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LE TRAVAIL TERMINOLOGIQUE

POUR LA TRADUCTION DE L’HISTOIRE

Ana Escartín Arilla


Licence en Histoire et en Traduction et Interpretation
Professeur et traductrice
Université de Saragosse
Saragosse – Espagne
anaescar@unizar.es

Résumé : La traduction précise des termes est un aspect-clé dans la traduction de textes scientifiques. La traduction
de textes d’histoire, en tant que traduction spécialisée, requiert l’accès à des matériaux terminographiques adéquats
aux problèmes qui lui sont propres et qui sont, par la nature même des sciences humaines, principalement
extralinguistiques. On envisage l’élaboration de dictionnaires bilingues de termes d’histoire pour les traducteurs,
dont le but principal serait précisément l’explicitation des problèmes procédant de la transmission entre cultures,
plutôt qu’entre langues.
Mot-clés : histoire, terminographie, langue spécialisée, notions historiographiques.

1. INTRODUCTION

Les sciences humaines, et plus particulièrement l’histoire, ont été traditionnellement négligées par la
terminologie, plutôt consacrée aux champs de la recherche dont la nature scientifique n’a jamais été mise
en question, d’où le manque d’ouvrages monographiques de terminologie historique et même de
références systématiques à l’histoire dans des textes généraux portant sur des questions terminologiques.
D’autre part, les caractéristiques inhérentes à l’histoire comme discipline en ce qui concerne les méthodes
de recherche, les présupposés théoriques, les formes du discours et de l’argumentation, ainsi que la nature
même de son sujet d’étude, entraînent des difficultés spécifiques en matière terminologique.
Malgré ses particularités, et malgré l’énorme et croissante quantité de livres et articles écrits et traduits
dans ce domaine, la traduction du domaine des sciences humaines n’est pas habituellement considérée
comme une discipline spécifique dans le monde académique, comme le sont la traduction juridique,
économique ou technique et, en général, il y a très peu de traducteurs « spécialisés » et surtout « formés »
en histoire, histoire de l’art, anthropologie, etc. En outre, les traducteurs qui doivent faire face à des textes
portant sur ces matières ne peuvent pas compter sur des matériaux terminographiques adéquats et précis.
Ils ont bien entendu accès à des glossaires, des dictionnaires monolingues spécialisés – aussi très peu
nombreux – et des ouvrages monographiques, mais ils manquent de dictionnaires bilingues et plurilingues
qui résolvent des difficultés terminologiques concrètes. Il faut noter que, dans une matière telle que
l’histoire, la traduction précise des termes spécialisés est un aspect clé qui se trouve en marge des débats
autour de la fidélité, puisqu’il s’agit d’unités lexicales univoques qui tendent à la littéralité référentielle
(Cabré 2002) et posent donc ce que l’on connaît comme « problèmes de traduction », c’est-à-dire, des
difficultés objectives (linguistiques, extralinguistiques, méthodologiques) apparues lors du processus de
traduction (Hurtado 2001 : 286). Un dictionnaire bilingue destiné aux traducteurs devrait viser à résoudre
non seulement les problèmes linguistiques mais aussi les extralinguistiques, lesquels tombent les
traducteurs de textes spécialisés en histoire ou en historiographie.
Cette communication va donc essayer de systématiser les éléments qui font de l’histoire une matière
particulièrement conflictuelle lorsqu’il s’agit d’élaborer des travaux terminographiques et qui doivent être
considérés par les équipes de travail visant à créer un hypothétique dictionnaire bilingue ou plurilingue
pour la traduction spécialisée. Dans le but de cataloguer ces éléments, on va examiner les différentes
phases du travail terminographique pour y repérer les aspects différant significativement de ceux qui sont
caractéristiques de ce qu’on appelle les « sciences exactes ». Mais nous ferons d’abord une brève réflexion
à propos de la question suivante : L’historiographie requiert-elle une traduction « spécialisée » ?

2. LA NÉCESSITÉ D’UNE TRADUCTION « SPÉCIALISÉE » EN MATIÈRE HISTORIQUE

Existe-t-il un « langage de l’histoire » ? L’histoire, en tant que science, possède une terminologie
propre et caractéristique, créée – à travers des mécanismes divers – et employée par les historiens pour
communiquer leurs connaissances. Nonobstant, étant donné la nature de cette matière, et des sciences
humaines en général, dont l’objet d’étude sont les créations humaines à travers le temps, un grand nombre
des termes employés sont des mots appartenant à la réalité – c’est-à-dire attribués aux objets et aux
événements par une communauté humaine – qui deviennent des concepts théoriques lorsqu’ils sont
employés par les scientifiques pour expliquer des phénomènes historiques (Marrou 1985 : 101-102).
Comme l’explique Julio Aróstegui, « [il] existe à peine des termes construits historiographiquement pour
désigner des phénomènes spécifiques », ce qui n’implique pas une sous-estimation de la précision
du langage employé par l’histoire. (Aróstegui 1995 : 28-29). On parle alors plutôt d’« usage spécialisé du
langage » (Ciapusco et Kuguel 2001) ou de « sens situé » des termes (Cabré 2001), c’est-à-dire que les
termes à sens général acquièrent un sens spécialisé en fonction de leur usage et aussi en fonction d’une
signification nouvelle – plus pratique et plus éloquente, mais en même temps plus partielle (Marrou 1985 :
102) – assignée par les théoriciens. Les facteurs qui détermineraient la spécialisation d’un terme
quelconque seraient, selon Cabré, une thématique spécialisée, des usagers spécialistes et des situations
formelles de communication, réglées par des critères professionnels ou scientifiques, des normes
auxquelles les termes employés par les historiens répondent sans aucun doute (Cabré 2001). En tout cas,
on peut cataloguer le « langage de l’histoire » comme un langage scientifique en tant que « mécanisme
employé pour la communication, dont l’univers se situe dans tout champ de la science, cette
communication se produisant soit exclusivement entre spécialistes, soit entre eux et le grand public, quelle
que soit la situation communicative et le canal choisi pour l’établir » (Gutiérrez Rodilla 1998 : 20)
De la même façon, Ciapusco et Kuguel (2001) parlent de l’inexistence d’un clivage net entre texte
général et texte spécialisé, et affirment la difficulté de déterminer les critères qui justifient que l’on
considère un texte comme spécialisé. Plusieurs théoriciens ont essayé de démontrer que le critère
thématique n’est pas décisif dans la détermination du degré de spécialisation d’un texte. Il semble
plausible que ce soit le critère du « contrôle conceptuel » (Cabré 2002) qui rend possible une telle
distinction. Cependant, il paraît aussi évident que, dans le cas de l’élaboration d’un dictionnaire comme
celui qui constitue notre hypothèse de travail, le critère thématique est décisif, tandis que le niveau de
« contrôle conceptuel » du texte est une question assez difficile à cerner, bien qu’elle ne puisse pas être
négligée lors de la sélection des matériaux qui constitueront le corpus du travail terminographique.
Malgré ces difficultés de délimitation de la notion de « texte spécialisé », dans le domaine de la
traduction il existe depuis presque toujours une distinction nette entre « traduction générale » et
« traduction spécialisée » qui est toujours présente dans le travail du spécialiste, dès le moment où les tarifs
appliqués varient selon le degré de spécialisation du texte original. En tout cas, la traduction de textes
d’histoire peut être considérée comme une traduction spécialisée – sans oublier bien entendu les différents
niveaux de difficulté des textes – étant donné précisément les caractéristiques particulières de sa
terminologie, que l’on analysera attentivement plus tard.

3. LE TRAVAIL TERMINOGRAPHIQUE : DIFFICULTÉS DE L’ÉLABORATION D’UN


DICTIONNAIRE BILINGUE D’HISTOIRE
3.1. Les matériaux du travail préalable

Tandis que dans les matières techniques il existe toute une tradition de dictionnaires, lexiques et
vocabulaires auxquels s’adresser comme soutien de travail et qui ont été réalisés du point de vue de la
terminologie, ce sont en général les historiens qui ont dû faire face au manque de ce genre d’ouvrages de
référence, en publiant des catalogues de termes historiques qui, normalement, ne respectent pas les règles
du travail terminologique et qui ont des buts autres que l’appui au travail du traducteur. D’habitude, les
dictionnaires de termes ou de concepts historiques,, décrivent les notions avec les traits caractéristiques au
discours historique, d’autant plus que la matière traitée y prête spécialement. En plus, ils répondent parfois
à la volonté de l’auteur de défendre à travers la définition des termes une vision particulière des processus
historiques, ayant donc une vocation nettement prescriptive. Les implications du choix des termes sont,
comme on verra plus tard et sauf dans des cas comme le côté plus technique de l’histoire de l’art, une des
questions les plus conflictuelles en cette matière et la réflexion à propos de cela fait l’objet de nombreux
ouvrages historiographiques.

3.2. La délimitation du thème

Il semble évident qu’un hypothétique « dictionnaire d’histoire français-espagnol » ne serait pas


suffisamment exhaustif ou suffisamment pratique, même pas un dictionnaire de l’histoire d’un pays
concret. En règle générale, les ouvrages monolingues dans ce domaine portent soit sur un moment ou un
phénomène historique précis, soit sur un aspect concret de la société humaine analysé tout au long du
temps, éléments qui déterminent le thème du travail terminographique. Ainsi trouve-t-on des études sur
« la transition espagnole », « la sorcellerie » ou « les révolutions bourgeoises ». Dans le cas d’un éventuel
dictionnaire bilingue, l’ampleur du sujet, ainsi que le grand nombre de termes associés à celui-ci,
obligeraient à une limitation temporelle ou thématique très précise, ou bien à l’élaboration d’une
encyclopédie complète.

3.3. Le choix du corpus

Quand on parle de l’histoire, on affronte un problème de définition, étant donné la confusion


terminologique entre la science et son objet. Julio Aróstegui a proposé l’expression d’« amphibiologie »
du terme « histoire » pour faire référence au fait qu’« un seul mot, histoire, a traditionnellement désigné
deux choses différentes : l’histoire comme réalité dans laquelle l’homme est inséré et, d’autre côté, la
connaissance et l’enregistrement des situations et des événements qui signalent et manifestent cette
insertion. » (Aróstegui 1995 : 20). Le terme « Historiographie » est à son tour employé à certains moments
comme synonyme d’histoire, et à d’autres pour désigner l’ensemble des ouvrages rédigés par les historiens
à propos de leur objet d’étude (Aróstegui 1995 : 23-27). On peut donc faire une différentiation entre les
documents historiques, ceux qui ont été rédigés tout au long de l’histoire par les hommes avec des buts
tout à fait variés et qui font l’objet, sans en avoir vocation, d’une étude historiographique a posteriori, et
les textes d’historiographie, c’est-à-dire, d’une part, ceux qui sont le résultat d’une analyse des faits passés,
créés par des spécialistes avec des objectifs tout d’abord scientifiques, et d’autre part, ceux dont la matière
est l’étude même de la recherche historiographique. Pour éviter la confusion, on peut parler de
« documents historiques » dans le cas des sources primaires employées par les historiens dans leur
recherche d’une part, et de « textes spécialisés en histoire » et/ou « textes spécialisés en historiographie »
d’autre part, qui sont en principe ceux qui doivent former le corpus du travail terminographique qui nous
occupe.
Or, la distinction entre document historique et texte spécialisé est quand même diffuse dans certains
cas. La conception de l’histoire comme discipline a beaucoup changé, et les textes écrits il y a longtemps
par des historiens sont vus actuellement comme plus proches de la littérature que de la science et très
souvent analysés comme des sources historiques en elles-mêmes. C’est le cas des auteurs classiques et on
le voit aussi très clairement à propos des débats, entre autres, autour de la Révolution française.
L’introduction à La Révolution française d’Albert Soboul (1982) est un exemple d’exploitation
d’ouvrages d’historiens français contemporains constituant des sources pour l’analyse.
D’ailleurs, la notion de « texte spécialisé en histoire » n’est pas tellement indubitable. Il y a certes des
écrits sortis de la plume d’un historien – ou en tout cas d’un spécialiste – et pourvus d’éléments
caractéristiques du discours historiographique. Cependant, on peut trouver d’autres textes qui, par des
raisons diverses, peuvent être considérés aussi comme historiographiques. C’est le cas de certains textes
appartenant à d’autres disciplines scientifiques qui apportent des données historiques ou même adoptent
les éléments propres à la narration historiographique. En ce sens, il existe depuis longtemps un processus
d’interaction entre les sciences (sociologie, politologie, droit, économie) qui a transformé de manière
radicale la structure narrative de leurs discours respectifs et auquel l’histoire n’a pas été étrangère. Carreras
Ares (2000 : 215-257) a effectué une révision exhaustive de ce processus dans le cas de l’histoire.
Une des conditions qui doivent être remplies par les documents constituant le corpus est leur actualité,
étant donné la nature changeante des connaissances scientifiques. Dans le cas de l’histoire, le moment – et
le lieu – où un certain texte a été produit détermine non seulement l’état des connaissances mais aussi la
façon d’envisager le sujet. Si une telle affirmation peut être appliquée à l’ensemble des sciences, personne
ne niera que la matière historique est particulièrement sensible à des questions de nature idéologique au-
delà de l’observation rigoureuse des faits. La terminologie employée dans les textes d’histoire n’est pas
neutre et la sélection des documents qui serviront de corpus à notre travail de recherche de termes
spécialisés doit tenir compte des facteurs extralinguistiques déterminant le choix d’une terminologie
concrète.
D’autre part, les documents doivent être originels, c’est-à-dire, rédigés dans la langue du travail.
L’histoire, comme la plupart des sciences humaines, axe très souvent ses analyses sur un pays concret qui
présente des caractéristiques particulières ayant reçu une désignation précise dans la langue du pays
concerné. Ainsi, selon le thème déterminé auparavant, il faudra tenir compte des difficultés
terminologiques que les références culturelles – propres aux sciences humaines – vont poser. En outre,
parfois le chercheur étudie le cas d’un contexte géographique dont la langue n’est pas la sienne. Un
hispaniste, par exemple, doit entamer son propre processus de traduction des références culturellement
spécifiques de l’Espagne pour les transmettre à son public, qui parle une langue autre que l’espagnol. Le
terme « cacique », en espagnol, poserait de graves problèmes de transmission, par exemple, à un historien
anglais, qui devrait trouver un mot qui transmette le sens spécifique du terme dans la réalité espagnole, en
plus d’expliquer avec précision le contenu significatif de celui-ci, un problème, par ailleurs, que doit aussi
affronter l’historien espagnol, puisqu’il s’agit d’une issue conceptuelle. Dans ce but, l’hispaniste devra
employer des stratégies diverses que l’on analyse ailleurs et dont le traducteur vers d’autres langues – y
compris dans ce cas l’espagnol – devra prendre en considération lorsqu’il s’adresse à un nouveau public.
On va présenter un cas très clair portant sur des concepts de l’historiographie. Carreras Ares (2000 : 134-
142) étudie le phénomène de la régionalisation de l’historiographie à partir des années soixante du
XXe siècle, et parle de trois réalités : « histoire régionale », « Landesgeschichte » et « Historia regional ».
Il s’agit, comme on voit, d’un phénomène qui a eu lieu plus ou moins dans la même époque dans des pays
différents, mais le terme employé dans chaque pays a des connotations particulières. Ce n’est pas
seulement une question de langue : on ne peut pas traduire « histoire régionale » par « Landesgeschichte »
parce que ses mots font référence à des notions différentes, bien que parallèles et comparables. Le corpus
définitif de notre éventuel travail terminographique devrait être représentatif de toutes les réalités
exposées.

3.4. Le dépouillement des documents

Dans la première phase du travail terminographique avec les documents, il faut faire face à l’une des
plus grandes difficultés : la sélection précise des mots qui peuvent être considérés comme des termes de la
matière historique. Il y a des termes employés depuis longtemps par les historiens et qui décrivent des
phénomènes nettement historiques, tels que « néolithique », « féodalisme » ou « guerre froide », des
termes qui peuvent être employés dans d’autres champs, comme l’économie, la sociologie ou le
journalisme, mais qui appartiennent sans aucun doute à la tradition historiographique. Mais les sciences
humaines comprennent l’ensemble des aspects de la vie humaine, d’où la nature essentiellement
interdisciplinaire de leurs termes. On pourrait se demander si le terme « souveraineté nationale » est
proprement historique. Procédant du champ juridique ou même de la politologie, ce terme est devenu, par
l’effet des événements historiques, un terme fondamental pour la compréhension de certains processus du
point de vue de l’histoire. L’adéquation de l’attribution d’un terme concret à une matière scientifique
dépend en tout cas du contexte d’usage.
Le fondement des « langues de ou en spécialité » est certes l’emploi de termes de la langue générale
dans la communication spécialisée (Ciapusco et Kuguel 2001, Cabré 2002), et de ce point de vue rien ne
distingue l’histoire des sciences exactes. Or, dans les sciences humaines, on trouve rarement des « unités
terminologiques » des types décrits dans les manuels de terminographie, celles qui peuvent en principe
être reconnues par leurs composants formels, tandis que des termes tels que « propriété de la terre » ou
« État », difficiles à repérer à travers des systèmes automatiques de traitement de l’information, ne
devraient jamais être négligés. Le contexte joue à nouveau un rôle constitutif.
Il existe encore un troisième aspect : celui du « vocabulaire d’appui », des mots et des expressions,
selon Darbelnet, caractéristiques des textes spécialisés, mais ne répondant pas aux normes de la
terminologie (Lerat 1995 : 52). Par exemple, l’expression « propriété de la terre » peut être considérée
comme un « terme » dans le contexte de la science historique ou plutôt comme un mot très employé mais
non suffisamment spécialisé. Dans la décision de la faire entrer dans notre éventuel fichier terminologique,
le facteur subjectif joue un rôle indéniable, mais il est quand même, précisément pour cette raison,
indispensable d’établir des critères préalables qui dirigent la sélection des termes significatifs.
Mais le problème ne se pose pas tellement lors du dépouillement, c’est-à-dire, du repérage des mots
significatifs pour le thème proposé, mais plutôt lors de l’attribution d’une définition à un terme ou, à
l’inverse, l’assignation d’un terme précis à une notion, c’est-à-dire, lors de la préparation du fichier
terminologique.

3.5. L’élaboration du fichier terminologique

La question la plus problématique dans ce point est, comme on vient de dire, la définition de la notion
référée par le terme. Les notions dans la science historique, ainsi que dans les autres sciences humaines, ne
sont en général pas aussi « tangibles » que dans les sciences « exactes » et surtout les techniques. Celles
qu’on a déjà mentionnées, présentes dans tout essai de catalogage du vocabulaire historique, sont
suffisamment abstraites et ont assez d’implications pour générer des conflits parmi les spécialistes à
propos de leur contenu, et même le choix du terme concret pose des difficultés et génère des débats. Des
facteurs non strictement scientifiques interviennent à leur tour dans ce type de délibérations. Le cas de la
controverse autour de la nature du régime franquiste, résumée par Sevillano Calero (1999), est un exemple
clair de débat terminologique entraînant des questions idéologiques.
On trouve aussi de graves difficultés lorsqu’il faut trouver une équivalence des termes dans d’autres
langues, dont on a déjà parlé quand on a abordé les conditions des documents du corpus. Chaque langue a
déjà accordé, avec plus ou moins de succès, une unité terminologique précise aux notions qui
appartiennent à l’histoire d’une communauté considérablement large, telles que « révolution industrielle »
ou « paléolithique ». Or, même dans le cas de ces notions, parfois le terme employé pour la première fois
est si éloquent – c’est le cas de « putting-out system » en anglais – que les historiens décident de ne pas le
traduire dans d’autres langues, dans le but de conserver son sens propre. Dans d’autres occasions, des
expressions déjà consolidées font l’objet d’un nouveau débat à un moment donné, dû aux progrès dans les
recherches ou à l’apparition de visions d’ensemble différentes tout au long du temps. C’est le cas de la
révision de la notion de « Reconquista » dans l’Espagne du Moyen Âge (Barbero et Vigil 1979). D’un
autre côté, lorsqu’il s’agit de notions culturellement ou géographiquement restreintes, leur traduction peut
entraîner des confusions ou des imprécisions théoriques. La dénomination assignée aux réalités devient
dans ce cas-là une question épineuse et les options choisies varient selon l’auteur ou selon le cas concret.
Elles oscillent entre la conservation du terme dans la langue originelle (les « sans-culottes » français), la
création d’un terme dans la langue du spécialiste qui ressemble à l’original (le terme « caciquisme » pour
parler du « caciquismo » espagnol) ou la sélection d’un mot de la langue du chercheur et l’attribution à ce
mot d’un nouveau sens culturellement déterminé (« day labourer » pour « jornalero »). Voilà une des plus
grandes difficultés de la traduction de l’histoire. Et la question se complique si l’on doit faire face à un
terme qui, comme on a déjà signalé, a souffert à son tour d’un processus de traduction de la part de
l’historien, qui a essayé de trouver un mot « équivalent » dans sa propre langue pour reproduire le sens,
par exemple, de « Fuero », en espagnol, en tant que compilation particulière de lois. Il est alors
indispensable de repérer la désignation dans la langue originale pour répondre, comme traducteurs, à la
réalité historique concernée. Ainsi convient-il de faire attention à la notion d’« équivalence dynamique »,
proposée à l’origine par Nida et très bien accueillie par les spécialistes, qui entraîne la priorité de la
conformité contextuelle et de l’adéquation aux besoins des récepteurs selon le genre du texte (Hurtado
2001) dans le choix du terme définitif.

4. CONCLUSION

La traduction des textes d’histoire est une traduction spécialisée qui, en tant que telle, requiert, d’une
part, des professionnels maîtrisant les notions historiographiques fondamentales et les particularités de la
science historique, ainsi que les stratégies et difficultés de l’activité traductrice, et d’autre part, des
matériaux de travail consacrés à résoudre les problèmes spécifiques qu’elle pose. La systématisation de
tels problèmes n’est pas complète, mais l’énumération effectuée ici nous rapproche de la réalité à laquelle
doivent faire face les traducteurs spécialisés en sciences humaines et ouvre une voie de travail pour les
terminologues dans le but de répondre convenablement à leurs nécessités. Les dictionnaires bilingues
généraux ne peuvent aider le traducteur à affronter les difficultés dont on a essayé d’élaborer un catalogue.
Voilà pourquoi s’impose la nécessité d’élaborer des dictionnaires spécialisés en matière historique,
développant des explications précises à propos des difficultés linguistiques et surtout extralinguistiques du
choix des termes dans les textes spécialisés en histoire et historiographie. La nouveauté et la puissance de
l’ouvrage que l’on envisage résident précisément dans la capacité à résoudre des problèmes
extralinguistiques.
Bibliographie :
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