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UNIVERSITÉ CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR

FACULTÉ DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES

DÉPARTEMENT DE LETTRES MODERNES

Mémoire De Master II

Laboratoire de littérature française, francophone, comparée et art du spectacle

Option : Littérature comparée

LES NOUVEAUX CODES DE L’ÉCRITURE ROMANESQUE


DANS LES TAMBOURS DE LA MÉMOIRE (1990) DE
BOUBACAR BORIS DIOP ET DANS CES BRAS-LÀ (2000) DE
CAMILLE LAURENS

Présenté par Sous la direction de


Mlle Sokhna Fatou DIENG M. Augustin COLY
Maître-assistant,
Docteur d’État

Année universitaire 2016-2017


Sigles usuels :

DCBL : Dans ces bras-là


LTM : Les tambours de la mémoire

1
PLAN
Introduction
Première partie : Rupture et Invention
Chapitre I : Architecture du récit
I-1 Subversion de l’ordre chronologique
I-2 Ambivalence énonciative : polyphonie narrative
Chapitre II : Hybridation du roman contemporain
II-1 Récits entre réalité et fiction
II-2 Récits enchâssés et mise en abyme
II-3 Intertextualité
Deuxième partie : Procédés esthétiques et narratifs
Chapitre III : Discours mémoriel et jeu de langage
III-1 Discours de la mémoire
III-2 Traces de l’oralité et écriture du discours oral
Chapitre IV : Posture de lecteur et métadiscours
IV-1 Lecteur-écrivain
IV-2 Autocommentaires
Conclusion

2
INTRODUCTION

3
Le roman, genre littéraire protéiforme1, n’a cessé de connaître des mutations au cours
des siècles. En marge du Nouveau Roman français qui propose une réforme du roman
classique, certains écrivains contemporains plus novateurs vont marquer une rupture radicale,
une cassure définitive avec le roman de type balzacien. Ces adeptes d’une littérature moins
illusionniste et moins naïve proposent aux lecteurs des romans à la lecture assez
problématique. Parallèlement, en Afrique subsaharienne, Les soleils des indépendances2,
roman d’Ahmadou Kourouma, rompt avec le roman traditionnel africain. Ainsi, une nouvelle
orientation du roman se dessine. Celui-ci devient le symbole d’une génération d’écrivains qui
a révolutionné une certaine forme romanesque.
Les romanciers contemporains, considérant que le classicisme annihile la
quintessence du roman, pourfendent les normes établies. Le roman, désormais « deviendra un
exercice littéraire plutôt qu’un reflet de faits sociaux»3. Ils balisent le chemin pour ceux qui
veulent lui donner une nouvelle facette. Il devient proprement dit un genre composite dans
lequel s’enchevêtrent d’autres genres. De la même manière, le factuel et le fictionnel s’y
chevauchent et s’y confondent. De plus, la narration n’est plus assurée par une seule voix
mais par plusieurs. Dans le cas du roman de Boubacar Boris Diop, nonobstant la présence de
l’auteur dans le récit, ce sont les personnages eux-mêmes qui font la narration. En effet,
l’auteur opère une distanciation avec son texte, et parallèlement, il établit un dialogue avec
son lecteur en revenant souvent sur sa propre écriture. Ainsi, cette logique narrative épouse
parfaitement la pensée de Jean Ricardou à propos du nouveau type de roman. Jean Ricardou,
romancier et théoricien du Nouveau Roman affirme que « le roman cesse d’être l’écriture
d’une histoire pour devenir l’histoire d’une écriture»4, l’axe de la narration étant valorisé aux
dépens de celui de la fiction. De même, favorisant le style au détriment du contenu, Henri
Lopes abondera dans le même sens que Jean Ricardou et dira à propos du récit : « avant je
racontais, maintenant j’écris5». De ce contexte, Henri Lopes débarrasse l’écriture romanesque
de son rôle secondaire qui consiste à rapporter avec précision les faits quotidiens. C’est-à-dire
que maintenant, « L’écriture devient un exercice de sclérose de la forme et est entièrement

1
Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman (1975), Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1978.
2
Ahmadou Kourouma, Les soleils des indépendances, Paris, Seuil, 1970.
3
Michel Raimond, Le Roman depuis la Révolution (1967), Paris, Armand Colin, coll. « Poche », 2013.
4
Cette citation de Jean Ricardou figure dans plusieurs de ses ouvrages et la présente citation est tirée dans
Problème du Nouveau Roman, Paris, Le Seuil, coll. « Tel Quel », 1967, p. 166.
5
Henri Lopes est l’auteur de cette assertion. Il s’est beaucoup intéressé aux nouvelles techniques d’écriture
romanesques. C’est l’un des points qui rend intéressant son roman parodique, Le Pleurer-Rire, Présence
Africaine, 1982.
4
absorbée par le goût, et peut être même, l’obsession de la fragmentation, du chaos, du
micmac….»6
L’écriture n’est plus masquée par le déroulement de l’histoire mais par l’architecture
du livre. Désormais, le lecteur ne prête plus attention à l’histoire racontée mais au paradoxe, à
l’étrange et à toutes sortes de subversions de fond particulièrement celles qui sont liées à la
forme. Le lecteur, lui-même, face à cette désinvolture scripturale, voit ses anciennes habitudes
de lecteur récepteur chamboulées par les auteurs. Au même titre que ces derniers, le lecteur
devient aussi un créateur.
Dans notre corpus, nous nous intéresserons particulièrement à deux romans de deux
écrivains contemporains issus de deux espaces littéraires et culturels différents, il s’agit des
Tambours de la mémoire7 et Dans ces bras-là8 respectivement écrits par Camille Laurens et
Boubacar Boris Diop, auteurs qui s’écartent ostensiblement des normes d’écriture du roman et
qui ont des idées de renouveau dans ledit genre. Ils fondent leur expérimentation esthétique
sur une parodie exagérée de tous les discours et paradigmes romanesques et sur un
renouvellement de la création, la mémoire étant la charpente sur laquelle s’articule leur
écriture subversive.
Camille Laurens se démarque de ses pairs par son écriture qui se caractérise par une
harmonisation savante entre éléments biographiques et fictifs, par des détournements de
conventions, une écriture labyrinthique et les jeux formels. Boubacar Boris Diop, aussi est
perçu par la critique africaine comme le précurseur d’une nouvelle littérature sénégalaise. «
Le mendiant du souvenir»9, tel que le surnomme Hamidou Dia, adopte une nouvelle stratégie
de construction romanesque traduisant ainsi, au-delà d’une simple exploration formelle et
innovatrice des possibles du roman une esthétique de distanciation et d’hétérogénéité. Ainsi,
Boris Diop et Camille Laurens bouleversent les conventions habituelles du roman, telles
qu’elles ont prévalu depuis Honoré De Balzac et lui donnent une nouvelle image. Boris Diop
et Camille Laurens, deux écrivains de la postmodernité10, tournent en dérision l’écriture
romanesque. Nous les percevons comme des romanciers de rupture.

6
Sélom Komlan Gbanou, « Le fragmentaire dans le roman francophone africain », dans Tangence, n°75, Été
2004, p.83.
7
Boubacar Boris Diop, Les tambours de la mémoire, Paris, L’Harmattan, coll. « Encres Noires », 1990.
8
Camille Laurens, Dans ces bras-là, Paris, P.O.L, coll. « Folio », 2000.
9
Hamidou Dia, « Boubacar Boris Diop : le mendiant du souvenir, parcours subjectif Des tambours de la
mémoire », Ethiopiques n°1, Paris, Nathan, Coll. « Espace Sud», vol 6, 1er semestre 1989, p.112.
10
Selon Marc Gontard, il existe une relative unanimité autour d’une poétique postmoderne qui s’articulerait
autour des éléments suivants : autoréflexivité, intertextualité, mélange de genres, carnavalisation, polyphonie,
présence de l’hétérogène, impureté des codes, ironie métaphysique, déréalisation, destruction de l’illusion
mimétique, indétermination, déconstruction […], participation du lecteur au sens de l’œuvre (Le roman français
5
Par ailleurs, l’écriture dans Les tambours de la mémoire et Dans ces bras-là se
caractérise par des constructions baroques11. Par son excentricité et sa difformité, la charpente
scripturale dans ces deux romans épouse toutes les caractéristiques définies par la critique
comme baroque. Camille Laurens et Boubacar Boris Diop cultivent la déviation formelle
dans leur esthétique romanesque. Avec eux, le roman épouse plusieurs discours et adopte
différentes typologies. Ces deux romans ont pour clé de voute la mémoire car les différents
personnages principaux s’adonnent au souvenir. La narratrice de Dans ces bras-là passe par la
psychanalyse et l’écriture pour évoquer les hommes de sa vie. Dans Les tambours de la
mémoire, Ismaïla et Ndella, les principaux narrateurs évoquent simultanément le passé de
Fadel et celui de Johanna Simentho, la mystérieuse reine. Le souvenir entraine l’imbrication
des différentes images du présent, du passé et du futur ; ce qui, indubitablement, annihile la
chronologie du roman.
La redondance notoire, l’émiettement du récit, le jeu textuel, la réflexion des
personnages-écrivants sur l’art du roman qu’ils sont en train d’écrire caractérisent et
constituent les éléments qui rendent complexe et original l’écriture dans ces deux romans. Les
lecteurs de Boris Diop et de Camille Laurens sont souvent déroutés par la circularité du récit.
Ils perdent le fil des événements et ressentent toujours une sensation de déjà lu. Ils torturent le
lecteur qui est obligé de faire des retours en arrière entre les pages pour s’assurer qu’il ne relit
pas la même chose. Le lecteur est happé par un tourbillon dont il risque de sortir avec des
séquelles. D’abord, chez Boris Diop, c’est une oscillation entre présent, passé et futur même
si le passé est le temps dominant. Alors que, chez Camille Laurens, les événements de sa vie
sont rapportés de manière anachronique. Elle détruit la linéarité de son récit à travers la
chronique de ses entretiens avec un psychiatre. Dans les deux textes rien n’est figé, tout
s’inscrit dans l’atemporalité et dans l’inaccompli. Comme le souligne Camille Laurens parlant
de son propre roman : « ainsi la forme du livre serait-elle discontinue, afin de mimer au fil des
pages ce jeu de va-et-vient, ces progrès, ces ruptures qui tissent et défont le lien entre elle et
eux » (DCBL, 16).
Dans ces bras-là, le «elle » et le « je » testimonial assurent la réminiscence tandis que
dans Les tambours de la mémoire, par l’intermédiaire d’Ismaïla, de Ndella, de Fadel, et de

postmoderne, une écriture turbulente, version électronique disponible sur https://halsh-archives-


ouvert.fr/file/index/docid/29666/filename/ le roman postmoderne.pdf consulté le 13 octobre 2016 à 11:27mn
11
Le baroque est un mouvement littéraire et artistique charnier ente la renaissance et le classicisme (XVI et XVII
ème
siècle). C’est la critique du XIXème siècle qui donnera à cet ensemble d’art difforme le nom baroque. Il
qualifie tout ce qui est bizarre et hors des normes. Les œuvres des écrivains baroques se singularisent par leur
fascination pour le changement, le mouvement, l’instabilité des choses, la profusion de l’ornementation,
l’ostentation et la mort.
6
tous les autres personnages du roman, le récit mémoriel s’effectue. Pratiquement, le récit se
ballade d’un personnage à un autre. Les narrateurs refusent d’être des Deus ex machina.
Autrement dit, l’omniscience d’antan du narrateur est détruite et le personnage est projeté au-
devant de la scène narrative. C’est autour de ce mécanisme que s’articule la polyphonie
narrative dans ces deux romans.

Par cette étude esthétique, nous voulons participer aux efforts de perception des
réformes qui ont été opérées dans le genre romanesque après la vague des nouveaux
romanciers.
Dès lors, une étude approfondie des deux romans nous permettra sans doute d’avoir un
aperçu clair sur les nouvelles formes d’écriture romanesque, c’est-à-dire comprendre
comment la postérité a pris en charge l’héritage du Nouveau Roman. Il serait judicieux de
savoir s’il y a eu une continuité ou une réforme. Au-delà de la poignante subversion qui
marque les deux romans, le lecteur découvre une autre manière d’écrire. Dans Les tambours
de la mémoire et aussi Dans ces bras-là, l’écriture captive plus que l’histoire racontée et les
deux auteurs entraînent leurs lecteurs dans leur élan en mettant à nu les procédés employés
pour composer le roman. Les auteurs se soucient plutôt du comment écrire et du comment
lire, d’où la présence massive des jeux formels et des nombreuses adresses faites au lecteur.
De cette considération, on se rend compte que les deux romans rompent avec le genre
romanesque classique et semblent se rapprocher de l’écriture difforme baroque.
Ainsi, nous nous évertuerons à montrer à travers notre sujet comment les nouveaux
codes de l’écriture romanesques se donnent à lire dans les deux romans. Cela nous mènera à
démontrer autour de quelles techniques romanesques l’écriture de Camille Laurens et de Boris
Diop s’effectue. En outre, le postulat de notre thème part du fait général que le Nouveau
Roman a inauguré une nouvelle technique d’écriture que remettent en vigueur et réhabilitent
Boris Diop et Camille Laurens. Ils semblent débarrasser l’écriture de sa fonction expressive.
En effet, l’histoire racontée n’est qu’un prétexte ou une grille de lecture. Pour dérouler leur
projet de destruction, Camille Laurens passe par l’évocation des hommes de sa vie et Boris
Diop réactualise la figure héroïque d’Aliin Sitooye Jaata. L’écriture dans ces deux œuvres
semble être une mise en scène de la représentation romanesque. Au message social et
politique, s’oppose un message esthétique dont la visée s’oriente vers une nouvelle découverte
des moyens techniques et stylistiques du roman. Camille Laurens et Boris Diop ne se lancent
pas dans une diatribe contre une société mais contre les partisans d’une littérature naïve et
plate.
L’écriture de Boubacar Boris Diop et celle de Camille Laurens ne seraient soumises à
aucune fonction esthétique, pourtant, les traces de l’écriture du Nouveau Roman n’ont eu de
cesse de foisonner dans ces deux romans. Boris Diop et Camille Laurens semblent imiter les

7
nouveaux romanciers qui voulaient un renouvellement total de l’écriture romanesque. Certes,
héritiers de ces derniers, Boris Diop et Camille Laurens sont cependant, plus audacieux et
plus entreprenants. Ces romanciers du chaos12 s’amusent à détruire radicalement l’édifice sur
lequel le roman a toujours été bâti. Ils « émancipent des canons consacrés par le genre
romanesque pour s’orienter vers de sinueux, mais novateurs chemins qui autorisent la
pluralité de genres »13. Autrement dit, ils décloisonnent le roman, l’affranchissent des
barrières génériques et le rendent plus accessible. La transgression de l’ordre chronologique
due à la narration qui se fonde sur le discours de la mémoire et la multi-focalisation seraient
les points essentiels qui nous permettraient de lire la subversion. Le mélange du réel et du
fictif, la mise en abyme parodique, le renvoi intertextuel, les autocommentaires, l’implication
du lecteur, la cohabitation du discours oral et de l’écriture seraient les points culminants
autour desquels se fonde l’esthétique romanesque de Boris Diop et de Camille Laurens.
Afin de vérifier nos postulats, nous utiliserons les méthodes de la critique structuraliste
et formaliste dans l’analyse des œuvres du corpus. Ces critiques donnent le primat à la
structure du texte. Pour mieux comprendre l’œuvre de Boubacar Boris Diop, nous nous
sommes beaucoup plus appesantis sur la monographie de Jean Sob intitulée L’impératif
romanesque de Boubacar Boris Diop14. Toutefois, même si le critique camerounais a bien
analysé l’esthétique de Boris Diop, la place qu’il accorde à la mémoire est minime si nous la
comparons à l’étendue du discours mémoriel dans l’œuvre diopienne. Dans notre étude, nous
tenterons de démontrer que la mémoire est le socle sur lequel se cristallise la subversion dans
le roman de Boris Diop. Quant au bilan critique concernant l’œuvre de Camille Laurens, il est
pauvre voir même minime comparé à celui de Boris Diop. Les rares éléments que nous avons
obtenus du roman de Camille Laurens sont le fruit des articles de quelques chercheurs sur
l’ensemble de sa production littéraire et des interviews de l’auteure elle-même. Seul
Dominique Rabaté dans son ouvrage critique intitulé « Le roman français depuis
1900 »15, citera laconiquement Camille Laurens et la classera dans la rubrique « formalisme et
invention».
Dès lors, notre réflexion sera axée sur deux grandes parties qui prendront en charge la
problématique étayée précédemment. Dans la première partie de notre travail que nous avons

12
Lilyan Kesteloot, « Observations sur la Nouvelle Génération D’écrivains Africains » in Ethiopiques n°78, 1er
semestre, 2007, p.66.
13
Augustin Coly, « De l’hybridité générique dans Les gommes (1953) d’Alain Robbe-Grillet et Les tambours de
la mémoire (1987) de Boubacar Boris Diop », TRANS-[En ligne], 20 | 2016, mis en ligne le 25 octobre 2016,
consulté le 11 décembre 2017 à 13h12 sur http://journals.openedition.org .
14
Jean Sob, L’impératif romanesque de Boubacar Boris Diop, Ivry sur Seine, Editions A3, 2007.
15
Dominique Rabaté, Le roman français depuis 1900, Paris, PUF, 1998.
8
intitulée « rupture et invention », nous serons amenés à montrer successivement les points sur
lesquels portent les modifications subversives et les différentes formes respectives qui
marquent la rupture dans les deux romans. Dans la deuxième partie titrée « procédés
esthétiques et narratifs », notre analyse se concentrera sur les procédés esthétiques et narratifs
utilisés par Camille Laurens et Boris Diop dans leur entreprise romanesque. Autrement dit, les
voies et les moyens qu’empruntent les deux auteurs pour construire leur récit.

9
Première partie : ruptures et inventions

10
Chapitre I : Architecture du récit
Le récit peut être défini comme la représentation ou la narration d’un fait réel ou fictif
par les moyens du langage écrit ou oral. L’écart par rapport aux normes caractérise les romans
parodiques de Boubacar Boris Diop et de Camille Laurens. Ces derniers tournent en dérision
l’écriture romanesque et rompent avec la routine réaliste. Ces deux écrivains de la
postmodernité ont des idées de renouveau dans l’écriture et cultivent l’excentricité dans leur
esthétique romanesque. Également, les tendances et les innovations qui habitent la plume de
ces deux écrivains se conçoivent dans une exigence singulière de la forme. Avec l’avènement
du Nouveau Roman, on assiste à la banqueroute du roman réaliste, fondé sur des intrigues et
une temporalité cohérente. Les nouveaux auteurs, iconoclastes, subvertissent les règles et les
usages de la logique romanesque. L’adjectif « nouveau » sous-entendant aussi réforme, les
règles d’écriture établies par Balzac et ses épigones sont pourfendues, au profit de nouvelles
perspectives d’écriture.
La linéarité chronologique est abolie, et le temps est englué dans la spirale de la
répétition et de la circularité. Et comme le souligne Robbe-Grillet dans son ouvrage critique
sur le Nouveau Roman : «dans le récit moderne le temps se trouve coupé de sa temporalité. Il
ne coule plus. Il n’accomplit plus rien. Et c’est sans doute ce qui explique cette déception qui
suit la lecture d’un livre aujourd’hui»16. Cette désarticulation temporelle semble être au cœur
de l’architecture du récit dans Les tambours de la mémoire et Dans ces bras-là.
Aussi, les lecteurs du roman réaliste ne s’étaient-ils pas habitués à des récits à
narrateur unique. L’histoire, en effet, était généralement narrée à la troisième personne ou à la
première personne du singulier. Toutefois, l’emboitement des voix narratives était déjà
repérable dans Les faux- monnayeurs17de Gide. Cette polyphonie narrative est aussi présente
chez nos deux auteurs. Dans Les tambours de la mémoire, la parole se promène entre le
couple narratorial, Fadel et les autres personnages. De même, Dans ces bras-là, la narration
est alternativement assurée par la première personne « je » et la troisième personne du
singulier « elle ». L’évocation d’un passé révolu et la mise en exergue des discours
testimoniaux occasionnent le déroulement d’une polyphonie narrative. Ainsi, Boris Diop et
Camille Laurens nous ont servi des romans aux récits redondants et polyphoniques. Le récit
n’est plus l’affaire d’un seul narrateur, mais de deux, voire de multiples narrateurs.
Boris Diop et Camille Laurens délaissent la routine de l’écriture réaliste pour adopter
comme technique d’écriture le renouvellement romanesque. L’éclatement de l’intrigue, la

16
Alain Robbe-Grillet, Pour un nouveau roman (1963), Paris, Minuit, 2013, p. 168.
17
André Gide, Les faux-monnayeurs, Paris, Gallimard, 1925.
11
dislocation de l’espace et du temps et la démultiplication des voies narratives fondent le récit
dans les deux romans. Le caractère général de la narration dans ces deux récits est la tendance
à la redondance. La narration est circulaire et le récit revient toujours sur ses traces. L’intrigue
est décousue et l’ordre chronologique est aussi perturbé. Les deux auteurs adoptent une
architecture irrégulière qui privilégie les récits secondaires disparates au détriment d’un récit
central. Camille Laurens et Boris Diop font un va-et-vient constant dans le temps. Également,
la narration multifocale est proéminente dans Les tambours de la mémoire et Dans ces bras-
là. Ce sont des narrations à instances multiples.
Pour passer en revue ce chapitre, notre réflexion sera orientée sur deux points
essentiels dans Les tambours de la mémoire et Dans ces bras-là à savoir l’aspect subversif de
l’ordre chronologique et l’ambivalence énonciative.

12
I-1 Subversion de l’ordre chronologique
Le temps définit le moment ou la période dans laquelle un événement ou un fait s’est
produit. Sa loi propre demeure la succession. Dans son étude sur le temps romanesque,
Michel Butor, adepte de la nouvelle écriture, proposera cette distinction: « dès que nous
abordons la région du roman, il faut au moins supposer trois temps : celui de l’aventure,
celui de l’écriture, celui de la lecture»18. Aussi, dans son ouvrage critique, Figures III19,
Gérard Genette abonde dans le même sens et définit le récit comme « une séquence deux fois
temporelle : il y a le temps de la chose racontée et le temps du récit (temps du signifié et
temps du signifiant)»20. Ainsi, il existe le temps de l’histoire racontée, autrement dit le
moment où celle-ci s’est passée et le temps du récit c’est-à-dire la relation entre la narration et
l’histoire. Aussi, appréhende-t-il l’anachronie comme « les différentes formes de distorsion
entre l’ordre de l’histoire et celui du récit»21. Dans Les paradoxes du temps22 de Laurent
Dubois, le préfacier Étienne Klein ira plus loin en faisant la distinction entre le temps
physique et le temps subjectif. Le premier est celui des horloges, il n’épuise pas le sens du
temps vécu et le second est celui de la conscience. Le temps de la conscience, quant à lui, est
purement subjectif.
La notion de temps n’est plus ce qu’elle était auparavant. Le temps linéaire et
progressif, qui visait l’horizon du futur dans les siècles précédents, est en voie de disparition
dans la nouvelle composition romanesque du XXème siècle. Selon Fournier Laurent Sébastian
dans son compte rendu sur Régimes d’historicité : présentisme et expérience du temps23 de
François Hartog,
chaque société se construit en référence à un ordre du temps pensé comme idéal. Mais
au XXème siècle, cet ordre semble être brouillé par des penseurs […] qui ont exploré les
brèches du temps, ses discontinuités et ses ruptures. Aujourd’hui le temps semble donc
être orienté autour du présent, en particulier avec les notions de mémoire, de
patrimoine et de témoignage.24
Dans Les tambours de la mémoire et Dans ces bras-là, la mémoire retrace la courbe
du temps. Et puisqu’il est question d’évoquer des souvenirs ou des illusions, les narrateurs
procèdent par la technique de l’anachronisme. Ainsi, le rapport entre le temps de l’histoire et
le temps du discours peut subir une destruction temporelle autrement dit des infidélités liées à

18
Michel Butor, Essais sur le Roman, Paris, Gallimard, 1992, p. 118.
19
Gérard Genette, Figures III, Paris, Seuil, 1972.
20
Ibid., p. 77.
21
Ibid., p. 79.
22
Laurent Dubois, Les paradoxes du temps ou l’odyssée de Nihil et Totus à travers le temps, Bruxelles, Ousia,
1999.
23
François Hartog, Régimes d’historicité : présentisme et expérience du temps, Paris, Le Seuil, 2003.
24
Fournier Laurent Sébastian, François Hartog, Régimes d’historicité : présentisme et expérience du temps,
compte rendu consulté sur www.persée.fr le 03 Janvier 2018 à 14h48.
13
l’ordre chronologique des événements. L’anachronisme peut être défini comme le repli ou le
retour du temps sur lui-même. Il existe deux types d’anachronie narrative : l’anticipation et la
rétrospection.
Soit, la narration est antérieure aux faits relatés: c’est la rétrospection appelée aussi
analepse ou flash-back, le narrateur revient sur des événements déjà vécus souvent dans le but
d’apporter des éclairages sur le passé d’un personnage. Eu égard à l’assertion du critique
africain Makouta-Mboukou « on peut définir l’analepse comme un récit second dans le récit
premier»25. La narration peut être aussi postérieure aux faits racontés. Dans ce cas, c’est une
anticipation appelée aussi prolepse ou cataphore. L’anticipation permet au narrateur
d’imaginer des faits qui n’ont pas encore eu lieu. Il y a prolepse à chaque fois que le roman
commence par son épilogue.
Les tambours de la mémoire de même que Dans ces bras-là sont deux romans qui
s’inscrivent dans cette volonté d’abolition du temps. En outre, le récit est organisé selon un
ordre vaguement chronologique et le temps de la narration est interverti à l’insu du lecteur.
Cette négation du temps entrave probablement sa lecture. De plus, la lecture d’ensemble
observe des ruptures et oblige le lecteur à être attentif au suspens. Le temps est circulaire et
revient toujours sur ses traces. La linéarité est niée et reléguée au second plan. Dans ces deux
romans, le « temps est par terre »26, il agonise. Le passé inonde le présent des personnages et
la mémoire joue un rôle non sans importance dans ce mécanisme.
Étudiez le temps chez Boris Diop et chez Camille Laurens, suppose une interrogation
sur celui qui est lié aux souvenirs et à la conscience. De prime abord, dans les deux romans, le
temps semble subjectif. Si Boris Diop met en évidence des personnages-narrateurs qui tentent
de retracer simultanément le vécu de Fadel et de la reine Johanna Simentho à travers des
souvenirs réels ou imaginés, Camille Laurens, par contre, par le biais de ses deux narratrices :
« je » et « elle », effectue la réminiscence de son vécu personnel.
D’abord, dans Les tambours de la mémoire, c’est avec une désarticulation accrue du
temps que les narrateurs principaux Ismaïla et Ndella retracent le vécu de leur ami commun,
Fadel Sarr, mort dans des circonstances non élucidées à Wissombo. Cependant, le point focal
de leur récit semble être la question sur l’existence réelle ou fictive de la reine Johanna
Simentho. Cette question mobilise tous les personnages du roman qui tentent de se souvenir
de la prétendue reine. Déjà, ce flou originel, c'est-à-dire le doute sur l’existence de Johanna,

25
Jean Pierre Makouta-Mboukou, Systèmes, théories et méthodes comparés en critique littéraire, volume II. Des
nouvelles critiques à l’éclectisme négro-africain, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 164.
26
Cette expression nous l’avons tirée de La vie et demie de Sony Labou Tansi, Paris, Seuil, 1979, p. 11.
14
inscrit le temps dans l’atemporalité. Alors que Dans ces bras-là, la narratrice fait de manière
anachronique, le tour des hommes qui ont marqué sa vie. Toutefois son analyse vitale manque
de linéarité et de cohérence. Tout au long du récit mémoriel, la narratrice érode le schéma qui
retrace sa vie.
Dans le premier roman, le temps se fonde sur une bipolarisation passé et futur avec à
chaque fois un retour au temps présent. Chez Boubacar Boris Diop, l’annulation de l’effet de
réel s’appuie sur une fausse distanciation temporelle qui attribue à l’écriture un temps erroné.
Il faudrait aussi signaler que dès les premières lignes, il y a une incertitude sur l’heure de
départ. Ismaïla, le premier narrateur, envahi par l’obscurité de la pièce, jette un regard furtif
sur l’horloge et donne une heure que celle-ci ne semble point affichée : « dans la pénombre de
la chambre à coucher aux persiennes encore closes, les aiguilles de la petite horloge murale
indiquent vaguement qu’il va bientôt être 7h30 » (LTM, 1). Le regard vague que jette Ismaïla
sur l’horloge n’est-il pas les prémices d’une volonté de détruire la progressivité du temps ?
Au premier abord, dans Les tambours de la mémoire, les récits sont imbriqués les uns
dans les autres, présent et passé se chevauchent. Le temps commence à se perturber dès le
récit initial. En évoquant la vie commune de Fadel et de Ndella, le narrateur du moment
Ismaïla fait simultanément des prolepses, en anticipant sur la réaction de sa femme quand il
va lui annoncer la mort de Fadel : « elle est parfaitement capable de me foudroyer quelques
minutes du regard et de grogner quelque chose signifiant à peu près que l’assassinat ou le
suicide de Fadel Sarr ce n’était pas du tout son problème » (LTM, 5-6) ; en faisant de brefs
retours en arrière dans la vie de couple des deux jeunes gens : « Si vous aviez connu Ndella, il
y a une dizaine d’années, je veux dire à l’époque où elle vivait avec Fadel en concubinage…»
(LTM, 6) et enfin en actualisant son récit par cette phrase : « chaque fois que je l’observe
comme en ce moment-ci… » Dans Les tambours de la mémoire, Boris Diop fait beaucoup
référence au passé. Le passé constitue un miroir absolu du présent, il est constamment lié à la
vie des personnages. On pourrait même dire qu’ici l’ordre du passé domine. En effet, dans le
second récit qui ouvre aussi la seconde partie de ce roman, la réception du colis post mortem
de Fadel, permet aux narrateurs de passer en revue les sept années que Fadel Sarr a passées à
Wissombo. Autrement dit, le narrateur part des conséquences pour aboutir aux causes puisque
la mort de Fadel avait déjà été annoncée dans le premier récit.
Par contre, dans le second ouvrage, Camille Laurens évoque, de manière vaguement
chronologique, des épisodes de sa vie: enfance, adolescence, mariage, maternité, divorce et
nouvelles rencontres. La typographie du texte prouve qu’il y a une désarticulation du temps.
Par exemple, entre deux chapitres, elle parle de sa propre naissance et de son mariage, pour
15
ensuite revenir sur son enfance. Il n’y a pas de suite logique entre les événements. La linéarité
du temps est détruite. La narratrice en cure chez un psychiatre raconte selon ses souvenirs et
ses humeurs.
En sus, dans ce roman, la discontinuité temporelle entre dans le fil de l’élaboration d’une
poétique de la destruction du récit. Nous remarquons en effet que les mêmes chapitres
reviennent au fil des pages. La superposition des séquences est notoire. La redondance tantôt
évoquée dans le premier roman se répète ici. En guise d’illustration, les pages 25, 41, 46, 69
sont toutes titrées « le père » la narratrice y évoque sa naissance, son mariage, sa relation avec
son père etc. Le même procédé se répète dans les pages 36, 152, 155, 186, 236 qui sont
intitulées le « mari » où elle évoque entre autres des épisodes de sa vie avec son mari. La
psychanalyse permet à la narratrice d’échapper à une scène de signification qui est plus ou
moins inconsciente en retrouvant par la mémoire et les souvenirs ce qu’elle a déjà vécu. La
redondance entre les chapitres montre que le récit revient toujours sur ses traces. Camille
Laurens détruit la linéarité des événements et fait un va-et-vient continuel dans le passé et
dans le présent. Les chapitres intitulés « seule avec lui » permettent à la narratrice de jouer
avec le temps. La mise en exergue de ces chapitres sur sa cure psychanalytique rend le temps
immobile et statique. Camille Laurens semble être dans le même ordre d’idées que Nathalie
Sarraute. Cette dernière, dans son Ère du Soupçon affirme que : « le temps cesse d’être ce
courant rapide qui poussait en avant l’intrigue pour devenir une eau dormante au fond de
laquelle s’élaborent de lentes et subtiles décompositions»27. Dans ces bras-là, le temps ne
bouge pas, il est stationnaire. La narratrice veut rompre avec la routine, c’est la raison pour
laquelle, elle refuse toute évolution fulgurante du temps. Dès lors, « il n’y eut plus [pour la
narratrice principale] que deux ancrages dans un temps qui dérivait : [son] livre et [ses]
rendez-vous… » (DCBL, 32)
Ne dit-on pas que le temps de la science est réversible tandis que celui de la vie est
irréversible ? Néanmoins, Boris Diop et Camille Laurens vont tenter cette entreprise. Ils
abandonnent l’ordre chronologique et effectuent un télescopage temporel. Dans le roman de
Boris Diop, la juxtaposition des séquences, ainsi que les nombreuses interférences des
narrateurs dans le récit font perdre au lecteur tout point de repère. En revanche, chez Camille
Laurens le passé et le présent alternent selon les chapitres et selon la personne (je ou elle) qui
effectue la narration. Dans les chapitres où la narratrice fait ses confessions cliniques, le
temps est au présent. Et quand elle écrit son récit sur les hommes, le temps patauge dans le

27
Nathalie Sarraute, L’ère du soupçon, essais sur le roman, Paris, Gallimard, 1956, p.65.
16
passé. C’est pourquoi, ces proliférations d’éléments demandent au lecteur un effet de
débrouillage, de repérage et de mémorisation. Il est appelé à être vigilant s’il ne veut pas
perdre le fil des événements. Parfois, il est dans une sensation de déjà lu.
Dans les romans qui respectent la linéarité chronologique, chaque temps a un rôle
particulier à jouer et l’imparfait et le passé simple sont les plus usités. Le premier sert à la
description et le second se charge de la narration. Ces bornes temporelles permettent de
maintenir la cohérence et la linéarité chronologique. Mais avec les nouveaux codes d’écriture
romanesque, la coexistence de différents registres et la fusion des différentes images du
présent, du passé et de l’avenir finissent par abolir la linéarité du temps. Nous constatons que
dans les deux œuvres, la subversion de l’ordre chronologique affecte non seulement l’ordre du
récit, mais elle annihile aussi son déroulement. Car, comme en atteste Francine Dugast-Portes,
« la chronologie et la logique du récit sont étroitement liées»28. De ce fait, les nombreux
retours en arrière suspendent la progression de l’histoire et laissent le lecteur nager dans un
long suspense. Dans ces-bras là, les nombreuses divagations dans le temps sont un prétexte
pour la narratrice amoureuse qui veut prolonger les séances afin de séduire son psychiatre et
de suspendre l’évolution temporelle. Alors que dans Les tambours de la mémoire, il y a un
amalgame constant entre le temps mythique et le temps présent. Parfois, même les
personnages nagent dans cet amalgame du temps car ils ne savent pas à quelle époque de leur
vie ils se trouvent.
Boris Diop et Camille Laurens ont sévèrement déjoué les postulats du temps. Chez
eux, la suite logique des événements est rejetée et le roman devient un véritable art
temporel29. La désagrégation du temps est si captivante et si bouleversante que les deux
écrivains sembleraient être dans la même optique qu’Alain Robbe-Grillet qui considère dans
son ouvrage critique sur le Nouveau Roman le temps «comme le personnage principal du
roman moderne»30. Toutefois, dans Les tambours de la mémoire de même que Dans ces bras-
là, malgré les déviations temporelles, les narrateurs finissent toujours par reconnaître le
présent comme le temps de la réalité. Tous les deux récits s’ouvrent par le présent et sont
aussi clos par le présent. Car le passé n’est plus et le futur n’est pas encore. Seul le présent
demeure le temps de la réalité.

28
Francine Dugast-Portes, Le Nouveau Roman, une césure dans l’histoire du récit, Paris, Nathan/Her, 2001, p.
71.
29
Ce terme nous l’avons emprunté à Roland Bourneuf et Réal Ouellet dans leur ouvrage collectif intitulé,
L’univers du roman, Paris, P.U.F, 1972, p. 128.
30
Alain Robbe-Grillet, Pour un nouveau roman, op. cit., p. 164.
17
D’abord, dans Les tambours de la mémoire, le récit s’ouvre sur le quotidien banal du
couple Ismaïla/Ndella : « Les premiers bruits de la ville me parviennent comme étouffés […]
Je tourne lentement la tête du côté du mur : comme je m’y attendais, la place de Ndella est
vide » (LTM, 1) La destruction de la linéarité du temps débute avec ce retour dans le passé :
« Fadel se trouvait depuis quelques années à Wissombo, capitale de l’ancien royaume du
même nom […], Je me souviens que depuis notre départ de chez Ndella… » (LTM, 8) À partir
de cette évocation, le temps ne retrouvera son circuit normal qu’à la fin des divagations
mémorielles « Ce matin Aïda a débarqué ici à l’improviste et m’as demandé… » (LTM, 232).
Également, Dans ces bras-là, la charpente du temps est plus ou moins identique avec celle du
premier roman. Le chapitre qui ouvre le récit sur les hommes est intitulé, « L’éditeur » : « Il
[l’éditeur] vient de lire son roman » (DCBL, 23). Le contenu du roman fera l’objet du sujet
du livre, les souvenirs d’un passé vécu avec les hommes. Le même chapitre revient avant les
deux derniers chapitres pour marquer la fin du récit mémoriel et redonner au temps sa
linéarité : « […] Il veut savoir s’il lira bientôt les derniers chapitres du roman. Elle lui dit que
c’est fini, qu’elle a fini, qu’il n’y a plus qu’à lui donner un nom, à réfléchir au titre définitif »
(DCBL, 303).
En somme, dans les deux œuvres le schéma normal du temps est bouleversé. Les
analepses et les prolepses servent à estomper la progression du temps. Le temps des
événements racontés et le temps qui prend en charge la narration desdits événements sont
dichotomiques. Aussi le mariage des temps sert-il à brouiller le réel.

18
II-1 Ambivalence énonciative : polyphonie narrative

Parler de voix narrative suggère les questions qui est le narrateur ? Selon Gérard
Genette, « le choix du narrateur est entre deux attitudes narratives : faire raconter l’histoire
par l’un des personnages, ou par un narrateur étranger à cette histoire»31. Aussi distinguera-
t-il deux types de récit : « l’un à narrateur absent de l’histoire qu’il raconte, l’autre à
narrateur présent comme personnage dans l’histoire qu’il raconte. Le premier est
hétérodiégétique et le second est homodiégétique»32. Les deux positions du narrateur sont
perceptibles dans Les tambours de la mémoire. Les principaux narrateurs Ismaïla et Ndella
sont extradiégétiques quand ils rapportent, grâce au legs scriptural de Fadel, les sept années
que celui-ci a passées à Wissombo. Ils sont aussi autodiégétiques car en plus d’être mêlés à
l’histoire qu’ils racontent, leur destin est intrinsèquement lié à celui de Fadel. Également, dans
le roman de Camille Laurens, cette dichotomie narrative est omniprésente mais de manière
moins complexe. Quand la narration est faite à la première personne « je », le récit est
homodiégétique alors qu’il est hétérodiégétique quand il est assuré par la troisième personne
« elle », dans ce cas la focalisation est omnisciente.
Concept émanant de la musique, la polyphonie est l’empiétement de deux, voire
plusieurs voix dans un même énoncé. L’emboitement des voix narratives a été depuis
longtemps présent dans la littérature. Déjà, dès le XVIIIèmesiècle, Denis Diderot en posait les
préambules avec son roman d’aventure, Jacques le Fataliste33. Cette polyphonie sera aussi
présente dans Les faux-monnayeurs34 d’André Gide. Également, en Afrique avec l’ère du
renouvellement, les auteurs s’engagent dans l’univers plurivocal. Henri Lopes dans Le
Pleurer-Rire35, Ahmadou Kourouma dans Monnè, outrages et défis36 et Sony Labou Tansi
dans La vie et demie37, innovent dans la tradition romanesque par la subversion et l’invention
en abandonnant la monodie au profit de la polyphonie.
Dans le roman polyphonique, le narrateur suspend par moment son point de vue, et
laisse le soin à ses personnages de mener la narration. Néanmoins, dans le cas d’un récit
mémoriel, la manière de raconter peut être déroutante pour un lecteur non averti. Les
personnages s’approprient le récit principal et chacun narre l’histoire selon le rythme de ses
souvenirs. C’est pourquoi dans le roman de Boris Diop, une seule et même histoire peut faire

31
Gérard Genette, Figures III, op.cit., p. 252.
32
Ibid.
33
Denis Diderot, Jacques le fataliste (1796), Paris, LGF, coll. « poche », 2000.
34
André Gide, Les faux-monnayeurs, éd. citée, 1925.
35
Henri Lopes, Le Pleurer-Rire, Paris, Présence Africaine, 1982.
36
Ahmadou Kourouma, Monnè, outrages et défis, Paris, Seuil, 1990.
37
Sony Labou Tansi, La vie et demie, Paris, Seuil, 1979.
19
l’objet de plusieurs récits. Par exemple, la bagarre opposant Johanna à Niakoly est racontée à
deux reprises par deux personnages, Niakoly lui-même et Boureïma, mais le contenu de leur
récit est totalement différent.
Aussi, les personnages, affranchis d’un narrateur omniscient, assurent-ils par eux-
mêmes l’instance narrative. Tout y est mosaïque, le récit se transforme en un véritable puzzle.
La présence de multiples narrateurs permet la mise en place d'une polyphonie qui se déploie
sous forme de différentes idéologies structurant le texte. Le roman devient le lieu de la
pluridiscursivité où s’inscrit un conflit de plusieurs voix narratives incarnant différentes
vérités et différentes consciences. Préfaçant La poétique de Dostoïevski écrit par Mikhaïl
Bakhtine, Julia Kristeva affirme que « le texte polyphonique n’a pas d’idéologie propre, car il
n’a pas de sujet. Il est un dispositif où les idéologies s’exposent et s’épuisent dans leurs
confrontation.»38 Principalement, dans le discours mémoriel, les récits testimoniaux se
télescopent et se contredisent. Le lecteur est en face de plusieurs voix et de plusieurs vérités.
Il faut considérer que la polyphonie n’aboutit pas à l’enlisement total de l’auteur. Ce
dernier peut choisir de se déguiser mais il ne disparaît jamais. Les personnages-narrateurs se
tiennent à la vérité toute nue. Quand ils ne savent pas, ils disent qu’ils ne savent pas, ils sont
sans prétention. Boris Diop et Camille Laurens font souvent irruption dans leur texte. Ils font
des commentaires, éclairent des informations plus ou moins confuses et corrigent quelques
lacunes narratives. Ce brouillage énonciatif déconcerte le lecteur qui repère difficilement la
voix qui parle. Par exemple, dans Les tambours de la mémoire, l’auteur revient sur le récit de
ses personnages-narrateurs, eux-mêmes conscients de leur incompétence face au rapport de
certains événements. La profusion de voix qui n’appartiennent pas aux narrateurs est une
preuve incontestable de la présence de l’auteur. C’est ce que nous constatons dans ces
exemples : « [Ismaïla fait remarquer à ce propos] (LTM, 74), [À ce propos Ndella a tenu à
donner la précision suivante] (LTM, 89), [Selon Ismaïla, il est permis de supposer] (LTM,
113) ». Toutefois, Dans ces bras-là, la présence physique de l’auteur est plus visible, car les
principaux narrateurs « je » et « elle» renvoie à l’auteure elle-même. Elle ne peut échapper
aux tentacules du moi, pourtant dès les premières pages, l’auteur précise qu’elle ne sera pas la
femme du livre. Cependant, son dessein, celui d’être présente sans paraître semble promis à
l’échec comme l’indiquent ces illustrations : « je donnerais au personnage ce trait précis de
mon caractère ; je serais donc aussi ce personnage » (DCBL, 17). Dans ce roman, l’ombre de

38
Mikhaïl Bakhtine, La poétique de Dostoïevski (1929), Paris, Seuil, 1970, p.18.
20
l’auteur est omniprésent. Camille Laurens et Boris Diop pénètrent dans leur texte et y sortent
quand ils veulent.
Aussi, la polyphonie participe-t-elle au brouillage des pistes et à la subversion de
l’ordre temporel. En effet, les nombreux récits testimoniaux des personnages finissent par
perturber la linéarité du temps. Par exemple, Dans ces bras-là, le « je » tend plus vers le
présent car la plupart des faits sont accomplis dans le présent. Les séances de cure permettent
à la romancière d’actualiser son roman dans le présent. Mais aussi ces séances annihilent la
continuité narrative et déroutent le lecteur dans sa lecture. C’est un récit feint comme elle le
souligne dans cette phrase : « je vais dire des évidences, des choses que vous entendez tous les
jours, que vous savez, des banalités à longueur de temps (…) » (DCBL, 33). Et c’est ce récit
feint qui permet d’effriter le temps. Alors que le récit mené par la troisième personne, « elle »,
soulève des souvenirs du passé. La combinaison de plusieurs voix dans la narration permet
d’élargir l’horizon énonciatif. Dans le roman de Boris Diop, si certains personnages-
narrateurs à l’image d’Ismaïla et de sa femme semblent vivre dans le présent et veulent
constamment y rester, d’autres, par contre refusent d’abolir le passé, c’est le cas de Fadel
toujours hanté par le souvenir de Johanna.
Parallèlement, dans Les tambours de la mémoire et Dans ces bras-là la polyphonie
narrative est prépondérante. Toutefois la multiplicité vocale se déploie différemment dans les
deux romans. Si Camille Laurens utilise alternativement la première personne « je » qui
représente le discours oral direct et la troisième personne « elle » qui effectue l’anamnèse,
Boris Diop, par contre cède la parole à ses personnages qui ont chacun une vérité à dire. Le
récit chez ces deux auteurs adopte des orientations très complexes.
D’abord, dans le roman de Boris Diop, la polyphonie narrative passe par le
témoignage des personnages qui se relaient la narration. L’écriture romanesque devient une
entreprise commune. Rien ne se raconte en bloc, les récits y sont disparates. Les mêmes
événements sont racontés par plusieurs narrateurs avec diverses versions des faits. Cette
narration dilate la continuité temporelle et multiplie les instances narratives. Dans Les
tambours de la mémoire, Ismaïla aidé de sa femme Ndella tente de reconstruire les notes
laissées par Fadel. Les deux narrateurs évoquent les souvenirs de celui-ci et son attachement
obsessionnel à Johanna Simentho. L’évocation de cette dernière excite la conscience
collective et fait balader la parole entre les personnages qui tentent tant bien que mal de se
souvenir de ladite reine. De Dakar à Wissombo, entre des intrigues qui s’enchâssent les unes
dans les autres, les narrateurs tentent de relater les sept années qui ont précédé la mort de
Fadel Sarr. Dans le récit premier, après l’annonce de la mort de Fadel, le premier narrateur
21
Ismaïla fait un succinct portrait de Fadel et de sa famille. Il retrace l’itinéraire de ce dernier
jusqu’à son dernier voyage à Wissombo. Ce récit sera interrompu par l’arrivée d’un colis
provenant de Wissombo et contenant les notes de Fadel. Ce sont ces notes relues et
retravaillées par Ismaïla et sa femme qui vont constituer la deuxième partie du roman.
La seconde partie s’ouvre sur le conte de Badou qui narre la naissance mystique et
mythique de Johanna. Ce conte fera basculer la vie de Fadel qui va à la recherche de Johanna
pour se faire pardonner selon lui, la faute du père. C’est à partir de la vie de Fadel que les
narrateurs vont essayer de retracer le parcours de l’intrépide Johanna. Toutefois, les deux
narrateurs principaux, souvent envahis par le doute reviennent sur leur récit par des éclairages
ou des commentaires ajoutés. C’est ce que nous constatons dans ce commentaire fait par
Ismaïla : « Ndella et moi ne pouvons certes pas prétendre au statut enviable des romanciers,
n’ayant rien inventé ni une histoire ni des personnages» (LTM, 50). Ceci dit, ils n’ont fait
que remettre de l’ordre dans les notes éparses de Fadel. Aussi ne sont-ils que de simples
« écrivants »39qui partent pour la première fois à l’aventure de l’écriture. Ismaïla et sa femme
découvrent en même temps que les lecteurs ce que furent les sept années de vie de Fadel à
Wissombo. Ils récusent toute omniscience. Enfin, dans la dernière partie, il y a rupture
générale dans la narration. L’ouverture de la lettre de Fadel à son frère Badou octroie par
moment la parole à Fadel qui raconte par le concours de ses rapporteurs, sa vie à Wissombo.
On assiste à l’épilogue du récit de vie de Fadel. Ndella prend enfin le relais d’Ismaïla pour
terminer le récit sur Fadel et remettre le cahier dans lequel ils ont restitué toute l’histoire de
celui-ci à sa sœur Aïda. Les narrateurs sonnent le glas de leur mission et le dernier récit fait
par Ndella actualise de nouveau le présent. La narratrice stimule la curiosité du lecteur sans la
satisfaire. Car, on peut raconter le passé et se projeter dans le futur mais le présent on le vit
instantanément.
En revanche, chez Camille Laurens la polyphonie narrative est assurée par la première
personne du singulier « je » et par la troisième personne du même nombre « elle ». Dans les
chapitres intitulés « seule avec lui », c’est-à-dire au moment où la narratrice s’adresse
directement à son psychanalyste, la narration est à la première personne du singulier. Et c’est
ce que nous remarquons dès l’incipit du premier chapitre qui débute comme suit : « je ne sais
pas vraiment comment le dire (…) je vous intéresse ? » (DCBL, 33). C’est un monologue
intérieur. La narratrice s’adresse à son psychiatre dont l’identité est déclinée. Elle feint un
dialogue avec ce dernier mais en retour c’est la seule qui parle. C’est ce vide de

39
Ce terme nous l’empruntons à Roland Barthes dans Essais critiques « écrivains et écrivants », Paris, Seuil,
1964.
22
communication que nous constatons dans ce passage : « je fais silence pour vous entendre,
vous ne dites rien, sinon, et j’ai envie que vous parliez, que votre voix me rejoigne, que votre
voix me touche» (DCBL, 176). Ce sont ces errements de l’esprit de la narratrice qui
bouleversent la logique et la chronologie de la structure narrative. Néanmoins, dans les
chapitres qui portent sur les hommes, la narration se fait à la troisième personne et la
narratrice cultive une distanciation avec son texte, malgré une profusion d’épisodes
autobiographiques.
Chez cette romancière, le « je » est un leurre et un prétexte pour brouiller le lecteur.
C’est ce que nous constatons dans le chapitre intitulé le mari qui débute ainsi : « elle le
connait depuis une minute lorsqu’ils s’approchent à se toucher » (DCBL, 36). Dans ce
roman, le récit est en fait constitué de chapitres courts, à la forme variée : énumérations,
monologues intérieurs qui alternent entre le « je » et le « elle ». Dans ces bras-là, le
changement de pronoms contribue au brouillage du texte. Le "je", c'est sa voix à elle, celle de
l’auteur. C’est le soliloque qui brouille les canons narratifs. C'est une présence physique car la
narratrice se raconte spontanément. Le pronom « elle » c'est davantage de l'écriture, il marque
l’indifférence et la distanciation de l’auteur par rapport à son texte. La première personne,
« je » est dans le présent tandis que la troisième personne, « elle » a une autre temporalité.
C'est souvent le "je" du passé que Camille Laurens tente de réincarner dans la troisième
personne afin de cultiver une distance avec son propre récit. La polyphonie multiplie les
instances narratives mais elle contribue aussi à l’enlisement du temps.
Dans les deux romans, l’ambivalence énonciative apparaît clairement. Et, la
polyphonie narrative y rime avec la polyphonie des consciences. Les séquences narratives s’y
juxtaposent et s’y chevauchent. En revanche, c’est un mode narratif qui peut déconcerter le
lecteur car plus la polyphonie est importante plus la difficulté à discerner la voix qui parle se
pose. Le lecteur doit être capable de recoller tous ces pans de l’histoire qu’incarnent plusieurs
mémoires.
De même, dans les deux romans, l’Intergénéricité participe à l’élargissement de la
polyphonie. Dans ces bras-là, l’insertion des chants, des poèmes et d’autres genres fait
pénétrer d’autres voix dans le texte. C’est le cas ici où la voix de La Marquise et de Lisette,
deux des personnages principaux de la pièce de Marivaux, retentissent : « La Marquise : j’ai
tout perdu, vous dis-je. / Lisette : Tout perdu ! Vous me faites trembler est-ce que tous les
hommes sont morts ?» (DCBL, 193). Vont aussi résonner les voix du Taô, de Hugo, de
Rimbaud, et celles des chanteurs comme Johny, Delpech et autres. C’est la variété des voix et
des discours qui fait de ce roman une véritable cacophonie.
23
Également, dans Les tambours de la mémoire, l’insertion de la pièce de théâtre jouée
par Fadel et les habitants de Wissombo, élargie l’univers énonciatif du roman. L’on entend les
voix de Sinkelo, de Doumbouya, de Niakoly, des trois villageois, des gardes, de Tonga, et de
Boureïma, l’aveugle. Citons cette scène pour matérialiser la polyphonie tantôt
évoquée : « Chef Niakoly : Que veux-tu exactement Johanna ?/ Johanna : Je ne veux rien
pour moi […] Premier villageois : le chef a dit la vérité / Deuxième villageois : Puisque
Johanna est devenue folle, qu’elle retourne d’où elle est venu ! » (LTM, 193-194).
En somme, à l’issu de ce premier chapitre, nous avons fait le constat selon lequel dans
les deux romans, les codes narratifs ont atteint le paroxysme de la subversion. Le temps y est
érodé et réduit au néant. C’est un temps subjectif qui épouse la conscience et les souvenirs des
personnages. Les voix narratives, quant à elles, s’emboitent, s’enchevêtrent et se contrastent.
On assiste à la remise en cause du narrateur omniscient, d’où le choix des auteurs à toujours
donner la parole à leurs personnages.

24
Chapitre II : hybridation du roman contemporain
Le choc des genres est apparent dans le roman contemporain. Conformément à
François Harvey dans son étude sur le roman composite robbe-grillétien, nous assistons à la
période de décloisonnement40. Le roman devient un genre-mère à la portée de tout genre
littéraire et de tout art. Les romans de l’époque contemporaine s’identifient par leur ouverture
et leur caractère hétérogène. Nous y retrouvons tout type de discours et tout type d’art.
D’autant plus que la musique, le cinéma et les autres types d’art sont vivement présents dans
le texte romanesque. Avec l’avènement du roman contemporain, la question du genre est
transcendée au profit de l’Intergénéricité, les normes d’écriture ne trouvent plus leur faveur
chez les néo-romanciers. Les barrières de la littérature sont supprimées et le chemin est balisé
pour l’enchevêtrement des genres. C’est la raison pour laquelle, la notion de genre est
perpétuellement remise en cause. En d’autres termes, le texte se libère de la « carapace de
l’œuvre et des chaînes du genre »41.
Dans Les tambours de la mémoire et Dans ces bras-là, l’hybridité générique du texte
est ostensible. Ainsi, le mélange des genres, l’enchâssement des récits secondaires, la mise en
abyme, l’amalgame du réel et de la fiction et la pratique intertextuelle y sont non-
négligeables. Camille Laurens et Boubacar Boris Diop refusent de cloisonner leur texte dans
un genre donné. Le récit, dans ces deux romans est un véritable chaos : le vrai y est anéanti
pour servir le faux-semblant et vice versa ; des récits secondaires s’engouffrent dans le récit
principal à tel point que le lecteur n’arrive pas à reconnaitre l’intrigue principale. Aussi, les
allusions aux autres types d’art, les citations et la ressemblance dans la pratique intertextuelle
avec d’autres auteurs ne manquent-elles pas d’ouvrir le texte sur d’autres horizons.
Dans une perspective d’étude de l’aspect hybride des romans de notre corpus,
l’entremêlement de la fiction et du réel dans le récit, l’enchâssement des récits secondaires, la
mise en abyme et l’intertextualité vont constituer le plan de l’ultime chapitre de notre
première partie.

40
François Harvey, Alain Robbe-Grillet : le nouveau roman composite, Intergénéricité et intermédialité, Paris,
L’Harmattan, 2011, p.11.
41
Ibid., p. 20.
25
II-1 Récits entre réalité et fiction
À la différence des réalistes qui composent des ouvrages fondés sur une intrigue et une
temporalité cohérente, Boris Diop et Camille Laurens laissent le temps patauger dans la
désarticulation. Le récit romanesque se partage entre le factuel et le fictionnel. Sur la
couverture d’un livre où la mention roman est apparente, le lecteur est invité à ne pas prendre
à la lettre l’histoire qui y est relatée. Le roman n’est plus la restitution fidèle et cohérente de la
réalité, mais le réceptacle du vrai et du faux. Le problème de la vérité se pose toujours. Dans
les deux romans, le fictif et le référent s’entremêlent constamment.
D’abord, la fiction c’est le monde représenté dans le texte, les espaces et les
personnages peints n’existent que dans et par le texte. Alors que le réel c’est le monde tel
qu’il est donné en dehors du texte, c'est-à-dire que toutes les références données sont connues.
Pourtant, même au XIXème où les grandes figures de la littérature disaient être les imitateurs
du réel, il y avait toujours une intrusion de l’imaginaire. Et Barthes de dire dans S/Z :
Dans le roman le plus réel, le référent n’a pas de « réalité », (…) ce qu’on appelle
« réel » (dans la théorie du texte réaliste) n’est jamais qu’un code de représentation, ce
n’est jamais un code d’exécution : le réel romanesque n’est pas opérable.42
Le roman n’a jamais été le reflet parfait du réel car généralement, la garantie des récits
romanesques est formée de faits relevant soit de l’histoire, soit de la vie quotidienne ou d’une
tranche de vie et le plus souvent des grandes figures historiques. Selon Jean Sob « Dans la
fiction littéraire, il y a toujours un partage entre histoire et fiction. Le genre romanesque
narratif repose sur un jeu entre fiction et fabulation romanesque d’une part et d’autre part
une représentation de la mémoire qui lui confère une certaine garantie »43.
Toutefois, histoire et fiction sont intrinsèquement liées, chacune a besoin de l’autre
pour s’accomplir. Paul Ricœur ne semble pas être aux antipodes de nos propos, il affirme
que : « L’histoire se sert de quelque façon de la fiction pour refigurer le temps, et où, d’autre
part, la fiction se sert de l’histoire dans le même dessein.»44 L’histoire permet au temps
littéraire d’avoir une place dans le temps universel. Même si Johanna Simentho n’est que le
fruit d’une imagination, l’usage de la biographie d’Aliin Sitooye Jaata, figure historique
nationale, lui donne en quelque sorte une identité. Bien sûr, cette identité est juste littéraire,
livresque.
Dans Les tambours de la mémoire et Dans ces bras-là, la mémoire est mise au service
de la fiction. Le premier comporte en arrière fond de la fiction une représentation littéraire de

42
Roland Barthes, S/Z, Paris, Ed du Seuil, 1970, p. 87.
43
Jean Sob, L’impératif romanesque de Boubacar Boris Diop, op.cit., p. 58.
44
Paul Ricœur, Temps et récit, Tome III, Paris, Seuil, 1985, p. 265.
26
la vie de l’héroïne casamançaise Aliin Sitooye Jaata dont la reine de Wissombo Johanna
Simentho est le double fictif. Également, Dans ces bras-là, l’arrière fond du récit romanesque
est la propre vie de l’auteur. Cependant par supercherie romanesque, Camille Laurens
parraine sa vie à la narratrice principale, « elle ». Dans les deux textes, le lecteur averti détecte
dès les premières lignes le jeu de double et de dupe auxquels s’adonnent les narrateurs. Le
propre du romancier, ce monsieur autorisé à dire n’importe quoi au nom de l’imagination45,
selon Bernard Valette : « est d’être un mythomane talentueux ou génial »46. Néanmoins à la
manière de Barthes, le lecteur se posera des questions à savoir si les éléments de la narration
signifient- ils la réalité.
Dans ces bras-là, le lecteur qui détient les clefs autobiographiques de l’auteur repère
immédiatement la feinte narrative, quand la narratrice déclare : « je ne serais pas la femme du
livre. Ce serait un roman, ce serait un personnage, qui ne se dessinerait justement qu’à la
lumière des hommes rencontrés » (DCBL, 17). Un projet de destruction du réel dans ce cas
est mis en place par la narratrice qui fait passer le vrai pour le faux. Tout le contraire
s’effectue dans Les tambours de la mémoire où le personnage sur lequel la narration est
principalement accentuée, Fadel mêle réalité et fiction. Il veut à tout prix faire pénétrer
l’imaginaire dans le réel. Dans Les tambours de la mémoire, les personnages peuvent être
scindés en deux groupes : ceux qui croient à l’existence de Johanna et ceux qui sont
convaincus que cette femme est le fruit de l’imagination de Fadel. Si Boureïma et Niakoly par
leur discours testimonial attestent l’existence de Johanna qu’ils considèrent comme la reine de
Wissombo, Ismaïla, Ndella et toute la famille Sarr font heurter la crédibilité de Fadel à de
nombreuses incertitudes. Quand bien même si nous nous basons sur les informations
vraisemblables qu’apporte Ndella, la narratrice du moment, les références fournies peuvent
créer la confusion dans l’esprit du lecteur, car ces dates lui sont probablement familières.
Eh bien voilà, Fadel ! Je te concède que Johanna Simentho n’est pas un être
imaginaire. Je sais qu’elle est née en 1920 et qu’il est même possible qu’elle soit
encore vivante. On l’a vue pour la dernière fois, paraît-il, à Toumbouctou en 1946
(LTM, 19).
Toutes ces références biographiques renvoient indubitablement à Aliin Sitooye Jaata qui
s’était farouchement opposée à la domination coloniale. Les contours de notre assertion se
dessineront au fur et à mesure que nous avancerons dans notre analyse.
D’abord, chez Camille Laurens, le factuel passe pour le fictionnel. Paradoxalement,
dans ce roman, le « je » traduit moins la vie de l’auteur que la troisième personne « elle » qui

45
Boubacar Boris Diop, Le temps de Tamango, Paris, L’Harmattan, coll. « Encres noires », 1981, p.135.
46
Bernard Valette, Esthétique du roman moderne, Paris, Nathan, 1993, p.92.
27
est l’alter ego de l’auteur. L’écrivaine française s’adonne à ce que Vincent Colonna nomme la
fictionnalisation de soi, « la démarche qui consiste à faire de soi un sujet imaginaire, à
raconter une histoire en mettant directement à contribution, en collaborant à la fable, en
devenant un élément de son invention ».47 Camille Laurens laisse épars les épisodes de sa vie
dans le texte qui traite au premier plan des hommes. Néanmoins, nous remarquons que ce sont
les pages de sa vie qui s’ouvrent et qui se lisent en filigrane au fur et à mesure que nous
avançons dans le récit. En plus, le paradoxe heurte la raison dans ce roman, lisons cette
assertion de la narratrice : « je donnerais au personnage ce trait précis de mon caractère »
(DCBL, 17). Cette citation et celle citée supra sont ambivalentes. La narratrice tient à tout
prix à brouiller les pistes. De manière plus ou moins banale, elle veut faire croire au lecteur
« que ce n’est pas [sa vie] qu’elle écrit mais un roman » (DCBL, 21). Aussi nous sommes
nous permis de sortir du texte pour convoquer les éléments biographiques de l’auteur afin de
confirmer que le récit valse entre réel et fiction. Conformément à Valette : « le réalisme
suppose une saturation des signes référentiels ».48 Comme Camille Laurens, la narratrice
Dans ces bras-là est aussi écrivaine comme l’atteste la présence de l’éditeur. De surcroit,
l’usage du prénom épicène, Camille comme pseudonyme accentue l’ambigüité sur cette
écrivaine. Camille Laurens n’est que le dérivé du vrai prénom de l’auteur, Laurence Ruel.
Même si elle a décidé de garder l’anonymat de sa narratrice qui est sa représentante, le lecteur
comprend l’arrière-pensée esthétique de l’auteur qui n’est rien d’autre que de faire admettre la
réalité pour la fiction.
Si Dans ces bras-là, le vrai est feint, la tendance est renversée dans Les tambours de
la mémoire où la fiction est vécue comme réelle par les protagonistes. La profusion des
témoignages, le recours aux archives et l’implication du lecteur dans le récit en l’invitant à
vérifier certaines preuves qui n’existent que dans le roman qu’il est en train de lire, ont pour
but de détruire l’illusion réaliste et de manifester la matérialité du livre comme support de
l’histoire racontée.
En d’autres termes, l’amalgame du réel et du fictif dans Les tambours de la mémoire
passe par le mélange des temps à travers l’évocation des événements quotidiens, historiques et
réels et de la politique. Dans la citation suivante, Ismaïla, narrateur actuel veut inclure le
romanesque dans le réel : « le nom de Fadel ne vous dira probablement rien [bien sûr vu que
Fadel n’existe que dans la fiction]. Mais vous ne pouvez ne pas avoir entendu parler de son

47
Vincent Colonna, « L’autofiction, essai sur la fictionnalisation de soi en littérature », thèse inédite sous la
direction de Gérard Genette, E.H.E.S.S, 1989, p.9.
48
Bernard Valette, Esthétique du roman moderne, Paris, Nathan, 1993, p.9.
28
père EL Hadji Madické Sarr, ministre de ceci et de cela (…) » (LTM, 6). Le narrateur veut à
tout prix authentifier l’existence de ce personnage et veut entraîner le lecteur dans son délire.
Aussi, la confusion du temps est-elle prégnante chez les personnages borisiens qui semblent
ne point connaître à quelle époque de leur vie ils se trouvent. De tous, Fadel est le plus
excentrique, ce dernier effectue le voyage de Dakar à Wissombo à la recherche de la reine
« qu’on disait morte mais visible, vivante mais invisible » (LTM, 28). Son voyage, dit Sob,
« est vécu comme l’abolition des coordonnées spatio-temporelles et la plongée dans les temps
mythiques »49. Tout comme Ismaïla, il serait judicieux que nous lecteurs nous nous posions la
question à savoir si Fadel n’aurait-il pas inventé « cette histoire compliquée pour justifier ses
somptueux états d’âme de fils de milliardaire oisif et pas trop bête » (LTM, 9). Cette reine
« immatérielle et réelle, nulle trace d’elle comme si elle se trouvait nulle part et ailleurs »
(LTM, 89) fait grincer la raison du lecteur. Impossible de croire que Fadel puisse vivre dans la
même époque que Johanna Simentho. Et l’on est plus choqué de songer qu’il va à la recherche
d’une personne qui est peut-être morte depuis les temps immémoriaux. Johanna Simentho
n’est qu’un prétexte littéraire que Boris Diop a trouvé pour réactualiser une vieille histoire,
celle d’Aliin Sitooye Jaata. Ainsi tout semble contredire Fadel qui a décidé d’installer
rageusement « le mythe au cœur du réel quitte à faire grincer le raisonnable » (LTM, 91).
D’ailleurs, aux archives, les documents sont restés muets quant à l’existence d’une certaine
Johanna Simentho bien que Fadel pense à une ruse politique pour effacer l’existence de cette
résistante anticoloniale. Celle qu’il cherchait au contraire y était « constamment appelée Aliin
Sitooye Jaata » (LTM, 61). Cette ressemblance loin d’être anodine montre au lecteur que
Johanna Simentho n’est qu’une parade narrative dont s’est servie Boris Diop pour créer son
œuvre et faire ressurgir la mémoire collective.
En outre, on note aussi le dédoublement des personnages dans les différents récits.
Dans ces bras-là, « je » est le double fictif de « elle ». Paradoxalement, la troisième personne
renvoie constamment à l’auteure et traduit sans aucun doute la vie de cette dernière, tandis
que « je » est l’autre part de la narratrice, il exalte les refoulements et les sensations les plus
profondes de la narratrice. La première personne, « je » permet à la narratrice de faire la
lecture de sa propre vie, elle lui permet d’effectuer sa thérapie. De même, dans Les tambours
de la mémoire, Fadel Sarr se représente l’image de son double:
Lui, Fadel, il vient d’ouvrir à l’improviste le portail du vaste jardin, il se voit lui-même
étendu sur une chaise pliante (…), il voit aussi Madické, le père de Fadel, debout face

49
Jean Sob, L’impératif romanesque de Boubacar Boris Diop, op.cit., p. 85.

29
à son fils, épervier prêt à fondre sur sa proie, Madické ne sait pas qu’un autre Fadel, le
vrai se tient derrière lui(…) » (LTM, 114).
Toujours dans le but d’amalgamer le vrai et le faux, la narratrice de Dans ces bras-là utilise
des sobriquets pour nommer les hommes de sa vie certainement dans le but de masquer la
réalité et de maintenir l’ambigüité sur elle. Nous avons des dénominations comme « le
premier amour », « le père », « le mari », « l’amant », « l’homme du fantasme »,
« l’inconnu », « l’acteur », « le frère » etc... Toutefois, pour rendre moins imaginaire certains
des hommes de sa vie, la narratrice cite directement leurs noms. À ce propos elle dit :
À ce point de l’histoire, elle ferait bien une exception à la loi du roman. Peut-être elle
ne veut pas que semble imaginaire cet homme dont la blessure ne l’est pas. Elle
aimerait donc écrire son nom, son vrai nom jamais oublié (…) Régis Arbez, je
t’aimais, tu sais (DCBL, 83).
Devrions nous sous-entendre que les autres hommes, ceux désignés par un sobriquet sont
imaginaires ? Pourtant, le lecteur averti ne doit pas se laisser amadouer par ce jeu d’auteur.
Contrairement dans Les tambours de la mémoire, les personnages sont désignés par des noms
fictifs et certains noms surtout ceux qui relèvent de la politique-fiction sont étrangers à la
nomenclature sénégalaise, par exemple : Adelezo et Niakoly.
Dans les deux romans, les personnages sur lesquels porte la narration semblent
s’abandonner au délire et à l’hallucination.
D’abord, Fadel est un personnage à l’esprit fragile et incapable de percevoir la
différence entre réalité et fiction, il semble vouloir « rester en enfance et bercer les récits
mélodieux de sa propre mémoire » (LTM, 113). Étrangement, il est le seul à se rappeler
que Johanna a travaillé comme bonne dans la maison familiale. Également, la narratrice des
chapitres intitulés « Seule avec lui » se laisse dominer par les fariboles qu’elle raconte à son
psychiatre. Parfois même, face à son médecin, elle semble être au bout de
l’hystérie: « comment sait-on quand c’est fini‒est-ce que j’aime mon mari, est-ce que je vous
aime‒est-ce que je sais ? Si je suis folle, qu’est-ce que vous en savez ? » (DCBL, 301).
Pourtant cette folie que l’on repère chez ces personnages a sans doute permis aux narrateurs
de mener à bien l’enchâssement. Dans Les tambours de la mémoire, le colis contenant les
notes de Fadel et sa longue lettre a permis de dérouler l’enchâssement qui a fini même
d’enterrer le récit cadre. De manière plus au moins variée, Dans ces bras-là les récits qui
traduisent les séances de cure de la narratrice, alternent avec le récit cadre qui porte sur les
hommes.
En somme, les faits narrés dans les deux textes sont situés entre réalité et fiction. Rien
n’est tout à fait vrai et rien n’est tout à fait faux. Tout s’amalgame et tout se confond dans la

30
tête du lecteur. Et, n’oublions pas aussi que Les tambours de la mémoire et Dans ces bras-là
sont des romans où la réalité s’effrite au fur et à mesure que les souvenirs s’effectuent. De
manière plus ou moins subjective, insipide serait le roman s’il ne nous rapportait que le
quotidien mortifère de la vie, car les lecteurs ont parfois besoin de fabuler avec l’auteur pour
s’évader de la routine. Les tambours de la mémoire et Dans ces bras-là sont des romans qui
accordent une place importante à la mémoire c’est la raison pour laquelle, les narrateurs font
recours à la fiction pour combler les trous causés par la réminiscence. Si chez Camille
Laurens on mentionne un certain refus de la réalité car celle-ci n’est pas perçue dans sa
totalité mais par bribes, chez Boris Diop, par contre, on note un dessein de réécrire les pages
de l’histoire du Sénégal en passant par la parodie du mythe. Les propos de Papa Samba Diop
accentuent l’importance et la part belle de la fiction dans la composition romanesque :
Si le roman ne vit que de l’actualité sociale ou politique d’une entité nationale, il court
le risque de perdre les possibilités infinies de la fiction. La nouvelle génération est
consciente de cette menace. D’où sa volonté de substituer aux grands sujets
patriotiques et à la répétition des types de personnages littéraires (héros historiques,
personnalités charismatiques, autorités religieuses) l’inépuisable pluralité des
individus.50
II-2 Récits enchâssés et mise en abyme
Le récit enchâssé est le récit que raconte un autre personnage narrateur et qui s’insère
ainsi dans le premier récit. Pour revenir aux récits qui nous concernent à savoir Les tambours
de la mémoire et Dans ces bras-là, l’enchâssement y est pratiqué de manière excentrique
puisque le récit cadre est dévoré par les récits secondaires qui sont généralement courts. La
charpente de l’enchâssement s’apparente différemment dans les deux récits. Dans Les
tambours de la mémoire, le récit cadre est suspendu à la page 51 qui marque le début de la
reconstitution du manuscrit retrouvé de Fadel jusqu’à la page 215 fin de l’assemblage des
notes. Ainsi le macro-récit s’amenuise au profit du micro-récit. De manière plus équilibrée,
Dans ces bras-là, les récits qui enchâssent c'est-à-dire ceux qui portent sur les hommes,
alternent avec les récits qui sont enchâssés autrement dit ceux qui mettent en exergue les
séances de cure de la narratrice. Dans ce roman, le récit cadre et le récit enchâssé fonctionnent
comme des croisements de lacet.
D’abord, la densité de l’enchâssement dans Les tambours de la mémoire témoigne de
l’étonnant travail abattu par les principaux narrateurs, Ismaïla et Ndella. Les notes de Fadel
traduisent les sept années passées par celui-ci à Wissombo. De plus, au sein même de ces

50
Papa Samba Diop, « les écrivains francophones subsahariens de la nouvelle génération : de nouveaux rapport à
l’Afrique » dans Écrire l’Afrique aujourd’hui, Palabres vol. VIII, Langres, Éditions Dominique Guéniot, numéro
spécial 2007-2008, p.111.
31
notes éparses, d’autres récits faits par les personnages sont insérés. Comme le souligne Jean
Sob : « dans les textes de Boris, il y a des récits excessivement génératifs qui étouffent le récit
principal ».51 Par sa longueur et la densité de son contenu, la lettre de Fadel (LTM, 148-160)
est le principal récit enchâssé dans Les tambours de la mémoire. En revanche, Dans ces bras-
là, les chapitres intitulés « seule avec lui », mettant en exergue les séances de cure de la
narratrice, constituent les récits enchâssés. Ces chapitres sont insérés entre les chapitres du
récit cadre. Cette pratique d’écriture chez les deux auteurs répond à l’effet de distribution dont
parle Lucien Dällenbach. Toutefois, nous nous sommes intéressés qu’aux deux premiers
points cités infra. Conformément à l’auteur du Récit spéculaire, un récit peut intégrer un autre
récit : « en [le] présentant une seule fois ou en bloc [ou] en [le] morcelant en sorte qu’[il]
alterne avec le récit qui l’enchâsse»52. Appliqués sur les deux récits, Les tambours de la
mémoire répond au premier point. Comme nous l’avons déjà souligné plus haut, dans ce
roman l’enchâssement prend le dessus sur le récit cadre. C’est seulement vers la fin du roman
que les narrateurs reviennent sur le récit d’ouverture. Alors que le second point est patent
Dans ces bras-là où les confessions cliniques de la narratrice constituent les récits enchâssées.
L’enchâssement rend hétérogène le texte romanesque par l’usage des guillemets et de manière
plus fréquent des italiques qui changent la typographie du livre. Aussi faudra-t-il mentionner
que l’enchâssement peut dérouter le lecteur qui passe de récit en récit. Ce dernier se retrouve
face à une mosaïque de récits inachevée. Par exemple, Chez Boris Diop, les apprentis
écrivains n’arrivent jamais au bout de leur projet romanesque. Ils se sentent au-dessous de la
responsabilité auctoriale qui leur a été confiée. Pareillement, chez Camille Laurens, le lecteur
ignore le dénouement de son récit sur les hommes et le pronostic final de ses nombreuses
séances de cure.
Quant à la mise en abyme, sémantiquement elle suscite l’idée de gouffre et de
précipice. Du point de vue littéraire, la mise en abyme est un texte qui engorge un autre texte.
Le mot « en abyme » si nous retournons aux sources a été cité pour la première fois par André
Gide dans son journal. La citation suivante a été mentionnée par Lucien Dällenbach dans son
essai sur la mise en abyme intitulé, Le récit spéculaire, essai sur la mise en abyme:

J’aime assez qu’en une œuvre d’art [écrit Gide en 1893] on retrouve aussi transposé, à
l’échelle des personnages, le sujet même de cette œuvre (…). Ce qui le serait
beaucoup plus, ce qui dirait mieux, ce que j’ai voulu dans mes cahiers(…) c’est la

51
Jean Sob, L’impératif romanesque de Boubacar Boris Diop, op. cit, p. 89.
52
Lucien Dällenbach, Le récit spéculaire, essai sur la mise en abyme, op.cit., p. 82.
32
comparaison avec ce procédé du blason qui consiste, dans le premier, à en mettre un
second « en abyme ».53
Partant de cette citation, l’auteur du récit spéculaire donnera de nouvelles définitions à la
pratique de la mise en abyme : « organe d’un retour de l’œuvre sur elle-même » ; « un texte
qui se miroite sur lui-même »54. Nous remarquons que dans les deux définitions, il y a l’idée
du retour de l’œuvre sur elle-même comme un effet de miroir. Dans Les tambours de la
mémoire et Dans ces bras-là, l’objet du livre revient souvent dans la bouche des personnages
narrateurs. L’écriture de Boris Diop et de Camille Laurens est caractérisée par l’écriture elle-
même. La littérature doit d’abord se refléter elle-même plutôt que de vouloir refléter le
monde.
Aussi Yves Reuter ne définira-t-il pas la mise en abyme « comme le fait qu’un passage
textuel, reflète plus ou moins fidèlement la composition de l’ensemble de l’histoire, ou mettre
à jour plus ou moins explicitement les procédés utilisés pour construire et raconter
l’histoire»55. Dans les deux récits, en plus de l’insertion des récits secondaires, les narrateurs
mettent aussi en abyme leur propre récit en discontinuant par moment la narration qui ne
cesse de revenir sur elle-même. Cette forme de mise en abyme, Vincent Colonna la nomme
techniquement « la mise en abyme du livre ». C'est-à-dire que le narrateur suspend de temps
en temps sa narration pour inclure ses réflexions esthétiques sur le roman qu’il est en train
d’écrire. Dans sa thèse sur « L’autofiction, essai sur la fictionnalisation de soi en littérature »,
Colonna donne une nouvelle orientation à la mise en abyme et déclare que : « est mise en
abyme, toute œuvre dans l’œuvre, toute œuvre sur l’œuvre ou toute œuvre par l’œuvre.»56 Les
tambours de la mémoire et Dans ces bras-là sont des romans en gestation. Les romanciers
vicaires57 réfléchissent toujours à une esthétique qu’ils comptent mettre au point avant de
l’inclure, d’où la profusion des préfaces inclue.
D’abord, dans Les tambours de la mémoire, les personnage-narrateurs se posent
toujours la question du comment écrire. Ils sont ballotés entre doute et renoncement
provisoire comme l’atteste cette mise en abyme du projet de reconstitution du manuscrit
trouvé :
Ndella et moi ne pouvons certes pas prétendre au statut enviable de romanciers,
n’ayant ni inventé une histoire ni des personnages. Malgré le soin que nous avons mis

53
Lucien Dällenbach, Le récit spéculaire, essai sur la mise en abyme, Seuil, coll. « essais », 1977, p.15.
54
Ibid., p.21
55
Yves Reuter, L’analyse du récit, Paris, Nathan, 2000, p. 59.
56
Vincent Colonna, « L’autofiction, essai sur la fictionnalisation de soi en littérature », thèse inédite sous la
direction de Gérard Genette, E.H.E.S.S, 1989, p. 269.
57
Terme emprunté à Lucien Dällenbach dans son livre intitulé, Le récit spéculaire, essai sur la mise en abyme,
op.cit., p. 35.
33
parfois à brouiller les pistes, il serait hautement grotesque de faire insérer au début du
récit un « Avertissement » dans le genre : « Tous les personnages étant le fruit de
l’imagination des auteurs etc.» (LTM, 50).
De la même façon, Dans ces bras-là, la narratrice ne cesse de réfléchir sur son propre roman
au point que le lecteur considère comme virtuel le récit qu’il est en train de lire. À l’issue de
la rédaction du roman, la narratrice va le remettre à son éditeur c’est ce que nous constatons
dans ce passage :
L’éditeur appelle un dimanche. Il veut savoir s’il lira bientôt les derniers chapitres du
roman (…). Elle lui dit que c’est fini, qu’elle a fini, qu’il n’y a plus qu’à lui donner un
nom, à réfléchir au titre définitif. Elle aimerait aussi inclure cet avertissement : « Ce
livre est un roman. Tous les hommes sont imaginaires. » Elle le laisse juge, mais elle y
tient (DCBL, 303).
De la sorte, la mise à nu des procédés narratifs par les narrateurs-écrivains dans les deux
romans, amène le lecteur à considérer le livre qu’il lit actuellement comme roman à faire ou
en train de se faire au moment où il le lit.
Michel Butor, dans son Essai sur le roman (1992), avait fait la distinction entre trois
temps : celui de l’aventure, celui de l’écriture et celui de la lecture. Toutefois, dans Les
tambours de la mémoire et Dans ces bras-là par la mise en abyme qui se déploie, le temps de
l’écriture semble se fondre dans celui de la lecture. Suivant le modèle des deux récits de notre
étude, les lecteurs de Les tambours de la mémoire découvrent en même temps que les
rassembleurs des notes de Fadel, les péripéties de la vie de ce dernier durant les sept années
passées à Wissombo. Le temps de la reconstitution qui débute ainsi: « voici donc le résultat de
notre modeste reconstitution » (LTM, 50) démarre simultanément avec celui de la lecture.
Autant, Dans ces bras-là, le destinataire du roman reconstruit avec la narratrice les puzzles de
sa vie : « ce sera une sorte de double construction imaginaire, une création réciproque :
j’écris ce que je vois d’eux et vous lirez ce qu’ils font de moi » (DCBL, 19). Il semblerait que
dans la mise en abyme, la création romanesque exerce sa suprématie sur l’histoire racontée.
L’arrière-pensée esthétique des narrateurs intéresserait plus les lecteurs que le déroulement de
l’histoire. Au lecteur, il lui est confié une tâche celle de produire en même temps que les
narrateurs le livre à naitre.
Aussi, signalons que la mise en abyme, au-delà de la destruction formelle du livre
qu’elle engendre, fragmente le récit et enlise la chronologie. Et à l’auteur du Récit spéculaire
de dire :
Toute histoire dans l’histoire en tant que réflexive, est nécessairement conduite à
contester le déroulement chronologique qu’elle respecte en tant que segment narratif
(…) empêchée de par ses dimensions de marcher au même titre que le récit, la seule

34
possibilité de l’équivaloir est d’en contracter la durée et d’offrir en un espace restreint
la matière de tout un livre. 58
Brièvement, l’enchâssement dans les deux textes se manifeste par l’enchevêtrement
ostensible des récits secondaires dans la trame du récit principal. Aussi, dans la mise en
abyme, le lecteur est en train de lire l’histoire qui lui a été promise à la fin du roman.

58
Lucien Dällenbach, Le récit spéculaire, essai sur la mise en abyme, op. cit., p. 82.
35
II-3 Intertextualité
La littérature est une incessante relecture. Chez un auteur quelconque, on peut
retrouver les mêmes pratiques d’écriture d’un autre auteur. Généralement, les textes que nous
avons l’habitude de lire sont les dérivés d’autres textes, c’est pourquoi le lecteur est appelé à
se munir d’une certaine culture littéraire pour dévoiler l’intertextualité. Cette pratique
littéraire offre des effets de loupe au récit. C’est inéluctablement à Julia Kristeva que nous
devons le terme « intertextualité ». Cette dernière définit l’intertextualité partant de ce que
Mikhaïl Bakhtine appelait « dialogisme » autrement dit le dialogue entre les textes. Dans
Esthétique et théorie du roman, Mikhaïl Bakhtine considère que : « le développement du
roman consiste en un approfondissement du dialogue dans son déploiement et son
raffinement »59. Ainsi, nous pouvons affirmer que chez lui, il n’a jamais été question
d’intertextualité mais de dialogue entre les textes. Cristallisant sa pensée sur celle
bakhtinienne, Julia Kristeva rebondit avec cette citation pour donner une nouvelle orientation
au terme d’intertextualité : « tout texte se construit comme mosaïque de citations, tout texte
est absorption et transformation d’un autre texte.»60
Aussi faudra-t-il ajouter que l’intertextualité a connu plusieurs recherches dans le
champ de la critique et les définitions n’ont eu de cesse de foisonner et d’évoluer.
D’abord, chez Antoine Compagnon, « l’intertextualité se présente comme une façon
d’ouvrir le texte, sinon sur le monde, du moins sur les livres, sur la bibliothèque. Avec elle, on
est passé du texte clos au texte ouvert (…). ».61 Toujours, selon l’auteur de Démon de la
théorie, « une allusion n’accentue pas l’autonomie de la littérature, mais l’ouverture de la
littérature à une vision du monde […]. La littérature porte et transporte la littérature, en fait
non un monument, mais un mouvement… »62 De même, Gérard Genette définit
l’intertextualité comme «une relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes (…) et le
plus souvent par la présence effective d’un texte dans un autre texte ».63 Parmi les pratiques
intertextuelles, l’auteur de Palimpseste distinguera, la citation, référence littérale explicite, le
plagiat et l’allusion, référence littérale non explicite. Quant à Michael Riffaterre, s’appuyant
sur la mémoire du lecteur, concevra l’intertexte comme « l’ensemble des textes que l’on peut

59
Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, 1978, op.cit., p. 120
60
Julia Kristeva, Sèméiôtikè, Recherches pour une sémanalyse, Paris, Éd. du Seuil, coll. « Points Essais», 1969,
pp. 84-85.
61
Antoine Compagnon, Le démon de la théorie, littérature et sens commun, Paris, Éd. du Seuil, coll. « Points
Essais » p. 128.
62
Antoine Compagnon et Al, Proust, la mémoire et la littérature, Séminaire 2006-2007, Paris, Collège de
France, coll. « Odile Jacob », textes réunis par Jean Baptiste Amadieu, juin 2009, p. 11.
63
Gérard Genette, Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, Éd. du Seuil, coll. « Points Essais » p. 8.
36
rapprocher de celui qu’on a sous les yeux, l’ensemble des textes que l’on retrouve dans sa
mémoire à la lecture d’un passage donné. Le texte qui déclenche des associations
mémorielles dès que nous commençons à lire. »64 Enfin, dans une tendance plus récente,
Tiphaine Samoyault appréhendera l’intertextualité comme « mémoire de la littérature ».
Précisément, dans Les tambours de la mémoire et Dans ces bras-là, la charpente de
l’intertextualité s’articule avec quelques nuances. Tiphaine Samoyault, axant son analyse sur
celle de Gérard Genette, distinguera deux types de pratiques intertextuelles : « les premières
inscrivent une relation de coprésence (A est présent dans B) et les secondes une relation de
dérivation (A est repris transformé dans B) »65. Les premières pratiques regroupent la citation,
le plagiat, l’allusion et la référence. C’est pourquoi nous inscrivons nos deux romans dans la
relation de coprésence. Camille Laurens et Boris Diop, par le biais de la pratique
intertextuelle, foulent d’autres territoires littéraires.
D’abord, dans le roman de l’auteur sénégalais, le titre même du roman relève de
l’intertextualité. Diop puise son titre de la chanson de Keita Fodeba qui interprète la danse
sacrée du vautour, le Douga : « […, ses roulements de tambours qu’il n’est pas donné à tous
d’entendre, de même qu’en pays malinké nous dit Keita Fodeba, nul ne danse le Douga, la
danse sacrée du Vautour (…) » (LTM, 91). De plus, chez Boris Diop, les personnages ont
aussi une dimension intertextuelle : Badou, incarnant les pensées les plus profondes de
l’auteur, fait constamment allusion à la pensée maoïste. Pareillement, Ndella, selon le
narrateur « fume comme la reine Ndatte Yalla du Walo » (LTM, 6). Quant à Fadel, il détient
comme livres de chevet : le Nom de la rose d’Umberto Eco (LTM, 72) et Beautiful ones are
not yet born d’Ayi kwei Armah (LTM, 73). Fadel veut se reconnaître à travers ces
personnages de roman. De même, se mettant au même pied que Saint Augustin, Fadel dira
qu’il croit à l’histoire apocryphe de Johanna, parce que c’est absurde : « je crois parce que
c’est absurde » (LTM, 72).
De manière plus ou moins similaire, Dans ces bras-là est un roman qui tire sa matière
de la psychanalyse freudienne. Camille Laurens imbrique la pratique de la littérature avec
celle de la psychanalyse. Face à son psychiatre, la narratrice dit « des évidences, […], des
banalités à longueur de temps » auxquelles son médecin tentera sans doute de donner une
signification (DCBL, 33). De plus, la pratique intertextuelle est aussi ostensible dès
l’épigraphe, un texte en caractère italique et bien centré portant la mention de Paul Claudel
informe approximativement le lecteur sur le contenu érotique du livre : « j’ai les mains

64
Michael Riffaterre, « L’intertexte inconnu », in littérature, volume 41, n° 1, 1981, pp. 4-7.
65
Tiphaine Samoyault, L’intertextualité, Mémoire de la littérature, Paris, Nathan, 2001, p. 33.
37
agréables. Vous savez très bien que vous ne trouverez pas ailleurs qu’avec moi la force qu’il
vous faut et que je suis l’homme ». La même citation sera reprise à la page 194, quand la
narratrice expliquera à son psychiatre le choix d’un exergue aussi érotique. Autant la
narratrice des chapitres qui portent sur les hommes convoque les citations de Lao-Tseu et de
la philosophie Zen, par exemple: « Le Taô parfait n’offre pas de difficulté, sauf qu’il évite de
choisir » ; « Laisse passer la proie et l’ombre » (DCBL, 147), de même, elle cite les grands
noms de la littérature française : Paul Eluard, Guillaume Apollinaire, Claude Simon, (DCBL,
92), Saint John Perse (DCBL, 98), Roland Barthes (DCBL, 147) et autres. Plus manifeste,
dans un chapitre, elle juxtapose les noms de plusieurs personnages principaux de romans
français livrant ainsi sa bibliothèque personnelle:
Martin Eden parce qu’il se tue, Frédéric Moreau parce qu’il n’ose pas, Gatsby parce
qu’il est seul, Amalric parce qu’il compte sur la douceur de ses mains, […] Julien
Sorel parce qu’il se fixe une heure pour agir, Roméo parce qu’il aime en a mourir,
Adolphe parce qu’il reste, le père Goriot parce qu’il adore ses filles, le colonel Chabert
parce qu’il disparait, Dom Juan parce qu’on a envie d’être sur la liste, Lancelot parce
qu’il est beau…(DCBL, 161)
Eu égard à Tiphaine Samoyault, l’intertextualité permet aussi de parcourir les autres
types d’art ce que Genette nomme dit-il par le terme « hyperesthésique »66. Dans Les
tambours de la mémoire, Ismaïla fait timidement allusion à la musique des Touré Kunda
(LTM, 40), à celle de Keita Fodeba citée supra et au cinéma ABC (LTM, 16). Fadel, même si
les narrateurs n’ont pas insisté sur ça, est peintre. Aussi, la narratrice Dans ces bras-là
fredonne-t-elle les chants de Georges Brassens, Pierre Dac, Francis Blanche (DCBL, 70),
Johnny (DCBL, 76), Michel Delpech (DCBL, 88). Pour le compte du théâtre, elle cite le
costumier Donald Cardwell (DCBL, 51), le comédien Fernand Raynaud et enfin James Bond
en ce qui concerne le cinéma (DCBL, 70).
Au-delà de ces nombreuses citations qui nous ont permis d’avoir une certaine
connaissance de la bibliothèque littéraire, culturelle et musicale de nos auteurs, nous allons
aussi convoquer notre culture littéraire pour déceler d’autres dimensions intertextuelles.
D’abord, nous avons dévoilé que la pièce de Jean Genet intitulée Les bonnes67opère
une certaine ressemblance avec la pièce de théâtre mise en abyme dans Les tambours de la
mémoire. Dans cette pièce jouée par Fadel et les gens de Wissombo, l’imaginaire est poussé
au bout du réel, Niakoly ne sait plus à quelle époque de sa vie il se trouve, autant Sinkelo
interprétant la vie de la reine Johanna croit qu’elle est réellement Johanna. De façon similaire,
les deux bonnes Solange et Claire simulant le meurtre de Madame, la patronne qu’elles

66
Tiphaine Samoyault, L’intertextualité, Mémoire de la littérature, op.cit., p.33.
67
Jean Genet, Les bonnes (1947), Paris, Marc Barbezat-L’Arbalète, coll. « folio », 1978.
38
détestent tant, finissent par pousser le simulacre au réel. Claire, dans le rôle de Madame finit
par boire le tilleul empoisonné que lui avait préparé Solange, la bonne dévouée dans le but de
se venger de la « grandiloquence » exagérée de Madame. Dans les deux pièces, la fiction est
captée par les filets du réel. De même, on retrouve chez Boris Diop et Jean Genet une
prédilection pour le déguisement : Sinkelo se déguise pour ressembler à Johanna Simentho et
Fadel imitant le rôle de garde du corps de la reine, dissimule son corps dans une peau de lion
et utilise des plumes d’autruche et un bandeau blanc pour se couvrir le front. Également,
Claire adopte les manières de Madame et se déguise avec les robes et les bijoux de celle-ci
pour mieux réussir son jeu.
Toujours, dans la même dynamique, Julien Sorel, personnage principal dans Le Rouge
et le Noir de Stendhal et Fadel Sarr sont des alter égo littéraires. Le premier à l’autel de la
mort veut profiter des derniers moments de sa vie qu’il considère comme le bonheur extrême,
Julien dit : « il est singulier pourtant que je n’ai connu l’art de jouir de la vie que depuis que
j’en vois le terme si près de moi »68. Identiquement, Fadel avant de se faire écraser par la
voiture : « fit un effort pour penser à sa famille [l’enfant à venir]. Il était heureux et ce n’était
pas un bonheur imaginaire. » (TM, 214) Sorel et Sarr supportent courageusement la mort en
vivant le dernier instant comme le paroxysme du plaisir.
Également, la naissance de la reine Johanna Simentho qui fit frissonner le monde de
stupeur, renvoie à celle de Soundjata Keita, l’héritier du Mandingue. Confrontons les deux
textes qui racontent la naissance des deux personnages, le premier est un extrait de Soundjata
ou l’épopée mandingue : « Soudain le ciel s’assombrit, de gros nuages venus de l’est
cachèrent le soleil ; on était pourtant en saison sèche, (…) quelques grosses goûtes de pluies
se mirent à tomber »69 ; le second est tiré des Tambours de la mémoire : « Il était une fois une
petite orpheline du nom de Johanna Simentho. Le soir qu’elle vint au monde, il y eut un
violent orage et la pluie tomba jusqu’au matin sur tout le royaume de Wissombo » (LTM, 53).
Nous remarquons que dans la narration de la naissance de ces deux personnages mythiques, le
champ lexical de la tornade aussi bien que la représentation du merveilleux et du magique
sont visibles.
Enfin, l’intertextualité annihile la singularité du texte. Une seule citation, la mention
d’un nom d’auteur, le titre d’un ouvrage, le nom d’un personnage ou d’un lieu, le glissement
d’un bout de phrase ou une seule allusion peut aiguiser la mémoire du lecteur. C’est pourquoi
cette pratique intertextuelle voire interculturelle car l’univers social d’un roman peut renvoyer

68
Stendhal, Le Rouge et le Noir, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1972 pour la réédition, p.467.
69
Djibril Tamsir Niane, Soundjata ou l’épopée mandingue, Paris, Présence Africaine, 1960, p.33.
39
à un autre, fait appel à la sagacité du lecteur. Aussi, notons que répétitive et secondaire, la
littérature se nourrit d’elle-même. Tout a été dit, les auteurs sont d’éternels épigones, c’est
seulement la manière de dire qui diffère.
À la fin de ce second chapitre, nous pouvons déduire que le caractère composite des
deux romans tient au mélange constant du réel et du fictif, à l’enchevêtrement des genres et à
l’intertextualité qui a permis aux auteurs de fouler d’autres univers littéraires.
En définitive, dans cette première partie nous avons étudié les points sur lesquels
portent les réformes qu’effectuent les deux auteurs. Premièrement, l’enlisement du temps et la
multiplication des voix narratives dessinent les contours du récit. Également, l’amalgame
entre le vrai et le faux, l’excentricité de la mise en abyme et la pratique intertextuelle
participent à l’hybridation des récits dans les deux romans.

40
Deuxième partie : procédés esthétiques et narratifs

41
Chapitre III : Discours mémoriel et jeu de langage

Camille Laurens et Boubacar Boris Diop adoptent de nouveaux procédés esthétiques


et narratifs dans leurs œuvres. Ils divorcent d’avec les normes établies et se lancent dans une
nouvelle aventure de l’écriture. C’est dans cette perspective de rupture que la mémoire
deviendra chez ces deux auteurs, l’épine dorsale du récit. Le souvenir nécessite un certain
retour en arrière dans le passé. En évoquant le passé, les personnages-narrateurs détruisent la
linéarité du temps et participent à sa désinvolture. Les différents récits testimoniaux, le
contraste entre la mémoire individuelle, celle de Fadel et la mémoire collective névrotique
font du roman de Boris Diop, un véritable chaos de la mémoire. Chez Camille Laurens, la
psychanalyse et l’écriture facilitent la réminiscence même si les trous et l’oubli deviennent
une véritable prison pour la mémoire.
Également, dans lesdites œuvres l’oralité et le discours oral ne cessent de se bousculer
avec l’écriture entrainant ainsi un véritable jeu du langage. Le roman, genre écrit cohabite
avec le conte et l’épopée qui sont des genres oraux. Le texte romanesque devient un véritable
« fourre-tout » chez ces deux romanciers qui exaltent l’excentricité dans l’écriture. En sus,
l’oralité propre aux genres oraux et le discours oral traduisant le langage quotidien se frottent
avec l’écriture. De même, au préjudice des précieux qui tenaient tant au raffinement de la
langue française, Camille Laurens et Boris Diop, dans leur élan de rupture écrasent l’énigme
de cette langue en la mélangeant avec d’autres. La diglossie et les traces de la langue
maternelle sont présentes dans Les tambours de la mémoire et foisonnent Dans ces bras-là.
Ainsi, la compétence du lecteur est ici convoquée par les auteurs qui le poussent à démêler la
littérarité de l’oral.
La mémoire est capricieuse et vagabonde, aussi le temps lui est-il souvent défavorable.
Cependant, même si l’oubli est la mère de la mémoire, car il faut d’abord oublier pour se
souvenir, il pousse les personnages à inscrire la mémoire dans un temps subjectif et
imaginaire. Dans les deux romans, la fiction servirait à camoufler la défaillance de la
mémoire. Et au philosophe Ricœur de dire parlant de la fictionnalisation de l’histoire :
Il est toujours possible d’étendre le souvenir, par la chaîne des mémoires ancestrales,
de remonter le temps en prolongeant par l’imagination ce mouvement régressif,
comme il est possible à chacun de situer sa propre temporalité dans la suite des
générations, avec le secours plus ou moins obligé du temps calendaire.70
Dans Les tambours de la mémoire, les principaux narrateurs, Ismaïla et Ndella, se
souviennent de leur défunt ami Fadel. Son legs scriptural installe de nouveau Fadel parmi eux

70
Paul Ricœur, Temps et récit, op.cit., p. 268.
42
et fait grincer la conscience collective quant à l’existence de Johanna Simentho. Cette reine
semble n’exister que dans les méandres de la mémoire de Fadel. Alors que, Dans ces bras-là,
les principales narratrices, « Elle » et « Je » font la réminiscence des hommes de leur vie.
Néanmoins, leurs souvenirs sont identiques puisque les deux narratrices renvoient à la seule et
même personne.
Si Dans ces bras-là c’est la mémoire individuelle des deux narratrices qui est mise à
nue, dans Les tambours de la mémoire par contre, la mémoire individuelle de Fadel est aux
antipodes de la mémoire collective. Dans ce roman, les discours mémoriels s’emboitent et se
contredisent.
Le trou, le doute et la confusion font vaciller la mémoire. Ainsi, pour soutenir leur
discours mémoriel, les personnages-narrateurs dans les deux romans mettent en abyme de
nouveaux discours au risque de trahir les préceptes qui fondaient jadis l’écriture d’un texte
romanesque. Dans ces bras-là, les confessions cliniques de la narratrice des chapitres
intitulés « seule avec lui » incluent le discours oral dans l’écriture et l’absence de ponctuation
dans certaines parties du texte et les proverbes de la narratrice des chapitres sur les hommes
abreuvent le récit d’oralité. Également dans le roman de Boris Diop, la mise en abyme du
conte de Badou narrant la naissance mythique de Johanna, et les contes de la reine rapportés
par Fadel, appuient la présence imminente de deux genres oraux : le conte et l’épopée. Ainsi,
Boris Diop et Camille Laurens, subvertissent de nouveau les canaux du genre romanesque en
faisant pénétrer l’oralité propre aux genres oraux et le discours oral dans l’écriture.
Dans le présent chapitre nous étudierons d’abord l’articulation du discours mémoriel,
ensuite comment l’oralité et le discours oral en formant un bloc commun avec l’écriture
participent-ils au jeu du langage.

43
III-1 Discours de la mémoire
La mémoire est un réceptacle, une boite à souvenirs. C’est le lieu où nous gardons
jalousement et précieusement tous les événements heureux et malheureux de notre vie. Les
archives, les bibliothèques, les musées, les édifices et les livres constituent des mémoires
collectives, ce sont des patrimoines historiques. Camille Laurens et Boubacar Boris Diop
utilisent la mémoire comme toile de fond dans leur roman. Celle-ci demeure l’objet et le sujet
des deux romans, non seulement, les deux romans parlent des souvenirs, mais surtout la
mémoire constitue et structure les romans. Ainsi, pour parler comme Antoine Compagnon, les
deux romans parcourent le grand arc de la mémoire. Aussi, les évocations subjectives des
principaux narrateurs inscrivent la mémoire dans l’atemporalité.
Les tambours de la mémoire et Dans ces bras-là sont des romans dans lesquels les
narrateurs font retentir la voix de la mémoire. Dans le premier récit, il y a un enchevêtrement
de plusieurs mémoires individuelles et dans le second s’exprime une seule mémoire, celle de
la narratrice.
D’abord, il serait judicieux de préciser que la mémoire est sélective, hasardeuse et
aléatoire. Elle peut aussi être involontaire car, parfois nous nous souvenons de faits que nous
aimerions enterrer dans la tombe de l’oubli. Ce cri tonitruant du narrateur dans Balbala
d’Abdourahmane Wabéri démontre à quel point la mémoire est déloyale :
Longtemps, j’ai pensé que la mémoire servait à remémorer le passé, à remonter le
cours entier du temps pour déambuler dans les ruelles d’à présent. Ah, grossière
erreur ! J’ai enfin compris que la mémoire sert surtout à occulter le temps d’antan, à
oublier la blessure trop vive en l’encombrant de souvenirs qui chamboulent l’ordre
vital des événements.71
Temps et mémoire sont intrinsèquement liés. Cependant, dans les deux romans le
dérèglement des horloges rend difficile l’exercice du souvenir. Fadel a-t-il réellement vécu
dans la même époque que la reine Johanna Simentho pour pouvoir s’en souvenir? Car si les
narrateurs ont perdu l’évidence de la perception temporelle celle-ci entraine sans doute une
incapacité de la mémoire. Aussi faudrait-il que les propos qu’avancent les protagonistes se
soient réellement passés car « il faut que quelque chose se soit produit pour [qu’on] s’en
souvienne, même si c’est pour le subvertir ou le corrompre »72, puisque parfois l’anamnèse
peut relever d’une simple imagination. À ce propos, Michel Beaujour distinguera : « les lieux
réels de la mémoire et les lieux (métaphoriques) de l’invention et de la dialectique. D’où une
confusion-déroutante qui finalement s’abolira dans le triomphe de l’imagination

71
Abdourahmane Wabéri, Balbala (1999), Paris, Gallimard, 2002, p. 21.
72
Ibid., p. 91.
44
romantique ».73 Serions-nous aussi tentés de parler de poéticité de la mémoire chez Fadel et
chez « elle » et « je ». Car la passion, le désir, l’admiration et l’amour semblent être derrière
toutes ces réminiscences.
Également, dans Proust, la mémoire et la littérature74, Antoine Compagnon cite
Albert Thibaudet qui distingue dans la mémoire sociale et dans la mémoire individuelle, la
mémoire-habitude et la mémoire-souvenir. La première est acquise et active, c’est
l’automatisme chez l’individu et la seconde est spontanée et contemplative, c’est la mémoire
volontaire. Les deux mémoires sont antagonistes chez un individu. La mémoire-habitude est
orientée vers le présent et le futur et la mémoire-souvenir vers le passé. Fadel n’aurait-il pas
une mémoire-habitude, vu que la sienne est orientée vers l’action. Il veut à tout prix faire
resurgir le passé de Johanna Simentho et actualiser la vie de cette prétendue reine dont la
mémoire collective semble nier l’existence. Quant à « Elle », sa mémoire est orientée vers le
passé, elle a une mémoire-souvenir. Elle ne fait rien pour changer le passé, elle contemple
juste le miroir kaléidoscope que lui tend sa mémoire.
Dans Les tambours de la mémoire et Dans ces bras-là, les principaux narrateurs
exhibent leur mémoire. Parfois, cette mémoire se heurte à l’oubli et à la névrose. Elle est chez
Fadel une sorte d’échappatoire car « ne voulant pas affronter les dures réalités de la vie.
Facile [pour Fadel] de rester en enfance et de se bercer les récits mélodieux de sa propre
mémoire» (LTM, 113) et chez la narratrice du second roman, une sorte de bilan vital, une
rétrospective «sur tous les hommes d’une femme du premier au dernier» (DCBL, 17). Dans
ces bras-là, la narratrice se remémore des hommes qui ont fait un crochet dans sa vie. Il s’agit
d’une mémoire individuelle qui se livre sur le canapé (quand elle est avec son psychiatre) ou
par la plume trempée dans l’encre du souvenir (quand elle écrit son livre sur les hommes).
Alors que dans Les tambours de la mémoire, Fadel Sarr exhume un passé qu’il n’a peut-être
jamais vécu. Pour sonder la mémoire collective, les deux narrateurs Ismaïla et Ndella tentent
de recueillir les récits testimoniaux des différents personnages.
D’abord, Dans ces bras-là, la narratrice principale passe par l’écriture et le discours
pour livrer les pans de sa mémoire. L’usage du passé simple et de l’imparfait démontre que
les faits qu’elle raconte appartiennent au lot du passé : « C’était lui. Aux battements de mon
cœur je ne pouvais pas me tromper. Je me levai, laissant le verre plein sur la table, je payai et
je le suivis ». (DCBL, 11) La narratrice fait une galerie de portrait des hommes qui ont
traversé son existence. Néanmoins, cette anamnèse se fait selon les souvenirs qu’elle a gardés

73
Michel Beaujour, Miroirs d’encre, rhétorique de l’autoportrait, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1980, p.87.
74
Antoine Compagnon et AL, Proust, la mémoire et la littérature, op. cit., pp. 20-21.
45
de ces différents êtres à la pomme d’Adam, car il n’est pas exclu que souvent, la mémoire de
la narratrice se heurte à l’oubli. C’est ce que semble illustrer ces propos :
Ce serait un livre sur tous les hommes d’une femme, dans l’ordre ou le désordre de
leur apparition dans sa vie, dans ce mouvement mystérieux de présence et d’oubli qui
les fait changer à ses yeux, s’en aller, revenir, demeurer, devenir (…). Les hommes
feraient des entrées et des sorties comme au théâtre, (…), ils prendraient plus ou moins
de place comme dans le souvenir (DCBL, 16-17).
Sa mémoire est parfois intacte, et ne semble point blessée par l’usure du temps. En
nous évoquant son passé, la narratrice se rappelle parfois des détails les plus anodins et les
moins précieux mais que sa mémoire a par-dessus tout précieusement gardés. C’est le cas
ici : « Il m’aimait, j’en suis sûre(…). De mon côté, j’avais peur qu’il meure. Une fois, je me
souviens, il avait deux heures de retard ». (DCBL, 164)
Dans Les tambours de la mémoire, il y a une danse rythmée de la mémoire. Celle-ci
gambade de personnage en personnage. Néanmoins, la mémoire collective contraste avec
celle de la mémoire individuelle car il semble que les souvenirs d’un passé lointain ne soient
pas partagés. Par exemple, au moment où Fadel s’obstine à avancer que la reine Johanna
Simentho a travaillé comme bonne dans la maison de son enfance avant de devenir une
résistante anticoloniale, Badou, par contre nie la présence de cette femme dans leur maison.
Fadel, malgré le scepticisme des autres, dit « [qu’il tient] ferme le cap de [sa] plus poétique et
arbitraire mémoire », tandis que « Badou déclare qu’ [il n’a] gardé aucun souvenir de son
enfance » (LTM, 96-97). Est-ce possible d’oublier la part la plus belle de notre vie qui est
l’enfance ? Ou Badou veut-il à tout jamais enterrer le souvenir de cette mystérieuse femme ?
Ces questions déconcertent les lecteurs du roman de Boris Diop qui ne savent plus à qui
accorder de la crédibilité. À la différence de la narratrice de Dans ces bras-là, Fadel, lui est
obsédé par un passé qu’il n’a peut-être jamais vécu. On détecte chez lui, « une névrose
obsessionnelle avec tous les symptômes cliniques».75
Dans ces deux romans, particulièrement dans Les tambours de la mémoire, la
détérioration du temps empêche la mémoire d’exhiber ses souvenirs. Comme une toile
d’araignée, tout est embrouillé, les personnages ne se retrouvent plus dans le temps ce qui ne
manque pas de déconcerter le lecteur. Cependant, pour que « l’activité mémorielle puisse être
effectuée, il faut impérativement une parfaite restauration du temps » car « la mémoire ne
saurait contenir l’atemporalité »76 C’est le refus de rendre linéaire le temps qui pousse parfois
les narrateurs à feindre l’oubli. Et pour camoufler leur amnésie, ils rompent le récit en cours

75
Hamidou Dia, « Boubacar Boris Diop : le mendiant du souvenir, parcours subjectif des Tambours de la
mémoire », art.cit., p. 112.
76
Alexis Nouss, « Mémoire et survie : une lecture de Paul Celan », art.cit., p. 91.
46
pour raconter des anecdotes et des fariboles. D’abord, Dans ces bras-là, la narratrice se perd
dans son propre discours mémoriel « c’est incroyable: là, à l’instant, je voulais vous dire
quelque chose sur les hommes et moi, j’avais une idée peut-être pas importante mais j’y
tenais, et pffft, envolée, impossible de m’en souvenir » (DCBL, 229). Cet oubli la pousse à
faire ce détour anecdotique : « on m’a rapporté une anecdote sur mon compte. Il paraît que
quand on a su, à mon travail, que j’étais enceinte (…) un de mes collègues s’est exclamé :
« ah bon ? Elle a donc des ovaires ? » (DCBL, 230). Elle revient à elle, et se rend compte de
sa digression : « mais ce n’est pas ce que je voulais dire, je sais que non. Ah ! (…) J’ai un
trou » (DCBL, 230). Également, dans Les tambours de la mémoire, Ismaïla ne veut plus se
souvenir, comme il l’affirme lui-même : « à partir d’ici mes souvenirs sont un peu confus…
Ou alors est-ce peut-être parce que je préfère oublier tout cela ? » (LTM, 48). Il glisse dans
la fabulation et raconte une scène érotique avec sa femme : « ce qui se passa fut
extraordinaire, Ndella portait pour tout vêtement, un pagne qu’elle avait (…) Ndella a
brutalement poussé la porte de la salle de bains(…) Elle s’est emparée de mon sexe et l’a
littéralement enfoncé dans son corps» (LTM, 48-49). Revenu à lui, Ismaïla déclare ceci : « à
présent que de telles fables ont été réduites à néant (de façon définitive, je l’espère), nous
pouvons revenir, à l’essentiel» (LTM, 49).
De plus, dans Les tambours de la mémoire, assignés au silence, certains personnages
rompent toute activité mémorielle et feignent l’amnésie. Car, lorsque « le tyran pointe ses
baïonnettes sur les poitrines nues et ordonnent à la mémoire de se taire, il faut être peu
raisonnable, oui fou (…) pour oser se souvenir.» (LTM, 118). C’est le cas avec Simbalé, la
sœur de la reine qui, à la visite de Fadel s’est claustrée dans le silence. De plus, les archives
où sont précieusement gardées toutes les informations concernant la patrie, sont restées
muettes quant à l’existence de Johanna Simentho. Exhumer le passé de cette mystérieuse
reine, et même retracer le parcours de Fadel qui s’est obstiné à faire la lumière sur Johanna
c’est prendre des risques. Le mutisme des archives est probablement une ruse politique pour
empêcher à la postérité de découvrir l’esclavagisme et la soumission dont faisait montre nos
anciens dirigeants.
Dans ces bras-là, les séances de cure permettent à la narratrice d’effectuer son activité
mnémonique. Son psychiatre la pousse à se souvenir et ce sont les évidences et les banalités
qu’elle raconte qui vont lui permettre d’effectuer facilement sa remémoration. Dans cet
exemple, narrant à son psychiatre son dessein d’écrire un livre sur les hommes, la narratrice
déroute son récit sur le souvenir de sa première rencontre avec son mari : « ah ! Le premier
regard, le tout premier, je m’en souviens encore comme si c’était hier, c’était il y a quinze
47
ans, je suis mariée depuis quinze ans, ça va faire quinze ans» (DCBL, 35). Par contre, dans
Les tambours de la mémoire, les narrateurs principaux, Ismaïla et Ndella se complètent
mutuellement pour retracer la vie de leur ami, Fadel et celle de Johanna. À ce propos, Ismaïla
dira : « Ndella, ma douce moitié, m’a aidé à mener cette mission délicate. Sur de nombreux
points où ma mémoire vacillait elle est venue à mon secours» (LTM, 49).
Succinctement, retracer la charpente de la mémoire conduit inévitablement à des
retours en arrière dans le passé. Le récit est souvent suspendu pour les besoins de la
réminiscence et le passé « scintille comme un trésor à déterrer» (DCBL, 274). Nous assistons
inévitablement à la désinvolture du temps.

III-2 Traces de l’oralité et écriture du discours oral


L’oralité est d’abord « tradition orale c'est-à-dire témoignage transmis oralement
d’une génération à une des suivantes».77 La littérature, en général, particulièrement celle
africaine, a été d’abord orale. Elle servait à la glorification des grands rois et des personnages
mythiques. Néanmoins, nous ne saurions conjuguer l’oralité au passé car ses traces continuent
à être repérées dans des textes non chevaleresques ni épiques mais romanesques. Camille
Laurens, héritière de la littérature française et Boubacar Boris Diop, légataire de la littérature
africaine, font cohabiter dans leurs romans l’écriture et l’oralité, l’écrit et l’oral.
Jadis, c’étaient aux griots de transmettre la parole des anciens aux différentes
générations. Ils informaient, chantaient et glorifiaient les prouesses des hommes, Soundjata
ou l’épopée mandingue de Djibril Tamsir Niane en est une parfaite illustration. Écoutons
résonner la voix du griot dans ce récit épique : « je suis griot. C’est moi Djeli Mamadou
Kouyaté, fils de Bintou Kouyaté et de Djeli Kedian Kouyaté, maître dans l’art de parler».78
La voix du griot fait pénétrer impétueusement l’oralité dans le texte romanesque. Et au
critique africain, Alioune Tine de dire : « la littérature africaine se définit comme une
littérature située entre l’oralité et l’écriture.»79
Dans la littérature française par contre, les troubadours ont donné un ton oral aux
différents récits chevaleresques du XIIème au XVème. Parmi ces récits épiques nous pouvons
citer, La chanson de geste « qui désigne ainsi la centaine de poèmes […] ; destinés à chanter
la gloire des héros du temps passé, fait partie de l’épopée médiévale française».80

77
Locha Mateso, La littérature africaine et sa critique, Paris, ACCT-KARTHALA, 1986, p. 357.
78
Djibril Tamsir Niane, Soundjata ou l’épopée Mandingue, éd.cit., p. 9.
79
Alioune Tine, « Pour une théorie de la littérature africaine écrite », dans Présence Africaine n°134, Paris-
Dakar, Présence africaine, 1985, p. 99.
80
François Suard, LA CHANSON DE GESTE (1993), Paris, PUF, coll. « que sais-je ? », 2003.
48
Conformément à Georges Ngal, cité par Locha Mateso dans son ouvrage sur La
littérature africaine et sa critique, les critères qui permettent au critique de reconnaitre les
lieux où se loge l’oralité sont trois indices :
[…] la « textualité manifeste » : « le narrateur invoque explicitement, en le citant, un
proverbe, une maxime, un conte, une légende, un mythe » […] la présence de
certaines expressions permet de conclure qu’à coup sûr un acte de parole traditionnel
va (ou vient d’) avoir lieu. Ce sont des formules telles que : « comme le dit le
proverbe », « comme le rapporte la tradition », etc. D’autres indices de reconnaissance
de l’oralité sont constitués par les déclarations d’intention des introductions, les
dédicaces […] enfin, on peut lire derrière certains signes et symboles, des attitudes
mentales et une technique caractéristiques de l’espace traditionnel.81
Dans ces bras-là et Les tambours de la mémoire ne sont pas des genres oraux. Dans le
premier récit, la présence de genres oraux, le conte et le mythe, nous permet de repérer des
traces de l’oralité. Également, dans le second récit, les séances de cure et l’absence de
ponctuation dans certaines phrases du récit font juxtaposer l’écriture et le discours oral.
Dans le roman de Boris Diop, les lecteurs constituent l’auditorat des narrateurs, par les
pérégrinations imaginaires de Fadel, ils se laissent conter la mythique histoire de Johanna
Simentho, l’alter ego littéraire d’Aliin Sitoye Jaata. Tandis que dans le roman de Camille
Laurens, l’auditorat est plus expérimenté et plus exigeant car il s’agit d’un psychiatre qui
écoute les confessions cliniques de sa patiente.
D’abord « les textes de Boris fonctionnent comme une réactualisation du modèle
mythico-épique ou du conte. »82 Son premier roman, Le temps de Tamango est une
restauration du mythe Tamango de Prosper Mérimée, le personnage principal, Ndongo Thiam
en est la réincarnation. L’histoire de Saa Ndéné et de Dum Tiébi, une probable légende est
aussi successivement contée par les différents narrateurs dans Les traces de la meute. Dans le
Cavalier et son ombre, la narratrice Khadija happe son mystérieux auditeur par ses contes,
également, dans Les petits de la guenon, les nombreuses allusions à Wolof Ndiaye incluent
indubitablement l’oralité dans le récit romanesque. Les lecteurs de ce roman ne lisent pas
mais ils entendent, ils entendent leur langue maternelle, le wolof s’écrire au même titre que la
langue française.
Dans notre étude, nous nous intéressons spécifiquement à son second roman, Les
tambours de la mémoire. Puisant dans le patrimoine historique sénégalais, Boris Diop
réactualise le mythe de la reine casamançaise Aliin Sitoye Jaata. Dans ledit roman, Johanna
Simentho est la réincarnation partielle de la dame du Cabrousse. Par l’insertion du conte de

81
Locha Mateso, La littérature africaine et sa critique, op.cit., p.358.
82
Ibrahima Wane, « Du français au wolof : la quête du récit chez Boubacar Boris Diop » in Éthiopiques,
Littérature, philosophie et art, n°73, 2ème semestre, 2004, p. 3.
49
Badou où il narre la naissance mythique et mystique de Johanna et les contes de la reine repris
par Fadel, deux genres oraux sont présents dans ce roman : le conte et l’épopée.
Le conte est un genre oral, c’est un récit imaginaire, fantastique et surnaturel qui décrit
un monde irréel où cohabitent généralement les hommes et les animaux. De même, l’épopée
est un genre oral qui célèbre généralement la grandeur et les exploits d’un héros. Se
prononçant sur la valeur scripturale de l’épopée François Suard dira :
Le caractère formulaire de l’écriture épique, loin de signaler une défaillance, invite le
lecteur à rechercher au-delà des procédés mnémotechniques liés au caractère oral du
genre en ses débuts, un réseau complexe d’échos, faits de reprises et de variations, sur
lequel se fonde la puissance émotionnelle du texte.83
Dans ces deux genres oraux, résonnent les métaphores, les hyperboles, les allégories,
toutes les figures qui servent à amplifier les gestes. C’est ce que nous constatons dans le conte
de Badou, que lui-même qualifie de « fantastique épopée » (LTM, 57) narrant la naissance de
Johanna Simentho : « Il était une fois … Il était une fois une petite orpheline du nom de
Johanna Simentho. La nuit où elle vint au monde, il y eut un violent orage et la pluie tomba
jusqu’au matin sur tout le royaume » (LTM, 54). Tenant cette fois-ci un langage prophétique,
il continue : « les Anciens dirent que selon les signes elle serait une femme féconde et
indomptable, qu’elle aurait des enfants et encore des enfants, qu’elle soumettrait des pays et
encore des pays. » (LTM, 54). Les répétitions permettent ici au conteur d’amplifier l’histoire
et aux narrateurs de démontrer qu’ils sont dans le champ de l’oralité. De même, Fadel se
remémore des soirées de son enfance bercées par les contes que lui racontait Johanna. Il se
rappelle : « l’histoire de Youmané, la jeune fille désobéissante dont l’extraordinaire beauté
avait fini par tourner la tête à un être invisible» (LTM, 99). Bizarrement, Fadel affirme qu’il
a complétement oublié la suite du conte.
Dans ces bras-là, nous ne parlerons pas pour le moment d’oralité car ne contenant
aucun genre oral, mais nous étudierons la transcription du discours oral. Déjà, la narratrice
elle-même explique l’articulation du discours oral et de l’écriture dans son roman : «l’écriture
dans la solitude de la mémoire et la parole dans le monologue de nos rencontres» (DCBL,
32). Les chapitres intitulés « seule avec lui » rapportent les dialogues que la narratrice
entretient avec son psychiatre, c’est une transcription de l’inconscient. La narratrice, tente
d’écrire son face à face avec son psychiatre, et veut nous faire pénétrer dans le vif de leur
conversation. C’est cette insertion du dialogue même qui donne un ton oral au roman.
Néanmoins, Dans ces bras-là, le dialogue est implicite, le lecteur connaît l’interlocuteur de la

83
François Suard, LA CHANSON DE GESTE, éd.cit., p. 5.
50
narratrice, mais il ne l’entend jamais parler, sa voix est en sourdine. Faisons ensemble le
constat dans cette ultime séance de cure de la narratrice:
Je ne dis rien pour que vous disiez oui, voilà c’est tout, je fais silence pour vous
entendre, vous ne dites rien, sinon, et j’ai envie que vous parliez, que votre voix me
rejoigne, que votre voix me touche. J’attends que vous disiez vous comme la dernière
fois quand j’ai cessé de parler, […] (DCBL, 176)
Dans cet exemple ci-dessus, la narratrice est devant son interlocuteur mais c’est uniquement
sa voix que nous entendons. De plus, toutes les questions et les réponses émanent d’elle,
même si pour quelques réponses nous soupçonnons l’intrusion du psychiatre. C’est le cas
dans cette citation : « on peut améliorer les rapports, renouer les liens défaits ? Et
comment ? » (DCBL, 76) Dans cet exemple, nous avons l’impression que la narratrice
reprend les questions de son psychiatre pour faire connaitre à ses lecteurs les questions
auxquelles elle répond.
Outre la transcription écrite du dialogue entre la narratrice et son psychiatre, Dans ces
bras-là, l’absence de ponctuation dans certains passages du roman, témoigne du dessein de la
narratrice de traduire le langage oral dans son récit romanesque. C’est ce que nous observons
dans ce passage où la narratrice cite de mémoire, ce qu’elle avait l’habitude d’entendre de la
bouche de ses proches :
à partir de dorénavant
ça me ferait mal aux seins
ça te passera avant que ça me reprenne
il nous a brouillé l’écoute avec sa panne de micro
c’est mon opinion et je la partage (DCBL, 120-121)
Ces fragments de phrases, dépourvues de majuscules et de toute ponctuation épousent le
discours oral quotidien. Également, en occultant la ponctuation dans certains passage du
roman, Camille Laurens confirme son dessein de rompre avec les préceptes qui régissaient
l’écriture d’un texte romanesque.
De même, dans Les tambours de la mémoire, les monologues intérieurs de Fadel sont
des restitutions de l’attitude mentale du personnage. Leur présence dans le texte, donne un ton
oral au récit. Dans cet exemple, les narrateurs, se basant sur le manuscrit trouvé du défunt,
tentent de rapporter les soliloques de ce denier durant sa rencontre avec le féticheur
Thiémoko : « J’ai failli me faire avoir ! Je sais déjà ce qu’il va me sortir. Destin exceptionnel.
Une belle jeune fille. […] Les mêmes salades, quoi… » (LTM, P.84). Aussi, dans ses cahiers
posthumes, Fadel en rapportant la scène où Thiémoko, le féticheur lui prédit son avenir, laisse
entendre parler les êtres invisibles. Le discours des génies que l’on entend souvent dans les
mythes et les contes, résonne cette fois dans un récit romanesque, ce qui fait que la couleur de
l’oralité devient de plus en plus apparente dans Les Tambours de la mémoire. C’est ce que
51
nous observons aussi dans cet exemple où le féticheur Thiémoko traduit les propos
prophétiques des génies : « Mon fils, tu iras loin d’ici, comme cette flèche. Très loin d’ici. Ils
disent (mon fils, ce n’est pas moi qui parle), ils disent que la flèche se brisera avant de
retoucher terre. Ils disent aussi : les ennemis de Fadel Sarr sont nombreux et puissants, ils
sont patients » (LTM, 84).
Également, Dans ces bras-là, la narratrice fait référence aux proverbes, elle les
dissimule souvent dans la trame du récit. Le proverbe est un des matériaux de la littérature
orale. Et selon Locha Mateso : « par ces matériaux de la littérature orale, le romancier
réactualise un temps et un espace intériorisés, concrets et mythiques.»84 En citant les
proverbes de Lao-tseu et de la philosophie zen, la narratrice restaure et réactualise le
patrimoine oral et religieux des japonais et des chinois. Elle cite : « Le Taô parfait n’offre pas
de difficulté, sauf qu’il évite de choisir. », « Laisse passer la proie et l’ombre‒assieds-toi. »
etc (DCBL, 147).
Dans ces bras-là, on note une certaine dichotomie dans l’écrit et le parler des
narratrices des différents chapitres. Suivons l’analyse de Francis Berthelot qui dit
ceci : « lorsque le narrateur se trouve être un des personnages de l’histoire, le problème de sa
parole se pose plus aiguë, puisqu’il s’exprime à deux niveaux : écrit en tant que narrateur et
oral en tant que personnage.»85 Cette assertion semble concerner le roman de Camille
Laurens. Parce que, d’abord la narratrice qui mène le récit sur les hommes est
hétérodiégétique, elle s’exprime comme une rapporteuse et ne se sent pas mêlée à l’histoire
qu’elle raconte. Tandis que l’autre narratrice se constitue en même temps en personnage et
s’implique fortement dans l’histoire qu’elle narre. Dans le discours oral qu’elle adresse à son
médecin, la narratrice « je », fait semblant de présenter un cas pathologique. Ses propos sont
parfois dignes d’une folle à lier. Tandis que dans le récit écrit sur les hommes, la narratrice,
« elle » est plus logique et plus cohérente dans ses propos. On note un net contraste entre le
langage écrit et le langage oral.
Jean Sob, dans sa monographie sur l’œuvre de l’auteur sénégalais, n’en dira pas moins
sur la dichotomie entre langage oral et écriture. À ce propos, il dira : « dans Les tambours de
la mémoire, quand il s’agit du récit oral fait par Ismaïla Ndiaye, la métalepse est une adresse
à l’auditoire ; quand il s’agit du texte de reconstitution, donc de l’écrit, la métalepse est
matérielle».86 Selon le critique camerounais, dans le roman de Boris Diop, le langage des

84
Locha Mateso, La littérature africaine et sa critique, op.cit., p. 357.
85
Francis Berthelot, Parole et dialogue dans le roman, Paris, Nathan/Her, 2001, p. 122.
86
Jean Sob, L’impératif romanesque de Boubacar Boris Diop, op.cit., p. 132.
52
narrateurs est oral quand ils s’adressent directement à leurs interlocuteurs sans fac-similé.
Alors que, si leur récit mémoriel est soutenu par la présence de documents physiques, en
atteste par exemple la lettre de Fadel, la métalepse est matérielle et est plus proche de l’écrit.
Enfin, dans les deux romans, nous notons souvent une combinaison du français avec
une autre langue. Cette diglossie entre dans le jeu du langage oral et de l’écriture. Les langues
n’ont plus de frontière et leur amalgame devient de plus en plus courant dans le langage oral
quotidien. Camille Laurens et Boris Diop, pour donner le souffle de l’oralité et de l’oral à
l’écriture, ne manquent pas d’insérer dans leur roman des mots qui émanent d’une autre
langue. Dans ces bras-là, la narratrice amalgame souvent le français et l’anglais, c’est ce que
nous constatons dans ce passage :
Elle s’avance dans le couloir […] il sourit comme fier d’elle, bien joué darling. […]
Parvenue à sa hauteur, elle lui envoie son cartable à toute volée dans la figure, perdu
mon amour, prends ça dans le nose, honey, never give all the heart, my tailor is rich
and my wife is crazy. Puis elle s’évanouit, son of a bitch (DCBL, 144).
Camille Laurens, véritable tisseuse de mots est une adepte de la diglossie, déjà dans
son second roman intitulé Romance87, les pratiques diglossiques sont patentes. Sans se soucier
de la cohérence dans le langage, elle allie constamment l’anglais et le français. C’est ce que
nous observons dans ces différents exemples tirés du roman cité supra aux pages 19, 227 et
247: « quand son accent mondain, very british, se frotte aux âpres répliques du héros », « les
termes les plus élémentaires devenaient alors source d’erreur, vivre, to live, to love, aimer, to
love quitter », « to lie, mentir, to die, mourir».
S’inscrivant dans le même sillage, les traces du wolof, langue maternelle de Boris
Diop ne manquent pas de faire leur immixtion dans son texte romanesque. Nous avons fait
l’inventaire de mots et de quelques expressions wolof comme : « Yaye » (LTM, 94),
« Ndawrabine » (LTM, 99), « je te le dis, Déguène, je tiens de mon arrière-grand-père
Massaer Ndéné Khoulé l’art de voir ce qui se cache derrière les apparences ! » (LTM, 108),
« bilahi, nous les entendions tous distinctement, Adja ! » (LTM, 109), « Cependant moi,
Modou Fatim Xoulé arrière-petit-fils de Massaer Ndéné Khoulé, je dis que demain Inch
Allah, ce pays sera entre les mains de Madické ! » (LTM, 111). Ces différentes expressions
renvoient naturellement à la langue wolof. Et, cette dernière étant elle-même une langue
d’emprunt, les termes « bilahi » et « Inch Allah » appartiennent à la langue arabe. De même,
l’usage du verbe dire et des points d’exclamation renvoient au discours oral.

87
Camille Laurens, Romance, Paris, P.O.L, 1992.

53
À l’issue de ce troisième chapitre, nous pouvons affirmer que Les tambours de la
mémoire et Dans ces bras-là sont des romans hybrides tant par le mélange des différents
récits mémoriels que par la fusion de l’écriture, de l’oralité et du discours oral dans le roman.
Boubacar Boris Diop et Camille Laurens, en décloisonnant leur récit, exercent une véritable
désinvolture de l’écriture romanesque. Les discours mémoriels s’emboitent, se contredisent et
causent une certaine perplexité chez le lecteur. L’oralité et le discours oral s’invitent à
l’écriture romanesque et imposent une certaine relecture et une reconsidération du roman,
genre censé écrit.

54
Chapitre IV : Posture de lecteur et métadiscours
Le renouvellement dans le genre romanesque entraine naturellement le changement
dans la manière de narrer. Et selon Maurice Blanchot :
Il y a une lecture active, productive-produisant texte et lecteur (…), puis la lecture
passive qui trahit le texte, en paraissant s’y soumettre, en donnant l’illusion que le
texte existe objectivement, pleinement, souverainement : unitairement. La lecture sans
plaisir, sans jouissance, échapperait à la compréhension et au désir.88
Dans le cadre de ces romans, les auteurs s’intéressent au lecteur actif, celui qui crée et
qui produit au même titre que l’écrivain. Boubacar Boris Diop et Camille Laurens se
dépouillent de leur autorité auctoriale et cèdent la narration du récit aux personnages. Ces
derniers, doutant de leur capacité à mener correctement le travail d’écrivain, se permettent de
revenir largement sur le texte qu’ils ont déjà écrit donnant à croire qu’il est en gestation. De
ce fait, le lecteur d’antan considéré comme un simple consommateur devient maintenant un
alter ego du narrateur, son partenaire dans l’aventure de l’écriture. Par l’insertion de
nombreux commentaires, autrement dit, par le biais des métalepses narratives, les
personnages-narrateurs établissent une discussion fictive avec leur lecteur.
Le lecteur adopte une nouvelle posture, celle de lecteur-écrivain. Il participe volontiers
à ce jeu dans lequel les auteurs camouflent leur présence dans le texte, déléguant qu’à demi le
meneur de la narration aux personnages comme l’attestent les nombreuses immixtions des
auteurs dans le texte. Dans Les tambours de la mémoire et Dans ces bras-là, les auteurs
incitent leurs lecteurs à prendre des initiatives interprétatives. C’est pourquoi dans ces deux
textes, il ne tarie jamais de provocation et d’implication du lecteur. Celui-ci joue un rôle
important dans l’univers narratif de ces deux romans. Il existe un lien d’interactivité entre lui
et les narrateurs.
Avec Boris Diop et Camille Laurens, l’ère du lecteur passif a sonné son glas. Les
nombreuses adresses au lecteur démontrent que ses anciennes habitudes sont agressivement
perturbées. Pour ces deux auteurs, le lecteur invisible et privilégié est celui qui ressent un
frisson nouveau devant le texte romanesque. Frisson dû aux nouvelles techniques d’écriture
qu’il découvre et qui n’ont rien à voir avec celles du roman traditionnel. Le lecteur s’égare et
éprouve habituellement un trouble. C’est ce lecteur dont parle Antoine Compagnon qui
manque de repères, ignore où il va, se demande quoi attendre. Ce même lecteur « ressent un
sentiment de désorientation, de perte de repères, peut-être d’anxiété, comme on plonge avec
précaution dans une maison plongée dans l’obscurité. »89 Et, pour se sentir chez soi, il

88
Maurice Blanchot, L’écriture du désastre, Paris, Gallimard, 1980, p. 157-158.
89
Antoine Compagnon et AL, Proust, la mémoire et la littérature, op. cit., p. 15.
55
s’accroche à la matérialité du texte sur laquelle les auteurs attirent son attention. Le lecteur
devient un créateur au même titre que l’auteur. Boubacar Boris Diop et sans aucun doute
Camille Laurens : « montrent au lecteur comment le texte a été élaboré»90. Ils mettent à nu et
au su du lecteur les démarches adoptées pour écrire le récit. Néanmoins, par la pléthore
d’autocommentaires qui suspend par moment le cours du récit la présence des auteurs se fait
toujours sentir. La métalepse est une figure très présente dans le texte parodique et elle permet
ainsi l’intrusion de l’auteur et du narrateur dans le récit.
Dans le présent chapitre, il sera d’abord question d’étudier le statut du lecteur et sa
nouvelle situation dans l’espace romanesque particulièrement dans Les tambours de la
mémoire et Dans ces bras-là. Ensuite, nous ferons le point sur les nombreuses immixtions des
narrateurs et aussi des auteurs dans le récit desdits romans.

IV-1 Lecteur-écrivain
La lecture permet au lecteur de prendre contact avec le texte. Elle une « interaction
dynamique entre le texte et le lecteur »91. Pour la survie de l’œuvre littéraire, pour qu’elle
puisse transcender les époques:

[Il faut] la participation active de ceux auxquels elle est destinée. C’est leur
intervention qui fait entrer l’œuvre dans la continuité mouvante de l’expérience
littéraire, où l’horizon ne cesse de changer où s’opère en permanence le passage de la
réception passive à la réception active, de la simple lecture à la compréhension
critique, de la norme esthétique admise à son dépassement par une production
nouvelle.92
Hans Robert Jauss accorde ici une place importante au lecteur. Ce dernier rend féconde la
littérature et participe à la fulgurance de son évolution. Cependant, dans les siècles précédents
le lecteur était considéré comme un élément mineur dans le texte littéraire. De ce fait, il ne
faisait que consommer passivement le contenu du livre et ceci sans aucune forme d’analyse.
De surcroit, il ne s’attardait guère ni sur le style de l’auteur ni sur l’effet esthétique de la
matière littéraire, au contraire, il ne faisait qu’une approche thématique du texte au préjudice
de sa matérialité.
Toutefois, au XVIIIéme siècle, le lecteur occupait une place importante dans l’œuvre
littéraire. C’est le cas dans le roman épistolaire de Diderot intitulé Jacques Le Fataliste où le
lecteur est vivement interpellé. Dans le passage qui suit, le romancier déclare son pouvoir à
son lecteur: « vous voyez, lecteur, que je suis en beau chemin, et qu’il ne tiendrait qu’à moi de

90
Jean Sob, L’impératif romanesque de Boubacar Boris Diop, op.cit., p. 180.
91
Wolfgang Iser, L’acte de lecture, théorie de l’effet esthétique, Bruxelles, Pierre Mardaga Editeur, 1976, p. 197.
92
Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978 pour la traduction française, p.
45.
56
vous faire attendre un an, deux ans, trois ans, le récit des amours de Jacques(…).»93 Denis
Diderot accorde une part importante à son destinataire. De la même manière, au XX ème, le
nouveau type de roman entraîne indubitablement un nouveau type de lecteur. Les romanciers
refusent de bâtir leur œuvre sans le lecteur. Et celui-ci, devient même un composant
incontournable du texte littéraire. Plus qu’un simple consommateur, le lecteur devient lui-
même créateur au même titre que l’auteur. C’est ce que semble souligner Nathalie
Sarraute : « « renonçant à ses habitudes de confort [le lecteur], il plonge en eux [les
personnages] aussi loin que l’auteur et fait sienne sa vision. » 94
Un nouveau rapport entre le texte et le lecteur voit le jour. À la différence du lecteur
classique, le nouveau lecteur est plus actif et plus participatif. Il est constamment interpellé
par les auteurs, ces derniers lui font participer au jeu textuel et il « doit pratiquer une lecture
idéalement objective, descriptive, attentive aux paradoxes, aux ambigüités ».95 On l’épuise,
on le presse et on le pousse à reconnaître la valeur esthétique de l’ouvrage sous ses yeux.
Les normes et les valeurs du lecteur sont modifiées. Les néo-romanciers mettent en
exergue une écriture fragmentée, typographiquement hétéroclite qui agresse la vue. Wolfgang
Iser dans L’acte de lecture distinguera deux types de lecteurs : le lecteur contemporain et le
lecteur idéal. Le premier, il le conçoit comme le lecteur empirique, autrement dit le lecteur du
second degré et le deuxième comme le lecteur compétent qui a « le même code que
l’auteur ».96 C’est à ce lecteur idéal que semblent s’adresser Boris Diop et Camille Laurens
dans leur texte. Dans Les tambours de la mémoire et Dans ces bras-là, les auteurs accordent
une place capitale au savoir-faire du lecteur. À la limite même, ils enferment ce dernier dans
une carapace infernale, c’est la raison pour laquelle il est obligé de se démener comme un
diable pour déchiffrer les supercheries narratives insérées subrepticement par les narrateurs.
Les romans de Boris Diop et de Camille Laurens ne s’adressent pas aux ratés de la
lecture, ni aux lecteurs réceptifs et inertes. C’est la fin de l’ère d’une littérature plate où : « les
lecteurs raffolent d’histoires calmes, claires où les méchants sont punis et les héros
récompensés »97. Dans les deux romans, les lecteurs sont constamment bousculés par les
auteurs qui les invitent à la réflexion et à la création d’une nouvelle littérature. Ainsi, les
valeurs et les normes du lecteur sont modifiées. De plus, la « structure du texte et celle de

93
Denis Diderot, Jacques le fataliste, éd.cit. p. 45.
94
Nathalie Sarraute, L’Ère du soupçon, op.cit., p. 73.
95
Antoine Compagnon, Le démon de la théorie, littérature et sens commun, op.cit., p. 165.
96
Wolfgang Iser, L’acte de lecture, théorie de l’effet esthétique, op.cit., p. 63.
97
Boubacar Boris Diop, Le temps de Tamango, éd.cit. p. 38.
57
l’acte de lecture sont complémentaires »98. Également, rappelons que Les tambours de la
mémoire et Dans ces bras-là sont des romans de reconstitution mémorielle et l’acte d’écriture
s’effectue simultanément avec celui de la lecture. « Le lecteur dispose d’un livre dont il
recevra un contenu rigoureusement codifié, [il] exerce une activité créatrice sur la matière
que lui propose le texte »99.
D’abord dans Les tambours de la mémoire, le lecteur-écrivain reconstruit avec les
personnages-narrateurs les notes laissées par Fadel. Il est incessamment appelé à collaborer
avec les narrateurs-écrivants. Pourtant, Boubacar Boris demeure le maître de son œuvre, c’est
la raison pour laquelle il y a une sorte de climat d’hostilité entre lui et son lecteur. Il lui lance
des défis, agresse son ego et semble tancer avec jactance son intelligence. « Le Vous »
interpellatif est prégnant dans ce roman, comme en attestent ces différentes citations tirées du
roman : « Vous ne pouvez pas imaginer le soin qu’elle met, Ndella, à faire croire qu’elle
prend la vie comme elle est » ; « Si vous aviez connu Ndella », « le nom de Fadel ne vous dira
probablement rien » (LTM, 6-7). Pareillement, Camille Laurens accorde une part importante
à son lecteur dans son texte, ce dernier y est un agent actif. De ce fait, le dernier chapitre
intitulé « le destinataire » est une adresse au lecteur. Et, comme dans le premier roman, Dans
ces bras-là, le « Vous » interpellatif est aussi présent : « j’écris pour vous, je vous écris(…).
C’est à vous que je parle, (…). Je ne sais pas qui vous êtes mais je vous vois, je vous devine,
je vous peins, je vous parle, je vous invente : je vous écris » (DCBL, 308).
Dans les deux œuvres, les auteurs se créent leur lecteur à leur image. Ils veulent un
lecteur actif et non passif, productif et non réceptif, créateur et non consommateur. Et cette
perspective selon Bernard Valette « suppose une participation active du lecteur en tant que
co-énonciateur du message, le destinataire devient ainsi interprète, à l’instar du musicien de
l’œuvre qu’il recrée au cours de l’acte de lecture ».100 Les lecteurs de Boris Diop et de
Camille Laurens doivent être capables de décoder les signes cachés et imbriqués dans le récit.
Puisqu’ils proposent une nouvelle forme de lecture à leurs lecteurs, ces derniers doivent donc
être des producteurs de sens et des amateurs de la déconstruction des codes romanesques. Plus
que de simples destinataires d’un récit donné, ils participent activement à la rédaction du récit
en gestation. Ils sont invités à s’initier à l’écriture et à mettre de l’ordre dans la désinvolture
romanesque.

98
Wolfgang Iser, L’acte de lecture, théorie de l’effet esthétique, op.cit. p. 197.
99
Louis Bazinet, Le lecteur comme écrivain, recherches systématiques en sémiologie et pragmatique, Montréal,
Novotexto, 1990, pp. 21-22.
100
Bernard Valette, Esthétique du roman moderne, op. cit., p. 176.
58
Dans ces bras-là, la narratrice trace la charpente scripturale de son livre comme suit :
« ce sera une sorte de double construction imaginaire, une création réciproque (…) j’écrirai
ce que je vois d’eux [les hommes de sa vie] et vous [les lecteurs] direz ce qu’ils font de moi »
(DCBL, 19). De la même manière, dans Les tambours de la mémoire, le lecteur-interprète
prend la posture d’un lecteur critique qui ne doit pas ignorer que dans ce roman « il s’agit
d’une vaste campagne d’intoxication menée selon les règles de l’art par de vrais
professionnels de la subversion [qui] sont forts pour ce qui est d’amalgamer le vrai et le
faux » (LTM, 115).
Dans ces deux romans, l’écriture est une véritable mise en scène, tout se bouscule dans
la tête du lecteur qui tente tant bien que mal de sortir indemne du labyrinthe dans lequel il est
perpétuellement enfermé. En d’autres termes, la désarticulation du récit chez Boris Diop et la
palpitation de la narration chez Camille Laurens déroutent le lecteur. Mais celui-ci a pour
mission de se projeter sur le récit et d’effectuer la reconstitution au même titre que l’auteur.
Le lecteur devient un partenaire incontestable de l’auteur. Démêler les pistes de lecture,
rendre au temps sa linéarité, dévoiler les intrusions d’auteur, trier le vrai du faux, effectuer la
reconstitution mémorielle, écrire le récit virtuel avec les narrateurs sont les activités réservées
aux lecteurs de Dans ces bras-là et des Tambours de la mémoire. Ils n’espèrent plus rien des
auteurs, ils construisent leur propre roman. Ils n’attendent plus de réponse, ils formulent leur
propre hypothèse. Ils ont la possibilité de réécrire au bien le roman virtuel qu’ils sont en train
de lire et qui s’écrit sous leurs yeux.
Dans Les tambours de la mémoire et Dans ces bras-là, le lecteur occupe une posture
d’écrivain. Cet « archilecteur »101est un devin qui a un niveau de compétence au même titre
que les personnages-narrateurs. Ces derniers, pourtant n’arrivent jamais au bout de leur projet
d’écriture. Les récits sont multipliés et redondants, et c’est au lecteur d’imaginer une issue
possible à l’intrigue posée. C’est pourquoi avec les nouveaux codes de l’écriture
romanesque : « les auteurs élaborent un style romanesque qui crée un nouveau type de
rapport entre le romancier et le lecteur à travers les récits sous forme de mise en scène,
l’association du lecteur à l’élaboration du texte, son implication dans le récit »102.
Pour clore ce point, Camille Laurens et Boris Diop s’adressent au lecteur dynamique,
doué de compétence qui est aux antipodes de la platitude littéraire et qui prône une analyse
profonde de l’architecture du texte. C’est le lecteur modèle dont parle Umberto Eco qui ne se
décourage jamais et qui fonce malgré les embûches que les auteurs parsèment sur son chemin.

101
Terme emprunté à Michael Riffaterre et cité par Wolfgang Iser dans son ouvrage cité supra à la page 65.
102
Jean Sob, L’impératif romanesque de Boubacar Boris Diop, op. cit., p. 9.
59
Aussi, le lecteur participe-t-il à la concrétisation de ces romans en gestation en posant les
jalons avec les narrateurs et en s’impliquant activement dans l’aventure de l’écriture.

IV-2 Autocommentaires
L’autocommentaire discursif aussi appelé métalepse est un discours que l’auteur ou le
narrateur prononce sur son propre texte quand le récit cadre est suspendu. C’est aussi « une
entorse au pacte de la représentation»103. Dans Le discours du récit, Gérard Genette précise
que la métalepse est « une intrusion du narrateur ou du narrataire extradiégétique dans
l’univers diégétique (ou de personnages diégétiques dans un univers extradiégétique »104.
Nous avons pris le risque d’associer l’auteur dans cette définition de Gérard Genette. Avant
d’aller plus loin dans notre analyse, spécifions d’abord qu’est-ce qu’un auteur et qu’est-ce
qu’un narrateur, car dans les deux récits tous les deux éléments jouent un rôle non sans
importance dans l’univers diégétique. D’abord, l’auteur c’est celui qui a signé de son nom le
livre que nous lisons. Par exemple, Boubacar Boris Diop et Camille Laurens sont
respectivement les auteurs de Les tambours de la mémoire et de Dans ces bras-là. Par contre,
le narrateur est chargé d’effectuer la narration, c’est sa voix que nous entendons tout au long
du récit. Ismaïla Ndiaye et Ndella sont les principaux narrateurs dans le roman de Diop. Et,
Dans ces bras-là, la narration est alternativement effectuée par « Elle » et « Je ». Camille
Laurens et Boubacar Boris Diop délèguent le système énonciatif de leur œuvre à leurs
personnages et c’est la raison pour laquelle la polyphonie narrative est patente dans les deux
romans.
Toutefois, malgré leur absence simulée, les deux auteurs ne disparaissent pas
totalement de l’univers diégétique. Discrètement, ils pénètrent dans le texte pour apporter soit
des informations supplémentaires ou pour redresser leurs personnage-narrateurs qui ne
manquent pas de faire parfois montre d’une certaine incapacité à mener jusqu’au bout le récit.
Dans Les tambours de la mémoire, l’intrusion de l’auteur dans le récit se manifeste
visiblement par l’usage des crochets. C’est le cas dans cette citation où une voix inconnue,
une voix off apporte des précisions sur le récit testimonial d’Ismaïla le narrateur du moment.
Nous supposons que cette voix est celle de l’auteur :
[Selon Ismaïla, il est permis de supposer que le fait d’avoir frôlé la mort de si près a
poussé Fadel à se lancer précipitamment à la recherche de la reine Johanna
Simentho. « Personne, souligne-t-il, ne sait exactement à quel moment et pour quelles
raisons précises Fadel a pris la décision d’aller Wissombo »] (LTM, 112-113).

103
John Pier et Jean-Marie Schaeffer, Métalepses, entorses au pacte de la représentation, Paris, L’école des
hautes études en sciences sociales, 2005. (Notre citation renvoie donc au titre de cet ouvrage.)
104
Gérard Genette, Discours du récit, op. cit., p. 244.
60
En revanche, Dans ces bras-là, l’auteur intervient directement dans son texte pour signer un
pacte de lecture avec ses lecteurs. Dès les premières lignes, le lecteur attentif détecte la
présence auctoriale dans le texte, comme en atteste cette citation qui pourrait même servir de
préface au roman :
Je donnerai au personnage ce caractère précis de mon caractère (je le tiens de ma
mère…)… C’est ainsi. C’est un défaut, si vous voulez. Un défaut d’attention, une
carence de l’esprit. Depuis toujours elle [la narratrice] regarde les hommes, rien
d’autre. Elle les regarde, elle les contemple, elle les observe (DCBL, P.17).
Toutes ces explications ne peuvent provenir que de l’auteur, c’est lui le maître de son
œuvre. Il est même capable de prédire l’avenir pour son narrateur et mène à sa guise le destin
de ses personnages. Régnant en maître, Boris Diop et Camille Laurens ne laissent jamais leur
narrateur mener le récit en toute liberté, ils sont omniprésents et font aussi collaborer le
lecteur. Compendieusement, les auteurs pénètrent dans leur texte pour reprendre la place
qu’ils avaient momentanément cédée.
Rappelons que dans les deux romans nous avons affaire à des personnages-narrateurs
et à des récits qui s’écrivent au moment où nous les lisons. Dans Les tambours de la mémoire,
les personnage-narrateurs s’adonnent à la reconstitution du manuscrit trouvé du défunt Fadel
et Dans ces bras-là, le personnage-narrateur, « Elle » reconstruit les puzzles des hommes de
sa vie. Ces derniers peu initiés à l’écriture se voient confier par leur auteur le rôle d’écrivain.
C’est pourquoi au cours de la rédaction, ils ne cesseront de faire immixtion dans leur texte
pour avoir un regard critique sur leur propre travail. D’autant plus, qu’ils se récusent toute
prétention et toute omniscience et rappellent toujours qu’ils sont de simples apprenti-
écrivains. C’est le cas dans cet exemple tiré du roman de Boris Diop : « Ndella et moi ne
pouvons certes prétendre au statut enviable de romanciers, n’ayant rien inventé, ni une
histoire ni des personnages » (LTM, 50). C’est dans le même sillage que s’inscrit ce
métadiscours du personnage-narrateur de Camille Laurens qui auto-cite son récit: «
logiquement, le livre devrait s’ouvrir sur le père (…) malgré tout, j’étais assez tentée de faire
entrer l’éditeur d’abord, parce que ce n’était pas ma vie que j’écrirai, mais un roman »
(DCBL, 21).
Dans les deux romans, les narrateurs procèdent à ce que Mikhaïl Bakhtine appelle « la
mise à nu des procédés »105. Ils nous montrent ouvertement comment ils ont élargi leur projet
romanesque tout en nous faisant croire que le livre est virtuel. Le roman émerge de la
chambre noire dans laquelle il était jalousement gardé avec ses mystères et ses secrets. Le

105
Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, op.cit., p. 223.
61
lecteur découvre les inquiétudes et les faiblesses des narrateurs au moment de la rédaction. Il
n’a plus peur du fruit défendu, au contraire, il le goûte audacieusement avec eux.
Les autocommentaires fragmentent et suspendent momentanément la narration. C’est
une stratégie qu’adoptent les narrateurs qui veulent nous intéresser à la manière dont ils ont
élaboré leur récit plutôt qu’à l’histoire qu’ils racontent. De même, pour masquer leur
incapacité à dérouler jusqu’au bout le récit, les narrateurs s’attardent sur des banalités, font
des digressions sur d’autres sujets, témoignent parfois de leur pouvoir ou de leur faiblesse ou
interpellent directement le lecteur qui a été un partenaire et un co-écrivain tout au long de la
pérégrination scripturale.
Eu égard à Jean Sob, dans Les tambours de la mémoire, la lettre de Fadel à son frère
Badou et la pièce de théâtre rituelle jouée par Fadel et les gens de Wissombo sont des
« métalepses matérielles ». Ainsi, « la volonté de soutenir la crédibilité de son texte a amené
Ismaïla Ndiaye à des intrusions de documents au cours du récit »106. Si les narrateurs font
recours à la mise en abyme c’est pour rendre constatable mais aussi vérifiable ce qu’ils
avancent. De même, Dans ces bras-là, les autocommentaires de la narratrice s’effectuent
fréquemment dans le récit secondaire. Autrement dit, le récit enchâssé permet à la narratrice
de s’expliquer sur les modalités de son écriture dans le récit cadre. Suivons bien cet exemple
cité dans le récit premier : « à partir de dorénavant/ ça me ferait mal aux seins/ « la liberté
individuelle finit où commence celle d’autrui »/ on ne lit pas à table/ quand on a rien à dire
on se tait/ on ne doit pas juger ses parents(…) » (DCBL, 120-121). En lisant ces différents
fragments de phrases au sens controversé, le lecteur est déconcerté mais dans le récit
secondaire, la narratrice va s’expliquer : « j’ai fait une expérience, hier ; je me suis inspirée
d’un test scolaire sur la mémorisation : j’ai couché sur le papier toutes les phrases que j’ai
retenues de mes proches(…) » (DCBL, 123). Donc, c’est dans l’enchâssement que le lecteur
trouvera des explications à ses questionnements et c’est ce qui rend excentrique la mise en
abyme dans ces deux romans.
Les autocommentaires dévoilent et démystifient l’œuvre littéraire. Le lecteur qui
d’antan ne lisait qu’un produit fini, se retrouve aujourd’hui avec un livre qui s’écrit au
moment où il le lit et auquel il est incessamment associé. Le temps de la narration est
corollaire à celui de la lecture. Les narrateurs dévoilent sans gêne la difficulté qu’ils éprouvent
à écrire leur texte et par soucis d’objectivité ils font souvent recours à la mise en abyme de

106
Jean Sob, L’impératif romanesque de Boubacar Boris Diop, op.cit., p. 130.
62
documents pour rendre plus crédibles leurs propos. C’est ce qui fait dire à Genette que la
métalepse est « une transgression délibérée du seuil d’enchâssement.»107
Contrairement aux époques précédentes où le lecteur était tenu de prendre à la lettre
tout ce qu’on lui racontait, Camille Laurens et Boris Diop veulent des lecteurs incrédules qui
se creusent les méninges. C’est pourquoi en autocommentant leur propre récit, les narrateurs
établissent une discussion avec leurs lecteurs. Par exemple, Ismaïla conscient de son
indifférence lors de l’annonce du décès de Fadel à sa compagne, s’adressera à son lecteur
comme suit : « Cela vous fera frémir, mais je n’ai pas du tout eu honte de mon cynisme »
(LTM, 13). De la même manière, la narratrice du roman de Camille Laurens parlant avec
fougue de son fils mort-né au point d’oublier l’existence de ses deux autres filles, s’exprimera
ainsi avec ses lecteurs : « c’est pour que vous compreniez : elle a deux fille qu’elle aime
passionnément. Mais cet enfant-là, celui qui manque(…) c’est le sien aussi» (DCBL, 221).
Le nouveau type de roman suppose indéniablement une nouvelle manière de narrer.
L’auteur devient un « un personnage moderne »108. Dans son texte, il s’amalgame avec ses
personnages et c’est ce que nous constatons dans les tambours de la mémoire et Dans ces
bras-là, où Boris Diop et Camille Laurens cèdent leur siège d’auteur à leurs personnages qui
se chargent d’effectuer la narration. Néanmoins, les auteurs ne disparaissent jamais de la
sphère diégétique, ils y sont toujours et c’est au lecteur attentif de détecter la présence de ces
derniers dans le texte. En sus, conscients qu’ils sont des novices dans l’univers diégétique, les
personnage-narrateurs ne cessent de revenir sur leur récit en auto-citant perpétuellement le
roman et en mettant à nu leur stratagème scriptural. Cette finesse narrative se fait avec la
collaboration du lecteur qui devient lui aussi un agent actif.
L’intrusion des auteurs et aussi des personnages-narrateurs dans le récit qui est en train
de s’élaborer rend fragmentaire le texte. Celui-ci ressemble à un vrai tohu-bohu à cause des
nombreuses autocitations du récit, de l’immixtion des auteurs, et des nombreuses
interpellations du lecteur. Ainsi, le texte devient un véritable carnaval.
A l’issue de cet ultime chapitre nous notons que le genre romanesque ne cesse
d’opérer des métamorphoses. L’auteur, les personnages, et les lecteurs ont une nouvelle
position dans le texte. L’auteur n’assume plus pleinement ses responsabilités, il a allégé sa
tâche. Et maintenant, c’est aux personnages d’intervenir dans le narré et d’assurer le travail de

107
Gérard Genette, « De la figure à la fiction » in Métalepses, entorses au pacte de représentation, art.cit., p.25.
108
Roland Barthes cité par Antoine Compagnon dans Le démon de la théorie, littérature et sens commun, op.cit.,
p. 55.
63
narrateur. Ces derniers, dubitatifs et parfois exempts d’assurance reviennent sur leur propre
récit et ne manquent pas d’impliquer le lecteur dans leur récit en prégnation.
Globalement, dans cette seconde partie nous avons passé en revue les procédés
esthétiques et narratifs qu’utilisent Boris Diop et Camille Laurens dans leur composition
romanesque. Les points les plus saillants de leur écriture subversive sont : la multiplication et
la variation des discours mémoriels, la participation active du lecteur dans l’élaboration du
récit, le discours prononcé par les différents narrateurs sur le récit en cours de rédaction et
l’amalgame entre oralité, discours oral et écriture.

64
Conclusion

65
Au terme de notre étude, nous pouvons dire que Boubacar Boris Diop et Camille
Laurens apportent du sang neuf au genre romanesque. La subversion et l’innovation sont le
soubassement sur lequel se fondent Les tambours de la mémoire et Dans ces bras-là. Les faits
et les éléments rassemblés tout au long de notre étude permettent de dire que chez Boris Diop
et Camille Laurens, les habitudes du roman réaliste tombent en désuet et cèdent la place à de
nouveaux procédés esthétiques et narratifs. Les deux romanciers aiment à emprunter les
chemins buissonniers. Le récit est un véritable patchwork chez ces deux auteurs, tout y est
condensé et l’hétérogénéité et la clé de voute de leur esthétique romanesque.
En somme, le caractère romanesque de ces deux œuvres réside beaucoup plus dans
l’esthétique que dans le contenu. C’est pourquoi le lecteur s’accroche plus à la matérialité du
texte qu’à la thématique. Toutefois analysant minutieusement les deux romans, nous sommes
amenés à dire que Boris Diop et Camille Laurens n’ont pas seulement subverti les canons
romanesques mais ils participent également à son renouvellement. Ils composent des récits
qui s’ouvrent à toutes les manipulations. Ces deux auteurs de rupture ont une certaine
prédilection pour les jeux formels, ils « procèdent à un émiettement continu du récit et à une
implacable violence exercée sur la forme »109.
Nous avons aussi fait le constat à savoir que Boubacar Boris Diop et Camille Laurens
exercent une véritable « esthétique de l’inaccompli »110. Les récits se fructifient tout à long du
roman, mais jamais ils ne connaissent un dénouement. À la fin de sa lecture, le lecteur n’ pas
de réponse et il continue à se poser des questions. Eu égard à l’auteur sénégalais : « il faut
obtenir que le lecteur ne soit jamais en repos.»111 C’est dans l’inachèvement, la fragmentation
et la diversité que le lecteur trouve des espaces pour son propre imaginaire.
Dans ces bras-là comme dans Les tambours de la mémoire, les intrigues n’ont pas de
dénouement, elles sont laissées en suspension au profit de nouveaux récits greffés par bribes
au cours de la narration. Ce qui ramène toujours le récit à son incipit. C’est ce qui nous faire
dire que le bateau des narrateurs chavire toujours avant son arrivée à bord. Précisément, chez
Boris Diop, ses personnages-narrateurs s’embrouillent au cours de leur récit. L’incipit des
tambours de la mémoire qui s’ouvre sur la vie de couple de Ndella et Ismaïla se fond dans la
mosaïque des notes de Fadel. Les lecteurs déconcertés ne connaitront jamais l’issue de ces
intrigues. Également, Dans ces bras-là, les chapitres qui portent sur les hommes sont

109
Sélom Komlan Gbanou, « Le fragmentaire dans le roman francophone africain », art.cit., p. 85.
110
Terme emprunté à Serigne Seye dans son article intitulé «La théâtralité du récit romanesque ou la tentation du
théâtre chez Boubacar Boris Diop» in Regards comparés sur la littérature, Interculturel n°21,2017, Alliance
française de Lecce (Italie), p. 262.
111
Cécile Hamon, « entretien avec Boubacar Boris Diop » dans Écrire l’Afrique aujourd’hui, Palabres vol. VIII,
Langres, Éditions Dominique Guéniot, numéro spécial 2007-2008, p. 247.
66
entrecoupés par les séances de cure de la narratrice. Au final, le lecteur est balloté entre
confessions cliniques et récit de vie de la narratrice.
Ces récits en gestation sont de véritables mises en scène de l’écriture. Nous sommes
arrivés à la conclusion que Boris Diop et Camille Laurens ont un goût prononcé pour
l’excentricité dans la composition romanesque. Tous les deux auteurs livrent un combat
farouche contre la platitude et le romanesque dans leur roman. Plus ils avancent plus ils
brouillent et altèrent les pistes. Choisissant la parodie comme socle de leur projet romanesque,
les deux auteurs acquièrent beaucoup de liberté dans la construction romanesque. Chez
Camille Laurens, la fileuse de mots, le récit est kaléidoscopique et labyrinthique. Fait à son
image, son texte est inextricable et très ambigu. Quant à Boubacar Boris Diop, il faut passer
par le discours de ses personnages-écrivains sur l’art d’écrire pour saisir l’essentiel de son
esthétique.
Faisant une analyse globale des deux romans, Les tambours de la mémoire et Dans ces
bras-là, nous affirmons que l’hybridité générique du texte est le fruit de la mémoire trouée qui
gangrène les deux récits. La mémoire est sans ambages l’épine dorsale des deux romans.
Comme nous l’avions souligné supra, les narrateurs principaux se souviennent du temps
passé. C’est pourquoi, ils sont souvent victimes d’une fausse manœuvre du temps.
D’abord, Boubacar Boris Diop mêlant mythe, faits historiques et politiques, jettent ses
personnages dans un précipice élevé du temps. Névrose ou oubli volontaire de la mémoire
collective, nous sommes arrivés à la conclusion que chez Fadel, la mémoire est une
sublimation. Celle-ci lui permet d’affirmer son existence et de donner un sens à sa vie. En
quelque sorte, Fadel écoute les tintamarres que lui siffle sa mémoire poétique. Tandis que
dans le roman de Camille Laurens, la réminiscence devient facile grâce à la psychanalyse.
Néanmoins, la narratrice est souvent envahie par les trous de mémoire ; ce qui lui fait raconter
parfois des inepties.
Ce sont les innombrables oscillations de la mémoire qui rendent circulaire le temps
dans les deux romans. Les nombreux retours en arrière dans le roman de Camille Laurens et le
jeu de mélange des temps dans celui de Boubacar Boris Diop font vaciller la chronologie.
Également, les différents discours testimoniaux sont aussi à l’origine de la cacophonie qui
demeure dans les deux textes. La narratrice Dans ces bras-là se remémore par écrit et
oralement son expérience avec les hommes. Dans Les tambours de la mémoire, les
personnages-narrateurs aussi bien que Fadel le principal intéressé, apportent leur témoignage
sur la prétendue reine Johanna Simentho. Appréhendé sous des angles différents, le même
événement raconté n’est plus le même. En somme, les voix s’emboitent, se télescopent, se
67
croisent et se contredisent occasionnant ainsi une ambivalence énonciative. Les fariboles, les
anecdotes et les interpellations adressées au narrataire sont des ruses pour « délinéariser » le
temps et suspendre le récit qui n’arrive pas à avoir un dénouement.
Nous certifions aussi que l’oubli, le doute et la confusion poussent « les romanciers
vicaires » à recourir à la fiction pour arriver au bout de leur récit même si celui-ci demeure
inachevé. Le factuel et le fictif se bousculent tout au long du récit. Nous arguons que tous les
deux textes passent par la feinte et par le truchement de l’imagination. Dans Les tambours de
la mémoire, même si les références foisonnent, nous arrivons à la conclusion que la reine
Johanna Simentho n’est qu’une parade inventée par l’auteur pour dérouler son projet de
destruction. Même les archives nationales ont nié l’existence de ladite reine. C’est juste
l’histoire d’Aliin Sitoye Jaata qui a été transformée pour des besoins plus littéraires
qu’historiques. Quant au second roman, Dans ces bras-là, l’auteure a tenté de faire passer le
vrai pour le faux. Par le jeu de double, elle « fictionnalise » sa vie tout au long du roman
accentuant ainsi l’ambigüité sur elle. N’oublions pas que la fiction anoblit la vérité la plus
sordide et rend moins plat le récit littéraire. De plus, « c’est l’imaginaire qui empêche
l’altérité de sombrer dans l’indicible. »112
Il serait aussi judicieux de dire à l’aboutissement de notre recherche, que Les tambours
de la mémoire et Dans ces bras-là sont des romans à grandes dimensions intertextuelles. Dans
la partie consacrée à l’intertextualité, nous avons démontré beaucoup de similitudes entre les
deux récits et d’autres œuvres de la littérature sur le plan esthétique. Ainsi, nous rejoignons
Philippe Soller qui avance que: « Tout texte littéraire se situe à une jonction de plusieurs
textes dont il est à la fois la relecture, l’accentuation, la condensation, le déplacement et la
profondeur. »113
Également, nous pouvons dire au terme de notre analyse que la mise en abyme est très
ostensible dans les deux œuvres. Les récits cadres s’engorgent dans les récits secondaires. De
même, nous avons étudié la mise en abyme de l’auteur qui s’apparente de près aux métalepses
et aux nombreuses autocitations du roman. Boris Diop et Camille Laurens sont taraudés par
les questions du comment dire et du comment lire. Ils ne cessent de démystifier l’œuvre
littéraire. C’est pourquoi les habitudes du lecteur sont brutalement agressées. Il assiste et
répond à l’invitation à la remise en cause des idéologies du roman traditionnel. Autant dire
que les lecteurs de Boris Diop et de Camille Laurens ne sortent jamais indemnes de leur
lecture. Jamais en repos, ils doivent impérativement trouver dans le récit, des espaces pour

112
Paul Ricœur, Temps et récit, op.cit., p. 269.
113
Philippe Sollers, Théorie d’ensemble, Textes réunis, Paris, Seuil, 1971, p. 75.
68
leur propre imaginaire. Fortement épuisés, ils se laissent choir par les narrateurs qui les aident
à « surmonter la peur de lire».114
Enfin, Les tambours de la mémoire et Dans ces bras-là, par l’amalgame des genres, le
mélange de l’écriture, de l’oralité et du discours oral et les innombrables métalepses sont de
véritables romans hybrides. Le mélange des genres est très flagrant dans les deux textes.
Poèmes, chants, contes, et théâtralité s’amalgament avec le texte romanesque. Le nouveau
type de roman devient ainsi un réceptacle pour les genres. Si le conte et l’épopée sont les deux
genres oraux qui donnent au roman de Boris Diop « le souffle de la logique souvent
déraisonnable de l’oralité »115, nous avons vu que dans le roman de Camille Laurens, la
prédilection pour les proverbes, la transcription des confessions cliniques et l’absence de
ponctuation dans certaines parties du récit procurent au texte écrit le ton de l’oralité.
En enchevêtrant mythe et conte dans la trame d’un récit quasi fictif, nous déduisons
que Boris Diop remet en cause la véracité desdits genres. Les propos de son personnage-
narrateur Lat-Sukabé dans Le cavalier et son ombre corroborent nos déductions : « y en avait
marre de tous ces conteurs dont les récits complétement illogiques finissaient toujours par
s’égarer en haute mer ».116 De plus, démentant, son frère Fadel sur l’existence de la reine,
Badou considère l’histoire de Johanna Simentho comme « une fantastique épopée » (LTM,
57). L’insertion du mythe et du conte inscrit le récit dans l’atemporalité.
La théâtralité est patente dans le Roman de Boris Diop et plus ou moins dans celui de
Camille Laurens. Au-delà de la pièce de théâtre insérée, la théâtralité proprement dite est
apparente dans Les tambours de la mémoire. La pièce de théâtre jouée par Fadel et les
habitants de Wissombo, accentue l’esthétique subversive de Boubacar Boris Diop. Par le
folklore, le déguisement et le brouillage du réel, Boris Diop se rapproche des nouveaux
dramaturges117 à l’image de Samuel Beckett, Eugène Ionesco et de Jean Genet qui prônent
une rupture esthétique avec le théâtre classique. Quant à Camille Laurens, elle fait pénétrer les
caractéristiques du texte théâtral dans son roman en terminant un paragraphe par : « Les
décors sont de Roger Hartz, les costumes de Donald Cardwell » (DCBL, 51). Le décor et le
costume sont des éléments propres au genre théâtral.

114
Jean Sob, L’impératif romanesque de Boubacar Boris Diop, op.cit., p. 233.
115
Cécile Hamon, « entretien avec Boubacar Boris Diop » dans Écrire l’Afrique aujourd’hui, Palabres vol. VIII,
Langres, Éditions Dominique Guéniot, numéro spécial 2007-2008, p. 245.
116
Boubacar Boris Diop, Le cavalier et son ombre, éd.cit., p. 60.
117
Les nouveaux dramaturges, à l’instar de Jean Genet, Samuel Beckett, Eugène Ionesco prônent la destruction
et l’innovation dans le genre théâtral. Ils veulent rompre avec le théâtre classique et formuler une nouvelle
esthétique du théâtre. Le faux-semblant, les artifices, le brouillage du réel font partie des principaux
caractéristiques du Nouveau Théâtre. Ce type de théâtre se rapproche beaucoup plus du théâtre africain.
69
Avant de clore notre travail, nous tenons à préciser que même si dans les deux romans,
les récits sont intégralement effectués par les personnages. On ne peut ne pas signaler la
présence des auteurs tout au long de l’aventure scripturale. Nous avons fait le constat à travers
les métadiscours que la retraite des auteurs était juste partielle. Camille Laurens et Boris Diop
ne disparaissent jamais de leur récit mais ils manipulent sans cesse leur narrateur et font du
lecteur leur sûr partenaire.
Globalement, Camille Laurens et Boris Diop, refusant l’exercice d’une littérature
plate, ouvrent de nouvelles perspectives à la création romanesque. Plus entreprenants que les
nouveaux romanciers, ces deux écrivains que nous avons considérés comme postmodernes
avec toute l’ambigüité requise du terme, offrent aux futurs romanciers des formes nouvelles à
explorer. Leur écriture est compliquée et très difficile à cerner. En somme, avec le « mendiant
du souvenir » et l’écrivaine à la plume palpitante nous assistons à une véritable révolution de
l’écriture romanesque.

70
BIBLIOGRAPHIE

71
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1981.
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--------------------------, Les traces de la meute, Paris, L’Harmattan, 1993.
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-------------------------, Les petits de la guenon, Paris, Philippe Rey, 2009 (traduction de Doomi
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SARRAUTE, Nathalie, Portrait d’un inconnu (1948), Paris, Gallimard, 1956.
- STENDHAL, Le Rouge et le Noir, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1972 pour la réédition.
TANSI, Sony Labou, La vie et demie, Paris, Seuil, 1979.

-WABERI, Abdourahmane, Balbala (1999), Paris, Gallimard, 2002.

III) Ouvrages Critiques

-BAKHTINE, Mikhaïl, Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, 1978.


---------------------------, Problèmes de la poétique de Dostoïevski (1929), Lausanne, l’Age
D’homme, 1970.
-BARTHES Roland, Essais critiques, Paris, Seuil, 196
-------------------------, Le Degré Zéro de l’écriture (1953), Paris, Edition du Seuil, 1972.
-------------------------, Le plaisir du texte, Paris, Edition du Seuil, coll. «Tel Quel », 1973.
-------------------------, S/Z, Paris, Seuil, 1970.
-BAZINET, Louis, Le lecteur comme écrivain, recherches systématiques en sémiologie et
pragmatique, Montréal, Novotexto, 1990.
-BERTHELOT, Francis, Parole et dialogue dans le roman, Paris, Nathan/Her, 2001.
-BLANCHOT, Maurice, L’écriture du désastre, Paris, Gallimard, 1980.
-BOURNEUF, Roland, OUELLET, Real, L’univers du roman, Paris, PUF, 1981.

73
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à Boubacar Boris Diop, Paris, L’Harmattan, 2004.
-BUTOR, Michel, Essais sur le Roman, Paris, Gallimard, 1992.
-CHEVRIER, Jacques, Littérature Nègre, Paris, Armand Colin, 1984.
- COMPAGNON, Antoine, Le démon de la théorie, littérature et sens commun, Paris, Seuil,
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-COLY, Augustin, Duplications et variations dans le roman francophone contemporain, Les
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Littéraire », 2015.
- DÄLLENBACH, Lucien, Le récit spéculaire, essai sur la mise en abyme, Paris, Seuil,
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-DIOUF, Abdoulaye, Poétique de la voix narrative dans l’œuvre de Marguerite Yourcenar,
Paris, L’Harmattan, 2013.
-DUBOIS, Laurent, Les paradoxes du Temps ou l’odyssée de Nihil et Totus à travers le
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-DUGAST-PORTES, Francine, Le Nouveau Roman, une césure dans l’histoire du récit, Paris,
Nathan/Her, 2001.
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-FEVRY, Michel, La mise en abyme filmique, Liège, CEFAL, 2000.
-GENETTE, Gérard, Figures II, Paris, Seuil, 1969.
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-KANE, Mouhamadou, Roman africain et tradition, Dakar, N.E.A, 1982.
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- RICŒUR, Paul Temps et récit, Tome III, Paris, Seuil, 1985.
-ROBBE-GRILLET, Alain, Pour un nouveau roman (1963), Paris, Les Editions De Minuit,
2013.
- SAMOYAULT, Tiphaine, L’intertextualité, mémoire de la littérature, Paris, Nathan/Her,
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-SARRAUTE, Nathalie, L’ère du soupçon, essais sur le roman, Paris, Gallimard, 1956.
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- SOLLERS, Philippe, Théorie d’ensemble, Textes réunis, Paris, Seuil, 1971.
-VALETTE, Bernard, Le roman, initiation aux méthodes et aux techniques modernes
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- WOLFANG, Iser, L’acte de lecture, théorie de l’effet esthétique, Bruxelles, Pierre Mardaga
Editeur, 1976.

IV) Articles, mémoires et thèses

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thèse inédite sous la direction de Gérard Genette, E.H.E.S.S, 1989.
-DIA, Hamidou, « Boubacar Boris Diop : le mendiant du souvenir, parcours subjectif des
Tambours de la mémoire», Ethiopiques n°1, Paris, Nathan, Coll. « Espace »,vol 6, 1er
semestre 1989, pp. 112-123.
-DIOP, Mandiaye, « Mise en fiction du réel et création romanesque dans l’œuvre de Boubacar
Boris Diop : Le Temps de Tamango, Les Tambours de la mémoire, Les traces de la meute »,
Mémoire de maîtrise, Lettres Modernes, FLSH, UCAD, 2000.
- HAMON Cécile, « entretien avec Boubacar Boris Diop » dans Écrire l’Afrique aujourd’hui,
Palabres vol. VIII, Langres, Éditions Dominique Guéniot, numéro spécial 2007-2008, pp.243-
247.
-HEBERT, Louis et GUILLEMETTE, Lucie, « intertextualité, interdiscursivité et
intermédialité », Canada, Québec, PUL, 2ème trimestre, 2009.
-NOUSS Alexis, « Mémoire et survie : une lecture de Paul Celan », dans Textes, Guerres
Mémoire dans Etudes Françaises, Québec, Les Presses de l’Université de Montréal, vol n°
34, 1998, pp. 87-104.
-MAR, Daouda, « L’efflorescence baroque dans la littérature africaine, un exemple : La vie et
demie de Sony Labou Tansi », Ethiopiques n° 70, 1er semestre, 2003, pp. 163-185.
-NGAIDO, Mamadou, « Le récit dans l’œuvre romanesque de Boubacar Boris Diop »,
Mémoire de maîtrise, Lettres Modernes, FLSH, UCAD, 1994.
-KESTELOOT, Lilyan, « Observations sur la Nouvelle Génération D’écrivains Africains
»Ethiopiques n°78, 1er semestre, 2007, pp 65-74.
-SARR, Fodé, « Histoire, fiction et mémoire dans l’œuvre de Boubacar Boris Diop », Thèse
présentée à la Faculté d’études supérieures et postdoctorales en vue de l’obtention du grade de
Ph. D en littératures de langue françaises, Département de littératures de langue française,
Université Montréal, Avril 2010.

76
-SEYE, Serigne, « Le temps de Tamango de Boubacar Boris Diop : une réécriture
postcoloniale d'une nouvelle de Mérimée» in Cahiers Mérimée n° 9, 2017, Paris, Classiques
Garnier, pp. 131-146.
--------------------, « La théâtralité du récit romanesque ou la tentation du théâtre chez
Boubacar Boris Diop» in Regards comparés sur la littérature, Interculturel n°21,
2017, Alliance française de Lecce (Italie), pp. 251-272.
---------------------, « Le roman de l'oraliture ou la réécriture des récits oraux ouest-africains
chez Ahmadou Kourouma et Boubacar Boris Diop» in Langues et Littératures n° 20, Janvier
2016, Université Gaston Berger de Saint-Louis, pp. 218-235.
-SOW, Djiby, « La production romanesque de Boubacar Boris Diop : formes et stratégies de
renouvellement du roman africain de langue française », mémoire de DEA, Lettres Modernes,
FLSH, UCAD, 2009.
-WANE, Ibrahima, « Du français au wolof, la quête du récit chez Boubacar Boris Diop », in
Ethiopiques, Littérature, philosophie et art, n°73, 2ème semestre, 2004.

V) Webographie

- COLY, Augustin, « De l’hybridité générique dans Les gommes (1953) d’Alain Robbe-
Grillet et Les tambours de la mémoire (1987) de Boubacar Boris Diop », TRANS-[En ligne],
20 | 2016, mis en ligne le 25 octobre 2016, consulté le 11 décembre 2017 à 13h12 sur
http://journals.openedition.org.
-DIOP, Boubacar Boris, Romancier de rupture, disponible sur :
http://lewebpedagogique.com/abidose/litterature-africaine/boubacar-boris-diop-romancier-de-
rupture/ consulté le 19 octobre 2016 à 12h15mn.
-LAURENS, Camille, « le couple ni toi ni moi » in Joyce Aïn, Famille, Eres, « hors
collection », 2008, p.241-256 disponible sur http://www.cairn.info/revue-societes-
contemporaines-2001-1-page-11.htm consulté le 13 juin 2016 à 16h05mn
- SÉBASTIAN, Fournier Laurent, François Hartog Régimes d’historicité : présentisme et
expérience du temps, compte rendu consulté sur www.persée.fr le 03 janvier 2018 à 14h48.

77
Table des matières
PLAN ......................................................................................................................................... 2
INTRODUCTION ...................................................................................................................... 3
Première partie : ruptures et inventions.................................................................................... 10
Chapitre I : Architecture du récit .............................................................................................. 11
I-1 Subversion de l’ordre chronologique .............................................................................. 13
Chapitre II : hybridation du roman contemporain ................................................................ 25
II-1 Récits entre réalité et fiction ...................................................................................... 26
II-2 Récits enchâssés et mise en abyme ............................................................................ 31
II-3 Intertextualité ............................................................................................................. 36
Deuxième partie : procédés esthétiques et narratifs ................................................................. 41
III-1 Discours de la mémoire ........................................................................................... 44
III-2 Traces de l’oralité et écriture du discours oral.......................................................... 48
Chapitre IV : Posture de lecteur et métadiscours ................................................................. 55
IV-1 Lecteur-écrivain ........................................................................................................ 56
IV-2 Autocommentaires .................................................................................................... 60
Conclusion ................................................................................................................................ 65
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................... 71
Table des matières .................................................................................................................... 78

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