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ISSN: 2665-7473
Numéro 2 : Janvier 2019
Bouchra EL KHAMLICHI
Docteur en Sciences Economiques et de Gestion, FSJES-OUJDA ;
Laboratoire de recherche d’Economie et de Management des Organisations (EMO)
Résumé
L’objectif de cette recherche est de connaitre sur le plan théorique, les caractéristiques
des méthodes d’évaluation privilégiées par l’administration fiscale. Sur le plan
empirique, une étude a été faite sur un échantillon de cinquante entreprises
marocaines, pour montrer si ces méthodes aboutissent à des résultats satisfaisants pour
les entreprises.
Abstract
The evaluation of the company can be seen as a set of concepts and methods, the main
purpose of which is to give a value to the company. There are several evaluation
methods, most of them relate to three basic approaches: the patrimonial approach, the
financial approach and the comparative approach. The Moroccan tax administration
responsible for collecting taxes, is required to control the valuation of companies, in
specific contexts. As a result, it favors some of these evaluation methods.
Introduction
Au cours des trente dernières années, l’évaluation de l’entreprise a connu de
profondes évolutions, dans un environnement économique et financier en plein
expansion. En effet, sous l’effet conjoint de la mondialisation des échanges et de la
structuration de la théorie financière, l’évaluation de l’entreprise s’est vue accordée
une attention particulière, initiée dans un premier temps par les professionnels de la
finance, puis développée par le monde académique et scientifique.
L’évaluation de l’entreprise peut être, perçue comme un ensemble de concepts et de
méthodes, dont la finalité principale et de donner une valeur à l’entreprise. Selon
Chérif M (2007), « La valeur d’une entreprise dépend non seulement de sa capacité à
générer des bénéfices, mais également de ses caractéristiques financières et
opérationnelles ». Dans ce sens, on distingue parmi les principales méthodes
d’évaluation, les modèles actuariels, les approches comparatives, et les méthodes
patrimoniales.
Dans le domaine fiscal, le traitement de plusieurs opérations nécessite la
détermination d’une valeur acceptable. En effet, l’évaluation de l’entreprise est une
opération obligatoire, quand il s’agit de faire face à des événements exceptionnels de
la vie de l’entreprise, comme le changement dans la structure du capital et les
opérations de croissance externe. Ainsi, elle est fortement conditionnée par les
contraintes à caractère fiscale.
Dans le cadre de la fiscalité marocaine, la valeur de l’entreprise sert de base
d’imposition au titre de plusieurs impôts (Droits de mutation, Impôts sur les plus
values...Etc). L’administration fiscale marocaine, chargée de collecter les impôts
calculés sur la base des valeurs de l’entreprise, est tenue de vérifier que la base
taxable n’a pas été sous-évaluée. Par ailleurs, elle procède à des évaluations
d’entreprises, ou bien à la vérification des évaluations d’entreprises. Pour ce faire,
l’administration fiscale privilégie certaines méthodes d’évaluations, celles-ci sont
souvent jugées par les évaluateurs comme statiques et arbitraires contrairement aux
méthodes de la finance moderne qui sont plus adaptées au fonctionnement des
marchés financiers. Par ailleurs, il existe des divergences profondes entre les
méthodes retenues par l’administration fiscale et celles issues de la finance moderne. .
De ce fait, la problématique de recherche soulevée est la suivante : Le recours aux
méthodes d’évaluation privilégiées par l’administration fiscale permet-il
méthode statique repose sur les valeurs des éléments composant le bilan de
l’entreprise, elle ne constitue pas la méthode la plus appropriée pour valoriser les
entreprises, elle est souvent utilisée pour les entreprises en phase de maturité, achetées
pour leurs actifs et leur savoir-faire et non pour le potentiel de croissance de leur
rentabilité.
Généralement, l’évaluation par l’approche patrimoniale est très lourde, elle implique
des investigations longues des différents postes du bilan, et nécessite le recours à des
spécialistes dans des domaines variés. Ses méthodes ne permettent pas d’obtenir la
totalité de la valeur de l’entreprise, elles font l’objet de nombreuses critiques, tout
d’abord elles ignorent la capacité de croissance de l’entreprise, sa rentabilité future
ou encore sa capacité à générer des flux sur le long terme (Pierre,2004). En effet les
revenus futurs ne sont égaux au patrimoine de l’entreprise que dans un contexte de
liquidation de l’entreprise. A cet égard, l’approche patrimoniale convient mal dans
notre époque de mutations très rapides.
l’on puisse retenir des méthodes plus modernes telles que l’actualisation des bénéfices
ou la marge brut d’autofinancement.
L’administration fiscale Marocaine semble donc reconnaitre quatre composants à la
valeur d’une entreprise (Pierrat, 1990):
- Valeur mathématique : qui n’est rien d’autre que la valeur de l’actif net. Le fisc
précise encore que l’actif net comptable n’est pas vraiment représentatif de la
valeur mathématique et attend donc que celui-ci ait fait l’objet d’un minimum de
redressements.
- Valeur de rendement : qui est une valeur de l’entreprise obtenue par capitalisation
du dividende moyen.la capitalisation dont il’est question ici n’est rien d’autre
qu’une actualisation à l’infini et consiste à diviser l’indicateur de revenu par le taux
d’actualisation.
- La valeur de productivité : qui est une valeur de l’entreprise obtenue par
capitalisation du bénéfice moyen.
- Marge brute d’autofinancement (MBA): exprimant la capacité d’autofinancement
de l’entreprise, l’évaluation est formée par l’ensemble des disponibilités dégagées
par l’entreprise pendant une période déterminée.la valeur de l’entreprise est
obtenue en multipliant la MBA par un coefficient qui varie, suivant la nature de
l’investissement.
Il existe des divergences profondes entre les méthodes retenues par l’administration
fiscale et celles issues de la finance moderne. Les approches et les méthodes
préconisées par l'administration fiscale semblent être dépassées par l'évolution des
techniques d'évaluation reconnues par la profession.
La méthodologie de l’évaluation chez les professionnels est axée sur le temps court,
ils utilisent des indicateurs qui correspondent à la réalité du marché. Tandis que la
pratique de l’évaluation de l’administration fiscale, basée sur le long temps, est
éloignée de la réalité du marché. Généralement, les praticiens privilégient les
méthodes d’actualisations des flux de trésorerie (DCF), et les méthodes comparatives.
Ils utilisent rarement la méthode de l’actif net comptable (sauf pour évaluer des
sociétés holding ou immobilières), parce qu'il est difficile d’évaluer la valeur du
fonds de commerce, en utilisant une méthode autre que la méthode d’actualisation des
flux futurs ou des multiples, résultant d’une approche analogique.
En effet, le groupe de travail Français présidé par M. Jean- Michel Naulot sur
l’expertise financière indépendante et constitué à l’initiative de l’Autorité des
Marchés Financiers avait constaté des observations, sur les méthodes d’évaluations
les plus répondues chez les praticiens. Celui-ci a relevé que les principales méthodes
d’évaluation utilisées se répartissent en deux catégories :
- Les méthodes d’évaluation de marché (ou analogiques), qui regroupent les
multiples, observés au sein d’un échantillon d’entreprises comparables ou lors de
transactions comparables.
- Les méthodes d’évaluation intrinsèque : l’actif net réévalué et surtout la méthode
de l’actualisation des flux de trésorerie futurs (DCF).
Selon ce groupe de travail, les principales méthodes d’évaluation utilisées par les
praticiens, que ce soit pour des sociétés cotées ou non, sont ainsi : la méthode DCF
(approche intrinsèque) et la méthode des comparables boursiers (approche de
marché).
Concernant la méthode DCF, D’après le rapport précité de M. Naulot (Membre de
l'Autorité des marchés financiers), à l’Autorité des Marchés Financiers : «La méthode
des flux de trésorerie actualisés (Discounted cash flows -DCF), en particulier,
représente un progrès important pour l'analyse multicritères car elle est basée sur des
perspectives d'avenir et permet d'avoir une analyse critique du plan d'affaires. Cette
méthode est aujourd'hui utilisée dans une très grande majorité de cas alors qu'elle
n'était utilisée que dans la moitié des évaluations, il y a dix ans…». Cette méthode
semble effectivement intéressante.
La méthode DCF est privilégiée lorsque l’entreprise est fortement endettée ou si le
taux d’endettement de l’entreprise risque de se diminuer dans le temps. En effet, cette
méthode tient compte de l’effet temps, et du risque financier lié à l’endettement de
l’entreprise grâce à l’actualisation (Armand, 2013).
Malgré les différents avantages de la méthode DCF, celle-ci n’est pas privilégiée par
l’administration fiscale pour les raisons suivantes: Premièrement, les contraintes
légales exigent que l’impôt soit liquidé sur la base des éléments existants à la date du
fait générateur, l’utilisation des données rétrospectives est ainsi privilégiée (Bonnet,
2013). Or, la méthode DCF n’utilise que des éléments prévisionnels existant à la date
de l’évaluation ; les données prospectives sont utilisées avec réticence.
Deuxièmement, il n’est pas réaliste de considérer que l’administration fiscale puisse
établir des plans d’affaires à des fins de contrôle, cela correspond pourtant à la
pratique, largement répandue, des commissaires à la fusion ou aux apports
(Commentaires de la Société Française des Evaluateurs ).
En France, le guide de l’évaluation de l’entreprise et des titres publié en 2006, intègre
la méthode DCF comme approche de cohérence entre les praticiens et
l’administration fiscale, et non comme méthode principale. Celle-ci permet à
l’administration fiscale d’examiner les business plans, d’affiner son analyse et
éventuellement d’ajuster les valeurs qu’elle a dégagées lorsque les documents sont
transmis par l’entreprise évaluée (Gaudel, 2009).
En conclusion, l'administration fiscale se trouve, dans la plupart des cas, incapable
d'analyser les forces et les faiblesses de l'entreprise, c'est-à-dire incapable de
déterminer une valeur qui reflète au mieux la capacité de l’entreprise à créer de la
richesse économique dans le futur, ce ci est du principalement au manque des agents
ou des vérificateurs compétents, qui visent dans leur contrôle à augmenter l'assiette
fiscale des entreprises sans prendre en compte leurs intérêts et leurs capacité de
croissance. En effet, une bonne évaluation basée sur un raisonnement financier est
difficile à mettre en œuvre et demande souvent le recours à des professionnels de la
finance.
3.1. Méthodologie
3.1.1. Echantillon
Les données de cette étude ont été colletées à l’aide d’un questionnaire envoyé à des
entreprises marocaines. Généralement, les entreprises ne procèdent à l’évaluation de
leur valeur, que dans un contexte spécifique (Introduction en bourse, Augmentation
de capital, Fusion, Transmission d’entreprise,…Etc.). Au final notre échantillon
comprend cinquante entreprises. Il convient de signaler que nous avons travaillé sur
un échantillon non probabiliste plus précisément un échantillon de convenance vu la
difficulté de déterminer le nombre des entreprises marocaines évaluées.
Toutes les entreprises de l’échantillon ont fait l’objet d’une évaluation dans un
contexte spécifique, selon le tableau suivant :
Cette méthode d’analyse descriptive croisée permet de présenter la relation entre les
modalités des deux variables : le choix des méthodes d’évaluation et la fiabilité de la
valeur de l’entreprise. Notre objectif est de savoir le niveau de satisfaction des
entreprises ayant choisi les méthodes d’évaluation de l’administration fiscale par
rapport au niveau de satisfaction des entreprises ayant choisi librement les méthodes
d’évaluation ou encore d’autres ayant choisi les méthodes d’évaluation en prenant en
compte les contraintes fiscales. Le tableau suivant présente une analyse croisée de la
relation entre le choix des méthodes d’évaluation et la fiabilité de la valeur de
l’entreprise basée sur les résultats de notre étude.
Selon ce tableau, on remarque que les entreprises qui choisissent les méthodes
d’évaluation en fonction des objectifs et des intérêts de l’entreprises, sont plus
satisfaites de la fiabilité de la valeur de l’entreprise, que celles qui utilisent les
méthodes privilégiées par l’administration fiscale ou encore celles qui choisissent des
Selon ce tableau, la relation entre les deux variables est significative, puisque la
valeur de R de Pearson (-0,432) est significative et le degré de signification est à
0,02<0,05. De ce fait, on constate qu’il existe une relation significative entre le choix
des méthodes d’évaluation et la fiabilité de la valeur obtenue.
Dans cette analyse par régression linéaire, nous commençons par vérifier s’il existe
statistiquement une relation entre la fiabilité de la valeur obtenue et le choix des
méthodes d’évaluation et nous déduisons ensuite la relation entre la fiabilité de la
valeur obtenue et le recours aux méthodes d’évaluation de l’administration fiscale.
L’analyse de la variance est la première étape, elle permet de vérifier qu’il existe une
relation entre la variable explicative et à expliquer.
Selon les résultats de notre étude, le SPSS nous fournit le premier tableau de
l’ANOVA de régression suivant, sur la relation entre la fiabilité de la valeur obtenue
et le choix des méthodes d’évaluation :
ANOVAa
Modèle Somme des ddl Moyenne des D Sig.
carrés carrés
Régression 14,570 1 14,570 11,025 ,002b
1 Résidu 63,430 48 1,321
Total 78,000 49
a. Variable dépendante : la fiabilité de la valeur de l'entreprise
b. Valeurs prédites : (constantes), choix des méthodes d'évaluation
Source : Tableau fourni par le logiciel SPSS sur la base des résultats de l’enquête
Dans ce tableau, la valeur de F est de 11,025 est très significative à p < 0,0005. Ceci
signifie qu’il y a donc une relation statistiquement significative entre la fiabilité de la
valeur de l’entreprise et le choix des méthodes d’évaluation. Ce modèle apporte donc
une amélioration significative, on doit donc analyser dans l’étape suivante, dans
quelle mesure les données sont ajustées à ce modèle, à travers les données du tableau
récapitulatif du modèle.
Selon ce tableau, la valeur de R-deux est de 0,187, le choix des méthodes d’évaluation
peut donc expliquer 18,7% de la variation du choix des méthodes d’évaluation. Enfin
la valeur de F (11,025) est significative.
Coefficientsa
Modèle Coefficients non Coefficient t Sig.
standardisés s
standardisé
s
A Erreur Bêta
standard
(Constante) 4,099 ,369 11,114 ,000
1 choix des méthodes
-,662 ,199 -,432 -3,320 ,002
d'évaluation
a. Variable dépendante : la fiabilité de la valeur de l'entreprise
Source : Tableau fourni par le SPSS sur la base des résultats de l’enquête
Selon ce tableau, les valeurs des coefficients standardisées Beta, le test de student (t)
et le test de significativité, montrent que la variable choix des méthodes d’évaluation
a un effet négatif et significatif sur la variable fiabilité de la valeur de l’entreprise.
Source : diagramme fourni par le SPSS sur la base des résultats de l’enquête
Ainsi, les résultats de l’analyse par régression rejoignent les résultats de l’analyse
croisée. En effet, les valeurs du tableau des coefficients Beta, le test de student (t) et le
test de significativité, permettent de déterminer les paramètres de l’équation de
régression. Dans notre cas l’équation de régression est la suivante :
Cette équation montre que la variable « choix des méthodes d’évaluation » a un effet
négatif et significatif sur la variable « fiabilité de la valeur de l’entreprise ». Le sens
de l’équation de régression est négatif (coefficient Négatif), ceci veut dire que plus les
entreprises choisissent les méthodes d’évaluation 1 (Méthodes d’évaluation choisies
en fonction des objectifs et des intérêts de l’entreprises), plus elles sont satisfaites de
la fiabilité de la valeur obtenue. Et inversement, ces entreprises plus ils choisissent les
méthodes d’évaluation 3 (Méthodes d’évaluation de l’administration fiscale), moins
elles sont satisfaites de la valeur obtenue. Ces résultats confirment la problématique
de départ : le recours aux méthodes d’évaluation de l’administration fiscale ne permet
pas d’obtenir une valeur fiable, il fausse la réalité de l’entreprise.
Conclusion
Ces méthodes sont plus utilisées par les entreprises dont l’évaluation est soumise au
contrôle fiscal. En effet l’objectif principal du contrôle de l’évaluation par
l’administration fiscale est d’augmenter l’assiette fiscale de l’entreprise contrôlée,
sans tenir compte de ses intérêts et ses objectifs. De ce fait, l’utilisation de ces
méthodes demeure inadaptée pour certaines entreprises et dans certains contextes, et
aboutit généralement à des résultats peu satisfaisants pour les entreprises.
Bibliographie
Ouvrages
Articles
Bonnet T-S, (2013), Cinq année d’application du guide fiscal d’évaluation des
entreprises et des titres des sociétés : bilan et perspectives, Revue du droit fiscal.
N°17.
Gaudel P-J, (2009), L’évaluation fiscale des titres de société, revue Economie &
Comptabilité, N°242.
Thèses
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