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GRANDVILLE MONSIEUR l’éditeur

120 Rue du Château 10 Route de la Reine


77300 78000
Fontainebleau Versailles

Monsieur l’éditeur,

Voici l’esquisse qui m’a plu le plus. Vous m’avez demandé d’illustrer la fabule mise en vers par notre
cher La Fontaine. Je vous avoue que ce n’était pas une tâche facile, même si cela me fut un plaisir de
m’y consacrer. Je vous avance que j’ai fini pour choisir l’esquisse la plus animalesque et je me mets à
vous décrire chacun des dessins afin que la raison pour laquelle je l’ai choisie vous soit claire.

La première fois que j’ai lu la fable, je n’arrivais qu'à entrevoir l'injustice déployée par la méchanceté du
Loup envers l’Agneau. Cela me renvoyait plutôt à la méchanceté des détenteurs du pouvoir dans la
société. Bien sûr que les fables envisagent toujours une morale, d'ailleurs celle qui nous concerne est
rapidement annoncée par ses premiers vers, quand même illustrer un homme méchant et assez agressif
qui s’impose sur une personne sans abri ne m’a pas suffit. D’abord, j’ai essayé de représenter la force
du plus puissant à travers la hauteur de l’homme bien constitué et ses vêtements du Moyen-Âge, en
mettant en évidence son pouvoir économique et social, telle image se figure en faisant des échos sur les
arrière-plans si typiques à cette époque. Tout cela contre une petite personne travailleuse et soumise
aux contraintes que la vie dans une société inégale qui la subjugue. Mais bon, le monsieur tout puissant
ne nous montrait que ce que l’on connaît de toujours. Cette image ne nous frappe point. Je me suis senti
complètement nul devant la puissance de cette fable qui, dans un premier coup d'œil, a l’air d’être
tellement simple et totalement saisissante. Mais laquelle je n’arrivais guère à saisir. Alors, je me suis
assis encore quelques heures pour la lire et relire en visant à l'atteindre un peu plus à fond.

Donc je me suis aperçu de l' importance des animaux dans la fable. Pourtant, comment transmettre
l’injustice et le pouvoir inégal chez les humains sans tracer leur visage sur la feuille ? A mon avis, il fallait
garder les humains et profiter de l'arrière-plan du Moyen-Âge pour y ajouter le Loup et l’agneau pour,
finalement, faire apparaître la fable sur l’image. J’ai eu l'impression qu’il fallait aussi rendre plus explicite
l’injustice et le pouvoir. Ainsi, j’ai changé l’époque du dessin me portant des personnages de notre
époque qui se suit après celle de la Lumière où, bien sûr, on assiste à la conquête de plusieurs droits
sociaux, néanmoins c’est aussi l’époque où la bourgeoise établit son pouvoir d’une façon institutionnelle.
De plus, c’est un sujet assez connu des tous l’exploitation de la plèbe, vu qu’il s’agit d’une problématique
qui est en vogue actuellement. Or, je m’étais dit que cela mettrait encore plus en évidence l’injustice et
l’abus du pouvoir, puisque c’est une question tellement connue, voire ringarde, mais je me suis tellement
trompé à nouveau. Je pense qu’en lisant cette lettre, c’est possible de percevoir comment, à chaque
pas, on s’éloigne de la fable en laissant de côté les animaux et en se tenant compte des humains à
peine. Je me suis alors dit que j’étais aussi préoccupé à transmettre la morale d’une manière très claire
et limpide que j’étais en fait aveugle aux mouvements des vers de La Fontaine et à la fable. Malgré
l’annonce de la morale placée dans les premiers vers, La Fontaine ne se laisse pas faire par la nécessité
didactique pour que ce soit clair à toutes et tous. Au contraire, il plonge dans la méchanceté du Loup,
dans sa voracité, dans la faiblesse chez l’Agneau, mais aussi dans son intelligence audacieuse à refuser
les accusations du grand Loup. Alors, j’ai décidé de relire encore quelques fois les vers.

Ensuite, comme vous pouvez le voir, le troisième dessin accepte la présence majestueuse des animaux.
Mais j’avoue qu'encore une fois, je n’étais pas du tout content. Mon insistance à renoncer au fait que les
humains ne sont pas si directement importants à la fable, dérange ma tentative d'anthropomorphisation
des animaux. Sur cette esquisse, le Loup et l’Agneau sont trop habillés. J’avais déjà enlevé l’humain,
j’avais déjà décidé d'illustrer l’injustice et l’abus du pouvoir à travers les animaux, alors je me suis
demandé: qu’est-ce qui m’embête encore ? J’ai bien regardé mes esquisses, et tout d’un coup j’ai
compris qu’en fait je me laissais faire par l’idée de l’injustice en mettant tant d'effort à garder les traces
de l’humain sans abri et qui a peur. En vérité, La Fontaine ne fait qu’exprimer la puissance du Loup face
à l’Agneau. Il n’importe pas ce qui dit l’Agneau, il n’importe pas s’il est très fragile en regard du Loup. Ce
qui importe c’est le pouvoir monstrueux du Loup, sa voracité. En outre, cela est déjà annoncé dans les
premiers vers.

Enfin j’ai compris le rôle de la personnification des animaux dans la fable: il faut déplacer l’humain de
ses habitudes, des tout ce qui est déjà trop perçu par lui. Même de soi il faut se déplacer. Voilà
l’importance des animaux. On arriverait pas à entrevoir la morale si on reste chez les humains. Il faut
qu’on la fasse sauter sur les yeux. Il faut que ce soit frappant. Il faut la voracité et la violence du Loup en
premier plan, car cette violence incarne celle qui est pratiquée chez les humains quotidiennement et à
laquelle on est déjà tous aveugles. Cette violence qui traîne depuis des siècles a le mérite d’une
illustration atemporelle. On doit pas la figer dans une époque telle comme je l’avais fait en illustrant les
vêtements du Moyen-Âge et ses arrière-plans, ou avec la seconde esquisse qui relève de la bourgeoisie
et son ambiance urbaine. Tout cela dénonce l'époque à laquelle j’ai fait appel. Cependant, cette violence
n’est pas restreinte à une seule date. La Fontaine à bien fait de la mettre en vers cette ancienne fable.

Après toutes ces tentatives, je me suis permis d’embrasser la nature, l’anthropomorphisation, l’absence
de l’humain dans le dessin. Finalement je vois la rage, la voracité, la violence sauvage, c’est-à-dire
l’abus du pouvoir à son comble. Je n’ai fait que rajouter une ceinture et une arme sur la taille du Loup
pour faire référence à l’humain, et une laisse autour du cou de l'Agneau sans destin pour faire apparaître
sa faiblesse et soumission au regard du grand pouvoir. J’espère que vous serez aussi content que moi
de l'illustration. Vu que la lettre devient de plus en plus longue, je m’arrête là.

Je vous prie d'agréer, Monsieur l’éditeur, mes salutations distinguées.

GRANDVILLE

Elizete Waughan da Silva


N INE: 1215321

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