Explorer les Livres électroniques
Catégories
Explorer les Livres audio
Catégories
Explorer les Magazines
Catégories
Explorer les Documents
Catégories
LA POLITIQUE MACROPRUDENTIELLE
RÉSISTE‑T-ELLE À LA PANDÉMIE ?
MARS 2021 - N° 24
C
ette 24 e édition de la Revue de la stabilité Gabriel Makhlouf, gouverneur de la Banque Centrale
financière de la Banque de France est un d’Irlande, lance un appel à une meilleure régulation
numéro spécial consacré à la politique macro- macroprudentielle de la finance de marché et en particulier
prudentielle au cœur de la crise de la Covid. des fonds d’investissement au regard des turbulences
Pendant une décennie, nous avons défini le cadre observées lors du pic de la crise de la Covid sur les marchés ;
macroprudentiel et nous l’avons mis en œuvre. Certes
pensée pour répondre aux crises financières, la politique Richard Portes, membre du conseil scientifique du Comité
macroprudentielle trouve aussi tout son intérêt dans cette européen du risque systémique, nous montre combien la
crise économique provoquée par la crise sanitaire que coordination et les initiatives à l’échelle européenne sont
nous traversons. primordiales pour gérer et prévenir les crises ;
Si cette crise n’est pas celle du système financier, et Jonathan Dixon, secrétaire général de l’IAIS (Association
si les banques ont au contraire apporté une partie internationale des contrôleurs d’assurance), nous sensibilise
des réponses pour combattre la crise économique, aux progrès faits dans le secteur de l’assurance sur la prise
elle arrive néanmoins sur un terreau de vulnérabilités en compte des risques systémiques, notamment lors de
financières liées à un cycle financier dynamique et la crise de la Covid ;
des taux bas persistants : valorisation élevée de certains
actifs, niveaux élevés de dettes publique et privée, montée Hyun Song Shin, conseiller et directeur de la Recherche à
en puissance du secteur financier non bancaire. la Banque des règlements internationaux, et ses co-auteurs
(Stefan Avdjiev et Bat-el Berger) élargissent nos
Les divers points de vue exprimés dans cet ouvrage perspectives aux pays émergents : ceux-ci ont plutôt bien
permettent de mieux cerner les problématiques qui résisté et les fuites de capitaux, qui ont pu avoir des effets
seront à notre agenda macroprudentiel de la prochaine dévastateurs lors des précédentes crises, n’ont pas eu lieu ;
décennie. Il devient notamment essentiel (i) de mieux
prendre en compte la dimension internationale du risque Claudia Buch, vice -president de la Bundesbank,
financier systémique, et plus spécifiquement de renforcer le Linda Goldberg, vice-présidente de la Banque fédérale
cadre européen macroprudentiel ; (ii) d’étendre l’application de réserve de New York, et Matthieu Bussière, directeur
de règles macroprudentielles au secteur financier dans des Études monétaires et financières à la Banque de France
son ensemble, au-delà des banques ; (iii) d’instaurer une nous mettent cependant en garde contre un risque de
meilleure coordination entre les politiques monétaire et reprise désynchronisée au niveau mondial et pointent le
macroprudentielle sur les questions de stabilité financière. rôle que les banques systémiques peuvent jouer à ce titre.
Sur tous ces débats, nous avons le plaisir et l’honneur Enfin, pour ma part, j’aborderai la question d’une
de bénéficier des éclairages des contributeurs à meilleure coordination entre politique macroprudentielle
cette revue : et politique monétaire tant cela s’avère nécessaire et doit
aussi être une des leçons à retenir de l’épisode de crise
Luis de Guindos, vice-président de la Banque centrale que nous connaissons.
européenne, nous rappelle à quel point nos outils de stress-
tests, en particulier macroprudentiels, sont essentiels, à la
fois dans la prévention des crises mais aussi dans le pilotage François Villeroy de Galhau
de nos décisions dans les périodes les plus incertaines ; gouverneur de la Banque de France
Renforcer le cadre
macroprudentiel Renforcer le cadre
adapté à la finance macroprudentiel
de marché (fonds européen
d’investissement
par exemple)
Encourager
Éviter l’effet vase et mettre en œuvre
communicant Renforcer les recommandations Mieux prendre en
des risques le reporting internationales : compte les effets
et les contraintes FSB, BIS, IAIS de débordement
transectorielles de entre pays des
liquidité ou levier risques/crises
Renforcer
Élargir le cadre la coopération
macroprudentiel internationale
au non-bancaire macroprudentielle
PRÉFACE 3
ÉTUDES PUBLIÉES 86
Gouverneur
Banque de France
2 500
En 2010, au sein de l’Eurosystème, nous étions confrontés à
des perspectives de taux d’intérêt encore élevés, affectant 2 000
peu les marges bancaires et disposions d’instruments de 1 500
politique monétaire peu flexibles et assez conventionnels 1 000
limitant de facto la capacité de la politique monétaire
500
à agir sur les risques du système financier. En 2021, la
0
boite à outils de l’Eurosystème apparait singulièrement 2015 2016 2017 2018 2019 2020
élargie avec « la forward guidance » des taux d’intérêt, PSPP CBPP3 ABSPP CSPP PEPP
le déploiement des programmes d’achats de titres et la
Notes : Programmes d’achats : de titres publics (PSPP), d’obligations sécurisées
mise en place des opérations de refinancement à très long (CBPP), de titres adossés à des actifs (ABSPP), d’obligations d’entreprise (CSPP)
terme ciblées (TLTRO – targeted longer‑term refinancing et d’urgence face à la pandémie (PEEP).
Source : Banque centrale européenne.
operations). Par ailleurs, l’application d’une politique
monétaire durablement accommodante a pu entraîner 1 Article 127-5 du Traité sur le fonc- 2 Système européen des
des évolutions indésirables pour la stabilité financière parmi tionnement de l’Union européenne. Banques centrales.
Comité de Bâle sur la supervision bancaire (2020) Fonds monétaire international, CSF
« Governors and Heads of Supervision commit to ongoing et Banque des règlements internationaux (2016)
coordinated approach to mitigate Covid-19 risks to the Elements of Effective Macroprudential Policies, Lessons
global banking system and endorse future direction of from International Experience, août :
Basel Committee work », communiqué de presse, https://www.imf.org/external/np/g20/pdf/2016/083116.pdf
novembre :
https://www.bis.org/press/p201130.htm
Luis de GUINDOS
Vice‑président
Banque centrale européenne
NB : L’auteur tient à remercier Cosimo Pancaro (BCE, DG Politique macroprudentielle et Stabilité financière) pour sa contribution à cet article
En 2020, en conséquence de la pandémie de Covid‑19, le Pour la première fois, la BCE a effectué un test de résistance
test de résistance prévu à l’échelle de l’UE a été reporté top‑down granulaire sans la participation des banques
à 2021. C’est pourquoi la BCE, en collaboration avec les et en a publié les résultats agrégés. Si cette approche a
autorités compétentes nationales (ACN) participant au permis de garantir le déroulement rapide de l’exercice
mécanisme de surveillance unique (MSU), a effectué un dans ces circonstances extraordinaires et a contribué à
test de résistance top‑down centralisé sur 86 banques libérer, pour les banques, des ressources qui participent
supervisées directement par le MSU, englobant quelque normalement aux tests de résistance à l’échelle européenne,
80 % des actifs totaux de la zone euro, afin d’identifier la BCE a toutefois dû s’appuyer sur un ensemble plus
à un stade précoce les vulnérabilités potentielles au sein restreint d’informations pour effectuer son analyse. La BCE
du secteur bancaire 6, 7. n’a pas pu exploiter les données qui sont régulièrement
fournies par les banques dans le cadre du test de résistance
L’exercice a été réalisé en exploitant les données des à l’échelle européenne et n’a pas pu interagir avec les
autorités de surveillance et en s’appuyant sur trois scénarios : banques pendant l’exercice. En outre, l’élaboration de
i) le scénario de référence du test de résistance 2020 de scénarios a été rendu particulièrement complexe par les
l’ABE, qui avait été défini avant l’épidémie de Covid‑19 et fortes incertitudes entourant les évolutions économiques
qui a servi de référence pour mieux évaluer l’impact de la à court terme. La BCE a donc exceptionnellement basé
crise du coronavirus ; ii) un scénario central Covid‑19 ; et son analyse sur deux scénarios Covid‑19 plutôt que sur le
iii) un scénario Covid‑19 sévère présenté dans les projections seul scénario adverse habituel.
macroéconomiques des services de l’Eurosystème de
juin 2020. Les deux derniers scénarios incluaient, dans La nécessité d’intégrer dans l’analyse les mesures prises pour
une certaine mesure, l’impact des mesures monétaires, de répondre à la crise, contrairement à la pratique habituelle,
supervision et de soutien budgétaire adoptées en réponse a constitué un autre facteur de complexité. Cette approche
à la crise sanitaire 8 . Dans le scénario central, le ratio CET1 était nécessaire étant donné les mesures de soutien
moyen des banques diminue d’environ 1,9 point de exceptionnelles ciblant divers domaines introduites peu de
pourcentage, à 12,6 %, tandis que dans le scénario sévère, temps après le début de la pandémie. Ces mesures devaient
il diminue de 5,7 points de pourcentage pour s’établir à être prises en compte pour parvenir à une estimation plus
8,8 % à fin 2022. Globalement, les résultats montrent que le réaliste de l’impact de l’épidémie de Covid‑19, mais ce
secteur bancaire de la zone euro peut résister aux tensions processus s’est heurté à plusieurs difficultés pratiques :
causées par la pandémie et continue de remplir son rôle il a en effet fallu émettre des hypothèses concernant
de prêteur à l’économie. Toutefois, si le scénario sévère l’efficacité des mesures, leur prolongation éventuelle et
se matérialisait, certaines banques pourraient enregistrer les situations pouvant survenir lors de la suppression ou
une réduction significative de leurs fonds propres. de l’expiration de ces mesures.
Cet exercice a permis à la BCE de publier rapidement Après avoir évoqué l’évolution de l’utilisation des tests
une évaluation du secteur bancaire dans son ensemble. de résistance au fil du temps et la manière dont la BCE
Les résultats du test de résistance ont également servi à a utilisé cet outil depuis le début de la crise sanitaire,
orienter les mesures de la BCE en réponse à la crise actuelle, je consacrerai la section suivante à la manière dont des
à la fois sur le plan microprudentiel et macroprudentiel. exercices à l’échelle du système pourraient éclairer l’analyse
En outre, la publication des résultats a levé certaines macroprudentielle en intégrant les effets d’amplification
incertitudes et contribué à maintenir la confiance des causés par la contagion interbancaire ou les boucles de
investisseurs dans la solidité du secteur bancaire de la rétroaction entre l’économie réelle et le secteur financier.
Enfin, les tests de résistance macroprudentiels peuvent Le modèle permet une évaluation bi‑annuelle de la
intégrer les interactions entre le secteur financier et résilience du système bancaire dans une perspective
l’économie réelle. À cet égard, leurs résultats peuvent macroprudentielle qui complète le test de résistance régulier
fournir non seulement des informations sur la baisse des de l’autorité de surveillance. Par exemple, en 2018, le
fonds propres à l’échelle du système dans des scénarios test de résistance macroprudentiel a révélé une érosion
adverses, mais également un éclairage sur la capacité du des fonds propres plus élevée au niveau du système, en
secteur à faire face à des évolutions défavorables sans montants nominaux, dans le scénario adverse, que celle
perturber les flux de crédit vers l’économie réelle. obtenue avec l’hypothèse de bilans statiques. Toutefois,
en raison de la réduction de l’endettement des banques,
Ces dernières années, la BCE a développé un vaste modèle les ratios CET1 étaient en moyenne plus élevés dans le
de tests de résistance macroprudentiels (Budnik, 2019 ; test de résistance macroprudentiel. La croissance des
Budnik et al., 2019) qui intègre la dynamique commune prêts d’une proportion significative de banques dans le
des dix‑neuf économies de la zone euro et d’une centaine scénario adverse apparaît négative, notamment dans le
des plus importantes banques de la zone euro. Le modèle cas du crédit aux entreprises non financières.
continue d’être développé en collaboration avec les banques
centrales de l’Eurosystème.
6 La méthodologie utilisée dans cet suivie d’un rebond en 2021 et 2022,
exercice était conforme à celle de l’ABE à mesure que des solutions médicales
Ce modèle permet aux banques d’ajuster de manière pour les tests de résistance à l’échelle deviendraient disponibles. Le scénario
endogène la taille et la composition de leurs bilans, de européenne. L’hypothèse de bilan Covid‑19 sévère représentait une
statique a été appliquée. évolution plus défavorable mais encore
modifier leurs politiques en matière de dividende et de
plausible de la crise, sous l’effet d’une
fixer de nouveaux taux d’intérêt sur les prêts et les dépôts 7 Baudino (2020) illustre l’utilisation forte résurgence des contaminations et
en réponse aux conditions économiques et en fonction de de tests de résistance par diverses d’une prolongation des mesures strictes
autorités pendant la crise de Covid‑19. de confinement jusqu’à mi‑2021.
leurs caractéristiques spécifiques (par exemple solvabilité,
Pour des informations plus détaillées,
qualité des actifs, rentabilité et structure du bilan). En outre, 8 Le scénario central Covid‑19 était cf. BCE (2020a).
le modèle inclut l’interdépendance entre le secteur financier considéré comme le plus susceptible
de se produire. Il prévoyait une baisse 9 Sur la relation entre la solvabilité des
et l’économie réelle et les mécanismes d’amplification non sans précédent du produit intérieur banques et leurs coûts de financement,
linéaire associés, comme illustré sur le schéma 1. brut (PIB) réel de la zone euro en 2020, cf. Arnould et al. (2020).
Acharya (V. V.), Berger (A. N.) et Roman (R. A.) (2018) Calimani (S.), Hałaj (G.) et Żochowski (D.) (2019)
« Lending implications of U.S. bank stress tests: costs or « Simulating fire sales in a system of banks and asset
benefits? », Journal of Financial Intermediation, vol. 34, managers », Journal of Banking and Finance, à paraître :
p. 58‑90. https://www.sciencedirect.com/
Aikman (D.), Chickanov (P.), Douglas (G.), Georgiev (Y.), Chrétien (É.), Darpeix (P.‑E.), Gallet (S.), Grillet‑Aubert (L.),
Howat (J.) et King (B.) (2019) Lalanne (G.), Malessan (A.), Novakovic (M.), Salakhova (D.),
« System‑wide stress simulation », document de travail Samegni‑Kepgnou (B.) et Vansteenberghe (E.) (2020)
Mirza (H.), Moccero (D.), Palligkinis (S.) et Pancaro (C.) (2020) Timmer (Y.) (2018)
« Fire sales by euro area banks and funds: what is their « Cyclical investment behavior across financial
asset price impact? », Economic Modelling, vol. 93, institutions », Journal of Financial Economics, vol. 129,
p. 430‑444 : https://www.sciencedirect.com/ n° 2, p. 268‑286 : https://www.sciencedirect.com/
Gouverneur
Banque centrale d’Irlande
LES ENSEIGNEMENTS DE LA CRISE DE LA COVID : UN CADRE MACROPRUDENTIEL POUR LE SECTEUR DE LA FINANCE DE MARCHÉ
la crise financière mondiale. Mais dans le même temps, le système
financier dans son ensemble avait connu une mutation considérable
avec l’augmentation de la part d’intermédiation financière assurée par
les acteurs non bancaires, en particulier les fonds d’investissement.
Les perturbations financières observées au début du choc de la
Covid‑19 ont mis en lumière certaines vulnérabilités du secteur non
bancaire, notamment pour les fonds monétaires et les fonds de
placement ouverts dont le délai de rachat est court et qui sont exposés
à des actifs moins liquides. L’un des principaux enseignements de
ce choc est la nécessité de développer et de rendre opérationnel un
cadre macroprudentiel pour la finance de marché. Un tel cadre serait
bénéfique pour le secteur dans son ensemble et pour la stabilité du
système financier.
300
1 Un système financier en mutation
250
Depuis la crise financière mondiale, le secteur de la
200
finance de marché a vu sa taille plus que doubler dans
le monde (cf. graphique 1). Au niveau de la zone euro, 150
bien que cette croissance ait été relativement plus lente,
les établissements financiers non bancaires représentent 100
LES ENSEIGNEMENTS DE LA CRISE DE LA COVID : UN CADRE MACROPRUDENTIEL POUR LE SECTEUR DE LA FINANCE DE MARCHÉ
renforce la résilience du système (Buch, 2017).
1 500
1 000
Ces différents aspects expliquent pourquoi la Commission
500 européenne œuvre à la diversification du système financier
0 européen au travers de son plan d’action pour une Union
- 500 des marchés de capitaux. Il est important de poursuivre
2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 S1 les actions visant à approfondir les marchés de capitaux
2020
Financement bancaire Finance de marché en Europe, non seulement pour le développement de notre
Notes : La « finance de marché » inclut le financement via les actions cotées, les système financier, mais aussi pour améliorer l’efficacité
actions non cotées et les titres de créance. La dernière observation correspond
au 2e trimestre 2020.
du cadre général de la politique macroéconomique de
Sources : Comité européen du risque systémique (CERS), Non‑Bank Financial l’Union européenne.
Intermediation Risk Monitor 2019 ; Banque centrale européenne (BCE), comptes
trimestriels par secteur et calculs du CERS.
Bien entendu, les efforts visant à développer les marchés de
capitaux doivent être assortis de mesures visant à garantir
les flux et les interactions au sein du secteur. Ces initiatives leur résilience : des marchés de capitaux qui peuvent
ont permis à la Banque centrale d’améliorer sa capacité apporter à l’économie les avantages d’une augmentation
à effectuer ses propres évaluations des risques et de des flux de la finance de marché en période favorable, mais
participer aux exercices internationaux de surveillance du qui s’avèrent également résilients dans les périodes difficiles.
développement des vulnérabilités à une échelle mondiale
et européenne. Pour promouvoir la stabilité financière, les décideurs doivent
veiller à ce que le niveau de résilience de la finance de
marché soit proportionnel à sa contribution au risque
2 Les avantages de la finance systémique et à son interaction avec le système financier
de marché et l’économie dans son ensemble. Renforcer la résilience
de la finance de marché permettra au système financier
L’essor de la finance de marché constitue une évolution au sens large d’être mieux armé pour absorber, plutôt
positive. En effet, elle offre une bonne alternative au qu’amplifier les chocs financiers en période de tensions.
financement bancaire et peut faciliter le partage des risques
au sein du système financier. Ce faisant, elle contribue à
soutenir l’activité économique, indépendamment de la 3 Les risques liés à la finance
conjoncture. Des marchés de capitaux plus profonds et de marché
plus développés peuvent faciliter l’investissement à long
terme, en offrant aux entreprises un accès à un éventail Si la finance de marché procure des avantages, comme
plus large de sources de financement. Elle offre aussi une toutes les formes d’intermédiation financière, elle peut
plus grande diversité aux épargnants et aux investisseurs. également contribuer à une accumulation de vulnérabilités
Les marchés de capitaux peuvent également contribuer à financières. Du fait de la taille, de la complexité, de la
financer la reprise après la crise de la Covid‑19 ainsi que la diversité et du très grand nombre d’entités qui composent
transition vers une économie à faible empreinte carbone, le secteur mondial de la finance de marché, les responsables
durable et numérisée (de Guindos, 2020). de la politique financière en charge de la surveillance des
risques et des vulnérabilités sont confrontés à une situation
Une diversification accrue des canaux de financement des plus opaque.
entreprises et des ménages peut s’avérer particulièrement
utile lors de chocs défavorables. Certains éléments L’histoire peut s’avérer riche d’enseignements pour
indiquent que, après une crise économique, les économies guider nos réflexions en la matière. Si l’on examine les
LES ENSEIGNEMENTS DE LA CRISE DE LA COVID : UN CADRE MACROPRUDENTIEL POUR LE SECTEUR DE LA FINANCE DE MARCHÉ
s’avérer, dans certaines circonstances, moins liquides que ne 0
5 Un enseignement clé : la nécessité Deuxièmement, quel est l’équilibre approprié entre les
d’un cadre macroprudentiel pour interventions structurelles et celles variant au fil du temps ?
la finance de marché Cette question reste insuffisamment explorée. Par exemple,
un alignement plus étroit des profils de rachat des fonds et
L’un des principaux enseignements de la crise de la Covid‑19 de la liquidité de leurs actifs sous‑jacents pourrait résoudre
est la nécessité de développer et de rendre opérationnel le problème des inadéquations structurelles de la liquidité.
un cadre macroprudentiel pour la finance de marché. Dans le même temps, la prime exigée pour le risque de
liquidité du marché par les participants de marché varie au
Andrew Crockett a établi une analogie utile entre le système fil du temps, ce qui pourrait également justifier d’envisager
financier et un portefeuille de titres pour expliquer la des interventions au gré des circonstances.
réglementation macroprudentielle (Crockett, 2000). Le point
de vue macroprudentiel considère la performance du Troisièmement, quelle est l’approche la mieux adaptée en
portefeuille dans son ensemble (en l’occurrence, du système matière de coordination internationale dans ce domaine ?
financier), tandis que le point de vue microprudentiel se Les marchés des capitaux sont internationaux par nature et
concentre sur les différents titres constitutifs (en l’occurrence, des lacunes dans la couverture et la coordination limiteraient
LES ENSEIGNEMENTS DE LA CRISE DE LA COVID : UN CADRE MACROPRUDENTIEL POUR LE SECTEUR DE LA FINANCE DE MARCHÉ
de marché ? Les réformes réglementaires globales du devront être soigneusement évaluées afin de garantir un
système bancaire après la crise financière ont donné lieu équilibre entre le maintien des avantages de ce secteur et
à une analyse coûts‑avantages détaillée coordonnée par le renforcement de sa résilience.
le Conseil de stabilité financière et le Comité de Bâle sur le
contrôle bancaire. En outre, les mesures macroprudentielles
prises par les différentes juridictions cherchent toujours à Conclusion
assurer un équilibre entre les coûts et les avantages pour
l’économie. Ce cadre devra être élargi au secteur de la Un enseignement majeur à tirer de la crise de la Covid‑19
finance de marché. En raison de la nature internationale est la nécessité de combler les lacunes du cadre actuel de la
et interdépendante du secteur, le développement de cette finance de marché afin de le rendre pleinement opérationnel.
approche se heurte à de nombreuses difficultés. Les difficultés sont similaires à celles rencontrées lors du
développement et de la mise en œuvre d’outils destinés
au secteur bancaire. Néanmoins, il existe des enjeux et des
6 Des réformes structurelles s’appuyant considérations supplémentaires dans le cas de la finance
sur une approche macroprudentielle de marché, notamment en ce qui concerne la dimension
– les fonds monétaires internationale des activités et des entités concernées.
La Banque centrale d’Irlande, en collaboration avec ses
Outre la nécessité de développer et de rendre opérationnel homologues internationaux, est déterminée à faire avancer
un cadre macroprudentiel général pour le secteur de la ces importants travaux visant à développer et à rendre
finance de marché dans son ensemble, il est également opérationnel un cadre macroprudentiel plus complet afin
indispensable de revoir le cadre réglementaire des fonds de préserver la stabilité financière.
monétaires (money market funds – MMF). Comme évoqué
ci‑dessus, les MMF ont été fortement affectés au début du
choc de la Covid‑19 et compte tenu de leurs interconnexions
avec d’autres segments du système financier, leur résilience
en période de tensions peut être d’importance systémique.
Malgré les importantes réformes réglementaires mises en
place depuis la crise financière mondiale, les turbulences
du marché liées à la Covid en mars et avril 2020 ont mis en
lumière des risques systémiques persistants liés à certains
types de MMF, à savoir les fonds qui investissent dans des
titres de créance du secteur privé plutôt que dans des titres
de créance d’État ou du secteur public.
Banque centrale d’Irlande (2020a) Eren (E.), Schrimpf (A.) et Sushko (V.) (2020)
Financial Stability Review 2020 I : https://www.centralbank.ie/ « US dollar funding markets during the Covid-19 crisis
– the money market fund turmoil », Bulletin de la Banque
Banque centrale d’Irlande (2020b) des règlements internationaux, n° 14, mai :
Financial Stability Review 2020 II : https://www.centralbank.ie/ https://www.bis.org/
Richard PORTES
Professeur d’économie
London Business School
Membre du comité scientifique consultatif
du Comité européen du risque systémique
N.B. : Durant la période couverte dans cet article, l’auteur était président du Comité scientifique consultatif du CERS et est intervenu à divers
titres dans les travaux décrits. Cet article n’engage que la responsabilité personnelle de son auteur, aucun collaborateur du CERS ni aucun
membre de ses différents comités n’étant impliqué, et n’a fait l’objet d’aucun examen de la part du CERS.
Le Conseil des gouverneurs de la BCE s’est réuni le 17 mars, Après avoir tenu un nombre exceptionnel de réunions et
au plus fort de la « ruée sur les liquidités » ou de la « frénésie de consultations approfondies et décentralisées en mars,
de mars » (March madness). Il a lancé un programme d’achats
d’urgence face à la pandémie d’un montant de 750 milliards
d’euros (portant sur toutes les catégories d’actifs éligibles
dans le cadre du programme d’achats d’actifs existant, avec 1 Cf. CERS (2020a). 3 Cf. BCE (2020b).
toutefois une plus grande flexibilité). Le Conseil a élargi 2 Cf. BCE (2020a).
• les implications, pour le système financier, des dispositifs Ce groupe de travail avait pour missions d’examiner les
de garantie et autres mesures de nature budgétaire risques en matière de stabilité financière à la lumière de
visant à protéger l’économie réelle ; ces mesures budgétaires et de proposer des mesures
susceptibles d’atténuer ces risques. Il a analysé :
• l’illiquidité des marchés et ses conséquences pour les
gestionnaires d’actifs et les assureurs ; • les implications des différents dispositifs nationaux de
garantie des prêts, tant au niveau national qu’euro‑
• l’impact procyclique des dégradations des notes de péen, y compris les conséquences intersectorielles et
crédit des obligations sur les marchés et des entités transfrontières, intentionnelles et involontaires, des
du système financier ; dispositifs nationaux de garantie ;
• les restrictions à l’échelle du système applicables • la capacité de ces systèmes à éviter un assèchement
aux versements de dividendes, rachats d’actions et du crédit ;
autres distributions ;
• l’impact sur la solvabilité et la viabilité des banques/
• les risques de liquidité découlant des appels de marge. assureurs/autres institutions financières, en particulier
• les outils alternatifs pouvant être envisagés dans le Le choc économique engendré par la lutte contre la
secteur des assurances, faute d’outils macroprudentiels pandémie pourrait être amplifié par les dégradations
permettant d’atténuer les risques de liquidité. à grande échelle des notes de crédit des obligations
(instruments de dette titrisés inclus). Les conséquences
• les propositions de réforme réglementaire pouvant de l’arrêt de l’activité économique se faisant ressentir, de
être mises en œuvre en urgence. nombreuses entités notées BBB pourraient perdre leur
statut « investment grade » et devenir ainsi inéligibles pour
Le groupe de travail était appelé à produire les livrables suivants : de nombreux portefeuilles, y compris ceux qui suivent les
indices « investment grade » et certains fonds indiciels
• u
ne évaluation de la possible évolution future de la cotés (exchange-traded funds - ETF). Cela les rendrait
liquidité des principaux actifs financiers détenus par également inéligibles au programme d’achats de titres
les fonds et les assureurs et de leur résilience probable du secteur des entreprises (Corporate Sector Purchase
face aux demandes de remboursement ; Programme) de la BCE. Ces dégradations de notes de
crédit pourraient avoir des conséquences sur les coûts de
• u
ne identification des domaines dans lesquels la coordi‑ refinancement des entreprises et leur recours aux lignes
nation à l’échelle de l’UE sous l’égide du CERS aiderait de crédit bancaires et pourraient accroître l’ampleur des
les autorités membres de ce dernier à mieux appré‑ défaillances et des destructions d’emplois. Elles pourraient
hender les problèmes transfrontaliers et intersectoriels ; affecter les institutions financières fortement exposées à
de tels actifs, au risque d’entraîner des défaillances d’ordre
• d
es communications pouvant être émises soit systémique ou de réduire la capacité de prêt.
par le CERS, soit en coordination avec ses institu‑
tions membres ; Ce groupe de travail a examiné les conséquences pour
le système financier d’un point de vue systémique, en se
• d
es déclarations informelles pouvant être transmises focalisant plus particulièrement sur :
aux parties prenantes et d’éventuelles alertes et recom‑
mandations du CERS. • les nouvelles émissions d’obligations notées
« investment grade » ;
Là encore, la coordination à l’échelle de l’UE est mise en
avant. Le besoin de coordination transparaît effectivement • le volume d’obligations notées « investment grade »
en filigrane dans les mandats des cinq axes de travail. susceptibles d’être rétrogradées, les entités qui les
Le CERS était particulièrement conscient de son rôle détiennent ainsi que l’impact et le degré de rééqui‑
unique dans la promotion d’une telle coordination dans librage implicite au niveau du portefeuille ;
le domaine macroprudentiel.
• les anticipations des décisions des agences de notation ;
Ce groupe a émis une recommandation du CERS sur les risques
de liquidité des fonds d’investissement (CERS/2020/4), • les besoins d’emprunt des émetteurs marginaux notés
accompagnée d’une déclaration publique sur l’utilisation « investment grade » ou dont la note a été dégradée
des outils de gestion de la liquidité et d’une lettre à qui pourraient avoir du mal à se refinancer sur le
l’AEAPP sur les risques de liquidité dans le secteur de marché obligataire et qui devraient alors se tourner
l’assurance 6 . L’AEAPP et l’AEMF ont répondu par des vers les banques ;
Outre la note de synthèse susvisée (produite en collaboration • c onditionnant les futures restrictions (au‑delà de 2020)
avec le groupe de travail 2), ce groupe (qui a bénéficié d’une aide applicables aux versements volontaires à une éventuelle
non négligeable de la part du personnel de la BCE) a analysé recapitalisation ; pointant la nécessité d’une action légis‑
des scénarios de dégradations de notes de crédit de grande lative par opposition à des demandes non contraignantes.
ampleur d’obligations d’entreprise et leurs effets systémiques 8.
Première évaluation « top down » consistant à étudier Le groupe de travail était appelé à produire les livrables suivants :
globalement les possibles effets d’une vague de dégradations,
cette analyse a demandé un énorme effort d’innovation • u
ne évaluation des tendances en matière de versements
méthodologique ainsi que le regroupement de données volontaires dans le secteur des sociétés financières
provenant d’un vaste éventail de bases de données. Par ailleurs, et non financières et de leurs conséquences pour la
après de longues discussions, le Conseil général a accepté résilience du secteur financier et sa capacité à accorder
d’envoyer une lettre à la Commission européenne et à l’AEMF des prêts à l’économie réelle ;
pour mettre en garde contre l’impact que pourraient avoir des
dégradations à grande échelle par les agences de notation, et
pour proposer à la Commission de réexaminer, en coopération
avec l’AEMF, le rôle des références contractuelles aux notations
6 Cf. CERS (2020d). 9 Cf. CERS (2020g).
dans les mandats de gestion et les prospectus des fonds et
d’évaluer la transparence des méthodologies des agences 7 Cf. CERS (2020e). 10 Mécanisme de surveillance unique.
• d
es déclarations informelles pouvant être transmises
aux parties prenantes et d’éventuelles alertes et recom‑
mandations du CERS.
CERS (2020e)
Note de synthèse sur la liquidité des marchés d’obligations
d’entreprise et des billets de trésorerie, l’impact
procyclique des dégradations des notes de crédit et les
implications pour les gestionnaires d’actifs et les assureurs,
Rapport du CERS, mai 2020 : https://www.esrb.europa.eu/
Jonathan DIXON
Secrétaire général
Association internationale
des contrôleurs d’assurance – AICA
NB : Les opinions exprimées dans le présent article sont celles du secrétaire général de l’AICA et ne reflètent pas nécessairement celles de l’AICA
ou de ses membres.
a) « 50 » premières sociétés d’assurance et banques, par taille b) Interconnexion (actifs intra système financier)
(en milliards d’euros) (en milliards d’euros)
75 000 8 000
6 000
50 000
25 000
2 000
0 0
Assureurs Banques Assureurs Banques
c) Dérivés (montant notionnel des dérivés OTC) d) Marché des credit default swaps – CDS (encours notionnel total)
(en %) (en milliers de milliards de dollars américains)
50 000
40 000
Échantillon d'évaluation des G-SIB
30 000
85
20 000
10 000
0
2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019
Notes : Toutes les données sont à fin 2018 à l’exception des données relatives aux CDS qui sont à fin 2019.
50 premières sociétés d’assurance : sur la base de l’exercice 2019 de collecte de données sur les assureurs d’importance systémique mondiale (G-SII – Global Systemically
Important Insurers), auquel une cinquantaine de compagnies d’assurance ont participé (« Groupe assurance »).
50 premières banques : sur la base de 50 premières banques (classées par taille) participant à l’exercice relatif aux banques d’importance systémique mondiale (G-SIB – Global
Systemically Important Banks).
Échantillon d’évaluation des G-SIB : l’ensemble des 75 banques participant à l’exercice G-SIB.
Dérivés OTC – over-the-counter : dérivés de gré à gré ; credit default swaps – CDS : swaps de défaut de crédit.
Sources : Association internationale des contrôleurs d’assurance (2019d), Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, Banque des règlements internationaux.
importance au niveau des banques. De même, sur le marché systémique proportionnée au risque réel et tient compte du
mondial des instruments dérivés négociés de gré à gré fait que l’impact systémique du secteur de l’assurance peut
(over‑the‑counter – OTC), la part des cinquante compagnies également dépendre du fonctionnement d’autres éléments
d’assurance les plus importantes de la planète représente faisant partie du système financier dans son ensemble.
moins de 1 % du total. Enfin, la pertinence d’un point de
vue au fil du temps peut être illustrée par l’évolution du Cette approche globale est comparable à l’approche adoptée
marché des instruments dérivés de crédit (credit default par d’autres organismes de normalisation qui se sont
swaps – CDS), marché qui a joué un rôle majeur lors de également intéressés à un juste équilibre entre l’approche
la grande crise financière. Lors du pic atteint en 2007, centrée sur des entités individuelles et celle consistant à
le portefeuille notionnel des engagements d’American
International Group (AIG) au titre des CDS représentait
530 milliards de dollars 4 . À fin 2019, le marché total des
CDS s’était contracté de plus de 85 %. En résumé, l’adoption 1 Cf. AICA, 2019a. 3 Cf. AICA, 2019c.
d’une approche globale permet une évaluation du risque 2 Cf. AICA, 2019b. 4 Cf. AIG, 2007.
a) Qualité de crédit des avoirs en titres de dettes d’entreprise, T2 2020 b) Dettes d’entreprise notées au-dessous de BBB, T4 2019 – T2 2020
(répartition des dettes d’entreprise en %) (en milliards de dollars américains)
100 175
150
80
125
60 100
40 75
50
20
25
0 0
Préd. Composite Préd. Europe et Asie Amérique Préd. Composite Préd. Europe et Asie Amérique
non vie vie Afrique du Sud du Nord non vie vie Afrique du Sud du Nord
Agrégat Par type d’activité Par région Agrégat Par type d’activité Par région
Supérieur à BBB BBB Inférieur à BBB Non noté T4 2019 T1 2020 T2 2020
Note : « Préd. vie » = groupes d’assurance dont l’activité prédominante est l’assurance‑vie ; de même pour « Préd. non vie ».
Source : Association internationale des contrôleurs d’assurance (2020a).
portefeuilles à revenu fixe des assureurs (cf. graphique 3) l’accumulation potentielle du risque systémique dans le
et à l’impact de l’environnement persistant de faibles secteur de l’assurance.
rendements. Globalement, la grande majorité des
portefeuilles des assureurs en obligations d’entreprise C’est délibérément que les mesures ne sont pas définies
et en obligations souveraines sont composés de titres bien comme micro ou macroprudentielles. En atténuant certaines
notés (investment‑grade). Toutefois, certains assureurs ont expositions au risque, les mesures qui ont principalement
subi des dégradations de notations dans leurs portefeuilles une perspective microprudentielle peuvent également
d’obligations d’entreprise 8 . contribuer à accroître la résilience du secteur de l’assurance
dans son ensemble et /ou à réduire la probabilité et
l’ampleur de tout impact systémique négatif. De même,
3 Documentation relative de nombreuses mesures principalement destinées à
à la supervision et références l’analyse macroprudentielle, parmi lesquelles les tests
de résistance prudentiels sectoriels, sont également des
La documentation de l’AICA en matière de supervision, qui instruments microprudentiels.
recouvre les principes fondamentaux de l’assurance (Insurance
Core Principles – ICP) et le cadre commun pour le contrôle Avec ces mesures, l’AICA s’est écartée de l’approche binaire
des groupes d’assurance internationaux (Common Framework antérieure, qui consistait à appliquer certaines mesures
for the Supervision of Internationally Active Insurance Groups prédéterminées à un nombre restreint de G‑SII identifiées.
– IAIG, « ComFrame »), vise à protéger les assurés et à Elle encourage plutôt une application proportionnée de la
contribuer à la stabilité financière mondiale par le maintien de documentation en matière de surveillance macroprudentielle
normes de contrôle constamment élevées dans les juridictions à une plus grande partie du secteur de l’assurance.
membres de l’AICA. Les ICP s’appliquent à la supervision de
toutes les compagnies d’assurance, tandis que ComFrame La documentation relative à la supervision inclut :
concerne uniquement les groupes d’assurance internationaux.
• les exigences de supervision en continu appliquées
Lors de l’élaboration du cadre holistique, l’AICA a approuvé aux compagnies d’assurance, qui ciblent les princi‑
des révisions des principes fondamentaux de l’assurance et pales expositions systémiques potentielles : risque de
du ComFrame en améliorant ou en ajoutant des mesures de liquidité, exposition macroéconomique et exposition
supervision spécialement conçues pour évaluer et atténuer aux contreparties ;
• la surveillance macroprudentielle, qui vise à identifier Application pratique des mesures
les vulnérabilités et à traiter l’accumulation de risque prudentielles durant la pandémie
systémique au niveau des compagnies d’assurance de Covid‑19
considérées individuellement et au niveau sectoriel ; et
Beaucoup de ces mesures ont été concrètement mises
• la gestion des crises et la planification, qui recouvre des en œuvre durant la crise de la Covid‑19. L’AICA a facilité
exigences en matière de planification du redressement le partage d’informations et les discussions entre ses
et de la résolution, ainsi que la création de groupes de membres sur les réponses prudentielles permettant de
gestion des crises. faire face à l’impact de la Covid‑19. À cet effet, l’AICA
a développé un référentiel des mesures réglementaires,
En matière de pouvoirs d’intervention, les superviseurs prudentielles, financières et autres, prises ou prévues par
sont tenus de disposer d’un ensemble suffisamment les membres de l’AICA face à la Covid‑19. En réponse aux
large de mesures préventives et correctives pour pouvoir vulnérabilités identifiées, les contrôleurs des assurances
réagir rapidement et de façon appropriée lorsqu’un risque ont pris diverses mesures, dont des mesures liées au cadre
systémique potentiel est détecté. holistique, telles que :
AICA (2020a)
Global insurance market report 2020, édition Covid-19 :
https://www.iaisweb.org/
NB : Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la Banque des règlements internationaux.
LES CRÉDITS INTERNATIONAUX OCTROYÉS AUX ÉCONOMIES DE MARCHÉ ÉMERGENTES PENDANT LA CRISE DE LA COVID‑19
règlements internationaux (BRI) pour apporter un éclairage sur ce qui
différencie l’épisode de Covid‑19 de crises précédentes. Contrairement
à ce qui s’était passé pendant la crise financière de 2008, le secteur
bancaire n’a pas été au cœur des tensions financières lors de la crise
de la Covid‑19 survenue en mars 2020. Les indicateurs classiques de
vulnérabilité, tels que la part des prêts internationaux à court terme,
n’ont émis aucun signal significatif pendant la période de crise
sanitaire. En revanche, le canal financier des taux de change a eu
un impact sensible sur les prêts internationaux sur cette période.
L’importance de ce canal a considérablement augmenté au cours de
la dernière décennie, sur fond d’accumulation rapide de la dette en
dollars dans les EME.
Notre analyse repose sur les IBS et sur les GLI de la BRI. Les IBS Le fait de regrouper les LBS et les CBS permet d’apporter
de la BRI se répartissent en deux catégories principales : les des éclairages complémentaires sur les tendances bancaires.
statistiques bancaires territoriales (locational banking statistics Associés à bon escient, ces deux ensembles de statistiques
– LBS) et les statistiques bancaires consolidées (consolidated peuvent s’avérer très instructifs. Certaines mises en garde
banking statistics – CBS) 1. Les LBS, comme leur nom l’indique, s’imposent toutefois également. Les chiffres des LBS et
organisent l’information en fonction du pays de résidence des des CBS ne peuvent pas être comparés directement.
banques déclarantes. La compilation de ces statistiques s’effectue Trois raisons à cela, dont deux ont déjà été évoquées
conformément aux principes de la balance des paiements. ci‑dessus : i) les positions figurant dans les CBS sont par
Sous ce titre général, cet ensemble de données s’articule autour définition consolidées, contrairement à celles des LBS,
de deux dimensions principales : les positions en fonction du et ii) la définition des créances transnationales reprises
pays de résidence des banques déclarantes et en fonction de la dans les LBS diffère de celles des créances internationales
nationalité des banques déclarantes, c’est‑à‑dire en fonction de figurant dans les CBS. Enfin, les pays qui communiquent
la juridiction dont relèvent les sièges sociaux des banques. Ainsi, des LBS sont plus nombreux que ceux qui fournissent
par exemple, les LBS par pays de résidence mettent en lumière des CBS. Il est important de garder ces trois différences
les créances transnationales des banques qui opèrent au Japon à l’esprit, en particulier lorsque l’on compare des chiffres
sur des emprunteurs situés dans le reste du monde. Un exemple d’un même prêteur ou concernant un même emprunteur.
300
200
100
LES CRÉDITS INTERNATIONAUX OCTROYÉS AUX ÉCONOMIES DE MARCHÉ ÉMERGENTES PENDANT LA CRISE DE LA COVID‑19
0
- 100
- 200
- 300
2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020
Nous utilisons les GLI de la BRI pour obtenir des informations G1 Créances transnationales sur les économies de marché émergentes,
sur le montant total du crédit en dollars accordé à des résidents par région de la contrepartie
dans les EME. Ces données tiennent co mpte des crédits aux
b) Croissance en glissement annuel
emprunteurs non bancaires octroyés par des établissements (en %)
domestiques ou étrangers. Le montant total du crédit est
défini comme la somme des prêts bancaires accordés à des 60
emprunteurs non bancaires et des titres de créance émis par 50
des émetteurs non bancaires (BRI, 2015). 40
30
20
2 Dynamique du crédit international : 10
comparaison entre la crise de 0
la Covid‑19 et les crises antérieures - 10
- 20
Il ressort des LBS de la BRI que les prêts bancaires - 30
transnationaux à des EME pendant la phase initiale de la 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020
pandémie de Covid‑19 ont été beaucoup plus stables que lors Asie-Pacique émergente
de la crise financière de 2008 et de la période de tensions Europe émergente
Amérique latine
affectant les EME en 2015. Les créances transnationales Afrique et Moyen-Orient
des banques sur les EME ont baissé d’environ 30 milliards Toutes économies de marchés émergentes
de dollars seulement (– 1 %) au premier semestre 2020 Notes : Les créances transnationales sur les économies de marché émergentes sont
ajustées des ruptures de séries et des fluctuations des taux de change. Les taux de
(cf. graphique 1a). En comparaison, elles avaient chuté croissance en glissement annuel sont calculés sur la base des variations ajustées des
de 300 milliards de dollars au second semestre 2015 quatre trimestres précédents.
Les zones grisées correspondent aux périodes de crise des marchés financiers : crise
(– 8 %) et durant les six derniers mois de 2008 (– 11 %). financière de 2008, période de tensions affectant les EME en 2015 et pandémie de
Le ralentissement (de + 2 % à – 1 %) du taux de croissance Covid‑19 en 2020.
Source : Banque des règlements internationaux (BRI) – statistiques bancaires
annuel des prêts internationaux aux EME au premier territoriales (locational banking statistics – LBS) par lieu de résidence.
semestre 2020 est également nettement plus modéré que
les ralentissements correspondants observés en 2015 (de
– 1 % à – 9 %) et lors de la crise de 2008 (de + 30 % à 1 La description des LBS et des CBS de la BRI dans cette section est fortement
– 1 % ; cf. graphique 1b). inspirée d’Avdjiev et al. (2018).
20
LES CRÉDITS INTERNATIONAUX OCTROYÉS AUX ÉCONOMIES DE MARCHÉ ÉMERGENTES PENDANT LA CRISE DE LA COVID‑19
pendant la pandémie de Covid‑19
- 20
Les travaux de recherche existants ont identifié plusieurs
facteurs liés à la variation, au niveau des pays, des créances - 40
bancaires transnationales sur les EME pendant la crise de
la Covid‑19 (Hardy et Takats, 2020). Plus concrètement, les
- 60
prêts transnationaux sont restés plus stables pour les EME 20 25 30 35 40 45 50 55 60 65 70
affichant des niveaux plus élevés d’activité économique, des
vulnérabilités financières préexistantes plus modérées et des b) Période de tensions affectant les EME en 2015
mesures de confinement plus strictes. En outre, les prêts ont ( %, axes des abscisses : part des prêts à court terme à fin juin 2015,
axe des ordonnées : variation des créances internationales au S2 2015)
été plus stables pour les EME qui ont eu tendance à emprunter
principalement auprès de systèmes bancaires mieux capitalisés 30
20
10
- 10
- 20 - 10 0 10 20 30
Note : La sélection est effectuée sur la base des vingt plus importantes EME qui sont
des contreparties de créances transnationales à fin juin 2020 : Émirats arabes unis,
Brésil, Chili, Chine, République tchèque, Hongrie, Indonésie, Inde, Corée du Sud,
Mexique, Malaisie Pologne, Qatar, Russie, Arabie saoudite, Thaïlande, Taïwan, Vietnam
et Afrique du Sud.
Source : Banque des règlements internationaux (BRI) – statistiques des taux de change
nominaux et statistiques bancaires territoriales (locational banking statistics – LBS)
par résidence.
LES CRÉDITS INTERNATIONAUX OCTROYÉS AUX ÉCONOMIES DE MARCHÉ ÉMERGENTES PENDANT LA CRISE DE LA COVID‑19
crise sanitaire (cf. graphique 5 ), ce qui a vraisemblablement
40 2
exacerbé les asymétries des devises dans les bilans des
emprunteurs des EME, avec pour corollaire un renforcement
du canal financier des taux de change. 35 1
Aguilar (A.) et Cantú (C.) (2020) Bruno (V.) et Shin (H. S.) (2015b)
« Monetary policy response in emerging market « Capital flows and the risk‑taking channel of monetary
economies : why was it different this time ? », Bulletin de policy », Journal of Monetary Economics, vol. 71,
la Banque des règlements internationaux, n° 32 : p. 119‑132 : https://www.sciencedirect.com/
https://www.bis.org/
Conseil des gouverneurs du Système fédéral de réserve (2020)
Avdjiev (S.), Berger (B.) et Shin (H. S.) (2018) Financial Stability Report, mai : https://www.federalreserve.gov/
« Gauging procyclicality and financial vulnerability in Asia
through the BIS banking and financial statistics », Goel (T.) et Serena (J. M.) (2020)
document de travail de la Banque des règlements « Bonds and syndicated loans during the Covid‑19 crisis :
internationaux, n° 735 : https://www.bis.org/ decoupled again ? », Bulletin de la Banque des règlements
internationaux, n° 29 : https://www.bis.org/
Avdjiev (S.), Bruno (V.), Koch (C.) et Shin (H. S.) (2019a)
« The dollar exchange rate as a global risk factor : evidence Hardy (B.) et Takáts (E.) (2020)
from investment », Economic Review du Fonds monétaire « International banking amidst Covid‑19 : resilience and
international, vol. 67, n° 1, p. 151‑173, février : drivers », Revue trimestrielle de la Banque des règlements
https://link.springer.com/ internationaux, décembre, p. 89‑99 : https://www.bis.org/
Avdjiev (S.), Du (W.), Koch (C.) et Shin (H. S.) (2019b) Hofmann (B.) et Park (T.) (2020)
« The dollar, bank leverage and the deviation from covered « The broad dollar exchange rate as an EME risk factor »,
interest parity », American Economic Review : Insights, Revue trimestrielle de la Banque des règlements
vol. 1, n° 2, p. 193‑208, septembre : internationaux, décembre, p. 13‑26 : https://www.bis.org/
https://www.aeaweb.org/
Hofmann (B.), Shim (I.) et Shin (H. S.) (2019)
Banque des règlements internationaux – BRI (2015) « Bond risk premia and the exchange rate », documents
« Global liquidity indicators : background and de travail de la Banque des règlements internationaux,
interpretation », Revue trimestrielle, mars, p. 20‑21 : n° 775 : https://www.bis.org/
https://www.bis.org/
Shin (H. S.) (2013)
Bruno (V.) et Shin (H. S.) (2015a) « The second phase of global liquidity and its impact
« Cross‑border banking and global liquidity », Review of on emerging economies », allocution lors de la conférence
Economic Studies, vol. 82, n° 2, p. 535‑564 : Asia Economic Policy de la Banque fédérale de réserve de
https://academic.oup.com/ San Francisco, 3‑5 novembre : https://www.frbsf.org/
Linda GOLDBERG
Vice-présidente senior
Banque fédérale de réserve de New York
NB : Les auteurs remercient Jean Boissinot, Justine Pedrono, Dennis Reinhardt, Ursula Vogel et Benjamin Weigert pour leurs commentaires
constructifs sur une version précédente de cet article. Les opinions exprimées dans ce document sont uniquement celles des auteurs et ne
doivent pas être interprétées comme étant celles de la Banque de France, de la Banque fédérale de réserve de New York, du Système fédéral
de réserve, de la Deutsche Bundesbank ou de l’Eurosystème. Toute erreur ou incohérence est imputable aux auteurs.
POLITIQUES MACROPRUDENTIELLES APRÈS LA CRISE LIÉE À LA COVID-19 : RETOMBÉES INTERNATIONALES ET COORDINATION ENTRE PAYS
retombées internationales des mesures macroprudentielles, en se
concentrant sur la transmission par le canal du crédit bancaire et sur
la manière dont celle‑ci varie en fonction des caractéristiques des
organisations bancaires. Face au choc économique quasi universel, les
autorités ont déployé des mesures relativement similaires d’un pays à
l’autre. Toutefois, les rythmes de reprise variables selon les pays et les
secteurs pourraient augurer une normalisation asymétrique. À ce stade,
le débat de longue date sur les retombées internationales des politiques
monétaires et budgétaires et des mesures macroprudentielles, ainsi
que les arguments en faveur d’une coordination de ces mesures,
deviendront d’autant plus pertinents. Dans les régions où elles exercent
leurs activités, les banques internationales peuvent générer des
retombées positives et contribuer à la reprise. Durant la phase de reprise
économique, certaines caractéristiques des banques, notamment
leur capitalisation et le crédit qu’elles fournissent aux emprunteurs,
nécessiteront une attention toute particulière. Les arguments en
faveur de la coordination entre les pays pourraient trouver un accueil
favorable si les retombées internationales affectaient la capacité de
redressement des pays après la crise de la Covid‑19.
30
25
20
POLITIQUES MACROPRUDENTIELLES APRÈS LA CRISE LIÉE À LA COVID-19 : RETOMBÉES INTERNATIONALES ET COORDINATION ENTRE PAYS
15
10
0
Autriche France Allemagne Irlande Italie Pays-Bas Portugal Espagne États-Unis
18
16
14
12
10
8
6
4
2
0
Autriche France Allemagne Irlande Italie Pays-Bas Pologne Portugal Espagne Suède
G3 Assouplissement des instruments de politique macroprudentielle G4 Assouplissement des coussins de fonds propres macroprudentiels
(nombre de pays, données à fin août 2020) (en points de pourcentage)
Jusqu’ici, la crise de la Covid‑19 a essentiellement affecté L’évolution des mesures prudentielles peut influer
l’économie réelle, avec des effets très contrastés selon les sur l’activité de prêt des banques et ses retombées
secteurs. Les marchés de crédit ont continué de fonctionner internationales. Ces retombées peuvent réduire l’efficacité
et les grandes banques internationales ont joué un rôle de mesures nationales lorsque, par exemple, les afflux
particulièrement important. Les risques pour la stabilité de crédits augmentent alors que les autorités tentent
financière sont pour l’instant maîtrisés. de freiner une croissance déjà rapide des crédits au
niveau national. Toutefois, sous certaines conditions, les
Contrairement à la crise financière mondiale de 2008‑2009, effets internationaux induits par l’activité des banques
cette fois‑ci, les flux bancaires internationaux ne se sont internationales peuvent également offrir des opportunités.
pas effondrés. La crise financière mondiale était de nature
exclusivement financière, ayant son origine dans le secteur Supposons que les politiques nécessaires au maintien
financier et affectant relativement plus les économies de la stabilité financière puissent être en conflit avec les
avancées que les marchés émergents. Les réformes du mesures nécessaires au soutien de la reprise économique
système financier qui en ont résulté, comprenant un profond (un scénario qui n’est pas improbable). Pendant la crise liée à
remaniement de la réglementation des fonds propres, de la Covid‑19, les banques ont été incitées à prêter et à réduire
la liquidité et des risques, ont rendu le système financier si nécessaire leurs coussins de fonds propres. Des dispositifs
plus résilient. Grâce aux réformes de la résolution des crises budgétaires de garantie ont été déployés à grande échelle
bancaires, la capacité des autorités à gérer les banques en pour soutenir l’économie réelle, permettant de différer ou
difficulté s’est améliorée. À la suite de ces réformes, les d’atténuer les pertes sur prêts dans les bilans des banques.
banques internationales ont repositionné leurs activités ; Dans la phase de reprise, les régulateurs devront déterminer
les banques mieux capitalisées et les intermédiaires à quel moment il faudra reconstituer les coussins de fonds
financiers non bancaires ont généralement gagné des propres utilisés et jusqu’à quel niveau. En cas de lourdes
parts de marché (FSB, 2019, 2020). Globalement, les pertes sur les crédits, les secteurs bancaires de chaque
banques mieux capitalisées sont des prêteurs plus stables pays pourraient avoir pour priorité de reconstituer leurs
et possèdent une plus grande capacité d’absorption des fonds propres et d’assainir leurs bilans, au risque d’affaiblir
risques (Avdjiev et al., 2020). Ces investissements dans la provisoirement la capacité des banques domestiques à
solidité des banques, l’ampleur mondiale de la crise et les soutenir la croissance et la reprise de l’économie nationale.
mesures massives déployées pour soutenir l’économie réelle,
y compris grâce aux lignes de swap entre banques centrales Les afflux de capitaux internationaux provenant de banques
et aux prêts effectués par l’intermédiaire d’organismes étrangères peuvent en partie compenser la moindre
internationaux, ont eu pour effet de limiter les interruptions capacité des banques domestiques à soutenir la reprise :
brutales des flux de capitaux bancaires initialement redoutées les banques étrangères mieux capitalisées pourraient en
dans la plupart des pays durant la pandémie. effet se substituer aux banques domestiques pour prêter et
contribuer à la reprise dans le pays. Cela pourrait prendre
Les études sur les effets de la crise financière mondiale la forme de prêts entre pays octroyés soit directement à
montrent également que les ajustements aux chocs et les des emprunteurs domestiques, soit via des financements
mesures mises en place peuvent varier considérablement internes à des filiales qui exercent une activité de prêt.
selon les banques et les marchés. À mesure de l’évolution Ces retombées positives pour la croissance sont d’autant
des phases de la pandémie, les autorités macroprudentielles plus fortes que les banques internationales affichent des
devront tenir compte de l’hétérogénéité des banques fonds propres robustes et de la liquidité au bilan. Toutefois,
et des caractéristiques de chaque pays afin de gérer les si un durcissement des exigences de fonds propres venait
risques pesant sur la stabilité financière. Les politiques à assécher les financements en provenance des banques
mises en œuvre auront également des répercussions sur internationales, l’arbitrage au niveau national entre l’objectif
les flux de capitaux entre pays et sur les retombées des économique et l’objectif de stabilité financière deviendrait
mesures prises, par le truchement des banques ainsi que plus difficile.
d’autres intermédiaires financiers. Nous présentons ces
enseignements et étudions les scénarios potentiels de reprise La nature des mesures prudentielles importe également.
asymétrique, en nous concentrant plus particulièrement Supposons que les mesures mises en place ciblent
sur le rôle des banques internationales. les emprunteurs, par exemple en resserrant les ratios
POLITIQUES MACROPRUDENTIELLES APRÈS LA CRISE LIÉE À LA COVID-19 : RETOMBÉES INTERNATIONALES ET COORDINATION ENTRE PAYS
des deux pays, le type de changement a de l’importance :
Comme le montrent ces exemples, les mesures prudentielles par exemple, les banques internationales ont réduit leurs
peuvent avoir des répercussions aussi bien positives que prêts dans les juridictions étrangères qui avaient relevé les
négatives sur les prêts entre pays. Pour évaluer correctement réserves obligatoires locales, alors qu’elles sont restées
ces effets, il y a lieu de tenir compte de l’orientation et relativement indifférentes aux durcissements des ratios
de la nature des instruments prudentiels utilisés et des prêt/valeur ou des ratios de concentration à l’étranger.
caractéristiques des institutions de prêt, ce qui nécessite
des données granulaires sur les instruments utilisés et les L’évolution des instruments prudentiels peut également
banques concernées. entraîner un repositionnement des banques nationales
et internationales sur les marchés. Des études réalisées
Il est bien évidemment impossible aujourd’hui de prédire sur des banques canadiennes, françaises, italiennes
les évolutions macroéconomiques et les mesures qui et néerlandaises confirment un effet induit positif : le
seront appliquées à l’avenir. Pourtant, les enseignements durcissement des instruments prudentiels à l’étranger a
du passé peuvent apporter un éclairage sur les effets généralement conduit les banques à augmenter leurs prêts
potentiels de l’évolution des politiques mises en œuvre. à l’étranger (Bussière, Schmidt et Vinas, 2017 ; Caccavaio,
Le réseau IBRN a coordonné une étude internationale sur Carpinelli et Marinelli, 2017 ; Damar et Mordel, 2017 ; Frost,
les effets des politiques prudentielles véhiculés par les de Haan et van Horen, 2017). Les banques étrangères
banques internationales, à laquelle participent 15 équipes ont ainsi gagné des parts de marché dans les périodes de
nationales et deux équipes transnationales travaillant en durcissement, soit parce qu’elles n’étaient pas directement
étroite coordination afin d’utiliser des données et des concernées par la réglementation plus stricte, soit parce
méthodes comparables. L’étude a utilisé une nouvelle que la réglementation était moins contraignante pour
base de données sur les instruments prudentiels couvrant elles. Les banques bien capitalisées, par exemple, étaient
64 pays et fournissant des données trimestrielles pour la peut‑être prêtes à étendre leur présence internationale
période de 2000 à 2014, prolongée depuis peu à 2018 ; lorsque certains pays ont relevé leurs ratios de fonds
cette base de données est une création conjointe du réseau propres et limité les activités de leurs banques locales.
IBRN, de la Réserve fédérale et du FMI (Cerutti et al., 2017). Le positionnement et les tendances pourraient dépendre en
partie de la structure organisationnelle de l’exposition des
Buch et Goldberg (2017) résument les principales banques internationales d’un pays à des régions étrangères.
conclusions de ces travaux. Selon cet article, les retombées
de la croissance des prêts sont significatives dans un tiers Globalement, ces conclusions semblent indiquer que
des régressions effectuées dans le cadre de 17 études et ne les changements qui seront apportés aux politiques
peuvent donc pas être ignorées. En outre, ces effets varient prudentielles nationales dans les prochaines phases de
selon les instruments prudentiels et selon les banques. Ainsi, la pandémie pourraient entraîner des retombées dont la
comme un durcissement des exigences prudentielles est direction probable dépendra du type d’instrument utilisé,
moins contraignant pour les banques mieux capitalisées, des caractéristiques du secteur bancaire, des types de
celles‑ci ont alors tendance à gagner des parts de marché banques concernées et de l’incidence de l’instrument sur
et à prêter plus que les banques plus fragiles 3 . la capacité de prêt des banques.
POLITIQUES MACROPRUDENTIELLES APRÈS LA CRISE LIÉE À LA COVID-19 : RETOMBÉES INTERNATIONALES ET COORDINATION ENTRE PAYS
problèmes d’action collective peuvent survenir et nécessiter Le secteur bancaire a joué un rôle important durant la
une coordination internationale (Viñals and Nier, 2014). phase initiale de la pandémie, en ce sens qu’il a facilité la
Si l’activité financière et les tensions financières dépassent transmission des politiques budgétaires et monétaires à
les frontières nationales, les problèmes d’action collective l’économie réelle, grâce à l’assouplissement des contraintes
peuvent conduire à des mesures macroprudentielles au bilan imposées par la politique de supervision bancaire.
insuffisantes, d’un point de vue national et mondial. Les mesures prises ont été audacieuses et relativement
Une coordination et une communication appropriée symétriques dans tous les pays. En conséquence, les
des mesures sont nécessaires pour définir des normes banques ont continué à prêter dans leur pays d’origine
minimales communes en matière de résilience 6 ; en outre, et la crise n’a eu qu’un impact limité sur les flux de prêts
des décisions doivent être prises en matière de coordination transfrontières des banques internationales plus solides.
et de réciprocité des mesures au niveau bilatéral, régional
ou multilatéral. À l’avenir, la reprise sera probablement asymétrique
entre les pays et les secteurs, ce qui nécessitera des
Le Comité européen du risque systémique (CERS) fournit mesures macroprudentielles nationales asymétriques.
un exemple de coordination des politiques et de régime À mesure que les faillites d’entreprise causées par la
de réciprocité 7. Tandis que la responsabilité de la politique pandémie se poursuivront, les banques seront de nouveau
macroprudentielle incombe, dans la plupart des cas, aux appelées à jouer un rôle majeur lors de la reprise, alors
autorités macroprudentielles nationales et aux comités qu’elles pourraient dans le même temps faire face à une
de stabilité financière, dans le cas de l’Union bancaire augmentation de leurs pertes sur prêts et à la nécessité
européenne, la BCE détient à la fois un pouvoir de de restructurer leurs portefeuilles de prêts. Les décideurs
coordination et le pouvoir de fixer des exigences plus seront donc confrontés à des choix difficiles lorsqu’il
strictes dont l’adoption est laissée à l’initiative des autorités
nationales. Les règles de réciprocité s’appliquent aux
mesures nationales ; certaines sont obligatoires, d’autres
soumises au principe « se conformer ou s’expliquer ».
Lors de la mise en œuvre de mesures macroprudentielles, 4 Une étude portant sur les limites de concentration, tandis que
banques allemandes montre ainsi que pour les pays d’accueil, ce sont les
les liens financiers entre les économies doivent être pris en plafonnements du ratio prêt/valeur.
l’augmentation des exigences de fonds
compte, dans la mesure où les flux bancaires internationaux propres est susceptible d’atténuer
6 Tous ces éléments pourraient plaider
sont susceptibles de susciter des retombées des politiques l’effet de la politique monétaire
en faveur d’une norme de référence
macroprudentielles sur d’autres pays. Le cadre a été appliqué sur les taux d’intérêt, en modifiant
pour les régimes de stabilité financière ;
les capacités de prêt des banques
à plusieurs mesures macroprudentielles, notamment la or, les régimes visant à préserver la
domestiques (Imbierowicz, Löffler stabilité ne sont pas locaux mais
réglementation des prêts hypothécaires en Belgique, et Vogel, 2021). mondiaux (Cecchetti et Tucker 2015,
en Finlande et en Suède. 5 Comme l’indiquent les statistiques Tucker 2016). Concernant le débat
bancaires internationales de la BRI, sur la coordination internationale
et le rôle des politiques nationales,
Conscient de l’importance de la surveillance et de la la nationalité d’une banque (pays
voir également Rodrik (2019).
d’origine) et les pays dans lesquels elle
coordination des politiques dans le contexte européen,
exerce ses activités (pays d’accueil) 7 En 2015, le Comité européen
le CERS a également établi un cadre de surveillance commun permettent d’établir une distinction du risque systémique a publié une
pour les conséquences des mesures budgétaires nationales entre les politiques des pays d’origine recommandation de cadre relatif à la
sur la stabilité financière 8 . Pendant la première phase de et d’accueil. Avdjiev et al. (2021) réciprocité sur une base volontaire.
constatent que les politiques du Pour des informations plus détaillées,
la pandémie, les leviers budgétaires ont été actionnés de pays d’origine ont plus d’effet sur les voir le site du CERS :
manière hétérogène, reflétant les différences en termes de prêts transfrontières en dollars US https://www.esrb.europa.eu/
besoins des économies nationales, de leur exposition au que les politiques des pays d’accueil.
8 https://www.esrb.europa.eu/
Plus spécifiquement, les résultats
choc lié à la Covid‑19 et de marge de manœuvre budgétaire, home/search/coronavirus/html/index.
indiquent que les principales sources
et peut‑être également une absence de coordination des en.html#item1
de retombées pour les pays d’origine
mesures 9 . À l’avenir, cette hétérogénéité pourrait avoir sont l’exposition interbancaire et les 9 Cf. https://www.esrb.europa.eu/
Avdjiev (S.), Gambacorta (L.), Goldberg (L. S.) Caccavaio (M.), Carpinelli (L.) et Marinelli (G.) (2017)
POLITIQUES MACROPRUDENTIELLES APRÈS LA CRISE LIÉE À LA COVID-19 : RETOMBÉES INTERNATIONALES ET COORDINATION ENTRE PAYS
et Schiaffi (S.) (2020) « International banking and cross‑border effects of
« The shifting drivers of global liquidity », Journal of regulation : lessons from Italy », International Journal of
International Economics, vol. 125, juillet : Central Banking, vol. 13, n° 2, mars, p. 223‑247 :
https://www.sciencedirect.com/ https://www.ijcb.org
Avdjiev (S.), Hardy (B.), McGuire (P.) et von Peter (G.) (2021) Cecchetti (S. G.) et Tucker (P.) (2016)
« Home sweet host : a cross‑country perspective on « Is there macroprudential policy without international
prudential and monetary policy spillovers through global cooperation ? », Document de travail du CEPR,
banks », Review of International Economics, vol. 29, n° 1, n° DP11042, janvier : https://cepr.org/
février, p. 20‑36 : https://onlinelibrary.wiley.com/
Cerutti (E.), Correa (R.), Fiorentino (E.) et Segalla (E.) (2017)
Berrospide (J.), Correa (R.), Goldberg (L. S.) « Changes in prudential policy instruments – a new cross –
et Niepmann (F.) (2017) country database », International Journal of Central
« International banking and cross‑border effects of Banking, vol. 13, n° 2, mars, p. 477‑503 :
regulation : lessons from the United States », International https://www.ijcb.org/
Journal of Central Banking, vol. 13, n° 2, mars,
p. 435‑476 : https://www.ijcb.org/ Conseil de stabilité financière – CSF (2019)
« Evaluation of the effects of financial regulatory reforms
Buch (C. M. ) et Goldberg (L. S.) (2017) on small and medium‑sized enterprise (SME) financing » :
« Cross‑border prudential policy spillovers : how much ? https://www.fsb.org/
How important ? Evidence from the International Banking
Research Network », International Journal of Central CSF (2020)
Banking, vol. 13, n° 2, mars, p. 505‑558 : https://www.ijcb.org/ « Evaluation of the effects of too‑big‑to‑fail reforms » :
https://www.fsb.org/
Bussière (M.), Cao (J.), de Haan (J.), Hills (R.), Lloyd (S.),
Meunier (M.), Pedrono (J.), Reinhardt (R.), Sinha (S.), Damar (H. E.) et Mordel (A.) (2017)
Sowerbutts (R.) et Styrin (K.) (2020a) « International banking and cross‑border effects of
« The interaction between macroprudential policy and regulation : lessons from Canada », International Journal
monetary policy : overview », document de travail de la of Central Banking, vol. 13, n° 2, mars, p. 35‑46 :
Banque d’Angleterre, n° 886 : https://www.bankofengland.co.uk/ https://www.ijcb.org/
Bussière (M.), Hills (R.), Lloyd (S.), Meunier (B.), Pedrono (J.), Fonds monétaire international, CSF et
Reinhardt (D.) et Sowerbutts (R.) (2020b) Banque des règlements internationaux (2016)
« Le Pont de Londres : interactions between monetary and « Elements of effective macroprudential policies – lessons
prudential policies in cross‑border lending », document de from international experience » : https://www.imf.org/
travail de la Banque d’Angleterre, n° 850 :
https://www.bankofengland.co.uk/ Frost (J.), de Haan (J.) et van Horen (N.) (2017)
« International banking and cross‑border effects of
Bussière (M.), Schmidt (J.) et Vinas (F.) (2017) regulation : lessons from the Netherlands », International
« International banking and cross‑border effects of Journal of Central Banking, vol. 13, n° 2, mars :
regulation : lessons from France », International Journal of https://www.ijcb.org/
Central Banking, vol. 13, n° 2, mars, p. 163‑193 :
https://www.ijcb.org/
Liu (E.), Niepmann (F.) et Schmidt‑Eisenlohr (T.) (2021) Tucker (P.) (2016)
« The effect of U.S. stress tests on monetary policy « The design and governance of financial stability regimes
spillovers to emerging markets », Review of International common‑resource problem that challenges technical
Economics, vol. 29, n° 1, février, p. 165‑194 : know‑how, democratic accountability and international
https://onlinelibrary.wiley.com/ coordination », Essays on International Finance, vol. 3,
CIGI – Centre for International Governance Innovation,
Nier (E.) et Olafsson (T. T.) (2020) septembre : https://www.cigionline.org/
« Main operational aspects for macroprudential policy
relaxation », International Monetary Fund Special Series on Viñals (J.) et Nier (E.) (2014)
COVID‑19, 10 septembre : https://www.imf.org/ « Collective action problems in macroprudential policy and
the need for international coordination », Financial
Norring (A.) (2019) Stability Review, Banque de France, n° 18, avril, p. 39‑46 :
« Macroprudential policy spillovers and international https://publications.banque-france.fr/
banking – taking the gravity approach » ESRB – European
Systemic Risk Board Working Paper Series, n° 101,
septembre : https://www.esrb.europa.eu/
ÉTUDES PUBLIÉES
implications politiques et juridiques
Trading à haute fréquence, géographie et courbure de la Terre
Les progrès vers la stabilité financière : notre bien commun, à préserver et à consolider
Dix ans après : remédier aux failles à l’origine de la crise financière mondiale
Plus solides que jamais ? Évaluation de l’incidence de la réglementation
sur la résilience des banques huit ans après la crise
Mesurer l’impact de Bâle III
L’impact de la réglementation financière : le point de vue des établissements bancaires d’importance systémique
La santé des banques après une crise
La mise en oeuvre d’un cadre de résolution efficace dans l’Union bancaire :
les leçons à tirer de la crise et les défis à relever
Bâtir un secteur financier solide
Les régulateurs bancaires nationaux et supranationaux, entre interventions tardives et incohérence temporelle
Compensation centrale : en exploiter les avantages, en maîtriser les risques
Évaluation du risque systémique des contreparties centrales
après la réforme du marché des dérivés de gré à gré
Les chambres de compensation et la transformation des risques financiers
L’incidence des réformes financières d’après-crise sur la liquidité de marché
Une perspective de stabilité pour le financement de marché : concevoir de nouveaux instruments prudentiels ?
Mesures macroprudentielles et contrôle des capitaux : vers un dispositif d’évaluation des politiques
ÉTUDES PUBLIÉES
Directeur de la publication
Gilles Vaysset
Comité éditorial
Emmanuelle Assouan
Valère Fourel
Julien Idier
Dominique Rougès
Aurore Schilte
Edouard Vidon
Réalisation
Studio Création
Direction de la Communication
Impression
Banque de France – SG - DISG
Dépôt légal
Mars 2021
ISSN 1637‑4681
Internet
https://publications.banque-france.fr