ont été unanimement acceptés
mêmes comportements et les mêmes traditions même si l’article 141 du projet de Constitution
de centralisation même quand il s’est agit de met la religion en tant que limite aux pouvoirs
décisions prises au niveau régional ou local. des constituants dérivés. Malgré les défaillances
Le critère de la participation nous paraît être citées, le processus constituant tunisien a vu des
primordial dans la construction de toute société formes de participation qu’il est intéressant de
démocratique car la bonne gouvernance se citer ici. A ce titre, il nous parait intéressant de
construit d’abord grâce à la gouvernance locale. rappeler que l’ANC s’est tournée vers l’opinion
Certes, le projet de Constitution a marqué publique et la société civile pour une question
une évolution en favorisant une plus grande importante pour la réussite de la période de
indépendance des collectivités locales, toutefois, transition à savoir la question de la justice
c’est dans la mise en œuvre de cette nouvelle transitionnelle.
approche de gestion des affaires publiques qu’il
faudra être vigilant pour concrétiser les bonnes En effet, sous l’égide du ministère des droits
pratiques d’une vraie démocratie locale. de l’homme et de la justice transitionnelle, un
dialogue national s’est tenu et a vu la participation
Il est à remarquer, à ce titre, que L’ANC, dans un des organisations non gouvernementales, des
souci d’élargir la participation, a lancé un appel à associations et des partis politiques qui ont
la société civile pour donner différents points de pris une part active à l’élaboration de la loi sur
vue concernant la Constitution. Elle a reçu, à cet la justice transitionnelle. Une participation qui
effet, un certain nombre d’experts indépendants, n’est pas au-dessus de toute critique, mais qui
d’associations et de représentants de la société demeure un pas positif en vue du renforcement
civile, d’académiciens et même de politiciens l’établissement de la démocratie participative.
nationaux et étrangers. Ces derniers ont tous
formulé des avant-projets, des propositions Aujourd’hui, on assiste à la plus grande des
et même des critiques. Malheureusement, crises politiques que le pays a connues depuis 14
l’intervention du politique n’a pas permis à ce janvier, à cause de la négligence de la démocratie
processus de concertation et de participation participative.
d’aboutir à une véritable prise en considération
des propositions qui ont été faites vidant de son Depuis plusieurs semaines en effet, une crise
sens ainsi cette alternative louable. politique mine tout le processus et exacerbe
les tensions entre les différentes parties. Cette
Toutefois, force est de constater qu’une véritable crise qui a commencé par des sit-in et des
synergie s’est enclenchée lors des débats autour manifestations menés par des constituants ainsi
de l’article 1er de la Constitution. une crise que par des milliers de citoyens au BARDO
sociopolitique grave a mis face à face les thèses devant le siège de l’ANC demandant le départ du
sur la base d’orientations partisanes, régionales ––la dernière publiée au JORT concernant le
ou familiales. directeur de cabinet du Président de l’ANC et
dont la date d’effet remonte au 08/12/2011,
Selon la même source, 87% des nominations dans Soit une publication au JORT avec près d’un
le secteur public ont été faites pour des membres an de retard !
de la Troïka (Ennahdha, CPR et Ettakatol) dont
93% ont été en faveur des partisans d’Ennahdha. En outre, il est intéressant de noter que près
de la moitié de ces nominations concernaient
L’UTSPNA a révélé aussi que sur 212 nominations des conseillers avec des rangs et des privilèges
dans l’administration publique, 114 ont été différents sans qu’aucune explication ne soit
publiées dans le JORT (Journal Officiel de la fournie, personnalisant ainsi encore plus le pouvoir
République Tunisienne), par contre 98 ne l’ont d’octroyer des prébendes publiques. Ainsi Hamadi
pas été ce qui constitue une violation des règles Jebali, chef du gouvernement, sur les 10 conseillers
de la publicité qui constitue un des fondements qu’il a nommés, n’avait octroyé le rang de ministre
du droit administratif tunisien.22 qu’à deux d’entre eux. Le reste des conseillers
ont obtenu le rang de secrétaires d’Etat. L’opacité
L’inventaire des numéros du JORT de l’année adoptée pour les nominations gouvernementales
2012 montre que seulement une trentaine de peut être considérée comme une brèche dans
nominations avec soit le rang de ministre, soit l’application du principe de la transparence, un
le rang de secrétaire d’Etat ont été faites. On en des piliers de la bonne gouvernance.
dégage également des nominations non pas été
publiées dans le JORT, ou encore publiées avec Toutefois, aucun observateur ne peut nier que,
beaucoup de retard et même avec des erreurs: dans d’autres domaines notamment, lors de la
sélection des membres de l’instance supérieure
• 9 nominations avec rang de ministre, dont: indépendante pour les élections, le principe
de la transparence a été respecté. En effet, Le
––4 réalisées par la présidence dont 2 ont quitté tri des candidatures a été soumis à une grille
leur fonction de sélection préalablement adoptée et publiée.
Tout le processus a été ouvert au contrôle et à
––5 réalisées par le premier ministère, dont 2 l’observation des citoyens et des médias. la
pour des conseillers et 2 qui concernaient un diffusion des auditions sur la télévision nationale
même poste ‘Chef de Cabinet’ pour lequel se et la publication simultanée des résultats, en
sont succédé deux personnes. partie assurée par les ONG présentes sur place
(le Centre Carter et Bawsala …) sont autant
• 20 nominations avec rang de secrétaire d’Etat d’éléments qui témoignent de la volonté, voire
dont : de la nécessité ressentie par les responsables
d’avoir une approbation, tant à l’amont qu’à
––8 concernant des conseillers (7 au premier l’aval et ce malgré certaines carences et mauvaises
ministère et 1 à la présidence) applications sanctionnées par un sursis à
exécution prononcé par le tribunal administratif
––une qui n’a pas été retrouvée au JORT, il qui a gelé tout le processus et l’a remis à plat. Ce
s’agit de celle de Samir Ben Amor, conseiller non aboutissement ne peut occulter la volonté
à la présidence. de transparence qui a animé les responsables du
processus de sélection. Ainsi, malgré l’échec de
cette initiative, on peut considérer qu’une volonté
22 http://www.businessnews.com.tn/details_article. réelle de transparence sous-tendait le processus
php?t=519&a=39508&temp=3&lang de sélection des membres futurs de l’ISIE.
Chapitre II:
La gouvernance économique
et financière en Tunisie
Aujourd’hui, dans une Tunisie en pleine mutation dossiers, nous donnent une première idée sur
politique, juridique, économique et sociale, les l’ampleur des dégâts relevés dans la pratique.
règles de bonne gouvernance et de transparence
doivent être renforcées à tous les niveaux et
érigées en tant que valeurs cardinales imprégnant Section I :
l’esprit et le comportement des citoyens au L’état de la gouvernance
quotidien. Il est, par ailleurs, recommandé que économique et financière en
la nouvelle constitution en cours de finalisation, Tunisie
mentionne et garantisse leur mise en pratique Dans une Tunisie post-révolution, aspirant à
dans tous les domaines. une vie politique, sociale et économique dont le
maître mot, serait la bonne gouvernance, nous
Ce chapitre traitera du volet économique et vivons une phase de transition pleine d’enjeux et
mettra en exergue, à partir d’une approche de défis, mais aussi une phase semée d’obstacles
gouvernance, les problématiques observées et d’ambigüité où la construction démocratique
aujourd’hui sur le terrain et qui ont tendance à n’est pas aisée et nécessite une vigilance accrue
constituer des entraves à la relance économique de la part des différentes parties prenantes,
et même à la construction démocratique. notamment de la société civile, des associations
et autres organisations non gouvernementales.,
Il faut remarquer, de prime abord, que depuis
longtemps en Tunisie, la gouvernance souffre de Sur le plan économique et social, le
plusieurs lacunes notamment dans les domaines déclenchement de la révolte des jeunes à Sidi
économique et financier23. Bouzid en décembre 2010, a révélé au grand
jour le déficit de gouvernance qui caractérise
Des lois ont été adoptées (notamment la loi l’économie tunisienne. En effet, la Tunisie a
sur la sécurité financière votée en 2005) et des payé lourdement la facture de la mauvaise
recommandations faites de la part de plusieurs gouvernance. Une corruption qui a gangréné
institutions de régulations afin de remédier à l’administration et a creusé les inégalités sociales
cette situation. Cependant au niveau pratique, et régionales. Une dégradation du climat des
nous sommes loin du minimum requis en affaires qui a alimenté les fuites de capitaux et
termes de normes et de standards appliqués! Des a découragé l’investissement étranger24. Des
défaillances sont constatées notamment dans le conseils d’administration d’entreprises publiques
fonctionnement des instances de surveillance gérés de façon autocratique, ouvrant la porte à
et de régulation au sein de l’Etat, mais surtout toute sorte de dérapage. Des banques dont les
en ce qui a trait aux questions d’éthique et de actifs sont criblés de créances non performantes
transparence. Les conflits d’intérêts, la non et qui trainent à adopter les exigences de
fiabilité des comptes-rendus, la gestion partisane, transparence de Bâle 2, alors que l’heure de Bâle
le manque de séparation des pouvoirs, les 3 a déjà sonné. Un marché financier miné par les
confusions de rôles, l’irresponsabilité de certains délits d’initiés. Bref, un déficit de gouvernance
acteurs et les complaisances constatées dans les qui a impacté négativement le développement
économique en Tunisie et qui a contribué à faire
23 Voir les rapports du FMI, de la Banque Mondiale, de la BAD et
de l’OCDE de 2000 jusqu’à 2011. 24 Se référer aux rapports de Transparency International de 2009,
2010 et 2011.
perdre 2 points de croissance annuelle25. Certes, l’établissement d’un Etat de droit serait
nécessaire pour tarir les sources de clientélisme,
de népotisme, d’abus de pouvoir et de trafic
Paragraphe 1 : Les éléments de la bonne d’influence. .Mais, l’ancrage de la culture de la
gouvernance économique bonne gouvernance dans le tissu économique
Avec le déclenchement de la révolution du 14 tunisien s’avère déterminant pour permettre à nos
janvier 2011, nous avons estimé que le moment entreprises et banques de rattraper les standards
était donc historiquement favorable pour internationaux de performance et de qualité des
construire, créer, et adopter les nouvelles bases services. Les agences de notation internationales
de construction, d’organisation et de régulation nous scrutent. La bonne gouvernance est loin
pour de la Nouvelle économie tunisienne. d’être un simple effet de mode. Nous devons la
Evidemment, cela devra transiter nécessairement mesurer (critères financiers et extra-financiers,
par l’introduction des normes de bonne governance ratings) et la définir très objectivement
gouvernance à tous les niveaux : en intégrant nos spécificités tunisiennes.
Au niveau des administrations : la bonne Qu’en est-il aujourd’hui sur le terrain de toutes
gouvernance est une condition indispensable ces exigences, de tous ces préalables ? La
pour générer un véritable contrat social et une gouvernance a-t-elle bien avancé en Tunisie ? Au
confiance entre administrateurs et administrés, niveau économique et financier, y a-t-il plus de
garants de l’assainissement des finances publiques transparence, plus d’efficience, plus d’éthique ?
et du climat des affaires pour les investisseurs Quelles sont les mesures qui sont prises et quels
nationaux et étrangers et de l’équité au niveau de sont les obstacles qui demeurent ? Quel constat
la gestion du marché de l’emploi. et quel bilan peut-on tirer aujourd’hui après plus
de 30 mois de la révolution tunisienne ?
Au niveau du secteur financier : l’adoption
des exigences prudentielles en matière de La Tunisie souffre actuellement (octobre 2013)
fonctionnement et de transparence, contribuera d’un abus de pouvoir et d’un ensemble de
à améliorer la qualité des actifs bancaires et des malversations qui touchent différents secteurs
services financiers et à assurer l’efficience du d’activités de l’économie nationale. La banque
marché financier. et la finance sont prioritairement concernées
et leur gouvernance est défaillante du moins
Au niveau des entreprises : une séparation dans un certain nombre de structures :
des fonctions de contrôle et de gestion, un Conseils d’administration très mal composés,
fonctionnement efficient des différents organes dysfonctionnement des Comités d’audit, absence
sociaux et un statut d’Administrateur indépendant de systèmes de reporting fiables, gestion des
conforme aux normes internationales26, sont risques défaillante, mauvaise répartition des
autant de gages de transparence et d’une bonne tâches, centralisation du pouvoir, défaillance de
gouvernance créatrice de richesse. la gouvernance opérationnelle, communication
financière et comptable en manque de fiabilité
25 www.lemonde.fr/economie/article/2011/12/12/les-islamistes- et de pertinence…Tous ces éléments font en
jouent-leur-credibilite-sur-l-enjeu-economique_1617293_3234.
html
sorte que nos banques, notamment publiques,
26 L’Administrateur indépendant est un administrateur libre de
commencent à perdre la confiance de leurs
conflits d’intérêts qui n’a aucune participation significative et clients, de leurs salariés et de l’ensemble même
aucune fonction salariale ou managériale au sein de l’entreprise de leurs parties prenantes.
où il siège. Les Administrateurs indépendants sont considérés
aujourd’hui dans les pays développés et les grandes institutions,
comme étant des acteurs de premier plan en matière de gouver- Le secteur des transports est tout particulièrement
nance, apportant compétence, diligence et intégrité aux Conseils touché par cette vague de mauvaise gouvernance
d’administration.
dans nos entreprises publiques. Des PDG trop Par ailleurs, nous constatons la poursuite de
autoritaires concentrant beaucoup de pouvoir la baisse des investissements directs étrangers
ces dernières années, ont détruit de la valeur (-0,7% au cours des huit premiers mois de
dans leurs entreprises respectives à travers 2013), le repli de l’excédent de la balance des
notamment, des stratégies hasardeuses dont les opérations en capital et financières d’environ 790
intérêts recherchés se recoupent souvent avec MDT, la persistance des pressions sur le taux de
les intérêts des clans mafieux qui ont sévit dans change du dinar, en relation avec l’évolution des
notre pays. indicateurs économiques et financiers,
enregistrant une baisse de 7,7%, depuis le début
Mais avant d’aborder les problématiques d’ordre de l’année et jusqu’au 20 septembre 2013, vis-
micro-économique, essayons d’établir un bilan à-vis de l’euro et de 5,4% par rapport au dollar
au niveau macro-économique et de relever les américain. A noter, le maintien, à des niveaux
principaux indicateurs à ce niveau. élevés, des besoins des banques en liquidité,
au cours du mois de septembre 2013 et pour
le cinquième mois consécutif, ce qui a amené
Paragraphe 2 : La situation économique la BCT à poursuivre l’octroi de facilités au
actuelle en Tunisie secteur bancaire au titre du refinancement, afin
La situation économique de la Tunisie reste de réguler la liquidité du marché monétaire au
tendue aujourd’hui et les marges de manœuvres vu de l’évolution de ses facteurs déterminants
deviennent de plus en plus réduites, avec un objectifs. Rappelons également, la poursuite du
déficit courant qui pointe à 7.4 % pour 2013, ralentissement du rythme des dépôts auprès du
une croissance négative durant 2011 corrigée système bancaire, au cours des huit premiers
à - 2.2 % et relativement faible en 2012 et en mois de l’année en cours (hausse de l’encours de
2013 évaluée à une moyenne de 3 % au plus, 3,7% contre 5% au cours de la même période de
avec une accentuation de la baisse de l’activité, 2012), surtout les dépôts à vue et les comptes
avec la poursuite des pressions sur la balance des d’épargne ;
paiements avec le maintien du déficit courant
à un niveau élevé, au cours des huit premiers Ces éléments et d’autres ont impacté la balance
mois de l’année 2013, soit 5,4% du PIB contre générale des paiements qui souffre de la
5,7% une année auparavant et ce, en raison du poursuite des pressions subies, avec le maintien
creusement du déficit du commerce extérieur.27 du déficit courant à un niveau élevé, au cours des
huit premiers mois de l’année en cours, soit 5,4%
Globalement, pour l’année 2013, les du PIB contre 5,7% une année auparavant et ce,
résultats liminaires enregistrés dénotent d’un en raison du creusement du déficit du commerce
essoufflement de l’activité économique avec extérieur;
une baisse de la demande intérieure, impactant
le rythme des exportations et entrainant une A noter également, le maintien des avoirs nets en
balance commerciale déficitaire pour septembre devises à un niveau acceptable, atteignant 11.291
2013 à hauteur de 8 milliards de dinars, Dans MDT ou l’équivalent de 103 jours d’importation
la même veine, le rythme des exportations a à la date du 25 septembre 2013 contre 9.983
notamment baissé au niveau du secteur des MDT et 98 jours, à la même date de l’année
industries mécaniques et électriques, ainsi que dernière qui ont atteint, les 9.200 MDT ou 96
des industries du textile, habillement, cuirs et jours d’importation contre 145 jours au mois de
chaussures. janvier 2011.
alimentaires frais. Cependant, l’élément le plus notamment celui de la classe moyenne, véritable
préoccupant reste la crise des liquidités que levier de l’économie tunisienne. Notons que dans
traverse la Tunisie en ce moment. Ainsi on note le cadre de cette politique et afin de maîtriser
une baisse des dépôts à terme de 7,2%, comparée l’inflation, le gouvernement serait amener à tenter
à la même période de l’année 2012. d’encadrer les salaires et d’éviter les mouvements
de hausse à ce niveau, ce qui risque de porter
La BCT a dû donc intervenir sur le marché un coup de plus au pouvoir d’achat des citoyens,
monétaire en injectant une enveloppe surtout que de l’autre côté, il faut s’attendre à des
quotidienne moyenne de 3,4 milliards de dinars hausses au niveau de l’imposition des salaires et
depuis une année. une augmentation des taxes. A la différence d’une
politique de relance, où les salaires seraient révisés
Le taux d’intérêt moyen a connu une hausse pour à la hausse avec des risques de provocation d’une
s’établir à 3,73% depuis le début du mois d’avril sous-performance des entreprises, impactant in
courant contre 3,48% pour le mois de mars et fine la création d’emploi, outre le fait que les
3,42% en février. hausses de salaires peuvent également provoquer
une hausse générale des prix et ainsi engendrer
L’un des indicateurs les plus alarmants également un cercle vicieux.
est la valeur du dinar tunisien qui est donné à 2.3
par rapport à l’euro et 1.7 par rapport au dollar Le mérite d’une politique de rigueur se situerait
d’ici fin 2013. essentiellement sur le moyen et long terme, à
travers la restauration des comptes publics et
de la balance des paiements, favorisant ainsi la
Section II: confiance dans l’économie, la stabilité du taux de
Pour une nécessaire cohésion change, et augmentant l’investissement et les flux
des décisions économiques d’IDE (entrée de capitaux étrangers). À terme, la
et une meilleure gestion des compétitivité économique est améliorée ce qui,
dossiers post-révolution par suite, augmentera le nombre d’emplois dans
Ces éléments impacteront certainement le l’économie (en particulier dans le secteur privé).
niveau des investissements qui ne peuvent Mais les questions qui se posent aujourd’hui, sont
être « boostés » que par des taux d’intérêt celles de savoir si les Tunisiens seront prêts ou
plus favorables, une stabilité politique au non aux sacrifices à court terme ? Accepteront-ils
RDV, un climat sécuritaire plus serein et des des baisses salariales? Par ailleurs, aujourd’hui,
infrastructures améliorées. Plus structurellement les attentes des opérateurs se concentrent plutôt
et au niveau macroéconomique, la réflexion est sur la relance qui doit se produire au plus vite et
plus profonde et l’analyse doit prendre en compte la reprise des activités qui doit être perceptible
un ensemble de paramètres qui rentrent en jeu dès le premier semestre 2014.
dans l’optimisation de la décision politique à
ce niveau. En effet, aujourd’hui, il peut s’avérer Sur un autre plan, des problèmes de gouvernance
évident qu’une politique de rigueur ou d’austérité surgissent en Tunisie également dans certaines
serait la solution unique pour « sauver les institutions, considérées comme incontournables
meubles » et amorcer un nouveau départ. Cette en termes de gouvernance publique.
politique qui prône la hausse de la fiscalité et la
baisse des dépenses publiques dans l’objectif de
réduire le déficit, se justifierait en ce moment en Paragraphe 1 : Le rôle de la Banque Centrale
Tunisie, par l’enregistrement d’un déficit courant de Tunisie (BCT)
en forte hausse et qui a atteint 6%, ainsi que par Ainsi, la Banque Centrale de Tunisie (BCT) qui
l’inflation rampante qui nuit au pouvoir d’achat, constitue en elle-même un organe de gouvernance
n’est-il pas amené aujourd’hui à supporter les relevés. D’abord, nous constatons un manque
pertes de quelques unes de ces entreprises, au de transparence flagrant dans cette entreprise.
lieu d’en profiter dans le bon sens et suivant les Nous n’avons aucune idée sur ses comptes, ses
règles appropriées. recrutements, sa bonne marche et ses échéances.
Elle gère un patrimoine colossal et elle serait
Des 118 entreprises expropriées, quelques unes incapable de continuer à se développer dans ce
ont été liquidées déjà et les autres (plus d’une climat de suspicion ?
centaine), sont encore gérées par l’Etat avec des
résultats mitigés. De l’avis et des témoignages Il est recommandé donc à travers ce rapport entre
relevés par nos experts et nos collaborateurs autres, des éclaircissements sur le fonctionnement
sur le terrain, des irrégularités et même des de cette entreprise et sur la grille salariale qu’elle
malversations se sont produites dans ces applique à ses cadres, soient communiqués afin
entreprises, considérées comme des fleurons de de mettre fin à l’opacité qui entrave la gestion de
l’économie tunisienne. Il faut surtout insister cette entreprise.
sur le fait que la gestion de ces entreprises
n’était pas vraiment optimisée à cause des Nous exigeons également une transparence totale
lourdeurs administratives et procédurales, et dans la gestion de ce dossier des entreprises
de l’inexpérience de certains administrateurs expropriées avec un suivi et une supervision
judiciaires nommés à la tête de ces entreprises. aptes à contribuer à la relance de ces entités.
Pour un bon nombre de ces entreprises, il y a
eu des pertes voir des destructions de valeurs Une structure plus appropriée, équipée elle-
et certaines sont carrément à l’arrêt, ce qui même d’un système de gouvernance performant,
représente une perte pour le citoyen tunisien qui serait PLUS apte et qualifiée pour continuer à
n’a pas pu profiter de ces biens récupérés grâce à gérer ces entreprises et optimiser leurs ventes
son mouvement révolutionnaire notamment. pour le bien de l’Etat Tunisien.
Pis, une société de type Holding a été lancée et Enfin, toujours sur le plan économique, nous
greffée sur une autre entreprise expropriée. Le avons relevé un manque de compétences,
tout formant aujourd’hui : Al Karama Holding. notamment jeunes, dans l’administration et
la gestion des affaires de l’Etat. Ce manque de
Cette société, devenue la plus grande et la plus compétences est flagrant à tous les niveaux des
importante du pays, réunit l’ensemble des autres rouages et entrave la bonne marche du pays.
entreprises expropriées et leurs actifs. Al Karama
Holding est chargée de gérer, d’optimiser et de Compétence, intégrité, indépendance et diligence
vendre ces entreprises au bénéfice de l’Etat. doivent être les maîtres mots de la prochaine
Cependant, plusieurs signes, d’abus de pouvoirs phase de transition et de construction de la
et de mauvaise gestion des deniers publics sont nouvelle économie nationale.
Conclusion
En guise de conclusion et même s’il ne s’agit que d’un ce soit dans le domaine du politique ou dans les
rapport préliminaire, le constat du non respect des domaines économiques, financiers, culturels, de
paramètres de la bonne gouvernance dans la gestion très importantes améliorations du système de la
des affaires publiques en Tunisie est sans appel. gouvernance restent à faire.
Certes, il ne peut pas être exigé d’un gouvernement A notre sens, le critère de la participation peut
en pleine transition d’adopter une approche de constituer une garantie pour que le processus de
gestion gouvernementale à laquelle il n’est pas prise de décision publique puisse être efficace. C’est
préparé. Toutefois, en Tunisie, c’est l’absence la participation la plus large de toutes les parties
aussi bien de volonté réelle que de vision claire prenantes à la vie économique, sociale et culturelle
quant à la consécration des principes de la bonne qui fondent toute légitimité réelle des gouvernants.
gouvernance qui pose problème. Un effort
substantiel devra être consacré par les actuels Nous estimons donc que des recommandations
gouvernants de la Tunisie. Il s’agit de l’avenir doivent être avancées pour que les objectifs de
même de l’Etat tunisien. Une nouvelle culture la bonne gouvernance soient réalisés. A titre
de la bonne gouvernance devra constituer en indicatif et non limitatif, nous considérons que les
avenir un objectif primordial à atteindre. Que recommandations suivantes peuvent être formulées :
1-L’organisation d’un forum annuel relatif à la bonne gouvernance avec la participation de toutes
les parties concernées par cette thématique et qui présenterait le rapport de l’ATG sur la bonne
gouvernance.
3-Création d’un comité d’éthique pour les nominations aux postes de direction publique. Il s’agira
d’un comité apolitique qui soumettra son rapport et ses recommandations à une commission
parlementaire chargée de respecter les règles de la bonne gouvernance et qui devra se prononcer
sur ces recommandations dans un délai maximum de 15 jours.
4- Développer les attributions des corps administratifs de l’inspection afin d’en faire un instrument
d’évaluation des performances des décideurs publics avec pouvoir de proposition de révocation.
7- Réviser les statuts de la Banque Centrale afin de les adapter aux exigences des nouvelles règles
économiques et financières aussi bien nationales qu’internationales.
8- Relancer l’économie en renouant avec une croissance durable qui mobilisera les investissements
grâce à des ressources de financement puisées notamment par le biais d’une réforme fiscale plus
adaptée aux nouveaux défis de l’économie nationale.
Bibliographie générale
Ouvrages
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Articles
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Sites internet
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