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de routes
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La raison ?
« Il ne faut pas oublier - précisait Violeta Pérez - que Blaise
Cendrars avait reçu le prix de l'Académie Française dix ans au-
paravant en 1937. » Cette année-là, l'heureux gagnant du prix
de Littérature de l'Académie Française s'appelait Maurice Magre.
Et ce n'est pas dans les années 50 que Biaise Cendrars a été ma-
joritairement traduit mais entre 1919 et 1936, date de la guerre
civile, puis dans les années 80 au retour de la démocratie. Seule
affirmation exacte, l'auteur souligne : « Biaise Cendrars avait
même été traduit en catalan en 1929. » Effectivement Proa, mai-
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3 À Badalona par Marcelli Antich et Josep Queralt qui lancèrent la collection « A tot
vent » avec Manon Lescaut , suivie des grands classiques de la littérature universelle. Balzac,
Dickens, Strindberg, Dostoïevski, Stendhal, Zweig. Après la guerre civile, elle revint en
Catalogne en 1965.
4 Réédité en 2010, avec des notes et un prologue de Nestor R. Ortiz Oderigo.
5 Guillermo de Torre, Historia de las literaturas de Vanguardia, Madrid, Guadarrama, 1965,
p.280.
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6 Correspondance , p. 147.
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Des voix s'élèvent contre ces textes traduits qui, selon les
termes d'Unamuno, « pullulent » et « précipitent l'européisation
de l'Espagne ». Réapparaît la vieille injure « Afrancesado » :
terme dépréciatif qui désigna d'abord les partisans espagnols des
Lumières et qui « servit à disqualifier comme étranger tout par-
tisan des idées modernes7 ». Traité d' afrancesado, le traducteur
Enrique Diez Canedo réplique : « M afrancesado, c'est l'écrivain
qui essaie de faire quelque chose de nouveau !8 »
Traduire c'était donc apporter du nouveau, éliminer les déli-
quescences et ainsi revitaliser la littérature espagnole : « Rien ne
favorise davantage une littérature nationale que d'y entrer les
boutures d'une littérature étrangère », affirmait Pérez de Ayala9.
En cette effervescence traductrice, de nouvelles exigences se
font jour quant à la traduction et à la critique littéraire. La tra-
duction avait, en Espagne, un piètre statut, le nom du traducteur
(très mal payé) était habituellement passé sous silence ou réduit
à des initiales. Le traducteur occasionnel, jeune homme de let-
tres qui, en attendant de se faire un nom d'auteur, se livrait sans
enthousiasme à cette tâche jugée servile, laisse la place à des tra-
ducteurs de qualité, ou à des poètes convaincus d'enrichir leur
art poétique au contact d'une langue autre. La Biblioteca Nueva
fit appel, entre autres, aux poètes Pedro Salinas ou à Damaso
Alonso, et à des traducteurs tels Enrique Diez Canedo, Julio
Gómez de la Sema pour traduire les auteurs anglais et surtout
français (Cendrars, Colette, etc.), ou López Ballesteros, que
Freud félicita pour sa remarquable traduction. S'ensuivent de
vives discussions sur la traduction poétique : faut-il traduire en
vers, comme le faisaient les Modernistas traduisant vers par vers
et pour lesquels prévalait la recherche de la rime ?
Les nouveaux traducteurs se rebellent - tels Julio Gómez de
la Serna traduisant en proses poétiques de Whitman, ou Diez
7 Jorge Semprún, Federico Sánchez vous salue bien, Grasset, 1993, p. 158.
8 In revue España , du 17/11/1918, que dirigea Manuel Azaña.
9 Ramón Pérez de Ayala, "La Poesía y la guerra", 1916, O.C. 2, Madrid, Aguilar, 1965.
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C'est lui qui fit connaître Le Plan de l'Aiguille aux lecteurs ca-
talans dans un article intitulé « Biaise Cendrars », publié dans
La Publicitat, le 18 avril 1929, et suivi, moins de trois semaines
après, le 14 mai, d'un autre intitulé « Profund Avui » [ Profond
Aujourd'hui Textes dont il fut le lecteur enthousiaste. Plaidant
Pro domo , le critique dit avoir consacré la plupart - sinon la
quasi-totalité - de ses articles à des écrivains d'ailleurs, français
essentiellement, « faute de trouver dans la littérature catalane
une matière suffisante pour exercer [s] a spécialité [...]. C'est
dur à dire mais c'est comme ça.20 »
Certes, mais l'on est aussi en droit de penser qu'il venait cher-
cher des alliés parmi ceux qui représentaient les avant-gardes.
En effet, Montanyà le protagoniste combatif de la rénovation
artistique et littéraire dans une Catalogne « tournée vers le passé
dans une atmosphère folklorique et abrutie ». Montanyà a be-
soin d'écrivains qui ne « traversent pas la vie dans les passages
cloutés » et bouleversent les catégories littéraires, tel Cendrars
maître en anticonformisme ou Cocteau « l'évangéliste de l'avant-
18 Lluis Montanyà, op.cit. p. 269.
19 Ibid. p. 357.
20 Lluis Montanyà, op.cit.
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Comment dès lors ne pas faire appel à celui qui, outre Pyrénées,
incame la modernité comme refus de règles, des modèles, des hié-
rarchies et qui prend acte de son advenue et de ses conséquences :
« La modernité a tout remis en question.
Notre époque [...] bouleverse non seulement l'aspect du paysage contem-
porain mais encore [...] sa sensibilité, son émotion, sa façon d'être, de pen-
ser, d'agir, tout son langage, bref, la vie. »30
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35 Ibid., p. 178.
36 L. Montanyà, op. cit., p. 227.
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C'est par le rythme dont Cendrars est le maître que l'on peut
contribuer à rendre « l'intensité poétique imprévue » du monde
modeme que signalaient Dali, Gasch et Montanyà.
Là où Guillermo de Torre, reprenant quarante ans après son
Histoire des littératures d'avant-gardes, ne voyait dans Moravagine
et dans Le Plan de l'Aiguille que des « romans surchargés de péri-
péties frisant le feuilleton38 », Montanyà observe que « Morava-
gine a le lyrisme des poèmes de Cendrars apporté au roman »,
et que « l'anecdote [du Plan de l'Aiguille ) disparaît sous une vi-
bration sensorielle inextinguible qui donne à ses pages une mer-
veilleuse intensité39 ». Pour ce faire, il faut avoir « une certaine
vibration intérieure [...] et une maîtrise de la forme peu com-
mune40 », ce qui est aux yeux de Montanyà le propre de Cendrars.
La Prose du Transsibérien marqua les esprits. Nous examinerons
quatre traductions : celle de Guillermo de Torre, le premier tra-
ducteur en 1919, celle du catalan Eduard Sanahuja en 1992, celle
d'Adolfo Ortega, l'année suivante en 1993, et enfin la plus ré-
cente, celle de David Villanueva en 2007.
Forts du socle roman, ces passeurs bénéficient de ressem-
blances sémantiques et de structures syntaxiques communes.
Mais ils ne peuvent esquiver l'épreuve de l'étranger, de la perte,
de l'intraduisible. Car avec cette Prose ils affrontent à la fois la
langue dite étrangère et celle du poète qui parle autrement. Une
langue que le poète - « horrible travailleur » - s'est forgée en vio-
lentant sa langue dite maternelle, en osant avancer sur des terri-
37 Ibid., p.228.
38 Guillerme de Torre, op.cit., p. 280.
37 Ibid., p. 227.
mIbid., p. 233.
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« J'ai vu dans les lazarets des plaies béantes, des blessures qui saignaient à
pleines orgues.
Et les membres amputés dansaient autour. . . »
42 Est iconique le terme qui fait image par rapport à son réfèrent.
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Sanahuja :
« He vist als llazarets nafres obertes ferides que sagnaven a borbolls
I el membres amputais ballaven al voltant o s'enlairaven per l'aire ronc »
Garcia :
« He visto en los lazaretos úlceras abiertas heridas que sangraban a borbotones
Y los miembros amputados bailaban alrededor o echaban a volar por el aire
ronco »
Villanueva :
« He visto en los lazaretos yagas abiertas heridas que sangraban como orgas*
Y los miembros amputados bailaban alrededor o volaban en el aire rauco »
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C. Rythmes
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Sanahuja :
« En aquell temps em trobava en plena adolescência
Tenia a penes setze anys i ja no em recordava de la meva infancia
Era a 16000 llegües del Hoc del meu naixement
Era a Moscou, a la ciutat dels mil i tres campanars i de les set estacions »
Garcia :
« En aquel tiempo yo estaba en plena adolescencia
Tenía dieciséis años y había olvidado mi infancia
Me encontraba a 16000 leguas de donde nací
Estaba en Moscú, en la ciudad de los mil tres campanarios y de las siete es-
taciones »
Villanueva :
« En ese tiempo yo estaba en mi adolescencia
Apenas dieciséis años y no recordaba ya mi infancia
Estaba a 16000 leguas del lugar donde nací
Estaba en Moscú, en la villa de los mil tres campanarios y de las siete esta-
ciones.»
Garcia :
« En aquel tiempo estaba en plena adolescencia. »
Villanueva :
« En aquel tiempo yo estaba en mi adolescencia. »
de Torre :
« Era en el tiempo de mi adolescencia. »
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Sanahuja :
« Tenia gana
I tots els dies i totes les dones ais cafes i tots els gots
Hauria volgut beurel's i trencar-los
I tots els aparadors i tots els carrers »
Garcia :
« Tenía hambre
Y habría querido beberme y romper luego todos los vasos y todos
/los días y todas las mujeres en los cafés
Y todos los escaparates y todas las calles »
Villanueva :
« Tenía hambre
Y todos los días y todas las hembras en los cafés
Y todos los vasos
Hubiera querido beber y romper
Y todas las vitrinas y todas las calles »
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Sanahuja :
«Jeanne Jeanneta Niñeta les metes ninni ninnon
Mixeta amoreta el meu tresor d'or
Dindó dirindó
Menja't el bobò
Cor meu mimadet
Cucala
Cabreta
Vici diminut
Conycony
Cucut
Ja dorm »
Garcia :
Villanueva :
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Marie-France Borot
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Textes Poétiques
Récits
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