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“Sie haben eine neue Band namens Entombed : Meiner Meinung nach wird es noch besser“

Evidemment, vous ne connaissez pas Karl.


Karl, c'était mon correspondant quand j'étais au collège et que je faisais allemand, en 1988/89.
J'avais découvert le Hard Rock, comme on disait à l'époque, vers Mars 1987, et j'avais brûlé les
étapes en deux ans. Quand avait sonné l'heure de choisir une seconde langue, je n'avais pas fait
comme mes collègues qui préfèraient la langue de Cervantès, si proche de l'Occitan que nous
baragouinions, mais j'avais choisi celle de l'umlaut, de Scorpions et de Accept. Pour nous entraîner,
la prof nous avait attribué à chacun un correspondant à qui nous écrivions en Français et qui nous
répondait en Allemand, afin de pratiquer notre version germanique.

Et donc, j'ai récupéré Karl.


Coup de bol : Karl, plus âgé que moi de 9 mois, était accro au Hard. Mais lui, son truc c'était les
machins de bourrins. Le Thrash dans toute sa splendeur. Et Karl avait un gros réseau de
correspondants à qui il écrivait dans toute l'Europe, et avec qui il effectuait du tape-trading.
J'étais son premier français, et je le fournissais en Punk Alterno' bien de chez nous.
Je lui fis découvrir les Bérus, O.T.H., les Shériffs, La Souris Déglinguée, etc... et il me fît découvrir
Kreator, Destruction, Sodom et un groupe suédois improbable au son dégueulasse, avec un chanteur
à la voix graveleuse et bien Punk : Nihilist.

C'est comme çà que j'ai rencontré Lars-Göran Petrov pour la première fois : sur la face A d'une
bonne vieille C-60 reçue en Juillet 1989 et qui comprenait une copie des démos Only Shreds
Remains et Drowned. Honnêtement, à l'époque ça ne m'a pas marqué plus que ça. Mais la phrase de
Karl m'a fait tilter : „ils ont un nouveau groupe nommé Entombed : à mon avis, ça va être encore
mieux“

Novembre 1990.
Il y avait à l'époque à Toulouse un disquaire génial, dans la rue Pargaminières, qui s'appelait
Phonodisc. Un local de taille modeste, mais agréable, où l'on trouvait du vinyl, de la cassette, du
poster, des t-shirts et des fanzines, puis aussi un poil de CDs quand même. Du Punk, de l'Industriel,
et évidemment beaucoup de Hard Rock... Mais que de l'extrême. Slayer devait être le truc le plus
mélodique que l'on pouvait trouver dans les bacs. Et puis, on pouvait aussi y acheter des démos que
les groupes laissaient en dépôt-vente. Et en ce mois de Novembre, en farfouillant dans les bacs à la
recherche d'un nouveau truc à écouter, la phrase de Karl m'est revenue en mémoire en tombant sur
une cassette à la couverture morbide, dans des tons bleuâtre avec une pierre tombale et un chemin
sinistre.
Ce dessin de Dan Seagrave avait attiré mon oeil, mais pas autant que le nom du groupe : Entombed.
Une rapide question au vendeur, et oui c'est bien des suédois. Un échange rapide d'un billet de 50
francs (7.50 € aujourd'hui) et me voilà propriétaire de l'objet. Je vais prendre mon bus, et dépiaute la
cassette de son emballage plastique avant de la glisser dans mon walkman, histoire d'avoir du son
dans les oreilles pour la bonne demi-heure de trajet qui m'attend.

Je ne vous dirais pas que ce fût une Révélation, l'apparition soudaine qui me convertit au Death à la
suédoise (encore que pas loin...), vu qu'à l'époque je connaissais quand même déja un poil de trucs.
Ce que je je peux vous dire, c'est qu'au bout de 20 minutes à écouter la cassette les yeux fermés, j'ai
senti une main sur mon épaule. J'ai ouvert les yeux pour voir un contrôleur, l'air assez énervé qui
pointait ses oreilles du doigt. Comprenant le geste, j'éteignis mon walkman et enlevait mon casque
pour m'entendre dire d'une voix énervée : „Dites, jeune homme, il faudrait voir à vous calmer : vos
hurlements et vos gestes brusques gênent et effraient les passagers. Si ça continue, je vous fais
descendre du bus !“

Ce fût ma deuxième rencontre avec Lars-Göran Petrov, la plus importante. Parce que c'est celle qui
me convertit définitivement au Death Metal, bien plus que n'avaient pu le faire Morbid Angel ou
Death. J'ai ensuite rencontré Lars en vrai 4 fois, à chaque fois après un concert et pour des
discussions souvent animées. En général, autour de la musique. Je dois à ses conseils avisés ma
découverte du Crust Punk et ma (re)découverte du Straight Outta Compton de N.W.A . Notre
dernière discussion de vive voix remonte au Hellfest 2009, et c'était en compagnie des mecs de
Asphyx : nous avions discuté fanzines et comic books en buvant des bières, puis nous étions allé
assister au concert de Heaven And Hell... Je pense qu'il s'agit de l'un de mes meilleurs, si ce n'est de
mon meilleur, souvenir d'un Hellfest.

Lars-Göran était un homme adorable, et j'ai toujours pensé que notre faible différence d'âge
expliquait que nous nous soyions si bien entendu. Je ne dirais pas que c'était un ami, ce serait
mentir. Mais c'était une lointaine connaissance qui se souvenait de ma tête les très rares fois où nous
nous croisions : une gageure pour un musicien qui bouffait les kilomètres comme d'autres
s'empiffrent de Haribo, et avait dû rencontrer plus de gens différents que je n'aurais l'occasion d'en
rencontrer moi-même au cours de ma vie. C'était aussi, bien sûr, une bête de scène à nulle autre
pareille et une voix identifiable au premier cri et qui a littéralement façonné un nouveau style.

Je rentre maintenant dans la tranche d'âge où chaque année apporte son lot de disparitions parmi les
légendes du Hard dont le travail a façonné mes goûts musicaux et ma personnalité. Je leur dois bien
plus qu'un simple développement de ma culture musicale : je leur dois des découvertes dans de
nombreux domaines extra-musicaux, et des rencontres inoubliables avec certaines personnes qui
sont devenues depuis des amis fidèles.

Et je pense que c'est pareil pour chacun d'entre nous : vous qui me lisez n'avez peut-être jamais
rencontré Lars-Göran Petrov, mais vous avez forcément une ou plusieurs histoires liées à Nihilist,
Entombed, Comecon, Entombed A.D. Ou Firespawn... Des discussions animées avec des inconnus
lors d'un festival, une cassette et des séances de headbanging en groupe dans une voiture en vous
rendant à un concert, des cuites mémorables au son d'un de ses albums lors d'une soirée... C'est en
celà que Lars-Göran Petrov nous appartenait à tous, comme nous appartenions à sa musique.

Quelque part, j'envie les jeunes débutants dans le genre qui vont se sentir suffisamment curieux
pour aller cliquer un lien Youtube et découvrir Entombed, juste parce qu'ils ne sauraient pas encore
qui était ce gars dont ils voient la tronche partout sur le feed de leur réseau social favori. Je les envie
parce qu'ils vont découvrir une musique qui a traversé 3 décennies sans jamais sonner vieillotte ou
datée, et qui sera encore là pour bien d'autres années encore. Je les envie parce qu'ils vont ressentir
le même plaisir que j'ai ressenti il y a 31 ans en écoutant Left Hand Path pour la première fois. Et
je les envie aussi parce qu'ils vont contribuer à rendre éternelle la voix de Lars-Göran Petrov.

Tant qu'il y aura toujours une personne pour découvrir l'un de ses disques, alors il ne mourra jamais.

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