Vous êtes sur la page 1sur 8

À chacun son métier:

l’actio finium regundorum entre pouvoirs et territoires « a-juridiques » .

Cinzia Piciocchi, assistant professor en Droit constitutionnel comparé, Université de Trento, Italie, Faculté de droit

1. Introduction.

Chez les Romains, les bornes revêtaient un caractère sacré et un Dieu, Terminus, veillait sur eux.
Les individus qui se disputaient au sujet des limites de leurs terrains pouvaient obtenir justice avec l’actio
finium regundorum.
Aujourd’hui, dans certaines occasions, le pouvoir judiciaire – notamment les Cours constitutionnelles – a
une incidence sur le principe de la division des pouvoirs, avec quelque chose de pareil à cette actio, en
définissant les territoires sur lesquels les parlements ne peuvent pas pénétrer, parce qu’ils sont réglés par
leur propres normes… «a-juridiques».
La jurisprudence comparée – en particulier, mais pas seulement, constitutionnelle – offre différents
exemples.
Il y a le territoire de la science, qui est défini par des règles internationales uniformes et partagées et qui
demandent un niveau de spécialisation très élevé. Dans le champ de la santé publique, la science est un
critère pour la répartition rationnelle des ressources ; la politique, de son côté, détermine les pratiques
scientifiques qui peuvent (ou ne peuvent pas) être employés. Ces choix caractérisent de façon très différent
les divers Pays, en particulier pour ce qui concerne les pratiques les plus controversées (par exemple : les
OGM ou la procréation médicalement assistée).
Les pratiques qui entrent dans les systèmes sanitaires, toutefois, deviennent territoire de la science. À
plusieurs reprises le cours sont intervenues pour affirmer ce principe, en déclarant inconstitutionnelle les
lois qui ne le respectaient pas et en refusant de déclarer l’inconstitutionnalité des lois qui le respectaient.
La motivation est simple: le législateur n’est pas un scientifique.
Mais la science est toujours une limite à ne pas dépasser?

Il n’y a pas seulement le territoire des « sciences dures » : l’histoire aussi est une science, avec son propre
méthodologie et autonomie scientifique qui peut se heurter à la définition législative des évènements
historiques. C’est typiquement le cas du négationnisme, qui peut être interdit par la loi mais, selon
quelques Cours constitutionnelles, avec un bornage extérieur, qui ne peut pas pénétrer dans le territoire
qui appartient aux historiens.
La motivation est simple: le législateur n’est pas un historien.
Mais l’histoire est toujours une limite à ne pas dépasser?

Il y a aussi le territoire de la religion qui, dans certains cas, peut être contourné par la loi, qui protège
certaines pratiques mais, en cas de disputes internes aux groupes religieux, doit faire un pas en arrière.
Par exemple, la loi peut protéger les consommateurs des aliments kosher ou halal, en prévenant les
fraudes, ou le droit de s'habiller en accord à son propre pratique religieuse, ou la liberté de s’associer à un
groupe religieux. Mais si les critères religieux font l’objet d’une dispute interne, qui doit définir une viande
rituellement correct, la taille et le port d’un voile islamique ou les normes de comportement qu’il faut
respecter pour être membre d’un groupe religieux? La loi peut définir l’orthodoxie d’un groupe ?
Dans quelques cas les cours ont donné une réponse négative.
La motivation est simple: le législateur n’est pas un Rabbi ou un Imam.
Mais la religion est toujours une limite à ne pas dépasser?

C’est une action en bornage des territoires, une sorte d’« actio finium regundorum», qui limite le pouvoir
législatif – démocratique et représentatif – en définissant des territoires qui lui sont interdites, en faveur de
règles qui seront interprétés par le pouvoir judiciaire et que, bien différentes les unes des autres, ont un
trait en commun : ils ne sont pas issues de la démocratie représentative.
Quelle incidence peut avoir ce phénomène sur la séparation des pouvoirs ? Est-ce qu’on peut parler de
nouveaux pouvoirs, qui ne répondent pas aux règles de la démocratie représentative mais qui ont – tout à
fait – une place dans le cadre des pouvoirs de l'État?
Le principe de la séparation des pouvoirs dans sa formulation originaire a subi de nombreux changements;
par conséquent, on a essayé de comprendre les motivations de ce principe plutôt que ses mécanismes de
fonctionnement. Dans cette perspective, il est paru nécessaire d’adapter ce principe à d’autres domaines,
comme celui des instruments de protection de l’opposition parlementaire, ou de la séparation entre l’État
et la religion, ou entre l’État et le pouvoir militaire.
L’action en bornage en faveur des compétences (scientifiques ou religieuses), toutefois, représente un
phénomène compliqué, pleinement inscrit dans la complexité des sociétés contemporaines, mais quelle
interprétation fournir du point de vue constitutionnel?

Après avoir donné une vue panoramique sur l’action progressive en bornage des territoires qui ont été
interdits aux parlements, cette communication va analyser les parcours argumentatifs suivis par les cours,
en particulier constitutionnels, pour vérifier s’il est possible de donner des clés de lecture communes. Le
principal objectif de cette intervention est de donner une réponse à la question : si l’élaboration du principe
de séparation des pouvoirs était vue comme une garantie, ou sont le garanties constitutionnelles dans ces
territoires inconnus ?

2. Le territoire de la science.

À plusieurs occasions, les faits relèvent juridiquement.


Il y a les faits qui ont à faire avec les sentiments (l’honneur, par exemple, ou l’affection pour les animaux) et
qui, parfois, peuvent être indemnisés s’ils sont endommages. Il y a les faits religieux, qui sont fondé sur une
tradition partagée par des groupes et qui, quelquefois, ont valeur juridique, par exemple quand on doit
définir qui peut bénéficier des droits garantis aux minorités religieuses.
Il y a les faits de la science qui, quelques fois, contribuent à définir le contenu des actes normatif, en
pénétrant dans le domaine du droit.
En certaines occasions, qui ne sont pas les plus fréquentes, c’est la perception humaine des faites
scientifiques qui leur donne une relevance juridique. Dans ce cas le même fait scientifique peut être
diversement interprété par rapport aux différentes sensibilités culturelles et morales qui sont en jeu. C’est
le cas, par exemple, des sujets les plus éthiquement sensibles, comme la définition juridique de la morte,
qui peut être déclarée selon des critères différents, notamment cardio-respiratoires ou cérébraux. La
science peut nous dire quand la respiration ou le battre du cœur s’arrêtent, mais c’est ne pas la science qui
va définir le moment de la fin de la vie d’un point de vue éthique, car chacun donne une définition
différente. Quelque fois, les normes juridiques reflètent cette pluralité, en donnant des définitions
« plurielles » de la morte: c’est notamment le cas de la loi de l’État américain du New Jersey, qui prévoit la
possibilité de déclarer la morte d’un individu par rapport au critère cardio-respiratoire et pas cérébraux, si
ces derniers soient contraires à son credo religieux (New Jersey Declaration of Death Act, 19911).
Du côté du début de la vie, une décision du Tribunal administratif de Rome en Italie, nous offre un exemple
de pluralisme juridique, par rapport au même fait scientifique. La décision, au sujet de la « pilule du
lendemain », se prononçait sur la plainte d’un mouvement pro-vie, qui demandait de déclarer la nature
abortive (et pas contraceptive) de ce médicament. Le tribunal rejetait le recours, mais prévoyait l’indication
sur la notice que la pilule peut empêcher la nidation de l’ovule fécondé2. De cette façon, c’est la femme –
chaque femme – qui choix si l’ingestion de ce médicament heurte ou non sa sensibilité éthique.

1
Voir R.S. Olick, E.A. Braun, J. Potash, Accommodating religious and moral objections to neurological death, in J. Clin.
Ethics, 2009, 20, 2, p. 183; C. Casonato, Introduzione al Biodiritto, Torino, 2012, p. 26; New Jersey Law Revision
Commission, Final Report Relating to New Jersey Declaration of Death Act, January 18, 2013
(http://www.lawrev.state.nj.us/UDDA/njddaFR011813.pdf ).
2
Voir la décision du Tribunal administratif (Tar Lazio) n. 8465 du 12 octobre 2001.
Ces faits scientifiques ont une importance juridique tant qu'ils se réfèrent à la perception humaine, qui
peut être différente bien que les faits mêmes ne changent pas. En dehors des questions les plus
éthiquement sensibles, toutefois, les faits scientifiques pénètrent dans les normes juridiques, par rapport
aux concepts comme «la littérature et les études scientifiques existantes3» ou «nécessité thérapeutique
médicalement et scientifiquement justifiée»4, ou «règles de la science et de l’art médicale»5.
Ces sont des dispositions qui renvoient aux faits de la science, qui sont élaborées selon leur propre
épistémologie et qui se fondent sur une activité de connaissance autonome, fondée sur des compétences
spécialisées.
Ces formules – qui sont employées par la loi et par les juges – témoignent le respect des limites du
territoire de la science, en renvoyant aux concepts qui sont définis par rapport aux compétences technico-
scientifiques.
Parfois, les Cours veillent sur le respect des bornes du territoire scientifique en arrêtant les lois qui
l’envahissent et en confirmant la validité des lois qui le respectent.
La jurisprudence constitutionnelle française et italienne offre deux exemples très clairs de cette « attitude
respectueuse ».
La Cour constitutionnelle italienne a affirmé ce principe à partir d’une importante décision de l’année 2002,
qui peut être considérée comme le leading case en cette matière, car la Cour constitutionnelle même l'a
rappelé à plusieurs reprises.
À l' origine du litige dont la Cour avait été saisi, il y avait des lois régionales qui avaient interdit la pratique
de certaines traitements, notamment des interventions de psycho-chirurgie comme la lobotomie
préfrontale et transorbitaire e l’électroconvulsivothérapie. Ces normes ont été déclarés
inconstitutionnelles, pas seulement car ils ne respectaient pas la compétence législative régionale mais,
d’une façon plus général, parce qu’ils envahissaient un territoire qu’est interdit au législateur tout court (et
pas seulement au législateur régional), étant réglé par ses propres normes, y compris la déontologie
professionnelle médicale6.
Récemment, le Conseil constitutionnel français s’est prononcé aussi, au sujet de l’interdiction législative de
la conservation autologue du sang du cordon ombilical. Peu de systèmes juridiques ont choisi d’interdire
cette pratique (par exemple: France, Italie et Belgique7), bien que les principaux organismes éthiques et
scientifiques nationaux en aient remarqué l’inutilité, par rapport aux données scientifiques actuels. La
conservation autologue du sang du cordon ombilical (qui est riche de cellules souches hématopoïétiques)

3
Cour de Justice de l’Union Européenne, C 157/99: « Il y a encore lieu de préciser à cet égard que, lorsque, comme en
l'espèce, un État membre choisit comme critère de prise en charge par son régime de sécurité sociale le caractère
suffisamment éprouvé et validé des traitements médicaux ou hospitaliers, les autorités nationales appelées à se
prononcer à des fins d'autorisation sur le fait qu'un traitement hospitalier fourni dans un autre État membre remplit
ce critère doivent prendre en considération tous les éléments pertinents disponibles, parmi lesquels, notamment, la
littérature et les études scientifiques existantes, les opinions autorisées de spécialistes, la circonstance que le
traitement considéré soit ou non couvert par le système d'assurance maladie de l'État membre dans lequel le
traitement est dispensé».
4
Article L. 1241-1 du code de la santé publique : «(…) Le prélèvement de cellules hématopoïétiques du sang de cordon
et du sang placentaire ainsi que de cellules du cordon et du placenta ne peut être effectué qu'à des fins scientifiques
ou thérapeutiques, en vue d'un don anonyme et gratuit, et à la condition que la femme, durant sa grossesse, ait
donné son consentement par écrit au prélèvement et à l'utilisation de ces cellules, après avoir reçu une information
sur les finalités de cette utilisation. Ce consentement est révocable sans forme et à tout moment tant que le
prélèvement n'est pas intervenu. Par dérogation, le don peut être dédié à l'enfant né ou aux frères ou sœurs de cet
enfant en cas de nécessité thérapeutique avérée et dûment justifiée lors du prélèvement».
5
Ce sont les mots de la décision n. 282/2002 de la Cour constitutionnelle italienne.
6
Voir décision de 2002 (supra note 5) et la décision n. 338/2003 aussi.
7
Voir Agence de la biomédecine, Encadrement juridique international dans les différents domaines de la bioéthique,
2012, p. 22 (http://www.agence-biomedecine.fr); M. O’Connor, G. Samuel, C. Jordens, I. Kerridge, Umbilical cord
blood banking: Beyond the public-private divide, in J. Law Med, 19, 2012, p. 515 ; C. Petrini, European regulations on
cord blood banking: an overview, in Transfusion, 2012, 52, p. 668.
est indiquée pour l’utilisation dans le traitement de certaines pathologies. La science médicale
recommande la donation du sang aux banques publiques (donation hétérologue), car les pourcentages
d’utilisation sont majeurs par rapport à la conservation de son propre sang (conservation autologue), où les
pourcentages d’utilisation sont minimes.
La solution du législateur français est très intéressante, puisque il n’a pas choisi d’interdire expressément ce
type de conservation, mais plutôt de la subordonner à «des fins scientifiques ou thérapeutiques, comme il
est prescrit par l’article 1241-1 du code de la santé8 ».
Le Conseil constitutionnel, qui a été appelé à se prononcer sur cette interdiction, a déclaré ne pas avoir
compétence pour «mettre en cause, au regard de l’état des connaissances et des techniques, les
dispositions ainsi prises par le législateur » 9. Le Conseil ne se référait pas seulement au pouvoir
discrétionnaire du Parlement, mais à sa limitation par rapport aux connaissances scientifiques aussi.
Dans ces deux cas (italien et français), le message est le même: le Parlement n’est pas un médecin ou un
scientifique donc, quand il dépasse les limites du territoire de la science, le cours constitutionnelles –
comme Terminus – interviennent.
Ces territoires sont déterminés par une compétence technique très spécialisée : faits a-juridiques qui sont
fondés sur leur propres règles, mais qui ont une relevance juridique et qui, surtout, limitent le pouvoir
législatif.
Du côté du pouvoir judiciaire, les faits scientifiques entrent dans le procès avec les expertises judiciaires.
En certaines occasions, cependant, c’est l’interprétation du fait scientifique donnée par le juge, qui laisse de
la place au pluralisme, dont le paradigme scientifique se fragmente. Ça arrive, notamment, quand les juges
se trouvent à rendre des décisions par rapport aux requêtes des traitements thérapeutiques qui ne
répondent pas au paradigme scientifique, parce qu’ils sont « alternatifs » ou « complémentaires » ou ils ne
sont pas reconnus par la science tout court.
Quand les juges accueillent ces demandes, la valeur juridique des faits de la science n’est pas définie par
rapport au paradigme scientifique et le pluralisme épistémologique va pénétrer les définitions de la science
dans la loi.
Récemment, par exemple, les juges italiens ont dû s’occuper d’un traitement thérapeutique – dénommé
Stamina – qui a été déclaré sans fondement par le monde scientifique international, mais qui a été
revendiqué par des malades qui voulaient se soigner avec ce qui était considéré comme une « dernière
espoir ». La loi règle la possibilité d’un usage « compassionnel » des traitements, sans toutefois laisser
complètement de côté le donné scientifique. Les juges ont donné des interprétations différentes, en
reconnaissant (quelqu’un) ou en rejetant (quelqu’un d’autres) les demandes des malades10.
Les juges qui ont autorisé la pratique de ce traitement ont donné une interprétation d’un fait de la science,
qui est fondé sur des prémisses différentes du paradigme scientifique: faits de la science qui sont introduits
dans le système juridique par les juges, avec une intervention dans le territoire qui est interdit au
parlement.

3. Le territoire de l’histoire.

L’histoire est une discipline scientifique qui n’appartient pas aux « sciences dures », mais aux « sciences
humanistes ». Si on va remonter à son étymologie, le mot « histoire » rappelle le concept de recherche,
d’exploration, d’enquête : en d’autres mots une notion en mouvement.
Est-ce que ce terraine scientifique est interdit au parlement aussi? Est-ce qu’il s’agit d’une compétence
scientifique, qui va limiter les juges et la loi?

8
Supra note 4.
9
Voir la décision du Conseil constitutionnel, n° 2012-249 QPC du 16 mai 2012.
10
Voir le dossier sur l’affaire Stamina http://www.biodiritto.org/novita/news/item/330-dossier-staminali.
Contrairement aux faits de la science, il semble que ce n’est pas l’histoire que limite la loi, mais plutôt que
c’est la loi qui va limiter l’histoire, en interdisant la négation ou la minimisation de certains faits, sous peine
de commettre un crime. À ces occasions, la loi limite la liberté d’opinion et d’expression par rapport aux
faits de la science (l’histoire dans ce cas), notamment aux crimes de génocide.
Avec le délit de négationnisme ou de minimisation de certains évènements historiques, le Parlement
pénètre sur le territoire de la compétence scientifique, car les normes juridiques soustraient ces faits au
débat et à la libre confrontation.
Encore une fois, Terminus (les Cours constitutionnelles) intervient, même s’il ne défende pas toujours les
bornes. Ce qui joue un rôle décisif, est la qualification de l’événement historique en cause : est-il un fait de
la science ou un fait tout court ? Parlements et juges se sont divisés sur cette question.
Le fait historique qui ne peut pas être nié cesse d’être un fait scientifique et devient un fait tout court, qui
n’est pas réfutable.
Il y a divers exemples de cette “appropriation de la science” par la loi, car différents Pays ont choisi
d’interdire la négation par exemple de l’Holocauste (l’Allemagne, l’Espagne et la Hongrie, par exemple,
même si les Cours constitutionnelles de ces deux derniers Pays se sont prononcées sur ces dispositions11),
ou du génocide des Arméniens (en France12) et d’autres Pays sont en train de discuter des projets de loi
pareil (Italie13).
Quelquefois, Terminus intervient, en déclarant que les Parlements ne sont pas des historiens.
Pas toujours, cependant.
Le génocide des Arméniens, par exemple, a été le casus belli de deux cas jurisprudentiel, ou les cours se
sont confrontées avec des lois qui criminalisaient la négation ou minimisation de ces événements
historiques.
D’un côté, le Tribunal fédéral suisse en 2007 s’était occupé du crime prévu par l’article 261bis du code
pénal14. La personne incriminée n’avait pas nié le génocide des Arméniens, mais il l’avait « justifié » sur la
base du contexte du période de la guerre, en refusant d’individuer son caractère génocidaire15.
Le Tribunal considérait que le fait de quoi il s’agit avait un «caractère notoire, incontestable ou
indiscutable» donc «(l)es tribunaux n’ont donc pas à recourir aux travaux d’historiens sur ce point (…)»,
c’est-à-dire qu’ il ne faut pas faire de l’histoire. Selon ce point de vue, le parlement suisse n’a pas « franchi
la frontière »: il n’y a pas un territoire de la science à respecter parce que on parle des faits qui ne sont pas
réfutables.
De l’autre côté, la décision de 2012 du Conseil constitutionnel français déclarait l'inconstitutionnalité des
dispositions établissant la criminalisation de la contestation ou minimisation de génocides «reconnus
comme tels par la loi française» 16.
Selon la décision du Conseil constitutionnel, la loi avait qualifié l’activité du législateur comme « a-
normative », en dehors du territoire de son compétence : cela fait penser que le Conseil a considéré le
génocide des arméniens comme un fait historique, alors que selon le Tribunal fédéral suisse il ne s’agit pas
d’une question scientifique historique.

11
Voir Tribunal constitutionnel espagnol, décision n. 235, 7 novembre 2007 et Cour constitutionnelle de Hongrie,
décision n. 18/2004 (journal officiel de Hongrie Magyar Közlöny n. 2004/70, on peut lire une traduction en français
dans le site internet www.codices.coe.int).
12
Voir infra.
13
Voir par exemple le projet de loi n. S/54 (Contrasto e repressione dei crimini di genocidio, crimini contro l'umanità
e crimini di guerra, in www.senato.it).
14
Art. 261bis du Code pénal suisse : «Discrimination raciale. (…) celui qui aura publiquement, par la parole, l'écriture,
l'image, le geste, par des voies de fait ou de toute autre manière, abaissé ou discriminé d'une façon qui porte atteinte
à la dignité humaine une personne ou un groupe de personnes en raison de leur race, de leur appartenance ethnique
ou de leur religion ou qui, pour la même raison, niera, minimisera grossièrement ou cherchera à justifier un génocide
ou d'autres crimes contre l'humanité (…) sera puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine
pécuniaire.»
15
Tribunal fédéral suisse, décision du 12 décembre 2007, 6B 398/2007.
16
Conseil constitutionnel français, décision 2012-647 du 28 février 2012.
4. Le territoire de la religion.

Pour beaucoup de monde, la religion est très importante dans la vie quotidienne: de choix sur des
questions existentielles, aux aspects les plus quotidiens de la vie: l’organisation du temps, l’habillement,
l’alimentation. Quelque fois, il arrive que les normes juridiques et les normes religieuses se croisent. Les
résultats de cette intersection peuvent être différents: de la reconnaissance des droits « spéciaux », comme
par exemple l’objection de conscience pour des motifs religieux, ou l’autorisation de s’absenter de l’école
ou du travail pour participer à des fêtes religieuses, ou la reconnaissance des exigences alimentaires
fondées sur la religion dans les cantines.
Quand les membres d’un groupe religieux obtiennent des droits, c’est le groupe même qui va déterminer
qui lui appartient et, par conséquence, qui aura le droit de bénéficier de ces droits. Cette intersection entre
droit et religion pose plusieurs problèmes, par exemple par rapport au respect des droits des individus à
l’interne des groups, ou à la définition même de religion (qu’est-ce que c’est une croyance religieuse du
point de vue juridique?).
Ces problématiques sont définies par rapport à la relation entre l’état e la religion, qui varie de pays en pays
(laïcité stricte, laïcité collaborative, etc.).
Il y a aussi un problème de façon plus générale, qui concerne la difficulté de s’avancer dans un territoire qui
est défini par ses propres règles.
Par exemple, les critères d’appartenance aux groupes religieux jouent un rôle décisif pour bénéficier des
droits leur reconnus, mais on peut avoir des désaccords à l’égard des critères représentatifs du groupe
religieux, par rapport à son « orthodoxie identitaire ».
Encore une fois, le droit se trouve en confrontation avec des territoires qui sont règles par des principes (a-
juridiques) qui sont leur propre, mais qui ont de toute façon des conséquences juridiques, en représentant
la porte d’entrée (appartenance au groupe religieux) pour bénéficier de certains droits.
Dans cette hypothèse, le droit ne se trouve pas face aux faits de la science, mais à une croyance commune,
fondés sur de règles qui ne sont pas réfutables: « faits de fois » et pas « faits de la science ». Ces règles
peuvent ne pas être partagées par tous les membres du groupe, mais c’est le groupe même qui va définir la
possibilité de dissension, dans la mesure où c’est considérée compatible avec son propre identité, on
pourrait dire avec son propre orthodoxie.
Ces sont des territoires accidentés et impraticables, dans lesquels la loi se trouve à avancer avec difficulté.
Les controverses judiciaires les plus emblématiques à cet égard sont relatives aux problèmes de la
“dissension culturelle ”, c’est à dire les courantes des groupes religieux qui ne se reconnaissent pas dans les
critères majoritaires17.
On peut trouver un exemple dans la législation relative à la nourriture kosher et halal. Le succès de cette
alimentation (parmi les groupes religieux et en général parmi les consommateurs) a poussé quelque
système juridique à approuver des normes juridiques qui protègent les consommateurs contre les
possibles fraudes alimentaires.
Dans ce but, il fallait définir ce qui devait être considère comme kosher ou halal. Cette opération de
définition révélait l’existence de différentes courantes par exemple par rapport à la préparation
rituellement correcte de la viande. Dans cette situation, contrairement aux exemples nommés, on n’a pas
des règles internationales et partagées ou des méthodes scientifiques pour soumettre à vérification les
« faits » de quoi on parle, car ils ne sont pas faits de science mais plutôt ils sont « faits de foi », tous à
considérer également légitimes, si le droit ne veut pas établir l’hérésie.
Le résultat est que le droit recule, en lassant les disputes des courantes religieuses dans leur territoire.
C’était le cas de certaines lois américaines, adoptées pour protéger les consommateurs de la nourriture
kosher contre les fraudes. Dans une premier moment, ces lois faisaient référence aux judaïsme orthodoxe,
mais les difficultés rencontrés dans l’interprétation de ces normes (qu’est-ce que c’est la « vraie »
orthodoxie juive ?) ont induit les parlements à éliminer la référence à une courante particulière en faveur

17
Voir par exemple S. Madhavi, Cultural Dissent, in Stan. L. Rev., 2001, 54, p. 495
de dispositions les plus «neutres » ou, plus simplement, on a prévu seulement l’indication explicite des
procédures adoptées dans la production de la nourriture kosher par les commerçants.
Ce n’est pas seulement une question de respect des territoires, mais surtout une question de soutenabilité
des normes juridiques, c'est-à-dire la possibilité même de leur application.
Un autre exemple se trouve dans le système juridique français, par rapport à l’interprétation de la loi Stasi,
qui a interdit les signes religieux ostensible dans les écoles publiques. Les juges se sont trouvés à définir
qu’est-ce que c’est un signe « religieux ostensible » par rapport, par exemple, à l’intention de la fille qui
portait un bandana, qui a été retenue religieuse s’il avait été adopté pour substituer une voile. Encore une
fois, le territoire des questions religieuses présentent des difficultés par rapport à l’application concrète des
normes entremêlées avec des critères religieux18.

5. Conclusion: actio finium regundorum et garanties constitutionnelles.

Cette contribution a donné des exemples de territoires plus o moins bornés, qui limitent le législateur. On
a choisi trois secteurs : la science, l’histoire et la religion, par rapport au contentieux relatif.
On a vu que le législateur doit s’arrêter devant les bornes des territoires qui échappent à son compétence.
Quand les Cour constitutionnels marquent la limitent entre la loi et certains territoires, le pouvoir des
Parlements en résulte partagé avec des concepts et définitions qui sont a-juridiques et qui sont fondés sur
leur propre épistémologie. Le droit, de cette façon, accueille des définitions qui sont fondés sur leurs
propres règles (scientifiques ou religieuses dans les exemples proposés). En accueillant la définition des
faits qui est fondé sur la science, l’histoire ou la religion, le droit accueille également l’épistémologie sur
laquelle ils se fondent.
Ceci est un point crucial.
L’ouverture aux territoires « a-juridiques », est faite avec une action de bornage: on ne connait pas ce qui
est à l’intérieur du territoire, mais on connaisse les bornes ou il fait s’arrêter. Dans le cas de la science, les
bornes sont définis par l’épistémologie scientifique, qui prévoit la possibilité d’un désaccord, mais tant qu’il
se déroule à l’intérieure du territoire, sans mettre en discussion les bornes.
Au contraire, le désaccord qui se déroule à l’extérieur du territoire, met en discussion les limites, en
donnant espace à une épistémologie différente. Les décisions judiciaires qui donnent une interprétation
des faits de la science en dehors du paradigme scientifique, par exemple, influent sur les limites qui sont
posés au pouvoir législatif, en changeant les prémisses qui justifient l’interdiction au législateur par
référence au contexte épistémologique qu’est fondé sur le paradigme scientifique.
Le cas des faits historiques n’est pas très différent : ils sont faits de la science, qui sont fondés sur leur
propre épistémologie aussi. Les lois qui interdisent la négation ou la minimisation de certains événements,
les soustraient à l’épistémologie scientifique, qui est fondée sur la possibilité de réfutabilité. La
criminalisation de la négation des certaines faits historiques, en effet, donne une définition qu’est
différente : faits de l’ « histoire juridifiée », et pas faits de la science. C’est un dépassement des bornes qui
est sanctionné par les Cours constitutionnelles qui sont intervenues, en replaçant les faits de l’histoire dans
leur propre territoire épistémologique, qui va se dérouler à l’intérieure du pouvoir législative : territoire de
compétence qu’on ne peut pas dépasser.
Dans le cas des préceptes religieux, cependant, les bornes ne sont pas apposées selon les règles d’une
méthodologie, mais sur des traditions consolidées, qui sont partagée par des groupes. Les limites sont
définis par rapport à la définition de ce que c’est une religion, mais les courantes minoritaire posent des
problèmes difficiles à résoudre, parce qu’on n’a pas une épistémologie fondée sur la possibilité de
réfutabilité des faits religieux. En l’absence des critères méthodologiques vérifiables, majorité et minorités
des courantes à l’intérieur d’un groupe religieux sont difficiles à différencier, car il est difficile de définir
juridiquement l’hérésie et l’orthodoxie d’une croyance religieuse. Quand le droit dépasse les bornes et

18
Ces requetés ont été présentés à la Cour de droits humains de Strasbourg aussi: Aktas v.
France (no. 43563/08), Bayrak v. France (no. 14308/08), Gamaleddyn v. France (no.18527/08), Ghazal v.
France (no.29134/08).
définisse qu’est-ce que c’est l’orthodoxie d’un point de vue juridique, les normes juridiques qui vont définir
les courantes représentatives se confrontent avec une orthodoxie religieuse, qui n’est pas forcement
inconstitutionnelle, mais qui est difficilement soutenable. Le droit qui accueille une orthodoxie, en fait,
traite le fait religieux comme un fait de la science, en contradiction avec les prémisses du territoire
religieux, qui ne sont pas réfutables.

Les « territoires interdits » au législateur, représentent une articulation ultérieure dans la séparation des
pouvoirs, mais ils ne sont pas dépourvus de garanties tant qu’ils sont fondés sur leurs propres règles. Ce ne
sont pas seulement les faits de la science qui limitent le législateur, mais ils sont les faits de la science
fondés sur leur propre méthodologie, connaissable et falsifiable. Le pouvoir législatif, en autres mots, n’est
pas partagé avec des faits, mais avec une entière épistémologie, qui justifie l’espace donné aux territoires
qui sont divers, par le droit. Le droit définisse les bornes (qu’est-ce que c’est la science ou la religion?), qui
sont garantis par respect de paradigmes sur lesquels ils se fondent. Ici on peut trouver les checks and
balances qui garantissent et donnent un contenu à cette ultérieure division des pouvoirs. Ces sont les
paradigmes sur lesquels se fondent les territoires, qui représentent les checks and balances sur lesquels se
fonde cette répartition avec des « règles » qui sont a-juridiques, mais qui ont des conséquences juridiques.
Ce qui en résulte, est une ultérieure articulation de la séparation des pouvoirs, qui doit être considérée
avec attention, car de plus en plus une société complexe va créer l’exigence de territoires qui s'inscrivent
dans ces dynamiques, en les compliquant. L’interaction du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire avec
chaque d’eux, en fait, peut avoir des répercussions sur les rapports entre eux-mêmes (comme dans le cas
de l’interprétation « pluraliste » des faits de la science par les juges).
On peut donc comprendre l’importance des limites de ces territoires, qui répondent aux critères de
garantie, précisément comme la notion traditionnelle de la séparation des pouvoirs.

Vous aimerez peut-être aussi