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LES TRAVERSÉES ESPAGNOLES DE BLAISE CENDRARS POÈTE

Author(s): Marie-France Borot


Source: Feuille de routes , Automne 2015, No. 53 (Automne 2015), pp. 89-115
Published by: Classiques Garnier

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/45060399

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TRADUCTION LITTÉRALE ET «TRADUCTION CULTURELLE »

LES TRAVERSÉES ESPAGNOLES


DE BLAISE CENDRARS POÈTE.

BlEN que les contacts de Biaise Cendrars avec l'Espagne aient


été circonscrits, la plupart de ses textes ont été traduits et tôt :
dès 1919 Guillermo de Torre, poète, critique, historien des lit-
tératures d'avant-garde, traduisit la Prose du Transsibérien .
Si l'on présuppose que toute traduction se réalise à partir de
l'horizon d'un champ littéraire, il convient - avant de répondre
au comment Cendrars a été traduit - de se demander pourquoi.
C'est-à-dire quelles étaient les attentes des éditeurs et des tra-
ducteurs espagnols ? Quelle fut l'influence de son oeuvre dans
le monde littéraire espagnol ?
Tâche hasardeuse : vouloir parler des traductions et de la ré-
ception de Biaise Cendrars en Espagne c'est ouvrir la voie à une
recherche quasi inexistante. Par ailleurs la plupart des traduc-
tions poétiques - objet de cet exposé - ne sont pas disponibles.
Ce travail - en cours - n'est donc pas une étude systématique
mais une esquisse qui appelle d'autres recherches. Cette esquisse
abordera :
- L'horizon d'attente du champ littéraire espagnol dans les an-
nées vingt.
- La réception de Biaise Cendrars dans ces mêmes années.
- L'analyse de quelques traductions de la Prose du Transsibérien ,
le premier et le plus traduit des textes poétiques.

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Dans un article de 1998 intitulé « La Réception de la littéra-


ture suisse d'expression française en Espagne1 », l'auteur Violeta
Pérez y dénonçait les vols d'identité dont les Français sont cou-
tumiers :
« Que pensent les Suisses du fait que dans les manuels de lit-
térature française apparaisse, par exemple, "Biaise Cendrars
(1887-1961), Suisse de naissance, devenu français d'âme et de
corps en perdant un bras dans les rangs de la Légion étrangère
où il s'était engagé en 1914 ?"2 »
Mais on peut se rassurer : « Les Suisses prennent ça avec hu-
mour, un humour helvétique. »
L'auteur, qui, en fait, ne s'intéressait à Cendrars qu'en tant
qu'auteur suisse traduit, constatait qu'en Espagne :
« La littérature écrite par des auteurs suisses francophones est, a été traduite
à travers la France, soit que les oeuvres y aient été publiées, soit que les au-
teurs aient atteint une certaine popularité dans le pays voisin du nôtre. »

Cendrars n'échappait pas à la règle :


« Sans remonter aux classiques - Rousseau ou Benjamin - qui apparaissaient
dans tel ou tel manuel de littérature française, et sans parler des critiques,
des philosophes ou des théoriciens de Fècole de Genève : Denis de Rouge-
mont, Albert Béguin, Starobinski, Saussure, Piaget [...], nous pouvons lire
Biaise Cendrars très traduit dans les années 50. »

La raison ?
« Il ne faut pas oublier - précisait Violeta Pérez - que Blaise
Cendrars avait reçu le prix de l'Académie Française dix ans au-
paravant en 1937. » Cette année-là, l'heureux gagnant du prix
de Littérature de l'Académie Française s'appelait Maurice Magre.
Et ce n'est pas dans les années 50 que Biaise Cendrars a été ma-
joritairement traduit mais entre 1919 et 1936, date de la guerre
civile, puis dans les années 80 au retour de la démocratie. Seule
affirmation exacte, l'auteur souligne : « Biaise Cendrars avait
même été traduit en catalan en 1929. » Effectivement Proa, mai-

1 Violeta Pérez, "Revista Hieronymus Complutensis", n° 6-7, Madrid, 1998, p. 101-104.


2 Violeta Pérez. "La recepción
101-104.

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son d'édition catalane tout juste créée en 19283 pendant la dic-


tature du Général Primo de Rivera, publia en 1929 Petits Contes
nègres pour les enfants des blancs, traduits par Joan Llongueras et
Enric Ricart. Un an après, en 1930, Miquel Azaña directeur de
la revue Cervantes, alors député aux Cortes de la Restauración
et futur Président de la IIe République espagnole, traduisit l'An-
thologie Nègre (1921) chez Cenit à Madrid4. Textes qui « avec les
livres de Frobenius répondent tout à fait à un moment d'atti-
rance esthético-ethnologique pour les civilisations primitives et
le monde africain5 », juge Guillermo Torre, le très érudit histo-
rien des littératures des avant-gardes, lecteur et traducteur de
Cendrars.
Avec L'Or, traduit dès 1931 par Julio Gómez de la Sema, pu-
blié chez Dedalo à Madrid puis à Barcelona chez Pal.las en 1942,
les Petits Contes nègres feront une belle carrière éditoriale. Dans
les années 1980 les Cuentos Negros para niños blancos, traduits par
Juan Manuel Azpirtate, illustrés par Arcádio Lobato et publiés
chez Espasa Calpe à Madrid, seront réédités en 1984, en 1988,
en 1989, et cette même année à Barcelona chez Pianeta-Agostini
dans la collection Austral-Juvenil. Cendrars est toujours très pré-
sent au rayon de littérature pour enfants. En 2004, Panama o las
aventuras de mis siete tíos, traduits par Fabio Zimbres et avec des
desseins d'Alberto Torès, fut publié à Valencia dans une maison
d'édition spécialisée en livres illustrés pour les enfants : Media-
Vaca (DemiVache). Dans un choix de poèmes pour enfants, pu-
blié par la même maison d'édition, Narices, Buhitos, Volcanes (Des
nez, des petits hiboux et des volcans) figurent deux poèmes de
Biaise Cendrars, « îles », entre un poème de Baldomero Fernández

3 À Badalona par Marcelli Antich et Josep Queralt qui lancèrent la collection « A tot
vent » avec Manon Lescaut , suivie des grands classiques de la littérature universelle. Balzac,
Dickens, Strindberg, Dostoïevski, Stendhal, Zweig. Après la guerre civile, elle revint en
Catalogne en 1965.
4 Réédité en 2010, avec des notes et un prologue de Nestor R. Ortiz Oderigo.
5 Guillermo de Torre, Historia de las literaturas de Vanguardia, Madrid, Guadarrama, 1965,
p.280.

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(Buenos Aires, 1941) et Bestiari du poète catalan Pere Quart,


puis « Couchers de soleil », entre un poème de Ramón Gómez
de la Sema (Madrid 1888 - Buenos Aires 1963) et Picabia (Paris
1879 - Villejuif 1963).
Dans les années 20, les traductions d'oeuvres poétiques sont
généralement publiées dans des revues, c'est aussi le cas de Cen-
drars. En 1919, Guillermo de Torre traduisit La Prose du Transi-
bérien, qui fut publié dans la revue Grecia, n° 18, puis, en 1922,
« Sobre el vestido ella tiene un cuerpo » [« Sur la robe elle a un
corps »], dans Ultra, n° 22, et en 1926, Profond Aujourd'hui, dans
Mediodía, n° 4. Il faudra en général attendre les années 1980
pour que les oeuvres poétiques soient éditées en livre.
Dans les années 1920 et jusqu'à la guerre civile, en 1936, les
revues, les maisons d'édition espagnoles publièrent à tout va des
textes traduits. Déjà, à partir de la fin du XIXe siècle, de nom-
breux poètes symbolistes - Verlaine, Remy de Gourmont, Poe,
Longfellow, pour ne citer qu'eux - avaient été traduits et ces
traductions poursuivies jusque dans les années 1920. En 1913,
La Poesía francesa moderna (Renacimiento) traduite et annotée par
Enrique Diez Canedo et Femando Fortun, eut une large diffu-
sion et réception critique. Ces textes traduits contribuèrent à
ouvrir la littérature espagnole, faisant brèche à ce que Ruben
Darío nommait « la muraille nationale » et à « l'esprit antiquaire »
raillé par Ramón Gómez de la Sema.
Les poètes espagnols, à la recherche de nouvelles voies se tour-
nent vers la poésie française qui - elle - s'était éloignée du ro-
mantisme, du Parnasse et même du symbolisme encore très
présents dans les lettres espagnoles, pour laisser place aux avant-
gardes. Dans les années 1920, la traduction systématique de
textes étrangers, et particulièrement ceux de poètes français :
Apollinaire, Max Jacob, Biaise Cendrars, Picabia, Tzara, Ribe-
mont-Dessaignes, Soupault, Breton, Aragon, Reverdy, Cocteau,
- après Rimbaud et Mallarmé - viendrait, espérait-on, chasser

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l'esprit fin-de-siècle, le décadentisme, le spiritualisme d'un Mae-


terlinck très en vogue.
C'est donc dans le contexte d'une Espagne en quête du nou-
veau, poétique et politique, que Cendrars a été traduit dans les
années 20 :
« Nous étions avides d'explorer l'autre côté de la frontière [...], le panorama
proche était exigu et ne satisfaisait pas notre curiosité et nos envies de chan-
gements » écrivait Guillermo de Torre, historien des littératures d'avant-garde,
poète, critique, traducteur de La Prose du Transsibérien publié dans la revue
Grecia (n° 18, 1919), de Sur la robe eUe a un corps ( Ultra , n° 22, 1922) et de
Profond aujourd'hui (Portada, n° 4, septembre 1926).

Il fallait s'approprier des productions de sens étrangères afin


de changer. Dans le monde de l'édition qui se transforme et pro-
fite d'un public accru par la lente avancée de l'alphabétisation,
de nouvelles maisons d'édition, très attentives à tout ce qui se
publie à l'étranger, sont nées. La Biblioteca Renacimiento en 1915,
dirigée par Gregorio Martinez Sierra, et José Ruiz Castillo pour
la gestion financière ; et, en 1917, la Biblioteca Nueva, la propre
entreprise que Ruiz Castillo, l'un des éditeurs les plus impor-
tants de l'époque, dirigera jusqu'à sa mort en 1945, publiant
nombre d'oeuvres - étrangères - les plus diverses : D'Anunzio,
Pirandello voisinent avec Nerval, Colette, ou Jean Lorrain pour
ne citer qu'eux, ou Sigmund Freud. Conseillé par son ami Or-
tega y Gasset, l'auteur de España Invertebrada (1921), « notre su-
prême valeur intellectuelle » qui « immunise contre la
confusion6 » - selon Ramón Gómez de la Serna, Ruiz publiera
en 1922 la Psicopatologia dela vida cotidiana (olvidos, equivocaciones,
torpezas, supersticiones y errores), qui assura - pour longtemps -
d'importantes rentrées financières à la Biblioteca Nueva.
Ballesteros de Martos, le secrétaire de Cervantes (1916-1926),
l'une des multiples revues de ces années-là, avait calculé, en
1925, que quatre-vingt pour cent des publications sur le marché
espagnol étaient des traductions.

6 Correspondance , p. 147.

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Des voix s'élèvent contre ces textes traduits qui, selon les
termes d'Unamuno, « pullulent » et « précipitent l'européisation
de l'Espagne ». Réapparaît la vieille injure « Afrancesado » :
terme dépréciatif qui désigna d'abord les partisans espagnols des
Lumières et qui « servit à disqualifier comme étranger tout par-
tisan des idées modernes7 ». Traité d' afrancesado, le traducteur
Enrique Diez Canedo réplique : « M afrancesado, c'est l'écrivain
qui essaie de faire quelque chose de nouveau !8 »
Traduire c'était donc apporter du nouveau, éliminer les déli-
quescences et ainsi revitaliser la littérature espagnole : « Rien ne
favorise davantage une littérature nationale que d'y entrer les
boutures d'une littérature étrangère », affirmait Pérez de Ayala9.
En cette effervescence traductrice, de nouvelles exigences se
font jour quant à la traduction et à la critique littéraire. La tra-
duction avait, en Espagne, un piètre statut, le nom du traducteur
(très mal payé) était habituellement passé sous silence ou réduit
à des initiales. Le traducteur occasionnel, jeune homme de let-
tres qui, en attendant de se faire un nom d'auteur, se livrait sans
enthousiasme à cette tâche jugée servile, laisse la place à des tra-
ducteurs de qualité, ou à des poètes convaincus d'enrichir leur
art poétique au contact d'une langue autre. La Biblioteca Nueva
fit appel, entre autres, aux poètes Pedro Salinas ou à Damaso
Alonso, et à des traducteurs tels Enrique Diez Canedo, Julio
Gómez de la Sema pour traduire les auteurs anglais et surtout
français (Cendrars, Colette, etc.), ou López Ballesteros, que
Freud félicita pour sa remarquable traduction. S'ensuivent de
vives discussions sur la traduction poétique : faut-il traduire en
vers, comme le faisaient les Modernistas traduisant vers par vers
et pour lesquels prévalait la recherche de la rime ?
Les nouveaux traducteurs se rebellent - tels Julio Gómez de
la Serna traduisant en proses poétiques de Whitman, ou Diez
7 Jorge Semprún, Federico Sánchez vous salue bien, Grasset, 1993, p. 158.
8 In revue España , du 17/11/1918, que dirigea Manuel Azaña.
9 Ramón Pérez de Ayala, "La Poesía y la guerra", 1916, O.C. 2, Madrid, Aguilar, 1965.

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Canedo des Ballades de Paul Fort - où seule la répétition d'un


refrain et la présence de quelques assonances internes peuvent
laisser entendre l'existence d'un vers original.
Se pose aussi la question fondamentale : la traduction poé-
tique est-elle possible ? Pour Ortega y Gasset, c'est une entreprise
impossible à laquelle il ne faut pourtant pas renoncer. Impossi-
ble, précisera-t-il plus tard dans Misère et splendeur de la traduction,
écrit en 1937 pendant son exil à Paris, car « le travail d'un écri-
vain consiste à faire subir continuellement de petites érosions à
la grammaire, l'usage établi, la norme linguistique. » En effet,
dans leurs pratiques habituelles, les traducteurs ont tendance à
réduire ou même à annuler les transformations créatrices, soit
par impuissance à inventer de tels écarts dans leur propre langue,
soit qu'ils se conforment à l'idée que traduire c'est trouver des
équivalents. Ces traductions qui captent le sens « délié de la
lettre », et qui produisirent tant de Belles Infidèles, Antoine Ber-
man les taxera d' « ethnocentrique, hypertextuelle, platoni-
cienne, à la Saint Jérôme10 ».
Du côté de la critique, Guillermo de Torre, qui publia en 1925
chez Renacimiento Literaturas europeas de Vanguardia n, et le Bar-
celonais Lluis Montanyà, défenseur et protagoniste de l'avant-
garde catalane, tous les deux lecteurs de Cendrars, contribuèrent
décisivement à donner un nouveau statut à la critique littéraire,
et une place d'honneur à Cendrars dans le champ littéraire de
leur temps.
« Une chose est la publicité des maisons d'édition, une autre
l'information bibliographique et une autre encore la critique lit-
téraire...12 », dénonçait Montanyà non sans ajouter : « Il peut
sembler étrange que l'on ait autant tardé à établir ce classement
élémentaire. » Il s'élève contre la « critique négative » partout

10 Antoine Berman, La Traduction de la lettre ou L'Auberge du lointain , Gallimard, 1999, p. 8


11 Reprise et augmentée en 1965.
12 Lluis Montanyà, Defensa de l' avantgar disme, Barcelona, Acontravent, 2010, p. 257.

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pratiquée et à un tel point que l'on confond, dit-il, « critique »


et « censure ». Au critique qui se complait à signaler « les livres
qui lui plaisent le moins, les pires, les moins vraisemblables, les
moins sincères, les plus ennuyeux, ou simplement les plus mau-
vais », il entend substituer le critique qui « trouve un vrai plaisir
à découvrir un bon livre [...], à le recommander à ceux qui se
fient à ses indications », rejoignant ainsi Ortega y Gasset pour
qui la critique doit être « un effort fervent pour potentialiser
l'œuvre élue », phrase que fit sienne Guillermo de Torre13.
Si Lluis Montanyà ne fut pas un théoricien, il fut en tout cas
un fin lecteur, praticien averti d'une critique positive dont il
donnera l'exemple avec Biaise Cendrars. Critique littéraire atti-
tré de la très combative revue catalane L'Arnie de les Artsu, Mon-
tanyà écrivit aussi pour La Revista de Catalunya , La Nova Revista,
Le Mirador, où il publiera le 9 octobre 1936 (n° 390) : « Garcia
Lorca assassiné. Le fascisme contre la culture » et pour Mediodía
à Séville, ou pour La Gaceta Literaria à Madrid, fondée par Gi-
ménez Caballero et dont le secrétaire fut Guillermo de Torre.
Ses articles de critique paraissent aussi dans les journaux catalans :
L' Opinió, La Nau et surtout La Publicitat. Créé le 1er Octobre
1922, ce journal de gauche dut mettre fin à ses activités le 23
janvier 1939, trois jours avant que les troupes franquistes n'en-
trent dans Barcelone et que Montanyà lui-même ne prenne -
pour toujours15 - le chemin de l'exil pour « avoir fait l'admirable
et atroce guerre civile du côté des vaincus16 ».
Cet homme « fin et délicat », cet « esprit au-dessus des frontières
», selon les paroles d'Ernesto Giménez Caballero17 - désigné par
13 Qui la cite dans sa longue introduction à la première édition reprise dans la monu-
mentale Historia de las literaturas de vanguardia, Madrid, Guadarrama, 1965, p. 75.
14 Dans laquelle il écrira jusqu'à ce qu'elle disparaisse en 1929, à cause de sa radicalisation
(1926-1928).
15 II mourra à Genève en 1985 sans jamais être revenu en Espagne.
16 Lettre de M.Yourcenar adressée à L. Montanyà à Genève, le 29 décembre 19 68, in
Lluis Montanyà, Defensa de Vavantgardes, Barcelona, Acontravent , 2010, p. 257.
17 Désigné par l'historien Ferran Gallego comme un « intellectuel fasciste ». El evangelio
fascista. La Formación de la cultura politica del franquismo (1 930-1950 % Crítica, 2014.

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l'historien Ferran Gallego comme un « intellectuel fasciste » -


contribua décisivement à la réception de Biaise Cendrars en
Catalogne. Cet esprit curieux ne cessa de lire et de commenter
les oeuvres nouvelles. Ulysses de Joyce, dont il recommande la
lecture dans la traduction française parue en 1929 à Paris (La
Maison des Amis des Livres), ou Alexis ou Le Traité du vain com-
bat (Au Sans Pareil) en 1929, « « une oeuvre d'une surprenante
beauté, presque ignorée de tous et d'un auteur pour le moins
inconnu18 ». Dans une lettre adressée à Montanyà à Genève,
Marguerite Yourcenar écrivait :
«Je n'avais pas oublié [...] l'article publié par vous sur Alexis , l'un des pre-
miers avec ceux d'Edmond Jaloux en France et de Vincent O'Sullivan en
Irlande à m'apporter un écho et un jugement...19 »

C'est lui qui fit connaître Le Plan de l'Aiguille aux lecteurs ca-
talans dans un article intitulé « Biaise Cendrars », publié dans
La Publicitat, le 18 avril 1929, et suivi, moins de trois semaines
après, le 14 mai, d'un autre intitulé « Profund Avui » [ Profond
Aujourd'hui Textes dont il fut le lecteur enthousiaste. Plaidant
Pro domo , le critique dit avoir consacré la plupart - sinon la
quasi-totalité - de ses articles à des écrivains d'ailleurs, français
essentiellement, « faute de trouver dans la littérature catalane
une matière suffisante pour exercer [s] a spécialité [...]. C'est
dur à dire mais c'est comme ça.20 »
Certes, mais l'on est aussi en droit de penser qu'il venait cher-
cher des alliés parmi ceux qui représentaient les avant-gardes.
En effet, Montanyà le protagoniste combatif de la rénovation
artistique et littéraire dans une Catalogne « tournée vers le passé
dans une atmosphère folklorique et abrutie ». Montanyà a be-
soin d'écrivains qui ne « traversent pas la vie dans les passages
cloutés » et bouleversent les catégories littéraires, tel Cendrars
maître en anticonformisme ou Cocteau « l'évangéliste de l'avant-
18 Lluis Montanyà, op.cit. p. 269.
19 Ibid. p. 357.
20 Lluis Montanyà, op.cit.

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gardisme », pour lutter contre « l'assimilation de l'art à la reli-


gion », la « subordination de l'art à la morale ». Ainsi conseille-
t-il Le Rappel à l'ordre ; même si « l'on peut ne pas coïncider avec
ses catégoriques affirmations esthétiques [...], son jeu de mas-
sacre des valeurs les plus reconnues, son moderne classicisme
rénovateur doivent forcément attirer les sympathies des esprits
fatigués des attachements ataviques et stérilisants21 ».
Et entre tous les libérateurs de la littérature et de la vie, Cendrars
fut son allié substantiel. Que salubre est le poète du monde
entier qui « voyage sans repos à travers les pays, les idées et les
hommes22 » ! Que salubre est celui qui veut « faire quelque
chose de nouveau et de gai23 » pour qui devant les yeux « le spec-
tacle grotesque et tristissime du monde intellectuel catalan d'au-
jourd'hui enfermé dans une atmosphère rance et putréfiée24 ».
Salubre Cendrars qui proclama en 1927 « Publicité = Poésie »,
affirmation que reprennent à leur compte Montanyà, Gasch et
Dali dans leur Manifest Groe en 1928 :
« L'affiche commerciale - la publicité - la propagande
SOURCES DE POÉSIE" »

Cendrars - ponctuant : « la publicité est la fleur de la vie


contemporaine ; elle est une affirmation d'optimisme et de
gaité26 » - est un antidote pour les auteurs du Manifeste qui doi-
vent supporter les affiches que « recommandent les sentimen-
taux, les pleurnicheurs, et ceux qui sont infectés par tous les
poisons larmoyants et maladifs27 ».
Il est l'antidote à une Catalogne installée dans la bienséance
et qui a du mal à s'arracher à la fascination pour la Grèce, pour
un idéal d'ordre et de mesure auquel s'identifient les partisans
21 Lluis Montanyà, op. cit ., p. 37.
22 Ibid., p. 229.
23 Biaise Cendrars, Dan Yack , Denoël, TADA 4, 2002, p. XIV
24 Manifeste Groc , in Lluis Montanyà, op. cit ., p. 146.
25 L. Montanyà, op.cit ., p. 153.
26 Biaise Cendrars, Aujourd'hui , Denoël, TADA 11, Paris, 2005, p. 117.
27 L. Montanyà, op.cit ., p. 152.

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d'un pays rêvé à l'image de l'idéal grec28. Fascination contre la-


quelle s'insurgent les signataires du Manifest Groe :
« POUR NOUS la Grèce continue à vivre dans un moteur d'avion, dans le
tissu antiartistique d'une anonyme manufacture anglaise destiné au golf dans
le nu d'un music-hall américain »29.

Suit un inventaire des objets de la modernité à la Cendrars :


« HI HA el cinema
HI HA l'estadi, la boxa, el rugby, el tennis i els mil esports
HI HA la música popular d'avui: el jazz i la dansa actual
HI HA el saló de l'automòbil i de l'aeronàutica
HI HA els jocs i les platges
HI HA els concursos de bellesa a l'aire lliure »

Pour réveiller les attardés et les endormis, le Manifest Groe a


beau crier :
« LE MACHINISME a révolutionné le monde

LE MACHINISME - antithèse du futurisme circonstanciel et indispensable


- a confirmé le changement le plus profond qu'ait connu l'humanité [...].
Ici pourtant on continue à paître idylliquement », note sarcastiquement
Montanyà.

Comment dès lors ne pas faire appel à celui qui, outre Pyrénées,
incame la modernité comme refus de règles, des modèles, des hié-
rarchies et qui prend acte de son advenue et de ses conséquences :
« La modernité a tout remis en question.
Notre époque [...] bouleverse non seulement l'aspect du paysage contem-
porain mais encore [...] sa sensibilité, son émotion, sa façon d'être, de pen-
ser, d'agir, tout son langage, bref, la vie. »30

Selon Montanyà, avec « l'admirable livre de poèmes en prose »


Profond Aujourd'hui, « apologie vibrante et frénétique de notre vie
accélérée », comme avec Dan Yack « livre endiablé qui n'a rien
d'abruti, d'ennuyeux, de lent », entrent dans le champ littéraire

28 En témoignent les statues de Rebull ou de Maillol, les tableaux de Torres Garcia, en


particulier la Muse de la Philosophie ou la représentation dans les jardin du labyrinthe à
Horta, d' Iphigénie en Tauride de Goethe traduite en catalan par le poète Joan Maragall.
29 L. Montanyà, op. cit., p. 147.
30 Biaise Cendrars, Dan Yack, op. cit., p. 301.

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catalan ce que les Noucentistes ne voyaient pas, « la vitesse, la tré-


pidation, le cinéma et la musique des machines dans les villes »,
bref tous les objets de la modernité. Mais pas seulement : avec
Cendrars entre tout à la fois la modernité du monde et la mo-
dernité poétique. L'espoir de Montanyà c'était que :
« Le développement des énergies virtuelles du cubisme littéraire, la puissance
destructrice de l'humour dadaïste, la grandeur de la tentative de régénération
littéraire que comporte le surréalisme reconstruisent une nouvelle esthétique
sur les ruines de la vieille littérature, réhumanisant l'art...31 »

Mais en même temps il constatait lucidement que « le surréa-


lisme dernière monture est encore embryonnaire, dans une
phase d'expérimentation » et qu'en outre : « les visions inté-
rieures et toutes les transcriptions automatiques d'états d'âme
ne peuvent pas toutes nous intéresser aussi surréalistes soient-
elles ». Le critique insistait pour construire une nouvelle esthé-
tique, mais « il faut être poète pour saisir et transmettre des
paysages et des monologues de l'esprit qui puissent avoir un in-
térêt objectif ». Et Cendrars est ce poète. Ce « remarquable poète
et romancier » est doté d' « une maîtrise de la forme peu com-
mune32 ». Parce qu'il sait capter des « sensations nouvelles »,
donner à voir des « nuances inédites », il est celui qui construit
une véritable esthétique de la modernité. Qualité que lui recon-
nait également Guillermo de Torre :
« Chez Cendrars la machine acquiert pour la première foi - avec les futu-
ristes elle n'était qu'une exaltation romantique - une véritable catégorie es-
thétique.33 »

Cet écrivain reste pour de Torre « le poète le plus nettement


modeme et original du Parnasse français contemporain34 ». Parce
que, à ses yeux, il est, avec Apollinaire, le poète du dialogue
entre les arts, dont la Prose, « publiée pour la première fois dans
31 L. Montanyà, "Superrealisme aplicat", La Publicitai, 16 juin 1929, op. cit., p. 247-248.
32 Ibid. loc. cit.
33 Guillermo de Torre, Historia de las literaturas de vanguardia, Sevilla, Editorial Renaci-
miento, 2001, p. 199.
34 Ibid. loc. cit.

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une édition somptueuse avec les dessins de Sonia Delaunay »,


est l'exemple sans précédent.
Et qu'il est le représentant du cubisme littéraire, « la tentative
la plus intéressante de l'avant-garde littéraire en France ». Etant
entendu qu'il ne s'agit pas de voir des cubes et des formes géo-
métriques dans les tableaux et les poèmes. Selon de Torre, « bien
que Cendrars refuse l'étiquette cubiste il est évident que son
oeuvre s'est forgée sous l'influence de cette esthétique, et certains
de ses poèmes élastiques sont les paradigmes lyriques équiva-
lents à un tableau cubiste de Picasso ou de Léger35 ».
Si de Torre range Cendrars au chapitre Cubisme de son Histoire
des littératures d'avant-garde, Montanyà, lui, n'accole aucune éti-
quette, à celui qui est pour lui tout simplement « le poète » :
« Avec les six livres de poèmes [. . .] Profond Aujourd'hui, Panama, J'ai tué, Dix-
Neuf Poèmes élastiques, La Fin du Monde et Du Monde Entier, Cendrars se révèle
être un poète à l'état brut, sec comme un coup de poing, instinctif et libre. »

Un poète qui, par sa maîtrise technique des « images super-


posées - obligeant le cerveau à un travail nouveau et inhabituel »,
fait voir le monde différemment.
À ma connaissance, nul autre critique - aussi bien dans les
années 1920 qu'aujourd'hui - n'a été aussi attentif à l'écriture
de Cendrars, « remarquable poète et romancier ». Et l'on pour-
rait prêter à Montanyà les paroles que Cendrars avait dites à
Manoll au sujet de Dan Yack : « Pour moi, il compte avant tout
du point de vue de l'écriture. »
L'article « Biaise Cendrars », publié dans La Publicitat le 18
Avril 1929, commençait ainsi :
« Belle, singulière, inexplicable l'aventure de Dan Yack et de ses trois com-
pagnons d'audace et de folie ! Cendrars la raconte dans son dernier livre Le
Plan de l'Aiguille (Au Sans Pareil), avec son style trépidant - d'un dynamisme
extraordinaire - d'un seul trait, sans s'arrêter un seul moment pour reprendre
haleine.36 »

35 Ibid., p. 178.
36 L. Montanyà, op. cit., p. 227.

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Le critique relève l'humanité de Dan Yack « désespérément hu-


main », mais c'est au rythme qu'il est particulièrement sensible :
« Le rythme du Plan de lÄiguille atteint une sagesse et une expérience tech-
niques peu communes et donne la sensation de quelque chose d'inusité, de
parfait.37 »

C'est par le rythme dont Cendrars est le maître que l'on peut
contribuer à rendre « l'intensité poétique imprévue » du monde
modeme que signalaient Dali, Gasch et Montanyà.
Là où Guillermo de Torre, reprenant quarante ans après son
Histoire des littératures d'avant-gardes, ne voyait dans Moravagine
et dans Le Plan de l'Aiguille que des « romans surchargés de péri-
péties frisant le feuilleton38 », Montanyà observe que « Morava-
gine a le lyrisme des poèmes de Cendrars apporté au roman »,
et que « l'anecdote [du Plan de l'Aiguille ) disparaît sous une vi-
bration sensorielle inextinguible qui donne à ses pages une mer-
veilleuse intensité39 ». Pour ce faire, il faut avoir « une certaine
vibration intérieure [...] et une maîtrise de la forme peu com-
mune40 », ce qui est aux yeux de Montanyà le propre de Cendrars.
La Prose du Transsibérien marqua les esprits. Nous examinerons
quatre traductions : celle de Guillermo de Torre, le premier tra-
ducteur en 1919, celle du catalan Eduard Sanahuja en 1992, celle
d'Adolfo Ortega, l'année suivante en 1993, et enfin la plus ré-
cente, celle de David Villanueva en 2007.
Forts du socle roman, ces passeurs bénéficient de ressem-
blances sémantiques et de structures syntaxiques communes.
Mais ils ne peuvent esquiver l'épreuve de l'étranger, de la perte,
de l'intraduisible. Car avec cette Prose ils affrontent à la fois la
langue dite étrangère et celle du poète qui parle autrement. Une
langue que le poète - « horrible travailleur » - s'est forgée en vio-
lentant sa langue dite maternelle, en osant avancer sur des terri-
37 Ibid., p.228.
38 Guillerme de Torre, op.cit., p. 280.
37 Ibid., p. 227.
mIbid., p. 233.

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toires inconnus, accueillant des mots qui savaient de lui ce qu'il


ne savait pas encore et par lesquels « Je » se découvre autre.
Traduire c'est aussi faire passer un contexte - historique, cul-
turel, littéraire - dans un autre. Sur le fil du texte le traducteur
doit jouer les équilibristes : comment en effet faire partager
l'étrangeté de l'Autre sans que celle-ci ne se dénature en passant
par les défilés de la langue traduisante ?
En outre, comme le soulignait Jacques Derrida, « un corps
verbal ne se laisse pas traduire ou transporter dans une autre
langue. Il est cela même que la traduction laisse tomber41 ».
Lorsque Sanahuja, le traducteur catalan, et Garcia, l'un des
traducteurs en castillan, traduisent les quatrains consacrés à
Jeanne, « pauvre lys d'argent », ils sont visiblement très à l'aise,
portés par l'imprégnation d'une longue tradition symboliste. Le
texte traduit en catalan semble avoir été écrit dans cette langue :
« No és mes que una flor càndida, přimetá
Es la flor del poeta, un pobre llir d'argent
Tan fred, tan sol, i tan i tan marcii
Que a mi em vénem les llàgrimes si penso en el seu cor »

Mais la Prose du Transsibérien est polyphonique. Quand les tra-


ducteurs abordent ce « dictu », cette « langue parlée », - avec ses
points de rupture, ses failles, ses sauts, la fragmentation et la dis-
location spatio-temporelle -, on les voit parfois reculer devant
l'intensité de cette voix poétique, devant la violence d'un « Je »
en proie au bruit et à la fureur de ses pulsions, et jeté dans un
monde qui fait effraction dans son regard d'halluciné.
À ces difficultés d'ordre culturel - mais que signifie la Moder-
nité comme refus et rupture pour les traducteurs d'aujourd'hui ?
- s'ajoutent celles du mode de fonctionnement poétique : que
faire, comment y faire avec les sons, les paroles, les souffles et
les rythmes qui lient obscurément le corps et la psyché ?

■"Jacques Derrida, L'Écriture de la Différence, Le Seuil, 1967, p. 312.

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A. Le son et les sens


« Et dans les trous
Les roues vertigineuses les bouches les voix
Et les chiens du malheur qui aboient à nos trousses »

Comment faire passer le groupe phonique paranomastique


[trou/trousses], le jeu sourd des allitérations [u] [t], l'image - forte
- d'une persécution sans fin - par où résonne le « trou-matisme » ?
SaNAHUJA : « I pels forats
Les rodes vertiginoses les boques les veus
Els gossos de la malaurança que borden encalçant-nos »

GARCIA : « Las ruedas vertiginosas las bocas las voces


Y los perros del infortunio que ladran pisándonos los talones »

En catalan, le traducteur réussit à recréer un jeu allitératif en [o]


assez proche, phoniquement, de l'original, alors qu'en espagnol,
avec les allitérations sonores en [a], la tonalité change. Chez l'un
comme chez l'autre, l'image des chiens « sur les talons » donne
aussi à voir l'angoisse des protagonistes de cette équipée sauvage.
Mais pour traduire « les chiens du malheur », les deux traduc-
teurs font un choix malheureux (c'est le cas de le dire). Le mot
catalan « malaurança » (adversité du sort) trop long (quatre syl-
labes) et trop littéraire affaiblit l'image et rompt le rythme.
Pareillement chez Garcia, le malheur n'est qu' « infortunio »,
l'infortune grandiloquente et théâtrale des héros romantiques.
Ces deux substantifs font passer le texte d'un registre à un autre.
Serait-il inconvenant de dire si fort le « malheur » de vivre ? Les
« trous » passent à la trappe : trop folle la vision de « Je » ?

B. Clarification, destruction des réseaux isotopiques,


INVENTIONS GRATUITES.

« J'ai des amis qui m'entourent comme des garde-fous »

SANAHUJA l « Tinc amies que m'envolten corn barran es »


GARCIA : « Tengo amigos que me protegen como pretiles »
VILLANUEVA : « Mis amigos me rodean como guarda-locos »

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Sanahuja et Garcia conservent la structure syntaxique, « Tinc


amies », « Tengo amigos », et le verbe avoir « J'ai des amis »
- l'avoir précieux d un « Je » vulnérable que soutient l'étayage
des amis. Garcia, remplaçant le verbe plus concret « entourer »
par « protéger », abstrait et général, fait disparaître ce qu' « en-
tourer » suggérait de proximité physique rassurante.
Par ailleurs l'équivalent de « garde-fous » - un terme à forte
valeur iconique42 - n'existant ni en catalan ni en castillan, Sa-
nahuja et Garcia, que leur langue prive du jeu polysémique, se
contentent de la monosémie appauvrissante des « barrières »,
« barreres » ou « pretiles ».
Villanueva change l'ordre syntaxique : « Je », devenu objet,
n' « a », ne possède plus d'amis. Et les amis sujets de l'action
le « rodean », c'est-à-dire 1' « entourent », à moins qu'ils ne
1' « encerclent » de manière un peu inquiétante : les voilà « guarda-
locos ». Le traducteur calque mot à mot le terme français dont
il garde le trait d'union qui n'existe pas non plus en castillan.
Cette transposition, qui tendait peut-être à faire résonner l'étran-
ger en tant qu'étrange dans le texte espagnol, transforme les
amis protecteurs en gardiens d'asile de fous.
Pourtant les traducteurs disposaient de « guardabarreras »,
de précieux « garde-barrières » qui pouvaient protéger « Je »
de la tentation des départs sans retour. Ils auraient également
pu avoir recours à des « quita miedos », ces barrières, littérale-
ment « quitte peurs », qui conviendraient à un «Je » qui ne cesse
de dire « Et j'ai peur... ». «Je » halluciné a peur, car autour de
lui le monde met à mal 1 intégrité corporelle de ceux qui s'y ha-
sardent.

« J'ai vu dans les lazarets des plaies béantes, des blessures qui saignaient à
pleines orgues.
Et les membres amputés dansaient autour. . . »

42 Est iconique le terme qui fait image par rapport à son réfèrent.

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Sanahuja :
« He vist als llazarets nafres obertes ferides que sagnaven a borbolls
I el membres amputais ballaven al voltant o s'enlairaven per l'aire ronc »
Garcia :
« He visto en los lazaretos úlceras abiertas heridas que sangraban a borbotones
Y los miembros amputados bailaban alrededor o echaban a volar por el aire
ronco »

Villanueva :
« He visto en los lazaretos yagas abiertas heridas que sangraban como orgas*
Y los miembros amputados bailaban alrededor o volaban en el aire rauco »

L'œil de «Je » écoute. Il entend les blessures saigner « à pleines


orgues ». L'image inédite de Cendrars ne passe pas la barrière de
la langue. La marque d'intensité « à pleines. . .. » n'existant ni en
catalan, ni en castillan, Sanahuja écrit « que sagnava a borbolls ».
Et Garcia « que sangraba a borbotones » (à gros bouillons).
Ces mots à valeur onomatopéique préservent, en partie, le
bruit de 1 écoulement hémorragique. Mais ce bruit purement
physique ne laisse plus entendre le jeu des « orgues » - mu-
sique sacrée et armes meurtrières - d'une « éternelle » liturgie
sacrificielle.
Voulant jouer les originaux Villanueva écrit :
« Yagas abiertas que sangraban como orgas* »

Jetant à la tête du lecteur de bizarres « yagas » (pour « llagas »


et « orgas », mot écrit en italique et pourvu d'un astérisque), le
traducteur précise dans une note en bas de page : « Le mot orga
n'existe pas en espagnol, la traduction fidèle serait « ribadoquin »
(ribaudequin, pièce d'artillerie) qui ne bénéficie pas au vers.
La première interprétation d'un espagnol pourrait être compa-
rable à « orgue » (órgano), qui nous convient à cause du sens et
de la sonorité. »
Quelle impression peut faire un mot qui n'est qu'une coquille
vide ? Le choix du traducteur affecte la lisibilité du poème et di-
minue le degré d'adhésion au texte, ce qui ne semble pas être
son souci majeur, que ce soit ici ou ailleurs.

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Lorsque Cendrars écrit :


« Ton ventre est aigre, tu as la chaude-pisse »

Il dévoile le corps maladif de Jeanne, la vulnérabilité de ce


petit autre, de ce semblable que « je » s'est inventé pour échap-
per à la logique de la mort omniprésente ou au moins pour ne
pas mourir seul. Sanahuja, parfois un peu corseté, n'a pas éludé
la « chaude-pisse » familière, et ses « purgacions » inscrivent
« l'enfant pâle » dans la série des femmes mortifères.
Villanueva n'entend rien et traduit sans sourciller :
« Tu vientre es agrio y caliente tu pis » (ton ventre est aigre et
chaude ta pisse ), fier sans doute de son chiasme grotesque et
vulgaire.

C. Rythmes

Aux calques appauvrissants, on peut opposer les trahisons


heureuses de Guillermo de Torre, poète d'Ultra et défenseur des
ruptures esthétiques. Faisant fi du conseiller d'Apollinaire, de
Torre bouleverse la disposition typographique de la Prose en la
ponctuant de tirets et de points tirets. Décidé à en finir aussi
bien avec « les mélodies déliquescentes » qu'avec « les sonores
orchestrations rhétoriques » de la poésie d'alors, il impose ces
fortes scansions afin d'obliger le lecteur à lire différemment et
faire ainsi passer la modernité poétique de Cendrars.
« En ce temps-là j étais en mon adolescence
J'avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance
J'étais à 16000 lieues du lieu de ma naissance
J'étais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares »
de Torre :
« Era el tiempo de mi adolescencia. - Apenas tenía diez y seis años y ya había
olvidado mi infancia.-Me hallaba a 1600 leguas del lugar de mi nacimiento.
- Estaba en Moscou, en la villa de los mil y tres campanarios y de las siete
estaciones - y yo no tenía bastante con siete estaciones y tres mil torres.

[...] Yo tenía sed - de días, de mujeres y vasos.- Yo hubiera deseado poseerlos.-


Y todos los escaparates, y todas las calles - y todas las casas y todas la vidas - y
todas las medas de los coches, que giraban en torbellino sobre el pavimento. - »

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Sanahuja :
« En aquell temps em trobava en plena adolescência
Tenia a penes setze anys i ja no em recordava de la meva infancia
Era a 16000 llegües del Hoc del meu naixement
Era a Moscou, a la ciutat dels mil i tres campanars i de les set estacions »

Garcia :
« En aquel tiempo yo estaba en plena adolescencia
Tenía dieciséis años y había olvidado mi infancia
Me encontraba a 16000 leguas de donde nací
Estaba en Moscú, en la ciudad de los mil tres campanarios y de las siete es-
taciones »

Villanueva :
« En ese tiempo yo estaba en mi adolescencia
Apenas dieciséis años y no recordaba ya mi infancia
Estaba a 16000 leguas del lugar donde nací
Estaba en Moscú, en la villa de los mil tres campanarios y de las siete esta-
ciones.»

« En ce temps-là j'étais en mon adolescence. »


Sanahuja :
« En aquest temps em trobava en plena adolescencia. »

Garcia :
« En aquel tiempo estaba en plena adolescencia. »

Villanueva :
« En aquel tiempo yo estaba en mi adolescencia. »

de Torre :
« Era en el tiempo de mi adolescencia. »

En conservant trop fidèlement l'ordre syntaxique du français,


les deux traducteurs s'encombrent des lourds démonstratifs
« aquest », « aquel », optent pour des verbes circonstanciels,
« em trobava » ou « estaba », le verbe canonique du conjonctuel,
et cèdent finalement au ronron de la langue en ajoutant au subs-
tantif « adolescencia », l'inutile béquille de l'adjectif « plena ».
Villanueva calque mot à mot la phrase française, c'est ce qu'on
appelle « une traduction servile » en espagnol.

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Par comparaison, on ne peut qu'admirer la concision élégante


et efficace de la trouvaille de Guillermo de Torre.
Era en el tiempo de mi adolescencia

Bousculant la phrase originale, le poète espagnol ouvre le


poème avec « era ». Le verbe existentiel, fort et bref, replace le
« Je » dans le in ilio tempore de sa propre légende et donne, dès
le premier vers, un tempo vivace. Le poète traducteur sait aigui-
ser les rythmes et l'intensité de La Prose
« J'avais faim
Et tous les jours et toutes les femmes dans les cafés et tous les verres
J'aurais voulu les boire et les casser
Et toutes les vitrines et toutes les rues »
de Torre :
« Yo tenía sed - de días, mujeres vasos.- Yo hubiera deseado poseerlos.-
Y todos los escaparates y todas las calles- »

Sanahuja :
« Tenia gana
I tots els dies i totes les dones ais cafes i tots els gots
Hauria volgut beurel's i trencar-los
I tots els aparadors i tots els carrers »

Garcia :
« Tenía hambre
Y habría querido beberme y romper luego todos los vasos y todos
/los días y todas las mujeres en los cafés
Y todos los escaparates y todas las calles »

Villanueva :
« Tenía hambre
Y todos los días y todas las hembras en los cafés
Y todos los vasos
Hubiera querido beber y romper
Y todas las vitrinas y todas las calles »

En substituant à la faim - « hambre » - le monosyllabique « sed »


(soif), en supprimant les circonstanciels - « tous les jours », « dans
les cafés » - et les déterminatifs « tous les », « toutes les », il donne
à l'énumération écourtée et fortement ponctuée de « jours,
femmes, verres » (dias-mujeres-vasos) un rythme « accéléré » qui

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fait résonner l'avidité de « Je ».


Mais curieusement de Torre met en sourdine les pulsions de
destruction, en remplaçant « boire » et « casser » par le seul
verbe « posséder ». De ce fait, il supprime l'ambivalence du sujet
qui veut à la fois incorporer et détruire les objets de son désir.
Avec De Torre, Gilles de Rais n'est plus le prochain de Biaise.
Mais sans doute était-il plus acceptable pour des lecteurs (et le
traducteur ?) - qui n'avaient peut-être pas lu Bleuler, Freud, ni
l'histoire du maréchal compagnon de la petite Jehanne de France
- de vouloir « posséder » une femme plutôt que la « casser ».
En 1992, Sanahuja ne recule pas devant la violence et les
contradictions de «Je » et traduit cette prose dérangeante dans
une langue preste, aidé par la brièveté du mot « tot » et la
contraction des pronoms.
Garcia, que l'ambivalence désarçonne, arrange les bizarreries
de l'original. Sourd à la logique du sujet désirant, il supprime la
simultanéité des actions en réordonnant la phrase selon l'ordre
logique de la succession dans le temps souligné par le connec-
teur « luego » (ensuite). Il écrit littéralement : « J'aurais voulu
boire et casser ensuite, tous les verres, et tous les jours et toutes
les femmes dans les cafés. »
De la phrase poétique de Cendrars ne reste qu'un petit tas de
cendres.

D. L'intraduisible jouissance de la « lalangue »


« Jeanne Jeannette Ninette nini ninon nichon
Mimi mamour ma poupoule mon Pérou
Dodo dondon
Carotte ma crotte
Chouchou p tit-cœur
Cocotte
Chérie p tite-chèvre
Mon p tit-péché mignon
Concon
Coucou
Elle dort »

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Sanahuja :
«Jeanne Jeanneta Niñeta les metes ninni ninnon
Mixeta amoreta el meu tresor d'or
Dindó dirindó
Menja't el bobò
Cor meu mimadet
Cucala
Cabreta
Vici diminut
Conycony
Cucut
Ja dorm »

Garcia :

«Jeanne Jeannette Ninette La De Los Dos Limones nini ninón


Cariño miamor minovia mipotosí
Dodó dondón
Chupa mi bombón
Corazoncito querido
Gallinita
Cabrita adorada
Mi pecadito
Cuclillo
Coñito
Ya duerme »

Villanueva :

« Y nos amaremos burguesamente cerca del polo


¡Oh ven!
Jeanne Jeannette Ninette nini ninon nichon
Mimi mamour ma poupoule mon Pérou
Dodo dondon
Carotte ma erotte

Chouchou p' tit cœur


Cocotte
Chérie prite chèvre
Mon prit péché mignon
Concon
Coucou
Elle dort
Duerme
Y de todas las horas del mundo no se ha tragado ninguna »

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Que firent les traducteurs confrontés à la litanie tendre et li-


bertine de Biaise - où, sur le mode des comptines, les sons s'ap-
pellent entre eux sans souci du sens, et où résonne l'érotisation
du verbe et du corps ?
Que faire de l'intraduisible jouissance archaïque de « lalangue »,
qui a précédé la culture et le sens partagé ? Cette lalangue qui
sert « à tout autre chose que la communication » et « dont vous
savez - précise Lacan - que je l'écris en un seul mot pour désigner
ce qui est notre affaire à chacun, la lalangue dite maternelle43 »,
et dont les effets « vont bien au-delà de tout ce que l'être qui
parle est susceptible d'énoncer ».
Devant cette litanie, qui donne à Biaise un rôle maternel, de-
vant cette lalangue, Villanueva prend la fuite. Au beau milieu
du texte espagnol, la litanie française reste en souffrance, avec
une note en bas de page : « Imitation du langage enfantin qu'on
laisse telle quelle en sa claire sensation musicale. »
Sanahuja et Garcia se jettent - sans le filet du sens - dans le
corps à corps avec leur propre langue à la recherche d'homo-
phonies familières et des mots malséants et jouissifs qui font la
joie des enfants (et la nôtre) : « coñito », ou « conycony » qui,
chez Sanahuja, appelle joyeusement « cucut ».
La traduction réussie de Sanahuja est d'autant plus méritoire
que dans les années 1980, lorsque les Catalans purent enfin par-
ler librement leur langue, la Norme et la Liga dels Bons mots se
mirent à sévir - pourchassant les malséances et les écarts. En
1984, Jordi Arbonès i Montull, Prix National de Traduction
(1991-1993), traduisit le slang d' Orange Mécanique en catalan
normatif alléguant que : « Seuls les peuples qui possèdent une
langue consolidée et ferme, imposée à tous les niveaux de la so-
ciété, peuvent se permettre le luxe de la détruire pour forger de
nouvelles formes d'expression. » Où l'on voit la traduction
rimer avec extermination poétique.
43 Jacques Lacan, Séminaire XX, Encore, Seuil, 1975, p. 126.

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L'influence libératrice de Cendrars dans le champ littéraire


espagnol est indéniable. En 1965, Guillermo de Torre, bien que
revenu de ses enthousiasmes premiers, écrivait : « Comme dans
le cas de Max Jacob, l'œuvre de Cendrars vue des années après
vaut peut-être moins que l'influence qu'elle exerça. »
Tout autant que les traductions y contribuèrent l'accueil et la
divulgation de ses œuvres par les meilleurs esprits critiques de
son temps qui virent en Cendrars le créateur d'une esthétique
nouvelle et l'incarnation de la modernité comme refus.
Aujourd'hui malgré toutes les traductions de ces trente der-
nières années, le nom de Cendrars n'est guère présent dans les
revues et les journaux. C'est aussi le sort des poètes et des écri-
vains des avant-gardes dont on publie surtout, me semble-t-il,
les Manifestes que l'on étudie comme « genre ». Cendrars, ins-
pirateur du Manifeste Groc, n'en signa jamais. Et que reste-t-il
aujourd'hui de la modernité comme refus ?

Marie-France Borot

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FEUILLE DE ROUTES

Textes Poétiques

1919. "El Transiberiano", Grecia , n° 18


1922. "Sobre el vestido tiene un cuerpo", Ultra, n° 22
1926. "Profundo hoy día", Mediodía, n° 4.
1992. Prosa del Transiberià, traducció d'Eduard Sanahuja, pròleg
de Marie-France Borot, Barcelona, Edicions 62. Edition bilingue
français-catalan.
1993. Prosa del Transiberiano y de la pequeña Jeanne de Francia, tra-
ducción de Adolfo Ortega, Madrid, Ediciones del Taller.
2003. Prosa del Transiberiano y de la pequeña Jehanne [sic] de Francia
y Panama o Las aventuras de mis siete tíos, traducción de Enrique
Molina, Madrid, Visor Libros.
2004. Panama o las aventuras de mis siete tíos, traducción de Fabio
Zimbres, Miriam Cendrars, Torès Alberto, Valencia, Media Vaca.
2007. Prosa del Transiberiano y el Formose, traducción de David
Villanueva Sanz, prólogo de Alain Durand, Madrid, Demi page.
2009. Flojas de rutas, traducción de José Antonio Millán Alba,
ilustraciones de Tarsila de Amaral, S.A. Fundación Juan March,
Editorial de Arte y Ciencia.

Récits

Les récits, et la Tétralogie seront pour la plupart traduits et pu-


bliés dans les années 1980 :
1929. Petits contes nègres pour enfants des blancs, Joan Llongueras,
Barcelona, Proa.
1930. Anthologie nègre, Miguel Azaña, Madrid, Cenit.
Les Confessions de Dan Yack, Julio Gómez de la Sema, Ma-
drid, éd. Galo Sález.
1931. Le Plan de l'Aiguille, Francisco Ginestal, Madrid, Diana.
L'Or, Julio Gómez de la Serna, Madrid, Diana.

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TRADUCTION LITTÉRALE ET «TRADUCTION CULTURELLE »

1942. L'Or, Julio Gólez de la Sema, Barcelona, Pallas.


1963. El Oro, El Hombre fulminado, La Mano cortada, trad, par
Nuria Sales de Bohigas, Barcelona, Argos Vergara.
1974. El Hombre fulminado, Nuria Sales, Nostromo, Madrid. Puis
1980, Barcelona, Argos Vergara. 1998, Madrid, Valdemar.
1980. La Mano cortada, trad, par Nuria Sales de Bohigas, Barce-
lona, Argos Vergara.
Cuentos negros para niños blancos, trad, par Juan Manuel
Azpirtate, illustrés par Arcádio Lobato, Espasa Calpe, Madrid.
Rééd. 1984, 1988, 1989 et chez Planeta Agostini, col. "Austral
Juvenil".
1982. Uévame al fin del mundo, trad, par Basilio Losada, Barcelona,
Argos Vergara
1980. El hombre fulminado, trad, par Nuria Sales de Bohigas en
1974, sera publié chez Argos Vergara puis en 1998 à Madrid chez
Valdemar.
1982. Llevame al fin del mundo, trad, par Basilio Losada, Barcelona,
Argos Vergara.
1989. Hollywood : la Meca del cine traduit par Carolina Rosés,
avec les dessins de Jean Guérin, Barcelona, Parsifal.
2004. Moravagine est réédité avec PRO-DOMO, trad, par Felipe
Gonzalez Vallarinos, Madrid, Alfaguara.
Et Trotamundear, trad, par Manuel Talens, Sevilla, Alianza Editorial.
2008. Ron : La aventura de Jean Galmot, trad, par José Antonio
Marcos Soriano, Seville, Ed. Barataria.
2012. La Parcelación del deh, trad, par Juan Victoria, avec un prò-
logo de Maria Casas, Madrid, Rey Lear.

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