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interne
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Dominiqu e Carreau
Patrick Juillard

Se édition
Droit
international
économique
Droit
international
économique
5e édition

2013

Dominique Carreau
Professeur émérite de l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)

Patrick Juillard
Professeur émérite de l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)

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© ÉDITIONS DALLOZ - 2013


ISBN 978-2-247-12482-4
SOMMAIRE
(Une table des matières détaillée figure à la fin de l'ouvrage)

INTRODUCTION ..........1

CHAPITRE 1 DROIT INTERNATIONAL GÉNÉRAL


ET DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE ......... 1
CHAPITRE 2 SOCIÉTÉ INTERNATIONALE ÉCONOMIQUE
ET ORDRE INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE ....... 26

PARTIE 1 L'ÉCHANGE INTERNATIONAL ..................... 63


TITRE 1 LE CADRE INSTITUTIONNEL COMMUN ....... 67
CHAPITRE 1 DU GATT À L'OMC ...................................................... 69
CHAPITRE 2 LE MÉCANISME DE RÈGLEMENT
DES DIFFÉRENDS......................................................... 91
CHAPITRE 3 LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES
MULTILATÉRALES ....................................................... 118
TITRE 2 LE COMMERCE INTERNATIONAL
DES MARCHANDISES ............................................ 163
Sous-titre 1 L'approche sectorielle (verticale) :
extension et spécificité du « droit OMC » .......... 165
CHAPITRE 1 LES SECTEURS ÉCONOMIQUES RÉINTÉGRÉS
DANS LE SYSTÈME OMC ........................................... 167
CHAPITRE 2 L'INCLUSION D'UN NOUVEAU SECTEUR :
LES INVESTISSEMENTS LIÉS AU COMMERCE
DES MARCHANDISES ................................................. 183
Sous-titre 2 L'approche horizontale : principes généraux
communs ..................................................................... 195
CHAPITRE 1 L'ACCÈS AUX MARCHÉS ............................................ 197
VI SOMMAIRE

CHAPITRE 2 LES RÈGLES MULTILATÉRALES DE DÉFENSE


COMMERCIALE ............................................................... 234

CHAPITRE 3 EXCEPTIONS ET DÉROGATIONS ................................ 264


TITRE 3 LE COMMERCE INTERNATIONAL
DES SERVICES .................................................................. 305

CHAPITRE 1 LES SPÉCIFICITÉS DE LA PRESTATION


INTERNATIONALE DES SERVICES .............................. 307

CHAPITRE 2 L'ACCORD GÉNÉRAL SUR LE COMMERCE


DES SERVICES (GATS) ..................................................... 334

TRE 4 LES SECTEURS LIÉS AU COMMERCE


DES MARCHANDISES ET AU
COMMERCE DES SERVICES :
INCLUSION ET EXCLUSIONS ................................. 369

CHAPITRE 1 L'INCLUSION DE LA PROPRIÉTÉ


INTELLECTUELLE ............................................................ 371

CHAPITRE 2 LES SECTEURS EXCLUS OU LES LACUNES


(PROVISOIRES ?) DE L'OMC ........................................ 386
PARTIE 2 LA LOCALISATION DES FACTEURS
DE PRODUCTION..................................................... 415

TITRE 1 L'ÉTABLISSEMENT DES PERSONNES ................. 417

CHAPITRE 1 LE STATUT ÉCONOMIQUE DE L'ÉTRANGER


EN DROIT INTERNATIONAL COUTUMIER ............ 419

CHAPITRE 2 LE RÉGIME CONVENTIONNEL


DE L'ÉTABLISSEMENT DES PERSONNES .................. 424

TRE 2 L'INVESTISSEMENT ...................................................... 429

CHAPITRE 1 LES SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL


DES INVESTISSEMENTS : DES FRAGMENTS
ÉPARS P .......................................................................................................... 439

CHAPITRE 2 DÉFINITIONS .................................................................... 465

CH TRE 3 TRAITEMENT, PROTECTION ET GARANTIE


DES INVESTISSEMENTS ................................................. 496

CH TRE 4 LES ATTEINTES AU DROIT DE PROPRIÉTÉ


DES INVESTISSEURS ........................................................ 545

CHAPITRE 5 LE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS


ENTRE INVESTISSEURS ET ÉTATS ................................ 578
SOMMAIRE VII

PARTIE 3 LE FINANCEMENT INTERNATIONAL


DE L'ÉCONOMIE : LE SYSTÈME
MONÉTAIRE ET FINANCIER
TRANSNATIONAL ................................................ 603
TITRE 1 LE SYSTÈME MONÉTAIRE PUBLIC
À VOCATION UNIVERSELLE :
LE SYSTÈME DE BRETTON-WOODS ................. 615
CHAPITRE 1 LES LIMITES À LA SOUVERAINETÉ
MONÉTAIRE DES ÉTATS :
LE CODE DE BONNE CONDUITE ............................ 627
CHAPITRE 2 LA COOPÉRATION MONÉTAIRE
INSTITUTIONNELLE : LE DROIT À L'AIDE .............. 661
TITRE 2 LE SYSTÈME MONÉTAIRE ET FINANCIER
PRIVÉ : LES EURO-MARCHÉS .............................. 691
CHAPITRE 1 L'EURO-DÉPÔT ............................................................ 701
CHAPITRE 2 L'EURO-CRÉDIT .......................................................... 712
CHAPITRE 3 L'EURO-OBLIGATION ............................................... 732
CHAPITRE 4 LES NOUVEAUX INSTRUMENTS FINANCIERS
INTERNATIONAUX..................................................... 750

INDEX ALPHABÉTIQUE ............................................................................... 767

TABLE DES MATIÈRES ................................................................................. 781


ABRÉVIATIONS ET SIGLES

1. Périodiques
ACP Investissements CEE-ACP
AEM Accords environnementaux multilatéraux
AFDI Annuaire français de droit international
AGCS (GATS)
AGE Accord général d'emprunt
AITA Association internationale des transporteurs
aériens (ou IATA)
AJIL American Journal of International Law
Am. J. Comp. L. American Journal of Comparative Law
Ann. Can. de droit Int. Annuaire canadien de droit international
Ann. CDI Annuaire de la Commission du droit international
BYIL British Yearbook of International Law
CDE Cahiers de droit européen
CMLR Common Market Law Review
Col. J. of Trans. Law Columbia Journal of Transnational Law
Col. J. of World Bus Columbia Journal of World Business
DPCI Droit et pratique du commerce international
Gaz. Pal. Gazette du Palais
IBDD Instruments de base et documents divers (du GATT
puis de 1'OMC)
ICLQ International and Comparative Law Quaterly
IFLR International Financial Law Review
IFR International Financing Review
IHEI Institut des Hautes études internationales (Paris)
ILA International Law Association
ILM International Legal Materials
JDI Journal du droit international (Clunet)
JILE Journal of International Law and Economics
JIEL Journal of International Economic Law
JOCE Journal officiel des Communautés européennes
JWTL Journal of World Trade Law
JWT Journal of World Trade
LPA Les Petites Affiches
LPIB Law and policy in International Business
Rev. crit. DIP Revue critique de droit international privé
Rec. cours La Haye Recueil des Cours de l'Académie de droit international
de La Haye
X ABRÉVIATIONS ET SIGLES

RDAI Revue de droit des affaires internationales


RGDIP Revue générale de droit international public
RIDE Revue Internationale de droit économique
RMC Revue du marché commun
RSA Recueil des sentences arbitrales (publié
par les Nations unies)
RTD eur. Revue trimestrielle de droit européen

2. Juridictions
Cass. Cour de cassation
CE Conseil d'État
CIJ Cour internationale de justice
CJCE/UE Cour de justice des Communautés européennes/
de L'Union Européenne
CPJI Cour permanente de justice internationale
CCD Conseil de coopération douanière

3. Principales institutions citées et sigles divers


Accord général Accord général sur les tarifs douaniers et le
commerce
ADPIC Accord sur les aspects des droits de la propriété
intellectuelle qui touchent au commerce
(V. aussi TRIP)
AELE Association européenne du libre échange
AIE Agence internationale de l'énergie
ALENA Accord de libre échange nord-américain
AMF Accords multifibres
AMGI Agence multilatérale de garantie des
investissements
AMI Accord multilatéral sur l'Investissement
ANASE (ASEAN) Association des nations du sud-est asiatique
BEI Banque européenne d'investissement
BIAC Business and industry advisory committee
BIRD Banque internationale pour la reconstruction
et le développement (Banque Mondiale)
CECA Communauté européenne du charbon et de l'acier
CEE Communauté économique européenne
CHIPS Clearing house interbank payements system
CIAGI Compagnie interarabe de garantie des
investissements
CIME Comité de l'investissement et des entreprises
multinationales (de l'OCDE)
CIRDI Centre international pour le règlement des
différends relatifs aux investissements
ABRÉVIATIONS ET SIGLES XI

CNUCED Conférence des Nations unies pour le commerce


et le développement
CNUDCI Commission des Nations unies pour le droit
commercial international
COFACÉ Compagnie française d'assurance du commerce
extérieur
FAO Food and agriculture organization (Organisation
des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture)
FMI Fonds monétaire international
GATS General agreement on trade and services
(Accord général sur le commerce des services)
GATT General agreement on tarifs and trade
(Accord général sur les tarifs douaniers et le
commerce)
IATA International air transportation association
(Association internationale des transporteurs
aériens)
MIC Accord sur les mesures concernant les
investissements et liées au commerce (V. aussi
TRIM)
NPI Nouveaux pays industrialisés
OACI Organisation de l'aviation civile internationale
OECE/OCDE Organisation européenne de coopération
économique, devenue Organisation de coopération
et de développement économique
OIC Organisation internationale du commerce
OIT Organisation internationale du travail
OMC Organisation mondiale du commerce
OMPI Organisation mondiale de la propriété
intellectuelle
OMT Organisation mondiale du tourisme
OMCl/OMI Organisation intergouvernementale consultative
de la navigation maritime/Organisation maritime
internationale
ONU Organisation des Nations unies
ONUDI Organisation des Nations unies pour le
développement industriel
PAC Politique agricole commune (dans le cadre
de la CEE)
PMA Pays les moins avancés
PTA Preferential Trade Agreements (accords de commerce
préférentiels)
SFDI Société française pour le droit international
TRIM Trade related investments measures (V. aussi MIC)
TRIP Trade related intellectual property (V. aussi ADPIC)
UE Union européenne
INTRODUCTION

CHAPITRE 1
DROIT INTERNATIONAL
GÉNÉRAL ET DROIT
INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
Bibliographie
Tout approfondissement de cette question nécessite la lecture attentive — et critique
— du rapport présenté par R Weil, « Le droit international économique : mythe ou
réalité ? », au Colloque d'Orléans consacré au droit international économique ; on le
trouvera reproduit in «Aspects du droit international économique », Paris, Pédone,
1972, p. 3-34 ; G. Malinverni, « Le règlement des différends dans les organisations
internationales économiques », Leiden, Sijthoff, 1974, 251 p. avec une préface
de M. Virally est à lire avec le plus grand profit sur cette question plus limitée mais de
grande importance ; on trouvera nombre d'idées intéressantes dans le cours déjà ancien
de R Reuter à l'Institut des Hautes Études Internationales en 1952-1953 intitulé : « Le
droit économique international ». Pour une approche d'ensemble récente, voir Charles-
Emmanuel Côté, La participation des personnes privées au règlement des différends écono-
miques : l'élargissement du droit de porter plainte à l'OMC, Bruylant, Bruxelles, 200Z
Deux ouvrages généraux de langue française constituent d'importantes contributions
à l'étude de la matière. Il s'agit du recueil de textes et documents composés par B. Stern
et intitulé « Vers un nouvel ordre économique international », Éd. Economica, 1983, et
de l'ouvrage collectif publié sous la direction de P. Dailler, G. de la Pradelle, et H. Gherari,
« Droit international de l'économie », Paris Éd. Pédone, 2004. Deux cours ont été
professés, en langue anglaise, à l'Académie de Droit international, par le Professeur
I. Seidl-Hohenveldern : « International Economic Soft Law », Rec. cours La Haye 1979 - III,
t. 163 ; et « International Economic Law », Rec. cours La Haye 1986-III, t. 186.
En ce qui concerne le problème plus spécifique de l'élaboration de ce droit, on
renverra aux travaux de la SFDI au Colloque de Nice intitulé « Les Nations unies
et le droit international économique », Paris, Pédone, 1986, avec le rapport intro-
ductif présenté par P. Juillard. Voir aussi D. Carreau, «Le droit international éco-
nomique face aux crises », in Études offertes à Claude-Albert Colliard, Paris, Pédone,
1984, p. 105 s. ; ainsi que les contributions de Ph. Kahn, « Droit international
économique, droit du développement, lex mercatoria, concept unique ou pluralité
des ordres juridiques ? », M. Virally, « Un tiers droit ? Réflexions théoriques », in
Études offertes à Berthold Goldman, Paris, Litec, 1982, p. 97 s. et 387 s. et P. Juillard,
« Existe-t-il des principes généraux du droit international économique ? » in Études
offertes à Alain Plantey, Pédone, 1995, p. 243 s.
En langue anglaise, on peut recommander particulièrement, G. Schwarzenberg,
« The province and standards of international economic law. » ICLQ 1948, 402 et
2 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

« The principles and standards of international economic law », 117, Rec. cours La Haye
(1966, I), 5 ; F. Roessler, « Law, De facto agreements and declarations in international
economic relations », German Year Book of Int. Law. 1978, 27 ; I. Seidl-Hohenveldern,
«International Economic Law », Rec. cours La Haye vol. 198 (1986, III), 13.
En langue espagnole, Luis M. Hinojosa Martinez et Javier Roldan Barbero (éd.),
Derecho internacional economico, Marcial Pons, Madrid, 2010.
En langue italienne, A. Costa, Il governo et le regole dell'economia globale nell'era
deui meta-problemi, Aracine, Roma, 2009 ; G. Venturini (éd.), Le nuovo forme di
sostegno allo sviluppo nelle prospettiva del diritto internazionale, G. Giappichelli,
Torino, 2009.; F. Galgano et F. Marrella, Diritto et prassi del commerzio internazionale,
Cedam, 2010 ; Problemi e tendenze del diritto internazionale dell'economia, Libero
amicorum in onore di Paolo Picone, Editoria scientifica, Napoli, 2011.
1 Les relations économiques « internationales » ont existé de tout temps.
Elles ont précédé le corps de règles de droit qui devait les appréhender par
la suite. Ainsi Pillet, passant sous silence le rôle de l'État, est allé jusqu'à
affirmer à la fin du siècle dernier : « le commerce international est un pur
fait, mais un fait qui a donné naissance au droit international tout entier »
(RGDIP 1898. 72).
2 Le régime juridique des échanges économiques internationaux devait tou-
jours osciller entre le libéralisme et l'interventionnisme (voire le protection-
nisme) en fonction des doctrines dominantes et de la conception que les
États eurent de leur rôle en la matière.
3 Ainsi le xixe siècle fut-il dominé par les idées libérales des Adam Smith,
David Ricardo, John Stuart-Mill ou Jean-Baptiste Say qui plaidèrent avec suc-
cès la cause du libre-échange. De leur côté, les États se contentèrent d'assurer
le respect du contrôle des « règles du jeu » de l'époque en refusant d'intervenir
dans la conduite des relations économiques internationales. Selon la forte
expression de W. Ropke, il y eut alors une «véritable dépolitisation de la sphère
économique » (Economic Order and International Law, 86, Rec. cours La Haye
(1954, II), 204). Toutefois, même durant cet âge d'or du libéralisme écono-
mique, les tentations interventionnistes et protectionnistes demeurèrent : les
États-Unis, l'Allemagne et la France ne surent pas toujours y renoncer.
4 Les bouleversements entraînés par les deux guerres mondiales devaient radi-
calement transformer le cadre des relations économiques internationales.
L'État fit un retour en force sur la scène économique tant nationale qu'inter-
nationale, largement encouragé par la doctrine dominante de Lord Keynes.
5 De nos jours la tendance s'est inversée au profit du libéralisme écono-
mique, mais avec le maintien d'un fort interventionnisme étatique. Le
droit international économique contemporain ne cesse ainsi d'être tra-
vaillé par les forces contraires que sont le libéralisme et le protection-
nisme, qui se manifestent par le rôle plus ou moins étendu dévolu aux
États nations. Toutefois, depuis le milieu des années 1990, le phénomène
de la mondialisation sans cesse croissante de l'économie internationale a
DROIT INTERNATIONAL GÉNÉRAL ET ÉCONOMIQUE 3

fait pencher le fléau de la balance dans le sens du libéralisme. Le marché a


ainsi terrassé l'État — du moins provisoirement.

DÉFINITION DU DROIT
SECTION 1.
INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
6 Deux conceptions du droit international économique s'affrontent, l'une
de caractère extensif, l'autre de caractère restrictif.
7 Dans sa conception extensive, le droit international économique compren-
drait l'ensemble des règles qui régissent les opérations économiques de
toute nature, dès lors que ces opérations économiques se dérouleraient
dans un cadre plus vaste que celui de l'ordre juridique d'un seul État. En ce
sens, une vente internationale, conclue entre personnes ne possédant pas
leur établissement dans le même État, serait régie par le droit internatio-
nal économique.
8 Cette conception ne sera pas ici adoptée. Elle est en effet entachée d'un
vice fondamental : parce que son extension est illimitée, sa compréhen-
sion devient nulle. Car le droit international économique embrasserait
alors un ensemble de situations juridiques que caractériserait leur hété-
rogénéité les unes par rapport aux autres. Il couvrirait aussi bien les règles
du système international commercial, qui tracent le cadre général au
respect duquel sont tenus États et opérateurs, que les règles du commerce
international, qui régissent telle ou telle transaction particulière (vente
internationale, par exemple). La notion même de droit international
économique se diluerait dans cette pluralité de réglementations dont
chacune poursuivrait son propre objet et que ne relierait entre elles
aucune commune finalité.
9 Dans sa conception restrictive, le droit international économique serait
constitué par l'ensemble des règles qui régissent l'organisation des rela-
tions internationales économiques, c'est-à-dire, pour l'essentiel, des rela-
tions macro-économiques par opposition à des relations micro-écono-
miques. Ainsi, en ce sens, les règles du système international commercial
seraient des règles de droit international économique alors que les règles
de la vente internationale ne le seraient pas.
10 Cet ensemble de règles est couramment dénommé droit international
économique, bien que cette appellation soit trompeuse. Car ses sources ne
sont pas uniquement des sources de droit international. Certes, les sources de
droit international, non conventionnel et conventionnel, jouent un rôle
important dans la formation du droit international économique. Mais il
n'en faut pas pour autant sous-estimer la part qui revient aux droits
4 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

nationaux dans l'organisation des relations internationales économiques.


Ainsi, en matière de relations financières, les réglementations des investisse-
ments dont se dotent les États ont une incidence évidente sur les mouve-
ments de capitaux internationaux, les encourageant ou les décourageant,
selon les cas. L'influence des droits nationaux sur l'organisation des rela-
tions internationales économiques amène à s'interroger sur la justesse de
la dénomination de droit international économique. Ne s'agit-il pas, plu-
tôt, d'un droit des relations internationales économiques ?
11 Quelle que soit la dénomination retenue, la définition du droit internatio-
nal économique fait appel à la distinction entre macro-économie et
micro-économie. Pour les besoins du présent exposé, on retiendra de ces
deux notions une conception simple, voire simpliste. La macro-économie
s'attacherait à la description des grands ensembles économiques, de leurs
actions, réactions et intéractions. La micro-économie s'attacherait à la
description des comportements individuels des opérateurs économiques et
de leur incidence sur le fonctionnement des marchés. La macro-économie
aurait donné naissance au droit international économique, macro-droit
consacré à l'étude juridique des grands ensembles ; alors que la micro-éco-
nomie aurait donné naissance aux droits des opérations internationales,
micro-droit consacré à l'étude des transactions particulières.
12 S'il n'est pas faux, encore à l'heure actuelle, d'affirmer que le droit inter-
national économique demeure, pour l'essentiel, le droit des grands
ensembles, du moins cette affirmation doit-elle être sérieusement nuan-
cée. Car le perfectionnement du droit international économique l'amène,
dorénavant, à pénétrer en des domaines qui n'étaient pas les siens. Ainsi,
par un phénomène de capillarité, en vient-il à encadrer, voire à absorber
certains domaines du droit qui régissent les transactions internationales.
Par exemple, tout le monde s'accorde à penser que l'accord général sur le
commerce des marchandises — qu'il s'agisse du GATT 1947 ou du GATT
1994 — et l'accord général sur le commerce des services (AGCS), en tant
qu'accords multilatéraux de l'OMC, sont l'un et l'autre partie intégrante
du droit international économique : ils régissent, en effet, l'ensemble du
commerce international des marchandises et des services, et lui four-
nissent son cadre juridique. Le GATT et l'AGCS reposent sur des principes
communs, dont le moins important n'est pas celui de l'égalité dans l'accès
au marché des producteurs de marchandises et des fournisseurs de ser-
vices, comme de ces marchandises et services eux-mêmes. Mais comment
ces conditions pourraient-elles être égales, dès lors que les législations et
réglementations nationales sur la protection de la propriété intellectuelle
ne seraient pas harmonisées ? Car les coûts de production des marchan-
dises et de fourniture de services varient en fonction du degré de protec-
tion dont cette propriété intellectuelle fait l'objet. L'absence de toute pro-
tection, en laissant le champ libre au commerce de contrefaçon, fausserait
donc les conditions d'accès au marché : d'où l'accord sur les aspects des
DROIT INTERNATIONAL GÉNÉR L ET ÉCONOMIQUE 5

droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC).


L'ADPIC non seulement encadre les législations et réglementations natio-
nales en imposant une protection minimale, mais encore conditionne
l'exercice des droits de propriété intellectuelle par leurs titulaires, cession-
naires ou concessionnaires.
13 L'évolution est loin d'être achevée. On ne mesure pas encore l'effet d'en-
traînement que va produire l'AGCS sur tout le droit économique. Un des
modes de fourniture des services que prévoit l'accord est celui qui est
assuré par la présence du fournisseur sur le territoire de l'État où se trouve
le consommateur. Il faut donc que tout membre de l'OMC permette à tout
ressortissant d'un autre membre de l'OMC de s'installer sur son territoire
pour y fournir ses services. Les implications, dès lors, dépassent de très
loin la simple fourniture de services : la présence implique d'une part l'éta-
blissement, et d'autre part l'investissement. Autrement dit, pour respecter
la prescription de l'AGCS qui autorise le fournisseur, originaire d'un
Membre, à s'installer sur le territoire de tout autre Membre, il faut donc
libéraliser les règles nationales relatives à l'établissement et à l'investisse-
ment, en tant qu'elles régissent le statut individuel des fournisseurs de
services. Ainsi s'explique que l'AGCS soit l'un des points d'ancrage du droit
de l'investissement dans le droit de l'OMC, comme le montre le fameux
§ 22 de la déclaration de Doha, qui conférait mission à l'OMC d'explorer
la possibilité d'élaborer un « cadre multinational » de l'investissement.
14 Si l'on envisage le contenu du droit international économique d'un point
de vue analytique, on sera conduit à distinguer entre activités de produc-
tion, d'une part, et mouvements internationaux des facteurs de produc-
tion, d'autre part. En effet, les activités de production, comme n'a cessé de
le rappeler, dans un autre contexte, la Cour Suprême des États Unis, sont
des activités qui sont géographiquement localisées à l'intérieur des limites
de la juridiction territoriale d'un État : elles ne présentent donc pas, en
principe, l'élément d'extranéité qui permettrait de les intégrer au droit
international économique. Certes, le principe souffre un certain nombre
d'exceptions. Ainsi, les nécessités du maintien de la sécurité internatio-
nale ont-elles entraîné le contrôle de la production des matières dange-
reuses telles que matières fissiles — contrôle assuré notamment par l'AIEA ;
ainsi la volonté de renforcer la coopération régionale a-t-elle entraîné la
création de marchés communs qui réglementent certaines productions —
comme la production charbonnière et sidérurgique dans la CECA jadis, ou
la production agricole dans la CE ; ainsi la volonté de réduire les écarts de
niveau entre pays en développement et pays développés a-t-elle entraîné la
création d'organisations de produits de base, voire de cartels de pays pro-
ducteurs — tels que l'OPEP. L'étude de ces diverses exceptions ne sera pas
ici conduite de façon systématique. En effet, elles ne relèvent du droit
international économique qu'à titre incident — soit que leur objet n'ait pas
une portée internationale, entendu au sens d'universelle, soit que leur
6 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

objet principal ne soit pas d'ordre économique. Mais, dans la mesure où le


droit international économique réglemente ces exceptions, elles pourront
être brièvement examinées.
15 Si l'on limite ainsi le champ du droit international économique aux règles
régissant l'ensemble des mouvements internationaux des facteurs de pro-
duction — dès lors qu'ils présentent un caractère macro-économique, par
opposition au caractère micro-économique, on discernera, au sein de cet
ensemble, plusieurs sous-ensembles : le droit international du commerce,
qui inclut désormais le commerce des marchandises et le commerce des
services ; le droit international de l'établissement et de l'investissement,
c'est-à-dire le droit qui s'applique tant au travail qu'au capital ; et le droit
des financements internationaux, sans lesquels les diverses activités éco-
nomiques ne pourraient prospérer. Ces divers sous-ensembles paraissent
indissociables les uns des autres : on ne peut favoriser le commerce sans
libérer l'établissement et l'investissement ; on ne peut ni commercer, ni
s'établir, ni investir, sans que soient libérés les mouvements financiers
nécessaires à la réalisation des transactions courantes comme des transac-
tions en capital.
16 Mais cette vision logique est contredite par l'histoire du droit internatio-
nal économique. On l'a noté, le droit international économique prend sa
source dans le droit international du commerce, qui a précédé tous les
autres domaines d'intervention. Encore faut-il préciser que le sous-
ensemble constitué par le droit international du commerce se subdivise en
deux branches, celle qui a trait au commerce des marchandises, et celle
qui a trait au commerce des services. Ces deux branches ne se sont pas
développées au même moment et de la même manière. La Charte de La
Havane, qui eût créé l'organisation internationale du commerce (OIC), si
elle avait été ratifiée, reflétait en effet l'état du commerce international au
lendemain du second conflit mondial, c'est-à-dire celui d'un commerce
international des marchandises, et non celui d'un commerce internatio-
nal des services. Aussi ne s'étonnera-t-on pas que le GATT 1947, devenu le
GATT 1994, et complété par les autres accords multilatéraux sur le com-
merce des marchandises, ait traduit un niveau de perfectionnement juri-
dique plus élevé que 1'AGCS, né seulement en 1994, qui ne fixe qu'un cadre
général, et dont la mise en oeuvre, comme on le verra, va nécessiter de
minutieuses et périlleuses négociations. Peut-être vaudrait-il mieux, à cet
égard, parler des « fragments » d'un droit international économique en
voie de formation, plutôt que d'un droit international économique consti-
tué en un ensemble dont toutes les parties auraient atteint le même degré
d'achèvement.
17 Mais le processus d'harmonisation a d'ores et déjà commencé. Car la
mondialisation, c'est avant tout la réduction des dimensions, et la révolu-
tion des communications : n'a-t-on pas parlé du « village planétaire » ?
DROIT INTERNATIONAL GÉNÉR L ET ÉCONOMIQUE 7

Mais c'est aussi l'adhésion de tous les États à un modèle économique, celui
du libéralisme, qui entraînera un degré croissant d'interpénétration entre
les économies : cette interpénétration ne peut se réaliser que par la réuni-
fication des différentes branches du droit international économique, et
par la soumission des États au droit ainsi réunifié.

L'ORIGINALITÉ DU DROIT
SECTION 2.
INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
18 On s'est souvent demandé si le droit international économique était une
discipline juridique de caractère réductible ou de caractère irréductible.
Plus précisément, c'est tout le problème des rapports entre le droit interna-
tional général et le droit international économique qui se trouve ainsi
posé : celui-là absorbe-t-il celui-ci, ou celui-ci se résorbe-t-il dans celui-là ?
Ainsi formulée, la question n'appelle qu'une seule réponse dénuée de toute
ambiguïté : le droit international général et le droit international écono-
mique sont hétérogènes l'un par rapport à l'autre ; et le droit international
économique ne constitue pas une différence spécifique dans ce genre
proche que serait le droit international général.

§ 1. Le fondement du droit international


économique : indépendance et interdépendance
des États
19 Le droit international économique tout comme le droit international
général sont liés à l'existence d'États-nations, indépendants, dont les fron-
tières constituent autant de limites à leur action politique et économique.
Mais une différence fondamentale apparaît aussitôt. Le droit internatio-
nal est un droit de protection : il repose tout entier sur l'idée de préserva-
tion de l'indépendance politique des États. Le droit international écono-
mique est un droit d'expansion : il repose tout entier sur l'idée que
l'enrichissement des États est une fin légitime, et que cet enrichissement
rend nécessaire l'établissement de relations d'interdépendance écono-
mique entre les nations. À cet égard, le rôle qu'assignent à la frontière le
droit international, d'un côté, et le droit international économique, de
l'autre côté, illustre bien cette différence : dans un cas, elle assure la sécu-
rité politique des États, et doit donc demeurer imperméable ; dans l'autre
cas, elle entrave la coopération économique entre les États, et ne peut donc
que devenir de plus en plus perméable.
20 L'interdépendance économique des États se constate dans les faits. On
peut la mesurer grâce à plusieurs indicateurs significatifs. L'un de ces
8 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

indicateurs est fourni par la croissante internationalisation des entre-


prises. En 2006, on dénombrait 77 000 multinationales, qui contrôlaient
770 000 filiales ; en 2010, on dénombrait plus de 82 000 multinationales,
qui contrôlaient quelque 850 000 filiales. Les flux d'investissements inter-
nationaux, réalisés principalement par ces multinationales, s'élevaient à
916 milliards de dollars en 2005 — dont 542 milliards, soit 59 %, dans les
pays développés, et 334 milliards, soit 36 % dans les pays en développe-
ment. Ces flux se sont élevés à 1 697 milliards de dollars en 2008 — dont
962 milliards, soit 56 %, dans les pays développés, et 627 milliards, soit
37 %, dans les pays en développement. (Source : CNUCED, World Invest-
ment Report 2009). Depuis lors, et le phénomène mérite d'être noté, ces
flux se sont inversés et la majorité des investissements internationaux se
dirigent désormais vers les pays en développement (45 %) et en transition
(6 %) (y. ibid., World Investment Report, 2012, p. XIII).
21 Ce simple rappel des faits implique que le droit international économique
joue ici un rôle d'incitation. Le développement du commerce internatio-
nal, dans les années récentes, est certainement lié à l'effet d'entraînement
qu'ont suscité les Accords de Marrakech, en poursuivant la libération du
commerce des marchandises, grâce au GATT 1994 et aux autres accords
multilatéraux sur le commerce des marchandises, et en amorçant la libé-
ration du commerce des services, grâce au GATS. Certes, il sera toujours
difficile de quantifier l'effet d'entraînement que peut susciter un instru-
ment conventionnel. C'est ainsi que l'on a mis en doute la capacité des
accords bilatéraux de promotion et de protection des investissements à
créer des flux additionnels entre parties contractantes. Mais des travaux
récents, menés notamment aux États Unis, tendent à montrer que la
conclusion d'un APPI ne produit pas seulement l'effet négatif qui consiste
à éliminer les obstacles juridiques à l'investissement, mais produit égale-
ment un effet positif, qui consiste à créer les conditions économiques de
l'investissement.
22 L'existence de ce phénomène d'interdépendance emporte des consé-
quences de droit. L'une des plus évidentes résulte de ce que les relations
internationales économiques mettent en présence une pluralité d'ordres
juridiques nationaux. De cette confrontation surgissent, de plus en plus
fréquemment, des conflits de juridiction entre États : l'invocation en
matière internationale économique de ces chefs classiques de la compé-
tence étatique que sont la territorialité, la nationalité ou la protection, par les
implications conflictuelles qu'elle recèle, montre que les notions usuelles
du droit international s'adaptent malaisément aux réalités du droit inter-
national économique.
La portée extraterritoriale que les États veulent parfois donner à leur
législation entraîne pour leurs destinataires une situation pour le moins
inconfortable dans la mesure où ils peuvent se trouver placés devant des
obligations contradictoires. Si, en général, la notion de territorialité l'emporte
DROIT INTERNATIONAL GÉNÉR L ET ÉCONOMIQUE 9

sur la notion de nationalité, force est de reconnaître un certain affaisse-


ment de la première en droit international économique.
23 H est vrai que cette interdépendance économique entre États n'est pas
nécessairement génératrice de conflits de compétence. L'imbrication des
ordres juridiques nationaux se règle, de plus en plus souvent, par la voie
conventionnelle. Les chevauchements entre territorialité et nationalité
ont pu, en certains domaines, être évités par la conclusion d'instruments
bilatéraux : la multiplication des conventions destinées à éliminer les
doubles impositions en fournit une bonne illustration. Mais surtout la
vague croissante des instruments multilatéraux qui créent des espaces
d'intégration économique, et dont le modèle peut être trouvé dans les trai-
tés instituant les Communautés européennes, aboutit à la pure et simple
éradication des situations conflictuelles. Tous ces instruments conven-
tionnels, qu'ils soient bilatéraux ou multilatéraux, privilégient clairement
l'interdépendance par rapport à l'indépendance ; dans cette optique, ils ne
font que refléter le déplacement du centre de gravité qui se produit lorsque
s'effectue le passage des relations internationales politiques aux relations
internationales économiques.

§ 2.Les sources du droit international


économique
24 L'irréductibilité du droit international économique au droit international
général se reflète dans la structure de leurs sources respectives. À cet égard,
la classification des sources du droit international économique fait appa-
raître un plus haut degré de diversité et de complexité. Certes, il existe des
sources communes au droit international économique et au droit interna-
tional général. Mais ces sources subissent, lorsque s'effectue le passage du
droit international au droit international économique, des inflexions qui
montrent bien, une fois encore, ce qui sépare celui-ci de celui-là.

1. Classification des sources du droit international


économique
a. Classification selon l'ordre juridique
de leur rattachement
25 Les sources du droit international économique se rattachent soit aux
ordres nationaux, soit à l'ordre international, soit encore à un tiers ordre
dont l'existence apparaît encore controversée pour certains.
26 Les sources purement nationales du droit international économique sont
constituées par les actes unilatéraux des États. Ces actes unilatéraux
peuvent être soit des actes du pouvoir législatif, soit des actes du pouvoir
10 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

exécutif, soit même des décisions du pouvoir judiciaire, dès lors que ces
actes ont une incidence sur les relations macro-économiques entre États.
Ainsi, par exemple, la manipulation, par un État, de son taux de change ou
de ses taux d'intérêts relève, en principe, et sous réserve de ses engage-
ments internationaux, de sa seule compétence : nul ne niera, pourtant,
qu'une telle manipulation a une incidence directe sur les relations éco-
nomiques avec ses partenaires commerciaux. De la même manière, la
publication, par l'État, d'un code d'investissement, plus ou moins incita-
tif, voire plus ou moins dissuasif, reflète un choix souverain ; il n'échap-
pera pourtant à personne qu'une telle publication est destinée à avoir des
effets sur l'orientation des flux financiers. Ces actes unilatéraux des
États, pour être pris dans le cadre de leur ordre interne, sont des sources
de droit international en raison de leurs objectifs et prolongements éco-
nomiques internationaux.
27 Les sources purement internationales du droit international économique
en forment le noyau central. Ces sources sont soit des sources conven-
tionnelles, soit des sources non conventionnelles, et leur énumération
relève de l'étude du droit international général — même si l'on constate
que ces sources s'infléchissent au contact de la matière économique. Le
rôle des sources internationales du droit international économique est et
demeure considérable. Ainsi, les constructions systémiques qui ont été
élaborées, par la voie conventionnelle, après le second conflit mondial
— les accords de Bretton Woods créant le FMI et la Banque Mondiale, ou
plus récemment les accords de Marrakech instituant l'Organisation
Mondiale du Commerce — en portent témoignage. En outre, la forte
présence du phénomène coutumier se doit dès maintenant d'être notée en
raison de l'importance croissante qu'il joue dans le domaine des investis-
sements en particulier.
28 Indépendamment de ces sources nationales et de ces sources internatio-
nales, il existe des sources qui ne se rattachent ni aux ordres juridiques
nationaux, ni à l'ordre juridique international et que, pour cette raison,
faute d'une meilleure dénomination, on désigne génériquement sous l'ap-
pellation de sources de tiers ordre. Ces sources naissent de l'effort concerté
des opérateurs — et, plus précisément, des entreprises multinationales. Car
l'influence de ces sociétés dans les relations internationales économiques
est telle que leur effort concerté serait de nature à produire des effets
macro-économiques. Les exemples de telles situations sont nombreux et
d'importance croissante. Ainsi, l'entente entre les principales sociétés
pétrolières américaines et européennes — les « Seven Sisters » — a donné
naissance à une lex petrolea qui a réglé, durant trois décennies, l'exploita-
tion et la distribution des hydrocarbures à l'échelle planétaire. Ainsi, l'ac
ion des banques internationales a permis la création, puis le prodigieux
développement d'un marché monétaire et financier de caractère privé
(euro-devises et euro-obligations) à base cette fois-ci de véritables coutumes
DROIT INTERNATIONAL GÉNÉRAL ET ÉCONOMIQUE 11

privées. Ainsi encore, dans le domaine si crucial de la lex financiaria, l'es-


sentiel des normes posées provient-il actuellement d'un enchevêtrement
d'acteurs privés comme publics, internes comme internationaux - les
États ne faisant que les reprendre dans leur ordre interne (v. pour une
excellente étude centrée sur la constellation d'organismes gravitant autour
de la Banque des Règlements Internationaux de Bâle, R. Bismuth, La coopéra-
tion internationale des autorités de régulation du secteur financier et le droit
international public, Bruxelles, Bruylant, 2011). L'intervention du tiers
ordre dans les relations économiques suffirait, en elle-même, à mettre en
évidence l'hétérogénéité des sources du droit international économique
par rapport aux sources du droit international général.

b. Classification selon la qualité de leurs auteurs


29 Les sources du droit international économique sont, pour l'essentiel, des
sources de droit public ou des sources de droit privé. Elles sont des sources de
droit public, en ce qu'elles émanent de l'action souveraine de la puissance
publique, soit dans le cadre interne, soit dans le cadre international. Elles
sont des sources de droit privé, en ce qu'elles émanent de l'action concer-
tée des opérateurs économiques, qui sécrètent leur propre cadre juridique,
échappant tant à l'ordre national qu'à l'ordre international traditionnel.
On en voudra pour preuve les normes comptables ou les règles en matière
de commerce aérien ou maritime qui sont posées par des associations pro-
fessionnelles (c'est-à-dire des Organisations non gouvernementales, ONG)
et qui sont, au mieux, reprises par les États dans leur ordre interne. On y
reviendra (v. ss 42-2).
30 À mi-chemin de ces sources de droit public et de ces sources de droit
privé se situent les sources de caractère mixte. Ces sources consistent en des
actes concertés entre un État, d'une part, et le ressortissant d'un autre
État, d'autre part. Ces actes concertés, dénommés contrats d'État, jouent
un rôle considérable en droit international économique, et particulière-
ment dans la branche spéciale de ce droit qu'est le droit des investisse-
ments internationaux. Peuvent être également rangées dans cette caté-
gorie les normes élaborées par accord entre États (ou organismes
infra-étatiques), émanations d'institutions internationales et associa-
tions professionnelles privées ainsi que cela est maintenant devenu la
règle en matière financière par exemple (pour une ample démonstration,
voir l'étude précitée de R. Bismuth).

2.Infléchissement des sources internationales


du droit international économique
31 Le droit international économique se fonde donc sur un ensemble de
sources, de droit interne, de droit international ou autres, qui concourent
12 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

à son objet, à savoir la circulation internationale des richesses. Parmi ces


sources, les sources de droit international occupent une place éminente.
On pourrait penser que ces sources internationales se retrouvent identi-
quement en droit international et en droit international économique. Or,
il n'en est rien : elles connaissent en effet un infléchissement sensible
lorsque l'on passe du domaine du droit international général au domaine
du droit international économique.
32 Le «grand monument» qu'est l'article 38 du Statut de la Cour interna-
tionale de justice énumère les sources du droit international général
qu'elle applique, en vue de trancher les différends qui lui sont soumis.
Ces sources sont : a) les conventions internationales, soit générales, soit
spéciales ; b) la coutume internationale comme preuve d'une pratique
générale acceptée comme étant de droit ; c) les principes généraux du
droit reconnus par les nations civilisées ; d) les décisions judiciaires et la
doctrine des publicistes les plus qualifiés des différentes nations, mais
seulement comme moyen auxiliaire de détermination du droit. Cette
énumération, qui ne vaut d'ailleurs pas hiérarchisation, ne rend pas un
exact compte de ce que sont les sources internationales du droit interna-
tional économique.

a. La source conventionnelle
33 De son côté, la source conventionnelle, si elle demeure fort importante
en droit international économique, a connu des adaptations significa-
tives : le bilatéralisme le dispute au multilatéralisme, les accords infra-
étatiques prolifèrent de même que les engagements non contraignants,
tandis que le phénomène de la modélisation conventionnelle se déve-
loppe fortement.
34 Certes, les conventions internationales jouent un rôle fondamental en
droit international économique, en ce qu'elles fournissent ses fondations
à l'ordre international économique. Les conventions multilatérales sont
en quelque sorte les piliers constitutionnels de cet ordre : les Accords
de Marrakech structurent le droit international du commerce, tout
comme les statuts du FMI, en leur temps, ont donné sa structure à l'ordre
international monétaire. Il n'y a guère que dans le domaine de l'investis-
sement international que le multilatéralisme, jusqu'à présent, n'a pas
prospéré. Mais là où le multilatéralisme ne prospère pas, le bilatéralisme,
lui, occupe la place : s'il n'y a pas d'accord multilatéral sur l'investisse-
ment, cela ne doit pas faire oublier les quelque 2 833 accords bilatéraux qui
avaient été conclus en la matière à la fin de l'année 2011 ( World Invest-
ment Report, op.cit., 2012).
34-1 On peut remarquer que, jusqu'à une époque récente, les accords bilatéraux
poursuivaient un objet unique : ainsi des accords de commerce, qui
DROIT INTERNATIONAL GÉNÉR L ET ÉCONOMIQUE 13

stipulaient les concessions commerciales que s'accordaient les parties


contractantes ; ou encore des accords d'investissement, qui stipulaient les
règles de traitement et de protection que chaque Partie Contractante
consentait aux investisseurs ressortissant à l'autre Partie Contractante.
Mais on observe, actuellement, une progression des accords bilatéraux
dont l'objet n'est plus unique : ainsi des Preferential Trade Agreements
(PTAs) — accords de commerce de nature préférentielle en ce qu'ils consti-
tuent des zones de libre-échange et qui comportent un volet investissement.
Ces accords, qui facilitent l'accès aux marchés tout en libéralisant les
mouvements de capitaux, sont la marque d'une croissante interconnexion
des divers champs du droit international économique.
34-2 Il se peut que ces accords d'un type nouveau parviennent à ménager un
meilleur équilibre entre droits et devoirs des parties contractantes, parti-
culièrement lorsqu'il s'agit des pays développés, d'un côté, et des pays en
développement, de l'autre côté. Un accord de commerce et d'investisse-
ment, qui favorisera l'accès des produits manufacturés aux marchés des
Pays du Sud, peut ainsi prévoir des mécanismes qui entraîneront l'accrois-
sement des flux d'investissement des industriels des Pays du Nord chez
leurs partenaires conventionnels. Le jeu des concessions mutuelles se
trouve ainsi élargi dans l'intérêt des uns comme des autres. Mais cet élar-
gissement peut se faire au détriment du multilatéralisme en constituant
un facteur de discrimination à l'encontre des tiers : la prolifération de ce
type d'accords n'a pas manqué d'être l'une des causes de l'échec du « Cycle
de Doha ». On y reviendra.
35 La distinction entre accords infra-étatiques et accords interétatiques revêt une
certaine importance en droit international économique. L'accord infra-
étatique, qui est conclu non pas entre États, mais entre administrations
ou émanations d'États différents, est en effet, fréquemment utilisé en
droit international économique pour régler les questions qui soulèvent des
difficultés d'ordre moins politique que technique. Ainsi, par exemple, des
arrangements entre services fiscaux sur l'assistance administrative. La nou-
veauté et la variété de ces divers accords font que leur régime juridique
n'est pas fixé clairement. Trois critères principaux, semble-t-il, seraient
susceptibles d'être combinés afin de déterminer, cas par cas, ce régime
juridique : la qualité des parties à l'accord infra-étatique ; la possibilité ou
l'impossibilité de rattacher l'accord infra-étatique à un accord interéta-
tique ; et, enfin, la finalité que poursuit l'accord infra-étatique. Ainsi, un
arrangement entre services fiscaux sur l'assistance administrative, qui se
rattache à une convention bilatérale sur l'élimination des doubles imposi-
tions afin de donner un effet à ses stipulations, ne saurait être soumis au
même régime juridique qu'un accord entre sociétés nationales d'États dif-
férents afin de procéder au traitement des déchets nucléaires et conclu
indépendamment de toute convention internationale.
14 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

36 Le droit international économique semble également préférer l'informalisme au


formalisme. Certes, on ne saurait aller jusqu'à opposer l'informalisme du
droit international économique au formalisme du droit international
général. Mais il n'en demeure pas moins vrai que les États sont souvent
amenés, en matière internationale économique, à concerter des actes qui,
matériellement, traduisent une commune volonté, mais, formellement,
ne constituent pas des conventions internationales. On est ici en présence
d'engagements non contraignants. La matière internationale économique se
caractérise par sa fluidité et par sa volatilité ; et l'action des États en cette
matière — souvent dictée par l'urgence — doit répondre au triple impératif
d'efficacité, de rapidité, de technicité. Autant dire que les actes informels
abondent en droit international économique. Ainsi, pour ne prendre
qu'un exemple, les marges de fluctuation des taux de change des princi-
pales monnaies appellent des mesures concertées entre États, mais qui ne
peuvent guère se couler dans le moule du traité ou de l'accord internatio-
nal. Les réunions périodiques des ministres des finances des pays dévelop-
pés répondent à cette nécessité ainsi qu'en témoigne le groupe des Huit
(G-8). Ces réunions se terminent par la rédaction de communiqués dont
la teneur n'est pas toujours divulguée dans son intégralité. De tels com-
muniqués ne sont pas des conventions internationales ; ils n'en doivent
pas moins être exécutés de bonne foi.
37 Dans le même sens, on peut citer le développement des « lignes direc-
trices » (guidelines) et des « pratiques recommandées » (best practices), qui
ont rencontré un certain succès au cours des années récentes. Il s'agit
d'instruments concertés, qui, parfois, se coulent dans le cadre juridique de
résolutions d'organisations internationales, soit parce que leurs auteurs
n'ont pu s'accorder pour les hausser au niveau conventionnel, soit parce
que leurs auteurs ont préféré conserver leur flexibilité afin d'assurer leur
efficacité. Certains de ces instruments ont joué et continuent de jouer un
rôle important en matière de droit international économique. C'est le cas,
notamment, de la déclaration et des décisions de l'OCDE, en date du
21 juin 1976, sur l'investissement international et les entreprises multina-
tionales, périodiquement révisées, et que l'on retrouvera, plus loin, à pro-
pos des investissements. La déclaration et ses annexes insistent fortement
sur le fait qu'elles sont, l'une comme les autres, dépourvues de tout carac-
tère obligatoire : mais qui songerait à nier l'importance de l'annexe I
(Lignes directrices — improprement dénommées Principes directeurs — à
l'intention des entreprises multinationales) ou de l'annexe II (Considéra-
tions générales et approches pratiques concernant les obligations contra-
dictoires imposées aux entreprises multinationales) ? C'est le cas, égale-
ment, des lignes directrices — improprement dénommées principes
directeurs — de la Banque mondiale, adoptées en 1992, qui énoncent les
pratiques recommandées aux États désireux d'attirer sur leur territoire des
flux additionnels d'investissements internationaux. Ces lignes directrices,
à l'origine, devaient emprunter la voie conventionnelle. Mais l'opposition
DROIT INTERNATIONAL GÉNÉR L ET ÉCONOMIQUE 15

entre pays développés sur leur teneur a entraîné leur dégradation en un


instrument à valeur recommandatoire, et non plus obligatoire. Il n'en
reste pas moins que ces lignes directrices occupent une place importante
parmi les textes juridiques relatifs au traitement de l'investissement.
38 Mais le développement de droit international économique qui ne trouve
aucun équivalent en droit international général, c'est le phénomène de la
modélisation conventionnelle. Le modèle conventionnel est une institution
du droit international économique, et de droit international économique
seulement : ce sont les caractères de complexité propres à certaines situa-
tions répétitives de caractère bilatéral en matière internationale écono-
mique qui en ont favorisé la vogue. Le modèle conventionnel peut se défi-
nir comme un ensemble de clauses, arrêté soit dans le cadre interne, soit
dans le cadre international, et destiné à fournir ses bases à une négocia
tion bilatérale, dans un domaine déterminé. Le modèle conventionnel est
donc dépourvu de toute force en droit ; mais il peut être investi d'une cer-
taine autorité de fait, autorité qui sera fonction, tout à la fois, de sa perfec-
tion sur le plan technique, et de sa capacité de propagation sur le plan
politique. C'est donc une matrice, à laquelle on peut assigner deux fonc-
tions : par sa perfection, formelle et matérielle, elle est un instrument de
pédagogie internationale ; par sa capacité de propagation, elle peut devenir
source de principes généraux du droit international économique. La
modélisation conventionnelle a connu d'amples développements en deux
domaines importants du droit international économique : d'une part, le
domaine du droit de la fiscalité internationale, dans lequel, depuis 1929,
les modèles de conventions bilatérales pour l'élimination des doubles
impositions se sont multipliés ; d'autre part, le domaine du droit des inves-
tissements internationaux, dans lequel, depuis le début de la décennie
1970, les modèles de conventions bilatérales sur la promotion et la protec-
tion des investissements ont joué un rôle considérable dans l'instauration
ou la restauration d'un climat favorable aux investissements Nord-Sud.
39 Les divers modèles conventionnels, par la répétition des clauses qu'ils pro-
posent, ont certes pu jouer un rôle dans ce qu'on a pu appeler le remem-
brement de la coutume internationale, comme le montre la résurgence du
standard minimum, ou du standard du traitement juste et équitable, ou
encore du standard de la pleine et entière protection et sécurité. Mais la
généralisation de la pratique des modèles conventionnels produit aussi des
effets dommageables. Lorsqu'une négociation bilatérale se nouait entre
pays développé et pays en développement, sur une matière aussi complexe
que celle de l'investissement, c'était, jusqu'à une époque récente, à l'initia-
tive du pays développé, sur la base du modèle conventionnel que proposait
ce pays développé au pays en développement. Autant dire que la négocia-
tion, bien souvent, était terminée avant d'être commencée. Car au lieu de
fournir l'occasion d'un fructueux échange sur les propositions et contre-
propositions formulées par l'un et par l'autre, la négociation se refermait
16 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

sur le binôme proposition — acceptation, et sans le moindre échange. Car


la capacité de négocier ne s'improvise pas, elle s'acquiert progressivement :
ici intervient l'exigence du « capacity building », sur laquelle l'accent a été
mis justement et fortement par la CNUCED. Faute d'une telle capacité de
négocier, les idées même d'égalité entre partenaires conventionnels, et
donc, de libre manifestation du consentement à être lié par traité ne sont
plus que de vains mots. On a donc craint, à un moment, que la pratique
du modèle conventionnel aboutisse à mettre en cause les notions fonda-
mentales du droit des traités. Fort heureusement, il n'en a rien été, et
l'acquisition, par les pays en développement, de la nécessaire capacité de
négocier, les place, désormais, sur un pied d'égalité avec les pays dévelop-
pés : les uns comme les autres, d'ailleurs, possèdent désormais leur modèle
de convention bilatérale.
40 Au même ordre d'idées se rattache une autre pratique conventionnelle,
propre à l'OCDE, savoir la pratique des accords autonomes, qui souligne
l'affaiblissement de la manifestation du consentement à être lié. L'accord
autonome, dans la pratique OCDE, est un accord qui est négocié, dans le
cadre de l'organisation, par ses membres, et qui doit, par conséquent,
répondre aux besoins de ces membres. Mais, une fois achevée la négocia-
tion, et par suite, une fois arrêté le texte de l'accord, les pays non-membres,
ou certains pays non-membres, peuvent être invités à se joindre à cet
accord. Leur accession, toutefois, s'opère sans que puisse être réouverte la
négociation : c'est donc la règle « à prendre ou à laisser », (take it or leave it),
qui s'applique dans son intégralité, et, serait-on tenté d'écrire, dans sa
dureté. En s'ouvrant ainsi à des pays non-membres, l'accord considéré
devient autonome, c'est-à-dire qu'il se détache du cadre OCDE pour
prendre une nouvelle dimension, qui, d'interrégionale, peut même devenir
universelle. Un exemple d'accord de l'OCDE qui était conçu comme accord
autonome est fourni par le projet d'accord multilatéral sur l'investissement
(AMI) qui, on le verra, infra, n'est pas entré en vigueur à la suite des oppo-
sitions entre pays membres de l'OCDE, c'est-à-dire entre pays développés.
Mais l'intention des membres n'en était pas moins de négocier, entre eux
et pour eux — c'est-à-dire, pour l'essentiel, dans la perspective de pays déve-
loppés, exportateurs d'investissements —, un accord qui aurait par la suite
été ouvert à l'adhésion des pays en développement, importateurs d'investis-
sements. Certes, ce n'est pas l'opposition entre pays développés et pays en
développement qui a fait échouer l'AMI, c'est le désaccord entre pays déve-
loppés sur l'objet même de l'accord. Devait-il s'agir essentiellement d'un
accord de protection des investissements, ou d'un accord qui aurait com-
biné entre elles clauses de libéralisation et clauses de protection ? Mais
au-delà de cette question, certes importante, apparaît une autre interroga-
tion : si les pays développés avaient pu s'accorder entre eux, alors, eût-il été
légitime que cet accord liât des pays en développement ? Une telle interro-
gation montre, en définitive, que la manifestation du consentement à être
lié peut être plus formelle que réelle, dès lors qu'elle ne s'appuie pas sur la
libre négociation des clauses conventionnelles.
DROIT INTERNATIONAL GÉNÉR L ET ÉCONOMIQUE 17

b. Les sources internationales autres que les sources


conventionnelles
41 Les sources internationales autres que les sources conventionnelles jouent
un moindre rôle en droit international économique. La coutume interna-
tionale, en particulier, ne peut guère jouer qu'un rôle interstitiel dans les
domaines que structure un Traité multilatéral, sorte de constitution inter-
nationale, comme le sont les Accords de Marrakech pour le droit commer-
cial international, ou les Accords de Bretton Woods pour le droit moné-
taire international. Il est vrai que, dans les domaines qui ne sont pas ainsi
structurés, la coutume internationale fait encore preuve d'une certaine
vitalité. Ainsi du droit de l'établissement ou du droit de l'investissement :
des principes de droit coutumier ont été extrapolés, à partir de la protec-
tion des personnes, pour s'étendre en direction de la protection des biens.
Encore faut-il noter, à ce propos, que la coutume internationale, ainsi
extrapolée sous l'influence des pays développés, a fait l'objet d'une violente
contestation de la part des pays en développement lorsque ceux-ci ont
accédé à l'indépendance et à la souveraineté, lors du grand mouvement de
la décolonisation.
42 Les actes unilatéraux des organisations internationales de caractère intergou-
vernemental méritent une mention spéciale, ne fût-ce que parce que ces
organisations internationales sont nombreuses dans l'ordre économique.
Résolutions, décisions, recommandations, déclarations, dès lors, jouent
un rôle important dans la formation du droit international économique.
Mais le principe de spécialité de l'organisation internationale en limite la
portée. Qui plus est, la règle de l'unanimité, qui n'a pas disparu, empêche
le plus souvent que se forme un consensus entre les États Membres,
comme on l'a vu, à l'ONU, lorsqu'est venue en débat la question de l'ins-
tauration d'un nouvel ordre international économique. Et, pour finir, le
défaut d'obligatoriété qui, le plus souvent, entache les résolutions des orga-
nisations internationales, les prive de toute effectivité internationale. En
bref, les actes unilatéraux des organisations internationales ne sauraient
être assimilés à des actes de législation internationale. Mais leur influence
réelle peut être d'autant plus grande que leur force juridique est faible : il
n'est que de mentionner ici la déclaration OCDE du 21 juin 1976 sur l'in-
vestissement international et les entreprises multinationales pour s'en
convaincre.
42-1 Faut-il assimiler à des actes unilatéraux des organisations internationales
ces actes informels concertés entre États, mais qui ne présentent pas les
caractères de traités internationaux, tels que les communiqués des som-
mets ou des réunions périodiques des Chefs d'État ou de Gouvernement,
qui ont été évoqués plus haut (n° 36) ? On ne peut répondre par l'affirma-
tive. Comme on l'a déjà souligné, ces actes informels ne sont pas des actes
institutionnels ; ils n'émanent pas d'organisations internationales qui
18 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

auraient été créées par des traités ; ils ne sont pas adoptés par le recours à
des procédures qu'aurait définies une Charte constitutive ; et, dès lors, ils
ne présentent pas le caractère d'obligatoriété qui s'attache habituellement
aux résolutions des organisations internationales. Ces actes informels, qui
résultent de la pratique intergouvernementale, ne peuvent donc être
considérés ni comme des actes conventionnels, ni comme des actes insti-
tutionnels. C'est bien là, encore une fois, mettre en lumière leur vraie
nature : celle d'actes sui generis.
42-2 Aujourd'hui, on ne saurait passer sous silence l'importance croissante des
actes unilatéraux de nombre d'organisations non gouvernementales comme
sources du droit international et qui manifestent la transnationalisation
marquée de ce dernier (v. en général, D. Carreau et F. Marrella, Droit inter-
national, Paris, Pedone, 11e ed, 2012, Ch. IX). Ce phénomène est particu-
lièrement perceptible dans l'ordre économique et financier - sans toute-
fois lui être propre. Le plus souvent, les normes posées prennent la forme
de standards (qui sont les « meilleures pratiques » - "best practices" - dis-
ponibles sur le marché) et qui, soit vont s'appliquer directement, soit (le
plus souvent) vont être transcrites expressis verbis par les États dans leurs
ordres juridiques nationaux. Ces « standards transnationaux » réalisent
ainsi une osmose entre ordre interne et international en apparaissant
comme des règles nationales par destination.

§ 3. Le règlement des différends


43 H existe un particularisme des modes de règlement en droit international
économique. Ce particularisme, bien évidemment, reflète le particula-
risme des sources. Parce que le droit international économique s'insère
dans une pluralité d'ordres juridiques, les sanctions du manquement à la
règle de droit international économique peuvent, elles aussi, relever d'une
pluralité d'ordres juridiques — ordres nationaux ou ordre international :
en cela, la sanction suit l'obligation.
44 La structure de la société internationale économique ne pouvait qu'influer
sur la nature des mécanismes de règlement. La société internationale éco-
nomique n'est pas une société fermée, et composée des seuls États souve-
rains ; c'est une société ouverte, et dans laquelle coexistent des acteurs
dont les statuts juridiques diffèrent les uns des autres. Parce que les rela-
tions internationales économiques se nouent et se dénouent entre inter-
venants dont les statuts juridiques sont différenciés, les mécanismes de
règlement ne sauraient être laissés à l'initiative des seuls États souverains.
Ainsi le droit international économique est-il un des domaines d'élection
de la mixité: une bonne illustration peut en être trouvée dans le dévelop-
pement de l'arbitrage mixte — c'est-à-dire, l'arbitrage entre États et ressor-
tissants d'autres États — particulièrement dans le domaine du contentieux
DROIT INTERNATIONAL GÉNÉR L ET ÉCONOMIQUE 19

de l'investissement international, qui se trouve à l'intersection de l'intérêt


public et des intérêts privés.
45 Mais, de la même manière qu'il existe des sources purement internatio-
nales du droit international économique, il existe des modes de règlement
purement internationaux des manquements au droit international écono-
mique. Et, de la même manière que les sources du droit connaissent un
infléchissement en passant du droit international général au droit inter-
national économique, les modes de règlement s'infléchissent en passant
du droit international général au droit international économique. Cet
infléchissement se marque à travers plusieurs constantes : préférence don-
née à l'informalisme par rapport au formalisme ; flexibilité des divers
mécanismes, qui se caractérisent par une très grande adaptabilité aux
situations internationales économiques qu'ils ont pour mission de faire
respecter ; spécialité et proportionnalité des sanctions internationales
économiques. En bref, les sanctions du droit international économique
s'orienteraient plus aisément en fonction des exigences de l'opportunité et
de l'efficacité, alors que les sanctions du droit international général se
préoccuperaient essentiellement de légalité et d'exemplarité.

1. Le règlement judiciaire
46 La préférence que marque le droit international économique pour l'infor-
malisme par rapport au formalisme se traduirait, prétend-on, par une
certaine réticence vis-à-vis des mécanismes juridictionnels, que caractéri-
serait leur trop grande rigidité. Ainsi s'expliquerait l'un des traits caracté-
ristiques du droit international économique, à savoir son allergie au juge
international. L'expression mérite à tout le moins quelques explications.
S'agirait-il d'une incompatibilité entre juge international et matière éco-
nomique, le juge international n'ayant pas de la matière économique une
connaissance qui lui permettrait de trancher les différends s'y rappor-
tant ? Nombre de tribunaux internationaux, composés de spécialistes de
la matière juridique plus que de la matière économique, tranchent à lon-
gueur d'année et depuis des décennies, des contentieux d'ordre écono-
mique plus que d'ordre juridique. tel est le cas, notamment, de la Cour de
justice de l'Union européenne (ex. Cour de justice des communautés
européennes - CJCE). Et il n'est pas contesté que la Cour de justice ait
rempli son rôle dans l'interprétation et l'application du droit communau-
taire, qui relève pour l'essentiel, de la matière économique.
47 Il est vrai que les mots « Juge international » désignent les titulaires de
fonctions différentes. Stricto sensu, le juge international est le juge des
contentieux entre États souverains, qu'il tranche sur la base du droit inter-
national. En bref, en ce sens, le Juge international est juge des différends
interétatiques. Mais les différends économiques naissent rarement sous
les espèces d'un différend interétatique : à leur origine, ils se présentent
20 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

comme des différends entre opérateurs et États. Ce n'est que par l'exercice
de la protection diplomatique qu'ils se transmuent en différends interéta-
tiques. Mais nul n'ignore les risques qu'encourent les opérateurs lorsque,
par l'exercice de la protection diplomatique, leur réclamation se trouve
élevée au rang de différend interétatique (sur ce point, cf. « Les emprunts
russes. Aspects juridiques », sous la direction de P. Juillard et B. Stem,
Cahiers du Cedin, n° 16, Éditions Pédone, 2002). Allergie du Juge interna-
tional à la matière économique ? Ou, plus simplement, fuite des opéra-
teurs devant la protection diplomatique ? Où se trouve la cause véritable
du degré limité d'implication des Cours mondiales dans le contentieux
économique ?
48 Et, tout bien considéré, le degré d'implication du juge international dans
le contentieux économique est-il aussi limité qu'on ne cesse de l'affirmer ?
L'examen des activités de la seule Cour internationale de justice amène à
des conclusions plus nuancées, voire plus mesurées. Que constate-t-on, en
effet ? En premier lieu, que la Cour a été saisie d'un petit nombre de
contentieux économiques, sur lesquels elle n'a pas statué, parce qu'un
accord est intervenu entre les parties en différend (ex. : affaire de la société
Électricité de Beyrouth, France c. Liban, Ordonnance du 29 juillet 1954 ;
affaire de la Compagnie du Port, des quais et des entrepôts de Beyrouth et de
la Société Radio-Orient, France c. Liban, Ordonnance du 31 août 1960). En
deuxième lieu, qu'un certain nombre d'affaires importantes, qui soule-
vaient des problèmes de droit international, au sens traditionnel, n'en pré-
sentaient pas moins des aspects de droit économique, notamment en ce
qui concerne la protection du droit de propriété (ex.: affaire relative à
certains biens, Liechtenstein c. Allemagne, arrêt du 10 février 2005). Et, en
troisième lieu, la Cour a tranché au fond des affaires célèbres de droit
international économique, parmi lesquelles l'affaire de l'Anglo-Iranian
(Royaume Uni c. Iran, arrêt du 22 juillet 1952) ; ou l'affaire de la Barcelona
Traction (Belgique c. Espagne, arrêts du 24 juillet 1964 et du 5 février 1970).
En bref, la Cour internationale de justice n'est nullement étrangère à la
matière économique, comme le montrent, si besoin était, la récente affaire
Diallo (Guinée c. Congo, 24 mai 2007) et la récente affaire de l'usine de
pâte à papier du Rio de la Plata (20 avril 2010).
49 D'où vient alors cette réputation qui s'attache à la Cour internationale de
justice et qui fait d'elle un forum non conveniens en matière économique ?
Certes, on peut souligner que nombre de requêtes impliquant l'examen de
questions économiques devant la Cour ont été rejetées au stade de l'exa-
men des exceptions préliminaires (v. par ex., l'affaire de l'or monétaire,
Italie c. France, Royaume Uni et États-Unis d'Amérique, arrêt du 15 juin
1954 ; ou l'affaire relative à certains emprunts norvégiens, Suisse c. États-
Unis d'Amérique, arrêt du 6 juillet 1957 ; ou encore l'affaire de l'Hinterhan-
del, Suisse c. États-Unis d'Amérique, arrêt du 31 mars 1959). Mais surtout,
le grief qui est fait à la Cour est qu'elle n'est pas familière des réalités
DROIT INTERNATIONAL GÉNÉR L ET ÉCONOMIQUE 21

internationales économiques, et que, dès lors, ses décisions ne peuvent que


trahir un certain irréalisme. Ainsi de sa jurisprudence en matière de natio-
nalité des sociétés, telle que la traduisent les arrêts rendus dans l'affaire de
la Barcelona Traction (précitée) et dans l'affaire de l'Elettronica Sicula (États-
Unis d'Amérique c. Italie, arrêt du 20 juillet 1989). L'attachement de la Cour
aux critères du lieu de constitution et du lieu de fixation du siège social en
vue de la détermination de la nationalité, fait l'objet de vives critiques,
parce que ces critères ont été considérés comme formalistes — le critère du
contrôle apparaissant plus réaliste (il est d'ailleurs à noter qu'il a été large-
ment adopté par les États dans leur pratique bilatérale telle qu'elle apparaît
au vu des fort nombreux traités qu'ils ne cessent de conclure en matière de
protection et d'encouragement des investissements étrangers).

2. Le règlement arbitral
50 L'allergie au juge, supposée ou vérifiée, aurait suscité l'engouement des opé-
rateurs en faveur de l'arbitrage et particulièrement de l'arbitrage mixte,
entre opérateurs et États, qui permet d'éliminer les risques inhérents à
l'exercice de la protection diplomatique. Il est vrai que l'arbitrage a connu
un rapide développement dans les matières du droit international écono-
mique. On vante sa célébrité ; on souligne qu'il permet de porter des
affaires complexes devant des juges choisis par les parties à raison de leur
compétence ; on fait valoir que la discrétion dont s'entoure la procédure
sied bien à la confidentialité des affaires internationales. Ce sont ces rai-
sons qui seraient à l'origine du succès de l'arbitrage dans certains domaines
— et notamment dans le domaine du droit des investissements. Mais sont-
ce là de bonnes raisons ? les procédures d'arbitrage en matière d'investis-
sement ne signalent pas par une grande rapidité : l'examen de la compé-
tence est de plus en plus souvent disjoint de l'examen du fond ; l'utilisation
de procédures de type accusatoire peut entraîner un allongement considé-
rable des délais nécessaires à l'examen du fond ; et, surtout, en bien des
cas, la Sentence ne forme pas titre exécutoire, et reste soumise aux aléas
de l'exequatur et de l'annulation. Même l'argument tiré de la compétence
des tribunaux arbitraux est parfois remis en cause, et l'on fait valoir que
les arbitres sont plus souvent des spécialistes de l'arbitrage que des spécia-
listes du fond. Et surtout, la procédure d'arbitrage présente des inconvé-
nients qu'il ne faut pas négliger : l'absence de transparence, qui, dans des
matières qui touchent pourtant à l'intérêt public, ne permet pas d'assurer
l'information des utilisateurs, des consommateurs, ou de façon plus géné-
rale, des citoyens ; ou encore le manque de stabilité et de prévisibilité des
solutions arbitrales, qui nuit gravement à la sécurité juridique dans des
domaines aussi importants que celui de droit des investissements.
51 Et pourtant, le domaine du droit des investissements est l'un des plus for-
tement institués qui soient. Les textes conventionnels qui régissent les
droits des investisseurs et les devoirs des États sont très nombreux : à la fin
22 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

de l'année 2011, il existait quelque 2 833 accords bilatéraux sur la promo-


tion et la protection des investissements. Tous ces accords bilatéraux
contiennent des clauses de règlement des différends entre Investisseurs et
États qui font appel à l'arbitrage mixte — et particulièrement dans le cadre
de la Convention de Washington du 18 mars 1965, pour le règlement des
différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d'autres
États. Le CIRDI, qui administre cette Convention, déploie donc une acti-
vité d'autant plus soutenue que nombre d'accords bilatéraux le désignent
comme l'organe conventionnel de règlement des différends. Or, il n'est pas
une clause de ces accords bilatéraux qui, à l'heure actuelle, ne fasse l'objet
interprétations opposées dans les sentences rendues par les tribunaux
arbitraux constitués sous l'égide du CIRDI : définition de l'investissement ;
définition de l'investisseur ; clause du traitement juste et équitable ; clause
du traitement national ; clause du traitement de la nation la plus favori-
sée ; clause d'expropriation et de nationalisation ; définitions des mesures
nationales, prises dans l'intérêt public, mais qui portent atteinte aux inté-
rêts économiques des étrangers... et clause de règlement des différends
entre investisseurs et États — pour ne mentionner que les principales dif-
ficultés. Il importe peu que la cause de ces divergences se trouve dans les
différences de rédaction entre textes conventionnels, ou dans les positions
des tribunaux arbitraux. Le résultat, c'est que la formation d'un corpus
juris en matière de droit des investissements s'en est trouvée durablement
entravée.

3. L'internalisation des règlements des différends


52 L'une des originalités marquées des organisations internationales écono-
miques a été de mettre sur pied des procédures internes de règlement des dif-
férends exclusives de tout recours au juge ou à l'arbitre : tel a été le cas de
ces pionniers en la matière qu'ont été les « institutions sœurs » de Bret-
ton-Woods (Fonds Monétaire et Banque Mondiale) bientôt rejointes par
les diverses banques régionales de développement, nombre d'accords sur
les « produits de base » et, bien entendu, le GATT hier et l'OMC aujourd'hui
(v. G. Malinverni, op.cit. et C. A. Colliard, « Le règlement des différends
dans les organisations intergouvernementales de caractère non poli-
tique », Mélanges Basdevant, Paris, Pedone, 1960. 152, R. Kovar, « Le règle-
ment des différends économiques interétatiques dans les organisations
internationales », Cours de l'IHEI 1969-1970, 98 p.).
53 Mieux, certaines d'entre elles (FMI, BIRD ou OMC) ont été même inves-
ties d'un véritable pouvoir quasi judiciaire à raison de leur compétence leur
permettant de procéder à l'auto-interprétation de leur charte constitutive - ce
qui n'est pas d'ailleurs sans poser un sérieux problème de confusion des
pouvoirs au nom du principe bien connu du nemo judex in re sua (v. sur
cette délicate question, F. A. Mann, "The interpretation of the constitution of
international financial organizations", BYIL 1968-1969. 1).
DROIT INTERNATIONAL GÉNÉR L ET ÉCONOMIQUE 23

54 Si ce type de dispositions marquait à l'évidence une défiance à l'égard de


ces procédures classiques que sont le règlement arbitral ou judiciaire au
profit d'un règlement effectué « en interne » supposé être plus souple et de
meilleure qualité car se déroulant entre « pairs » et « sachants », force est
de constater que le bilan à en tirer est pour le moins mitigé. Pour la plupart
de ces institutions économiques en effet et à la seule exception notable du
GATT/OMC, il est loisible de considérer ces mécanismes comme caducs
faute de la moindre application depuis près d'un demi-siècle...

4. Des solutions originales ?


55 Les critiques adressées tant au règlement judiciaire qu'au règlement arbi-
tral montrent que la voie est étroite d'autant plus que la solution interne
(à l'exception du « système OMC » très structuré) n'a pas connu le succès
escompté par ses promoteurs. Mais l'orientation de ces critiques permet ici
de formuler deux propositions.
• On ne saurait guère concevoir un mode unique de règlement des diffé-
rends en droit international économique. Il y a plusieurs raisons à cela, les
différends n'opposent pas toujours des parties de même statut juridique :
les différends commerciaux opposent entre eux des États même, et c'est le
paradoxe actuel, si les « victimes » sont des agents économiques privés ; les
di férends relatifs aux investissements opposent entre eux des investis-
seurs à des États. Et ces différends portent sur des domaines qui néces-
sitent des compétences techniques autant que juridiques qui sont loin
d'être les mêmes. Les connaissances du juge ou de l'arbitre ne sont pas
universelles. Chacun possède son propre champ de spécialité, et c'est dans
ce champ qu'il doit remplir sa mission.
• Mais si la pluralité semble préférable à l'unicité) pour ce qui concerne
l'institution des modes de règlement, il n'en demeure pas moins souhai-
table de faire prévaloir le multilatéralisme sur le bilatéralisme. Seule l'institu-
tion d'organes permanents, ayant compétence générale dans un domaine
déterminé, permettra d'assurer la sécurité juridique, par la stabilité et la
prévisibilité des décisions qu'il rendra, et qui présenteront entre elles la
cohérence qui leur est nécessaire. L'institution de tels organes de règle-
ment ne peut résulter que d'instruments conventionnels à caractère
multilatéral.
56 Cette évolution paraît actuellement en cours de réalisation. C'est ainsi
que, dans le cadre des accords de Marrakech qui créent un système inter-
national commercial de caractère universel tant par sa composition que
par ses missions, a été instauré un mécanisme original de règlement des
différends qui préserve tout à la fois la technicité et l'impartialité du débat
contentieux, par l'institution des Groupes spéciaux, comme la sécurité et
la prévisibilité des solutions juridiques, par l'institution de l'Organe d'ap-
pel. La prise en compte d'exigences techniques pourtant difficiles à conci-
lier les unes les autres, telles la permanence et la non-permanence, ou
24 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

encore les impératifs techniques et les impératifs juridiques, permettent


de garantir la flexibilité et l'adaptabilité du système de règlement qui, dès
lors, est en mesure d'assurer de façon satisfaisante la mission qui lui a été
confiée par les textes conventionnels. Toutefois, on le verra par la suite, il
n'est pas exempt de critiques en raison de son caractère exclusivement
intergouvernemental - ce qu'il n'est que formellement - alors que le fond
du litige affecte toujours un agent économique privé qui, lui, se trouve
directement exclu de la procédure (v., pour une analyse d'ensemble dans
une optique comparatiste, Charles-Emmanuel Côté, La participation des
personnes privées au règlement des différends internationaux économiques :
l'élargissement du droit de porter plainte à l'OMC, Bruylant, Bruxelles, 2007).
57 Mais tous les domaines du droit international économique, tant s'en faut,
n'ont pas encore atteint ce degré de maturité dans le règlement des diffé-
rends. Ainsi du droit des investissements — domaine dans lequel le conten-
tieux a pourtant pris un essor étonnant. Il est vrai qu'il n'existe pas, à
proprement parler, un système international de l'investissement. On
constatera, infra, qu'aucune des tentatives d'élaboration d'un accord mul-
tilatéral sur l'investissement n'a connu le succès, et qu'il n'existe donc pas
un mécanisme centralisé de règlement des différends relatifs aux investis-
sements — le CIRDI jouant le rôle d'un Centre d'arbitrage, mais n'interve-
nant pas lui-même dans le règlement des différends particuliers, qui s'ef-
fectue par la voie arbitrale. Le caractère décentralisé du mode de règlement,
pour s'en tenir à cette seule cause, rend illusoire tout effort de stabilité et
de prévisibilité des solutions arbitrales. Le projet de création d'un méca-
nisme d'appel des sentences, qui serait institué dans le cadre des accords
bilatéraux de promotion et de protection ne saurait, à cet égard, emporter
l'adhésion.
58 La multiplication des mécanismes de règlement qui s'opère ainsi offre un
avantage : celui de mieux tenir compte des particularismes de chacun des
domaines considérés. Mais elle rend inévitables les chevauchements entre
ces divers modes de règlement. Un exemple en est fourni par la coexis-
tence du mécanisme OMC, en matière de commerce, et du mécanisme
CIRDI, en matière d'investissement. En effet, une seule et même situation
juridique est de nature à mettre en évidence une violation des accords
OMC, d'une part, et une violation de tel ou tel accord bilatéral de promo-
tion et de protection des investissements, d'autre part. Ainsi, les États
édictent parfois des interdictions d'importation ou d'exportation visant
des marchandises déterminées : ce faisant, ils peuvent violer les accords
OMC et, plus particulièrement, l'accord MIC. Mais ces interdictions d'im-
portation ou d'exportation peuvent frapper des entreprises étrangères, et,
de ce fait, priver les investisseurs étrangers des droits que ceux-ci tiennent
de l'accord d'investissement qui les protège. Lequel, du règlement OMC ou
du règlement CIRDI, va-t-il s'appliquer ? Ces deux modes s'excluent-ils
mutuellement, ou peuvent-ils être utilisés cumulativement ?
DROIT INTERNATIONAL GÉNÉR L ET ÉCONOMIQUE 25

59 Cette dissociation entre les divers aspects d'un seul et même différend
permet une grande flexibilité et une grande adaptabilité des solutions. En
matière commerciale, il s'agit de rétablir les équilibres conventionnels en
faisant cesser le trouble qu'apporte le comportement ou les agissements de
tel ou tel membre à l'ordre juridique de l'OMC ; il faut donc, entre États,
trouver les modalités de rétablissement de ces équilibres. En matière d'in-
vestissement, il s'agit de réparer le préjudice qui a été causé à un investis-
seur ou à son investissement par la violation du dispositif de protection
conventionnelle : il faut donc que l'État qui est à l'origine de ce préjudice
indemnise l'investisseur qui l'a subi. On se situe là dans deux ordres diffé-
rents. Voilà qui explique que le règlement CIRDI ait été plus souvent solli-
cité par les investisseurs que le règlement OMC n'a été sollicité par les
États, lorsque le différend est à la fois un différend en matière d'investis-
sement et un différend en matière de commerce. Mais parce que les deux
modes de règlement n'ont pas le même objet, ils ne s'excluent pas l'un
l'autre, et il arrive qu'ils soient mis en oeuvre simultanément.
60 En bref, le développement du droit international économique exige que
l'on en revienne du bilatéralisme au multilatéralisme, du moins pour ce
qui concerne le règlement des différends. Mais, paradoxalement, ce retour
au multilatéralisme doit s'accompagner d'un respect des particularismes
qui caractérisent chacune des grandes branches du droit international
économique.
CHAPITRE 2
SOCIÉTÉ INTERNATIONALE
ÉCONOMIQUE ET ORDRE
INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

Bibliographie
On pourra utilement se référer aux ouvrages généraux suivants : le colloque
d'Aix-en-Provence de la Société française pour le droit international, « Pays en
voie de développement et transformation du droit international », Paris, Pédone,
1974, 311 p. ; colloque organisé par l'Académie de droit international de La Haye,
en 1968, « Les accords de commerce international », Sijthoff, Leiden, 1969,
374 p. ; W. Friedman, « The changing structure of international law », Stevens,
London, 1964, XVI, 410 p. et surtout les chapitres 6, 11, 13, 14 et 21 ; R. N. Gard-
ner, « Sterling-Dollar Diplomacy », 2 éd., 1969, Mc Graw-Hill, New York, XCV,
e

423 p. ; M. Giuliano, « Quelques aspects juridiques de la coopération intergou-


vernementale en matière d'échanges et de paiements internationaux », 124,
Rec. cours La Haye (1968, II), 549. J. Facwett, « Trade and finance in international
law », 123. Rec. cours La Haye (1968, I), 215 ; G. de Lacharrière, « La nouvelle
division internationale du travail », Droz, Genève, 1969, 350 p. ; P. Dailler,
G. de La Pradelle et H. Gherari, « Droit de l'économie internationale », Paris,
Pedone, 2004, 1119 p.
Pour une étude d'ensemble du «droit international du développement» qui ne
sera pas ici entreprise, on renverra aux ouvrages de M. Flory, Paris, PUF, Coll.
Thémis, 1977 et G. Feuer et H. Cassan, Dalloz, 2e éd., 1991.

LA SOCIÉTÉ INTERNATIONALE
SECTION 1.
ÉCONOMIQUE
61 À l'époque contemporaine, la société internationale économique présente
de nombreux points communs avec la société internationale. L'une et
l'autre sont fortement décentralisées. L'une et l'autre connaissent un faible
degré d'organisation. L'une et l'autre se développent bien davantage au
niveau régional qu'au niveau universel. L'une et l'autre sont marquées par
une profonde hétérogénéité de leurs composantes. Enfin, l'une et l'autre
connaissent une transnationalisation qui va croissant.
62 Mais les ressemblances s'arrêtent là. La société internationale écono-
mique possède une originalité propre à raison de son objet même. L'État,
dans la société internationale, n'est pas l'État dans la société internationale
SOCIÉTÉ INTERNATIONALE ET ORDRE INTERNATIONAL ÉCONOMIQUES 27

économique ; alors que la première ne connaît que l'État au singulier —


chacun y ayant le même statut —, la seconde ne connaît que des États au
pluriel ; les uns et les autres étant soumis à un régime juridique différent
en fonction de considérations économiques. Les organisations interna-
tionales économiques interétatiques n'ont en réalité que peu de points
communs avec leurs homologues « classiques » : elles jouent d'ailleurs
un rôle central dans la création et la gestion de l'ordre international
économique contemporain. De leur côté, les organisations non gouver-
nementales, faiblement présentes dans la société internationale, ont
une place de choix et grandissante dans la société internationale écono-
mique. Enfin, les entreprises multinationales apparaissent à l'évidence
comme des acteurs de la première importance dans la société interna-
tionale économique qu'ils ne cessent d'influencer, voire de modeler en
fonction de leurs besoins. En bref, les composantes de la société inter-
nationale économique sont à la fois nombreuses et diversifiées. On y
rencontre, mais sous un éclairage bien différent, à la fois les sujets tra-
ditionnels du droit international général que sont les États (§ 1) et les
organisations intergouvernementales (§ 2) et les sujets nouveaux,
encore mal intégrés par ce même droit international général, que sont
les organisations non gouvernementales (§ 3) et les entreprises multi-
nationales (§ 4).

§ 1. Les États
63 Les États jouent un rôle essentiel dans l'agencement et dans le fonctionne-
ment de la société internationale économique. Il en est ainsi parce que les
sources du droit international économique, on l'a vu, sont en large partie
des sources internationales, c'est-à-dire des sources faites par les Etats et
pour les États. Ceux-ci apparaissent alors dans une double capacité — gou-
vernants, en ce qu'ils sont à l'origine de la norme juridique, et gouvernés,
en ce que cette norme juridique doit régir leur comportement. Mais le
droit international économique n'est pas seulement un droit interéta-
tique : les États, dans ce système, ne sont ni les seuls gouvernants, ni les
seuls gouvernés. Souvent, les personnes privées sont indirectement, si ce n'est
directement touchées par les règles posées par les États : il en va ainsi notam-
ment en ce qui concerne les restrictions commerciales et de change, le
statut économique de l'étranger et de ses biens ou le régime des investisse-
ments étrangers.

64 Le droit international général se veut empreint de neutralité vis-à-vis de


l'État. Ce souci s'exprime, notamment, dans deux principes fondamen-
taux : le principe de libre détermination, le principe d'égalité souveraine. Ces
deux principes ont des incidences économiques : libre choix par chaque
État de son système national économique ; libre et égale participation,
pour chaque État, à la vie internationale économique. Force est de
28 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

constater que la conciliation peut se révéler difficile entre les droits des
États, et, en particulier, leur droit à une libre détermination dans l'ordre
économique, d'une part, et les devoirs que leur impose le droit interna-
tional économique, qui suppose de leur part l'adhésion au modèle libéral,
d'autre part. Mais malgré la libéralisation généralisée qu'entraîne la
mondialisation, le droit international réussit à préserver une certaine
différenciation entre États à raison de leur niveau de développement éco-
nomique. Si le principe de l'égalité souveraine des États engendre néces-
sairement l'égalité des droits et des devoirs, et, par conséquent, l'unifor-
mité des règles régissant l'action des États dans l'ordre économique (1),
on constate néanmoins un certain infléchissement de ces règles au béné-
fice des pays en développement, au nom de l'égalité réelle par opposition
à l'égalité formelle (2).

L'égalité souveraine
65 L'égalité souveraine, chacun le sait, constitue le fondement des relations
interétatiques en matière politique. Il en va de même en matière écono-
mique : le droit international s'applique uniformément à tous les États,
quel que soit leur territoire, quelle que soit leur population, quelle que soit
leur forme d'organisation économique. Mais l'égalité souveraine rencontre
bien vite ses limites : la participation aux relations internationales écono-
miques exige l'acceptation des règles communes, qui dessinent les contours
de l'ordre international économique. Les règles communes, qui sont le
plus souvent d'origine conventionnelle, donnent sa transcription juri-
dique au modèle économique qui fonde cet ordre. Or, il n'existe plus
aujourd'hui, et pour la première fois dans l'histoire des relations interna-
tionales économiques, qu'un seul modèle, qui a éliminé tous les autres :
c'est le modèle du capitalisme libéral — autrement dit de l'économie de
marché.
66 Tous les États qui entendent donc participer pleinement aux relations
internationales économiques doivent donc manifester leur adhésion
à ce modèle, notamment en procédant aux adaptations internes et
externes qui assureront avec lui la compatibilité de leur propre sys-
tème économique. Cela suppose que l'ensemble des États s'oriente
vers la libéralisation du commerce international des biens et des ser-
vices, ainsi que des paiements internationaux liés à ce commerce ; et
quoiqu'à un moindre degré, vers la libéralisation de l'établissement et
de l'investissement. Les « gendarmes internationaux » chargés de
veiller à la pérennité du modèle unique — OMC en tête, mais aussi les
bailleurs de fonds que sont le FMI et la BIRD — prévoient les moyens
d'assurer le respect des règles communes par tous leurs membres.
Dans ces conditions, si l'égalité demeure, la souveraineté, elle, s'ef-
face progressivement.
SOCIÉTÉ INTERNATIONALE ET ORDRE INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 29

2. Égalité formelle et égalité réelle


67 Le modèle du capitalisme libéral — modèle unique — constitue l'objectif
assigné à tous les États qui désirent pleinement participer aux relations
internationales économiques. Mais tous les États ne sont pas en mesure
d'atteindre cet objectif dans les mêmes délais et conditions : car si le point
d'arrivée est le même pour tous, les points de départ, eux, ne sont pas
identiques et varient selon les cas. De là vient la différenciation entre États
qui est propre au droit international économique. Cette différenciation ne
met pas en cause les éléments constitutifs de l'État : elle est déterminée
par l'inégale capacité des États à aligner leur système économique sur le
modèle unique qui leur est proposé.
68 C'est ainsi qu'après l'effondrement du bloc socialiste, est apparue la caté-
gorie dite des pays en transition (figurant souvent sous le sigle « pays d'Eu-
rope centrale et orientale » ou PECO). On a pu constater, pendant la
guerre froide, que la conciliation entre les systèmes économiques des pays
capitalistes et des pays collectivistes ne pouvait être que limitée, et qu'elle
n'assurait qu'un degré minimal de compatibilité sur le plan international.
Mais le ralliement des pays collectivistes au système capitaliste a changé
les données du problème. L'opposition des principes a disparu. Il ne sub-
siste plus que les difficultés liées à l'intégration des pays ex-socialistes à un
ordre économique mondial de caractère libéral. Ce sont là des difficultés
passagères. Mais elles justifient qu'aient été mis en oeuvre des régimes
transitoires — d'où l'apparition de la catégorie juridique des pays en tran-
sition - et celle-ci appartient maintenant à l'histoire.
69 Plus complexe est le problème né des différences entre niveaux de dévelop-
pement. Le droit international économique ne traite pas de façon iden-
tique les pays développés et les pays en développement. Il aménage ses
règles en sorte que, dans les relations internationales économiques, les
pays en développement reçoivent un traitement plus favorable que les pays déve-
loppés, afin qu'à terme, soient compensées les inégalités de développement
entre les uns et les autres. Les règles ainsi aménagées accusent une forte
originalité, au point qu'elles font désormais l'objet d'une systématisation
particulière ; il s'agit du droit international du développement dans lequel
l'idée d'égalité réelle prend le pas sur l'idée d'égalité formelle.
70 L'identification des pays en développement revêt donc la plus grande impor-
tance, puisqu'elle déclenche l'application de règles dérogatoires. La doc-
trine économique s'y est essayée avec un certain succès puisqu'elle a
dégagé un ensemble de critères qui permettent de distinguer entre pays
développés et pays en développement. La doctrine juridique n'a pas ren-
contré le même succès, et le recours à ce pis-aller qu'est le principe de
l'auto-élection aménagée, qui permet de traiter comme pays en dévelop-
pement, sauf exception, tout pays qui se désigne comme tel — notamment
30 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

pour les besoins du système généralisé de préférences — montre bien les


limites de l'analyse.
71 Il est vrai que la différenciation entre pays en développement rend plus
complexe encore leur identification. L'« ensemble » que constituent les
pays en développement regroupe plusieurs « sous-ensembles », eux-
mêmes malaisément identifiables. Mais cette différenciation n'en doit
pas moins être prise en compte : les mesures que la société internationale
économique doit prendre en faveur des pays en développement ne sau-
raient être identiques dans tous les cas : elles doivent refléter le plus ou
moins grand degré de consolidation ou de fragilisation des bénéficiaires.
Deux principes de classification se recouvrent ici l'un l'autre. D'un côté il
est fait appel à des critères de caractère général pour distinguer entre pays
en développement. Cette classification permet de moduler les mesures
générales qu'exige toute politique de développement : ces mesures ne
seront pas les mêmes selon qu'il s'agit des pays émergents, à l'extrémité
supérieure du spectre, ou des pays les moins avancés (PMA), à l'extrémité
inférieure du spectre. D'un autre côté, se dégagent des critères de carac-
tère spécial, liés à des situations particulières, auxquelles seules des
mesures spéciales permettraient de remédier : pays en développement
enclavés ou insulaires ; ou encore pays en développement dont l'économie
a été gravement affectée, voire totalement disloquée, par la survenance de
certains événements.
72 Ni les pays développés, ni les pays en développement ne se présentent donc
comme des groupes homogènes dans la négociation internationale écono-
mique. Du côté des pays développés, il existe, certes, des organisations de
coopération économique, telle l'OCDE, au sein desquelles les positions des
États membres ont vocation à s'harmoniser. Mais ce sont les désaccords
autant que les accords qui s'y expriment, comme le rappelle la tentative
infructueuse d'élaboration d'un accord multilatéral sur l'investissement.
Et, du côté des pays en développement, les États se présentent en ordre de
plus en plus dispersé, à telle enseigne que l'on vient à se demander quelle
est leur appartenance : ainsi des BRIC, où se retrouvent le Brésil, la Russie,
l'Inde, la Chine et maintenant l'Afrique du sud, pour défendre, dans la
négociation commerciale internationale, des positions qui ne sont pas
communes à l'ensemble des pays en développement.
73 On pouvait ainsi penser que l'opposition fondamentale entre partisans du
libéralisme et partisans de l'interventionnisme allait s'estompant, et qu'un
consensus s'installait progressivement entre pays développés et pays en
développement quant à la teneur des règles communes qui devaient régir
l'ordre international économique. Une pensée consensuelle semblait faire
son chemin dans un climat de relatif apaisement — les opposants au libé-
ralisme ayant quelque peine à faire entendre leur voix. Mais il se peut que
la crise présente, et les interrogations qu'elle suscite, marquent la fin de
SOCIÉTÉ INTERNATIONALE ET ORDRE INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 31

cette molle convergence. Le protectionnisme retrouve des couleurs et des


défenseurs, y compris parmi les pays développés qui, par l'effet de la crise
financière, se sont trouvés dans l'oeil du cyclone sans l'avoir prévu. La
vogue que connaît, à l'heure actuelle la conclusion d'accords commerce pré-
férentiels (PTAs) incluant les investissements constitue-t-elle un signe avant
coureur d'une remise en cause de l'ordre international économique ?

§ 2.Les organisations internationales


économiques
74 Les organisations internationales gouvernementales sont plus nombreuses
que les États. C'est donc dire que les organisations internationales gouver-
nementales à vocation économique représentent un secteur foisonnant de
la société internationale économique. Ce foisonnement rend aléatoire
tout recensement. On se bornera donc ici à esquisser une définition (1) et
ébaucher une classification (2), avant de rechercher les caractères spéci-
fiques qui sont les leurs (3).

1. Définition
75 L'organisation internationale se définit comme une institution de caractère
le plus souvent permanent, fondée sur un traité dont la dénomination
particulière varie selon les cas — pacte, charte, statuts. Ce traité, qui est la
charte constitutive de l'organisation internationale, est conclu entre ses
États membres, et définit les missions dont elle est investie. Ces missions,
qui obéissent au principe de spécialité, doivent satisfaire un besoin d'inté-
rêt commun. L'organisation internationale, enfin, est dotée de la person-
nalité juridique, tant de droit interne que de droit international ; elle pos-
sède les organes et les pouvoirs qui sont nécessaires à l'accomplissement
des missions qui lui sont confiées par sa charte constitutive.
76 L'organisation internationale économique ne se distingue de l'organisation
internationale que par la nature des missions dont elle est investie, et qui
visent à la satisfaction des besoins d'intérêt commun dans le seul domaine
économique. À cet égard, le plus grand nombre des organisations interna-
tionales économiques opèrent dans le domaine commercial et dans le
domaine financier. Les organisations à vocation commerciale se ren-
contrent tant sur le plan mondial — l'OMC — que sur le plan régional —
l'ALENA, par exemple. De la même manière, les organisations à vocation
financière se rencontrent tant sur le plan mondial — le FMI ou la BIRD,
par exemple — que sur le plan régional — les banques régionales de déve-
loppement. Il n'y a guère que dans le domaine de l'investissement interna-
tional que les institutions se font plus rares. Les réalisations les plus
importantes se situent ici sur le seul plan universel — CIRDI et AMGI.
32 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

2. Classification
77 On sait qu'il existe plusieurs principes de classification des organisations
internationales. Mais il n'en est guère que deux qui présentent quelqu'in-
térêt dans le domaine économique : celui qui distingue entre organisa-
tions mondiales et organisations régionales (a) ; celui qui distingue entre
organisations non opérationnelles et organisations opérationnelles (b).

a. Organisations mondiales et organisations régionales


78 Les organisations mondiales ont vocation à réunir l'universalité des États.
On pourrait donc s'attendre à ce que l'ensemble des organisations inter-
nationales économiques soient regroupées autour de l'Organisation des
Nations unies, à laquelle sa Charte constitutive confère la mission de
développer la coopération internationale économique. Il n'en est rien. Si
certaines organisations internationales économiques font bien partie de la
famille des Nations unies, ainsi qu'en témoigne leur statut d'institutions
spécialisées, d'autres, en revanche, n'entretiennent avec l'organisation
mondiale aucun lien de caractère institutionnel.
79 Au sein de la famille des Nations unies s'est donc constitué un sous-
ensemble d'institutions spécialisées dont l'agencement est marqué par la
diversité et dont le fonctionnement est marqué par la complexité. Dans
l'esprit des fondateurs de l'ordre international qui devait naître après la
seconde guerre mondiale, ce sous-ensemble s'articulerait, en son centre,
autour de l'assemblée générale, du conseil économique et social, et de leurs
organes subsidiaires. Trois organisations devaient graviter autour de ce
centre.
La conférence de Bretton-Woods en juillet 1944 donna naissance à
deux d'entre elles : le Fonds monétaire international (FMI) ; et la Banque
internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD). Les objec-
tifs de ces deux institutions se voulaient complémentaires, puisqu'il s'agis-
sait de venir en aide aux États membres qui rencontraient soit des difficul-
tés conjoncturelles, soit des difficultés structurelles. Aussi bien, les deux
organisations devaient fonctionner dans une étroite relation l'une vis-à-
vis de l'autre : la communauté de leur statut juridique — l'une comme
l'autre devaient devenir des institutions spécialisées des Nations unies —
et le fait que l'appartenance à une institution supposait l'appartenance à
autre institution — tout cela montre que le Fonds et la Banque avaient été
conçus comme des éléments d'un seul et même ordre international éco-
nomique, caractérisé par sa cohérence.
Un troisième élément, l'Organisation internationale du commerce (OIC)
devait compléter l'élaboration de cet ordre. Les statuts de l'OIC, adoptés en
mars 1948, et qui constituaient la charte de La Havane, ne furent pas
ratifiés, à raison de l'opposition du Sénat des États-Unis. Le vide juridique
qui résulta de l'attitude des États-Unis devait être partiellement comblé
SOCIÉTÉ INTERNATIONALE ET ORDRE INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 33

par l'entrée en vigueur de l'accord général sur les tarifs douaniers et le


commerce (ou GATT pour General Agreement on Tarifs and Trade), qui
reprenait les stipulations de la charte de La Havane relatives à la « poli-
tique commerciale » (Partie IV).
80 La négociation multilatérale en matière commerciale devait néanmoins
trouver son aboutissement avec la conclusion des Accords de Marrakech,
qui, inter alia, ont créé l'OMC. L'OMC est une organisation internationale
économique à vocation universelle, même si elle n'a pas encore atteint
l'universalité. En effet, au t décembre 2012, elle comptait 158 membres.
er

Mais quelques États importants n'y avaient pas encore accédé, et parmi
eux, l'Algérie, l'Iran, et surtout, un grand nombre de membres de l'an-
cienne Union Soviétique, tels que l'Azerbaïdjan, la Biélorussie, le Kazaks-
tan, l'Ouzbékistan et le Tadjikistan (à l'exception toutefois des deux pays
les plus importants - Ukraine et Russie - qui devaient rejoindre l'institu-
tion de Genève, respectivement, en 2008 et 2012). L'OMC est donc bien
sur la voie de l'universalité. Mais il est clair qu'elle n'acquerra pas le statut
d'institution spécialisée des Nations unies. La raison de cet état des choses
est avant tout d'ordre politique. On sait que les États Unis, puissance
dominante sur le plan économique, entretiennent des relations contras-
tées avec l'Organisation des Nations unies. Si l'OMC devait devenir une
institution spécialisée, cela témoignerait donc d'un profond changement
d'attitude des Etats Unis vis-à-vis des Nations unies.
81 Les organisations régionales, tout comme les organisations mondiales, sont
des instruments de coopération économique. Mais il y a coopération et
coopération. Certaines organisations régionales se veulent ménagères de
la souveraineté de leurs États membres ; d'autres, telles que les Commu-
nautés européennes, crées en 1951 et en 1957, oeuvrent en faveur d'un
dépassement de cette souveraineté. Voilà pourquoi il n'est pas inexact
d'opposer, désormais, un régionalisme de coopération à un régionalisme
d'intégration.
82 Le régionalisme de coopération s'assigne une mission de portée limitée. Il
s'agit avant tout de promouvoir les échanges entre États membres par
l'établissement de solidarités économiques. L'établissement de ces solida-
rités économiques suppose, à l'intérieur de la zone considérée, que les
mouvements des divers facteurs de production fassent l'objet d'une cer-
taine libéralisation, dans un but de stimulation des échanges. Mais ce
régionalisme de coopération demeure respectueux des souverainetés :
son développement exige l'unanimité des Etats membres. Parce que, en
définitive, l'organisation de coopération ne leur impose aucune véritable
limitation de souveraineté, de nombreux pays l'ont mise en pratique,
quel qu'ait été leur niveau de développement économique. L'exemple
typique en est l'Organisation de coopération et de développement écono-
miques (OCDE).
34 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

83 Le régionalisme d'intégration se donne d'autres ambitions. Dans ses formes


achevées, il limite la souveraineté des États membres, en instituant dans
leurs rapports mutuels d'authentiques éléments de fédéralisme écono-
mique. Le phénomène d'intégration, historiquement, a revêtu trois formes
principales.
La zone de libre-échange est la situation internationale dans laquelle deux
ou plusieurs États éliminent, dans leurs rapports mutuels, les restrictions
tarifaires et non-tarifaires à leurs échanges commerciaux. C'est la forme
élémentaire de l'intégration économique : l'Association européenne de
libre-échange (AELE) ou surtout l'Association de Libre-échange Nord-
Américaine (ALENA) en fournissent une bonne illustration.
L'union douanière est la situation internationale dans laquelle deux ou
plusieurs États, d'une part, éliminent, dans leurs rapports mutuels, les res-
trictions tarifaires et non tarifaires à leurs échanges commerciaux, et,
d'autre part, instituent une protection commune, tarifaire et non tarifaire,
dans leurs rapports avec les États tiers. L'union douanière constitue une
forme moins rudimentaire de l'intégration économique : ainsi du Bénélux,
créé entre la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas.
Le marché commun est la situation internationale dans laquelle deux ou
plusieurs États, premièrement, éliminent, dans leurs rapports mutuels, les
restrictions tarifaires ou non-tarifaires à leurs échanges commerciaux ;
deuxièmement, instituent une protection commune, tarifaire et non-tari-
faire, dans leurs rapports commerciaux avec les États tiers, et troisième-
ment, en supprimant toutes restrictions à la libre circulation des autres
facteurs économiques, tendent à créer un milieu économique de caractère
homogène. Le marché commun, historiquement, représente la forme la
plus élaborée et la plus perfectionnée de l'intégration économique. Pays
développés comme pays en développement y ont recours, ainsi que le
montrent les expériences andines, communautaire et plus récemment
sud-américaine avec le Mercosur.
84 La logique de l'intégration économique, c'est donc le fédéralisme écono-
mique, dans lequel la création d'un marché unique entre États membres
exige une véritable harmonisation de l'ensemble des conditions de la pro-
duction et de la circulation des personnes, des biens et des services. Une
telle harmonisation ne peut se réaliser que si les États membres consen-
tent les nécessaires transferts de compétence — c'est-à-dire les nécessaires
abandons de souveraineté — au profit des organes de l'intégration écono-
mique. L'union économique — puisque c'est d'elle qu'il s'agit — a donc des
implications politiques qui en rendent l'instauration particulièrement
malaisée. À cet égard, l'expérience communautaire a valeur d'exemple.
D'un simple marché commun qu'elle était à ses débuts au vu du traité
de Rome de 1957, la Communauté s'est orientée avec le traité de Maas-
tricht de 1992 vers la constitution d'une union économique et monétaire
illustrée par la création d'une monnaie unique tandis qu'une étape
SOCIÉTÉ INTERNATIONALE ET ORDRE INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 35

supplémentaire devait être franchie avec le traité de Lisbonne de 2009. La


connotation fédérale apparaît ici à l'évidence.

b. Organisations non opérationnelles et organisations


opérationnelles
85 On a tenté d'introduire, en droit international économique, une distinc-
tion entre les organisations non opérationnelles et les organisations opé-
rationnelles. Les organisations non opérationnelles seraient uniquement
investies d'une mission de régulation ; elles édicteraient des normes inter-
nationales qui auraient pour objet et pour effet de régir tel ou tel secteur
des relations internationales économiques dans telle ou telle zone déter-
minée. Un exemple en serait fourni par l'OCDE, qui a pour mission de
favoriser la coopération régionale entre ses membres, mais qui ne dispose
pas des moyens matériels nécessaires à la mise en oeuvre de cette coopéra-
tion. Les organisations opérationnelles seraient, quant à elles, investies d'une
mission d'intervention : elles exerceraient leurs activités sur le terrain,
pour permettre la réalisation d'actions concrètes, telles que les grands pro-
jets d'infrastructure dans les pays en développement. Un certain nombre
d'institutions financières se rangeraient dans cette catégorie : ainsi du
FMI, de la BIRD, ou des banques régionales de développement, qui inter-
viennent par le biais des prêts qu'ils accordent ; ou encore de l'AMGI, qui
intervient par le biais des garanties qu'elle délivre.
86 Cette distinction n'emporte pas l'adhésion. Il est rare qu'une organisation
dite non opérationnelle se limite à une activité purement normative, de
nature abstraite, et sans aucune incidence concrète : c'est ainsi, on le
verra, que l'OCDE intervient directement pour exercer sa surveillance sur
les entreprises multinationales. Il est encore plus rare qu'une organisation
dite opérationnelle n'ait aucune activité normative : c'est elle-même qui
définit les conditions juridiques de son intervention sur le terrain, et qui,
dans ce but, édicte les règles qui vont s'appliquer : ainsi, c'est la BIRD qui
définit elle-même les conditions générales auxquelles elle accorde ses
prêts, et c'est l'AMGI elle-même qui définit les conditions générales aux-
quelles elle délivre ses garanties. Mais, à la vérité, cette distinction, peu
convaincante au demeurant, en recouvre une autre, qui tient au mode de
financement des organisations internationales économiques. Les organi-
sations dont les activités essentielles sont de régulation, n'encourent que
des dépenses de fonctionnement administratif, qui vont être couvertes par
les contributions, non obligatoires ou obligatoires, de leurs membres. Mais
les organisations dont les activités essentielles sont d'intervention
encourent des dépenses d'une toute autre nature, liées à l'investissement
dans les projets d'infrastructure, au moyen de prêts ou de garanties : elles
disposent donc de ressources propres, qui proviennent des souscriptions
des États membre au capital, ainsi que des réserves que l'organisation, le
cas échéant, aura été capable de constituer (AMGI ou FMI), ou d'emprunts
36 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

sur les marchés (BIRD ou banques régionales de développement). Ainsi


apparaît la distinction entre organisations non capitalisées et organisa-
ions capitalisées, propre à la matière économique.

3. Particularisme des organisations internationales


économiques
87 Il est difficile de percevoir, dans leurs modalités d'agencement et de fonc-
tionnement, des différences qui permettraient d'opposer systématique-
ment, d'un côté, les organisations internationales, et, de l'autre côté, les
organisations internationales économiques. Il existe des organisations
internationales dont la charte constitutive comporte des aspects résolu-
ment novateurs, et des organisations internationales économiques dont la
charte constitutive se borne à reproduire des schémas résolument conser-
vateurs. Ce sont les aléas de la négociation internationale, la vitalité du
consensus, ou, au contraire, la force des oppositions qui, cas par cas, vont
dessiner les structures de l'institution.
88 Ainsi, la plus récente des grandes organisations internationales écono-
miques, l'OMC, est née des accords de Marrakech, signés en 1994. On
pouvait donc espérer que le premier de ces accords, qui est la clef de voûte
institutionnelle, l'accord instituant l'OMC, traduirait une vision nova-
trice de l'organisation internationale économique, soucieuse d'efficacité
plus que de souveraineté. Il n'en est rien. La difficulté de la conciliation
entre intérêts opposés et la méfiance des uns envers les autres — et entre
pays développés plus qu'entre pays développés et pays en développement
— tout cela fait que l'OMC se présente comme un Gulliver entravé par des
liens juridiques qui le privent d'une grande partie de sa liberté d'action.
Respect de l'égalité souveraine à tous les niveaux et, notamment, dans la
composition des organes, dans lesquels siège l'universalité des États
membres ; absence de tout pouvoir normatif qui permettrait à l'organisa-
tion d'édicter le droit dérivé qui serait nécessaire à la bonne exécution de
l'ensemble des accords de Marrakech ; exigence de l'unanimité, requise
pour que l'accord entre membres de l'organisation puisse se réaliser, et
pour que celle-ci puisse progresser dans l'accomplissement de ses missions
— tout cela fait que la jeune OMC semble atteinte des maladies de la vieil-
lesse. Le déroulement pour le moins chaotique des négociations commer-
ciales multilatérales (« cycle de Doha » lancé en 2001) actuellement en
état de « mort clinique » (décembre 2012), n'a que trop crûment mis en
lumière ces faiblesses.
89 L'examen des chartes constitutives ne permet donc pas d'affirmer que les
structures des organisations internationales et des organisations internatio-
nales économiques se différencieraient les unes des autres de façon systéma-
tique. Il faut donc manier avec prudence l'assertion selon laquelle l'organisa-
ion internationale économique, réputée sensible à des considérations de pur
SOCIÉTÉ INTERNATIONALE ET ORDRE INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 37

fait, telles que le poids relatif de ses membres dans les relations internatio-
nales économiques, serait encline à donner à ces considérations de fait leur
traduction juridique, en pratiquant la pondération. Certaines organisations
internationales non économiques pratiquent la pondération. À la vérité, le
particularisme de l'organisation internationale économique se reflète davan-
tage dans deux principes d'action que l'on retrouve fréquemment dans leur
mode opératoire : la séparation du politique et de l'économique ; la liaison
entre conditionnalité et concessionnalité.

a. La séparation du politique et de l'économique


90 Une organisation internationale économique ne saurait avoir pour mis-
sion de régler les relations internationales politiques de ses membres : le
principe de spécialité s'y oppose. Mais une organisation internationale
économique peut-elle se départir de sa neutralité et exercer ses activités
en fonction de critères politiques, qui vont ainsi se superposer aux cri-
tères économiques ? La question s'est posée dans le cadre des institu-
tions à vocation mondiale, parce que c'est au sein de celles-ci que
coexistent, parfois difficilement, les pays membres que peuvent séparer
leurs choix politiques comme leurs choix économiques. On se souvient,
à cet égard, des oppositions qu'avait soulevées au temps de l'apartheid,
le maintien de l'aide accordée à l'Afrique du Sud par les institutions
financières internationales.
91 Ainsi formulée, la question, jusqu'à une époque récente, n'appelait qu'une
réponse. La rationalité économique prime la moralité politique. Par suite,
les décisions de l'organisation internationale doivent se fonder sur la seule
rationalité économique. Cette idée imprègne nombre de chartes constitu-
tives : on peut se référer à l'article 4.10 des statuts de la BIRD, à l'ar-
ticle 6 des statuts de l'AID, ou à l'article 9 des statuts de la SFI. À titre
d'exemple, l'article 4.10 des statuts de la BIRD est ainsi rédigé :
« Interdiction de toute activité politique. La banque et ses dirigeants n'intervien-
dront pas dans les affaires politiques d'aucun État membre, ni ne se laisseront
influencer dans leurs décisions par les orientations politiques de l'État membre (ou
des États membres) en cause. Leurs décisions seront fondées exclusivement sur des
considérations économiques, et ces considérations économiques seront impartia-
lement pesées afin d'atteindre les objectifs énoncés à l'article 1. »
La séparation du politique et de l'économique, ainsi conçue, a donc deux
aspects : l'organisation internationale économique s'abstient d'intervenir
dans les affaires politiques de ses membres ; elle doit ignorer toute consi-
dération d'ordre politique lorsqu'elle prend ses décisions, qui ne sont fon-
dées que sur les seules considérations d'ordre économique.
92 Mais l'évolution du droit international, et, notamment, l'intérêt qu'il
porte à la défense des droits de l'homme, fait que l'on peut se demander
si cette attitude est toujours fondée. On soutient, en effet, que les États
comme les organisations internationales sont assujettis à un devoir
38 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

d'ingérence dès lors qu'il s'agirait d'empêcher ou de réprimer les viola-


tions des droits fondamentaux de la personne humaine. Cette interven-
tion d'humanité justifierait donc, par exemple, que l'Organisation des
Nations unies passe outre la réserve de compétence nationale prévue à
l'article 2 § 7 de sa Charte. Il y aurait quelque étrangeté à ce que les agis-
sements justifiant l'intervention de l'ONU dans les affaires intérieures
de tel ou tel de ses membres ne puisse être «pris en considération» par
la BIRD lorsqu'il s'agit d'accorder un prêt, ou par l'AMGI lorsqu'il s'agit
de délivrer une garantie. On voit bien, dans ces conditions, que la sépa-
ration du politique et de l'économique pourrait n'être qu'une forme de
légitimation dissimulée, et que cette légitimation dissimulée pourrait
jouer au bénéfice des États pour lesquels le respect des droits de l'homme
n'est pas impératif. La séparation du politique et de l'économique connaî-
tra donc, peut-on penser, les nécessaires assouplissements qu'appelle
l'évolution du droit international. Et comment ne pas noter ici que la
relativement récente Banque Européenne pour la Reconstruction et le
Développement (BERD), créée en 1991, a expressément pour mission
d'aider les pays ex-socialistes d'Europe centrale et orientale (PECO) à
devenir des régimes démocratiques et à faire du respect de l'idéal démocra-
tique la condition première de son assistance ?

b. Le lien entre concessionnalité et conditionnalité


93 Certaines organisations internationales économiques jouent un rôle
important dans le transfert des ressources du Nord vers le Sud. Elles
interviennent donc dans les relations internationales économiques
comme des instruments au service du développement, en fournissant ou
en permettant de fournir de l'aide à des conditions concessionnelles,
c'est-à-dire à des conditions plus favorables que celles qui résulteraient
du jeu de l'offre et de la demande. C'est le cas, notamment, de l'aide
financière consentie sous forme de prêt, et dont l'aspect concessionnel se
manifeste de trois façons : par la bonification des taux d'intérêt, par l'al-
longement de la durée d'amortissement, et par la stipulation de délais de
grâce. Nombre d'institutions financières accordent ces conditions
concessionnelles aux pays en développement, afin de couvrir les dépenses
liées à la réalisation des projets d'infrastructures : ainsi du FMI, de l'AID
ou des banques de développement.
94 Mais cette concessionalité ne va pas sans contreparties. Les pays rece-
veurs, pour bénéficier de l'aide qui leur est ainsi offerte, doivent souscrire
des engagements : et c'est parce que la concessionnalité dépend de cet
engagement qu'apparaît la notion de conditionnalité. Les conditions que
souscrivent ainsi les bénéficiaires ne leur sont pas imposées : elles sont
négociées et énoncées dans un instrument qui, même s'il ne prend pas la
forme d'un accord ou d'un traité, n'en manifeste pas moins la volonté de
se lier de part et d'autre — même si la marge de négociation ouverte au
SOCIÉTÉ INTERNATIONALE ET ORDRE INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 39

bénéficiaire paraît bien limitée. La conditionnalité, ainsi entendue, est


avant tout d'ordre économique. Elle se donne pour clef de l'efficacité éco-
nomique : l'aide ne peut être accordée à titre concessionnel que si les
conditions de son utilisation en assurent l'efficacité économique. Mais les
États donneurs d'aide, ce sont les pays développés, qui adhèrent au libéra-
lisme, et, pour eux, la condition de l'efficacité économique, c'est l'adhésion
au libéralisme. La conditionnalité oeuvre donc au renforcement de l'ordre
international économique.
95 Mais les exigences de la conditionnalité ne s'arrêtent pas en si bonne voie.
Aux yeux de certains pays développés — et parmi les plus puissants — le
libéralisme ne se divise pas. L'adhésion au modèle économique doit donc
entraîner l'adhésion au modèle politique. Ainsi, l'effondrement du monde
soviétique a paru comme une bonne occasion d'assurer l'ancrage écono-
mique et politique des pays de l'Est au monde occidental. C'est ainsi que
Accord de Paris, portant création de la BERD en 1991, place fortement
l'accent sur une double conditionnalité, tant économique que politique. Et
la conditionnalité politique revêt ici deux aspects. Un aspect est l'aspect
interne : les bénéficiaires doivent choisir le modèle de l'État de droit, c'est-
à-dire de modèle de la démocratie représentative, respectueuse des droits
de l'homme. L'autre aspect, c'est l'aspect international : les bénéficiaires
doivent respecter les principes fondateurs des Nations unies, et, notam-
ment, le principe de l'interdiction du recours à la force dans les relations
internationales. Avec l'apparition de la conditionnalité politique, la sépa-
ration du politique et de l'économique rencontre une nouvelle limite.

§ 3. Les organisations internationales


non gouvernementales à vocation économique
96 Si les organisations internationales gouvernementales sont plus nombreuses
que les Etats, les organisations internationales non gouvernementales, quant
à elles, sont beaucoup plus nombreuses que les organisations internationales
gouvernementales : c'est donc dire qu'elles ne peuvent pas ne pas jouer un
rôle important dans la société internationale économique. On s'en convain-
cra aisément en se souvenant que les organisations internationales non gou-
vernementales à vocation économique sont nées lors des débuts du capita-
lisme commercial, en un temps où les marchands inventaient leur espace
économique comme leur espace juridique — le plus souvent par réaction
contre le pouvoir politique. Ces temps sont certes révolus ; mais l'organisa-
tion internationale non gouvernementale a duré et perduré.

1. Définition
97 Le droit international permet, à partir d'une pluralité de sources, de forger
une définition de l'organisation internationale non gouvernementale —
0 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

et, partant, de l'organisation internationale non gouvernementale à voca-


tion économique. On peut dire qu'il s'agit là d'un groupement, créé à l'ini-
tiative de personnes privées — physiques ou morales — réunissant des membres
de différentes nationalités, constitué en vue de l'exercice d'une activité interna-
tionale de caractère désintéressé, et doté de la personnalité juridique de droit
interne, mais non de droit international.
98 On peut se demander, certes, s'il n'y a pas quelque contradiction entre,
d'une part, le fait qu'une organisation internationale non gouvernemen-
tale doive poursuivre une activité désintéressée, et d'autre part, le fait
qu'une organisation internationale non gouvernementale puisse pour-
suivre une « vocation économique ». La contradiction s'élimine d'elle-
même si l'on comprend la notion de désintéressement comme prohibant,
certes, tout profit direct et immédiat tant pour l'organisation que pour ses
membres, mais comme autorisant la défense des intérêts collectifs des
membres de l'organisation. L'organisation internationale non gouverne-
mentale à vocation économique se présente donc comme un groupe de
pression, ayant mission de défendre, notamment auprès des États ou des
organisations internationales gouvernementales, les intérêts de certains
milieux internationaux économiques. En ce sens, désintéressement n'est
pas désintérêt.
99 Parmi les organisations non gouvernementales à vocation économique,
on citera les associations internationales de caractère professionnel ; les
fédérations internationales de syndicats d'employeurs et de travailleurs ;
les groupements internationaux de producteurs et de consommateurs.
Parmi ces acteurs établis, la Chambre de commerce internationale (CCI),
dont le siège est à Paris, joue un rôle important en matière de formulation
des règles et usages du commerce international ou encore d'investisse-
ment international. De même, l'International Accounting Standard Board
(IASB) - ONG ayant son siège à Londres - ne cesse de proposer des « stan-
dards » en matière comptable - lesquels ne manquent pas d'être repris par
les États ou les institutions internationales compétentes (cas de l'UE) pour
leur donner force obligatoire et contraignante. Les organismes gravitant
dans la constellation de la BRI de Bâle sont également fort actifs dans la
recommandation de normes financières internationales dont la force et la
pertinence ne manquent pas non plus de s'imposer à tous (v. ss 28, 30 et
42-2). Mais à côté de ces organisations traditionnelles, apparaissent des
organisations nouvelles, très actives, et qui, parfois, manifestent une
véhémente opposition à l'ordre international économique, au nom d'un
intérêt collectif qui ne trouverait pas les moyens de s'exprimer sur le plan
international. C'est ainsi que le mouvement « alter mondialiste » se com-
pose d'une nébuleuse d'organisations internationales non gouvernemen-
tales, qui récusent le mondialisme du capital pour réclamer un autre mon-
dialisme, qui ne prendrait pas en compte les seuls intérêts des capitalistes.
On mentionnera, parmi elles, le Center for International Environmental
SOCIÉTÉ INTERNATIONALE ET ORDRE INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 41

Law (CIEL) et l'International Institute for Sustainable Development


(IISD), qui ont une influence non négligeable dans le domaine du droit des
investissements.

2. Participation à l'élaboration du droit international


économique
100 L'organisation internationale non gouvernementale à vocation écono
mique n'est pas un opérateur des relations internationales économiques,
en ce sens qu'elle ne tire pas un profit direct et immédiat de son activité.
Mais elle est un régulateur des relations internationales économiques en
ce sens qu'elle participe souvent, directement ou indirectement, à la fonction
d'élaboration des règles du droit international économique dont sont investies
les organisations internationales gouvernementales.
101 La participation de l'organisation internationale non gouvernementale à
l'élaboration du droit international économique suppose donc un lien
d'association avec l'organisation internationale gouvernementale. Ce lien
d'association peut être prévu, selon diverses modalités, par la charte
constitutive de l'organisation internationale gouvernementale. C'est
ainsi que l'article 71 de la charte des Nations unies prévoit que le conseil
économique et social peut « consulter » les organisations non gouverne-
mentales qui s'occupent de questions relevant de sa propre compétence.
C'est sur le fondement de cette habilitation que le Conseil économique
et social a pris diverses résolutions qui ont pour objet de clarifier ses rela-
tions avec les organisations internationales non gouvernementales : la
consultation ne s'impose, d'une part, que si l'organisation internationale
non gouvernementale est en mesure d'apporter une contribution signifi-
cative aux travaux du conseil, et, d'autre part, que si cette consultation
respecte l'équilibre entre les divers intérêts et positions dans le domaine
considéré.
102 Cette participation, du reste, peut revêtir des formes diverses. L'idée direc-
rice, toutefois, demeure que le rôle de l'organisation internationale non
gouvernementale est d'essence technique, et non politique. Dans le cadre
de ce rôle technique, on peut constater que certaines ONG possèdent un
pouvoir normatif qui leur appartient en propre, et qui leur permet d'édic-
ter des normes juridiques qui, si elles ne peuvent être assimilées à des actes
unilatéraux d'une organisation gouvernementale, n'en ont pas moins une
incidence dans l'ordre international : l'Association internationale des
transporteurs aériens (AITA) ou les conférences maritimes (juridiquement
des ONG siégeant à Londres) en fournissent l'exemple le plus abouti (mais
v. ss 28, 30, 42-2). Mais l'association des ONG à l'édiction des normes
juridiques de droit international se fait généralement de façon indirecte,
par la consultation : ainsi le Business and Industry Advisory Committee
(BIAC) et le Trade Unions Advisory Committee (TUAC), qui sont des ONG,
42 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

jouent-ils un rôle important, de part et d'autre du Comité de l'investisse-


ment et des entreprises multinationales (CIME), dans la mise en oeuvre de
la déclaration et des décisions adoptées par l'OCDE le 21 juin 1976.

Participation au règlement des différends


internationaux économiques
103 Mais c'est sur le terrain du règlement des différends internationaux éco-
nomiques que la pression des ONG se fait la plus forte. Il y a là quelque
chose de paradoxal, dès lors que, dans le contentieux international écono-
mique, les ONG, n'ayant pas d'intérêt direct, ne sont pas habiles à plaider,
ni en demande, ni en défense. Mais il y a intérêt et intérêt, et si l'intérêt
des ONG n'est pas direct, en ce qu'elles ne subissent pas de préjudice, les
intérêts qu'elles représentent, et qui sont, eux, des intérêts collectifs,
peuvent être lésés. Là réside la véritable raison de l'intervention des ONG :
elles ne paraissent ni pour les opérateurs, ni pour les États, qui possèdent
des intérêts propres, elles sont investies d'une mission d'intérêt général,
qu'elles seules semblent à même de faire valoir.
104 Le règlement des différends dans le cadre de l'OMC, bien qu'il s'agisse d'un
mécanisme interétatique, fait désormais place aux ONG. Le Memorandum
d'accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends
permettait déjà aux groupes spéciaux de demander des renseignements ou
des avis techniques « à toute personne ou à tout organisme qu'il jugera
approprié(s) » (art. 13 § 1), et consulter des experts « pour obtenir leur
avis sur certains aspects de la question » (art. 13 § 2). Ces dispositions
autorisaient les groupes spéciaux à se tourner vers les ONG pour solliciter
leur opinion sur tel ou tel point technique entrant dans leur domaine de
compétence et présentant un lien avec le différend. Mais l'initiative venait
des groupes spéciaux et laissait intacte la question de savoir si les ONG,
motu proprio, pouvaient soumettre aux groupes spéciaux leurs observa-
ions dans tel ou tel différend. Cette question a désormais été tranchée
par la pratique des groupes spéciaux, qui peuvent accepter d'accueillir les
observations que leur soumettent les ONG, agissant comme amici curiae,
c'est-à-dire comme sources indépendantes, et désireuses d'éclairer le juge
dans l'intérêt de la justice. Mais cette pratique n'a pas pour objet de créer
une actio popularis, qui permettrait d'exprimer n'importe quelle revendi-
cation dans le cadre de n'importe quel différend. Aussi les groupes spé-
ciaux restent-ils seuls juges de l'admissibilité des observations présentées
par les ONG, et ils ne les admettront que si elles sont susceptibles d'aider
à résoudre le différend qui leur est soumis.
105 De la même manière, les ONG ont exercé une forte pression sur les ins-
tances compétentes en matière de règlement des différends relatifs aux investis-
sements, et, notamment, sur le CIRDI, pour obtenir que puissent être
entendus des tiers à la procédure, c'est-à-dire des personnes physiques ou
SOCIÉTÉ INTERNATIONALE ET ORDRE INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 43

morales qui ne sont ni demanderesses — investisseurs —, ni défenderesses


— États. Force est de reconnaître que cette faculté, qui bénéficiera aux
ONG, n'a rien de choquant dans le cadre des contentieux investisseur-
État, où les considérations d'intérêt public sont évidentes. Les modèles
américain (2004 et plus récemment 2012) et canadien (2004) de conven-
ions bilatérales sur la promotion et la protection des investissements
reflètent ces évolutions en ce qu'elles permettent les productions de tiers
qui ne sont pas parties au différend, dès lors que le contentieux présente
un aspect d'intérêt public, que le tiers produisant est intéressé à la solution
du litige, qu'il peut utilement éclairer le tribunal arbitral, et que sa produc-
tion est en relation avec l'objet du litige. Les prescriptions convention-
nelles, il est vrai, sont dans le droit fil de la jurisprudence des tribunaux
CIRDI en la matière.

§ 4. Les entreprises multinationales


106 Bibliographie o Il existe une littérature considérable en cette matière, et
qui ne cesse de s'enrichir. Les ouvrages de référence, toutefois, ont été
publiés en langue anglaise. On citera au tout premier plan : Peter
T. Muchlinski, « Multinational enterprises and the Law », 1995, Blackwell
Publishers, Oxford. On pourra également se référer à la collection des
Nations unies « The United Nations collection on transnational corpora-
tions », 20 volumes, 1994, Rontledge, éditeur. Les titres de ces 20 volumes
figurent au Compendium de la CNUCED. (International Investment Ins-
truments : a compendium), Vol XIII, p. 296, 2005, Édition des Nations unies
(publication arrêtée depuis lors). La CNUCED publie annuellement les
World Investment Reports, qui contiennent de précieuses données sur les
TNCs (Transnational Corporations). On pourra consulter aussi le journal
publié tous les 4 mois, et intitulé « Transnational Corporations », qui a rem-
placé le CTC Reporter depuis 1992. En langue française, on mentionnera
les deux Rapports du Conseil économique et social de l'ONU, intitulés
respectivement « Les firmes multinationales et le développement mon-
dial » (1973) et « L'impact des sociétés multinationales sur le développe-
ment et les relations internationales » (1978). Les principaux problèmes
juridiques sont traités dans « L'entreprise multinationale face au droit »,
sous la direction de B. Goldman et Ph. Franceskatis, Librairies Techniques,
Paris 1977, ainsi que dans « Les entreprises multinationales en droit inter-
national », par Ph. Mercial, Bruylant, Bruxelles, 1995.

1. Définition de l'entreprise multinationale


107 On peut définir l'entreprise multinationale (EMN), ou société transnatio-
nale (STN) comme un groupement de sociétés commerciales présentant
une certaine permanence, placé sous la direction d'une mère, située en un
État, et comprenant des sociétés filiales ou affiliées situées en plusieurs
44 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

autres États. L'entreprise multinationale, à la différence de l'organisation


internationale non gouvernementale, est donc un groupement d'intérêt
privé, et qui a pour but de réaliser des bénéfices. Mais ce qui la caractérise,
avant tout, c'est la coordination et la hiérarchisation entre les divers élé-
ments qui composent le groupement : c'est la mère qui coordonne les acti-
vités des sociétés filiales et affiliées ; et ces sociétés filiales et affiliées sont
placées sous l'autorité de la mère. Il existe donc des liens juridiques et
financiers complexes entre le centre, c'est-à-dire la société mère, et la péri-
phérie, c'est-à-dire les sociétés filiales et affiliées. Mais l'entreprise multi-
nationale, en tant que telle, ne possède pas la personnalité juridique : ce
sont la mère, ses filiales et ses affiliées, qui, chacune, possèdent cette per-
sonnalité juridique au regard du droit de chacun des États dans lesquels
elles opèrent. Mais, en pratique, et par commodité de langage, la pratique
confère à l'entreprise multinationale la nationalité de sa société mère :
c'est ainsi qu'on dit de Coca-cola que c'est une multinationale américaine,
alors qu'on dit de Renault SA que c'est une multinationale française.
108 L'entreprise multinationale n'est pas un sujet de droit international au
sens classique du terme. Mais certaines entreprises multinationales n'en
disposent pas moins d'une capacité d'influence qui excède celle de nombre
d'États souverains : leur chiffre d'affaires est supérieur au PIB de ces États ;
le nombre de leurs employés dépasse la population de plusieurs pays, déve-
loppés comme en développement ; et le montant de leurs ventes à l'étran-
ger est plus élevé que celui des exportateurs de plusieurs pays. Sur tous ces
points, les World Investment Reports de la CNUCED fourniront des don-
nées chiffrées qui ne manqueront pas d'impressionner. Certes, les plus
importantes des entreprises multinationales demeurent originaires des
pays développés. C'est ainsi que 73 des 100 entreprises multinationales les
plus importantes, en 2004, étaient originaires de cinq économies dévelop-
pées : les États Unis, le Royaume Uni, le Japon, la France et l'Allemagne.
Mais, désormais, les pays en développement et surtout en transition four-
nissent aussi leur contingent d'entreprises multinationales : on dénom-
brait, en 2011, seize de ces entreprises multinationales parmi les 100 plus
importantes (dont la plupart étaient originaires de la République popu-
laire de Chine qui en comptait même trois parmi les dix premières). Ce
nouveau cours fait penser que le procès intenté par certains pays en déve-
loppement aux entreprises multinationales appartient désormais au passé.

2.Les controverses sur les entreprises


multinationales
109 Les entreprises multinationales ont été vivement critiquées dans le passé
par les pays en développement. La raison en était fort simple : il y a cin-
quante ans, la quasi-totalité des entreprises multinationales était origi-
naire des pays capitalistes. Dans le climat de l'époque, il était aisé de les
SOCIÉTÉ INTERNATIONALE ET ORDRE INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 45

accuser d'être l'instrument privilégié de l'exploitation économique et de la


domination politique. Depuis, les perspectives ont largement changé : la
multinationalisation des entreprises concerne désormais des sociétés ori-
ginaires de pays en développement. Mais si les critiques idéologiques se
sont tues — ou presque — les entreprises multinationales demeurent au
centre de profondes controverses quant à leur rôle — positif ou négatif —
dans la division internationale du travail et dans la mondialisation de
l'économie. Ces entreprises multinationales ne sont-elles pas de redou-
tables concurrentes pour les États en menaçant de rendre leur souverai-
neté obsolète ? De plus, ne tendent-elles pas à organiser un système éco-
nomique propre, autonome, menaçant de se substituer à l'ordre
international interétatique ou en tout cas le perturbant gravement ?
110 Une première perturbation pourra être ressentie par l'État de territorialité,
c'est-à-dire l'État sur le territoire duquel l'entreprise multinationale procé-
dera à un investissement. Cette opération de délocalisation d'activités éco-
nomiques devrait entraîner des bénéfices certains pour les pays hôtes :
apport en capital ou en nature — apport de biens corporels ou incorporels
— qui, à terme, devrait avoir des « retombées » positives pour l'économie
considérée. Mais cette délocalisation n'entraînerait souvent, fait-on valoir,
que des apports limités ou inadaptés, qu'il s'agisse d'apports en capital ou
en nature — qui, à terme, seraient bien incapables de produire la moindre
« retombée » positive. Pire : les désavantages l'emporteraient fréquem-
ment sur les avantages. Car les pays importateurs d'investissements, pres-
sés par la nécessité, accorderaient aux entreprises multinationales des
incitations disproportionnées, et qui feraient que leur apport deviendrait
insignifiant, voire inexistant. Et ces mêmes pays importateurs pourraient,
enfin, assister au pillage de leurs ressources naturelles par ces entreprises
multinationales auxquelles un droit international de caractère tradition-
nel, et tout entier préoccupé de leur protection, accorderait les armes
nécessaires. À ce bilan économique négatif s'ajouterait un bilan politique
tout aussi négatif, l'entreprise multinationale mettant en échec la souve-
raineté de l'État de territorialité de la société.
111 Les effets négatifs de l'activité des entreprises multinationales n'épargne-
raient pas l'État de nationalité de l'entreprise, c'est-à-dire l'État auquel se
rattache juridiquement la société qui dirige l'ensemble transnational.
Pourtant, là aussi, du point de vue théorique, on voit bien les avantages
que cet État retire de l'activité de l'entreprise multinationale, notamment
en termes d'implantation internationale économique — et, par consé-
quent, en termes de couverture des importations par les exportations.
Mais là aussi, du point de vue pratique, on peut faire valoir que ces avan-
tages se compensent par des désavantages. L'État de nationalité de l'entre-
prise doit consentir à ce que celle-ci puisse constituer des investissements
inte nationaux, plus précisément en exportant les capitaux nécessaires :
l'incidence d'une telle exportation peut être d'autant plus sensible sur les
46 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

paiements extérieurs que la politique consistant à privilégier l'investisse-


ment commercial par rapport à l'investissement industriel ne convainc
plus guère à l'heure actuelle. Et, surtout, la délocalisation des activités
industrielles s'opère tant au bénéfice qu'au préjudice des États, et ce, pour
au moins deux raisons : d'une part, elle est susceptible d'entraîner la des-
truction d'emplois industriels, et, par suite, de contribuer à la dégradation
des marchés de l'emploi, dont la situation n'est pourtant guère florissante
dans les pays développés ; d'autre part, si elle peut engendrer des courants
d'exportation, elle peut également engendrer des courants de réimporta-
tion, qui, à terme, pèseront, eux aussi, sur les paiements extérieurs.
112 Mais si les activités des entreprises multinationales peuvent jouer au
préjudice tant de l'État de territorialité (État hôte) que de l'État de natio-
nalité (État d'origine), elles pourraient également, allègue-t-on, au-delà
des intérêts de celui-ci comme de celui-là, aller contre les intérêts de
l'ordre international économique dans son entier. En effet, la concen-
tration du pouvoir économique qui s'opère au profit des entreprises mul-
tinationales serait de nature à mettre en cause les principes directeurs
sur lesquels se fonde cet ordre international économique : car ces prin-
cipes directeurs s'inspirent du libéralisme, et exigent donc le maintien
d'une libre concurrence entre opérateurs internationaux économiques.
De surcroît, les activités des entreprises multinationales constitueraient
un risque pour la stabilité des constructions systémiques qui traduisent
ces principes directeurs.
113 C'est ainsi que la pratique dite des prix de transfert, en matière de commerce
international, fausserait le jeu normal des lois du marché. Car l'entreprise
multinationale, pour des raisons financières, a tendance à privilégier le
commerce entre ses diverses filiales ou affiliées, plutôt qu'avec les sociétés
extérieures au groupe. Car elle peut ainsi fixer les prix de transfert de
façon à lisser ses bénéfices. Le jeu normal de l'offre et de la demande en
matière commerciale s'en trouverait faussé, l'entreprise multinationale
devenant ainsi l'initiatrice d'un commerce international fermé, en ce sens
qu'il s'effectuerait uniquement entre les composantes du groupe. Ce type
de commerce, international car il dépasse les espaces économiques natio-
naux, mais fermé, puisqu'il demeure interne à l'entreprise multinationale,
constitue une part importante et croissante du commerce international :
on estime qu'il en représenterait près de 40 %, en moyenne, pour atteindre
70 % dans les secteurs de la chimie et de la pharmacie. En « lissant » ainsi
ses bénéfices, qu'elle siphonnerait pour les redistribuer vers des zones où la
pression fiscale serait moindre, l'entreprise multinationale se soustrairait
à l'impôt, et porterait par là même une grave atteinte aux intérêts fiscaux
des pays où elles seraient implantées.
114 Les entreprises multinationales auraient aussi été à l'origine de la destruc-
ion du système monétaire international qui avait été créé, au lendemain
SOCIÉTÉ INTERNATIONALE ET ORDRE INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 47

de la deuxième guerre mondiale, par les Accords de Bretton-Woods. Ce


système, on le sait, avait pour objet, entre autres, d'éliminer les distorsions
du commerce international qui résulteraient des fluctuations des taux de
change entre les monnaies des nations commerçantes. Aussi les Accords
de Bretton- Woods avaient-ils créé un système de parités fixes. Mais l'ac-
cumulation, par les entreprises multinationales, d'une importante tréso-
rerie, les a amenées à se lancer dans des opérations spéculatives, en anti-
cipant, à court terme, les tendances haussières ou baissières des devises
principales. Ces placements d'ordre spéculatif ne pouvaient qu'accroître
les tensions sur ces devises, en accroissant les marges de fluctuation entre
taux de change, et, par suite, en rendant impossible le maintien des parités
fixes entre ces taux de change. L'intervention des entreprises multinatio-
nales sur les marchés des changes aurait donc entraîné la chute du sys-
tème de Bretton -Woods, et le remplacement du système des parités fixes
par un système de flottement généralisé, dont les accords de 1978 devaient
prendre acte.

3. Les réglementations internationales


115 La puissance économique, voire politique, qui est celle des entreprises
multinationales, devait nécessairement amener les instances nationales et
internationales à affirmer, puis à affermir leur contrôle sur les activités de
ces entreprises. Les tentatives ont été nombreuses : toutes n'ont pas été
couronnées de succès ainsi qu'en témoigne le « code de conduite des
Nations-Unies » qui eut jadis son heure de célébrité et qui demeura à l'état
de projet en raison des profondes controverses qu'il ne cessa de soulever
sans parvenir à les surmonter. Parmi elles, il en est trois qui, par leur
ambition, retiendront particulièrement l'attention : par ordre d'ancien-
neté, il s'agit de la déclaration et des décisions de l'OCDE de 1976, du Pacte
mondial des Nations unies de 2003 et des Principes directeurs de la
Chambre de commerce internationale sur l'investissement international
de 2012.
116 à 122 Réservés

a. La déclaration et les décisions de l'OCDE


123 La réglementation de l'OCDE, en date du 21 juin 1976, se compose d'une
déclaration sur l'investissement international et les entreprises multinatio-
nales, et de trois « instruments interdépendants », intitulés, respective-
ment, « principes directeurs à l'intention des entreprises multinationales » ;
« traitement national » ; « stimulants et obstacles à l'investissement inter-
national » auxquels fut ajouté un texte invitant les pays à éviter ou atténuer
les « obligations contradictoires ». Cette réglementation ne relève pas de la
hard law, du droit dur, mais de la soft law, du droit mou : car, malgré une
trompeuse dénomination, c'est pour l'essentiel de recommandations qu'il
48 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

s'agit ici. Ces recommandations toutefois, ont fait l'objet d'un enrichisse-
ment progressif, par deux voies distinctes : d'une part, le mécanisme du
« réexamen » périodique, qui permet de faire le point sur l'effectivité de la
réglementation, et, le cas échéant, de la compléter sur tel ou tel aspect ;
d'autre part, le mécanisme de la clarification, forme d'interprétation qui
fournit les éclaircissements nécessaires à une bonne application de ces
textes.
124 La définition de l'entreprise multinationale est esquissée plus que précisée. La
forme juridique de l'entreprise est indifférente. Son capital peut être soit
d'origine publique, soit d'origine privée. Ce qui caractérise en réalité l'en-
treprise multinationale, c'est la réunion de trois éléments : l'existence de
plusieurs « établissements » dans des pays différents : l'existence d'un
« lien » entre tous ces établissements ; la capacité, pour un établissement,
d'exercer une « influence » importante sur les autres établissements. Le
terme même d'« entreprise multinationale » traduit donc une volonté de
neutralité : le substantif « entreprise » est utilisé de préférence au substan-
tif « société » pour couvrir à la fois les entités publiques et les entités pri-
vées ; le qualitatif « multinationale » est utilisé de préférence au qualitatif
« transnational » afin de récuser — implicitement plus qu'explicitement, il
est vrai — l'allégation selon laquelle ces entreprises se placeraient au-des-
sus des droits nationaux.
125 Les instruments de l'OCDE (principes directeurs à l'intention des entre-
prises multinationales, traitement national, stimulants et obstacles à
l'investissement international) se présentent comme un ensemble d'instru-
ments interdépendants. C'est dans ce caractère d'interdépendance que la
réglementation puise son équilibre : car il signifie que l'adhésion à un ins-
trument emporte l'adhésion aux autres instruments. Or ce triptyque com-
porte sa logique interne. Le premier instrument (principes directeurs à
l'intention des entreprises multinationales) définit les devoirs des entre-
prises multinationales vis-à-vis de l'État territorial, c'est-à-dire les droits
de l'État territorial vis-à-vis des entreprises multinationales. Le deuxième
instrument (traitement national) définit les droits des entreprises multi-
nationales vis-à-vis de l'État territorial — ou encore les devoirs de l'État
territorial vis-à-vis de l'entreprise multinationale. Les droits et devoirs
tant de l'entreprise multinationale que de l'État territorial s'équilibrant les
uns les autres, le troisième instrument (stimulants et obstacles à l'inves-
tissement international) en tire la conséquence, en préconisant l'élimina-
tion des obstacles et l'introduction de stimulants, de manière à encoura
ger l'investissement international.
126 Certes, la déclaration et les décisions de l'OCDE ne jouent que dans
un cadre limité, qui est essentiellement un cadre Nord-Nord. Mais la
déclaration précise que les États membres « envisageront » d'étendre le
traitement national aux entreprises qui sont contrôlées, directement
SOCIÉTÉ INTERNATIONALE ET ORDRE INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 49

ou indirectement, par les ressortissants des États membres. Une telle


attitude ne peut que favoriser, par le jeu de la réciprocité, la générali-
sation du traitement national, au-dehors comme au-dedans de la zone
OCDE : la déclaration et les décisions de 1976 se donnent ainsi les
moyens de leur propre propagation. Or, il ne faut pas oublier que le
traitement national, s'il se définit comme le régime juridique résultant
de l'application d'une règle identique du droit interne à l'entreprise
nationale et à l'entreprise multinationale, n'en doit pas moins, dans la
conception qu'en véhiculent la déclaration et les décisions, être
conforme au droit international. On retrouve ici la position qu'ont sou-
tenue les pays développés durant la négociation du code de conduite
sur les sociétés transnationales. La propagation des instruments de
1976 au dehors de la zone OCDE n'amènera-t-elle pas à vider de son
contenu le débat entre pays développés et pays en développement sur
l'opportunité d'une référence au droit international à propos du trai-
tement de l'entreprise multinationale ?
127 La vitalité de la déclaration et des décisions de 1976 sur l'investisse-
ment international et les entreprises multinationales est amplement
attestée par l'efficacité de la procédure de clarification, utilisée pour
mettre en oeuvre les principes directeurs à l'intention des entreprises
multinationales. Un nombre important de demandes de clarification a
été suscité par les organismes consultatifs — et, plus particulièrement,
par le TUAC — au cours de la décennie 1970. La plupart de ces demandes
portaient sur la section des principes directeurs, intitulée emploi et
relations professionnelles, ce qui ne saurait surprendre, à la lumière de
la dégradation du marché de l'emploi dans les pays de l'OCDE au cours
de cette période. Un certain nombre d'affaires importantes ont ainsi
été évoquées à l'occasion de ces clarifications : affaires Badger, Batco,
Bendix, Citicorp, Firestone, ITT, Siemens, Hoover et Renault Vilvoorde en
particulier. Les rapports du comité de l'investissement des entreprises
multinationales ont pu jouer un rôle significatif dans le règlement de
ces affaires. On observe, du reste, que, l'essentiel des clarifications
relatives aux principes directeurs ayant été effectué durant cette pous-
sée d'activité, la procédure est moins fréquemment utilisée actuelle-
ment. Ce ralentissement traduit probablement la réussite des prin-
cipes directeurs : il n'y a plus de demandes de clarification parce qu'il
n'y a plus rien à clarifier ; et, il n'y a plus rien à clarifier parce que les
principes directeurs sont désormais correctement interprétés et appli-
qués, donc effectivement respectés.

b. Le Pacte mondial des Nations unies


128 La mondialisation abolit les frontières géographiques. Mais elle se propose
aussi d'abattre les barrières juridiques qui font de l'entreprise un univers
fermé, et qui ne s'insèrent pas véritablement dans l'univers qui l'entoure.
50 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

L'entreprise a des responsabilités vis-à-vis de la collectivité ; elle ne peut


pas faire n'importe quoi, n'importe où, n'importe comment. Il ne s'agit
plus là d'assurer la collaboration de l'entreprise, en tant qu'opérateur éco-
nomique, au maintien d'un ordre international économique fondé sur
l'idée de liberté, et garanti par la définition d'obligations juridiques que
l'entreprise doit respecter ; il s'agit d'associer l'entreprise, en tant qu'entité
citoyenne, à la survie d'un monde qui ne pourra survivre que si chacun
assure sa part de responsabilité.
129 De là vient le Pacte mondial des Nations unies, destiné à faire de l'entreprise
une entreprise citoyenne, qui respectera désormais, selon le Secrétaire
Général Ban Kimoun, « les valeurs et principes qui font le lien entre toutes
les cultures et tous les peuples ». Lancée en juillet 2000 pour s'achever en
décembre 2003, cette initiative de l'Organisation universelle, qui se veut à
la fois mondiale et locale, publique et privée, dépend de l'adhésion volon-
taire des entreprises. Cette adhésion permettra l'intégration des Dix prin-
cipes du Pacte mondial aux activités des entreprises, et, de façon générale,
l'orientation de ces activités dans le sens des objectifs poursuivis par les
Nations unies, tels que, par exemple, les Objectifs pour le millénaire du
développement (OMD). L'entreprise n'est plus seulement au service de
l'économie, elle se met ainsi au service de la collectivité.
130 Quels sont les Dix principes du Pacte mondial ? Ils se regroupent en quatre
grandes catégories : droits de l'homme, droit du travail, environnement et
lutte contre la corruption. Le droit international économique, dans son
souci de croissante moralisation, avait déjà pénétré en certains domaines
— la lutte contre la corruption vient immédiatement à l'esprit. Mais la
volonté de regrouper entre eux ces divers éléments pour guider l'activité
des entreprises constitue une nouveauté.
• En ce qui concerne les droits de l'homme, les entreprises sont invitées (1) à
promouvoir et à respecter le respect du droit international en la matière et (2) à
ne pas se rendre complices de violations de ces droits ;
• En ce qui concerne le droit du travail, les entreprises sont invitées (3) à recon-
naître la liberté d'association et à reconnaître le droit à négociation collective ; (4)
à éliminer toutes les formes de travail forcé ou clandestin ; (5) à abolir le travail
des enfants ; et (6) à éliminer toute discrimination dans l'emploi ;
• En ce qui concerne l'environnement, les entreprises sont invitées (7) à observer
le principe de précaution ; (8) à promouvoir une plus grande responsabilité en
matière d'environnement ; (9) à favoriser les technologies respectueuses de
l'environnement ;
• Enfin)les entreprises sont invitées (10) à lutter contre la corruption sous toutes
ses formes.
Le programme est vaste. Il est surtout très hétérogène, en ce qu'il vise à
la fois des entreprises à faible niveau de développement technologique, et
dans lesquelles les relations sociales sont inorganisées, et des entreprises à
niveau élevé de développement technologique, et dans lesquelles les rela-
ions sociales ont connu une tout autre évolution.
SOCIÉTÉ INTERNATIONALE ET ORDRE INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 51

131 La participation au Pacte mondial résulte d'un engagement de chaque


entreprise. Il s'effectue sur la base du volontariat, et est matérialisé par
une résolution des organes sociaux. La participation de l'entreprise com-
porte engagement d'intégrer les 10 principes énoncés à sa stratégie comme
à sa pratique. Les rapports annuels doivent refléter cet engagement, ainsi
que les mesures qui auront été prises pour assurer son intégration dans sa
gestion quotidienne. À cet effet, chaque entreprise élabore des « Commu-
nications sur le progrès » (COP), qui sont des rapports destinés à toutes les
parties prenantes et, notamment, le personnel, les fournisseurs, les
consommateurs, les collectivités intéressées des progrès qui auront été
accomplis dans la mise en oeuvre des 10 principes. Les entreprises
publiques, qui peuvent adhérer au Pacte Mondial, ne sont pas tenues de
publier des COP.

c. Les principes directeurs de la CCI sur l'investissement


international
132 La CCI s'était intéressée à l'investissement international dès 1949 en
publiant un « code pour le traitement équitable des investissements étran-
gers » (Code of Fair Treatment for Foreign Investment). Puis, en 1972, elle
présenta la première édition de ses « principes directeurs pour l'investisse-
ment international» (Guidelines for International Investment). La version
de 2012 depuis longtemps attendue se situe dans le prolongement de la
précédente (elle en conserve le titre) tout en tenant compte d'un contexte
profondément modifié dominé aujourd'hui par la crise économique et
financière due au surendettement de nombre de pays - à commencer par
les plus développés d'entre eux - et, en particulier ici, par la résurgence du
« capitalisme d'État » (State-owned enterprises, SOEs) - notamment de la
part des BRICs - et l'apparition de véhicules nouveaux sous la forme géné-
rique des « fonds souverains » (sovereign wealth funds) (v. ici pour une
bonne étude de ces entités, R. Bismuth, Les fonds souverains face au droit
international. Panorama des problèmes juridiques posés par des investis-
seurs peu ordinaires, AFDI 2010. 567).
133 Le grand mérite de ces « principes directeurs » (guidelines) est d'avoir une
portée véritablement transnationale en s'adressant aussi bien aux investis-
seurs (en réalité aux entreprises multinationales pour l'essentiel), qu'aux
pays d'origine et aux pays hôtes. En cela, ce « code CCI » est d'ailleurs plus
large que les principes directeurs de l'OCDE pré-examinés car il inclut
formellement et à juste titre les « pays d'origine » qui, en ces temps de crise
peuvent être tentés de décourager les investissements de leurs nationaux à
l'étranger au profit d'une option locale.
134 Il est rappelé à l'investisseur étranger que toute opération constitutive
d'un investissement doit être pleinement conforme aux lois des pays
concernés - d'accueil mais aussi d'origine. En particulier, à l'égard du pays
52 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

hôte, il devra se comporter en «bon citoyen » en favorisant l'emploi de la


main-d'oeuvre locale à tous les niveaux de la hiérarchie (voire en leur
ouvrant l'accès au capital local), en respectant tant les principes fonda-
mentaux posés par l'OIT que ceux précités figurant au titre du Pacte mon-
dial des Nations-Unies, en procédant à des transferts de technologie adé-
quats et en ne recourant pas à la corruption.
135 De son côté, le pays d'origine est invité à poursuivre une politique libérale
en matière d'investissements réalisés par ses nationaux à l'étranger et à ne
pas les restreindre ou discriminer à leur encontre (par exemple par le biais
de la fiscalité). En particulier, il lui est demandé - et l'on ne peut ici qu'ap-
prouver compte tenu des conflits passés dus à des « obligations contradic-
toires » ayant pesé sur des entreprises multinationales - de pas exiger une
application extraterritoriale de ses lois nationales.
136 Concernant la conduite recommandée au pays d'accueil, les principes
directeurs de la CCI sont, dans leur essentiel, d'un grand classicisme. Il
lui est en effet demandé de respecter les « principes reconnus du droit
international » en la matière (VI.3.a) et, en particulier, l'octroi d'un trai-
tement juste et équitable, le respect des engagements contractuels sous-
crits, la « juste compensation » en cas d'expropriation ou de nationalisa-
tion dont le versement devait être effectué sans « délai excessif » (undue
delay) et le recours possible à l'arbitrage international comme moyen de
règlement des différends (v. en général, VI.3.b.c.). Dans la même veine -
et cela peut d'ailleurs être appréhendé au titre du « traitement juste et
équitable » -, le pays hôte doit - bien que l'expression n'y figure pas -
s'assurer qu'un certain « état de droit » règne sur son territoire, ce qui
implique inter alia publication et transparence de l'ensemble de la régle-
mentation applicable, stabilité de son ordre juridique et absence de discri-
mination à l'encontre de l'investisseur étranger dans sa formulation ou
son application (v. en général I.3).

EXISTE-T-IL UN ORDRE
SECTION 2.
INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE ?
137 Inhérente à la notion d'ordre est la notion de cohérence. Mais la notion
d'ordre international économique, envisagée sous l'angle de la cohé-
rence, est une notion ambiguë : signifie-t-elle que la seule cohérence est
la cohérence logique, ou signifie-t-elle que la cohérence est à la fois
logique et éthique ? En d'autres termes, l'ordre international économique
ne reflète-t-il qu'une logique économique, ou est-il, comme toute autre
construction juridique, influencé par des principes moraux qui en for-
ment l'armature ?
SOCIÉTÉ INTERNATIONALE ET ORDRE INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 53

§ 1. Ordre international économique et cohérence


économique
138 Qu'est-ce que l'ordre international économique ? Pour répondre à cette
question, encore faudrait-il définir ce que l'on entend par ordre internatio-
nal économique. Or, cette définition ne tombe pas sous le sens, car elle
repose sur trois éléments constitutifs. Il ne peut y avoir d'ordre internatio-
nal économique que si (i) un ensemble de principes cohérents commande
l'ordonnancement de tout le droit international économique ; (ii) ces
principes se traduisent dans un ensemble de règles, qui s'imposent à tous
les assujettis ; et (iii) ces règles sont appliquées et sanctionnées de manière
à en assurer la pleine efficacité. Si l'on s'en tient à cette définition, on
constatera qu'au mieux se dessinent les contours d'un ordre international
économique, mais que ce dessin inachevé est déjà brouillé par les tensions
qui s'exercent entre multilatéralisme, bilatéralisme, et unilatéralisme.

Les éléments constitutifs d'un ordre international


économique sont-ils réunis ?
139 Ce n'est qu'après le second conflit mondial que les progrès de l'analyse
économique ont permis de dégager des principes économiques suscep-
tibles de fonder un ordre international économique. Mais si l'accord a pu
se réaliser sur un noyau commun, il n'en reste pas moins qu'à l'époque
deux visions systémiques s'opposaient : celle du libéralisme et celle du key-
nésianisme. La coexistence de conceptions, qui, par certains aspects,
demeuraient antagonistes, a donné au système fondé à cette époque un
contenu hybride, qui transparaît bien dans la Charte de La Havane : l'ac-
cent qui y est mis sur le plein-emploi vient du keynésianisme ; alors que
l'accent qui y est mis sur l'élimination des restrictions au commerce inter-
national vient du libéralisme. Mais l'une des deux doctrines ne devait pas
tarder à chasser l'autre, et dès la décennie 1970, le libéralisme évinçait le
keynésianisme. Les oppositions de doctrine entre pays capitalistes et pays
collectivistes, ou entre pays développés et pays en développement n'ont pu
entraver cette progression irrésistible, et l'effondrement des pays socia-
listes, à la fin de la décennie 1980, laisse les principes du libéralisme
maîtres d'un système économique unifié, sinon pacifié. On peut donc
constater que, malgré la rémanence de sédiments hérités du passé, et qui
commencent à s'effacer, il n'y a désormais qu'une seule source d'inspira-
tion du droit international économique : c'est la doctrine libérale.
140 Mais si l'on peut considérer que, désormais, les principes forment un
ensemble cohérent, parce que découlant d'une seule et même doctrine
économique, on ne saurait pour autant conclure que les règles prévues pour
leur application soient en harmonie les unes avec les antres. Les diverses
branches du droit international économique, en effet, n'ont pas progressé
54 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

de la même manière. Que l'on prenne l'exemple du droit international


commercial : celui-ci, au temps du GATT 1947, se limitait aux règles régis-
sant le commerce des marchandises, parce qu'à l'époque, le commerce
international, c'était le commerce international des marchandises. Mais
après un demi-siècle, le commerce international, c'est à la fois le com-
merce international des marchandises et le commerce international des
services ; toutefois, le droit du commerce des marchandises, qui a derrière
lui six décennies d'existence, est beaucoup plus développé que le droit du
commerce des services, qui ne compte, quant à lui, qu'une décennie d'exis-
tence. Le GATT 1994 comprend donc des règles d'application détaillées,
alors que le GATS se borne à l'exposé de quelques grands principes, tels que
celui du traitement de la nation la plus favorisée ou du traitement natio-
nal. On ne saurait donc dire que les progrès du droit ont été les mêmes
dans ces deux domaines. Tant que cette inégalité subsistera, il sera bien
difficile de soutenir que l'ordre international économique a atteint sa
maturité.
141 De la même manière, l'encadrement international des relations finan-
cières présente des lacunes considérables, sur lesquelles la crise actuelle a
jeté une lumière effrayante. On opposait volontiers, jusqu'à présent, sur
le terrain international, ce que l'on appelait le système public à ce que
l'on appelait le système privé. Mais que reste-t-il du système public
qu'avaient créé les accords de Bretton-Woods ? Quant au système privé,
existe-t-il vraiment, ou bien l'utilisation de ces termes ne relève-t-elle pas
plutôt de l'optimisme terminologique ? La masse des mouvements inter-
nationaux atteint désormais des montants énormes, et qui défient l'ima-
gination. C'est ainsi que l'encours des contrats sur produits dérivés négo-
ciés de gré à gré, par exemple, avoisinait, en juin 2011, le montant
effarant de près de 800 000 milliards de dollars - soit onze fois le PIB
mondial... L'encadrement juridique de tels mouvements ne peut être
assuré par les États, agissant isolément. Une vigoureuse coopération
entre eux s'impose désormais. Certes, de-ci de-là, apparaissent les pré-
misses d'une timide harmonisation - qui sont d'ailleurs le fait des insti-
utions internationales publiques, comme la BRI, ou privées, comme les
grandes associations de firmes comptables. Aussi nécessaires qu'elles
soient, elles ne seront pas suffisantes.
142 Et, pour finir, le niveau d'institutionnalisation en matière de relations
internationales économiques se situe nettement en deçà de la limite à
partir de laquelle on pourrait estimer qu'il y a un ordre international
économique. Il n'existe pas d'organisation centrale, qui jouerait dans
l'ordre économique le rôle que l'ONU joue dans l'ordre politique. On a
pu penser que l'OMC pourrait jouer ce rôle à la lumière de l'effet d'en-
traînement que devait jouer le GATS. Mais l'échec des négociations com-
merciales dites du « cycle de Doha », ne permet guère de nourrir de
grandes espérances à cet égard. Si l'OMC ne semble pas en mesure de
SOCIÉTÉ INTERNATIONALE ET ORDRE INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 55

devenir l'ONU économique, du moins a-t-elle vocation à régler l'en-


semble des relations internationales commerciales. Mais les autres
domaines du droit international économique n'en sont pas là : le système
monétaire international a été progressivement démantelé ; et le droit de
l'établissement comme celui de l'investissement se construisent dans un
désert institutionnel qui encourage le désordre. On ne cesse de s'étonner
de la densité normative du droit conventionnel des investissements, où
l'on dénombre quelque 2 800 accords bilatéraux de promotion et de pro-
tection (APPI). Mais quelle est l'institution universelle chargée d'assurer
l'interprétation et l'application uniformes de cette masse convention-
nelle ? Le CIRDI, certes, est une organisation à vocation universelle.
Peut-on cependant sérieusement soutenir que les tribunaux arbitraux
constitués sous son égide aient permis d'aboutir à une aussi nécessaire
harmonisation ?

2. Multilatéralisme, bilatéralisme et unilatéralisme,


facteurs de tension dans l'ordre international
économique
143 On a coutume de prêter à l'unilatéralisme tous les vices et de parer le
multilatéralisme de toutes les vertus. C'est que l'unilatéralisme véhicu-
lerait des intérêts nationaux, et amènerait le désordre international éco-
nomique, alors que le multilatéralisme se fonderait sur la recherche de
l'avantage mutuel, et favoriserait l'apparition d'un véritable ordre inter-
national économique. En bref, d'un côté l'agression, et de l'autre la
coopération.
144 Le multilatéralisme est la doctrine selon laquelle les problèmes internatio-
naux — y compris les problèmes internationaux économiques — appellent
des solutions concertées sur la base de la libéralisation, de l'égalité et de la
réciprocité entre une pluralité d'États ou entre la totalité des États. Cette
doctrine rencontre ses opposants : ce sont les partisans de l'unilatéra-
lisme, pour lesquels le recours au multilatéralisme se fait aux dépens des
intérêts nationaux. Les deux doctrines témoignent d'une indéniable vita-
lité, si bien que l'on peut se demander lequel, du multilatéralisme ou de
l'unilatéralisme, façonne l'ordre international économique.
145 Le multilatéralisme a remporté de notables succès après le second conflit
mondial. Une première poussée s'est faite dans l'immédiat après-guerre, et
révèle la sourde lutte d'influence que se livraient anglais et américains,
sous le couvert du keynésianisme pour les uns, et du libéralisme pour les
autres. Les accords de Bretton Woods ont permis la création du FMI et de
la BIRD. Mais la victoire du libéralisme sur le keynésianisme est consom-
mée avec l'effacement de l'OIC devant le GATT, en 1947. Une deuxième
poussée, dont les résultats sont plus modestes, et qui prend place au cours
56 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

des décennies 1960, 1970 et 1980, tente d'apaiser la confrontation entre


pays en développement et pays développés, exacerbée par la revendication
d'un nouvel ordre international économique. À cette période se rattache
la création d'institutions telles que le CIRDI (1965) ou l'AMGI (1985). La
troisième poussée se produit au cours de la décennie 1990, après l'effon-
drement du monde socialiste devant le monde capitaliste : il devient alors
possible de procéder à une réorganisation globale du système international
commercial. L'heure de l'OMC a sonné.
146 Mais le multilatéralisme tend à s'essouffler ainsi que le montre malheu-
reusement on ne peut plus clairement l'évolution négative du «cycle
de Doha ». Après les grandes remises en ordre de caractère systématique
qui ont permis la reconstruction, accompagné la décolonisation et favo-
risé la mondialisation, voici que réapparaissent les oppositions d'intérêts
entre États. Un domaine sert de révélateur, c'est le domaine du droit des
investissements, dans lequel les tentatives de multilatéralisation se succè-
dent sans succès. Le projet de convention OCDE sur la protection des
biens étrangers (1962) n'est jamais entré en vigueur ; le projet de la BIRD
(1992) sur le traitement des investissements étrangers a été dégradé en
simple recommandation de l'organisation ; le projet de l'OCDE en vue
d'un accord multilatéral sur l'investissement (1998) n'a pas été signé ; et le
cadre multilatéral sur l'investissement, mentionné au § 22 de la Déclara-
tion de Doha (2001) a été abandonné. Encore ne s'agit-il là que des tenta-
tives qui ont retenu l'attention des observateurs et des commentateurs :
mais il en existe bien d'autres dont on a perdu jusqu'au souvenir. C'est
qu'avec les investissements, on se trouve en présence d'un domaine dans
lequel les États poursuivent avec constance leur politique nationale, et ne
souhaitent pas renoncer aux avantages particuliers que celui-ci leur per-
met d'obtenir. L'échec du multilatéralisme est ici dû avant tout aux oppo-
sitions entre pays développés et particulièrement entre États Unis d'Amé-
rique et pays de la Communauté/Union européenne. L'échec du
multilatéralisme favorise le retour de l'unilatéralisme : mais, comme on le
verra, c'est un unilatéralisme qui emprunte le masque du bilatéralisme.
147 La négociation multilatérale, qu'elle emprunte les voies d'une négocia-
tion institutionnelle de caractère permanent, comme à l'OMC, ou qu'elle
en reste aux voies traditionnelles de la négociation interétatique, laissée
à l'initiative des membres de la communauté internationale, semble bien
connaître une phase de décélération. L'unilatéralisme y trouve son
compte. Mais encore faut-il souligner que, de plus en plus souvent, l'uni-
latéralisme avance masqué sous les apparences du bilatéralisme. L'actuel
développement des Preferential Trade Agreements (PTA) est une illustra-
tion de ce phénomène. Les PTA sont des accords bilatéraux que les États
Unis tout d'abord - et bientôt suivis en cela par nombre d'autres pays
comme la Chine, l'Inde, le Japon ou l'Union européenne - concluent
avec les partenaires de leur choix. Aux termes de ces accords, les deux
SOCIÉTÉ INTERNATIONALE ET ORDRE INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 57

parties se font des concessions mutuelles en matière d'accès au marché


— concessions qu'elles n'auraient pu obtenir dans le cadre d'une négocia-
tion multilatérale ; et s'entendent de surcroît pour libéraliser entre elles
les flux d'investissements. Certes, ces PTA sont négociés sur la base de la
réciprocité ; mais, au-delà des apparences, ce sont les États-Unis qui pro-
fitent de l'ouverture des marchés à leurs exportateurs, et ce sont leurs
partenaires conventionnels qui bénéficieront des flux d'investissement
qu'engendrera l'accord. Ainsi s'opère le contournement de l'OMC par la
voie d'accords bilatéraux qui créent des intégrations économiques régio-
nales au sens des accords de Marrakech et par là même procurent aux
parties contractantes, et particulièrement aux États Unis qui en sont les
initiateurs, des avantages supérieurs à ceux qu'ils auraient pu retirer de
la négociation multilatérale.
148 Les Preferential Trade Agreements, bien qu'ils se présentent ostensiblement
comme des instruments de libéralisation, n'en font pas moins peser une
rave menace sur le système commercial qu'ont créé les Accords de Mar-
rakech. Car la libéralisation s'effectue ici au bénéfice du bilatéralisme, et
au préjudice du multilatéralisme - alors même que, dans le système de
l'OMC, libéralisation et multilatéralisation étaient indissociables l'une
de l'autre. Et cette menace se révèle d'autant plus préoccupante que la
pratique des PTA se répand : c'est ainsi que les articles 206 et 207 du traité
de Lisbonne permettraient à l'Union européenne de conclure des accords
de commerce comportant un volet investissements. Que restera-t-il,
alors, des fondements du système de Marrakech ? Certes, on peut tou-
jours rétorquer que les PTA ont pour objet de créer des zones de libre-
échange, et que les zones de libre-échange sont prévues par les accords
créant l'OMC. Toutefois, comment ne pas voir dans leur prolifération
actuelle un véritable « détournement de procédure » générateur de discri-
minations et profondément contraire à l'idéal d'égalité commerciale des
nations officiellement poursuivi par l'ordre international économique de
l'après-guerre ?

§ 2.Ordre international économique et exigences


éthiques
149 L'exigence éthique n'a jamais été absente du droit international écono-
mique, et avant même que celui-ci ait commencé à s'ériger en système
juridique sous l'influence de la doctrine économique. C'est une branche
du droit international, le droit de la condition des étrangers, imprégné de
considérations humanistes plus qu'humanitaires, à vrai dire, qui a fourni
au droit international économique, alors en gestation, ses premiers linéa-
ments. Des notions comme le standard minimum de droit coutumier
international, ou comme les standards du traitement juste et équitable,
ainsi que de la pleine et entière protection et sécurité, font leur apparition
58 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

dans les anciens traités d'amitié, de commerce et de navigation (Frien-


dship Commerce and Navigation - FCN) pour rappeler aux souverains que
l'étranger, pris dans sa personne comme dans ses biens, doit être traité
humainement, au nom de la morale chrétienne. Ces notions sont encore,
on le verra, au coeur du droit international de l'établissement et de
l'investissement.

1. L'exigence éthique au service de la perpétuation


de l'ordre international économique
150 Mais à partir du moment où le droit international économique prend
toute sa dimension, en offrant leur traduction juridique à des notions
économiques, l'optique change. Il s'agit moins, désormais, de protéger
l'étranger, en sa personne et en ses biens, contre les empiétements du sou-
verain, que d'amener les opérateurs économiques à respecter certaines
règles sans lesquelles le système international économique ne pourrait
fonctionner de façon satisfaisante. C'est donc la consolidation, voire la
perpétuation de ce système qui sont en cause, non plus dans l'intérêt des
individus, mais dans l'intérêt collectif. La moralisation des relations inter-
nationales, vue sous cet angle, se fera sentir en trois directions.
151 Premièrement, un certain nombre d'instruments s'efforceront de
mettre un terme, par des moyens de persuasion plus que de coercition,
à certaines activités dommageables des entreprises multinationales.
Parmi ces instruments, on citera la déclaration et les décisions OCDE
du 21 Juin 1.976 sur l'investissement international et les entreprises
multinationales (v. ss 123) ; la déclaration tripartite OIT du 16 novembre
1977 concernant les entreprises multinationales et la politique sociale ;
et le projet de code de conduite ONU sur les sociétés transnationales,
dont l'élaboration entreprise en 1974, se soldera par un échec, qui sera
consommé en 1986. Mais les organisations internationales intergouver-
nementales ne sont pas les seules à s'être intéressées à la question. C'est
ainsi que la Chambre de Commerce Internationale a adopté, en
1972 pour le modifier en 2012 (v. ss 132 s.), les lignes directrices (Gui-
delines) pour l'investissement international, qui se présentent comme
un instrument équilibré, en tant qu'elles définissent les devoirs des
investisseurs comme les devoirs des États. La charte présentée le
25 octobre 1975 par la Confédération internationale des syndicats libres
traduit les conceptions et formule les propositions des syndicats ouvriers
en la matière : il s'agit d'un instrument de contrôle de l'activité des
entreprises multinationales. Certaines entreprises multinationales,
elles-mêmes, se sont jointes aux organisations internationales gouver-
nementales et non gouvernementales, en édictant leurs propres codes
de conduite à usage interne. Ce phénomène d'autorégulation reflète
bien, encore une fois, la diversité des sources du droit.
SOCIÉTÉ INTERNATIONALE ET ORDRE INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 59

152 Deuxièmement, il a paru que les fondements mêmes de l'ordre libéral


seraient menacés si toutes précautions n'étaient pas prises afin d'assurer le
bon fonctionnement du marché à l'échelle internationale, et si, par consé-
quent, les pratiques anticoncurrentielles les pouvaient librement prospé-
rer. Ainsi, dès 1967, l'OCDE, qui joue souvent un rôle pionnier en matière
de droit international économique, a donc adopté une Recommandation
concernant la coopération entre États membres sur les pratiques anticon-
currentielles affectant le commerce international. Cette recommanda-
tion a été révisée périodiquement, en 1973, 1979, 1986. Une nouvelle ver-
sion en a été adoptée en 1995. En 1986, l'ONU a voté un ensemble de
principes et règles, en vue du contrôle des pratiques restrictives en matière
commerciale, qui ont été approfondies par les révisions successives de
1990 et 1995. Mais qu'il s'agisse des instruments de l'OCDE ou de l'ONU,
ceux-ci n'ont aucune force obligatoire ; ils sont de caractère recommanda-
toire — ce qui en marque bien les limites. De tels instruments sont impuis-
sants à fonder un droit international de la concurrence dont la portée
serait universelle. En l'absence d'un tel droit, la place est donc laissée aux
États. Ceux-ci, au risque d'encourir le grief d'unilatéralisme, donnent
donc à leur droit de la concurrence une portée extraterritoriale qui leur
permet de réprimer certaines pratiques, dès lors qu'elles produisent des
effets dommageables sur leur territoire (théorie des effets). L'extension
extraterritoriale ainsi donnée à la loi nationale a fait l'objet de vives cri-
tiques. Mais que vaut-il mieux : laisser les États réprimer des comporte-
ments répréhensibles au regard de leur loi nationale, même si, pour l'es-
sentiel, ils se produisent en dehors de leur territoire, ou laisser certaines
entreprises multinationales tirer profit du vide juridique pour se livrer à
des agissements qui se révéleront préjudiciables à tous, et aux consomma-
teurs d'abord ?
153 Troisièmement, certaines pratiques financières internationales ont fait
l'objet d'une énergique tentative d'assainissement, d'abord pour lutter
contre le trafic des stupéfiants et le blanchiment des capitaux tirés du tra-
fic des stupéfiants, mais aussi et surtout pour combattre la corruption,
tant active que passive, et les paiements illicites. On comprend aisément
la vigilance particulière qui s'exerce en ce domaine. Car la corruption et
les paiements illicites, outre qu'ils faussent le jeu normal de l'attribution
des marchés, et, par suite, celui de la concurrence entre entreprises multi-
nationales, sapent les fondements de toute société démocratique en ce
qu'ils encouragent la violation de la loi et érigent l'opacité en système de
gouvernement économique. On comprend donc que la densité normative
soit particulièrement élevée dans le domaine de la lutte contre la corrup-
ion et contre les paiements illicites. Les organisations internationales
gouvernementales ont contribué aux progrès du droit. Dès 1979, le Conseil
économique et social des Nations unies a élaboré un projet de convention
multilatérale sur les paiements illicites, qui a été transmis à l'Assemblée
générale : mais cette dernière s'est abstenue, malgré les recommandations
60 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

de l'ECOSOC, de convoquer une convention aux fins d'adoption du projet.


En 1996, l'Organisation des États américains a adopté une Convention
interaméricaine sur la corruption. Cette Convention est entrée en vigueur
en 1997. Mais tous les États signataires ne l'avaient pas ratifiée, tant s'en
faut. L'OCDE, de son côté, a préparé sa propre Convention sur la corrup-
ion des agents publics étrangers dans le cadre de transactions commer-
ciales internationales, qui a été adoptée en 1997 par les pays membres et
qui est entrée en vigueur en 1999. Le Conseil de l'Europe, de son côté, est
à l'origine d'une convention pénale sur la corruption, qui a été ouverte à
signature en 1999. Enfin, l'ONU a remis son ouvrage sur le métier : une
convention contre la corruption, sur des bases différentes de celles qui
avaient été proposées en 1979. Cette convention a été adoptée par l'Assem-
blée générale en 2003. Les organisations internationales non gouverne-
mentales, de leur côté, ne sont pas restées inactives : la CCI, dès 1977,
présentait ses propres Recommandations en vue de lutter contre la cor-
ruption et l'extorsion.
On rappellera également que les « principes directeurs » précités de
l'OCDE, au titre d'une «conduite responsable» des entreprises multina-
tionales, n'ont pas manqué de leur « recommander» dans les pays où elles
opèrent de respecter les droits de l'homme (IV) et de ne pas recourir à la
corruption (VII). À ce titre, particulièrement notable est une « décision »
(certes sans portée juridique obligatoire mais néanmoins emblématique)
du « point de contact » britannique en date du 28 août 2008 constatant à
la suite d'une plainte d'une ONG (Global Witness) qu'une société locale
(Afrimex ltd) y avait failli en faisant des paiements illicites à un groupe de
rebelles actifs en République démocratique du Congo et en achetant des
minerais en provenance d'entreprises employant des enfants et recourant
au travail forcé (Global Witness y. Afrimex ltd) (voir sur cette affaire asil.
org.insights.090123.cfm).

2. L'exigence éthique au service de la contestation


de l'ordre international économique
154 Mais il ne s'agit plus, dorénavant, de perpétuation d'un ordre internatio-
nal économique, qui, s'il a prouvé son efficacité, se heurte à une contesta-
tion que relaient les organisations internationales non gouvernementales.
Cette contestation prend deux formes. D'une part, certains groupes font
valoir que l'actuel système présente de graves déséquilibres auxquels il faut
remédier pour éviter sa dégénérescence : ce n'est pas une contestation glo-
bale, mais une tentative de réforme dont le but est de permettre à l'ordre
international économique de se consolider. D'autre part, un rassemble-
ment de groupes radicaux soutient que l'actuel système est atteint de vices
fondamentaux qui excluent toute tentative de réforme : c'est une contes-
tation globale, qui prône la substitution d'un ordre économique nouveau
à l'ordre économique ancien.
SOCIÉTÉ INTERNATIONALE ET ORDRE INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 61

155 Il est vrai que l'actuel système présente de graves déséquilibres. Il est tout
entier orienté vers l'efficacité économique, c'est-à-dire le plein-emploi des
facteurs de production. Or, prétend-on, la recherche de l'efficacité écono-
mique n'aboutit qu'à l'enrichissement des seuls opérateurs économiques
dont l'activité est génératrice de croissance ; mais elle entamerait corréla-
ivement une véritable dévastation de la planète entière. D'où les travaux
du Club de Rome, sur la nécessité de maîtriser le développement écono-
mique, afin d'éviter l'emballement du système. Ces travaux ont mis en
évidence l'exigence d'un développement durable et raisonnable — « sustai-
nable development » —, qui n'a pas encore, il est vrai, trouvé sa juste place
en droit positif. On pourra, toutefois, se référer aux critères élaborés par le
CTC (Center for transnational corporations) des Nations unies, en vue de
parvenir à un développement durable (1990), ainsi qu'à la Charte de la
CCI pour un développement durable (1991). Mais la recherche d'un nou-
vel équilibre a suscité d'utiles réalisations dans des domaines particuliers, tels
que la protection des travailleurs, la protection des consommateurs, et surtout,
la préservation de l'environnement.
156 C'est une contestation d'un autre ordre qu'expriment les « alter mondia-
listes ». Il s'agit de détruire et de reconstruire. Détruire un ordre injuste et
inéquitable, qui ne peut qu'enrichir les plus riches et appauvrir les plus
pauvres. Reconstruire un ordre qui substituera la solidarité à l'efficacité.
La contestation devient radicale, il ne s'agit plus de réforme, mais de révo-
lution : l'opinion publique internationale doit prendre la parole et le pou-
voir pour l'imposer. Ainsi commence à se développer un embryon d'ordre
parallèle, dont les principes sont antinomiques, mais qui ne trouve pas à
s'exprimer sur le terrain juridique. Cet embryon d'ordre parallèle dispose
déjà de ses relais : un certain nombre de pays d'Amérique latine, et un
certain nombre d'organisations internationales non gouvernementales
qui, les uns et les autres, remettent en cause l'ordre libéral. Mais celui-ci,
fort des succès engrangés, ne semble pas menacé par cette contestation.
PREMIÈRE PARTIE

L'ÉCHANGE
INTERNATIONAL
Bibliographie générale
Outre les références spécifiques qui apparaîtront au cours des développements
il convient dès maintenant de signaler des ouvrages et instruments de travail
d'intérêt général et qui seront cités par leur nom d'auteur ou selon des abréviations
convenues :
• Sur le GATT :
En langue française, l'ouvrage fondamental, et unique, est de T. Flory, le GATT,
droit international et commerce mondial, Paris, LGDJ, 1968 ; il conviendra de le
compléter par les chroniques de droit international économique (V° Commerce)
du même auteur, à l'AFDI de 1968 à 1996.
En langue anglaise, on pourra lire avec un égal profit, R. Hudec, The GATT legal
system and world trade diplomacy, Salem, Butterworth, 1990 et Enforcing international
trade law : the evolution of the modem GATT legal system, Salem, Butterworth, 1993 ;
J. H. Jackson, World trade and the law of GATT, Indianapolis, Bobbs-Merrill, 1969.
• Sur l'OMC :
En langue française, T. Flory, L'organisation mondiale du commerce, Bruylant,
Bruxelles 1999 ; V. Pace, L'organisation mondiale du commerce et le renforcement
de la réglementation juridique des échanges commerciaux internationaux, Paris,
l'Harmattan, 2000 ; La communauté européenne et le GATT : évaluation des
accords du Cycle de l'Uruguay, sous la direction de T. Flory, Éditions Apogée, Rennes,
1995 (cité Colloque de Rennes) ; La réorganisation mondiale des échanges (pro-
blèmes juridiques), Colloque de Nice, SFDI, Paris, Pédone, 1996 (cité colloque
de Nice) ; Répertoire de Droit International, Dalloz, 3 vol., 1998 et, en particulier,
Commerce international multilatéral (droit matériel commun), et Système com-
mercial multilatéral (volet institutionnel) par D. Carreau, Négociations commer-
ciales internationales et Négociations commerciales multilatérales du cycle d'Uru-
guay (1986-1993) par D. Carreau et P. Juillard ; pour une réflexion générale, voir
64 L'ÉCHANGE INTERNATIONAL

D. Carreau et P. Juillard, L'Organisation mondiale du commerce, Nijhoff, La Haye,


1998. H. Ruiz-Fabri, Jurisclasseur International, Fasc. 130-10, 130-20 et 130-25.
En langue anglaise, The Uruguay round results : ed. by H. J. Bourgeois, F. Berrod
et E. Grippini Fournier, College of Europe, Bruges, Conférence n° 8, 1995 (cité
Colloque de Bruges).
En langue italienne, A. Comba, Il neo-liberalismo internationale. Strutture
Giuridiche a dimensione mondiale dogli accordi di Bretton-Woods all'Organizazione
Mondiale del Commercio, Milano 1995. E. Greppi, WTO, Torino, 2000. R Picone,
A. Ligusto Diritto Dell'Organizasione Mondiale del Commercio, CEDAM, Milano,
2003.
À cela, il convient d'ajouter les publications officielles de ces institutions qui sont
d'une importance primordiale pour se tenir à jour des nouveaux développements :
à ce titre, il convient de citer les rapports annuels tant du GATT que de l'OMC qui
contiennent des mines de renseignement. Les divers instruments juridiques concer-
nant tant le GATT que l'OMC font l'objet d'une publication systématique (mais
tardive) dans les instruments de base et documents divers (cités IBDD). Enfin, il
faudra se référer en permanence au Guide des Règles et Pratiques du GATT dont la
dernière édition publiée par l'OMC date de 1995 et qui constitue un répertoire
irremplaçable de la manière dont l'institution de Genève a poursuivi sa mission
au cours des ans (cité « Guide des règles et pratiques du GATT ») ; celle-ci est
maintenant actualisée et disponible sur le site internet de l'OMC.
157 Le nouveau Système OMC 0 Le droit applicable au système commer-
cial multilatéral a connu une mutation considérable avec l'entrée en
vigueur des Accords de Marrakech et de l'Organisation mondiale du com-
merce à compter du 1" janvier 1995.
Jusque-là, le cadre juridique du commerce international apparaissait
comme singulièrement dispersé, lacunaire et faible. Le GATT de 1947, suc-
cédané d'une Organisation Internationale du Commerce (OIC) qui ne vit
jamais le jour, loin de constituer une institution unifiée, se délita progres-
sivement par le jeu d'exceptions, dérogations et autres accords latéraux : il
devint un « GATT à la carte ». De surcroît, sa compétence ne s'étendait
qu'au commerce visible, celui portant sur les marchandises ; il laissait de
côté les transactions invisibles, les services, alors que ceux-ci constituaient
au cours des ans le volet le plus dynamique des échanges commerciaux
internationaux. Enfin, l'Accord général n'avait guère de moyens pour faire
respecter la discipline qu'il prônait ; son mécanisme de règlement des dif-
férends demeurait faible, faute de moyens de pression adéquats. Avec le
« Système OMC » né des Accords de Marrakech du 15 avril 1994, c'est à
une véritable révolution copernicienne que l'on a pu assister.
158 Un cadre unique 0 Le droit international du commerce multilatéral pos-
sède désormais une institution unique avec l'OMC : en effet, celle-ci « ser-
vira de cadre institutionnel commun » (art. II.1 de ses statuts). Ainsi, il en
est désormais fini avec la géométrie variable de l'époque du GATT ; désor-
mais, seule l'OMC assurera la gestion du commerce multilatéral conven-
tionnel. De surcroît, le système commercial multilatéral, conventionnellement
L'ÉCHANGE INTERNATIONAL 65

établi, comble nombre de lacunes passées : il s'étend notamment aux ser-


vices et à la propriété intellectuelle tandis qu'il appréhende - sans doute
indirectement - le domaine des investissements. Enfin, le système se trouve
renforcé par un mécanisme de règlement des différends commerciaux plus
efficace et qui l'a déjà prouvé dès le début de sa mise en oeuvre. En bref, uni-
fication institutionnelle, intégration matérielle et renforcement des disci-
plines constituent les caractéristiques du nouveau système commercial
multilatéral.
159 Plan 0 Dans cette optique, il conviendra d'examiner successivement le
cadre institutionnel commun (Titre 1), puis le commerce international
des marchandises (Titre 2), le commerce international des services
(Titre 3) et, enfin, les secteurs liés au commerce des marchandises comme
des services inclus ou — le plus souvent — exclus du nouveau système com-
mercial (Titre 4).
TITRE 1

Le cadre institutionnel
commun

160 Il ne saurait s'agir là de présenter une monographie de l'OMC, ce manuel


se concentrant comme il se doit sur le droit matériel. Mais certains aspects
institutionnels doivent être abordés en raison de leur importance pour
tous les agents économiques. Il en va ainsi du passage du GATT à l'OMC
(Chapitre 1.) qui a permis de combler certaines lacunes initiales et ainsi de
donner une meilleure effectivité au système commercial multilatéral. Il en
va de même pour le mécanisme de règlement des différends qui a été
considérablement renforcé (Chapitre 2). Enfin, il demeure clair que les
négociations commerciales multilatérales tant dans leurs principes que
dans leur mise en oeuvre conditionnent étroitement le développement du
droit matériel (Chapitre 3).
CHAPITRE 1
DU GATT À L'OMC

Bibliographie
• Sur les aspects institutionnels du GATT les ouvrages précités dans la biblio-
graphie générale de T. Flory en langue française et de Hudec et Jackson en anglais
permettent de s'en faire une bonne idée.
• Sur les aspects institutionnels de l'OMC, voir D. Carreau, Répertoire de Droit
International, op. cit. ; P. Eisemann, Le système mondial de l'OMC, in Colloque
de Nice, op. cit., p. 53 s. ; J. Lebullenger, L'Organisation mondiale du commerce, in
Colloque de Rennes, op. cit. p. 23 s. ; F. Roessler, The agreement establishing the World
Trade Organization, Colloque de Bruges, op. cit. p. 67 s.
• Sur les problèmes particuliers soulevés par l'application des Accords de Mar-
rakech, voir G. Burdeau, Aspects juridiques de la mise en oeuvre de l'Accord de Mar-
rakech, in Colloque de Nice, op. cit. p. 203 s. ; P. Didier, Les principaux accords de
l'OMC et leur transposition dans la Communauté européenne, Bruylant, Bruxelles,
1997 (ouvrage de référence) ; P. Mengozzi, The Marrakech DSU and its implications
on the international and European level, Colloque de Bruges, op. cit. p. 115 s. ;
T. P. Stewart (ed.), The World Trade Organization : the multilateral trade framework
for the 21st century and US implementing legislation, American Bar Association,
Washington DC 1996.

161 De Bretton-Woods à Marrakech 0 L'ordre international économique


néo-libéral qui devait voir le jour à la fin de la deuxième guerre mondiale
ne pouvait être que d'origine conventionnelle afin de lutter contre les erre-
ments nationalistes et protectionnistes antérieurs. Pour sa mise en oeuvre
concrète, il impliquait la constitution d'organisations internationales
intergouvernementales. Pour des raisons qui tinrent plus au hasard qu'à la
logique, les deux premiers piliers qui virent le jour concernèrent la mon-
naie et les finances avec la signature en juillet 1944 des accords de Bret-
ton-Woods, créant ces deux institutions soeurs que sont d'une part, le
Fonds Monétaire International (FMI) et, d'autre part, la Banque Interna-
tionale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD ou Banque
mondiale). Le troisième pilier eut une histoire beaucoup plus heurtée
puisque d'échec (la non-entrée en vigueur de la Charte de la Havane qui
devait donner naissance à l'Organisation Internationale du Commerce)
en solution provisoire (la signature de l'Accord général sur le Commerce
et les Tarifs Douaniers — GATT), il ne fut pleinement créé qu'au 1" janvier
1995, date de l'entrée en vigueur de l'accord constitutif de l'Organisation
Mondiale du Commerce (OMC).
162 Une bonne compréhension de l'OMC est impossible si l'on fait abstraction
du contexte historique dans lequel le GATT a été créé et de l'évolution de
70 LE CADRE INSTITUTIONNEL COMMUN

l'Accord général lui-même (Section 1). Les mécanismes institutionnels de


l'OMC — plus complexes et ambitieux que ceux du GATT — ne font que
refléter le changement de nature du système commercial multilatéral posé
par les Accords de Marrakech du 15 avril 1994 à la suite de la conclusion
favorable des négociations du « Cycle de l'Uruguay » à Genève le
15 décembre 1993 (Section 2).

LE GATT DU 30 OCTOBRE 1947


SECTION 1.
AU 31 DÉCEMBRE 1994 :
UNE VUE CAVALIÈRE
163 Plan 0 Signé le 30 octobre 1947 pour entrer en vigueur à compter du
t janvier 1948, l'Accord général devait de facto disparaître le 31 décembre
er

1994 avec la mise en place de l'OMC : toutes les parties contractantes du


GATT étant devenues des membres de la nouvelle OMC, l'Accord général
avait perdu sa raison d'être. Il s'agit là d'un cas unique de disparition orga-
nique d'une institution internationale. Si le sort final du GATT était sans
doute scellé dès son origine en raison de ses nombreuses faiblesses (§ 1), il
convient de ne pas oublier que l'Accord général connut un succès certain
dans la libéralisation du commerce mondial, de sorte que son acquis se
retrouve largement dans l'OMC (§ 2).

§ 1. Les faiblesses constitutionnelles du GATT


164 H est clair que nombre d'entre elles — et les plus importantes — ont trait
aux conditions mêmes de sa création (1). Mais d'autres se sont également
développées au cours des ans et tiennent à la pratique suivie (2).

1. Faiblesses constitutives
165 Sept insuffisances congénitales se doivent d'être notées. Le GATT apparaît
comme une version tronquée de la Charte de la Havane. Il ne couvre que
le commerce des marchandises. C'est un accord provisoire qui devint défi-
nitif. Ce n'est pas un traité en bonne et due forme. Sa structure institu-
tionnelle est faible, sa représentativité est insuffisante. Il ne possède pas
effet direct dans l'ordre juridique des membres.

a. Une version abrégée de la Charte de la Havane


166 Le GATT conclu à Genève le 30 octobre 1947 ne constitue en effet qu'un
extrait de la Charte de la Havane qui n'avait d'ailleurs pas encore été
signée (elle devait l'être le 24 mars 1948)... L'Accord général sur les Tarifs
DU GATT À L'OMC 71

Douaniers et le Commerce consiste dans la reprise de la Partie IV de la


Charte de la Havane intitulée « Politique commerciale » et qui en consti-
uait au demeurant le noyau dur.
Cette solution fut retenue comme un pis-aller et de surcroît provisoire.
Il était généralement estimé à l'époque que l'approbation définitive de la
Charte de la Havane et la mise en oeuvre effective de l'Organisation
Internationale du Commerce qu'elle instituait prendraient beaucoup de
temps ; d'où l'idée d'avoir un accord intérimaire qui en reprendrait l'essen-
tiel tant que la Charte ne serait pas en vigueur ou cesserait de l'être (v.
l'art. XXIX du GATT).
167 Cette approche pragmatique devint une faiblesse essentielle de l'Accord
général lorsqu'il apparut que l'OIC ne verrait jamais le jour à la suite de
l'opposition de la nouvelle majorité issue des élections américaines de
1950 qui estimait la Charte de la Havane trop protectionniste et pas assez
libre-échangiste.
Or, par comparaison avec la Charte de la Havane, l'Accord général
semble bien parcellaire : la Charte contenait en effet des dispositions fort
novatrices sur « l'emploi et l'activité économique », « le développement
économique et la reconstruction », « les pratiques commerciales restric-
tives » et les « accords intergouvernementaux sur les produits de base » —
sans parler bien entendu des mécanismes institutionnels de l'OIC. Il y
avait là autant de lacunes officielles du GATT et dont toutes furent loin
d'être comblées dans le nouveau « Système OMC » ; celui-ci en effet ignore
toujours les problèmes de l'emploi ou de la concurrence liés au commerce
international, les relations entre l'investissement étranger et le développe-
ment ou encore le commerce des matières premières.

b. Un accord limité au commerce des marchandises


Le GATT de 1947 ne couvre que le seul commerce visible, c'est-à-dire
celui concernant les marchandises. Autrement dit, il n'appréhendait pas le
commerce invisible, cette exclusion étant aisément compréhensible à
l'époque. Les économies nationales d'alors étaient essentiellement fondées
sur les secteurs primaires et secondaires de production et d'échange des
richesses, le secteur tertiaire ne jouant qu'un rôle accessoire. Vu la fai-
blesse des opérations de prestation internationale de services dans l'immé-
diat après-guerre, cette matière — au demeurant fort complexe ainsi qu'on
le verra par la suite — pouvait, au moins dans un premier temps, être
laissée en dehors de cette charte du commerce mondial.

c. Un accord provisoire pérennisé


168 Le caractère lacunaire — et volontairement lacunaire — de l'Accord général
n'aurait guère porté à conséquence si celui-ci était bien resté provisoire.
Or, le provisoire devint définitif à la suite de l'abandon du projet de
72 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

création de l'OIC. Dès lors, les lacunes et autres faiblesses du GATT


devinrent de plus en plus criantes au cours des ans et de moins en moins
acceptables — notamment depuis le milieu des années 1980 avec le déve-
loppement et l'accélération du phénomène de la mondialisation de
l'économie.

d. Un accord en forme simplifiée (executive agreement)


169 L'Accord général de 1947 n'est en rien un traité en bonne et due forme
soumis aux procédures internes de ratification. Juridiquement, il rentre
dans la catégorie des accords en forme simplifiée (France) ou « executive
agreements » (Etats-Unis).
170 C'est dire qu'il ne possède pas la même force juridique qu'un traité
approuvé par le pouvoir législatif. Les parties contractantes devaient elles-
mêmes le reconnaître en décidant d'appliquer l'Accord général à compter
du 1 'janvier 1948 mais « à titre provisoire ». En effet, en vertu du « pro
tocole d'application provisoire » signé également à Genève le 30 octobre
1947, les signataires prévoyaient la mise en oeuvre de la Partie II de l'Accord
général (c'est-à-dire l'essentiel de ses dispositions contenues dans les art. II
à XXIII) « dans toute la mesure compatible avec la législation en vigueur ».
Autrement dit, cette clause portait maintien de la législation en vigueur lors
de la signature de l'Accord. Les Américains la qualifient de façon imagée
de « grandfather clause », car elle permet le maintien de toute loi interne
antérieure qui serait contraire à la Partie II du GATT (et notamment dans
le domaine crucial du traitement national). Tout ceci ne pouvait à l'évi-
dence que porter atteinte à l'autorité et à la force juridique de l'Accord
général. Cependant, les « groupes de travail » (ou panels) du GATT qui
eurent à se pencher sur cette exception tenant à la « législation en
vigueur » lui donnèrent une portée limitée de façon à éviter de trop faciles
abus. Pour être acceptable, il devait bien s'agir d'une législation au sens
formel, celle-ci devait être antérieure à l'entrée en vigueur de l'Accord géné-
ral pour le pays considéré, elle devait en outre être de nature impérative
tandis qu'elle ne pouvait pas être renforcée par la suite (v. Guide des Règles
et Pratiques du GATT, op. cit., pp. 1171-1179).

e. Une structure institutionnelle quasi inexistante


171 Initialement, l'Accord général ne pouvait en rien passer pour une organi-
sation internationale au sens commun et classique du terme. D'ailleurs, le
texte ne qualifie jamais les pays signataires d'États membres, mais seule-
ment de « parties contractantes » ce qui est la terminologie habituelle en
matière de traités ordinaires. Sur le plan institutionnel, le seul organe
permanent était un « secrétaire exécutif ». Pour le reste, l'action collective
devait être menée à l'occasion de réunions périodiques (art. XXV du GATT).
DU GATT À L'OMC 73

Quant au règlement des différends commerciaux, il apparaissait vague et


souple à souhait.
172 Ici encore, de telles faiblesses institutionnelles n'étaient pas graves si l'Ac
cord général revêtait bien un caractère provisoire. Avec sa pérennisation,
une institutionnalisation de fait apparaissait nécessaire et c'est d'ailleurs
ce qui se produisait : le GATT de 1947 — et c'est bien là un des rares
exemples avec le Pacte de l'Atlantique de 1949 — devait connaître une
institutionnalisation progressive, au point de conclure des traités interna-
tionaux (par exemple un accord de siège avec la Suisse), ce qui est le critère
même de la personnalité internationale.

f. Une représentativité insuffisante


173 Le 30 octobre 1947, l'Accord général ne fut signé que par 23 pays (Austra-
lie, Belgique, Brésil, Birmanie, Canada, Ceylan, Chili, Chine, Cuba, États-
Unis, France, Inde, Liban, Luxembourg, Norvège, Nouvelle-Zélande,
Pakistan, Pays-Bas, Rhodésie du Sud, Royaume-Uni, Syrie, Tchécoslo-
vaquie, Union Sud-Africaine). C'est peu. En effet, 44 pays étaient présents
ou représentés à la Conférence de Bretton Woods de 1944 qui devait créer
le FMI et la BIRD. D'ailleurs, au cours des ans, le GATT a toujours eu net-
tement moins de parties contractantes que les institutions soeurs de Bret-
ton-Woods n'avaient de membres. Ainsi, à la fin de son existence en 1994,
le GATT comptait 128 participants et le FMI 181. Si le GATT ne fut jamais
une institution universelle, ses « membres » représentaient toutefois plus
de 80 % des échanges commerciaux.

g. Une absence d'effet direct


174 D'une manière générale, les normes juridiques contenues dans l'Accord
général ne possédaient pas les qualités requises pour passer le test de l'ap-
plicabilité directe de la règle internationale dans l'ordre interne : leur
faible clarté et absence de précision, l'absence d'obligations de faire ou de
ne pas faire de nature inconditionnelle, sans parler, bien entendu, de leur
incapacité à modifier la législation existante contraire des États telles que
rappelées précédemment, apparaissaient comme autant de déficiences
dirimantes. Or, une telle faiblesse qualitative est particulièrement impor-
tante : il n'est que de se rappeler l'effet de levier considérable produit par la
norme internationale d'effet direct pour assurer l'effectivité du droit
international dans sa protection des droits de l'individu. À plus grande
échelle encore, le même phénomène ne cessa de jouer au profit du droit
communautaire.
175 Dès lors, c'est sans surprise que la Cour de Justice des Communautés
européennes par exemple devait dénier aux dispositions de l'Accord géné-
ral dont elle avait été saisie la qualité et le bénéfice de l'effet direct pour ne
74 LE CADRE INSTITUTIONNEL COMMUN

leur reconnaître qu'un simple caractère intergouvernemental (v. les déci-


sions « International Fruit » : aff. 21-24/72, 12 déc. 1974, Rec. 1972 ; « Kup-
ferberg », aff. 104 / 81, 26 oct. 1982, Rec. 3641 et plus récemment encore à
propos du « Régime d'importation des bananes », aff. c. 280/93, 5 oct. 1994,
Rec. 1.4973).

2. Faiblesses acquises
176 Au cours des ans, deux défauts majeurs et cumulatifs allaient apparaître
au sein du « système GATT ». D'une part, le régime juridique initial posé
par l'Accord général devait se fragmenter et donner naissance au phéno-
mène dit du « GATT à la carte ». D'autre part, cette « mosaïque » qu'était
progressivement devenu l'Accord général entraîna des effets très déséqui-
librés pour ses parties contractantes faute de réciprocité effective des
engagements souscrits.

a. Le GATT « à la carte »
177 Dérogations et accords latéraux 0 Une désintégration certaine du
« système GATT » apparut dès le milieu des années 50 pour s'accélérer
dans les années 70 en raison, d'une part, de la mise en place de larges
dérogations, puis d'autre part, de la conclusion d'accords latéraux visant des
secteurs particuliers.
178 Le premier démantèlement se produisit en 1955 lorsque le GATT accorda
aux Etats-Unis une dérogation majeure (waiver) leur permettant de res-
treindre leurs importations agricoles. À la suite de l'octroi de cette déroga-
tion, l'agriculture devait virtuellement sortir du « système GATT ».
Durant toute son histoire, le GATT devait exercer assez généreusement
cette compétence prévue pour des « circonstances exceptionnelles » (au
demeurant jamais définies) en accordant 115 dérogations aux parties
contractantes.
179 En outre et plus grave encore, la pratique de la conclusion d'accords laté-
raux négociés sous les auspices — si ce n'est avec la bénédiction — du GATT
allait accentuer sa désintégration. Le mouvement commença avec le sec-
teur des produits textiles dès 1961 pour culminer en 1974 avec l'Accord
Multifibres (AMF) : ainsi, des accords spécifiques successifs furent-ils
régulièrement mis sur pied contenant des mécanismes parfaitement
contraires à la lettre et à l'esprit de l'Accord général comme, par exemple,
la légitimation d'accords bilatéraux de restrictions «volontaires » aux
exportations. La conséquence en fut claire : le commerce des produits tex-
tiles (entendu au sens large et couvrant aussi bien les fibres naturelles que
synthétiques et les produits y afférents) sortit du régime de droit commun
posé par l'Accord général de 1947.
DU GATT À L'OMC 75

180 Accélération lors du Tokyo Round 0 Le mouvement s'accéléra dans


les années 1970 à l'occasion des négociations du Cycle de Tokyo (Tokyo
Round) de 1973-1979 qui virent la conclusion de nombreux accords sépa-
rés sous le nom de « codes ». Ceux-ci portèrent sur le dumping, les subven-
tions, l'évaluation en douanes, la normalisation, les licences d'importa-
tion, les marchés publics ou les aéronefs civils. Or, tous ces accords latéraux
ont en commun de n'avoir été acceptés que par une petite minorité de
parties contractantes du GATT : aucun d'entre eux ne fut jamais approuvé
par plus du tiers d'entre elles (v. le Tableau reproduit in Guide des Règles et
Pratiques du GATT, op. cit., pp. 1249-1251).

b. Le phénomène du « free ride » (course gratuite)


ou la réciprocité en question
181 Phénomène inhérent du jeu de la CNPF de nature incondition-
nelle 0 Or, ce morcellement du droit international applicable au com-
merce des marchandises (près d'une centaine d'accords latéraux furent en
effet négociés au sein du GATT) contribua au phénomène pervers du « free
ride» (ou course gratuite) inhérent au jeu de la clause de la nation la plus
favorisée de type inconditionnel posée à l'article I de l'Accord général : toutes
les parties contractantes bénéficièrent ainsi ipso jure des mesures de libé
ralisation négociées par un petit nombre d'entre elles, sans offrir en retour
la moindre concession. Comme le nota fort bien l'ancien directeur des
services juridiques du GATT, celui-ci était devenu « une société de nations
commerçantes dans laquelle plus des deux-tiers bénéficiaient des obliga-
ions assumées par une minorité de moins d'un tiers » (F. Roessler, The
Agreement establishing the World Trade Organization, in the Uruguay Round
Results, College of Europe, Bruxelles, 1995, p. 69).
182 La clause de la nation la plus favorisée de type inconditionnel est au coeur
même de l'économie du GATT dont elle constitue le principe fondamental.
Son but, comme devait à juste titre le noter la CIJ dans l'« affaire des droits
des ressortissants des États-Unis d'Amérique au Maroc » est « d'établir et de
maintenir en tout temps, entre les pays intéressés, une égalité fondamen-
tale sans discrimination » (Rec. 1952, p. 192). Elle exclut donc, contraire-
ment à une version conditionnelle plus restrictive, toute réciprocité de la
part de ses bénéficiaires ; ceux-ci ne sont nullement tenus d'offrir en
retour une concession équivalente. Dans ces conditions, ainsi que cela a
été noté précédemment, le développement d'un « GATT à la carte » avec la
conclusion de nombreux accords latéraux allait permettre à une large
majorité de parties contractantes de pratiquer une politique du « pick and
choose » selon laquelle ils pouvaient choisir leurs engagements en fonction
de leurs intérêts tout en bénéficiant pleinement des mesures de libéralisa-
ion adoptées par d'autres — en l'espèce une petite minorité se composant
essentiellement de pays développés.
76 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

183 Absence de rattrapage lors des accessions De surcroît, ce phéno-


mène du «free ride» allait encore se trouver accentué à l'occasion de
l'accession de nouvelles parties contractantes. En effet, celles-ci en accé-
dant à l'Accord général se trouvaient bénéficier immédiatement et auto-
matiquement de toutes les mesures de libéralisation commerciale négo-
ciées dans le passé sans pour autant être obligées d'y souscrire elles-mêmes
et de procéder à un « rattrapage ». Ce déséquilibre initial pouvait devenir
cumulatif en cas de conclusion d'accords latéraux comme ceux mention-
nés précédemment.
184 Absence d'uniformité du droit du commerce international 0 En
fin de période, il n'était pas exagéré de dire qu'il s'agissait du problème
« constitutionnel » fondamental auquel devait faire face le GATT. Dans la
mesure où il se révéla impossible de revenir au sein de l'Accord général à
un régime unitaire du commerce international mariant harmonieuse-
ment l'égalité des États et la réciprocité de leurs droits et obligations, il
devenait nécessaire de changer de système — ce qui fut réalisé avec l'OMC
(v. ss 194 s.).

§ 2. Les acquis du « système GATT »


185 En dépit des faiblesses et défauts qui viennent d'être rappelés, il convient
de ne pas oublier les acquis de l'Accord général et de sa pratique qui, sur le
plan « constitutionnel » (les seuls que l'on examinera ici), demeurent et
ont été repris par l'Organisation mondiale du commerce.

1. « GATT 1947 » et « GATT 1994 »


186 Il serait entièrement erroné de penser que l'Accord général de 1947 ne
présente plus qu'un intérêt historique aujourd'hui. S'il est vrai que le
GATT en tant qu'institution appartient aujourd'hui au passé, il n'en va
pas de même de son droit matériel. En effet, l'Accord général sur les Tarifs
Douaniers et le Commerce de 1947 (ou « GATT 1947 ») perdure pour
l'essentiel en vertu de son intégration dans l'Accord général sur les Tarifs
Douaniers et le Commerce de 1994 (ou « GATT 1994 »). Cette solution
de continuité ressort clairement de l'Annexe I.A à l'Accord de Marrakech
instituant l'Organisation mondiale du commerce où figure en premier le
« GATT 1994 ».
Mais il est à noter que « le GATT 1994 n'est pas le GATT 1947 » comme
devait le rappeler l'Organe d'appel de l'ORD dans son rapport du
14 décembre 1999 dans l'affaire Argentine — Mesures de sauvegarde à l'im-
portation de chaussures (n° 81).
187 Autrement dit, le « GATT 1994 » constitue la « lex generalis » — ou droit
commun — du nouveau « Système OMC », ses autres composantes étant les
DU GATT À L'OMC 77

divers « accords multilatéraux sur le commerce des marchandises » figurant


au titre de cette même Annexe I.A et considérés comme « lex specialis » et
juridiquement distincts — et donc comme pouvant y déroger (v. ss 218).
Cette règle devait être reconnue et appliquée en tant que de besoin par l'or-
gane d'appel de l'OMC (v. Rapports du 20 mars 1997, Brésil — Mesures visant
la noix de coco desséchée, WT/DTS22/AB/R, p. 181 et 19 janv. 2004, États-Unis
— Détermination finale en matière de droits compensateurs concernant certains
bois d'oeuvre résineux en provenance du Canada, WT/DS257/AB/R, § 134).
188 C'est dire que le « GATT 1994 » incorpore le « GATT 1947 » — à l'exclusion
toutefois du « protocole d'application provisoire » (art. I a) du « GATT
1994 »). Sont également incorporés dans le « GATT 1994 », les concessions
commerciales négociées sous l'empire du « GATT 1947 », les protocoles
d'accession (à l'exception de ceux fondés sur des protocoles d'accession pro
visoire et excluant l'application de la partie II de l'Accord général portant
maintien des législations existantes dérogatoires) ainsi que les décisions
adoptées par les parties contractantes du GATT — y compris l'octroi des
dérogations (waivers) de l' r ide XXV (5) ( r . 1. b) du « GATT 1.994 »).
Mais on notera que les « autres décisions » des parties contractantes du
GATT 1947 incorporées dans l'OMC au titre du GATT 1994 (art. 1.b IV de
l'Annexe 1.A) ne visent que celles qui ont une force obligatoire générale en
ce qu'elles ont une portée interprétative des droits et obligations de toutes
les parties contractantes — ce qui exclut les rapports des Groupes Spéciaux
qui n'ont de force obligatoire que pour les seules parties au différend en
cause (c'est ce que devait confirmer l'organe d'appel dans ses rapports Japon
— Boissons Alcooliques du 4 octobre 1996 ou États-Unis — Traitement fiscal des
Sociétés de vente à l'étranger — voir ici le § 108 du Rapport du 24 févr. 2000).
C'est dire qu'il existe une profonde continuité entre le « GATT 1947 » et
le « GATT 1994 ». En bref, il n'a pas été fait table rase du passé de l'Accord
général, tout au contraire.
189 Sans doute — et l'on y reviendra souvent — continuité ne signifie pas iden-
tité. Par rapport au « GATT 1947 », le « GATT 1994 » constitue un « GATT
plus ». Le « GATT 1994 » apparaît comme une version améliorée, précisée
et renforcée du « GATT 1947 » en raison de l'adoption, lors de la confé-
rence finale de Marrakech de 1994, de « Mémorandums d'accord » spéci-
fiques (il y en eut 6) venant compléter certaines dispositions originelles de
l'Accord général (v. l'art. I c) du « GATT 1994 »).

2. Les apports institutionnels de l'Accord général


de 1947 à l'OMC de 1995
190 Si le GATT en tant qu'institution a disparu avec l'entrée en vigueur à
compter du 1er janvier 1995 de l'Accord portant création de l'OMC, cette
dernière lui a cependant emprunté nombre de traits caractéristiques.
78 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

191 Tout d'abord, l'OMC a reconnu formellement sa « dette intellectuelle » à


l'égard du GATT quant à ses modalités de fonctionnement. L'accord
de Marrakech constitutif de l'OMC reconnaît que, d'une manière géné-
rale, cette dernière sera « guidée par les décisions, les procédures et les
pratiques habituelles des parties contractantes du GATT de 1947 et des
organes établis dans le cadre du GATT de 1947 » (art. XVI (1)). Principale-
ment et concrètement, cela veut dire que l'OMC s'efforcera, lors de ses
prises de décisions, de recourir à la procédure du consensus qui n'avait
cessé d'inspirer la conduite du GATT durant toute son histoire (art. IX (1)).

192 Mais, à côté de ces « reconnaissances de dette » formelles, l'OMC emprunte


beaucoup aux mécanismes du GATT. C'est ainsi, et l'on y reviendra plus avant
par la suite, que l'appartenance à l'OMC n'est pas réservée aux seuls États au
sens où l'entend traditionnellement le droit international, mais s'étend éga-
lement aux « territoires douaniers distincts » pour peu que ceux-ci soient
« autonomes » (art. XII (1) et note explicative). De même, chaque État
membre de l'OMC disposera d'une voix — sans pondération aucune (art. IX
(1)). Également, la majorité de droit commun sera la majorité simple (ibid).
C'est encore ainsi que les membres de l'OMC bénéficient, comme les
anciennes parties contractantes du GATT, d'une clause de non-application
(art. XIII), pourront obtenir de larges dérogations (waivers) (art. IX (3) et (4))
et pourront enfin très librement se retirer de l'OMC (art. XV) tandis qu'il n'est
pas prévu de procédures d'expulsion à leur encontre. Autrement dit en bref,
l'OMC continuera à vivre sous l'ombre portée de l'Accord général de 1947.

L'ORGANISATION MONDIALE
SECTION 2.
DU COMMERCE (OMC)
193 Plan 0 Ce manuel étant comme il se doit orienté vers la présentation du
droit matériel, les aspects institutionnels de la nouvelle OMC ne seront
abordés que de façon cursive et limitée à la présentation des seuls traits
caractéristiques nécessaires pour comprendre le bon fonctionnement du
nouveau système commercial multilatéral mis sur pied par l'Acte final
de Marrakech de 1994 (§ 1). Il conviendra ensuite de préciser les fonctions
qui lui ont été confiées dans le cadre juridique rénové du commerce inter-
national actuel (§ 2).

§ 1. Traits caractéristiques de l'OMC


Sur le plan factuel, l'OMC possède une universalité que le GATT était
loin d'avoir. Au 1er décembre 2012, elle comptait 158 pays membres respon-
sables de plus de 98 % du commerce mondial tandis que 27 autres avaient
le statut d'observateurs et comptaient la rejoindre dans un proche avenir.
DU GATT À L'OMC 79

194 Sur le plan juridique, par rapport au GATT de 1947, 1'OMC comble un
certain nombre de ses faiblesses et lacunes. Elle constitue désormais une
institution économique cohérente bien que non exempte d'incertitudes.

1. Le comblement des faiblesses du GATT


195 Un véritable traité o Tout d'abord 1'OMC trouve son fondement dans
un traité international en bonne et due forme, les accords de Marrakech
du 15 avril 1994. Sur le plan formel, le renforcement est notable par rap-
port à la situation du GATT qui n'était qu'un accord en forme simplifiée
(executive agreement) et, de surcroît, provisoire. Désormais, et la consé-
quence est fondamentale, l'OMC — une fois instituée — bénéficie de la
permanence et ne s'applique donc plus sous réserve de la « législation exis-
tante » comme cela fut le cas à l'époque du GATT et du Protocole d'appli-
cation provisoire. Mieux, et à l'inverse, tout Membre de l'OMC a l'obliga-
tion de faire en sorte que son ordre interne soit conforme à ses engagements
commerciaux multilatéraux (art. XVI (4)). Sous une formulation et dans
un contexte différents, cette obligation centrale est réitérée dans le
« Mémorandum d'accord sur les règles et procédures régissant le règle-
ment des différends ». Même si la portée réelle de cet engagement n'est pas
toujours aisée à déterminer, il se trouve aux antipodes de la consolidation
législative officialisée par l'exception de « législation existante » de l'époque
du GATT et de son protocole d'application provisoire.
L'Organe d'appel devait à juste titre insister sur l'importance de cette
disposition qui constitue « une obligation claire pour tous les membres de
l'OMC d'assurer la conformité de leurs lois, réglementations et procédures
administratives existantes avec les obligations énoncées dans les accords
visés » (Rapport du 26 septembre 2002, Communautés européennes — dési-
gnation commerciale des sardines, § 213, VVT/DS231/AB/R).
196 À côté de cette obligation générale de conformité au « droit OMC », le
« GATT 1994 » impose aux pays membres le respect d'un certain nombre
de critères quant à leur « législation douanière » lato sensu - tout en s'abs-
tenant de prendre partie sur la question controversée de son « effet direct »
(v. ss 212 s.). Non seulement ces « législations douanières » nationales
doivent-elles être publiées (art.X.1) et appliquées de manière « uniforme,
impartiale et raisonnable» (art. X 3.a), mais encore doivent-elles être pla-
cées sous le contrôle de tribunaux « indépendants » devant à même,
« dans les moindres délais », de « réviser et rectifier...les mesures adminis-
tratives se rapportant aux questions douanières »(art. X.3.b). C'est dire
que les pays membres de l'OMC doivent avoir pris les dispositions néces-
saires pour établir un véritable « état de droit» en matière douanière afin
d'éviter toute manoeuvre protectionniste par le biais d'une insuffisance
juridique dont seraient victimes les produits importés étrangers (pour une
application concrète voir l'affaire Thailande-Mesures douanières et fiscales
80 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

visant les cigarettes en provenance des Philippines, Rapport de l'Organe d'ap-


pel du 17 juin 2011, DS/371/AB/R, § 186-222).
197 Personnalité juridique 0 En outre, même si le GATT avait pu l'obtenir
de facto au cours des ans, l'OMC se voit clairement reconnaître la person-
nalité juridique, tant dans l'ordre interne que dans l'ordre international
(art. VIII).
198 Une véritable institution internationale 0 Alors que le GATT avait,
du moins initialement, une structure institutionnelle quasi inexistante,
l'OMC apparaît comme une organisation internationale économique de
plein exercice — on y reviendra.
199 Inclusion des services 0 L'Accord général de 1947 ne s'appliquait qu'au
seul commerce international portant sur les marchandises (commerce
visible). Le nouveau « Système OMC » est beaucoup plus étendu ratione
materiae puisqu'il couvre maintenant le commerce international des ser-
vices (commerce invisible) ainsi que certaines opérations (investissement,
propriété intellectuelle) lorsque celles-ci se trouvent liées à des transactions
commerciales.
200 Un engagement unique 0 En outre et surtout, il est mis fin à la pra-
tique passée du « GATT à la carte ». L'Acte final signé le 15 avril 1994 par
les pays participants à la Conférence de Marrakech constitue un engage-
ment unique (single undertaking) et global (art. II) auquel il n'est pas pos-
sible d'apporter des réserves (art. XVI (5)). Les États qui l'approuvent
s'engagent à respecter tous les accords commerciaux multilatéraux qui le
composent. C'est dire qu'il en est fini de la politique du « pick and choose »
antérieure. C'est là l'une des causes du phénomène « free ride » qui se
trouve éliminée. En d'autres te mes, le régime juridique du commerce
multilatéral a retrouvé son unité avec l'institution de l'OMC qui est
chargée d'en assurer la gestion.
Formellement, l'accord sur l'OMC comprend à la fois « l'Accord
de Marrakech instituant l'Organisation mondiale du commerce » (c'est le
volet institutionnel) et 13 « accords multilatéraux sur le commerce des
marchandises » figurant à l'Annexe I.A et qui sont hiérarchisés (v. ss 218).
À cette liste il convient d'ajouter les accords particuliers sur les services
(Annexe I.B) et la propriété intellectuelle (Annexe I.C) ainsi que le
« Mémorandum d'accord sur les règles et procédures régissant le règle-
ment des différends » et le « Mécanisme d'examen des politiques com
merciales » figurant respectivement aux Annexe 2 et 3. C'est tout cet
ensemble d'engagements indissociables qui s'impose aux pays membres de la
nouvelle Organisation Mondiale du Commerce.
201 Rattrapage pour les nouveaux membres 0 Enfin, le phénomène sou-
vent cité du «free ride» qui avait fait du processus d'accession son autre
DU GATT À L'OMC 81

domaine de prédilection, est rendu impossible en raison de l'obligation de


rattrapage qui pèse désormais sur les nouveaux Membres de l'OMC ; ceux-
ci doivent en effet, mais sans doute progressivement, se mettre au niveau
de libéralisation des échanges commerciaux conventionnellement négo-
ciés (art. XIV (2)).
Il va de soi que la négociation des protocoles d'accession est essentielle-
ment concentrée sur des questions économiques entendues au sens large
englobant en cela le domaine des investissements avec l'ouverture des
entreprises locales au capital étranger. En raison de la grande sensibilité
des questions abordées, les discussions peuvent être longues : il fallut ainsi
7 ans à la Chine et 18 à la Russie pour faire partie de l'OMC (ce dernier
pays n'y ayant accédé qu'en septembre 2012). En outre, ce processus peut
encore être freiné par la prise en considération de phénomènes autres
dans la mesure où l'accord de tous les pays membres de l'OMC est requis
et où certains d'entre eux peuvent être ainsi tentés d'y faire figurer des
conditions particulières de type « politique » : c'est ainsi par exemple que
l'adhésion de la Russie fut pendant un temps bloquée par la seule Géorgie
à raison des séquelles territoriales du conflit armé qui opposa ces deux
pays en 2008 (v. The Economist, 5 nov. 2011, p. 40).

2. Une institution économique cohérente


Pour l'essentiel, l'OMC apparaît comme une institution internationale
de facture très classique mais non sans spécificités marquantes.

a. Une institution classique


202 Celle-ci apparaît clairement à la lecture de son organigramme (v. plus
loin).
Le classicisme de l'OMC se retrouve dans sa structure tripartite (art. IV
et VI). Au sommet, une « conférence ministérielle », non permanente (réu-
nions bi-annuelles), composée de tous les membres et investie du pouvoir
de prendre des décisions. Puis un « Conseil général », lui aussi composé de
tous les membres, mais de caractère permanent, exerce les fonctions de la
Conférence durant ses inter-sessions ; en outre, il chapeaute les divers
conseils décentralisés chargés de superviser le fonctionnement des accords
multilatéraux. Enfin, un secrétariat — dirigé par un Directeur Général —
sera chargé des questions administratives.
203 Processus décisionnel 0 Ce classicisme institutionnel se retrouve dans
la procédure d'admission qui est contractualisée et conditionnelle (art. XII)
et de retrait qui est entièrement libre (art. XV). Il en va de même en ce qui
concerne le fonctionnement de l'OMC. Le principe est que les décisions
sont prises à la majorité simple avec une recherche permanente de consen-
sus — ce qui n'empêche pas l'existence de majorités renforcées, voire
d'unanimité dans certains cas (art. IX et X). Ces contraintes semblèrent
82 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

tellement dirimantes à l'ancien commissaire européen chargé du com-


merce extérieur que celui-ci s'estima fondé à qualifier l'OMC d'organisa-
tion « médiévale » (v. La Tribune du 16 sept. 2003). Le déroulement pour
le moins chaotique, pour ne pas parler d'échec, du nouveau « Cycle
de Doha » ne fait que conforter de telles critiques (pour une analyse
mesurée du système actuel et des suggestions d'amélioration, voir
C.D. Ehlermann et L. Ehring, Decision Making in the World Trade Organi-
sation JIEL 2005. 51).
Pour garder une certaine souplesse, le système peut être amendé (mais
le régime des amendements est bien inutilement complexe — art. X) et
surtout, il peut être accordé « dans des circonstances exceptionnelles »,
des « dérogations » (waivers) de nature à relever un État membre du res-
pect de l'une des obligations imposées au titre de l'OMC (art. IX (3) et (4)).
Le 8 décembre 2005, le Conseil général de l'OMC adopta un amendement
aux ADPIC sur les licences pharmaceutiques obligatoires rendant ainsi
définitive la dérogation de 2003 précitées. Au 1" janvier 2012, seuls
34 pays - dont les Etats-Unis et l'Union européenne - l'avaient accepté sur
les 101 requis pour qu'il devienne définitif de sorte qu'il ne reste obliga-
toire que pour les seuls États y ayant souscrit (art. X.3 de l'OMC).
Si la plupart de ces dérogations sont restées d'importance mineure, il
n'en a pas été de même pour celle accordée le 30 août 2003 aux pays les
plus pauvres leur permettant de ne pas respecter une disposition sensible
des ADPIC concernant la protection des brevets de certains produits phar-
maceutiques pour des motifs de santé publique (v. ss 1043). Comme devait le
noter à juste titre l'Organe d'appel, la procédure de dérogation de l'ar-
ticle IX.4 de l'OMC « a pour fonction de libérer un Membre, pendant une
période déterminée, d'une obligation particulière prévue dans les accords
visés, sous réserve des modalités et conditions, des circonstances excep-
tionnelles justificatives ou des objectifs décrits dans la décision portant
octroi de la dérogation. Son but n'est pas de modifier des dispositions exis-
tantes des accords, et encore moins de créer une nouvelle règle ou accroître
ou modifier les obligations découlant d'un accord ou d'une liste. En consé-
quence, les dérogations ont un caractère exceptionnel, sont soumises à des
disciplines strictes et devraient être interprétées avec beaucoup de précau-
tion » (Rapport du 26 novembre 2008, Communautés européennes - régime
applicable à l'importation, à la vente et à la distribution de bananes, WT/
DS/27/AB/RW2/ ECU, § 382).
204 Pouvoir d'auto-interprétation 0 Enfin, dans la même veine, les
organes de tête de l'OMC bénéficient du pouvoir d'auto-interprétation des
divers accords commerciaux multilatéraux (art. IX (2)), compétence que
n'avait pas le GATT mais dont bénéficient généralement les institutions
internationales économiques à la suite du précédent posé par les chartes
constitutives du Fonds Monétaire et de la Banque Mondiale.
L'organe d'appel ne manqua pas de signaler l'importance de ce « pouvoir
exclusif » d'interprétation des accords constitutifs de l'OMC avec valeur
DU GATT À L'OMC 83

contraignante pour tous ses membres, pouvoir au demeurant conféré


« nulle part ailleurs de façon implicite ou fortuite » ; de la sorte, l'organe
d'appel refusa que cette technique bien connue d'interprétation des actes
juridiques (et des traités) dite de la « pratique ultérieure » des parties
puisse être utilisée au sein de l'OMC d'une manière qui pourrait porter
atteinte à ce « pouvoir exclusif » d'interprétation conféré aux seules confé-
rences ministérielles ou au Conseil général (Rapport du 12 sept. 2005 —
Communautés européennes — Classification douanière des morceaux de poulet
désossés et congelés (WT/DS269/AB/R, VVT/DS286/AB/R). (v sur cette
question, C.D. Ehlermann et L. Ehring, The authoritative interpretation
under article IX. 2 of the Agreement establishing the World Trade Organization :
Current law, practice and possible improvements, JIEL 2005. 803).
Plus récemment, dans son rapport précité du 26 novembre 2008, l'Or-
gane d'appel estima que « ces interprétations multilatérales sont censées
préciser le sens des obligations existantes et non en modifier la teneur» de
sorte que celles-ci peuvent être « assimilée(s) à un accord ultérieur inter-
venu au sujet de l'interprétation du traité ou de l'application de ses dispo-
sitions conformément à l'article 31 (3) a) de la Convention de Vienne (sur
le droit des traités), dans la mesure où l'interprétation des Accords de
l'OMC est concernée » (§ 383).

b. Des spécificités propres


205 Égalité des États 0 Par rapport à la plupart des organisations interna-
tionales économiques, l'OMC est fondée sur le principe de l'égalité des
États. Ceux-ci, contrairement à la tendance générale, ne se voient affecter
d'aucune pondération.
206 Ouverture à des entités non étatiques 0. Au demeurant, les États
n'ont pas l'exclusivité de l'appartenance à l'OMC. L'accession est en effet
ouverte à tout territoire douanier autonome dans la gestion de ses relations
commerciales extérieures (art. XII (1) et notes explicatives). Cette possibi-
lité vise aussi bien des situations territoriales « particulières » comme
celles de Hong Kong, Taïwan, l'Autorité Palestinienne (?) que des unions
douanières. C'est ainsi que tant Hong Kong que la Communauté Euro-
péenne ont eu la qualité de membres de l'OMC depuis sa création le
1er janvier 1995 et que Taïwan l'a rejoint depuis lors.
207 Situation des États fédéraux o L'OMC est l'une des rares institutions
internationales se préoccupant de sa portée territoriale et, en particulier,
de son application dans les États à structure fédérale. On sait en effet toute
la difficulté posée par la structure fédérale des États en matière de conclu-
sion et d'application des engagements internationaux où les exigences
réciproques du droit international et du droit constitutionnel ne sont pas
toujours aisées à concilier (v. D. Carreau et F. Marrella, Droit international,
Paris, Pédone, 11e éd., 2011, 1V, n°5 40 s.).
84 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

Le « mémorandum d'accord sur l'interprétation de l'article XXIV » (et


donc constitutif du « GATT 1994 ») a le mérite de clarifier la situation
antérieure. Il en résulte que si le « droit OMC » ne s'applique qu'aux seuls
gouvernements centraux, c'est à eux qu'il incombe de faire en sorte qu'il
soit également respecté par les collectivités infra-étatiques. Si tel n'était
pas le cas, lesdits gouvernements centraux pourraient être attraits devant
l'organe de règlement des différends (ORD).
208 Clause de non-application 0 Enfin, disposition anachronique datant
du GATT et malheureusement conservée dans l'OMC, il existe une
clause unique en son genre dite de non-application (art. XIII). Cette dis-
position permet à un membre de l'OMC de dénier à un autre membre
toute application du régime juridique posé en dépit de leur appartenance
à la même institution. Cette option inusitée fut utilisée à l'époque du
GATT à l'encontre de l'Afrique du Sud, d'Israël, du Japon ou du Portugal.
Elle vise des situations où certains membres ne souhaitent pas avoir de
relations commerciales normales avec d'autres pour des raisons poli-
tiques particulières.

3. Faiblesses de l'OMC
209 Deux faiblesses doivent ici être notées en raison de leur importance théo-
rique et pratique et qui constituent autant de lacunes (volontaires ?) de la
nouvelle institution : aucun droit dérivé n'est prévu, aucun effet direct
n'est envisagé.

a. Absence de droit dérivé


210 L'absence de droit dérivé est notable et contraire au droit commun des orga-
nisations intergouvernementales, économiques ou non. Il est en effet
dans leur nature - et sous réserve bien entendu de leurs compétences
constitutionnelles - de disposer du pouvoir d'adopter des actes unilaté-
raux obligatoires à porter autre qu'interne (v. D. Carreau et F. Marrella,
Droit international, op. cit.,VIII n" 20 s.). Cette lacune - et celle-ci semble
bien de nature délibérée - montre la prudence des États à l'égard de l'OMC
dont ils ont voulu canaliser l'action et l'empêcher d'avoir une fonction
créatrice de droit. N'étant pas investie du pouvoir de créer du droit dérivé
en matière de commerce multilatéral, l'OMC se trouve ainsi condamnée
à rester sous le contrôle étroit de ses membres.

b. L'effet direct en question


211 Le refus des politiques 0 Chacun sait l'importance théorique et pra-
ique majeure de l'applicabilité directe (entendue au sens matériel du
terme) du droit international dans l'ordre interne (v., en général, D. Car-
reau et F. Marrella, Droit international, op. cit., XVII n" 24 s.). La norme
DU GATT À L'OMC 85

inte nationale d'effet direct, rentrant ainsi dans le patrimoine juridique


des particuliers, produit un effet de levier considérable : en effet, de par son
invocabilité en justice elle lui assure une pleine effectivité.
Or, les Accords de Marrakech n'en soufflent mot - ce qui n'est guère
pour surprendre. Mais, plus grave, tant la Communauté européenne que
les États-Unis ont, à l'occasion du processus d'approbation de ceux-ci, fait
clairement savoir qu'ils ne sauraient produire le moindre effet direct - tout
comme cela avait été jugé dans le passé à propos du GATT.
212 Une analyse juridique contraire 0 La question de savoir si une norme
internationale est ou non d'effet direct (ou self executing) relève exclusive-
ment de la fonction judiciaire. Or, sur ce point, la jurisprudence passée
concernant l'Accord général de 1947 n'est absolument pas transposable,
quant à ses résultats, au nouveau « droit OMC ». En effet, nombre de nou-
velles normes commerciales multilatérales sont beaucoup plus précises et
contraignantes que celles de l'ancien GATT. Tel est particulièrement le cas
pour les mesures de défense commerciale (dumping et subventions), ou
pour celles ayant trait aux investissements et surtout à la propriété intel-
lectuelle mais liées au commerce (MIC — ou TRIMS — ADPIC ou TRIPS).
Dès lors, les tribunaux saisis - à commencer par la Cour de justice des
communautés européennes - en s'appuyant sur leurs critères tradition-
nels de l'effet direct, pourraient fort bien décider que nombre de disposi-
tions du nouveau « droit OMC » sont directement applicables en droit
interne. Mais il est vrai que les « politiques » ne les ont pas encouragés à
s'engager dans cette voie.
213 La jurisprudence de la CJCE 0 La Cour de Luxembourg devait mal-
heureusement déférer aux voeux de ces derniers dans l'affaire Portugal/
Conseil décidée le 23 novembre 1999 (aff. C 149/96, Rec I. 8395). Alors
que dans ses conclusions auxquelles on ne peut que souscrire, l'Avocat
Général Saggio avait estimé que, en raison de leur différence avec le sys-
tème antérieur du GATT, les accords de l'OMC pouvaient être invoqués en
justice au titre d'un recours en annulation d'un acte d'un organe de la
Communauté (ex. : art. 173 du Traité de Rome), la Cour ne le suivit pas et
préféra s'en tenir à sa jurisprudence passée. Sans nier leurs « différences
notables par rapport aux dispositions du GATT de 1947 » (point 36), la
Cour estima néanmoins que les accords de l'OMC « compte tenu de leur
nature et de leur économie... ne figurent pas en principe parmi les normes
au regard desquelles il lui appartient de contrôler « la légalité des actes des
institutions communautaires » (point 47). Pour arriver à cette conclusion
regrettable mais qu'il est loisible d'estimer non définitive en raison de sa
généralité, la CJCE s'appuya sur le « système » OMC et en particulier le
mécanisme de règlement des différends — qui laissent une large place à des
solutions négociées destinées à aboutir à des compensations mutuelle-
ment acceptables avec lesquelles, le juge communautaire se devait de ne
pas interférer (points n° 37 à 46). En outre, elle nota que cette interprétation
86 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

était conforme à celle de pays tiers (et tel est le cas des États-Unis auquel
il était ici clairement fait allusion — point n° 43) et qu'elle était nécessaire
au nom de la réciprocité pour éviter « d'aboutir à un déséquilibre dans
l'application des règles de l'OMC » (point n° 45). Elle manifesta enfin une
déférence curieuse de la part d'un organe judiciaire à l'égard de l'interpré-
tation du Conseil qui, dans sa décision n° 94/800 du 22 décembre
1994 portant adhésion de la Communauté à l'Accord de Marrakech, avait
ns le onzième et dernier considérant dénié tout effet direct à « l'accord
instituant l'OMC, y compris ses annexes » en raison de sa « nature »
(point n° 48). (Sur cette affaire voir entre autres F. Berrod. La Cour de Jus-
tice refuse l'invocabilité des accords OMC : essai de régulation de la mon-
dialisation — à propos de l'arrêt de la Cour de Justice du 23 nov. 1999,
Portugal c. Conseil., RTD eur. 2000. 419). La Cour devait malheureusement
persévérer dans cette approche négative fondée sur des considérations
principalement politiques (désir de ne pas embarrasser les représentants
de la Communauté dans les relations commerciales multilatérales avec les
autres pays membres de l'OMC) dans sa décision Parfums Christian Dior
mettant en cause une disposition contenue dans l'Accord ADPIC (ou
TRIMS) (v. ss 1016).
En dépit des fortes conclusions contraires de son avocat général (et tel
était également le cas dans les affaires précédentes), la CJCE devait main-
tenir son analyse au regard cette fois-ci des recommandations et décisions
de l'organe de Règlement des Différends (ORD) de l'OMC (Aff. C.93/02.P ;
arrêt de la Cour en assemblée plénière du 30 sept. 2003, Rec. 2003.1.10565,
Établissements Biret et Cie SA c. Conseil de l'Union européenne) ; ainsi, en
droit communautaire, les décisions de l'ORD ne sauraient entraîner l'ap-
plicabilité directe du droit de l'OMC de sorte que les particuliers ne sau-
raient s'en prévaloir pour obtenir une indemnisation. Dans son arrêt
solennel Léon Van Parys du l mars 2005 (car rendu par la Grande
er

chambre) la Cour entendait mettre fin à la controverse une fois pour toute
en confirmant ses positions passées — et l'on ne peut encore que le regret
ter avec l'avocat général Tizzano qui avait rendu des conclusions contraires
(Aff. C.377/02). Elle s'exprima de la façon péremptoire suivante :
« Il est de jurisprudence constante que, compte tenu de leur nature et de leur
économie, les accords de l'OMC ne figurent pas en principe parmi les normes au
regard desquelles la Cour contrôle la légalité des actes des institutions communau-
taires » (Point n° 39).

214 Les exceptions limitées reconnues par la CJCE 0 À son refus de


principe de reconnaître le moindre effet direct au droit de l'OMC, la Cour
de Luxembourg a admis deux exceptions bien limitées. La première est
présente et justifie un contrôle de validité d'actes communautaires au
regard des normes de l'OMC lorsque la Communauté « a entendu donner
exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l'OMC »,
t la seconde l'est avec les mêmes conséquences si « l'acte communau-
taire renvoie expressément à des dispositions précises des accords OMC »
DU GATT À L'OMC 87

(point 47 de l'arrêt précité Portugal/Conseil et point 55 de l'arrêt Biret


renvoyant spécifiquement aux décisions précédentes Fediol c. Conseil du
22 juin 1989 70/87, Rec. P. 1781, Nakajima c. Conseil du 7 mai 1991,
69/89, Rec. P. 1.2069 et Petrotub et Republica c. Conseil du 9 janv. 2003,
C-76/00 P, Rec. P. 1.79). Dans l'affaire précitée, Léon Van Parys du VT mars
2005, la Cour confirma cette approche au titre de cette même « jurispru-
dence constante » (v. le point n° 40).

§ 2. Fonctions de l'OMC
215 L'OMC apparaît, selon les mots même de sa charte constitutive comme un
« cadre institutionnel commun » (1) pour le commerce international. Elle
est également l'enceinte unique pour les négociations commerciales mul-
tilatérales (2) tandis qu'elle est parfois chargée de la gestion directe de
certains mécanismes communs (3).

1. L'OMC en tant que cadre institutionnel commun


a. Vocation globale
216 Cette expression visée à l'article II (1) de ses statuts possède une double
signification. Tout d'abord, elle signifie que la nouvelle institution mon-
diale du commerce a une vocation globale et unitaire qui s'étend à tous
les accords multilatéraux signés à Marrakech le 15 avril 1994. Ces
accords sont intégrés à l'OMC et sont « contraignants » pour ses
membres (art. H (2)). En cela, ils s'opposent aux quatre accords plurilaté-
raux (sur les aéronefs civils, les marchés publics, le secteur laitier et la
viande bovine, les deux derniers ayant toutefois cessé d'exister depuis
lors) qui eux ne sont que partiellement intégrés au Système OMC en ce
sens qu'ils ne créent de droits et d'obligations que pour les seuls membres
qui les ont acceptés (art. H (3)).

b. Gestion du nouveau système commercial multilatéral


217 Ensuite, ce sera à l'OMC de faciliter la gestion de ces accords commerciaux
plurilatéraux (art. III (1)). Cette mission est assurée par le Conseil général
de l'OMC qui doit superviser leur fonctionnement tel qu'il est assuré par
les conseils spécialisés (art. IV (5)). Ainsi, l'unicité fonctionnelle du com-
merce multilatéral est assurée par la subordination hiérarchique de ces
organes de gestion particuliers et décentralisés.

c. Hiérarchie des sources du droit applicable


218 Toutefois, unité du cadre institutionnel ne signifie pas égalité des instru-
ments juridiques. En effet, ceux-ci, et la spécificité méritent d'être notée,
88 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

se trouvent dans une double situation hiérarchique qui devra être respectée
par les organes de l'OMC en cas de conflits de normes juridiques. C'est
ainsi qu'au sommet de l'édifice se trouve l'accord relatif à l'OMC elle-
même (art. XVI (3)). En outre, en cas de conflit entre une disposition du
« GATT 1994 » et une autre contenue dans un accord commercial multilaté-
ral, c'est cette dernière qui l'emportera, la première étant considérée
comme lex generalis et la seconde comme lex specialis (v la note interpréta-
tive générale relative à l'Annexe I A). C'est ici l'application — unique en
droit international — de cette règle bien connue dans l'ordre interne en
matière d'interprétation d'obligation juridiques contradictoires : specialia
generalibus derogant.

2. L'OMC, enceinte unique des négociations


commerciales multilatérales
219 L'OMC se voit tout d'abord reconnaître un monopole pour les négocia-
tions multilatérales qui viendraient à porter sur les domaines visés dans
les accords qui lui sont annexés. En clair, sont ici visées les négociations
futures qui viendraient à porter sur le commerce des marchandises, de
services ou des droits de propriété intellectuelle qui touchent au com-
merce. L'OMC constitue ainsi un cadre permanent de négociations sur ce
noyau dur du commerce multilatéral (art. III (2)).
220 De plus, l'OMC pourra également servir d'enceinte pour « d'autres négo-
ciations » multilatérales en fonction des décisions appropriées qui pour-
ront être prises par la conférence ministérielle (art. III (2) in fine).
221 Ces négociations commerciales multilatérales se dérouleront sur la base
des principes contenus dans le « GATT 1994 » qui se situent en droite
ligne de ceux posés par l'Accord général de 1947 (v. ss 293 s.).

3. L'OMC en tant qu'institution chargée


de la gestion du système commercial
a. Une mission générale de gestion
222 D'une manière générale, l'OMC a reçu pour mission d'assurer « la mise en
oeuvre, l'administration et le fonctionnement » du nouveau système com-
mercial multilatéral conventionnellement établi (art. III (1)). L'OMC, à
travers ses organes dirigeants — conférence ministérielle et conseil général
— sera amenée à prendre toutes les « décisions » nécessaires à cet effet
(art. IV (1)). À cette fin et à titre d'exemple, c'est à l'OMC qu'il appartien-
dra de procéder aux interprétations qui viendraient à s'imposer, à accorder
éventuellement des dérogations à ses membres en cas de circonstances
xceptionnelles, à procéder à des amendements, à se prononcer sur le
DU GATT À L'OMC 89

recours aux régimes d'exception tant général que spécifique ou encore à


examiner la licéité des intégrations économiques régionales négociées entre
ses membres.

b. Des missions spécifiques d'administration


223 Les statuts de l'OMC singularisent deux fonctions particulières «trans-
versales ». L'administration du mécanisme de règlement des différends (art. III
(3) ainsi que celle visant l'examen des politiques commerciales (art. III (4)).
• L'administration du « Mémorandum d'accord sur le règlement
des différends »
224 En raison de l'importance fondamentale de cette mission, cette question
sera traitée en détail dans le chapitre suivant.
• L'administration du mécanisme d'examen des politiques
commerciales (MEPC)
225 Ce mécanisme d'examen des politiques commerciales avait été établi, à
titre provisoire, lors de la Conférence de Montréal de 1988 chargée de faire
le point à « mi-parcours » des négociations du Cycle de l'Uruguay (v.
ss 288). Le texte repris à l'Annexe 3 de l'Accord de Marrakech est pour
l'essentiel identique à celui de la décision du Conseil du GATT du 12 avril
1989 qui lui donna naissance ainsi que son nom même.
Pour des études spécifiques sur ce mécanisme, voir P. C. Mavroidis, Surveillance
schemes : the GATT's new Trade Policy Review Mechanism, Mich. J. Int'l L., 1991/1992,
p. 374 s. ; A. H. Qureshi, The new GATT trade policy review mechanism : an exercise
in transparency or « enforcement » ? JWT, 1990.3 p. 147 s. ; Some reflexions on the
GATT TPRM in the light of the trade policy review of the European Communities, JWT,
1992.6, p. 103 s. ; J.-S. Mah, Reflections on the trade Policy Review Mechanism in the
World Trade Organization, JWT 31, 1997.5.49.

226 Le but du MEPC est de faciliter le fonctionnement du système commercial


multilatéral grâce à une évaluation collective et régulière des politiques et
pratiques commerciales des Membres de façon à s'assurer du respect par
ceux-ci de leurs obligations et de pouvoir apprécier dans la transparence
les incidences nationales et internationales de leurs actions. Ce méca-
nisme constitue l'équivalent formalisé des examens périodiques des poli-
tiques macro-économiques des États qui sont l'une des marques d'institu-
tions aussi différentes que l'OCDE avec ses « études » par pays ou surtout
le FMI avec sa procédure de surveillance multilatérale au titre de ses consul-
tations avec ses membres (v. infra).
227 L'OMC est chargée d'administrer ce mécanisme spécial (art. III (4)). Et,
en vertu du principe du dédoublement fonctionnel cher à cette institu-
tion, cette mission sera exercée par l'Organe d'Examen des Politiques
90 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

Commerciales (OEPC) qui n'est autre que le Conseil Général de l'OMC ;


toutefois, pour marquer sa spécificité, l'OEPC aura — comme l'Orga-
nisme de Règlement des Différends (ORD) — son Président et son
propre règlement intérieur (art. IV (4)).
Les examens auxquels l'OEPC devra procéder ont une périodicité fixée
dans le mécanisme lui-même. En principe, les examens auront lieu tous
les dix ans pour les Membres de l'OMC sauf pour les pays les moins avan-
cés où ils pourront être plus espacés et sauf surtout pour les pays les plus
importants où, à l'inverse, le rythme sera accéléré pour être de tous les
deux ans pour chaque membre de la « quadrilatérale » (CEE, États-Unis,
Japon et Canada) et de tous les quatre ans pour les 16 entités commer-
ciales les plus importantes suivantes.
228 Les rapports suivant ces examens sont publiés et transmis à la Conférence
ministérielle qui en prendra note. Leur contenu se limite à des analyses et
observations sans pouvoir faire de recommandations aux membres exami-
nés, ce qui risque d'en affecter grandement l'efficacité. En effet, cette
capacité de faire des recommandations et de porter des jugements sur les
politiques de ses membres constitue l'un des moyens de pression non
négligeables d'institutions comme l'OCDE et surtout le FMI pour encou-
rager les États à suivre le droit chemin (ou à y retourner). Il s'agirait là
d'une réforme bienvenue de ce mécanisme (on trouvera dans les rapports
annuels de l'OMC un compte rendu de la mise en oeuvre régulière de ce
mécanisme original).
HAPITRE 2
LE MÉCANISME DE RÈGLEMENT
DES DIFFÉRENDS

Bibliographie
Le règlement des litiges commerciaux - d'abord au sein du GATT puis aujourd'hui
au sein de l'OMC - n'a cessé d'inspirer la doctrine. Parmi une littérature considé-
rable, on recommandera particulièrement :
• pour le GATT : E. Canal-Forgues, L'institution de la conciliation dans le cadre
du GATT, Contribution à l'étude de la structuration d'un mécanisme de règlement
des différends, Bruxelles, Bruylant, 1993. L'ouvrage est fondamental ;
• pour l'OMC : E. Canal-Forgues, Le système de règlement des différends de
l'OMC, RGDIP 1994. 689 ; Le système de règlement des différends de l'Organisation
mondiale du commerce, in Colloque de Nice, op. cit. 281; Le règlement des diffé-
rends (OMC), Encyclopédie Dalloz, Droit International.
Y. Renouf, Les mécanismes d'adoption et de mise en oeuvre du règlement des
différends dans le cadre de l'OMC sont-ils viables ? AFDI 1994. 776. Le règlement
des litiges, in Colloque de Rennes, op. cit. 41. Garantir des « droits de la défense »,
quelques remarques préliminaires sur la nécessité de développer des règles de pro-
cédure dans le règlement des différends de l'OMC, Colloque de Nice, op. cit. 293.
F. Roessler, Évolution du système de règlement des différends du GATT/de l'OMC,
Colloque de Nice, op. cit. 309.
H. Ruiz Fabri, Chronique annuelle du règlement des différends à l'OMC au
Clunet depuis 1997 ; du même auteur, L'appel dans le règlement des différends de
l'OMC, Clunet 1999. 47 ; La juridictionnalisation du règlement des litiges écono-
miques entre États, Rev. de l'arb. 2003. 881 ; Le juge de l'OMC : Ombres et lumières
d'une figure judiciaire singulière, Clunet 2006. 40. E. Canal-Forgues et Th. Flory,
GATT/OMC éd., Recueil des contentieux, Bruylant, Bruxelles, 2001. E. Canal-
Forgues, Le règlement des différends à l'OMC, Bruylant, Bruxelles, 3e éd., 2009,
p. 161.
En langue anglaise, on recommandera l'ouvrage d'E. U. Petersmann (éditeur),
The GATT/WTO Dispute settlement system, Nijhoff Laws specials 23, Kluwer, 1997.
De nombreux articles en ce domaine sont également régulièrement publiés dans
le Journal of International Economic Law (JIEL), et pour une appréciation critique
du nouveau système : Richard H. Steinberg, Judicial law making at the VV.T.O. : dis-
cursive, constitutional and political constraints, AJIL 2004. 247 et C. D. Ehlermann
et N. Lockhart, Standard of review in W.T.O. Law, JIEL 2004. 491.
W.J. D avey, Dispute settlement system : the first yen years, JIEL 2005. 17. M. Bronc-
kers et N. Van Den Brock, Financial compensation in the WTO : Improving the remedies
of VVTO dispute settlement, JIEL 2005. 101).

229 Plan 0 Le mécanisme de règlement des différends semble avoir été l'objet
d'une sollicitude particulière de la part des concepteurs comme des rédac-
teurs des Accords de Marrakech, si l'on en juge par la complexité de cette
92 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

construction élaborée. Tant il est vrai qu'il est et demeure difficile de régler
des problèmes économiques en recourant à la méthode juridique.
Les solutions — souvent peu limpides — retenues par la nouvelle OMC
(Section 2) ne peuvent se comprendre que par rapport à l'expérience passée du
GATT qui, tout en étant novatrice, avait aussi montré ses limites (Section 1).

SECTION 1. L'EXPÉRIENCE PASSÉE DU GATT


230 Dans ses articles XXII et XXIII l'Accord général de 1947 instituait un sys-
tème interne, original mais embryonnaire, de règlement des différends
commerciaux (§ 1) qui se trouva progressivement bloqué (§ 2) et devait
impérativement être réformé (§ 3).

§ Une procédure interne originale de règlement


des différends
231 Les articles XXII et XXIII du GATT instituaient un mécanisme unique en
son genre de règlement des différends commerciaux entre les parties
contractantes à base de conciliation. L'originalité tenait à ce qu'il s'agissait
d'une procédure interne à l'institution elle-même (1) et surtout de nature
non contentieuse (2).

1. Une procédure interne


232 L'Accord général de 1947 illustrait bien cette caractéristique des organisa-
tions internationales économiques visant à « internaliser » le règlement
des différends qui pourraient surgir quant à l'application ou à l'interpréta-
ion de leur charte constitutive. Ainsi, le GATT, contrairement à la Charte
de La Havane de 1948 et à l'OMC de 1995 ne faisait aucune référence à la
possibilité de recourir à l'arbitrage, par exemple.
233 La procédure telle qu'elle se développa au cours des ans se déroulait en
deux phases successives. En premier lieu, il était recouru à des consulta-
tions bilatérales entre les parties contractantes en litige (art. XXII). Dans
un deuxième temps, si ces négociations ne connaissaient pas le succès, il
était alors fait appel à la médiation du Directeur Général ou, surtout, au
GATT lui-même qui, dans la pratique, se déchargea de cette mission sur
des groupes de travail, puis des groupes spéciaux (ou panels).
Ces « panels », composés d'experts indépendants des parties en litige,
étaient chargés d'instruire l'affaire afin d'arriver à une solution amiable. En
son absence, ils rédigeaient un rapport après avoir entendu les parties au
différend et dans lequel ils dégageaient les faits pertinents (fast finding) et
les appréhendaient à la lumière du « droit du GATT ». Leur avis était ensuite
LE MÉCANISME DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS 93

transmis au Conseil du GATT, à charge pour ce dernier d'en tirer les conclu-
sions de son choix et, éventuellement, d'autoriser des contre-mesures de la
part du pays victime d'un préjudice commercial (une telle situation ne se
produisit qu'une seule et unique fois dans toute l'histoire du GATT).

2. Une procédure non contentieuse


234 Le mécanisme développé par le GATT fait incontestablement penser au
«Canada Dry» par rapport au « Whisky » : sans doute présentait-il des
ressemblances avec une procédure contentieuse (les parties au litige se
voyaient reconnaître le bénéfice du principe classique et fondamental du
contradictoire par exemple) tout en demeurant un type de conciliation inter-
étatique (absence de « jugement » en droit, valeur non obligatoire des avis
contenus dans le rapport final, renvoi en appréciation devant l'organe
politique - le Conseil - de gestion du GATT), tous éléments étrangers à la
notion même de juridiction.
235 En réalité, que ce mécanisme relève de la conciliation n'avait rien pour
étonner dans la mesure où son rôle ne se limitait pas au seul examen du
non-respect des obligations commerciales souscrites au titre du GATT. Il
pouvait en effet être mis en oeuvre dans des hypothèses dites de « non-
violation » où des « avantages commerciaux » étaient simplement « com-
promis » ou « annulés » (art. XXIII.I.b) et c). Il est clair qu'ici les considé-
rations juridiques n'ont pas leur place — ou si peu.

§ 2. Un blocage progressif
236 Si, initialement, ce mécanisme très informel donna satisfaction, tel ne fut
plus le cas à partir des années 1980. Nombre de rapports de « panels » ne
purent être adoptés par le Conseil du GATT faute de consensus (qui était
alors le mode « coutumier » de prise de décision), la partie « perdante » ne
manquant pas de s'y opposer, chaque partie contractante disposant alors
d'un droit de veto. En outre, même en cas d'adoption, les recommanda-
tions contenues dans les dits rapports étaient rarement suivies d'effet.
Enfin, ces difficultés finirent par mettre en péril la crédibilité du méca-
nisme lui-même dans la mesure où le nombre de différends ne cessait
d'augmenter et surtout d'impliquer les principales puissances écono
miques (CEE, États-Unis et Japon) tout en butant sur les blocages précé-
dents qui en empêchèrent le règlement.

§ 3. Des réformes nécessaires


237 Dès 1966, puis en 1979, 1982 et 1984, les parties contractantes du GATT
s'étaient préoccupées de donner plus de précision et substance à ces
articles XXII et XXIII - mais leurs efforts furent largement vains.
94 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

La Déclaration ministérielle de Punta Del Este du 20 septembre


1986 marquant le coup d'envoi du « Cycle de l'Uruguay » singularisa le
règlement des différends comme l'un des sujets majeurs des futures négo-
ciations : celui-ci devait être amélioré et renforcé grâce à des « règles et
disciplines... plus efficaces et ayant force exécutoire ».
Le tournant majeur fut pris par la décision du Conseil du GATT du
12 avril 1989 adoptée à l'issue de la révision « à mi-parcours » de Montréal
en décembre 1988 (v. en général, Guide des règles et pratiques du GATT,
op. cit. pp. 684-694). Cette décision concernant les « améliorations des
règles et procédures de règlement des différends du GATT » apparaît
comme l'ancêtre direct du « Mémorandum d'accord sur les règles et pro-
cédures régissant le règlement des différends » figurant à l'annexe 2 de
l'Accord de Marrakech instituant l'OMC.

L'ORGANE DE RÈGLEMENT
SECTION 2.
DES DIFFÉRENDS (ORD) DE L'OMC
238 Le dispositif central : le mémorandum d'accord Le « Mémoran-
dum d'accord sur les règles et procédures régissant le règlement des diffé-
rends » annexé à l'OMC (cité « Mémorandum d'accord ») n'a cessé d'être
singularisé comme étant l'un — si ce n'est le principal — apport des négo-
ciations du « Cycle de l'Uruguay ». Sans doute, par rapport à la situation
prévalant à l'époque du GATT, les progrès sont-ils certains ; on demeure
toutefois loin de l'établissement d'une véritable juridiction commerciale
internationale.
Pour l'essentiel, il s'agit d'un mécanisme général — ou transversal —
administré par un Organe de règlement des différends (ORD) placé sous
le contrôle du « Conseil Général » de l'OMC, même si l'ORD a son propre
président et peut établir son propre règlement intérieur (art. IV.3 des sta-
tuts de l'OMC). Les décisions qu'il sera amené à prendre se feront par
consensus (art. 2.4 et note I). En outre, nouveauté importante pour éviter
les blocages du passé, les rapports tant des « groupes spéciaux » (panels)
(art. 16.4) que surtout de l'Organe d'appel sont considérés comme adoptés,
sauf si l'ORD décide de ne pas le faire mais seulement par voie de consen-
sus — cette procédure ayant été justement qualifiée de « consensus néga-
tif », ce qui élimine les « vetos » antérieurs (art. 17.14 du Mémorandum
d'accord et v. ss 236).
De surcroît, ce nouveau mécanisme multilatéral présente le gros avan-
tage d'être exclusif des instruments nationaux de défense commerciale du
type de la section 301 et surtout de la « section super-301 » des Trade Acts
américains de 1974 et 1988 (art. 23 du Mémorandum d'accord). C'est là
un nouvel et notable exemple de la primauté du droit international du
commerce multilatéral posé par les Accords de Marrakech qui ont ainsi
LE MÉC NISME DE R GLEMENT DES DIFFÉR ND 95

voulu nettement réagir contre les trop nombreuses et agressives réactions


unilatérales mises sur pied au cours des ans par les grands pays commer-
çants (v. ss 332)
Mais ce principe d'exclusivité ne vise pas seulement à interdire les
actions unilatérales des pays membres de l'OMC ; il implique aussi que
tous les litiges nés au titre des accords commerciaux constitutifs du « droit
OMC » seront soumis à l'ORD et à lui seul (v. le Rapport de l'Organe
d'appel du 16 octobre 2008 dans l'affaire États-Unis/Canada, Maintien de
la suspension d'obligations, WT/DTS/AB/R où il fut particulièrement insisté
sur l'importance de ce « cadre exclusif » de règlement des différends - voir
le § 371). Or, dans la mesure où la quasi-totalité des pays membres de
l'OMC participent également à des accords commerciaux régionaux de
nature préférentielle dont la portée matérielle recoupe largement celle de
l'institution de Genève et qui possèdent souvent de surcroît des méca-
nismes propres de règlement des différends, comment réconcilier de tels
chevauchements de compétence ? La question mérite dès maintenant
d'être posée pour y revenir par la suite (v. ss 256, 277).
Ce régime renforcé de règlement des différends commerciaux institué
au sein de l'OMC a été qualifié « d'élément essentiel pour assurer la sécu-
rité et la prévisibilité du système commercial multilatéral » (art. 3.2 du
Mémorandum d'accord).
239 Plan Ceci étant, il conviendra d'examiner la portée du nouveau méca-
nisme (§ 1) avant d'en déterminer la nature (§ 2) et d'en tirer un bilan
rapide en même temps que de s'interroger sur ses perspectives d'avenir à la
lumière de ses premières années de fonctionnement (§ 3).

§ Portée du mécanisme de règlement


des différends
240 Plan 0 Le nouveau mécanisme se situe au seul niveau des États et ne
concerne nullement les parties privées alors que ce sont pourtant elles qui
sont les agents quasi exclusifs des échanges commerciaux internationaux
(1). En outre, ce mécanisme apparaît comme diversifié en ce qu'il offre
aux Membres de l'OMC toute une panoplie de procédures utilisables (2).
Enfin, il s'agit d'un mécanisme global car couvrant l'ensemble du nouveau
« Système OMC » même s'il revêt parfois des particularités propres dans
certains secteurs (3).

1. Un mécanisme inter-étatique
241 On observera que le mécanisme de règlement des différends, en tous ses
éléments, se présente comme un mécanisme interétatique. A priori, cette
constatation ne devrait pas surprendre. Les Accords de Marrakech sont
conclus entre États. Ils créent une organisation internationale de type
96 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

intergouvernemental. Le cadre est donc interétatique, et c'est dans ce


cadre interétatique que s'insère le Mémorandum d'accord. Il semble donc
normal que les règles et procédures que prévoit le Mémorandum
s'adressent aux membres de l'Organisation et qu'ils soient seuls habilités
à les manier. Cette conclusion, du reste, est conforme à la philosophie du
mécanisme, telle que la définit l'article 3, paragraphe 2, du Mémoran-
dum : il s'agit, tout en assurant la sécurité et la prévisibilité du système
commercial international de préserver « les droits et obligations de ses
membres ». Le mécanisme de règlement des différends est donc bien, un
mécanisme interétatique.
242 Cet aspect apparut en pleine lumière à l'occasion de l'affaire États-Unis/
Imposition de droits compensateurs. Dans son rapport du 10 mai 2000, l'Or-
gane d'appel devait pleinement et sans surprise confirmer que l'ORD
constituait un mécanisme de nature purement intergouvernementale
auquel les personnes privées n'avaient pas accès sauf à titre d'« amicus
curiae » (v. les § 40 et 41).
243 Une solution décevante 0 La solution peut décevoir. Elle ne va certes
pas dans le sens de l'évolution générale du droit international économique,
qui consiste à préparer, par des voies conventionnelles, l'accès des particu-
liers aux mécanismes internationaux de règlement des différends, lorsque
les droits de ces particuliers se trouvent lésés par l'action des États. Certes,
on ne manquera pas d'objecter que, pour l'essentiel, les Accords de Mar-
rakech ne créent de droits et d'obligations que pour les seuls membres et
que c'est aux membres, par conséquent, que doit être réservé l'accès au
mécanisme de règlement des différends que créent les Accords. Cette
objection, toutefois, repose, du moins en partie, sur une inexactitude.
Tous les Accords multilatéraux ne doivent pas, à cet égard, être placés sur
le même pied. Certains visent les particuliers : ou pense, en particulier, à
l'Accord ADPIC/TRIPS, qui engendre des droits et des obligations dans le
chef des « ressortissants » des membres ou au GATS qui s'applique à la fois
aux services et aux « fournisseurs » de services (et v. ss 1013). Or, le
Mémorandum d'accord est ainsi rédigé que les ressortissants ne pourront
pas saisir directement l'organe de règlement des différends ni l'Organe
d'appel pour la sauvegarde dans leurs droits — alors qu'ils pourront saisir
les juridictions nationales à cet effet. N'y a-t-il pas là un risque évident de
fragmentation du droit de l'OMC ?
244 Une solution peu réaliste Pis encore : cette solution paraît irréaliste.
Le contentieux du commerce international n'est pas, par sa nature, un
contentieux interétatique, et pour une raison simple. Les commerçants, ce
ne sont pas les États, mais les opérateurs économiques privés. Lorsque les
règles du système commercial international sont violées, c'est du fait de
ces opérateurs au moins autant que du fait des États, et ces violations font
grief moins aux États qu'à ces opérateurs. Or, pour que soit redressée la
LE MÉC NISME DE R GLEMENT DES DIFFÉR ND 97

violation de l'ordre international commercial, les opérateurs devront


s'abriter derrière les États. Ainsi ressuscitera-t-on, de facto, une forme
occulte de la protection diplomatique, l'État membre de l'OMC décidant,
en sa souveraine discrétion et selon le cas, de mettre en oeuvre ou de ne
pas mettre en oeuvre les procédures de règlement des différends. D'ail-
leurs, c'est bien ce qui s'est passé dans nombre d'affaires soumises à 1'ORD
qui, formellement intergouvernementales, ne faisaient que recouvrir des
différends entre un État et une entreprise étrangère particulière voire
entre deux entreprises elles-mêmes : et comment ne pas citer ici à titre
illustratif ces contentieux emblématiques ayant opposé l'Union/Commu-
nauté européenne aux États-Unis à propos du traitement réservé dans ce
pays au « Havana Club » (Rapport de l'Organe d'appel du 2 janvier 2002,
WT/DTS/AB/R, États-Unis- art. 211 de la loi générale de 2008) ou encore
plus récemment ces deux mêmes protagonistes dans l'affaire dite des
« avions gros porteurs » recouvrant un conflit entre deux sociétés privées,
Airbus d'un côté et Boeing de l'autre (v. ss 270) ? On peut penser que, dans
ces conditions, les groupes de pression ont de beaux jours devant eux.
245 'éloignement dans lequel sont ainsi tenus les opérateurs ne sert pas
davantage la bonne administration des règles et procédures du Mémoran-
dum d'accord. En effet, celui-ci repose sur la constatation de faits écono-
miques, secteur par secteur, constatation qui peut se révéler difficile pour
des services administratifs. Le rassemblement et le collationnement des
données pertinentes, qui ne sont pas nécessairement en la possession de
ces services, leur présentation et leur interprétation dans des formes utili-
sables, tout ceci constitue pour l'administration des tâches nouvelles, aux-
quelles elle n'est pas préparée. On voit mal, dans ces conditions, comment
les règles et procédures complexes que prévoient non seulement le Mémo-
randum d'accord, mais encore les Accords multilatéraux, pourraient être
maniés de façon satisfaisante sans l'active coopération entre les opéra-
teurs et les Membres. Car ce sont les opérateurs qui sont en possession des
données de fait, puisque ce sont ceux qui se trouvent au coeur de sys-
tème. Pour s'en tenir à une seule illustration, comment les différends nés
un Accord multilatéral tel que l'Accord relatif aux subventions et aux
mesures compensatoires pourraient-ils être correctement réglés sans le
concours des opérateurs ?
246 L'ensemble de ces considérations plaide en faveur d'une association de plus
en plus étroite des opérateurs à la mise en oeuvre des mécanismes de règle-
ment des différends, voire même en faveur d'une reconnaissance du droit
de ces opérateurs à mettre eux-mêmes en oeuvre ces mécanismes lorsque
leurs droits sont lésés par un membre. Il y a là une longue évolution en
perspective. On voit mal qu'elle puisse être évitée.
Sans aller jusque-là, l'organe de règlement des différends devait accepter
que des pays puissent au titre de leur délégation inclure des conseils privés
(Rapport de l'organe d'appel du 9 septembre 1997 dans l'affaire « Communautés
98 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

européennes — Régime applicable à la vente et à la distribution de bananes »


(§ 10-12) ou même des tierces personnes intéressées (ainsi des organisations
non gouvernementales) qui pourront alors présenter leurs observations au
nom de ses membres tandis que les « groupes spéciaux » sont en droit de
demander des renseignements et avis techniques à toute source appropriée
v. le Rapport de l'organe d'appel du 12 octobre 1998 dans l'affaire « Etats-
Unis — prohibitions à l'importation de certaines crevettes et de certains produits à
base de crevettes » (§ 101 et 104).

2. La panoplie des procédures utilisables


247 Doit-on considérer le mécanisme de règlement des différends comme un
mécanisme directif qui ne laisserait aux parties qu'un degré limité d'ini-
tiative dans le choix des règles et procédures ? Certains commentateurs
l'ont laissé entendre, en insistant fortement sur le renforcement des pro-
cédures dans le sens d'une plus grande juridictionnalisation. L'affirma-
tion n'est pas inexacte : elle est incomplète. À la vérité, l'analyse du
Mémorandum d'accord fait ressortir que les Membres ont entendu,
avant tout, se réserver le libre choix du mode de règlement de leurs diffé-
rends ; mais que, s'étant réservé ce libre choix, ils ont dessiné les contours
d'une procédure particulière, à laquelle il leur sera loisible de recourir en
toutes circonstances. Ainsi se combinent flexibilité et rigidité : mais il ne
paraît pas conforme à l'esprit du texte de soutenir que l'une l'emporterait
sur l'autre.
248 Le principe du libre choix, par les parties, du mode de règlement de leur
différend, fait désormais figure de principe général du droit international.
Certes, les parties en différend peuvent restreindre ce libre choix, en se
référant, par la voie conventionnelle, et antérieurement à la naissance de
tout différend, à tel ou tel mode de règlement : ainsi par exemple, de l'arbi-
trage en matière d'investissements. Mais, précisément, ce qui fait l'origi-
nalité du Mémorandum d'accord, c'est qu'il garantit, conventionnelle-
ment, le libre choix des parties. L'article 5 prévoit que les bons offices, la
conciliation ou la médiation pourront être demandés à tout moment par
l'une des parties à un différend ; « ces procédures pourront commencer à
tout moment », et continuer à se dérouler alors même qu'un Groupe Spé
cial aurait déjà été constitué. Et l'article 25 ménage la possibilité d'un
recours à l'arbitrage, « conçu comme un autre moyen de règlement des
différends », dès lors que les parties en différend auront manifesté leur
accord sur le choix de cette procédure. Bons offices, conciliation, média-
tion, arbitrage : on croirait lire l'article 33 § 1 de la Charte des Nations-
Unies, qui donne sanction au principe du libre choix des moyens de régler
un différend.
249 Il faut aller plus loin, et se demander si les rédacteurs du Mémorandum
d'accord n'ont pas conclu que le libre choix demeurait nécessaire, tout
LE MÉC NISME DE R GLEMENT DES DIFFÉR ND 99

simplement parce que la diversité des différends proscrivait l'unicité du


mode de règlement. Certains différends seraient susceptibles de modes de
règlement que l'on qualifie généralement de « politiques » — les bons
offices, la conciliation, la médiation — alors que certains différends
seraient susceptibles de modes de règlement que l'on qualifie générale-
ment de « juridiques » — l'arbitrage. Est-ce à dire, dès lors que le Mémo-
randum d'accord distingue implicitement entre différends politiques et
différends juridiques ? En tout cas, il faut noter qu'aux termes de l'article 3
§ 10, « les demandes de conciliation et le recours aux procédures de règle-
ment des différends ne devraient pas être conçus ni considérés comme des
actes contentieux » ; alors qu'aux termes de l'article 25, le recours à l'arbi
trage doit être conçu comme « un autre moyen de règlement des diffé-
rends ». Est-ce à dire que la nature du différend retentit sur le mode de
règlement ?
250 S'il en est ainsi, comment expliquer que certains commentateurs aient
fortement insisté sur le renforcement des procédures ? La raison en est
simple. Le Mémorandum d'accord, respectueux du principe du libre choix,
énumère un certain nombre de modes de règlement — étant entendu que
cette énumération semble présenter un caractère limitatif. Mais, parmi
ces procédures, il en est une dont les mécanismes sont décrits avec un luxe
de détails tels qu'elle apparaît ainsi comme le noyau dur du Mémorandum
d'accord : c'est la procédure des Groupes Spéciaux, qui, dès lors, se trouve
investie d'une sorte de primauté. La sollicitude des rédacteurs du Mémo-
randum en faveur de la procédure des Groupes Spéciaux s'explique aisé-
ment. Cette procédure-là n'a pas été introduite dans la panoplie des méca-
nismes ex nihilo : il s'est agi de tirer, avec la précision convenable et
souhaitable, les leçons du passé, en conservant ce qui avait fait la force et
en corrigeant ce qui avait fait les faiblesses du système prévu par les
articles XXII et XXIII du GATT de 1947. À cet égard, il ne paraît pas possible
de soutenir que le Mémorandum établit une hiérarchie entre les modes de
règlement qu'il offre — même si, dans la pratique, le recours à la procédure
des Groupes Spéciaux a connu un succès tel qu'il est en passe d'éclipser
toutes les autres procédures. C'est probablement ce phénomène qui
explique l'impression, qu'ont ressentie certains observateurs, d'une ossifi-
cation de la procédure.

3. Un mécanisme global
251 Procédures générales Le Mémorandum d'accord sur les règles et pro-
cédure de règlement des différends se veut un instrument global. En d'autres
termes, les règles et procédures que prévoit le Mémorandum s'applique-
ront à l'ensemble des différends nés des Accords de Marrakech — sous
réserve des exclusions et précisions qui résultent de l'article le r. À cet égard,
les Accords OMC sont classés en trois catégories.
O LE CADRE INSTITUTIONNEL COMMUN

252 La première catégorie est celle des Accords commerciaux multilatéraux visés
par l'appendice 1 et auxquels les règles et procédures définies par le Mémo-
randum s'appliquent dans leur intégralité. Cette première catégorie com-
prend les deux Accords institutionnels, c'est-à-dire l'Accord instituant
l'OMC et le Mémorandum d'accord sur les règles et procédures régissant
les règlements des différends. Elle comprend également l'ensemble des
accords « matériels », portant sur le commerce des marchandises
(Annexe 1. A), sur le commerce des services (Annexe 1 B) et sur les ADPIC/
TRIPS (Annexe 1 C). Le Mémorandum d'accord s'applique ipso jure aux
différends nés de ces Accords. Mais il faut noter que se trouve exclu de la
première catégorie l'Accord relatif au mécanisme d'examen des politiques
commerciales (Annexe 3), bien qu'aux termes de l'article 11.2 de l'Accord
instituant l'OMC, cet Accord soit intégré à la catégorie des Accords com-
merciaux multilatéraux.
253 La deuxième catégorie comprend quatre Accords commerciaux plurilatéraux
(maintenant réduits à deux). Le Mémorandum d'accord ne s'applique pas
ipso jure à ces accords commerciaux plurilatéraux. L'appendice I, in fine,
subordonne, en effet, cette application à une manifestation de volonté.
Les parties à chaque accord commercial plurilatéral adopteront, en effet,
une décision qui, d'une part, assujettira cet accord au Mémorandum et,
d'autre part, déterminera les modalités particulières de l'application du
Mémorandum à cet Accord. L'OMC n'intervient pas dans cette détermi-
nation. Mais si les modalités particulières de règlement que déterminent
ainsi les parties à l'Accord commercial plurilatéral aboutissent la création
d'une règle ou procédure nouvelle, alors, cette règle ou procédure nouvelle
devra être notifiée à l'ORD, puisque c'est en définitive à lui qu'il revient de
mettre en oeuvre le Mémorandum.
254 Procédures spéciales 0 La troisième catégorie comprend les accords,
autres que multilatéraux ou plurilatéraux, qui contiennent des règles et
procédures spéciales en matière de règlement des différends. Le Mémoran-
dum d'accord s'applique ipso jure à ces Accords, qui sont visés à l'appen-
dice II. Mais la coexistence entre deux mécanismes de règlement — c'est-
à-dire, d'une part, le mécanisme général tel qu'il résulte du Mémorandum
d'accord et, d'autre part, les mécanismes spéciaux tels qu'ils résultent des
accords visés à l'appendice II —, peut être à l'origine de conflits entre règles
et procédures. Le Mémorandum d'accord fournit donc quelques directives
pour résoudre ces conflits. La première directive est de caractère impéra-
tif : en cas de conflit entre procédure générale et procédure spéciale, la
procédure spéciale prévaudra sur la procédure générale. Il se peut, toute-
fois, qu'un seul et même différend exige interprétation et application à la
fois d'un accord visé à l'appendice I et un accord visé à l'appendice II. C'est
ici qu'intervient la deuxième directive : les parties devront alors tenter de
s'entendre sur le choix des règles et procédures applicables. Si elles n'y par-
viennent pas, le Président de l'ORD, dans les conditions fixées par
LE MÉCANISME DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS 101

l'article 1 e; paragraphe 2 du Mémorandum d'accord, déterminera ces


règles et procédures. Enfin, troisième directive ; en accomplissant sa mis-
sion, le Président de l'ORD devra « utiliser » de préférence les règles et
procédures spéciales.
L'appendice 2 du Mémorandum d'accord mentionne les accords qui
comportent des règles spéciales ou additionnelles (v. tableau ci-dessous).

Accord Dispositions contenant des règles


ou procédures spéciales
Accord sur l'application des mesures 11.2
sanitaires et phytosanitaires
2.14, 2.21, 4.4, 5.2, 5.4, 5.6, 6.9,
Accord sur les textiles et les vêtements 6.10, 6.11, 8.1 à 8.12
Accord sur les obstacles techniques
14.2 à 14.4, annexe 2
au commerce
Accord sur les mesures anti-dumping 17.4 à 17.7
Accord sur l'évaluation en douane 19.3 à 19.5, annexe 11.2 f, 3, 9, 21
Accord sur les subventions et les mesures 4.2 à 4.12, 6.6, 7.2 à 7.10, 8.5,
compensatoires note 35, 24.4, 27.7. annexe V
Accord général sur le commerce des services XXII/3, XXIII/3
Annexe sur les services financiers 4.
Annexe sur les services de transport aérien 4.
Décisions sur certaines procédures
de règlement des différends établies 1à5
aux fins de l'AGCS

255 Un mécanisme intégré 0 Le Mémorandum d'accord réussit donc une


sorte de gageure, qui consiste en l'intégration de toutes les règles et procé-
dures en un instrument unique. Cette intégration était indispensable afin
d'asseoir la compétence d'une instance commune sur des différends nés
d'accords à géométrie variable et à contenu dissemblable. Mais l'unicité de
l'instrument n'entraîne nullement l'unification des procédures. Une
architecture se dessine : pour les différends nés des Accords commerciaux
multilatéraux, qui constituent le noyau dur des Accords de Marrakech, les
procédures du Mémorandum et, particulièrement, la procédure de droit
commun, s'appliquent ipso jure, afin de parvenir à un règlement dans des
conditions prévisibles ; pour les différends nés des autres accords, et qui ne
mettent pas en cause l'équilibre du système commercial international, on
peut admettre que d'autres mécanismes s'appliquent, qui pourront faire sa
part à la volonté des parties.
256 Compatibilité avec d'autres mécanismes des différends écono-
miques 0 Mais toute gageure, pour impressionnante qu'elle soit, rencontre
102 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

ses limites. L'OMC doit faire face à la cohabitation - voire à la concurrence


- de nombreux accords de commerce régionaux ou bilatéraux de nature
préférentielle en même temps qu'à celle de conventions protectrices de
l'environnement dont les contenus et les modes de règlement des litiges se
chevauchent (v. ss 238). En cas de contentieux né du non-respect d'une
règle commune à l'un de ces accords particuliers et au « droit OMC », quel
forum sera compétent pour en connaître ? (sur tous ces points, voir le
Rapport de l'OMC de 2011 intitulé « Le système commercial multilatéral
et les accords commerciaux préférentiels », pp. 172-179). À cette interro-
gation générale il n'existe pas de réponse autre que celle choisie en com-
mun par les parties au différend, celles-ci pouvant décider de privilégier la
voie multilatérale de l'OMC ou la voie régionale spécifique. C'est ainsi par
exemple que 1'ALENA devait choisir l'option régionale en matière de litiges
environnementaux tandis que l'Union européenne devait retenir l'option
OMC pour le règlement des différends liés à ses accords préférentiels pas-
sés avec le Chili ou le Mexique. Du point de vue de l'OMC, la difficulté
principale viendrait (et elle ne s'est pas encore directement posée), d'une
demande auprès de l'ORD de régler un différend dont un autre méca-
nisme régional aurait déjà eu à connaître dans sa totalité. Ces principes
généraux bien connus que sont ceux de la res judicata ou du non bis in idem
devraient permettre de fournir la solution.

§ 2.Nature du mécanisme de règlement


des différends
257 Ce mécanisme n'a cessé de soulever des interrogations quant à son appar-
tenance au domaine du juridique ou du politique (1). La réalité est plus
complexe en ce sens que les diverses phases de la procédure instituée font
également appel à l'un et à l'autre (2).

1. Un mécanisme relevant de l'ordre juridique


ou politique ?
258 Le Mémorandum d'accord, quoi qu'il en soit, prévoit un mécanisme de
règlement que l'on peut qualifier de mécanisme de droit commun. Il ne
saurait être question d'en examiner ici toutes les particularités. Du moins
quelques observations, d'ordre général, peuvent-elles utilement prendre
place ici. On a souvent décrit ce mécanisme de droit commun comme une
procédure en deux temps : un temps devant les groupes spéciaux institués
par l'ORD, un temps devant l'organe d'appel. Cette description ne paraît
pas exacte. Il vaudrait mieux analyser le mécanisme comme une procé-
dure en trois temps : un temps entre États membres ; un temps devant les
groupes spéciaux, un temps devant l'organe d'appel. On a soutenu que les
première et deuxième phases de la procédure se caractériserait par un
LE MÉC NISME DE R GLEMENT DES DIFFÉR ND 3

certain informalisme, d'ailleurs, plus marqué au cours de la première


phase qu'au cours de la deuxième phase, alors que la troisième phase se
caractériserait par un certain formalisme. En d'autres termes, le méca-
nisme de règlement du différend transformerait progressivement ce der-
nier, d'un différend politique en un différend juridique par un processus
d'affinement systématique.
259 Cette vision semble trop tranchée. Il y a du juridique dans la première et
dans la deuxième phase, comme il y a du politique dans la troisième phase.
Là réside précisément, l'une des originalités du mécanisme. Dès lors, il
paraît bien arbitraire d'opposer, dans les modalités de leur agencement et
de leur fonctionnement, les deux instances de règlement, savoir le groupe
spécial et l'organe d'appel, le caractère juridictionnel devant être refusé à
un et reconnu à l'autre. En vérité, la démonstration pourrait être aisé-
ment faite que ni le groupe spécial ni l'organe d'appel ne possèdent l'en
semble des caractères spécifiques d'un organe juridictionnel — ce qui ne
veut pas dire que ni l'une ni l'autre ne possèdent aucune de ces caractères,
et ce qui ne veut pas dire que les deux présentent, à cet égard, les mêmes
caractères. Quant à l'organe de Règlement des Différends (ORD) sa déno-
mination est trompeuse, et peut être même fallacieuse. L'ORD, en effet,
facilite le règlement des différends plutôt qu'il ne les règle lui-même. Il
intervient, au moins dans les premières phases du règlement, plus comme
une instance administrative que comme un organe de règlement. Ses pou-
voirs s'affermissent, il est vrai, au fur et à mesure que progresse la nature
de règlement. Mais il ne rédige aucun rapport par lui-même. C'est à lui,
toutefois, qu'il revient de procéder à l'adoption tant des rapports des
groupes spéciaux que des rapports de l'organe d'appel.
260 Dans son arrêt du 9 septembre 2008 (aff. jointes C-120/06 P et C-121/06
P. Flamm c. Conseil de l'Union européenne et Fedon c. Commission des Commu-
nautés européennes, Rec. I-6513), la Grande Chambre de la Cour de Luxem-
bourg eut à se pencher, inter alia, sur la portée des recommandations et déci-
sions de l'Organe de règlement des différends de l'OMC. Elle ne put
s'empêcher de rappeler à juste titre que « l'élément déterminant en la
matière (était) constitué par le fait que la résolution des litiges portant sur
le droit OMC (était) en partie fondée sur des négociations entre les parties
contractantes » (point 116) ; et elle ajoutait que si « le retrait des mesures
illégales constitu(ait) certes la solution préconisée par ce droit... celui-ci
autoris(ait) également la mise en oeuvre d'autres solutions » elles, relevant
de la négociation intergouvernementale (ibid. et voir aussi le point 32 des
conclusions de l'Avocat général allant dans le même sens). Pour la Cour et
son Avocat général, ces « solutions négociées » fondées « sur une base de
réciprocité et d'avantages mutuels » prévalent au sein de l'ORD pour régler
les litiges commerciaux entre les pays membres. Au regard de cette flexibi-
lité, la Cour devait sans surprise appliquer sa jurisprudence traditionnelle
« GATT/OMC » aux « décisions et recommandations » de l'ORD : celles-ci
4 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

ne sont pas invocables en justice (autrement dit, elles ne possèdent pas d'effet
direct au profit des justiciables) pas plus d'ailleurs - et c'était la question
centrale de l'espèce - qu'elles ne sauraient servir de fondement à l'engage-
ment de la responsabilité extracontractuelle de l'Union européenne en cas de
non-respect. En creux, c'était clairement la question de la nature même du
mécanisme de règlement des différends commerciaux au sein de l'OMC
qui était posée ; et il apparaît on ne peut plus clairement au vu tant des
conclusions de l'Avocat général que de ces deux arrêts de la Cour que l'ORD
ne ressort pas de l'ordre juridictionnel niais relève de la négociation intergouver-
nementale classique. Si, on l'a déjà fortement signalé (v. ss 174-175 et 211 s.),
de sérieuses réserves méritent d'être apportées à l'analyse des juges
de Luxembourg sur la portée du « droit OMC », le refus de reconnaître un
caractère juridictionnel au mécanisme de règlement des différends ne
peut, lui, qu'être pleinement approuvé.

2. Les diverses phases de la procédure


261 La nouvelle procédure de règlement des différends au sein de l'OMC telle
qu'elle apparaît au vu du « Mémorandum d'accord » peut être synthétisée
dans le tableau suivant.

Étapes
Mesures
(jours)
Consultations, bons offices, conciliations
60
ou médiation du directeur général de l'OMC
1
Établissement d'un groupe spécial 30
1
Remise du rapport du groupe spécial 180-270
1
Adoption du rapport du groupe spécial 60

Pas d'appel Appel


1
Examen en appel 60-90
1
Adoption du rapport d'appel 30

« délai
Mise en oeuvre des recommandations du rapport
raisonnable »
LE MÉC NISME DE R GLEMENT DES DIFFÉR ND 5

.1-
À défaut d'application des recommandations :
- demande de rétorsion 20
- autorisation de la rétorsion 30
- arbitrage final 60
Durée totale minimum d'une procédure 420
Durée totale maximum d'une procédure 670

262 Première phase : la consultation o La première phase de la procédure


se déroule entre États. C'est la phase des consultations (art. 4). Elle inter
vient alors que le différend n'est pas encore né : un membre, simplement,
a pris des mesures qui affectent le fonctionnement sur le territoire d'un
autre membre, d'un accord visé — c'est-à-dire, pour l'essentiel, d'un accord
commercial multilatéral. La condition d'effet montre bien que le méca-
nisme n'a pas pour objet de faire respecter, abstraitement, l'ordre public
international commercial : il faut que l'action d'un membre, concrète-
ment, « affecte » un autre membre. Cet autre membre pourra alors adres
ser à l'État qui a pris les mesures reprochées des « représentations » —
terme en usage dans la pratique diplomatique —, et lui demander de
ménager des possibilités de consultation sur ces représentations. C'est la
voie diplomatique qui se met en oeuvre : un État demande à un autre État,
avec tout le tact souhaitable, de redresser les mesures inopportunes qu'il a
prises dans son ordre interne. Mais, dans cette phase discrète, l'OMC est
déjà présente : la demande de consultation est notifiée tant à l'ORD qu'aux
Conseils et Comités compétents.
263 Importance de cette phase Cette première phase est capitale, et l'or-
gane d'appel ne manqua pas de le noter, pour la définition des termes du
différend et de sa portée. Ainsi, dans son rapport Mexique-Sirop de maïs du
21 novembre 2001 (VVT/DS/132/AB/R), l'organe d'appel s'exprima ainsi :
« à la faveur des consultations, les parties échangent des renseignements,
évaluent les points forts et les points faibles de leurs thèses respectives,
réduisent la portée des divergences qui les séparent et, bien souvent,
trouvent une situation mutuellement acceptable [...] Par ailleurs, [.. ] les
consultations donnent aux parties la possibilité de définir et de circons-
crire la portée du différend entre elles » (§ 54). Au demeurant, les consul-
tations ne manqueront pas de fortement influencer la phase suivante plus
formelle des groupes spéciaux ; en effet, comme le nota très tôt l'organe
d'appel « toutes les parties participant au règlement des différends...
doivent, dès le début, tout dire en ce qui concerne aussi bien les allégations
en question que les faits en rapport avec ces allégations. Les allégations
doivent être clairement formulées. Les faits doivent être volontairement
divulgués. Il doit en être ainsi pendant les consultations de même que
6 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

dans le cadre plus formel de la procédure de groupe spécial. De fait, les


exigences en matière de procédure régulière ressortant de manière impli-
cite du Memorandum d'accord font que cela est particulièrement néces-
saire pendant les consultations. Car, poursuit l'organe d'appel, les alléga-
tions qui sont formulées et les faits qui sont établis pendant les
consultations influent beaucoup sur la teneur et la portée de la procédure
de groupe spécial ultérieure » (Inde-Brevets, WT/DS 245/AB/R, rapport du
16 janv. 1998 § 94).
Dans la pratique, ce premier stade de la procédure revêt une importance
considérable puisque près des deux tiers des litiges soumis à l'ORD s'ar-
rêtent à ce stade et trouvent ainsi une solution mutuellement acceptable
pour les parties prenantes.
264 Deuxième phase : le groupe spécial 0 La deuxième phase se déroule
devant un Groupe Spécial, institué ad hoc sous les auspices de l'ORD
(art. 6 à 16 et appendice 3).
Lorsqu'il est demandé l'établissement d'un « groupe spécial », la partie
plaignante devra préciser par écrit à la fois les « mesures spécifiques en
cause » — et celles-ci pourront être « tout acte ou omission » imputable à
un autre membre de l'OMC — et le « fondement juridique de sa plainte »
— c'est-à-dire les « allégations » avancées, ces deux aspects distincts devant
être examinés séparément par ledit groupe spécial (sur l'importance de
cette démarche, voir le rapport de l'organe d'appel du 13 nov. 2006 dans
l'affaire Communautés européennes — certaines questions douanières WT/
DS315/AB/R § 131-133).
Tout groupe spécial saisi au titre de l'article 7 du Mémorandum d'accord
se voit attribuer un mandat lequel définit la portée du différend au vu des
allégations indiquées dans sa demande de constitution ainsi que cela a été
explicité par l'organe d'appel dans ses rapports État-Unis-Acier au carbone
(VVT/DS/184/AB/R) du 19 décembre 2002 (§ 126) et CE-Bananes III (WT/
DS/27/AB/R) du 13 février 1998 (§ 141). Dès lors, les groupes spéciaux ne
peuvent examiner que les seules allégations inclues dans les termes de
leurs mandats et aller au-delà les exposerait à la censure de l'organe d'ap-
pel (v. sur ce point les précisions du rapport du 13 févr. 1998 dans cette
cause célèbre que fut l'affaire des « hormones », C.E. — Hormones, WT/
DS/26/AB/R, § 156).
Le groupe spécial se livrera à un double examen, en fait et en droit
(art. 11). En fait, il procédera à une « évaluation des faits de la cause ».
Pour l'essentiel, le groupe spécial n'est que le « juge des faits » pour
reprendre une expression utilisée par l'Organe d'appel (Rapport du 23 sept.
2002, Chili — Mesures de sauvegarde appliquées à l'agriculture, § 224, WT/
DS207/AB/R).
Plus précisément, les groupes spéciaux doivent fournir les « justifica
ions fondamentales » à l'appui de leurs constatations et recommanda-
ions (v. le rapport de l'organe d'appel du 21 novembre 2001 dans l'affaire
Mexique — Sirop de maïs — article 21-5 États-Unis, WT/DS76/AB § 106,
LE MÉC NISME DE R GLEMENT DES DIFFÉR ND 7

confirmé par le Rapport du 3 mars 2005 dans l'Affaire États-Unis —


Subventions concernant le coton Upland, WT/DS267/AB/R § 276).
En droit, il examinera la conformité « des faits de la cause » avec les
accords visés — c'est-à-dire, avant tous autres, les accords multilatéraux.
Dans l'exercice de leur compétence, les groupes spéciaux empruntent au
fonctionnement des juridictions : c'est ainsi, par exemple, qu'il leur appar
tient d'apprécier le champ de leur compétence (c'est le principe bien connu
du Kompetenz — Kompetenz et de toujours agir dans le respect des droits de
la défense (principe central s'il en est du droit à un procès équitable). (V.
sur ces points le rapport de l'organe d'appel du 6 mars 2006, WT/DS308/
AB/R, Mexique — Mesures fiscales concernant les boissons sans alcool et autres
boissons n° 45,53).
Sa mission peut donc, à cet égard, se comparer à celle d'un juge, chargé
tout à la fois d'établir le fait et de dire le droit. Mais le juge, selon les cas,
rend un jugement ou un arrêt, qui sont investis de l'autorité de la chose
jugée et revêtus de la formule exécutoire. Rien de tout cela ne vaut, s'agis-
sant du Rapport du Groupe Spécial : celui-ci se borne à émettre des consta-
tations, suggestions ou recommandations (art. 19 du Mémorandum d'ac-
cord). La recommandation, dans l'acceptation qui en est donnée
généralement par le droit des organisations internationales, s'oppose à la
décision : autant dire que la recommandation n'est pas obligatoire.
On notera ici que le droit de chaque pays Membre de l'OMC d'avancer
des « allégations » et de mettre en branle la procédure de constitution
d'un groupe spécial a été interprété très largement par l'organe d'appel qui
n'a pas imposé la nécessité pour le requérant de posséder un « intérêt juri-
dique » et qui lui a reconnu cette possibilité dès lors qu'il y voyait utilité (v
le rapport du 9 septembre 1997 dans l'affaire « Communautés européennes
— Régime applicable à la vente et à la distribution de bananes » (§ 132-138).
Sur les 452 différends commerciaux soumis à l'ORD au ter novembre
2012, la grande majorité (les 2/3 environ) purent faire l'objet d'un règle-
ment amiable. Seul un petit tiers d'entre eux donnèrent lieu à examen et
donc à « rapports » d'un groupe spécial, lesquels furent initialement
presque systématiquement portés devant l'Organe d'appel (dans 70 % des
cas en moyenne) avec maintenant une nette tendance à la décroissance.
265 Troisième phase : l'organe d'appel 0 La troisième phase se déroule
devant l'organe d'appel (art. 17) qui devait faire 111 « rapports » au
1" novembre 2012. Pour un juriste, rompu aux procédures des droits
continentaux, la dénomination donnée à l'organe d'appel ne manquera
pas de surprendre. L'appel, en règle générale, tend à faire réformer ou
annuler par la juridiction du second degré le jugement rendu par la juri-
diction du premier degré (v. C. pr. civ., art. 542). Cette formule est com-
parable à celle qu'utilise l'article 17 § 13 du Mémorandum d'accord :
« l'organe d'appel pourra confirmer, modifier ou infirmer les constata-
tions et les conclusions juridiques du groupe spécial ». Les pouvoirs dévo-
lus à la Cour d'appel dans les systèmes de droit civil, et à l'organe d'appel
8 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

dans le Système OMC ne sont donc pas éloignés les uns des autres. Ce
commencement de comparaison, toutefois, atteint rapidement sa limite.
Dans la pratique juridictionnelle des pays continentaux, l'effet dévolutif
de l'appel est de remettre en question la chose jugée par la juridiction du
premier degré, afin qu'il soit à nouveau statué, tant en fait qu'en droit (v.
par ex., l'art. 561 du Code français précité). Rien de tel dans le méca-
nisme OMC, où l'effet dévolutif de l'appel se restreint considérablement :
« l'appel sera limité aux questions de droit couvertes par le rapport du
groupe spécial, et aux interprétations de droit données par celui-ci ».
(Mémorandum d'accord — art. 17 § 6). La procédure d'appel, telle que
définie dans le cadre OMC, se rapproche donc plutôt de celle de la cassa-
tion, telle que la connaît le droit français et dans laquelle le pourvoi ne
tend qu'à faire censurer la violation des règles du droit qu'aurait commise
les juridictions inférieures.
L'organe d'appel se refusa ainsi toujours à réexaminer la détermina-
tion des faits effectués par les « groupes spéciaux » : les questions fac-
tuelles relèvent de leur seul domaine. En revanche, la qualification juri-
dique de ces dits faits relève du contrôle et de la compétence de l'organe
d'appel (v. par exemple le Rapport du 16 janv. 1998 dans l'affaire « Mesures
communautaires concernant les viandes et produits carnés » (hormones)
(§ 132) ainsi que celui du 23 septembre 2002 dans l'affaire précitée Chili
— Mesures de sauvegarde appliquées à l'agriculture où il est affirmé que
« l'appréciation de la compatibilité ou de l'incompatibilité d'un fait ou
d'un ensemble de faits donnés avec les prescriptions d'une disposition
conventionnelle donnée est une question de qualification juridique » qui
ressort de l'organe d'appel, § 224).
266 L'organe d'appel ne prononce pas un arrêt. Il présente un rapport, qui
contiendra ses constatations, recommandations — et, le cas échéant, ses
suggestions (art. 19 du Mémorandum d'accord). Quel est le destinataire
de cette présentation ? C'est l'ORD. Et à quelles fins cette présentation est-
elle faite ? Aux fins d'adoption par l'ORD. Ainsi se confirme le rôle de
l'ORD, qui n'est pas seulement de veiller à l'administration du mécanisme
de règlement des différends, mais aussi de superviser la légalité et l'oppor-
tunité des solutions que dégagent les rapports de l'organe d'appel. Cette
seule observation justifie que l'on dénie la qualification d'organe juridic-
tionnel à cette dernière instance, même s'il fonctionne selon des règles qui
rappelleront les règles de la procédure contentieuse.
Dans ce contexte, un intérêt particulier s'attache à l'autorité de l'analyse
contenue dans les rapports de l'organe d'appel au regard des travaux des
Groupes spéciaux. Si cette importante question n'a pas été abordée par le
Memorandum d'accord afin de maintenir un bien utile « clair-obscur »
quant à la nature du nouveau mécanisme de règlement des différends, elle
n'avait pas posé de difficulté particulière jusqu'à un proche passé (juin
2008) : en effet, les Groupes spéciaux avaient traditionnellement situé
leurs analyses dans le cadre de la « jurisprudence » fixée par l'Organe
LE MÉC NISME DE R GLEMENT DES DIFFÉR ND 9

d'appel. Or une pratique depuis longtemps soumise à controverses et


litiges en matière d'établissement de mesures anti-dumping — la pratique
dite de la « réduction à zéro » (ou « zeroing ») consistant à ne pas prendre
en compte les marges « négatives » et à ne retenir que les marges « posi-
tives » — opposa clairement un Groupe spécial à l'Organe d'appel. Dans
une affaire introduite par le Mexique contre les États-Unis à propos des
« Mesures anti-dumping finales visant l'acier inoxydable », le Groupe spé-
cial valida expressément la mesure américaine de « réduction à zéro »
alors que celle-ci avait été systématiquement « condamnée » par l'Organe
d'appel dans le passé (Rapport du 30 décembre 2007, WT/DS 344 R.).
Dans cette affaire, le Groupe spécial signifia très clairement qu'il n'était
pas « lié » par les décisions antérieures ni de l'Organe d'appel ni d'autres
Groupes spéciaux dans les cas où les questions juridiques posées étaient
les mêmes (par. 7.102).
Saisi par le Mexique, l'Organe d'appel devait sans surprise s'en tenir à sa
jurisprudence passée bien établie et infirmer les constatations et analyses
du Groupe spécial (États-Unis — Mesures anti-dumping finales visant l'acier
inoxydable en provenance du Mexique, 30 avril 2008, WT/DS/344/AB/R).
Mais, plus intéressant car cela soulevait un véritable problème « consti-
tutionnel », l'Organe d'appel devait en termes solennels et inusités blâ-
mer le Groupe spécial pour son comportement et surtout rappeler l'éco-
nomie générale (« les principes fondamentaux » selon ses termes) du
système de règlement des différends de l'OMC en tant qu'« élément
essentiel pour assurer la sécurité et la prévisibilité du système commercial
multilatéral » tel que posé par les accords de Marrakech (§ 157). Si l'Or-
gane d'appel commence par rappeler que ses « rapports... n'ont aucune
force obligatoire, sauf pour ce qui est du règlement du différend entre les
parties » (§ 158), il ajoute immédiatement que « cela... ne veut pas dire
que les Groupes spéciaux ultérieurs sont libres de ne pas tenir compte des
interprétations du droit et du ratio decidendi figurant dans (ses) rapports
antérieurs qui ont été adoptés par l'ORD » (ibid.). Il rappelle en effet que
l'on attend des Groupes spéciaux qu'ils suivent ses conclusions dans les
différends précédents, notamment quand « les questions posées sont les
mêmes » (§ 159). Il ajoute en outre que ses interprétations du droit (ainsi
que celles des Groupes spéciaux qui n'ont pas été portées en appel) font
« partie intégrante de l'acquis du système de règlement de l'OMC », allant
même jusqu'à dire que la « sécurité et la prévisibilité » supposent qu'« en
l'absence de raisons impérieuses, un organisme juridictionnel tranchera
la même question juridique de la même façon que dans une affaire anté-
rieure » (§ 160). Il insiste enfin fortement sur le fait que le Mémorandum
d'accord a institué une « structure hiérarchique » où l'Organe d'appel en
tant « qu'organe permanent» compétent pour « confirmer, modifier ou
infirmer» les constatations et conclusions juridiques des Groupes spé-
ciaux » afin d'aboutir à une « uniformité » et « stabilité » dans l'interpré-
tation des droits et obligations conventionnels des pays membres de
l'OMC (§ 161).
110 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

En marquant sa « profonde préoccupation » devant une analyse d'un


Groupe spécial n'ayant pas suivi sa « jurisprudence » (§ 161-162), l'Or
gane d'appel met ainsi en lumière la nature même de ce mécanisme de
règlement des différends qui n'a jamais cessé d'être controversé.
A suivre l'Organe d'appel, on est clairement en face d'un système juridic-
tionnel : le qualificatif est d'ailleurs expressément mentionné ((§ 160) avec
ici une caractèristique supplémentaire - le principe hiérarchique
(§ 161) - inhérent à l'existence d'un double degré de juridiction. L'analyse
est exacte, mais en partie seulement car elle demeure plus formelle que
matérielle. Le « politique », ainsi que cela a été noté précédemment, conti
nue à jouer un rôle essentiel dans la procédure suivie par l'ORD et il s'avère
incompatible avec le qualificatif de juridiction de plein exercice.
Peu de temps après, le 1" octobre 2008 dans l'affaire « États-Unis —
maintien en existence et en application de la méthode de réduction à zéro »
(VVT/DS350/R) — un groupe spécial amené à traiter de cette même ques-
tion, tout en estimant « convaincant le raisonnement des groupes spé-
ciaux antérieurs concernant ces questions » (§ 7.169) décidait néanmoins
de se rallier à l'analyse contraire soutenue par l'Organe d'appel au nom de
la seule « sécurité et prévisibilité du système commercial multilatéral »
(7.182) et en refusant toute idée de « jurisprudence ayant effet obliga-
toire» (§ 7.179).
267 Vont également dans le même sens les deux dernières étapes de la procé-
dure suivant la confection de son rapport par l'organe d'appel.
Tout d'abord, ce « rapport » n'aura de valeur que pour autant qu'il aura
été adopté par l'ORD — c'est-à-dire par le Conseil général de l'OMC agis-
sant en cette qualité : on rappellera en effet que celui-ci dispose du pou-
voir de le rejeter par « consensus négatif ». Imagine-t-on une décision judi-
ciaire digne de ce nom qui aurait besoin d'être validée — ou à tout le moins
non désavouée — par un organe politique pour avoir force obligatoire ?
Mieux encore, si la sanction normale des « recommandations » de
l'ORD réside en principe dans la « mise en conformité » de la mesure
nationale « illégale » avec le « droit OMC » (art. 22.1 du Mémorandum
d'accord), il ne s'agit en rien d'une méthode obligatoire. Le pays « vic-
time » pourra négocier des compensations commerciales « mutuellement
acceptables » avec le pays auteur du dommage causé par la violation de ses
obligations ou, en cas d'échec, recourir après y avoir été dûment autorisé
à suspendre par voie de contre-mesures des concessions commerciales
équivalentes (art. 22.3) — éventuellement dans des secteurs autres que
celui où portait le litige initial (art. 22.3.b légitimant ce qui a été commu-
nément qualifié de « rétorsions croisées »). Autrement dit, rien ne garantit
qu'il sera mis fin à l'illégalité en cause, le pays « en infraction » pouvant
« s'acheter une mauvaise conduite » soit en accordant de nouvelles
concessions commerciales équivalentes soit en se voyant appliquer des
représailles économiques appropriées (expression plus exacte que celle de
« rétorsion » qui suggère une réaction simplement inamicale alors qu'il
LE MÉCANISME DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS 111

s'agit en l'espèce d'une mesure qui aurait été illégale si elle n'avait pas elle-
même été prise en réponse à un acte original illégal — ce qui est la défini-
tion même de la représaille ou contre-mesure). Inutile de dire qu'une telle
situation est étrangère à une application satisfaisante de la règle de droit
et à l'idée même d'état de droit. Dans les faits, cette procédure a été peu
appliquée, moins de dix affaires ayant donné lieu à la mise en oeuvre de
ces « contre-mesures ».
On notera de surcroît, complication supplémentaire, que le niveau de
la suspension proposée qui doit « être équivalent au niveau de l'annula-
tion ou de la réduction des avantages » peut être soumis à arbitrage pour
détermination finale (art. 22, al. 6 et 7 du Mémorandum) ce qui ne fait
qu'allonger la procédure (que ce soit dans l'affaire des « Bananes » ou des
«produits carnés» par exemple, les arbitres ont nettement révisé à la
baisse les prétentions des parties demanderesses en les diminuant de plus
de moitié).
Encore faut-il noter que les contre-mesures autorisées, pour être effi-
caces, puissent avoir un certain caractère dissuasif en incitant le pays dont
la législation a été condamnée à la modifier au plus vite. C'est ainsi, par
exemple, que lorsque le fameux Amendement Byrd à la législation anti-
dumping américaine fut déclarée illégale en janvier 2003 (v. ss 597) et que
les États-Unis s'abstinrent d'y mettre fin en temps opportun (le
27 décembre 2003 au plus tard), les contre-mesures autorisées par l'OMC
en septembre 2004 avaient toute chance de ne produire aucun effet (au
moins rapide) compte tenu de leur modicité : en effet, l'Union Européenne
était autorisée à percevoir un «droit d'imposition additionnel» ne repré-
sentant que 72 % des ristournes versées chaque année au titre de cet
« Amendement Byrd » (celui-ci prévoit le reversement des droits anti-
dumping et compensateurs perçus par le U.S. Treasury au profit des entre-
prises américaines victimes de pratiques de dumping ou de subventions
étrangères et... ayant été à l'origine des poursuites !) (v. The Economist,
4 septembre 2004, p. 73). Après bien des atermoiements, cet amendement
Byrd fut abrogé par le Congrès en février 2006 pour prendre effet à comp-
ter du l'octobre 2007 date à partir de laquelle les droits perçus iront au
Trésor des États-Unis.
Dans la même veine mais cette fois-ci dans le domaine des services,
tout l'enjeu ainsi et surtout que les limites de ce mécanisme de rétorsions
croisées apparurent en pleine lumière dans « l'affaire des jeux et paris » qui
opposa Antigua aux États-Unis au milieu des années 2000 (v. en particu-
lier H. Grosse Ruse-Khan, A pirate of the Caribbean ? The attractions of sus-
pending TRIPS obligations, JIEL 2008. 313 et v. ss 937).
Recours alternatif à l'arbitrage. Dans le même ordre d'idées, comment ne
pas noter ici la conception pour la moins curieuse de l'arbitrage telle
qu'elle découle du rôle assigné à cette institution judiciaire classique
comme méthode alternative de règlement pouvant se substituer à la pro-
cédure ORD de droit commun (art. 25 du Mémorandum d'accord) ? Si les
112 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

parties en litige décident de recourir à ce mode de règlement des différends


qui relève, lui, de l'ordre juridictionnel, les « décisions arbitrales » (le
Mémorandum d'accord n'utilisant pas la formule consacrée de « sen-
tences » — art. 25.2) seront soumises — sans doute « mutatis mutandis »
art. 25.4) — à la procédure de compensation et de suspension des conces
sions : c'est ainsi accepter par avance qu'une « décision » (sic) arbitrale
puisse rester dénuée du moindre effet de droit grâce à la négociation de
compensations commerciales appropriées ou à l'institution de représailles
économiques ajustées. Une telle approche est regrettable dans la mesure
où elle déprécie la fonction arbitrale ; encore lui a-t-il été épargné l'appli-
cation du « consensus » négatif...
268 Pour conclure sur ce point, on ne peut noter que la nature fondamentale-
ment mixte du système institué qui se trouve en permanence à la frontière du
juridique et du politique, du juridictionnel et du non-juridictionnel, ce qui est
à l'évidence peu satisfaisant pour l'esprit. Ainsi, les règles et procédures que
détaille avec minutie le Mémorandum d'accord ont pour but de sauvegarder
les droits des parties en différend, et l'on peut donc ici percevoir l'influence de
la conception occidentale du procès, marquée par le souci du contradictoire.
Mais le mécanisme n'est pas seulement un instrument de règlement des dif-
férends : il est aussi, à cette occasion, un régulateur du système commercial
international, en ce qu'il doit prendre en compte l'intérêt qu'ont tous les
membres à ce que droits et obligations, tels qu'ils ont été consentis dans les
Accords de Marrakech, ne soient pas déséquilibrés par des interprétations ad
hoc qui privilégieraient le particulier par rapport au général.
Mais ceci avec un caveat ; l'organe d'appel a en effet toujours pris soin de
préciser que le but de la procédure de règlement des différents telle que
prévue par le Mémorandum d'accord était de résoudre une difficulté par-
ticulière d'interprétation ou d'application du système OMC et non d'en-
courager l'ORD à « légiférer» (v. les rapports de l'organe d'appel du 23 mai
1997 dans l'affaire États-Unis — Chemises et blousons de laine (WT/DS33/
AB/R, § 19 et le Rapport précité dans l'affaire du Coton Upland, § 509).

§ 3. Bilan et perspectives
269 Jusqu'à présent, l'ORD a connu un succès certain du moins si l'on en juge
d'un simple point de vue quantitatif (1). Mais il demeure des interroga-
tions fondamentales qui conditionneront l'avenir de ce mécanisme (2).

1. Affaires soumises à l'ORD


(Pour une étude d'ensemble, voir K. Leitner s. Lester, WTO Dispute Settlement from
1995 to 2005 — A Statistical Analysis, JIEL 2006. 219).

270 Au 1" novembre 2012, 452 différends avaient été portés devant l'OMC, le
rythme des nouvelles affaires oscillant entre 20 et 40 par an, avec une
LE MÉC MSME DE R GLEMENT DES DIFFÉR ND 113

tendance récente à l'augmentation sauf toutefois au niveau de l'organe d'ap-


pel. Ceci montre à l'évidence tout le dynamisme du nouveau mécanisme.
Mais il y a plus. Alors que, à l'époque du GATT, le règlement des diffé-
rends commerciaux opposait principalement les pays développés entre
eux, aujourd'hui avec l'OMC, les parties sont beaucoup plus diversifiées. Si
la majorité des plaintes est encore déposée par les premiers (aux alentours
des deux tiers), les pays en voie de développement ou en transition n'hé
sitent plus à saisir l'ORD de leurs différends commerciaux et ils le font
dans un bon tiers des cas, soit contre des pays développés soit contre
d'autres pays du tiers-monde. Enfin, on notera avec intérêt que les pays
développés se retrouvent défendeurs dans 60 % des cas et les pays en déve-
loppement ou en transition dans 40 %. Tout ceci montre, et cela est posi-
tif, que cette nouvelle procédure inspire confiance, celle-ci n'étant plus
bloquée comme auparavant sous l'empire du GATT par le droit de veto de
ses membres (de fait tous les rapports tant des groupes spéciaux que de
l'organe d'appel ont été jusqu'à présent approuvés par le Conseil général de
l'OMC).
En ce qui concerne le domaine des mesures contestées, la palme revient
incontestablement — et pourrait-on ajouter sans surprise — aux barrières
non tarifaires, qu'il s'agisse des normes techniques ou surtout des mesures
sanitaires et phytosanitaires ou encore du dumping. Viennent ensuite,
l'agriculture et les textiles — et là encore cela n'est pas pour surprendre
compte tenu des contentieux passés de l'époque du GATT — puis les droits
de propriété intellectuelle et enfin les services, domaines jusqu'alors non
couverts par le droit du commerce international.
En outre, des affaires à l'enjeu économique très important ont été
soumises à l'ORD, les contentieux portant souvent sur des multiples
de 100 millions de dollars. Ainsi, pour citer un cas emblématique, à la
suite de la condamnation des États-Unis pour avoir mis en place un
système fiscal constitutif d'aide à l'exportation (« sociétés de vente à
l'étranger ») ou Foreign Sales Corporations, WT/DS/108/AB/RW,
Rapport de l'organe d'appel du 14 janv. 2002), l'Union européenne fut
autorisée par le Conseil général de l'OMC à prendre des mesures de
représailles économiques portant sur un volume sans précédent de
4 milliards de dollars d'exportations américaines, soit 1 % du com-
merce entre ces deux blocs transatlantiques. Le Congrès des États-
Unis avait jusqu'au 1er janvier 2004 pour modifier sa législation fiscale
et la mettre en conformité avec la loi OMC. Faute d'y avoir procédé en
temps utile, l'Union européenne commença à imposer des surtaxes
douanières sur certains produits sensibles américains (et choisis d'ail-
leurs à raison de leur « sensibilité »). Apparemment, ces contre-
mesures produisirent l'effet recherché puisque le Congrès devait
mettre fin le 12 octobre 2004 à ce mécanisme qui, dès sa création en
1984, n'avait cessé d'être contesté par les partenaires commerciaux des
États-Unis pour être finalement condamné par l'OMC.
114 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

Parfois, le mécanisme OMC connaît des succès marqués et surtout


rapides. Ainsi, lorsque les États-Unis imposèrent en mars 2002 des sur-
taxes massives (de l'ordre de 24 %) sur certains produits en acier, ils furent
amenés à les lever en décembre 2003 après qu'elles eurent été déclarées
incompatibles avec les mesures de sauvegardes telles qu'autorisées par l'OMC
(États-Unis — Mesures de sauvegardes définitives à l'importation de certains
produits en acier, Rapport de l'Organe d'appel du 10 nov. 2003, WT/
DTS/248-259/AB/R). Ici encore, l'enjeu économique était de taille puisque
la seule Union Européenne pouvait adopter des mesures de représailles
pour un montant supérieur à 2 milliards de dollars et qu'elles avaient été
ciblées sur des produits américains particulièrement sensibles (agrumes,
lunettes de soleil, produits textiles ou tables de billard).
L'une des caractéristiques voulues par les instigateurs de ce nouveau
mécanisme de solution des litiges commerciaux réside essentiellement
dans sa célérité : comme le montre clairement le tableau reproduit précé-
demment (v. ss 261), la procédure est enserrée dans des délais stricts et fort
raisonnables. Toutefois, à l'extrême, dans des affaires fort complexes, ces
limites de temps ne peuvent être respectées. Les conflits qui ne cessent
d'opposer l'Union européenne et les États-Unis dans le domaine des « avi-
ons gros porteurs civils» à propos de subventions réciproques au profit
respectivement d'Airbus et de Boeing en ont constitué autant d'exemples
emblématiques : les « groupes spéciaux » ont mis plus de cinq ans pour l'un
et plus de six ans pour l'autre pour remettre leurs rapports tandis que l'Or-
gane d'appel se trouva dans l'incapacité de respecter le délai de six mois qui
est normalement le sien pour rendre son propre rapport et dut l'étendre à
près de deux ans (v. les rapports du 1er juin 2011, WT/DS316/AB/R,
Communauté européenne et certains membres - Mesures affectant le commerce
des aéronefs civils gros porteurs et du 12 mars 2012, WT/DS3 53/AB/R, États-
Unis - Mesures affectant le commerce des aéronefs civils gros porteurs).
Si, dans l'ensemble, ce mécanisme de règlement des différends s'est
montré satisfaisant, la mise en oeuvre concrète des recommandations
faites par l'ORD n'a pas été aussi rapide qu'espéré lorsque, notamment, les
États visés devaient modifier leur législation (v. B. Wilson, Compliance by
WTO members with averse WTO dispute rulings : the record to-date (1995-
2007), JIEL 2007. 397). Parfois également, les Etats membres ont préféré la
sanction de la suspension des concessions commerciales à leur encontre
— voire la modification de leur liste de concessions par le biais du retrait
d' n avantage — au changement de leur législation interne (un exemple
caractéristique en a été fourni par les États-Unis en 2007 à la suite de leur
différend avec Antigua dans l'affaire des « jeux et paris » — v. ss 937).

2. Interrogations pour l'avenir


271 Deux questions générales méritent d'être ici posées et qui n'ont, pour l'ins-
tant encore, reçu aucune réponse : quelle sera la contribution de l'ORD au
développement du droit international commercial (a) et ne sera-t-il pas
LE MÉC MSME DE R GLEMENT DES DIFFÉR ND 115

victime - ou bénéficiaire du phénomène de « forum shopping » qui appa-


raît largement ouvert par le nouveau « droit OMC » (b) ?

a. Contribution de l'ORD au développement du droit


international du commerce
272 Quelle est, et quelle sera, la place du droit dans ce mécanisme de règle-
ment des différends ? Il va sans dire, en effet, que le souci d'opportunité
ne saurait éliminer l'exigence de légalité. Le mécanisme de règlement s'in-
sère dans un cadre juridique conventionnel, et ce cadre conventionnel doit
être respecté.
Mais est-ce à dire que la mise en oeuvre des procédures prévues par le
Mémorandum d'accord est de nature à favoriser les progrès du droit inter-
national commercial ? Quelques éléments de réponse peuvent être ici
avancés.
273 L'avenir du droit international commercial dépendra, dans une large
mesure, des qualifications de ceux qui auront à mettre en oeuvre le méca-
nisme du règlement des différends. Juristes ou non-juristes ? Les membres
des groupes spéciaux ne sont pas nécessairement des juristes. Ce sont,
plutôt, des spécialistes des questions de commerce international. Ces
personnalités peuvent avoir ou ne pas avoir d'« attaches » avec les admi-
nistrations nationales. Elles doivent posséder une certaine qualification
en la matière, soit qu'elles aient fait partie du GATT, ou de groupes spé-
ciaux institués dans le cadre du GATT, soit qu'elles aient enseigné le droit
international du commerce, ou la pratique internationale du commerce.
Les membres de l'organe d'appel, eux, sont nécessairement des juristes.
Ces personnalités, au nombre de sept, n'ont aucune attache avec les
administrations nationales. Elles doivent avoir donné des preuves de leur
connaissance du droit, en général, et de leur connaissance tant de la
matière conventionnelle que des Accords OMC, en particulier. On voit
donc les forces et les faiblesses du système : la proportion des différends
dont les groupes spéciaux ont à connaître est importante, mais ces
Groupes Spéciaux ne comprennent pas nécessairement de spécialistes du
droit ; l'organe d'appel ne comprend pas nécessairement que des spécia-
listes du droit, mais la proportion des différends dont il connaît est
moins importante.
274 Lorsque soit les Groupes Spéciaux, soit l'Organe d'appel devront appliquer
le droit, quel droit devront-ils appliquer ? (v. sur ce point D. Palmeter et P
C. Mavroidis, The WTO legal system : sources of law, AJIL 1998. 398). Le
mécanisme de règlement donne ici le sentiment de se renfermer sur lui-
même : « Les membres reconnaissent qu'il a pour objet de préserver les
droits et obligations résultant pour les membres des accords visés »
(art. 3.2 du Mémorandum d'accord) tandis qu'il ne saurait « accroître ou
diminuer les droits et obligations énoncés dans les accords visés » (ibid.).
116 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

En bref, le droit applicable au règlement des différends, c'est le droit


conventionnel, tel qu'il résulte des Accords de Marrakech. La réponse est
courte. Mais l'article 3 § 2 du Mémorandum d'accord ajoute que le sys-
tème a pour but de « clarifier » les dispositions de ces accords « conformé-
ment aux règles coutumières d'interprétation du droit international
public ». Certes, la référence vise les « règles coutumières d'interprétation
du droit international public », et non « les règles coutumières du droit
international public ». Il n'empêche que le recours, même limité, à la cou-
tume est ici facteur d'innovation. Enfin, et la différence est ici encore
notable avec une véritable « juridiction », le rôle de ces instances n'est
nullement d'interpréter les accords de l'OMC : on rappellera en effet que
cette fonction d'interprétation est réservée aux seuls organes de tête de
l'OMC (v. ss 204).
275 Le mécanisme de règlement des différends permettra-t-il, dans ces
conditions, un dépassement des principes et règles conventionnels ? On
peut le penser. Les recommandations et suggestions des groupes spé-
ciaux et de l'organe d'appel vont orienter les pratiques des membres — et,
par conséquent, former la consuetudo indispensable à l'émergence de
coutumes générales en matière commerciale internationale. L'opinio juris
ne fera pas défaut, dès lors qu'en se conformant à ces pratiques, les
membres auront le sentiment de respecter les principes et règles conven-
tionnelles qui en constituent le fondement. Il est à espérer que le dépas-
sement des Accords de Marrakech s'effectue grâce à un détour par la
coutume internationale.
276 Toutefois, force est aujourd'hui de constater que l'organe d'appel s'est
montré jusqu'ici assez timide et peu novateur. Ses deux principaux instru-
ments de travail sont restés la Convention de Vienne sur le droit des traités
et... les dictionnaires généraux.
On voudra donner pour preuve de cette grande prudence, l'analyse faite
par l'organe d'appel du principe de précaution, bien connu du droit interna-
tional de l'environnement : tant dans l'affaire des Hormones que plus tard
dans celle Japon — Produits agricoles de 1999 ou encore plus récemment en
2003 dans celle concernant le Japon — Mesures visant les importations de
pommes (§ 232-234), l'organe d'appel refusa d'en voir une règle coutu-
mière internationale qui s'appliquerait également dans le domaine de la
protection de la santé comme justifiant des restrictions commerciales aux
importations « dangereuses ».

b. L'ORD, bénéficiaire ou victime d'un phénomène


de « forum shopping » ?
277 Le nouveau « Système OMC » n'évite pas le phénomène de « mosaïque »
qui caractérisait le GATT de jadis, même s'il est moins accentué. Il fait en
effet souvent référence tant à d'autres institutions internationales et à
LE MÉC MSME DE R GLEMENT DES DIFFÉR ND 117

leur action (ainsi l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle


— OMPI — ou le Codex Alimentarius par exemple) qu'à des arrangements
multilatéraux (notamment en matière d'environnement) qui, dans cer-
tains cas, contiennent leur propre système de règlement des différends. En
outre et parallèlement, certaines conventions internationales (celle sur le
droit de la mer ou la Charte de l'Énergie) ou institutions régionales (la
Communauté (Union) européenne ou 1'ALENA) font référence explicite à
l'ancien mécanisme de règlement des différends du GATT tout en possé-
dant leur propre système en la matière et qui plus est juridictionnel. En
dehors des problèmes posés par ces chevauchements de régimes juridiques
(voire par leurs contradictions éventuelles), comment se répartiront les
compétences entre ces divers systèmes de règlement des litiges ? Leur mul-
tiplication et leur concurrence éventuelle ne nuiront-elles pas à leur effi-
cacité respective ? Les États ne seront-ils pas tentés de procéder à des
« arbitrages » entre ces divers centres, en un mot à pratiquer un « forum
shopping », dans le but de choisir le mécanisme qui leur apparaîtra le plus
favorable à leur cause ? De façon surprenante compte tenu d'un tel
contexte foisonnant pleinement de nature à faire jouer ce phénomène,
celui-ci ne s'est pas (encore) matérialisé. Hasard, politique délibérée (et
éclairée) des États ou confiance dans la qualité du mécanisme ORD ? La
réponse reste ouverte.
HAPITRE 3
LES NÉGOCIATIONS
COMMERCIALES
MULTILATÉRALES

Bibliographie
• Sur les méthodes et principes de négociations on renverra aux ouvrages généraux
précités de T. Flory, R. Hudec et J. H. Jackson ainsi qu'au Répertoire de Droit Inter-
national, V° Négociations commerciales internationales par D. Carreau et P. Juillard.
• Sur le « Kennedy Round », voir J. B. Rehm, Development in the law and institu-
tions of international economic relations : the Kennedy round of trade negotiations, AJIL
1968. 403 ; G. Testa, « Le Kennedy Round. Quelques aspects juridiques », AFDI
1968. 605.
• Sur le « Tokyo Round », voir D. Carreau, Les négociations commerciales mul-
tilatérales au sein du GATT : le « Tokyo Round » (1973-1979), CDE 1980. 145.
• Sur « l'Uruguay Round », outre les ouvrages collectifs cités précédemment,
voir J. Kraus, Les négociations du GATT, CCI, Paris, 1994 ; International law asso-
ciation, Committee on international trade, rapport aux conférences de Buenos-Aires
(1994), Helsinki (1996) et Taipei (1998) ; La régulation juridique des espaces
économiques : interactions GATT/OMC, Union européenne, ALENA, sous la
direction d'A. Bideau, Les chemins de la recherche, Programme Rhône-Alpes,
n° 33, Centre Jacques Cartier, 1996 ; Répertoire de droit international, op. cit.,
Négociations commerciales multilatérales du cycle d'Uruguay, par D. Carreau et
P. Juillard. On consultera aussi avec le plus grand intérêt les rapports parlemen-
taires français de grande qualité à l'Assemblée Nationale par M. Hoguet (nos 679 de
1993, 1066 de 1994, 1713 de 1994 et 2948 de 1996) au Sénat de M. Delaunay
(n° 84 de 1993), de M. de Villepin (n° 157 de 1994) et de M. Pluchet (if 158 de
1994) ainsi que le rapport au Conseil Économique et Social de M. O. Giscard
d'Estaing de février 1996.
• Sur le nouveau « Doha Round », JIEL, Part. II, Quick impressions of the Doha
Results, 2002. 191 s. Et voir le dossier spécial qui lui est consacré in Rapport de
l'OMC sur le commerce mondial 2003.
278 Ancienneté des accords commerciaux 0 Les relations commerciales
sont immémoriales. Pendant longtemps, elles se sont déroulées dans un
contexte purement inter-individuel sans encadrement collectif exté-
rieur. Or, dès le xne siècle, sont apparus les ancêtres de nos traités de
commerce bilatéraux contemporains sous forme d'accords entre
monarques accordant à leurs sujets - en général sur une base réciproque
- des traitements particuliers, en général de faveur, en matière d'établis-
sement et de droits de douane. Ainsi, dès cette époque, le mécanisme de
la clause de la nation la plus favorisée avait déjà été inventé et mis en
pratique.
LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES MULTILATÉRALES 119

À la suite de la naissance de l'État moderne à partir du xvie siècle, les


traités bilatéraux de commerce connurent un essor considérable. Toutes
les puissances, grandes et moins grandes, conclurent des traités bilatéraux
de commerce durant tout le cours du xixe siècle incluant la clause de la
nation la plus favorisée de type conditionnel - c'est-à-dire fondée sur la
réciprocité. A partir de 1921, à l'occasion de la conclusion du nouvel accord
de commerce entre les États-Unis d'Amérique et l'Allemagne, un nouveau
cours devait se manifester avec l'insertion de la clause de la nation la plus
favorisée de type inconditionnel - c'est-à-dire au jeu automatique et sans
réciprocité. Si l'on examine la situation prévalant à la veille de la première
guerre mondiale, le constat était simple : le cadre juridique international
du commerce mondial était exclusivement constitué de tout un réseau
d'accords bilatéraux.
279 Insuffisance d'une approche bilatérale Une telle situation n'était
guère satisfaisante dans la mesure où le bilatéralisme est par essence de
nature discriminatoire. C'est en effet dans un tel cadre que les consé
quences des inégalités de puissance entre les États se font le plus directe-
ment sentir, l'insertion d'une clause de la nation la plus favorisée fût-elle
inconditionnelle ne suffisant pas à elle seule à inverser le phénomène. En
outre, le bilatéralisme, en tant que tel, ne garantit nullement la libérali-
sation des échanges commerciaux. Bien au contraire, il peut être utilisé
à des fins restrictives, comme l'a bien montré la pratique suivie entre les
deux-guerres à l'époque de la grande dépression qui vit notamment un
développement considérable des accords de troc entre nations. Cette
même période démontra - ô combien - que le bilatéralisme commercial
était un facteur de discrimination entre partenaires et pouvait même
être utilisé à des fins de restrictions des échanges. Autrement dit, et en
bref, le bilatéralisme commercial (et le propos peut être étendu à tout le
domaine économique) n'apparaît pas comme un mode satisfaisant d'or-
ganisation des échanges.
280 L'approche multilatérale contemporaine 0 Aussi, lorsque les États-
Unis et la Grande-Bretagne posèrent entre 1941 (avec la Charte de l'Atlan-
ique) et 1945 (avec le dernier de leurs accords économiques bilatéraux de
l'époque) les bases sur lesquelles le « monde meilleur » de l'après-guerre
devrait être organisé en matière d'échanges internationaux, l'accord se fit
sur les notions d'égalité de traitement et d'avantages mutuels entre les
nations dans une optique de libération des transactions. Or, égalité de trai-
tement (ou non-discrimination), réciprocité et libéralisation sont précisé-
ment des éléments constitutifs du multilatéralisme. Ce concept cardinal -
l'inverse même du bilatéralisme - devait, à partir de la fin de la deuxième
guerre mondiale, constituer la clé de voûte de l'organisation des échanges
commerciaux.
Bien que n'ayant fait l'objet d'aucune définition officielle, le multilatéra-
lisme appliqué au commerce signifie que les échanges internationaux
120 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

devront être libéralisés (voire devenir libres) dans des conditions égales
pour tous les participants et sur la base d'avantages mutuels. Cela est vrai
aussi bien pour les versions régionales (telle l'OECE en 1948 ou les intégra-
tions économiques d'aujourd'hui comme l'ALENA ou le Mercosur) qu'uni-
verselles du multilatéralisme.

281 Pour s'en tenir au niveau universel, le multilatéralisme constitue le socle


sur lequel toutes les institutions commerciales de l'après-guerre ont été
établies. Il s'agit du principe fondateur tant de l'OMC aujourd'hui que du
GATT hier ou encore de l'OIC prévue par la défunte Charte de La Havane
de 1948.
Il en va de même — notons-le dès maintenant — en matière monétaire.
Le FMI établi à la suite de la Conférence de Bretton Woods de juillet
1944 a d'ailleurs constitué la première matérialisation institutionnelle du
multilatéralisme : tous ses membres doivent en effet libéraliser l'usage de
leur monnaie et s'abstenir de toute pratique monétaire discriminatoire.
Multilatéralisme commercial et multilatéralisme monétaire vont d'ail-
leurs de pair et ne se conçoivent pas l'un sans l'autre. À quoi servirait-il par
exemple de libérer les échanges commerciaux s'il n'en allait pas de même
quant aux moyens de paiement ?
Il n'est qu'un secteur pour lequel, en raison de sa spécificité propre, le
multilatéralisme est resté un objectif à atteindre : les investissements pri-
vés. Mais cette lacune qui aurait pu être comblée avec la conclusion sous
les auspices de l'OCDE de l'Accord Multilatéral sur l'Investissement (AMI)
ne l'a pas été en raison de l'échec de l'entreprise.

282 Plan 0 Avant même d'être — et de devenir — une institution, le GATT de


1947 fut essentiellement un centre et le centre des négociations commer-
ciales multilatérales (NCM) à portée universelle. Cette mission centrale
devait être tout naturellement reprise par la nouvelle OMC. Mais il y a
plus que cette simple continuité fonctionnelle. En effet, il convient de se
rappeler que l'« Accord général » de 1947 a été ratione materiae conservé,
sans doute avec des amendements et interprétations, pour être intégré
en tant que lex generalis au sein du nouveau « Système OMC » sous le
nom de « GATT 1994 ». Or, en matière de négociations commerciales
multilatérales, la continuité est quasi-totale entre le GATT et l'OMC —
du moins quant aux règles de fond (Section 1). En l'espèce, le GATT
devait connaître un succès certain en permettant la conclusion de huit
« cycles » (ou « rounds ») durant le presque demi-siècle de son histoire
(Section 2). De son côté et non sans difficulté, l'OMC parvint à organi-
ser un premier cycle de négociations commerciales multilatérales, à la
suite de la conférence ministérielle de Doha en novembre 2001 et celles-
ci, tout en n'ayant pas été formellement abandonnées, demeurent au
point mort (Section 3).
LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES MULTILATÉRALES 121

LE GATT/OMC
SECTION 1.
COMME CENTRES DE NÉGOCIATIONS
COMMERCIALES MULTILATÉRALES
283 Même si, théoriquement, elles conservent valeur de droit positif au titre
du « GATT 1994 », nombre de dispositions concernant le fondement, l'ob-
jet — voire les méthodes de négociations — apparaissent comme dépassées
avec l'entrée en vigueur de l'OMC le t janvier 1995. En revanche, l'essen-
er

tiel, c'est-à-dire les principes présidant au déroulement des négociations


commerciales multilatérales n'a rien perdu de son actualité.

§ 1. Fondement des négociations


284 Cette question méritait d'être posée à l'époque de l'Accord général dans
la mesure où celui-ci, du moins initialement, n'était pas une institution
intergouvernementale dotée de la personnalité internationale. Le GATT
n'apparaissait que comme un simple cadre de négociations périodiques
(v. en particulier les art. XXV et XXVIII bis). Rien n'était dit quant à leur
périodicité ni quant aux participants. Or, avec le temps et l'institution-
nalisation du GATT, celui-ci devint un centre permanent de négocia-
tions commerciales, sans préjudice de l'organisation de cycles (« rounds »)
globaux.
285 C'est évidemment dans cette dernière tradition que se situe l'OMC. Ab
initio, on rappellera que l'OMC est une institution internationale de plein
exercice. Dotée d'organes et d'une personnalité propres, l'OMC bénéficie
de la permanence. Elle apparaît ainsi aujourd'hui comme l'organisation
chargée d'abriter et de mettre sur pied, selon le rythme et les modalités de
son choix, toutes les négociations commerciales nécessaires entre ses
membres (art. H (1) et III (2)).
286 Si l'OMC - à dire vrai comme toute organisation intergouvernementale -
est bien un centre de négociations permanentes entre ses membres, elle
abrite aussi des négociations spécifiques décentralisées sous les auspices de
ses nombreux conseils ad hoc mais sous la supervision globale de ses
organes de tête (v. ss 202 s.). C'est ainsi, par exemple, et notamment en
matière de services, que l'Acte final de Marrakech de 1994 prévoyait l'ou-
verture de négociations particulières dans certains secteurs, allant même
parfois jusqu'à proposer un calendrier ; il en alla ainsi par exemple pour
les services financiers, les télécommunications de base ou les mouvements de
personnes physiques pour lesquels les négociateurs purent aboutir à des
résultats positifs en 1997 sous la forme d'une libéralisation accrue des
prestations (v. ss 988 s.). En revanche, le succès n'a pas été au rendez-vous
pour les transports aériens et maritimes ou pour les services professionnels
par exemple.
122 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

287 On notera que, comme à l'époque du GATT, ces négociations n'ont impli-
qué qu'un nombre limité de membres de l'OMC (aux environs de la moitié
ou parfois moins encore). Or, encore comme à l'époque du GATT, ce qui a
été négocié par une minorité d'États membres de l'OMC (en réalité les
États principalement intéressés comme exportateurs ou importateurs de
ces services) bénéficiera à la totalité d'entre eux sans qu'il leur soit demandé
la moindre concession en échange. C'est ici une nouvelle manifestation
du phénomène si souvent noté du « free ride » (de la course gratuite) qui
est inhérent au jeu de la clause de la nation la plus favorisée de type
inconditionnel.

§ 2. Objet des négociations


288 À l'époque du GATT comme à celle de l'OMC, les négociations commer-
ciales portent tout naturellement sur le domaine matériel couvert par ces
accords. Or, du temps du GATT, cela voulait dire essentiellement les
« tarifs douaniers » même si les « autres entraves aux échanges » étaient
également visées (v le préambule de l'Accord général) et ce, en raison du
niveau élevé des droits de douanes (40 % en moyenne ad valorem sur les
produits industriels en 1948).
Au cours des ans, il apparut que les droits de douanes — obstacles visibles
aux échanges s'il en est — étaient relativement aisés à réduire. Ils ne jouent
d'ailleurs plus aujourd'hui qu'un rôle protecteur très marginal et c'est là
l'un des grands succès de l'Accord général (v. ss 505 s.).
289 Progressivement, il apparût que les barrières non-tarifaires, obstacles invi-
sibles et pernicieux aux échanges, constituaient les principales entraves à
l'accès aux marchés. Alors que peu d'entre elles étaient nommément visées
par le GATT (ainsi les restrictions quantitatives), celui-ci tenta avec un iné-
gal succès de parvenir à leur démantèlement lors des cycles (« rounds »)
qui se déroulèrent à partir du début des années 70 (v. ss 325 s.). Nul ne
doute que cette tâche sera aussi de l'OMC dans l'avenir : de nos jours, les
principaux obstacles aux échanges commerciaux portant sur les marchan-
dises relèvent du domaine non-tarifaire.
290 Toutefois, il convient de rappeler que la portée matérielle de l'OMC est
beaucoup plus large que celle du GATT, de sorte que les nouvelles NCM
seront également plus étendues. Concrètement, ce sont toutes les matières
raitées dans les Annexes 1, 2 et 3 à l'Accord de Marrakech qui sont ici
couvertes. C'est ainsi que les services dans leur ensemble font désormais
partie de la compétence de l'OMC de même que les investissements et la
propriété intellectuelle pour peu qu'ils soient liés au commerce. Or, ces sec-
teurs — et surtout celui des services — sont encore bien peu libéralisés sur
une base multilatérale. Ici encore, nul ne doute que dans l'avenir les NCM
porteront principalement sur ces secteurs pour les ouvrir au commerce et
LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES MULTILATÉRALES 23

à la concurrence internationale. L'apport potentiel de l'OMC à la multila-


téralisation des échanges commerciaux est ici considérable.

§ 3. Méthodes de négociation
291 L'Accord général de 1947 était très imprécis en la matière tandis qu'il ne
portait que sur les droits de douanes (v. les art. XXVIII et XXVIII bis 2a). La
pratique se chargea des ajustements nécessaires : en matière douanière, la
méthode de réduction devint linéaire tandis que, dans le domaine non-
tarifaire, les obstacles singularisés pour être réduits ou éliminés étaient
choisis par les parties contractantes intéressées qui, seules bien entendu,
allaient participer aux négociations ; mais, comme auparavant, le bénéfice
des mesures de libéralisation était étendu à toutes les parties contrac-
tantes, d'où la situation bien connue du « GATT à la carte » qui ne cessa
de se développer (v. ss 177 s.).
Afin de faciliter la tenue des négociations, une convention sur le « sys-
tème harmonisé de désignation et de codification des marchandises » fut
négociée dans le début des années 1980 pour entrer en vigueur en 1988.
C'est cette nomenclature unifiée qui sert à l'établissement des listes de
concessions négociées tout d'abord au sein du GATT puis maintenant de
l'OMC. Ce système harmonisé qui inclut la grande majorité (mais non la
totalité) des membres de l'OMC ne fait pas formellement partie des
accords de Marrakech de 1994. Néanmoins, l'organe d'appel de l'OMC
devait estimer que cette convention présentait un « lien étroit» avec
lesdits accords de Marrakech et que, à ce titre, elle constituait une réfé-
rence pertinente aux fins de leur interprétation (v. par exemple le rapport
du 12 sept. 2005, Communautés européennes — Classification douanière des
morceaux de poulet désossés et congelés, WT/DTS269/AB/R et VVT/DS286/
AB/R, § 194-199).
292 En bref, cet empirisme qui régna en maître du temps du GATT régira égale-
ment le choix par l'OMC des méthodes de négociation. Rien de nouveau
par rapport au « GATT 1947 » n'existe ici dans le « GATT 1994 ». Ce sera
encore aux conseils de gestion décentralisés de l'OMC d'adopter les
méthodes appropriées sous le contrôle des organes de tête de l'OMC (en
réalité, le Conseil Général, art. IV (5)).
Pour prendre l'exemple concret des services, le « GATS » prévoit que le
processus de libéralisation progressive reprendra à partir de l'an 2000 pour
continuer «périodiquement par la suite » (art. XIX (1)). Ce sera au Conseil
du GATS de fixer les « lignes directrices et les procédures de négociations »
(art. XIX (3)), lesquelles pourront revêtir la forme bilatérale, plurilatérale ou
multilatérale (art. XIX (4)). On trouve des dispositions analogues dans les
divers «Accords commerciaux plurilatéraux» annexés à l'OMC. Toutefois,
cette souplesse et le pragmatisme qui caractérisent ce système de gestion
décentralisée des négociations commerciales multilatérales ont leur limite :
124 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

quel que soit leur cadre, ces négociations doivent se dérouler dans le respect
de principes fondamentaux communs.

§ 4. Les principes communs gouvernant


les négociations
293 Les principes généraux présidant à toutes les négociations commerciales
se déroulant sous les auspices de l'OMC se trouvent dans le GATT soit tel
que l'Accord général était initialement formulé en 1947 soit tel qu'il devait
être amendé par la suite. C'est ainsi que les négociations commerciales
devront être conduites sur la base de la réciprocité (ou de la non-récipro-
cité pour ce qui concerne les pays en développement), des avantages
mutuels et de la non-discrimination (ou de l'égalité de traitement) tandis
que les concessions négociées sont juridiquement obligatoires et bénéfi-
cient d'une stabilité minimum dans le temps avant de pouvoir être éven-
tuellement modifiées.

1. Réciprocité et non-réciprocité
294 Le concept de réciprocité se trouve à la base du droit des obligations, qu'il
soit interne ou international. Il s'agit là d'un legs bien connu du droit
romain : do ut des. Le droit international économique d'une façon générale
et le droit international du commerce en particulier en constituent des
terres d'élection. Toutefois, un consensus devait se dégager au cours des ans
pour en limiter la portée en fonction des niveaux de développement des
États. Aujourd'hui, la réciprocité ne joue plus que dans les négociations
entre égaux et c'est le principe inverse de non-réciprocité qui régit mainte-
nant les négociations avec les pays en développement.
• La réciprocité comme principe régissant les négociations entre pays
d'égal développement
295 Le GATT hier et l'OMC aujourd'hui font de la réciprocité le principe cen-
tral de toutes les négociations commerciales en déroulant en leur sein et
sous leurs auspices. Cela est vrai, qu'il s'agisse des « cycles » (rounds) de
négociations multilatérales ou des négociations plurilatérales ou encore
des renégociations ponctuelles à la suite de modifications de concessions
initiales (v. le préambule ainsi que les art. XXVIII (2) et XXVIII bis (1) de
l'Accord général de 1947 qui ont été repris à l'identique dans le « GATT
1994 » et voir aussi le préambule de l'Accord constitutif de l'OMC).
296 En dépit du rôle central joué par ce concept, l'Accord général se garde bien de
le définir ou d'en préciser les éléments constitutifs que ce soit dans sa version
de 1947 ou de 1994. À l'époque du GATT, les rares tentatives qui furent faites
pour mesurer ou apprécier cette réciprocité in concreto connurent toutes
LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES MULTILATÉRALES 25

l'échec, les parties contractantes voulant garder une totale autonomie en la


matière et refusant toute formulation objective qui aurait réduit leur marge
de manoeuvre. Ainsi, et en bref, est réciproque une concession commerciale
jugée comme telle par les pays participant aux négociations. La situation est
identique sous l'empire de l'OMC.
• La non-réciprocité comme principe régissant les négociations
avec les pays en développement
297 Assez vite, nombre de parties contractantes du GATT en voie de dévelop-
pement, à commencer par l'Inde, critiquèrent le rôle général joué par le
concept de réciprocité au titre des négociations commerciales. Pour elles,
la réciprocité ne saurait jouer qu'entre pays de niveau de développement
comparable. Que les pays développés (ou riches) exigent des pays en déve-
loppement (ou pauvres) la réciprocité des concessions commerciales,
serait particulièrement injuste pour ces derniers et les pénaliserait, leur
situation de pauvreté augmentant en effet mathématiquement le poids
relatif de leurs engagements.
298 Les pays du tiers-monde parties contractantes du GATT devaient obtenir
satisfaction avec l'adjonction à l'Accord général en 1966 de la Partie IV
portant sur « le commerce et le développement ». Le nouvel article XXXVI
(8) contient un nouveau principe de non-réciprocité dans les rapports
commerciaux Nord/Sud en disposant : « les parties contractantes déve-
loppées n'attendent pas de réciprocité pour les engagements pris par
elles dans les négociations commerciales de réduire ou d'éliminer les
droits de douanes et autres obstacles au commerce des parties contrac-
tantes peu développées ».
Ce principe de non-réciprocité, pierre angulaire du nouveau droit inter
national du développement alors dans sa phase de formation, apparut
comme l'élément central des relations commerciales Nord-Sud. Il consti-
tua le principe directeur fondamental des cycles (rounds) de négociations
commerciales multilatérales dits de Tokyo (1973-1979) et de l'Uruguay
(1986-1993) pour tout ce qui eut trait aux relations entre pays développés
et en développement. Il préside toujours aux négociations commerciales
multilatérales engagées au sein de l'OMC ainsi qu'en témoigne la déclara-
tion ministérielle de Doha de novembre 2001.
299 Or, pour généreux et bien fondé qu'il puisse paraître, ce principe de non
réciprocité n'est pas sans entraîner des effets pervers : en n'étant tenu de
n'offrir — et de ne se voir demander — aucune concession commerciale, les
pays en développement ne sont guère en mesure d'influer sur le déroule-
ment des négociations et de voir leurs intérêts réels pris en considération.
En réalité, l'abandon du principe de réciprocité dans les relations commer-
ciales Nord-Sud a profondément contribué à faire des NCM une affaire de
pays développés et menée par eux pour assurer la promotion et la défense
126 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

de leurs intérêts économiques. C'est bien là l'occasion de se demander si la


reconnaissance officielle du principe de non-réciprocité n'a pas été contre-
productive pour les pays du tiers-monde.

2. Avantages mutuels
300 Réciprocité Les dispositions précitées de l'Accord général associent
toujours « réciprocité » et « avantages mutuels » alors qu'il s'agit là de
deux concepts séparés, le second venant simplement préciser et qualifier le
premier. L'OMC devait suivre la même approche (v. le préambule ainsi par
exemple que l'art. XIX (1) du GATS concernant les négociations visant à la
libéralisation des services).
En effet, il est loisible d'envisager des situations où le principe de réci-
procité joue sans que celui-ci entraîne une égalité ou une mutualité des
concessions accordées. La réciprocité peut se satisfaire de l'inégalité des
concessions mutuelles que les parties contractantes ont décidé de s'accor
der. Les anciennes conventions de Yaoundé entre la CEE et les pays afri-
cains et malgaches associés (EAMA) en constituèrent un exemple
éclatant.
301 Équilibre des concessions 0 Or, l'économie générale du GATT en
matière de négociations commerciales multilatérales dans sa version
1947 comme de celle de 1994 va incontestablement dans le sens d'un équi-
libre des concessions que les parties contractantes vont s'accorder mutuelle-
ment. Il en va de même en cas de retraits de concessions par une partie
contractante qui pourra, au nom d'une réciprocité égalitaire négative,
entraîner d'autres retraits « de concessions substantiellement équiva-
lentes » (art. XXVIII (3) b)). L'Accord général sur le commerce des services
- GATS - de 1994 suit la même approche et donne comme objectifs aux
négociations « d'assurer un équilibre global des droits et des obligations »
(art. XIX (1)).
302 Absence de critères o Si donc l'Accord général officialise une conception
égalitaire de la réciprocité en l'associant à la notion d'avantages mutuels (v.
le préambule), ici encore, il s'abstient de préciser en quoi cet équilibre des
concessions doit consister ; il n'en fournit ni définition ni critères. Sans
doute les raisons essentielles de ces lacunes sont-elles à trouver dans l'in-
suffisance des instruments de mesure existant et dans l'imprécision rela-
tive des statistiques douanières et sans doute comme précédemment dans
le désir des États de conserver une compétence discrétionnaire d'apprécia-
tion. Il n'y a qu'un seul domaine où le GATT se montre directif en affir-
mant l'équivalence entre une réduction de droits de douanes élevés et la
consolidation de droits peu élevés, voire un régime d'admission en fran-
chise (art. XXVIII bis al. 2 a in fine). Sur tous ces points, il y a une continuité
parfaite avec l'OMC.
LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES MULTILATÉRALES 27

En pratique, cette imprécision du GATT/OMC se révèle plutôt positive.


C'est en effet à chaque membre participant aux négociations commer-
ciales d'apprécier la « mutualité » des avantages offerts et obtenus — ce qui
est un facteur de souplesse évident. Ainsi, une concession faite dans le
domaine non-tarifaire, toujours difficilement quantifiable, pourra être
analysée comme équivalente à une réduction de droits de douanes dont
l'impact est plus aisément appréciable.

3. Égalité de traitement entre les participants


303 Généralisation des concessions négociées 0 L'égalité de traitement
entre les parties contractantes constitue l'une des règles de base du droit
commercial international matériel posé l'Accord général. En cela, le GATT
apparaît comme une réaction salutaire à l'encontre des nombreuses tech-
niques commerciales discriminatoires en vigueur et en vogue durant la
période de 1 entre-deux-guerres.
Est-il besoin de préciser que tout le « Système OMC » est fondé sur
cette égalité de traitement entre les pays membres ? Elle se vérifie ici
concrètement en matière de généralisation des concessions négociées au
sein du GATT et sous ses auspices hier et de l'OMC aujourd'hui. En effet,
les concessions commerciales offertes par les participants lors des négo-
ciations et ensuite insérées dans leurs listes (schedules) sont automatique-
ment étendues à tous les autres participants en application du jeu de la
clause de la nation la plus favorisée de type inconditionnel (art. II, al. 1 a) et
art. H (1) du GATS). C'est dire que si la réciprocité joue au niveau et à
l'occasion des négociations commerciales proprement dites, elle ne s'ap-
pliquera pas aux résultats, c'est-à-dire aux concessions offertes par les par-
ties contractantes et insérées dans leurs listes, qui, elles-mêmes font par-
tie intégrante de l'Accord général et possèdent la même force juridique
obligatoire (art. II). Cette généralisation automatique et inconditionnelle
des concessions commerciales négociées (ou renégociées) assure l'ab-
sence de la moindre discrimination entre les parties contractantes.
L'avantage est considérable.
304 Conséquence : le phénomène du « free ride » 0 Mais cet aspect a
priori très positif n'est pas sans inconvénient. En effet, il rend possible ce
phénomène souvent rencontré et que les Américains appellent la « course
gratuite » (free ride) ou le « repas gratuit » (free lunch). L'argumentation
est ici la suivante. Un État membre de l'OMC bénéficiant automatique-
ment de toutes les concessions commerciales négociées en son sein ou
sous ses auspices, pourra être tenté de ne présenter de son côté que des
offres limitées. Ce manque de générosité ou d'ouverture pourra certes
entraîner un risque de blocage des négociations commerciales, les membres
retirant eux-mêmes leurs offres au nom d'une absence de « réciprocité ou
d'avantages mutuels » ; l'autre risque est de voir les offres s'aligner sur la
128 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

plus basse d'entre elles, la libéralisation commerciale se trouvant réduite


au plus petit commun dénominateur. Enfin, il y a la possibilité (d'autant
plus grande que le pays en cause ne sera pas un acteur majeur du com-
merce international) que les négociations continuent et aboutissent à un
niveau élevé de libéralisation dont bénéficiera automatiquement cet État
peu enclin à ouvrir ses frontières : un tel État recevra beaucoup tout en
ayant peu offert, ce qui est à l'évidence injuste.
305 Le remède : la CNPF conditionnelle 0 Le remède à cette situation est
simple : ce serait de passer à un régime de clause de la nation la plus favorisée
de type conditionnel, c'est-à-dire de nature réciproque. Le phénomène du
« free rider» serait alors éliminé : un membre de l'OMC ne pourrait béné-
ficier des concessions commerciales offertes par les autres que si, lui-
même, aurait fait des concessions équivalentes.
S'engager dans une telle direction est tentant et périodiquement envi-
sagé. Toutefois, les risques de discriminations commerciales entre les nations
fondées sur leur inégalité de puissance de négociation réapparaîtraient
alors pleinement. Jusqu'à présent, l'égalité de traitement l'a emporté sur la
justice ou l'équité commerciale. Malgré les abus auxquels il a pu donner
lieu à l'époque du GATT, ce principe central des relations commerciales
multilatérales de l'après-guerre ne fut pas remis en cause lors du passage
au « Système OMC ».

4. La protection juridique des concessions


commerciales négociées : les listes de concessions
306 Les listes o À la fin de chaque négociation, les participants déposent des
listes récapitulant les offres faites en matière commerciale ; initialement il
ne s'agissait que de droits de douanes abaissés ou consolidés, les obstacles
non tarifaires étant traités par accords séparés. Avec l'inclusion des ser-
vices dans le « Système OMC », les offres (et donc les listes de concession)
concernent les démantèlements des barrières existant dans ce secteur et
qui sont toutes de nature non-douanière.
Il est important de noter que les listes de concession ne sont que formel-
lement des actes unilatéraux des parties contractantes. Elles sont en effet
jointes à l'Accord général dont elles font partie intégrante (art. II, al. 1 et 2).
Cette intégration leur donne ainsi la même portée juridique convention-
nelle obligatoire.
De surcroît, ainsi que l'organe d'appel l'a souvent noté, ces listes ne
constituent pas seulement des engagements des membres de l'OMC pris
ut singuli, mais elles représentent aussi un « accord commun entre tous les
membres » car, on le rappelle, elles sont le produit des négociations com-
merciales qui se sont déroulées sur une base multilatérale faite de récipro-
cité (v. par exem;le le Rapport de l'organe d'appel du 7 avril 2005 VVT/
DS285/AB/R — Etats-Unis — Mesures visant la fourniture transfrontières de
services de jeux et paris, § 159).
LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES MULTILATÉRALES 29

En conséquence, si un État membre ne respecte pas les engagements


spécifiques contenus dans sa liste de concessions, il pourra être attrait
pour violation de ses obligations devant l'organe de règlement des diffé-
rends (ORD) (pour un exemple concernant les communautés européennes,
voir l'affaire des Subventions à l'exportation de sucre, Rapport de l'organe
appel du 28 avr. 2005 — VVT/DS265/B/R).
307 Régime juridique 0 L'article II de l'Accord général porte régime juridique
des listes de concession en ce qu'il s'attache à préciser les obligations des
participants en la matière. L'idée générale est que les concessions doivent
être respectées et protégées de façon à offrir une sécurité juridique cer-
taine aux opérateurs du commerce international. L'Organe d'appel devait
à juste titre insister sur l'importance de la sécurité et de la prévisibilité des
concessions tarifaires résultant de leur insertion dans les listes nationales
(Rapport du 5 juin 1998 dans l'affaire « Communauté européenne/Classe-
ment tarifaire de certains produits informatiques » (§ 182). Concrètement,
les exportateurs ont ainsi l'assurance que les produits qu'ils vendent sur
un marché étranger donné ne seront pas soumis en matière commerciale
à un traitement moins favorable que celui prévu par la liste du pays impor-
tateur. Mais il va de soi que, outre ces obligations spécifiques, tout le droit
matériel applicable au commerce des biens, auquel il convient d'ajouter
aujourd'hui les services, s'applique également à ces listes de concessions.
Pour s'en tenir ici aux marchandises, l'obligation centrale est de sou-
mettre les produits couverts originaires des parties contractantes aux
droits de douanes contenus dans ladite liste, ceux-ci étant considérés
comme des maxima (art. II, al. 2 b)) ou des plafonds. Toutefois, ceci n'ex-
clut pas de la part du pays importateur agissant en conformité avec ses
obligations au titre du « GATT 1994 » d'imposer des taxes intérieures
équivalentes pour peu qu'elles portent sur tous les produits similaires
nationaux (art. II, al. 2 a)), ou de recourir à des droits antidumping ou
compensateurs par exemple (art. II, al. 2 b)) — voire de recourir à la clause
de sauvegarde de l'article XIX (désorganisation du marché) ou de bénéficier
d'une dérogation en bonne et due forme (waiver) au titre de l'article XXV
( 5).
Ceci étant, les concessions tarifaires sont également protégées contre les
changements insidieux que les gouvernements pourraient être tentés
d'adopter sous la forme de nouvelles méthodes de détermination de la
valeur en douane (art. II, al. 3) ou de classification des produits (art. II,
al. 5) par exemple. De même en cas de monopole d'importation, celui-ci
ne doit pas opérer d'une manière telle qu'il offre « une protection moyenne
supérieure » à ce qui avait été négocié (art. II, al. 4).
Enfin, il est établi un rapport entre la stabilité des taux de change et des
droits de douanes, la modification de plus de 20 % des premiers par rap-
port au pair des monnaies (à l'époque leur définition en or) entraînant un
ajustement inverse des seconds (art. II, al. 6). Cette disposition eut l'occa-
sion de jouer plusieurs fois dans l'histoire du GATT alors que les fluctuations
13 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

de change étaient bien moindres qu'aujourd'hui depuis l'adoption — de


facto en 1973 puis de jure en 1978 — d'un régime de flottement généralisé des
monnaies. De nos jours, l'instabilité monétaire prononcée constitue à l'évi-
dence un obstacle significatif aux échanges commerciaux alors même que
les droits de douanes ont perdu leur mission protectrice d'antan. Dans un
tel contexte, il est pour le moins surprenant que ces clauses « monétaro-
commerciales » qui perdurent au titre du « GATT 1994 » n'aient jamais
été invoquées - ce qui laisse à penser qu'elles sont devenues caduques dans
l'esprit des participants (v. D. Carreau, Encyclopédie Dalloz, V° Taux de
change, n° 13).
308 Protection Les concessions commerciales insérées dans les listes sont
également protégées sur le plan procédural à la fois par la possibilité de
recourir au mécanisme de règlement des différends dont les rudiments se
trouvaient à l'article XXIII du GATT et qui a été considérablement renforcé
au sein de l'OMC et par la réouverture de négociations commerciales.
309 Renégociations 0 Dans la mesure où les concessions commerciales ont
été négociées sur la base de la réciprocité et des avantages mutuels, il va de
soi que toute modification de celles-ci est de nature à en modifier l'équi-
libre. Dès lors, les renégociations commerciales auront tout naturellement
pour but de retrouver une équivalence des concessions et ceci à un niveau
non moins favorable que celui prévalant antérieurement aux modifica-
tions afin de maintenir la libéralisation des échanges. Ces principes géné-
raux sont clairement posés à l'article XXVIII, al. 2 de l'Accord général. Ils
s'appliquent à la fois aux renégociations triennales (art. XXVIII, al. 1) — et
il y en eut 78 dans l'histoire du GATT — aux renégociations « dans des
circonstances spéciales » (art. XXVIII, al. 4) — et il y en eut 66 dans toute
l'histoire du GATT — ainsi qu'aux renégociations dites « réservées » (ou de
réserve) de l'article XXVIII, al. 5 — et il y en eut 133 dans toute l'histoire
du GATT. On en trouvera des tableaux récapitulatifs commodes dans le
« Guide des règles et pratiques du GATT » publié par l'OMC en 1995 (v. les
pages 1044 à 1065).
Afin d'éviter toute ambiguïté, il convient ici de signaler que si les listes
de concession déposées par les pays membres possèdent à leur égard la
même valeur juridique obligatoire que les Accords de l'OMC, leur modi-
fication demeure expressément prévue par le « GATT 1994 » de sorte
qu'elle ne saurait être assimilée à un amendement en bonne et due forme
qui relève d'une procédure entièrement différente instituée à l'article X
de l'accord OMC (v. ss 203 ainsi que le Rapport précité de l'Organe d'ap-
pel du 26 novembre 2008 dans l'affaire précitée Communautés euro-
péennes — régime applicable à l'importation, à la vente et à la distribution des
bananes § 385).
310 Cas des intégrations économiques régionales 0 Enfin, il faut rappeler
que la constitution d'intégrations économiques régionales (unions douanières
LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES MULTILATÉRALES 31

essentiellement et zones en libre-échange à un moindre degré) est de


nature à entraîner des renégociations compensatoires en cas de modification
des listes de concession des participants (en particulier des rehaussements
des droits de douanes ; voir l'art. XXIV, al. 6 du GATT). Principes généraux
et procédures seront ceux applicables au titre de l'article XXVIII et men-
tionnés précédemment.
Il est à noter qu'un cycle de négociations commerciales multilatérales,
le Cycle Dillon de 1960-61, fut presque exclusivement consacré à ce type de
compensation à la suite de la constitution et de la mise en oeuvre de la
Communauté Économique Européenne. En règle générale, des renégociations
de ce type ont eu lieu à chaque fois que des parties contractantes du GATT
ont constitué des intégrations économiques régionales ou des accords
commerciaux préférentiels (v. le « Guide des Règles et Pratiques du GATT »,
op. cit. pp. 878-882).
En pratique, le fondement sur lequel s'appuie ce type de renégociations
commerciales est indifférent dans la mesure où ce sont les principes direc-
teurs de l'article XXVIII précité qui sont d'application générale.
311 Application aux services Mutatis mutandis, le régime juridique appli-
cable en matière de services est largement semblable. Les engagements spé-
cifiques négociés par les membres de l'OMC sont inclus dans des listes
récapitulatives (art. XX (1)) qui, annexées à l'Accord, en possèdent la même
valeur juridique obligatoire (art. XX (3)).
Les modifications de ces listes, toujours possibles à la suite de négocia-
tions appropriées, devront se dérouler dans le but de « maintenir un niveau
général mutuellement avantageux non moins favorable pour le com-
merce » que celui existant au préalable (art. XXI 2 a). En cas de désaccord,
outre le recours à la procédure de règlement des différends de droit com-
mun au sein de l'OMC via l'ORD (art. XXIII), il existe également une pos-
sibilité de soumettre la question à une procédure d'arbitrage (art. XXI (3)).

5. La protection temporelle des concessions :


leur consolidation triennale
312 Aujourd'hui, au vu de la pratique suivie et de l'interprétation donnée de
l'article XXVIII, al. 1 de l'Accord général, les listes de concession possèdent
une valeur juridique obligatoire qui n'est plus limitée dans le temps. Toutefois,
une option de renégociation est ouverte à compter « du premier jour de
chaque période triennale ».
En matière de services, la règle de la consolidation triennale a été for-
mellement consacrée (art. XXI 1 a) du GATS) ; les engagements spéci-
fiques des membres ne prennent pas fin après cette période, mais ils
peuvent alors être modifiés ou retirés (v. ss 980).
Autrement dit, les listes de concession sont consolidées durant des
périodes de trois ans et ne sauraient en conséquence être modifiées. Cette
132 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

règle de la consolidation triennale des concessions est importante sur le


plan pratique : elle donne en effet l'assurance aux agents économiques que
les mesures de libération des échanges auxquelles les parties contractantes
du GATT hier et les membres de l'OMC maintenant se sont engagés à
l'occasion de leurs négociations ne seront pas remises en cause avant un
certain délai. La consolidation triennale des concessions apparaît comme
un facteur de sécurité juridique qui, comme tel, est de nature à favoriser le
développement des échanges.
313 Toutefois, il convient d'insister sur le fait que la fin de chaque période
triennale n'aboutit pas au retour à la « loi de la jungle ». En effet, si tout
participant peut « modifier ou retirer » une concession, il ne pourra le
faire qu'après négociations et surtout accord avec les autres participants qui
ont été soit négociateur primitif soit principal fournisseur tandis que ceux
qui ont un intérêt substantiel doivent être consultés.
Enfin, on rappellera que ces grands principes présidant à toutes les
négociations commerciales multilatérales que sont la réciprocité et les
avantages mutuels doivent ici s'appliquer. Au demeurant, il est précisé que
ces renégociations devront aboutir à des concessions équivalentes en ce sens
que leur niveau, c'est-à-dire leur degré de libéralisation, devra être « non
moins favorable » que celui atteint initialement (v. l'al. 2 de l'art. XXVIII).
Tout ceci constitue encore autant d'assurances globales données aux
agents économiques que l'environnement juridique du commerce interna-
tional restera orienté dans le sens de la libéralisation et ne retournera pas
au protectionnisme.
314 D'ailleurs, tel a été le sens de l'histoire du commerce international au
cours de ces cinquante dernières années. Grâce aux efforts de libéralisa-
ion et aux cycles de négociations parrainés par le GATT, les échanges
inte nationaux ont connu une véritable explosion contribuant à la fois à
la richesse des nations et à l'instauration d'une mondialisation de l'écono-
mie. Autrement dit, si les tentations — et les réalisations — protection-
nistes n'ont pas manqué, la tendance libérale l'a nettement emporté pour
le plus grand profit de tous et l'amélioration du bien-être général.

LES NÉGOCIATIONS
SECTION 2.
COMMERCIALES MULTILATÉRALES
PARRAINÉES PAR LE GATT DE 1947 À 1993
315 Deux phénomènes généraux frappants se doivent d'être initialement
signalés. Ratione personae, le nombre d'États participant aux NCM — et
celui-ci fut constamment plus élevé que celui des parties contractantes du
GATT — alla en augmentant. Si les premiers cycles de négociations se
LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES MULTILATÉRALES 133

limitèrent aux 23 parties contractantes initiales de l'Accord général (Aus-


lie, Belgique, Brésil, Birmanie, Canada, Ceylan, Chili, Chine, Cuba,
États-Unis, France, Inde, Liban, Luxembourg, Norvège, Nouvelle-Zélande,
Pakistan, Pays-Bas, Rhodésie du Sud, Royaume-Uni, Syrie, Tchécoslo-
vaquie et Union Sud-Africaine), 50 États participèrent au « Kennedy
Round » (1962-1967), 99 au « Tokyo Round » (1973-1979) — sans parler
des 125 du « Cycle de l'Uruguay ». Quels que soient les chiffres, les pays
participant aux NCM ont toujours représenté 80 % (ou plus) du com-
merce mondial, ce qui constitue la meilleure garantie d'une libéralisation
effective des échanges.
Ratione materiae, le domaine des NCM n'a cessé de s'élargir. Confinées
au début au seul secteur des droits de douane, les NCM se sont progressi-
vement étendues aux obstacles les plus insidieux — et plus efficaces — aux
échanges, les barrières non tarifaires.

§ Les négociations tarifaires initiales


(1947-1956)
316 Durant cette période, quatre séries de négociations se déroulèrent à
Genève (1947), Annecy (1949), Torquay (1950-51) et Genève de nouveau
(1955-1956). Les premières négociations qui se tinrent à Genève en
1947 eurent comme particularité de se dérouler avant l'entrée en vigueur
de l'Accord général lui-même. Outre la réduction des tarifs douaniers,
elles eurent pour principal effet de mettre sur pied des procédures qui
allaient être reprises et servir de modèles aux futures négociations tari-
faires (pour plus de détails sur ces aspects maintenant largement histo-
riques, voir J. H. Jackson, World Trade and the Law of GATT, op. cit., pp. 219-
221). Les deuxième et troisième négociations d'Annecy et Torquay — tout
en contribuant également à l'abaissement des droits de douanes — concer-
nèrent principalement les conditions d'accession de nouvelles parties
contractantes à l'Accord général. Les dernières négociations de cette
période qui se déroulèrent à Genève en 1955-56 furent principalement
tarifaires.
317 Globalement, les négociations portèrent sur près de 50 000 produits cou-
vrant environ la moitié du commerce mondial. Plus précisément, les tarifs
douaniers portant sur quelques 55 000 concessions tarifaires furent abais-
sés de 25 %. En général, réductions et consolidations des droits de douanes
portèrent avant tout sur les produits primaires et intermédiaires plutôt
que sur les produits finis.

§ 2. Le Cycle Dillon (1960-1961)


318 Celui-ci mérite d'être singularisé en raison du contexte de l'époque mar-
qué par la rédaction du « Rapport Haberler » en 1958. Cet économiste
134 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

éminent invitait à poursuivre les négociations tarifaires, à lutter contre les


tendances au protectionnisme, à prendre en considération les besoins spé-
cifiques du commerce des pays en voie de développement et à traiter les
problèmes nés de la création d'une intégration économique régionale
comme la Communauté Économique Européenne.
Si ce Cycle Dillon aboutit à de nouvelles réductions de tarifs douaniers
(6,5 % de baisse en moyenne), il se concentra principalement sur les pro-
blèmes posés par la constitution de la CEE au titre des renégociations de
l'article XXIV (6) de l'Accord général. À l'époque, nombre de pays — à
commencer par les États-Unis — contestèrent certains traits fondamen-
taux de la toute jeune CEE comme la méthode d'établissement du tarif
douanier commun, les principes fondamentaux de la politique agricole
commune (PAC) ou l'association préférentielle avec les pays et territoires
d'outre-mer.
Or encore aujourd'hui, nombre de ces pommes de discorde n'ont tou-
jours pas disparu, faute pour les parties contractantes du GATT d'avoir été
en mesure de prendre une position claire sur la compatibilité du traité
de Rome de 1957 créant la CEE avec les dispositions pertinentes de l'Ac-
cord général.

§ 3. Le Cycle Kennedy (1964-1967)


319 Celui-ci peut être décrit comme le premier de l'ère moderne du GATT.
Même si tous ses objectifs ne furent pas réalisés, il apparaît comme beau-
coup plus ambitieux que ses prédécesseurs.
En premier lieu, les pouvoirs de négociation que le Congrès américain
accepta de déléguer au Président dans le cadre du Trade Expansion Act de
1962 se trouvèrent considérablement élargis par rapport à la situation pas-
sée. En particulier, le Président se voyait autorisé à pratiquer une méthode
de réduction linéaire de tous les droits de douanes et ainsi à abandonner la
technique bilatérale du passé qui était devenue trop lourde à manier sur-
tout depuis l'apparition d'un bloc commercial aussi important que la
CEE. En outre, globalement, le Président des États-Unis était en mesure de
négocier des abaissements de tarifs douaniers pouvant aller jusqu'à 50 % de
ceux-ci, ce qui permettait d'établir des tarifs nuls sur certains produits et
de réduire significativement les pics tarifaires.
Lors de la réunion ministérielle de mai 1963, posant les principes du
futur sixième « round » de négociation, les objectifs furent étendus pour la
première fois aux barrières non-tarifaires tandis que le principe de non-récipro-
cité des concessions était reconnu (également pour la première fois) au
bénéfice des pays en voie de développement.
320 Grand succès en matière tarifaire Le succès fut certain en matière
tarifaire, même si la CEE n'accepta pas la proposition américaine d'établir
un tarif nul sur les produits dont ils étaient l'un et l'autre les principaux
LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES MULTILATÉRALES 35

fournisseurs. Globalement, même si l'objectif de 50 % ne fut pas atteint,


les droits de douanes sur les produits industriels connurent une diminution
moyenne de 35 % étalée sur cinq ans. Les produits couverts constituaient
alors les trois quarts du commerce mondial, le quart restant (et exclu)
concernant les produits agricoles et certains produits industriels sensibles
tels les textiles, les chaussures et l'acier par exemple.
Certes, pour le groupe des pays en voie de développement le bilan tarifaire
apparaît-il mitigé. Sans doute ont-ils bénéficié de réductions moyennes de
droits de douanes comparables pour leurs exportations de produits indus-
triels. Toutefois, ces avantages furent limités dans la mesure où l'essentiel
de leur commerce portait sur des produits exclus du domaine des négocia-
tions (matières premières, produits agricoles et tropicaux, produits trans-
formés « sensibles »). Il y a ici un aspect très marqué des effets pervers du
principe de non-réciprocité dans la conduite des NCM : faute en effet d'avoir
à offrir des concessions, les pays en développement n'ont pas été en mesure
d'influer sur le cours des négociations commerciales en obtenant notam-
ment l'inclusion de leurs principaux domaines d'exportation. Ce principe
négatif les condamne ainsi à être des acteurs passifs, voire de simples spec-
tateurs, dans les cycles de négociations commerciales multilatérales.
321 Peu de succès en matière non-tarifaire 0 Le bilan apparaît beaucoup
plus limité en matière de barrières non-tarifaires. Tout d'abord, ce problème
fut assez peu abordé au cours des négociations qui furent absorbées par la
« question tarifaire ». Ensuite et surtout sur le plan juridique, le Président
des États-Unis ne bénéficiait d'aucune autorité déléguée du Congrès en la
matière, d'où la nécessité d'un accord formel de ce dernier cas de déman
tèlement d'un obstacle non tarifaire établi par une loi fédérale ce qui était
le cas le plus fréquent. Or chacun connaissait bien la puissance des « lob-
bys » (groupes de pression) protectionnistes au Congrès.
Sur le plan positif on peut noter l'adoption du Code anti-dumping concer-
nant cette barrière non-tarifaire bien connue. Le Code de 1967 ne modifie
en rien les règles sur le dumping contenues à l'article VI du GATT ; il ne fait
qu'en préciser les contours en matière d'adoption des mesures de défense
commerciales qui viendraient à s'imposer sous la forme de droits anti-
dumping. C'est bien parce que le Code n'avait qu'une simple portée inter
prétative et non novatrice que l'Exécutif américain s'estima fondé à le
signer sans soumission à l'approbation du Congrès — ce qui souleva des
controverses aux États-Unis (v. J. Jackson, World Trade and the Law of
GATT, op. cit., p. 424 n. 71).
322 L'échec de I'American Selling Price Sur le plan négatif, l'épisode de
l'American Selling Price (ASP) mérite d'être cité et rappelé. L'ASP consistait
en une méthode d'évaluation en douanes des produits importés aux États-
Unis, notamment dans le secteur chimique, selon laquelle l'assiette du
tarif portait non pas sur le prix de vente déclaré par l'exportateur (ce qui
eut été la méthode normale) mais sur le prix de vente aux États-Unis d'un
136 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

produit local identique ou comparable (ce qui assurait une protection évi-
dente du marché américain concerné, le prix des produits importés se
trouvant être ainsi automatiquement toujours supérieur à celui des pro-
duits locaux). La méthode était ouvertement protectionniste. Les négocia-
teurs américains acceptèrent lors du « Kennedy Round » de négocier le
démantèlement de l'ASP moyennant des concessions équivalentes de leurs
partenaires commerciaux et notamment européens. Le Congrès refusa
d'obtempérer et ce volet du « Cycle Kennedy » ne connut aucune
matérialisation.
La leçon de cette affaire ne devait pas être perdue de vue pour les futurs
cycles de négociation : sans accord préalable du Congrès pour déléguer au
président le pouvoir de négocier l'élimination des barrières non-tarifaires,
il était vain de vouloir les éliminer alors même qu'elles constituent les
obstacles les plus sérieux aux échanges et les plus insidieux car invisibles.

§ 4. Le Cycle de Tokyo (1973-1979)


323 Négociations ambitieuses Avant l'Uruguay Round, le Cycle de Tokyo
constitua l'ensemble de négociations commerciales multilatérales les plus
longues et les plus étendues de l'histoire du GATT. Les résultats atteints au
terme de ces NCM ne manquent pas de frapper d'autant que l'environne-
ment économique d'ensemble qui présida à toute la durée des négociations
ne fut rien moins qu'exécrable : crise pétrolière de 1973-1974 qui vit l'ex
plosion des prix de l'or noir qui se trouvèrent multipliés par quatre, crise
économique mondiale (la pire depuis celle des années 1930) caractérisée
par l'inflation, la récession et le chômage, crise monétaire permanente
avec la généralisation des taux de change flottants.
Un bilan très globalement positif du «Tokyo Round» peut être fait
tant en ce qui concerne l'abaissement des droits de douane, que le
démantèlement des barrières non-tarifaires, l'établissement d'un nou-
veau cadre juridique régissant le commerce mondial et la conclusion
d'accords sectoriels.
324 Large succès douanier Alors que l'ambition initiale était d'abaisser les
droits de douane de 40 % et toujours bien sûr selon une méthode linéaire, la
réduction tarifaire moyenne finalement négociée ne fut que de 33 %.
Comme précédemment, elle porta essentiellement sur les produits indus-
triels, ce qui explique — comme précédemment encore et pour les mêmes
raisons — que les pays en voie de développement ont bénéficié dans une
moindre mesure de ce nouveau désarmement douanier. En particulier, le
phénomène des « pics douaniers » qui avait été l'une des pierres d'achoppe-
ment du Kennedy Round devait être ici abordé avec un certain succès, les
pays à forte disparité de tarifs douaniers comme les États-Unis et le Japon
acceptant de réduire leurs droits élevés dans une proportion plus impor-
tante pour aboutir à un niveau de protection moyen plus homogène.
LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES MULTILATÉRALES 37

À la fin de la période d'achèvement de ces réductions tarifaires, soit le


ter
janvier 1985 (elle fut en effet ramenée à cinq ans alors qu'elle devait
initialement durer huit ans), il était loisible d'affirmer que les droits de
douane ne constitueraient plus un obstacle significatif au commerce
international : avec un niveau moyen ad valorem de 6,5 % (sur les produits
industriels), les droits de douane ont pratiquement perdu toute significa-
ion économique.
325 L'inclusion des obstacles non-tarifaires 0 Avec la disparition pro-
gressive du rôle des droits de douane comme élément de protection du
marché national, les obstacles non-tarifaires n'ont pas manqué de s'y subs-
tituer. Mais, si la méthode est ancienne, les barrières non-tarifaires n'ont
fait que proliférer et seule l'imagination en constitue la limite. Dès la fin
des années 1980, le GATT devait en recenser plus de 800... et nul doute
que leur nombre a aujourd'hui encore augmenté.
Sans pouvoir couvrir la totalité de la matière, ce qui aurait été profon-
dément irréaliste, les négociateurs du Cycle de Tokyo parvinrent à conclure
des accords spécifiques portant sur certaines des barrières non-tarifaires
les plus voyantes et les plus néfastes pour le commerce international. Les
accords revêtirent la forme de Codes qui portèrent sur les « subventions et
les droits compensateurs », « la valeur en douane », « les marchés publics »,
« les obstacles techniques au commerce » et « les procédures en matière de
licences d'importation ».
326 Conclusion d'accords latéraux : les Codes 0 Ces codes avaient
comme particularité de se situer en dehors du « système GATT » alors
même qu'ils en précisent et approfondissement les règles. Ils se présentent
en effet comme des traités multilatéraux séparés soumis à approbation ou
ratification des parties contractantes « intéressées ». Autrement dit, y par-
iciper demeure purement optionnel. De la sorte, les obligations qu'ils
posent devront être respectées par les seuls États participants tandis que
toutes les autres parties contractantes du GATT en bénéficieront automa-
tiquement et sans avoir à faire de concession réciproque équivalente. Le
phénomène du «free ride» mentionné précédemment aura ici l'occasion
de jouer à plein.
De plus, les Codes sont administrés de façon différente de l'Accord géné-
ral, qu'il s'agisse de leur gestion ou du mode de règlement des différends.
En bref, chacun de ces Codes constitue un « mini-GATT » ou un « GATT
bis, ter », etc. L'Accord général n'avait plus ainsi de « général » que le nom.
Souvent dénoncé comme un « puzzle », le GATT tendait de plus en plus à
devenir un «casse-tête juridique» faute d'unité formelle et matérielle.
L'existence de ces Codes constitue l'une des manifestations les plus claires
de cette constellation complexe que devenait de plus en plus le GATT. Si le
régime juridique du commerce international multilatéral s'ordonnait bien
autour de l'Accord général, il était loin de se réduire à ce dernier dans sa
version de 1947, même amendée. À la fin du Tokyo Round, le GATT était
138 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

devenu un ensemble de quelques 200 traités tant bilatéraux (les protocoles


d'accession) que multilatéraux (amendements, codes, accords sectoriels)
qui, de plus, ne s'appliquaient pas de manière uniforme entre les parties
contractantes. L'Acte final de Marrakech du 15 avril 1994 officialisant la
terminaison du Cycle de l'Uruguay devait y mettre bon ordre.
327 Octroi d'un statut au profit des PVD 0 L'établissement d'un nouveau
cadre juridique régissant le commerce mondial est notable. Le point central
consista à doter les pays en voie de développement d'un véritable statut et de
ne plus les traiter par le biais de principes négatifs (la non réciprocité) ou
l'octroi de dérogations (par l'établissement du système généralisé de préfé-
rences). Désormais, les parties contractantes développées sont habilitées à
accorder des avantages préférentiels (tarifaires ou non) au bénéfice des
pays en développement en général et des pays les moins avancés (PMA) en
particulier. Mais cette clause d'habilitation est également de nature évolu-
tive en ce sens que les pays en voie d'industrialisation (Nouveaux pays
industrialisés ou NPI) ont également l'obligation d'accorder des préfé-
rences commerciales aux pays de moindre développement au fur et à
mesure de l'amélioration de leur situation économique d'ensemble. De
plus, les mesures de sauvegarde à des fins de développement furent assou-
plies de même que les conditions de participation à des intégrations régio-
nales « impures » revêtant la simple forme d'accords de commerce préfé-
rentiels. Enfin, les « déclarations » finales précisaient les conditions de
recours à des mesures de sauvegarde motivées par des difficultés de balance
des paiements ainsi que les modalités des mécanismes de consultation,
surveillance et règlement des différends éparpillés tout au long du texte de
l'Accord général.
328 Accords sectoriels Enfin, pour terminer ce tour d' horizon, il convient
de signaler la conclusion d'accords sectoriels visant le secteur laitier, la viande
bovine, le commerce des aéronefs civils, ainsi que la modification du code anti-
dumping de 1967. Ici encore il convient de signaler que tous ces accords
spécifiques se trouvent en dehors du « système GATT » tout en restant
dans sa constellation. Ils illustrent également le phénomène de démulti-
plication qui n'a cessé d'affecter l'Accord général dès ses débuts et qui
devait rendre nécessaire une réforme institutionnelle et constitutionnelle
d'ensemble qui fut achevée par le «Cycle de l'Uruguay» de 1986-1993 et
qui n'avait que trop tardé.

§ 5. Le Cycle de l'Uruguay (1986-1993)


329 Les dernières négociations du GATT 0 Le Cycle de l'Uruguay consti-
tuera les huitième et dernières négociations commerciales multilatérales
organisées sous les auspices du GATT. Ce furent les plus longues et les plus
ambitieuses de toute l'histoire de l'Accord général. Ce furent aussi celles
LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES MULTILATÉRALES 139

dont le succès fut le plus marquant si l'on en juge par l'importance des
textes signés à Marrakech le 15 avril 1994 par les participants (près de
600 pages imprimées alors que les résultats du Cycle précédent de Tokyo
n'avaient nécessité que 120 pages...). Paradoxalement, cette réussite du
GATT constitua également son « chant du cygne » : en tant qu'institution
il devait en effet disparaître à compter du 1" janvier 1995 avec l'entrée en
vigueur de l'Organisation Mondiale du Commerce. Les négociations, sou-
vent difficiles, s'établirent sur plus de sept années (1) pour finalement
connaître le succès avec des résultats impressionnants (2).

1. Des négociations difficiles


330 La première difficulté devait tenir au contexte économique et politique
général de l'époque qui était loin d'être favorable à une nouvelle libéralisa-
tion des échanges. La seconde était due aux ambitions très élevées affi-
chées par les promoteurs des futurs négociations lors de la réunion minis-
térielle de Punta del Este en Uruguay en septembre 1986 (d'où le nom de
« Cycle de l'Uruguay» pour caractériser ces NCM). Après bien des vicissi-
tudes, les négociations finirent par connaître le succès : un projet d'acte
final fut en effet paraphé à Genève le 15 décembre 1993 pour être formel-
lement signé à Marrakech le 15 avril 1994.
• Un contexte général défavorable
331 Alors même que le « Cycle de Tokyo » (Tokyo Round) venait à peine de
s'achever, l'environnement économique mondial continua à se dégrader
fortement : une deuxième crise pétrolière en 1979/1980 faisait monter —
sans doute provisoirement — le prix du baril de pétrole à 40 dollars tandis
qu'inflation, récession et chômage ne cessèrent de croître pour atteindre
des niveaux préoccupants. Les conséquences « systémiques» ne tardèrent
pas à apparaître : la montée du protectionnisme semblait inexorable tandis
que le cadre libre-échangiste posé par le GATT allait en s'érodant.
332 Montée du protectionnisme 0 La résurgence du protectionnisme revê-
tit des formes multiples et variées. Sur le plan unilatéral tout d'abord, les
États multiplièrent l'octroi de subventions au profit de secteurs menacés
par la concurrence internationale en dépit de leur coût considérable pour
le consommateur. Ensuite, ils ne cessèrent de faire preuve d'ingéniosité et
d'imagination en multipliant les barrières non-tarifaires pour s'opposer à
des importations étrangères au nom la défense des producteurs nationaux
et de l'emploi. C'est ainsi par exemple que ce qui fut qualifié de nouvelle
« bataille de Poitiers » mérite de passer à la postérité : en octobre 1982, le
gouvernement français, désireux de freiner l'entrée de magnétoscopes
japonais, décida que ceux-ci devraient tous être dédouanés à... Poitiers où
les services locaux étaient manifestement incapables de faire face
à ce surcroît d'activité ; grâce à cette technique insidieuse, le nombre de
140 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

magnétoscopes d'origine japonaise entrant en France chaque mois tomba


immédiatement de 64 000 à moins de... 10 000 (sur cet épisode, voir
Banque Mondiale, Rapport sur le développement dans le monde, 1987,
p. 163). Pire encore, les États-Unis d'Amérique adoptèrent des techniques
extravagantes — ainsi la « section 301 » introduite dans le Trade Act de
1974, renforcée en 1979 et 1984 et culminant dans la « super Section 301 »
du Trade and Competitiveness Act de 1988 — qui s'analysent comme des
mesures d'agression commerciale et non comme de simples mesures légi-
times de défense des intérêts nationaux (pour une brève analyse voir le
Rapport d'Information n° 1066 de 1994 du député Patrick Hoguet à l'As-
semblée Nationale).
Saisi de la compatibilité de ce dispositif américain avec les nouvelles
obligations nées de l'OMC et en particulier du mécanisme de règlement
des différends commerciaux, un Groupe Spécial n'y vit diplomatiquement
rien à redire compte tenu des pouvoirs discrétionnaires reconnus à l'admi-
nistration américaine et de ses engagements répétés de ne pas recourir à
des sanctions unilatérales en dehors et à rencontre du cadre multilatéral
institué par les accords de Marrakech de 1994 (v. OMC, Groupe de Travail,
US Sections 301-310 du Trade Act de 1974, Rapport du 22 déc. 1999)
333 Développement des accords d'autolimitation Sur le plan bilatéral,
nombre d'accords d'autolimitation furent négociés d'État à État pour orga-
niser les échanges dans des secteurs sensibles. C'est ainsi que plusieurs
centaines d'accords bilatéraux concernèrent en particulier les textiles et
vêtements, les produits agricoles, l'acier, l'électronique, l'automobile ou les
machines outils. La plupart de ces accords, prétendument qualifiés de
volontaires, avaient pour but de restreindre les exportations en provenance
de pays comme la Corée, le Japon ou Taïwan sur les marchés des États-
Unis ou de la Communauté Européenne. À cet égard, l'accord bilatéral
États-Unis/Japon de 1986 sur les semi-conducteurs (ou puces électro-
niques) reste un modèle du genre (v. Th. Flory, Chronique de droit inter-
national économique, AFDI 1987. 560 s.). Il était alors estimé qu'environ
20 % du commerce mondial des marchandises était encadré par de tels
accords bilatéraux.
334 Prolifération d'accords préférentiels 0 Enfin, sur le plan régional, la
prolifération d'accords d'intégration économique ne manqua pas de miner
l'idée d'un système commercial de nature non-discriminatoire en créant
des blocs préférentiels. Ainsi, sans parler des nombreuses réalisations anté-
rieures, des accords préférentiels majeurs de portée régionale furent
conclus pendant le déroulement du Cycle de l'Uruguay sous la forme de
zones de libre-échange (États-Unis/Canada en 1988 puis étendue au
Mexique en 1992 avec l'Accord de Libre-Échange Nord-Américain-ALENA,
Accord de Caracas de 1.993 entre les cinq républiques centre-américaines
plus la Colombie, le Honduras, le Mexique et le Venezuela) ou d'union
LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES MULTILATÉRALES 141

douanière (ainsi la création du Mercosur en 1991 établissant un marché


commun entre l'Argentine, le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay).
335 Érosion du « système GATT » 0 Tous ces développements devaient
entraîner une grave érosion du « système GATT ». Celui-ci ne parvint pas
à s'opposer avec succès ni aux mesures unilatérales des États restrictives
des échanges ni aux accords bilatéraux de commerce ordonnés ou d'auto-
limitation qui constituèrent ce qui fut communément appelé la « zone
grise » de l'Accord général. De surcroît, le mécanisme original de règlement
des différends qui avait donné satisfaction pendant un temps se trouva
bloqué par l'exercice du droit de vote dont bénéficiaient toutes les parties
contractantes du GATT et dont elles firent un usage quasi-systématique
empêchant ainsi l'adoption des rapports des groupes de travail (ou panels).
En bref, le régime de droit commun du GATT, c'est-à-dire celui régi par le
jeu de la clause de la nation la plus favorisée, ne s'appliquait plus qu'au
cinquième environ du commerce mondial sur les marchandises. Devant
cette situation, l'économiste américain Lester Thurow n'hésitait pas à
affirmer dès 1982 que le « GATT était mort »...
336 Ainsi, au milieu des années 1980, l'enjeu était clair : ou un accord se fai-
sait sur un nouveau système multilatéral des échanges étendu et renforcé
(en un mot une sorte de « GATT plus ») ou l'ordre ancien s'écroulait, avec
tous les risques de retour à une situation de guerre commerciale perma-
nente et de chaos juridique. En bref, les négociations du Cycle de l'Uru-
guay relevaient du « quitte ou double ».
Un Cycle de l'Uruguay placé sous le signe de l'ambition
337 Déclaration ministérielle de Punta del Este Comme cela est de
tradition pour toutes les NCM, le nouveau cycle de négociation s'ouvrit
avec l'adoption d'une déclaration ministérielle des parties contractantes du
GATT. Celle-ci fixa les principes directeurs et les objectifs des futures
négociations commerciales multilatérales. Tel fut l'objet de la déclaration
ministérielle de Punta del Este du 20 septembre 1986.
338 L'objectif général assigné aux futures NCM était clairement fixé : « repous-
ser le protectionnisme » par l'établissement d'un « système commercial plus
ouvert ». À cette fin, la participation la plus large possible était souhaitée
puisque dépassant le cadre des parties contractantes de l'Accord général
pour s'étendre à celles qui l'appliquaient de facto ou qui étaient en voie
d'accession. Cette ouverture permit à un nombre inusité de pays (125) de
participer aux négociations du Cycle de l'Uruguay.
339 Objectifs institutionnels 0 Sur le plan institutionnel, on notera que l'ob-
jectif était de « renforcer le rôle du GATT », c'est-à-dire d'étendre et de durcir
ses règles. Il n'était nullement envisagé de le supprimer, ce qui devait, de
facto si ce n'est de jure, découler des résultats du Cycle de l'Uruguay.
142 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

Dans la même veine, et de grande importance, était affirmé le principe


de la globalité des négociations, celles-ci étant « considérées comme un tout »,
tant en ce qui concerne leur déroulement que leur mise en oeuvre. C'en
était donc fini du « GATT à la carte » et de la réciprocité déséquilibrée favo-
risant les pays passifs bénéficiant du phénomène du « free ride » (c'est-à-
dire profitant de toutes les concessions négociées par les pays tiers tout en
faisant des offres très limitées).
De manière plus classique, le statut désormais privilégié des pays en
développement en général et des pays les moins avancés en particulier
était reconnu, ceux-ci n'ayant pas à offrir de concessions réciproques et
étant même en droit de bénéficier d'un traitement préférentiel.
340 Renforcement du GATT Ceci étant, quant au fond, la déclaration
ministérielle assignait aux négociateurs le renforcement des règles de l'Ac-
cord général sur les mesures de défense commerciale (subventions et
droits compensatoires), les clauses de sauvegarde et le règlement des diffé-
rends. Ils devaient également améliorer les résultats des cycles précédents
par l'abaissement des droits de douane, le démantèlement des mesures
non-tarifaires et la libéralisation des produits tropicaux et des matières
premières même à l'état semi-transformé.
Mieux encore, la déclaration de Punta del Este prévoyait de réintégrer
dans le GATT, et donc de soumettre pleinement à sa discipline, deux sec
teurs de grande importance économique qui en étaient sortis de droit ou
de fait, à savoir les textiles et l'agriculture.
341 Extension à de nouveaux secteurs Enfin, last but not least, les futures
NCM devaient également porter sur trois secteurs qui, eux, n'avaient jamais
fait partie des domaines de compétence du GATT. Le premier, de loin le plus
important, concerne les services (ce que l'on appelle aussi les échanges invi-
sibles) : le commerce mondial portant sur les services va en effet croissant
de façon régulière depuis de nombreuses années. Bien que les statistiques
soient peu fiables en la matière, il apparaît que le secteur des services repré-
sente aujourd'hui le tiers des échanges mondiaux. Pour des raisons histo-
riques, un seul service — les films cinématographiques — avait été intégré
dans le corps de l'Accord général. Aujourd'hui, cette lacune devenait indé-
fendable, même si ce secteur est beaucoup plus difficile à libéraliser. Car, les
droits de douane n'y ayant et ne pouvant y avoir aucune place, les mesures
de protection des marchés nationaux relèvent toutes de l'ordre non tari-
faire. Les deux autres domaines concernés sont les droits de propriété intel-
lectuelle ainsi que les investissements mais, et la réserve est fondamentale,
pour autant seulement que les mesures restrictives en cause soient liées au
commerce. Il ne s'agit en effet nullement — ce qui n'aurait pas été acceptable
— d'envisager une extension des compétences du GATT à la propriété intel-
lectuelle ou aux investissements en général : la terminologie utilisée ne
laissait ici aucun doute en mentionnant les « aspects des droits de propriété
intellectuelle qui touchent au commerce » (ADPIC selon le sigle français, ou
LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES MULTILATÉRALES 143

TRIPS selon le sigle anglais pour « Trade Related Intellectual Property Rights »)
et « les mesures concernant les investissements et liées au commerce » (MIC
selon le sigle français ou TRIMS selon le sigle anglais pour « Trade Related
Investment Measures »).
• Les phases du Cycle de l'Uruguay
342 Munis de ce viatique, les négociateurs s'attelèrent à la tâche qui, normale-
ment, devait s'étendre sur une durée de quatre années d'après le préam-
bule de la « Déclaration Ministérielle » de Punta del Este, cette période qua-
driennale correspondant à la validité dans le temys de la délégation de
pouvoir accordée par le Congrès au Président des Etats-Unis. Complexité
et nouveauté des domaines couverts par les NCM, changements politiques
dans certains pays (États-Unis, France), allaient expliquer le retard pris
par les négociateurs qui ne furent en mesure de procéder au paraphe de
l'accord sur le Cycle de l'Uruguay que le 15 décembre 1993, à Genève,
avant la procédure formelle et solennelle de signature de l'Acte final le
15 avril 1994 à Marrakech.

a. Prolégomènes
343 Une conférence devait se tenir à Montréal en décembre 1988 pour procé-
der à l'examen de l'état des négociations à mi-parcours. Lors de ce passage
en revue, un certain nombre d'accords de principe furent atteints dans le
domaine de l'agriculture, des textiles et des vêtements, des sauvegardes et
des aspects des droits de propriété intellectuelle touchant au commerce
(ADPIC ou TRIMS). Il ne s'agissait pas ici d'accords définitifs, mais simple-
ment d'accords-cadres fixant les grands principes directeurs que devaient
suivre les participants dans les négociations ultérieures. Plus précisément,
un consensus se dégagea en matière d'accès aux marchés pour aboutir à
une baisse moyenne des droits de douane de 33 %.
Plus formellement, deux autres points d'accord devaient être atteints, le
premier en ce qui concerne l'amélioration de la procédure de règlement des
différends au sein du GATT (avec, notamment, la possibilité de recourir à
l'arbitrage — ce qui était ici un retour à l'adoption d'une procédure prévue
par la Charte de La Havane de 1948 dans son article 93), le deuxième por-
tant également amélioration du fonctionnement du GATT lui-même avec
d'une part l'institution d'un mécanisme d'examen des politiques commerciales
(MEPC) et d'autre part la participation accrue des ministres aux affaires
du GATT.
344 Ces améliorations du système GATT devaient entrer peu de temps après en
vigueur à la suite de décisions appropriées du Conseil du GATT dans sa
réunion de Genève le 12 avril 1989. Elles furent pour l'essentiel reprises
dans l'Acte final de Marrakech du 15 avril 1994 et font maintenant partie
du Système OMC.
144 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

345 Mais, pour arriver au succès final, les négociateurs durent surmonter
échecs et crises. Normalement, les NCM auraient dû s'achever dans les
quatre ans suivant le lancement du Cycle de l'Uruguay. La Conférence du
Heysel en Belgique qui aurait dû en marquer la fin en décembre 1990 se
termina dans une atmosphère d'échec et de crise et buta, en particulier,
sur la question agricole. Toutefois, les négociations continuèrent, le Congrès
des États-Unis ayant accepté de prolonger la délégation de pouvoir accor-
dée au Président pour conclure un accord commercial global.
346 Près de deux ans plus tard, en novembre 1992, et toujours sur le dossier
agricole, était conclu un « pré-accord » à Washington entre les négocia-
teurs américains et communautaires. Ce pré-accord dit de « Blair House »
(nom du bâtiment public où il fut négocié) suscita immédiatement de
nombreuses controverses. La France, en particulier, refusa de s'y associer
estimant qu'il signifiait, à terme, le démantèlement de la politique agricole
commune, tandis que la Commission de Bruxelles elle-même apparut
partagée.

R. L'accord sur le Cycle de l'Uruguay paraphé le 15 décembre 1993


à Genève
347 Points de cristallisation Les négociations devaient reprendre dans
un nouveau contexte politique en raison des alternances qui se produi-
sirent aux États-Unis, en novembre 1992, et en France en mars 1993. En
outre, les négociateurs communautaires eux-mêmes devaient changer en
raison du renouvellement des membres de la Commission. Les principaux
points d'achoppement portèrent sur le traditionnel volet agricole ainsi que
sur le secteur de l'audiovisuel qui fit l'objet de controverses passionnées
opposant principalement la France et les États-Unis quant à une possible
exclusion du mouvement de libéralisation des services au nom d'une
« exception culturelle ». De même, l'insertion d'une « clause sociale » dans
les futurs accords de commerce constitua l'un des sujets les plus débattus
entre les pays développés (à commencer par les États-Unis et la France) qui
y étaient évidemment favorables et les pays en développement qui y étaient
profondément hostiles, les conditions d'emploi de la main-d'oeuvre consti-
tuant l'un de leurs « avantages comparatifs » majeurs.
348 Compromis final Finalement, un compromis acceptable par tous les
participants aux NCM put être trouvé. Le projet d'Acte final marquant
l'achèvement des négociations du Cycle de l'Uruguay était paraphé par tous
les représentants des pays participant le 15 décembre 1993 à Genève.
Cette procédure du paraphe nécessite quelques explications, car elle
est instituée dans l'ordre international parce qu'elle apparaît comme
une phase inutile avant celle de la signature. Dans le contexte de l'OMC,
deux justifications pouvaient être avancées. La première, et la plus
contraignante, tenait à la procédure parlementaire des États-Unis : le
LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES MULTILATÉRALES 145

Congrès avait habilité la présidence à conclure les NCM selon une pro-
cédure simplifiée ou accélérée (dite du « fast track ») d'approbation ulté-
rieure (c'est-à-dire dans un délai de 90 jours et sans possibilité d'amen-
dement) pour peu qu'elles soient terminés le 15 décembre 1993 — date
d'expiration du mandat donné au chef de l'exécutif américain. Or, si
l'on se rappelle les avatars passés devant le Congrès des accords com-
merciaux négociés par l'exécutif américain, cette date butoir devait tou-
jours être présente à l'esprit des négociateurs, même si elle ne présentait
pas de valeur juridique impérative. En outre, sur un plan plus technique,
si les résultats des négociations étaient désormais connus, ils ne se pré-
sentaient pas dans la forme juridique qui rendait leur signature possible.
Au demeurant, dans nombre de domaines, les négociations n'étaient
pas terminées quant aux offres que les participants acceptaient d'insérer
dans leur liste de concessions.
349 Autrement dit et en bref, le paraphe du projet d'Acte final en date du
15 décembre 1993 marque le consensus des participants sur le résultat des
négociations entreprises à l'occasion du Cycle de l'Uruguay, sans figer pour
autant les offres de concessions en leur état. Il s'agissait là d'une phase
provisoire en attendant la procédure de signature qui, elle, rendrait les
textes négociés définitifs et donc insusceptibles de modification sauf — ce
qui était impensable — à rouvrir des négociations. Tel fut l'objet de la
conférence ministérielle de Marrakech d'avril 1994.

y. La signature de l'Acte final du Cycle de l'Uruguay Round


le 15 avril 1994 à Marrakech
350 Lors de la conférence ministérielle des pays participants aux NCM qui se
tint à Marrakech en avril 1994, le texte de l'Acte final reprenant les résul-
tats atteints lors du Cycle de l'Uruguay fut signé par 111 États (alors que
125 avaient été présents lors des négociations). Il n'y eut aucun vote for-
mel et cette signature formalisa le consensus de tous les participants, ce
qui n'était pas pour surprendre compte tenu du compromis paraphé à
Genève le 15 décembre 1993.
Si, sur le fond, le texte signé à Marrakech ne présente pas de différence
avec celui paraphé à Genève quelques mois plus tôt, il devait être accom-
pagné de déclarations ministérielles et surtout de décisions créant des
Comités ; certains sont purement techniques comme ceux visant à la
préparation et la mise en place de la future Organisation Mondiale du
Commerce (OMC) ou du budget de celle-ci tandis que d'autres revêtent
une plus grande importance en ce qu'ils touchent aux modalités d'acces-
sion à l'OMC ou tendent à combler certaines lacunes des NCM — ainsi
la création du Comité sur l'environnement et le commerce. Tous ces docu-
ments ont en commun de rentrer dans la catégorie des engagements
contraignants, ce qui ne veut pas dire qu'il en aille de même pour les
travaux de ces comités.
146 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

351 Ratification nécessaire Sur le plan juridique, il est bien clair que les
parties signataires ne s'engageaient simplement qu'à soumettre à ratifica-
tion, acceptation ou approbation l'Acte final de Marrakech en vertu de leur
procédure constitutionnelle respective.
Compte tenu du déroulement des négociations, cette phase ultime ne
devait soulever aucune difficulté — ce qui permit à la nouvelle Organisation
Mondiale du Commerce (OMC) d'entrer en vigueur comme prévu à
compter du 1" janvier 1995.
Deux points méritent ici d'être soulignés pour les pays membres de
l'Union Européenne (UE) et pour la France en particulier.
352 D'une part, en raison du caractère très étendu de l'Acte final de Mar-
rakech (notamment dans le domaine des services et de la propriété intel-
lectuelle) qui dépassait les compétences commerciales extérieures de la
seule UE, ainsi que devait le reconnaître l'avis consultatif 1/94 de la Cour
de Justice de Luxembourg, la ratification individuelle des quinze États
membres fut nécessaire (Avis 1/94 du 15 nov. 1994, Rec. 1.5276).
353 D'autre part, d'un point de vue purement français, ce fut la première fois
que le Parlement eut à débattre et connaître du système GATT en étant
invité à se prononcer sur l'autorisation de ratification de l'Acte final
de Marrakech (ce qu il fit par la Loi n° 94-1137 du 27 déc. 1994, JO 28 déc.
1994, p. 18536). Il est frappant de noter que, dans le passé, le Parlement
français fut constamment tenu à l'écart du « Système GATT » : ni l'Accord
général lui-même de 1947, ni les résultats des cycles de négociation passés
à commencer par le Tokyo Round précité de 1979 ne lui furent déférés
pour autorisation ou approbation.

2. Des résultats impressionnants


354 Sur le seul plan des textes, la productivité (voire la prolixité) des négocia-
teurs n'a pas manqué de frapper les observateurs. Alors que tout l'Accord
général de 1947 pouvait tenir en quatre-vingts (80) pages imprimées,
l'Acte final de Marrakech constitue un ouvrage de près de six cents pages.
La brièveté n'a à l'évidence pas constitué la qualité première de l'oeuvre
entreprise. Mais, pour être juste, il convient de reconnaître que le nouveau
« Système OMC », s'il présente des points communs avec l'ancien « Sys-
tème GATT » dont il assure en partie la continuité (section XVI (1) de
l'OMC), va bien au-delà de ce dernier. Si les cycles précédents des NCM
avaient renforcé l'Accord général de 1947 dans son effort de libéralisation
des échanges de marchandises, ils n'avaient pas touché au régime normatif
du commerce international. Voici qui est chose faite avec l'Acte final
Marrakech : le saut n'est pas seulement quantitatif mais bien qualitatif.
C'est tout un nouveau système international des échanges fondés sur le multi-
latéralisme et la réciprocité qui a été mis sur pied.
LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES MULTILATÉRALES 147

355 Plan Avant d'analyser brièvement la structure formelle des Accords


de Marrakech (ii) et le contenu matériel du droit du commerce internatio-
nal qui en résulte (iii), on s'interrogera sur les sources intellectuelles de
ces Accords (i).
• Sources intellectuelles des Accords de Marrakech
(V. en général — et notamment sur la nouvelle approche américaine de la « Law and
economics » — R. Posner, Economic analysis of law, Aspen Law 64 Business, 5th ed.,
New-York, 1998).

356 GATT et OMC 0 La tentation est grande, par-dessus les années GATT,
de relier l'OMC à la grande devancière qui, du fait des vicissitudes de la
politique interne et internationale, n'a jamais vu le jour : l'OIC. Ainsi,
un demi-siècle s'étant écoulé, et le bloc soviétique s'étant effondré, il
serait possible de lancer un pont au-dessus de la période de la guerre
froide, et de relier entre elles les deux organisations multilatérales char-
gées de la régulation du commerce international — et cela, quand bien
même l'une ne vit jamais le jour, et l'autre vient à peine de le voir. Ainsi
s'estomperait le souvenir des années GATT, années du provisoire, et,
donc, années d'improvisation, devant les majestueuses constructions
systémiques auxquelles leur longue gestation devait ou devrait assurer la
pérennité.
357 Charte de La Havane et OMC 0 Cette mise en perspective, malheu-
reusement, présente un caractère artificiel, et même artificieux. On ne
saurait, en effet, soutenir que les sources d'inspiration de la Charte
de La Havane sont identiques à celle des Accords de Marrakech. La
Charte de La Havane réalise un compromis entre les deux écoles qui
dominaient la pensée économique dans les grandes puissances occiden-
tales sorties victorieuses du second conflit : le libéralisme aux États-
Unis, le keynésianisme au Royaume-Uni. Or, il existe entre les deux
écoles une différence essentielle, et qui tient à la croyance en les méca-
nismes du marché comme moyens de rétablir spontanément les grands
équilibres économiques : le libéralisme y croit, le keynésianisme n'y
croit pas. La Charte de La Havane compromet entre les deux tendances,
en ce que, si elle admet qu'il ne faut pas entraver le libre jeu des forces
du marché en période d'équilibre, elle admet aussi que l'Organisation
doit intervenir, quitte à momentanément entraver ce libre jeu, lorsque
l'on se trouve en période de déséquilibre. N'est-il pas illustratif de cette
dernière tendance qui le premier Chapitre de la Charte de La Havane
soit consacré à l'emploi et aux questions économiques, et que les ques-
tions commerciales ne soient abordées qu'au Chapitre IV ? On voit donc
bien que la fonction de régulation qui est attribuée à l'OIC ne consiste
pas seulement à éliminer les entraves à la libre circulation ; il est patent
que cette fonction doit aussi s'exercer pour empêcher que cette libre
circulation détruise au lieu de construire.
148 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

358 Mais le difficile compromis entre libéralisme et keynésianisme gue tentait


la Charte de La Havane s'est heurté à l'hostilité du Congrès des Etats-Unis,
raditionnellement attaché au libre-échange. Or il eût été inopportun que
l'OIC fut créée en l'absence de la plus grande des puissances commerciales
— le précédent du Traité de Versailles ne laissant rien augurer de bon d'une
Ile absence. Mais il eût été tout aussi inopportun de ne rien créer du
tout, l'anarchie favorisant les politiques de prédation commerciale, et
n'aboutissant pas, en définitive, à de meilleurs résultats. On se résolut
donc, bon gré pour les uns, mal gré pour les autres, à extraire son Cha-
pitre IV de la Charte de La Havane pour lui conférer l'autonomie conven-
ionnelle qui lui permettra de devenir le GATT. Cette extraction, bien évi-
demment, s'est faite au profit des tenants du libéralisme : elle éliminait, en
effet, de l'Accord général tous les aspects keynésiens qui donnaient à la
Charte de La Havane son originalité. En bref, c'était là un pur et simple
retour aux sources du libéralisme en matière commerciale.
359 Rejet du keynésianisme 0 Contre toute attente, l'éviction du keynésia-
nisme en tant que source d'inspiration du système commercial n'aura pas
nécessairement servi le libéralisme. L'extraction de la Partie IV, et sa pro
motion en Accord autonome vont, précisément, en entraîner un canton-
nement, à la fois ratione personae et ratione materiae, du GATT. En d'autres
termes, il n'est pas interdit de penser que la destruction du compromis
de La Havane a privé l'institution d'une partie de sa force de propagation.
Ratione personae : il ne fait guère de doute que le GATT, désormais perçu
comme le bras commercial des Pays occidentaux, partisans du marché, ne
pouvait séduire ni les Pays socialistes, ni les Pays en développement — tout
au moins à l'origine. Les uns comme les autres ne ménageront d'ailleurs
pas leurs critiques à l'institution. Ratione materiae, les contraintes du mar-
ché ont fait reculer même certains parmi les Pays occidentaux, qui n'ont
eu de cesse que soient soustraits à ces contraintes les secteurs les plus
fragiles de leur économie.
360 Triomphe du libéralisme 0 On pouvait dès lors penser que la réforme
d'ensemble du système commercial prendrait en compte, avant tout, les
revendications tant des Pays socialistes à économie planifiée que des Pays en
développement. Il n'en a rien été, et, avant tout, pour des raisons conjonc-
turelles. L'effondrement des régimes socialistes, à la fin de la décennie 1980,
a éliminé le plus important, aussi bien du point de vue économique que du
point de vue politique, des foyers de résistance. Cette élimination a laissé les
Pays en développement, qui constituaient l'autre foyer éventuel de résis-
tance, en situation d'isolement collectif alors même que se nouait la grande
négociation multilatérale. On ne saurait donc s'étonner, dans ces condi-
tions, que la négociation n'ait pas été une négociation Ouest-Est, et guère
une négociation Nord-Sud : elle a été, avant tout, une négociation Nord-
Nord, entre Pays développés, partisans du marché. On serait tenté de pen-
ser, dès lors, que la source unique d'inspiration des Accords de Marrakech
LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES MULTILATÉRALES 149

réside dans la pensée libérale. Mais la pensée libérale, n'est certes pas uni-
forme, en ce sens que la maison de Dieu comprend plusieurs demeures. De
la sorte, bien que la négociation ait été placée sous le signe de la libération,
elle n'en a pas moins revêtu un caractère d'âpreté qui surprend parfois.
361 Influence de la doctrine américaine du « Law and Econo-
mics » 0 À cet égard, une attention particulière doit être réservée à l'in-
fluence qu'aurait eue, du côté américain, l'école de pensée connue sous la
dénomination « Law and Economics ». Il s'agit, en effet, d'une école de
pensée qui tente de donner leur traduction juridique aux principes de
l'économie libérale, et qui, de ce fait, s'est manifestée, avec un succès iné-
gal, tout au cours de la négociation internationale. La combinaison qu'elle
réalise entre l'économique et le juridique — celui-ci se trouvant néanmoins
ns une position de subordination vis-à-vis de celle-là — est source
d'aperçus originaux, qui peuvent fournir une grille nouvelle d'interpréta-
tion des Accords de Marrakech. L'école « Law and Economics », certes,
appartient à la mouvance libérale, dont elle accepte les postulats fonda-
mentaux. Premier postulat : l'explication des phénomènes économiques
doit être recherchée dans l'action des agents économiques, et, s'agissant
des échanges internationaux, dans l'action des entreprises multinatio-
nales. Deuxième postulat : le comportement des agents économiques est
toujours empreint de rationalité, en ce que les objectifs qu'il s'assigne
doivent être rationnels, et que les moyens qu'il utilise pour parvenir à ces
fins doivent l'être également. Troisième postulat : en matière économique,
l'objectif que se fixe chaque agent consiste en la satisfaction d'un intérêt
individuel, ce qui se traduit, lorsqu'il est question d'entreprises multina
tionales, en termes de recherche du profit.
362 Il n'y a rien là qui ne soit conforme à la théorie classique — ou, mieux,
néoclassique. Mais la traduction juridique de ces postulats n'est ni clas-
sique, ni néo-classique. Pour les tenants de la doctrine « Law and Econo-
mics », la source de tout rapport juridique se trouve dans le contrat, parce
que c'est le contrat qui permet de formaliser les relations entre les divers
agents économiques. Mais l'exigence de rationalité veut que le contrat per-
mette aux agents économiques de réaliser le plus grand profit : elle interdit
donc que le droit sanctionne l'immutabilité du contrat, parce que cette
immutabilité pourrait exposer les agents économiques à des pertes que
condamne la rationalité économique. D'où la théorie de l'« efficient
breach » : le contractant a le droit, voire le devoir de rompre unilatérale-
ment le contrat, dès lors que l'exécution de ce contrat se révélerait pour lui
trop onéreuse. Cela ne signifie pas que l'on doive contracter de mauvaise
foi : cela signifie que le contrat n'est pas une institution destinée à favori-
ser les déperditions économiques. Le rôle du législateur se trouve ainsi
racé : à lui de faire en sorte que le contractant ne soit pas enserré dans le
carcan d'une immutabilité qui, en définitive, se révélerait préjudiciable à
tout le système économique.
150 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

363 Transposition internationale Ces conceptions peuvent être trans-


posées du plan du droit interne au plan du droit international. Dès lors
que l'État représente, sur le plan international, les agents économiques
qui possèdent sa nationalité, son action doit permettre à ces agents de
réaliser le plus grand profit — et, par conséquent d'accroître leurs parts du
marché international. Par voie de conséquence, l'État aurait le droit, voire
le devoir, de dénoncer tout Traité ou Accord dont l'exécution se révélerait
trop onéreuse pour les entreprises multinationales ressortissant à cet
État. S'il en va bien ainsi, alors que les Accords de Marrakech seraient
susceptibles d'une autre lecture, ou, mieux, leur lecture serait susceptible
d'une autre inflexion. À l'impératif originaire, qui est celui d'éliminer les
entraves à la libre circulation des biens et services, s'adjoindrait un impé-
ratif complémentaire, qui serait celui d'ouvrir aux entreprises exporta-
trices l'accès aux marchés des Pays importateurs. D'où le grief fait par
certains États aux Accords de Marrakech : ceux-ci auraient pour fonction
essentielle des exportations à partir des Pays industrialisés, en sorte d'ac-
croître les profits que réaliseront les grandes entreprises multinationales
qui en sont originaires.
364 Incidences Si ces hypothèses se vérifiaient, alors il en découlerait un
certain nombre de conséquences sur le terrain du droit international,
conséquences qui se relient toutes à une seule et même idée directrice :
tout État doit pouvoir se soustraire aux obligations découlant pour lui des
Accords de Marrakech, dès lors que ces obligations se révéleraient trop
onéreuses pour les entreprises multinationales qui ressortissent à cet État.
Cette idée entraîne la négation du principe de primauté du droit interna-
tional sur le droit interne : il n'y a plus de primauté du droit international
sur le droit interne lorsqu'un Etat peut, unilatéralement, se soustraire à
ses obligations conventionnelles au seul motif que les intérêts des entre-
prises multinationales qui ressortissent à lui l'exigerait. De la même
manière, cette idée entraîne le refus de tout mécanisme contraignant de
règlement des différends : la soumission à un tel mécanisme permettrait,
en effet, d'assurer la primauté du droit international sur le droit interne,
principe qui, précisément, fait l'objet d'une récusation.
365 Exemples Une telle hypothèse, loin de rester un simple cas d'école, a eu
l'occasion d'être vérifiée lors du vote aux États-Unis de la loi portant
approbation des résultats des négociations du «Cycle de l'Uruguay» (P.
L. 103-465, déc. 8, 1994, 108 Stat. 4813). Pour en obtenir le passage, le
Président Clinton dut accepter un amendement « Dole » — du nom du
chef de la majorité républicaine au Sénat — selon lequel une commission
de « sages » (en réalité cinq juges fédéraux à la retraite) serait chargée
d'examiner les « décisions » rendues par le mécanisme de règlement des
différends de l'OMC à l'encontre des États-Unis et qui se révéleraient
« arbitraires » ou... « capricieuses » : si trois décisions de ce type appa-
raissent dans un délai de cinq ans, le Congrès pourra alors demander au
LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES MULTILATÉRALES 51

Président de procéder au retrait de l'OMC (cette nouvelle procédure est


généralement appelée « three strikes and you are out» par référence au droit
pénal américain). Autrement dit, la poursuite de leurs intérêts commer-
ciaux propres au mépris de leurs engagements au titre de l'OMC serait de
nature à entraîner un retrait de cette organisation de la part des États-
Unis qui apparaîtrait ainsi comme économiquement justifié ; la violation
des engagements relève alors d'une saine politique économique (efficient
breach). De fait, cette procédure inquiétante est demeurée à l'état virtuel et
n'a jamais été mise en oeuvre, du moins jusqu'à présent (r octobre 2012).
Structure formelle de l'Acte final de Marrakech
366 Il apparaît au premier abord que l'on est en présence d'un acte unique (oc).
Toutefois, cette impression d'unité est loin d'être totale puisque certains
accords apparaissent comme détachables, ce qui alors relève de la géomé-
trie variable (f3). Au demeurant, tous les textes constitutifs du nouveau
« Système OMC » ne sont pas à mettre sur un même pied d'égalité juri-
dique, certains l'emportant sur d'autres (y). Enfin, les nombreuses réfé-
rences de ces textes à d'autres conventions et institutions internationales
à portée (ou connotation) économique et commerciale contribuent à
refaire du « Système OMC » la mosaïque, voire le « puzzle » si justement
dénoncé à propos du « Système GA'TT » (Ô).

a. Un acte principalement unique ;


les « accords commerciaux multilatéraux »
367 Fin du free ride et du GATT à la carte 0 L'ancien « système GATT »
avait été souvent et justement critiqué pour son absence d'uniformité
d'application et pour encourager — faute de la moindre condition de réci-
procité — le système du « free ride » inhérent au jeu de la clause de la
nation la plus favorisée de type inconditionnel. Si l'on ajoute à cela la
conclusion d'accords latéraux, il en était résulté une situation fort dom-
mageable de « GATT à la carte » (v. ss 177 s.).
368 Les négociateurs du Cycle de l'Uruguay voulurent à juste titre remédier à
cette situation. Ainsi, l'Acte final doit-il être considéré comme un tout à
prendre ou à laisser par les États intéressés. Ceux-ci durent accepter à la
fois le volet marchandises traditionnel, tel que renforcé sous le nom de
« GATT 1994 », et ceux, nouveaux, portant sur les services ou les droits de
propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC ou TRIPS).
Cette approche globale permit de concilier et de réconcilier au sein du
nouveau système multilatéral commercial international à la fois le concept
de réciprocité et celui de non-discrimination. Le premier garantit le réalisme
et l'effectivité des négociations tandis que le second assure l'égalité de trai-
tement des agents économiques sur les marchés. Autrement dit, et en bref,
il ne saurait y avoir « d'OMC à la carte ».
152 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

369 Un ensemble indivisible 0 Toutefois, cette approche unitaire (dite du


« single undertaking ») n'est pas totale. Elle ne porte que sur un « paquet »
de textes, sans doute le plus important. Sont ainsi considérées comme
indivisibles, outre l'accord-cadre sur l'OMC elle-même, les trois séries
d'instruments contenus dans les annexes 1 à 3. Ils sont communément
qualifiés « d'accords commerciaux multilatéraux ».

p. Les accords détachables : les « accords commerciaux


plurilatéraux »
370 La terminologie employée à dessein par les négociateurs, même si elle
n'entraîne pas la conviction, a bien pour but de montrer une différence de
nature quant au régime juridique posé par les accords « multilatéraux » et
celui institué par les accords « plurilatéraux ». Si les premiers sont obliga-
toires et lient tous les membres de l'OMC, en revanche les seconds ne le
sont que pour ceux qui les ont formellement acceptés (art. H (2) et (3) de
l'accord OMC).

y. Des instruments hiérarchisés


371 La prolifération d'accords constitutifs du « Système OMC » nécessitait une
certaine clarification et mise en ordre notamment quant à leurs rapports
respectifs. Une double hiérarchie a ainsi été établie.
372 Supériorité de l'Accord OMC 0 Au sommet a été tout naturellement
placé l'accord relatif à l'Organisation Mondiale du Commerce (art. XVI
(3)). Cette charte constitutive de l'OMC apparaît comme une sorte de
droit constitutionnel du commerce multilatéral à laquelle, en tant que
telle, il n'est pas possible de déroger. Cette supériorité juridique assure
l'uniformité du cadre institutionnel actuel ou futur tel qu'éventuellement
amendé.
373 Supériorité des accords spécifiques sur le GATT 94 o Une seconde
hiérarchie a été établie mais cette fois au nom d'un principe différent
bien connu en matière de conflit de lois, à savoir celui de la lex specialis
(specialia generalibus derogant). Ainsi, en cas de conflit entre le « GATT
1994 » (c'est-à-dire le « GATT 1947» tel qu'interprété à l'occasion du
Cycle de l'Uruguay et avec les adjonctions concernant l'accès aux mar-
chés des marchandises selon le § 1 de l'Annexe 1 A., mais dont il
demeure juridiquement distinct — (art. H (4)) et tout autre accord multi-
latéral inclus dans l'Acte final, ce dernier s'appliquera. Autrement dit, le
« GATT 1994 » en tant que loi générale devra céder en cas de conflit
devant tous les autres accords multilatéraux considérés comme autant
de lois spéciales (note interprétative générale figurant au début de
l'annexe I.A).
LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES MULTILATÉRALES 153

S. La nouvelle mosaïque constituée par le « Système OMC»


374 Référence à d'autres normes commerciales internationales 0 Les
textes constitutifs du « Système OMC » ne se contentent pas de poser le
nouveau cadre institutionnel et matériel des échanges internationaux. Ils
font en effet souvent référence à d'autres instruments internationaux ou
à d'autres institutions internationales ainsi qu'à leurs actions normatives.
Sans prétendre à l'exhaustivité, il en va ainsi pour la Charte de l'ONU
(dont l'OMC n'est pas une institution spécialisée), pour le Fonds Moné
taire International (la monnaie est l'une des grandes « oubliées » de l'Acte
final de Marrakech), du Conseil de Coopération Douanière, des accords
internationaux sur les matières premières, du Codex Alimentarius, de
l'Union Internationale des Télécommunications, de l'Organisation Mon-
diale de la propriété intellectuelle. De surcroît, il est fait référence à des
arrangements multilatéraux (notamment en matière de protection de
l'environnement, de transports aériens et maritimes) de nature à interfé-
rer avec l'activité de l'OMC dans ces secteurs. En outre, doivent être prises
en considération les actions des organisations internationales com-
pétentes en matière de fixation de « normes internationales pertinentes », de
« réglementations techniques » ou de « standards phyto sanitaires » et sur-
tout, au titre des ADPIC ou TRIPS, la gestion par l'OMPI de nombreux
accords sur la propriété intellectuelle. Pour compliquer ce tableau, il
convient de citer les accords spéciaux (Convention sur le droit de la mer,
section 6 de l'accord du 28 juillet 1994 sur la mise en oeuvre de la Par-
tie XI ; ou Charte de l'Énergie, art. 28-29 et annexe G ; ou régionaux/
Alena, art. 2005) faisant explicitement référence au mécanisme du Règle-
ment des différends de l'ancien GATT, tout en possédant leur propre sys-
tème en la matière.
375 Une difficile réconciliation 0 Dès lors, des questions nombreuses, à la
fois complexes et fondamentales ne manquent pas de se poser. Comment
réconcilier ces diverses sources de droit, celles émanant directement du « Sys-
tème OMC» et celles émanant des institutions ou accords internationaux
auxquels ce dernier fait référence, de façon à éviter empiètement de compé-
tence et surtout règles contradictoires ? Dans quelle mesure ces diverses
règles se complètent-elles les unes avec les autres et peuvent-elles être
invoquées dans leurs forums réciproques (peut-on invoquer les normes
« ADPIC » au sein de l'OMPI ou inversement ?) L'Organe de Règlement
des Différends (ORD) peut-il appliquer les conventions internationales
sur la protection de l'environnement ?). De même, cette multiplication
des centres ou mécanismes de règlement des différends ne nuit-elle pas à
leur efficacité en permettant aux États de jouer les uns contre les autres en
déclinant leur compétence et en choisissant le mécanisme le plus favo
rable, à leur avis, à leur cause (phénomène bien connu du « forum shop-
ping ») ? (v. ss 256 et 277).
154 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

Toutes ces interrogations constituent autant d'incertitudes qui ne man


queront pas d'être la source de controverses futures. Sans doute la pratique
ultérieure permettra-t-elle, si ce n'est d'éliminer les conflits et chevauche-
ments de normes, mais au moins de les identifier afin d'aboutir à un règle-
ment conventionnel ordonné.
376 En bref, le simple fait que ces problèmes existent ou que tant d'incertitudes
soient soulevées rend dès le début le « Système OMC » d'une complexité
redoutable et accrue. Ses promoteurs souhaitaient un système simple,
transparent et intégré. Les références croisées précitées en constituent
l'exact contraire.
• Contenu matériel de l'Acte final de Marrakech
377 On se limitera ici à une simple présentation générale des résultats des
négociations dans la mesure où ceux-ci feront d'ailleurs l'objet de dévelop-
pements spécifiques. Sous le nom d'Acte final de Marrakech et dans un
instrumentum unique, toute une série d'accords y étaient intégrés et
annexés.

Acte final
Accord de Marrakech instituant l'Organisation Mondiale
du Commerce
Annexe 1
Annexe 1 A : Accords multilatéraux sur le commerce des marchandises
Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994
Mémorandum d'accord sur l'interprétation de l'article II : 1 b) de l'Accord général
sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994
Mémorandum d'accord sur l'interprétation de l'article XVII de l'Accord général sur
les tarifs douaniers et le commerce de 1994
Mémorandum d'accord sur les dispositions de l'Accord général sur les tarifs doua-
niers et le commerce de 1994 relatives à la balance des paiements
Mémorandum d'accord sur l'interprétation de l'article XXIV de l'Accord général sur
les tarifs douaniers et le commerce de 1994
Mémorandum d'accord concernant les dérogations aux obligations découlant de
l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994
Mémorandum d'accord sur l'interprétation de l'article XXVIII de l'Accord général
sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994
Protocole de Marrakech annexé à l'Accord général sur les tarifs douaniers et le com-
merce de 1994
Accord sur l'agriculture
Accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires
Accord sur les textiles et les vêtements
Accord sur les obstacles techniques au commerce
Accord sur les mesures concernant les investissements et liées au commerce
LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES MULTILATÉRALES 55

Accord sur la mise en oeuvre de l'article VI de l'Accord général sur les tarifs doua-
niers et le commerce de 1994
Accord sur la mise en oeuvre de l'article VII de l'Accord général sur les tarifs doua-
niers et le commerce de 1994
Accord sur l'inspection avant expédition
Accord sur les règles d'origine
Accord sur les procédures de licences d'importation
Accord sur les subventions et les mesures compensatoires
Accord sur les sauvegardes

Annexe 1 B : Accord général sur le commerce des services :


Annexe 1 C: Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent
au commerce
Annexe 2 : Mémorandum d'accord sur les règles et procédures régissant le règlement
des différends
Annexe 3 : Mécanisme d'examen des politiques commerciales
Annexe 4 : Accords commerciaux plurilatéraux

Accord sur le commerce des aéronefs civils


Accord sur les marchés publics
Accord international sur le secteur laitier
Accord international sur la viande bovine

Décisions et déclarations
Décisions et déclarations ministérielles adoptées
par le Comité des négociations commerciales
le 15 décembre 1993
Décision sur les mesures en faveur des pays les moins avancés
Déclaration sur la contribution de l'OMC à une plus grande cohérence dans l'élabo-
ration des politiques économiques au niveau mondial
Décision sur les procédures de notification
Déclaration sur la relation de l'Organisation mondiale du commerce avec le Fonds
monétaire international
Décision sur les mesures concernant les effets négatifs possibles du programme de
réforme sur les pays les moins avancés et les pays en développement importateurs
nets de produits alimentaires
Décision sur la notification de la première intégration en vertu de l'article 2.6 de
l'Accord sur les textiles et les vêtements
Décisions relatives à l'Accord sur les obstacles techniques au commerce
Décision sur le mémorandum d'accord proposé concernant un système d'informa-
tion sur les normes OMC-ISO
Décision sur l'examen de la publication du Centre d'information ISO-CEI
Décisions et Déclaration relatives à l'Accord sur la mise en oeuvre de l'article VI de
l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994
Décision sur l'anti-contournement
156 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

Décision sur l'examen de l'article 17.6 de l'Accord sur la mise en oeuvre de l'article VI
de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994
Déclaration sur le règlement des différends conformément à l'Accord sur la mise en
oeuvre de l'article VI de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce
de 1994 ou à la Partie V de l'Accord sur les subventions et les mesures
compensatoires
Décisions relatives à l'Accord sur la mise en oeuvre de l'article VII de l'Accord général
sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994
Décision sur les cas où l'administration des douanes a des raisons de douter de la
véracité ou de l'exactitude de la valeur déclarée
Décision sur les textes se rapportant aux valeurs minimales et aux importations
effectuées par des agents distributeurs et concessionnaires exclusifs
Décisions relatives à l'Accord général sur le commerce des services
Décision sur les arrangements institutionnels relatifs à l'Accord général sur le com-
merce des services
Décision sur certaines procédures de règlement des différends établies aux fins de
l'Accord général sur le commerce des services
Décision sur le commerce des services et l'environnement
Décision sur les négociations sur le mouvement des personnes physiques
Décision sur les services financiers
Décision sur les négociations sur les services de transport maritime
Décision sur les négociations sur les télécommunications de base
Décision sur les services professionnels
Décision sur l'accession à l'Accord sur les marchés publics
Décision sur l'application et le réexamen du Mémorandum d'accord sur les règles et
procédures régissant le règlement des différends

Décisions ministérielles adoptées par les Ministres


à la réunion du Comité des négociations commerciales
tenue à Marrakech le 14 avril 1994
Décision sur l'acceptation de l'Accord instituant l'Organisation mondiale du com-
merce et l'accession audit Accord
Décision sur le commerce et l'environnement
Décision sur les conséquences organisationnelles et financières de la mise en oeuvre
de l'Accord instituant l'Organisation mondiale du commerce
Décision sur l'établissement d'un Comité préparatoire pour l'Organisation mon-
diale du commerce

Mémorandum d'accord sur les engagements relatifs


aux services financiers
Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT de 1947)

378 Il ressort clairement de cette table des matières que les résultats des négocia-
tions ont été à la fois horizontaux et verticaux. L'approche horizontale repré-
sente les éléments communs à l'ensemble du nouveau système commercial
LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES MULTILATÉRALES 57

multilatéral. L'approche sectorielle ou verticale se manifeste de son côté par


les régimes spécifiques institués par l'Acte final de Marrakech.

a. L'approche horizontale
379 L'OMC 0 Au niveau institutionnel, celle-ci se manifeste par la création
de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), véritable institution
internationale se substituant à l'Accord général de 1947 et désormais
dotée d'un nouveau mécanisme renforcé de règlement des différends.
380 Le GATT 94 0 Au niveau matériel, le « GATT 1994 » — version améliorée
et renforcée du « GATT 1947 » — constitue désormais la lex generalis de la loi
commerciale internationale commune. Celle-ci s'applique, on le rappelle,
sous réserve des accords sectoriels ou spécifiques en tant que lex specialis.

R. L'approche verticale ou sectorielle


381 Celle-ci se manifeste par la conclusion tant d'« accords multilatéraux »
que « d'accords plurilatéraux », les seconds étant cependant en dehors du
« Système OMC ».
382 Accords multilatéraux 0 Les accords multilatéraux de nature sectorielle
se révèlent particulièrement importants, soit qu'ils réintègrent dans le
« Système OMC » des domaines qui avaient quitté le « système GATT »
ainsi l'agriculture ou les textiles) soit qu'ils lui adjoignent de nouveaux
domaines (ainsi les services, ou les investissements de même que les droits
de propriété intellectuelle) pour peu que les uns et les autres soient liés à
des opérations commerciales internationales.
383 Accords plurilatéraux 0 Enfin, il convient d'ajouter les quatre « accords
plurilatéraux» conclus à l'occasion du Cycle de l'Uruguay et qui portent
sur le « commerce des aéronefs civils », les « marchés publics », la « viande
bovine » et le « secteur laitier » (ces deux derniers ont cessé d'exister
depuis lors). Ces quatre (et maintenant deux) accords trouvent leur ori-
gine dans des instruments précédemment négociés à l'occasion du «Tokyo
Round » et dont ils constituent des actualisations. Ces « accords plurilaté-
raux » — et la terminologie employée, bien que peu claire est là pour mon-
trer leur différence avec les « accords multilatéraux » précités — n'engagent
que les seuls pays qui les ont approuvés : l'article 11.3 de l'OMC précise bien
qu'ils ne « créent ni obligations ni droits pour les membres qui ne les ont
acceptés ». Autrement dit et en bref, ces accords plurilatéraux sont « déta-
chables » de l'Acte final de Marrakech ; ils demeurent en dehors du
« Système OMC ».
384 Ces accords ne lient qu'un petit nombre d'États (23 pour les marchés publics
dont 16 au titre des Communautés Européennes, 22 pour les aéronefs
158 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

civils, 9 pour l'accord international sur le secteur laitier et 16 pour l'accord


international sur la viande bovine) (v. OMC, Rapport Annuel pour 1996,
p. 173-176). Ils présentent de surcroît une importance économique très
inégale, seul l'accord sur les marchés publics pouvant être qualifié de signi-
ficatif. En outre leur degré de contrainte est également fort inégal : les deux
premiers accords sur les marchés publics et les aéronefs civils posent un
véritable régime juridique obligatoire en ces matières avec de strictes obli-
gations de libéralisation, d'élimination des discriminations et subventions
(mais on notera cependant l'absence de mécanisme de règlement des dif-
férends qui affaiblit considérablement l'accord sur les aéronefs civils) ; en
revanche, il n'en va pas de même dans les deux autres, l'accord sur le sec
teur laitier se contentant de fixer des prix minima à l'exportation tandis
que celui relatif à la viande bovine se limite à un simple échange de ren-
seignements entre les participants. En raison de l'importance plus limitée
de ces deux derniers accords, les parties contractantes décidèrent d'y
met re fin le 31 décembre 1997.

SECTION 3.
LE CYCLE DE DOHA (2001— ).
LES PREMIÈRES NÉGOCIATIONS
COMMERCIALES MULTILATÉRALES
DE L'HISTOIRE DE L'OMC

§ 1. Les conférences ministérielles


385 Si, on l'a vu, l'OMC constitue bien un forum unique et permanent de
négociations commerciales multilatérales, il lui appartient aussi via son
organe le plus élevé, la Conférence ministérielle, — comme le GATT jadis —
d'organiser des « cycles » globaux de libéralisation des échanges. Si les pre-
mières réunions de la conférence ministérielle purent se dérouler sans
heurt à Singapour en 1996 puis à Genève en 1998 — mais il est vrai
qu'aucune décision n'avait été prise quant à l'ouverture d'un nouveau
cycle de négociations — l'échec retentissant de la réunion de Seattle en
1999 allait fortement ébranler l'OMC en tant qu'institution à la fois légi-
time et durable.

§ 2. La Conférence ministérielle de Doha en 2001


386 C'est dans un tel contexte, où l'enjeu était existentiel pour l'organisation
genevoise, que devait s'ouvrir la Conférence ministérielle de Doha en
novembre 2001. Au soulagement général, les participants furent en
mesure de se mettre d'accord sur un « programme de travail » ambitieux,
les négociations devant être achevées pour le 1' janvier 2005 « au plus
LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES MULTILATÉRALES 159

tard ». Elles seront conduites selon les principes traditionnels de négocia-


tion avec une insistance marquée pour le « traitement spécial et différen-
cié en faveur des pays en développement et des pays les moins avancés ».
Enfin, précision notable empruntée au « Cycle de l'Uruguay », les résultats
de ces négociations commerciales devront être considérés comme un tout
et constituant un engagement unique des participants ; c'est bien la confir-
mation que, contrairement à l'époque du GATT, il ne saurait y avoir
« d'OMC à la carte ».

1. Le programme de travail
387 Vu l'ampleur et l'importance des questions soulevées et compte tenu de
l'inachèvement de ce « Cycle de Doha », on se bornera à en signaler les
grands thèmes. L'agriculture est mentionnée en premier avec une insis-
tance forte sur l'amélioration de l'accès aux marchés et surtout la réduc-
tion (voire l'élimination) des subventions. Pour les produits non agricoles
l'effort était mis sur la baisse (voire encore l'élimination) des droits de
douanes et surtout le démantèlement des barrières non-tarifaires. Quant
aux droits de propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC ou TRIPS), à
part des améliorations ponctuelles, l'accent était mis sur leur ajustement
aux besoins de la santé publique, ce qui en particulier pose tout le pro-
blème des rapports entre la protection des droits de propriété industrielle
grâce au régime des brevets et l'accès à des médicaments nécessaires et
souvent indisponibles dans les pays pauvres qui en ont le plus besoin et qui
ne peuvent se les procurer en raison de leurs coûts. Le programme de tra-
vail envisage également des améliorations du processus de fonctionne-
ment de ces moyens de défense commerciale classiques que sont les droits
compensateurs et anti-dumping. La libéralisation des services, jusqu'ici rela-
tivement faible au niveau mondial, doit être encouragée grâce à des offres
plus généreuses se matérialisant dans des listes d'engagements spécifiques.
Des clarifications et améliorations devront être apportées au Mémoran-
dum d'accord sur le règlement des différends. Enfin, une attention spéciale
devra être apportée à deux secteurs peu ou mal intégrés à l'OMC, l'inves-
tissement et l'environnement. Dans le premier cas, l'accord sur les MICS (ou
TRIMS) devra être précisé et clarifié pour tenir compte de « manière équi-
librée des intérêts des pays d'origine et des pays d'accueil » et notamment
de leur « droit de réglementer dans l'intérêt général ». Dans le second cas,
et afin de « renforcer le soutien mutuel du commerce et de l'environne-
ment », il convient principalement d'étudier les relations entre « les règles
de l'OMC existantes et les obligations commerciales spécifiques énoncées
dans les accords environnementaux multilatéraux» (AEM) ainsi que
l'impact des mesures environnementales sur l'accès au marché des biens,
services et droits de propriété intellectuelle, ce qui relèvera ici de la mis
sion du Comité du commerce et de l'environnement créé au tout dernier
moment à la fin du « Cycle de l'Uruguay ».
O LE C DRE INST TIONN L COMMUN

2. Les conférences intermédiaires de Cancùn


(2003) et Genève (2004)
388 Si la conférence à « mi-parcours » de Canain en septembre 2003 s'était
terminée par un échec retentissant, les négociateurs commerciaux par-
vinrent à un accord (certes sur un agenda limité) lors de la réunion de
l'OMC à Genève en juillet 2004. En particulier, le dossier le plus sensible
concernant l'agriculture a été débloqué, les pays membres s'engageant à
supprimer les subventions aux exportations, à limiter celles à la produc-
ion qui fausseraient les échanges et à diminuer les tarifs douaniers. Or,
cet accord fut loin de se matérialiser.

3. La suspension « provisoire » des négociations


de juillet 2006
389 Lors d'une réunion « informelle » du Comité des négociations commer-
ciales à Genève le 24 juillet 2006, le Directeur général de 1'OMC fit savoir
qu'il recommanderait une « pause » au Conseil général du 27 juillet (et
cette suspension fut alors officiellement annoncée) en raison des diver-
gences trop importantes entre les principaux protagonistes. Comme par le
passé et sans surprise, les principaux point d'achoppement concernèrent
le domaine agricole — en particulier l'accès au marché et le soutien interne.
Le compromis global envisagé — à savoir une baisse marquée des tarifs
européens et des subventions américaines en matière agricole contre des
réductions tarifaires sur les produits agricoles et industriels de la part des
pays à économie émergente — fut loin de pouvoir être atteint. Devant
cette situation, le ministre indien du commerce extérieur ne put s'empê-
cher de noter que le cycle de Doha était définitivement entré dans une
phase oscillant « entre les soins intensifs et le crématorium » (cité in The
Economist, 29 juillet 2006, p. 65).
Au début 2007, les négociations ont timidement repris mais dans un envi-
ronnement incertain voire défavorable. Tout d'abord, sur le plan politique, la
délégation de pouvoir dont bénéficie le président des États-Unis pour négo-
cier des traités de commerce bi ou multilatéraux viendra à expiration en juin
2007 et nul ne sait encore si la nouvelle majorité démocrate au Congrès lui
accordera une extension en cas de besoin. Ensuite et tout aussi préoccupant
si ce n'est plus, on assiste depuis ces dernières années à une prolifération
d'accords bi ou multilatéraux constitutifs d'intégrations économiques régio-
nales prenant la forme de zones de libre-échange et conclus tant par les
États-Unis que par les pays de l'Asie du Sud Est (et c'est ici une nouveauté,
l'ASEAN ayant ainsi récemment négocié un traité créant une zone de libre-
échange avec la Chine) — l'Union européenne ayant de son côté fait savoir
qu'elle ne s'interdisait pas d'y recourir ; si cette tendance devait perdurer
l'idéal multilatéral représenté par le système OMC aurait pratiquement vécu
et cette dernière institution deviendrait une coquille vide.
LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES MULTILATÉRALES 61

4. Le nouvel échec de la réunion ministérielle


de juillet 2008
390 Pendant neuf jours et autant de nuits, la plus longue réunion ministérielle
dans toute l'histoire de l'OMC devait se terminer le 29 juillet à Genève sur
un nouveau désaccord alors que le succès apparaissait « à portée de la
main ». Les négociations devaient en effet échouer alors que dix huit des
vingt thèmes constitutifs du « paquet » relatif à l'agriculture et aux pro-
duits industriels avaient été traités avec succès.
Le point d'achoppement se révéla être l'avant dernier (le dernier sur le
coton ne fut quant à lui jamais abordé alors qu'il avait été en grande partie
à l'origine de l'échec précédent de juillet 2006) portant sur le « mécanisme
de sauvegarde spécial » pour les produits agricoles au profit des pays en déve-
loppement. Ce dispositif était destiné à leur permettre d'augmenter tempo-
rairement leurs droits de douanes pour faire face aux hausses des impor-
tations et/ou aux baisses des prix. Les pays en développement — à
commencer par l'Inde et la Chine — souhaitaient un seuil de déclenchement
bas afin de faciliter la mise en oeuvre de cette clause de sauvegarde et
mieux défendre ainsi leurs centaines de millions d'agriculteurs. A l'in-
verse, les pays développés emmenés par les États-Unis (et ceux-ci n'ont
guère qu'un million d'agriculteurs à protéger) voulaient un seuil élevé qui
ne puisse être déclenché à la suite d'une simple hausse due à l'accroisse-
ment des échanges commerciaux normaux. Aucun compromis ne put être
trouvé

5. Des négociations au point mort


391 Depuis lors, les négociations sont restées bloquées au point qu'il est loisible
de se demander si ce « cycle de Doha » n'est pas bel et bien enterré (tel est
par exemple l'avis de The Economist, 8 sept. 2012, p. 12). Trop d'obstacles se
sont en effet conjugués pour justifier ce jugement pessimiste et négatif.
Les uns sont propres au « système OMC » lui-même. Le premier
consiste à l'évidence dans le nombre des pays impliqués - 155 - sans
commune mesure avec celui des participants aux précédents cycles de
négociation de l'époque du « GATT 1947» et rendant en cela d'autant
plus difficile un compromis final nécessitant l'accord de tous. Le second
a trait à la méthode de négociation propre à cette institution depuis sa
création et fondée sur la nécessité d'obtenir un engagement unique (single
undertaking) (v. ss 367-369) sur tous les points en discussion : cette exi-
gence interdit certes un système commercial à « plusieurs vitesses »
comme à l'époque du « GATT 1947 » mais elle empêche également des
avancées partielles propres à certains pays mais dont tous bénéficieraient
grâce au jeu de la clause de la nation la plus favorisée. Comment ne pas
noter que cette technique du « tout ou rien » n'a fait qu'encourager la
tentation régionaliste - voire bilatérale ?
2 LE C DRE INST TIONN L COMMUN

D'autres obstacles tout aussi importants sont eux de nature extérieure.


Tout d'abord, il est évident que le contexte économique et financier n'est
guère favorable à une libéralisation globale des échanges avec le déclenche-
ment en 2008 de la plus grave crise que le monde ait connue depuis celle
de 1929 ; dans ces conditions, il n'est guère surprenant que le protection-
nisme fasse un retour marqué avec de nouvelles restrictions affectant
quelque 4 % du commerce mondial (v. The Economist, 8 sept. 2012, p. 12)
De plus et l'on aura l'occasion d'y revenir, les accords de commerce préféren-
tiels (Preferential Trade Agreements - PTAs) tendent à proliférer (près de
300 sont actuellement en vigueur) sous la forme de traités bilatéraux ou
régionaux constitutifs de zones de libre-échange qui s'étendent maintenant
aux pays du Sud Est Asiatique (Chine, Corée du Sud, Inde, Japon) jusqu'alors
fort réservés sur ce type d'approche ; et d'aucuns y voient maintenant un
substitut acceptable (voire préférable) au « système OMC ». Plus spécifi-
quement, des groupes de pression particulièrement puissants, notamment
dans le domaine agricole comme les producteurs de coton ou de sucre aux
États-Unis ou les pêcheurs et riziculteurs au Japon ont été à même de
convaincre ces pays de refuser toute libéralisation de ces secteurs bloquant
ainsi les négociations à l'occasion de plusieurs conférences ministérielles
de l'OMC (v. The Economist, ibid.). Enfin, sur un plan purement juridique
mais critique, tant que le Congrès des États-Unis n'aura pas adopté une
législation autorisant comme par le passé le Président à négocier un accord
commercial multilatéral sous les auspices de l'OMC, il n'y a aucune
chance pour que de telles négociations puissent être menées à bien.
TITRE 2

e commerce international
des marchandises

392 Plan Initialement, à l'époque de l'Accord général de 1947 et de la Charte


de La Havane de 1948, le commerce international des marchandises était
appréhendé comme un tout, le régime juridique posé étant uniforme (si
l'on exclut toutefois les « matières premières » ou « produits de base »). Il
en va de même avec le « Système OMC » qui a retenu le principe d'un droit
commun applicable aux échanges portant sur les marchandises (Sous-
titre 2). Toutefois, le poids de l' histoire et des développements nouveaux
allaient conforter, en parallèle, une approche spécifique et sectorielle
(Sous-titre 1) ; celle-ci, tout en réintégrant ou en intégrant de nouveaux
domaines dans la compétence de 1'OMC devait consacrer un certain mor-
cellement du droit international du commerce des marchandises.
SOUS-TITRE 1

L'approche sectorielle
(verticale)
extension et spécificité
du « droit OMC »
393 Plan 0 À l'époque du GATT, deux secteurs économiques importants —
l'agriculture et les textiles — étaient sortis du régime de droit commun : ils
sont désormais réintégrés dans le « Système OMC » mais continuent à
bénéficier, au moins provisoirement, d'un traitement spécifique lequel a
cependant définitivement expiré pour les produits textiles à compter du
1er janvier 2005 (Chapitre 1). Les négociations du Cycle de l'Uruguay par-
vinrent à élargir, ratione materiae le droit international du commerce en
étendant à un secteur qui, pour être périphérique, est néanmoins suscep-
ible d'avoir un impact sur les échanges commerciaux, à savoir les investis-
sements (Chapitre 2).
LES SECTEURS
ÉCONOMIQUES RÉINTÉGRÉS
DANS LE SYSTÈME OMC

Bibliographie
• Sur la question agricole, outre les rapports parlementaires français précités
qui y font une large place, voir : D. Gadbin, L'agriculture et le GATT, in Colloque
de Rennes, op. cit. p. 95 s. ; B. Henry de Frahan, Les enjeux de la libéralisation mon-
diale de l'agriculture, Pol. Etr. 1993. 309 ; G. Legras, L'Uruguay Round et la réforme
de la PAC, Pol. Etr. 1993. 325 ; P. C. Rosenthal and L. E. Duffy, Reforming global
trade in agriculture, in The World Trade Organization : the multilateral trade framework
for the 21st century and US implementation legislation, American Bar Association,
Washington DC, 1996, p. 145 s. Voir aussi les deux études d'impact effectuées par
l'OCDE, Le cycle d'Uruguay : évaluation préliminaire de l'accord sur l'agriculture dans
les pays de l'OCDE, Paris, 1995 et L'accord d'Uruguay sur l'agriculture et les produits
agricoles transformés, Paris, 1997.
• Sur les mesures sanitaires et phytosanitaires, J. J. Barcelo, III, Product stan-
dards to protect the local environment : the GATT and the Uruguay Round Sanitary and
Phytosanitary Agreement, Cornell Int'L.J., 1994, 755 ; M. A. Echols, Sanitary and
phytosanitary measures, in The World Trade Organization : the multilateral framework
for the 21st century and US implementing legislation American Bar Association,
Washington, DC, 1996, p. 191 s. ; A. Tankondo, Organisation mondiale du com-
merce, mesures sanitaires et phytosanitaires, RIDE 1999. 389.
• Sur les textiles et vêtements, Pour les accords multifibres du passé : B. L. Das,
The GATT Multi-Fibre Arrangement, JWTL 1983. 95 ; H. H. Taake and D. Weiss, The
World Textile Arrangement : the exporter's view-point, JWTL 1974. 624.
• Pour leur réintégration au sein de l'OMC : S. Bagchi, The integration of the
textile trade into GATT, JWTL 1994. 31 ; L. S. Hurewitz, Textiles, in The GATT Uruguay
Round : a negotiating history (1986-1992), F. Marrella, L'Organisation mondiale du
commerce et des textiles, RGDIP 2000. 659, T. P. Stewart ed., Deventer Kluwer,
1993, 3 vol. et ici vol. I p. 255-380 (de loin l'étude la plus complète en la matière).

394 L'Accord général de 1947 avait vocation à régir la totalité du commerce inter-
national visible, c'est-à-dire celui portant sur les biens et marchandises. Les
exceptions à ce principe demeuraient dans l'ensemble mineures — du moins
quant à leur portée économique (v. infra sur les exclusions visées par les
art. XX et XXI du GATT). Au cours des ans, deux secteurs économiques
importants — l'ag iculture tout d'abord, puis les textiles — devaient faire
l'objet de traitements particuliers, dérogatoires par rapport au régime géné-
ral posé par le GATT. Or, tant l'agriculture (Section 1) que les textiles (Sec-
ion 2) ont été réintégrés, à terme, si ce n'est immédiatement dans le
Système OMC.
8 L'APPROCHE SECTORIELLE VERTICALE

SECTION 1. L'AGRICULTURE
395 Généralités Les produits de l'agriculture sont une composante impor-
tante du commerce international des marchandises. Sans doute leurs
poids relatif est-il en constante diminution — ce qui s'explique aisément
en raison du phénomène de transformation industrielle qui ne cesse de les
affecter et de la valeur ajoutée humaine qui compte maintenant pour
l'essentiel du prix des produits les plus sophistiqués et les plus complexes
— à commencer par ceux relevant de la haute technologie. Quoiqu'il en
soit, en 1995, les produits agricoles représentaient 10 % du commerce
mondial, soit 500 milliards de dollars.
Il est clair qu'un système commercial international digne de ce nom ne
saurait exclure le secteur agricole en raison de ses spécificités, celui-ci
étant cependant moins apte à être soumis à un régime de libre-échange et
de concurrence que le monde industriel et commercial — par définition
plus mobile et adaptable.
396 L'Accord général de 1947 appréhenda initialement l'agriculture, sans doute
avec quelques spécificités, pour s'en désintéresser progressivement au
cours des ans (§ 1). L'OMC devait revenir sur cet abandon et réintégrer
l'agriculture en son sein tout en lui accordant un régime transitoire (§ 2).
Mieux encore, « l'honnêteté » des échanges agricoles devait être préservée
grâce à la conclusion d'un accord portant sur les mesures sanitaires et
phytosanitaires permettant d'éviter que les barrières non tarifaires en ces
domaines ne viennent arbitrairement entraver le commerce des produits
de l'agriculture (§ 3).

§ 1. L'Accord général de 1947 et l'agriculture


397 Plan 0 En principe, les produits agricoles étaient soumis au même régime
juridique de droit commun que celui applicable aux produits industriels.
Toutefois, il existait une certaine spécificité agricole — bien que limitée (1).
Au cours des ans et de facto, l'agriculture sortit de la juridiction du GATT,
tout en continuant à être — et le paradoxe ne manque pas de frapper — au
centre de nombreuses controverses et conflits commerciaux (2).

1. La spécificité agricole
398 Cette spécificité agricole qui se trouvait dans le « GATT 1947 » sera peut-
être celle de droit commun lorsque le régime transitoire institué par l'OMC
aura pris fin. Elle se caractérise par des règles adaptées dans deux domaines
et seulement dans ces deux là : les restrictions quantitatives et les subven-
ions, si, toutefois, l'on exclut les produits de l'agriculture rentrant dans la
catégorie « hors GATT » des matières premières (v. ss 769). Mais le GATT
allait aussi y ajouter les intégrations économiques régionales.
LES SECTEURS ÉCONOMIQUES RÉINTÉGRÉS DANS LE SYSTÈME OMC 169

a. En matière de restrictions quantitatives


399 Interdiction de principe Les restrictions quantitatives, en raison de
leur effet très néfaste sur le commerce international, sont en principe
illicites au regard du code de bonne conduite commerciale posé par l'Ac-
cord général qui consacre le principe de la protection douanière exclusive.
Toutefois, l'Accord général admettait — sous conditions sans doute — la
licéité des restrictions quantitatives tant en matière d'exportation que d'im-
portation de produits agricoles (art. XI (2)).
400 Licéité en cas de pénurie 0 Un État est fondé à recourir à des restric-
tions quantitatives sur les exportations des produits agricoles dans une
situation critique de « pénurie » (art. XI (2) a)). Dans une telle éventua-
lité, un État est fondé à réserver à son marché national des produits agri-
coles nationaux et à en interdire la vente à l'étranger : charité bien ordon-
née commence par soi-même... C'est ainsi par exemple qu'en août 2010, la
Russie (mais ce pays n'était pas alors membres de l'OMC) devait instaurer
à titre provisoire un embargo sur ses exportations de blé afin de garantir
l'approvisionnement de son marché intérieur et éviter une envolée des
prix du pain et de la farine.
401 Exceptions générales Un État peut aussi recourir à des « prohibitions
ou restrictions à l'importation ou à l'exportation » si elles sont « néces-
saires » pour permettre l'application de normes destinées à la « classifica-
tion » ou au « contrôle de la qualité » ou de la « commercialisation » des
produits agricoles (art. XII (2) b)), toutes mesures qui peuvent également
être couvertes par l'exception générale de l'article XX aux lettres b) et d)
v. ss 741 s.). (Pour une discussion de cette disposition peu souvent invo-
quée, voir le Rapport du Groupe Spécial (panel) de 1988 « Canada —
Mesures affectant l'exportation de harengs et de saumons non préparés », in
Guide des Règles et Pratiques du GATT, op. cit. p. 350-351).
402 Licéité en cas d'organisations gouvernementales des mar-
chés 0 Un État est également fondé, et le cas est de loin le plus fréquent, à
recourir à des restrictions quantitatives sur les importations de produits
agricoles et des pêches d'une manière plus générale (art. XII (2) c)). Bien
que cette exception soit large puisqu'elle couvre les mesures « nécessaires
à l'application de mesures gouvernementales », elle ne constitue cepen-
dant pas un blanc-seing au profit des États qui doivent respecter certains
critères en la matière. Ceux-ci ont été explicités en particulier dans deux
rapports du Groupe Spécial de 1988 (« Japon : Restrictions à l'importation
de certains produits agricoles ») et surtout 1989 (« Canada : Restrictions à
l'importation de crème glacée et de yoghourt ») (y., Guide des Règles et Pratiques
du GATT, op. cit. p. 352-354). Elle reflète largement les préoccupations et
caractéristiques de la législation agricole américaine de l'entre-deux-
guerres (v. J. H. Jackson, World Trade and the law of GATT, op. cit. p. 319).
170 PP OCHE SECTORIELLE VERTICALE

une façon générale, de tels contingentements sont établis dans le


cadre des politiques d'organisation des marchés via des mécanismes adé-
quats de soutien des prix des produits agricoles ou des revenus des agricul-
teurs. Une telle situation est relativement fréquente. Aucun État, sauf la
Grande-Bretagne de la deuxième moitié du xixe siècle, n'a jamais été tota-
lement libre-échangiste en matière agricole. Pour des raisons politiques et
sociologiques tenant au désir de maintenir un équilibre entre les villes et
les campagnes, stratégiques tenant à garder une agriculture puissante et
efficace, nombre d'États (si ce n'est tous) ont, à des degrés divers, protégé
leur marché national par des contingentements et/ou des subventions.
403 De façon pragmatique, l'Accord général de 1947 n'a pu que tenir compte
de cette réalité et l'officialiser. La préoccupation centrale est ici de s'assurer
que ces quotas à l'importation apparaissent bien comme l'une des compo-
santes essentielles et nécessaires des mécanismes nationaux d'organisa-
ion des marchés agricoles et n'en sont point détachables. Ils ne doivent
pas constituer des obstacles arbitraires et injustifiés au commerce interna-
ional destinés à protéger l'agriculture nationale.

b. En matière de subventions
404 Différence avec les produits industriels Les subventions (tant à la
production que surtout à l'exportation) font traditionnellement partie
d'une politique, protectionniste dont elles constituent le volet extérieur.
En effet, après avoir débarrassé les producteurs nationaux de la concur-
rence étrangère grâce à des restrictions quantitatives et les avoir encoura-
gés à produire, les États doivent, en complément, favoriser l'écoulement de
ces produits sur les marchés étrangers. Autant l'Accord général de 1947
était relativement sévère en matière de produits industriels, autant il ouvre
une large possibilité pour les produits agricoles (art. XVI (3)).
En effet, les États peuvent subventionner les exportations agricoles de
leurs producteurs nationaux pour autant que ceux-ci n'en viennent pas à
détenir « plus qu'une part équitable » du marché d'exportation concerné
pour ledit produit.
405 Licéité conditionnelle 0 Or, comment définir ce qu'est une part plus
qu'équitable du marché considéré ? Ce concept ne cessa de poser des diffi-
cultés d'interprétation et d'application dans toute l'histoire du GATT. Aucun
critère concret ne put jamais être établi. Nombre de contentieux agricoles
portèrent sur les subventions et leur légalité ou illégalité en fonction de leur
impact, et il n'y eut que de rares instances où les « panels » furent en
mesure d'aboutir à une conclusion précise : ainsi, dans l'affaire qui opposa
l'Australie à la France en 1958, le « panel » fut-il en mesure de conclure que
le mécanisme français de subvention de certaines céréales avait permis de
conquérir une « part plus qu'équitable du marché » en Asie du Sud-Est en
évinçant les exportateurs traditionnels australiens (v. Guide des Règles et
LES SECTE RS ÉCONOMIQUES RÉI ÉGRÉS DANS LE SYST ME OMC 171

Pratiques du GATT, op. cit., p. 490-491). Mais, dans la totalité des diffé-
rends agricoles qui opposèrent les États-Unis à la CEE à propos de la poli-
tique agricole commune (PAC), il fut impossible d'apporter la preuve que
les subventions communautaires via la technique des restitutions à l'ex-
portation étaient illégales pour avoir franchi cette limite calculée en part
« équitable » de marché.
406 Critères controversés 0 H est à noter que le « code sur les subventions »
adopté en 1979 à l'occasion du Tokyo Round n'apporta guère de lumière en
la matière, faute de précision suffisante des « critères » posés : détourne-
ment des courants d'exportation mais à la lumière de l'évolution des mar-
chés mondiaux et de «tous facteurs spéciaux» concernant le produit en
cause. De fait, les contentieux agricoles (notamment entre les Etats-Unis
et la CEE ou les États-Unis et le Japon), loin de s'atténuer, ne firent que
s'exacerber et sans jamais pouvoir atteindre un règlement satisfaisant.

c. En matière d'intégrations économiques régionales


407 L'Accord général ne vise en rien le commerce des produits agricoles dans
sa réglementation des intégrations économiques régionales (v. ss 714). Il se
contente de poser la règle générale selon laquelle les pays participants tant
aux zones de libre-échange qu'aux unions douanières doivent procéder à
l'élimination de toutes les restrictions douanières ou non-tarifaires por-
tant sur « l'essentiel des échanges commerciaux » (art. XXIV (8)). Or,
qu'en est-il si l'agriculture en tant que telle est exclue du champ d'applica-
tion de ces intégrations, comme ce fut le cas par exemple pour l'Associa-
ion européenne de libre-échange (AELE) instituée par l'Accord de Stoc-
kholm de 1959 ? Le GATT a estimé au cours des ans que l'exclusion totale
ou partielle des produits agricoles du processus de libération des échanges
était licite et ne faisait pas obstacle au jeu de cette exigence commerciale
de type quantitatif — mais non chiffré. Ce fut encore une autre manière
pour marquer la spécificité agricole au sein du GATT.

2. L'exclusion agricole
408 La dérogation américaine de 1955 0 Peu de temps après l'entrée en
vigueur de l'Accord général, les États-Unis adoptèrent des lois qui allèrent
bien au-delà de cette spécificité agricole et qui ne pouvaient pas être justi-
fiées par le régime d'exception de l'article XI. Il en alla ainsi en particulier
de l'article 22 (f) de « l'Agricultural Adjustement Act », interdisant — et ne
se contentant pas de restreindre — l'essentiel des importations agricoles.
Devant cette situation, ils demandèrent — et obtinrent en 1955, une déro-
gation au titre de l'article XXV (5) du GATT les dispensant du respect des
dispositions de l'article XI (et aussi de l'art. II sur le traitement national).
Cette dérogation accordée sans limitation de durée était encore en vigueur
172 PP OCHE SECTORIELLE VERTICALE

lors de la disparition du GATT à la fin de 1994 en dépit des critiques renou-


velées des partenaires des États-Unis à commencer par la CEE.
409 Un domaine conflictuel L'octroi de cette large dérogation fut lourde
de conséquences. Tout d'abord, elle entraîna de facto la sortie de l'agricul-
ture de la compétence du GATT. Ensuite, elle empêcha l'inclusion des pro-
duits agricoles dans les négociations commerciales multilatérales organi-
sées sous les auspices du GATT — au grand dam des principaux pays
exportateurs, développés comme en voie de développement. Enfin, elle
entretint un climat acrimonieux dans les relations commerciales interna-
tionales où la « question agricole » ne cessa de faire l'objet de conflits et
controverses, notamment entre les États-Unis et la CEE : ainsi, les pre-
miers ne manquèrent jamais une occasion de critiquer la politique agricole
commune de la seconde, tandis que la Communauté devait en faire de
même à l'égard de la dérogation accordée aux premiers en 1955 et qui iso-
lait leur marché agricole de la concurrence internationale. Le « Cycle de
l'Uruguay » devait fort heureusement mettre fin à cette situation conflic-
tuelle — du moins provisoirement.

§ 2. La réintégration de l'agriculture dans l'OMC


410 La déclaration ministérielle de Punta Del Este de septembre 1986 lançant
officiellement le « Cycle de l'Uruguay» mentionna expressément l'agri-
culture comme devant être l'un des objets des futures négociations com-
merciales. Ainsi, pour la première fois dans l'histoire des négociations
commerciales multilatérales parrainées par le GATT, la question agricole
devait-elle être abordée, l'idée générale étant de « libéraliser » les échanges
mondiaux en la matière. Compte tenu des forts cloisonnements natio-
naux des marchés agricoles dus à des réglementations spécifiques de sou-
ien des prix ou des revenus des agriculteurs, toute libéralisation supposait
une approche structurelle. Ainsi, pour favoriser l'accès aux marchés il
convenait de réduire les obstacles aux importations (notamment dans le
domaine non-tarifaire via des barrières sanitaires et phytosanitaires), tan-
dis que pour tendre vers un marché « équitable » (et non libre) des pro-
duits agricoles il était nécessaire d'appréhender les mesures de soutien à ce
secteur, autrement dit de porter le fer dans le domaine hautement sensible
des subventions.
411 Après bien des difficultés et des crises qui faillirent même faire capoter les
négociations du « Cycle de l'Uruguay », un accord sur l'agriculture put être
conclu et ainsi se trouver annexé à l'OMC au titre des « accords multila-
téraux sur le commerce des marchandises ». D'une manière générale, la
réintégration de l'agriculture dans le « Système OMC » se manifeste par
l'application de principe du « GATT 1994 » et des autres accords multila-
téraux visés à l'Annexe I-A de l'Accord de Marrakech — sous réserve bien
LES SECTE RS ÉCONOMIQUES RÉI ÉGRÉS DANS LE SYST ME OMC 173

entendu des dispositions spécifiques et dérogatoires de cet accord sur


l'agriculture (art. 21 de ce dernier).
Le caractère de droit commun que constitue le « GATT 1994 » par rap-
port à la spécificité dérogatoire et limitée que représente cet accord a été
bien mis en exergue par l'organe d'appel dans son rapport du 9 septembre
1997 dans l'affaire « Communautés européennes — Régime applicable à la
vente et à la distribution de bananes » (§ 155-158).
412 Compte tenu du caractère hautement technique de cet accord sur l'agricul-
ture, seuls ses principaux éléments caractéristiques seront ici brièvement
examinés. Tout d'abord, en ce qui concerne le facteur temps, cet accord sur
l'agriculture ne constitue qu'une première phase dans un processus de libé-
ralisation qui doit reprendre au-delà de cette période initiale de mise en
oeuvre (1). Ensuite, de façon à rendre plus lisibles et transparents les obs-
tacles aux échanges agricoles, ceux-ci devront être t ansformés en droits de
douanes (2), tandis que des disciplines sous forme d'engagement des pays
membres sont posées pour favoriser l'accès aux marchés (3). De plus, les
pays membres seront amenés à limiter leurs aides internes (4) ainsi que
leurs subventions à l'exportation (5).

1. Le calendrier de libéralisation
413 D'une manière générale, la mise en oeuvre de cet accord devra s'étaler sur
une période de six (6) ans commençant en 1995 (art. 1) (f)). Toutefois, il
en va différemment en ce qui concerne l'engagement de modération (par-
fois qualifiée de « clause de paix ») visé à l'article 13 et qui couvrira une
période de neuf (9) ans.
414 Toutefois, cet accord ne constitue qu'une phase, certes fondamentale,
mais qui n'est que la première dans la poursuite du processus de réforme.
Compte tenu de l'ampleur de la tâche, l'objectif de libéralisation ne pourra
être atteint qu'à long terme ce qui nécessite un processus continu de négo-
ciations. Il est précisé que de nouvelles négociations s'ouvriront un an
avant la fin de chaque période de mise en oeuvre soit en l'an 1999 et
2003 respectivement (art. 20).

2. La transformation des obstacles aux importations


agricoles en équivalents tarifaires
415 Jusqu'alors, les principales barrières aux importations de produits agri-
coles prenaient la forme d'obstacles non tarifaires. Il s'agit là de mesures
gouvernementales de nature administrative qui ont pour caractéristique
commune de ne pas reposer sur des mécanismes de prix. Là comme ail-
leurs, ce sont les obstacles les plus pernicieux au commerce mondial car il
est impossible de les surmonter par les voies normales du marché. D'où
174 PP OCHE SECTORIELLE VERTICALE

idée révolutionnaire de les transformer en droits de douanes selon des


bases de calcul complexes posées par l'accord lui-même (v. art. 4 (2) et
annexe 5 (6) et (10) et l'Appendice de l'Annexe 5).
Les avantages en sont clairs : les droits de douane en effet sont transpa-
rents, aisément identifiables et plus faciles à réduire au cours de négocia-
tions commerciales multilatérales (v. sur ce point le Rapport de l'Organe
d'appel du 23 sept. 2002, WT/DS/207/AB/R, — Chili — Mesures de sauve-
garde appliquées à l'agriculture, § 200).
416 C'est dire que, ce faisant, l'échange portant sur les produits agricoles
rentre dans le droit commun du commerce des marchandises : celui-ci, on
le rappelle, est en effet fondé sur le principe de la protection douanière exclu-
sive. Les restrictions aux importations de produits agricoles en étant quan-
tifiées deviennent ainsi transparentes. C'est déjà là un facteur notable
d'amélioration de l'accès aux marchés (ainsi le Chili fut censuré pour avoir
maintenu sous la forme d'un prélèvement variable assorti d'un prix mini
mal à l'importation une mesure de restriction aux importations qui aurait
dû être convertie en droits de douane proprement dits — voir Chili — Sys-
tème de fourchettes de prix et mesures de sauvegarde appliquées à certains pro-
duits agricoles (article 21.5 — Argentine, Rapport de l'Organe d'appel du
7 mai 2007, WT/DS/2007/AB/RW).

3. L'accès aux marchés


417 Une fois établis les produits agricoles concernés (ils sont visés à l'An-
nexe 1), les droits de douanes devront être consolidés et être réduits de
36 % sur une période de six (6) ans, les pays en développement bénéficiant
d'un délai de dix (10) ans et n'étant tenus qu'à une réduction moindre
(24 %) (v. art. 4 (2) et l'Annexe 5).
418 Une clause de sauvegarde spécifique au-delà de certains seuils de déclenche-
ment, dans le détail de laquelle il ne sera pas entré en raison de sa nature
hautement technique et complexe, a été ménagée (art. 5). On se conten
tera ici d'en mentionner trois caractéristiques essentielles. Tout d'abord le
jeu de cette clause est exclusive du recours aux mesures de sauvegarde de droit
commun du GATT 1994 (art. 5.8 et v. ss 660 s.). En outre, cette clause
continuera à s'appliquer durant tout le processus continu et à long terme
de réforme du commerce des produits, agricoles (art. 5 (9) et 20). Enfin et
surtout sa mise en oeuvre est toujours soumise à des possibilités d'accès
minimales aux marchés de façon à garantir leur ouverture progressive (v.
Annexe 5 (1)).
Ainsi, et le paradoxe est certain compte tenu de l'histoire récente du
commerce des produits agricoles, grâce à cette clause d'accès minimum aux
marchés, il existe maintenant un niveau de sécurité juridique plus élevé
pour les produits agricoles que pour les produits industriels.
LES SECTE RS ÉCONOMIQUES RÉI ÉGRÉS DANS LE SYST ME OMC 75

es disciplines en matière de soutien interne


419 Les mesures de soutien interne constituent l'une des caractéristiques
majeures des politiques agricoles nationales (ou communautaire).
Les pays membres de l'OMC ont pris des engagements en la matière
qui brillent par leur complexité et dont seul ici l'essentiel sera
mentionné.
Les États se sont en effet engagés à convertir leurs mesures de sou-
tien interne en faveur des producteurs agricoles en une « mesure glo-
bale du soutien total » (ou MGS) selon des modes de calcul d'une
grande technicité (art. 6 et surtout l'Annexe 3 qui en donne les para-
mètres). Cette mesure globale de soutien ( MGS) devra être progressi-
vement réduite de 20 % durant la période de mise en oeuvre de six (6)
ans. En outre, et pour ajouter à la complexité du mécanisme, certaines
aides publiques ne rentrent pas dans le calcul de cette MGS totale et
ne sont donc pas soumises au moindre engagement de réduction
(art. 6 (4) et (5) et surtout Annexe 2) : dans l'ensemble, il s'agit des
aides sur fonds publics et qui n'ont pas pour objet de soutenir les prix
aux producteurs. Se trouvent ainsi exclus des « programmes de ser-
vices publics » (comme l'aide à la recherche) ou les mécanismes de
soutien aux revenus des agriculteurs.
À titre d'exemple de la grande complexité de la matière et de la difficulté
d'apprécier la conformité d'une mesure de soutien interne à cet aspect de
l'Accord sur l'agriculture on renverra à l'affaire Corée — mesures affectant
les importations de viande de boeuf fraîche, réfrigérée et congelée (Rapport de
l'organe d'appel du 11 déc. 2000 et les par. 93 à 129).
420 Ces mesures de soutien interne, pour peu qu'elles soient «pleinement
conformes » aux nouvelles dispositions de l'accord sur l'agriculture font
l'objet d'un engagement de modération de la part des pays membres de
l'OMC (art. 13). C'est ce que l'on a parfois appelé « la clause de paix »
agricole par rapport au lourd contentieux
ter antérieur de l'époque du
GATT. Elle a expiré à compter du janvier 2004.
S'il s'agit des mesures de soutien interne exemptées de rentrer dans le
calcul de la MGS (ce qui a été parfois qualifié de « boîte verte » de l'OMC),
donc non soumises à une obligation de réduction, elles ne seront pas
contestables au regard du « GATT 1994 » et, en particulier, elles ne pour-
ront se voir appliquer des droits compensateurs, au titre de la réglementa-
tion des subventions (art. 13 (a)). S'il s'agit des mesures de soutien interne
soumises au régime de la MGS (et autres que de minimis), elles ne pourront
être contestées au titre des subventions et faire l'objet de droit compensa-
teurs qu'en application de l'article VI du « GATT 1994 » — c'est-à-dire en
particulier s'il y a eu dommage (ou menace de dommage). C'est dire que la
contestation demeure possible mais d'une manière limitée et gouvernée
par la « modération » (art. 13 (b)).
76 PP OCHE SECTORIELLE VERTICALE

5. Les disciplines en matière de subventions


à l'exportation
421 Les subventions à l'exportation, plus détectables mais aussi nuisibles en ce
qu'elles portent directement atteinte à la loyauté des échanges, font l'objet
d'un traitement spécial plus strict (Partie V et art. 9 en particulier). Tout
d'abord, elles sont cernées avec plus de précision à partir des techniques utili-
sées par les pouvoirs publics ; ensuite, les pays membres ont pris l'engagement
de les consolider puis de les réduire de 36 % sur la période de mise en oeuvre de
droit commun de six (6) ans, ici encore les pays en développement (sauf les
moins avancés d'entre eux) disposant d'un délai plus long — dix (10 ans) — et
étant tenus à une réduction moindre (24 %) (art. 9 (2) b) iv) et 15).
422 En revanche, elles font l'objet d'une moindre « modération » que les pré-
cédentes (art. 13 c)). Si elles peuvent être passibles de droits compensa-
teurs dans les mêmes conditions, en revanche, elles ne sont pas exemptées
du mécanisme de la « protection des concessions et des avantages » du
« GATT 1994 » (art. XXII).
En bref, cela signifie que, à terme du moins, les produits agricoles se
verront appliquer le régime de droit commun des produits industriels en
matière de subventions à l'exportation qui se verra ainsi réunifié.
423 Malgré une libéralisation certaine au cours des ans, le secteur agricole
demeure fortement marqué par le protectionnisme. Ainsi, d'après une étude
de l'OCDE, en 2004, le soutien à l'agriculture dans les pays riches s'élevait
à 305 milliards de dollars dont 122 milliards pour l'Union européenne et
88 pour les États-Unis. De même, la protection douanière est encore sen-
sible, les droits ad valorem s'élevant à 4 % aux États-Unis, 15 % dans
l'Union européenne et 31 % au Japon ; le phénomène des « pics tarifaires »
y est également très présent, les Etats-Unis taxant par exemple les impor-
tations de sucre à 15 %, tandis que l'Union européenne en faisait autant à
raison de 63 % pour la viande et le Japon 290 % pour le riz ! Or, à côté de
ces barrières non tarifaires visibles, existent également de nombreux obs-
tacles non tarifaires qui tout en étant « invisibles » demeurent de sérieux
obstacles aux échanges. C'est dire que la libéralisation des échanges agri-
coles reste un objectif majeur de la communauté internationale et c'est à
juste titre qu'elle est l'un des objectifs centraux de la négociation commer-
ciale multilatérale en cours ( ?) au sein du « Cycle de Doha » (v. ss 386 s.).

§ 3. Le complément non-tarifaire de l'accord


sur l'agriculture : l'accord sur l'application
des mesures sanitaires et phytosanitaires (AMSP)
424 Le commerce des produits agricoles est souvent entravé par des obstacles
sanitaires et phytosanitaires. La déclaration ministérielle de Punta del
Est de 1986 en faisait d'ailleurs, à juste titre, l'un des objets des futures
LES SECTE RS ÉCONOMIQUES RÉI ÉGRÉS DANS LE SYST ME OMC 7

négociations portant sur l'agriculture. Accord sur l'agriculture et


« Accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires »
apparaissent ainsi comme intimement liés, le premier faisant d'ailleurs
expressément référence au second (préambule et art. 14). En un mot, ces
normes sanitaires et phytosanitaires sont au commerce agricole ce que
les « obstacles (ou normes) techniques » sont au commerce des mar-
chandises (v. infra).
425 L'AMSP qui n'a pas de précédent à l'époque de l'Accord général de 1947 se
situe dans la ligne directe du « GATT 1994 » et de ses exceptions générales
(1). Il pose les droits et obligations fondamentaux en la matière qui consti-
tuent un code de bonne conduite que les pays membres doivent respecter
(2). Il tend également à favoriser une harmonisation internationale de ces
normes en coopération avec d'autres institutions compétentes univer-
selles ou régionales (3). Il prévoit enfin des procédures de contrôle, d'ins-
pection et d'homologation (4).

1. L'accord MSP et le « GATT 1994 »


426 Au titre des exceptions générales de l'Accord général ici intégralement
reprises par le « GATT 1994 », les pays membres de l'OMC peuvent adop-
ter des « mesures nécessaires à la protection de la santé et de la vie des
personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux » (art. XX b)).
Au cours des ans, les parties contractantes du GATT firent un usage crois-
sant de cette exception — notamment dans le domaine des produits agri-
coles : il en alla ainsi dans les causes célèbres que furent en 1990 les « res-
trictions à l'importation de cigarettes » par la Thaïlande et surtout en
1991 et 1994, les « restrictions à l'importation de thon » imposées par les
États-Unis (sur ces affaires qui donnèrent lieu à des rapports de groupes de
travail (Panels), Voir Guide des Règles et pratiques du GATT, op. cit., p. 612-
617) (et voir aussi infra).
427 En la matière, la préoccupation commune posée par le chapeau de l'ar-
ticle XX du « GATT 1994 » est que ces mesures ne constituent pas des
moyens « de discrimination arbitraire ou injustifiable » entre les pays ou
ne soient pas une « restriction déguisée du commerce international ».
L'AMSP se situe clairement dans cette perspective. Toutefois, cet accord
spécifique ne constitue pas une simple interprétation des règles générales
posées par l'article XX (b) précité ; il pose en effet des règles de fond nou-
velles dont le respect est nécessaire pour justifier le recours à cette excep
tion générale. Cet aspect fondamental de l'AMSP devait être mise en
lumière dans le rapport du Groupe Spécial (panel) d'août 1997 sur la
« viande aux hormones » opposant la CEE aux États-Unis et au Canada
(« mesures concernant les viandes et les produits carnés » (hormones) et
« mesures visant les animaux vivants et les viandes » (hormones)) ainsi que
dans celui de l'organe d'appel du 16 février 1998 dans la même affaire.
178 PP OCHE SECTORIELLE VERTICALE

Le code de bonne conduite


428 Les pays membres se voient à la fois reconnaître des droits et imposer des
obligations qualifiés de fondamentaux (art. 2). Tout d'abord, leur compé-
tence de protection est pleinement reconnue (ar . 2 (1)). Dans la même
veine, c'est à eux qu'il incombe de procéder à l'évaluation des risques et de
déterminer le niveau « approprié » de leur protection (art. 5). Toutefois, les
mesures adoptées à cette fin devront être « nécessaires » et surtout « fon-
dées sur des mesures scientifiques » (art. 2 (2)) — sans d'ailleurs que l'un
et l'autre de ces critères ne fassent l'objet de la moindre définition (mais
était-ce possible ?).
Elles devront également être conformes aux prescriptions rappelées
précédemment du chapeau de l'article XX du GATT 1994: absence de
discrimination arbitraire et de restriction déguisée au commerce. Les
mesures de protection devront être transparentes (c'est-à-dire concrète-
ment publiées) et notifiées aux autres membres (art. 7 et Annexe B). Si ces
conditions sont réunies les MSP en cause seront reconnues comme
« équivalentes » c'est-à-dire qu'elles ne feront en principe pas l'objet de
contestations par d'autres pays membres (art. 4). Mutatis mutandis, cette
disposition éveille l'écho du principe de la « reconnaissance mutuelle »
qui a joué un rôle fondamental dans la réalisation du grand marché unique
européen de 1993.
429 Toutefois, le volet «prérogatives nationales» de ce code est de nature à
être affecté par l'harmonisation internationale des normes MSP que cet
accord appelle largement de ses voeux.

3. L'harmonisation internationale des normes MSP


430 L'accord souhaite clairement l'harmonisation internationale et entend
favoriser en la matière l'action d'institutions telles que la Commission du
Codex Alimentarius, l'Office International des épizooties et les organisations
gravitant sous l'égide de la Convention internationale pour la protection des
végétaux (Préambule et art. 3 (4)).
431 Cette référence est importante en ce sens qu'une MSP nationale conforme
à une « norme internationale » posée par ces institutions internationales
est présumée être légitime car représentant le traitement international
commun (art. 3 (2) et 5 (1))
En revanche, si un pays membre souhaite — ce qui est son droit — éta-
blir des normes de protection plus élevées (voire arriver à un niveau «zéro
risque »), il devra le faire (et le démontrer) soit à partir de « justifications
scientifiques » pertinentes (art. 3 (3)) soit en démontrant l'existence d'un
« niveau approprié de protection sanitaire ou phytosanitaire » (art. 3 (3)
et art. 5).
LES SECTE RS ÉCONOMIQUES RÉI ÉGRÉS DANS LE SYST ME OMC 9

Or, tel est bien ici le noeud du problème en matière de dérogation au


respect des normes internationales existantes. La notion de «justification
scientifique », loin d'être claire, est de nature à entraîner des controverses
sans fin via des querelles d'experts. Il en va de même en matière de déter
mination du « niveau approprié » des risques. Ces concepts imprécis et
subjectifs ont été au centre des différends commerciaux précités qui ont
opposé en 1997 au sein de 1'ORD, la CEE d'une part et les États-Unis et le
Canada d'autre part, à propos de la viande traitée aux hormones et que la
Communauté se refusait à importer pour des raisons tenant à la santé
publique.
Dans l'affaire des « hormones » de 1998 précitée, l'organe d'appel
devait donner son interprétation (pas toujours convaincante, on y
reviendra) de certaines de ces dispositions clés de l'accord SPS. La norme
interne conforme à la norme internationale de référence bénéficie d'une
présomption (réfragable) de compatibilité avec l'accord SPS (§ 170) ;
celle qui est seulement établie « sur la base » d'une telle norme ne béné-
ficie d'aucune présomption de compatibilité, mais c'est au plaignant
d'en prouver la contrariété (§ 171) ; quant à celle qui est plus élevée (et
rien n'interdit aux États d'en adopter afin d'arriver à un niveau supé-
rieur de protection, voire à un risque « nul »), c'est à l'État qui l'a adop-
tée d'en apporter la « justification scientifique » (art. 3.3 de l'accord
SPS) tout en satisfaisant aux exigences posées par l'article 5. 1 à 8 de
l'accord SPS relatives au « niveau approprié de protection », ce qui est
une condition supplémentaire non posée par les textes et hautement
contestable (l'organe d'appel, gêné par sa propre interprétation, devait
s'en défendre de façon assez faible (v. les § 176 et 177).
Dans cette affaire, si l'interprétation de l'organe d'appel de l'article 3.3
du SPS à l'une des dispositions de l'article 5 (en particulier du point 1)
est regrettable, en revanche les précisions apportées à l'examen des cri-
tères posés aux articles 5.5 et 2.3 (différences de protection non arbi-
traires, non injustifiables et ne constituant pas les restrictions déguisées
aux échanges) méritent l'approbation et sont à rapprocher des mêmes
efforts entrepris pour circonscrire la portée trop large de concepts ana-
logues utilisés par le « chapeau » de l'article XX concernant les excep-
tions générales (y. ss 775 s.)
Cette approche devait être suivie par la suite dans l'affaire « Japon —
mesures visant les produits agricoles » : dans son rapport du 22 février
1999 (WT/DS 76/DP/R), l'organe d'appel devait bien reconnaître aux
États le droit de s'appuyer sur un principe général de précaution mais tout
en les obligeant en fixant leur niveau de protection à s'appuyer sur des
preuves scientifiques suffisantes, c'est-à-dire présentant un « lien
rationnel et objectif » (§ 84) avec la mesure sanitaire en cause (v. pour
une analyse d'ensemble, « Le principe de précaution », LPA, n°239,
30 novembre 2000).
180 PP OCHE SECTORIELLE VERTICALE

432 Cet aspect central de l'Accord MSP entraîne deux remarques générales
d'importance. La première tient aux rapports pour le moins curieux éta
buis entre le Droit et la Science : en attachant un tel poids aux « justifica-
tions scientifiques », il est fait échec aux règles juridiques normales en
matière de preuve ; le pays qui prétendra s'écarter des « normes internatio-
nales » devra, pour se justifier, apporter la preuve « scientifique » de leur
inadéquation : la charge de la preuve ne devrait pas être renversée au nom
de la science dont on connaît le caractère approximatif et changeant (v.,
par exemple, les nombreux arguments échangés par les États-Unis et le
Japon sur le « feu bactérien » éventuellement contenu dans certaines
pommes exportées du premier pays dans le second — Japon — Mesures
visant l'importation des pommes, Rapport du groupe spécial du 15 juillet
2003 et Rapport de l'Organe d'appel du 26 nov. 2003, VVT/DS245/AB/R)
La seconde, déjà présentée mais qui prend ici tout son relief, a trait à
l'aspect « mosaïque » que revêt encore le « Système OMC » (v. ss 374). En
effet, en matière de MSP, il est expressément fait référence aux « normes »
établies par les autres institutions internationales compétentes : dès lors,
comment se concilieront ces normes établies dans une pluralité d'ins-
tances internationales et soumises, qui plus est, à des mécanismes spéci-
fiques de règlement des différends ? Nul ne le sait. Sur ce dernier point,
l'accord prévoit que les recours de droit commun à l'ORD ne sauraient
porter atteinte aux droits des pays membres de recourir à d'autres méca-
nismes spécifiques de règlement des différends conventionnellement ins
titués (art. 11 (3)). C'est ainsi créer un situation parfaite de « forum shop-
ping» pour les pays membres, ceux-ci étant amenés à « arbitrer» entre les
instances compétentes et à choisir celle qui, à leurs yeux, serait la plus
favorable à leur cause (sur ce type de conflit entre normes sanitaires inter-
nationales et règles de l'OMC, voir N. Covelli et V. Hohot, The health
regulation of biotech foods under the WTO Agreements, JIEL 2003-773).

4. Contrôle, inspection et homologation


433 Pour s'assurer du respect de leur réglementation sanitaire et phytosani-
taire, les États sont fondés à mettre sur pied des procédures de contrôle,
d'inspection et d'homologation (art. 7 et Annexe C). Si cette compétence
ne leur est pas contestée, encore faut-il qu'ils l'exercent d'une manière qui
ne constitue pas une entrave arbitraire et injustifiée aux importations et
donc aux échanges commerciaux. À cette fin, le grand principe dominant
la matière est celui de l'application du traitement national ce qui interdit
toute discrimination entre produits nationaux et importés « similaires ».
Les procédures devront être transparentes, nécessaires à la poursuite de
leur mission, proportionnelles quant aux contraintes imposées aux pro-
duits étrangers et contestables en justice.
434 Agriculture et cycle de Doha 0 Dans un tel contexte, il n'est pas sur-
prenant que l'ag iculture ar ive en tête du « programme de travail »
LES SECTE RS ÉCONOMIQUES RÉI ÉGRÉS DANS LE SYST ME OMC 181

avancé par la déclaration ministérielle de Doha de novembre 2001. Les


objectifs sont ambitieux puisqu'ils visent « des améliorations substan-
tielles de l'accès aux marchés, des réductions de toutes les formes de sub-
ventions à l'exportation en vue de leur retrait progressif et des réductions
substantielles du soutien interne ayant des effets de distorsion des
échanges ». Et, sans surprise, comme par le passé, le volet agricole n'a pas
manqué d'être l'un des domaines où les négociations commerciales mul-
tilatérales ont été les plus rudes et les plus acrimonieuses parvenant même
à les bloquer lors de plusieurs conférences ministérielles.
435 Une source de contentieux fréquents 0 Ce nouveau régime de l'agri-
culture et de la protection sanitaire et phytosanitaire, même s'il constitue
un progrès appréciable par rapport à la situation prévalant à l'époque du
GATT est loin d'avoir fait disparaître les contentieux en la matière. En
effet, ces deux secteurs ont été à l'origine du plus grand nombre de diffé-
rends jusqu'ici soumis à l'ORD : ainsi au r novembre 2012, un peu
moins du tiers (109 sur 452) des affaires portées devant l'ORD concernait
l'agriculture (60 cas) et les mesures sanitaires ou phytosanitaires de pro-
tection (49 cas).

SECTION 2. LES TEXTILES ET VÊTEMENTS


436 Le commerce des produits textiles et des vêtements, bien que moins
important que celui concernant les produit agricoles n'est pas négligeable :
en effet, à eux deux (et ils sont sensiblement équivalents), ils ont repré-
senté 6 % du commerce mondial en 1995 — ce pourcentage étant resté
constant depuis lors .
437 Historiquement, ce secteur est d'importance cruciale car il a constitué
l'un des deux piliers de la révolution industrielle à côté du charbon et de
l'acier. Et il reste aujourd'hui associé à l'impératif de développement éco-
nomique des nations dont il constitue l'une des premières phases en ce
sens qu'il nécessite peu de capital et de technologie et qu'il repose essen-
tiellement sur une main-d'oeuvre abondante et à faible coût. Autrement
dit, il constitue pour les pays en développement ou en transition un
domaine vital où ils possèdent un avantage compétitif certain.
438 Faute de particularités propres comme les matières premières (ou produits
de base), les produits tex iles devaient tout naturellement être appréhen-
dés par le GATT de 1947 au même titre que les autres produits de l'indus-
trie. Pourtant, cette banalisation allait être de courte durée.
439 Dès 1961, un accord dérogatoire établi en marge du GATT - et ce fut
l'un des premiers exemples du fameux mécanisme dit du « GATT à la
182 PP OCHE SECTORIELLE VERTICALE

carte » - devait poser un régime dérogatoire pour le commerce interna-


ional des textiles de coton. Puis, en 1973, un accord de même nature
mais beaucoup plus large en portée devait être conclu avec « l'Accord
multifibres » (AMF). Ce dernier devait rester en vigueur jusqu'au t jan-
er

vier 1995 - date du début du fonctionnement de la nouvelle Organisa-


tion Mondiale du Commerce.
440 L'AMF était en soi une sorte de mini-GATT fondé sur des principes dif-
férents et disposant d'une structure institutionnelle propre. Sa philoso-
phie économique reposait en effet sur l'idée de libre-échange « orga-
nisé » pour reprendre une expression chère à l'ancien Premier ministre
français Raymond Barre. De la sorte, le commerce international sur les
produits textiles (naturels comme synthétiques) était encadré par des
accords bilatéraux d'autolimitation conclus entre pays exportateurs et
pays importateurs qui n'étaient autres que des restrictions quantitatives
n'osant pas dire leur nom. De plus, une clause spécifique mais large de
désorganisation du marché permettait aux pays importateurs de blo-
quer effectivement et rapidement des importations jugées indésirables.
En outre, l'AMF disposait de ses propres organes de gestion, de sur-
veillance et même de règlement des différends.
441 Les négociateurs du « cycle de l'Uruguay» tombèrent vite d'accord pour
réintégrer ce secteur dans le système commercial « intégré » chapeauté
par la nouvelle OMC. En l'espèce, cette réintégration ne pouvait être que
progressive compte tenu des intérêts en jeu tant dans les pays en dévelop-
pement que dans les pays développés qui devaient s'adapter à cette nou-
velle donne les exposant à une concurrence accrue. Un accord spécifique
- l'Accord sur les textiles et les vêtements (ATV) - intégré à l'OMC remplaça
ainsi l'ancien AMF et organisa une soumission progressive de ce secteur au
droit commun du commerce mondial, laquelle devait être totale à comp-
ter du 1" janvier 2005.
442 Désormais, depuis cette date butoir, les textiles et les vêtements ne présen-
tent plus de singularité juridique propre. Ce n'est pas dire pour autant
qu'ils soient entièrement banalisés : des accords de contingentement
demeurent au titre de la clause de sauvegarde négociée lors de l'admission
de la Chine à l'OMC, tandis que les droits de douanes y restent en moyenne
deux fois plus élevés qu'ailleurs et que ce secteur constitue l'un des
domaines d'élection des procédures destinées à lutter contre le dumping.
443 à 454 Réservés
L'INCLUSION
D'UN NOUVEAU SECTEUR :
LES INVESTISSEMENTS LIÉS
AU COMMERCE
DES MARCHANDISES

Bibliographie
• Sur les mesures concernant les investissements et liées au commerce (MIC) :
W. A. Fennell and J. W. Tyler, Trade-related investment measures, in The Uruguay Round :
a negotiating history (1986-1993), Deventer, Kluwer, vol. Il, 1993, p. 1997 s. ; R Juillard,
L'accord sur les mesures concernant l'investissement et liées au commerce, in Colloque
de Nice, op. cit. p. 113 s. ; Chronique de droit international économique, AFDI
1993. 784 s. ; P. M. Price and P. B. Christy, III, Agreement on trade-related investment
measures (TRIMS) : limitations and prospects for the future, in The World Trade
Organization : the multilateral trade framework for the 21st century, Washington DC,
1996, American Bar Association, p. 439 s. ; P. Sauve, A first look at investment in the
Final Act of the Uruguay Round, JWT 1994. 5 s. ; R. Scheibach, Foreign direct investment,
in Colloque de Bruges, op. cit. p. 445 s. ; A. Tankoano, Le projet d'accord relatif aux
mesures concernant les investissements et liées au commerce (TRIM), DPCI 1993. 264 s.

455 Généralités o L'accord sur les mesures concernant les investissements et


liées au commerce » (MIC ou TRIMS selon ses initiales anglaises plus
connues pour « trade related investment measures ») fait partie des accords
multilatéraux sur le commerce des marchandises insérés à l'annexe I A des
Accords de Marrakech constitutifs de l'OMC et dont le respect s'impose à
tous les Membres de la nouvelle institution. Cet accord constitue l'une des
originalités marquantes du nouveau « Système OMC ».
Il est destiné à faire face à cette pratique courante de nombre de pays (et
les plus développés d'entre eux y ont souvent cédé) conditionnant l'admis-
sion des investissements étrangers à la réalisation d'objectifs commer-
ciaux précis (ce qui a été couramment qualifié d'obligations de résultats ou
« performance requirements »).
Tout un chacun semblait se satisfaire de cette situation jusqu'à la surve-
nance dans le début des années 1980 du premier litige entre les États-Unis
et le Canada à être soumis au GATT et qui soulevait clairement le pro-
blème de la licéité de ce type de lien obligatoire établi par la législation du
pays d'accueil à l'égard des investisseurs privés étrangers (Section 1). Ce
différend et la solution qui lui fut donnée à l'époque devaient se retrouver
ns les nouvelles règles posées par l'OMC en matière de MIC (Section 2).
184 PP OCHE SECTORIELLE VERTICALE

. LE PRÉCÉDENT : LE DIFFÉREND
ÉTATS-UNIS/CANADA DEVANT LE GATT
456 Plan Ce litige qui trouva sa source dans la manière dont le Canada
entendait appliquer sa loi relative aux investissements étrangers (§ 1) sou-
levait au préalable le problème de la compétence du GATT pour en
connaître (§ 2). La question ayant été dans l'affirmative, le Groupe Spécial
(panel) saisi apporta une solution nuancée aux problèmes de fond soule-
vés (§ 3).

§ Naissance du différend
457 Le différend entre les États-Unis et le Canada est né de la pratique admi
nistrative que le Gouvernement d'Ottawa avait greffée sur la loi cana-
dienne de 1973 relative aux investissements internationaux. En effet, les
autorités compétentes avaient pris l'habitude d'exiger des investisseurs
internationaux que ceux-ci souscrivent, avant que l'autorisation d'effec-
tuer l'opération envisagée leur soit accordée, des engagements de trois
ordres : engagements de fabrication au Canada ; engagements d'approvi-
sionnement au Canada ; et enfin, engagements d'exportation hors du
Canada. Le Gouve nement des États-Unis, estimant que ces pratiques
administratives étaient attentatoires à un certain nombre de règles de
l'Accord général, demanda au Canada l'ouverture de consultations sur la
base de l'article XXII § 1. Ces consultations n'ayant pas abouti, les États-
Unis engagèrent la procédure que prévoit l'article XXIII § 2.

§ 2. Compétence du GATT
458 Le mandat donné au Groupe Spécial avait été soigneusement pesé. Il ne
pouvait s'agir d'examiner, dans leur ensemble, les dispositions de la loi
canadienne. Le GATT, en effet, ne possède pas de compétences en matière
investissement international. Le mandat se bornait donc à changer le
Groupe Spécial constitué à cet effet...
D'« examiner, à la lumière des dispositions de l'Accord général en l'espèce, la
question portée devant les parties contractantes par les États-Unis, au sujet de
l'administration de la loi canadienne sur l'investissement étranger, pour ce qui
concerne les achats de marchandises au Canada par certaines entreprises soumises
à ladite Loi ».

459 Le problème de la compétence du GATT, on s'en doute, fut soulevé in


limine, certains pays en développement manifestant, à cet égard, de fortes
réserves. Le Groupe Spécial, sur ce point, se rallia à la thèse américaine,
que ne combattait pas le Canada : dès lors qu'il ne s'agissait pas d'exami-
ner la loi canadienne sur l'investissement international, mais les pratiques
administratives qui, greffées sur cette loi canadienne, avaient un effet sur
LES INVESTISSEMENTS LIÉS AU COMMERCE DES MARCHANDISES 185

le commerce inte national, le mandat avait été valablement donné au


Groupe Spécial. Celui-ci adopta donc, le 7 février 1984 un rapport minu-
ieusement balancé, et qui, en reconnaissant que certaines, et certaines
seulement, parmi les pratiques considérées, affectaient le commerce inter-
national, pose les bases du futur accord sur les MIC.
460 Le Groupe Spécial rappelle que l'Argentine a exposé ses vues devant lui.
Ces vues sont celles des Pays du Sud, qui n'entendaient pas renoncer aux
prérogatives reconnues aux Pays en développement :
« L'Argentine a déclaré, en outre, que le différend soumis au Groupe Spécial
mettait en jeu deux parties contractantes développées. Les dispositions et arguments
avancés à l'encontre du Canada ne sont pas nécessairement ceux qui pourraient
être légitimement invoqués à l'encontre de Pays en voie de développement, étant
donnée la protection que ces pays ont le droit d'accorder, au titre de l'Accord général,
à leurs branches de production en développement. L'Argentine a demandé au Groupe
Spécial de tenir compte de cet élément dans ses délibérations. »
Le Groupe Spécial n'y manquera pas, en reconnaissant que dans les
différends où apparaissent des parties contractantes peu développées, il
convient de tenir compte des dispositions de l'Accord général relatives à
ces pays (telles que l'art. XVIII C).
461 Les États-Unis demandaient au Groupe Spécial d'examiner la compatibi-
lité à l'article III, § 4 et § 5 de l'Accord général, les engagements aux termes
duquel les investisseurs devaient assurer certaines fabrications au Canada,
dans le cadre d'une politique de substitution aux importations. Le Groupe
Spécial refusera de faire droit à cette demande dans les termes suivants :
«Le Groupe Spécial a considéré que l'examen que demandaient les États-Unis
des engagements de fabriquer des produits qui, autrement, seraient importés, n'en-
trait pas dans son mandat, qui ne mentionne que «les achats de marchandise au
Canada et/ou les exportations de marchandises du Canada ». Par conséquent, il
n'a pas examiné cette question ».

§ 3. L'examen au fond : une analyse nuancée


462 Le Groupe Spécial, en conséquence, n'a eu à examiner que deux types
d'engagements : les engagements d'approvisionnement au Canada ou
auprès d'entreprises canadiennes, et les engagements d'exportation du
Canada.

a. Les engagements d'approvisionnement


463 Pour ce qui concerne les engagements d'approvisionnement, le Groupe
Spécial considère qu'ils ne sont pas compatibles avec l'article III § 4, qu'il
s'agisse de l'engagement de s'approvisionner au Canada ou de l'engage-
ment de s'approvisionner auprès d'entreprises canadiennes : car ces enga-
gements ne permettent pas d'assurer que les produits originaires des autres
parties contractantes recevront le même traitement que les produits
186 PP OCHE SECTORIELLE VERTICALE

canadiens. Pour ce qui concerne les engagements chiffrés, en volume,


approvisionnement au Canada, les États-Unis faisaient valoir qu'ils
s'analysaient en une réglementation quantitative concernant la transfor-
mation ou l'utilisation intérieure de certains produits, et que, par suite, ils
étaient contraires à l'article III § 5. Le Groupe Spécial n'a pas suivi l'argu-
mentation américaine, estimant qu'aucune « raison suffisante » ne lui
permettait d'affirmer que ces engagements étaient incompatibles avec
l'article III § 5 ; mais qu'au demeurant, ils n'en étaient pas moins incom-
patibles avec l'article III § 4. Exit, par conséquent, l'article III § 5. Les États-
Unis, pour finir, demandaient au Groupe Spécial d'examiner la compati-
bilité des engagements d'approvisionnement avec l'article XI § 1 qui
prohibe les restrictions quantitatives à l'importation. Le Groupe Spécial,
« notant que les engagements en matière d'achat n'empêchent pas l'importation
de produits en tant que telle, est arrivé à la conclusion qu'ils ne sont pas incompa-
tibles avec l'article XI § 1. »

464 Aux termes du Rapport du Groupe Spécial, l'incompatibilité ne joue donc


qu'au regard de la seule disposition de l'article III § 4 : les engagements
d'approvisionnement ne sont pas incompatibles ni avec l'article III § 5, ni
avec l'article XI § 1.

b. Les engagements d'exportation


465 Le sort des engagements d'exportation sera beaucoup plus rapidement
réglé, les États-Unis, il est vrai, faisant valoir leur incompatibilité avec le
seul article XVII § 1 (c). Le Groupe Spécial, à ce sujet, relève que l'article
considéré se borne à préciser l'obligation faite aux entreprises, par l'ali-
néa (a), de se conformer au principe général d'interdiction des discrimina-
ions en matière commerciale. Il faudrait donc que le Groupe Spécial
détermine
« si le Canada, lorsqu'il subordonne l'acceptation de projets d'investissements à
la condition que l'investisseur exporte une certaine quantité ou proportion de sa
production, enfreint l'un quelconque des principes généraux de non-discrimination
que comporte l'Accord général. Le Groupe Spécial a constaté que rien dans ledit
Accord n'interdit les prescriptions imposant de vendre les marchandises sur les
marchés étrangers plutôt que sur le marché intérieur. En particulier, l'Accord général
ne fait pas obligation aux parties contractantes d'empêcher les entreprises de pra-
tiquer le dumping. Le Groupe Spécial est donc d'avis que le Canada, lorsqu'il subor-
donne l'autorisation d'investissements étrangers à la condition que les investisseurs
exportent une certaine quantité ou proportion de leur production, n'enfreint aucun
des principes du traitement non discriminatoire que prescrit l'Accord général en
ce qui concerne les mesures gouvernementales touchant les exportations des négo-
ciants privés. C'est pourquoi l'article XVII 1 (c) n'est pas applicable aux engagements
d'exportation en cause ».

466 Les conclusions qui se dégagent du Rapport du Groupe Spécial sont donc
claires : les engagements de fabrication sont hors la compétence de l'Ac-
cord général ; les engagements d'approvisionnement sont incompatibles
LES INV TISSEM NTS LIÉS AU COMMERCE DES M RCHA DIS 187

avec l'article III § 4 ; les engagements d'exportation ne tombent sous le


coup d'aucune incompatibilité.

L'ACCORD DE L'OMC
SECTION 2.
RELATIF AUX MESURES CONCERNANT
LES INVESTISSEMENTS ET LIÉES
AU COMMERCE (MIC)
467 La déclaration de Punta del Este prévoyait que les négociations multilaté-
rales devraient permettre l'élaboration des « dispositions complémen-
taires » qui s'avéreraient nécessaires afin d'éliminer les distorsions et res-
trictions affectant les échanges, et résultant des législations ou
réglementations internes qui, apparemment, n'intéressent que l'investis-
sement international.
C'est sur la base de ce mandat que fut élaboré l'accord « MIC » : celui-ci
définit les mesures concernant les investissements liées au commerce
(§ 1) en même temps qu'il en pose le régime juridique (§ 2).

§ 1. Définition des mesures


468 Une mesure créant des effets de droit Qu'est-ce qu'une mesure
concernant les investissements et liée au commerce ? L'accord MIC n'en
donne pas une définition de caractère général, mais procède par voie d'il-
lustrations particulières, données à titre indicatif. Mais on peut, en se
référant au texte, essayer de préciser ce dont il est question.
469 Il doit s'agir d'une mesure. Par mesure, il faut bien évidemment entendre
mesure interne, c'est-à-dire mesure prise par un Membre, donc par un
État contractant, agissant isolément dans le cadre de son ordre interne.
Peu importe que cette mesure résulte de la législation ou de la réglementa-
ion internes : peu importe que cette mesure vise généralement une col-
lection d'assujettis ou spécialement un assujetti : il faut et il suffit que l'on
se trouve en présence d'un acte destiné à produire des effets de droit.
470 Il faut se demander ce qu'est une mesure destinée à produire des effets de
droit. L'annexe à l'accord, sur ce point, fournit quelques précisions intéres-
santes. Ce sont, d'une part, les mesures « qui sont obligatoires ou qui ont
force exécutoire en vertu de la législation nationale ou des décisions
administratives », et, d'autre part, les mesures « auxquelles il est néces-
saire de se conformer pour obtenir un avantage ». Les mesures qui sont
obligatoires ou qui ont force exécutoire ne soulèvent guère de problèmes :
tout au plus peut-on souligner que les mesures obligatoires n'ont pas
188 PP OCHE SECTORIELLE VERTICALE

nécessairement force exécutoire ; mais qu'il n'est pas nécessaire qu'une


mesure obligatoire ait force exécutoire pour tomber sous le coup des pro-
cédures conventionnelles. En revanche, les mesures auxquelles il est
nécessaire de se conformer pour obtenir un avantage n'entrent ni dans la
catégorie des mesures obligatoires, ni dans la catégorie des mesures de
force exécutoire : nul n'est jamais tenu de solliciter les avantages, au
demeurant facultatifs, qui résultent de la législation ou de la réglementa-
ion internes. Mais tout le réalisme du droit international économique
apparaît ici : si nul n'est jamais tenu de solliciter un avantage, tous feront
le nécessaire pour l'obtenir, parce que l'obtention de cet avantage contri-
buera au départage des uns et des autres dans la concurrence internatio-
nale économique. A cet égard, on peut donc dire de la « mesure à laquelle
il est nécessaire de se conformer pour obtenir un avantage », qu'elle est
d'effet équivalent à une «mesure obligatoire » ou à une « mesure de force
exécutoire », en ce qu'elle amènera « nécessairement » le destinataire à se
conformer aux comportements qu'elle définit.
471 S'il est nécessaire que l'on se trouve en présence d'une mesure destinée à
produire des effets de droit, encore faut-il souligner que cette condition
n'est pas suffisante. L'autorité qui a édicté la mesure doit l'avoir effective-
ment appliquée. En d'autres termes, la mesure considérée doit avoir produit
ses effets de droit. L'édiction d'une MIC, en elle-même et par elle-même,
ne déclenche pas la mise en oeuvre des procédures conventionnelles ;
c'est l'application de cette MIC qui seule, joue le rôle de facteur déclen-
chant (art. 2.1).
472 Il s'agit d'une mesure prise par un Membre, c'est-à-dire par un État contrac-
tant. Mais les rédacteurs ont percé la fiction juridique de l'unité de l'État :
tombent en effet sous le coup de l'accord MIC les mesures prises par les
États Membres de l'État fédéral, ainsi que par les administrations locales
ou régionales de l'État centralisé ou décentralisé (art. 6.2). On comprend
que cette précision a dû soulever certaines difficultés, au cours de la négo-
ciation, et, notamment, du côté des États-Unis d'Amérique.
473 Une mesure concernant les investissements 0 Comme leur déno-
mination l'indique, les mesures considérées ne peuvent être que des
mesures concernant les investissements. Bien que la chose ne soit pas claire-
ment dite, il ne s'agit pas ici de tous les investissements, nationaux comme
internationaux ; il s'agit des seuls investissements internationaux. Et
encore ne s'agit-il pas de tous les investissements internationaux ; il s'agit
des seuls investissements constitués par les ressortissants d'un Membre
sur le territoire d'un autre Membre. Les mesures concernant ces investis-
sements doivent s'entendre, au sens de l'accord MIC, des mesures qui
limitent le droit à la libre gestion de l'investissement, en imposant au
gestionnaire certaines obligations que, précisément, il n'aurait pas lui-
même souscrites dans le cadre de cette libre gestion. Mais les mesures qui
LES INV TISSEM NTS LIÉS AU COMMERCE DES M RCHA DIS 189

limitent le droit à la libre gestion de l'investissement peuvent trouver une


contrepartie dans les avantages particuliers qui seraient consentis à l'in-
vestisseur : il ne faut donc pas poser en principe que toute MIC est désa-
vantageuse à l'investisseur.
474 Une mesure liée au commerce Les mesures auxquelles se trouve
ainsi assujetti l'investissement sont des mesures liées au commerce. Encore
faut-il, là aussi, apporter les précisions indispensables : toutes les mesures
liées au commerce ne sont pas ici en cause. Les mesures visées sont les
mesures qui affectent le commerce international des marchandises en
violation des principes fondamentaux sur lesquels repose le système inter
national commercial, tels qu'ils s'expriment à travers l'OMC. Ce sont
donc des mesures qui contreviennent du « Système OMC », mais de façon
détournée, en ce sens qu'elles ne résultent pas de la législation ou de la
réglementation qu'édictent les Membres en matière de commerce interna-
ional, mais qu'elles résultent de leur législation ou de leur réglementation
applicable à l'investissement international. C'est ce détournement qui,
parce qu'il dissimule une atteinte aux principes de l'OMC, rend donc
nécessaire l'élaboration d'un instrument conventionnel destiné à éliminer
ces pratiques.
475 Principes visés 0 Il semblerait, de prime abord, que les principes fonda-
mentaux du système international commercial dont l'accord MIC se pro-
pose ainsi d'assurer le respect soient seulement au nombre de deux. Ce
seraient d'une part, le principe du traitement national, tel qu'il résulte de
l'article III : 4, et d'autre part, le principe de l'élimination des restrictions
quantitatives, tel qu'il résulte de l'article XI : 1 du « GATT 1994 ». Cette
interprétation se fonde sur la rédaction de l'article 2, § 1 (traitement
national et restrictions quantitatives) de l'accord MIC, aux termes duquel
« aucun Membre n'appliquera de MIC qui soit incompatible avec les dispo-
sitions de l'article III ou de l'article XI du GATT ». Mais cette interprétation
fait bon marché de la clausule introductive de l'article 2 § 1, qui réserve les
« autres droits et obligations résultant du GATT de 1994» — disposition
qui implique que l'atteinte, par une MIC, à « une autre obligation » que
celles qu'édictent les articles III et XI, pourrait aussi entraîner mise en
oeuvre des procédures conventionnelles.
476 Liste indicative L'accord fournit une liste indicative de MIC qui, aux
termes de l'article 2 § 2, sont « incompatibles avec l'obligation d'accorder
le traitement national prévu à l'article III : 4 du GATT de 1994, et l'obliga-
ion de procéder à l'élimination générale des restrictions quantitatives
prévues à l'article XI : 1 du GATT de 1994 ». Que faut-il comprendre par
liste indicative ? C'est une liste qui ne se veut pas limitative ; elle procède
donc non par voie d'énumération, mais par voie d'illustration. Mais la
rédaction de l'article 2 § 2 de l'accord montre bien que les négociateurs ont
cantonné ces illustrations aux seules MIC « incompatibles » avec les
190 PP OCHE SECTORIELLE VERTICALE

articles II 1. : 4 et XI : 1. On peut donc en déduire deux conséquences.


D'une part, le choix des illustrations que donne la liste indicative semble
indiquer que l'accord ne condamne que les seules MIC qu'il énumère,
parce que ce sont les seules qui seraient incompatibles avec les articles III :
4 et XI : 1. Mais d'autre part, ces illustrations ne sont jamais que des illus-
rations, et elles ne préjugent donc pas de ce que serait la position des
instances de l'OMC, vis-à-vis, d'autres MIC qui pourraient, elles aussi, se
révéler incompatibles avec l'article III : 4 ou avec l'article XI : 1.
477 La liste indicative se subdivise donc, tout naturellement, en deux éléments :
d'un côté les MIC qui sont incompatibles avec l'obligation d'accorder le
traitement national ; de l'autre côté, les MIC qui sont incompatibles avec
l'obligation de procéder à l'élimination des restrictions quantitatives.
- Les mesures incompatibles avec l'obligation d'accorder le traitement natio-
nal sont au nombre de deux. Ce sont, d'une part, les mesures qui obligent
l'entreprise à acheter ou à utiliser des produits d'origine nationale ; et,
d'autre part, les mesures imposant à l'entreprise de respecter une corréla-
tion entre acquisition ou utilisation de produits importés et volume ou
valeur des produits exportés.
- Les mesures incompatibles avec l'obligation de procéder à l'élimination
générale des restrictions quantitatives sont au nombre de trois. La première
consiste à restreindre l'importation, par une entreprise, de produits ayant
un lien avec sa production locale, soit qu'elle opère en établissant une
corrélation entre l'importation, d'un côté, et le volume ou la valeur des
exportations, de l'autre côté. La deuxième consiste à restreindre l'impor-
tation, par une entreprise de produits ayant un lien avec sa production
locale, en établissant une corrélation entre le montant des devises qu'elle
peut se procurer à cet effet et le montant des rentrées de devises qui sont
liées à son activité. La troisième consiste à restreindre les capacités d'ex-
portation d'une entreprise à des produits déterminés ; à un volume ou à
une valeur déterminés de sa production ; ou à une proportion déterminée
du volume ou de la valeur de sa production locale.
478 Critiques La liste indicative, dans son actuelle rédaction, a, d'ores et
déjà, fait l'objet d'un certain nombre de critiques. La principale d entre
elles vise le fait que, parmi les mesures citées, ne figure aucune des mesures,
pourtant fort nombreuses, qui imposent aux entreprises de respecter cer-
taines exigences quantitatives — en volume ou en valeur — s'agissant de
leurs exportations. La critique est d'autant plus justifiée que le droit des
investissements, de son côté, manifeste des réticences de plus en plus
grandes vis-à-vis des « performance requirements » : il suffit, à cet effet, de
renvoyer aux Principes Directeurs de la Banque Mondiale pour s'en
convaincre (v. infra). Il y a quelque paradoxe à constater que sur ce point,
qui se situe à l'intersection du droit international commercial — droit
ancien, et consolidé par la voie conventionnelle — et du droit internatio-
nal des investissements — droit certes moins ancien, et qui court encore
LES INV TISSEM NTS LIÉS AU COMMERCE DES M RCHA DIS 191

après sa consolidation par la voie conventionnelle, le plus élaboré des


deux, sur le fond, n'est pas celui que l'on pourrait penser.

§ 2. Régime juridique des mesures


479 Principe À quel régime l'accord soumet-il les MIC qui portent atteinte
à l'obligation d'accorder le traitement national ou à l'obligation de procé-
der à l'élimination générale des restrictions quantitatives ? La réponse de
principe est donnée par l'article 2 § 2, précité : « aucun Membre n'appli-
quera de MIC qui soit incompatible avec les dispositions de l'article III ou
avec les dispositions de 1 article XI du GATT de 1994 ». Les Membres sont
donc soumis à une obligation de ne pas faire — celle de ne pas appliquer
les MIC visées. Mais cette obligation doit s'entendre sous réserve des
exceptions et des dérogations que prévoit l'accord.
480 Exceptions 0 L'exception, qui n'est pas nécessairement temporaire, per-
met à l'ensemble des parties contractantes de prendre des mesures qui,
bien qu'elles ne soit pas compatibles avec les obligations souscrites dans le
cadre du « GATT 1994 », n'en sont pas moins justifiables au regard des
considérations d'ordre général et d'importance essentielle pour l'intérêt
national. La dérogation, qui est nécessairement temporaire, permet à cer-
taines des parties contractantes, seulement, de prendre des mesures qui,
bien qu'elles ne soient pas compatibles avec les obligations souscrites dans
le cadre du « GATT 1994 », n'en sont pas moins justifiables au regard de
considérations spéciales qui tiennent, notamment, au niveau de dévelop-
pement économique des parties bénéficiaires.
481 Les exceptions sont visées à l'article 3 : « toutes les exceptions prévues dans
le GATT de 1994 s'appliqueront, selon qu'il sera approprié, aux disposi-
tions du présent accord ». Le GATT de 1994, qui est juridiquement distinct
du GATT de 1947, n'en comprend pas moins les dispositions du GATT de
1947, telles que rectifiées, modifiées ou amendées antérieurement à l'en-
trée en vigueur de l'accord OMC (v. supra). Par conséquent, les exceptions
prévues tant par l'accord de 1947, tel que rectifié, modifié ou amendé, que
par l'accord de 1994, pourront ici s'appliquer, « selon qu'il sera approprié ».
Les exceptions prévues par l'accord de 1947 (et non modifiées dans sa ver-
sion de 1994), ce sont, notamment, les exceptions de l'article XX (excep-
tions générales) et les exceptions de l'article XXI (exceptions concernant la
sécurité), qui continueront donc de s'appliquer, notamment, dans le cadre
de l'accord MIC, mais « selon qu'il sera approprié ».
482 Dérogations 0 Les dérogations sont visées à l'article 4. Elles ouvrent aux
seuls Membres qui répondent à la qualification de Pays en développement
la faculté de « déroger temporairement aux dispositions de l'article 2 dans
la mesure et de la manière prévues par l'article XVIII du GATT de 1994, le
Mémorandum d'accord concernant les dispositions de l'Accord général sur
192 PP OCHE SECTORIELLE VERTICALE

les tarifs douaniers et le commerce de 1994 relatives à la balance des paie


ments, et la Déclaration de 1979 relative aux mesures commerciales prises
à des fins de balance des paiements, permettant à un Membre de déroger
aux dispositions des articles III et XI du GATT de 1994 » (v. ss 791 s.). On
comprend aisément ce dont il est question. Les pays en développement, de
façon générale, connaissent des déficits de leur balance des paiements.
Pour remédier à cette situation ils usent de toute une panoplie de mesures
dont certaines peuvent avoir un effet dommageable sur le commerce
international, voire même porter atteinte aux obligations souscrites par le
cadre des articles III et XI. Faut-il, au nom de la préservation du système
international commercial, interdire à ces Pays en développement d'édicter
de telles mesures ? Ou doit-on, au nom du rétablissement des équilibres
financiers, nationaux comme international, leur permettre d'édicter des
mesures de sauvegarde, même si celles-ci comportent nécessairement res-
triction à la liberté du commerce international ? Le but de l'article 4 est de
tenter une conciliation entre les deux exigences, en permettant aux pays
en développement d'édicter provisoirement des MIC qui vont porter
atteinte aux obligations souscrites en vertu des articles III et XI, mais en
faisant en sorte que les restrictions qu'apportent ces MIC à la liberté du
commerce international n'excèdent pas la portée de ce qui est strictement
nécessaire à la réalisation de l'objet poursuivi.
483 Éradication Suffit-il d'interdire l'application des MIC, sous réserve des
exceptions et dérogations admissibles ? L'accord ne s'arrête pas en si bon
chemin. Les MIC devront être purement et simplement éradiquées — à
terme, il est vrai. Cette éradication repose sur trois sortes de prescriptions
conventionnelles : la notification, la consolidation — standstill —, l'élimi-
nation — rollback.
- La notification est régie par l'article 5 § 1. Dans un délai de quatre-
vingt-dix jours à compter de l'entrée en vigueur de l'accord OMC, chaque
Membre notifiera, au Conseil du commerce des marchandises, l'ensemble
des MIC qu'il applique effectivement, « et qui ne sont pas conformes aux
dispositions du premier accord ».
- La consolidation consiste en l'engagement que prennent les Membres
de ne pas modifier les MIC en sorte d'augmenter leur «degré d'incompa-
tibilité avec les dispositions de l'article 2 ». En d'autres termes, et pendant
toute la durée de la période de transition, les Membres peuvent procéder à
tous allégements, mais ne peuvent procéder à aucun renforcement : les
MIC sont en quelque sorte, « gelées » au niveau d'incompatibilité qu'elles
présentaient au moment de l'entrée en vigueur de l'accord OMC.
- L'élimination consiste en l'engagement que prennent les Membres de
supprimer toutes les MIC qu'ils appliquent, et qui ne sont pas conformes
aux dispositions de l'accord. La période de transition prévue à cet effet est
di férenciée à raison des niveaux de développement des Membres : elle est
de deux ans pour les pays développés, de cinq ans pour les pays en dévelop
pement, et de sept ans pour les pays les moins avancés. Ces deux dernières
LES INV TISSEM NTS LIÉS AU COMMERCE DES M RCHA DIS 3

périodes peuvent faire l'objet de prolongations, à la demande du pays en


développement ou du pays le moins avancé qui sont concernés, dès lors
qu'ils peuvent démontrer qu'ils rencontrent des difficultés particulières
dans l'élimination des MIC qu'ils ont notifiées.
484 Interdiction de nouvelles MIC L'introduction de MIC nouvelles, à
compter de la date d'entrée en vigueur de l'accord OMC est donc pure-
ment et simplement interdite. Cette affirmation se vérifie-t-elle en toute
hypothèse ? Oui, sauf une : celle que prévoit l'article 6 § 5. En principe,
une MIC cause un double dommage, d'une part, au commerce internatio-
nal, dont elle freine la croissance et, d'autre part, à l'investisseur interna
tional, qui se trouvé lié par des mesures dont il n est pas évident qu'elles
n'entravent pas une saine gestion. Mais il peut se faire que le dommage
ainsi causé à l'investisseur international soit compensé par un avantage
qui lui est consenti — notamment à raison de son bon comportement. Par
conséquent, et pour ne pas désavantager cet investisseur international, le
Membre concerné peut, pendant la durée de la période de transition, lais
ser subsister cette MIC, à condition d'étendre les avantages qui en
découlent aux autres investisseurs, étant entendu, toutefois, que les pro-
ductions en cause doivent être similaires, et que l'extension de cet avan-
tage doit être « nécessaire pour éviter de fausser les conditions de concur-
rence » entre les investisseurs en cause. Mais il est clair que passée la
période de transition, les MIC dont s'agit devront être éliminées.
485 Exigence de bonne foi L'accord, pour être efficace, suppose la bonne
foi des Membres. Cette bonne foi peut n'être pas acquise en tous les cas.
Ainsi, les Membres pourraient enrichir leur arsenal de MIC antérieure-
ment à l'entrée en vigueur de l'accord OMC. L'article 5 § 4 de l'accord, à
cet égard, précise que « les MIC introduites moins de cent quatre-vingt
jours avant l'entrée en vigueur de l'accord instituant l'OMC ne bénéficie-
ront pas des arrangements transitoires prévus au paragraphe 2 » — c'est-à-
dire des périodes de transition de deux, cinq ou sept années dont il vient
être fait mention. On en déduit que ces MIC doivent donc être éliminées
sans aucun délai, et dès la date de leur notification, qui doit être effectuée
dans le délai de quatre-vingt-dix jours suivant l'entrée en vigueur de l'ac
cord OMC.
486 Cette exigence de bonne foi, qui transparaît tout à travers l'accord MIC se
retrouve en l'article 6 de l'accord (Transparence). Les Membres réaffir-
ment leur attachement à l'obligation conventionnelle de transparence.
Aussi bien, les États Membres, aux termes de l'article 6 § 2, s'engagent-ils
à notifier au Secrétariat de l'OMC toutes publications recelant une MIC
incompatible avec l'accord, et même si cette MIC est appliquée par une
subdivision territoriale — État membre de l'État fédéral ; collectivités
décentralisées ou déconcentrées de l'État unitaire. Aucun Membre ne doit
pouvoir dissimuler derrière l'opacité de son organisation territoriale une
4 PP OCHE SECTORIELLE VERTICALE

MIC qui ne serait pas conforme à l'accord. L'accord prévoit, d'ailleurs, que
chaque Membre examinera avec compréhension les demandes de rensei-
nements que pourraient lui adresser un autre Membre, « au sujet de
toute question découlant » de l'accord» «et qu'il se prêtera aux «consul-
tations » que pourrait rendre nécessaire toute question de cette nature
étant toutefois précisé qu'aucun Membre n'est tenu de divulguer les ren-
seignements qui apparaissent trop « sensibles ».
487 Comité des MIC 0 L'accord MIC prévoit l'institution d'un Comité des
MIC qui est ouvert à tous les membres de l'OMC. Ce comité est un
organe d'assistance et de surveillance. Il exerce les attributions qui lui
sont confiées par le Conseil du commerce des marchandises ; il ménage
les possibilités de consultation qui sont nécessaires entre Membres ; il
surveille le fonctionnement de l'accord et, à ce sujet, fait rapport annuel
au Conseil du commerce des marchandises (art. 7). Mais le Comité des
MIC n'exerce aucune attribution en matière de règlement des différends
nés de l'interprétation et de l'application de l'accord : « les dispositions
des articles XXII et XXI du GATT de 1994, telles qu'elles sont précisées et
mises en application par le Mémorandum d'accord concernant les règles
et procédures régissant le règlement des différends » sont seules perti-
nentes (art. 8).
488 Un mécanisme de suivi est mis en place. Avant expiration du délai des
cinq années qui suivront l'entrée de l'accord OMC, le Conseil du com-
merce des marchandises examinera le fonctionnement de l'accord MIC et
pourra proposer des « amendements au texte dudit accord », s'il le juge
opportun. Au cours de cet examen, le Conseil décidera s'il y a lieu de com-
pléter le texte de l'accord MIC « par des dispositions relatives à la politique
en matière d'investissement et la politique en matière de concurrence ».
Aucun amendement n'a été à ce jour proposé, ce qui peut s'expliquer dans
la mesure où l'OMC pourrait - bien que l'hypothèse demeure fort impro-
bable - recevoir une compétence plus générale en matière d'investisse-
ment étranger direct (v. infra).
489 Jusqu'à présent - i novembre 2012 - cet accord sur les MICs/TRIPs a été
invoqué dans 33 des 452 affaires soumises à l'Organe de règlement des
di férends de l'OMC sans toutefois faire apparaître d'éléments nouveaux
dans l'analyse de ce phénomène.
- ITRE 2

'approche horizontale
principes généraux
communs
490 Généralités L'Acte final de Marrakech du 15 avril 1994 tout en recon-
naissant, ainsi que nous l'avons vu précédemment, la diversité de certains
secteurs (et c'est son approche verticale), s'est efforcé de maintenir une
certaine unité du droit international du commerce à la fois sur le plan
institutionnel et matériel (et telle est son approche horizontale des
échanges mondiaux).
Le droit matériel commun du commerce multilatéral issu des accords
de Marrakech est constitué par le « GATT 1994 » qui apparaît comme une
sorte de « GATT plus » par rapport au texte initial de 1947. Le « GATT 1994 »
comprend le « GATT 1947 » et son acquis tels que complétés ou interprétés
par les six (6) mémorandums d'accords conclus à l'occasion du Cycle de
l'Uruguay. Le « GATT 1994 » constitue la lex generalis du Système OMC ;
celle-ci, on le rappelle, doit céder en cas de conflit avec les autres accords
figurant à l'Annexe I.A qui sont ici considérés comme autant de lex specialis
(v. la note interprétative générale relative à l'Annexe 1.A).
491 Plan 0 Les éléments constitutifs de ce noyau dur du droit du commerce
multilatéral résident dans l'organisation de l'accès aux marchés afin d'en
assurer une large ouverture (Chapitre 1), l'instauration de mécanismes de
défense commerciale multilatérale en cas de difficultés dues à la libérali-
sation des échanges (Chapitre 2), la reconnaissance d'exceptions et de
dérogations nécessaires à une gestion souple du système (Chapitre 3).
'ACCÈS AUX MARCHÉS

Bibliographie
Sur ces clauses classiques de la nation la plus favorisée et du traitement national
communes au GATT et à l'OMC, on renverra aux ouvrages cités dans la bibliographie
générale et notamment aux livres de Flory, Jackson et Hudec qui doivent être lus à
la lumière de l'irremplaçable. « Guide des Règles et Pratiques du GATT » et main-
tenant de l'OMC. Il en va de même pour le régime juridique des droits de douanes.
En ce qui concerne les barrières non-tarifaires, on consultera avec profit les
études suivantes :
• Sur l'ensemble de la matière telle qu'elle fut abordée lors du Cycle de l'Uru-
guay : M. E. Edozien, Non-tariff measures, in The Uruguay Round : a negotiating
history (1986-1992), Deventer, Kluwer, vol. I, p. 699 et s : et in idem, S. G. Markel,
MTN agreements, p. 1009-1347.
• Sur la valeur en douane : S. L. Sherman and H. Glashof, Customs valuation
commentary on the GATT customs valuation code, Deventer, Kluwer, 1998.
• Sur l'inspection avant expédition : H. S. Kibola, Pre-shipment inspection and
the GATT, JWT 1989.2, p. 48 s. ; W. Von Raab, Pre-shipment inspections : improved
administration of an international trade régime, JWT 1991. 5, p. 87 s.
• Sur les règles d'origine : F. Dehousse et P. Vincent, Les règles d'origine, les négo-
ciations de l'Uruguay Round et la Communauté européenne, RBDI 1993. 470 s. ;
W. Keijzer, GATT agreement on rules of origin : its purpose and implications from an
European community perspective, in Colloque de Bruges, op. cit. p. 331 s. ; E. Vermulst,
Rules of origin in the future : selected issues, in Colloque de Bruges, op. cit. p. 353 s. ;
E. Vermulst, P. Waer & J. H. J. Bourgeois (eds), Rules of origin in international trade :
a comparative study, Ann Arbor, Universiry of Michigan Press, 1994.
• Sur les obstacles techniques au commerce : R. W. Middleton, The GATT standards
code, JWTL 1980. 201 s. J. Nussbauer, The GATT standards code in operation, JWTL
1984. 542 s. ; R. Quick, The agreement on the technical barriers to trade in the context
of the trade and environment discussion, in Colloque de Bruges, op. cit. p. 353 s. ; E.
L. M Vôlker, The agreement on technical barriers to trade, in Colloque de Bruges, op.
cit. p. 353 s. ; D. A. Wirth, The role of science in the Uruguay Round and NAFTA trade
disciplines, Cornell int'l, L. J., 1994, p. 817 s. Voir le dossier spécial consacré aux
normes commerciales dans le rapport annuel de l'OMC 2005.

492 Généralités L'accès aux marchés est à l'évidence la préoccupation cen-


trale en matière de commerce international. Il convient en effet de se
souvenir que le droit de commercer, dans l'ordre interne comme dans
l'ordre international, a toujours été conçu comme un privilège : il n'a
jamais fait partie du « droit international ». Autrement dit, la liberté du
commerce international a dû être organisée pour prospérer : d'où le para
doxe apparent contemporain qui voit un développement parallèle de la
réglementation et de la libéralisation des échanges (n'a-t-il pas fallu près
de 600 pages imprimées aux négociateurs du « Cycle de l'Uruguay» pour
8 'APPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

réaliser leur entreprise d'ouverture du commerce et encore celle-ci est-elle


loin d'être achevée ?).
493 Plan 0 Pour que les échanges internationaux puissent se développer har-
monieusement encore faut-il qu'ils ne soient pas entravés par des obs-
tacles insurmontables : or, le principe général en la matière est que les
États ne peuvent restreindre l'accès à leur marché national que par le biais
des seuls droits de douanes (Section 1), il est vrai la méthode la plus trans-
parente et la plus objective car fondée exclusivement sur un différentiel de
prix entre produits nationaux et importés. En outre, le système commer-
cial multilatéral — du moins s'il est fondé sur la libre entreprise et le mar-
ché — doit être de nature concurrentielle, les conditions de la concurrence
devant être égales pour tous, ce qui permet alors d'arriver à une division
internationale du travail efficace car reposant sur le jeu des avantages
comparatifs. Cette égalité des conditions de concurrence (level playing
field) sur un marché national donné supposent réunies deux conditions
préalables qui constituent l'ossature même du GATT/ONIC : tout d'abord,
les impor ations en provenance de l'étranger doivent être traitées égale-
ment et sans discrimination quant à leur provenance — et tel est le but
poursuivi par la clause de la nation la plus favorisée (Section 2) : ensuite, les
marchandises importées doivent être traitées également, sans discrimina-
tion par rapport aux produits locaux similaires et tel est le but poursuivi
par la clause du traitement national (Section 3). En outre, bien que moins
connu mais fondamental, le système commercial doit être administré
selon le principe de transparence (Section 4).

LE PRINCIPE DE LA PROTECTION
SECTION 1.
DOUANIÈRE EXCLUSIVE
494 Généralités 0 L'origine des droits de douane se perd dans la nuit des
temps : ils ont toujours existé à la fois comme source de revenus pour le
souverain et comme technique de protection des intérêts des producteurs
nationaux (mais certes non des consommateurs). Pour se limiter à leur
impact protectionniste, les droits de douane apparaissent comme transpa-
rents et non-discriminatoires en ce sens que leur portée globale ne se mani-
feste que par un phénomène de différenciation de prix — ceux des produits
importés étant par définition plus chers que les produits locaux concurrents
car incluant la taxation douanière. Autrement dit, ils ne portent pas atteinte
au libre jeu des forces du marché et ne faussent pas les conditions de concur-
rence per se en raison de leur impact financier uniforme. Telle est la raison
générale pour laquelle les droits de douanes sont vus avec faveur parmi les
divers types de restrictions aux échanges commerciaux internationaux. Le
GATT reflète pleinement cette approche : les droits de douane sont légalisés
L'ACCÈS AUX MARCHÉS 9

comme seule méthode de protection des marchés nationaux (§ 1) tandis


que les autres types de barrière relevant de l'ordre non-tarifaire sont prohi-
bées (§ 3). Toutefois, le GATT tout en officialisant les droits de douane, le
fait comme un « moindre mal », son objectif final demeurant leur élimina-
tion via des réductions successives (§ 2).

§ La légalisation des droits de douanes


comme instruments de protection des marchés
nationaux
495 Plan 0 L'Accord général contient tout un véritable statut des droits de
douane. S'ils sont reconnus comme licites en tant que tels (1), les droits de
douane doivent être stables — c'est-à-dire consolidés — pour des raisons
tenant à la sécurité des transactions (2). Pourtant, dans certaines circons-
tances, ils peuvent être augmentés (3).

1. La licéité des droits de douane


496 Le caractère licite des droits de douane se trouve exprimé par l'Accord
général lui-même bien que d'une manière négative : en effet, il est interdit
à toute Partie contractante d'instituer ou de maintenir, à l'importation
comme à l'exportation, des prohibitions ou restrictions aux échanges
« autres que des droits de douane, taxes ou autres impositions » (art. XI (1)
et italiques ajoutées). Autrement dit, si un pays veut restreindre le com-
merce international, il peut le faire par l'intermédiaire des droits de
douane (ou de taxes de même nature) mais pas par d'autres procédés.
Toutefois, dans la gestion de leur tarif douanier, les États disposent
d'une certaine marge de manoeuvre en ce qu'ils peuvent recourir à des
pratiques de contingentements sous la forme de « contingents tarifaires » ;
il s'agit là de déterminer une certaine quantité de marchandises importées
qui seront soumises à des droits de douanes « préférentiels », voire en
franchise de droits.
497 L'Accord général lui-même devait tirer les conséquences de cette licéité de
principe des droits de douane en les soumettant à un régime juridique
particulier : les droits de douane sur lesquels ont porté des négociations
tarifaires sont insérés dans les listes de concessions où ils apparaissent
comme des maximas consolidés. Concrètement, cela signifie que l'imposi-
tion à la frontière portant sur un produit déterminé ne saurait être supé-
rieure au tarif figurant dans la liste des concessions du pays importateur
(art. II 1.b).
Ainsi, toute augmentation ultérieure de ce droit de douane est en elle-
même incompatible avec les obligations d'un pays au titre de l'article II du
GATT. Si elle se produisait néanmoins, elle serait de nature à entraîner les
procédures relatives à la protection des concessions et avantages visée à
O PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

article XXIII de l'Accord général et aujourd'hui considérablement renfor-


cée par l'Organe de Règlement des Différends (ORD) institué au sein de
l'OMC.
Si les États, comme ils en ont le droit, recourent à des « contingents
tarifaires », ils devront les mettre en oeuvre conformément aux disciplines
posées par l'article XIII en matière de restrictions quantitatives ; autre-
ment dit, ils devront les répartir entre les membres de l'OMC d'une
manière non discriminatoire (voir par exemple l'affaire Communautés
européennes — régime applicable à l'importation à la vente et à la distribution
de bananes, Rapport de l'Organe d'appel, 26 novembre 2008, WT/DS27/
AB/ RW2/ECU, § 334-354)
498 Les raisons de cette légalisation des droits de douane comme seul moyen
de restriction des échanges de marchandises repose sur l'analyse écono-
mique qui en est faite : il est en effet communément admis que le tarif
douanier constitue l'obstacle le moins dommageable au commerce inter-
national car fondé exclusivement sur une considération de prix. Cet
argument économique selon lequel les droits de douanes constituent un
« moindre mal » pour les échanges internationaux devait être formelle-
ment adopté par l'ORD. C'est ainsi qu'un « groupe spécial » de l'OMC
devait relever que « suivant un principe fondamental du GATT, les droits
de douanes constituent la forme de protection acceptable et à préférer»
d'autant plus qu'il « s'agit de les réduire par le biais de concessions réci-
proques...appliquées d'une manière non-discriminatoire, indépendam-
ment de l'origine des marchandises grâce au jeu de la clause de la nation
la plus favorisée » (Turquie-Restrictions à l'importation de produits textiles et
de vêtements, Rapport du 31 mai 1999,WT/DS/34/R, § 9.63). Il est à rap-
peler que l'Organe d'appel devait reprendre cette analyse à propos de la
transformation en droits de douanes des divers obstacles non-tarifaires
aux importations agricoles dans son rapport du 23 septembre 2002 lors
de l'affaire précitée Chili - Mesures de sauvegarde appliquées à l'agriculture
(v. ss 416).

2. La consolidation des droits de douane


499 Contrepartie en quelque sorte de leur légalisation, les droits de douane,
une fois repris par les pays dans leur liste de concessions, ne peuvent plus
être modifiés unilatéralement — du moins à la hausse et ce pendant une
certaine période de temps (3 ans). Tel est le principe de la consolidation
triennale des concessions commerciales (v. supra). Ce principe constitue
un facteur de sécurité juridique appréciable pour les agents économiques :
ils ont ainsi l'assurance que leurs efforts de prospection commerciale de
certains marchés étrangers pourront s'inscrire dans la durée et ne risque-
ront pas d'être réduits à néant par des changements intempestifs de tarifs
douaniers.
L'ACCÈS AUX MARCHÉS 201

500 Mais cette règle peut aussi apparaître comme inutilement rigide en cas de
nécessité de recourir à des restrictions commerciales justifiées par la sur-
venance d'une crise économique et financière grave dans un pays donné.

3. Exclusivité, consolidation et augmentation


des droits de douane
a. Le paradoxe de l'Accord général
501 Le « GATT 1947 » reposait sur un paradoxe économico-juridique fonda-
mental : en effet, dans les situations spéciales (et notamment en cas de
difficultés financières) où les pays pouvaient adopter (ou réintroduire) des
restrictions commerciales, la voie douanière leur était fermée en dépit de
sa relative innocuité, les contraignant ainsi à recourir à des restrictions
quantitatives (v. ss 791 s.) beaucoup plus attentatoires à la liberté du com-
merce international. Ainsi, des pays comme la France en 1955, la Grande-
Bretagne en 1964 et les États-Unis en 1971 introduisirent des surtaxes à
l'importation pour sauvegarder leur position financière extérieure ou
l'équilibre de leur balance des paiements : ils tentèrent, en vain, de justifier
cette illégalité par le caractère moins dommageable de ces mesures pour le
commerce international (v. Guide des Règles et pratiques du GATT, op. cit.
pp. 86-87, 391-393) et durent soit obtenir des dérogations (waivers) ou
accorder des compensations commerciales.

b. Le tournant dû à la « déclaration de 1979 »


502 Un tournant majeur fut pris le 28 novembre 1979 lorsque les parties
contractantes adoptèrent « la déclaration relative aux mesures commer-
ciales prises à des fins de balance des paiements » qui avait fait d'ailleurs
l'objet de négociations à l'occasion du Tokyo Round. Sans qu'elle constitue
un amendement en bonne et due forme à l'Accord général, cette Déclara-
ion devait aboutir au même effet pratique. Elle posait deux principes
généraux en matière de restriction des importations : les parties contrac-
tantes concernées devaient à la fois « donner la préférence à la mesure qui
perturbe le moins les échanges » et éviter l'« application simultanée » ou
le cumul de mesures restrictives (v. Guide des Règles et Pratiques du GATT,
op. cit., pp. 394-395). C'était le retour au bon sens économique.

c. Son insertion dans le « GATT 1994 »


503 Cette « déclaration de 1979 » a été clarifiée pour se trouver dans le
« GATT 1994 » dont elle fait désormais partie de jure sous le nom de
« Mémorandum d'accord sur les dispositions de l'Accord général sur les
Tarifs Douaniers et le Commerce de 1994 relatives à la balance des paie-
ments ». Les principes précités se trouvent formellement confirmés : les
202 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

membres de l'OMC s'engagent en effet à « donner la préférence aux


mesures qui perturbent le moins les échanges » (c'est-à-dire fondées sur
les prix) (§ 2) et au non-cumul des mesures de restriction des importa-
tions à des fins de balance des paiements (§ 3). Toute une procédure de
consultation est alors organisée avec notification des mesures prises au
Conseil Général de l'OMC.
504 Ce qui est vrai des surtaxes à l'importation l'est également de toutes les
mesures analogues qui, quelle que soit leur appellation, visent directement
à renchérir le prix des produits importés : c'est ainsi, par exemple, que les
régimes de dépôts à l'importation (c'est-à-dire l'obligation faite aux importa-
teurs de déposer en devises une partie du montant de la valeur des produits
importés ou, plus rarement, la fourniture de cautions destinées à garantir le
respect d'un prix minimal à l'importation) ont fait l'objet d'examens et de
controverses au sein du GATT avant la déclaration précitée du 28 novembre
1979 — pour ensuite être validées dans les termes rappelés précédemment
par le « GATT 1994 » au titre du « Mémorandum d'accord » susmentionné
(v. Guide des Règles et Pratiques du GATT, op. cit., pp. 87-88 et 393-396).

§ 2. Vers l'élimination finale des droits de douane


via des réductions progressives et substantielles
505 Tout en instituant les droits de douane comme seul instrument licite du
protectionnisme dans le commerce des marchandises en les considérant
comme un moindre mal, l'Accord général ne pouvait s'empêcher de les
traiter comme un obstacle « souvent sérieux » aux échanges (art. XXVIII
bis (1)). L'un de ses objectifs tel que déterminé dans son Préambule,
consiste d'ailleurs dans la « réduction substantielle des tarifs douaniers ».
Curieusement, cette expression a été reprise expressis verbis dans l'Accord
de Marrakech instituant l'OMC alors que les droits de douanes ont vir-
tuellement disparu...
506 Les négociations commerciales multilatérales (NCM) qui se déroulèrent
sous les auspices du GATT connurent un plein succès tant pour la réduc-
tion des droits de douane que pour le polissage des tarifs douaniers.

1. La réduction massive des droits de douane


de 1948 à 1999
507 Le succès est ici considérable. En effet, alors que la moyenne des droits de
douane ad valorem s'établissait aux alentours de 40 % en 1947, celle-ci ne sera
plus — pour les produits industriels — que de 3,8 % (pour les pays développés)
à la suite de la mise en œuvre des négociations du Cycle de l'Uruguay.
Les réductions tarifaires furent mises en oeuvre par tranches égales et
s'étalèrent sur une durée maximum de quatre (4) ans après la date d'entrée
CCÈS AUX MARCHÉS 203

en vigueur de l'Accord de l'OMC (r janv. 1995), ce qui veut dire que le


taux final est devenu effectif à compter du 1" janvier 1999 (art. 2 du
« Protocole de Marrakech annexé à l'Accord général sur les Tarifs
Douaniers et le Commerce de 1994 »).
508 Ce calendrier est également applicable aux membres accédant à l'OMC
après son entrée en vigueur, ce qui signifie qu'ils devront rattraper les mesures
de libéralisation déjà réalisées par les autres (art. XIV (2) de l'Accord sur
l'OMC). Cette obligation de rattrapage propre à l'OMC mérite d'être notée
car elle élimine l'une des causes du phénomène souvent noté et dénoncé de
la « course gratuite » (free ride) si fréquent à l'époque du GATT et qui jouait
notamment au profit des nouveaux accédants : ceux-ci bénéficiaient dès
leur entrée de toutes les libéralisations commerciales négociées dans le passé
tandis qu'ils n'étaient tenus que de celles prévues au titre de leur « protocole
d'accession» et qui étaient loin d'avoir une portée comparable.

2. Polissage des tarifs douaniers


509 Cet affinement des tarifs douaniers des pays est notable dans deux
domaines : le développement de la consolidation des droits de douane et leur
écrêtement.
510 Les lignes tarifaires consolidées représentent aujourd'hui près de 100 % des
produits couverts pour les pays développés (contre 78 % auparavant), 98 °A)
(contre 73 % auparavant) pour les pays en transition économique comme
le Brésil ou la Chine voire l'Afrique du Sud et 73 % (contre 21 % auparavant)
pour les pays en développement comme l'Inde par exemple (pour une vue
d'ensemble, voir le Rapport annuel du Directeur de l'Organe d'examen des
politiques commerciales en date du 21 nov. 2011, pp. 21-25).
511 Quant à la lancinante question des « pics tarifaires » (droits de douane
supérieurs à 15 %) elle n'a pas été complètement réglée et elle concerne
encore plus de 5 % des lignes pour les États-Unis, plus de 8 % pour l'Union
européenne et plus de 7 % au Japon, ces pourcentages étant beaucoup plus
élevés pour les pays en transition ou en développement (v. le Rapport pré-
cité). De la sorte, l'élimination progressive de ces « crêtes » tarifaires
demeure le seul objectif significatif de négociations commerciales multila-
térales en matière de droits de douanes ; mais, et le « cycle de Doha » l'a
bien montré, cet écrêtement se heurte à de puissants groupes de pression
qui en ont jusqu'à présent bloqué la réalisation.
512 En bref, de nos jours, force est de reconnaître que les droits de douane ont
vécu en tant qu'« obstacles sérieux au commerce » du moins sur les produits
industriels. Dans ce domaine, les droits de douane ont perdu leur fonction
économique de protection : ils ne constituent plus un obstacle significatif à
l'accès aux marchés. Ceci ne veut pas dire pour autant que le commerce
4 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

international des marchandises est devenu entièrement libre : depuis long-


temps déjà d'innombrables barrières non-tarifaires ont pris le relais.

§ 3. L'interdiction de principe des barrières


non-tarifaires
513 Généralités Les barrières non-tarifaires — aussi vieilles que le commerce
international lui-même — constituent aujourd'hui les principaux obstacles
aux échanges. C'est dans ce domaine que se réfugie aujourd'hui principale-
ment le protectionnisme. La première difficulté réside ici dans leur repérage :
la plupart d'entre elles en effet ne revêtent pas une nature ouvertement pro-
tectionniste et discriminatoire à rencontre des produits importés étrangers.
C'est seulement à raison de leurs effets qu'elles pourront être qualifiées d'obs-
tacles au commerce international. C'est ainsi que lorsque le GATT en com-
mença le recensement dans les années 1970, il arrêta une liste de quelque
855 obstacles de cette nature pour rapidement dépasser largement le millier.
Dans d'autres enceintes on a pu en dénombrer quelque... 20.000 ! Autrement
dit, les recenser relève de la gageure. En effet, peut être définie comme une
barrière non-tarifaire toute mesure ou pratique, quelle qu'en soit l'origine
(publique ou privée), dont l'effet (si ce n'est le but) est de freiner l'accès des produits
d'origine étrangère sur un marché national donné que ce soit au stade de l'importa-
tion ou de la commercialisation. Le sujet est immense et on se limitera ici à son
aspect étatique, c'est-à-dire aux barrières non-tarifaires reliées à des mesures
gouvernementales. Toutefois, il faut garder à l'esprit l'importance des bar-
rières — encore beaucoup plus insidieuses et difficilement surmontables —
d'origine privée ou professionnelle : c'est ainsi, par exemple, que l'accès effectif
au marché japonais ou coréen est largement freiné par les conditions de concur-
rence qui y règnent ainsi que par le système de distribution.
514 Plan 0 Ainsi, les barrières non-tarifaires ne doivent pas être utilisées par
les États pour restreindre les échanges commerciaux, qu'il s'agisse d'im-
portations (et c'est le cas le plus fréquent) ou d'exportations (1).
De plus, les États ne peuvent pas non plus — ce qui reviendrait au même
— recourir à des barrières non-tarifaires sur les produits importés au stade
de leur commercialisation sur leur marché national (2).

1. L'interdiction du recours aux barrières


non-tarifaires au titre de la restriction
des échanges commerciaux
515 Cette interdiction était déjà posée sans la moindre ambiguïté par l'Accord
général de 1947 (a). Elle n'a cessé au cours des ans de faire l'objet de précisions
et affinements qui ont trouvé leur aboutissement dans des accords complé-
mentaires faisant maintenant partie de l'OMC au titre du « GATT 1994 » (b)
CCÈS AUX MARCHÉS 05

L'interdiction de principe posée par le « GATT 1947 »


516 Ce principe est posé par l'article XI qui prohibe les restrictions quantitatives
en particulier et consacre les droits de douane comme technique exclusive
de protection commerciale. La restriction quantitative (ou contingentement)
est une mesure administrative qui fixe autoritairement la quantité ou la valeur
des produits importés ou exportés sans aucune considération de prix. En tant
que telle, elle apparaît très dommageable au commerce international en ce
qu'elle constitue un obstacle légalement infranchissable et non pas seule-
ment économiquement plus onéreux comme le droit de douane — d'où
son interdiction.
On notera que l'interdiction porte aussi bien sur les contingentements
aux importations qu'aux exportations afin de maintenir une division inter-
nationale du travail fondée sur des prix libres (en effet, des quotas sur les
exportations peuvent se justifier économiquement au cas par cas lorsque
les prix de certains produits nationaux sont moins chers sur le marché
local qu'à l'étranger). C'est ainsi par exemple - et ce type de contentieux
est trop rare pour ne pas être noté - que dans un passé récent plusieurs
plaintes devaient être déposées auprès de l'ORD contre la Chine pour
manquement à cette obligation. Un « groupe spécial » de l'OMC devait
estimer incompatibles avec l'article XI.1 du « GATT 1994 » un certain
nombre de contingents d'exportation imposées par ce pays restreignant la
vente à l'étranger de matières premières comme la bauxite, le coke ou le zinc
(Rapport du 5 juillet 2011, Chine - Mesures relatives à l'exportation de
diverses matières premières, WT/DS394/R, WT/DS/395/R et VVT/DS398/R),
cette condamnation devant être confirmée par l'Organe d'appel dans son
rapport du 30 janvier 2012. Plus récemment encore, le 13 mars 2012, des
plaintes furent déposées contre ce même pays et sur le même fondement
par les États-Unis, le Japon et l'Union européenne à propos de « mesures
relatives à l'exportation de terres rares, de tungstène et de molybdène »
(DS/431-435).
517 Cette interdiction de principe peut faire l'objet d'exceptions limitées,
notamment dans le secteur agricole (art. XI (2) a) et c)) — et pour des
applications voir Guide des Règles et Pratiques du GATT, op. cit., pp. 349-
374 et voir aussi supra) ainsi, paradoxalement, que pour des raisons tenant
à la protection de l'équilibre de la balance des paiements (v. ss 791 s.) ou
générales de droit commun (art. XX et XXI, v. ss 775 s. et 807 s.).

b. Les affinements spécifiques intégrés au « GATT 1994 »


518 L'Accord général de 1947 contenait d'autres dispositions particulières ren-
forçant cette prohibition en évitant son contournement par le recours à
certains obstacles non-tarifaires ponctuels. Il en va ainsi pour la valeur en
douane, les formalités douanières, l'administration des régimes licites de
licence d'importation ou d'exportation ou les règles d'origine qui devaient,
206 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

pour certains d'entre eux, faire l'objet d'accords latéraux à l'époque du


GATT (et ils participèrent au phénomène général bien connu à l'époque du
« GATT à la carte ») pour être ensuite intégrés dans le « Système OMC »
au titre des « accords multilatéraux sur le commerce des marchandises »
• La valeur en douane
519 L'article VII de l'Accord général contient tout un régime juridique quant
aux méthodes utilisées pour évaluer les produits importés de façon à éviter
des comportements protectionnistes.
520 Il est clair que si une administration nationale détermine de façon discré-
tionnaire la valeur des produits importés — c'est-à-dire l'assiette des droits
de douane — il peut en résulter une barrière appréciable aux échanges. On
l'a bien vu lors du « Kennedy Round » à propos du démantèlement (avorté
en raison de l'absence d'approbation du Congrès) de l'American Selling Price
OSP), selon lequel le prix de certains produits chimiques importés aux
Etats-Unis retenus pour calculer les droits de douane n'était pas celui de la
marchandise exportée mais celui des produits comparables fabriqués par
les producteurs américains (aussi v. ss 323). Le GATT interdit spécifique
ment ce type d'évaluation qui doit porter sur la « valeur réelle de la mar-
chandise importée » et non sur la « valeur de produits d'origine nationale
ou sur des valeurs fictives ou arbitraires» (art. VII (2) a)).
521 On se rappelle que l'ASP ne put être démantelé en raison de l'opposition
du Congrès des États-Unis. À la suite de cet échec lors du Kennedy Round,
un accord latéral fut négocié lors du Cycle de Tokyo le 12 avril 1979 (entré
en vigueur le 1" janv. 1981 pour les pays signataires) sous le nom d'« Accord
relatif à la mise en oeuvre de l'article VII du GATT » (communément
appelé « Code d'évaluation en douane »). Celui-ci devait être repris lors de
l'Uruguay Round pour être intégré dans l'Acte final de Marrakech avec des
adjonctions particulières en faveur des pays en développement (Partie III).
Cet Accord, qui va très loin dans le détail, précise, par ordre décroissant,
diverses méthodes d'évaluation permises (art. 1 à 8) en même temps qu'il
a créé deux comités, l'un pour assurer son interprétation et son adminis-
tration, l'autre, purement technique, chargé de faire des études et des pro-
positions afin d'améliorer son fonctionnement (art. 18)
Les règles posées en la matière ont largement donné satisfaction dans la
mesure où seuls 15 différends ont été portés devant l'ORD jusqu'à main-
tenant et que la plupart d'entre eux ont pu être réglés à l'amiable.
• Les formalités douanières
522 Nombre et coût Les formalités requises à l'occasion du franchisse-
ment des frontières par les marchandises peuvent constituer une catégorie
de mesures protectionnistes efficaces tout en restant insidieuses. Ainsi,
selon la CNUCED, pour une transaction douanière normale, il y a en
CCÈS AUX MARCHÉS 07

moyenne 20 à 30 intervenants différents, 40 documents, 200 éléments de


dossiers de sorte que souvent le coût de ces diverses formalités serait supé
rieur au montant des droits à acquitter. La simplification de ces tracasse-
ries administratives aux frontières permettrait un gain de près de 0,3 % du
PIB de nombre de pays — surtout ceux en développement. Elles sont par-
fois de surcroît payantes dans la mesure où importateurs ou exportateurs
peuvent avoir à payer des « redevances » au titre des opérations de dédoua-
nement. L'article VIII de l'Accord général réglemente de telles pratiques de
façon à éviter leur utilisation à des fins protectionnistes. En ce qui concerne
les redevances, si elles sont en principe licites, leur montant doit être limité
« au coût approximatif des services rendus » (art. VIII a)) sous peine d'être
des droits de douane déguisés et de constituer ainsi une protection indi-
recte supplémentaire des produits nationaux. Ensuite et surtout ici, les
divers formalités douanières doivent être réduites et simplifiées (art. VIII (1)
c)) ; sous peine de produire un effet protectionniste certain. Pour l'essen-
tiel, cette exhortation est restée dans le domaine des voeux pieux, et cer-
tains pays (tel le Japon) sont passés maîtres dans l'art d'utiliser les forma-
lités douanières à des fins de restriction de l'accès à leur marché.
Très peu de différends ont porté sur ce domaine et aucun n'a atteint le
stade de l'Organe d'appel.
523 Bien que n'étant pas directement liée à la mise en oeuvre de l'article VIII de
l'Accord général, même si son incidence est analogue, l'inspection avant
expédition des marchandises fit souvent l'objet de controverses à l'époque
du GATT au point de justifier la conclusion d'un accord multilatéral séparé
lors de l'Uruguay Round. L'« Accord sur l'inspection avant expédition » au
titre du GATT 1994 » constitue un code de bonne conduite réglementant
les droits et obligations tant des pays exportateurs que des pays utilisa
teurs, ces derniers étant en général des pays en développement.
Ainsi, les entités d'inspection désignées par un « membre utilisateur »
(c'est-à-dire un pays importateur) qui peuvent être publiques ou privées à
la suite d'un recrutement par contrat, seront chargées (normalement sur
le territoire du pays exportateur) de procéder à des contrôles de quantité et
de qualité des produits en même temps et, surtout, qu'à des vérifications
de prix (pour éviter les fraudes de sous ou sur-facturation qui diminuent
les droits de douane et organisent la fuite des capitaux). Il est bien précisé
que si l'entité d'inspection est publique celle-ci ne saurait avoir le droit
d'exercer ses activités sur le territoire du pays exportateur sans l'accord de
ce dernier : en revanche, cette restriction n'existe pas pour les organismes
privés d'inspection type « bureau Véritas » par exemple. La procédure
devra être transparente, non-discriminatoire et respecter la confidentia
lité des renseignements commerciaux éventuellement reçus. Des procé-
dures internes de recours et d'examen indépendant devront être organi-
sées pour connaître des plaintes des exportateurs contre les « entités
inspection ». L'idée générale qui préside à cet accord est que cette forma-
lité fréquente — voire systématique — du commerce international qu'est
8 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

« l'inspection avant expédition » ne soit pas utilisée à des fins protection-


nistes ou discriminatoires. Cet accord sera examiné périodiquement tous
les trois (3) ans par la conférence ministérielle de l'OMC qui pourra en
modifier les termes.
À ce jour, aucune affaire n'a été soumise à 1'ORD au titre de cet accord
particulier.
L'administration des licences d'importation
524 Par dérogation aux règles de droit commun et en toute légalité, il peut
arriver que des pays mettent en place des régimes de licence (c'est-à-dire
d'autorisation administrative) en matière d'importation de marchandises
pour faire face à certaines circonstances (difficultés de balance des paie-
ments, sécurité interne ou externe) ou à raison de la nature des produits
en cause (produits dangereux par exemple).
Ce type de situation étant relativement fréquent, un « Accord relatif
aux procédures en matière de licence d'importation » fut signé à l'issue des
négociations du Cycle de Tokyo, le 12 avril 1979, pour entrer en vigueur à
compter du 1" janvier 1980 pour les 27 États qui y étaient parties.
525 Il fut pour l'essentiel repris par l'Acte final de Marrakech au titre des
« accords multilatéraux » sur le commerce des marchandises. Le but géné-
ral poursuivi est que les procédures des licences d'importation soient
« neutres », « transparentes », « administrées » de façon « juste et équi-
table» de façon à ne pas constituer une entrave aux échanges commer-
ciaux. Ces obligations générales destinées à s'assurer de leur caractère
non-protectionniste et non-discriminatoire visent tant les licences d'im-
portation automatique que surtout celles qui sont de nature non-automa-
tique en raison des risques d'arbitraire qu'elles présentent (art. 2 et 3).
Elles visent également l'administration des contingents tarifaires (ceux-
ci ne sont en effet qu'une modalité particulière des restrictions quantita-
tives) ainsi que le précisa l'organe d'appel dans son rapport du 9 septembre
1997 dans l'affaire « Communautés Européennes — Régime applicable à la
vente et à la distribution des bananes » (§ 193-195).
Comme cela est traditionnel, un comité administrera cet accord tandis
que la procédure de règlement des différends de droit commun (celle de
l'ORD) s'appliquera (art. 6).
• L'origine des produits
526 L'Accord général de 1947 n'abordait le problème si important de l'origine
des produits que d'une manière partielle et bien marginale. En effet, les
règles posées, au demeurant fort générales, ne visaient que le phénomène
du marquage de l'origine des produits importés à des fins de protection des
consommateurs et qui devait s'effectuer d'une manière non-protectionniste
(art. IX et en particulier les § 2 et 4).
CCÈS AUX MARCHÉS 209

527 L'enjeu des règles d'origine des produits va bien au-delà de leur simple
marquage. La détermination de l'origine des produits commande en effet
le régime juridique qui leur sera appliqué à l'occasion de leur franchisse-
ment de la frontière. Ainsi un produit originaire d'un pays membre de
l'OMC bénéficiera du régime conventionnel posé que ce soit en matière
d'accès aux marchés, de recours aux mesures de défense commerciale multilaté-
rale ou de mise en oeuvre des exceptions. C est dire toute l'importance de
cette question de la détermination de l'origine des produits rentrant dans
le commerce international. Le « GATT 1947 » était curieusement muet
sur cette question centrale.
528 Les négociateurs du «Cycle de l'Uruguay » s'efforcèrent de remédier à
te lacune et un « accord sur les règles d'origine » put être conclu : il est
inséré dans l'Annexe I A de l'OMC au titre des « accords multilatéraux sur
le commerce des marchandises ». Il fait ainsi partie du « GATT 1994 » —
du moins lato sensu.
529 L'objectif de cet Accord est de parvenir à une «harmonisation des règles
d'origine » à la suite d'un programme de travail s'étalant sur trois ans ; le
but n'est donc pas de poser un régime juridique international unique en
matière de règles d'origine, mais de faire en sorte que les lois nationales de
détermination du pays d'origine des marchandises soient « objectives »,
compréhensibles et prévisibles » (art. 9 (1.) c ), « cohérentes » (art. 9 (1.) f )
et qu'elles puissent être administrées « d'une manière cohérente, uni-
forme, impartiale et raisonnable » (art. 9 (1) e)). En aucun cas elles ne
devraient conduire à des distorsions, restrictions ou désorganisation du
commerce international (art. 9 (1) d)). Ce programme de travail sera exé-
cuté conjointement par la conférence ministérielle de l'OMC et le Conseil de
la Coopération Douanière (CCD) ; le pays d'origine sera celui où la « mar-
chandise aura été entièrement obtenue» (ce qui est simple à déterminer)
ou en cas de production dans plusieurs pays, (et c'est le plus fréquent et le
plus complexe) celui de la « dernière transformation substantielle » (art. 9
(1) b)). Durant la période de transition, les membres devront respecter des
disciplines communes (publicité, transparence, application non-discrimi-
natoire ou protectionniste, administration cohérente, uniforme, impar-
iale et raisonnable de leur législation sur les règles d'origine sous le
contrôle de juges indépendants). Ces réglementations seront notifiées au
Secrétariat de l'OMC. Un Comité des règles d'origine est chargé d'examiner
et de suivre le fonctionnement de l'Accord assisté d'un Comité technique
qui aura pour mission de suivre les résultats du programme de travail
d'harmonisation et de suggérer les modifications qui lui sembleraient
opportunes.
Ce régime posé en matière de règles d'origine a donné satisfaction dans
la mesure où il est exempt de tout contentieux et n'a fait l'objet que d'un
petit nombre de demandes de consultation de la part des membres de
l'OMC.
210 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

L'interdiction du recours aux barrières


non-tarifaires au titre de la commercialisation
des produits importés
530 Plan De même que des taxes intérieures peuvent se substituer aux
droits de douane et avoir les mêmes effets protectionnistes, des barrières
non-tarifaires portant sur les produits importés lors de leur commerciali-
sation peuvent jouer le même rôle néfaste que des obstacles administratifs
opposés lors du franchissement de la frontière. Que l'obstacle porte sur le
produit importé en amont ou en aval, l'impact protectionniste est le
même. L'Accord général de 1947 en était bien conscient et la clause du
traitement national avait précisément pour but d'y faire face (a). Mais ses
détournements ont été nombreux grâce à un usage subtil — et souvent
abusif — de la normalisation des produits (b).

a. Une interdiction inhérente au jeu de la clause


du traitement national
531 Le jeu de la clause du traitement national, l'une des deux pierres angulaires
de l'Accord général, a pour objectif fondamental d'assurer une égalité de
traitement entre produits nationaux et produits importés similaires —
notamment en matière de leur commercialisation. Prima facie cette règle
offre la meilleure garantie du caractère non-discriminatoire et donc non-
protectionniste des réglementations internes concernant la commerciali-
sation des produits lato sensu.
532 Pour autant, chaque État a le droit de réglementer, voire d'interdire la
commercialisation de produits pour des raisons tenant à la protection de
son ordre public ou des intérêts essentiels de sa sécurité, ainsi que cela est
reconnu par les articles XX et XXI de l'Accord général (v. infra). Dès lors,
la tentation est grande pour un pays, sous l'apparence de la protection de
tels intérêts légitimes, de prendre des mesures qui, tout en étant formelle-
ment non-discriminatoires, vont en réalité frapper principalement les
produits importés et les écarter ainsi de son marché national, protégeant
de la sorte efficacement ses propres producteurs. Beaucoup n'ont pas man
qué de succomber à ce travers ainsi qu'en témoignent les nombreux diffé-
rends sur les barrières non-tarifaires insidieuses à l'époque du GATT.
533 Dans le domaine du commerce des produits agricoles, des barrières non-tari-
faires nombreuses ont été élevées sous le prétexte de la protection de la
santé et de la vie des personnes et des animaux et de la préservation des
végétaux. Elles firent l'objet d'un accord spécial au titre de l'AMC portant
sur les « mesures sanitaires et phytosanitaires » (v. ss 424 s.). Dans le
domaine du commerce des produits industriels, ce type de barrières non-tari-
faires a principalement porté sur le domaine de la normalisation.
CCÈS AUX MARCHÉS 11

b. La lutte contre les « obstacles techniques au commerce »


ou la normalisation en question
534 Lors du Tokyo Round, un accord latéral sur les « obstacles techniques au
commerce » (souvent qualifié de « code de la normalisation ») fut conclu
le 12 avril 1979 entre 44 parties contractantes du GATT pour entrer en
igueur à compter du 1" janvier 1980.
« L'Accord sur les obstacles techniques au commerce » figurant à l'An-
nexe I A de l'OMC au titre des « accords multilatéraux sur le commerce
des marchandises » — ainsi que le précise clairement le préambule —
reprend l'essentiel du « code des normes » adopté à l'issue de Tokyo round
en 1979. Il couvre à la fois les produits industriels et agricoles. La préoccu-
pation cent ale est la même : si les réglementations techniques et les
normes (y compris les procédures d'évaluation ainsi que les prescriptions
en matière d'emballage, de marquage et d'étiquetage) sont légitimes pour
assurer la qualité des produits et nécessaires pour protéger santé et vie des
personnes et des animaux de même que les consommateurs et l'environ-
nement, il n'empêche qu'elles ne doivent pas constituer une « restriction
déguisée du commerce international » ou une discrimination « arbi-
traire » ou « injustifiée » entre les pays. En bref, les normes ne doivent pas
constituer autant de barrières non-tarifaires freinant l'accès aux marchés ;
elles ne sauraient être utilisées à des fins protectionnistes.
535 Or, il va de soi que les États ne manquent pas de faire preuve d'une grande
ingéniosité pour prendre des mesures qui, tout en apparaissant poursuivre
un but de protection d'intérêts légitimes comme ceux des consommateurs
t de leur santé, modifient en réalité (et telle est d'ailleurs bien leur finalité
profonde) les conditions de la concurrence sur le marché pertinent au
détriment des produits importés « similaires » aux produits nationaux
Deux affaires récentes dont eut à connaître l'Organe d'appel de l'OMC
illustrent on ne peut mieux ce type de situation. Dans la première, les
États-Unis furent censurés pour avoir adopté des normes techniques dif-
férentes, discriminatoires, à l'encontre de cigarettes aux clous de girofle
importées d'Indonésie alors qu'elles étaient « similaires » en tous points
de vue aux cigarettes mentholées fabriquées aux États-Unis - la similarité
étant communément appréciée au vu des caractéristiques physiques du
produit en cause, de sa concurrence ou substituabilité avec un produit
local, de son utilisation finale et enfin des goûts et habitudes des consom
mateurs (États-Unis - Mesures affectant la production et la vente des ciga-
rettes aux clous de girofles, Rapport du 4 avril 2012, WT/DS406/AB/R).
Dans la seconde et en vertu d'une approche identique, les États-Unis
furent condamnés pour avoir adopté des mesures d'étiquetage du bétail
modifiant les conditions de concurrence « en créant une désincitation à
l'utilisation de bétail importé » (du Canada et du Mexique en l'espèce) et
une incitation en faveur du traitement de bétail exclusivement natio-
nal » (États-Unis - Certaines prescriptions en matière d'étiquetage indiquant le
212 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

pays d'origine (EPO), Rapport du 29 juin 2012, WT/DS/384/AB/R et WT/


DS/386/AB/R/, § 292)
536 Les auteurs de ces « règlements techniques et normes », que ce soient des
institutions publiques ou locales ou même des organismes non-gouverne-
mentaux, devront éviter toute discrimination entre les produits similaires
importés et les produits nationaux ; c'est dire que les clauses de la nation
la plus favorisée et du traitement national trouveront ici à s'appliquer. Ces
règlements et normes devront être « nécessaires » et poursuivre des
« objectifs légitimes » (art. 2.2). Ils devront être transparents, c'est-à-dire
à la fois publiés et notifiés aux membres de l'OMC. En principe, les normes
internationales pertinentes existantes doivent être utilisées à ce titre ou
reprises dans la réglementation nationale (art. 2.2.4) ; si tel n'est pas le
cas, il existe sans doute au profit de la règle nationale une présomption de
non-restriction au commerce international, mais celle-ci est réfragable
(art. 2.2.5 et 2.2.9) — ce qui pourra déboucher sur un véritable différend
commercial qui devra alors être réglé selon la procédure de droit commun
par recours à l'ORD (art. 14). Enfin, les membres sont invités à recon-
naître comme « équivalentes » leurs réglementations respectives — sans
aller, comme au sein de la Communauté Européenne — jusqu'à une obli-
gation de reconnaissance mutuelle (art. 2.2.7).
537 Dans une autre affaire emblématique récente mettant en cause la pêche
des thons et qui opposa le Mexique aux États-Unis, la plupart des règles
précédentes gouvernant le régime des OTC eurent l'occasion d'être exami-
nées et appliquées par l'Organe d'appel (États-Unis - Mesures concernant
l'importation, la commercialisation et la vente de thon et de produits de thon,
Rapport du 16 mai 2012, WT/DS381/AB/R). En l'espèce, était en cause la
réglementation américaine énonçant les prescriptions à respecter pour
que les produits de thon vendus aux États-Unis puissent être étiquetés
« dolphin safe » - c'est-à-dire pêchés sans porter atteinte à ces cétacés. Sui-
vant leur analyse traditionnelle, tant le groupe spécial que l'Organe d'ap-
pel estimèrent que la réglementation américaine n'était pas conforme aux
critères posés par l'article 2.1 de l'Accord OTC en ce qu'elle modifiait « les
conditions de la concurrence sur le marché au détriment des produits de
hon mexicains » § 239 et 298-299). Plus intéréssante en raison de sa por-
tée générale, est l'analyse faite par l'Organe d'appel des exigences posées
par l'article 2.2 de l'Accord OTC qui visent à s'assurer que les règlements
techniques en cause ne créent pas « d'obstacles non nécessaires au com-
merce internationa » et qu'ils soient « nécessaires pour réaliser un objec-
if légitime » (§ 311-322) - critères respectés ici par les mesures querellées
à tort par le Mexique (§ 342). Mais, c'est l'examen par l'Organe d'appel de
l'article 2.4 de cet Accord OTC qui retiendra le plus l'attention en raison
de sa nouveauté et de sa portée (§ 343-398) car c'est pour la première fois
que devait être examinée en détail la notion de « norme internationale
pertinente ». Concrètement, il s'agissait de savoir si « l'Accord relatif au
CCÈS AUX MARCHÉS 213

programme international pour la conservation des dauphins » (AIDPC


selon ses initiales en anglais) constituait ou non une « organisation inter-
nationale à activité normative »comme le groupe spécial l'avait reconnu
dans son rapport ; sans doute, cette question était-elle circonscrite à l'ap-
plication de l'Accord OTC mais sa réponse impliquait à l'évidence une
approche plus large - d'où son intérêt. L'ORD censura finalement l'analyse
du groupe spécial en estimant que si l'AIDPC pouvait bien apparaître ren-
rer dans la catégorie des « organismes internationaux à activité norma-
tive compétents » visés à l'article 2.6 de l'accord OTC dans la mesure où
comme le précise le « Guide ISO/CEI 2 : 1991 » sont mentionnées des
« entité(s) de droit public ou privé (ayant) une mission et une composition
déterminées », il n'était pas pour autant une organisation définie par ce
même « Guide ISO » comme « un organisme... fondé sur la participation
ou l'adhésion d'autres organismes ou de particuliers et... doté de statuts
bien établis et de sa propre administration » (§ 355). De surcroît, l'Organe
d'appel s'appuya sur l'Annexe 1.4 de l'Accord OTC caractérisant un « orga-
nisme ou système international » par son ouverture à « tous les membres
de l'OMC » pour dénier cette qualité à l'AIDPC qui, lui, prévoit un système
« d'invitation » et non d'admission automatique - cette invitation ne pou-
vant être analysée comme une simple « formalité » (§ 398) (« compte
tenu des dispositions relatives à l'adhésion à l'AIDPC, il apparaît donc que
l'AIDPC n'est pas un organisme « international » aux fins de l'accord
OTC » (ibid.).
538 Compte tenu de l'imagination et de la créativité des États, il n'est pas éton-
nant que le domaine des normes techniques couvert par cet accord spéci
figue de l'OMC ait été l'une des sources majeures du contentieux commer-
cial (45 affaires ont été soumises à LORD à ce titre au I er octobre 2012) ;
et pour les mêmes raisons, il a toute chance de le demeurer ainsi que cela
a pu se vérifier au cours des derniers mois écoulés.
539 Les procédures d'évaluation de la conformité à des règlements techniques ou
à des normes, qu'elles émanent des institutions publiques centrales ou
locales ou encore d'organismes non-gouvernementaux, doivent être non-
discriminatoires tant entre les produits importés (clause de la nation la
plus favorisée) qu'avec les produits nationaux similaires (clause du traite-
ment national) (art. 5). Elles devront être publiques, aisément accessibles,
ne pas durer trop longtemps et se révéler « nécessaires » et ce, pour ne pas
constituer des obstacles au commerce international. S'il existe en la
matière des guides ou recommandations pertinents « émanant d'orga-
nismes internationaux à activités normatives », ceux-ci devront être sui-
vis dans les procédures internes d'évaluation de conformité — sauf à
démontrer leur caractère inapproprié (art. 5.5.4).
540 Outre la création d'un « code pratique pour l'élaboration, l'adoption et
l'application des normes » (Annexe 3) qui est ouvert à l'acceptation de tout
214 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

organisme national ou international « à activité normative », deux autres


instruments sont à signaler en la matière. Deux décisions ministérielles
concernant cet accord ont été insérées dans l'Acte final de Marrakech : la
première vise à la conclusion d'un Mémorandum d'accord avec l'Organi-
sation Internationale de Normalisation (International Standard Organi-
sation ou ISO qui a son siège à Genève) pour mettre en place un système
d'information sur les normes OMC-ISO aux fins de classification, codage
et identification ; la deuxième concerne l'examen annuel de la publication
du Centre d'Information ISO/CEI de Genève sur les renseignements four-
nis au titre dudit Code et sans préjudice du recours aux procédures de
consultation et de règlement des différends institués au sein de l'OMC.
Cette référence formelle à l'activité normative d'organisations interna-
tionales, régionales ou internationales (en général non dénommées sauf
la référence spéciale à l'ISO) en matière de réglementations techniques,
illustre la remarque faite ailleurs quant au caractère de mosaïque que
continue de revêtir le Système OMC : il y a en effet là une difficulté cer-
taine pour appréhender l'étendue de la nouvelle « loi OMC », ses rapports
et sa compatibilité avec les autres instruments et institutions internatio-
nales auxquelles elle fait elle-même référence (§ 352 s.).

L'ÉGALITÉ DE TRAITEMENT
SECTION 2.
ENTRE LES PRODUITS ÉTRANGERS
À L'IMPORTATION : LE JEU DE LA CLAUSE
INCONDITIONNELLE DE LA NATION
LA PLUS FAVORISÉE
541 Fort ancienne, la clause de la nation la plus favorisée est susceptible de
revêtir des formes différentes (§ 1). Clef de voûte tant de l'Accord général
de 1947 que de l'OMC de 1995 (§ 2), elle connaît cependant de nom-
breuses exceptions qui en réduisent grandement la portée pratique (§ 3).

§ Historique et modalités
542 Présente depuis fort longtemps dans les traités de commerce bilatéraux
(1), elle peut revêtir deux formes profondément différentes selon qu'elle
est de nature conditionnelle — ce qu'elle fut initialement — ou incondi-
tionnelle — ce qu'elle est devenue aujourd'hui (2)

1. Ancienneté de la clause
543 La clause de la nation la plus favorisée, disposition ô combien classique des
raités de commerce, a une longue histoire qui remonte au... XIIIe siècle.
CCÈS AUX MARCHÉS 15

Ainsi, dans le traité de paix et de commerce du 5 octobre 1231 entre la


République de Venise et le Bey de Tunis, ce dernier s'engageait à l'égard des
marchands vénitiens et pour l'imposition douanière à ne leur appliquer
« aucun traitement différent ou plus onéreux que ce qui était exigé des
autres chrétiens ». Sous des formes sans doute plus précises et évoluées, ce
type de clause devait se retrouver dans la quasi-totalité des accords de
commerce conclus au cours des siècles au point qu'il pouvait être conclu
par un observateur averti de la période de l'entre-deux-guerres que « la
clause de la nation la plus favorisée... [pouvait] être considérée comme
une clause générale de l'organisation des échanges » (Nolde, Rec. cours La
Haye 1932. I p. 23).

2. Clause conditionnelle ou inconditionnelle


de la nation la plus favorisée
544 La clause de la nation la plus favorisée peut être définie comme la disposi-
tion conventionnelle selon laquelle les pays contractants acceptent de s'oc-
troyer mutuellement le bénéfice des avantages commerciaux supplémentaires
qu'ils viendraient à accorder ultérieurement à des pays tiers soit de manière
inconditionnelle soit sous condition de réciprocité.
C'est dire que cette clause est susceptible de revêtir deux formes diffé-
rentes : soit elle est inconditionnelle et elle joue alors automatiquement, soit
elle est de nature conditionnelle et elle ne jouera que si, réciproquement, le
pays bénéficiaire accepte de son côté de faire la même concession. Dans sa
première version et pour reprendre les mots de la Cour Internationale
de Justice dans l'Affaire des Ressortissants américains du Maroc qui opposa
les États-Unis à la France, elle a pour objet premier « d'établir et de main-
tenir en tout temps l'égalité fondamentale sans discrimination entre tous
les pays intéressés » (Rec. 1952, p. 192).
Dans sa deuxième version, l'égalité de traitement entre les pays ne sera
totale que s'il y a réciprocité des concessions, faute de quoi des discrimina-
tions de traitement apparaîtront (ou perdureront).
545 Historiquement, la clause de la nation la plus favorisée fut d'abord condi-
tionnelle. Elle se trouve tout naturellement de la sorte dans le traité d'al-
liance et de commerce conclu le 6 février 1778 (art. 4) entre les États-Unis
et la France. Elle demeura d'ailleurs sous cette forme durant tout le
XIX siècle si l'on excepte le célèbre traité de commerce de 1860 (dit Che-
valier/Cobden) conclu entre la France et la Grande-Bretagne, mais qui ne
fut suivi d'aucun effet d'entrainement . Puis elle devint de nature incondi-
tionnelle à la suite d'un changement fondamental dans la politique com-
merciale extérieure des États-Unis qui abandonnèrent leur position tradi-
tionnelle initiale de peur d'être victimes de discriminations de leurs
partenaires, rendues possibles avec la clause de réciprocité. Ainsi, dans le
premier traité de commerce qu'ils conclurent après la première guerre
216 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

mondiale avec l'Allemagne en 1923, ils se firent les plus ardents défenseurs
de la version inconditionnelle de la clause accordant une considération
prioritaire à l'objectif de non-discrimination (ou d'égalité de traitement).

§ 2. La clause de la nation la plus favorisée,


clef de voûte du GATT/OMC
546 La clause de la nation la plus favorisée a été institutionnalisée dans le
système GATT/OMC sous sa forme inconditionnelle (1). Elle en constitue
l'une des deux clefs de voûte (avec la clause du traitement national) tant
sa portée est grande et a encore été étendue au sein de l'OMC (2).

1. L'institutionnalisation de la clause de la nation


la plus favorisée de nature inconditionnelle
547 Plan Présente au centre des mécanismes de libéralisation du commerce
mondial administré par le GATT puis l'OMC (a), la clause n'a pas manqué
de produire des effets pervers dus à sa nature inconditionnelle qui a per-
mis de donner naissance au phénomène souvent rencontré de la course
gratuite (free ride) qui n'a cessé d'affecter la conduite des négociations
commerciales multilatérales depuis un demi-siècle (b).

a. Son institutionnalisation au sein du GATT puis


de l'OMC
548 La clause de la nation la plus favorisée insérée à l'article premier de l'Ac-
cord général de 1947 est l'héritière directe de la pratique américaine : elle
est ainsi de type inconditionnelle. Et il s'agit là de la première institution-
nalisation de la clause. Depuis, dans le Système OMC, elle a connu d'autres
institutionnalisations en étant étendue au domaine des droits de propriété
intellectuelle (art. 4 de l'ADPIC) (v. ss 1034) et des services (art. II du GATS
et v. ss 926 s.).

b. Sa conséquence inéluctable : le phénomène


de la course gratuite (free ride)
549 En retenant sa modalité inconditionnelle, les pays décidèrent de privilé-
gier l'égalité formelle de crainte de légitimer les discriminations poten-
tielles dues au jeu de la réciprocité dans la mise en oeuvre de la clause.
Mais, comme cela était prévisible, la version inconditionnelle de la clause
a donné naissance au phénomène du « free ride » (ou course gratuite) si
souvent remarqué et qui lui est consubstantiel. D'où un déséquilibre crois
sant des droits et des obligations entre les parties contractantes du GATT
qui devenait de moins en moins tolérable. Faute de vouloir (ou de pouvoir)
CCÈS AUX MARCHÉS 217

modifier la clause dans le sens conditionnel en soumettant sa mise en


oeuvre au jeu de la réciprocité des concessions commerciales, c'est tout le
système GATT » qui fut remplacé à la fin de la négociation du Cycle de
l'Uruguay par un nouveau « Système OMC » au titre d'un engagement
unique (single undertaking), ce qui conciliait réciprocité des engagements et
égalité des participants.
Mais comme cela a déjà été signalé (v. ss 391) une telle méthode de
négociation se révèle particulièrement contraignante en raison de son
approche du « tout ou rien » ; dans la réalité, elle s'est révélée contre-pro-
ductive ainsi que l'a bien montré le déroulement du « cycle de Doha »
même si elle poursuit la louable ambition de concilier l'égalité de traite-
ment des Nations avec la réciprocité des engagements fondée sur des avan-
tages mutuels.
550 Autrement dit et en bref, le jeu de la clause de la nation la plus favorisée de
type inconditionnel constitue une difficulté de taille dans la conduite des
NCIVI : soit les parties contractantes en restent au plus petit commun
dénominateur pour se ménager une certaine mutualité des concessions,
soit certaines parties (peut-être une simple minorité) décident d'aller au-
delà, et les autres (peut être une large majorité) bénéficieront de la libéra-
lisation des échanges tout en n'ayant eux-mêmes pas à améliorer l'accès à
leur propre marché (phénomène du « free ride »).

2. Portée de la clause au sein du Système OMC


551 Règle de traitement limitée initialement à l'époque du GATT aux pro-
duits importés similaires (a), la clause a maintenant été étendue aux
personnes (b). À côté de son aspect positif traditionnel, elle revêt égale-
ment une portée négative sous la forme d'une sorte de clause de la nation
la moins favorisée (c).

a. Son application aux produits importés similaires

• Sa limitation aux produits similaires


552 L'article premier du GATT 1947 est on ne peut plus clair ici : le traitement
général de la nation la plus favorisée ne porte que sur les produits importés
(ou exportés) pour peu que ceux-ci soient similaires. Ne concernant que les
produits, la clause présente ici une portée limitée puisqu'elle exclut de son
bénéfice les individus (personnes physiques ou morales). Autrement dit,
en limitant son jeu aux produits et en excluant les personnes, cette dispo-
sition de l'Accord général ne saurait posséder aucun effet direct dans l'ordre
interne des États.
Cette clause interdit ainsi toute discrimination tant de jure que de facto
entre les produits importés similaires ainsi que devait le reconnaître
218 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

l'organe d'appel de 1'ORD dans l'affaire Canada — certaines mesures affec-


tant l'industrie automobile décidée le 31 mai 2000 (en l'espèce, un avantage
douanier n'avait pas été accordé par le Canada à tous les véhicules simi-
laires en provenance de tous les pays membres de l'OMC).
• La notion de produits similaires
553 La clause ne couvre que les produits importés ou exportés similaires, cette
expression de produit similaire étant fréquemment utilisée dans le corps
de l'Accord général (v. par exemple les art. I.1., 11.2., III (2) et (4), VI (1) a)
et b) ; IX.1., XI.2., XIII (1), XVI.4. ou XIX (1)). Il est bien clair que ce concept
de « produits similaires » — quel que soit le contexte dans lequel il est
utilisé et qu'il soit à apprécier par rapport aux produits importés ou natio-
naux — constitue une source certaine de difficultés. À des fins protection-
nistes, les États sont à l'évidence tentés par l'affirmation de la spécificité des
produits qu'ils entendent traduire pour une classification douanière parti-
culière et bien entendu défavorable aux exportateurs étrangers. Comment
ici ne pas rappeler les termes d'anthologie du tarif conventionnel alle-
mand d'avant 1914 qui dans sa position n° 107 singularisait le « gros
bétail tacheté de montagne ou bétail à robe brune élevé dans une localité
située à 300 mètres au moins au-dessus de la mer et séjournant au moins
chaque année dans des pâturages situés à 800 mètres au moins au-dessus
du niveau de la mer ? ». (op. cit. par B. Nolde, Rec. cours La Haye 1932-1,
p. 47). Ainsi, grâce à une spécialisation poussée — et ici outrancière — des
produits par le biais du tarif douanier, un pays peut grandement limiter la
portée de ses concessions commerciales et rendre le jeu de la clause de la
nation la plus favorisée vide de sens. Pour éviter ce phénomène, le GATT a
utilisé le concept plus large de « produit similaire ».
554 Or, faute de définition de ce concept clé (mais était-ce scientifiquement
possible ?), il a fait l'objet d'appréciations au cas par cas par des «groupes
spéciaux » (panels).
C'est ainsi par exemple qu'il a été estimé que « produit similaire » ne
voulait pas dire « produit directement concurrent » ni même « produit
directement substituable » : ainsi les protéines végétales sont-elles diffé-
rentes des protéines d'origine animale ou marine ainsi que des protéines
de synthèse (v. Guide des Règles et Pratiques du GATT, op. cit., pp. 40-41).
Si la science pouvait être ici invoquée, parfois il est fait référence au « goût
et à l'arôme » des produits pour savoir s'ils sont similaires ou non : ainsi
les cafés non torréfiés et non décaféinés devraient être considérés comme
des produits similaires de même que les cafés « arabica non lavé », robusta
et café doux ! (v. ibid., pp. 41-42).
Un « groupe spécial » fonctionnant à l'époque du GATT' sur les
«Ajustements fiscaux aux frontières » (2.X11.1970. IBDD S.18/105) devait
poser les quatre critères généraux nécessaires pour assurer la « similarité »
un produit par rapport à un autre ; il convenait ainsi d'examiner (i) les
CCÈS AUX MARCHÉS 19

propriétés, nature et quantités desdits produits, (ii) les utilisations finales


de ceux-ci (iii) les goûts et habitudes des consommateurs et enfin (iv) le
classement tarifaire des produits. Une décision de l'organe d'appel de
l'OMC dans l'affaire « Communautés européennes — Mesures affectant
l'amiante et des produits en contenant» (12 mars 2001, VVT/DS 135/DB/R)
devait reconnaître toute la pertinence de cette analyse qui gardait son
actualité (v. en particulier les § 85 et 88). Plus récemment encore, l'Or-
gane d'appel suivit la même approche dans l'affaire Philippines-Taxes sur les
boissons distillées, Rapport du 21 décembre 2011, WT/DS/AB/R , § 170-
174, 205-208, 242-243, 257-261 et v. ss 570).
Les concessions commerciales couvertes
555 La clause couvre tous les « avantages, faveurs, privilèges ou immunités »
que des pays peuvent accorder à l'échange de leurs produits (art. 1 (1)), en
bref toutes les concessions commerciales qu'ils sont amenés à négocier.
Celles-ci sont susceptibles de revêtir des formes fiscales (droits de
douane ou imposition de toute nature à l'importation, octroi de licence
importations) ou non-tarifaires (modes de perception des droits, ou for-
malités douanières par exemple). Sont en outre visées les « taxes ou autres
impositions intérieures » ainsi que la « commercialisation» des produits
telles que mentionnées à l'article III (2 et 4). De plus, l'Accord général
étend spécifiquement le jeu de la clause aux marques d'origine pour ce qui
concerne leur « marquage » (art. IX (1), ou aux pratiques commerciales
des entreprises d'État (art. XVII (1)).

b. Son extension aux personnes dans le Système OMC


556 Ici, le changement introduit à l'occasion du passage à l'OMC ne saurait
être minimisé.
En effet, tant « l'Accord général sur le Commerce des services » (GATS)
que celui portant sur les « aspects des droits de propriété incorporelle qui
touche aux commerces (ADPIC) ont les individus (personnes physiques
ou morales) pour destinataires. En effet, le GATS précise bien que le trai-
tement de la nation la plus favorisée porte à la fois sur les services similaires
et sur leurs fournisseurs (art. II (1). De son côté, l'APDIC — et cela est
inhérent à sa nature propre — s'applique aux « ressortissants » des pays
membres qui sont ici bénéficiaires des règles de traitement posées, y com-
pris celle de la nation la plus favorisée (art. premier (3) et note 1.
557 C'est dire que, en droit du moins sans le moindre doute possible et malgré
une jurisprudence contraire de la Cour de Justice de l'Union européenne
v. ss 1015-1016), tant l'accord sur le commerce des services que celui sur
les droits de propriété intellectuelle possèdent un effet direct certain dans
l'ordre interne des pays membres. En bref, ils sont de nature à pouvoir être
invoqués par les justiciables devant leurs juges naturels et ceux-ci devront
220 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

leur reconnaître et donner plein effet, fût-ce en écartant les dispositions


internes contraires.

c. Traitement de la nation la plus favorisée


et traitement de la nation la moins favorisée
558 La clause de la nation la plus favorisée, de par sa nature même, est positive
en ce qu'elle généralise des avantages commerciaux. Mais, curieusement,
en creux, l'Accord général consacre également son inverse, c'est-à-dire le
jeu de la nation la moins favorisée en interdisant toute sélectivité dans des
situations d'exception comme l'imposition des restrictions quantitatives
(art. XIII (1)), le retrait de concessions en cas de désorganisation du mar-
ché (art. XIX (1)) ou la répartition des produits en situation de pénurie
(art. XX (j)). Si cette égalité dans le malheur relève d'une conception jus-
icialiste du droit, elle est difficilement compatible avec une saine analyse
économique : pourquoi en effet frapper de restrictions commerciales des
exportations étrangères non directement responsables des difficultés éco-
nomiques du pays importateur et de ses producteurs au risque d'entraîner
des rétorsions commerciales de tous les pays affectés qui produiront ainsi
un effet « boule de neige » ? Ces conséquences néfastes du jeu de la clause
de la nation la plus favorisée n'ont pas pu être redressées à l'occasion de la
réforme des clauses de sauvegarde négociées lors du Cycle de l'Uruguay (v.
ss 670, 693 s.).
559 En bref, la clause de la notion la plus favorisée présente un volet positif sous
la forme de la généralisation immédiate et automatique des concessions
commerciales négociées entre les membres de l'OMC et un volet négatif
sous la forme de l'application égalitaire des retraits de concessions com-
merciales. Ces automatismes constituent à l'évidence autant de facteurs
de rigidité dans la gestion du système commercial multilatéral. Tel a été le
prix à payer pour maintenir l'égalité des parties contractantes du GATT
hier et celle des membres de l'OMC aujourd'hui. Mais les tenants de la
réciprocité dans le jeu positif de la clause et de la sélectivité dans son jeu
négatif n'ont jamais désarmé.

§ 3. Exceptions
560 De larges exceptions systémiques En dépit de son caractère de clef
de voûte tant à l'époque du GATT que maintenant dans le Système OMC,
la clause de la nation la plus favorisée connaît des exceptions étendues qui
ont pour point commun de reposer sur son exact opposé, la notion de pré-
férences commerciales. Seule leur existence sera ici signalée dans la mesure
où elles feront ailleurs l'objet d'un examen spécifique ultérieur (v. ss 706 s.).
L'Accord général de 1947 légitimait l'existence et la constitution d'ar-
rangements commerciaux préférentiels à des fins d'intégration économique
CCÈS AUX MARCHÉS 21

régionale ou pour faciliter le trafic frontalier (art. XXIV et v. ss 735 s.). La


prolifération de ces « clubs » a profondément contribué à l'érosion de la
clause de la nation la plus favorisée en validant des discriminations com-
merciales notoires.
En outre, à titre de dérogation tout d'abord puis d'exception pérennisée
à la suite du Tokyo Round en 1979, un régime préférentiel de commerce a été
institué dans les relations entre pays développés et pays en développement
de même que pour gouverner les rapports de ces derniers. Autrement dit,
la clause de la nation la plus favorisée, ne régit plus ni les rapports Nord/
Sud ni les rapports Sud/Sud.
561 Portée limitée de la CNPF 0 Ces exceptions générales (ainsi que les
domaines exclus du GATIYOMC comme les matières premières par
exemple), ont fait perdre à la clause de la nation la plus favorisée son
importance de jadis. La part des échanges internationaux qui lui étaient
soumis ne faisait que régresser au cours des ans pour atteindre un faible
volume du commerce mondial (moins de 20 %). Toutefois, son extension
à de nouveaux secteurs (à commencer par les services ou la propriété
intellectuelle) sous l'empire de l'OMC a permis de redonner à la clause
une nouvelle jeunesse et un regain d'efficacité. Même si les chiffres ne
peuvent être ici qu'approximatifs, il est vraisemblable que la clause de la
nation la plus favorisée dans sa portée élargie actuelle couvre environ le
tiers du commerce mondial.
Toutes ces exceptions au jeu de la clause de la nation la plus favorisée par
le biais d'accords préférentiels de diverse nature et portée sont maintenant
couramment décrites sous l'expression imagée de « bol de spaghet i »
(spaghetti bowl) officialisée par le « Rapport Sutherland » de 2004 sur
« l'Avenir de l'OMC ».

SECTION 3.
L'ÉGALITÉ DE TRAITEMENT
ENTRE LES PRODUITS ÉTRANGERS
À L'IMPORTATION
ET LES PRODUITS NATIONAUX :
LA CLAUSE DU TRAITEMENT NATIONAL
562 Généralités 0 Le traitement national constitue le complément naturel du
raitement de la nation la plus favorisée pour donner effet au principe
cardinal de non-discrimination qui doit présider aux échanges commer-
ciaux internationaux. Ne pas discriminer entre les produits importés est
une chose, les traiter également avec les produits nationaux en est une
autre. La première est à l'évidence moins contraignante puisqu'elle ne vise
que la situation des produits importés de l'étranger. Ainsi, prise isolément,
222 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

elle n'interdit pas les mesures nationales de protection au profit des pro-
ducteurs locaux. La seconde va au-delà en posant le principe d'une égalité
de traitement entre les produits, quelle que soit leur origine — étrangère
(et donc importés) — ou nationale (et donc confectionnés localement).
Dans une optique d'organisation internationale des échanges fondée sur
la liberté et la non-discrimination (ce qui est l'essence même du multila-
téralisme), clause de la nation la plus favorisée et clause de traitement
national ne vont pas l'une sans l'autre, la seconde renforçant considéra-
blement la première. Elles n'ont d'ailleurs jamais manqué d'être associées
dans les traités bilatéraux de commerce (voire dans les conventions d'éta-
blissement) négociés entre les États. La clause de traitement national
constitue ainsi tout naturellement la deuxième clef de voûte tant du
« GATT 1947 » que du nouveau « Système OMC ».
563 Plan o Si la définition de cette clause de traitement national est simple
(§ 1), sa portée (§ 2) — particulièrement large — n'a jamais manqué d'être
au centre de nombreux différends commerciaux dans la mesure où la
tentation protectionniste a pu s'y donner libre cours. On notera enfin que,
contrairement à la clause de la nation la plus favorisée, elle ne connaît que
de rares exceptions (§ 3).

§ 1. Définition de la clause de traitement national


564 Assimilation des produites importés aux produits nationaux En
matière de commerce international, la clause du traitement national est
celle qui assure une assimilation quant au régime juridique et fiscal appli-
cable aux produits importés par rapport aux produits nationaux. Autre-
ment dit, cette clause insérée à l'article III de l'Accord général de 1947 inter-
dit d'une façon générale les discriminations de traitement à raison de
l'origine des produits, que ceux-ci soient importés ou confectionnés loca-
lement. Ces derniers ne doivent pas bénéficier d'une protection nationale
indirecte (art. III (1)).
Comme devait justement le noter l'organe d'appel, ce que l'article III (I)
vise à protéger c'est non pas le volume des importations en tant que tel mais
le « rapport compétitif escompté » entre produits importés et produits natio-
naux : tout changement — sauf réfutation contraire — est ainsi présumé
comme annulant ou compromettant les avantages conférés par l'Accord
général (Rapport du 9 sept. 1997 dans l'affaire « Communautés européennes
— Régime applicable à la vente et à la distribution des bananes » § 252, confir-
mant expressément les analyses antérieures des groupes spéciaux du GATT
et notamment celui du 17 juin 1987 « États-Unis — Fonds Spécial »).
565 Maintien de conditions égales de concurrence Cette clause est
ainsi destinée à assurer des conditions égales de concurrence entre les
produits sur un marché national donné. En bref, au titre de cette clause
fondamentale du commerce international, aucun État ne doit adopter (ou
CCÈS AUX MARCHÉS 23

maintenir) sur son marché national une mesure qui viendrait à « modi-
fier les conditions de concurrence au détriment des produits importés »
pour reprendre ici une expression de l'organe d'appel dans son Rapport du
25 avril 2005 — WT/DE302/AB/R — République dominicaine — mesures
affectant l'importation et la vente de cigarettes sur le marché intérieur, § 93.
Toutefois, la tentation protectionniste — toujours forte et permanente —
s'est donnée ici libre cours. Nombre d'États n'ont en effet eu de cesse d'adop-
ter des réglementations qui, pour fondées qu'elle soient sur des motifs de
protection parfaitement légitimes tels que l'ordre public entendu au sens
large et qui tout en s'appliquant apparemment de façon non discriminatoire
à tous les produits nationaux comme importés, revêtaient une portée pro-
tectionniste certaine en ne s'appliquant de facto qu'aux seconds : tel est
l'essentiel du phénomène des obstacles non tarifaires qui apparaît avant tout
comme un détournement plus ou moins habile de la clause du traitement
national.

§ 2. Portée de la clause du traitement national


566 Plan À l'occasion du passage du « système GATT » au « Système OMC »,
la clause du traitement national (comme celle de la nation la plus favorisée)
devait connaître une extension notable (1). Pour se limiter ici au seul com-
merce des marchandises, elle porte sur les produits à condition que ceux-ci,
comme précédemment, soient similaires (2). Ses deux, domaines globaux
d'application concernent la fiscalité (3) et la réglementation intérieure dans
son ensemble applicable à la commercialisation des biens importés (4).

1. L'extension de la clause de traitement national


lors du passage du GATT à l'OMC
a. La clause à l'époque de l'Accord général
567 Au titre du « GATT 1947 », et il n'y a eu aucun changement ici en ce qui
concerne le « GATT 1.994 », la clause de traitement national ne visait que
les produits importés. Autrement dit, elle ne s appliquait nullement aux
exportateurs eux-mêmes qui n'en étaient pas directement les bénéficiaires.
Ici encore, il est loisible de noter que la clause de traitement national ne
saurait produire aucun effet direct dans l'ordre juridique interne des États.
Elle est comme précédemment et pour les mêmes raisons de nature
intergouvernementale.

a clause au sein du « Système OMC »


568 Comme la clause de traitement de la nation la plus favorisée précédem-
ment, la clause de traitement national a connu une extension majeure
avec l'OMC et entraîné les mêmes conséquences fondamentales.
224 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

En effet, désormais le traitement national couvre à la fois les services et


les fournisseurs de services (art. XVII du GATS). De même, elle s'étend aux
ressortissants des pays membres de l'OMC en ce qui concerne les droits de
propriété intellectuelle (art. 3 de l'ADPIC).
C'est dire que, comme précédemment encore, les individus (personnes
physiques et morales) pourront en invoquer directement le bénéfice dans
leur propre ordre interne, les tribunaux compétents devant y faire droit au
détriment de règles nationales contraires.

2. Les marchandises couvertes : les produits


similaires
569 Controverses fréquentes Comme en matière de clause de la nation
la plus favorisée, l'égalité posée par la clause de traitement national ne vise
que les produits similaires, ce qui ne manque pas de pouvoir prêter à contro-
verses. Ici encore, en l'absence de définition générale ou de critères com-
munément acceptés, les analyses ont été faites au cas par cas en fonction
de l'utilisation finale du produit, de ses propriétés, nature ou qualité, du
goût et des habitudes des consommateurs, etc. Ainsi, les pièces cana-
diennes de monnaie en or frappées de la feuille d'érable et les Krugerrand
sud-africains ont été reconnus comme « produits similaires », de même
qu'ont été assimilés le pétrole brut, les condensats de pétrole, la gazoline,
les huiles raffinées et résiduaires, et les autres hydrocarbures liquides, de
même que la bière forte et la bière légère (v. Guide des Règles et Pratiques
du GATT, op. cit., pp. 166-170 et 184-186) ou encore les boissons alcoo-
liques distillées, les différentes liqueurs, les vins sucrés, non sucrés et les
mousseux importés et les produits comparables japonais, le whisky
importé et le « pisco » chilien, le vin spécial du Mississipi et les divers
types de vins importés (v. ibid., pp. 171-173).
En revanche, les produits protéiques d'origine animale, végétale ou de
synthèse, en raison de leurs spécificités propres, ne peuvent être considé-
rés comme « similaires », justifiant ainsi un traitement différencié (ibid.,
p. 184). De plus, la notion de «produits similaires » ne doit pas être
entendu stricto sensu. Une note interprétative ajoutée à l'article II (2) de
l'Accord général fait également rentrer dans cette catégorie les produits
directement concurrents ou substituables.
570 Produits concurrents et substituables À côté des « produits simi-
laires » qui doivent ici être traités également quelle que soit leur origine,
importée ou locale, sont également singularisés les « produits directement
concurrents ou directement substituables » (art. 111.2 et note interpréta-
ive). Il s agit ici d'une catégorie plus large que celle de «produits simi-
laires » et qui doit être appréciée au cas par cas en fonction de leur carac-
téristiques physiques, de leurs utilisations finales communes et surtout de
leur marché où le critère décisif est celui de « l'élasticité de substitution »
CCÈS AUX MARCHÉS 25

(v. sur tous ces points la très claire analyse contenue dans le Rapport du
4 octobre 1996 de l'organe d'appel dans l'affaire «Japon — Boissons alcoo-
liques », aux pp. 31-37). Ces produits « directement concurrents ou substi-
uables » ne doivent pas être soumis à une réglementation (fiscale ou non)
différente et à effet protectionniste (cette dernière conséquence posée par
l'article III.1 constituant la différence centrale entre cette catégorie de pro-
duits et la précédente).
Dans son Rapport précité de 1996, dans l'affaire «Japon — Boissons
Alcooliques », l'organe d'appel devait confirmer que le Whisky, le Brandy, le
Rhum, le Gin, le Genièvre et les liqueurs étaient « des produits concur-
rents ou directement substituables » par rapport au Shochu japonais et, de
ce fait, ne pouvaient pas faire l'objet d'une fiscalité différente à effet pro-
tectionniste. Cette analyse devait être reprise par l'organe d'appel dans
son Rapport du 30 juin 1997 dans l'affaire « Canada — certaines mesures
concernant les périodiques » de sorte qu'elle peut être considérée aujourd'hui
comme acquise et établie. Un rapport plus récent précité du 21 décembre
2011 de l'Organe d'appel dans l'affaire Philippines-Taxes sur les produits
distillés se situe bien dans cette ligne directrice : ce pays fut sanctionné
pour avoir institué, contrairement aux exigences posées par l'article 111.2
du « GATT 1994 », une taxation intérieure dissemblable - et partant, dis-
criminatoire - portant sur les spiritueux importés distillés (gin, brandy,
rhum, vodka, whisky et tequila) par rapport aux spiritueux distillés loca-
lement à partir de certaines matières premières (nipa, cocotier, manioc,
camote ou corypha) alors que les uns et les autres auraient dû être consi-
dérés comme « similaires » à raison de leur « concurrence directe » sur le
marché pertinent, de leur « substituabilité » et de leur utilisation finale
commune, à savoir « l'étanchement de la soif, la socialisation, la détente,
l'ivresse agréable (sic) » (§ 171).

3. Traitement national et fiscalité applicable


aux produits
571 La fiscalité des produits est l'un des principaux domaines d'élection de
cette clause. En principe, seule la fiscalité indirecte (a) est visée, la clause
laissant hors de sa portée la fiscalité directe (b).

a. Application générale à la fiscalité indirecte


572 La clause de traitement national devra s'appliquer en matière de « taxes ou
autres impositions intérieures » (art. III-(1-2)). Cette disposition s'explique
aisément. En effet, si les produits importés — une fois dédouanés — pou-
vaient être soumis à une fiscalité interne différente des produits nationaux
(et donc discriminatoire), ces derniers bénéficieraient ainsi d'une protection
indirecte certaine. Autrement dit, les pays ne peuvent remplacer (ou complé-
ter) les droits de douane par des contributions indirectes discriminatoires
226 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

selon que les produits sont locaux ou importés — ce qui serait un « tour de
passe-passe » particulièrement déloyal et porterait directement atteinte aux
avantages tarifaires figurant dans les listes de concessions (v. Guide des
Règles et Pratiques du GATT, op. cit., pp. 133-136).
573 La fiscalité ici visée est celle «de quelque nature qu'elle soit» frappant
« directement ou indirectement » les produits importés et qui ne doit pas
être supérieure à celle applicable aux produits nationaux similaires (art. III
(2)). Sont ici principalement concernés les contributions indirectes d'une
façon générale (droits d'accise, taxes indirectes et taxes à là consomma-
tion) non seulement dans leur assiette mais en tenant également compte
de la manière dont elles sont mises concrètement en oeuvre et, en particu-
lier, des possibilités d'exonération ou de remise de taxe (v. Guide des Règles
et Pratiques du GATT, op. cit., pp. 151-154 et 160-166).
Dans l'affaire précitée « Japon-Boissons alcooliques », l'organe d'appel
devait fort clairement préciser la démarche en trois étapes qui devait être
suivie pour déterminer si une mesure fiscale intérieure était compatible
(ou non) avec les dispositions de l'article 111.2 du GATT 1994: (i) les pro-
duits importés et nationaux sont-ils directement concurrents ou substi-
uables ? (ii) Sont-ils ou non frappés d'une taxe semblable ? et (iii) en cas
de différence d'imposition, celle-ci est-elle appliquée de manière à protéger
la production nationale ? (p. 33). Cette approche devait rester constante
tant pour les Groupes Spéciaux que pour l'organe d'appel (v. pour des
confirmations plus récentes et de grande importance pratique les rapports
de l'organe d'appel du 14 janvier 2002 dans l'affaire « États-Unis —
Traitement fiscal des sociétés de ventes à l'étranger » AB/2001.8 — WT/
DS/108/AB/RW) et dans celle précitée du 21 décembre 2011, Philippines-
Taxes sur les produits distillés).

b. Exclusion de principe de la fiscalité directe


574 En revanche, l'imposition directe (impôt sur le revenu des personnes phy-
siques ou des sociétés) n'est pas pris ici en considération en raison de son
incidence générale — et en principe non discriminatoire — sur le prix des
produits.
Toutefois, dans certains cas, des exonérations (ou crédits) d'impôts sur
le revenu peuvent s'analyser en des subventions des produits nationaux ou
en des discriminations dont seraient victimes les produits importés qui se
trouveraient alors placés dans une situation de concurrence déloyale (v.
Guide des Règles et Pratiques du GATT,op.cit., pp. 154-155)

4. Traitement national et réglementation intérieure


575 Plan 0 La portée de la clause du traitement national ne s'applique pas
seulement qu'à cet obstacle sérieux, mais visible, qu'est l'imposition de la
consommation.
CCÈS AUX MARCHÉS

Elle s'étend également à toutes les barrières beaucoup plus insidieuses et


moins transparentes qui trouvent leur origine dans la foisonnante régle-
mentation interne concernant d'une manière générale la commercialisa-
ion des produits. Au regard de cette réglementation intérieure, produits
nationaux et produits importés similaires doivent être traités également
(a). Fréquemment détournée, cette règle du traitement national constitue
la terre d'élection des barrières non-tarifaires (b).

a. Traitement national et commercialisation des produits


importés
576 La clause de traitement national de l'Accord général couvre toutes les
réglementations intérieures de nature à affecter la commercialisation des
produits importés (art. III (4)).
D'une manière générale, ceux-ci, dès leur dédouanement, doivent béné-
ficier de conditions de concurrence égales, avec les produits nationaux, simi-
laires sur le marché du pays importateur. Ainsi, toutes les lois, règlements
et autres prescriptions « affectant la vente, la mise en vente, l'achat, le
transport, la distribution et l'utilisation [des] produits sur le marché inté-
rieur » en vigueur dans le pays importateur doivent s'appliquer également
aux produits nationaux et importés similaires.
Sont également couvertes les «prescriptions » (ou mesures spécifiques)
adoptées au cas par cas par le pays importateur pour favoriser les produc-
teurs nationaux (subventions réservées aux achats de produits locaux par
exemple) ou pour admettre les investissements directs étrangers (avec
l'imposition d'obligations de résultats — performance requirements — rele-
vant du domaine du commerce) (pour des exemples, voir Guide des Règles
et Pratiques du GATT, op. cit., pp. 186-188).
Comme devait le noter l'organe d'appel dans son Rapport du 11 décembre
2000 dans l'affaire « Corée — Mesures affectant les importations de viande de
boeuf fraîche, réfrigérée et congelée » la violation par un État membre de ses
obligations à ce titre suppose la réunion de trois éléments : la similarité
des produits importés et nationaux, la présence d'une réglementation
nationale de la commercialisation desdits produits et le traitement moins
favorable des produits importés à l'égard de cette dernière (§ 133).
577 Difficultés fréquentes 0 Les conditions de commercialisation des
produits importés ont souvent été la source de difficultés à l'époque du
GATT et nombre d'entre elles ont été contestées comme étant protec-
tionnistes même si elles ne revêtaient pas de caractère discriminatoire. Il
en a été ainsi en matière de réglementation des prix minimaux et maxi-
maux, de techniques de mise en vente sur le marché (notamment en cas
d'existence de régies ou organismes à monopole), de réglementation de la
qualité ou de la quantité des produits consommés (ainsi la restriction de
l'offre de cigaret es sur le marché thaïlandais pour des raisons de santé
publique mais viciée par des discriminations à l'encontre des exportateurs)
228 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

ou de prescription en matière de marquage des produits importés (ainsi


la protestation reconnue fondée de l'Australie à l'encontre d'Hawaï qui
imposait aux vendeurs d'oeufs importés la mention « we sell foreign
eggs ») (sur tous ces points, voir Guide des Règles et Pratiques du GATT,
op. cit., pp. 186-195).
Plus récemment, dans l'affaire précitée Corée — Viande de bœuf, l'ORD
devait estimer que le double système de vente au détail pour le boeuf local
et pour le boeuf importé mis sur pied par la Corée était en contradiction
avec les prescriptions de l'article 111.4 du GATT 1994, les conditions de
commercialisation du second étant « moins favorables » que celles accor-
dées au premier, ce qui faussait les conditions de concurrence au détri-
ment des produits importés. Plus près de nous encore, telle devait être la
ratio decidendi de l'Organe d'appel dans ses rapports des 4 avril 2012
« États-Unis-Mesures affectant la production et la vente des cigarettes aux
clous de girofles » et 29 juin 2012 « États-Unis-Certaines prescriptions en
matière d'étiquetage indiquant le pays d'origine (EPO) » qui censurèrent ce
pays pour avoir adopté des normes techniques discriminatoires - et par-
tant protectionnistes - à l'encontre des produits similaires importés (v.
ss 535).

b. Traitement national, commercialisation des produits


importés et barrières non-tarifaires
578 Le domaine de la commercialisation des produits importés constitue l'une
des terres d'élection des obstacles (ou barrières) non-tarifaires qui ont pro-
liféré au fur et à mesure que les droits, de douane perdaient leur fonction
de protection. Sans doute, nombre de ces barrières, — les plus visibles —
ont-elles fait l'objet d'un traitement particulier par des accords ad hoc dont
l'origine remonte au Tokyo Round mais qui ont été considérablement dur-
cies à la suite des négociations du Cycle de l'Uruguay.
Toutefois aujourd'hui encore le droit commun de la lutte contre les bar-
rières non-tarifaires relève du jeu de la clause du traitement national visée
à l'article III du GATT. Toutes les mesures restrictives de cette catégorie ont
en commun de ne pas apparaître comme discriminatoires, du moins
prima facie, en ce sens qu'elles s'appliquant en théorie à tous les produits
qu'ils soient nationaux ou importés et pour peu qu'ils soient similaires.
Mais en réalité, elles frappent principalement les produits importés et elles
apparaissent comme ayant une fonction protectionniste marquée.
579 Comment ici ne pas rappeler le grand débat qui se déroule actuellement en
matière de compatibilité des mesures nationales, a priori fort légitimes,
protectrices de l'environnement ou des conditions de travail (la célèbre
« clause sociale ») pour ne citer que les deux exemples les plus marquants,
avec la liberté du commerce international ? Autrement dit, une applica-
ion non-discriminatoire de la clause de traitement national n'est-elle pas
en elle-même de nature à freiner les échanges et à se révéler protectionnisme
CCÈS AUX MARCHÉS

lorsqu'un pays importateur prétend imposer ses « normes de protection »


(par définition ici plus élevées que celles prévalant dans le pays exporta-
teur) pour des motifs au demeurant parfaitement légitimes et honorables ?
(v. ss 1079 s.).
La difficulté est certaine et sa solution passe par une harmonisation
internationale minimale des normes de protection « légitimes », ce qui n'est
pas une mince affaire si l'on garde présentes à l'esprit les difficultés que n'a
pas encore pu complètement surmonter dans ce secteur une organisation
aussi intégrée que l'Union Européenne.

§ 3. Des exceptions très limitées


580 Si l'on exclut la disposition très spéciale en matière de « films cinématogra-
phiques impressionnés » (art. III (10)), la clause de traitement national ne
connaît pas d'exceptions — si ce n'est celles-communes, de nature générale
ou concernant la sécurité et visées aux articles XX et XXI du GATT. Elle
peut aussi faire l'objet, comme toute autre obligation au titre de l'Accord
général, d'une dérogation (waiver) au titre de l'article XXV (5) ; on notera
toutefois que, jusqu'à présent du moins, aucune dérogation n'a jamais été
accordée à une partie contractante pour la dispenser de son obligation de
respecter la clause de traitement national. C'est ainsi, par exemple, que les
pays en développement, s'ils peuvent déroger au jeu de la clause de la nation
la plus favorisée dans leurs relations commerciales en bénéficiant ou en
s'accordant des avantages préférentiels, doivent continuer à traiter égale-
ment produits importés et nationaux. De même, les pays qui constituent
une intégration économique régionale au titre de l'article XXIV ne sont pas
pour autant dispensés de respecter la clause du traitement national : sans
doute, celle-ci ne posera ici aucun problème pour les pays membres d'une
zone de libre-échange, chacun gardant sa personnalité douanière, fiscale et
réglementaire propre. Mais, pour les pays donnant naissance à une union
douanière et désireux d'harmoniser leur fiscalité indirecte ou les conditions
de commercialisation des marchandises, ils demeureront tenus de traiter
également les produits de l'Union et les produits importés similaires ; la
clause de traitement national jouera alors au niveau du groupement et non
plus de chacun de ses membres pris ut singuli.
581 Cette quasi-absence d'atteinte à la consistance de la clause de traitement
national s'explique par son importance cardinale qui fut bien mise en lumière
en 1987 par le Groupe Spécial « États-Unis — Taxes sur le pétrole et certains pro-
duits d'importations ». Ce panel en avait noté les missions propres (qu'il mettait
d'ailleurs sur le même pied que l'élimination générale des restrictions quanti-
tatives prévues à l'article XI) : protéger le rapport compétitif entre les produits
de toutes les parties contractantes, protéger les échanges courants et « créer les
conditions de prévisibilité nécessaires pour planifier les échanges futurs»
(Cité in Guide des Règles et Pratiques du GATT, op. cit., p. 142).
230 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

CTION 4. LE PRINCIPE DE TRANSPARENCE


582 Un principe général lié à l'idéal démocratique Le principe de
transparence — certes moins connu que les précédents — doit cependant
être singularisé en raison de son importance croissante en matière de
commerce international. Sans doute est-il loin de lui être propre : il est en
effet de portée générale en matière économique — voire politique. Il doit
en effet par exemple présider au fonctionnement des sociétés cotées au
nom de ce qu'il est convenu aujourd'hui d'appeler la «bonne gouver-
nance » des entreprises. Et comment ne pas rappeler qu'il est lié à l'orga-
nisation des régimes démocratiques ? Au sein du « Système OMC », le
principe de transparence occupe une place centrale (§ 1.) et il ne fait l'objet
que de rares exceptions (§ 2).

§ Une place centrale dans le système OMC


583 Si ce principe de transparence revêt des modalités différentes selon les sec-
teurs (1), il répond à de larges préoccupations communes de nature trans-
versale qui concernent toute la matière commerciale internationale (2).
584 Modalités La transparence est une obligation générale pesant sur les
États membres de l'OMC et qui revêt deux formes particulières : la publi-
cation des réglementations commerciales (a) et leur notification à l'OMC
et donc aux autres pays (b).

a. L'obligation de publier les réglementations


commerciales applicables aux agents économiques
585 Une obligation générale de publication D'une manière générale, le
Système OMC fait obligation aux États qui participent de procéder à la
publication des « lois, règlements, décisions judiciaires et administratives
d'application générale » ainsi d'ailleurs que les traités et accords interna-
ionaux pertinents. Cette prescription est posée tant par les accords géné-
raux que sont le GATT (art. X), le GATS (ou AGCS) (art. III et VI) ou les
TRIPS (ou ADPIC) (art. 41-42 et 62-63), que ceux plus spécifiques visés à
l'Annexe I A, à savoir les Accords sur les mesures sanitaires ou phytosani-
taires (art. 7 et Annexe B), les obstacles techniques au commerce (art. 2 et
10), les mesures concernant les investissements et liées au commerce
(art. 6), les mesures anti-dumping (art. 12), l'évaluation en douane
(art. 12), l'inspection avant expédition (ar . 2 et 3), les règles d'origine
(art. 2), les procédures de licences d'importation (art. 1), les subventions
t les mesures compensatoires (art. 11-12 et 22) ou les sauvegardes (art. 3).
Au demeurant, on notera que dans les rares instances où les groupes
spéciaux ou l'organe d'appel de l'OMC ont eu à connaître de la portée de
cette obligation de publication, ils lui ont donné une interprétation large :
CCÈS AUX MARCHÉS 31

les renseignements à fournir doivent l'être en temps opportun et être


xhaustifs (v. par exemple Japon — Commerce des semi-conducteurs, IBDD
S35/126, L/6309, Rapport adopté le 4 mai 1988 et Communautés Européennes
— Mesures affectant l'importation de certains produits provenant de volailles,
VVT/DS69/AB/R, Rapport adopté le 23 juillet 1998), tandis que les déci-
sions administratives individuelles doivent également être publiées si elles
établissent de nouveaux critères à portée générale alors que l'ar ide XI du
GATT ne visent stricto sensu que les règlements d'application générale
Japon — Mesures affectant les pellicules et papiers photographiques destinés
aux consommateurs, WT/D/R, Rapport adopté le 22 avr. 1998).

b. L'obligation de notification à l'OMC


des réglementations commerciales applicables
586 Une obligation générale de notification 0 L'obligation de notification
aux organes compétents de l'OMC de leur législation et réglementation
affectant les échanges commerciaux apparaît comme une constante, un
véritable leitmotiv. Ces notifications sont diverses et variées. Certaines sont
ponctuelles (ainsi lors de l'entrée en vigueur de l'OMC dans un pays
membre), d'autres sont périodiques (par exemple en cas de recours à des
droits anti-dumping ou compensatoires), d'autres enfin sont permanentes et
générales comme celles qui ont trait à la législation ou réglementation com-
merciale en vigueur et à ses modifications. Le secrétariat de l'OMC a pu
ainsi recenser quelques 165 obligations de notifications au titre des diverses
procédures en vigueur au titre du seul commerce des marchandises...

§ 2. Un principe répondant à des préoccupations


communes
587 Plan Ce principe de transparence dans ses deux modalités de publica-
tion et de notification du droit applicable au commerce international
constitue une réponse à deux préoccupations légitimes : assurer la sécurité
juridique des agents économiques (a) et permettre à l'OMC de remplir sa
mission générale de gestion d'un système commercial international ouvert
et non-discriminatoire (b).

a. La garantie de la sécurité juridique


588 Primauté de la règle de droit 0 Le nouveau système commercial mul-
ilatéral mis sur pied par l'OMC se veut fondé sur la règle de droit. Cette
primauté accordée au droit implique nécessairement que celui-ci soit
connu de ceux auxquels il s'applique. Si nul n'est censé ignorer la loi,
encore faut-il que celle-ci soit accessible à ses destinataires. Concurrem-
ment, cette loi étant connue, elle doit être appliquée de façon objective,
impartiale sous le contrôle final de juges qui doivent eux-mêmes être
232 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

indépendants. Tout le système juridique de l'OMC est fondé sur ce postu-


lat qui est d'ailleurs celui de tout régime démocratique.
Or, il est bien clair que cette exigence juridique présente un intérêt éco-
nomique considérable pour les acteurs du commerce international ; elle
leur permet en effet concrètement dans la vie des affaires de profiter de la
libéralisation des échanges commerciaux posés par le Système OMC.

b. L'effectivité du rôle de l'OMC


589 Une meilleure gestion du système commercial international Le
principe de transparence dans ses deux volets est central pour l'OMC dans
l'accomplissement de ses fonctions. Tout d'abord, il lui permet d'assurer
au mieux sa mission de surveillance des politiques commerciales de ses
membres ; l'OMC est ainsi en mesure de connaître la manière dont ses
membres respectent leurs obligations commerciales, ce qui lui permet
d'agir ex ante et ainsi de prévenir la naissance de différends commerciaux
en bonne et due forme. Ensuite, l'OMC se trouve mieux à même d'assurer
la libéralisation du commerce international en ciblant les obstacles à
démanteler lors des futures négociations.
590 Exceptions limitées Outre les exceptions des articles XX et XXI du
GATT communes à toute la matière commerciale (v. infra), le principe de
ransparence fait l'objet d'exceptions au demeurant limitées et bien ciblées.
ous les accords précités contiennent une clause dont la formulation est
identique et visant à exclure du jeu de ce principe de transparence la révé-
lation « de renseignements confidentiels dont la divulgation ferait obs-
tacle à l'application des lois ou serait d'une autre manière contraire à
l'intérêt public, ou porterait préjudice aux intérêts commerciaux légitimes
d'entreprises publiques ou privées » (art. X 1 in fine du GATT, III bis du
GATS/AGCS et 63.4 des TRIPS/ADPIC). Pour être classiques en la matière,
ces exceptions doivent être entendues au sens strict et ne sauraient consti-
uer une porte largement ouverte aux États pour maintenir ou instituer les
mesures protectionnistes. Ces exceptions, comme toutes les autres au sein
du Système OMC, peuvent faire l'objet de la procédure de règlement des
différends commerciaux en cas de recours abusifs.

LES PRINCIPES COMPARABLES


SECTION 5.
APPLICABLES AUX ENTREPRISES
COMMERCIALES D'ÉTAT
591 Les rédacteurs du GATT de 1947 (ainsi d'ailleurs que la Charte de La
Havane de 1948) n'ignoraient pas que nombre de pays possédaient à
l'époque un secteur public important, ces entreprises d'État se trouvant
CCÈS AUX MARCHÉS 233

aussi bien dans le domaine de l'économie concurrentielle que monopolis-


ique en bénéficiant ici de privilèges « exclusifs ou spéciaux ». Si le phéno-
mène est moins marqué aujourd'hui qu'hier, la préoccupation centrale
demeure : tout en respectant le libre choix par l'État de son mode d'orga-
nisation économique et du statut de ses entreprises, il s'agit d'éviter que
ces dernières ne se substituent à lui et ne recourent à des comportements
qui, s'ils étaient le fait de l'État lui-même, seraient prohibés par le droit
international du commerce. Autrement dit, les entreprises commerciales
d'État ne sauraient faire indirectement ce que l'État ne saurait faire directe-
ment. Tel est le but général poursuivi par l'article XVII du GATT 1947 tel que
précisé par un Mémorandum d'Accord au titre du GATT 1994. L'organe
d'appel de l'ORD devait fort justement qualifier cet article XVII comme
étant une « disposition anti-contournement » (v. le rapport du 11 déc.
2000,WT/DS/161-169/AB/R, Corée — Diverses mesures affectant la viande de
bœuf § 136 et plus récemment rapport du 30 août 2004, Canada — Mesures
concernant les exportations de blé et le traitement des grains importés VVT/
DS276/AB/R § 85).
592 D'une part, ces entreprises sont soumises au principe de transparence. Les
États membres concernés devront notifier au « Conseil du commerce des
marchandises » de l'OMC les entreprises visées, qu'elles soient gouverne-
mentales ou non, pour peu qu'elles bénéficient de « privilèges exclusifs ou
spéciaux » de nature à influer « par leurs achats ou leurs ventes sur le
niveau ou l'orientation des importations ou des exportations ».
593 D'autre part et surtout, les entreprises commerciales d'État (ou assimi-
lées) devront respecter les « principes généraux de non-discrimination »
posés par le GATT 1994, pour leurs achats et leurs ventes se traduisant par
des importations ou des exportations (art. XVII.1.a). Plus précisément, de
telles entreprises doivent procéder à leur achats et ventes « en s'inspirant
uniquement de considération d'ordre commercial », ce qui veut dire res-
pecter la « libre concurrence » et se « conformer aux usages commerciaux
ordinaires » (art. XVII.1.b). En clair, cela signifie que les politiques com-
merciales de ces entreprises d'État ne doivent pas discriminer entre les
produits étrangers (ce qui serait une violation de la clause de la nation la
plus favorisée) ni entre ces derniers et les produits nationaux (ce qui serait
une violation de la clause du traitement national) tandis qu'elles ne
doivent pas non plus constituer des restrictions quantitatives implicites
tant à l'importation qu'à l'exportation. Enfin, il convient de signaler que
ces entreprises d'État sont soumises aux dispositions de droit commun
concernant ces pratiques commerciales déloyales que sont le dumping et
les subventions.
LES RÈGLES MULTILATÉRALES
DE DÉFENSE COMMERCIALE
Bibliographie
• Sur le dumping : J.-F. Bellis, V°Dumping, in Encyclopédie de Droit International
Dalloz, 1998 ; P. Didier, Le code anti-dumping du Cycle de l'Uruguay : impact dans
la Communauté, CDE 1994. 251 s. ; M. J. Finger (éd.), Anti-dumping : how it works
and who gets hurt, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1993 ; G. N. Horlick,
How the GATT became protectionist : an analysis of the Uruguay Round draft final anti-
dumping code, JWTL 1993.5, p. 5 s. ; G. N. Horlick and E. C. Shea, The World Trade
Organization antidumping agreement, JWT 1995. 5 s. ; M. Koulen, The new anti-dumping
code through its negotiating history, in Colloque de Bruges, op. cit., p. 151 s. ; A. Pangratis
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new EC anti-dumping regulation, in Colloque de Bruges ; op. cit., p. 233 s. ; É. Vermulst
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concept of dumping ?, JWT 1995.6, p. 31 s.
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the WTO and the future agenda, JWT 1996.1, p. 5 s. ; G. Depayre, Subsidies and coun-
tervailing measures after the Uruguay Round ; an overview, in Colloque de Bruges, op.
cit., p. 247 s. ; G. Kleinfeld and D. Kaye, Red light, green light ? : the 1994 agreement
on subsidies and countervailing measures, research and development assistance and US
policy, JWT 1994.6, p. 43 s. ; P. J. Mc Donough, Subsidies and countervailing measures,
in The Uruguay Round : a negotiating history (1986-1992), Deventer, Kluwer, 1993,
vol. I, p. 803 s. ; C. Norall, Impact of new rules on subsidies and countervailing measures,
in Colloque de Bruges, op. cit., p. 256 s. Voir aussi l'étude spéciale sur « Les sub-
ventions, le commerce et l'OMC. », in OCM rapport annuel 2006.
• Sur les sauvegardes : J. Bourrinet, L'accord relatif aux sauvegardes, in Colloque
de Rennes, op. cit., p. 85 s. ; MCEJ Bronckers, Voluntary export restraints and the
GATT 1994 agreement on safeguards, in Colloque de Bruges, op. cit., p. 273 s. ; WTO
implementation in the European community : anti-dumping, safeguards and intellectual
property, JWT, 1995.5, p. 73 s. ; T. Flory, The agreement on safeguards, in Colloque
de Bruges, op. cit., p. 265 s. ; T. P. Stewart and M. A. Brilliant, Safeguards in The
Uruguay Round : a negotiating history (1986-1992), Deventer, Kluwer, 1993, vol. II,
p. 1711 s.

594 Unilatéralisme et multilatéralisme Tous les pays (ou groupements


de pays ayant une personnalité commerciale extérieure comme l'Union
LES RÈGLES MULTILATÉRALES DE DÉFENSE COMMERCIALE 35

Européenne par exemple) ont revendiqué le droit de recourir à des repré-


sailles économiques (appelées aujourd'hui « contre-mesures ») pour se pro-
téger de pratiques déloyales en vigueur dans des pays tiers ou pour faire
face à des difficultés sectorielles dues à la libéralisation des échanges. Pour
éviter les abus, ces mesures de défense commerciales ont été encadrées par
un régime juridique multilatéral, d'abord au titre de l'Accord général, puis
maintenant au titre de l'OMC. À côté de cette approche multilatérale et
arguant souvent de son insuffisance, certains États ont mis sur pied tout
un arsenal de protections reposant sur la prise de mesures unilatérales. La
célèbre section 301 du Trade Act américain à laquelle il a déjà été souvent
fait allusion rentre dans cette catégorie (v. ss 239 et 332). Multilatéralisme
et unilatéralisme ne relèvent à l'évidence pas de la même conception du
commerce international.
Le nouveau « Système OMC », on l'a déjà noté, repose sur la primauté et
l'exclusivité des règles multilatérales pour assurer la défense des intérêts
commerciaux légitimes des membres lorsque ceux-ci sont victimes de pra-
iques déloyales ou se voient contraints d'adopter des mesures d'urgence
en cas de désorganisation du marché.
595 Plan 0 Pour faire face aux premières, il existe des réglementations appro-
priées luttant contre ces comportements déloyaux des entreprises que sont
le « dumping » (Section 1) ou des gouvernements que sont les « subven-
tions » (Section 2). Pour faire face aux secondes, un accord spécifique sur
les sauvegardes (Section 3) a été conclu à l'occasion du Cycle de l'Uruguay
afin de venir compléter et durcir les dispositions initiales de l'Accord géné-
ral de 1947.

LA LUTTE CONTRE
SECTION 1.
UNE PRATIQUE DÉLOYALE
DES ENTREPRISES : LE DUMPING
596 Phénomène ancien et complexe 0 Le dumping est un phénomène
ancien et complexe (v. par exemple l'ouvrage classique en la matière
de J. Viner, Dumping : a problem in international trade, University of Chicago
Press, 1923 et réimprimé en 1966 à New York par A. M. Kelly). D'une
façon générale, il s'agit d'une pratique de discrimination de prix, le même
produit étant vendu à des prix différents sur divers marchés nationaux et
sans justification économique ou commerciale fondée. Le plus souvent le
dumping prend la forme de la vente par une entreprise du même produit
sur un marché étranger à un prix inférieur à celui prévalant sur son mar-
ché national. Si en termes généraux, le dumping est condamnable en ce
qu'il entraîne une mauvaise allocation de ressources entre pays exporta-
urs et pays importateurs, il se révèle cependant favorable pour les
236 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

consommateurs des pays à prix « cassés » alors qu'il porte atteinte aux
intérêts des producteurs locaux. C'est dire que le dumping suppose tou
jours une analyse économique très délicate à mener.
Ceci étant, le dumping a toujours été combattu par les pays importa-
teurs. C'est ainsi que les premières lois anti-dumping ont été adoptées par
le Canada et les États-Unis en 1903 et 1916 respectivement.
597 Du GATT à l'OMC 0 L'Accord général de 1947 reflète une approche
particulièrement prudente du « dumping » (art. VI (1)). De surcroît, les
concepts employés, insuffisamment précis, ont dû être affinés au cours
des ans par des accords latéraux spécifiques. Ainsi, le premier « accord
relatif à la mise en oeuvre de l'article VI du GATT (communément appelé
« Code anti-dumping ») date de 1967 et du Kennedy Round. Il fut renégo-
cié et renforcé en 1979 à l'occasion du Tokyo Round pour être aujourd'hui
remplacé par l'« Accord sur la mise en oeuvre de l'article VI de l'Accord
général sur les Tarifs Douaniers et le Commerce de 1994 », celui-ci étant
inséré dans l'Annexe I A de l'OMC au titre des Accords de commerce
multilatéraux. Alors que le « Code anti-dumping de 1979 » n'avait jamais
lié plus de 26 parties contractantes, le nouvel accord de par son insertion
dans le Système OMC est désormais obligatoire pour tous les membres de
cette institution.
Il faut ici rappeler que ce « code anti-dumping 1994 » — comme d'ail-
leurs son prédécesseur — contient une disposition générale selon laquelle
« chaque membre prendra toutes les mesures nécessaires... pour assurer la
conformité de ses lois, réglementations et procédures administratives avec
les dispositions du présent accord »... (art. 18.4). Ceci confirme, et ici
encore dans un langage plus directif, la supériorité générale du « droit
OMC » sur le droit interne et l'obligation qui en découle pour les membres
de ne pas maintenir de législation, réglementation ou pratique incompa
tible ou contradictoire (v. ss 195).
Enfin, le régime international du dumping et des mesures pour y
faire face tel qu'il est posé par le nouveau droit de l'OMC est exclusif
de tout autre : ainsi, un État ne serait pas fondé à prendre une mesure
particulière en la matière si celle-ci se révélait incompatible avec l'Ac-
cord anit-dumping (et tel fut le cas des États-Unis au titre de la « loi de
2000 sur la compensation pour continuation du dumping et maintien de la
subvention » (Amendement Byrd) — Voir le Rapport de l'Organe d'ap-
pel du 16 janvier 2003 (WT/DS217/AB/R et WT/DS234/AB/R). (V.
ss 268 et 609, 627).
598 Plan 0 Ceci étant, il convient de déterminer les conditions dans lesquelles
le dumping est condamnable faute d'être prohibé per se (§ 1), les mesures
de rétorsion auxquelles il peut donner lieu (§ 2) et enfin les procédures qui
doivent être suivies pour éviter que les mesures anti-dumping ne soient pas
utilisées comme des barrières non-tarifaires (§ 3).
LES RÈGLES MULTILATÉR ES DE DÉFENSE COMM RCI LE 37

Le dumping condamnable
599 Plan 0 L'approche de l'Accord général de 1947 — et rien n'a changé depuis
sur ce point — est particulièrement prudente : le dumping n'est pas interdit
en soi (1). Il ne devient répréhensible que si les pratiques qui le constituent
(2) sont de nature dommageable (3).

1. L'absence d'interdiction du dumping


600 L'Accord général traite en effet avec circonspection du dumping défini
comme la vente sur un marché national d'un produit importé à « un prix
inférieur à sa valeur normale » (art. VI (1) et souligné par nous). En effet, les
« parties contractantes reconnaissent que le dumping... est condamnable »
s'il entraîne certaines conséquences dommageables. Autrement dit, le dum-
ping n'est pas prohibé mais soumis à un régime de condamnation condition-
nelle permettant le recours à des contre-mesures.
601 Cette prudence s'explique pour deux raisons. La première, de nature juri-
dique, tient à l'origine de cette pratique déloyale : elle est le fait d'entre
prises alors que le « GATT 1947 » n'est qu'un accord intergouvernemental.
Une interdiction aurait, en visant des personnes morales comme destina-
taires, nécessairement eu alors un effet direct. Cela n'a pas été voulu, et à
la place, un système de représailles douanière a été légalisé avec l'instaura
tion de droits anti-dumping (tel est d'ailleurs le titre même de l'article VI du
« GATT 1947 »). La seconde, de nature économique tient à la difficulté
réelle d'apprécier une situation de dumping sans parler de la controverse
d'ensemble portant sur son caractère intrinsèquement nuisible ou non.

2. Les pratiques constitutives de dumping


602 Critères 0 Toute la difficulté réside ici dans ce qu'il faut entendre par
« produit exporté... introduit sur le marché d'un pays importateur à un
prix inférieur à sa valeur normale» (art VI (1) in fine). L'Accord général
contenait trois critères alternatifs de cette infériorité de prix : le prix com-
parable du produit sur son marché national de production, le prix compa-
rable du produit sur le marché un pays tiers ou enfin le coût de production
dans le pays d'origine majoré d'un « supplément raisonnable » pour frais
de vente et bénéfice.
603 Le «code anti-dumping » intégré dans le GATT 1994 reprend ces trois cri-
tères en les précisant dans le détail (art. 2.1, 2.2 et 2.4). Il y ajoute égale-
ment deux autres méthodes de « construction » de prix : première revente
à un acheteur indépendant en l'absence de prix à l'exportation ou si celui-
ci n'a pas été fixé selon des relations commerciales normales (art. 2.3), ou,
en cas de transit par un pays tiers, comparaison avec les prix en vigueur
dans ce derniers pays ou même dans le pays d'origine (art. 2.5).
238 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

604 En outre, et le Code anti-dumping de 1994 ne fait que reprendre la défini-


tion de la similarité des produits contenue dans ses précédentes versions
depuis celle de 1967, par produit similaire faisant l'objet des pratiques dis-
criminatoires précitées en matière de prix, il faut entendre des produits
« identiques », c'est-à-dire « semblables à tous égards au produit consi-
déré » (art. 2.6)
On notera ici avec intérêt que le concept de produit similaire utilisé en
cas de situation de dumping est plus strict que celui utilisé en termes d'ac-
cès aux marchés (v. ss 552 s. et 569 s.). En précisant que les produits
concernés devaient être « identiques », le « Code anti-dumping » entend
ainsi limiter la portée des mesures de rétorsion autorisées : celles-ci ne
doivent permettre de faire face qu'aux seules pratiques discriminatoires
portant sur des produits semblables et ne doivent pas pouvoir être étendus
à tous les produits concurrents (ou substituables), ce qui risquerait alors
d'étendre trop largement leur effet protectionniste.

3. Le dommage important causé


605 Pour être condamnable et justifier le recours à des contre-mesures (art. VI
(6) a)), le dumping doit « causer » ou même simplement « menacer de cau-
ser » un « dommage important à une branche de production » d'un pays
que, celle-ci soit déjà établie ou que sa création en soit retardée (art. VI (1).
606 Or, ces concepts clés que sont ici « préjudice important » ou « branche
nationale de production » ne faisaient l'objet d'aucune définition dans
l'Accord général de 194Z Ils devaient être affinés progressivement par les
diverses versions successives du « Code anti-dumping » pour connaître une
réglementation dans le menu en 1994.
Le « Code anti-dumping » de 1994 contient des critères précis, de ce qu'il
faut entendre par « dommage important », cette expression remplaçant
celle de « préjudice important » mais ayant la même signification (art. 3).
Celui-ci ne pourra s'apprécier qu'en analysant le volume des importations,
leur évolution, leur effet en termes de prix sur les produits similaires ainsi
que sur les producteurs nationaux (3.1 à 3.4). De même, de nombreux
critères sont posés pour déterminer le lien de causalité entre l'importation
de produits faisant l'objet de dumping et la branche nationale de production
en cause (art. 3.5 à 3.7), cette dernière expression faisant également l'objet
d'une définition (art. 4) qui, à défaut d'être très précise (mais était-ce pos
sible ?), présente un usage commode (« proportion majeure de la produc-
tion nationale totale de produits... similaires », art. 4.1).

§ 2. L'imposition de droits anti-dumping


607 L'imposition d'un droit anti-dumping est la seule mesure de représailles autori-
sée par le pays importateur lésé à la suite d'une situation de dumping dûment
LES RÈGLES MULTILATÉR ES DE DÉFENSE COMM RCI LE 39

tablie (1). Toutefois, il ne s'agit aucunement d'un blanc-seing qui lui serait
accordé : il existe en effet toute une réglementation précise à laquelle l'imposi-
tion d'un droit anti-dumping doit répondre et se conformer (2).

1. Le droit anti-dumping : une mesure


de représailles exclusivement tarifaire (douanière)
Une surtaxe douanière
608 Si on laisse de côté les engagements de prix éventuellement souscrits par les
exportateurs étrangers (v. ss 617), l'Accord général ne légitime qu'un seul
mode de défense commerciale pour répondre à une situation de dumping :
l'augmentation des droits de douanes sur les produits concernés. Il est inter-
dit dans une telle hypothèse de recourir à des restrictions quantitatives par
exemple. Autrement dit, le droit anti-dumping est une surtaxe douanière.
609 On notera ici le caractère profondément dérogatoire par rapport au droit
commun de l'Accord général concernant l'imposition d'un droit anti-dum-
ping. Tout d'abord, cette modification à la hausse du tarif douanier va à
l'encontre de la règle de la consolidation des droits de douanes, élément
central de la réglementation du GATT visant à assurer la libéralisation des
échanges. En outre, ce mécanisme va à l'encontre du jeu de la nation la
plus favorisée, même si le « Code anti-dumping » n'a jamais cessé de préci-
ser que les droits anti-dumping devaient être « recouvrés » (et curieuse-
ment rien n'est dit de leur établissement) « sans discrimination » sur les
produits faisant l'objet de dumping et quelle que soit leur provenance
art. 9.2). A fortiori, est-il interdit pour un État de rétrocéder le produit des
taxes anti-dumping perçues aux entreprises ayant dénoncé que telles pra
igues et ayant été à l'origine des procédures (et telle était précisément la
portée du fameux « amendement Byrd » d'oct. 2000 qui devait être juste-
ment condamné par l'organe d'appel de l'OMC en janv. 2003 — v. ss 597).
610 Ce caractère exclusif du recours à des droits anti-dumping comme mesure
de protection se manifeste également dans ses rapports avec cette autre
mesure dérogatoire que sont les droits compensateurs destinés à contreba-
lancer les effets néfastes des subventions étatiques (v. ss 625 s.). L'Accord
général consacre le principe de l'interdiction du cumul pour remédier à
une même situation due au dumping ou aux subventions à l'exportation
(art. VI (5)). En bref, droits antidumping et droits compensateurs ne sont
pas cumulables : ils sont mutuellement exclusifs.

Un droit limité à la marge de dumping


611 Pour neutraliser ou prévenir le dumping un pays peut percevoir un droit
anti-dumping, mais son montant ne saurait être supérieur à la « marge de
dumping » (art. VI (2) de l'Accord général). Cette dernière apparaît comme
24 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

un différentiel de prix établi en fonction des critères précédents retenus


pour déterminer la valeur normale du produit en cause. La marge de dum-
ping est ainsi égale à la différence entre la valeur normale du produit en
cause importé et son prix de vente à l'exportation.
Cette stricte limitation du montant du droit anti-dumping à la marge de
dumping s'explique aisément. Permettre une supériorité du premier par
rapport à la seconde serait autoriser l'usage de la réglementation contre le
dumping à des fins protectionnistes. Or, tel n'est pas son but. Constituant
un moyen de défense commerciale, le recours à des droits anti-dumping
doit seulement permettre de remettre les choses en l'état de façon à ce que
les conditions normales de concurrence soient rétablies.
Le stock de mesures anti-dumping adoptées par les pays membres de
l'OMC demeure élevé -1 379 étaient en vigueur au 1" juillet 2010 - bien
qu'en légère diminution au cours des ans (on pouvait en effet en dénom-
brer plus de 1 500 au 1er janvier 2007). Cela en fait, et de loin, la tech-
nique de défense commerciale la plus répandue au sein du « système »
OMC. Les pays qui en font le plus large usage sont les États-Unis
(257 mesures de ce type) devant l'Inde (205), la Turquie (127) et la Chine
(119) contre 149 pour l'Union européenne (v. OMC, Rapport annuel,
2011, p. 40).

2. Régime juridique du droit anti-dumping


612 À peu près absent de l'Accord général de 1947, celui-ci allait être posé au
cours des ans par les codes anti-dumping successifs. Tout d'abord, et l'on y
reviendra, il ne saurait y avoir imposition de droit and-dumping qu'à la
suite de l'ouverture d'une procédure nationale d'enquête. Des mesures pro-
visoires pourront être adoptées et prendre la forme de droits temporaires
ou de garanties ; mais elles devront être limitées (v. l'art. 7 du Code de
1994).
Ensuite, un droit anti-dumping ne pourra être imposé que si la marge de
dumping ou le volume des échanges concernés, ou encore le dommage
causé est significatif : c'est ici consacrer l'exception de minimis (art. 5.5.8 du
Code).
De plus, sécurité juridique appréciable, les droits anti-dumping seront
appliqués sans rétroactivité (art. 10 du Code). Enfin, dans la même veine,
et ici la nouveauté est appréciable, les droits anti-dumping auront une durée
de vie limitée de cinq ans au maximum à partir de leur date d'imposition
(art. 11.3). Cette dernière précision (souvent qualifiée de « sunset clause »)
est appréciable dans la mesure où nombre de dispositions anti-dumping
tendent naturellement à perdurer ; cependant, cette limitation de temps
n'interdit pas un « réexamen » de la situation de nature à entraîner l'im-
position d'un nouveau droit anti-dumping « définitif » qui pourra alors
apparaître comme une continuation de l'ancien : le crépuscule pourra
ainsi durer longtemps...
LES RÈGLES MULTILATÉR ES DE DÉFENSE COMM RCI LE 41

3. La normalisation internationale
des procédures nationales
613 Plan o L'Accord général de 1947 était entièrement muet en la matière et
laissait les parties contractantes libres d'organiser leurs procédures
internes de détermination du dumping comme elles l'entendaient. Les dif-
férends soumis au GATT en la matière montrèrent clairement que ces
procédures nationales pouvaient constituer des barrières non-tarifaires à
portée protectionniste marquée. Les Codes anti-dumping successifs s'ef-
forcèrent ainsi de poser (et parfois dans le menu) les règles que les pays
devraient suivre dans leurs procédures internes.
Désormais, tant en matière d'ouverture (1) que de déroulement (2) ou
de contrôle (3) des enquêtes de dumping, les pays membres de l'OMC sont
tenus de suivre une procédure commune. Il demeure enfin une lacune
importante dans le nouveau système qui n'appréhende pas les législations
dites « anti-contournement » (4).

1. L'ouverture de l'enquête
614 Il est impossible d'imposer un droit anti-dumping, du moins définitif, si ce
n'est au terme d'une enquête menée par les autorités nationales com-
pétentes qui aura pour but de « déterminer l'existence, le degré et l'effet de
tout dumping allégué » (art. 5.1). L'enquête ne pourra être diligentée qu'à
la suite d'une demande « écrite » présentée par la « branche de production
nationale » affectée. La demande en question devra être précise et argu-
mentée (art. 5.2). Au vu de ces éléments préliminaires, une décision d'ou-
vrir une enquête sera alors prise (ou non) par les autorités compétentes.
La décision d'ouvrir une enquête sera rendue publique (mais non la simple
demande) (art. 5.5) et sera accompagnée d'une explication des détermina-
tions faites (art. 12)
615 De ceci, il résulte que l'ouverture d'une enquête de dumping par les autori-
tés nationales n'est ni automatique ni discrétionnaire. La requête doit
apparaître comme fondée et sérieuse. En outre, « sauf circonstances spé-
ciales », elle ne dispose d'aucun pouvoir d'auto-saisine (art. 5.6). Aucune
mesure protectrice autre que de nature provisoire ne pourra être adoptée
avant la clôture de l'enquête (art. 7).
Au cours de ces dernières années, les ouvertures d'enquête au sein des
pays membres de l'OMC ont été en légère décroissance pour osciller
entre 150 et un peu moins de 200. Les plus actifs ont été - et cela est
traditionnel - les États-Unis talonnés voire parfois dépassés, et cela est
nouveau, par l'Inde, la Turquie, la Chine ou l'Argentine. Elles ont le plus
souvent porté sur les secteurs de la chimie, de la métallurgie ou des
plastiques.
242 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

Déroulement de l'enquête
616 Une grande précision 0 Là encore, le déroulement de la procédure
est précisée dans le menu. Tout d'abord, sa durée est limitée (en géné-
ral à un an) et ne devra jamais aller au-delà de 18 mois après son
ouverture (art. 5.10). Ensuite, la procédure suivie devant les autorités
compétentes sera contradictoire (art. 6.2) et les parties pourront utili-
ser tous les éléments de preuve pertinents (art. 6.1). Les renseigne-
ments confidentiels seront protégés (art. 6.5). Ce sera aux autorités
nationales compétentes de s'assurer de « l'exactitude des renseigne-
ments fournis par les parties » (art. 6.6), au besoin par des enquêtes
in situ sur le territoire d'autres membres à condition que ceux-ci ne s'y
opposent pas et que l'entreprise concernée l'accepte (art. 6.7 et
annexe I).
L'ouverture de la procédure d'enquête est particulièrement large ainsi
qu'en témoigne le concept retenu de « parties intéressées » (art. 6.11). En
outre, les utilisateurs industriels du produit concerné ainsi que les associa-
tions de consommateurs pourront intervenir pour fournir des renseigne-
ments (art. 6.12).
En particulier, les exportateurs étrangers concernés devront être à
même de pouvoir défendre leurs intérêts en recevant en temps utile les
demandes de renseignements qu'ils devront fournir à l'autorité nationale
en charge de la conduite de la procédure anti-dumping ou en ne se voyant
pas abusivement opposé le caractère « confidentiel » de certaines informa-
ions émanant de leurs concurrents locaux : ainsi, dans l'affaire
Communautés européennes - Mesures anti-dumping défensives visant certains
éléments de fixation en fer ou en acier en provenance de Chine, l'Organe d'ap-
pel devait censurer l'UE pour y avoir failli (Rapport du 15 juillet 2011,
WT/DS/397/AB/R, § 527 et 543 s.).
617 La procédure d'enquête pourra être suspendue ou close si l'exportateur
souscrit des engagements appropriés de prix (art. 8). De tels engagements
devront mettre fin à l'effet dommageable du dumping en cause. En réalité,
elles se traduiront par des augmentations de prix de la part de l'exporta-
teur. Ces engagements devront être acceptés par les autorités compétentes
du pays importateur qui devront être persuadées de leur caractère adé-
quat. Celles-ci pourront demander à l'exportateur la fourniture pério-
dique de renseignements sur l'exécution de ces engagements ainsi que la
possibilité de les vérifier.
618 En bref et en un mot, cette procédure (de même d'ailleurs que toutes celles
mettant en oeuvre des mesures de défense commerciale multilatérale) doit
se dérouler d'une manière aussi proche que possible de celle exigée en
matière contentieuse avec le respect du droit à un procès équitable (right to
a fair trial).
LES RÈGLES MULTILATÉR ES DE DÉFENSE COMM RCI LE 43

3. Contrôle judiciaire de la procédure d'enquête


619 Conformité au régime international Non seulement les législa-
tions nationales en matière de dumping devront être conformes au régime
juridique international examiné précédemment, mais encore devront-
elles être soumises au contrôle judiciaire de tribunaux indépendants
(art. 13). Ceux-ci devront être en mesure de procéder à des révisions des
déterminations finales concernant l'imposition des droits anti-dumping
ou sanctionnant les engagements de prix.
620 Si les procédures suivies à l'échelon national par les autorités compétentes
se révèlent conformes à ces critères, c'est-à-dire si l'établissement est « cor-
rect » et si leur évaluation a été menée de façon « impartiale et objective »,
le « groupe spécial » éventuellement constitué dans le cadre du mécanisme
de règlement des différends de l'OMC ne saurait en infirmer les résultats, même
si ses conclusions sont différentes (art. 17.6.i). Autrement dit, l'ORD ne
saurait s'ériger en juge de l'opportunité des mesures anti-dumping décidées
en toute objectivité et impartialité par les autorités nationales com-
pétentes. Cette approche est sage dans la mesure où il existe un contrôle
judiciaire indépendant des procédures nationales suivies : il serait en effet
délicat et même peu acceptable de voir mises en cause par un organisme
non juridictionnel comme l'ORD des décisions de justice nationale revê-
tues de l'autorité de la chose jugée. (Sur le rôle délicat et subtil des groupes
de travail au regard des enquêtes menées par les autorités nationales com-
pétentes, voir l'approche mesurée prescrite par l'organe d'appel dans l'af-
faire États-Unis — Enquête de la Commission du commerce internationale dans
l'affaire concernant les bois d'oeuvre résineux en provenance du Canada, WT/
DS 277/AB/RW, 13 avr. 2006, n° 93-100, et en particulier les n° 98-99).
621 Application des règles coutumières d'interprétation Mieux
encore et dans la même veine, l'Accord de 1994 prend en considération la
diversité des techniques d'interprétation admissibles en droit internatio-
nal. Si, en effet, l'interprétation des termes de cet Accord par un « groupe
spécial » de l'ORD devra s'effectuer « conformément aux règles coutu-
mières d'interprétation du droit international public (sic) » et si plusieurs
interprétations sont possibles, celle retenue par les autorités nationales
dans leur prise de décision ne sera pas contestée si elle rentre dans les
« interprétations admissibles » (art. 17.6 ii)). Autrement dit, il y aura une
présomption de validité au profit de l'interprétation retenue par les auto-
rités nationales.

4. Une lacune (provisoire ?) : l'absence


de disposition « anti-contournement »
622 Enfin cet Accord — et ce fut une déception pour l'Union Européenne — ne
contient aucune disposition « anti-contournement » de façon à pouvoir
244 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

lutter efficacement contre le phénomène des « usines-tournevis » qui ne


font qu'assembler dans le pays importateur des pièces détachées de façon
à éviter de payer des droits anti-dumping.
Cette question fit l'objet d'un recours du Japon contre la CEE en 1988 au
sujet du « règlement communautaire relatif aux importations des pièces
détachées et composants » (dit règlement des « usines-tournevis ») (v.
Th. Flory, Chronique du droit international économique, AFDI 1990. 637-
644). Bien qu'approuvé par le conseil du GATT le 16 mai 1990, le rapport
qui estimait incompatibles avec l'Accord général certaines dispositions
clefs du règlement communautaire fut rejeté par la CEE comme « fonciè-
rement défectueux » en ce qu'il n'indiquait aucun moyen de lutter contre
ces pratiques de contournement et renvoyait aux négociations du Cycle de
l'Uruguay pour combler cette lacune.
623 Conscients de cette lacune qui ne put être comblée lors des négociations
du Cycle de l'Uruguay, les Ministres réunis lors de la Conférence de Mar-
rakech adoptèrent une décision « spéciale sur l'anti-contournement »
réaffirmant leur souhait d'aboutir à des « règles uniformes » donnant une
base juridique et solide de protection pour les membres victimes de ces
pratiques. Le Comité des pratiques anti-dumping institué par l'Accord en a
été saisi.
624 Sans surprise, le dumping - comme d'ailleurs cette autre mesure commer-
ciale déloyale que sont les « subventions » et à égalité avec elles (v. ss 654)
- n'a cessé d'être l'un des domaines où le nombre de litiges a été le plus
important au sein du « système » OMC, impliquant aussi bien les pays
développés que ceux en transition ou même en développement - que ce
soit en demande ou en défense. Au 1C1 octobre 2012, l'ORD avait eu à
connaître 93 affaires de cette nature - soit près de 20 % du total.

LA LUTTE CONTRE
SECTION 2.
UNE PRATIQUE DÉLOYALE ÉTATIQUE :
LES SUBVENTIONS
625 Une longue histoire Les aides publiques ont une très longue histoire.
Elles n'ont cessé d être un élément central des politiques fondées sur une
approche mercantiliste du commerce international. De nos jours, elles
constituent le moyen privilégié de l'intervention de l'État dans la vie éco-
nomique. Si certaines subventions apparaissent fort légitimes comme
moyens de lutter contre le chômage ou à des fins d'aménagement du ter-
ritoire par exemple, d'autres sont plus naturellement agressives ou
déloyales lorsqu'elles ont pour finalité le développement des exportations.
Or, si les unes et les autres aboutissent à des degrés divers à des distorsions
LES RÈGLES MULTILATÉR ES DE DÉFENSE COMM RCI LE 45

de concurrence, les premières apparaissent plus admissibles que les


secondes. Toute la difficulté résidé ici dans le tracé de la ligne de partage
entre les « bonnes » et les « mauvaises » aides publiques, les première
étant acceptables tandis que les secondes doivent ê re combattues.
Aussi, très tôt, les États se sont donnés les moyens dans leur ordre
interne de lutter contre les effets défavorables pour leurs producteurs des
aides publiques accordées à leurs concurrents étrangers. C'est ainsi par
exemple que les États-Unis devaient adopter leur première loi « compensa-
toire » (countervailing duty law) dès 1897, subventions et droits compensa
toires correspondants se développant considérablement durant la période
de l'entre-deux-guerres lors de la « grande dépression ». Les uns et les
autres furent des illustrations majeures de la guerre économique (parfois
appelée de façon imagée de « beggar-thy-neighbour-policy ») que se livrèrent
à l'époque les principales nations commerçantes sous forme de nom-
breuses pratiques déloyales comme celle-ci. Le droit commercial multila-
téral de l'après-guerre se devait d'y mettre de l'ordre.
626 Subventions et GATT 1947 L'Accord général de 1947 appréhendait
bien évidemment les subventions (art. XVI). Car celles-ci, comme le dum-
ping, avaient été utilisées de façon généralisée et dans leur version la plus
déloyale durant la période de l'entre-deux guerres à l'époque de la « grande
dépression ». La condamnation de cette pratique déloyale de nature à
fausser gravement les conditions de la concurrence est ici plus directe, ce
qui s'explique en ce qu'elle émane des États eux-mêmes ou de leurs démem
brements (art. XVI. (4)). Au cas où des subventions — et ce terme n'était
pas défini — «y compris toute forme de protection des revenus ou de sou-
tien des prix » (art. XVI (1)) — viendrait à causer (ou menacerait de cau-
ser) un « préjudice grave» — et cette expression n'était pas davantage défi-
nie — à une autre partie contractante, cette dernière sera en droit d'imposer
des « droits compensateurs » correspondant au montant de ladite prime ou
subvention (art. VI (3)). En outre, l'imposition de «droits anti-dumping »
ou de « droits compensateurs » ne saurait être cumulative (art. VI (4)),
chaque régime étant exclusif de l'autre quant à ses effets. Si l'économie
générale de ces dispositions était simple, subventions et droits compensa-
teurs ne cessèrent d'être un sujet de discorde entre les parties contrac-
tantes du GATT faute de définition de ce qu'il fallait entendre par ces
concepts clefs que sont la « subvention » elle-même ou le « préjudice
grave » qu'elle peut entraîner.
627 Apport du Tokyo Round 0 Pour tenter de remédier au moins partielle-
ment à ces lacunes, il fut conclu lors du Tokyo Round entre certaines par-
ies contractantes (24 au total) un « Code sur les subventions et droits
compensateurs » sous le nom d« Accord relatif à l'interprétation et à l'ap-
plication des articles VI, XVI et XXIII du GATT » qui entra en vigueur le
ter
janvier 1980. Désormais l'« Accord sur les subventions et les mesures
compensatoires », négocié à l'occasion du Cycle de l'Uruguay, est venu s'y
246 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

substituer et fait désormais partie des « Accords Multilatéraux sur le com-


merce des marchandises » de par son insertion à l'Annexe 1.A de l'Accord
sur l'OMC conclu à Marrakech le 15 avril 1994. C'est dire que, comme
tous les accords du même type, il possède maintenant une valeur juridique
obligatoire pour tous les membres de l'OMC.
Comme en matière de dumping, cette nouvelle réglementation interna-
tionale des subventions et des mesures pour y faire face est exclusive de
toute autre : ainsi, un État ne serait pas fondé à adopter une mesure parti-
culière incompatible avec ce régime posé par l'Accord sur les subventions et
les mesures compensatoires (et tel fut le cas des États-Unis au titre de la « Loi
de 2000 sur la compensation pour continuation du dumping et maintien de la
subvention » (amendement Byrd). (V. le Rapport de l'Organe d'appel du
16 janv. 2003, VVT/DS/217/AB/R et WT/DS/234/AB/R et v. ss 597).
628 Plan Ce code sur les subventions dans sa version de 1994 — la seule qui
mérite d'être commentée — apporte des précisions bienvenues de nature à
réduire les contentieux.
Tout d'abord, il donne une définition de ces concepts clefs que sont les
subventions, le préjudice grave qu'elles causent et les branches de produc-
tion visées (§ 1). Ensuite, il classe ces aides publiques en diverses catégories
en fonction de leur nocivité et les soumet à des régimes juridiques diffé-
renciés à partir de ce critère (§ 2). Enfin, il précise également les mesures
compensatoires qui peuvent être adoptées à la suite du déroulement de
procédures adéquates (§ 3).

Définition des concepts clefs : subvention,


préjudice grave et branche de production
nationale

1. La notion de subvention
a. Les subventions en général
629 Une subvention sera réputée exister si deux éléments sont présents : que
l'État ou ses démembrements accordent une « contribution financière » à
des entreprises et que celles-ci en tirent un « avantage » (art. premier).
L'aspect financier peut revêtir des formes multiples spécifiques (tels que les
aides publiques directes ou indirectes, des incitations ou des exonérations
fiscales notamment) ou générales (ainsi des politiques de soutien des reve-
nus ou des prix) (ou encore d'allègements des conditions de rembourse
ment de prêts tels que des reports d'échéance, des réductions de taux d'in-
térêt ou des conversions de créance en participations de capital — Rapport
de l'Organe d'appel du 28 novembre 2007, Japon-DRAM (Corée), W.T./
DS 336/ AB/R)
LES RÈGLES MULTILATÉR ES DE DÉFENSE COMM RCI LE 47

Ainsi que devait le préciser l'Organe d'appel dans son Rapport du 19 jan-
vier 2004 (États-Unis — Détermination finale en matière de droits compensa-
teurs concernant certains bois d'oeuvre résineux en provenance du Canada,
WT/DTS 257/AB/R), le « concept de subvention... recouvre les situations
dans lesquelles quelques chose ayant une valeur économique est transféré
par les pouvoirs publics au profit d'un bénéficiaire» (§ 51). En bref, deux
éléments distincts doivent être présents : une contribution financière
publique (celle-ci pouvant revêtir la forme d'un soutien des prix ou des
revenus) et un avantage conféré par celle-ci à un agent économique donné.
Pour que l'Accord de 1994 appréhende les subventions, il faut que celles-ci
soient spécifiques.

b. Les subventions spécifiques


630 Qualifier une subvention de spécifique est important, car une telle aide
publique sera soit frappée d'interdiction, soit ouvrira une possibilité de
recours éventuel à des droits compensateurs, c'est-à-dire à une mesure de
représaille économique (art. 1.2).
631 La spécificité des subventions tient à ce que l'autorité publique qui les
accorde les réservée à certaines entreprises (voire à une seule) au détri-
ment de toutes les autres (art. 2). En bref, le caractère discrétionnaire de
leur octroi est une source évidente de discrimination, la rupture d'égalité
rompant les conditions de concurrence entre les agents économiques.

2. La notion de « préjudice grave »


632 La présence de quatre critères non cumulatifs fait présumer l'existence
d'un « préjudice grave » à la suite de l'octroi d'une subvention (art. 6.1).
Il faut que l'aide publique représente plus de 5 % de la valeur finale du
produit, qu'elle couvre les pertes d'exploitation d'une branche de pro-
duction ou d'une entreprise, ou réside dans une remise de dette à l'égard
de l'État ou de ses démembrements. Encore faut-il que ce « préjudice
grave » entraîne des effets néfastes comme le détournement de cou-
rants d'échanges ou l'accroissement de parts de marchés (art. 6.2 et 3),
tous ces éléments faisant l'objet de dispositions spécifiques très tech-
niques (art. 6.4 à 6).

3. La notion de branche de production nationale


633 La subvention appréhendée est celle qui cause (ou menace de causer) un
préjudice grave à une branche nationale de production établie ou en phase
de création (art. VI (6) a. du GATT et art. 5 de l'Accord de 1994). L'Accord
entreprend un effort de clarification certain tout en restant limité ; en
effet, la « branche de production nationale » est définie comme l'« ensemble
248 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

des producteurs nationaux de produits similaires (...) [constituant] une pro-


portion majeure, de la production nationale de ces produits » (art. 16.1 et ita-
liques ajoutés). Dans certains cas exceptionnels, il pourra être déterminé
des branches de production distinctes en cas d'existence d'une pluralité de
marchés compétitifs (art. 16.2). Le marché unique constitué par les
membres d'une union douanière (ainsi la Communauté européenne) est
censé constituer la branche de production qui couvrira l'ensemble de la
zone d'intégration (art. 16.4).

§ 2. Classification des subventions


et différenciation de leur régime juridique
634 L'Accord de 1994 institue une sorte d'« échelle de Richter » des subven-
tions en fonction de leurs effets nocifs et déloyaux sur les échanges com-
merciaux. Ainsi, certaines sont purement et simplement prohibées (1),
tandis que d'autres peuvent être contestées (2), les dernières étant vali-
dées (3).

1. Les subventions prohibées


635 Toute une série de subventions sont interdites per se, en tant que telles.
Telle est la catégorie dite de la « boîte rouge ». Sont prohibées et ne sau-
raient être ni accordées, ni maintenues, les subventions à l'exportation
d'une manière générale (art. 3 et voir la « liste exemplative » figurant à
l'annexe I). Ont été en particulier singularisées, les subventions liées aux
résultats à l'exportation ou subordonnées à l'utilisation de produits natio
naux au détriment de produits importés (pour une exemple, voir le Rap-
port de l'ORD du 2 août 1999 dans l'affaire « Canada — Mesures visant
l'exportation des aéronefs civils »).
Rentrent aussi dans cette catégorie les « exonérations fiscales » toujours
plus difficiles à détecter. C'est ainsi, par exemple, que dans l'affaire « États-
Unis — Traitement fiscal des sociétés de vente à l'étranger », l'organe d'appel
devait estimer que cette mesure FSC était bien constitutive d'une subven-
tion créant un « avantage » au moyen d'une « contribution financière »
par le biais d'un abandon de recettes publiques « normalement exigibles » ;
en outre, elle constitue une subvention à l'exportation prohibée en étant
« subordonnée aux résultats à l'exportation» (Rapport du 14 janv. 2002).
De même, dans l'affaire précitée « Canada — Certaines mesures affectant
l'industrie automobile », la non-perception d'un droit de douane fut analy
sée comme une subvention sur le fondement de ces mêmes critères —
renonciation à une recette publique exigible et subordination aux résultats
de l'exportation (Rapport du 31 mai 2000).
636 Si un pays membre de l'OMC maintient ou accorde ce type de subvention,
ORD pourra saisir si des consultations n'ont pas pu aboutir dans un délai
LES RÈGLES MULTILATÉR ES DE DÉFENSE COMM RCI LE 49

de 30 jours (art. 4.1 à 4). Si un groupe spécial est constitué — et il faudrait


un consensus négatif pour qu'il n'en soit pas ainsi (art. 4.4) — il aura
90 jours pour présenter son rapport final, l'ORD ayant 30 jours pour l'ap-
prouver sauf encore consensus négatif (art. 4.8) En cas d'appel la procédure
ne saurait dépasser 60 jours et ce, « en aucun cas » tandis que l'ORD aura
20 jours pour adopter ce rapport, sauf existence d'un consensus négatif,
toujours bien improbable (art. 4.2). On notera le caractère particulière-
ment serré du calendrier, la procédure ne pouvant dépasser 230 jours. Si la
diligence est louable en elle-même, il est cependant loisible de penser que
les délais sont ici excessivement réduits compte tenu de la complexité des
analyses économiques et financières à mener. N'a-t-on pas confondu
vitesse et précipitation ? Si la recommandation de l'ORD n'est pas suivie
d'effet, le pays plaignant sera autorisé à prendre des « contre-mesures
appropriées » (art. 4.10).

2. Les subventions contestables


637 Il s'agit ici de toutes les « subventions pouvant donner lieu à une action »
(art. 5 et en général Partie III), c'est-à-dire de celles qui, en raison de leurs
« effets défavorables » sont de nature à être contestées par les États
membres affectés. Telle est la catégorie dite de la « boîte orange ».
Les effets défavorables justifiant l'usage des voies de recours consistent
en un « dommage causé à une branche de production nationale », ou en
une remise en cause d'avantages commerciaux consolidés au titre du
GATT 1994 ou encore en un « préjudice grave » aux intérêts d'autres
membres qui trouverait son origine dans une subvention « neutre » (c'est-
à-dire non-spécifique en elle-même), les expressions « subvention », «pré-
judice grave » et « branche de production nationale » ayant le sens que
l'Accord leur donne et qui a été examiné précédemment.
638 Des voies de recours analogues sont prévues au titre de l'ORD (art. 7). Le
délai maximum global a été allongé (320 jours) tout en restant relative-
ment bref. Si dans les dix mois de l'adoption du rapport final par l'ORD la
subvention n'a pas été retirée ou si ses effets défavorables n'ont pas été
éliminés, le pays plaignant sera autorisé à prendre « des contre-mesures
proportionnelles » (art. 7.9 et italiques ajoutés)

3. Les subventions validées


639 Il s'agit là des « subventions ne donnant pas lieu à une action » (Par-
tie IV), c'est-à-dire de toutes celles qui ne sont pas « spécifiques » ou qui,
bien que l'étant, sont spécifiquement exonérées (art. 8). Il en allait à titre
provisoire en matière de financement public de la recherche et du dévelop
pement, de l'aide aux régions défavorisées ou à la protection de l'environ-
nement. Il s'agissait là de la catégorie dite de la «boîte verte ».
250 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

640 Ce régime dérogatoire n'avait qu'une durée de vie provisoire, initialement


limitée à cinq ans sous réserve de prorogation. Faute de cette dernière, ce
régime est maintenant devenu caduc.
Désormais, la règle générale est simple en matière de subventions :
toutes celles qui causent des « effets défavorables pour les intérêts » des
membres de l'OMC sont susceptibles d'être contestées.
Le seul système dérogatoire qui demeure — et encore est-il également
transitoire — est celui du « traitement spécial et différencié » en faveur des
pays en développement (v. la Partie VIII de l'Accord).

§ 3. Le recours aux mesures compensatoires


641 Plan 0 Comme en matière de dumping, le principe fondamental est le
même : aucune contre-mesure ne peut être imposée par le pays « victime »
de cette pratique déloyale avant que celle-ci ait pu être prouvée à la suite
d'une procédure d'enquête. L'Accord de 1994, précisant en cela les disposi-
tions du « GATT 1947 », détermine les mesures conservatoires qui peuvent
être adoptées (1) ainsi que les conditions d'après lesquelles l'enquête doit
être menée de façon à s'assurer que celle-ci soit impartiale et objective (2).

1. Les mesures compensatoires en question


642 Ici encore le parallèle est frappant avec le dumping : alors que l'Accord
général de 1947 ne prévoyait qu'un seul type de contre-mesure de nature
douanière — les droits compensateurs (a) — l'Accord de 1994 prévoit éga-
lement une mesure de substitution non-tarifaire avec les engagements de
prix ou de limitation des subventions (b).

a. Les droits compensateurs


643 La procédure d'enquête devra démontrer — et tel est son but — que les
conditions de son recours sont bien réunies : ainsi, la subvention en ques-
ion devra causer (ou menacer de causer) un dommage important à une
branche de production nationale établie (ou en retarder de façon impor-
tante la création) (art. VI (6) a)) de l'Accord général de 1947 et art. 19.1 et
2 de l'Accord de 1994).
644 Si tel est bien le cas, le pays membre affecté pourra imposer un droit com-
pensateur. Son niveau devra être au plus égal au montant de la subvention
et ne pourra en aucun cas lui être supérieur (art. 19.2 et 19.4 de l'Accord
de 1994). Le droit compensateur, comme le droit anti-dumping, apparaît
comme une « surtaxe douanière », dérogatoire à la règle générale de la
consolidation des droits de douane et justifiée à titre de contre-mesures. Il
devra être imposé sans discrimination sur les produits visés de quelque
source qu'ils proviennent (art. 19.3). On rappellera pour mémoire qu'un
LES RÈGLES MULTILATÉR ES DE DÉFENSE COMM RCI LE 51

même produit ne peut faire à la fois l'objet d'un droit anti-dumping et d'un
droit compensateur afin de remédier à une même situation due à une
pratique de dumping ou de subvention (art. 19.3).
En outre, comme en matière de dumping (v. ss 609), l'État qui perçoit des
droits compensateurs ne saurait les restituer aux entreprises qui ont été à
l'origine des plaintes — ce qui ne ferait qu'inciter à des contentieux et au
demeurant constituerait une... subvention illicite (et tel était l'une des
caractéristiques de « l'amendement Byrd » précité vivement critiqué dès
son adoption par les partenaires des États-Unis qui devaient en obtenir la
condamnation par l'OMC en janvier 2003).
645 En cas de nécessité, un droit compensateur provisoire pourra être imposé et
ne devra en aucun cas excéder une durée de quatre mois (art. 17).
Que ce soit un droit compensatoire « définitif » ou « provisoire », il ne
saurait, en principe, être appliqué de manière rétroactive (art. 20).
Au 1" juillet 2010, 66 droits compensateurs avaient été notifiés à l'OMC
et se trouvaient ainsi en vigueur ; l'essentiel d'entre eux provenait des
États-Unis (43), le reste émanant principalement de l'Union européenne
(9) et du Canada (8) (V. OMC, Rapport annuel, 2011, p. 39).
646 Les droits compensateurs (ainsi que les engagements) doivent rester limi-
tés dans le temps et ne pas être permanents. Ils ne sauraient avoir une
durée de vie supérieure à cinq (5) ans (art. 21). Comme en matière de droit
anti-dumping, cette disposition a été couramment qualifiée de « sunset
clause ».

b. Les engagements
647 Il ne sera pas fait usage des droits compensatoires provisoires ou définitifs,
si des engagements « satisfaisants » ont été souscrits (art. 18). Ceux-ci
peuvent l'être soit par les pouvoirs publics du pays exportateur qui aura
accepté d'éliminer ou de restreindre la subvention en cause, soit par l'ex-
portateur lui-même qui aura accepté des augmentations de prix (mais
sans toutefois qu'il puisse y être contraint). Les engagements offerts ne
seront acceptés par les autorités compétentes du pays importateur que si
ils leur apparaissent « réalistes » (art. 18.3). C'est dire que ces engage-
ments, que ce soit en matière de dumping ou de subvention, ne revêtent
aucun caractère « automatique » ; il ne s'agit que d'une technique alterna-
ive dont les termes doivent être négociés à la satisfaction mutuelle tant du
pays exportateur que du pays importateur.

2. La procédure d'enquête
648 Plan o Ici encore, les analogies sont étroites avec la situation prévalant
en matière de dumping. Tant les conditions d'ouverture (a) que le dérou-
lement (b) de l'enquête mené par les autorités compétentes du pays
252 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

importateur devront respec er des conditions communes, normalisées par


Accord de 1994 qui impose ainsi une mise en harmonie des ordres juri-
diques internes (c).

a. L'ouverture d'une enquête


649 En règle générale, une enquête ne peut pas être engagée à la seule initiative
des pouvoirs publics du pays impor ateur (sauf exception visée à l'a t. 11.6
de l'Accord). Il faut une demande écrite de la branche de production natio-
nale affectée (art. 11.1).
La requête devra être sérieuse, c'est-à-dire argumentée et s'appuyant sur
des éléments de preuve suffisants pour démontrer l'existence d'une sub-
vention, son montant, le dommage causé et le lien de causalité entre les
deux (art. 11.2).
Bon an mal an, c'est un peu plus d'une dizaine d'enquêtes qui sont ainsi
ouvertes chaque année, le pays le plus actif ayant été l'Inde, comme en
matière anti-dumping (v. ss 615).
650 S'il apparaît au vu des éléments de preuve soumis que la demande est fon-
dée, les autorités compétentes du pays importateur pourront décider l'ou-
verture d'une enquête. La décision sera rendue publique (art. 11.5). Toutes
les déterminations en la matière feront également l'objet d'avis au public
et devront faire l'objet d'explications détaillées (art. 22).
S'il devait apparaître que la subvention en cause est négligeable dans
son montant ou ses effets dommageables, l'enquête sera immédiatement
close et la demande rejetée (art. 11.9). Une subvention sera considérée
comme de minirnis si elle représente moins de 1 % de la valeur du produit
concerné (ibid).

b. Déroulement de l'enquête
651 L'enquête menée par les autorités compétentes dû pays importateur devra
s'appuyer sur des éléments de preuve incontestables et respecter la confi-
dentialité des renseignements obtenus (art. 12). En particulier, elle devra
respecter le principe du contradictoire en offrant la possibilité à toutes les
« parties intéressées » (elles sont définies à l'art. 12.9 de façon extensive)
de prendre connaissance du dossier et de présenter leurs observations. Il
pourra être procédé à des enquêtes in situ sur le territoire d'autres pays
membres et dans les locaux d'entreprises concernées à condition que les
uns et les autres y donnent leur accord (art. 12.6 et annexe VI).
652 En outre, les diverses déterminations que les autorités compétentes du pays
d'accueil seront amenées à faire au terme de la procédure d'enquête sont
loin d'être laissées à leur discrétion. Des règles précises sont posées pour la
détermination tant du «préjudice grave » (art. 6.1 a) et annexes IV et V),
que de l'existence d'un « dommage » (art. VI du GATT et art. 15 de l'Accord
LES RÈGLES MULTILATÉR ES DE DÉFENSE COMM RCI LE 53

de 1994) tandis que des « principes directeurs » sont posés pour le calcul
de l'avantage conféré au bénéficiaire par la subvention en cause (art. 14 de
l'Accord).
653 Enfin pour couronner l'édifice, comme en matière de dumping, les exi-
gences d'un régime d'État de droit doivent être remplies avec la présence
d'un contrôle juridictionnel adéquat (art. 23). Ainsi, toutes déterminations
faites au titre de la procédure d'enquête par les autorités nationales com
pétentes du pays importateur devront pouvoir être contestées et révisées,
par des tribunaux indépendants (administratifs, arbitraux ou judiciaires,
peu importe).
654 Le nombre d'enquêtes ouvertes à ce titre chaque année n'a cessé de varier
considérablement allant de moins de 5 à plus de 30. Si les États-Unis et
l'Union européenne en sont restés les principaux initiateurs, la Chine les
a rejoint depuis 2009 avec la mise en oeuvre de 4 procédures de ce type.
Elles ont en général en commun de se terminer la plupart du temps par
l'absence d'imposition de mesures compensatoires finales.
Au 1er octobre 2012, 93 affaires portant sur les subventions avaient été
portées devant l'ORD - soit exactement le même nombre que celles
concernant le dumping - de sorte que ces deux principales mesures
déloyales commerciales ont été à l'origine de l'essentiel du « contentieux »
dont a eu à connaître le mécanisme de règlement des différends de l'OMC.

c. La mise en conformité des ordres juridiques internes


des pays-membres
655 Enfin, l'Accord de 1994 sur les subventions, comme celui sur le dumping,
réitère spécifiquement l'obligation générale des pays membres de l'OMC
assurer « la conformité de [leurs] lois, réglementations ou procédures
administratives avec [leurs] obligations » commerciales conventionnelles
multilatérales (art. XVI.4 de l'OMC et ici art. 32.5 de l'Accord) (v. ss 195).
656 En revanche, et la différence est notable avec le régime juridique du dum-
ping (y. ss 620), aucune protection particulière de ces procédures natio-
nales de détermination des subventions n'a été instituée. Leur normalisa-
ion et leur bon fonctionnement ne les empêcheront pas de pouvoir être
contestées au titre du mécanisme de règlement des différends de l'OMC
(art. 30 de l'Accord). En clair, cela signifie que l'ORD pourra, si ce n'est
juridiquement remettre en cause des décisions de tribunaux internes pas-
sées en force de chose jugée, du moins arriver à des conclusions contraires.
Il pourrait ainsi autoriser des mesures de rétorsion pour des pratiques que
l'ordre interne aurait considérées comme licites ou, à l'inverse (hypothèse
plus probable), les refuser alors qu'elles auraient été jugées illicites par les
ribunaux nationaux. Compte tenu des larges contraintes posées par la
normalisation internationale de ces procédures internes, il aurait été
254 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

judicieux de retenir la même solution qu'en matière de dumping ; il n'est en


effet jamais bon que des contrariétés puissent apparaître entre les solu-
ions données par les plus hautes juridictions internes et des instances
internationales même si ces dernières — et tel est le cas de l'ORD, ne
relèvent pas de l'ordre du judiciaire.

LA DÉFENSE LIÉE
SECTION 3.
À LA DÉSORGANISATION DES MARCHÉS :
LE RECOURS À DES MESURES
DE SAUVEGARDE
657 Intérêts des producteurs et des consommateurs La libéralisation
des échanges ne va jamais sans heurts. L'ouverture des frontières, si elle
avantage toujours les consommateurs qui peuvent ainsi bénéficier des effets
positifs dus à la concurrence des produits étrangers, en revanche, elle se
heurte souvent aux réticences des producteurs qui se voient menacés de
perdre des parts de leur marché national. En bref, si les consommateurs
penchent tout naturellement en faveur du libre-échangisme, les produc-
teurs eux sont plutôt enclins au protectionnisme — du moins sur leur
propre marché. C'est dire que les États doivent en permanence arbitrer
entre ces intérêts opposés dans la formulation de leur politique commer-
ciale extérieure. L'idée directrice contemporaine est ainsi d'associer la libé-
ralisation du commerce international à l'ajustement structurel interne en
aidant les industries touchées par une concurrence accrue à se reconvertir
vers d'autres créneaux plus porteurs et où elles pourraient bénéficier d'un
avantage compétitif — sans parler, bien sûr, des préoccupations liées à la
situation de l'emploi. Or, cette phase d'adaptation aux nouvelles condi-
tions de concurrence liées à la libéralisation des échanges prend du temps
et peut nécessiter des retours provisoires en arrière avec l'adoption de
mesures protectionnistes.
La législation des États-Unis en matière de commerce international
illustre bien ces préoccupations et contraintes contradictoires. Elle a tou-
jours insisté pour que les accords de commerce réciproques (Reciprocal
Trade Agreements) conclus par les États-Unis contiennent une « clause
échappatoire » (escape clause) aux termes de laquelle il serait possible de
revenir sur des concessions tarifaires en cas de situation d'urgence liées à
une « désorganisation » du marché (v. J. H. Jackson, World Trade and the
Law of GATT, op. cit., pp. 553-555).
658 Une restriction a priori loyale De telles mesures de sauvegarde pre-
nant la forme de restrictions aux importations affectent à l'évidence la
liberté du commerce mondial. Constituant un retour en arrière, elles ne
peuvent être adoptées que dans l'urgence pour faire face à une situation
LES RÈGLES MULTILATÉR ES DE DÉFENSE COMM RCI LE 55

économique donnée de type exceptionnel. Autrement dit, une mesure de


sauvegarde rentre dans la catégorie des restrictions commerciales « loyales »,
ce qui la différencie des techniques de « dumping» ou de « subventions »
précédemment analysées et qui, elles, relèvent de la catégorie des pratiques
commerciales déloyales.
659 Plan 0 Cette préoccupation américaine se reflète dans l'Accord général de
1947 reconnaissant aux parties précitées contractantes le droit de prendre
des mesures d'urgence dans certaines circonstances (§ 1). Or, cette clause
échappatoire générale connut beaucoup d'abus qui aboutirent, à une
remise en ordre à l'occasion des négociations du «Cycle de l'Uruguay»
qui débouchèrent sur un accord commercial multilatéral spécifique por-
tant sur les sauvegardes (§ 2).

§ La clause de sauvegarde du « GATT 1947 »


660 La clause échappatoire contenue à l'article XIX, fort large (1), présentait
des défauts certains (2) qui en ont permis un usage fréquent et abusif (3).

1. Une clause échappatoire large


661 L'article XIX pose un certain nombre de conditions générales (a) qui, si
elles sont réunies, justifient le retrait unilatéral d'une concession commer-
ciale préalablement négociée (b).

a.Conditions de mise en oeuvre : la désorganisation


du marché
662 L'article XIX de l'Accord général a pour titre « mesures d'urgence concer-
nant l'importation de produits particuliers ». Cette disposition constitue
la clause échappatoire (ou de sauvegarde) de droit commun au titre du
GATT — sans préjudice des diverses clauses spécifiques existant dans
d'autres domaines (textiles par exemple) ou pour faire face à des pratiques
déloyales particulières (dumping ou subvention). Cette disposition vise la
situation dite de désorganisation du marché (market disruption). Elle permet
à toute Partie contractante de retirer ou de modifier une concession aupara-
vant négociée et figurant dans sa liste, nonobstant sa consolidation si, en
conséquence de cette libéralisation et par « suite de l'évolution imprévue
des circonstances », l'importation du produit concerné augmente dans de
telles proportions qu'il en résulte un dommage grave (ou une menace de
dommage grave) aux producteurs nationaux concurrents.
663 Ainsi, trois séries de conditions doivent être remplies pour justifier un recours à
cette clause échappatoire : le produit en cause doit faire l'objet d'importations
accrues et massives, cette augmentation doit être la conséquence de la libéralisation
256 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

de son commerce ainsi que de circonstances imprévues (et tel ne serait pas le
cas par exemple d'un changement de mode ainsi que cela fut précisé par un
« groupe de travail » dans un rapport de 1951 opposant la Tchécoslovaquie aux
Etats-Unis à propos de l'importation de chapeaux de feutre) et elle doit causer
(ou menacer de causer) un dommage grave c'est-à-dire un préjudice sérieux aux
producteurs locaux de produits similaires ou concurrents.
664 Or, tous les éléments clefs que sont l'augmentation massive des importa-
tions, le lien de causalité avec la libéralisation des échanges négociés au
sein du GATT et le dommage grave (ou pire sa simple menace) aux pro-
ducteurs nationaux relèvent de l'appréciation discrétionnaire du pays
importateur.

b. Le retrait unilatéral des concessions commerciales


préalablement négociées
665 Si tous les éléments précédents sont réunis de l'avis du pays importateur,
celui-ci peut, unilatéralement et pour le produit concerné, suspendre, reti-
rer ou modifier, « en totalité ou en partie », la concession commerciale
antérieurement négociée (art. XIX (1) a)).
Concrètement, cela signifie que le pays importateur pourra procéder à
une augmentation des droits de douane nonobstant leur consolidation ou
recourir à des barrières non-tarifaires comme des restrictions quantita-
ives (ce qui a été le cas le plus fréquent à l'époque du GATT)
666 La seule obligation procédurale pesant sur le pays invoquant cette clause
échappatoire est d'entrer en consultation avec les parties contractantes
« ayant un intérêt substantiel en tant qu'exportatrices du produit en ques-
tion » (a t. XIX (2)), ce qui est peu contraignant au possible. Autrement
dit, l'article XIX dans sa version initiale constituait une clause de sauve-
garde particulièrement « ouverte » (open-ended).

2. Une clause défectueuse


667 Plan Cette clause échappatoire de l'article XIX du « GATT 1947 » fut
souvent et à juste titre critiquée pour son caractère défectueux. Ses princi-
paux défauts visaient à la fois son imprécision (a), son absence de contrôle
collectif (b) et surtout sa non-sélectivité (c).

a. Une clause imprécise


668 Le jeu de cette clause, on l'a vu, repose sur un certain nombre de concepts
fondamentaux tels que des « circonstances imprévues », des « importa-
ions accrues », des « dommages graves » aux producteurs nationaux
concurrents, et des liens de « causalité » entre ces divers éléments. Or,
ceux-ci ne faisaient l'objet d'aucune définition ni précision au titre de
LES RÈGLES MULTILATÉR ES DE DÉFENSE COMM RCI LE

l'Accord général de 1947. Il était donc fait renvoi à une appréciation pure-
ment discrétionnaire du pays importateur.
En outre, aucune limite de temps ne lui est assignée, de sorte que la ten-
tation naturelle sera de pousser à leur application permanente.

b. Une absence de contrôle collectif


669 Aucun contrôle n'avait été collectivement organisé au profit des parties
contractantes au GATT pour déterminer le bien fondé du recours à cette
clause de sauvegarde par l'une d'entre elles. Ceci n'était jamais que la
conséquence de l'appréciation discrétionnaire des faits de la cause qui leur
avait été reconnue.

c. Une absence de sélectivité


670 Il s'agit là sans doute du défaut le plus important de cette clause de sauve-
garde et qui n'a cessé d'être le plus controversé. En effet, cette clause échap-
patoire doit être appliquée de façon égalitaire, non-discriminatoire. Ceci résulte
de ce qu'elle frappe les produits, indépendamment de leur pays d'origine. De
la sorte, l'obligation générale d'égalité entre tous les produits importés simi-
laires posée par l'article premier du GATT au titre du traitement de la nation
la plus favorisée trouve ici matière à s'appliquer, sans doute d'une manière
négative. En l'espèce, il s'agirait plutôt du jeu de la clause de la nation la moins
favorisée, phénomène que l'on a déjà signalé (v. ss 558 s.).
671 Conséquence de cette application égalitaire des retraits de concession au
titre de cette clause de sauvegarde, toutes les autres parties contractantes
« intéressées » pourront, à titre de contre-mesures, suspendre des concessions
« substantiellement équivalentes » (art. XIX (3) a)) accordées dans le passé
au pays invoquant cette disposition. Autrement dit, l'absence de sélectivité des
restrictions commerciales produit ici un effet « boule de neige » en justifiant
une réaction en chaîne de tous les pays affectés. Une telle approche, pure-
ment juridique et formelle, est contraire à toute analyse économique saine.

3. Un usage fréquent et souvent abusif


672 Toutes ces imprécisions et lacunes expliquent un recours fréquent par les
parties contractantes du GATT à cette clause de sauvegarde (a). Mais, il y
eut plus, et elle fut fréquemment détournée par des accords d'autolimita-
ion ou de commerce ordonné qui la vidèrent de son contenu et qui consti-
tuèrent ce qui fut couramment qualifié de « zone grise » du GATT (b).

a. Un large usage
673 Devant un tel contexte dominé par l'imprécision, les parties contractantes
furent souvent tentées de faire un large (et abusif) recours aux possibilités
258 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

restrictives offertes par l'article XIX. Il y a en effet été recouru 150 fois
dans toute l'histoire de l'Accord général (v. in Guide et Pratiques du GATT,
le tableau reproduit pp. 583-605). En outre, la durée d'application des res-
trictions a été particulièrement longue, alors qu'il y avait tout lieu de pen-
ser qu'elle serait brève compte tenu de la situation d'urgence : des périodes
de mise en oeuvre s'étalant sur cinq à dix ans — voire plus — ont en effet
été d'usage courant.

b. Un usage détourné : la « zone grise » du GATT


674 Enfin, la clause de sauvegarde de l'article XIX qui avait au moins l'avantage
d'être transparente, a été progressivement contournée au cours des ans par
les parties contractantes qui ont préféré recourir à des méthodes alterna-
tives, plus insidieuses, sous la forme d'accords dits « d'autolimitation des
exportations » et autres arrangements analogues qui ont constitué ce qui
a été communément appelé la « zone grise » du GATT (v. Guide des Règles
et Pratiques du GATT, op. cit., pp. 576-578).

675 Au cours des ans plusieurs centaines d'accords « d'autolimitation » ou de


« commerce ordonné » devaient être conclus dans des secteurs tels que
l'acier, l'automobile, l'électronique, les chaussures et surtout les produits
agricoles (et ce sans compter tous les accords de ce type légitimés dans le
secteur textile par l'Accord Multifibres AMF de jadis (v. ss 439). Les initia-
teurs de ces arrangements ont au premier chef été la Communauté Euro-
péenne et les États-Unis qui ont ainsi voulu protéger leur marché contre
des invasions de produits provenant essentiellement de l'Asie du Sud-Est
(Corée du Sud, Japon, Taïwan).
L'avantage (si l'on peut dire) de ce type d'accords (par rapport à la pro-
cédure de l'article XIX) est qu'ils sont peu transparents et surtout par essence
discriminatoires en ce qu'ils visent précisément les pays dont les produc-
teurs se trouvent à l'origine des difficultés des pays importateurs. Cette
sélectivité constitue leur principal attrait sur le plan économique et com-
mercial. À l'inverse, étant par définition discriminatoires, ces accords
portent directement atteinte à l'égalité commerciale des nations qui
constitue le principe fondateur du droit international des échanges écono-
miques à l'époque, contemporaine.

676 Si les groupes de travail qui eurent à connaître de ces « accords de res-
riction volontaire aux exportations » n'arrivèrent pas à des conclusions
définitives quant à leur régime juridique au sein du « système GATT », il
demeure cependant clair que leur négociation visait à la fois à passer
outre à l'interdiction des restrictions quantitatives de l'article XI et au
recours à la clause de sauvegarde de l'article XIX. Cette « zone grise » du
GATT, de plus en plus importante, ne pouvait plus continuer à être
ignorée.
LES RÈGLES MULTILATÉR ES DE DÉFENSE COMM RCI LE 59

2.La remise en ordre effectuée par l'Accord


de 1994 sur les sauvegardes
677 Plan L Accord de 1994 apure tout d'abord l'héritage du passé (1). Il pose
ensuite un véritable régime de contrôle multilatéral du recours aux
mesures de sauvegarde (2). Mais il demeure insatisfaisant, en ce sens qu'il
n'a pas réussi à introduire la sélectivité dans l'application de la clause (3).

L'apurement du passé
678 À ce titre, il devra être mis fin tant aux recours passés (souvent abusifs) à
l'article XIX du GATT 1947 (a) qu'à son détournement via les accords
d'autolimitation ou de commerce ordonné ; souvent qualifié de « zone
grise » du GATT (b).

a. Terminaison des mesures préexistantes


679 Ici la remise à plat est nette. Toutes les mesures de sauvegarde prises en
vertu de l'article XIX du « GATT 1947 » devront cesser d'être appliquées,
au plus tard le ire janvier 2000 (art. 10). Autrement dit, les compteurs
seront ici remis à zéro.

b. Fin de la « zone grise » du GATT


680 Les « mesures d'autolimitation des exportations, d'arrangement de commer-
cialisation ordonnée ou toute autre mesure similaire à l'exportation ou à
l'importation» sont désormais prohibées (art. 11 (1)). Autrement dit et en
bref, c'est la fin de la «zone grise » du GATT. Sa disparitionter devra se faire
progressivement dans un délai de quatre (4) ans d'ici au janvier 1999 au
plus tard. Une prorogation d'un an a été accordée à la Communauté Euro-
péenne pour mettre fin à son accord d'autolimitation avec le Japon concer-
nant les importations de voitures entières ou en pièces détachées (art. 11 (2)).
Il reste bien sûr toujours aux parties la possibilité de rendre de tels engage-
ments conformes au « GATT 1994 », soit en introduisant des restrictions
quantitatives quand ceci est possible (v. infra) soit en recourant à la clause de
sauvegarde de l'article XIX, mais dans sa nouvelle formulation de 1994.

2. L'établissement d'un contrôle multilatéral


sur le recours aux mesures de sauvegarde
681 Plan C'est évidemment sur ce point que l'apport de l'Accord de 1994 est
le plus significatif. La préoccupation centrale a été d'éliminer le caractère
discrétionnaire du recours à la clause de sauvegarde tel qu'il existait sous
l'empire de l'Accord général de 1947. Comme le nota à juste titre l'organe
d'appel dans son Rapport du 14 décembre 1999 dans l'affaire « Corée —
260 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

mesure de sauvegarde définitive appliquée aux importations de certains produits


laitiers », l'article XIX est à l'évidence une mesure corrective exceptionnelle
(§ 86) et doit être conçu et interprété comme tel, c'est-à-dire restrictive-
ment. Pour ce faire, ont été précisées tant les conditions du recours à des
mesures de sauvegarde (a) que la nature de ces dernières (b), étant entendu
qu'aucune application concrète ne pourra en être faite qu'après une enquête
en bonne et due forme (c).

a. Les conditions de recours à la clause de sauvegarde


682 Les conditions posées à l'article XIX du GATT 1947 sont ici reprises tout en
faisant l'objet de précisions appréciables. Ainsi, une mesure de sauvegarde
ne pourra être utilisée par un pays importateur à l'encontre d'un produit
que si celui-ci est importé sur son territoire en « quantités tellement
accrues », tant dans l'absolu qu'en valeur relative, qu'il cause (ou menace
de causer) un dommage grave à une branche de production nationale de
produits similaires ou directement concurrents (art. 2.1 et 4).
Comme devait le noter l'Organe d'appel dans son rapport du 4 décembre
1999, — Argentine — Mesures de sauvegarde à l'importation de chaussures —
WT/DS/21/AB/R, il ne doit pas s'agir de n'importe quel accroissement des
quantités importées : il doit être « à la fois en quantité et en qualité » assez
« récent... soudain... brutal... et important, pour causser ou menacer de
causer... un dommage grave », § 131). Ce même Organe d'appel devait s'en
tenir à cette analyse dans son rapport du 10 novembre 2003 dans cette
« cause célèbre » que fut l'examen et le rejet des surtaxes américaines en
matière d'acier (Etats-Unis — Mesures de sauvegarde définitives à l'importa-
tion de certains produits en acier WT/DS/248/AB/R — v. § 345-361).
683 En particulier, le « dommage grave » doit s'entendre d'une « dégradation
générale notable » de la branche de production nationale affectée (art. 4.1).
De plus, aussi bien l'analyse d'impact que le lien de causalité entre l'ac-
croissement des importations et le dommage allégué aux producteurs
nationaux, devront être appréciés sur la base de facteurs « objectifs et
quantifiables » et d'« éléments de preuve objectifs » (art. 4.2).

b. Les mesures de sauvegarde en question


684 Si les pays membres conservent un pouvoir discrétionnaire quant aux
techniques restrictives utilisées, leur recours doit demeurer transparent et
limité à la phase requise pour permettre l'ajustement des producteurs
nationaux du pays importateur.
• Un choix discrétionnaire des méthodes par le pays importateur
685 Les membres conservent, comme à l'époque du « GATT 1947 » le libre
choix des mesures de sauvegarde applicables, qui peuvent ainsi relever de
LES RÈGLES MULTILATÉR ES DE DÉFENSE COMM RCI LE 61

l'ordre tarifaire ou non tarifaire (art. 5(1)). En particulier, ce qui n'était


pas le cas auparavant mais correspondait à la pratique suivie, il est licite
pour un membre de recourir dans ce cadre à des restrictions quantitatives
(ibid). Ici encore, il est curieux de noter que c'est le type de mesure le plus
restrictif pour le commerce international qui est validé — même si cer-
taines précautions sont prises quant à leur niveau (qui ne devra pas être
trop bas) et quant à leur sélectivité possible (mais très strictement enca-
drée — art. 5 (2)).
686 À titre conservatoire, des mesures de sauvegarde provisoires pourront être
mises en place (art. 6). Normalement, elles ne devraient pas durer plus de
200 jours et « devraient prendre la forme d'une majoration de droits de
douane » — ce qui exclut les restrictions quantitatives.
• Des mesures limitées dans le temps car destinées à faciliter le processus
d'ajustement interne
687 Les mesures de sauvegarde poursuivent deux finalités complémentaires :
d'une part, elles doivent remédier à des dommages graves (ou les prévenir)
et, d'autre part, faciliter l'ajustement, c'est-à-dire permettre aux produc-
teurs nationaux durement concurrencés de faire face à la nouvelle situa-
tion soit en se modernisant soit en se reconvertissant (art. 51 et 7.1).
Autrement dit, les mesures de sauvegarde doivent être strictement enca-
drées dans le temps sous peine de perdre leur caractère incitatif.
En outre, ratione materiae, cette mesure de sauvegarde — comme tous les
autres moyens de défense commerciale multilatérale de l'OMC — est sou-
mise au respect du principe de proportionnalité. Autrement dit, elle ne revêt
aucun caractère punitif ; elle est simplement destinée à remédier tempo-
rairement à une situation de déséquilibre économique grave et elle-même
temporaire du côté du pays importateur et elle n'a nullement pour objet
d'isoler du marché mondial des producteurs locaux : elle doit seulement
leur offrir, par une protection transitoire, le temps nécessaire pour se res-
tructurer et améliorer leur compétitivité. L'Organe d'appel devait voir
dans ce principe de proportionnalité une règle du droit international cou-
tumier des contre-mesures (Rapport du 15 fév. 2002 — États-Unis — Corée
du Sud, Mesures de sauvegarde à l'importation, § 259, VVT/DS/202/AB/R).
688 Normalement, elles ne doivent pas s'étendre sur plus de quatre (4) ans
(art. 7 (1)), mais pourront néanmoins s'étaler sur huit (8) ans en cas de
prorogation (art. 7 (3)). Une fois instituée, et si c'est pour une période
supérieure à un an, une mesure de sauvegarde devra être progressivement
libéralisée pour inciter à procéder aux mesures d'ajustement requises
(art. 7 (4)). L'application successive de mesures de sauvegarde à un même
produit est impossible pendant un certain délai (art. 7 (5)). Mesure de
sauvegarde sur mesure de sauvegarde ne vaut.
262 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

c. La procédure nationale d'enquête


689 Ainsi que cela est règle commune en matière de recours aux moyens de
défense commerciale multilatéraux, aucune imposition de contre-mesures
ne peut être prise qu'après enquête menée par les autorités nationales
compétentes (art. 5).
690 Les exigences que cette procédure nationale d'enquête doit respecter font
l'objet de précisions et donc d'exigences moindres que pour celles concernant
le dumping ou les subventions (art. 3). Il est seulement mentionné que la
procédure devra être publique (tout en respectant la confidentialité des
renseignements obtenus) et permettre aux parties intéressées (lesquelles
ne sont pas précisées à part les importateurs ou les exportateurs) de pré-
senter leurs points de vue et de répondre à ceux d'autres intervenants
(sans toutefois qu'il y ait confirmation formelle du respect du contradic-
toire). Aucune exigence de révision judiciaire n'est posée. Tant l'enquête que
ses résultats et l'imposition de mesures de sauvegarde devront être notifiés
par le membre concerné au Comité des sauvegardes institué par l'accord
art. 12 et 13).
691 Ainsi que devait le reconnaître l'organe d'appel, ce processus interne de
prise de décision « ressort des membres de l'OMC dans l'exercice de leur
souveraineté » (États-Unis — Corée du Sud — Mesures de sauvegarde à l'im-
portation, VVTDS.202/AB/, Rapport du 15 fév. 2002, n° 158).
Cette procédure, contrairement à celle relative au dumping mais en
droite ligne de celle concernant les subventions, ne bénéficiera d'aucune
protection particulière dans le cadre du mécanisme de règlement des diffé-
rends de l'OMC (art. 14). C'est dire que l'ORD pourra être saisi de novo de
mesures de sauvegarde imposées par les pays membres de l'OMC sans
égard aucun pour les déterminations internes préalablement établies.
692 C'est ainsi que cet Accord sur les sauvegardes a fait l'objet de plusieurs diffé-
rends soumis au mécanisme de règlement de l'OMC. On citera ainsi les
affaires Argentine — Mesures de sauvegarde à l'importation de chaussures
(Rapport de l'organe d'appel en date du 4 déc. 1999) ; Corée — Mesures de
sauvegarde définitive appliquée aux importations de certains produits laitiers
(Rapport de l'organe d'appel en date du 14 déc. 1999 également) et surtout
Etats-Unis — Mesures de sauvegarde définitive à l'importation de gluten de
froment en provenance des Communautés Européennes (Rapport de l'organe
appel en date du 22 déc. 2000), qui constitue un bon exemple d'examen
de compatibilité d'une procédure nationale d'enquête au regard des exi-
gences du « droit OMC » tel qu'il peut être mené dans le détail par les
instances de l'ORD.
On rappellera enfin que ce régime juridique des sauvegardes fut, pen-
dant un temps, à l'origine de l'un des contentieux les plus importants entre
les États-Unis et leurs partenaires commerciaux lorsque ces premiers, en
LES RÈGLES MULTILATÉR ES DE DÉFENSE COMM RCI LE 63

mars 2002, imposèrent à ce titre des surtaxes à l'importation sur nombre


de produits en acier : tant le groupe spécial dans un rapport du 11 juillet
2003 que l'Organe d'appel dans son rapport précité du 10 novembre 2003,
devaient reconnaître ces mesures de sauvegardes incompatibles avec les
obligations posées par l'OMC en la matière, ce que les États-Unis finirent
par accepter en les levant à la fin de l'année 2003.

3. Un défaut non corrigé : l'application égalitaire


des mesures de sauvegarde
693 Les mesures de sauvegarde sont appliquées aux produits importés « quelle
qu'en soit la provenance » (art. 2 (2)), ce qui veut dire qu'elles doivent
l'être également à tous, sans discrimination possible, c'est-à-dire sans
sélectivité (autre que celle, limitée, mentionnée précédemment). Beau-
coup, à commencer par la Communauté européenne, ont regretté cette
absence de reconnaissance officielle de l'application sélective des mesures de
sauvegarde qui peut se recommander d'une analyse économique bien com
prise. Mais l'approche légaliste de l'égalité des États l'a emporté — essen-
tiellement pour des raisons politiques.
694 Toutefois, l'Accord essaie de pallier le grand inconvénient de cette application
non-discriminatoire des mesures de sauvegarde de l'article XIX en ce qu'il
permet à tous les membres exportateurs affectés de suspendre des « conces-
sions ou autres obligations substantiellement équivalentes » au nom de la
sacro-sainte réciprocité fondée sur l'équilibre des avantages mutuels et qui
n'a cessé de présider au fonctionnement du GATT hier et de l'OMC
aujourd'hui. Mais «ce droit de suspension» ne sera pas exercé durant les
trois premières années d'application d'une mesure de sauvegarde si celle-ci
a été due à un accroissement des importations « en termes absolus » et si
elle est conforme audit accord (art. 3 (3)). Autrement dit, il s'agit là d'une
nouvelle « clause de paix » protégeant provisoirement les mesures de sauve-
garde contre des rétorsions des pays exportateurs, analogue à celle existant
en matière agricole à propos des subventions de la « boîte verte » (v. ss 396).
S'il existe à l'évidence certaines « causes célèbres » en la matière (à com-
mencer par le contentieux sur l'acier ou les surtaxes américaines de
2002 furent condamnées (v. ss 682, 692), force est de reconnaître que les
États firent preuve d'une modération certaine. Cette tendance à la baisse
n'a cessé de se confirmer au cours de ces dernières années : ainsi, 8 enquêtes
avaient été ouvertes en 2007 par les pays membres de l'OMC et 10 en
2010 pour ne donner naissance respectivement qu'à 3 et 5 mesures res-
trictives (OMC, Rapport annuel, 2011, p. 44).
De son côté, au 1" octobre 2012, l'ORD avait été saisi de 43 affaires
impliquant le recours à cette clause de sauvegarde de l'article XIX faisant
ainsi de l'ensemble des règles de défense commerciale la source principale
du « contentieux » OMC avec près de 60 % des litiges.
EXCEPTIONS ET DÉROGATIONS

Bibliographie
Tous les ouvrages cités dans la bibliographie générale examinent en détail les
questions abordées dans ce chapitre. De même et comme à l'accoutumée, il convien-
dra de les compléter par le recours à l'indispensable « Guide des règles et pratiques
du GATT » et maintenant de l'OMC.
Pour des études plus spécifiques, voir :
• Sur les pays en développement : T. Ademola Ayejide, The participation of developing
countries in the Uruguay Round : an African perspective, The World Economy, 1990, p. 427 s. ;
B. Balassa and C. Michalopoulos, Liberalizing trade between developed and developing
countries, JWTL 1986. 3 s. ; G. Feuer, L'Uruguay Round, les pays en développement et le
droit international du développement, AFDI 1994. 758 s. ; I. Franck, The « graduation »
issue for LDCS, JWTL 1979. 289 s. ; H. Gros Espiell, GATT : accomodating generalized
preferences, JWTL 1974. 341 s. ; R. E. Hudec, Developing countries in the GATT legal system,
Aldershot, Thames essay n° 50, 1987 ; GATT and the developing countries, Columbia Bus.
Law Rev., 1992, p. 67 s. ; J. Lebullenger, La portée des nouvelles règles du GATT en faveur
des parties contractantes en voie de développement, RGDIP 1992. 254 s. ; V. Rege,
Economies in transition and developing countries : prospects for greater cooperation in trade
and economic fields, JWT 1993. I. 83 s. ; A. A. Yusuf, « Differential and more favourable
treatment » : the GATT enabling clause, JWTL 1980. 488 s.
• Sur les intégrations économiques régionales : L. Huber, The practice of GATT
in examining regional arrangements under article XXIV, Journal of Common Market
Studies, 1981, p. 281 s. ; R. S. Imhoof, le GATT et les zones de libre-échange, Genève,
Études Suisses de droit international, vol. 18, 1979 ; Regional trade blocs, multilate-
ralism, and the GATT : complementary paths to free trade ? ed. by T. Geiger and
D. Kennedy, London, 1996 ; Régionalisme et le système commercial mondial,
Genève, 1995 ; Relations entre économies industrialisées et économies en transition
ou en développement : aspects institutionnels et juridiques, Éd. E. Schaeffer,
Bruxelles, Bruylant, 1995. F. Schoneveld, The EEC and free trade agreements : stretching
the limits of GATT exceptions to non-discriminatory trade ?, JWT 1992. 2, p. 17 s.
Sur les produits de base (ou matières premières) : E Canuto, Natural resource-
based products, in the GATT Uruguay Round : a negotiating history (1986-1992),
Deventer, Kluwer, 1993, vol. I, p. 459 s. ; D. Dormoy, Le commerce des produits de
base et l'action internationale, Paris, Pédone, 1986 ; R M. Eisemann, L'organisation
internationale du commerce des produits de base, Bruxelles, Bruylant, 1982 et
V° Les produits de base, in Répertoire de Droit International, Dalloz, 1998.
• Sur l'exception de sécurité : J. M. Hahn, Vital interests and the law of GATT : an
analysis of GATT's security exception, Mich. J. Int'l L., 1990/1991, p. 558 s. ; au regard
des lois américaines Helms-Burton et d'Amato de 1996 : M. Cosnard, Les lois Helms-
Burton et d'Amato-Kennedy, interdiction de commercer avec, et d'investir dans
certains pays, AFDI 1996. 33 s. ; R. Dattu and J. Boscariol, GATT article XXI, Helms-
Burton and the continuing abuse of the national security exception, Canadian Bus. Law
Journal, 1997, p. 198 s. ; B. Stem, Vers la mondialisation juridique ? Les lois Helms-
Burton et d'Amato-Kennedy, RGDIP 1996. 979 s.
EXCEPTIONS ET DÉROGATIONS 65

695 Plan On a souvent dit du GATT qu'il ne vivait que par ses exceptions et
qu'en cela il n'était pas sans ressembler à un fromage de gruyère. Même si
les exceptions au régime général posé par l'OMC demeurent nombreuses
et significatives, la progression de la règle de droit est réelle depuis l'époque
de l'Accord général. A travers leur caractère hétéroclite, elles poursuivent
une finalité commune qui est de ménager une certaine souplesse au fonc-
tionnement du système commercial multilatéral. C'est ainsi que les divers
pays membres de l'OMC, loin d'être homogènes sur le plan du développe-
ment économique, ont été au cours des ans classés par catégories bénéfi-
ciant de régimes de faveur (Section 1). De même, il a fallu faire une place
à cette grande réalité du monde contemporain que sont les groupements
d'États sur le plan économique : c'est ainsi que les intégrations écono-
miques régionales ont reçu un véritable statut commercial international
reconnaissant, sous condition, leur licéité (Section 2). D'autres exceptions
dites générales ont été officialisées pour permettre aux pays membres de
faire face à dés situations de nature extra-commerciale et le plus souvent
liées à la défense de leur ordre public (Section 3). D'autres enfin visent des
situations ponctuelles fort disparates allant des difficultés financières, à la
protection de la sécurité nationale — sans parler de l'octroi toujours pos-
sible de dérogations (Section 4).

COMMERCE MULTILATÉRAL
SECTION 1.
ET NIVEAU DE DÉVELOPPEMENT
ÉCONOMIQUE
696 Généralités 0 Le système commercial multilatéral — que ce soit celui
posé par le « GATT 1947 » ou celui, plus intégré, établi par l'OMC — repose
sur l'égalité des participants : la non-discrimination dans ses divers aspects
en constitue le noyau dur incompressible (v. supra). Or traiter de manière
identique des pays inégaux n'est-il pas générateur d'inéquité en faisant
riompher la forme sur le fond ? Ce débat, les démocraties industrielles le
connaissent bien depuis plus d'un siècle. C'est en effet au nom de l'égalité
réelle — et partant de l'équité — que le droit contemporain n'a cessé de
jouer un rôle compensateur en protégeant les plus faibles grâce à des avan-
ges particuliers et en les faisant financer par les plus aisés. Comment, ici
ne pas se rappeler ce mot célèbre de Lacordaire prononcé dès le milieu du
siècle dernier et selon lequel « entre le fort et le faible, c'est la liberté qui
opprime et la loi qui libère » ?
697 Droit compensateur Or, cette révolution culturelle quant au rôle
protecteur et compensateur de la règle de droit n'a encore que faiblement
franchi les frontières de l'ordre international. Toutefois, c'est dans le
domaine du droit international économique, et plus particulièrement
266 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

ns son volet commercial, qu'elle a connu ses manifestations concrètes


les plus significatives. Ainsi, en fonction de leur appartenance à certaines
catégories (au demeurant fort imprécises), des pays membres de l'OMC
vont bénéficier d'un régime de faveur consistant dans la dispense provisoire
du respect de certaines règles commerciales.
698 Plan Si l'Accord général de 1947 lui-même contenait un embryon de
traitement de faveur au profit des pays en voie de développement, c'est à
partir du début des années 1960 qu'ils purent progressivement obtenir un
véritable statut plus conforme à leurs besoins. L'OMC devait tout naturel-
lement s'inscrire sans cette tradition (§ 1). Mais il apparut vite que la
catégorie de « pays en développement » (ou « tiers monde ») était loin
d'être homogène et, en particulier, que certains étaient plus pauvres et
dans le besoin que d'autres. D'où l'apparition de la sous-catégorie de « pays
les moins avancés » (PMA), parfois popularisée sous le nom de « quart-
monde ». L'OMC devait leur reconnaître une place à part (§ 2). Enfin,
depuis l'écroulement des régimes à économie planifiée à partir de la chute
du « mur de Berlin » en 1989, est apparue une nouvelle catégorie de pays
en transition vers une économie de marché (appelée aussi pays d'Europe
Centrale et Orientale ou PECO) et qui se trouvent ainsi dans une situa-
tion intermédiaire entre deux systèmes antinomiques de production des
richesses et d'organisation des échanges. L'OMC devait aussi tenir compte
de leur spécificité (§ 3).

§ La catégorie générique des pays


en développement
699 Plan 0 L'approche du traitement de la catégorie générique de pays « en
voie de développement » passa par deux phases successives. Initialement,
le régime juridique du commerce avec les pays du tiers-monde (Nord-Sud)
fut considéré d'un point de vue purement négatif (1). Puis à l'occasion du
Tokyo Round une conception plus constructive l'emporta avec la mise sur
pied d'un véritable statut commercial international fondé sur le concept
de préférences commerciales (2). Cette approche devait être prolongée par
les négociations du Cycle de l'Uruguay et l'OMC (3).

1. L'approche de l'Accord général : un régime à base


d'exceptions
700 Le GATT dans sa version initiale de 1947 abordait la situation des pays en
développement d'une manière entièrement négative en leur permettant
de recourir à certaines mesures d'exception (a). Sa révision de 1966, plus
significative car liant clairement le développement au commerce interna-
ional, relève encore de la même approche en consacrant le principe de
non-réciprocité dans les échanges Nord/Sud (b)
EXCEPTIONS ET DÉROGATIONS 67

Les exceptions de l'Accord général de 1947


701 L'Accord général de 1947 abordait, bien que fort partiellement et timide-
ment, la situation des parties contractantes « dont l'économie ne peut
assurer à la population qu'un faible niveau de vie et en est aux premiers
stades de son développement» (art. XVIII). D'une manière générale, un
pays pouvait, pour, les besoins de son développement, « conserver, à la
structure de leurs tarifs douaniers une souplesse suffisante » (sic art. XVIII
(2)) — c'est dire en réalité les réajuster — et surtout « instituer des restric-
tions quantitatives » motivées, par des raisons de balance des paiements
d'une manière plus flexible qu'en suivant le régime de droit commun de
l'article XII (v. ss 791 s.). (Pour une comparaison des procédures posées au
titre de l'art. XII et de l'art. XVIII.B, voir Guide des Règles et Pratiques du
GATT, op. cit., pp. 407 408).
702 Ces mécanismes prévus à l'article XVIII ne nécessitent pas de longs com-
mentaires car ils ne fonctionnèrent jamais de façon satisfaisante au point
d'apparaître aujourd'hui caducs. Ainsi, les dispositions de l'article XVIII.A
visant les modifications tarifaires ne furent invoquées que neuf (9) fois
dans l'histoire du GATT et plus jamais après 1983. La section C de l'ar-
ticle XVIII permettant l'octroi de dispenses aux pays en développement
pour instituer des subventions aux exportations ne fut que peu exploitée
et ne profita en tout et pour tout qu'à quatre pays. Quant à la section D de
article XVIII prévoyant la possibilité d'introduire une aide d'État (subven-
ion) pour permet re la création « d'une branche de production détermi
née », elle devint vite lettre morte, ses dispositions n'ayant jamais été invo-
quées par aucune partie contractante... Seul, le recours, à la section B de
l'article XVIII a eu quelque succès, nombre de parties contractantes l'ayant
invoquée pour introduire (ou maintenir) plus aisément des restrictions
quantitatives justifiées par des difficultés de balance des paiements ; tou-
tefois, la tendance était nettement à la diminution du nombre de pays les
invoquant (v. Guide des Règles et Pratiques du GATT, op. cit., p. 427).

b. La consécration du principe de non-réciprocité


par l'adjonction de la Partie IV en 1966
703 La révision du GATT entrée en vigueur le 27 juin 1966 (et qui fut d'ailleurs
la dernière) insérant dans l'Accord général une Partie IV intitulée « com-
merce et développement », pour opportune qu'elle ait pu être, demeure
marquée du sceau de l'approche négative de la situation des pays du tiers-
monde. Celle-ci est toujours appréhendée comme constituant une excep-
ion par rapport au régime général de droit commun.
Dans l'ensemble, cette Partie IV, vague à souhait, ne contient que des
principes généraux non susceptibles de déboucher sur des obligations juri-
diques précises et déterminées. En cela, elle ne se différencie guère des
engagements non contraignants (droit flexible ou soft law).
268 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

704 Il existe toutefois une exception majeure bien connue et déjà signalée avec
la reconnaissance du principe de non-réciprocité dans les négociations com-
merciales entre pays développés et pays en développement (art. XXXVI (8)
et v. ss 297 s.). On rappellera en effet que les principes généraux de récipro-
cité et d'avantages mutuels gouvernent la conduite des négociations com-
merciales multilatérales de façon à déboucher sur un équilibre global des
concessions. On ne reviendra pas sur ce qui a été dit précédemment si ce
n'est pour signaler une nouvelle fois que l'élimination de la réciprocité
dans les relations Nord/Sud a confiné les pays en voie de développement
au rôle de simples spectateurs dans les grandes négociations internatio-
nales : n'ayant rien à offrir, ils n'ont guère pu faire entendre leurs voix et
obtenir les concessions qu'ils souhaitaient.

2. L'approche positive du Tokyo Round :


l'émergence d'un statut commercial du pays
en voie de développement
705 Cette évolution se fit en deux phases. La première, antérieure aux négo-
ciations du Cycle de Tokyo, légitime — mais encore à titre dérogatoire —
le principe des préférences commerciales au profit des pays du tiers-
monde (a). La deuxième, plus large, se situe dans le prolongement du
Tokyo Round avec l'adoption par les parties contractantes du GATT, de la
« clause d'habilitation » (b).

a. La légitimation des préférences commerciales à titre


dérogatoire en 1971
706 L'approche positive de la situation des pays en développement vint de déci-
sions prises par les parties contractantes en 1971 mettant en oeuvre les
recommandations de la CNUCED II de New-Delhi (1968) qui avait
réclamé l'institution de préférences commerciales pour le tiers-monde. Ces
deux décisions prirent la forme de dérogations (waivers) adoptées sous
l'empire de l'article XXV (5). La première du 25 juin 1971 portait déroga-
tion à l'article premier (et à lui seul) de l'Accord général instituant la clause
de la nation la plus favorisée inconditionnelle au profit des pays développés
qui mettaient en oeuvre un « système généralisé de préférences... sans
réciprocité ni discrimination » pour les pays bénéficiaires et qui se décla-
reraient comme tels (principe de « l'auto-élection »). Cette dérogation
était accordée pour dix (10) ans (v. le texte in Guide des Règles et Pratiques
du GATT, op. cit., p. 55).
707 Dans la même veine, et sur le même fondement, une deuxième décision
dérogatoire du 26 novembre 1.971 intitulée « négociations commerciales
entre pays en voie de développement » autorisait ces derniers à déroger aux
dispositions de l'article 1 (1) relatif à la clause de la nation la plus favorisée
EXCEPTIONS ET DÉROGATIONS 69

en concluant entre-eux des arrangements de commerce préférentiels (Ibid.,


pp. 55-56). Plusieurs accords de ce type devaient être conclus — notamment
par des pays du Sud-Est asiatique (Ibid., pp. 57-59).
708 En bref, à partir de la fin de l'année 1971, la clause de la nation la plus
favorisée de nature inconditionnelle ne régissait plus ni les échanges com-
merciaux Nord/Sud ni les échanges commerciaux Sud/Sud.

b. La clause d'habilitation de 1979


709 La deuxième et ultime phase à l'époque du « GATT 1947 » se situe dans le
prolongement direct des négociations du Tokyo Round avec l'adoption le
28 novembre 1979 par les parties contractantes d'une décision intitulée
« Traitement différencié et plus favorable, réciprocité et participation plus
complète des pays en voie de développement» (« clause d'habilitation »)
(v. Ibid., . 59-65).
Cette décision a été communément interprétée comme donnant une
base juridique et permanente au statut dérogatoire du commerce des pays en
voie de développement en ce qu'elle légitime les accords préférentiels qui
leur sont accordés ou qu'ils s'accorderont entre eux nonobstant les dispo-
sitions de l'article I (1) du GATT instituant le traitement général de la
nation la plus favorisée.
Ayant à apprécier la nature profonde de cette habilitation, l'ORD refusa
d'y voir une « règle positive énonçant des obligations » et la caractérisa de
simple « exception » autorisant à déroger à l'article I.1 du GATT 1994 posant
ce principe central des échanges commerciaux qu'est le « traitement géné-
ral de la nation la plus favorisée » (v. le Rapport de l'Organe d'appel du
7 avr. 2004, WT/DS/246/AB/R, Communautés européennes — Conditions
d'octroi des préférences tarifaires aux pays en développements, § 89-90).
Cependant, l'Organe d'appel précisa que cette clause d'habilitation n'était
pas une « exception » ou un « moyen de défense typique » mais jouait
« un rôle essentiel dans la promotion du commerce en tant que moyen de
stimuler la croissance et le développement économiques » (§ 106).
710 Au titre de cette décision, sont désormais pleinement validés le traitement
tarifaire préférentiel accordé par les parties contractantes développées au
profit de celles en voie de développement au titre du système généralisé de
préférences ainsi que le traitement « différencié le plus favorable » au titre
des mesures non tarifaires négociées sous les auspices du GATT.
Dans son Rapport précité du 7 avril 2004, l'Organe d'appel devait inter-
préter la clause d'habitation comme n'impliquant pas un traitement égal
de tous les pays en développement ; autrement dit, les préférences tari-
faires accordées par les pays développés au profit des pays en développe-
ment peuvent l'être de façon différenciée, tout en respectant l'égalité de
itement des bénéficiaires « se trouvant dans une situation semblable»
(§ 173-174, 175-176).
270 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

711 Sont également validés, les accords préférentiels de commerce entre pays
en voie de développement visant à réduire entre eux sur « une base
mutuelle » tant les droits de douanes que les obstacles non tarifaires. À cet
effet, nombre d'arrangements préférentiels furent notifiés au GATT (v. la
Liste in Guide des Règles et Pratiques du GATT, op. cit., pp. 62-64). Furent
également validés, les traitements spéciaux accordés aux « pays en voie de
développement les moins avancés » (PMA).
712 Enfin, cette décision contient une « clause évolutive » (§ 7) selon laquelle
les pays en voie de développement eux-mêmes doivent « prendre plus plei-
nement leur part dans l'ensemble des droits et obligations découlant de
l'Accord général ». Sous cette formulation cryptique et en l'absence du
moindre critère de mise en oeuvre, était visée la situation des pays en déve-
loppement plus avancés (ceux que l'on a parfois qualifiés de « nouveaux
pays industrialisés » ou NPI) qui pourraient se voir privés du bénéfice d'un
traitement préférentiel par les pays développés tandis qu'ils devraient en
accorder un aux pays moins favorisés qu'eux-mêmes.

3. L'officialisation du statut spécial des pays


en développement par le Système OMC
713 L'approche générale de l'OMC aujourd'hui est celle du GATT hier (a). Tou-
tefois, il y est ajouté des précisions au titre des accords de commerce mul-
tilatéraux (b).

a. L'approche générale
714 Là comme ailleurs, il convient de rappeler que l'OMC reprend l'acquis du
GATT à la fois d'une manière générale (art. XVI (1), et spécifique en ce qui
concerne les décisions adoptées par les parties contractantes du GATT (art. 1 b)
iv du « GATT 1994 »), ce qui couvre à l'évidence la clause d'habilitation de 1979.
En outre, il convient de rappeler que l'OMC, tout comme le GATT, ne
considère pas que le régime juridique de faveur dont bénéficient les pays en
développement est permanent ; il n'est que de nature provisoire, étant des-
tiné à remédier aux difficultés de ces pays posées en principe comme non
définitives. C'est dire que le Système OMC n avalise pas un système de
pluralité des normes commerciales, du moins à titre permanent ; le respect
des règles de droit commun constitutives du système commercial multila-
téral demeure l'objectif à atteindre.

es approches particulières des accords multilatéraux


sur le commerce des marchandises
715 S'il est un leitmotiv qui revient en permanence à la lecture des textes de ces
accords spécifiques c'est bien celui du principe de l'octroi d'un « traite-
ment spécial et différencié » au profit des pays en développement.
EXCEPTIONS ET DÉROGATIONS 271

Or la difficulté réside dans ce que cette règle de traitement demeure fort


vague et imprécise, n'ayant reçu aucun contenu spécifique sauf en ce qui
concerne les délais d'ajustement.

716 Il est en effet couramment admis par ces Accords que les pays en développe-
ment (et, on le rappelle, les bénéficiaires ne sont aucunement définis) dis-
posent de périodes d'adaptation plus longues. Il en va ainsi par exemple au titre
de l'Accord sur l'Agriculture (art. 15), de l'accord sur « l'application des
mesures sanitaires et phytosanitaires » (art 10), de l'accord sur les « obs-
tacles techniques au commerce » (art. 12 et art. 11 prévoyant une assistance
technique à leur profit), de l'accord sur les mesures concernant les investis-
sements et liés au commerce (MICS) (art. 41), de l'accord sur la mise en
oeuvre de l'article VI du GATT de 1994 (« Code anti-dumping » (art. 15), de
l'accord sur la mise en oeuvre de l'article VII du GATT de 1994 (« Code de
l'évaluation en douanes ») (art. 20), de l'accord sur l'inspection avant expé-
dition (préambule), de « l'accord sur les subventions et les mesures compen-
satoires » (Code sur les subventions) (Partie VIII et art. 27), de « l'accord sur
les sauvegardes » (art. 9), de « l'accord sur les aspects des droits de propriété
intellectuelle qui touchent au commerce » (ou ADPICS) (art. 65 (2))

717 C'est incontestablement dans le domaine des barrières non-tarifaires que le


traitement de faveur du commerce des pays en développement trouve
aujourd'hui à s'appliquer pour l'essentiel. En effet, le système généralisé de
préférences commerciales reposant principalement sur des avantages tarifaires,
ceux-ci deviennent de moins en moins significatifs en raison du faible niveau
actuel atteint par les droits de douane, notamment dans les pays développés.
Aujourd'hui sans grande signification économique en raison de la diminu-
tion très sensible des droits de douane, les préférences tarifaires deviendront
demain sans objet avec l'élimination de ces mêmes droits de douane. Mais la
libéralisation des échanges ne constitue-t-elle pas la meilleure aide qui soit
pour développer le commerce des pays du tiers-monde ?

§ 2. La sous-catégorie des pays les moins avancés


(PMA)
718 Le principe central en la matière se trouve formulé dans la « clause d'habi-
litation » précitée du 28 novembre 1979 : ainsi les pays en développement
les moins avancés bénéficient d'un « traitement spécial... dans le contexte
de toute mesure générale ou spécifique de faveur des pays en voie de déve-
loppement ». Or, le problème comme précédemment, est que ni ses béné-
ficiaires (1), ni son contenu (2) n'ont jamais été précisés.

1. Absence de définition des bénéficiaires


719 Le « Système OMC » lui-même est silencieux en la matière. Seul l'Accord
Multilatéral sur les subventions contient quelques précisions : d'une part, il
272 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

donne une liste spécifique de pays qui cesseront d'appartenir à la catégorie


des PMA dès que le PNB par habitant y aura atteint 1 000 dollars par an
(Annexe VII b renvoyant à l'art. 27 (2) b)) ; d'autre part, à des fins de déter-
mination de la composition de cette catégorie des PMA, il fait expressé-
ment référence aux désignations effectuées par l'ONU (Annexe VII a)
renvoyant à l'art. 27 (2) a)).
720 Actuellement, l'ONU a désigné les 48 pays suivants comme étant les
« moins avancés » :

Liste des pays les moins avancés (PMA)


Afghanistan Haïti Salomon
Angola Kiribati Samoa occidentales
Bangladesh Laos Sao Tome - et - Principe
Bénin Lesotho Sénégal
Bhoutan Libéria Sierra Leone
Burkina Faso Madagascar Somalie
Burundi Malawi Soudan
Cambodge Mali Tanzanie
Comores Mauritanie Tchad
Djibouti Mozambique Timor-Leste
Erythrée Myanmar (Birmanie) Togo
Éthiopie Népal Tuvalu
Gambie Niger Vanuatu
Guinée Ouganda Yémen
Guinée Bissau République Centre africaine Zaïre (Congo)
Guinée équatoriale Rwanda Zambie

2. Un régime préférentiel imprécis


721 L'Accord sur l'OMC lui-même contient la philosophie générale applicable
au traitement des PMA et selon laquelle ceux-ci ne sont tenus qu'à une
réciprocité limitée fonctionnelle quant à leurs engagements et concessions
commerciaux : les uns et les autres devront être compatibles avec leurs
besoins propres de développement et avec « leurs capacités administratives
et institutionnelles » (art. XI (2)).
De leur côté, un certain nombre d'accords commerciaux multilatéraux
(mais pas tous, loin de là) singularisent les « pays les moins avancés » au
sein de la catégorie générale des pays en développement afin de les faire
bénéficier d'avantages et facilités supplémentaires. Ces derniers sont au
demeurant couchés en termes fort généraux qui ne donnent guère d'indi
cations sur leur portée réelle. C'est ainsi que l'Accord sur l'Agriculture fait
référence à la prise de « mesures appropriées » quant aux effets négatifs
possibles de leur programme de réformes sur les PMA importateurs de
EXCEPTIONS ET DÉROGATIONS 3

produits alimentaires (art. 16). De plus, leurs besoins spéciaux devront être
pris en considération au titre de « l'Accord sur l'application des mesures
sanitaires et phytosanitaires » (art. 10), de « l'Accord sur les subventions
et les mesures compensatoires » (Par ie VIII et art. 27), de l'Accord sur les
ADPICS (art. 66 et art. 67 leur offrant une coopération technique) ainsi
qu'au titre des « Règles et procédures régissant le règlement des diffé-
rends » (art. 24 du « Mémorandum d'accord » prévoyant des procédures
spéciales et fondées sur la modération des parties développées).
722 En outre, d'une manière générale, une décision spécifique — « les mesures
en faveur des pays les moins avancés » adoptée le 15 avril 1994 à l'occasion
de la signature de l'Acte final de Marrakech —, pose en principe que les
PMA « ne seront tenus de contracter des engagements et de faire des
concessions que dans la mesure compatible avec les besoins du développe-
ment, des finances et du commerce de chacun d'eux ou avec leurs capaci-
tés administratives et institutionnelles » (§ ). De plus, dans la « mesure
du possible », ils bénéficieront immédiatement des concessions tarifaires et
non-tarifaires négociées à l'occasion du Cycle de l'Uruguay. D'une manière
générale, le « droit OMC » leur sera appliqué « de manière flexible et favo-
rable » (§ 2 iii). Enfin, ils bénéficieront d'une « aide technique considéra-
blement accrue » (§ 2 iv) afin de « tirer parti au maximum de l'accès libé-
ralisé aux marchés » (Ibid.). Tout ceci relève certes d'intentions louables
mais demande à être précisé.
723 Au 1er novembre 2012, la très grande majorité de ces « PMA » (34) fai
saient partie de l'OMC tandis que dix autres étaient en train de négocier
leur accession - ce qui tend à prouver que, en dépit de ses insuffisances en
la matière, l'appartenance à cette institution était loin de manquer d'at-
rait et d'intérêt pour cette catégorie de pays défavorisés.

§ 3. La singularisation des pays en voie


de transformation en économie de marché
724 Les pays qui, dans le passé, reposaient sur un régime d'économie planifiée et
qui s'orientaient vers le passage à « une économie de marché axée sur la
libre entreprise » (c'est-à-dire les pays d'Europe Centrale et Orientale ou
PECO) firent également l'objet, mais dans une bien moindre mesure, de la
sollicitude des membres de l'OMC. En effet, ces pays en voie de transfor
mation économique bénéficiaient d'un régime transitoire allongé pour
s'ajuster au nouveau « code des subventions » (art. 29) : ils disposaient à
ce titre d'une période de sept ans pour éliminer les subventions prohibées
celles dites de la « boîte rouge » — v. ss 635 s.), cette phase d'ajustement
supplémentaire s'expliquant aisément pour des économies où les prix
avaient été administrés pendant un demi-siècle ou plus sans aucune réfé-
rence aux conditions normales de marché.
74 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

725 Un délai supplémentaire leur était également accordé pour la mise en


oeuvre de « l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui
touchent au commerce » (art. 65). Cette période transitoire a paru néces
saire dans la mesure où nombre de PECO, pour des raisons idéologiques,
s'opposaient à la reconnaissance de droits de propriétés privatifs au profit
d'artistes ou d'inventeurs pour les réserver la collectivité.
Cette singularisation appartient maintenant au passé et nombre de
pays bénéficiaires ont même rejoint l'Union Européenne à compter du
1er mai 2004, d'autres s'apprêtant à le faire par la suite.

SECTION 2.
COMMERCE MULTILATÉRAL
ET INTÉGRATIONS ÉCONOMIQUES
RÉGIONALES
726 Le GATT hier, l'OMC aujourd'hui s'appliquent tout naturellement aux terri-
toires des parties contractantes tel que le droit international les reconnaît et les
délimite spatialement par des frontières d'État. La plupart du temps frontières
politiques et frontières économiques coïncident, mais ce n'est pas toujours le
cas comme le démontre l'existence d'une zone franche entre la France et la
Suisse en Savoie et dans le Pays de Gex datant de l'Acte final de Vienne de 1815.
727 La frontière, manifestation concrète de l'exclusivité territoriale de l'État,
constitue un obstacle naturel à franchir et apparaît ainsi comme un élé-
ment de rupture freinant (et parfois empêchant) la continuité des
échanges économiques internationaux. Si elle présente une réalité cer-
taine tant du point de vue historique, juridique et politique, en revanche,
sur le plan économique elle apparaît souvent artificielle, et aujourd'hui de
plus en plus. Ce phénomène est bien connu et traditionnel pour les zones
frontalières : l'unité économique d'une région entraîne souvent le « dépas-
sement» de la frontière au sens politique et juridique du terme avec l'ins-
itution d'un régime d'échange particulier. L'Accord général reconnaît
l'existence de ce « trafic frontalier » auquel ses dispositions ne sauraient
faire obstacle (art. XXIV (3) a)).
Mais il y a plus que ce phénomène local.
728 Depuis longtemps déjà les États ont reconnu le caractère artificiel de leurs
frontières au regard des échanges économiques. Ainsi, souvent dans le
passé, ont-ils décidé de supprimer leur frontière au sens économique du
terme tout en les maintenant dans leurs fonctions juridiques et politiques.
L'exemple du zollverein constitué par nombre de principautés et royaumes
allemands au xix e siècle est demeuré célèbre. De nos jours, tentations et
réalisations ont continué de plus belle à la fois pour des raisons écono-
miques et politiques. Sur le plan économique, la plupart des États sont trop
EXCEPTIONS ET DÉROGATIONS 275

petits pour constituer à eux seuls un marché suffisant pour produire en


grande quantité et au moindre coût ; ainsi, unifier des territoires étatiques
en termes de marché revient à permettre les économies d'échelle requises
pour les productions de masse ou les prestations de services. Ainsi, la
Communauté européenne s'est progressivement développée en un marché
unique qui est lui-même devenu un marché intérieur décrit comme « un
espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des mar-
chandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée » (TFUE,
art. 26.2) - ce qui implique l'élimination de tous les obstacles s'y opposant.
Sans aller aussi loin, la quasi-totalité des États membres de l'OMC, fait
désormais partie d'intégrations économiques régionales plus ou moins
« pures » — voire de simples arrangements préférentiels.
729 À côté de cet argumentaire économique en faveur de regroupements d'États
à base de proximité géographique (ou régionale), il existe aussi des considé-
rations politiques fondamentales qui militent dans le même sens : l'intégra-
tion des économies nationales ne constitue-t-elle pas le plus sûr facteur de
paix entre les États concernés ? Déclarer la guerre à son meilleur client ou
fournisseur a-t-il encore un sens ? Autrement dit, l'intégration économique
débouche toujours sur une certaine forme d'intégration politique et elle
apparaît ainsi comme le meilleur garant de relations pacifiques. La paix par
l'intégration économique fut toute la philosophie de Jean Monnet et se
retrouva à la base de la construction européenne de l'après-guerre. LAccord
général de 1947 devait implicitement épouser ces préoccupations en favo-
risant la création d'intégrations économiques régionales.
730 L'approche du régionalisme économique du GATT 1947 est restée celle du
« GATT 1994 » qui n'a fait qu'ajouter quelques précisions bienvenues dans
« un Mémorandum d'accord sur l'interprétation de l'article XXIV de l'Ac-
cord général sur les tarifs douaniers et de commerce » (art. I c. iv du GATT
1994, cité « Mémorandum d'interprétation »). À ce titre ne sont officiali-
sées que certaines formes d'intégrations économiques régionales (§ 1) qui,
pour être licites, doivent respecter certaines conditions (§ 2) et ne pas
porter atteinte aux droits des tiers (§ 3). Enfin, tout en constituant un
régime préférentiel d'échanges, ces intégrations et leurs membres ne se
rouvent pas pour autant déliés du respect des règles communes gouver-
nant le commerce multilatéral (§ 4).

§ La légitimation de certains types


d'intégrations économiques : les unions
douanières et les zones de libre-échange
731 L'Accord général officialise certains types d'accords économiques régio-
naux (1) et les juges positifs pour peu qu'ils contribuent à créer des cou-
nts d'échange (2).
PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

1. Accords de coopération et accords d'intégration


économique
732 Le régionalisme économique est susceptible de revêtir deux formes bien
distinctes aux objectifs et contraintes fort différents. D'un côté, existent
de simples accords de coopération économique, qui tout en créant une
institution internationale (ainsi l'OECE/OCDE ou l'Association des
Pays du Sud-Est Asiatique — ASEAN) visent à une meilleure coordina-
tion des politiques suivies par les pays membres sans contraintes parti
culières autres que librement consenties et au cas par cas. Le GATT ne
s'intéresse pas à ces accords de coopération économique qui ne sau-
raient en rien l'affecter.
733 D'un autre côté, existent des accords destinés à réaliser une intégration des
économies des pays participants qui, tout en étant également « librement
conclus » comme le requiert tout naturellement le GATT, se révèlent
contraignants parce qu'ils exigent des démantèlements d'obstacles aux
échanges ou l'institution de politiques communes de leurs membres. En
raison de leur impact, le GATT ne saurait se désintéresser de ces derniers.
Ainsi, il singularise et officialise deux types d'accords visant à « une inté-
gration plus étroite des économies des pays participants » : les unions
douanières et zones de libre-échange (art. XXIV (4)). Bien qu'il ne le pré-
cise pas mais cela va sans dire, rien ne s'oppose à ce que des formes plus
élevées d'intégrations économiques, soient instituées entre des pays
(comme des marchés communs ou des unions économiques et monétaires).
734 Le GATT définit l'union douanière comme la « substitution d'un seul ter-
ritoire douanier à deux ou plusieurs autres territoires douaniers » (art. XXIV
(8) a), à condition que « l'essentiel des échanges commerciaux » soit libéré
entre les membres et qu'il existe un tarif douanier commun à l'égard des
pays tiers. De son côté, une zone de libre-échange consiste dans la libérali-
sation de « l'essentiel des échanges commerciaux » portant sur les produits
originaires des territoires des membres. Ainsi unions douanières et zones
de libre-échange partagent un objectif commun fondamental : l'élimina-
tion des barrières tarifaires et non tarifaires sur « l'essentiel » de leurs
échanges commerciaux. En revanche, l'union douanière est plus contrai-
gnante en raison de l'existence d'un tarif douanier commun à l'égard de
l'extérieur. L'union possède une personnalité douanière externe propre
tandis que les pays membres d'une zone de libre-échange gardent leurs
compétences commerciales extérieures. En conséquence, pour ces derniers
la libéralisation des échanges ne portera que sur les produits originaires de la
zone qu'il conviendra de déterminer par l'adoption de règles d'origine adé-
quates fondées sur le degré de transformation des produits. En raison de sa
protection tarifaire extérieure commune, les membres d'une union doua-
nière doivent accorder le bénéfice de la libre circulation à tous les produits,
quelle que soit leur origine, locale ou importée. Constituant un « territoire
EXCEPTIONS ET DÉROGATIONS 7

douanier distinct jouissant d'une entière autonomie dans la conduite de


(leurs) relations commerciales extérieures », les unions douanières (et tel
est le cas de la Communauté Européenne) sont ainsi en droit de faire partie
de 1'OMC (art. XII et v. ss 206).

2. Des intégrations créatrices de courants


d'échange
735 La position de principe de l'Accord général en faveur de ces deux types
d'intégration économique s'explique par le but central qu'elles doivent
poursuivre, à savoir « faciliter le commerce » entre les participants
(art. XXIV (4). À l'inverse, elles doivent s'abstenir « d'opposer des obstacles
au commerce avec les pays tiers » (ibid. et § 5 a et b). C'est ici suggérer que
certaines intégrations économiques seraient « bonnes » tandis que
d'autres seraient « mauvaises », les premières devant être validées tandis
que les secondes devraient être évitées. En réalité, toutes les conditions
posées par le GATT à la licéité des intégrations économiques régionales
sont bien fondées sur cette distinction : elles ont pour but de s'assurer que
seules les « bonnes » intégrations verront le jour.
736 Cette distinction fondamentale véhiculée par le GATT entre les diverses
intégrations économiques régionales en fonction de leur effet créateur (ou
non) d'échanges internationaux, s'inspire très directement des analyses à
l'époque fort connues de l'économiste américain Jacob Viner et qu'il devait
populariser dans son livre « The Customs Unions Issue » publié quelque
temps plus tard en 1950.
Pour Viner en effet, si les intégrations économiques sont en elles-mêmes
favorables pour la liberté du commerce international, encore faut-il faire
une différence entre celles qui créent des courants d'échange (trade crea-
ting) et qu'il convient d'encourager et celles qui se contentent de détourner
des courants d'échange préexistants (trade diverting) et qu'il convient alors
de proscrire.
Si cette division est intellectuellement séduisante, elle n'est pas pour
autant toujours facile à mettre en oeuvre. C'est ainsi par exemple que les
États-Unis n'ont cessé au cours des ans de critiquer la politique agricole
commune (PAC) de la Communauté Européenne, comme rentrant dans
la catégorie des intégrations détournant des courants d'échange tradition-
nels et ils en voulaient pour preuve leur baisse de parts de marchés perdues
au profit de concurrents communautaires ; à l'inverse, la Communauté
soutint toujours que la PAC avait contribué à augmenter les échanges et
elle en voulait pour preuve l'augmentation considérable des exportations
agricoles américaines sur le marché communautaire. Selon que l'on se
place ainsi en valeur absolue ou en valeur relative, dans une économie
dynamique ou statique, les conclusions sont susceptibles de varier du tout
au tout.
278 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

§ 2. Conditions de licéité des intégrations


économiques régionales
737 L'Accord général ne donne pas un blanc-seing aux promoteurs de ces deux
formes d'intégration économique régionale. Il impose en effet des conditions
tant de procédures (1) que de fond (2) qui visent toutes à s'assurer qu'elles
seront «bonnes », c'est-à-dire qu'elles contribueront à la liberté du com-
merce en développant des courants d'échange non seulement, à l'intérieur,
entre les membres mais également, à l'extérieur, au profit des tiers. Il s'agit là
d'un exemple frappant de l'existence d'une hiérarchie des normes au sein du
droit international, une convention universelle (le GATT/OMC) fondant le
régime juridique d'institutions régionales (v. D. Carreau et F. Marella, Droit
international, op. cit., III, n° 57 s. et en particulier ici le n° 60).

1. Conditions procédurales
738 Les pays désireux de constituer ce type d'intégration régionale doivent en
avertir l'OMC (a) qui procédera alors à l'examen de leur projet (b) pour,
par la suite, en contrôler la mise en oeuvre (c).

a. L'obligation de notification du projet de constitution


d'une intégration économique régionale
739 Ainsi aujourd'hui, tout Membre de l'OMC désireux d'entrer dans un de
ces deux types d'intégration économique doit en « aviser sans retard » le
Conseil du commerce des marchandises qui en saisira un groupe de travail
(art. XXIV (7) et § 7 du «Mémorandum d'accord sur l'interprétation »).
Cette saisine doit être préalable à l'entrée en vigueur de l'Accord constitutif
de l'Union douanière ou de la Zone de libre-échange.

b. L'examen du projet d'intégration économique régionale


740 Après notification du projet, commence alors une phase d'examen qui n'est
enserrée dans aucun délai. Le Conseil du commerce des marchandises pourra
adresser aux membres concernés « les recommandations qu'il jugera
approp iées » (art. XXIV (7) a) et § 7 à 10 du « Mémorandum d'accord sur
l'interprétation »). Ces recommandations, malgré leur nom, sont obliga-
toires en ce que les Membres doivent modifier en conséquence les accords
incompatibles conclus ou s'abstenir de les maintenir ou de les mettre en
vigueur (art. XXIV (7) b) in fine). Ces recommandations obligatoires ont
pour but de s'assurer de la compatibilité entre les intégrations écono-
miques projetées avec les dispositions de l'Accord général.
741 Ce système d'examen n'a jamais fonctionné de façon satisfaisante. À
époque du GATT, rares ont été les cas où les parties contractantes ont pu
EXCEPTIONS ET DÉROGATIONS 9

aboutir à une conclusion unanime ou à une approbation expresse me


ionnant un plein et entier respect des prescriptions posées par l'ar-
ide XXIV : une telle issue positive ne s'est produite que seulement sur cinq
(5) des cent six (106) accords notifiés au GATT entre 1948 et 1994 (v.
Guide des Règles et Pratiques du GATT, op. cit. p. 886-888 et les tableaux
récapitulatifs des p 920 et 945)
Ainsi, en règle générale, les parties contractantes du GATT se sont trou-
vées dans l'incapacité de faire les recommandations prévues. Cela a été le
cas par exemple pour le Traité de Rome établissant la Communauté Économique
Européenne. Dans certaines instances et pour des raisons politiques évi-
dentes, les parties contractantes ont été amenées à accorder une dérogation
(waiver) à une intégration économique imparfaite ou partielle : tel fut le
cas en 1952 pour la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier
(CECA) et en 1965 pour les États-Unis à propos de la conclusion avec le
Canada d'une zone de libre-échange sur certains produits automobiles.
742 Depuis janvier 1995, près de 500 accords commerciaux tant bilatéraux que
régionaux qui ont tous en commun d'être de nature préférentielle (Preferen-
tial Trade Agreements souvent cités « PTAs ») ont été notifiés à l'OMC ; 300
étaient en vigueur courant 2012 tandis que l'on estime à un bon tiers le
nombre de ceux qui n'ont pas été transmis pour examen à l'institution
de Genève (v. en général, OMC, Rapport sur le commerce mondial, 2011,
ainsi que L'OMC et les accords commerciaux préférentiels : de la coexistence à
la cohérence, Genève, 2011).
Leur nombre est en constante progression depuis ces dernières années
sous l'impulsion initiale des États-Unis et de l'Union européenne mainte-
nant rejoints par les pays d'Asie du sud-est (Chine, Corée du sud, Inde,
Japon) longtemps réticents à ce type d'approche et jusqu'alors ardents
défenseurs de l'idéal multilatéral à portée universelle.
Aujourd'hui, seule la... Mongolie est restée à l'écart de ce mouvement
tandis que les autres membres de l'OMC appartenaient en moyenne à plus
d'une dizaine de tels groupements, ce tains étant même partie à une ving-
taine d'entre eux. Ces accords de commerce préférentiels sont conclus tant
entre pays en développement entre eux qu'entre ces derniers et des pays
développés et ils touchent désormais tous les continents.
743 Ratione materiae, ces accords ont comme caractéristique principale d'être
plus large que le « système OMC » en ce qu'ils s'étendent souvent aux
investissements, à la politique de concurrence, au commerce électronique,
aux marchés publics et parfois même à l'environnement et aux conditions
du travail. Et en cela, ils sont certes de nature à contribuer au développe-
ment des échanges internationaux. En revanche et à l'inverse, revêtant le
plus fréquemment la forme de zones de libre-échange, ils aboutissent à un
fractionnement des relations économiques en espaces concurrentiels pri-
vilégiés ; si ce phénomène n'est pas répréhensible en soi au vu de la licéité
(certes conditionnelle) des intégrations économiques régionales posée
280 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

tant par le « GATT 1947 » que par le « GATT 1994 », il risque néanmoins
de porter atteinte à l'unité du régime juridique établi par le système com
mercial « intégré » né des Accords de Marrakech. En outre, comment ne
pas rappeler ici que de tels accords préférentiels « régionaux » n'ont pas
manqué de contribuer à l'enlisement sans doute définitif du « cycle
de Doha » en apparaissant comme des substituts acceptables - voire pré-
férables ? (v. ss 391).
744 Pour terminer sur ce point, cette prolifération d'accords de commerce de
nature préférentielle pose à l'évidence de délicats problèmes de chevauche-
ment (et de compatibilité) des régimes juridiques posés (phénomène sou-
vent qualifié de « bol de spaghettis ») - sans parler de leur compréhension.
En outre et plus grave sur le plan systémique, porteurs par essence de dis-
criminations à l'encontre des pays tiers et de leurs agents économiques (et
n'est-ce pas d'ailleurs leur raison d'être ?), ils vont à l'encontre de l'idéal
multilatéral de l'après-guerre et de ce principe de base sur lequel est fondé
l'OMC qu'est l'égalité commerciale des nations.
745 Quoi qu'il en soit de cette évolution et de ces interrogations, il a toujours
été clair depuis l'époque du GATT et cela a perduré avec l'OMC aujourd'hui,
que les intégrations économiques régionales méritaient d'être soutenues
ne serait-ce que pour leurs effets « politiques » bénéfiques (ne sont-elles
pas en effet un facteur de « paix » entre les participants ?). Dans ces
conditions, elles ne sauraient être bloquées à défaut d'être formellement
approuvées. Autrement dit, il existe au profit de tels accords une très nette
présomption de validité.
746 Le GATT impose, au titre des conditions de procédure, que le plan ou le
programme de réalisation contenu dans l'accord constitutif permette l'éta-
blissement de l'Union douanière ou de la Zone de libre-échange dans un
« délai raisonnable » (art. XXIV (5) c)). C'est également l'un des aspects
singularisés de la procédure d'examen précitée, une objection pouvant
être soulevée si les « délais ne sont pas raisonnables » (art. XXIV (7) b)) ou
faute d'existence d'un tel plan ou programme de réalisation (Mémoran-
dum d'accord sur l'Interprétation § 10).
Or, ces deux critères touchant à l'existence d'un plan ou programme
ainsi qu'à un délai raisonnable de réalisation ne cessèrent de donner lieu
à controverse à l'époque du GATT. Le « Mémorandum d'accord sur l'inter-
prétation» précité contient aujourd'hui une précision importante quant
au « délai raisonnable » de réalisation qu'il fixe normalement à dix (10)
ans (§ 3). Un tel délai est relativement bref : on se rappelle en effet que la
« période transitoire » prévue par le Traité de Rome pour réaliser l'Union
douanière était plus longue et avait été fixée à douze (12) ans. Il est vrai
que cette période peut être allongée « dans des cas exceptionnels » et cer-
tainement en faveur des pays en développement au titre de la « clause d'habi-
litation » de 1979 (§ 2 c. et v. ss 709 s.).
EXCEPTIONS ET DÉROGATIONS 81

c. Le contrôle ultérieur des intégrations économiques


régionales
747 Dans la pratique du GATT, un contrôle périodique du fonctionnement des
unions douanières et zones de libre-échange avait été mis sur pied sous
forme de rapports bi-annuels. Dans la pratique également, les parties
contractantes membres de ces intégrations économiques régionales s'esti
mèrent déliées de cette obligation dès l'établissement définitif de celles-ci (v.
Guide des Règles et Pratiques du GATT, op. cit. pp. 883-884).
Le « Mémorandum d'accord sur l'Interprétation » va au-delà et impose
aussi bien des rapports réguliers (mais dont la périodicité n'est pas précisée)
sur le fonctionnement de ce type d'accords ainsi que des notifications
immédiates en cas de survenance de modifications ou de « faits nouveaux
notables » (§ 11).

2. Conditions de fond
748 Deux conditions de fond sont posées par l'article XXIV pour s'assurer que
les intégrations économiques régionales en cause contribuent effective-
ment à l'expansion du commerce mondial et n'aboutissent pas à de simples
détournements de courants d'échanges traditionnels. L'une est commune
aux unions douanières et aux zones de libre-échange et apparaît comme
l'élément central de leur définition : elles doivent porter libération de l'es-
sentiel des échanges commerciaux » (a). L'autre, spécifique aux unions
douanières, a trait à l'impact du tarif douanier commun : celui-ci ne doit
pas être plus restrictif que les tarifs douaniers nationaux auxquels il se
substitue (b).

a. L'obligation de libérer « l'essentiel des échanges


commerciaux »
749 Tout d'abord, tant «les droits de douane que les autres réglementations
commerciales restrictives » devront être éliminés entre les territoires
constitutifs de l'Union ou de la Zone mais seulement «pour l'essentiel des
échanges commerciaux» (art. XXIV (8) a) et b) et italiques ajoutées).
750 Cette expression cardinale «d'essentiel des échanges commerciaux» n'a
jamais fait l'objet des clarifications souhaitables (le « Mémorandum d'ac-
cord sur l'Interprétation » n'en souffle mot) et est toujours demeurée
controversée (v. Guide des Règles et Pratiques du GATT, op. cit. p. 893-
895). Des critères quantitatifs ont parfois été avancés (par exemple libéra-
ion d'au moins 80 % du volume total des échanges) pour ne pas être
retenus comme étant un facteur déterminant. Des critères qualitatifs
doivent être également pris en considération (par exemple l'exclusion de
certains secteurs et en particulier des produits agricoles) sans là encore que
282 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

des conséquences précises aient pu en être tirées. Sans doute des intégra-
ions économiques trop partielles car limitées à certains produits (comme
le furent jadis la CECA ou l'Accord de libre-échange États-Unis/Canada
sur des pièces automobiles) ne sont pas ici couverts et ont dû faire l'objet
de dérogations en bonne et due forme.
751 Le « Mémorandum d'accord sur l'interprétation » de 1994 devait s'en
tenir à une remarque de bon sens en notant dans son préambule que la
contribution des intégrations économiques à l'expansion des échanges
mondiaux était « plus grande » si elle s'étendait « à tout commerce » et
qu'elle serait « plus petite » « si un secteur majeur du commerce est
exclu », ce dernier membre de phrase laissant ainsi entendre qu'une telle
possibilité existe sans pour autant frapper d'illicéité les unions douanières
ou les Zones de libre-échange qui s'en prévaudraient.
Dans son Rapport du 22 octobre 1999 dans l'affaire « Turquie —
Restrictions à l'importation de produits textiles et de vêtements » (AB 1999-5),
l'organe d'appel de l'OMC devait se contenter de noter que la « totalité des
échanges commerciaux n'était à l'évidence pas visée, ce qui laissait une
« certaine souplesse » aux participants... (§ 48).
752 Enfin, on rappellera que cette règle de « l'essentiel des échanges commer-
ciaux » connaît une application particulièrement souple au profit des pays
en développement au titre de la clause d'habilitation de 1979 qui a permis à
ces derniers de conclure valablement de simples arrangements préférentiels
(v. la liste des arrangements ainsi notifiés à l'époque du GATT in Guide des
Règles et Pratiques du GATT, op. cit. p. 62-64).

b. La neutralité de l'impact du tarif douanier commun


établi au titre des unions douanières
753 Il s'agit là d'une conséquence particulière de l'obligation générale faite aux
intégrations économiques régionales de ne pas créer ou renforcer des obs-
tacles au commerce des pays tiers (art. XXIV (4) et (5) a) et b)). Ainsi tant
les droits de douanes que les réglementations commerciales ne doivent pas
être plus rigoureuses après qu'avant la constitution de ces intégrations
économiques régionales. Si cette obligation est rappelée pour les zones de
libre-échange, le cas de figure demeure théorique dans la mesure où ce
type d'intégration ne possède aucune personnalité externe, chaque
membre conservant la maîtrise de sa politique commerciale extérieure
(art. XXIV (5) (b)). Il n'en va à l'évidence pas de même pour les unions
douanières qui ont une personnalité externe propre se manifestant par un
tarif douanier et une réglementation commerciale commune. Si cette der-
nière qui recouvre la politique de défense commerciale multilatérale de
l'Union n'a semble-t-il pas posé de difficultés sérieuses, il n'en a pas été de
même du tarif douanier commun, de son établissement et de son impact.
EXCEPTIONS ET DÉROGATIONS 283

754 Ainsi les nouveaux droits de douanes constitutifs de ce tarif commun « ne


seront pas dans leur ensemble... d'une incidence générale plus élevée »
(art. XXIV (5) a) et italiques ajoutées) que ceux en vigueur auparavant
ns chacun des territoires participant à l'Union. Cette disposition ne
cessa d'être l'une des plus difficiles à cerner et des plus controversées
durant toute l'histoire du GATT (v. Guide des Règles et Pratiques du GATT,
op. cit. p. 870 et 874). S'il apparaît que l'expression « dans l'ensemble »
n'impose pas que le droit de douane applicable à chaque produit soit la
moyenne arithmétique de ceux perçus dans chaque territoire avant sa
participation dans l'union douanière mais fait seulement référence au
niveau général du tarif douanier commun qui ne doit pas être supérieur au
niveau moyen général du tarif douanier en vigueur dans chaque territoire
lors de son entrée dans l'Union, en revanche, aucun accord ne put jamais
être dégagé pour établir une méthodologie précise
755 Sans aller jusqu'à l'imposition de l'application automatique d'une formule
(ce qui aurait été impossible vu la complexité de la matière), le « Mémo-
randum d'accord sur l'interprétation » de 1994 a tenté une clarification
§ 2) ; « l'incidence générale » devra se faire « sur la base d'une évaluation
globale des taux de droits de douane moyens pondérés et des droits de
douane perçus » avant et après l'établissement d'une union douanière. Ce
sera le Secrétariat de l'OMC qui effectuera les calculs requis « selon la
méthodologie utilisée dans l'évaluation des offres tarifaires faites au cours
des négociations commerciales du Cycle de l'Uruguay» (ibid.).
C'est ici introduire une dose d'objectivité bienvenue dans un domaine
aussi complexe et controversé.

§ 3. La protection des droits des pays tiers :


la renégociation de compensations en cas
de constitution d'une union douanière
756 Lors de la constitution d'une union douanière, il peut se faire que l'établis-
sement du tarif extérieur commun entraîne des rehaussements de droits
figurant dans les listes de concessions, ce qui est contraire aux grands prin-
cipes du traitement de la nation la plus favorisée et de la consolidation qui
préside à leur mise en oeuvre.
Dans cette hypothèse, la procédure de l'article XXVIII entraînant des
renégociations à la suite de modifications des listes devient applicable (art.
XXIV (6)). Les principes sont ceux gouvernant toutes les négociations
commerciales. Il convient donc pour les parties d'aboutir à des compensa-
tions naturellement satisfaisantes — sauf à déboucher sur des retraits de
concessions substantiellement équivalentes. De nombreuses procédures
de renégociation de ce type concernèrent la Communauté économique euro-
péenne à la fois lors de sa constitution et à l'occasion de chacun de ses
élargissements à de nouveaux membres.
284 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

757 Le « Mémorandum d'accord sur l'interprétation » de 1994 devait contenir


une précision importante sur une question plusieurs fois débattue au sein
du GATT quant aux conséquences pour les tiers bénéficiaires d'une réduc-
tion des droits de douanes à l'occasion de la constitution d'une union doua-
nière. Le Mémorandum précise en effet que ces derniers n'auront dans cette
hypothèse aucune obligation de fournir à l'Union douanière des compensa-
tions en retour (c'est ce qui a parfois été qualifié de « contre-compensa-
tion» — v. Guide des Règles et Pratiques du GATT, op. cit., p. 880-881).

§ 4. Portée ratione materiae du régime d'exception


au profit des intégrations économiques régionales
758 Le principe cardinal du commerce international se trouve à l'évidence dans
l'égalité de traitement des pays grâce au jeu de la clause de la nation la plus
favorisée instituée par l'Accord général de 1947. En tant que tel, il interdit tout
régime commercial discriminatoire ; or, une intégration économique régio-
nale va directement à l'encontre de ce principe en instituant une zone
d'échanges préférentiels. Elle est donc par essence discriminatoire. Or, le
régime de validation conditionnelle des intégrations économiques régionales
posé par l'article XXIV ne dispense ses membres à l'égard des tiers que du seul
respect du traitement de la nation la plus favorisée. Les membres d'une zone de
libre-échange doivent continuer, ut singuli, à respecter leurs obligations au
titre de l'OMC tandis que cette contrainte pèse directement sur l'Union
douanière elle-même en raison de sa personnalité commerciale extérieure propre.
En bref, la dispense ne vise que les dispositions de la Partie I de l'Accord
général — soit les articles I et II. Toutes les autres demeurent applicables
aux participants à des intégrations économiques régionales, soit indivi-
duellement soit collectivement selon les cas.
759 Sans doute, vu la prolifération des intégrations économiques régionales
ainsi que des arrangements commerciaux préférentiels, cette entorse au
traitement égal des nations dans leur commerce international, d'excep-
tion qu'elle était initialement, est devenue aujourd'hui la règle. Le com-
merce international régi par le jeu de la clause de la nation la plus favorisée
est maintenant largement minoritaire et ne représente plus que moins
d'un tiers des échanges mondiaux. Le commerce international s'effectue
de plus en plus à l'intérieur et entre des « blocs » régionaux.

SECTION 3. LES EXCEPTIONS GÉNÉRALES


DE L'ARTICLE XX
760 Les exceptions qualifiées de « générales » posées par l'article XX de l'Ac-
cord général sont de nature fort disparate. Elles ont cependant en com-
mun d'être permanentes, et sur ce point l'OMC n'y a apporté aucune
EXCEPTIONS ET DÉROGATIONS 85

modification. Cette présence s'explique par leur caractère coutumier : la


plupart de ces exceptions générales étaient en effet insérées dans les traités
de commerce bilatéraux de jadis. En particulier, le congrès américain
devait en faire une condition sine qua non de son approbation des accords
de commerce bilatéraux réciproques que le Président des États-Unis était
autorisé à conduire par délégation au titre du Reciprocal Trade Agrement Act
de 1934. Une fois encore, cette législation américaine devait se refléter
dans les dispositions de l'Accord général de 1947.
Appliquées aux importations, les mesures restrictives rentrent dans la
catégorie générique du « boycott », c'est-à-dire des interdictions d'acheter.
Appliquées aux exportations, ces mesures restrictives rentrent dans la caté-
gorie générique de l'embargo, c'est-à-dire des interdictions de vendre.
761 Les unes — de nature verticale — portent exclusion de certains produits
particuliers qui se trouvent ainsi hors commerce international (§ 1).
D'autres, de nature horizontale car visant à restreindre tous les échanges
de produits, peuvent trouver une justification dans la défense de « l'ordre
public » entendu au sens large (§ 2).

§ Les secteurs hors commerce international


762 Ces exclusions s'expliquent soit par les liens existant entre les produits en
cause et les fonctions régaliennes de l'État (1) soit par les caractéristiques
propres desdits produits qui ne leur permettent pas de rentrer dans le
régime juridique normal du commerce (2).

1. Produits exclus et fonctions régaliennes de l'État


763 À ce titre, l'Accord général permet aux pays de réglementer « l'importation
ou l'exportation de l'or ou de l'argent » (art. XX c). Cette exception est
traditionnelle en raison de la fonction monétaire jouée dans le passé par
ces deux métaux précieux. Il est loisible de penser que cette survivance du
passé n'a plus lieu d'être aujourd'hui, tant l'argent que l'or ayant mainte-
nant perdu toute fonction monétaire — du moins au niveau international
(v. infra). L'or et l'argent sont de nos jours des marchandises comme les
autres dont les principaux usages relèvent de l'ordre industriel, artistique
ou décoratif.
764 Peuvent être également reliées à l'exercice de fonctions étatiques, les
mesures protectrices des « trésors nationaux » (art. XX (f)). Chaque État a
tout naturellement la préoccupation de protéger le patrimoine culturel
national, ce qui peut légalement l'amener à instituer (comme en France ou
en Italie, par exemple) un régime d'autorisation des exportations.
765 Rentrent dans la même catégorie mais pour des raisons bien différentes,
les « articles fabriqués dans les prisons » (art. XX e)). L'exclusion tient
286 PPROCHE HORIZONTALE : PRINCIPES GÉNÉRAUX COMMUNS

évidemment à la spécificité des conditions de production de ces produit


fabriqués par une main-d'oeuvre captive et à bon marché. On rappellera
ici seulement que cette exclusion a été parfois avancée comme un modèle
à suivre au titre d'une éventuelle « clause sociale » de l'OMC