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Texte 10 : « Le Poison », de Charles Baudelaire (Les Fleurs du mal, 1857)

Le poison

Le vin sait revêtir le plus sordide bouge


D’un luxe miraculeux,
Et fait surgir plus d’un portique fabuleux
Dans l’or de sa vapeur rouge,
Comme un soleil couchant dans un ciel nébuleux.
: verbe d'action des différents
« poisons ». Renvoie au processus
L’opium agrandit ce qui n’a pas de bornes, alchimiste : ils transforment la réalité.
Allonge l’illimité,
Approfondit le temps, creuse la volupté, : oxymores qui montrent bien
Et de plaisirs noirs et mornes que ces différents poisons ont des effets
contradictoires sur celui qui en use :
Remplit l’âme au delà de sa capacité.
salutaires pour l'âme mais mortels.

Tout cela ne vaut pas le poison qui découle


De tes yeux, de tes yeux verts,
Lacs où mon âme tremble et se voit à l’envers…
Mes songes viennent en foule
Pour se désaltérer à ces gouffres amers.

Tout cela ne vaut pas le terrible prodige


De ta salive qui mord,
Qui plonge dans l’oubli mon âme sans remord,
Et, charriant le vertige,
La roule défaillante aux rives de la mort!
Explication linéaire à lire en suivant parallèlement le diaporama.

Eléments d'introduction

Le thème choisi pour étudier les Fleurs du mal est « l'alchimie poétique, la boue et l'or » : je vous
rappelle que l'un des objectifs du poète Baudelaire est de transformer la boue (ce qu'il y a de laid et
d'ignoble dans notre réalité) en beauté (en or). C'est l'objectif même de sa poésie : embellir la laideur,
donner une certaine dignité à ce qui est jugé immoral. C'est pourquoi Baudelaire consacre des
poèmes aux assassins, aux prostituées, aux lesbiennes (l'homosexualité étant considéré comme un
crime et comme une atteinte à la morale à l'époque).
Dans le poème « Le Poison », composé de quatre quintils avec une alternance d'alexandrins et
d'heptasyllabes, et aux rimes embrassées, il s'intéresse justement à ce qui permet de réaliser cette
alchimie : la poésie n'est pas le seul moyen de transformer la boue du quotidien en or. Il y a l'alcool,
la drogue, et les femmes, qui selon Baudelaire permettent d'embellir la réalité. Néanmoins, et c'est
là toute la subtilité de sa poésie, ces trois éléments sont dangereux, comme il le rappelle avec le titre
« Poison ».
Le poème se construit donc sur un paradoxe, sur des idées contradictoires : faire l'éloge de poisons
qui embellissent votre existence tout en la condamnant.

Explication linéaire ( consulter le diaporama pour des compléments culturels et


des ouvertures sur chacun de ces poisons)

Strophe 1.
Tout au long du poème, Baudelaire énumère les effets positifs des poisons, même s'il y a toujours
une ambiguïté dans ces effets bénéfiques. Il faut donc être attentif aux figures de style jouant sur
les contradictions : les antithèses et oxymores.
Pour la 1ère strophe, Baudelaire commence avec le vin (et par là, il faut comprendre l'alcool en
général). Il insiste tout d'abord sur les effets produits par le vin (cf. relevé de verbes d'action). Avec
les verbes d'actions (« revêtir », « fait surgir »), il met en avant le pouvoir alchimiste du vin : le vin
est capable de transformer la réalité, de la métamorphoser. C'est le principe de l'état d'ivresse
(hallucination et autre, cf la scène très étrange du dessin animé Dumbo (la vieille version, qui a
traumatisé je pense tous les enfants).
Mais ici, l'action du vin paraît bénéfique, puisqu'il nous fait passer de la boue à l'or, c'est-à-dire de la
misère au luxe : cf. la structure antithétique (= qui se construit sur une opposition) de la strophe,
dans laquelle on passe du « bouge » (un taudis) au « luxe miraculeux ». Pour bien insister sur les
merveilles du vin, Baudelaire utilise des hyperboles (« le plus sordide bouge », afin d'accentuer sur
l'adjectif péjoratif « sordide ») et l'oppose à l'adjectif mélioratif « miraculeux », « fabuleux » (qui
riment), et au substantif « l'or ». Le vin embellit donc la réalité et transforme la misère en richesse,
à la manière du Roi Midas de la mythologie grecque, capable de tout transformer en or.
Le vin fait ainsi surgir des images fabuleuses : il parle à l'imagination plutôt qu'à la raison, et c'est
l'imagination du poète aidée du vin qui lui permet de s'évader de son quotidien. On peut illustrer
cette évasion avec l'image du « portique » : l'alcool fait surgir des portes vers un ailleurs (des mondes
imaginaires). Baudelaire nous peint ensuite ces mondes : c'est pourquoi le poète utilise des
métaphores dans les vers 4 et 5, afin de partager la beauté de ses hallucinations : cf métaphore « l'or
de sa vapeur rouge » et la comparaison « comme un soleil couchant dans un ciel nébuleux ».
C'est avant tout au sens de la vue que l'on a affaire ici (cf couleur) puisque le vin provoque avant
tout des hallucinations visuelles (contrairement à d'autres drogues qui stimulent d'autres sens). De
très belles images surgissent ainsi dans un poème pourtant consacré au poison, c'est-à-dire à ce qui
symbolise la mort et la souffrance. Il y a bien un effet d'embellissement dans le poème, qui fait écho
au processus d'alchimie réalisé par le vin.
→ ce qu'il faut retenir d'un point de vue stylistique pour cette strophe : les hyperboles (le vin décuple
les sens, les expériences que l'on fait avec le vin ne sont donc pas ordinaires et nous font tomber
dans l'excès) ; les images (métaphore et comparaison) qui font écho aux hallucinations sous l'ivresse ;
et l'antithèse (opposition entre luxe et misère).

Strophe 2 : l'opium
On peut voir là une gradation puisque l'opium est un poison plus dangereux que l'alcool. On retrouve
le même processus dans l'opium de transformation du quotidien, si ce n'est qu'ici, on perçoit
davantage d'ambiguïtés dans l'éloge. Le poète a bien conscience de la dangerosité du produit.
On retrouve donc tout d'abord des verbes d'action qui rendent compte de l'effet du poison sur celui
qui l'utilise : cf relevé. Baudelaire accumule ces verbes d'action dans une énumération, il décline
tous les effets, il fait preuve de plus de précision que dans la première strophe, comme si l'opium
procurait davantage de sensations, ou disons une plus grande variété que l'alcool.
On sera attentif aux effets de l'opium : il ne crée pas d'images comme l'alcool, mais il crée des
impossibilités. Regardez les vers 6 et 7 : l'opium « agrandit ce qui n'a pas de bornes, allonge
l'illimité » : c'est impossible puisque c'est le propre de l'infini que de ne pas pouvoir être agrandi.
L'opium rend donc possible l'impossible, il crée des paradoxes conceptuels : on peut voir ici des
hyperboles présentes dans la strophe pour vanter les pouvoirs illimités de l'opium (« au delà de sa
capacité »). Il y a comme un effet d'agrandissement sous le coup de l'opium : c'est justement pour
combattre son sentiment d'être à l'étroit dans l'existence (qui est le propre de l'angoisse – je vous
rappelle ici que l'étymologie d'angoisse renvoie à l'étroitesse : être angoissé, c'est littéralement se
sentir à l'étroit. C'est justement une des sensations qu'il mettait en avant dans Spleen – cette
sensation de se trouver enfermé). Ici, justement, il est comme libéré par l'opium qui agrandit
l'espace et allonge le temps : le cadre spatio-temporel est agrandi, toutes les dimensions sont
concernées (temps, espace, profondeur). L'opium a également pour effet de remplir l'âme, c'est-à-
dire de faire oublier le vide intérieur qu'éprouve le poète.
L'opium a un effet sur nos capacités mentales : c'est pourquoi Baudelaire utilise principalement un
vocabulaire abstrait (« l'illimité », « le temps », « la volupté », « l'âme »). Il met justement de côté
les effets corporels (qui peuvent justement être négatifs). Baudelaire se concentre sur les effets
mentaux, puisque c'est justement cela qu'il recherche dans la drogue : la possibilité de s'évader de
la réalité physique, et donc de son propre corps qu'il méprise et qui le fait souffrir.

Mais Baudelaire n'est pas dupe : dans tous ces plaisirs il y a tout de même une fausse note, quelque
chose d'ambigu, qui rappelle la dangerosité de l'opium, qui rappelle son statut de poison. Vers 9 « de
plaisirs noirs et mornes » : avec cet oxymore, il nuance l'effet bénéfique de l'opium : il allie deux
éléments contradictoires (le plaisir d'une part et les adjectifs péjoratifs « noirs et mornes d'autre
part). Il y a bien quelque chose de paradoxal dans l'éloge du poison et il l'indique avec l'oxymore.
Strophe 3 et 4 : la femme
L'éloge des différents poisons culmine avec celui de la femme. Baudelaire trouvait effectivement
refuge dans l'alcool, la drogue et l'amour. On peut observer un effet de gradation : l'alcool et la
drogue ne « valent » pas le poison féminin... C'est pourquoi sans doute il lui accorde deux strophes
quand l'opium et l'alcool n'en avait qu'une seule chacun. Le poème sur le poison se transforme donc
ici en une sorte de poème d'amour paradoxal et ambigu, puisque la nuance qu'il apportait à l'opium
se retrouve dans l'éloge de la femme : il s'agit bien d'un plaisir contradictoire.

Travail à faire pour jeudi : trouvez des éléments pour illustrer la structure
antithétique des deux strophes consacrées à la femme
Relevez les éléments positifs liés à la femme.
Relevez les éléments qui montrent que le plaisir lié aux femmes est un plaisir
dangereux.
(relevé de figures de style, de procédés)

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