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Madame, Monsieur
22/09/2008
L’ingénierie concourante
Un nouveau professionnalisme
par Christophe GOBIN
Direction Recherche et Développement Bâtiment
Groupe GTM Construction
« Le voyage de la découverte ’il est un point sur lequel la construction se distingue de l’industrie, c’est
ne consiste pas à parcourir
de nouveaux paysages, mais à
S son évolution à moyen terme qui est diamétralement opposée à celle
observée dans les milieux industriels.
avoir de nouveaux yeux. » En effet, l’acte de construction n’a pas cessé de se complexifier. Le nombre
Proust des intervenants s’accroît sans que la qualité globale du produit s’en trouve
améliorée. Cette évolution, vécue aussi par le secteur secondaire, a reçu un nom :
c’est la taylorisation. La spécialisation se traduit par des tâches et des rôles qui
s’additionnent.
Là où se démarquent ces deux milieux c’est dans les réactions face à cette
dérive. L’industrie y a répondu par une remise en cause profonde alors que la
construction y voit une certaine spécificité voire même une dimension originale.
Ce qui est en cause ici c’est l’attitude face au besoin d’intégration. Le monde
industriel, au prix il est vrai d’une révolution culturelle, pense y trouver les
moyens de mieux servir le marché en étant plus proche des demandes. Les
constructeurs prétendent y échapper sous couvert d’une production localisée
marquée par son inscription dans un site. Certains parlent même du caractère
vernaculaire du bâti.
La confrontation entre ces deux approches serait vaine si elle se bornait à une
comparaison terme à terme, car il est sûr qu’un bâtiment n’est pas un produit
en série.
Toutefois, l’acte de construction est-il si différent de celui de la création d’un
objet manufacturé ? Cette interrogation a conduit certains vers une définition
intéressante du « bâtiment » en tant qu’activité : il s’agit d’une production
d’ouvrages à destination unique. Alors l’utilité de méthodes pratiquées dans
l’industrie n’est plus incongrue. Gagner en efficacité, rationaliser, économiser
relève d’une saine gestion. La spécificité du bâti réside non dans sa production
mais dans son emploi.
L’intérêt d’une telle démarche est renforcé par les outils mis au point par la
société industrielle. De façon à être plus réactive et plus flexible, c’est-à-dire
capable de répondre à des demandes plus ponctuelles, l’industrie s’engage dans
la pratique de l’ingénierie concourante. L’objet est d’intégrer dans un collectif
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Évolution historique
1 2
1 3 2
1 4 3 2
1 5 4 3 2 6
1 utilisateur final
2 constructeur
3 architecte/maîtrise d'œuvre
4 maîtrise d'ouvrage
5 promoteur
6 sous-traitant/fournisseur
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Pour cela, il est possible d’analyser la situation selon deux points même difficile ne doit pas être envisagée comme une fatalité iné-
de vue qui sont complémentaires mais dont l’association n’est que luctable.
peu pratiquée du fait de l’enfermement de chaque corporation. Mais au-delà des problèmes rencontrés quotidiennement, force
En premier lieu, les professionnels se doivent de revenir sur est d’admettre que le résultat collectif ne reçoit pas un satisfecit de
l’idée que se font leurs clients de la construction. Cet exercice est la part des utilisateurs finaux. Tout un chacun se plaint de la mau-
trop souvent éludé voire même critiqué, car bâtir a toujours été vaise qualité d’exécution, des incidents divers dus à des malfa-
considéré comme une question ne relevant que des seuls spécia- çons... En fait l’ensemble de ces désagréments se double des
listes. L’utilisateur final ne serait pas en mesure de porter un avis. dysfonctionnements que les professionnels reconnaissent exister
Cette attitude, autrefois partagée par les Anglo-Saxons, a été entre eux ; en particulier, la reprise systématique des plans entre
récemment remise en cause lors d’études d’opinion dont les résul- architectes et entrepreneurs puisqu’il est impossible de réutiliser
tats sont très constructifs. les données directement...
Dans un second temps, l’examen des pratiques déployées par Ajoutés les uns aux autres, tous ces événements constituent
chacune des professions peut être engagé afin de déterminer leur ce que les experts appellent les coûts de non-qualité (CNQ)
adéquation aux attentes exprimées autour du produit. Ce rappro- (tableau 1). Et surtout cela concrétise un potentiel économique
chement ou plus précisément cette mise en perspective doit considérable. Certains estiment à environ 30 % la valeur de ce gise-
conduire à poser les termes du questionnement que doit surmon- ment de productivité. L’enjeu est de taille comparé aux marges
ter l’ensemble des professionnels de la construction pour justifier habituelles qui ne dépassent pas quelques points.
de leur présence sur le marché.
Nota : il est intéressant de noter que la classification des coûts de non-qualité utilisée
La première question qui se pose est de savoir s’il existe un vrai dans l’industrie est toute aussi appropriée pour les opérations immobilières. Mais la
espoir à reconsidérer les pratiques actuelles. En effet, une situation culture du BTP fait que son emploi est encore exceptionnel. (0)
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Demande 100 %
Coûts (%)
20
MOA-MOE
80
75 %
50 % Coûts engagés
25 %
25 %
SITE Dépenses réelles
10
REA
Offre 0
Programmation Présentation Réalisation
MOA maîtrise d'ouvrage Temps
MOE maîtrise d'œuvre
REA entreprise Ce graphe montre l'enchaînement qui s'opère entre une décision
et sa mise en œuvre. Il montre en particulier toute l'attention
La recherche de l'origine des CNQ conduit elle aussi à souligner la qui doit être accordée aux choix initiaux c'est-à-dire au programme.
part prépondérante prise par les tâches dites intellectuelles vis-à-vis
des responsabilités du chantier (le site).
Figure 2 – Engagement dans le temps du travail et des dépenses
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La capacité d'ajustement
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Le découpage fonctionnel
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CL FO
Milieux
extérieurs
a relation
5
CL FO 4
1
Bâtiment
CL FO
2 Utilisateur 6
final
b son fonctionnement
7
La construction d'une relation a client (CL) - fournisseur (FO) durable 3
suppose un dialogue qui est organisé en deux temps b :
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a
salle
Entrée
d'eau
Fonctions
Besoins
d'usage
Cuisine Living
Environ 7 m
Cet exemple prouve que la construction ne doit plus être conduite par Usager Activités Bâti
les seuls impératifs technologiques mais qu'au contraire la technique
doit être au service de l'usage.
c
Figure 10 – Organigrammes fonctionnels d’un appartement La construction consiste à fournir un bâti qui autorise les activités
des utilisateurs.
Pour cela elle doit nécessairement procéder en trois étapes de manière
à reconstituer la totalité des termes de l'échange a .
par accumulation de savoir-faire mais que sa valeur dépend de
l’intelligence dans l’emploi des ressources disponibles et des choix
opérés. Figure 11 – Comment s’entend l’activité de construction
La gestion du processus, dite gestion de projet, est axée sur les
conditions d’exercice de chacun des intervenants. L’expérience
montre que, traditionnellement, trop d’énergie est consommée
pour la seule résolution des conflits de pouvoir. Cela est souvent L’intérêt d’une telle démarche est de rester ouverte c’est-à-dire
dû à une définition insuffisante des interfaces. Ce souci de compatible avec la prise en compte de nouveaux points de vue tels
« fluidifier » le déroulement du projet participe lui aussi à l’écono- que ceux dégagés par les considérations environnementales.
mie d’ensemble de l’opération.
■ La mise en œuvre de l’ingénierie concourante suppose d’abord le
Ces deux volets recouvrent un certain nombre d’outils nouveaux respect d’un phasage dans l’élaboration d’un produit. Certains
pour les professionnels de la construction. pourraient considérer que cette précaution est superflue. Il n’en est
rien car elle résulte d’un mode d’acquisition de l’information qui est
incontournable.
2.1 Les outils relatifs au « produit » Cette progressivité, dont la justification est donnée par les
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Exigences R Exigences R R
utilisateurs utilisateurs
Informations issues
Processus de la construction
de création
Nouveau Nouvelles
bâtiment exigences
Processus Informations
RES d'entretien mises à jour
Bâtiment remis
en état/ amélioré
Processus de démolition
Informations
de démolition
Produits résultants
RES RES
R réglementation
RES ressources (les moyens accessibles ou mobilisables)
transmission d'informations
■ Un exemple de cahier des charges fonctionnel prenant en À la lecture des principes relatifs à la gestion du produit, il pour-
compte ce qui vient d’être dit dans ce paragraphe est présenté rait sembler que l’ingénierie concourante sous-entend un dérou-
dans la figure 15. lement séquentiel. En fait cela résulte de l’accent porté sur
l’acquisition progressive des caractéristiques du produit : il serait
illogique de revenir sur des choix antérieurs sinon à considérer
qu’ils étaient non fondés.
2.2 Les outils relatifs au « processus » Pour ne pas donner lieu à de tels errements, des itérations sont
indispensables. Toutefois elles demandent à être ordonnées et
En termes de gestion de projet, l’ingénierie concourante a pour c’est l’objet de la gestion de projet (figure 16).
objectif de définir les meilleures conditions d’un travail coopératif Le processus sera optimisé si chaque décision est minutieu-
c’est-à-dire de fournir les outils facilitant les interventions de sement préparée et résulte d’un raisonnement mûrement établi
tous. c’est-à-dire effectué en toute connaissance de causes. Dit sous une
autre forme, chaque choix doit être fait « sans regret ».
Les apports consistent essentiellement à mieux chaîner les
procédures qualité développées par ailleurs par chacune des Cela suppose une collecte de l’information très ordonnée et qui
professions du secteur. ne néglige aucun point de vue. Cette tâche est complexe et elle est
toujours relative à un niveau de connaissance. Il s’agit donc de
L’idée principale est de déployer une véritable démarche qua- trouver un équilibre satisfaisant entre exhaustivité et disponibilité.
lité sur l’ensemble des phases de l’opération immobilière En théorie, la réponse devrait être fournie par une analyse de
considérée. En effet le « projet » est un tout qui ne peut souffrir risque. Dans l’état actuel des pratiques de la construction, un souci
un manquement quelconque, et il serait illusoire de penser de rigueur est amplement suffisant. Aucun choix ne doit résulter
qu’une défaillance puisse être compensée ultérieurement au de la reconduction d’une routine. Il doit au moins être l’objet d’une
cours du processus. alternative grâce à une remise en cause par une discussion avec
Ce caractère collectif repose sur un constat maintenant éprouvé ceux qui auront à subir les conséquences de ce choix.
qu’il faut en toute occasion anticiper les difficultés plutôt que d’en ■ La dynamique du processus commence dès l’origine du projet.
repousser les effets à plus tard. Ce principe de précaution suppose Elle obéit à un « battement » en quatre temps (figure 17). Cette
donc que chacun des intervenants assume pleinement ses propres métaphore est utilisée pour marquer la rigueur d’une rythmique qui
choix sans toutefois empiéter sur la marge de manœuvre des s’applique à tous les cas.
suivants.
● Le premier temps correspond à la collecte des informations
Il faut noter que ces outils spécifiques ne préjugent en rien de relatives au contexte du projet. Cela va de la veille sur des opéra-
l’emploi des outils traditionnels de la gestion de projet en parti- tions similaires à la constitution d’un répertoire sur les compétences
culier ceux relatifs à la gestion des contrats et au contrôle budgé- éventuellement mobilisables. Il s’agit donc de mieux cerner le
taire. contexte et d’élaborer un premier cadre de travail général.
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Utilisateur Programmation
Projetation
Réalisation
Produit
● À partir de ce recensement, la rédaction du programme ■ L’étape de projetation s’articule elle aussi suivant une logique à
fonctionnel peut être engagée. En effet, les choix de principes et le quatre temps. Elle se distingue de la précédente en ce sens que son
niveau des performances doivent tenir compte des capacités de contour est plus précis puisqu’il s’agit de formuler une réponse à un
réponse accessibles. L’objectif est de bâtir un cahier des charges questionnement détaillé (le programme).
adapté aux besoins et plausible au vu de ses exigences. À ce stade d’une opération immobilière, cette organisation
● Cependant les décisions inscrites dans ce document doivent être retrouve les « réflexes » de bonne construction (figure 18) :
corroborées par un suivi dans le temps. Cette mobilisation suppose ● En ➀, il s’agit de bien connaître la capacité technique des entre-
un travail interne au MOA de façon à ce que tous s’approprient et prises. Un projet ne se dessine pas seulement, il anticipe sur les
adhèrent aux mesures fixées par anticipation dans le programme. difficultés constructives. Mais pour cela le concepteur doit être
Cette démarche relève d’un plan qualité particulier à chaque familier des pratiques de chantier et ne doit pas s’en remettre au
opération. sens de l’improvisation des hommes de terrain.
● Enfin, l’ensemble du projet ainsi cadré doit être transmis aux ● En ➁, le souci est d’expliciter les choix architecturaux de façon à
spécialistes des étapes suivantes. Ces derniers sont sollicités pour ce qu’ils ne soient par remis en cause par incompréhension du
leurs compétences particulières et n’ont pas à improviser les contexte au cours de l’étape de réalisation. Cette démarche est à la
modalités de leurs interventions. fois pédagogique (transcription du dessin) mais aussi un mode
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2 1
4
3
+
Niveau de performance
Figure 17 – Organisation générale d’une opération
0 Objectif commun
2 1 Écart économique
–
4
3 Gamme produits
N+1
Achat terrain
Schéma directeur de projet
L'élaboration
L'élaboration dudu projet
projet enen réponse
réponse auau programme
programme fonctionnel
fonctionnel sese fait
fait
dans
dans les
les limites
limites fixées
fixées par
par lele "SDq
"SDq (schéma
(schéma directeur
directeur dede qualité
qualité)
opération" Programme et
opération" etet suivant
suivant unun enchaînement
enchaînement dede quatre
quatre étapes
étapes : : coût technique
1 prise en compte des capacités de production disponibles ;
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Le poids de plus en plus important des usagers dans les proces- qui en permettra alors le transfert continu de l’un à l’autre. Ces
sus de décision s’accommode plus facilement des dispositions de recherches sont regroupées sous le terme de « knowledge
l’ingénierie concourante. management ». Le rapprochement avec l’ingénierie concourante
Mais au-delà de cette comparaison des comportements, une est patent, en particulier l’approche fonctionnelle du produit
autre conclusion s’impose. Si l’ingénierie concourante se révèle devrait ouvrir un nouveau champ d’applications très prometteur en
efficace, tout son potentiel n’a pas encore été épuisé. enrichissant les points de vue attachés aux « objets CAO ».
Cette remarque résulte des travaux de recherche sur l’inter- Et sous cet angle une nouvelle école française peut se déployer.
opérabilité des logiciels de métier. Il apparaît désormais indispen- À l’intégration des métiers elle devrait ajouter une reformulation
sable de structurer l’ensemble des données manipulées par de l’ingénierie de conception permettant une authentique valori-
chaque corps de métier suivant une logique identique pour tous ce sation de notre cadre bâti.
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