Vous êtes sur la page 1sur 17

ORGANISATION DU TRAVAIL ET MANAGEMENT INTERCULTUREL

Michel Gardel

Éditions Choiseul | « Géoéconomie »

2016/5 N° 82 | pages 155 à 171


ISSN 1620-9869
DOI 10.3917/geoec.082.0155
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-geoeconomie-2016-5-page-155.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Éditions Choiseul.


© Éditions Choiseul. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)

© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)


licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)

Horizons
« Chine »
© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)
155
Michel GARDEL

Organisation du
travail et management
interculturel
Michel Gardel a exercé, en France et à l’étranger, des fonctions de directeur
général ou de président de constructeurs automobiles (Jaguar, BMW,
Rover, Fiat, Alfa Roméo, Lancia, Toyota, Lexus). De 2010 à 2014, il a occupé
les fonctions de vice-président de Toyota Motor Europe. En 2013, il a été
l’un des cinq membres de la Commission Marque France, mandatée par
quatre ministres du gouvernement dans le but d’améliorer la réputation et 157
le dynamisme de l’économie française.
© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)

© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)


P armi les défis majeurs auxquels sont confrontées les
entreprises globales, l’organisation du travail et le
management interculturel demeurent essentiels et difficiles à relever.
Il y a lieu d’engager d’une part toutes les ressources disponibles de
l’entreprise vers la constitution d’un avantage concurrentiel durable,
tout en générant d’autre part des synergies entre des collaborateurs
de cultures différentes. À ce niveau on perçoit bien la nature de ces
deux enjeux :
– à l’heure où l’on discute beaucoup en France d’une nouvelle
politique de l’emploi et de la réforme du code du travail, placer les
notions de flexibilité et de responsabilité au cœur du fonctionnement
de l’entreprise c’est aussi relever les défis managériaux que nous
propose la mondialisation : une responsabilité faite d’engagement et

| Michel GARDEL |
d’implication de l’ensemble de ceux qui agissent dans l’entreprise,
ainsi qu’une flexibilité qui repose sur l’innovation, la formation, et
l’apprentissage. La flexibilité constitue indéniablement la base d’une
organisation apprenante ;
– s’agissant de l’animation et de l’optimisation des ressources
humaines en présence de cultures très différenciées, l’anthropologue
américain Edward Twitchell Hall n’a pas manqué de relever que
« toutes les affaires se traitent entre les personnes, tout ce qui
complique, gêne ou paralyse les relations entre elles, compromet le
bon déroulement des affaires ».
L’obstacle majeur résulte des valeurs fondamentalement différentes
entre deux cultures et leur perception. Ainsi quand le Français aspire
à l’originalité, l’Allemand va davantage rechercher l’utilité. De même,
si la culture latine permet d’exprimer ses émotions, dans la culture
japonaise il est de bon aloi de minimiser ses opinions personnelles
158 et de rechercher des rapports harmonieux sans confrontation. En
France, la confiance est souvent fonction des relations personnelles,
© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)

© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)


en Allemagne et au Japon elle repose sur des faits… et des preuves.
Dans les pays latins, la confiance s’accorde alors que dans les pays
nordiques et au Japon, elle se gagne au fil du temps.
Les tensions interculturelles sont générées par l’interprétation
erronée de signes et de comportements. Lorsque nous sommes à
l’étranger, nous avons une propension à prendre pour « référent » notre
propre système de valeurs, voire à vouloir inconsciemment l’imposer.
Dans cette attitude réside l’essentiel des conflits interculturels.
Une meilleure communication et surtout une meilleure prise de
conscience des systèmes de valeurs de chacun permettraient d’éviter
une grande partie de ces conflits.
Au regard de ces enjeux d’organisation et de management
interculturel, il nous apparaît intéressant de considérer le modèle
d’organisation et les particularismes culturels d’une entreprise
japonaise opérant sur les cinq continents et dans cent cinquante pays.

82 - juin-juillet 2017
Les principaux particularismes culturels
d’une entreprise japonaise

La recherche de l’engagement des individus et de leur


responsabilisation est avant tout un défi culturel, celui de la cohésion.
La notion de responsabilité et la cohésion du groupe s’apprécient au
Japon comme une réalité historique et culturelle.
Pour bien comprendre la mentalité japonaise et son mode de
pensée, il n’est pas inutile de faire référence au bushidô, « véritable
épine dorsale de la morale japonaise  ». Le bu-shi-dô signifie
littéralement « la voie du guerrier ». Certains le définissent comme
« le code d’honneur des samouraïs », cela est un peu réducteur tant il
reste présent dans la vie des Japonais. Comme le souligne l’écrivain
Keiko Yamanaka « grattez la peau d’un Japonais qui a les idées les
plus modernes, et vous découvrirez sous son épiderme un samouraï ».
159
Fruit du régime féodal, le bushidô est empreint de valeurs
confucéennes : justice, vaillance, endurance, bienveillance, devoir de
© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)

© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)


loyauté, honneur, politesse, maîtrise de soi, etc. Confucius en donne
l’expression dans l’Invariable milieu : « la sincérité est la fin et le début
de toute chose. Sans sincérité il n’y a rien. »
Le bushidô est un code moral non écrit et l’ensemble des
préceptes moraux ont été transmis oralement. Il n’est pas non plus
né de l’influence d’une seule personne, mais s’est constitué au fil des
années et est entré dans la conscience collective à l’époque féodale,
probablement vers le XIIe siècle. De nombreux principes du bushidô
influencent encore l’attitude et le comportement des Japonais dans la
vie des affaires. Ainsi la politesse, la courtoisie et la bienséance sont
souvent perçus comme un signe distinctif des Japonais dans la vie
quotidienne. De même, lorsque l’on observe la cérémonie du thé, cha
no yu, en plus de l’élégance du geste, on remarque rapidement que les
règles séculaires permettent aux officiants d’épargner un maximum
de temps et de gestes inutiles qui permettent d’optimiser l’énergie.

| Michel GARDEL |
Une valeur que l’on retrouve dans les principes directeurs du Toyota
Way (le kaizen que l’on traduit par « amélioration continue ») : s’il y
a une chose à faire, il doit certainement y avoir une meilleure façon
de l’exécuter. Ne montrer ni signe de joie ni de colère est également
l’un des principes du bushidô. Les Japonais ont tendance à esquisser
un sourire chaque fois qu’ils sont en difficulté ou si une faiblesse
de leur nature humaine est mise à l’épreuve. On trouve l’origine de
ce comportement dans le bushidô qui recommande le sourire pour
retrouver l’harmonie de l’âme chaque fois que l’on est bouleversé par
une adversité circonstancielle. Le sens de l’honneur des Japonais est
également à l’origine de leur sensibilité et de leur susceptibilité.
Il y a lieu de noter que dans la hiérarchie sociale japonaise, héritée
pour partie du bushidô, le marchand était placé au dernier rang.
Cela explique le peu d’intêret que portent souvent les Japonais au
commerce et au marketing, considérés comme moins prestigieux
160 que l’industrie ou la finance.
Dans les entreprises japonaises les décisions sont longues à
© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)

© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)


prendre. Elles ne reposent pas sur une prise de position individuelle
mais sur celle de l’unanimité d’un groupe. Beaucoup de personnes
sont impliquées et recherchent le consensus. Il est d’ailleurs
intéressant de relever que les réunions protocolaires ont lieu après la
prise de décision. Avant cette réunion, une phase très importante a
pris place : le nemawashi, qui, dans le domaine des affaires, signifie le
fait de parvenir à un accord unanime avant sa ratification formelle.
Cet accord est le fruit de discussions officieuses et fait l’objet d’un
document appelé ringi sur lequel figure le nom, et la signature des
personnes impliquées dans cette démarche consensuelle. Le ringi
matérialise le fait qu’elles ont été consultées et ont donné leur accord.
La difficulté pour un étranger travaillant dans une entreprise
japonaise d’engager ce type de discussion est d’identifier les
personnes qu’il faut convier. En effet, l’organigramme officiel ne
donne pas toutes les clés pour organiser le nemawashi. Au pays du

82 - juin-juillet 2017
nénko-jorétsu-séi (ancienneté dans l’entreprise) et du shusi-koyo-séi
(emploi à vie), il est judicieux de faire appel à un Japonais ayant une
longue antériorité dans l’entreprise. Il saura vous dévoiler qui a de
l’influence sur qui. Même si la position actuelle de certains ne paraît
pas impliquer leur participation, ils peuvent avoir été le mentor
d’autres cadres dirigeants qui ne manqueront pas de les consulter.
C’est en quelque sorte un organigramme officieux que ne connaissent
pas les nouveaux venus et en particulier les collaborateurs étrangers.
Par ailleurs, lorsque l’on vient d’arriver dans une entreprise
japonaise, il n’est pas recommandé de prendre la parole dans une
réunion si l’on n’y est pas invité, ou de prendre position dans
l’entreprise alors qu’on ne possède pas la connaissance nécessaire
pour comprendre toute la dimension d’un problème.

Les grands principes du management japonais


161
Contrairement aux modèles occidentaux où la prise de décision
© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)

© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)


est placée au plus haut niveau de la hiérarchie, le modèle japonais qui
repose essentiellement sur le travail d’équipe, repousse l’habilitation
à la décision à un niveau aussi bas que possible dans la hiérarchie de
l’entreprise. La finalité de cette approche est de se situer au plus près
du lieu de production ou de l’exécution d’une action. Il en résulte
moins de conflits et de frictions entre la direction et les collaborateurs,
du fait de cette concertation et de cette atmosphère plus égalitaire.
À cet égard, le modèle d’organisation de Toyota, qui repose
sur les principes du Toyota Way se caractérise principalement par
sa vocation « responsabilisante » auprès des opérateurs et par sa
flexibilité. La démarche est à la fois structurante, transactionnelle et
évolutive.
Les valeurs du Toyota Way trouvent leur source dans le système de
production de Toyota (TPS). Elles sont au nombre de cinq : le kaizen,
le respect, le défi, l’esprit d’équipe, et le genchi genbutsu (présence sur
le terrain).

| Michel GARDEL |
Le kaizen est un principe structurant qui sous-tend le Toyota Way.
Cela signifie littéralement : changer (kai) pour aller mieux (zen). En
fait, il s’agit d’améliorer constamment les hommes et les processus
(process). Cette philosophie d’excellence conduit à rechercher
systématiquement une amélioration et à éliminer les pertes de temps
et les gaspillages (muda, muri, mura). Cette démarche conduit à
identifier des voies d’améliorations incrémentales qui ne nécessitent
pas obligatoirement d’investissements coûteux.
Le respect s’exprime de la façon la plus large. C’est une approche
globale consistant à respecter les clients, les fournisseurs, les
actionnaires, les employés, et la communauté locale et nationale.
L’objectif est de mettre en place un cercle vertueux de confiance
mutuelle et durable. L’entreprise s’efforce d’assurer des retombées
positives à ses employés, clients, fournisseurs et à la communauté.
Le défi repose sur les 3 C : Créativité, Challenge et Courage. Le
162 sens du défi se doit d’animer chaque collaborateur. La crainte de
l’autosatisfaction et de l’inertie qui en résulte sont permanentes.
© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)

© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)


L’organisation dans son intégralité doit avoir cet état d’esprit et chaque
collaborateur doit se lancer de nouveaux défis. Cela s’applique au plus
petit détail comme à la vision stratégique la plus large.
L’esprit d’équipe est la règle pour toutes les fonctions de l’entreprise
qui doivent travailler ensemble à la résolution de problèmes et au
développement de l’entreprise et des collaborateurs. Le consensus se
doit de régner dans l’entreprise, et la base doit être systématiquement
consultée. La cohésion résulte de l’adhésion née de la concertation et
de l’échange qui préside à la prise de décision. Le genchi genbutsu est
un principe d’action à mettre en œuvre avant d’aborder la résolution
d’un problème. C’est une méthodologie très pragmatique qui consiste
à se rendre soi-même sur le terrain pour étudier et comprendre la
nature d’un problème, pour se l’approprier et le résoudre. Ce principe
est axial dans l’efficacité de la recherche et l’analyse des faits pour la
résolution d’un problème.

82 - juin-juillet 2017
Le Toyota Way

Pour mettre en œuvre le Toyota Way, les dirigeants de Toyota


ont considéré qu’il fallait clairement identifier les compétences
majeures requises pour occuper un poste dans l’organisation. Ce
système de management est également le support de l’animation et
du contrôle des équipes dans l’entreprise. Dix compétences ont ainsi
été identifiées.
Tout d’abord, l’efficacité dans la recherche et l’analyse des
faits pour la résolution d’un problème prime. À cet égard, il est
intéressant de noter que l’approche réside dans la résolution d’un
problème concret. Taïchi Ohno, le concepteur du Toyota Production
System (TPS) avait coutume de déclarer « si vous n’avez pas de
problème… Vous avez un problème ». La plus grande difficulté de
ce type d’exercice est de clarifier le problème après avoir rassemblé
les faits, en se rendant également sur le champ opérationnel. Il faut 163
ensuite rechercher les causes du problème et identifier celle qui est
© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)

© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)


principalement à son origine. Puis, il est nécessaire de définir et de
mettre en place les actions correctives qui s’imposent. Enfin, il y a lieu
de tester la pertinence et l’efficacité de ces actions avant de parvenir
à la formalisation d’un process. L’ensemble de cette phase opératoire
se déroule en impliquant les autres collaborateurs de l’entreprise qui
sont directement et indirectement concernés par la résolution du
problème identifié.
Il faut ensuite faire preuve d’esprit d’innovation. Il s’agit pour
chaque opérateur de prôner une culture de pensée innovante et
d’amélioration continue. Le but est également d’aider les autres
à recenser les opportunités de changement pour améliorer
continuellement le travail de l’équipe. Il y a enfin lieu de mesurer
l’impact du changement pour s’assurer de sa réelle valeur ajoutée.
Il convient également de développer et partager les plans d’action.
L’objet est de mettre en place une communication sincère, de relever

| Michel GARDEL |
un défi à long terme en structurant les actions et en impliquant
l’ensemble des collaborateurs (hoshin kanri). Ces plans d’action se
doivent d’être partagés tant horizontalement que verticalement, et de
reposer sur le consensus.
La prise de décision se doit d’être efficace. Comme le souligne
généralement la culture des affaires au Japon, « l’important n’est pas
de prendre une décision… mais de prendre une bonne décision ».
Il est préférable de surseoir à statuer si l’on n’est pas certain de
l’efficacité de la décision que l’on prend. Ce point explique la lenteur
du processus de décision dans une entreprise nippone. Chaque prise
de décision requiert une analyse complète de la situation et de sa
périphérie, mais aussi la nécessité de respecter le consensus entre les
opérateurs.
On exalte la persévérance. Il est attendu du collaborateur qu’il
reste positif en toute circonstance. Il doit faire preuve d’assurance
164 et de confiance dans l’entreprise et s’employer à garder une vision
objective et non émotive, même dans un contexte difficile. Il doit
© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)

© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)


rechercher systématiquement à éliminer un à un les différents
obstacles pour atteindre l’objectif final.
Utiliser efficacement les ressources et les méthodes de travail
est mis en valeur. Le collaborateur doit s’efforcer d’éliminer les
gaspillages et pertes de temps de toute nature. Il doit veiller à établir
des priorités tout en respectant les normes et les processus établis
dans l’organisation.
Il convient de plus d’établir un cadre de travail et d’utiliser
les systèmes d’information. Il s’agit avant tout de développer un
apprentissage organisationnel. C’est le principe de l’entreprise
apprenante qui s’impose. Le collaborateur travaille dans le respect
des normes et des process en vigueur dans l’entreprise. Il partage les
meilleures pratiques (yokoten) avec les autres collaborateurs. Il doit
rester ouvert au changement et garder la volonté d’apprendre et de
s’améliorer continuellement.

82 - juin-juillet 2017
Il est capital de fixer des objectifs et de gérer la performance.
Le collaborateur et sa hiérarchie doivent s’assurer de la bonne
compréhension du travail à effectuer et des objectifs à atteindre.
Les objectifs et les normes de performance sont discutés avec les
collaborateurs. Les objectifs doivent être mesurables, réalistes, définis
strictement dans le temps et acceptés. Il est important à ce niveau de
souligner que seul ce qui est mesurable et visible est pertinent dans la
culture managériale japonaise. Un objectif insuffisamment précis ou
trop conceptuel, voire « philosophique », ne sera pas pris en compte
dans l’appréciation de la performance d’un collaborateur.
Ce genre d’entreprise s’intéresse de près au développement de
ses collaborateurs. La finalité est de mettre l’accent sur le travail
d’équipe par l’apprentissage et le développement à long terme. La
confiance réciproque existant entre les collaborateurs et leur manager
joue un rôle primordial. Elle résulte de la capacité à reconnaître
avec sincérité la contribution individuelle de chacun au travail de 165
l’équipe. Le respect s’exprime à travers une communication sincère
et ouverte et la volonté permanente d’améliorer les compétences des
© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)

© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)


collaborateurs par la formation et le coaching afin de leur permettre
de se développer et d’évoluer dans l’entreprise.
Enfin, il est important d’avoir conscience de la mission et de la
vision de l’entreprise et de s’engager sans réserve dans cette voie. Le
collaborateur doit connaître, partager et savoir exposer quelles sont
les valeurs fondamentales de l’entreprise et quelle est sa vision. Il se
doit d’incarner, à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise, ses valeurs.

Résolution de problèmes

Le Toyota Way, comme nous venons de le voir avec ces dix points,
exprime les valeurs fondamentales et les actions que doit mettre en
place un collaborateur dans l’exercice de son activité. Pour expliquer
encore davantage comment pratiquer le Toyota Way au quotidien, le

| Michel GARDEL |
Toyota Business Practices (TBP) repose sur un mode de résolution des
problèmes en huit étapes concrètes à mettre en œuvre. Sur la forme,
cet exercice conduit à une synthèse de ces huit étapes transcrites sur
un document unique d’une seule page de format A3. Ce document
est le support des différentes présentations qui seront faites dans
l’entreprise. C’est un véritable langage véhiculaire utilisé par les plus
de 300 000 collaborateurs de Toyota opérant dans cent cinquante
pays. Il se décompose de la manière suivante :
– clarifier le problème : c’est certainement l’étape la plus délicate.
Il convient d’analyser tout d’abord en quoi le travail du collaborateur
contribue au « but ultime » de l’entreprise. Ensuite, il faut clarifier
quelle est la situation idéale pour le travail dont il a la responsabilité,
et la confronter à la situation actuelle. Ces deux situations doivent
être exprimées de manière quantifiable et donc mesurable. Cela
permet d’identifier et d’évaluer un écart entre la situation actuelle et
166 la situation idéale (gap analysis). L’important est ici de visualiser cet
écart, pour ensuite mesurer les progrès accomplis dans la résolution
du problème ;
© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)

© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)


– décomposer le problème : il s’agit de le subdiviser en plusieurs
éléments constitutifs qui permettent d’en réduire la complexité
et d’en sérier les différents aspects. L’éclatement du problème en
plusieurs éléments permet d’identifier l’origine de chacune des
causes. La validation opérationnelle sur le terrain (genchi genbutsu)
est essentielle à ce stade. Cette étape permettra de sélectionner le
problème qui apparaît prioritaire, en fondant son identification sur
son niveau d’importance, d’urgence, et son potentiel d’expansion ;
– fixer un objectif : c’est à la fois l’engagement de résoudre le
problème, mais aussi la nécessité de définir un objectif ambitieux,
concret et mesurable dans le temps. L’objectif se compose de deux
éléments : « combien » et « quand ». Le respect du temps imparti pour
atteindre l’objectif quantifiable est un élément très important. La
notion du temps est consubstantielle et doit être interprétée au sens
strict, c’est « un temps organisé » ;

82 - juin-juillet 2017
– l’analyse de la cause du problème : elle consiste à rechercher à
quel moment le problème est survenu et à analyser, à partir de faits
recueillis sur le terrain, quelles sont les causes probables de son
émergence. Dans cette phase, seuls les faits et les données chiffrées
comptent, il faut s’abstenir de formuler des jugements, des critiques,
voire des hypothèses. L’analyse est fondée sur la question « pourquoi ?».
Une fois la première question posée – dès qu’elle est validée par des
faits et des chiffres –, il faut renouveler la question « pourquoi ? » et
ainsi de suite jusqu’à ce que le collaborateur ait la preuve et donc
acquis la conviction que le problème est dû principalement à cette
cause originaire. L’exemple qui est souvent donné pour expliciter cette
démarche est celui d’une panne électrique détectée sur une Formule
1. Si l’on arrête prématurément le questionnement « pourquoi ? », le
problème n’est pas résolu et une mauvaise décision est prise. Si l’on
s’en tient aux apparences le problème électrique est dû à la déficience
d’un fusible. Si l’on ne pose pas la question « Pourquoi le fusible n’a-
t-il pas fonctionné ? » on ne découvre pas que la déficience du fusible 167
est en réalité imputable à une fuite d’huile qui l’a endommagé.
© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)

© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)


« Pourquoi cette fuite d’huile ? » parce que le filtre à huile était
défectueux ce qui était la cause réelle du problème. Le changement
du fusible aurait donc été inutile et la panne électrique serait donc
survenue de nouveau ;
– développer des contre-mesures pour résoudre le problème : dans
cet exercice, la finalité est de penser large et de se montrer créatif. Il
ne faut donc pas se censurer avec des a priori ou des idées préconçues,
voire la pensée dominante ou généralement reçue dans l’activité
concernée. Il y a lieu de recenser le plus grand nombre de contre-
mesures et ensuite d’en resserrer la sélection pour ne conserver que
les plus efficaces en termes de faisabilité et de coût. Cette phase doit
également être partagée avec tous les collaborateurs directement et
indirectement concernés. Enfin, un plan d’action clair, extrêmement
détaillé, et séquencé doit être élaboré (5W’s and H). L’analyse des
coûts des mesures recommandées doit également être effectuée à ce
niveau ;

| Michel GARDEL |
– la mise en place des contre-mesures : le travail d’équipe est
crucial dans cette phase qui doit mobiliser l’attention et l’énergie
de tous les collaborateurs impliqués. Les contre-mesures sont mises
en application et font l’objet de tests pour en évaluer l’efficacité.
Une communication systématique est faite pour partager l’état
d’avancement de la situation, mais aussi pour se focaliser sur
les difficultés rencontrées et les moyens à mettre en œuvre pour
surmonter les obstacles. Un coaching de la hiérarchie est nécessaire
pour encourager les équipes qui sont soumises à rude épreuve dans
cette phase ;
– l’évaluation conjointe des résultats et des process: dans cette
séquence, une consolidation détaillée des résultats est effectuée et fait
ressortir les échecs et les succès en toute transparence. L’évaluation
des résultats s’effectue selon trois prismes d’analyse : l’intérêt pour le
client, l’intérêt pour l’entreprise, et l’intérêt pour les collaborateurs
168 concernés. Enfin, une analyse circonstanciée des facteurs clefs de
succès et des échecs rencontrés est effectuée en vue d’être partagée
pour d’autres expériences similaires ou effectuée dans un contexte
© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)

© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)


différent ;
 – la standardisation d’un process : c’est l’ultime étape, à savoir
parvenir à un process qui sera systématiquement appliqué par les
collaborateurs de l’entreprise. Toyota aime à se définir comme une
société « d’hommes et de process ». Le nouveau process devient un
standard qu’il faut partager avec les autres collaborateurs (yokoten).
Ensuite, vient la phase du kaizen qui constitue la prochaine étape, car
même si ce nouveau standard est performant… il y a forcément un
moyen de l’améliorer.

82 - juin-juillet 2017
Que peut-on déduire du management
au sein d’une entreprise japonaise ?

La culture de l’amélioration continue encourage la pensée novatrice


(les Japonais sont avec les Américains ceux qui déposent le plus de
brevets au monde). Le devoir de remettre continuellement en cause
les méthodes de travail et de rechercher de nouvelles opportunités
crée de la flexibilité et de l’efficience dans les entreprises japonaises
(tout particulièrement dans le secteur industriel). La concertation
et la recherche systématique du consensus permettent de limiter
les conflits au sein de l’entreprise. Un sens aigu de l’engagement et
de l’implication crée une « posture responsabilisante » pour chaque
collaborateur. L’efficacité organisationnelle repose sur le process mais
aussi sur une utilisation efficace des ressources existantes, ce qui
induit une démarche économique fondée sur la minoration des coûts
de structure et sur la productivité. L’engagement de l’entreprise de 169
développer les collaborateurs dans une organisation « apprenante »
© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)

© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)


crée les bases d’une organisation ouverte au changement dans
l’entreprise et dotée de structures prêtes à le mettre en œuvre.
Enfin, la vision partagée et la compréhension de la mission et
des objectifs de chacun permettent une meilleure implication,
responsabilisation, et motivation.

Conclusion

À l’heure de la mondialisation, la recherche systématique de la


compétitivité reposera sur l’optimisation de la performance des
hommes et sur leur aptitude à innover. S’enrichir par la différence
en s’inspirant d’autres modèles culturels, mobiliser les équipes
interculturelles, accepter et conduire le changement seront les
facteurs clés de succès des organisations globales d’aujourd’hui et de
demain. Il apparaît bien que la notion de responsabilité s’apprécie

| Michel GARDEL |
comme une réalité historique et culturelle. La recherche de l’engagement des
individus et de leur responsabilisation est avant tout un défi culturel, celui
de la cohésion.La notion de flexibilité est étroitement corrélée à l’innovation,
à la volonté d’apprendre et de transmettre, ce qui fait d’elle une valeur d’une
plus grande modernité.
Ce sont les États-Unis et le Japon qui ont développé les principaux modèles
d’organisation et de management du travail. Ils sont liés aux spécificités
culturelles de ces deux pays. Vouloir copier ou imiter purement et simplement
ces deux modèles serait trop réducteur, voire stérile. En revanche, en
appréhender les caractéristiques et s’en inspirer pour optimiser nos modèles,
les mettre à niveau tant sur le plan de la productivité, de la concertation,
que de la recherche d’un avantage concurrentiel durable, apparaît plus que
souhaitable.
L’un des défis majeurs sera de concevoir ces nouveaux modèles
d’organisation du travail en plaçant, plus que jamais, l’homme au cœur
170 du dispositif, en l’invitant à penser et à agir par lui-même. L’engagement,
l’implication et la responsabilisation des différents acteurs sera la condition
© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)

© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)


sine qua non des démarches d’excellence. La mise en place de ces nouveaux
modèles nécessitera de la communication, certes, de la pédagogie,
certainement, mais aussi la volonté de tous de se remettre en question…
indiscutablement. Comme l’a déjà souligné le philosophe Nicolas Grimaldi :
« Le travail est bien la continuation de la vie en ce qu’il consiste en un
processus infini de changement. L’histoire des techniques et de l’organisation
du travail pourrait-elle aussi être considérée comme une autre forme
d’évolution de la vie. »

82 - juin-juillet 2017
résumé

Dans un monde de plus en plus globalisé, la recherche systématique de la


compétitivité sera fondée sur la combinaison de la recherche de la performance
dans le respect des personnes, et sur le renforcement de l’innovation. « S’enrichir
par la différence » en se référant à d’autres modèles culturels de management,
mobiliser les équipes interculturelles, accepter et conduire le changement
seront les facteurs clés du succès des organisations globales d’aujourd’hui et
de demain. Dans les entreprises japonaises (en particulier dans l’industrie),
l’engagement continu de reconsidérer l’organisation et les processus, ainsi
que la recherche de nouvelles opportunités, crée de la flexibilité et génère
de la productivité. Un fort sentiment d’engagement et d’implication crée
une « posture responsabilisante et d’autonomisation ». Pour les entreprises
globales, l’un des principaux défis sera de développer ces nouveaux modèles
d’organisation du travail en plaçant plus que jamais les hommes et les femmes
au cœur de l’organisation, en les invitant à penser et à agir par eux-mêmes.
L’introduction de ces nouveaux modèles exige certes un immense effort de
communication de la part de ceux qui conduisent le changement, beaucoup
de pédagogie, mais aussi la responsabilité de tous les acteurs... 171
© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)

© Éditions Choiseul | Téléchargé le 30/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.64.51.180)


abstract

In an increasingly globalized world, the systematic search for competitiveness


will be based on a combined quest for performance with respect for the people
and an effort to enhance innovation. Enriching experience with other cultural
patterns, mobilizing intercultural teams, accepting and managing change
will be the key success factors for present and future global organizations.
In Japanese companies (especially in the industry) committing to constantly
rethink the organization and its processes as well as being on the look-out
for new opportunities create flexibility and efficiency. A strong sense of
commitment and involvement generates responsibility and an "empowerment
posture" for each employee. One of the major challenges will be to develop
these new management models by placing, more than ever, people at the heart
of organizations and inviting them to think and act by themselves. Introducing
these new models requires communication, teaching skills certainly, but also
the commitment of all actors...

| Michel GARDEL |

Vous aimerez peut-être aussi