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MO LOT

SIMONE DE BEAUVOIR

Simone de Beauvoir (1908-1986) ; discipline et compagne de J.P. Sartre.


Dans le deuxième sexe. Elle s’insurge contre les aliénations dues, selon
elle, au mythe de l’éternel féminin.

Un seul motif eut pesé plus lourd pour nous convaincre de


nous infliger ces liens qu’on dit légitimes : le désir des enfants ; nous
ne l’éprouvions pas. Là-dessus on m’a si souvent prise à partie, on
m’a posé tant de questions que je veux m’expliquer, je n’avais, je
n’ai aucune prévention contre la maternité ; les poupons ne
m’avaient jamais intéressé. Mais un peu plus âgée. Les enfants me
charmaient souvent, je m’étais proposé d’en avoir à moi au temps où
je songeais à épouser mo cousin Jacques. Si à présent, je me
détournais de ce projet, c’est d’abord parce que mon bonheur était
trop compact pour qu’aucune nouveauté ne put m’allécher.
Un enfant n’eut resserré les liens qui nous unissaient Sartre et
moi. Je ne souhaitais pas que l’existence de Sartre se reflétât et se
plongeait dans celle d’un autre ; il se suffisait, il me suffisait et je me
suffisais : je ne rêvais pas du tout de me retrouver dans une chair
issue de moi. D’ailleurs, je me sentais si peu d’affinité avec mes
parents que d’avance les fils, les filles que je pourrais avoir
m’apparaissaient comme des étrangers ; j’escomptais de leur part ou
de l’indifférence, ou de l’hostilité tant j’avais eu d’aversion pour la
vie de la famille.
Aucun fantasme ne m’incitait donc à la maternité. Et, d’autre
part, elle ne paraissait pas compatible avec la voie dans laquelle je
m’engageais : je savais que pour devenir un écrivain j’avais besoin
de beaucoup de temps et d’une grande liberté.
TEXTE N° 1 : LA MATERNITE N’ÉTAIT PAS

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Je ne détestais pas jouer la difficulté ; mais il ne s’agissait pas d’un blé et qu’éclate autour l’écorce d’or. Car alors, le travail qui n’était
jeu : la valeur, le sens même de ma vie se trouvaient en question. que fonction pour la nourriture, devient cantique. Car voilà qu’ils
Pour risquer de les compromettre, il m’aurait fallu qu’un enfant sont au moins à plaindre ceux dont les reins plient sous les sacs
représentât à mes yeux un accomplissement aussi essentiel qu’une lourds quand ils les portent vers la meule. Ou les remportent, blancs
œuvre : ce n’était pas le cas. J’ai raconté combien, vers nos quinze de farine. Le poids du sac les augmente comme une prière.. Et voilà
ans. Zaza m’avait scandalisée en affirmant qu’il valait autant avoir qu’ils rirent joyeux quand ils portent la gerbe comme un candélabre
des enfants que d’écrire des livres : je continuais à ne pas voir de des graines avec ses pointes et son rutilement. Car une civilisation
commune mesure entre ces deux destins. repose sur ce qui est exigé des hommes, non sur ce qui est fourni. Et
Par la littérature, pensais-je, on justifie le monde en le créant certes, ce blé, ensuite ils reviennent épuisés et s’en nourrissent. Mais
à neuf, dans la pureté de l’imaginaire, et du même coup, on sauve sa là n’est point pour l’homme la face importante des choses. Ce qui les
propre existence ; enfanter, c’est accroitre vainement le nombre des nourrit dans leurs cœurs ce n’est point ce qu’ils reçoivent du blé.
êtres qui sont sur terre, sans justification. Or ne s’étonne pas qu’une C’est ce qu’ils lui donnent.
carmélite ayant choisi de prier pour tous les hommes, renonce à Car une fois encore sont à mépriser ces peuplades qui récitent
engendrer des individus singuliers. Ma tien non plus ne souffrait pas les poèmes d’autrui ou font venir des architectes qu’ils paient pour
d’entraves et elle me retenait et ne poursuivre aucun dessein qui lui édifier leurs villes. Ceux-là, je les appelle des sédentaires. Et je ne
fut étranger. découvre plus autour d’eux comme une auréole le poudroiement d’or
Ainsi, mon entreprise m’imposait une attitude qu’aucun de du blé que l’on bat.
mes élans ne contrariait et sur laquelle je ne fus jamais tentée de Car il est juste que je reçoive en même temps que je donne afin
revenir. Je n’ai pas eu l’impression de refuser la maternité ; elle d’abord de pouvoir continuer de donner. Je bénis cet échange entre
n’était pas mon lot on demeurant sans enfants, j’accomplissais ma le don et el retour qui permet de poursuivre la marche et de donner
condition naturelle. plus loin encore. Et si le retour permet à la chair de se refaire, c’est
La force de l’âge. Ed. Gallimard le don seul qui alimente le cœur.
-L’homme, disait mon père, c’est d’abord celui qui crée. Et seuls
TEXTE N°2 : ETRE JEUNE sont frères les hommes qui collaborent. Et seuls ceux qui n’ont point
trouvé leur paix dans les provisions qu’ils avaient faites.
Le général douglas MAC ARTHUR (1880-1964) est un américain qui a
vaincu le Japon en 1945 avant de prendre le commandement des forces de (Citadelle, IX)
l’ONU dans la guerre de Corée.

La jeunesse n’est pas une période de vie. Elle est un état


d’esprit, un effet de la volonté, une qualité d’imagination, une

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, qui n’est rationnel que parce que visible, mesurable. Ce monde est intensité émotive, une victoire du courage sur la timidité, du gout de
pour le Négro-Africain plus réel que le monde visible (…) il est l’aventure sur l’amour du confort.
animé des forces invisibles qui régissent l’univers et dont le On ne devient pas vieux après avoir vécu un certain nombre
caractère spécifique est qu’elles sont harmonieusement liées, d’une d’années : on devient vieux parce qu’on a déserté son idéal. Les
part les unes aux autres, d’autre part aux choses visibles et années rident la peau ; renoncer à son idéal ride l’âme. (…)
apparentes (…) Les activités techniques sont toujours ici liées aux Les préoccupations, les doutes, les craintes et les désespoirs sont les
activités culturelles et religieuses : à l’art et à la magie (…) il s’agit chemins sui, lentement, nous font pencher vers la terre et devenir
d’une société essentiellement fondée sur des rapports humains, plus poussière avant la mort.
encore peut être sur les rapports des hommes et des «  dieux ». (…) Jeune est celui qui s’étonne et s’émerveille. Il défie les événements
ici, les faits naturels, surtout les faits sociaux, ne sont pas des et trouve la joie au jeu de la vie.
choses : il y’a cachées derrière eux, les forces cosmiques et vitales Vous resterez jeunes tant que vous restez réceptif à ce qui est
qui les régissent, animant ces apparences, leur donnant couleur et beau, bien et grand. Réceptif aux mesures de l’homme, de la nature,
rythme, vie et sens. de l’infini. (…)
(Léopold Sédar Senghor. Liberté 1, Humanisme et Négritude)
TEXTE N° 3 : AIMER, C’EST AVOIR
QUELQU’UN POUR QUI MOURIR
TEXTE N° 6 : FORCE-LES DE BATIR ENSEMBLE
Le sage, même s’il se suffit, aime pourtant avoir un ami, ne serait –
Antoine de saint EXUPERY est un écrivain français du XX ème siècle. Il est
ce que pour pratiquer l’amitié et ne pas laisser sans emploi une si
né en 1900. Pilote de ligne, puis durant la deuxième guerre mondiale,
pilote de guerre, il disparut en mission en 1944.
noble vertu. Ce n’est pas du tout la raison, que donnait Epicure dans
Œuvres : courrier sud (1929), Vol de nuit (1932), Terre des Hommes la lettre dont j’ai parlé: « le sage, disait-il, aura ainsi quelqu’un pour
(1940), Pilote de guerre (1940), le petit prince (1943), lettre à un otage veiller sur lui s’il est lui-même malade, pour le secourir s'il est
(1943), Citadelle (1948, œuvre posthume). prisonnier ou misérable ». Ce n’est pas cela: il y aura un ami sur
qui veiller, si cet ami est malade, il aura quelqu’un à tirer de la
Ainsi me parlait mon espoir : prison où l’aura enfermé l’ennemi. Ne songer qu’à soi pour
-force-les de bâtir ensemble une tour et tu les changeras en frères. contracter une amitié, c’est mal penser. De telles amitiés finissent
Mais si tu veux qu’ils se haïssent, jette-leur du gain. comme elles ont commencé. Prends un ami pour obtenir son aide si
Il me disait encore : tu es prisonnier au premier bruit que fera ta chaîne il s’échappera.
-Qu’ils m’apportent d’abord le fruit de leur travail. Qu’ils versent Ces sont des amitiés à terme, comme dit le peuple. L’ami choisi par
mes granges la rivière de leurs moissons. Qu’ils bâtissent en moi intérêt plaira tant qu’il sera utile. De tels amis sont légion autour
leurs greniers. Je veux qu’ils servent ma gloire quand ils flagellent le de l’homme heureux ; que la fortune croule, c’est la solitude. Tous
fuient, quand ils sont mis à

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l’épreuve. Que de tristes exemples nous avons de gens qui Mais vos cheveux sont déjà tout blancs. Et à quoi bon vous
s’éloignent par peur! Fatalement, la fin est en rapport avec le plaindre ?
début: contracter une amitié par intérêt, c’est se résoudre à sacrifier Le temps passe, dans la clepsydre d’or l’eau baisse
plus tard cette amitié à un avantage que l’on préfère à l’amitié Et laisse paraitre la flèche d’argent.
même. On se lève pour contempler l’image de la lune automnale noyée dans
Quel est mon but quand je cherche un ami ? Je veux avoir le fleuve ;
quelqu’un pour qui mourir, quelqu’un à suivre en exil, à défendre Mais que faire ? L’orient blanchit doucement et les plaisirs ne
contre la mort en me dévouant à lui. La liaison dont tu parles n’est dureront pas !
pas amitié, mais spéculation: elle a pour objet notre avantage, notre Ici fut la demeure antique du roi de Ou. L’herbe fleurit en paix sur
profit. ses ruines.
(Lettre à Lucilius, IV. Ed.) Là, ce profond palais des Tsin, somptueux jadis et redouté.
Tout cela est à jamais fini, tout s’écoule à la fois, les événements et
les hommes,
Comme ces flots incessants du fleuve bleu, qui vont se perdre dans
TEXTES N° 4 : LA FUITE DU TEMPS la mer.
La vie est comme un éclair fugitif ;
Li t’ao Po ou li BO (701-762 apr. J.C.), auteur de ce texte est l’un des Son éclat dure à peine le temps d’être aperçu.
grands poètes chinois de la dynastie des Tang. Si le ciel et la terre sont immuables,
Que le changement est rapide sur le visage de chacun de nous !
Le fleuve jaune coule vers l’océan de l’Est, Le flot qui s’est écoulé en peut revenir à sa source,
Le soleil descendu vers la mer de l’ouest. La fleur détachée de sa tige ne saurait retourner à l’arbre qui l’a
Comme le temps, l’eau fuit pour toujours : laissé tomber
Ils ne suspendent jamais leur course !
Le printemps disparait avec ma jeunesse,
L’automne arrive avec mes cheveux blancs TEXTE N° 5 : LE MONDE MAGIQUE, MONDE
La vie humaine est plus courte que celle du pin, REEL
Comment la beauté et la force ne seraient-elles points fugitives ?
Mais, hélas ! la beauté des fleurs de pêcher et de poivrier est
éphémère. Vie et œuvres de l’auteur, Léopold Sédar Senghor : voir la
Le temps trompeur nous dissimule les traces, mais il passe, rapide. littérature africaine ?
Vous, vous dansez, mais le soleil s’incline à l’ouest.
Vous gardez peut-être encore le caractère gai de la jeunesse, Qu’est-ce que le monde magique ? C’est la monde par-delà le
monde visible des apparences

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