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LA PENSÉE POLITIQUE DE PROTAGORAS

Author(s): Aldo Brancacci


Source: Revue de Philosophie Ancienne , 2012, Vol. 30, No. 1 (2012), pp. 59-85
Published by: EURORGAN s.p.r.l. - Éditions OUSIA

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/24358800

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Résumé

Dans
LAcet article, POLITIQUE
PENSEE je me propose DE
de reconstruire
PROTAGORAS le cadre général de la
pensée politique protagoréenne et de dégager ses conditions de possi
bilité à partir d'une analyse du mythe et des déclarations exposées dans
le Protagoras. J'essaierai de montrer que la conception protagoréenne
est axée sur les notions de loi et de citoyen d'une part, et sur la relation
que le sophiste d'Abdère établit entre loi et nature de l'autre. Protago
ras est le premier penseur dans l'histoire de la philosophie grecque qui
est en mesure de distinguer le niveau du social (marquant la deuxième
phase du développement de la vie humaine) et le niveau du politique
(marquant la troisième phase, représentée par la fondation de la cité).
Dans ce cadre, j'établirai un parallélisme entre la conception protago
réenne et le concept kantien d'« insociable sociabilité ». J'articulerai
enfin cette conception à la définition du sophiste qu'offre Protagoras
dans le Théétète, en vue de mettre en évidence le rôle directif du
sophiste par rapport au démos et son intervention active dans le pro
cessus de constitution de la loi, et d'éclaircir ainsi son rapport à la dé
mocratie athénienne.

Abstract

In this article, I propose to reconstruct the général framework of the


Protagorean political thought, and to highlight its conditions of possi
bility starting from an analysis of the myth and théories presented in
Plato's Protagoras. I will try to show that the Protagorean conception
is focused on the notions of law and citizen on the one hand, and on the
particular relationship that the sophist of Abdera situâtes between
nature and law on the other hand. Protagoras is the first thinker who
demonstrates to be capable of distinguishing between sociality and po
litics : the break that the third stage of the development of human life
introduces compared to the second is precisely due to the emergence of
the political level with respect to the pure and simple notion of socia
lity. In this context I will also set up a parallel between Protagoras and

REVUE DE PHILOSOPHIE ANCIENNE, XXX (1), 2012

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Kant's conception which is fo


sociability ». Finally, I will artic
ras with the définition of the sop
order to highlight the leading rôl
in the process of the constitution
between the Protagorean concep

La sophistique s'étend sur un


politique d'Athènes1. Durant ce
tiques connaissent des variat
d'orientations et de choix que l'
première et ceux de la seconde g
parallèle, comme l'a bien vu Ma
sage du régime démocratique é
cale de Cléon et d'Hyperbole. Il
tisme intellectuel et la médiocr
celle-ci exprimait ne pouvaient
ment novateur et audacieusement rationaliste comme le fut le mouve
ment sophistique. Et le contraire est également vrai : il suffit de penser
au réquisitoire de Cléon contre les intellectuels au pouvoir, contre ceux
qui veulent être, dit-il chez Thucydide3, σοφώτεροι των νόμων, où il
propose, en revanche, une sorte d'adhésion acritique à la loi, la seule
capable de sauver le sort de la cité ; ou bien à la représentation d'Any
tos dans le Ménon de Platon, qui nous frappe par la violente attaque
que celui-ci dirige contre les sophistes4. Néanmoins, en dépit du fait

1 Sur cette période, voir C. Mossé, Histoire d'une démocratie : Athènes des
origines à la conquête macédonienne, Paris, Seuil, 1971 ; F. Schachermayr,
Perikles, Stuttgart, W. Kohlhammer Verlag, 1969, trad. ital. Pericle, Roma,
Salerno, 1985 ; J.K. Davies, Democracy and Classical Greece, Cambridge
(Mass.), Harvard University Press, 19932 ; C. Mossé, Une Histoire du monde
antique, Paris, Larousse, 2008.
2 M. Isnardi Parente, « Il pensiero politico greco dalle origini alla sofisti
ca», dans Storia delle idee politiche, diretta da L. Firpo, vol. 1, L'Antichità
classica, Torino.UTET, 1982, p. 163-4.
3 Cf. Thucydide III 37,4.
4 Cf. Platon, Ménon 91c2-6 ; 92a7-b3.

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que certains sophistes, tels que Critias par exemple, iront jusqu'à
renier la démocratie, la Sophistique demeure fille de celle-ci5. Il est
sans doute vrai que les sophistes sont liés sous plusieurs points de vue
à la tradition culturelle et philosophique qui les précède6, et que l'acti
vité de certains d'entre eux a des rapports significatifs avec des centres
d'activité panhelléniques tels que Delphes7 ; il n'en reste pas moins
que leur relation avec la démocratie est une relation essentielle.
Tout d'abord, l'écho que rencontrait le mouvement sophistique,
dans les conditions de communication qui caractérisaient la cité démo
cratique, était bien supérieur aux possibilités qu'avait la philosophie
antérieure de se faire connaître. D'autre part, l'atmosphère de débat
public auquel le régime d'assemblée populaire a habitué les esprits,
explique aussi bien la genèse du principe de la relativité de toute affir
mation de vérité que l'opposition des raisonnements doubles (δισσοι
λόγοι) et que le principe de la validité et efficacité du discours « plus
fort », celui qui s'impose sur les autres parce qu'il est capable de pré
valoir et de persuader : ce sont là des formules qui sont toutes étroite
ment liées à la réalité de l'assemblée démocratique, qu'il s'agisse de

5 Sur le rapport entre sophistique et démocratie, voir M. Untersteiner, 7


sofisti, Seconda edizione riveduta e notevolmente ampliata con un'Appendice
su Le origini sociali délia Sofistica, 2 vol., Milano, Lampugnani Nigri, 1967,
en part. vol. II, p. 189-232 ; K.R. Popper, The Open Society and its Enemies, I,
The Spell of Platο, London, Routledge, 1945 ; J. Martin, « Zur Entstehung der
Sophistik », Saeculum, 27, 1976, p. 143-64 ; M. Isnardi Parente, Sofistica e
democrazia antica, Firenze, Sansoni, 1977 ; R. Muller, « Sophistique et démo
cratie », dans B. Cassin (éd.), Positions de la sophistique, Paris, Vrin, 1986, p.
179-93 ; J. de Romilly, Les grands sophistes dans l'Athènes de Périclès, Paris,
Editions de Fallois, 1988 ; K.F. Hoffmann, Das Recht im Denken der Sophis
tik, Stuttgart/Leipzig, Teubner, 1997.
6 Voir la Selbstdarstellung de Protagoras dans le dialogue de Platon qui
porte son nom, et, sur ce texte, A. Brancacci, « Protagora e la techne sophis
tike. Plat. Prot. 316d-317c », Elenchos, 23,2002, p. 11-32.
7 Cf. H. Tell, « Sages at the games : Intellectual displays and dissémination
of wisdom in ancient Greece », Classical Antiquity, 26,2007, p. 249-75, repris
dans H. Tell, Plato's Counterfait Sophists, Cambridge (Mass.), Harvard
University Press, 2011.

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62 Aldo Brancacci

l'assemblée délibérative politi


tout, la démocratie, dans la me
libres le principe de la parti
publiques, au nom de la capacité
revalorise le citoyen (πολίτης)
nance à telle ou telle faction de
les prémisses de ce phénomène
concepts politiques qui pour
sophistes.
La rationalisation de la structure de la cité qu'effectue la démocra
tie à la fin du VIe siècle est une autre source importante du rationalisme
sophistique8. Le nivellement et la redistribution forcée des citoyens
dans la πόλις dus à Clisthène sont, à bien y regarder, la prémisse
nécessaire d'une pensée politique ayant une véritable portée théorique,
d'une pensée qui vise l'abstraction et la généralisation de ses concepts
opératoires et qui est délivrée de toute contamination avec les groupes
et les situations particulières ainsi que des formules politiques et des
enjeux de pure et simple portée pratique9. D'autre part, dans la mesure
où la Sophistique se donne pour but la formation d'un homme capable

8 Sur la réforme démocratique de Clisthène, voir J.A.O. Larsen, Cleis


thenes and the Development of the Theory of Democracy at Athens, dans
Essays in Political Theory presented to G.H. Sabine, New York/Ithaca, Cornell
University Press, 1948, p. 1-16 ; V. Ehrenberg, « Origins of Democracy »,
Historia, 1,1950, p. 515-48 ; P. Lévêque et P. Vidal-Naquet, Clisthène l'Athé
nien. Essai sur la représentation de l'espace et du temps dans la pensée poli
tique grecque de la fin du VIeme siècle à la mort de Platon, Paris, Les Belles
Lettres, 1964 ; 2ème éd. Paris, Macula, 1983, trad. angl. Cleisthenes the Athe
nian : An Essay on the Representation of Space and Time in Greek Political
Thought from the End of the Sixth Century to the Death ofPlato, New Jersey,
Humanities Press, 1996 ; D. Kagan, Pericles of Athens and the Birth of Demo
cracy, New York, The Free Press, 1991 (réimpr. 1998) ; S. Parton, Cleisthenes,
Founder of Athenian Democracy, New York, The Rosen Publishing Group,
2004 ; H. Aird, Pericles : The Rise and Fall of Athenian Democracy, New
York, The Rosen Publishing Group, 2004.
9 Cf. M. Isnardi Parente, « Il pensiero politico greco dalle origini alla
Sofistica », art. cit., p. 164.

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d'agir et opérer dans le cadre de la πόλις démocratique, elle se trouve


tenue de fournir une définition rigoureuse de la notion de citoyen, et,
en même temps, de procurer une analyse accomplie des structures du
pouvoir. Dans ce cadre, la notion de loi est une notion essentielle, qui
toutefois n'est intelligible qu'à la lumière de l'antithèse plus complexe
entre nomos et phusis10.
D'où mes objectifs dans cet article : je me propose de reconstruire le
cadre général de la pensée politique protagoréenne et de dégager ses
conditions de possibilité à partir d'une analyse du mythe et des concep
tions exposées dans le Protagoras de Platon ; j'essaierai ensuite de
montrer que celle-ci est axée sur les notions de loi et de citoyen, d'une
part, et sur la relation que le sophiste d'Abdère établit entre loi et
nature de l'autre ; j'articulerai enfin cette conception à la définition du
sophiste qu'offre Protagoras dans le Théétète, en vue de saisir l'élément
spécifique de sa conception et d'éclaircir son rapport à la démocratie.
Les intérêts politiques de Protagoras sont attestés par bon nombre
de témoignages. Le sophiste d'Abdère fut l'auteur d'un écrit Sur l'État
(Περί πολιτείας), qui manifeste son intérêt pour la constitution de
l'ordre politique de la cité, mais dont aucun fragment ne nous est par
venu11. Il faut ajouter que Protagoras semble avoir abordé l'analyse du

10 Sur le concept de nomos, et sur l'antithèse nomos-phusis, outre la littéra


ture générale sur la sophistique, voir V. Ehrenberg, « Anfänge des grieschi
schen Naturrechts », Archiv flir Geschichte der Philosophie, 35,1923, p. 119
43 ; F. Heinimann, Nomos und Physis. Herkunft und Bedeutung einer Anti
these im griechischen Denken des V Jahrhunderts, Basel, Reinhardt, 1945 ; M.
Pohlenz, « Nomos », Philologus, 97, 1948, p. 135-42 ; Id., « Nomos und
Physis », Hermes, 81,1953, p. 418-38 ; M. Gigante, Nomos Basileus, Napoli,
Glaux, 1956, réimpr. Napoli, Bibliopolis, 1993 ; HJ. Johann, « Hippias von
Elis und der Physis-Nomos Gedanke », Phronesis, 18, 1973, p. 15-25 ; M.
Isnardi Parente, « Egualitarismo democratico nella Sofistica ? », Rivista criti
ca di storia della filosofia, 30, 1975, p. 3-26 : J. de Romilly, La Loi dans la
pensée grecque. Des origines à Aristote, Paris, Les Belles Lettres, 2001.
11 Cf. Diogène Laërce IX 55 (= 80 A 1 DK). Sur le contenu de cet écrit, il
faut rappeler l'hypothèse de E. Maas, « Zur Geschichte der griechischen
Prosa », Hermes, 22,1887, p. 566-95, ici p. 566-81, qui perçoit une influence de

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64 Aldo Brancacci

concept de
δίκη dans les Antil
témoignage d'Aristoxène et Favo
du moins, son début, se retrouv
publique de Platon12. On sait aus
porte son nom, Protagoras expo
nité qui est aussi un mythe de f
ciée. Je crois, comme la plupart
sentiel de ce mythe est protagor
de l'écrit de Protagoras Sur la co
καταστάσεως)13. Cet écrit est u
geschichte sophistique, dont on c
du Ve et le début du IVe siècle,
Petit système du monde de Démo

Protagoras sur le débat entre Otanès,


la meilleure forme de gouvernement
selon laquelle Hérodote s'inspire d'un
reprise par d'autres savants, sans que
plus qu'une hypothèse vraisemblab
détaillées, voir M. Untersteiner, I sofis
12 Cf. Diogène Laërce III 37 (= 80
Favorinus, fr. 55 Barigazzi).
13 Pour cette dérivation, et en géné
ce passage, cf. e.g. M. Untersteiner, I
je renvoie pour d'autres indications
Sophists, Cambridge, Cambridge Un
64, note 1) ; G.B. Kerferd, The Soph
University Press, 1981, p. 142-5 ; C
Edition,Oxford, Clarendon Press, 1
nies par F.
Ildefonse dans Platon. P
dite par F.I.,
Paris, Flammarion, 199
Protagoras. Truth and Relativism
Boulder/New York/Oxford, Lexing
Protagoras and Logos. A Study in
Edition, Columbia, University of S
l'écrit de Protagoras mentionné, cf
14 Sur le Petit système du monde,

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LA PENSÉE POLITIQUE DE PROTAGORAS 65

Avant d'aborder l'examen de ce passage, il est bon de préciser que


le mythe du Protagoras est exposé par le sophiste en réponse à la ques
tion, formulée par Socrate, si la vertu peut s'enseigner ou non. Prota
goras croit que oui, et demande préalablement aux auditeurs présents
s'ils préfèrent qu'il le montre en racontant un mythe ou en exposant
ses idées au moyen d'un discours15. Cela montre que pour Protagoras
mythe et logos sont convertibles, en ce sens que le contenu du premier
pourrait très bien être exprimé par le second : le mythe n'est rien
d'autre, dans ce cas, qu'une forme d'expression plus aisée et fleurie
d'une thèse philosophique, qu'il nous faudra reconstruire, sans devoir
nécessairement prendre au pied de la lettre les images mythiques dont
se sert Protagoras pour expliquer sa conception.
Le mythe décrit l'histoire de la civilisation comme un passage gra
duel de l'état de nature à la constitution de la cité. L'expression et la
réalisation progressive de la nature primaire de l'homme s'effectuent
et se perfectionnent sur le plan du nomos. Celui-ci toutefois trouve son
fondement dans la phusis : pour Protagoras, phusis et nomos ne
s'opposent pas de manière radicale, ils constituent plutôt les deux mo
ments distincts mais complémentaires d'un processus qui, à travers des
ruptures et des discontinuités, parvient à réaliser pleinement la nature
de l'homme. La première partie du mythe ne nous concerne pas direc
tement ici. Il est nécessaire toutefois de rappeler que, après avoir décrit

sière dans un rayon de soleil, Paris, Vrin, 2002, p. 267-74 ; sur le Sisyphe, pour
lequel il existe aussi une attribution concurrentielle à Euripide, que je consi
dère moins probable, voir M. Centanni, Atene assoluta. Crizia dalla tragedia
alla storia, Padova, Esedra, 1997, p. 137-59 ; U. Bultrighini, Maledetta demo
crazia : Studi su Crizia, Alessandria, Edizioni dell'Orso, 1999, p. 223-50 ;
H. Schölten, Die Sophistik. Eine Bedrohung für die Religion und Politik der
Polis ?, Berlin, Akademie Verlag, 2003, p. 238-57. Cf. également M. Unter
steiner, l sofisti, op. cit., vol. II, p. 481-90 ; W.K.C. Guthrie, The Sophists, op.
cit., p. 303 ; G.B. Kerferd, The Sophistic Movement, op. cit., p. 141,148,171.
Pour d'autres documents de ce genre littéraire, je renvoie à A. Ciriaci, L'ano
nimo di Giamblico. Saggio critico e analisi deiframmenti, Napoli, Bibliopolis,
2011,p. 157-8,note 187.
15 Platon, Protagoras 320c2-4.

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66 Aldo Brancacci

la génération des races mortelles


et de tout ce qui se mêle à ces él
dieux assignent à Epiméthée la f
destinées aux espèces et à Promét
tion. Or Epiméthée dépensa toute
Aussi Prométhée, voyant la faib
l'homme, fit don à l'homme d
d'Héphaïstos et d'Athéna ainsi qu
l'humanité est donc définie pa
signalent une différence radic
celles-ci sont pourvues d'un cert
siques qui leur permettent de su
pèce mais, en même temps, les r
sont pas poussées à sortir ; pour
δυνάμεις par rapport à la nature
manque de développement. La
« nu, sans chaussures, sans couv
άνυπόδητον καΐ άστρωτον κα'
et à développer ses dispositions
de l'acquisition du savoir techniq
thique, est présenté comme un d
à la possession de la σοφία περί
πολιτική σοφία, que l'homme ne
L'εντεχνος σοφία met en mo
l'homme d'une dépendance exc
de la vie : elle est le moteur, s
ment, qui cependant n'est pas
σοφία permet l'acquisition des r
pacité d'en faire un usage approp
le principe divin (του θεοΰ) expl
seul des êtres vivants à reconnaît

16 Ce passage n'est évidemment p


de Protagoras, dont témoigne le fr
agnostique, et même un athée, peuv

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LA PENSÉE POLITIQUE DE PROTAGORAS 67

c'est l'art qui, ensuite, permettra l'articulation du langage (et proba


blement aussi de la voix chantée), l'exploitation de la terre, l'inven
tion de la nourriture et des vêtements, la construction des habita
tions17. Ce processus correspond à l'expression de la sociabilité de
l'homme, mais celle-ci comprend en elle-même un degré structurel
d'antagonisme. Kant dira que le moyen dont la nature se sert pour
produire le développement de toutes les dispositions de l'homme est
précisément l'antagonisme de ses dispositions naturelles au sein
d'une société : en ce sens, pour Kant, cet antagonisme devient enfin la
cause d'un ordre régulier18. Il est légitime de placer Protagoras à l'ori
gine de cette position intellectuelle, sur la base d'un passage impor
tant du Protagoras où est représenté ce premier stade du développe
ment de l'humanité :

trice de la religion, et l'exemple de Critias, athée, et lucidement pragmatiste


sur le plan politique, le confirme : cf. Sextus Empiricus, Contre les mathémati
ciens IX 54 (= 88 Β 25 DK). Il est en outre à remarquer que Protagoras con
fine l'action positive de la croyance aux dieux à la phase pré-politique du dé
veloppement de l'humanité.
17 Platon, Protagoras 322a3-8 : « Puisque l'homme avait sa part du lot
divin, il fut tout d'abord, du fait de sa parenté avec le principe divin, le seul de
tous les vivants à reconnaître l'existence des dieux, et il entreprit d'ériger des
autels et des statues de dieux ; ensuite, grâce à l'art, il ne tarda pas à articuler
les sons de la voix (φωνήν) et les mots (ονόματα), il inventa les habitations,
les vêtements, les chaussures, les couvertures et les aliments tirés de la terre ».
Le mot φωνή désigne la voix en général, et pourrait comprendre tant la voix
parlée que la voix chantée (voir Aristoxène, Elementa Harmonica I 8-10),
alors que le langage semble être plus précisément indiqué par le terme
ονόματα.
18 I. Kant, « Idee zu einer allgemeinen Geschichte in weltbürgerlicher
Absicht », Berlinische Monatschrift, 4, 1794, p. 385-411, repris dans I. Kant,
Gesammelte Schriften, Abt. I : Werke, Bd 8 : Abhandlungen nach 1781, Nach
dr. d. Ausg. 1912/1923, Berlin/New York, de Gruyter, 1969, p. 17-31. Sur la
conception kantienne de l'histoire et sur l'Idée en particulier voir infra note 21,
ainsi que M. Mori, La pace e la ragione. Kant e le relazioni internazionali :
diritto, politica, storia, Bologna, il Mulino, 2008.

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68 Aldo Brancacci

Ainsi équipés, les hommes vivaien


pas de cités ; ils succombaient do
car ils étaient en tout plus faible
constituait une aide suffisante po
insuffisant dans la guerre qu'ils m
effet, ils ne possédaient pas en
guerre est une partie. Aussi cher
rer leur sauvegarde en fondant
étaient rassemblés, ils se compor
envers les autres, parce qu'ils n
sorte que, toujours, il se dispersai

Ce passage démontre avant to


penseur dans l'histoire de la pen
claire la distinction entre socialit
demier comme aboutissement
comme nous le verrons mieux pl
Protagoras, ne se confond pas av
ciabilité qui s'exprime déjà à l'au
fisant ni à se stabiliser, ni à fond
tinct de sociabilité apparaît déte
vie, car c'est ce demier qui pouss
ment, à rechercher des formes

19 Platon, Protagoras 322a8-b8


άρχάς άνθρωποι ωκουν σποράδην
ύπό των θηρίων διά το παντοχή
δημιουργική τέχνη αύτοίς προς
τον τών θηρίων πόλεμον ένδεής -
μέρος πολεμική -, έζήτουν δή ά
πόλεις· οτ' ούν άθροισθείεν, ήδί
πολιτικήν τέχνην, ώστε πάλιν σκ
tion de passages du Protagoras, j
(Platon. Protagoras, Présentation, tra
Paris, Flammarion, 1997), et pour
Théétète, Traduction inédite, introd
marion, 1994).

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LA PENSÉE POLITIQUE DE PROTAGORAS 69

fonder des villes. Celles-ci cependant ne sont pas encore des cités, à
savoir de véritables communautés politiques, dont le fondement serait
le respect de la justice, car les hommes sont encore dépourvus de la
τέχνη πολιτική. Le passage de la deuxième à la troisième phase du dé
veloppement de la vie humaine est donc le passage du niveau du so
cial, avec ses deux tendances intrinsèques d'agrégation et de désagré
gation, au niveau du politique, dont l'avènement est marqué par l'ins
tauration d'une série bien précise de catégories et d'institutions norma
tives qui règlent et minimisent le danger de la désagrégation20.
L'homme a donc pour Protagoras une inclination à s'associer avec
d'autres hommes, et la nature elle-même le pousse dans cette direction,
mais en même temps il a aussi une tendance à se séparer des autres,
une tendance qui ressort clairement de ses actions, décelant un antago
nisme structurel. En termes kantiens, nous pourrions dire que ces
textes du Protagoras platonicien manifestent 1'« insociable sociabi
lité » (gesellige Ungeselligkeit) des hommes21, à savoir leur tendance à
se réunir en société, jointe toutefois à une forme de résistance, laquelle
menace continuellement de diviser et briser le groupe social. Cepen

20 Pour ne pas avoir vu cette distinction, qui est une distinction d'ordre
théorique, certains commentateurs se sont égarés face au passage de la deuxiè
me phase à la troisième phase du développement de la vie humaine, et l'ont
jugé incompréhensible. Cf. e.g. G.B. Kerferd, The Sophistic Movement, op.
cit., p. 142-5, qui, pour sortir de cette prétendue impasse, pense qu'il faut
prendre au pied de la lettre la donation par Zeus aux hommes du respect et de
la justice, ce qui est évidemment insoutenable. Kerferd, en outre, ne voit pas
que, dans la deuxième phase, il n'y a pas un état de pur isolement des hommes,
mais, comme on l'a montré, une dialectique entre instinct d'agrégation et ins
tinct de désagrégation, et que, pour Protagoras, le niveau de la socialité a en
lui-même cette double tendance.

21 Cf. à ce propos A. Philonenko, La théorie kantienne de l'histoire, Paris,


Vrin, 1986 ; Y. Yovel, Kant and the Philosophy ofHistory, Princeton, Prince
ton University Press, 1980 ; K. Weyand, Kants Geschichtsphilosophie, Köln,
Kölner Universitätsverlag, 1964 ; P. Kleingeld, Fortschritt und Vernunft : Zur
Geschichtsphilosophie Kant, Würzburg, Königshausen & Neumann, 1995 ; et
voir supra, note 18.

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70 Aldo Brancacci

dant, cette tendance séparat


révèle positive, car elle manif
aux hommes la nécessité de cr
mettent fin à cet état confli
conservation de leur vie. C'est là le sens de la donation aux hommes de
la part de Zeus, par l'intermédiaire d'Hermès, des deux vertus poli
tiques fondamentales, le respect et la justice. La nature humaine, selon
Protagoras, se réalise et se précise selon une ligne de développement
où l'élément de continuité se construit également à travers les discon
tinuités des différentes phases de la vie des hommes, qui part d'une
condition originaire pour parvenir à l'état que nous appellerions
aujourd'hui historique de la vie elle-même. Cela montre que le nomos
ne représente pas une négation de la phusis ou une menace pour
celle-ci, comme ce sera le cas pour les sophistes de la deuxième géné
ration, et qu'il n'est au fond qu'une sorte de seconde nature incarnée
dans la vie qualifiée politiquement, de même que la phusis est dès le
début entièrement désacralisée et n'indique finalement que ce stade où
la vie est dominée par les instincts fondamentaux de l'homme, ins
tincts qui sont aussi bien sociaux qu'antagonistiques.
L'accomplissement de ce développement, la solution positive du
contraste entre sociabilité et insociabilité, entre mouvement de rassem
blement et mouvement de séparation et destruction réciproque, est
représenté par l'acquisition de la conscience de la nécessité du respect
(αιδώς) et de la justice (δίκη), que Protagoras, s'adressant à Socrate et
à ses auditeurs « comme un vieillard qui parle à des jeunes gens » (ώς
πρεσβύτερος νεωτέροις, 320c3), et qui expose donc sa conception
sous la forme « plus agréable » (χαριέστερον) d'un mythe (320c6-7),
figure à l'aide de l'intervention des figures divines :

Aussi Zeus, de peur que notre espèce n'en vînt à périr tout entière,
envoie Hermès apporter à l'humanité le respect et la justice, pour
qu'existent les ordres constitutifs des cités et les liens d'amitié qui
rassemblent les hommes. Hermès demande alors à Zeus de quelle
façon il doit faire don aux hommes du respect et de la justice :
« Dois-je les répartir de la manière dont les arts l'ont été ? Leur ré
partition a été opérée comme suit : un seul homme qui possède l'art

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LA PENSÉE POLITIQUE DE PROTAGORAS 71

de la médecine suffit pour un grand nombre de profanes, et il en est


de même pour les autres artisans. Dois-je répartir ainsi la justice et le
respect entre les hommes, ou dois-je les répartir entre tous ? » Zeus
répondit : « Répartis-les entre tous, et que tous y prennent part : car il
ne pourrait y avoir de cités, si seul un petit nombre d'hommes y pre
naient part, comme c'est le cas pour les autres arts ».22

Il est à remarquer que l'acquisition du respect et de la justice sert


justement à conjurer le danger de l'extinction des hommes, qui, sans
cela, périraient sous les coups des bêtes sauvages et à cause de leur
propre inimitié et agressivité mutuelles. Il faut donc penser l'acquisi
tion des vertus politiques comme le point d'arrivée d'un long proces
sus où ont joué un rôle important tant la sociabilité que l'insociabilité
des hommes23. D'autre part, le respect et la justice permettent la cons
titution des principes ordinateurs (κόσμοι) ainsi que de ces liens
d'amitié et de solidarité (δεσμοί φιλίας συναγωγοί) qui sont à la
base de la cité et fondent l'ordre du politique. Le postulat démocra
tique de Protagoras est représenté par l'admission que tous les hommes
possèdent ces vertus et que tous en participent, bien que par la suite il

22 Platon, Protagoras 322cl-d4 : Ζευς ούν δείσας περί τώ γένει ήμών μή


άπόλοιτο πάν, Έρμήν πέμπει άγοντα εις άνθρώπους αίδώ τε και δίκην,
ιν' είεν πόλεων κόσμοι τε καΐ δεσμοί φιλίας συναγωγοί. έρωτα οϋν
Ερμής Δία τίνα ούν τρόπον δοίη δίκην και αίδώ άνθρώποις· "πότερον
ώς αί τέχναι νενέμηται, ούτω και ταύτας νείμω; νενέμηνται δέ ωδε· εις
εχων ίατρικήν πολλοίς ικανός ίδιώταις, και οί άλλοι δημιουργοί· και
δίκην δη και αιδώ ούτω θώ έν τοίς άνθρώποις, ή έπΐ πάντας νείμω;" "έπι
πάντας", εφη ό Ζευς, "καί πάντες μετεχόντων, ού γαρ αν γένοιντο
πόλεις, εί ολίγοι αύτών μετέχοιεν ώσπερ άλλων τεχνών
23 Au moins à partir de 322a3, c'est-à-dire à partir de le seconde moitié du
récit qu'expose Protagoras, le texte est riche en indications chronologiques et
temporelles, qui montrent que ce qui est ici décrit est bien un processus qui a
eu lieu dans le temps : cf. e.g. « il fut tout d'abord... » (322a3), « ensuite... »
(322a5), « il ne tarda pas à... » (322a6), « les hommes vivaient à l'origine... »
(322a8-bl), « ils succombaient donc... » (322b 1-2), « ils cherchaient bien sûr à
se rassembler... » (322b2), « mais, à chaque fois qu'ils étaient rassemblés, ils
se comportaient... » (322b6-7).

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72 Aldo Brancacci

apparaîtra que tous n'en participe


de Protagoras que les hommes ont
importante : l'Abdéritain ne veut
fait, mais il vise autre chose. Ce q
c'est, me semble-t-il, que la cit
respect et de justice, puisque la c
acteur par rapport aux individus
ment. Protagoras veut en outre qu
à préserver ces vertus, qui dès lo
elles fonctionnent comme sa con
constitue, avec le couple des deux
deuxième condition de possibil
première loi, la loi originaire, qu
Zeus, d'après l'exposé mythique,
dans ses termes, doit être tué, «
se montre incapable de prendre p
mouvement d'exclusion érigé en
que celle-ci demeure à tout mome

24 Je ne suis pas d'accord avec certa


hung der Sophistik, op. cit. p. 146 ; M
Frankfurt a. Main/Bern, Lang, 1983,
ment, op. cit., p. 143, selon lesquels c
démocratie puisqu'il parle seulement d
de la chose publique, mais non d'une
contraire, comme on le verra, Prota
tous à la délibération politique ; ce qu
chaque homme aux vertus politiques
dire que Protagoras aurait affirmé l'i
mais ils ont décidément tort de rappr
nicienne d'une élite dirigeante ; l'idée
mune, mais la théorisation platonicien
des options politico-philosophiques to
base de la position de Protagoras.
25 Protagoras 322d4-5 : τον μή δυν
κτείνειν ώς νόσον πόλεως.

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LA PENSÉE POLITIQUE DE PROTAGORAS 73

tion, qui est inhérent à la nature humaine : et la première fonction de la


loi est celle de conjurer ce danger. Quelques lignes plus loin, Protago
ras renforcera la dose. Bien que son propos soit de démontrer que tous
les hommes pensent réellement que chaque homme participe à la jus
tice comme à toute autre vertu politique, il fonde son argumentation
sur la négation de la croyance commune en la proposition contraire. Il
fait intervenir alors une notion-limite, celle de folie : ne serait qu'un
fou celui qui, ne prenant pas part à la justice, étant donc un injuste, ne
nierait pas de l'être. Dire la vérité en ce cas serait preuve manifeste de
folie ; il s'ensuit que « tous les hommes doivent affirmer qu'ils sont
justes, qu'ils le soient réellement ou non, et que celui qui ne fait pas au
moins semblant d'être juste est un fou : tant il est nécessaire qu'un
homme, quel qu'il soit, prenne part à la justice, d'une manière ou
d'une autre, sous peine de ne pas figurer au nombre des hommes »26.
La sophistique d'Antiphon et la seconde génération sophistique déve
lopperont ce thème, qui est celui du mensonge et de la fiction
qu'impose la loi27 ; mais, chez Protagoras, ce thème a une autre fonc

26 Protagoras 323b6-c2 : πάντας δεΐν φάναι είναι δικαίους, έάντε ώσιν


έάντε μή, ή μαίνεσθαι τον μή προσποιούμενον [δικαιοσύνην]· ώς
άναγκαίον ούδένα οντιν' ούχι άμως γέ πως μετεχειν αύτής, η μή είναι έν
άνθρώποις. Cf. C.C.W. Taylor, Plato. Protagoras, op. cit., p. 82, qui, à propos
de ce passage, remarque : « The qualification 'to some extent or other' is
important. Just as Protagoras does not say that everyone is equally just or
selfrestrained [...], and allows that some pretty despicable characters neverthe
less display those qualities to that minimal extent which allows them to live as
members of the Community (323b, 327d), so he should not be taken as main
taining that everyone is equally wise, but rather as allowing that some pretty
stupid people nevertheless meet the minimum standard of wisdom necessary
for membership of the Community ».
27 Cf. Oxyrh. Pap. XV 120 (Pap. 1797) (= 87 Β 44 DK), et 17 Antipho*
1 -2 De Veritate, dans Corpus dei papiri filosofici greci e latini, Parte I, Vol. 1 *,
Firenze, Olschki, 1989, p. 176-222. Sur Antiphon, je renvoie à la synthèse de
M. Narcy, « Antiphon d'Athènes », dans R. Goulet (éd.), Dictionnaire des
philosophes antiques, Paris, CNRS Editions, 1969, vol. I, p. 225-44, où l'on
trouvera aussi une riche bibliographie ; voir aussi A. Hourcade, Antiphon
d'Athènes : une pensée de l'individu, Bruxelles, Ousia, 2001 ; G.J. Pendrick,

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74 Aldo Brancacci

tion : établir que citoyen et h


celui qui n'est pas en mesure
rappelons qu'être citoyen sig
respect - ne peut être compri
Que l'homme et le citoyen do
et c'est le moins qu'on puisse
cette identification est à la fo
phusis : elle est une possibil
nomos peut réaliser parce que
de la cité et la fondation d
d'autre part, comme on l'a vu
qui rejette au dehors de l'hum
sentiment de respect : cette
politique, qui s'instaure avec
propre à la pensée politique d
donc déjà présent chez Protag
saire et légitime parce qu'il e
tile de rappeler qu'une autre
par exemple par le Thrasymaq
définira le nomos comme un
plus fort, comme un geste de
dernière analyse, qu'un acte d
citoyen » signifiera pour Prot

Antiphon the Sophist. The Fra


Press, 2002 ; G. Romeyer-Dherb
28 Sur le Thrasymaque de Plat
trine of Thrasymachus in Plato
1947, p. 19-27, repris dans J. C
Buchgesellschaft, 1976, p. 545-6
of Justice in Plato's Republic
Guthrie, The Sophists, op. cit.,
Vegetti (a cura di), Piatone. La R
p. 233-56 ; M. Bonazzi, « Thras
antique, 8,2008, p. 61-84.

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LA PENSÉE POLITIQUE DE PROTAGORAS 75

facto, à la norme de civilité qu'impose la vie en commun : le nomos


fonctionne évidemment aussi comme une contrainte, mais il s'agit
d'une contrainte civilisatrice, qui protège la cité.
Pour Protagoras, la cité est le sommet qu'atteint la civilisation
humaine dans son développement graduel et n'est pas une négation de
la phusis : il faut remarquer à ce propos que le sophiste se réfère
expressément et constamment, dans son discours, à Athènes, donc à la
cité démocratique ; d'autre part le nomos, dans lequel se réalise au plus
haut degré l'œuvre de l'art politique, constitue le renforcement et le
couronnement de la phusis elle-même. Dans ce cadre, le statut du
citoyen est défini par la capacité, propre à chaque homme, d'être σύμ
βουλος, conseiller politique, sur des questions d'ordre général concer
nant la vertu politique au sein de l'assemblée, chose qui exige toujours
sagesse et justice. En revanche, lorsque la discussion porte sur l'excel
lence en matière d'architecture ou dans n'importe quel autre métier, les
Athéniens comme tous les autres hommes admettent l'intervention des

techniciens, car ces questions requièrent des compétences spécifiques :


c'est un point important, qui manifeste l'attention de Protagoras à la
nécessité d'un haut niveau du personnel technique impliqué dans la
gestion de la cité.
La loi règle et marque tous les moments significatifs de la vie poli
tique et Protagoras lui assigne également une claire fonction civilisa
trice et éducatrice. Cela ressort aussi bien de sa théorie de la peine -
qui a la fonction de « dissuader le coupable, ou quiconque aura assisté
au châtiment, de commettre une nouvelle injustice » (324b3-5), ce qui
revient à dire que la peine sera donnée « en vue de l'avenir » (του
μέλλοντος χάριν) et « pour dissuader » (άποτροπής ενεκα)29 - que
de la position éminente qu'il assigne à la loi, en en faisant le point
d'arrivée du processus éducatif. En effet, la cité contraint (άναγκάζει)

29 Cf. Platon, Protagoras 324a6-cl. Sur la théorie de la peine chez Prota


goras, je renvoie à T.J. Saunders, « Protagoras and Plato on punishment », dans
G.B. Kerferd (éd.), The Sophists and their Legacy, Wiesbaden, Steiner, 1981,
Hermes. Einzelschriften, Heft 44, p. 129-41, ainsi qu'à mon article « Dialettica
e orthoepeia in Protagora », Méthexis, 23,2010, p. 53-71.

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76 Aldo Brancacci

les jeunes gens, une fois que


maîtres sera terminé, « à appren
à leur modèle » (τους τε νόμο
ζην κατά παράδειγμα). C'est à

exactement comme les maîtres d


tracé des lettres pour les enfant
leur remettent la tablette et
l'esquisse des lettres, la cité tra
couvertes des bons législateurs d
mande ou qu'il soit commandé,
celui qui s'en écarte, et ce châ
ailleurs, porte le nom de redress

La fonction de la loi n'est pa


l'apprentissage de l'écriture, des
elle se place à un plus haut nive
fonction éducatrice ne vaut p
tique, mais, selon les mots mêm

30 Platon, Protagoras 326c6-el


λαγώσιν, ή πόλις αύ τους τε ν
τούτους ζην κατά παράδειγμα,
άλλ' άτεχνώς ώσπερ οί γραμμα
παίδων ύπογράψαντες γραμμά
δόασιν και άναγκάζουσι γράφε
δέ και ή πόλις νόμους ύπογράψ
ευρήματα, κατά τούτους άναγκ
έκτος βαίνη τούτων, κολάζει· κα
και άλλοθι πολλαχοΰ, ώς εύθυν
31 Je me permets de renvoyer po
e la musica C », Studi Urbinati di
dans A. Brancacci, Musica e filo
Firenze, Olschki, 2008, p. 21-33. S
outre E. Moutsopoulos, La Musique
Ie éd. 1959, p. 92-3,175-6,193-4.

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LA PENSEE POLITIQUE DE PROTAGORAS 77

cipe universel qu'on peut trouver respecté partout. Une fois mis au
clair que la vertu politique peut s'enseigner έξ επιμελείας (323c6-7),
et que tous les principes que les Athéniens appliquent dans la vie poli
tique comme dans leur vie commune confirment ce point, Protagoras
tire en effet une conclusion plus générale. Il explique qu'au sein de la
cité démocratique, de même qu'il n'y a pas un seul διδάσκαλος του
έλληνίζειν, mais que tous sont maîtres de grec, de même tous les
citoyens sont maîtres de vertu, dans la mesure de leurs possibilités
(327el-2). Cette conception, pour laquelle c'est la cité dans son
ensemble qui assure la paideia de tous, trouve un parallèle dans les
paroles de Périclès chez Thucydide, là où l'homme d'État affirme
orgueilleusement que la cité tout entière d'Athènes est un exemple
d'éducation pour la Grèce32. On peut également faire remarquer que
Protagoras souligne dès le début de sa présentation que son « ensei
gnement porte sur la manière de bien délibérer dans les affaires pri
vées, savoir comment administrer au mieux sa propre maison, ainsi
que dans les affaires de la cité, savoir comment devenir le plus à même
de les traiter, en actes comme en paroles »33. La formation assurée par
Protagoras vise l'excellence et la parfaite réussite, comme l'indique
aussi l'usage des superlatifs : d'une part, il s'agit de devenir maître de
sa propre vie d'homme particulier, de la gérer άριστα ; d'autre part, il
s'agit de devenir un citoyen accompli, un homme qui soit au plus haut
degré capable (δυνατότατος) de traiter les affaires de la cité, donc
aussi de guider (excellence dans la parole : λέγειν) et d'être chef
(excellence dans l'action : πράττειν). C'est l'idéal qui chez Thucydide
correspond à la capacité de προστάττειν34. Encore une fois, la posi
tion de Périclès est identique, qui affirme que les citoyens d'Athènes

32 Thucydide II 41, 1 : λέγω την τε πάσαν πόλιν της Ελλάδος


παίδευσιν είναι [...].
33 Platon, Protagoras 318e5-319a2 : τό δε μάθημα έστιν ευβουλία περί
τών οικείων, οπως αν άριστα την του αύτοΰ οίκίαν διοικοί, και περί των
της πόλεως, οπως τά της πόλεως δυνατότατος άν εϊη και πράττειν καί
λέγειν.
34 Cf. Thucydide VIII 89,3-4.

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78 Aldo Brancacci

manifestent le même intérêt po


que pour le soin à dédier aux af
individu éduqué à Athènes est c
les activités les plus diverses
rentre dans l'opposition de l'i
tiate : Yethos propre à Sparte
blique, alors que Yethos athénie
d'expression de ses capacités, la
sorte d'école de capacités direct
les devoirs de la vie publique, m
Pour Protagoras, au sommet d
fusé qu'assure la vie au sein de l
en mesure de diriger un tel pro
ticuliers de type encyclopéd
Hippias par exemple, grâce à se
tent de faire progresser les ho
faire de chacun d'eux un homm
précisément celle qui permet de
dans le Protagoras à la concep
tagoras du Théétète :

Car, je l'affirme, même ces dern


plantes, à la place de sensation
manque de vigueur, des sensati
que les savants et bons rhéteurs
qui leur est bénéfique, au lieu de

35 Thucydide II 41,1 : [...] και κ


άνδρα παρ' ήμών έπΐ πλείστ' α
εύτραπέλως τό σώμα αϋταρκες
αύτοίς οικείων άμα καί πολιτικώ
36 Cf. Platon, Protagoras 328a8-b3
διαφέρει ήμών προβιβάσαι είς ά
είναι, καί διαφερόντως αν τών ά
καί άγαθόν γενέσθαι [...]. Pour la
318el-4.

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LA PENSÉE POLITIQUE DE PROTAGORAS 79

en effet, qui à chaque cité semblent justes et belles lui sont telles tant
qu'elle le décrète ; mais le savant, c'est celui qui, au lieu de pénible,
chaque fois qu'un de leurs décrets l'est pour eux, le fait être et paraître
bénéfique.37

Cette formulation nous restitue le point le plus hardi du processus


de rationalisation et de laïcisation qui marque, à l'âge de la sophis
tique, la notion de nomos. Celui-ci ne se présente plus comme un ordre
fixe, constitué une fois pour toutes ou considéré comme éternellement
valable, mais la loi n'est rien d'autre, comme nous l'avait déjà appris
le Protagoras, que la décision prise chaque fois par la cité, et le décret
que celle-ci décrète. A partir de cette vision, que Protagoras présente
constamment comme la conception en vigueur à Athènes, le sophiste
d'Abdère formule sa conception personnelle de la loi, en l'intégrant à
sa conception du sophiste. En effet, la décision prise par l'assemblée
populaire doit, pour être parfaitement raisonnable, pour devenir « dis
cours fort », être dirigée par l'homme qui est capable de transmettre la
paideia, comme le médecin est capable de promouvoir la santé des
hommes, ou le bon agriculteur de rétablir la vigueur des plantes. Aux
termes de cette conception, la loi est la décision qui jaillit de la convic
tion qu'engendre le discours sophistique dans le démos. La différence
que cette conception de la démocratie introduit par rapport à la praxis
politique démocratique à Athènes est subtile mais évidente : « Athe

37 Platon, Théétète 167b8-c4 : φημί γάρ και τούτους τοις φυτοϊς άντι
πονερών αισθήσεων, οταν τι αύτών ασθενή, χρηστάς και ύγιεινάς
αισθήσεις τε καΐ εξεις έμποιείν, τούς δέ γε σοφούς τε και άγαθούς
ρήτορας ταίς πόλεσι τά χρηστά άντι των πονερών δίκαια δοκείν είναι
ποιεΐν. έπει οίά γ' αν έκαστη πόλει δίκαια και καλά δοκή, ταύτα και είναι
αύτη εως αν αύτά νομίζη· άλλ' ό σοφός άντι πονηρών όντων αύτοίς
έκάστων χρηστά έποίησεν είναι και δοκείν. Je crois, comme beaucoup
d'autres savants, que ce passage restitue un élément de la pensée du Protagoras
historique : cf. e.g.G. Vlastos (ed.), Ρ lato, Protagoras, Jowett's Translation Re
vised by M. Ostwald, Indianapolis/New York, Bobbs/Merrill, 1956, p. XX
XXIV ; W.K.C. Guthrie, The Sophists, op. cit., p. 256 ; M. Isnardi Parente, « Il
pensiero politico greco dalle origini alla Sofïstica », art. cit., p. 168-9.

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80 Aldo Brancacci

nian political culture was based


certain knowledge, and on the a
lated into practical reality throu
niveau plus complexe que théor
comme l'opinion saine et efficac
vue rationnel et orienté vers le
à exprimer de la façon la plus c
modifiant profondément les op
santes de celui-ci. Je crois que n
à celui de ήττων λόγος à κρείττ
la pensée de Protagoras. Ce pass
est plus utile et plus bénéfique
tagoras, comme le bon médecin
transmettre. Il est bon de précis
en contradiction avec la thèse m
gnoséologique, à savoir que les o
être distinguées quant à leur
homme est toujours vrai ce qui p
et l'expérimente dans sa propre
doivent cependant être disting
conforment ou non à un critère
applique cette distinction égalem
loi, en soutenant que la fonction
ment celle de faire passer la cit
faibles et pénibles à l'état où el
bénéfiques39.

38 Cf. J. Ober, « Thucydides' cri


R.M. Rosen et J. Farrell (éd.), No
Martin Ostwald, Ann Arbor, Univ
82-3. Sur la notion de 'démocratie
goras and the Challenge of Relati
Ashgate,2007,p. 129-31.
39 Je m'abstiens d'utiliser, pour r
du nomos, le texte du De Legibus
ce concept que M. Untersteiner, «

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LA PENSÉE POLITIQUE DE PROTAGORAS 81

Cette conception du Théétète précise et justifie, sur le plan de la


définition de la loi, un point qui ressortait déjà du Protagoras. Le
sophiste d'Abdère n'a jamais dit que tous les hommes participent à
égale mesure à la vertu politique ; il affirmait au contraire qu'il y a des
différences parmi eux et qu'il existe des hommes, parmi lesquels le
sophiste, qui sont supérieurs aux autres par leurs capacités dans ce
domaine et dans d'autres ; d'où la position directrice du sophiste dans
la cité, et son intervention décisive dans le processus de l'éducation,
qui est à la fois éducation morale et politique :

de même, à mon avis, que si tu cherchais qui pourrait enseigner aux


fils de nos artisans précisément le métier que leur père leur a bel et
bien appris (dans la mesure où leur père et les amis de leur père qui
pratiquent le même métier en étaient capables) ;[...] il en va de même
pour la vertu et pour tout le reste ; mais qu'il existe un homme qui nous
soit supérieur un tant soit peu pour nous faire progresser sur le chemin
de la vertu, nous devons être satisfaits. Pour ma part je pense être un de
ces hommes et pouvoir, plus que personne, rendre à quelqu'un le ser
vice d'en faire un homme de bien f..]40

dossografico », Rivista di filologia e di istruzione classica, 71-73,1944-1945,


p. 442-58, repris dans M. Untersteiner, Scritti minori. Studi di letteratura e
filosofia greca, Brescia, Paideia, 1971, p. 373-87, a attribué à Protagoras. Sans
exclure qu'il y ait des résonances sophistiques, et même protagoréennes, dans
ce texte, il me semble que son attribution à Protagoras demeure encore incer
taine. Voir aussi A. Schmekel, Die Philosophie der mittleren Stoa, Berlin,
Weidmann, 1882, p. 51-3, 56-7 et 60-1, qui pense que Cicéron combat la
conception de la justice de Carnéade, et G. Galbiati, De Fontibus M. Tullii
Ciceronis Librorum qui Manserunt de Re Publica et de Legibus Quaestiones,
Milano, Hoepli, 1916, p. 386-89, qui parvient à la même conclusion. Bien sûr,
des résonances protagoréennes chez Carnéade sont possibles : cf. O. Gigon,
« Il libro 'Sugli dèi' di Protagora », Rivista di storia délia filosofia, 40,1985, p.
419-48, ici 438-44.
40 Platon, Protagoras 328al-b2 : οΰδέ γ' αν οίμαι ει ζητοίς τίς αν ήμΐν
διδάξειεν τους των χειροτεχνών ύείς αύτήν την τέχνην ήν ό πατήρ και οί
τοΐ> πατρός φίλοι οντες ομότεχνοι [...] οΰτω δέ άρετής και των άλλων
πάντων· άλλά καν εί ολίγον εστίν τις όστις διαφέρει ήμων προβιβάσαι

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82 Aldo Brancacci

Par rapport à l'ancienne concep


politique-législateur, déjà présen
propre au VIe siècle, du législa
s'impose maintenant la nouvelle
teur comme maître d'opinions d
nous le rappelle Diogène Laërce4
rer la législation de Thourioi, co
nique, en réalité impérialiste, pa
commentateurs aient cru que la c
ment démocratique42, en ce sen
Thourioi la même constitutio
Athènes, il est plus probable, à m
un modèle athénien un droit cou
dionale, un droit et un usage do
abstraction dans son œuvre de lé
l'opinion de ces savants qui ont
législation qui comprenait des él
que des analogies avec des lois de

εις άρετήν, άγαπητόν, ων δή έγώ


των άλλων ανθρώπων όνήοαί τινα
[...]. Cf. aussi 327e 1-2 : « parce que t
la mqsure de ses possibilités (καθ' ο
41 Cf. Diogène Laërce IX 50 (= 8
Abdère, comme le dit Héraclide du P
aussi qu'il a rédigé la législation d
témoignage, voir M. Untersteiner, S
Firenze, La Nuova Italia, 1961, 2e éd.
42 Cf. A. Menzel, « Protagoras al
Hellenika. Gesammelte kleine Schri
66-82 ; V. Ehrenberg, Anfänge des g
J. Kaerst, Geschichte des Hellenismu
(réimpr. Darmstadt 1968), vol. I, p.
43 Cf. Ε. Ciaceri, Storia della Magn
Albrighi Segati & Co., 1924-1932,
danke und Staatslehre der Griechen,

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LA PENSÉE POLITIQUE DE PROTAGORAS 83

d'après le Protagoras, les dispositions à la πολιτική άρετή sont pré


sentes en chaque homme, ce qui correspond parfaitement à une
conception démocratique de la politique, il demeure que cette vertu
n'est pas efficace d'une manière automatique44 et qu'elle doit être
stimulée d'une part par la cité dans son fonctionnement global, mais
aussi et surtout par des individus qui incarnent au plus haut degré l'art
politique. Cela est en accord avec le sens profond du mythe de Prota
goras, selon lequel l'homme n'est pas doué par nature de la vertu
politique, il est seulement doué de la disposition à l'acquérir. Il existe
certains modes de comportement, qui sont aussi des agrégations et des
sédimentations d'expériences - le respect et la justice, ainsi que la
compréhension de leur nécessité - que l'humanité dans son ensemble
aurait produit au cours de son histoire, et qui sont, eux, la condition
pour développer la vertu politique. Ces dispositions sont à la fois une
possession potentielle et le fruit d'un enseignement qu'on apprend à
travers tout un processus d'éducation qui se réalise par de multiples
moyens, à partir de l'éducation dans la famille et de l'instruction
scolaire jusqu'à l'éducation par les lois et, finalement, à l'œuvre du
sophiste. Ceci explique parfaitement la différences des issues person
nelles : tous les hommes possèdent le même titre à participer à la
délibération politique, mais tous ne sont pas qualifiés au même ni

De Sanctis, Storia dei Greci dalle origini alla fine del secolo V, Firenze, La
Nuova Italia, 1939, vol. II, p. 242 ; W. Nestle, Vom Mythos zum Logos. Die
Selbstentfaltung des griechischen Denkens von Homer bis auf die Sophistik
und Sokrates, Stuttgart, Kröner, 1940 (réimpr. Aalen, Scientia, 1986) p. 265.
Pour une analyse du passage de Diodore de Sicile, concernant la législation de
Thourioi, cf. I. Lana, Protagora, Torino, Tipografia torinese, 1950, p. 59-61, et
M. Untersteiner, I sofisti, op. cit., vol. I, p. 18-9.
44 Cf. Platon, Protagoras 323c3-8 : « Voilà ce que j'ai à dire sur le fait que
les Athéniens acceptent, ce qui est tout à fait normal, le conseil de n'importe
quel homme en matière de vertu politique, dans la mesure où ils considèrent
que chacun y a part ; quant au fait qu'à leurs yeux cette vertu politique n'est
pas naturelle ni ne survient au petit bonheur, mais qu'elle s'enseigne et
n'advient à un homme que par l'exercice, voilà ce que je vais essayer de te dé
montrer à présent [...] ».

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84 Aldo Brancacci

veau45. Ce n'est évidemment pas


passage du Protagoras où le sop
fait de la démocratie à Athène
πολίται, il ne parle jamais de dém
μελέτη et l'idée selon laquelle
διδαχή sont nécessaires pour pa
tique46 n'appartiennent pas à la t
cratique.
Toujours est-il que la théorisation de la démocratie par Protagoras,
dans la mesure où elle va de pair avec la reconnaissance, explicite dans
le Protagoras, qu'il existe des individus - parmi lesquels le sophiste -
qui sont supérieurs aux hommes du commun, qui sont capables de les
faire progresser sur le chemin de la vertu et même de les rendre
hommes de bien, préfigure assez clairement une théorie des élites,
comme d'ailleurs le confirme la définition du sophos et toute la pré
sentation du sophiste que nous offre le Théétète, et comme il arrivera
souvent dans les conceptions modernes de la démocratie. Il est égale
ment certain que, à ce niveau, l'individualité du citoyen, comme la

45 Cela est d'autant plus vrai que Protagoras admet des différences de
richesse parmi les citoyens ; il admet même qu'ils participent plus ou moins de
l'éducation scolaire, comme le prouve un passage du Protagoras : « Ceux qui
ont le plus de moyens procèdent ainsi, et ce sont les plus riches qui ont le plus
de mpyens ; et leurs fils, qui vont à l'école depuis leur plus jeune âge, sont
également ceux qui la quittent plus tard » (326c3-6). Comme le rappelle G.B.
Kerferd, The Sophistic Movement, op. cit., p. 145, ce texte a été utilisé pour
prouver que selon Protagoras « there should be a corps d'élite able to serve the
State in positions of trust, such as the ten strategoi at Athens, or to be wise and
persuasive advisers on matters affecting law and morality ». Ce qui est certain,
c'est que la différence de qualification personnelle des citoyens est parfaite
ment admise par l'Abdéritain.
46 Cf. Platon, Protagoras 323d6-7, et voir J. Mewaldt, Fundament des
Staates, Stuttgart, Kohlhammer, 1929, p. 8. Pour l'importance de la μελέτη,
voir Stob. III 29, 80 (= 80 Β 10 DK) : « Protagoras disait que l'art n'est rien
sans l'exercice et que l'exercice n'est rien sans l'art ». Pour la valeur de la
διδασκαλία, cf. Anecd. Pr. I 171,32 (= 80 Β 3 DK) : « L'enseignement a
besoin de disposition naturelle et d'exercice ».

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LA PENSÉE POLITIQUE DE PROTAGORAS 85

souveraineté du démos, entrent dans un jeu dialectique avec l'instance


directrice incarnée par le sophiste : ce qui semble être également une
sorte de transposition et de justification théoriques de cette démocratie
dirigée par un membre éclairé de l'aristocratie que fut le régime de
Périclès et que Thucydide définit comme un gouvernement (άρχή)
dirigé par un πρώτος άνήρ47.

Aldo Brancacci

Università di Roma Tor Vergata

47 Cf. Thucydide II65,9. Cf. II 65,8 : Périclès contrôlait le peuple de ma


nière compatible avec la liberté, mais il n'était pas plus guidé par lui qu'il ne le
guidait.

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