Mise au point
Épilepsie et pharmacorésistance
Epilepsy and pharmacoresistance
# C. Marchal*
POINTS FORTS
R
etenue par la conférence de consensus à propos des
épilepsies partielles (1), la pharmacorésistance s’applique
à l’ensemble des épilepsies. Il s’agit de “la persistance de
Plus de 30 % des épilepsies sont pharmacorésistantes, crises de nature épileptique certaine, suffisamment fréquentes
avec des conséquences psychosociales et médico-écono- ou invalidantes chez un patient compliant suivant depuis au
miques majeures. moins deux ans un traitement antiépileptique correctement
Il faut d’abord éliminer les pseudo-résistances, liées aux prescrit, c’est-à-dire l’utilisation préalable en monothérapie
erreurs de diagnostic ou de traitement, à une observance séquentielle d’au moins deux médicaments majeurs de profils
imparfaite, aux aggravations imputables au traitement. pharmacologiques différents, et d’au moins une association de
Les principaux facteurs de risque sont l’âge de début, la deux médicaments pendant une durée suffisante pour permettre
durée de la maladie, la réponse au premier traitement, le d’en apprécier l’efficacité”.
type de syndrome et l’étiologie de l’épilepsie. Cette définition peut être nuancée, en particulier chez le jeune
Les mécanismes impliquent des anomalies innées ou acquises enfant, devant une épilepsie “catastrophique”, rapidement respon-
des systèmes de transport ou de métabolisme et des cibles des sable de troubles cognitifs et/ou d’une régression psychomotrice ;
anticonvulsivants. La pharmacogénétique pourra peut-être il n’est évidemment pas question dans ce cas d’attendre deux
permettre de prédire la survenue d’une pharmacorésistance. ans d’échecs thérapeutiques.
La prise en charge repose sur le traitement, mais aussi sur
des mesures d’accompagnement psychosocial.
L’IMPORTANCE DU PROBLÈME
Mots-clés : Épilepsie - Pharmacorésistance - Pharmaco-
génétique - Transporteurs multidrogues - Prise en charge.
Sur le plan numérique, tout d’abord : les études de suivi à long
terme de patients épileptiques font état d’une pharmacorésis-
tance dans 33 % [chez l’enfant] (2) à 37 % (3) des cas. Au sein
SUMMARY des populations recrutées dans des centres spécialisés, cette
proportion augmente, passant à 46 % (4), voire à 55 % (5).
Les conséquences cliniques de la pharmacorésistance ne sont
Pharmacoresistance is defined by the persistence of true epileptic pas nulles : la mortalité de ces patients est de 2 à 10 fois celle de
seizures after 2 years of an adequate drug therapy, despite a good la population générale, à quoi il faut ajouter les conséquences
compliance. More than 30% of epileptic patients are concerned. psychosociales (dépression, anxiété, difficultés d’insertion
Clinical prognostic factors are multiple, among them many scolaire et professionnelle, perturbations de la vie familiale).
seizures before therapy, poor response to initial treatment, early Parmi les causes de mortalité, il faut individualiser les morts
onset of epilepsy, and type of syndrome or etiology. Suspected subites, ou SUDEP, dont l’incidence augmente avec la gravité de
cellular mechanisms of pharmacoresistance include the increase l’épilepsie, pour atteindre 1 % chez les candidats à une chirurgie
of the multidrug transporters function in the brain, leading de l’épilepsie (6).
to low concentration of antiepileptic drugs, and a change in Enfin, le coût de l’épilepsie pharmacorésistante est élevé : dans
the properties of the drug targets, reducing drug sensitivity. l’étude de Begley et al. (7), menée aux États-Unis, les patients
The identification of genetic polymorphisms predicting a drug stabilisés (67,4 % de la population étudiée) ne représentent que
pharmacoresistance is under study. Management of refractory 14,4 % des coûts directs et indirects liés à l’épilepsie, tandis que
patients include surgical treatment and therapeutic trials, but les 8,7 % de patients chez qui persistent des crises fréquentes
also psychosocial measures. sont à l’origine de 58,5 % des coûts. Au total, le coût de l’épi-
lepsie par patient a été évalué à 4 272 dollars pour une personne
Keywords: Refractory epilepsy – Pharmacogenomic – stabilisée, contre 138 602 dollars pour un patient continuant à
Cellular mecanisms – Molecular mecanisms – Prognosis. subir des crises fréquentes. La majorité des surcoûts provient
des coûts indirects, liés à la mortalité, aux arrêts de travail et
* Département de neurologie, CHRU Pellegrin-Tripode, Bordeaux. au défaut d’emploi.
Mise au point
FACTEURS DE PSEUDO-RÉSISTANCE QUAND DOIT-ON PARLER
DE PHARMACORÉSISTANCE ?
Avant de parler de pharmacorésistance, il faut s’assurer d’un
certain nombre de facteurs, qu’il peut d’ailleurs être utile de Autrement dit, à quels critères se référer en termes de fréquence
vérifier tout au long de l’évolution de la situation d’un patient. des crises et de durée de la maladie ? Il n’y a pas de consensus dans
Le diagnostic d’épilepsie est-il certain, et les autres types de la littérature, certains retenant comme critère plus de quatre crises
malaises brefs ont-ils été éliminés – en particulier les syncopes dans l’année, d’autres toute crise quelle qu’en soit la fréquence.
vagales et les syncopes d’origine cardiaque, par troubles du D’autres encore distinguent les patients difficiles à contrôler des
rythme ou de la conduction ? patients pharmacorésistants, même si, en définitive, certains
Les crises qui persistent sont-elles bien de nature épileptique, facteurs de risque leur sont communs (5). En réalité, l’évolution de
et ne s’agit-il pas de crises névropathiques ? La plupart des ques- l’épilepsie est loin d’être univoque : crises, traitement, rémission,
tions qui se posent autour du diagnostic et de la nature des crises ou bien crises, traitement, pharmacorésistance, et encore faut-il
peuvent être résolues par un enregistrement vidéo-EEG. introduire des distinctions dans ce groupe de patients pharma-
Le traitement prescrit est-il adapté au syndrome épileptique, corésistants. Des études de population (7) différencient :
et n’a-t-il pas pu aggraver l’épilepsie ? les patients stabilisés qui rechutent à l’arrêt du traitement (9,5 %) ;
La dose choisie est-elle adéquate, suffisante, et suffisamment les patients dont la rémission est retardée (7,8 %) ;
répartie au cours de la journée (dans le cas des rares molé- les patients chez qui persistent des crises rares (6,6 %) ;
cules à demi-vie courte) ? N’y a-t-il pas d’interaction avec un les patients chez qui persistent des crises fréquentes (8,7 %) ;
autre traitement, et les taux sériques ont-ils été vérifiés ? D’un les patients en institution (0,1 %).
autre côté, jusqu’à quel point faut-il augmenter les doses d’anti- On retrouve des parcours tout aussi différents dans l’évolution
convulsivants ? Peu de crises résistent à un coma barbiturique, à long terme (37 ans en moyenne) d’enfants épileptiques (2) : si
mais celui-ci peut difficilement être considéré comme un traite- 31 % sont en rémission d’emblée, parmi ceux-ci, seuls 16 % ne
ment satisfaisant au long cours. La limite habituellement admise rechuteront jamais, tandis que d’autres rechutent puis sont à
est celle de l’apparition d’effets secondaires plus que la fourchette nouveau stabilisés, et que les derniers rechutent et continuent
dite “thérapeutique” des taux sériques. à présenter des crises. Même chose pour les 50 % qui rentrent
L’observance du traitement est-elle satisfaisante ? Un tiers en rémission de façon retardée, tandis que 19 % seulement sont
environ des patients porteurs d’une maladie chronique ne d’emblée pharmacorésistants et le restent (figure 1).
prend pas correctement son traitement, voire ne le prend pas Enfin, dans l’histoire de sujets candidats à une chirurgie de l’épi-
du tout. On peut rapprocher du problème de l’observance celui lepsie, on retrouve une rémission de plus de 5 ans dans 8,5 % des
de l’hygiène de vie, en particulier le manque de sommeil, la cas (8). Il existe donc probablement des modes évolutifs variables
prise d’alcool ou autre toxique. Enfin, il existe de rares crises d’une épilepsie à l’autre et d’un individu à un autre. Cela laisse
induites par le patient lui-même, comme certaines absences imaginer que le développement d’une pharmacorésistance ne
photosensibles. peut pas être un phénomène unifactoriel.
144 patients,
suivis en moyenne
pendant 37 ans
FACTEURS CLINIQUES DE PHARMACORÉSISTANCE L’existence de crises multiples avant le début du traitement est
un facteur de mauvais pronostic (3, 4).
Étiologie L’âge de début et la durée d’évolution de la maladie sont des
Un certain nombre de syndromes épileptiques génétiques ont un facteurs indépendants du pronostic dans l’étude de Semah et al.
pronostic toujours bénin (épilepsies à paroxysmes rolandiques, (5). Plus l’âge de début est précoce et plus la durée d’évolution
épilepsie juvénile myoclonique, convulsions néonatales familiales est longue, plus le contrôle des crises est mauvais. En revanche,
bénignes). À l’inverse, d’autres ont quasi systématiquement d’autres (8) observent qu’un âge précoce de début de la maladie
un mauvais pronostic (syndrome de West liés à l’X, épilepsies est corrélé à une période de latence plus longue avant le début
myocloniques progressives). Les gènes qui les sous-tendent, de la pharmacorésistance.
quand ils sont connus, sont suffisamment variables pour qu’on L’échec du premier anticonvulsivant : si 47 % des patients
ne puisse pas imaginer trouver un jour un gène étiologique de sont sans crise avec le premier traitement, en cas d’échec, il
pharmacorésistance. En dehors de ces syndromes spécifiques, n’y en a plus que 11 % qui sont stabilisés avec une deuxième
les épilepsies généralisées idiopathiques sont les plus faciles à molécule (3).
contrôler, suivies par les épilepsies partielles cryptogéniques,
les épilepsies partielles symptomatiques et, enfin, les épilepsies
généralisées cryptogéniques ou symptomatiques [figure 2] (5, 3). MÉCANISMES CELLULAIRES
De plus, dans le groupe des épilepsies partielles symptoma- DE PHARMACORÉSISTANCE
tiques, l’étiologie est aussi un facteur pronostique important
[figure 3] (5). Un certains nombre de facteurs pourraient être impliqués dans
l’apparition d’une pharmacorésistance, soit de novo (facteurs
génétiques), soit acquis au long de l’évolution de l’épilepsie. Il
Difficile à contrôler Facile à contrôler
s’agit de systèmes impliqués dans le métabolisme des molé-
100
Pourcentage de patients sans crise
82 %
cules ou dans leur transport à travers la barrière digestive et la
barrière hémato-encéphalique, ainsi que des systèmes cibles des
75
anticonvulsivants, comme les canaux ioniques ou les récepteurs
50 45 % neuronaux (9).
35 %
27 %
25 La P-glycoprotéine et apparentées (famille des MRP, pour
11 % multidrug resistant protein, ou des BCRP, pour breast cancer
0 resistance protein)
n = 33 n = 337 n = 33 n = 33 n = 33 Ces protéines-transporteurs, ubiquitaires dans l’organisme, sont
Symptomatique Idiopathique Symptomatique Cryptogénique Sclérose
et cryptogénique hippocampique aussi présentes dans les cellules endothéliales des capillaires de
la barrière hémato-encéphalique, où elles ont pour fonction de
Épilepsies généralisées Épilepsies partielles diminuer la concentration des drogues lipophiles dans le système
nerveux central. La plupart des anticonvulsivants majeurs sont
Figure 2. Pronostic de l’épilepsie en fonction des syndromes
(d’après Semah et al. [5]). des substrats pour ces transporteurs. De plus, il a été montré que
les gènes codant pour ces protéines sont surexprimés dans les
cellules endothéliales du système nerveux central des patients
épileptiques pharmacorésistants. De même, ces protéines de
100 Difficile à contrôler Facile à contrôler multirésistance aux drogues sont surexprimées dans le tissu
Pourcentage de patients sans crise
75
cérébral de ces patients. Le même phénomène se retrouve dans
les modèles animaux d’épilepsie. D’autre part, une diminution
54 % 50 % de la concentration en anticonvulsivants dans l’espace extra-
50 46 % 42 %
30 %
cellulaire de la zone épileptogène a pu être montrée chez des
25
24 % patients pharmacorésistants, par une étude pilote de micro-
11 %
3%
dialyse, implantée lors de la stéréo-EEG. Si ces résultats sont
0 confirmés, ils signifieraient que la surexpression en transporteur
n = 26 n = 57 n = 50 n = 268 n = 50 n = 81 n = 224 n = 38
entraîne une diminution de la concentration intracérébrale en
Post-AVC
Malformation
vasculaire
Tumeur
IRM normale
Post-traumatique
Dysgénésies
corticales
Sclérose
hippocampique isolée
Double pathologie
Mise au point
voire des essais médicamenteux multiples – par analogie avec d’une stabilisation à long terme. En l’absence d’amélioration, il
la résistance aux antibiotiques ? Cette dernière hypothèse paraît n’est le plus souvent pas utile de dépasser une bithérapie voire
moins probable, en tout cas dans les modèles animaux, où la au maximum une trithérapie. Un essai de simplification du
surexpression génique a été observée avant l’administration traitement mérite toujours d’être tenté. Le dépistage des effets
de drogues. indésirables, en particulier cognitifs, est indispensable.
Cette surexpression est-elle liée à un polymorphisme génique,
et a-t-elle des conséquences cliniques ? Il existe un polymor- Prise en charge psychosociale
phisme du gène MDR1 codant pour la P-glycoprotéine. La Les troubles dépressifs et anxieux, particulièrement fréquents
“formule” C3435T du codon 26 de ce gène est associée à une dans les épilepsies pharmacorésistantes (jusqu’à 60 % des patients
surexpression du gène et de la protéine. Ce polymorphisme dans les études épidémiologiques), nécessitent un dépistage et
est plus fréquent chez les patients pharmacorésistants dans une prise en charge spécifique. L’accompagnement de l’entou-
trois études, mais pas plus fréquent dans deux autres séries. rage est souvent utile, et peut être facilité par les associations
Cependant, les critères de sélection des patients n’étaient pas de patients.
les mêmes selon les études. Les difficultés d’insertion scolaire méritent une attention particu-
Peut-on modifier ce mécanisme ? Il existe des inhibiteurs lière, d’autant qu’il existe peu d’établissements dédiés en France.
des transporteurs multidrogues, dont les moins sélectifs sont le On privilégiera la réalisation d’un projet d’accueil personnalisé
vérapamil, la cyclosporine A et la quinidine, tandis que le probé- en accord avec le médecin scolaire. Pour l’orientation et le suivi
nécide inhibe sélectivement la MRP1 et la MRP2. Le vérapamil professionnels, une consultation associant un épileptologue et
a été essayé avec succès dans des modèles animaux. Une étude un médecin du travail devrait pouvoir être mise en place dans
clinique est en cours à Bethel (Allemagne). chaque région. O