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 45-005

Principes de la chirurgie plastique


V. Duquennoy-Martinot, C. Depoortère

La chirurgie plastique n’est pas une discipline d’organe mais une spécialité centrée sur des principes et
des moyens. Parmi ces concepts généraux communs, plusieurs nous semblent fondateurs : l’art de tricher,
l’art de boucher les trous, le respect de la vascularisation tissulaire, l’art de reconstruire, le souci du détail,
le goût pour le beau (qui n’est pas méprisable), la hantise des séquelles, le fonctionnement alternant
entre algorithme et créativité. Ces concepts sont détaillés et illustrés par des exemples.
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Mots-clés : Chirurgie réparatrice ; Chirurgie esthétique ; Définition ; Spécialité ; Principe

Plan est réalisée tantôt par des gynécologues et/ou sénologues, tantôt
par des plasticiens. Ces derniers s’intéressent le plus souvent à la
■ Introduction 1 forme, à la plastique au sens commun du terme, alors que les séno-

logues se préoccupent davantage de la glande et de ses maladies.
L’art de tricher 2
Cette répartition est bien sûr artificielle et le franchissement de la
■ L’art de boucher les trous 2 frontière du territoire de « l’autre » est monnaie courante, et nous
■ Le respect de la vascularisation tissulaire 2 vaut quelques querelles entre spécialités.
■ L’art de reconstruire 2 Le champ d’action des plasticiens est donc large, il ne se
limite pas à un organe, intéresse tous les patients du nourris-
■ Le souci du détail 2 son au vieillard, les hommes, les femmes et les genres alternatifs,
■ Le beau n’est pas méprisable 2 et concerne la chirurgie programmée et de véritables urgences
■ La hantise des séquelles 2 vitales. À vrai dire, c’est davantage par le choix des méthodes
■ Entre algorithme et créativité 3 utilisées pour assurer nos soins que nous nous définissons. Notre
rôle est très souvent indissociable de la pluridisciplinarité car nous
■ Conclusion 3 apportons à nos confrères spécialistes d’organes une approche
différente, alternative. En effet, en tant que chirurgiens plas-
ticiens, notre objectif est d’utiliser intelligemment un arsenal
thérapeutique en perpétuelle évolution à des fins de recouvre-
 Introduction ment, de comblement ou de reconstruction. Notre compétence
réside en nos capacités d’adaptation et notre aptitude à percevoir
La chirurgie plastique rassemble la chirurgie esthétique et la une situation clinique dans sa globalité ; le but étant de choisir la
chirurgie reconstructrice (CPRE). Le plasticien dispose d’un arse- technique, de la plus simple à la plus complexe, nous permettant
nal thérapeutique exploité à des fins différentes : restaurer une d’obtenir le meilleur bénéfice final pour le patient. Cette parti-
forme/un aspect dit « normal » dans la première et parfaire une cularité peut donner à certains l’illusion qu’il suffit d’apprendre
forme/un aspect d’emblée « normal » dans la seconde. Pour mieux les gestes techniques pour devenir plasticien alors qu’il n’en est
appréhender cette spécialité, il est nécessaire d’intégrer les limites rien. La technique doit certes être apprise et maîtrisée, mais elle
floues de sa définition. Alors que d’autres spécialités sont définies ne peut se suffire à elle-même. Seule l’approche plurifactorielle du
par l’organe (le cœur, les poumons, etc.) ou la fonction qu’elles terrain du patient, de ses attentes, de l’objectif du traitement et du
soignent (la locomotion, l’audition, etc.), la chirurgie plastique contexte dans lequel le chirurgien travaille pourront qualifier le
esthétique et reconstructrice n’a pas de limite d’organe ou de fonc- plasticien et définir les contours protéiformes de la spécialité. Le
tion. Certains la qualifient de « spécialité des tissus mous non mode de pensée « multientrées » du praticien n’est pas le propre
viscéraux » pour faire référence à la peau et aux parties molles de notre spécialité mais il est exacerbé dans notre domaine. Appli-
dont nous sommes les spécialistes chirurgicaux au même titre que quer les méthodes sans ces données multiples serait comparable à
les dermatologues qui en sont les équivalents médicaux. Cepen- l’application de la recette de cuisine sans les bons ingrédients.
dant, cette définition méconnaît la compétence des plasticiens en Enfin, la chirurgie plastique est un assemblage de nombreuses
matière de chirurgie osseuse lors de la couverture des membres ou sous-spécialités qui se sont développées au fil de temps. Malgré
encore de rhinoplastie ou de tout geste osseux facial. De plus, les tout, il existe une réelle cohérence qui émane d’une communauté
frontières avec d’autres spécialités sont minces pour ne pas dire de pensée fondée sur des principes propres aux plasticiens. Nous
inexistantes. C’est ainsi le cas pour la chirurgie mammaire qui proposons de décrire quelques-uns de ces principes.

EMC - Techniques chirurgicales - Chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique 1


Volume 14 > n◦ 1 > février 2019
http://dx.doi.org/10.1016/S1286-9325(18)92042-X
© 2021 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 24/04/2021 par MAKHLOUFI Yanis (1098997). Il est interdit et illégal de diffuser ce document.
45-005  Principes de la chirurgie plastique

 L’art de tricher  L’art de reconstruire


Tricher, dans le sens noble du terme bien sûr, en adaptant les Réparer les parties manquantes du corps, comme le sein ou
procédés, les tissus, et les moyens disponibles chez un patient le nez, réparer le corps abîmé par un amaigrissement massif,
donné. Les illustrations de ce principe sont nombreuses et en voici restaurer la peau traumatisée par une morsure animale, une
quelques exemples : brûlure grave ou un accident de la voie publique sont autant
• la plastie en « Z » permet de traiter une bride rectiligne grâce d’illustrations de cet objectif central du plasticien.
à un dessin astucieux qui transpose les tissus et assure ainsi Plus implicitement, la reconstruction a aussi une teneur psy-
une répartition différente des forces en présence et, de fait, la chologique dont l’importance est volontiers sous-estimée par nos
disparition de la bride ; détracteurs qui voient une certaine futilité à nos gestes, en par-
• les lambeaux permettent de déplacer des tissus soit pour couvrir, ticulier lorsqu’il s’agit de chirurgie esthétique. Ces personnes se
soit pour reconstruire une partie mutilée du corps. Depuis les trompent lourdement et méconnaissent l’impact de ces gestes qui
lambeaux migrateurs de la Première Guerre mondiale, la micro- permettent aux patients d’être littéralement mieux dans leur peau.
chirurgie avec les lambeaux libres puis les lambeaux perforants
ont permis des avancées notables dans la couverture des pertes
de substance ;  Le souci du détail
• l’utilisation de matériaux organiques (la graisse) ou synthétique
(les implants) permet de modifier les contours d’un corps à Les plasticiens sont souvent maniaques du détail, du surjet bien
embellir ou à reconstruire ; fait, du pansement adapté, du tracé précis. Cette méticulosité
• masquer les effets du vieillissement par un lifting facial ou réa- est mise au service de la microchirurgie qui permet de revascu-
liser une cure de ptose mammaire sont des démonstrations lariser des tissus déplacés par exemple lors d’une replantation
simples de cet art de la tricherie ; digitale ou de membre, ailleurs pour une couverture après muti-
• les cicatrices de nos voies d’abord sont dans la mesure du lation imposée par une chirurgie carcinologique dermatologique.
possible cachées ou au moins placées là où elles sont dis- Ce souci du détail se retrouve évidemment au cœur de la chirur-
crètes, en respectant les lignes de tension et les plis naturels gie esthétique, méprisée à tort. L’analyse fine des anomalies d’un
de la peau. Cette notion est particulièrement mise en œuvre nez jugé disgracieux est un bel exemple de ce sens exacerbé du
en chirurgie esthétique (pose d’implant mammaire par voie détail.
sous-mammaire ou axillaire, lifting cervicofacial avec incision
contournant l’oreille, etc.) mais aussi en chirurgie réparatrice
(fermeture d’une fente labiale avec une cicatrice sur la crête
philtrale, prélèvement d’une greffe de peau sur le cuir che-
 Le beau n’est pas méprisable
velu, brachioplastie avec cicatrice à la face interne du bras, etc.). Dans l’esprit du grand public, on oppose volontiers le chirur-
Cette notion donne parfois à nos patients l’illusion que nous gien réparateur qui serait le « noble » et le chirurgien esthétique
travaillons sans cicatrice. De l’art de tricher avec élégance. qui serait « le trivial et futile ». C’est méconnaître l’impact de
la beauté chez l’humain. Depuis les travaux scientifiques mon-
trant que « le beau est bon », il est clairement admis que la vie
 L’art de boucher les trous sourit davantage aux personnes qualifiées de « belles » ou au
moins d’harmonieuses, même si la définition de ce concept reste
Corollaire du concept précédent, les plasticiens excellent dans assez floue. Le poids de la culture et de nos sociétés consumé-
l’art de déplacer les tissus afin de couvrir ou de reconstruire une ristes a bien sûr accentué cette évolution. De plus, le plasticien
autre partie du corps. Toutes les greffes tissulaires (peau, graisse, a une conscience aiguë d’un principe simple : la bonne fonction
os et cartilage) en témoignent. Déjà la cicatrisation dirigée, à son contribue pleinement à la beauté. Prenons l’exemple de la para-
niveau modeste mais utile et loin d’être aussi simple qu’elle en lysie faciale qui induit une asymétrie du visage au repos et à la
a l’air, permet d’obtenir la guérison de nombreuses plaies sans mimique. La restitution de l’équilibre de ce visage contribue à la
geste chirurgical pourvu que l’analyse du terrain soit pertinente. restauration du visage harmonieux et donc de la beauté. Ainsi,
Cependant, c’est évidemment la chirurgie des lambeaux au sens les plasticiens au sens large ont un goût aiguisé pour le beau et
large qui exprime le mieux ce concept. Ce sont d’ailleurs ces lam- ce goût s’exprime dans leur pratique chirurgicale, qu’il s’agisse
beaux qui séduisent le plus souvent les jeunes étudiants attirés par de chirurgie esthétique ou réparatrice. Bien sûr, certaines situa-
la spécialité. La beauté du geste. tions, comme la brûlure grave, rendent cet objectif plus difficile
à atteindre, parfois même impossible, touchant alors aux limites
de la prétendue toute puissance médicale.
 Le respect de la vascularisation
tissulaire  La hantise des séquelles
La préoccupation de la vascularisation des tissus anime tous Nombreux sont les gestes de chirurgie plastique imposant un
les plasticiens, qu’il s’agisse de cicatrisation dirigée, de dissec- prélèvement tissulaire sur une autre partie du corps. Ce prélè-
tion de lambeau dont on connaît les vaisseaux ou de repérage vement se fait au prix de séquelles, au minimum une cicatrice
de ces mêmes vaisseaux pour un lambeau perforant. De même, le supplémentaire, au pire un délabrement visible. Or, le plasti-
traitement des brûlures repose sur l’identification des zones vascu- cien va par principe chercher la « moins mauvaise » solution,
larisées ou au contraire nécrosées, celles qui seront excisées. Enfin, celle qui laissera le moins de séquelles. Ainsi, pour la réalisation
la gestuelle du plasticien est souvent très respectueuse des tissus, d’une greffe de peau mince chez un enfant, le prélèvement sur
manipulés avec délicatesse afin d’en préserver la vascularisation. le cuir chevelu est préféré à celui sur la cuisse car la repousse
La microchirurgie est bien sûr au cœur de cette préoccupation des cheveux masque la cicatrice du site donneur. De même, lors
car elle permet de restaurer le flux sanguin tissulaire. La replanta- d’un prélèvement de lambeau de grand dorsal, la cicatrice du
tion digitale ou la reconstruction mammaire par lambeau de DIEP site donneur est placée tantôt dans le soutien-gorge tantôt sur
(deep inferiror epigastric perforator flap) en sont des illustrations. la face latérale du thorax. Enfin, quand deux options chirurgi-
Enfin, cette connaissance de l’importance de la vascularisation cales se présentent, le plasticien choisit plus volontiers celle dont
est également au cœur de l’appréciation du terrain du patient, par les séquelles induites sont les moins lourdes. Ainsi le lambeau de
exemple pour mieux comprendre les mécanismes de cicatrisation TRAM (transverse restus abdominis muscle flap) a été remplacé par le
spontanée. Ainsi, le sevrage tabagique est une requête constante DIEP pour la reconstruction mammaire autologue car les séquelles
aujourd’hui pour éviter les nécroses cutanées ou tissulaires post- de la paroi abdominale sont bien plus légères, sans risque
opératoires. d’éventration.

2 EMC - Techniques chirurgicales - Chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique

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Principes de la chirurgie plastique  45-005

 Entre algorithme et créativité  Conclusion


La chirurgie plastique esthétique et reconstructrice est une chi-
Si le plus souvent le plasticien réfléchit en utilisant l’algorithme rurgie multiple et protéiforme qui par essence s’exerce dans de
« du plus simple au plus compliqué » pour ses choix thérapeu- nombreux domaines, d’où des prises en charge volontiers pluri-
tiques, il tend volontiers à imaginer d’autres solutions différentes disciplinaires, et à tous les âges de la vie de nos patients. Elle est à ce
et créatives. La routine ne sied pas nécessairement à cette spé- titre volontiers considérée comme la dernière chirurgie générale.
cialité et à ceux qui l’exercent et qui cherchent constamment à
évoluer, avancer et inventer. C’est dans cette volonté de se renou-
veler que cette spécialité trouve tout son charme et sa raison Déclaration de liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens
d’être. d’intérêts en relation avec cet article.

V. Duquennoy-Martinot (veronique.martinot@chru-lille.fr).
C. Depoortère.
Service de chirurgie plastique, Hôpital Salengro, 59037 Lille cedex, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Duquennoy-Martinot V, Depoortère C. Principes de la chirurgie plastique. EMC - Techniques chirurgicales
- Chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique 2019;14(1):1-3 [Article 45-005].

Disponibles sur www.em-consulte.com


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