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Fable, nom féminin : récit bref, en prose ou en vers, mettant de préférence en scène des animaux,
avec pour intention de dispenser un enseignement. Traditionnellement, la fable comporte deux
parties : le récit et la leçon se dégageant du récit. Un auteur de fables se nomme un fabuliste.
Les Animaux malades de la peste - Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse.
Un mal qui répand la terreur, Eh bien, manger moutons, canaille4, sotte espèce,
Mal que le Ciel en sa fureur Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes,
Inventa pour punir les crimes de la terre, Seigneur,
La peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom), En les croquant beaucoup d'honneur.
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron1, Et quant au berger l'on peut dire
Faisait aux animaux la guerre. Qu'il était digne de tous maux,
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés : Étant de ces gens-là qui sur les animaux
On n'en voyait point d'occupés Se font un chimérique5 empire. »
À chercher le soutien d'une mourante vie ; Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir.
Nul mets n'excitait leur envie ; On n'osa trop approfondir
Ni loups ni renards n'épiaient Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances,
La douce et l'innocente proie. Les moins pardonnables offenses.
Les tourterelles se fuyaient : Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins6,
Plus d'amour, partant plus de joie. Au dire de chacun, étaient de petits saints.
Le Lion tint conseil, et dit : « Mes chers amis, L'Âne vint à son tour et dit : « J'ai souvenance
Je crois que le Ciel a permis Qu'en un pré de moines passant,
Pour nos péchés cette infortune ; La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense
Que le plus coupable de nous Quelque diable aussi me poussant,
Se sacrifie aux traits du céleste courroux, Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Peut-être il obtiendra la guérison commune. Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net. »
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents À ces mots on cria haro sur le baudet7.
On fait de pareils dévouements2 : Un Loup quelque peu clerc8 prouva par sa harangue9
Ne nous flattons3 donc point ; voyons sans Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,
indulgence Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.
L'état de notre conscience. Sa peccadille10 fut jugée un cas pendable.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable !
J'ai dévoré force moutons. Rien que la mort n'était capable
Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense : D'expier son forfait : on le lui fit bien voir.
Même il m'est arrivé quelquefois de manger Selon que vous serez puissant ou misérable,
Le Berger. Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
Je me dévouerai donc, s'il le faut ; mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi :
Car on doit souhaiter selon toute justice
Que le plus coupable périsse.
1
Dans la mythologie grecque, l'Achéron est une branche de la rivière souterraine du Styx, sur laquelle Charon transportait en
barque les âmes des défunts vers les Enfers.
2
Dévouements : sacrifices.
3
Flatter : ici, excuser par complaisance les défauts de quelqu’un.
4
Canaille : partie la plus basse du peuple, considérée comme sans valeur.
5
Chimérique : illusoire, imaginaire.
6
Mâtins : chiens gardant la basse-cour.
7
Crier haro sur quelqu’un : désigner quelqu’un comme coupable et le vouer à la réprobation générale.
8
Clerc : ici, instruit.
9
Harangue : discours solennel prononcé devant une assemblée.
10
Peccadille : petite faute excusable.
* 3) Il s’agit ici d’une question ouverte. Vous devez donc chercher dans le texte plusieurs
éléments de réponse et les rédiger tout à tour sous forme de phrases qui vont former
un paragraphe organisé à l’aide de connecteurs logiques. Attention : vous ne devez
pas résumer le texte mais analyser des procédés d’écriture qui s’y trouvent, expliquer
les effets qu’ils produisent.
Quelques procédés d’écriture :
– le vocabulaire : champs lexicaux, termes péjoratifs (dévalorisants) ou mélioratifs
(valorisants), niveaux de langue (familier, courant, soutenu), etc.
– les figures de style : comparaison, métaphore, etc.
– l’emploi de temps verbaux inhabituels (présent de narration…) ;
– les phrases : types de phrases, longueur des phrases, etc.
– le recours au discours direct, etc.
Corrigé
1) La peste s’abat sur un royaume d’animaux. Le Lion, le roi, pensant qu’il s’agit d’un
châtiment divin, ordonne que le plus pécheur d’entre eux se sacrifie afin de peut-être
sauver les autres. Il avoue avoir mangé beaucoup de moutons et parfois le berger et
demande à ce que chacun s’accuse. Le Renard atténue les péchés du Lion et les
légitime. Des flatteurs applaudissent ses propos. Les animaux puissants et
querelleurs ne sont pas inquiétés. Vient le tour de l’Âne qui avoue avoir brouté une
fois l’herbe d’un pré de moines. Les autres animaux le désignent comme coupable.
Un Loup explique qu’il faut le sacrifier. Ce que l’âne a avoué avoir fait est considéré
comme un crime abominable. Il est puni de mort. Le lecteur ne sait pas si ce sacrifice
a vraiment sauvé les autres de la peste.
2) Dans cette fable, Jean de la Fontaine dénonce les jugements de cour injustes,
hypocrites, dominés par les puissants. Il dénonce plus particulièrement le
fonctionnement de la cour de Louis XIV (la fable date de 1678) dans laquelle les
puissants s’attribuent tous les droits, et n'en reconnaissent aucun aux plus faibles ; il
dénonce l'hypocrisie des puissants, qui font semblant de se conformer à la morale,
de faire leur examen de conscience, mais se dépêchent de s'exonérer eux-mêmes de
toute faute ; mais il critique aussi la naïveté des petits, qui prennent au sérieux les
discours du Roi et de la Cour, et veulent s'y conformer sans connaître les règles du
jeu. Dans cette jungle qu'est la Cour, seuls s'en sortent les malins, les rusés... Même
au prix du crime. La Fontaine est sans illusion sur la réalité barbare de la cour de
Versailles...
3) Voici quelques éléments de réponse. Il y aurait bien plus à dire. Les procédés d’écriture
analysés sont en gras.
Le récit de cette fable met en scène des animaux personnifiés (ils parlent entre eux et
forment une société), typés et symboliques. Le Lion, c’est le roi. Il détient le pouvoir : c’est le
premier à parler, son discours est le plus long et le renard qui le vouvoie l’appelle « Sire » et
« Seigneur ». Le Renard est un courtisan. Il flatte le Lion et atténue ses crimes : par exemple,
l’énumération « moutons, canaille, sotte espèce » légitime ses crimes en réduisant à rien les
victimes. C’est un très bon orateur, il se sauve par son discours : il n’avoue aucun crime.
L’Âne semble appartenir au dernier rang de la cour. Comme le lion, il avoue un péché. Ces
deux discours sont symétriques : le Lion comme l’Âne s’expriment au discours direct pour
faire un aveu. Cette symétrie pousse à la comparaison entre les deux discours, comparaison
qui sert la dénonciation de La Fontaine. Les deux animaux ont péché par gourmandise, mais
au discours hypocrite du lion (« Je me dévouerai donc, s’il le faut ») s’oppose le discours
honnête de l'Âne (« Je n’en avais nul droit »). Le Lion utilise des précautions oratoires : par
exemple, avec l’expression « il m’est arrivé », l’adverbe « quelquefois » et le singulier « Le
Berger », il présente son crime comme quelque chose d’exceptionnel. L’Âne, lui, n’est pas un
habile orateur. L’Âne est donc condamné alors que son péché est moins grave : le lion a
dévoré à plusieurs reprises des moutons et des bergers alors que l’Âne a brouté une fois de
l’herbe. Mauvais orateur, trop honnête puisque trop naïf, il subit la vindicte populaire
comme le prouve le pronom « on » dans le vers « À ces mots on cria haro sur le baudet. » Le
Loup, notamment au moyen d’une énumération péjorative, appelle au sacrifice de l’Âne :
« ce maudit animal, / Ce pelé, ce galeux ». La Fontaine emploie des antithèses pour
dénoncer l’absurdité de ce jugement injuste qui fait d’un Âne mangeur d’herbe un criminel :
« Sa peccadille fut jugée un cas pendable. / Manger l’herbe d’autrui ! quel crime
abominable ! » La sentence est donc en contradiction avec les propos hypocrites du Lion :
« Car on doit souhaiter selon toute justice / Que le plus coupable périsse. » D’ailleurs, le
lecteur ne sait pas si cette sentence a été efficace, si elle a sauvé les autres animaux de la
peste. Dès lors, la fable n’est qu’une démonstration, qu’un exemple qui sert la leçon édictée
finalement en deux alexandrins, avec poids : « Selon que vous serez puissant ou misérable, /
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». Ces deux vers rappellent ce qui vient
de se produire. L’adjectif « puissant » fait écho au Lion et aux autres membres de sa cour, le
Renard, le Loup, le Tigre, l’Ours, les mâtins, « tous les gens querelleurs ». L’adjectif «
misérable » évoque quant à lui l’Âne déchu et exécuté par la justice royale. Or son « crime »
est infime. Mais la sentence est sans appel comme le souligne la double antithèse « puissant
» / « misérable », « blanc » / « noir ». Le blanc évoque ici aussi bien la couleur de l’innocence,
de la pureté que celle de la royauté alors que le noir serait plutôt celle de l’infamie. Le
constat est rude : le futur de l’indicatif (« serez », « rendront ») affirme une certitude. Le
puissant échappe aux règles. Cette leçon nous ramène, avec le pronom « vous », à la société
humaine. La Fontaine s’adresse ici directement au lecteur. Le récit de la fable mettant en
scène des animaux est bien une illustration de ce qui se passe chez les êtres humains.
4) Le récit de la fable est une dénonciation indirecte : Jean de La Fontaine passe par la fiction
(par une histoire imaginaire) pour véhiculer ses idées. En revanche, la leçon de la fable (les
deux derniers vers) est une dénonciation directe : l’auteur prend en charge son discours.