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11/11/2020 Du récit intime à la dénonciation, quand le manga s’empare des violences envers les femmes
Son autrice Reiko Momochi a choisi, en plus de la trame narrative, d’inclure des
éléments de pédagogie pour raconter les mécaniques du sekuhara, le nom
donné au harcèlement sexuel au Japon. Sont évoqués la peur et les séquelles
ancrées chez les victimes, la loi du silence, les défaillances institutionnelles,
mais aussi la lente évolution des lois et des mœurs en la matière dans l’Archipel.
« A l’époque [de l’intrigue], au début des années 2000, la plupart des victimes ne
s’autorisaient pas à parler, supportant en silence des actes qui commençaient tout
juste à être considérés comme répréhensibles », est-il écrit en préambule du
calvaire physique, émotionnel et judiciaire subi par l’héroïne.
Une planche extraite du tome 1 de « Moi aussi ». REIKO MOMOCHI/KODANSHA Ltd.
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Dans les albums pour un public plus mature, sur le même sujet, la série En proie
au silence d’Akane Torikai (Akata), a été remarquée en France dès sa sortie, en
début d’année. Ce titre s’attelle de façon très directe et polyphonique à la
misogynie et aux violences sexuelles. Son héroïne, Misuzu, est une jeune
professeure déboussolée qui tente de se reconstruire après un viol.
« Je n’ai pas créé cette œuvre pour combattre simplement les injustices sexistes »,
expliquait la mangaka au Monde en décembre 2019 : « Le sexisme à l’égard des
femmes est un phénomène qui apparaît d’un complexe mélange entre le
comportement des hommes, mais aussi celui de manière intériorisée par des
femmes. Mon manga s’adresse à tout le monde. Aux personnes qui ont subi des
agressions. A celles qui en ont commis. A celles qui n’en ont pas fait l’expérience, et
aussi à celles qui ne s’en soucient pas. Car c’est un sujet trop important, à propos
duquel personne ne doit rester étranger ou indi érent. »
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11/11/2020 Du récit intime à la dénonciation, quand le manga s’empare des violences envers les femmes
Extrait d’une planche du tome 1 de « Don’t Fake your smile ». NIJI, AMAETEYO/2017 KOTOMI
AOKI/SHOGAKUKAN
Ces titres ont marqué, à leur échelle, le public japonais. « Sayonara Miniskirt a
été publié au Japon dans Ribon, un magazine manga pour jeunes lles (shojo) pas
vraiment engagé, mais son sujet, la question des relations hommes-femmes qui
commence dès l’enfance, a su intéresser le grand public, au-delà des lectrices
habituelles de shojo. Il a été très souvent salué par la critique », défend Joanna
Ardaillon, son éditrice française chez Delcourt-Soleil.
« La scène de viol en particulier, je l’ai dessinée naturellement. Parce qu’à l’origine
d’En proie au silence, il y avait la volonté de ne pas invisibiliser quelque chose qui
a existé. Si vous étudiez bien ce passage, en regardant les yeux de Misuzu, on dirait
qu’elle est morte. J’ai dessiné ça de manière très volontaire. Dans la réalité, il y a
des hommes qui peuvent maintenir leur excitation en voyant des femmes dans ce
genre de situations. Et ça, c’est quelque chose qui me dépasse », justi e Akane
Torikai.
A l’image de Moi Aussi, qui y fait directement mention dans son titre et son
épilogue, cette tendance dans les rayonnages français semble faire écho au
mouvement #metoo, né à l’international en octobre 2017 mais qui a aussi éclos
au Japon et dont la gure de proue est la journaliste Shiori Ito. Elle avait
témoigné publiquement, plusieurs mois auparavant, de son viol par un
responsable d’une chaîne de télévision privée et porté l’a aire devant les
tribunaux.
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question du féminicide. »
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11/11/2020 Du récit intime à la dénonciation, quand le manga s’empare des violences envers les femmes
Bien que les éditeurs français aient pu importer de façon ponctuelle ce genre de
mangas par le passé, Bruno Pham assume du côté d’Akata une démarche de
publication engagée et dans l’air du temps de ce corpus d’œuvres. Si ces albums
ont trouvé lecteurs au Japon, « toute la question est de savoir si le public français
est prêt à lire de tels récits. Le shojo et le josei [manga pour lectrices adultes] sont
encore trop souvent dénigrés, à tort », avance l’éditeur.
Parmi elles, une dizaine d’artistes surnommées le groupe de l’An 24 (Nijuyo nen
gumi), considérées comme celles qui ont posé les bases du shojo moderne, dont
Moto Hagio (Poe no Ichizoku, Le Cœur de Thomas) et Riyoko Ikeda (La Rose de
Versailles). Assez radicales, ces mangakas qui vont s’emparer de thèmes
controversés comme la sexualité, le genre, l’intime féminin et des registres plus
vastes que ceux réservés traditionnellement au shojo comme la SF ou l’horreur
vont autant fasciner que servir d’exemple à leurs successeuses.
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11/11/2020 Du récit intime à la dénonciation, quand le manga s’empare des violences envers les femmes
« Dans le courant des années 1980, on a assisté au Japon à une certaine montée
du féminisme avec l’arrivée de la sociologue Chizuko Ueno sur la scène
médiatique et on a commencé à évoquer et ré échir sur le genre et la sexualité »,
expliquait, en novembre 2019 au Monde, la critique et spécialiste de la culture
manga, Yukari Fujimoto, professeure à l’université de Meiji, dans le
département des études globales sur le Japon. A la même époque, en 1985, le
pays adopte une législation sur l’égalité des chances entre homme et femmes et
la lutte contre les discriminations au travail.
« Cela ne signi e pas que la société change du jour au lendemain mais elle fait des
pas importants. Les questions et concepts liés aux discriminations de genre
arrivent dans le débat public, le terme “gender” apparaît dans le champ politique
vingt ou trente ans avant d’apparaître chez nous », assure Julien Bouvard, maître
de conférences en langue et civilisation japonaise à l’université Jean-Moulin
Lyon-III.
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Le manga lui notamment sous la plume des femmes a alors souvent re été les
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11/11/2020 Du récit intime à la dénonciation, quand le manga s’empare des violences envers les femmes
Le manga, lui, notamment sous la plume des femmes, a alors souvent re été les
préoccupations et débats de son temps, « encouragé et réconforté les lectrices »,
estime même Yukari Fujimoto. Et changé par exemple les représentations sur le
divorce ou les familles monoparentales, mal vues il fut un temps.
Ces récits peuvent aussi, quelque part, s’avérer cathartiques pour leurs autrices.
« Mon premier petit ami, un jour, m’a frappée lors d’une dispute, con e Akane
Torikai, quand elle évoque des expériences personnelles marquantes de
discrimination. Je me souviens encore avec intensité que j’avais pensé, ce jour-là,
que physiquement je ne pourrai jamais l’emporter sur un homme. A cette époque,
inconsciemment et pour attirer l’attention des garçons, je parlais de manière à
exprimer l’idée que les femmes étaient des idiotes. Quand on parle du sexisme, il
faut aussi parler de toutes ces fois où ce sont des femmes qui dévalorisent d’autres
femmes… »
Pauline Croquet
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