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Généalogie des
Tantalides
L’Orestie est une trilogie tragique reprenant l’histoire mythique de la guerre de Troie
composée d’Agamemnon, Les Choéphores et Les Euménides.
La guerre de Troie repose sur l’enlèvement d’Hélène, femme de Ménélas, par Pâris. Ce
dernier, prince de Troie, offre la pomme de la discorde à Aphrodite en échange de l’amour
de la plus belle femme de Grèce : Hélène.
Ménélas rassemble ses troupes, accompagné de héros tels qu’Ajax ou encore Achille, et
part en guerre contre Troie. Son frère, Agamemnon, roi d’Argos, est face à un dilemme.
Les troupes ne peuvent atteindre Troie si leurs bateaux ne sont pas portés par le vent.
Les hommes attendent que le vent se lève lorsqu’un oracle annonce qu’Agamemnon doit
tuer sa fille pour obtenir l’approbation des dieux. Iphigénie est alors sacrifiée.
Clytemnestre, reine d’Argos, est en colère contre son mari pour deux raisons : celui-ci est
parti en guerre pendant dix ans, mais surtout, il a assassiné leur fille.
On sait que cette histoire a réellement existé mais s’est-elle déroulée ainsi ? Les héros se
sont-ils entretués comme nous le décrit Eschyle ? Qu’en est-il du rôle des dieux dans
cette part de l’histoire humaine ?
Au théâtre, la présence des comédiens crée un effet de réel par l’incarnation des
personnages. Il s’agit d’un faux réel puisqu’il est fictif, il ne fait que représenter le vrai réel.
Aristote, dans La Poétique, nous dit que chaque élément théâtral (texte, musique,
danse...) participe à la formation d’une mimesis qui n’est pas une reproduction servile du
réel mais une imitation inspirée par le réel.
Dans le théâtre grec, toutes les émotions sont exacerbées pour susciter la catharsis1
Les personnages sont représentés de manière caricaturale grâce aux masques et aux
cothurnes2. Ces éléments de costume créent une distance entre la fable et le réel. (Ils
ont aussi une fonction pratique puisqu’ils permettent aux comédiens d’être vus.)
Les objets présents sur scène sont ceux du quotidien et la langue employée est celle
parlée dans les conversations de tous les jours.
En France on retrouve l’influence du naturalisme avec Andrée Antoine qui n’hésite pas à
faire jouer ses comédiens dehors.
Pour les naturalistes, il ne faut pas embellir la réalité mais la montrer telle qu’elle est. Il
s’agit d’une sorte de décorticage sociologique qui cherche à montrer le lien entre les
hommes et leur milieu.
Les pièces naturalistes ont peu de succès à l’époque, on leur reproche une psychologie
sommaire présentant des archétypes sociaux caricaturaux plus que de véritables
personnages.3
1⚠ cette notion n’est pas la même pour les grecs et pour les classiques
(ex : Iphignéie à Aulis de Racine : Iphigénie ne meurt pas, ne mérite pas d’être sacrifiée)
a) Orestes in Mosul
On peut noter le rapport métaphysique qu’a Milo Rau avec le théâtre. Il nous laisse
apercevoir son processus de création au sein même de ses fictions. En l’occurrence,
dans cette reprise de l’Orestie, il nous propose des passages métathéâtraux dans
lesquels les acteurs parlent de leur ressenti individuel. Il crée une tension entre le public
et l’intime et nous laisse voir les répercussions politiques des affaires familiales.5
La scène d’exposition illustre bien ce propos avec le monologue du guetteur qui nous
raconte une anecdote archéologique sur la soi-disante découverte de Troie et de la tombe
d’Agamemnon par un allemand. Il lie cette histoire qui a marqué son enfance à son
expérience actuelle qui lui donne l’occasion de jouer le personnage d’Agamemnon. Il se
confie au spectateur en lui décrivant les vidéos d’exécutions traumatisantes qu’il a
visionné en se renseignant sur le djihadisme pour préparer cette création.
Les scènes d’exécution sont extrêmement violentes, la définition qui en est faite lors de
la scène d’exposition est fidèle aux scènes qui seront représentées lors de la suite du
spectacle. Que ce soit sur scène ou sur les vidéos projetées au mur, les personnages
agonisent dans un long silence glaçant rythmé par des gémissements aigus. Le meurtre
de Cassandre et l’exécution de Clytemnestre sont deux images imposantes.
Pourtant les exécutions perçues comme les plus violentes pourraient être celle qu’on ne
voit pas à la fin de la pièce, lorsqu’on entend les cris des iraquiens enregistrés sur les
téléphones portables des comédiens.
Milo Rau utilise souvent des thèmes musicaux qui reviennent au cours du spectacle et
créent une ambiance, comme le piano de Mad World dans Orestes in Mosul.
L’exploitation des appareils numériques dans ce spectacle permet de nous plonger dans
un univers chaotique en projetant des villes déchiquetées par des bombes. En filmant en
direct les acteurs lorsqu’ils sont dans la cuisine ou dans la chambre à coucher, Milo Rau
nous invite à partager ces moments d’inimitié familiale et conjugale. On pourrait
comparer ces deux pièces disposées sur la scène à la skènè antique; ces procédés
diffèrent puisque l’intimité du palais est cachée dans le théâtre antique alors qu’elle est
exposée aux yeux des spectateurs chez Milo Rau.
L’attente du drame est omniprésente dans la pièce. Toute cette tragédie est présentée
comme la conséquence nécessaire de la guerre de Troie. L’ironie dramatique6 est
fortement utilisée pour annoncer aux spectateurs les crimes de Clytemnestre. Ceux-ci
mènent plusieurs personnages à la folie.
Le chœur est un personnage à part entière7 qui agit en dialoguant avec Agamemnon,
Cassandre, Clytemnestre et Égisthe. Il se fait avoir par les belles paroles de la reine mais il
annonce également le retour de la folie destructrice des Tantalides. Il peut être perçu
comme comique lorsqu’il est indécis suite au meurtre d’Agamemnon. À ce moment, à la
fin du quatrième épisode, il se subdivise en plusieurs parties incarnant les divers opinions
du peuple. Il peut paraître fou dans son indécision, lorsqu’il n’arrive pas à juger les crimes
de Clytemnestre mais il est forcément lié à cette folie puisqu’il la reconnaît et l’expose
dans ses dialogues avec les autres personnages.
La folie la plus évidente dans cette pièce est celle de Clytemnestre. Elle est animée par la
perte de sa fille Iphigénie qui crée en elle un désir de vengeance contre Agamemnon.
Quant au meurtre de Cassandre, certains passages peuvent nous laisser comprendre
qu’elle aurait agi par jalousie. On peut aussi penser qu’elle se moque d’être aimée par
Agamemnon, puisqu’elle le trompe avec Égisthe, et qu’elle n’est que blessée dans son
orgueil. Sa folie est telle qu’on l’accuse d’agir sous les effets d’un poison. Elle ne cesse
de répéter qu’elle a agi pour rétablir la justice mais ne s’agirait-il pas d’un prétexte ?
Cassandre, prêtresse maudite d’Apollon, est dans cette pièce le personnage exclu par
excellence. Tout d’abord il s’agit d’une femme en Grèce antique. Ensuite il s’agit d’une
étrangère, d’une barbare qui ne parle pas le même langage que les autres personnages.
Enfin elle subit une malédiction divine. Ayant finalement refusé les avances d’Apollon, il lui
crache à la bouche et la condamne ainsi à ne pas être crue des hommes. Elle prédit
l’avenir mais cette faculté ne lui permet pas d’éviter les malheurs qui arrivent à sa cité
(Troie), à Agamemnon et à elle-même. On peut voir une certaine forme de folie dans sa
résignation, dans son dépit. Elle sait qu’il ne sert à rien de luter contre son destin, ce qui
paraît impossible aux yeux du chœur.
Égisthe peut lui aussi paraître fou lors de son apparition au sixième épisode. Sa hargne
contre le coryphée est injustifiée. Il est présenté comme un lâche, il se félicite d’un crime
qu’il n’a même pas commis. C’est la figure de l’ordre patriarcal. Lui aussi est victime
d’une malédiction : la mort d’Agamemnon vient venger le festin de Thyeste8.
6 le personnage dévoile des informations qu’il comprend mal / pas alors que le spectateur, lui, sait
très bien ce qu’il va lui arriver.
7 utilisation originale du chœur pour l’époque
8Thyeste lance une malédiction sur Atrée et sa descendance lorsque celui-ci lui fait manger ses
propres enfants.
4- Analyse du deuxième kommos vers 1407 à 1676 :
Le kommos est une lamentation lyrique commune que se partagent les personnages. Ce
passage chanté intervient pour traduire une émotion si forte qu’elle dépasse la simple
profération. L’un des deux personnages chante dès le début du kommos et nous permet
ainsi déterminer où se situe l’émotion dans le texte.
Découpe du texte :
2) à partir de la strophe 1 jusqu’à « c’est lui qui en prix des enfants / a saisi cet homme
accompli et l’a sacrifié » (5ème page)
Le chœur est présenté comme le personnage principal de ce kommos. C’est lui qui agit
dans cette scène en transmettant des émotions exacerbées aux spectateurs et en
s’opposant à Clytemnestre. Il représente toujours la doxa12 mais son rôle est différent de
celui du chœur antique classique.
9ces deux dernières questions ne nous invite pas à inventer une mise en scène mais à prendre en
compte le contexte scénique d’écriture antique
10 absence de solution dans un débat philosophique
11 affrontement
12 le peuple, la pensée commune
Clytemnestre est tiraillée entre une pulsion d’amour pour sa fille et une pulsion de mort
pour Agamemnon. Ces pulsions renvoient aux deux figures divines, Éros et Thanatos.
Première partie
Dans cette première partie, c’est Clytemnestre qui parle.13 Elle répond au chœur qui
l’accuse de régicide et souhaite l’exiler.
Elle utilise des arguments raisonnables en rappelant les crimes commis par son mari,
qu’il s’agisse du meurtre d’Iphigénie ou de son infidélité avec Cassandre durant la guerre
de Troie. Elle présente ses intentions comme bonnes et se moque de l’emportement du
chœur : « tu apprendras sur le tard à être raisonnable » (2ème page)
Elle décrit le chœur comme un « juge impitoyable » (1ère page) qui ne peut comprendre
qu’elle a agi au nom de la « Justice », de « la Fureur et l’Érinys14 » (2ème page).
Elle aurait ainsi purifié les fautes de son mari et Égisthe, son amant, peut désormais
remplacer l’ancien roi d’Argos. Son discours semble alors contradictoire : comment peut-
elle punir Agamemnon de son homicide et de son infidélité en commettant les mêmes
atrocités ? Ce paradoxe en est presque ironique.
Deuxième partie
Désormais c’est le chœur qui s’exprime le plus dans ce dialogue chanté. Les didascalies
comme « (cri de tristesse) » ou « (cri de douleur) » (3ème page) nous indiquent que le
chœur est contrôlé par ses émotions. Il utilise des arguments infondés en accusant
« Hélène » (3ème page) puis « Zeus » (5ème page) d’être responsables de cette situation.
Le chœur se répète mot pour mot lorsqu’il parle d’« Hélène la folle » à la 3ème et 4ème
page. Cette répétition crée une musicalité, une sorte de refrain qui rythme ses propos.
Mais cette répétition nous montre aussi un chœur fou, en transe.
Clytemnestre défend Hélène, ce qui nous montre une fois de plus qu’elle est raisonnable.
Suite à sa remarque, le chœur rappelle la cause originelle des maux familiaux : « les fils de
Tantale » (4ème page), Thyeste et Atrée. Clytemnestre admet alors qu’il a « bien rectifié
[son] erreur ». Elle accuse un « démon » à plusieurs reprises et complète l’idée évoquée
par le chœur. En assassinant Agamemnon, fils d’Atrée, Clytemnestre venge « le terrible
banquet » (5ème page) de Thyeste. La haine transmise de génération en génération
est parvenue jusqu’à Égisthe, fils de Thyeste. Les malheurs qui arrivent à la lignée d’Atrée
est une malédiction qui touche tous ceux qui partagent son sang.
13 elle ne chante pas encore puisque son texte n’est pas écrit en italique
14 puissance divine qui châtie toute transgression
Troisième partie15
Dans cette dernière partie nous pouvons voir que la folie de Clytemnestre a
progressivement déteint sur le chœur. Il est perdu et indécis : « Je ne sais plus quoi faire /
je ne sais plus quoi penser / je ne sais plus à qui me fier » (6ème page). Lui qui est le juge
moral de la pièce ne parvient à aucun verdict. Il dit le dit lui-même : « arbitrer ce combat
est difficile » (8ème page). Il invoque alors la loi du Talion à la fin du kommos qu’il résume
en « qui a agi subit ». La malédiction ne s’arrêtera jamais.