Michel Gardel
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Horizons
« Chine »
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Michel GARDEL
Organisation du
travail et management
interculturel
Michel Gardel a exercé, en France et à l’étranger, des fonctions de directeur
général ou de président de constructeurs automobiles (Jaguar, BMW,
Rover, Fiat, Alfa Roméo, Lancia, Toyota, Lexus). De 2010 à 2014, il a occupé
les fonctions de vice-président de Toyota Motor Europe. En 2013, il a été
l’un des cinq membres de la Commission Marque France, mandatée par
quatre ministres du gouvernement dans le but d’améliorer la réputation et 157
le dynamisme de l’économie française.
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d’implication de l’ensemble de ceux qui agissent dans l’entreprise,
ainsi qu’une flexibilité qui repose sur l’innovation, la formation, et
l’apprentissage. La flexibilité constitue indéniablement la base d’une
organisation apprenante ;
– s’agissant de l’animation et de l’optimisation des ressources
humaines en présence de cultures très différenciées, l’anthropologue
américain Edward Twitchell Hall n’a pas manqué de relever que
« toutes les affaires se traitent entre les personnes, tout ce qui
complique, gêne ou paralyse les relations entre elles, compromet le
bon déroulement des affaires ».
L’obstacle majeur résulte des valeurs fondamentalement différentes
entre deux cultures et leur perception. Ainsi quand le Français aspire
à l’originalité, l’Allemand va davantage rechercher l’utilité. De même,
si la culture latine permet d’exprimer ses émotions, dans la culture
japonaise il est de bon aloi de minimiser ses opinions personnelles
158 et de rechercher des rapports harmonieux sans confrontation. En
France, la confiance est souvent fonction des relations personnelles,
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Les principaux particularismes culturels
d’une entreprise japonaise
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Une valeur que l’on retrouve dans les principes directeurs du Toyota
Way (le kaizen que l’on traduit par « amélioration continue ») : s’il y
a une chose à faire, il doit certainement y avoir une meilleure façon
de l’exécuter. Ne montrer ni signe de joie ni de colère est également
l’un des principes du bushidô. Les Japonais ont tendance à esquisser
un sourire chaque fois qu’ils sont en difficulté ou si une faiblesse
de leur nature humaine est mise à l’épreuve. On trouve l’origine de
ce comportement dans le bushidô qui recommande le sourire pour
retrouver l’harmonie de l’âme chaque fois que l’on est bouleversé par
une adversité circonstancielle. Le sens de l’honneur des Japonais est
également à l’origine de leur sensibilité et de leur susceptibilité.
Il y a lieu de noter que dans la hiérarchie sociale japonaise, héritée
pour partie du bushidô, le marchand était placé au dernier rang.
Cela explique le peu d’intêret que portent souvent les Japonais au
commerce et au marketing, considérés comme moins prestigieux
160 que l’industrie ou la finance.
Dans les entreprises japonaises les décisions sont longues à
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nénko-jorétsu-séi (ancienneté dans l’entreprise) et du shusi-koyo-séi
(emploi à vie), il est judicieux de faire appel à un Japonais ayant une
longue antériorité dans l’entreprise. Il saura vous dévoiler qui a de
l’influence sur qui. Même si la position actuelle de certains ne paraît
pas impliquer leur participation, ils peuvent avoir été le mentor
d’autres cadres dirigeants qui ne manqueront pas de les consulter.
C’est en quelque sorte un organigramme officieux que ne connaissent
pas les nouveaux venus et en particulier les collaborateurs étrangers.
Par ailleurs, lorsque l’on vient d’arriver dans une entreprise
japonaise, il n’est pas recommandé de prendre la parole dans une
réunion si l’on n’y est pas invité, ou de prendre position dans
l’entreprise alors qu’on ne possède pas la connaissance nécessaire
pour comprendre toute la dimension d’un problème.
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Le kaizen est un principe structurant qui sous-tend le Toyota Way.
Cela signifie littéralement : changer (kai) pour aller mieux (zen). En
fait, il s’agit d’améliorer constamment les hommes et les processus
(process). Cette philosophie d’excellence conduit à rechercher
systématiquement une amélioration et à éliminer les pertes de temps
et les gaspillages (muda, muri, mura). Cette démarche conduit à
identifier des voies d’améliorations incrémentales qui ne nécessitent
pas obligatoirement d’investissements coûteux.
Le respect s’exprime de la façon la plus large. C’est une approche
globale consistant à respecter les clients, les fournisseurs, les
actionnaires, les employés, et la communauté locale et nationale.
L’objectif est de mettre en place un cercle vertueux de confiance
mutuelle et durable. L’entreprise s’efforce d’assurer des retombées
positives à ses employés, clients, fournisseurs et à la communauté.
Le défi repose sur les 3 C : Créativité, Challenge et Courage. Le
162 sens du défi se doit d’animer chaque collaborateur. La crainte de
l’autosatisfaction et de l’inertie qui en résulte sont permanentes.
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Le Toyota Way
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un défi à long terme en structurant les actions et en impliquant
l’ensemble des collaborateurs (hoshin kanri). Ces plans d’action se
doivent d’être partagés tant horizontalement que verticalement, et de
reposer sur le consensus.
La prise de décision se doit d’être efficace. Comme le souligne
généralement la culture des affaires au Japon, « l’important n’est pas
de prendre une décision… mais de prendre une bonne décision ».
Il est préférable de surseoir à statuer si l’on n’est pas certain de
l’efficacité de la décision que l’on prend. Ce point explique la lenteur
du processus de décision dans une entreprise nippone. Chaque prise
de décision requiert une analyse complète de la situation et de sa
périphérie, mais aussi la nécessité de respecter le consensus entre les
opérateurs.
On exalte la persévérance. Il est attendu du collaborateur qu’il
reste positif en toute circonstance. Il doit faire preuve d’assurance
164 et de confiance dans l’entreprise et s’employer à garder une vision
objective et non émotive, même dans un contexte difficile. Il doit
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Il est capital de fixer des objectifs et de gérer la performance.
Le collaborateur et sa hiérarchie doivent s’assurer de la bonne
compréhension du travail à effectuer et des objectifs à atteindre.
Les objectifs et les normes de performance sont discutés avec les
collaborateurs. Les objectifs doivent être mesurables, réalistes, définis
strictement dans le temps et acceptés. Il est important à ce niveau de
souligner que seul ce qui est mesurable et visible est pertinent dans la
culture managériale japonaise. Un objectif insuffisamment précis ou
trop conceptuel, voire « philosophique », ne sera pas pris en compte
dans l’appréciation de la performance d’un collaborateur.
Ce genre d’entreprise s’intéresse de près au développement de
ses collaborateurs. La finalité est de mettre l’accent sur le travail
d’équipe par l’apprentissage et le développement à long terme. La
confiance réciproque existant entre les collaborateurs et leur manager
joue un rôle primordial. Elle résulte de la capacité à reconnaître
avec sincérité la contribution individuelle de chacun au travail de 165
l’équipe. Le respect s’exprime à travers une communication sincère
et ouverte et la volonté permanente d’améliorer les compétences des
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Résolution de problèmes
Le Toyota Way, comme nous venons de le voir avec ces dix points,
exprime les valeurs fondamentales et les actions que doit mettre en
place un collaborateur dans l’exercice de son activité. Pour expliquer
encore davantage comment pratiquer le Toyota Way au quotidien, le
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Toyota Business Practices (TBP) repose sur un mode de résolution des
problèmes en huit étapes concrètes à mettre en œuvre. Sur la forme,
cet exercice conduit à une synthèse de ces huit étapes transcrites sur
un document unique d’une seule page de format A3. Ce document
est le support des différentes présentations qui seront faites dans
l’entreprise. C’est un véritable langage véhiculaire utilisé par les plus
de 300 000 collaborateurs de Toyota opérant dans cent cinquante
pays. Il se décompose de la manière suivante :
– clarifier le problème : c’est certainement l’étape la plus délicate.
Il convient d’analyser tout d’abord en quoi le travail du collaborateur
contribue au « but ultime » de l’entreprise. Ensuite, il faut clarifier
quelle est la situation idéale pour le travail dont il a la responsabilité,
et la confronter à la situation actuelle. Ces deux situations doivent
être exprimées de manière quantifiable et donc mesurable. Cela
permet d’identifier et d’évaluer un écart entre la situation actuelle et
166 la situation idéale (gap analysis). L’important est ici de visualiser cet
écart, pour ensuite mesurer les progrès accomplis dans la résolution
du problème ;
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– l’analyse de la cause du problème : elle consiste à rechercher à
quel moment le problème est survenu et à analyser, à partir de faits
recueillis sur le terrain, quelles sont les causes probables de son
émergence. Dans cette phase, seuls les faits et les données chiffrées
comptent, il faut s’abstenir de formuler des jugements, des critiques,
voire des hypothèses. L’analyse est fondée sur la question « pourquoi ?».
Une fois la première question posée – dès qu’elle est validée par des
faits et des chiffres –, il faut renouveler la question « pourquoi ? » et
ainsi de suite jusqu’à ce que le collaborateur ait la preuve et donc
acquis la conviction que le problème est dû principalement à cette
cause originaire. L’exemple qui est souvent donné pour expliciter cette
démarche est celui d’une panne électrique détectée sur une Formule
1. Si l’on arrête prématurément le questionnement « pourquoi ? », le
problème n’est pas résolu et une mauvaise décision est prise. Si l’on
s’en tient aux apparences le problème électrique est dû à la déficience
d’un fusible. Si l’on ne pose pas la question « Pourquoi le fusible n’a-
t-il pas fonctionné ? » on ne découvre pas que la déficience du fusible 167
est en réalité imputable à une fuite d’huile qui l’a endommagé.
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– la mise en place des contre-mesures : le travail d’équipe est
crucial dans cette phase qui doit mobiliser l’attention et l’énergie
de tous les collaborateurs impliqués. Les contre-mesures sont mises
en application et font l’objet de tests pour en évaluer l’efficacité.
Une communication systématique est faite pour partager l’état
d’avancement de la situation, mais aussi pour se focaliser sur
les difficultés rencontrées et les moyens à mettre en œuvre pour
surmonter les obstacles. Un coaching de la hiérarchie est nécessaire
pour encourager les équipes qui sont soumises à rude épreuve dans
cette phase ;
– l’évaluation conjointe des résultats et des process: dans cette
séquence, une consolidation détaillée des résultats est effectuée et fait
ressortir les échecs et les succès en toute transparence. L’évaluation
des résultats s’effectue selon trois prismes d’analyse : l’intérêt pour le
client, l’intérêt pour l’entreprise, et l’intérêt pour les collaborateurs
168 concernés. Enfin, une analyse circonstanciée des facteurs clefs de
succès et des échecs rencontrés est effectuée en vue d’être partagée
pour d’autres expériences similaires ou effectuée dans un contexte
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Que peut-on déduire du management
au sein d’une entreprise japonaise ?
Conclusion
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comme une réalité historique et culturelle. La recherche de l’engagement des
individus et de leur responsabilisation est avant tout un défi culturel, celui
de la cohésion.La notion de flexibilité est étroitement corrélée à l’innovation,
à la volonté d’apprendre et de transmettre, ce qui fait d’elle une valeur d’une
plus grande modernité.
Ce sont les États-Unis et le Japon qui ont développé les principaux modèles
d’organisation et de management du travail. Ils sont liés aux spécificités
culturelles de ces deux pays. Vouloir copier ou imiter purement et simplement
ces deux modèles serait trop réducteur, voire stérile. En revanche, en
appréhender les caractéristiques et s’en inspirer pour optimiser nos modèles,
les mettre à niveau tant sur le plan de la productivité, de la concertation,
que de la recherche d’un avantage concurrentiel durable, apparaît plus que
souhaitable.
L’un des défis majeurs sera de concevoir ces nouveaux modèles
d’organisation du travail en plaçant, plus que jamais, l’homme au cœur
170 du dispositif, en l’invitant à penser et à agir par lui-même. L’engagement,
l’implication et la responsabilisation des différents acteurs sera la condition
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résumé
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