Vous êtes sur la page 1sur 193

Hans Ulrich Jost

LES AVANT-GARDES
RÉACTIONNAIRES
W EBSITE

LES
EL
BE

La naissance de la nouvelle droite en Suisse


1890 -1914
ÉDITIONSD'EN BAS
Les Avant-gardes réactionnaires

This One

8BPL -WCQ - 22ZX


Couverture:
«Gonzague l’Helvète», caricature deGonzague de Reynold par Victor
Gottofrey en couverture de L'Arbalète, No 3, 1916 (Collection
Bibliothèque nationale suisse).
Légende:« Iseraitdangereux s'il était fort!»

L'édition en allemand de ce livre paraît simultanément sous le titre


Die reaktionäre Avantgarde. Die Geburt derneuen Rechte in der Schweiz
um 1900 au Chronos Verlag (Münstergasse 9. 8001 Zürich ).

Nous remercions la Fondation Oertli de son aide à la publication de


ce livre.

ISBN 2 - 8290 - 0151 - 6


© 1992, Editions d'en bas
(case postale 304 . 1000 Lausanne 17. Suisse)
Hans Ulrich JOST
avec la collaboration de Monique Pavillon

Les Avant-gardes réactionnaires


La naissance
de la nouvelle droite en Suisse ,
1890 -1914

EDITIONS D 'EN BAS


Parmi nos publications récentes
Claude Cantini.
Les Ultras – Extrême droite et droite extrême en Suisse: les mouve
ments et la presse de 1921 à 1991.
1992, 176 p., ill., Fr.s. 27.
HansUlrich Jost et al.
Cent ans de police politique en Suisse (1889-1989).
En co -édition avec l'Association pour l'histoire du mouvement
ouvrier (AEHMO).
1992, 208 p.,ill., Fr.s. 29.
Raymond Joly.
Virage à droite – Deux ans sous le capot du Parti des automobilistes.
Postface de HansHirter. 1991, 144 p. Fr.s. 24 .80.
KarlLang et al.
Solidarité, débats, mouvement – Cent ans de Parti socialiste suisse ,
1888 -1988 .
1988, 352 p.,ill., Fr.s. 36 .
En diffusion
Les origines du socialisme en Suisse romande 1880-1920.
CahierNo 5 de l’AEHMO .
1989, 258 p., ill., Fr.s.29.

Demandez notre catalogue général!


EDITIONS D'EN BAS
(Case postale 304. 1000 Lausanne 17. Suisse )
Sommaire
1. La mort du poète page 7
Les funéraillesdeGottfried Keller, le 18 juillet 1890 - A propos de quelques écri
vains suisses du début du 20e siècle (Spitteler,Rod , Inglin, Bosshart, Schaffner)
- Nouvelles perspectives de la culture politique (Barrès, D 'Annunzio, Langbehn )
- L'apparition de l'intellectuelmoderniste (Gonzaguede Reynold ).
2 . La crise radicale 14
Les radicaux dans l'Etat fédéral de 1900 - L'influence des associations faîtières
économiques - Le Conseiller fédéral Emil Welti et l'affaire de Lydia Escher et
Karl Stauffer - L'écroulement de la Banque soleuroise - La crise larvée du systè
me radical - La révolution tessinoise - L'obstruction politique des catholiques
conservateurs - La critique du matérialisme- L'avènement de l'opposition socia
liste .

3. Le conservatisme révisé 28
Un procès en diffamation contre Ulrich Dürrenmatt - Le Parti populaire bernois
et les autres formations du conservatismeprotestant - Les libéraux-conservateurs
de la Suisse romande - L'épanouissement et la régénération des catholiques
conservateurs - Le corporatisme comme nouveau projet social et économique de
la droite - La République chrétienne fribourgeoise de Python - Laur et la droite
paysanne - Le référendum contre le projet de loi sur l'assurance maladie et acci
dent, 1900.

4.Maîtres, intellectuels, patrons 46


Journalistes et hommes de lettres de la droite moderne: Ulrich Dürrenmatt,
Kaspar Decurtins, Georges de Montenach , Edouard Secrétan , Philippe Godet,
Edouard Rod, Otto von Greyerz - La droite radicale des milieux économiques et
militaires: Eduard Sulzer-Ziegler, Heinrich Bolli, Eugen Bircher - Lemaître à
penser Gonzague de Reynold.
5. Les Avant-gardesde la réaction 63
L'émeute de la Käfigturm à Berne, 1893 - La formation de l'extrême droite: comi
tés bourgeois, gardes civiques, clubs élitaires, associations économiques et nou
veaux partis « progressistes» - La droite militante des catholiques à Fribourg -
Jean Baptiste Rusch, non conformiste et «prêtre de la plume» - Le groupe gene
vois de l'Action française.
6 . Luttes de classes aristocratiques 82
Les grèves et le mouvement socialiste dans le collimateur de la droite - La crimi
nalisation des luttes sociales - La droite économique rappelle à l'ordre - Eugen
Bircher, la philosophie de Nietzsche et le social-darwinisme - La lutte de classe
de «haut en bas» - La gauche vue comme force destructrice de la civilisation et
de la culture.

7. La race des petits seigneurs alpins 96


Xénophobie et peurde la «surpopulation étrangère» - La quête de la race d'origine
des Suisses - Le racisme helvétique - L'antisémitisme et la peur de l'«enjuivement»
de la Suisse - La campagne contre la «plaie des Tsiganes» - La persécution des
ouvriers italiens - Xénophobie, racisme et antiféminisme- Le discours scientifique:
Forel, Bleuler, Rüdin et l'hygiène raciale - L'exaltation de la virilité et de la guerre.
8 . La politique comme oeuvre d 'art 123
LaGesamtkunstwerk, un phantasmede 1900 - L'Etat baroque de G . de Reynold -
La visite du Kaiser en Suisse, 1912 - L'offensive culturelle de la droite catholique
- L'esthétique, un moyen pour rétablir l'ordre et la hiérarchie - L'avènement de
la Kulturgeschichte - Le Heimatschutz,le costume national et la droite paysanne -
La fabrication du mythe suisse - La génération de Wagner, Schopenhauer et
Nietzsche - Les défenseurs de l'art traditionnel, sain et patriotique.

9. L'avenir du passé 144


Le «besoin de l'ordre », une parole politique reprise par Pilet-Golaz - Le renforce
ment de la lutte contre la gauche - La récupération du Heimatschutz pour une
politique réactionnaire - L'avenir du corporatismedans l'Entre-deux-guerres - La
suite du combat contre l'émancipation des femmes - Pro Familia, l'éloge de la
famille et de la nation - Le déploiement de la droite au cours des années 30: le
«printemps des fronts» - Xénophobie, antisémitisme et culte de la «suissitude» -
La Landi, l'Exposition nationale de 1939 et le Réduit national - Le 650ème anni
versaire de la Confédération :une image de l'Etat baroque moderniste.
10 . Bibliographie et contexte historiographique 162
A propos de la situation historiographique propre à l'étude de la droite helvé
tique - Ouvrages de références, sources et littérature.
Notes 176
Index desnoms propres 184

Crédits photographiques 187


1. La mort du poète

Le 15 juillet 1890, à la fin d'une longue journée ensoleillée et très


chaude, Gottfried Keller meurt. Malade depuis le début de l'année, il
avait passé les derniersmois de sa vie à somnoler sur son lit, évoquant
de temps à autre des images du passé et quelques souvenirs de son tra
vail. Mais dans l'après-midi du 15 juillet,le vieil écrivain s'immobilise
et attend la mort en silence.
Quelques jours plus tard, avec grand faste, Zurich organise ses
funérailles. Le corbillard, trop petit pour soutenir l'ensemble des
fleurs et couronnes, est suivide deux grands attelages. La partie cen
trale du cortège funèbre, ramassée sur trois grandes sociétés de chant
et de musique flanquées des délégations des corporations estudian
tines, est balayée par les dix -neuf drapeaux des associations bour
geoises les plus importantes. Chez les notables, dominés par le
Conseil d'Etat zurichois in corpore , on peut remarquer le Conseiller
fédéral Deucher, le peintre Arnold Böcklin et le colonel Rothpletz,
alors président de la Commission fédérale des Beaux-Arts. Une
grande foule silencieuse, tête nue, s'est rangée le long du parcours
pour rendre les derniers honneurs à celui qu'on appelle le poète
national.Au passage,elle peut prendre note de la vaste considération
acquise par le défunt, manifestée entre autres par les banderolles et
leurs inscriptions. Sur le ruban offert par la Neue Zürcher Zeitung
(NZZ), l'organe de la grande finance et des milieux d'affaires helvé
tiques, elle peut lire cette dédicace qui se veut élogieuse: « A son plus
grand collaborateur» l.
Or, à l'insu de leurs auteurs sans doute, ces paroles sont investies
d'une certaine ironie. En effet, depuis son dernier roman intitulé
Martin Salander (1886 )2, il était devenu flagrant que Keller, le
chantre des pères fondateurs de l'Etat fédéral, avait pris une distance
très critique par rapport au monde des affaires et de la politique politi
cienne.Mais la NZZ, le porte-parole attitré de ces milieux-là , semble
l'ignorer superbement.
La presse, dans son ensemble, accorde une attention et un respect
certains à cet événement. Pourtant, on peut s'étonner de trouver dans
ses pages la forte présence d'autres actualités qui occupentautant si ce
n 'est plus d'espace.En l'occurence, c'est la Fête fédérale de tir qui sus
cite, comme c'est le cas depuis des décennies, un énorme enthousias
me. Quant au Bund (l'organe des radicaux bernois), un jour après la
publication d'un commentaire austère sur la mort de Keller par
Joseph -Viktor Widmann (1842-1911), il entameune suite importante
d'articles sur le «socialisme d'Etat»: un débat portant sur les projets
d'assurances sociales imposées et gérées par l'Etat. Par ailleurs, les
hasards de l'histoire provoquant parfois des rencontres insolites et
révélatrices des ambiguïtés d'une société dontles valeurs basculent, le
même Widmann - critique littéraire libéral - commente dansun essai
réparti sur quatre numéros du journal, le fameux livre intitulé
Rembrandt als Erzieher deJuliusLangbehn (1851-1907)3.Orcet ouvra
ge, une étude obscure et énigmatique adressée au peuple de l’Empire
allemand, propage les valeurs physiques, morales et spirituelles d'une
«nouvelle noblesse» capable de contrecarrer un monde devenu maté
rialiste et corrompu. Le Rembrandt mis en scène par Langbehn , per
sonnage fictif etmodelé pour les besoins et la sensibilité d'une nouvel
le génération , se présente comme une sorte de surhomme façon
Nietzsche ou Bismarck. Dans ce sens, l'objectif visé par l'auteur dans
la construction de cette métaphore artistique exprime la vénération
pour un monde dominé par le génie germanique, et investi d'un esprit
réactionnaire et antidémocratique. Une année après sa parution , ce
texte est déjà vendu à 60'000 exemplaires. Objet deculte de la part de
la nouvelle droite et des Nazis, le livre verra sa 90ème édition en
1936 .
En dépit de son titre, « La mort du poète», ce chapitre ne se pro
pose pas d'introduire le lecteur à une histoire littéraire ou culturelle
de la Suisse fin de siècle . Car pour l'historien , la mort de Gottfried
Keller peut être considérée, en premier lieu, comme la métaphore
d'une situation politique marquée en son centre par un important
changement. En effet, le 17 décembre 1891, dix-sept mois après les
funérailles de Keller, l'Assemblée fédérale élit au Conseil fédéral le
Lucernois Josef Zemp, chef de l'opposition catholique-conservatrice.
Dès lors les conservateurs,maîtrisés quarante-quatre ans plus tôt par
les radicaux, accèdent au pouvoir suprême de l'Etat suisse. Dans les
faits, cette main tendue à la droite par le partidominant signifie la fin
de l'utopie radicale si bien évoquée dans Seldwyla et Henri le vert de
Gottfried Keller.Ce glissement décisif des radicaux vers la droite était
devenu inévitable s'ils voulaient sauver la prédominance qu'ils exer
çaient depuis 1848, date de la création de l'Etat fédéral. Placée dans
cette optique, la mortdu poète prend l'aspect d'un événement emblé
matique qui signale un tournanthistorique important. La Suisse met
le cap sur un conservatisme moderne, traçant ainsi le sillage dans
lequel prendra place la nouvelle droite antidémocratique.
Il est vrai que le rêve d'un progrès économique continu, dont la
culture politique serait «naturellement» libérale et progressiste avait
commencé à se fissurer au cours des années 80 déjà, brisé par le choc
de la première grande crise de l'économie capitaliste. Face à la réces
sion, la mise en oeuvre d'une stratégie défensive doublée de l'inter
ventionnismede l'Etat - deux démarchesportant surun autoritarisme
certain - apportaient à leur tour de nouvelles valeurs sociales. Par
ailleurs et dans le même temps, le succès d'une opposition conserva
tricemusclée, ainsi que l'usure du pouvoir des élites radicales, avaient
fortement affecté le système politique du pays. Avec son Salander,
Keller avait livré d'une manière presque prophétique l'expression lit
téraire de cette dégradation .
Après 1890, le pays n 'aura plus jamais de poète républicain
capable d'évoqueravec crédibilité l'utopie d'une Suisse libérale etpro
gressiste. Certes, on cite souvent l'intervention sur la scène politique
de Carl Spitteler (1845-1924), avec son fameux appel intitulé Notre
point de vue suisse4.Mais pour cet auteur, tout imprégné d'esprit aristo
cratique et élitaire, la Suisse des radicaux restait une chose anodine et
relativement étrangère. Mieux encore, son oeuvre principale - Le
Printemps olympien (1904) - semble moins reprendre la tradition répu
blicaine de Keller que préfigurer La Nave, le grand poème épique de
Gabriele D 'Annunzio , l’écrivain de la nouvelle droite italienne. Par
ailleurs, Spitteler ne cesse de déplorer l'expérience négative engendrée
par la Révolution , c'est-à-dire la politique radicale menée depuis la
Révolution française. Dans ce sens, son idéalpuise ses références dans
les gouvernements d'Ancien Régime, et non dans la démocratie radi
cale du 19e siècle. Or, deuxième coïncidence révélatrice, la NZZ - le
journal qui a salué Gottfried Keller lors de son enterrement comme
«son plus grand collaborateur» - engage la même année Spitteler com
me rédacteur littéraire. Ce transfert indique, demanière significative,
les changements de valeurs qui sont intervenus dans l'imaginaire
social au cours de cette période. Quant à Notre point de vue suisse - le
seul texte de Spitteler dont le titre a passé à la postérité - il ne consti
tue pas, à l'instarde Seldwyla, une évocation enthousiaste de la société
civile libérale,pas plus qu'il ne sollicite l'âme utopique ou poétiquede
la Suisse radicale. Il relève plus directement d'une tentative d'appel à
la raison face aux déchaînements des émotions quidéchirent la Suisse
après l'éclatement de la Grande Guerre. Il en va de même pour un
autre texte «politique» de la littérature suisse, le La Suisse dans un
miroir de Meinrad Inglin , paru en 1938. Car tout en flattant l'esprit
patriotique, cet ouvrage aux perspectives limitées ne réussit guère à
incarner à la fois une utopie bourgeoise et une conscience collective
capables de réanimer le radicalisme du 19e siècle.
Comme Spitteler, les écrivains de la fin du siècle éprouvent beau
coup de difficultés dans les rapports qu'ils entretiennent avec leur
pays et son pouvoir politique. Une grande partie d'entre eux partage
les sentiments que Ramuz exprime en ces termes: « ...nos artistes se
détachent de plus en plus de leurpays;de plus en plus, ils s'y sentent
perdus»5. Le scepticisme et le pessimisme propres,par exemple, à un
Edouard Rod (1857-1910), représentent autant de traits profonds qui
marquent la sensibilité critique ou désorientée d'une partie des intel
lectuels de la fin du siècle. La course à la mort, publiée par Rod en
1885 et saluée parMaurice Barrès comme une oeuvre fondamentale,
indique déjà , par son titre évocateur, une perspective troublante. On
y repère le «mal du siècle» ainsi qu'une détresse qui, nourrie par le
sentiment du néant, glisse vers la nostalgie. Un même pessimisme
apparaît chez Jakob Bosshart dans son roman intitulé Un crieur dans le
désert, une fiction très sombre sur la société industrielle d'avant la
Première Guerre mondiale.Mais ce qui ne constitue encore qu'une
défaillance humaine dans le Salander de Keller - l'affairisme, le maté
rialisme étriqué et la politique politicienne - se transforme chez
Bosshart en péché originel du système politique et social6.
La rupture et la distanciation constituent également les repères
caractéristiques de l'attitude d'une grande partie des jeunes écrivains
10
par rapport à la Suisse officielle et au pouvoir radical. Dans un article
intitulé « Patriotisme»?, Jakob Schaffner,l'un des talents de la nouvel
le génération , fait un procès impitoyable à la Suisse de 1900 . Il y
dénonce, dans un langage impertinentetpoétique trufféde réflexions
acides, l'inertie de la société helvétique ainsi que l'esprit suranné de
la classe politique: «Exception faite du discours commémoratif,
aucune activité politique ne s'épanouit chez nous. L'enseignement de
l'histoire à l'école n 'est qu'un discours solennel permanent». De plus,
ajoute-t-il, les références historiques sont vieilles de 500 ans et nous
serons bientôtdépassés par les événements du présent. Schaffner lui
mêmes'active,mais dans un sens inattendu. Il se tourne vers la gran
de Allemagne et adhérera, dans l’Entre-deux-guerres, aux organisa
tions frontistes. En automne 1940, délégué par lesmouvements
suisses acquis à l'Allemagne nazie, il sera reçu en audience officielle
parle président de la Confédération Marcel Pilet-Golaz.
A ce stade, on pourrait certesme reprocher d'amorcer cet essai
par une sélection d'écrivains dont le choix est limité et arbitraire.
Cependant, il faut retenir que mon propos a pour objectif de mettre
en évidence, au moyen de quelques exemples révélateurs, le décalage
qui s'est opéré entre l'imaginaire social des écrivains et la culture
politique des radicaux depuis la fin du 19e siècle. Dans cette perspec
tive, il convient encore de mettre en lumière quelques enjeux à pro
pos de Maurice Barrès, l'admirateur de La course à la mort deRod. Le
deuxième livre de sa trilogie, Le culte du Moi, sort l'année mêmede la
mort de Gottfried Keller. Or par ses écrits, Barrès (1862-1923 )8 - le
jeune maître à penser de la droite nationaliste française - vient de
livrer sa première démonstration d'une sensibilité politique originale.
Utilisant avec astuce son talent d'écrivain , il se lance dans les débats ,
entamant ainsi une nouvelle forme de polémique politique. Cette
dernière se distingue par sa violence, son antilibéralisme, son anti
étatisme et sa verve patriotique. Pour une certaine frange de la nou
velle génération d'intellectuels helvétiques, Barrès va se trouver, tout
comme Langbehn chez les Suisses alémaniques, parmiles références
privilégiées.
Et c'est bien grâce aux confusions et aux contradictions idéolo
giques de la société civile libérale que le discours de la nouvelle droite
va pouvoir s'épanouir. Les noms de Langbehn et Barrès nous trans
mettent déjà la tonalité spécifique de ce nouveau chant. L'avant
garde réactionnaire profitera par ailleurs de la prolifération d'un
patriotisme de plus en plus musclé , d'un nationalisme tapageur, et
d'un militarisme prussien - des éléments qui structurent une idéologie
d'ersatz que la bourgeoisie tente demettre en place pour combler son
absence de projet social et politique. Aussi, dans cette ambiance
impérialiste et militariste, une nouvelle génération d'officiers aura -t
elle son rôle à jouer. Au moment de la mort de Keller, un certain
Wille - alors âgé de 42 ans -entre dans la première phase décisive de
sa carrière militaire, un cursus qui le mènera au poste de général de
l'armée suisse pendant la Première Guerre mondiale. En 1891, alors
que Zemp accède au Conseil fédéral, Wille est nommé chef de la
cavalerie fédérale. Et juste avant 1914 paraîtra le « livre culte» du
militarismehelvétique: L'homme dans le rang de Robert de Trazº.
Dans ce contexte, on assiste à la naissance d'un nouveau type
d'intellectuel que je me limiterai ici à caractériser par quelques-unsde
ses aspects les plus significatifs. Contrairement à Keller, il n'est pas
poète,mais esthète. Il n 'est pas démocrate libéral, mais rénovateur
réactionnaire. Et, notamment, il n'est plus du tout acquis aux idéaux
libéraux mis en scène dans le Fanion des septbraves, un ouvrage très
populaire du poète disparu. Ses références morales et politiques, il les
trouve ailleurs: dans les mythes patriotiques, l'héroïsme guerrier des
anciens Suisses et l'autorité religieuse de l'aristocratie prérévolution
naire. Vingt ans après la disparition de Gottfried Keller, un Gonzague
de Reynold exprime ainsi son «besoin de l'ordre» et son imaginaire
de la Suisse: «Certes, nous sommes tousdes républicains convaincus,
par tradition et par patriotisme;mais, parce que républicains,nous ne
voulons pas nous désintéresser de la «chose publique». La chose
publique, c'est la Suisse entière. Cette Suisse religieuse, héroïque,
créatrice de tant de génie et tant d'art, qu'en fait aujourd'hui la
démocratie qui la gouverne? Elle nous la gâte jusqu'à la rendre inha
bitable. La politique fausse les consciences, et les ravale jusqu'à être
ce que signifie ce terme ignoble: la pâte électorale. Comme, d'année
en année, le « personnel gouvernemental» baisse, nous sommes entre
les mains de coteries, honnêtes encore, mais de plus en plus dépour
vues de culture. On vit de compromis et de cotes mal taillées. Un
matérialisme bête, - vous savez, les fameuses « questions écono
12
miques»! - envahit tout.Notre tradition , on la méprise ; notre passé,
on le fausse; nos gloires, on les ignore. L'étranger nousronge à chaque
bout, et l'on fait tout pour lui. L'»industrie hôtelière» - autre expres
sion singulièrement avilissante, - défigure nos villes et nos paysages,
démoralise notre peuple, sans profit; elle pénètre jusque dans les
domaines sacrés de l'art, de la science et de l'enseignement. Et
l'industrie tout court crée un prolétariat en grande partie composé de
réfugiés de France, d'Italie et d'Allemagne, qui se moque du pays qui
le fait vivre, et fait trembler dans leur peau les élus du suffrage univer
sel. Personne ne se veut risquer à réagir franchement; on a peur des
mots: on supprime la particule, on appelle des commandants de corps
d'armée, colonels; et l'on n 'ose pas supprimer, s'il le faut, le droit
d'asile etmettre la cognée à la racine du mal!» 10.

13
2. La crise radicale

C 'est avec une lucidité étonnante et pleine de finesse que


Gottfried Keller avait mis le doigt sur un phénomène quimarquera
l'évolution de la société helvétique à la fin du 19e siècle. Dans une
lettre écrite en 1878 à Théodor Storm , il exprime ainsi sa perception
de la société contemporaine: «La satisfaction politico-patriotique, le
radicalisme triomphantmais suranné ont disparu; le malaise social, la
misère liée aux chemins de fer, une chasse à courre infinie les ont
remplacés» 11.
Pourtant, vers 1900, l'euphorie triomphante et la suprématie
écrasante des radicaux dans l'Etat fédéral - traits caractéristiques du
système politique depuis 1848 - semblent, de primeabord, non seule
ment parfaitement intactes, mais donnentmême l'impression de se
renforcer au cours des années qui précèdent la Première Guerre mon
diale. Les députés du grand vieux Parti (qu'on devrait, pour être pré
cis, appeler Parti libéral-radical),forment sans problème unemajorité
musclée au Conseil national. La famille des radicaux, transformée
officiellement en parti politique en 1894, a notamment intégré son
courant libéral-conservateur qui, auparavant, s'était parfois montré
réticent à l'égard de l'esprit trop progressiste manifesté par son aile
gauche. En glissant ainsi dans son ensemble vers la droite, le Parti
radical semble avoir trouvé une nouvelle force tranquille. De toute
évidence , il forme au Conseil national un bloc presque insurmon
table, occupant lamoitié des sièges en 1890, et trois sur cinq en 1911.
ependant, ce bon résultat est en partie dû au systèmemajoritaire et
à la fameuse «géométrie électorale», à savoir la manipulation des cir
conscriptions électorales. Car par rapport au nombre total de ceux
qui ont le droit de vote, le pourcentage de citoyens qui donnent leur
voix aux radicaux décline nettement: de 37 % en 1890, le chiffre tom
be à 28 % en 1911.
Mais le pouvoir radical peut compter encore sur d'autres forces,
notamment celles des puissantes organisations faîtières comme
l'Union suisse du commerce et de l'industrie (USCI, « Vorort»), fon
14
dée en 1870. En 1890, cette dernière réunit quasiment toutes les asso
ciations économiques importantes, ainsi que les chambres du com
merce et de l'industrie du pays. Dirigée par un homme politique des
plus influents, Conrad Cramer-Frey (1834-1900 ), elle bénéficie d'un
secrétaire redoutable en la personne d’Alfred Frey (1859-1924), nom
mé à son tour président de l'association en 1900. Cependant, force
est de noter que, vers la fin du siècle , Cramer-Frey se trouve politi
quement de plus en plus à la droite des radicaux et proche des libé
raux-conservateurs. Mais en règle générale, les radicaux naviguent
avec dynamismesous le pavillon des milieux de la grande industrie et
de la haute finance, bénéficiant ainsi d'un agréable soutien financier.
Sur fond de cette collaboration , l'Etat fédéral, bien encadré par ces
mêmes milieux, s'épanouit et entreprend d'ériger ses splendeurs: un
Palais fédéral emblématique et un Musée national nostalgique sont
en construction ; une Banque nationale sera enfin ouverte en 1907 et,
ne l'oublions pas, l'armée se réorganise efficacement, ouvrant la
Suisse à la cadence prussienne. Au mêmemoment, les fêtes patrio
tiques etnationales prolifèrent demanière extraordinaire . Inventé en
1891, le Premier août - une date qui auparavantavait peu de signifi
cation dans l'histoire floue de la naissance de la Confédération suisse
- commence à devenir,à l'instarde l'anniversaire du Kaiser, unejour
née solennelle12
Toutefois, l'image de ce pouvoir triomphant cache de sérieux
revers. En effet, ici et là, dans certains cantons et dans différentes
ramifications de la famille radicale, l'autorité politique et sociale
vacille, et la crédibilité des notables décline. Alfred Escher (1819
1882),l'ancien grand chef des radicaux et représentant influent de la
finance zurichoise, fondateur du Crédit suisse, de la Compagnie des
chemins de fer du Nord-Est et de l'Ecole polytechnique fédérale,pas
se les dernières annéesde sa vie aux abois. Lors de la construction du
Gothard - l'ouvrage et l'enjeu les plus importants de sa vie - il avait
dépassé le budget adjugé d'une centaine de millionsde francs, provo
quant ainsi une chute des actions des chemins de fer. Pour que la
Confédération accepte d'y investir ses deniers afin desauver l'affaire ,
il avait dû céder son pouvoir présidentiel. Lors des festivitésmarquant
la fin du percement du tunnel, il ne sera même pas invité13. Quant à
son alter ego, l'imposant et autoritaire Conseiller fédéral Emil Welti
15
(1825 -1899)14 - surnommé le Bismarck suisse - il s'enlise de plus en
plus profondément dans des intrigues politiques et dans l'usure du
pouvoir. Afin de régler un problème de famille, il abuse par exemple
gravement et brutalementde son mandat politique. Cette sombre his
toire concerne son fils qui est également l'époux de la fille d’Alfred
Escher dont je viens d'esquisser la carrière. Cette jeune femme, pré
nommée Lydia, est passionnée de Beaux-Arts etmène grand train .
Son indépendance d'esprit et son autonomie, peu communs pour
l'époque, la font passer pour une extravagante. Or Lydia s'enflamme
pour le peintre bernois Karl Stauffer (1857- 1891), l'artiste quinous a
laissé le portrait le plus touchant de Gottfried Keller. Pour rejoindre
Karl installé à Florence, elle quitte la maison conjugale.Mais à l'ins
tigation des Welti et grâce à l'intermédiaire de l'ambassadeur de
Suisse à Rome - le ministre Bavier, un ancien Conseiller fédéral -,
Karl Stauffer est accusé d'avoir enlevé une femme psychiquement
malade. L'ambassade suisse insiste pour qu 'on enferme le jeune
peintre qui se retrouve incarcéré en compagnie d'assassins dans une
maison de force, alors que Lydia est internée dans un asile pour alié
nés. Tous les moyens sontbons pour séparer Lydia de Karl. Après
quelques mois,ne pouvant l'accuser d'aucun délit punissable, la justi
ce italienne relâche finalementStauffer.Mais celui-ci, toujours persé
cuté par la forte et influente famille Welti, ne supporte plus les pres
sions sociales et le dénigrement public. Il se suicide le 24 janvier
1891, six mois après la mort de Gottfried Keller. Le 12 décembre
1891, c'est au tour de Lydia de se donner la mort après avoir légué
une grande partie de sa fortune pour la création de la Fondation
Gottfried Keller- une institution destinée à l'achat d'oeuvres d'art
ensuite déposées dans les musées suisses15. Quant au Conseiller fédé
ral Welti lui-même, le panache de sa vie politique et publique
connaît au mêmemoment un déclin rapide. Le 6 décembre 1891, son
grand projet d'une reprise des actions des Chemins de fer Centraux
par la Confédération est rejeté par 289'000 contre 130 '000 voix.
Weltidémissionne, et en 1898 ce sera son adversaire, le conservateur
Josef Zemp, qui organisera le rachatdes Chemins de fer suisses par la
Confédération .
Ces événements ne sont de loin pas les seuls où le privé et le poli
tique s'entremêlentdansdes affaires frisant le scandale. Unepartie de
16
Stauffer-
1887
Bern

1. KarlStauffer-Bern, Portrait de Lydia Welti-Escher (1887), eau-forte et


pointe sèche (Zurich ,Kunsthaus).
17
la classe politique se comporte effectivement comme les frères
Weidelich , ces avocats et politiciens corrompus mis en scène par
Keller dans Martin Salander : des personnages qui tentent, sansmora
lité aucune, de profiter de l'imbrication toujours plus dense entre
affaires, liensfamiliaux et relationspolitiques.
Or, dans le canton de Soleure, une histoire semblable éclate juste
après la publication du Salander. La Solothurnische Bank - une banque
d'Etat - s'écroule, entraînant avec elle une grande partie du gouverne
ment alors aux mains des radicaux. On constate à ce moment un
enchevêtrement incroyable d'intérêts privés et publics, ainsi qu'une
gestion frauduleuse dans les banques et les entreprises impliquées.Un
conseiller d'Etat est condamnéà plusieurs années de prison . L'opposi
tion conservatrice va bien entendu tirer profit de cette situation , et
les radicaux seront forcés de lui céder une place au gouvernement16.
Or ces affaires de faillites et de fraudes bancaires ne sont pas excep
tionnelles du tout. En outre, on constate qu'elles marquent profondé
ment la mentalité collective puisqu'elles se répercutent jusque dans
les fictions littéraires. Ainsi, dansMartin Salander, c'est justement la
faillite d'une banque qui provoque la deuxième grande crise dans la
vie du héros. Dans la conscience collective, le destin de la classe poli
tique semble désormais inextricablement lié au monde des activités
douteuses.
Envisagé dans une perspective plus large, il ne s'agit cependant
pas de faits uniquement individuels, mais d'une crise larvée du sys
tème radical. De temps à autre, l'ensemble de ces scandales engendre
un malaise qui se traduit en conflits politiques de principe.Les débats
et la votation au sujet du projet de la nouvelle organisation militaire
de 1895 nous livrentun exemple typique de cet imbroglio. L'objet est
d'autant plus important que la question de l'armée, un élément fon
damental du discours politique bourgeois, aurait dû se trouver à
l'écart des sentiments etdes pratiques étriqués de la politique quoti
dienne. Or, le projet militaire, approuvé par 111 voix contre 9 au
Conseil national, est rejeté par le peuple avec 58 % de non. Un net
clivage existe donc, sur une question de haut intérêt national, entre
les options de la majorité radicale et le verdict de la population . De
prime abord , on pourrait interpréter ce résultat comme un succès de
l'opposition fédéraliste qui luttait contre une tentative de centralisa
18
tion proposée par le Conseiller fédéral Emil Frey, chef du Départe
mentmilitaire. Cependant,une analyse plus fine montre que ce refus
exprimait également un véritable ras-le-bol de la population . Le
malaise, particulièrement nourri par le comportement fâcheux de cer
tains militaires, était réel. En effet, un groupe d'officiers acquis à
l'esprit prussien et à une discipline de fer - dont les colonelsGertsch
et Wille - suscitait depuis quelques temps la critique des soldats et du
public. Il faudra les effets d'une intense propagande patriotique pour
que, en 1907, un nouveau projet soit cette fois accepté par le peuple.
EtWille sera nommé général en 1914 .
La crise larvée du système radical apparaît particulièrement bien
dansla vie politique des cantons. Dansles années 90, les radicaux ber
nois- taraudés depuis le milieu du siècle par un fort courant conserva
teur - se voient encore davantage attaqués par un Parti populaire ber
nois fondé en 1882. Dans l'autre fief radical, le canton de Vaud, la
rupture avec son aile gauche fait perdre au Parti radical sa prédomi
nance.Desurcroît, un de ses chefs omnipotents, Antoine Vessaz,s'est
livré dans le cadre de la politique des cheminsde fer à des spéculations
privées douteuses. Tous ces éléments forcent les radicaux vaudois
d'accepter une «mésentente cordiale» avec les libéraux qui entrent, en
1893, au gouvernement. En Argovie , le Parti radical qui arrive encore
à se rassembler efficacement en 1894 aura, seulement dix ans plus
tard , toutes les peines dumonde à se défendre contre des scissionnistes
polémiques et violents. Un des jeunes loups qui attaquent de manière
véhémente les notables du parti s'appelle Roman Abt (1883-1942),
un avocat et professeur à l'Ecole agricole de Brugg. A l'époque, sa
révolte porte encore une coloration de gauche;mais à partir de la
guerre, Abt deviendra le leader de la nouvelle droite argovienne.
Quant au Parti radical argovien lui-même, il est de surcroît concurren
cé,non sans succès, par un Parti catholique-conservateur très virulent
dont la création remonte à 1892. En Thurgovie, l'un des deux sièges
du Conseil des Etats est conquis, en 1889,par une opposition antiradi
cale composée deGrutléens, de démocrates et de catholiques-conser
vateurs. Quant aux radicaux zurichois, leur situation est encore moins
confortable : non seulement ils se trouvent face à une opposition
démocrate renforcée par les premières organisations du mouvement
ouvrier, mais ils sont aussi contestés par une Ligue paysanne créée en
1887. Plus tard, au début du 20e siècle , le vieux Parti devra affronter à
son tour de sérieuses scissions. Finalement à Genève, on constate
après la mort d'Antoine Carteret (1813- 1889) la décomposition du
Parti radical en deux courants fortementopposés .
Cette liste, qui témoigne de l'érosion du radicalisme, n 'est de loin
pas exhaustive. Et j'ai délibérément omis l'opposition de la gauche
socialiste, regroupée en Parti socialiste suisse en 1888. Il convient
cependant de souligner que les membres de ce parti ne se recrutent
pas uniquement dans la classe ouvrière, mais souvent dans l'aile
gauche des radicaux. En effet, un certain nombre des représentants du
courant progressiste, voire utopique du vieux Parti - l'une des forces
du radicalisme lors de son avènement - s'est convertie au socialisme
et a quitté le parti des pères fondateurs.
Mais l'affaire politique la plus violente se joue en 1890 au Tessin,
au moment où les radicaux renversentpar un coup d'Etat le gouverne
ment conservateur - pourtant élu auparavant dans des conditions par
faitementlégales. Immédiatement, le Conseil fédéral fait occuper mili
tairement le canton .Mais le commissaire fédéral - un radical- ne res
taure nullement le gouvernement légitime. Ilprend lui-même en main
le pouvoir, alors que le Conseil fédéral, au moyen d'une nouvelle loi
électorale introduisant la proportionnelle, autorise les putschistes à
s'installer au pouvoir à côté des conservateurs. Cette affaire tessinoise
engendre une situation ambiguë sur le plan national: car si le grand
Parti rejette toute idée de système proportionnel, ses représentants
l'imposent de fait afin de sauver le pouvoir de leurs confrères au Tessin .
De surcroît,les radicaux suisses - qui se réfèrent de plus en plus souvent
au principe d'ordre et du soi-disant Etat de droit - doivent défendre à
cette occasion le droit à la révolution. Avec cette rhétorique, la cohé
rence des principes de la politique radicale ne gagne pas en clarté. Sur
le plan fédéral, la représentation proportionnelle fera l'objet de trois
initiatives lancées en 1899, 1909 et 1913, et chaque fois combattue
avec acharnement par les radicaux. Il faudra attendre la quatrième et
dernière initiative, en 1918, pour que ce nouveau mode d'élection soit
accepté. Avec pour conséquence la fin de la suprématie numérique des
radicaux lors du renouvellement du Conseil national en 1919.
L'affaire tessinoise rend manifeste encore une autre incohérence
dans l'attitude des radicaux. En effet, si la «révolution » tessinoise est
20 .
ménagée avec complaisance, le Conseil fédéral prend une option
complètement opposée lorsqu'il s'agit des milieux de l'opposition
socialiste. La Police fédérale et le Ministère publique, créés tous deux
en 1889,ne sont pas seulement utilisés pour contrôler des «agitateurs
étrangers», mais aussi et même en premier lieu pour quadriller systé
matiquement la gauche socialiste suisse. Quelle contradiction ! Au
Tessin, les radicaux usurpent - moyennant un coup d'Etat «révolu
tionnaire» - une participation au pouvoir public, alors que face aux
socialistes, le Conseil fédéral entame une surveillance répressive sys
tématique, sous prétexte d'empêcher des vélléités subversives.
Finalement, observons encore la politique fédérale quotidienne.
On y constate que le fonctionnementde la puissantemachine législa
tive des radicaux subit de sérieux sabotages au cours des années 80
déjà. En effet, les catholiques conservateurs, emmenés par Joseph
Zemp et soutenus par divers fédéralistes et contestataires locaux, réus
sissent à organiser une politique d'obstruction efficace en utilisant
systématiquement le référendum . Dans des campagnes souventdéma
gogiques - on brandit de préférence des images emblématiques
comme celles de «bailli», « liberté» et «fédéralisme» -, des projets
chers à la majorité parlementaire sont saccagés. Le rejet en votation
du poste de Secrétaire scolaire - dénigré par l'opposition comme
« Bailli scolaire» - s'avérera comme l'un des moments particulière
ment douloureux pour la sensibilité des radicaux. Mais la vague
conservatrice et fédéraliste s'en prend aussi aux petites affaires. Ainsi
le 11 mai 1884, par exemple, quatre projets fédéraux sont balayés
d'un coup. Chapeautées par le slogan de «chameau à quatre bosses»,
les quatre propositions en jeu avaient été ridiculisées en même temps
que l'appareil administratif de la Confédération . De surcroît, Zemp se
permet le luxe de proposer à la majorité radicale un programme pour
une révision partielle de la Constitution - une démarche rusée qui a
pour but de signifier à l'adversaire que l'on est prêt à négocier le par
tage de pouvoir. Etmême après l'entrée de Zemp au Conseil fédéral,
les attaques plébiscitaires se poursuivent. Une loi sur la représenta
tion diplomatique est rejetée en 1893, de même qu'une tentative de
centralisation militaire en 1895 , et une loi sur la création d'une
banque fédérale en 1897. Ce n'est qu'avec de grandes difficultés que
ces deux dernières matières, d'une importance certaine pour les radi
21
caux, seront réglées au début du 20e siècle. A juste titre, Roland
Ruffieux parle, à propos de cette situation politique ambiguë,
d'« image confuse»,de «coalition instable» et de «mouvements d'opi
nion momentanément polarisés» 17.Quant à Erich Gruner, citant une
phrase tirée d'un article de la Gazette de Lausanne de 1893 qui carac
térise la famille radicale en tant que «société d'assurance mutuelle
pour la conquête et la conservation du pouvoir», il souligne la fragi
lité de cette majorité qui se maintient, entre autres, grâce à la mani
pulation subtile du système électoralmajoritaire18.
Bien entendu, les causes de la crise radicale ne résident pas dans
ces affaires et péripéties politiques qui ne forment que l'expression
d'un malaise beaucoup plus fondamental. Car les véritables problèmes
sont issus, en premier lieu, de l'évolution économique. En effet, dans
la grande croissance engendrée par l'industrialisation, apparaissent de
plus en plus souvent des phases de stagnation et de récession. En ce
qui concerne notre période, une crise d'une violence encore jamais
vue intervient dans les années 70, alors qu'une deuxième- communé
ment appelée « grande dépression » -marque profondémentles années
80. Et si les décennies qui précèdent la Première Guerre mondiale
connaissent une nouvelle grande relance économique, les petites
chutes conjoncturelles cycliques se poursuivent. De surcroît, les pro
blèmes de politique économique,notamment en ce qui concerne les
taxes douanières et le protectionnisme de l'Etat, divisent les diffé
rentes fractions représentatives de l'économie suisse. En conséquence,
l'image des crises économiques et des troubles qu'elles engendrent
investit de manière rampante la conscience collective, affectantpro
fondément l'idée de progrès chère au radicalismedes pères fondateurs.
A sa place s'installe un scepticismelatent, doublé d'un esprit de spé
culation malsain qui fonctionne comme une compensation de la
confiance perdue en une économie stable et prospère.
Cette perte de confiance s'exprime également à l'égard des autori
téspolitiques radicales.Ces dernières sonten particulier trop souvent
impliquées dans des affaires économiques mal gérées, notamment,
comme on l'a déjà vu, dans le domaine des cheminsde fer.Des com
pagnies, ruinées avantmême que le premier train soit mis sur rails,
doivent être sauvées par des subsides publics accordés dans des condi
tions douteuses - comme c'est par exemple le cas dans le canton de
Berne au cours des années 70. Il ne fait aucun doute que, lors des
élections, les radicaux paient en règle générale le prix de comporte
ments jugés irresponsables.
Mais en dépit de ces nombreux accidents de parcours, le grand
Parti réussit à maintenir son pouvoir et domine la scène politique.
Car la crise reste voilée par un patriotisme exalté qui se manifeste
dans des fêtes, des commémorations et des expositions nationales -
comme ce fut le cas à Zurich en 1883, à Genève en 1896 , et à Berne
en 1914 . Pourtant, le décalage entre l'image officielle et la vie poli
tique quotidienne provoque un certain désarroi au sein même de la
famille radicale. CarlHilty (1833-1909)19 par exemple, professeur de
droit public à l'Université de Berne etmembre de la fraction radicale
au Conseil national - considéré par d'aucuns comme une sorte de
conscience officielle de la Suisse - a de plus en plusde peine à trouver
une ligne directrice. Il est partagé entre son image idéalisée de la
Suisse des radicaux et sa critique acerbe du matérialismeambiant,très
présentdans l'esprit et la pratique de sa propre classe politique.Dans
un article intitulé «Fin de Siècle» , il déplore d'une part le poids trop
grand du matérialisme et des sciences exactes, et constate d'autre part
un retour aux convictions religieuses. Il souligne l'incertitude qui
règne dans la conscience collective et exprime la crainte que, dans ce
contexte, on assiste à un nouvel essor des aspirations vers la force et
l'autoritarisme20.
Les propos désaprobateurs de Hilty me poussent à examiner
encore plus précisément les racines du problèmeconcernantla désta
bilisation du système politique et de la société en général. Dans ce
sens, il est nécessaire de revenir un peu sur l'évolution économiquede
la Suisse. Si, commeon l'a expliqué, les crises du dernier quart du 19e
siècle ont assombri l'image d'uneprospérité économique permanente,
les réactionspolitiques à la crise économique des années 80 vontalté
rer à leur tour le dogme du libéralisme politique des radicaux. En
effet, les récessions provoquent un interventionnisme étatique gran
dissant,nullement conforme à la pensée du libéralisme économique -
dogme traditionnel des radicaux21. Ainsi, la ligne de force idéolo
gique de la politique radicale se brise, laissant la place de manière
plus évidente à celle des intérêts particuliers et égoïstes quicommen
cent à dérouter les débats publics.Les conflits d'intérêts divergents se
révèlent particulièrement bien sur le plan de la politique extérieure.
Celle-ci est de plus en plus soumise aux besoins de l'industrie d'expor
tation, ce qui n'arrange guère les secteurs faibles de l'économie inté
rieure qui sollicitent impérativement la protection de l'Etat.Les agri
culteurs notamment, réunis dans la puissante Union suisse des pay
sans (USP ) fondée en 1897, revendiquent haut et fort l'aide de la
Confédération. Et pour remplacer le discours radical devenu pour eux
inefficace et un peu désuet, l’USP se bricole une image de marque
patriotique, investie de valeurs irrationnelles et connotée par des sen
timents d'appartenance au terroir, au sang et à la race22. Une ten
dance idéologique semblable , engendrée en grande partie par les
mêmes soucis économiques, se dégage aussi parmi les artisans et les
petits commerçants affectés par l'industrialisation et les crises écono
miques réitérées.
Finalement, l'évolution économique a un impact décisif sur le
monde ouvrier. Les crises mettent impitoyablement à nu la fragilité
existentielle de l'ouvrier, non seulement en fonction des fluctuations
économiques,mais aussi dans sa dépendance des intérêts primaires du
patronat. Cette contradiction grandissante entre ouvriers et patrons
va provoquer la séparation de la classe ouvrière du courant radical. A
ce propos, force est de rappeler que le plus grand mouvement dans
lequel les ouvriers se sont organisés politiquement au milieu du 19e
siècle - à savoir la Société du Grutli fondée en 1838 - appartenait for
mellement à la famille des radicaux. Mais en 1878, le Grutli rompt
avec ses anciens partenaires. En même temps, des représentants et des
intellectuels de l'aile gauche du radicalisme commencent à dévelop
per une attitude critique face aux courants de l'économie capitaliste.
Il n'est donc guère étonnant que, lors de la création définitive du
Parti socialiste suisse (PSS ) en 1888, quelques anciens radicaux
jouent un rôle de premier ordre . C 'est le cas notamment du fondateur
du Parti, le Bernois Albert Steck (1843-1899), issu d'une famille
patricienne et ancien membre important des radicaux de la ville de
Berne. Quant aux Grutléens, ils se rapprochent graduellement du
PSS pour former officiellement, en 1901, un parti unique23. Certes,
les socialistes restent partout une minorité. Au Conseil national, ils
passent de trois députés en 1888 à dix-sept en 1911 - ce qui corres
pond à peine à un dixième des sièges.Mais dans certaines villes, ils
24
augmentent fortement leur représentation et sortent de leur margina
lité. A Granges, en 1896 , la gauche occupe 15 des 28 sièges du
Conseil communal. A Bienne, le 3 mars 1907, est élu le premier
maire socialiste de la Suisse. A Winterthour, le fief de l'industriel
Eduard Sulzer-Ziegler - une personnalité sur laquelle je reviendrai
encore souvent -, la gauche conquiert en 1898 la majorité au Conseil
communal. Aux électionsmunicipales de Berne en 1910, les socia
listes obtiennent 34 sièges, les radicaux 35 et la droite 11: une
constellation qui montre bien de quelle manière la droite , profitant
du déclin des radicaux, arrive à s'imposer dansle jeu politique.
Au début du 20e siècle , abandonné par les progressistes de son
aile gauche et par les ouvriers, le Parti radical se présente comme
l'organisation d'une bourgeoisie largement dominée par l'appétit des
milieux économiques et de la grande finance. Face au socialisme
montant, il est contraint de trouver un appui politique auprès de la
droite. Par ailleurs, en dépit d'une présence souvent triomphante lors
des fêtes patriotiques, et malgré leur majorité aux chambres, les radi
caux se trouvent nettement sur la défensive.
En outre, le clivage grandissant entre ces derniers et la classe
ouvrière est accentué par le ralliement de l'Union syndicale suisse
(USS fondée en 1880) à la programmatique socialiste. Ce renforce
ment de la gauche est, de surcroît, corroboré par des luttes revendica
tives toujours plus nombreuses sur les lieux de travail. Durant la
période qui précède la Première Guerre mondiale, il y aura cinq fois
plus de grèves qu'au début des années 90. Et les autorités politiques,
inconditionnellement soutenues par les radicaux, interviennent au
moyen de la police et de l'armée, introduisant ainsi à leur manière
une lutte des classes «de haut en bas» . Dans sa grande étude sur le
monde ouvrier suisse, Erich Gruner dit clairement que la lutte des
classes n'est pas l'apanage de la seule gauche socialiste24,mais que la
droite elle-même l'utilise comme l'une des composantes de sa pra
tique politique.
Cependant, ce sont non seulement des tensions internes, mais
également des changements profonds du système politique extérieur
qui provoquent une désécurisation certaine de la bourgeoisie libérale.
En 1848, les radicaux avaient imposé avec succès l'Etat national libé
ral contre la volonté des grandes puissances conservatrices. Mais
mieux encore: le radicalisme des pères fondateurs n'hésitait pas à pré
coniser l'idée nationale commemoyen d'atteindre ce qu'il considérait
comme leur véritable objectif, à savoir la liberté des peuples et
l'émancipation politique radicale des individus. Avec la fondation de
l’Empire allemand en 1871, le rêve de cette mission politique com
mence à s'effriter. A sa place s'introduit la crainte qu'un petit Etat
comme la Suisse n 'ait plus d'espace dans le concert wagnérien des
grandes puissances. Lamenace de l'utilisation de la force primitive
pèse de plus en plus lourd sur la conscience politiquehelvétique25. La
Convention du Gothard , signée en 1909 avec l'Allemagne et l'Italie,
révèlera le poids contraignant des pays voisins. La Confédération
devra accorder, en compensation des droits des anciens partenaires de
la ligne du Gothard, des accords tarifaires préférentiels considérables.
Pour d'aucuns, ce traité a relégué la Suisse au rang de république
bananière, à savoir d'un quasi protectorat. La conclusion , pour une
partie des Suisses, semble claire: il est évident qu'à tous les nivaux,
aussi bien en politique extérieure qu'intérieure, les aspects matériels
et les contraintes économiques s'imposent. Ce qui fait dire à
Gonzague de Reynold : «Un matérialisme bête, - vous savez, les
fameuses « questions économiques» ! - envahit tout. Notre tradition ,
on la méprise;notre passé, on le fausse ; nos gloires, on les ignore»26.
Cette esquisse de la crise du radicalisme, même si elle est présen
tée ici de manière fragmentaire, était indispensable pour comprendre
le fond même de mon propos. En effet, dansune large mesure, l'avè.
nement d'une nouvelle droite n'a été possible que parce que la famille
des radicaux n 'arrivait plus à gérer de manière cohérente les contra
dictions entre leurs idéaux politiques et l'évolution économique. Pour
compenser la perte de crédibilité de leur discours, ils vont glisser de
plus en plus profondément dans une idéologie défensive et conserva
trice. Cette décomposition de la politique radicale constituera la pre
mière planche de salut de la nouvelle droite: un phénomène suisse
certes,mais une tendance politique que l'on retrouve dans la plupart
des pays européens27. En ce sens, la crise radicale ne représente que
l'une des multiples facettes d'un paradoxe propre à l'époque de 1900:
les sociétés bourgeoises, industrielles et capitalistes de l'Europe, possè
dentdeux visages foncièrement décalés. D'une part, elles se donnent
à voir demanière euphorique, comme portées indéfiniment par un
26
dynamisme économique exceptionnel. Les classes dominantes, pous
sées par un appétitmatérielmusclé,s'épanouissentapparemment sans
contraintes ni entraves sérieuses. Mais d'autre part, nous savons
aujourd'hui que cette force exaltée et souvent jubilatoire portait sur
un tissu social de plus en plus déchiré. Sur le plan de l'imaginaire
social, les idées véhiculées par les philosophies de Nietzsche et de
Schopenhauer, la critique du matérialisme par toutes sortes de sensi
bilités irrationalistes, ainsi que les positions des avant-gardes cultu
relles élitaires, affectaient sérieusement les valeurs traditionnelles des
classes dominantes. Même si on fait abstraction des contradictions
économiques grandissantes et de l'émergence des luttes de classes, la
culture politique de 1900 se présente sous la forme d'une constella
tion très ambiguë. Derrière un apparat étatique et une vie mondaine
tape-à-l'oeil28, résumés par le terme de Belle Epoque, se cache sou
vent un système politique fortement altéré par le déclin de la morale
et des valeurs sociales. Au centre de cette désagrégation , on distingue
la « crise radicale» comme manifestation de la décomposition de
l'utopie libérale du 19e siècle .
Paradoxe, ambiguïté, modernisme conservateur, tous ces termes
seront largementutilisés dans la suite de cet exposé pour caractériser
l'idéologie et la pensée politique et sociale engendrées par cette situa
tion contradictoire.Mais il faut garder en mémoire que toutes ces for
mulations abstraites se rattachent à des tensions économiques,
sociales et politiques qui, quant à elles, sont bien concrètes. De plus,
ces dernières vontmarquer fortement et durablement l'entrée de la
société dans le 20e siècle.Dans ce contexte , deux phénomènes jouent
un rôle primordial. D 'une part, dans la nouvelle logique de la droite,
le rationalisme et le positivisme propres à l'esprit du 19e siècle ne
sont pas seulement violemment critiqués,mais en grande partie reje
tés; d'autre part, on voit apparaître une nouvelle «dialectique» insoli
te qui prétend pouvoir allier la tradition religieuse et mythique avec
la modernité technique.
3. Le conservatisme révisé

En 1892, un procés devant le tribunal de Berthoud - haut lieu du


radicalisme bernois - suscite une vive émotion dans toute la Suisse.
L'objet de ce conflit réside dans la publication d'un poème satirique
en dix vers, paru en 1891 dans le journal conservateur Berner
Volksfreund. Le rédacteur de ce quotidien, qui est aussi l'auteur du
libelle, se nomme Ulrich Dürrenmatt29, homonyme et grand-père de
l'écrivain contemporain bien connu .
Cepoème,à la tonalité percutante, prend à parti un certain colo
nel Künzli, un commissaire fédéral envoyé au Tessin pour y remettre
de l'ordre juste après le coup d'Etat des radicaux de ce canton .
Dürrenmatt y critique Künzli qui, selon lui,ne s'est pas comporté en
honnête intermédiaire . Au contraire, accuse-t- il, il a visiblement
favorisé ses confrères radicaux impliqués dans cette « révolution». Et
au passage, il profite de faire également allusion à une gestion finan
cière pas très nette de la part du commissaire fédéral. Künzliréagit et
fait poursuivre Dürrenmatt pour diffamation et atteinte à l'honneur.
Dès ce moment, le procès tourne rapidementen affaire politique: les
radicaux tentent de l'exploiter pour anéantir un homme devenu un
militant conservateur trop encombrant. De fait, ils craignent et haïs
sent profondément ce rédacteur du Berner Volksfreund, doté d'une
plume redoutablement acérée et très populaire. Dans ce sens, le pro
cès de Berthoud marque l'ouverture d'une nouvelle forme de lutte
politique caractérisée par le populisme conservateur de Dürrenmatt
d'une part, et par la mise en scène d'uneprocédure juridique frisant le
scandale d'autre part.
C'est au début des années 70 que ce type de règlementde compte
entre partis a débuté .En attaquantle gouvernement bernois pour son
comportement dans une affaire un peu trouble au sujet des chemins
de fer, l'opposition conservatrice avait réussi à provoquer, en 1877
déjà, une crise profonde de l'Etat. Pour Dürrenmatt, ce sera le lieu et
l'occasion d'exercer ses premiers talents comme polémiste politique.
28
Plus tard, en 1882, à l'issue d'une autre campagne victorieuse (le réfé
rendum contre le Bailli scolaire: un programme du Conseiller fédéral
radical Schenk pour une réformede l'école), Dürrenmatt et ses com
pagnons créent, pleins d'enthousiasme, le Parti populaire bernois
(Bernische Volkspartei)30. Ce dernier, dont les thèses s'inspirent d'un
populisme chrétien ambigu, se fonde sur des valeurs conservatrices -
voire réactionnaires - combinées avec certaines notions progressistes
modernes, comme par exemple le principe de la démocratie directe et
plébiscitaire. Ainsi Dürrenmatt est-il souvent perçu par ses contem
porains comme un anticapitaliste virulent, ses jugements critiques
prenant fréquemment pour cible les élites de la grande finance. Avec
la création de nouveaux journaux, le parti va tenter, d'une part de
s'implanter dans l'ensemble du canton et, d'autre part, de mettre en
place une stratégie dynamique afin de mobiliser le peuple et provo
quer des actions politiques dites spontanées.
Or Dürrenmatt et son style politique ne sont pas uniques en
Suisse. A titre d'exemple, relevons brièvement quelques éléments
biographiques concernant Fritz Bopp (1863-1935), une personnalité
originaire de Dielsdorf dans le canton de Zurich . Fils d'un petit pay
san pauvre, Bopp travaille tout d'abord comme ouvrier, puis en tant
qu'aide de bureau chez un notaire. Par le biais de cette formation il
entre dans la presse et devient, en 1895, rédacteur en chef d'un jour
nal. En lutte pour la sauvegarde de la petite paysannerie, Bopp
s'adonne aux idées conservatrices et patriotiques, et critique violem
mentl'espritmatérialiste des partis bourgeois. En ce qui concerne la
gauche, il développe un antisocialisme viscéral et, après la Première
Guerre mondiale, s'en prendra notammentaux communistes. Sa car
rière politique s'appuie sur les mouvements paysans du canton de
Zurich ,mais son caractère irascible l'empêchera cependant d'assumer
un rôle important au niveau national. Par ailleurs, la publication qu'il
fait de quelques recueils de ses poésies révèle une personnalité com
plexe et contradictoire qui sort visiblement de la norme traditionnel
le de l'époque31.
Mais revenons à Ulrich Dürrenmatt et au conservatisme bernois.
En dépit de l'épanouissement plutôt spectaculaire du mouvement, on
doit constater que la composition de cette organisation est peu homo
gène et sans grande cohésion , car elle rassemble des groupes conserva
teurs ou religieux très divergents. Il y a tout d'abord la Société chré
tienne-sociale, un cercle d'instituteurs acquis à des convictions reli
gieuses orthodoxes. Opposés non seulement à l'école étatique et laïque
des radicaux, ces derniers prônent également une « purification » rigou
reuse de la politique,ainsi qu'une lutte conséquente contre la «dégéné
rescence des moeurs». En outre, le Parti populaire trouve l'appui de
quelques vieux conservateurs et aristocrates de la ville de Berne, un
soutien que Dürrenmatt tente de relativiser pour éviter que le jeune
Parti populaire donne l'impression d'être le fief du patriciat bernois.
Dans cette perspective, il insiste sur l'indépendance organisationnelle
et la liberté programmatique de cette formation dont les valeurs sont
éminemment rattachées au conservatismebernois traditionnel et cam
pagnard. Une image cependant brouillée par le fait que Dürrenmatt
transgresse également en permanence ce cadre, affichant un esprit
frondeur, rebelle ,non -conformiste, voire anarchisant.
Quant aux conservateurs proprement dits de la ville de Berne, ils
forment trois groupes, avec parfois des ramifications dans les diffé
rentes régions du canton . En 1888, ils s'organisent en commun pour
former le Parti des conservateurs réunis, et fondent leur propre jour
nal: la Berner Tagblatt. En 1912 s'y ajoute encore un Parti libéral
conservateur. Ainsi, on voit naître dans le canton de Berne divers
courants politiques conservateurs, phénomène qui, dans ce haut lieu
du radicalisme suisse, modifie profondément le climat politique. De
surcroît, on assiste parallèlement à la formation d'un mouvement
ouvrier très vivant: sur la base de la réunion de nombreuses sociétés
ouvrières, le Parti socialiste bernois se constitue et développe, notam
ment dans la ville fédérale, une activité remarquable. Il faut relever
que cette situation complexe de la structure partisane bernoise est
assez typique des changements du systèmepolitique de la Suisse à la
fin du siècle. En ce qui concerne le développementet l'influence du
conservatisme, cette situation a notamment pour effet que celui-ci
dispose d'un plus grand champ de manoeuvre, et cela en dépit de sa
faiblesse numérique.
Si, en guise d'introduction , j'ai choisi Dürrenmatt et son Parti
populaire bernois pour donner une image-type du conservatisme
révisé de la fin du siècle, il convient cependant - sansavoir la préten
tion de faire l'historique de l'ensemble du conservatismehelvétique -
de soulever brièvement quelques autres exemples des courants les plus
importants de cette grande famille. Tout d'abord, celle-ci se présente
divisée en deux camps primitifs: les conservateurs catholiques et les
conservateurs protestants. Ces derniers sont par ailleurs souvent
appelés « libéraux », un euphémisme qui trouble toujours un peu l'his
toire politique de la Suisse . Et ceci d'autantplus qu'ils peuvent encore
apparaître sous d'autres noms, manifestant ainsi l'hétérogénéité de
leur composition .Mais pour cerner la dynamique de révision «moder
niste» de cette famille conservatrice, vaste et dispersée, il est néces
saire d'examiner quelques cas de figure.
En ce qui concerne les libéraux - je préfère en fait la dénomina
tion de « libéraux -conservateurs» , on constate tout d'abord qu'ils
possèdent un profil sociologique particulier. En effet, ce courant poli
tique se compose en règle générale d'une bourgeoisie protestante,
d'hommes d'Eglise, de représentants des professions libérales et de
propriétaires fonciers. Ils disposent de l'appui d'une partie considé
rable des milieux de la finance traditionnelle et, par un heureux
hasard, l'Union suisse des banquiers fondée en 1912 installera son
siège à Bâle - ville où se trouve justement l'un des groupes libéraux
conservateurs les plus respectables. S'ils n'ont jamais pu construire un
véritable parti national, les libéraux-conservateurs sont par contre
fort bien implantés dans un certain nombre de cantons, ce qui leur
permet de maintenir, avec une certaine réussite, une présence conti
nue dans le discours politique helvétique. En dépit de leur faiblesse
organisationnelle, leurs différents cercles ont aussi pénétré efficace
ment quelques réseaux politiques particuliers. De surcroît, à l'instar
d'un Jakob Burckhardt, professeur d'histoire de l'art et de la
Kulturgeschichte à l'Université de Bâle, ils dominent de plus en plus les
sciences de la culture et des civilisations.
Un courant spécifique du conservatisme protestant se manifeste
dans l’Eidgenössischer Verein32, fondé en 1875 par des notables de
Schaffhouse, Neuchâtel, Aarau, Bâle, Berne et Zurich. Avec plus ou
moins de succès, cette organisation se lance dans différentes cam
pagnes référendaires. Mais l'individualisme des clans cantonaux, les
querelles idéologiques internes et le manque de militants de base
empêchent le développement d'une politique fédérale étendue, et le
parti s'endortun peu .
31
Quant aux libéraux-conservateurs, ils se donnent en 1913, grâce à
une initiative bienvenue des Bâlois, une véritable structure de parti
national sous le nom de Parti libéral-démocratique suisse. Ce dernier
se compose de démocrates genevois, de libéraux des cantons de Vaud,
Neuchâtel, Fribourg et Bâle, ainsi que de petits cercles de conserva
teurs de Berne, Zurich et Schaffhouse. Etsi le Partineconnaît pas une
grande croissance, la force de ses idées imprègne toute une sociabilité
mondaine de groupes et decercles denotables dispersés dans plusieurs
cantons, et dont l'activité est souvent soustraite au regard du public.
Dans la ville de Bâle, les libéraux-conservateurs illustrent de
manière exemplaire les activités multiples de ce genre de
mouvement33: le parti en tant que tel subit des changements fré
quents et de nombreuses réorganisations, ce qui l'empêche de s'impo
ser comme force politique cohérente. Mais le mouvement, quant à
lui, se réalise fort bien grâce à la formation d'un grand nombre de
ramifications que l'on peut énumérer comme suit : la presse
(Allgemeine Schweizer Zeitung et plus tard les prestigieuses Basler
Nachrichten), les associations de quartiers, les sociétés de bienfaisance
(Gemeinnützige Gesellschaft et une Société féminine pour l'aide aux
pauvres par exemple), une Société ouvrière évangélique et, aspect
non négligeable, l'Eglise.
Dans d'autres cantons, chaque groupe se distingue par un profil
particulier, tout en se référant aux mêmes valeurs fondamentales: la
sacro-sainte propriété privée, un anti-étatisme primaire, un respect
impératif pour la religion , et un antisocialisme viscéral. Les libéraux
conservateurs vaudois par exemple - dont le parti s'appelle Partilibé
ral- indépendant de 1882 à 1892 puis Parti libéral-démocratique - affi
chent dans leur journal La Gazette de Lausanne un certain esprit
d'ouverture;mais dans l'ensemble, l'aile conservatrice,voire réaction
naire, domine. Sous la férule d'Edouard Secrétan (1848-1917), grand
polémiste et directeur de la Gazette, les libéraux-conservateurs se
trouvent pris dans un conflit profond avec les radicaux. Pourtant, en
1892, une entente entre les deux partis atténuera le ton , mais sans
rien changer toutefois aux valeurs conservatrices de la droite vaudoi
se. Cet accord, dû en grande partie à une réaction de la bourgeoisie
contre la montée du socialisme, appartient typiquement au processus
de rénovation de la droite helvétique de cette époque.
Quant à l'âme profonde de ces libéraux -conservateurs, elle
s'exprime de préférence dans le Journal de la Société vaudoise d'utilité
publique. Si le ton moralisant y domine, les propos évoquant l'idée
d'une organisation sociale hiérarchisée et autoritaire ne manquent
pas. Afin d'introduire égalementdes références adaptées, on préconi
se une forme de paternalisme fortement inspiré par des sentiments
religieux: «Patronage! Ce mot indique la meilleure forme qui puisse
être donnée aujourd'huià l'action progressiste et sociale; il n'implique
rien d'humiliant pour celui qui est patronné; rien qui confère un pri
vilège blessant à celui qui veut bien se considérer commepatron ! [...]
Patronage de l'enfance, patronage scolaire , patronage de l'apprentis
sage, de la jeunesse, de la faiblesse, du vice repentant. Patronage par
tout où il y a insuffisance de force, de savoir, de ressources, de vertu;
voilà ce qu'il faut» 34.
A Genève, la renaissance conservatrice se nourrit fortement de
l'esprit religieux traditionnel. En critiquant la dégradation desmoeurs
et de la famille, certains groupes entament une lutte intense contre,
disent-ils, les maux de la société moderne, à savoir: la littérature
immorale, les cabarets, le cinéma et le féminisme. Pour illustrer ce
conservatisme renouvelé , on peut mettre ici en évidence, à titre
d'exemple, l'une des nombreuses formes qu'il prendra35. Soutenue par
le Consistoire, une Association genevoise contre la littérature immo
rale voit le jour en 1886, et s'impose rapidement en tant que Comité
d'action pour la constitution de l'Association suisse contre la littéra
ture immorale, fondée à Berne en 1891. Par ailleurs, la branche poli
tique de la droite ne manque nullement à Genève, comme en
témoigne l'activité d'un AlfredGeorg (1864-1957),l'un des ultralibé
raux genevois, ardent défenseur d'un anti-étatisme exacerbé.. Même
s'il est vrai que ce dernier trait, particulièrement fort à Genève, diffé
rencie un peu la droite genevoise du reste des libéraux-conservateurs
de la Suisse .
Des courants similaires se sont implantés encore dans les cantons
de Neuchâtel, de Schaffhouse et dans les Grisons. Dans ce dernier
canton , les catholiques-conservateurs et les conservateurs protestants
se sont alliés dans les années 70 déjà. En général, le conservatisme
protestant, plus ou moins organisé dans le Parti libéral-démocratique
suisse, constitue une force politique non négligeable qui détient, en
gros,un cinquième des sièges des parlements cantonaux respectifs. En
1893, il forme une fraction de 30 députés au sein de l'Assemblée fédé
rale, ce qui représente une force politique certaine. Cependant, le
véritable lieu fort du conservatisme suisse se situe dans le camp des
catholiques.
Dans ce sens, il faut se souvenir que les catholiques-conserva
teurs, battus lors de la guerre du Sonderbund en 1847, ontpassé les
vingt premières années de la vie de l'Etat fédéral en marge du systè
me politique. D 'une part repliés dans les enceintes étriquées de la
Suisse primitive, ils ne sont que peu touchéspar l'évolution rapide de
la société et de l'économie industrielles. D 'autre part, dans la Berne
fédérale, créneau de la politique radicale, leur voix ne se fait guère
remarquer, et cela en dépit de brillants représentants tel un Philipp
Anton von Segesser (1817-1888 ), homme d'Etat et grand intellec
tuel catholique de Lucerne. Le Kulturkampf, ce violent conflit de
principes entre l'Etat juridictionnel radical (investi d'un idéal de
politique rationnelle) et l'Eglise catholique (soumise au dogme de
l'infaillibilité pontificale) réveillera cependant l'esprit et l'ardeur des
conservateurs. Mais ils seront encore combattus avec succès par les
MNIA
ORELD
A INC K
INS T A U R IN CHRRIISSTTOO SA
tummtumdom

JBO

HOLLOWS

MERI SA P
C OC INT- AUL
E UE
SOURCH . CATHOLIQ ,10 AUL
FRIB
SV
OURC
.
IMPRIMERIC

SUMPRIMERIE CATHOLIQUE SUISSE He


t

S ADI PSA pronourTV sopargrupowym!


VERDUN DET NO . EST ALLIGATUM .
LO
TI

2. La bonne presse telle que la voyait l'abbé Schorderet: des religieuses au plomb, les
presses et par-dessus toutla formule que préférait le fondateur, «Instaurare omnia in
Christo » . Une devise que le chanoine traduisait par « Tout restaurer dans le Christ» .
Vignette pour l'«Imprimerie catholique suisse» à Fribourg (1879).
34
radicaux qui imposent, en 1874, la révision de la Constitution .
L'épouvantail du danger catholique - le «machiavélique jésuite»
bientôt remplacé par le «diabolique socialiste» - structure la polé
mique des radicaux et en assure la fortune. Pourtant, les catholiques,
tout en étant confirmés dans leur rôle de minorité, gagnent en
conscience politique: ils commencent eux aussi à mettre un pied
dans la modernité.Grâce à la création d'une série de quotidiens par
tisans (le Vaterland et La Liberté en 1871, le Basler Volksblatt en 1873,
et l'Ostschweiz à St-Gall en 1875 ), ils se donnent non seulement des
moyensde propagande efficaces,mais aussi des lieux forts pourla for
mation de journalistes et de politiciens professionnels - c'est-à-dire
d'intellectuels engagés. Un modèle exemplaire est mis en place à
Fribourg par le fougueux chanoine Schorderet (1840 -1893) qui
fonde, en 1873, l'Oeuvre de Saint-Paul, une institution dotée d'une
imprimerie qui publie L'Ami du Peuple et La Liberté. Les ateliers de
l'imprimerie et les bureaux des rédactions, installés dans le même
immeuble, constitueront très vite le centre directeur de la droite
catholique fribourgeoise36.
Sur le plan suisse, lemouvementpolitique des catholiques n'arri
ve cependant pas encore à dépasser ses clivages et ses faiblesses. Il est
déchiré par ses contradictions internes incarnées par le catholicisme
traditionaliste des grandes familles de notables de la Suisse primitive
d'une part, et par les militants confessionnels et souvent réaction
naires regroupés à Fribourg d'autre part. A cela s'ajoutent les catho
liques de la diaspora qui, partie prenante de la société industrielle,
sont forcés de s'ouvrir aux problèmes du monde ouvrier. Toutefois, en
1912 , ces différents courants se réunissent et constituent le Parti
populaire conservateur37.
Mais un autre élément va s'avèrer encore plus important pour
l'épanouissement du conservatisme catholique: l'organisation centra
lisée des nombreuses sociétés et associations qu'il a initiées. En effet,
depuis 1905, il existe une Union catholique suisse formée entres
autres par le Piusverein (Association de Pie IX ), la Verband der katholi
schen Männer-und Arbeitervereine (VMAV ), ainsi que par la
Fédération romande des cercles et sociétés catholiques. Lamobilisa
tion des militants est réalisée au cours des Journées catholiques, sorte
de meetings de masse qui adoptent, paradoxalement, des formes de
manifestations publiques très audacieuses par leurmodernisme. Une
première Journée nationale s'était déroulée en 1903 à Lucerne, saturée
de cortèges, fanfares, sociétés estudiantines, notables, discours et fête
nocturne - sans oublier la messe. Ce nouveau type demobilisation des
masses est alors également introduit dans la pratique du pèlerinage.
Grâce à la participation de sociétés de chants et de fanfares, et grâce
également à l'utilisation massive de drapeaux et de soirées qui pren
nent la forme de banquets spectaculaires, un nouveau rituel s'impose
en tant que puissante manifestation du militantisme religieux. Le
chanoine Schorderet, ici aussi, se distingue comme l'un des grands
promoteurs de cette mise en scèneau goût du jour.
Parmi les sociétés citées plus haut, la Fédération catholique et la
VMAV se prêtent particulièrement bien pour analyser les traits carac
téristiques de ce conservatisme catholique rénové. Afin de contre
carrer l'influence du socialisme, ces deux associations cherchent à
prendre pied , en premier lieu, chez les jeunes et les ouvriers. C'est la
raison pour laquelle elles adoptent un discours et des formes d'action
résolument contemporains. Cependant, derrière cette ouverture à la
« question sociale», se cachent des aspirations traditionalistes et par
fois même un confessionnalismemilitant.
Quant à l'Union catholique d'études sociales et économiques de
Fribourg, créée 1884 par MgrMermillod ( 1824-1892) - un évêque qui
appréhende fort bien la condition ouvrière38 -, elle représente une
force non négligeable dans cette dynamique de rénovation. Les tra
vaux de ce cercle d'étudesne vont pas seulement influencer l'élabora
tion de l'encyclique Rerum novarum (1891),mais égalemement la for
mation de quelques personnalités notoires de la politique catholique
helvétique. En effet l'Union , composée d'intellectuels provenant de
différents pays européens (notons entre autres René de La Tour du
Pin , Albert de Mun et Charles de Löwenstein ) compte parmises
membres les Suisses Kaspar Decurtins, Ernst Feigenwinter,Georges de
Montenach et Georges Python, des personnalités que nous allons
retrouver plus loin.
De prime abord, les idées développées au sein de l'Union sur la
société industrielle et l'économie capitaliste donnent l'impression
d'une pensée relativement progressiste. Un ton fortement anticapita
liste , ainsi qu'unevive sympathie pour le monde du travail en général
36
et pour l'ouvrier en particulier, semblent rapprocher ces intellectuels
catholiques de la sensibilité socialiste. Cependant, cette connotation
ne doit pas faire oublier que le but fondamental de cette nouvelle
démarche réside justement dans la lutte contre le libéralisme et le
socialisme, illustrant par là le caractère profondément ambigu des
concepts de cette nouvelle droite.
De fait, la politique sociale de la nouvelle droite catholique vise,
entre autres, la stimulation des classesmoyennes. Car ces dernières
sont considérées non seulement comme les remparts les plus efficaces
dans la lutte contre la gauche, mais également comme une base
sociale assez sensible à la critique antilibérale. Effectivement, la peti
te bourgeoisie se sent lésée par les crises économiques, en même
temps qu'elle craint de voir son niveau de vie décliner. Dans les
agglomérations urbaines qui, vers 1900, se développent rapidement,
elle est de surcroît confrontée concrètement à la classe ouvrière,
cependant que la crise agricole qui sévit dans les campagnes risque
d'engendrer un nouveau prolétariat venant grossir les rangs des
socialistes. Portant sur l'analyse de ces phénomènes, le programme
socio-politique de la nouvelle droite combine l’encouragement au
développement des classes moyennes avec la lutte contre le socialis
me.Georges de Montenach explique ce choix sans détour:
« Sauvegarder la classe moyenne contre la décadence économique
c'est empêcher la formation désastreuse d'un prolétariat agricole et
commercial qui irait grossir les flots du prolétariat ouvrier. Pour ce
dernier, au contraire, la classe moyenne doit être l'aboutissement
logique de son émancipation progressive»39.
Decurtins, quant à lui, ajoute que le meilleurmoyen de favoriser
l'existence des classes moyennes consisterait à introduire le corpora
tismedans le système politique. Or, cette théorie, largement discutée
dans l'Union de Fribourg, est reprise à partir de 1899 dans la
Monatsschrift für christliche Sozialreform , une publication d'un groupe
d'intellectuels catholiques acquis aux nouvelles idées sociales qui pré
pare les fondements de la politique de l'abbé Savoy (1885 -1940) et
du programme des catholiques-conservateurs de l'Entre-deux-guerres.
Mais dès avant la Grande Guerre, l'abbé Savoy tente déjà une pre
mière réalisation des idées corporatistes dans le cadre de l'Union
Romande des Travailleurs, une organisation fondée en 1912.
37
Le corporatisme, force est de le rappeler, sera proposé en tant
que grand projet socio -économique censé mettre fin à l'époque du
libéralisme. Il préconise, dans le cadre du système capitaliste,l'aboli
tion de la contradiction des intérêts entre travail et capital, ainsi
que la conciliation entre ouvrier et patron , tous deux réunis dans
une nouvelle organisation : la corporation . Cependant, ce que les
adhérents du corporatisme oublient souvent d'expliquer ouverte
ment, ce sont les répercussions politiques non négligeables de cette
nouvelle structure sociale. En effet, en ce qui concerne les processus
de décision, l'idée corporatiste exclut le principe du vote égalitaire
(oneman, one vote ). Il ne prévoit pas non plus d'accorder à tous les
individus les mêmes droits politiques. Conforme à ces principes,
l'Etat constitué sur la base du corporatisme ne doit pas seulement
limiter les libertés économiques,mais aussi les libertés individuelles.
Quant au système politique, le corporatisme exige au moins l'aboli
tion du parlementarisme libéral. Le système corporatiste ne peut
donc atteindre sa vraie valeur et fonction que si le systèmedémocra
tique est partiellement aboli. Il s'agit en premier lieu de remplacer le
suffrage universel par un suffrage de groupes - les corporations - ces
derniers étant insérés dansune nouvelle hiérarchie sociale. Le jeune
historien William Martin (1888-1934) explique ce projet de la
manière suivante: « Il y a un large fossé entre l'organisation de l'Etat
et celle de la société. Il faut chercher une conciliation. On peut la
trouver dans une reconnaissance politique des organismes écono
miques et professionnels,tels que les syndicats. Le droit du suffrage,
arraché aux individus isolés et remis aux individus corporativement
groupés, ne serait pas moins universel. Il serait plus organique, plus
social et, dansun certain sens, vraimentplus démocratique»40.
Le souci particulier pour l'existence, voire pour l'épanouissement
des classesmoyennes - pour revenir sur cet aspect de la politique de la
nouvelle droite - est partagé par de nombreux courants socio-poli
tiques en opposition à la politique économique des radicaux. Car ces
milieux craignent d'une part l'expansion du capitalisme industriel et,
d'autre part, l'avènement d'une classe ouvrière en tant que groupe
porteur d'un nouveau projet social et de nouvelles pratiques cultu
relles. Pour ces raisons, l'attention privilégiée accordée par la droite
catholique aux classesmoyennes trouve un écho favorable auprès des
38
artisans, des petits entrepreneurs et des commerçants. Ainsi en est-il
del'Union suisse des arts et des métiers (USAM ), une association qui
se rapproche des idées corporatistes et demande au Conseil fédéral,
en 1883, de préparer une loipermettant aux arts etmétiers de s'orga
niser sur la base de ce système. Son secrétaire,Werner Krebs, précise
à ce sujet: « L'Etat a certainement pour mission (et il y trouve un
grand intérêt financier) de maintenir des détaillants et artisans pros
pères, en tant que pilier sain d'un régime bourgeois. Plus que tout
autre forme d'Etat, la république démocratique a besoin d'une classe
moyenne laborieuse et viable»41.Cependant, un projet de révision de
l'article 34 ter de la Constitution qui tient compte, en partie, des
revendications de l’USAM , est rejeté en 1894 lors d'une votation
populaire. Et c'est dans l'Entre-deux -guerres, sous la direction vigou
reuse d’August Schirmer (1881- 1941), que la protection des classes
moyennes et du corporatisme se trouvera de nouveau à l'ordre du jour
au sein de l’USAM .
I So wählt man
in Freiburg ! WAHL
LOKAL
qer

Wai
ich
Sta

tsb

bel
ats

ica
bea

s
Vate Gontdt
Kön ir

mte
rlan
Muiigt

d!

Srimm Ume

3. Caricature résumant vingt-cinq ans de régime Python lors des élections cantonales en 1911.
«Ainsi vote-t-on à Fribourg»:les autorités constituées poussentune vache sur laquelle est
montéGeorges Python , conseiller d'Etat, qu'un armailli trait en récoltantde l'argent et
quirenverse quelques sociaux-démocrates et radicaux pour mettre un bulletin dans l'urne.
(Der Neue Postillon , No 24, 16 décembre 1911.)
Dans son ensemble , ce discours politique «moderne» , aux inflec
tions syndicalistes, cache mal des velléités autoritaires et antilibé
rales. Mais c'est justement l'ambiguïté formée par ces deux pôles qui
donnera au discours du corporatisme catholique et à sa politique
sociale un ton séduisantaux nuances progressistes et dynamiques.
C'est dans la même perspective que s'inscrit la République chré
tienne fribourgeoise de Georges Python (1856 -1931)42. Entré à l'âge
de 30 ans au gouvernement cantonal dominé par l'aile droite des
catholiques, Python s'impose rapidement en tant que chefpuissant et
tribun démagogue. Intensément redouté par ses compatriotes parce
qu'il bénéficie de la protection du clergé43, il est surnommé le « dicta
teur» par Ernst Steinmann, le secrétaire du Parti radical. Les idées et
les projets politiques de Python, défendus et imposés par tous les
moyens, frisent parfois l'utopie. Car Python vise un Etat fort, pourvu
d'institutions dynamiques, et portant sur une économie étatisée
moderne. Dans cette optique, il crée une université ainsi qu 'une
banque d'état. Il réserve également à l'état un monopole sur l'énergie ,
touten l'engageant dans la construction d'usineshydro -électriques et
dechemins de fer. Lecomble decette activité téméraire, quifit frémir
même des radicaux étatistes, fut l'utilisation de la place financière de
Paris pour tenter d'assainir, moyennant des opérations parfois dou
teuses, l'endettement grandissant de l'Etat de Fribourg. Ainsi, pour se
procurer les fondsnécessaires à la construction de l'université, Python
organise une loterie - uneméthode peu orthodoxe à l'époque pourun
catholique sérieux. Il est vrai que la politique financière de la Banque
cantonale, pour ainsi dire osée et d'une certaine manière avant-gar
diste, tournera presque à la catastrophe; ce qui offrira à un jeune loup
de la nouvelle droite, Jean -Marie Musy (1876 - 1952), l'occasion de
désarçonner le maître et de prendre sa relève. OrMusy, deuxième
Conseiller fédéral catholique conservateur élu en 1919, lié au milieu
des banques et viscéralement antisocialiste, a fait son apprentissage
politique dans l'Etat chrétien de Python . Avec son maître, il partage
la conviction qu’un régime efficace doit être autoritaire. Dans les
années 30, il appartiendra au groupe des personnalités proches des
courants frontistes. Quant à la République chrétienne de Python, elle
a certainement constitué, au niveau suisse, le modèle le plus efficace
de la modernisation de l'ancienne communauté catholique.
Finalement, si l'on veut donner corps à l'imaginaire social engen
dré par une grande partie de ces projets du conservatismerévisé, il
faut l'envisager commemarqué en son centre par la représentation
idyllique et mystificatrice d'une communauté paysanne, à la façon de
Anker et de Gotthelf. Et cela même s'il est vrai que cette image se
trouve en même temps en contradiction fondamentale avec, par
exemple, la politique menée dans la République chrétienne de
Python .Mais ces ambiguïtés,pourtant remarquables, ne semblent pas
nuire aux discours et visées modernistes de la droite catholique, bien
au contraire. Ainsi, au sein des grandes perspectives politiques, s'ins
crit un rêve démagogique du retour à la communauté paysanne, à sa
démocratie organique et «naturelle», où ni les partis politiques, ni le
Parlement ne trouveront place et fonction . Cette société portera sur
le peuple sain de la campagne et des montagnes, dirigé par des chefs
charismatiques qui seront, à l'occasion , confirmés dans leur pouvoir
par une adhésion plébiscitaire spontanée des hommes de la commu
nauté.
Ernst Laur (1871-1964)44, un homme de premier plan dans ces
nouveaux courants politiques de la droite , se servira largement de ce
mythe de la terre et du paysan ,du chef et du peuple.Mais il l'utilisera
pour amorcer des stratégies de modernisation quipénétreront profon
dément le système politique suisse. Fils d'une famille d'origine alle
mande naturalisée à Bâle, Laur a suivi une école d'agriculture, puis
étudié à l'Ecole polytechnique fédérale qu'il quitte en 1893 avec le
titre d'ingénieur agronome. Il voyage beaucoup et réalise ses pre
mières expériences professionnelles comme gérant d'un grand domai
ne. Afin demasquer un brin son physique juvénile et se donner un air
plus autoritaire, il se laisse pousser une longue barbe, un attribut qui
deviendra la marque distinctive de cet homme impressionnant.
Nomméprofesseur à l'Ecole agricole du canton d'Argovie, ilreçoit un
jour la visite deKaspar Decurtins qui lui propose le poste de chef du
Secrétariat suisse des paysans, la centrale de l'Union suisse des pay
sans (USP fondée en 1897 et subventionné par la Confédération ).
Laur fera de cette institution un instrument politique musclé, influent
et efficace. En fait, les temps étaient venus où la paysannerie suisse
avait désespérément besoin d'une forte représentation politique. Car,
depuis un bon nombre d'années, l'agriculture avait perdu sa première
41
place dans l'économie nationale: au cours des années 80 déjà, sa
population active avait été dépassée par celle de l'industrie et du
commerce. De surcroît, la grande dépression et la concurrence des
grands pays agricoles d'outre-mers avaient jeté l'agriculture helvé.
tique dans une crise profonde dont elle ne se relèvera pas. Quant à
Laur, il sortira au moins les agriculteurs des arrière-bancs du
Parlement où les avaient relégués les barons de l'industrie et de la
finance, et les organisera en lobby moderne et efficace. Comme ins
trument de propagande, l’USP disposera d'un petit mensuel tiré à
160'000 exemplaires autourduquel elle organisera un réseau de 3000
correspondants (Vertrauensmänner) recrutés dans tout le pays.
En 1900, Laur fait une visite en Allemagne, à la Bund Deutscher
Landwirte, une de ces associations de combat du Reich qui favorise la
montée du conservatisme et de l'extrême droite. Fortement impres
sionné par cette organisation et,à l'instar des conceptsmodernes des
associations de la droite, Laur intégrera lui aussi dans son discours une
idéologie quasiment mythique qui campe le paysan suisse au fonde
mentmême de l'existence du pays. « Pour nous», dit-il par exemple,
« un peuple privé de la classe paysanne ne peut échapper à la déca
dence physique, intellectuelle etmorale quile guette; il est condam
né à voir se dessécher le terrain profond dans lequel plongent les
racines de sa vie spirituelle» 45.Or, dans ce cas de figure, ce langage -
qui fait appel à des formules imagées et irrationnelles - est relié sans
médiation au discours techniciste et économiste de la statistique
moderne, un instrument de lutte politique que le Secrétariat des pay
sans utilisera avec beaucoup d'habilité, voire de ruse.
Le référendum contre le Projet de loi sur l'assurance maladie et
accident- accepté par le Parlement après de longues années de prépa
ration et de délibérations - nousmène en 1900 sur la piste de la pre
mière grande collaboration du conservatismerévisé et de la nouvelle
droite. En effet, le triumvirat directeur du comité référendaire - qui
tentait par ailleurs de dissimuler son identité - était composé des trois
correspondants à Berne de la Gazette de Lausanne, du Journal de
Genève et du Vaterland , à savoir les messieurs Jules Repond, Horace
Micheli et Anton Augustin (ce dernier proche de Decurtins dont je
dresserai un bref portrait dans le chapitre suivant). Derrière les deux
premières personnalités se cache l'aile dure des libéraux -conserva
teurs de la Suisse romande, tandis qu’Augustin figure en tant que
représentant des conservateurs catholiques. Le projet du Conseiller
fédéral Ludwig Forrer, issu d'un compromis helvétique et soutenu par
les radicaux, était pourtant modéré. Même un patron réactionnaire
comme Sulzer-Ziegler avait finipar l'accepter.Mais la droite semobi
lise de manière intense. Jules Repond élabore une brochure de cent
pages, dont l'argumentation est imprégnée d'une démagogie inouïe.
Dans ce texte, il laisse entendre que le montant d'une éventuelle ren
te d'invalidité dépendra de la couleur politique de la personne acci
dentée! La propagandemusclée des adversaires se déploie sur toute la
Suisse. A Zurich , c'est le grand industriel Robert Schwarzenbach - de
la famille même qui se lie par mariage à celle du général Wille - qui
organise une campagne bien préparée et généreusement financée.
Ernst Laur, quant à lui, entame une propagande intense auprès des
paysans fondée sur des raisonnements peu crédibles. De leur côté,
Dürrenmatt et Decurtins attisent le débat avec leur démagogie habi
tuelle. Certes, la droite n'est pas seule dans cette campagne, car une
partie de la gauche, peu satisfaite par la modestie du projet, se bat du
même côté, tout comme les anti-étatistes et fédéralistes réunis. Les
117'000 signatures, un chiffre une seule fois dépassé auparavant, son
nent le glas du projet.Le supplice aura lieu le 20 mai 1900: la loi est
rejetée par 341'000 contre 148'000 voix, enterrant ainsi l'une des
démarches les plus importantes pour réaliser une Suisse sociale et
moderne. Ainsi, cette dernière tentative, encore marquée au coin par
un petit air d'utopie radicale, s'est effondrée sous l'avalanche noire
déclenchée par la droite46.
Ces différentes formes du conservatisme révisé, certes dispersé et
souvent plein de contradictions, ont sans aucun doutemarqué la cul
ture politique de la Suisse Fin de siècle . A cet égard, un article de fond
paru dans une revue culturelle très prisée est significatif et permet
d'en dégager les valeurs. L'auteur, qui se réfère sans réserve aux idées
de Bismarck, exalte les qualités positives du conservatisme, tout en
soulignant que celui-ci n'a rien de suranné mais représente, au
contraire,une alternative valable à la politique libérale47. De surcroît,
il propose ce nouveau conservatisme comme la seule forme politique
moderne capable de résoudre les conflits sociaux. Ce dernier point, il
43
faut le souligner, est l'acquis spécifique de la nouvelle droite qui pré
conise, à l'instar d'un Bismarck, un processus de révolution blanche,
c'est-à-dire la mise en oeuvre d'un renversement conservateur par un
processus allant du haut vers le bas du système politique et de la
société48 .
Cependant, l'importance de cette renaissance conservatrice ne
réside pas en premier lieu dans l'influence immédiate sur la politique
générale, car celle-ci reste encore largement dominée par les radi
caux. Mais c'est dans la préparation et dans l'épanouissement d'une
sensibilité à la foismoderne et réactionnaire - une combinaison inso
lite quisera l'apanage de la nouvelle droite - qu'elle manifestera son
efficacité. Son imaginaire social,si ambigu soit-il,orientera une jeune
génération avide de balayer le radicalismejugé trop matérialiste parce
que dépourvu d'inspiration, de spiritualité et de culture . Demême,
l'activité politique non conformiste, en marge des institutions démo
cratiques traditionnelles, séduira cette nouvelle génération lasse des
Conseils figés et du parlementarismebavard des radicaux.
Pourtant, il faut noter que les multiples formes prises par le
conservatisme ont représenté en même temps et paradoxalement un
atoutmajeur pour les radicaux: par ses composantes antisocialistes et
patriotiques, ce courant «novateur» offrait au vieux parti en difficulté
-mais à condition qu'il accepte des compromis - les fers de lance pour
sa lutte contre la gauche.
De fait, à la fin du 19e siècle, le conservatismehelvétique est indé
niablement sorti de son état d'inertie . Il est descendu dans la rue, et
s'apprête à occuper la cité, tout en renouant avec la campagne. En
s'appropriant les nouveaux moyens de mobilisation des masses - pres
se, manifestations publiques, pèlerinages réorganisés, scandales poli
tiques, associations populaires ou culturelles, organisations de jeunes
se, etc . - il apparaît dans l'espace public comme une force sociale et
politique avec laquelle il faudra compter. Par ailleurs, pour réaliser ces
nouvelles activités, le facteur argent devient primordial, ce qui aura
pour effet singulier de rapprocher le conservatisme du monde contem
porain des affaires et de la finance.
Cependant, comme je l'ai déjà mentionné, le nouveau projet
social conservateur repose sur une contradiction fondamentale, voire
sur un paradoxe idéologique. La mobilisation des masses et l'intensifi
44
cation de la sociabilité populaire - qui toutes deux suggèrent l'émanci
pation et la participation du peuple aux affaires publiques - vont, par
définition, totalement à l'encontre de l'esprit élitaire et des principes
hiérarchiques propres aux leaders et aux maîtres à penser des conser
vateurs. L'appel à ce type de modernité, combiné avec des références
aux traditions lointaines et prérévolutionnaires, engendre souvent un
discours composé non de contradictions dialectiques, mais fait de
superpositions antinomiques. Enfin , nous le constatons mieux
aujourd'hui, l'activité demodernisation et d'ouverture ne servait qu'à
mieux quadriller la population et à mettre sur pied des formations
sociales hautement disciplinées. Dans ce sens, la rénovation du
conservatisme, qui vise le dépassementde la démocratie des radicaux
et l'instauration d'une ère moderne, puise largement ses références
dans l’Ancien Régime. Et c'est justement le paradoxe idéologique issu
de cette juxtaposition dumoderne, du passé et du mythique, qui livre
ra à la nouvelle droite les coordonnées de sa dialectique insolite et fas
cinante.
4. Maîtres, intellectuels, patrons

La droite moderne, demanière générale, n'est pas particulière


ment portée à formuler une pensée systématique et des discours poli
tiques cohérents fondés sur une argumentation rigoureuse. De surcroît
ses valeurs, souvent ancrées dans celles de l'Ancien Régime mais
investies de sens et de pratiques contemporains, forment un conglo
mérat remarquable par ses contradictions et ses ambiguïtés. Les pro
grammes des différents courants, discutés dans le chapitre précédent,
témoignent de cet amalgame douteux . Cependant, à l'instar d'un
Dürrenmatt, sa force de conviction réside dans la puissance d'une
parole incisive et dans l'énergie du geste émotif: deux éléments qui
fonctionnent commemoyen primaire et essentiel de communication
et de persuasion . Pour mieux saisir la signification de ce style particu
lier,il est utile d'esquisser davantage le profilindividuel de quelques
uns des maîtres, intellectuels et patronsde cette droite.
Ulrich Dürrenmatt (1849-1908) est sans doute l'une des figures
les plus caractéristiques du conservatismerévisé. Il représente presque
le modèle idéal d'une carrière politique helvétique. Fils d'un paysan
protestant, il obtient le brevet d'instituteur, puis passe au journalisme.
Tout d'abord marqué par les grands débats politiques de l'époque,
c'est le Kulturkampf et la politique de financement des cheminsde fer
qui suscitent par la suite sa critique de la classe politique dominante,
à savoir les radicaux. Membre du Parti radical dans sa jeunesse, il
change de camp, commence à collaborer aux journaux conservateurs
et devient, en 1882, propriétaire et rédacteur en chef du quotidien
Berner Volksfreund. Ses poèmes, à la verve incisive et populaire, se
déploient sur la première page du journal dont ils assurent le succès.
Car non seulement ses rimes commentent de façon aigre et mordante
l'actualité mais, plus grave, elles caricaturent aussiméchamment cer
tains protagonistes de la vie publique. Cette méthode rencontre un
écho certain puisque le tirage passe en peu de tempsde 2000 à 10'000
exemplaires, chiffre considérable pour l'époque (la NZZ affiche envi
ron le même tirage). Muni de cette arme redoutable, Dürrenmatt se
46
lance alors dans la lutte politique. En 1886 , il entre au Grand conseil
bernois et, en 1902, il est élu au Conseil national.
Or Dürrenmatt se distingue par son anti-étatisme, son antiradica
lisme, son antisocialisme et son antisémitisme. C 'est-à-dire que son
concept politique fonctionne tout d'abord sur les principes conjugués
de la critique, du refus et de l'exclusion . Quant à ses références posi
tives, il les trouve dans le traditionalisme religieux et les représenta
tions d'une paysannerie mythifiée. Sa pensée démocratique, elle, porte
essentiellement sur l'idée des droits populaires directs, et notamment
le référendum dont ilmaîtrise parfaitement l'utilisation , voire la mani
pulation . Comme Bismarck, il a compris que la démocratie plébiscitai
re pouvait sans autre être mise au service d'un conservatismemilitant,
à condition de savoir imposer un discours démagogique et de disposer
des moyensde communication moderne, en l'occurrence la presse. Par
contre, il n 'apprécie guère le parlementarisme et ses représentants. Il
goûte peu les universitaires et leurs Ecoles, et manifeste un mépris par
ticulier pour les avocats. Engagé dans la lutte pour la réintroduction
de la peine demort, il se battra au Grand conseil contre une loivisant
l'interdiction de la punition corporelle à l'école. Mais, fait très éton
nant pour le patriote qu'il est, Dürrenmatt se méfie des militaires de
haut rang, alors que ses affinités avec le catholicisme politique le pous
sent à participer à plusieurs reprises aux réunions de la fraction catho
lique-conservatrice.
C'est donc en vertu de sa capacité à donner un souffle nouveau au
discours conservateur que Dürrenmatt prend une dimension histo
rique. Son populisme new -look introduit des aspects propagandistes
qui deviendront, par la suite, desmoyens efficaces pourmobiliser les
masses dans le cadre d'une démocratie moderne. Par ailleurs, il pra
tique une obstruction répétitive envers les grands projets politiques, à
laquelle s'ajoute une utilisation très habile du référendum ainsi que
l'incitation systématique aux scandales en tant que moyen de propa
gande. Tous ces éléments, comme on le verra plus loin , sont constitu
tifs des procédés utilisés par la nouvelle droite dans ses campagnes
politiques. Sur le moment, cette méthode lui a en tout cas permis de
sortir des cercles étriqués de l'ancien conservatisme.
Commebeaucoup de ses coreligionnaires qui cherchent une alter
native antisocialiste aux problèmes que pose la modernisation de la
société en cette fin de siècle, Dürrenmatt est à la foishostile aux usages
établis et réactionnaire . Oscillant entre anticonformisme, populisme
et intégrisme chrétien , sa culture politique se trouve à la charnière du
conservatisme légitimiste traditionnel et des courants modernes de
l'extrême droite. Pourtant, son imaginaire social repose sur l'idée
d'une classe moyenne saine, religieuse et bien encadrée. Mais
Dürrenmatt n'est pas la seule figure exemplaire de cette mouvance.
Car on retrouve des caractéristiques analogues chez d'autres protago
nistes, comme par exemple chez Kaspar Decurtins dont je vais essayer
maintenant de tracer le profil biographique.
Le 6 mai 1877 dans l'enceinte du monastère de Disentis, un
Chapitre de haute tradition qui lutte depuis des années pour sa survie ,
un jeune homme de vingt -deux ans s'élance sur la buora ,une sorte de
petit podium taillé dans le boismassif. Ce geste énergique a pour but
de haranguer 1500 hommes réunis en Landsgemeinde, l'assemblée de
district pour cette région grisonnaise du Haut-Rhin . C'est le début
spectaculaire d'une carrière politique étonnante, celle de Kaspar
Decurtins (1855-1916) 49, un citoyen originaire de Truns. On dit
d 'ailleurs de cette région qu'elle déclenche de temps à autre
l « Avalanche noire», c'est-à-dire une vague violente de conservatis
me quidéferle sur le pays, inondant, à Coire, le Parlement.
Mais retournons à la réunion qui se tient à Disentis. Ici, les déli
bérations s'enlisent dans des tergiversations qui semblent sans issue,
car l'assembléehésite entre deux candidats pour l'élection au poste de
mistral (Landammann ) - une sorte de préfet de cette communauté pay
sanne. Les chances du candidat catholique-conservateur ne sont pas
desmeilleures. Et dans cette situation tendue et incertaine, le jeune
Decurtins, docteur en droit et en philosophie depuis quelques mois
seulement, prend la parole. Dansun discours improvisé mais plein de
passion , dressé sur sa buora, il harangue la foule avec vigueur et
talent, puis descend de son podium entouré d'un silence impression
nant. Tout à coup, une parole décisive brise le mutisme des partici
pants: « Avec lui! » crie l'assemblée qui, en dépit du fait qu'il n 'est pas
inscrit sur la liste des candidats, lui fait endosser sur le champ la cape
rouge, apanage traditionnel du mistral.
Peu de temps après cette mémorable intronisation, le jeune élu
prendra place dans le Grand conseil des Grisons et, quelques années
O
plus tard, en 1881, il siègera au Conseil national. Avec d'anciens
camarades d'études et quelques associés, il formera une avant-garde
catholique-conservatrice qui sera soupçonnée par certains de crypto
socialisme, à cause de son discoursmoderniste en matière de politique
sociale. Envisagées superficiellement, les affinités politiques de
Decurtins sont effectivement troublantes. Car dans son canton , il est
soutenu par le Grütli et certaines sociétés ouvrières, alors que sur le
plan fédéral, des socialistes modérés tels Herman Greulich ou
Heinrich Scherrer lui accordent appui et considération. Son grand
succès dans le monde ouvrier, il l'obtient grâce à sa participation à la
création de la seconde Fédération ouvrière de 1887. Cette formation ,
mise sur pied par lui-même et Scherrer - mais contre l'avis d'Albert
Steck, le père du Parti socialiste suisse - est trèshétérogène. Les orga
nisations catholiques auxquelles collaborent des groupes du radicalis
me de gauche y dominent, au détrimentdes courants socialistes.
La politique sociale de Decurtins n'a cependant rien de «socia
liste», puisqu'au contraire, elle est censée contrecarrer la gauche du
mouvement ouvrier. Par ailleurs, il a toujours affirmésans équivoque
la priorité absolue de ses convictions religieuses et son confessiona
lisme proche de l'intégrisme. Au cours de ses études à Munich ,
Heidelberg et Strasbourg, il s'était déjà distingué commemilitant
catholique intransigeant. Et lorsque Pie X déclenche, en 1907, sa
lutte réactionnaire contre la civilisation moderne et démocratique,
Decurtins se lance avec toute son énergie dans la bataille. Engagé
dansun procès inconditionnel contre les nouveaux courants de la lit
térature, ses activités polémiques frisent le fanatisme et réussissent
même à provoquer des réactions très hostiles au sein de sa propre
famille politique. D 'une grande érudition, il maîtrise parfaitement la
rhétorique, tout en glissant souvent dans la démagogie. Ses discours
où se bousculent les images et les passions sont émaillés de références
historiques, politiques ou sociologiques, avec pour effet de les accrédi
ter auprès du public. Dans son répertoire favori, il convoque des
auteurs à la mode comme Schopenhauer ou Sombart. Et dans les
nombreux comptes rendus qu'il publie ,il n'hésite pas à traiter de tous
les genres,aussi bien scientifiques que littéraires.
Mais par sa manière d'agir qui brusque souvent les convenances,
Decurtinsne facilite pas la collaboration entre partenaires politiques.
49
Les quelques amis inconditionnels qui appuient systématiquement ses
bruyantes interventions se comportent comme les mousquetaires du
roi. Decurtins lui-même en parle parfois comme du « quadrifolium
nigrum », le trèfle à quatre noir. A cette équipe appartiennent notam
ment le Lucernois Joseph Beck (1858 - 1943 ), et le Bâlois Ernst
Feigenwinter ( 1843-1919). Feigenwinter, issu d'une famille paysanne
de Reinach (BL ), a fait des études de droit à Bâle, Munich et
Strasbourg. C 'est à Munich qu'il fait la connaissance de Decurtins et
d'un autre jeune Suisse, Franz von Segesser. A eux trois, ils forment un
petit groupe d'amis fidèles. A Strasbourg, cette mêmepetite équipe va
fonder un peu plus tard une section de la Société suisse des étudiants,
dont Decurtins sera le président. « Il est aussi devenu notre chef spiri
tuel», dira plus tard Feigenwinter50. Ce dernier, qui s'installera par la
suite comme avocat à Bâle, prend en 1879 la rédaction de la Basler
Volksblatt, milite dansles rangs des libéraux -conservateurs et entre, en
1893, au Grand conseil du canton de Bâle-ville. C 'est sur son instiga
tion qu'est fondé, en 1905, le Parti populaire catholique de la Ville de
Bâle . Or Feigenwinter est impliqué, en qualité d'avocat de la défense,
dans un certain nombre de «procès politiques» spectaculaires, comme
par exemple celui intenté contre Dürrenmatt en 1892. Cependant,
son activité publique la plus importantes se situe au sein des associa
tions catholiques, en particulier dans la fédération des Männer- und
Arbeitervereine (VMAV), qu'il présidera durant de nombreuses années.
Comme Decurtins, il préconise une politique sociale moderne, mais
bien opposée au socialisme de la majorité du mouvement ouvrier51.
Quant à Joseph Beck52,l'autre mousquetaire, il est membre d'une
vieille famille conservatrice de la campagne lucernoise. C'est par son
adhésion à la VMAV qu'il rejoint Decurtins et Feigenwinter. En
1889, lors de la création de l'Université de Fribourg, Decurtins fait
appel à lui pour occuper une chaire de théologie . Dès lors, il jouera
un rôle importantdans le groupe du catholicisme politique de la jeu
ne droite, un lieu où des personnalités comme l'abbé Savoy ou Jean
Marie Musy (élu Conseiller fédéral en 1919) font leur apprentissage
en matière de philosophie politique.
Quelques alliés importants entourent ce petit groupe, commepar
exemple les deux célèbres Georges, Python et de Montenach . Une
des entreprises les plus spectaculaires du duo Python-Decurtins réside
50
certainement dans la fondation de l'Université de Fribourg - une opé
ration dont j'ai déjà parlé précédemment. C 'est Decurtins qui a la
charge d'engager les nouveaux professeurs, mandat qu'il réalise en
parcourant la moitié de l'Europe. Mais nommé professeur lui-même
en 1905,ses rapports avec Python se compliquent. En effet, Decurtins
ne peut s'empêcher d'intervenir autoritairement dans les affaires du
corps professoral et de l'organisation universitaire, ce qui provoque de
nombreux conflits interpersonnels.
Georges de Montenach (1862-1925)53, membre d'une vieille
famille aristocratique de Fribourg, représente encore un autre proto
type social de la nouvelle droite. Sa maison paternelle est proche de
celle de la famille de Reynold, et le petit Georges dont la mère est
décédée peu après sa naissance, fréquente régulièrement le foyer voi
sin. Jeune homme, il donne dans la mondanité et réside souvent à
Paris où il contribue à la fondation de l'Association catholique de la
Jeunesse française. Il a une prédilection certaine pour la vie turbu
lente des associations estudiantines et assume notamment la prési
dence de la Société suisse des étudiants, la grande organisation des
catholiques. Par ailleurs, en tant que président depuis 1892 de la
Fédération romande des cercles et sociétés catholiques,ilamorce une
politique « populaire» et «ouvriériste» mais, comme Decurtins, stric
tement antisocialiste. Au début du 20e siècle, c'est dans cette pers
pective qu'il interviendra sans équivoque contre des organisations
ouvrières catholiques considérées comme trop « gauchistes» . L'Union
des travailleurs catholiques et l'Union ouvrière catholique de
Porrentruy - des organisations qui défendaient, à ce moment là, une
politique sociale proche des revendication des ouvriers syndiqués,
feront les frais de ses attaques.
Fortement influencé par le chanoine Schorderet, de Montenach
participe égalementà la politique fribourgeoise. C 'est un chaud parti
san de Georges Python que, dans sa jeunesse, il a servi en tant que
Leibfuchs dans la Société des étudiants, une fonction qui consiste à se
soumettre à l'autorité impérative du camarade hiérarchiquement
supérieur. En même temps, de Montenach poursuit une carrière
remarquable sur le plan international. Vers 1900, il est considéré
comme l'un des chefs de «l'internationale catholique».Ila ses entrées
aussi bien au Vatican que dans l'élite sociale et intellectuelle du
51
catholicisme international. En 1920, il sera co-fondateur et premier
président de l'Union catholique d'études internationales.
A sa façon , ce personnage représente lui aussi la superposition du
moderne et du réactionnaire. Le tennis et la bicyclette, à l'époque des
sports d'avant-garde, n 'ont pasde secret pour lui. Par ailleurs, il incite
les notables et aristocrates catholiques à s'investir dans les mouve
ments populaires de masse et dans les organisations de la classe
ouvrière. Mais il conserve ses options fondamentalement ultramon
taines, ainsi que ses valeurs politiques viscéralement antilibérales.
Comme Python , il aspire à la renaissance de l'Ancien Régime,mais
inséré dans le cadre d'un système politique technocratique etmoder
ne. Cette sorte de «dialectique paradoxale » a été très bien perçue par
l'un de ses proches, Gonzague de Reynold : «Georges voulait conti
nuer les ancêtres, prolonger dans le présent afin de la projeter dans
l'avenir cette ligne de force: la tradition.Nulmieux que lui ne savait
que tradition n'est en rien synonyme d'immobilité,de routine» 54 .
Il ne fait aucun doute que, à la fin du 19e siècle, le nouveau
conservatisme fribourgeois a considérablement élargi son influence
en Suisse romande. A Genève notamment, autour du Courrier de
Genève et des Annales catholiques, on voit se former un groupe d'intel
lectuels acquis à l'idée d'une renaissance conservatrice. Pourtant, le
centre du conservatisme romand réside dans la force tranquille des
libéraux-conservateurs vaudois. En guise d'image emblématique de ce
parti, on est tenté de prendre au mot le portrait d'Edouard Secrétan
( 1848 -1917), tel qu'il est tracé par Pierre Grellet, journaliste à la
Gazette de Lausanne: « De haute et vigoureuse stature , droit et martial,
il portait les cheveux en brosse.Une grosse moustache touffue souli
gnait ses traits énergiques, animés par deux yeux noirs, au regard droit
sous des arcades profondes, ombragées d'épais sourcils. Il possédait
pleinement le don mystérieux de l'autorité et le pratiquait avec cette
fermeté courtoise qui est la marque des esprits supérieurs. [...]
Polémiste vigoureux et probe, ce duelliste de la plume était sensible à
la grâce des choses» 55. Mais on lui reproche aussi «un art de blesser
ses adversaires et d'envenimer les discussions dont il ne paraissait pas
se rendre compte» 56.
Secrétan,licencié en droit de l'Université de Lausanne,rédacteur
en chef et directeurde la Gazette de Lausanne, réalise en politique le
52
cursus honorum obligatoire:membre du Conseil communal de
Lausanne, du Grand Conseil de 1893 à 1901 et du Conseil national
de 1899 à 1917. On n 'oubliera pas sa carrière militaire qui le porte au
grade de colonel-divisionnaire et,dans la Société suisse des officiers, à
la présidence. Ce statut social, conforme à celui des membres de l'éli
te politique bourgeoise, est corroboré par de multiples relations per
sonnelles. Parmi les hommes proches de Secrétan , on trouve Aloys
Meuron , président du Parti libéral-conservateur, ainsi que Philippe
Godet et Albert Bonnard. Par le truchement de la Gazette, Secrétan
saitmener les libéraux sur une ligne ferme etmieux reliée aux valeurs
de la droite. Il est aussi significatif que le journal entretienne, à son
instigation, un correspondantau Vatican. Sa politique conservatrice,
imbibée de l'inévitable fédéralisme romand, se confirme par exemple
dans son opposition à la loi sur l'assurance maladie et accident.
Pourtant, il n'est pas insensible à quelques démarches nouvelles
commecelles du Heimatschutz par exemple.
Même si Secrétan et le libéralisme-conservateur vaudois ne
brillent pas par un discours théorique dynamique ou des innovations
idéologiques spectaculaires, ils constituent quand même un élément
importantde la droite helvétique. D 'une part, ils possèdent un poids
politique considérable: environ 2/5ème des sièges au Grand conseilet
la majorité au Conseil communal de Lausanne. D 'autre part, ils don
nent l'une des premières démonstrations de la manière dont la droite
peut pénétrer le pouvoir radical en utilisant, comme ce fut le cas en
1893, la «mésentente cordiale» : c'est-à-dire cette nouvelle formule de
coalition entre libéraux et radicaux permettant d'assurer, face à la
montée du socialisme, le pouvoir bourgeois.
C'est chez Secrétan et à la Gazette que nous avons déjà rencontré
Philippe Godet (1850-1922). Ce dernier, écrit Alfred Berchtold,
«n 'oscille pas entre les idéologies, les partis, les patries. Il n 'est pas
l'homme des nostalgies et des aspirations. Il sait, il croit, il veut»57.
Fils d'un théologien neuchâtelois qui fut précepteur du futur et mal
heureux empereur allemand Frédéric III,Godet fonctionne - pour ne
mentionner que quelques-unes de ces nombreuses activités littéraires
- pendant 28 ans comme chroniqueur à la Bibliothèque universelle et, à
partir de sa fondation en 1893, comme collaborateur de la Semaine lit
téraire. Par ailleurs il enseigne à l'Ecole supérieure de jeune filles de
Neuchâtel, ville où à l'âge de 50 ans il sera nomméprofesseur de litté
rature française à l'Université. Il dirige également deux revues très
connues, le Musée neuchâtelois et le Foyer Romand, et se voue avec
passion à l'histoire du pays et à la lutte pour la protection des sites
historiques de sa ville natale. Polémiste politique redouté, il met sa
plume au service du Parti libéral-conservateur neuchâtelois.
Dans le contexte de l'époque, ce ne sontpas tellement les qualités
d'écrivain de Philippe Godet qui suscitent mon intérêt, mais son
conservatisme affirmé. En effet, Godet est porteur d'une idéologie
rigide structurée autour d'un fort esprit nationaliste, de valeurs patrio
tiques imprégnées de religiosité, ainsi que d'un mépris profond pour
l'idée de progrès véhiculée par le radicalisme contemporain .
Toutefois, ces idées fixes ne sont pas dépourvues de velléités de
révoltes, exprimées même à l'égard de son pays adulé. En tant que
jeune homme, il a rédigé un journal non -conformiste intitulé le
Franc- Tireur, et son attitude face à la droitemoderne est parfois ambi
guë. Si Eddy Bauer nous le décrit comme l'un des représentants du
Maurrassisme en Suisse58, il faut relever que dans un numéro de La
Semaine littéraire datant de 1922, Godet peste contre les écrits des
auteurs prochesde l'Action française.
Godet est-il pour autant une personnalité conservatrice contra
dictoire? Je ne le pense pas. Car, à l'instar d'un Dürrenmatt et d'un
Decurtins, il appartient au courant des intellectuels de la droite
moderne, et cela même s'il exprime lui-même un mépris certain pour
les «avant-gardes» littéraires. Pour l'historien , son rôle de chroni
queur omniprésent et de polémiste redouté au service du libéralisme
conservateur permet d'évaluer le climat ambiant. Car son ton et son
discours séduisent parfaitement une certaine jeunesse. «Je n'ai jamais
rencontré de personnalité plus vivante. Il était un animateur dans
tout le sens du mot»59, se souvient Pierre Grellet qui, comme collé
gien , avait suivi les cours de Godet. Ses riches activités journalis
tiques, le rayonnement de son enseignement et son engagementdans
de nombreux cercles et sociétés, portaient Godet à jouer le rôle d'un
maître à penser important dans les milieux du conservatismerévisé.
Cependant, force est de soulever encore un autre aspect particu
lier propre à la nouvelle droite. En effet, le rôle considérable tenu par
un Godet, tout comme celui joué par un Dürrenmatt ou Decurtins,
54
réside dans leur influence prégnante au sein de nouveaux cercles
d'intellectuels, de journalistes et d'hommes politiques. A titre
d'exemple, prenons La Semaine littéraire. La tête pensante de cette
revue, c'est Edouard Rod, certes luiaussi un homme de la droite,mais
qui se complaît dans la mondanité parisienne et professe une vision
du monde plutôt ambiguë60. Son conservatisme insolite côtoie un
scepticismemoderniste à la Schopenhauer, s'exalte dans la musique
de Wagner, pour replonger occasionnellement dans un mysticisme
médiéval. Cette sensibilité confuse, mais très dans le vent, contraste
non seulement avec la foi rigide et patriotique de Godet,mais elle
sépare personnellement les deux écrivains. Pourtant, au niveau du
public, ils ne peuvent apparaître que comme un couple inséparable.
Car Edouard Secrétan , qui tout d'abord accuse le jeune Rod de faire
dans le pornographique, l'invitera plus tard à collaborer à la Gazette
de Lausanne où ses articles vont alterner avec ceux de Philippe Godet.
Face à ce processus, les lecteurs vont forcément créer un amalgame
entre le quotidien prestigieux de la droite et cette revue culturelle
influente de la Suisse romande. Ainsi l'ensemble finit par former un
tout quise manifeste comme le nouveau discours culturel propre à un
courant politique homogène. Ce conservatisme révisé, exhibé à tra
vers un mélange de critiques littéraires originales, de nouveaux débats
culturels et de polémiques politiques, gagne de la sorte un profil per
suasif, et cela même s'il reste souvent ambigu ou paradoxal. La ten
dance traditionaliste semble se fondre sans fissure dans l'esprit d'une
droite moderne, voire dans une modernité d'avant-garde. Si en plus,
comme ce fut le cas pour La Semaine littéraire, des amis de Godet tels
Philippe Monnier ou Gaspard Vallette se regroupent autour de ce
couple contradictoire, le lecteur se trouve inévitablement environné
par une façon de penser le monde qui lui paraît neuve, originale et
cohérente. Pourtant, une lecture attentive permet sans autre média
tion de relier toute cette éloquence au discours politique du conserva
tisme révisé.
Sur le plan littéraire, la Suisse alémanique connaît, elle aussi,
quelques maîtres à penser qui favorisent le déploiement du discours
de la droite. Citons en guise d'exemple le Bernois Otto von Greyerz
(1863-1940), germaniste, écrivain et animateur de théâtres popu
laires. Ce dernier s'engage en premier lieu dans la Heimatkultur, un
55
mouvement traditionaliste qui lancera, au début des années 20, une
activité de politique culturelle très prisée. Otto von Greyerz critique
notamment, avec un clin d'oeil antisémite, la décadence des grandes
villes, et proclame haut et fort les valeurs d'une Suisse paysanne. Or
cette démarche est vivement soutenue par un autre homme de lettres
et intellectuel notoire, Robert Faesi (1883-1972), que nous rencon
trerons encore plus tard dans d'autres circonstances. Faesi, qui a fait
ses études à Zurich et à Berlin, sera nommé professeur de littérature
allemande à l'Université de Zurich . Il joue en Suisse alémanique un
rôle comparable à celui de Godet en Suisse romande,mais pour une
période plus tardive. Pour le moment, je me contenterai de signaler
que la sympathie de Faesi et de von Greyerz pour une forme spéci
fique de Heimatkultur les rapproche souvent des représentations
sociales développées par la nouvelle droite.
Ce conservatismerévisé - et de là provient sa force - semanifeste
dans les domaines sociaux et culturels les plus divers.Mais les milieux
économiques y apportent aussi leur part. Un courant important se
développe par exemple parmicertains cercles de patrons de l'indus
trie et de la finance. Des lieux où les anciens libéraux-radicaux appar
tenant à la génération d’Alfred Escher se sontorganisés dansun grou
pement partiellement opposé au radicalisme dominant. C'est dans ce
milieu qu'on retrouve également un Conrad Cramer-Frey, le grand
chef de l’USCI. Or, certaines de ces personnalités vont durcir leur
position et introduire dans ces groupes, qui restent par ailleurs tou
jours liés aux radicaux, un esprit carrémentréactionnaire. C 'est le cas
précisément d'Eduard Sulzer-Ziegler (1854- 1913), un descendant de
la grande famille d'industriels de Winterthour61.
C'est au gymnase déjà qu’Eduard se distingue commeun adversai
re farouche des « démocrates», le courant politique dominant à
Winterthour et héritier de la tradition radicale. Après le gymnase, il
entame à Genève des études de droit, d'économie publique et de
sciences naturelles. Poursuivant son cursus universitaire, il s'installe
en 1876 à Heidelberg où se trouve au mêmemoment Decurtins.Dans
cette ville, il estmembre de la Société des Zofingiens et s'intègre dans
un petit groupe de Suisses, tous issus de familles de la grande bour
geoisie.La poursuite de ses études l’amène encore à Berlin et à Dresde
où il s'inscrit à l'Ecole polytechnique. Après un bref séjour en
56
Angleterre, il rentre en 1878 à Winterthour, se marie et entre dans
l'entreprise familiale. Or juste à ce moment, la ville est plongée dans
une crise profonde. Car à la dépression générale s'est ajoutée la faillite
de la commune occasionnée par sa participation à la Nationalbahn,
une compagnie de chemins de fer ruinée par unemauvaise planifica
tion et par la concurrence acharnée des chemins de fer dirigés par
Alfred Escher.
D'emblée, Eduard Sulzer-Ziegler s'investit autantdans la politique
que dans l'entreprise familiale. Il amorce notamment une lutte soute
nue, souvent très personnalisée, contre les socialistes.Orle terrain de
Winterthour s'y prête fort bien . Car dans cette cité fortement indus
trialisée, le mouvement ouvrier est bien implanté et très combattif.
Dans un premier temps, il réanime le petit groupe des libéraux - le
mouvement de la droite de Winterthour - et entame sa longue cam
pagne contre le socialisme. Ayant compris l'importance du rôle que
peut jouer une presse partisanemoderne, Sulzer-Ziegler crée et finan
ce la Neues Winterthurer Tagblatt, une feuille qu'il utilisera quasiment
comme porte-parole personnel. Entré en décembre 1900 au Conseil
national,il constitue, avec entre autres Edouard Bally et Alfred Frey -
le successeur de Cramer-Frey à la tête de l’USCI -, le fameux « banc
des barons de l'industrie» . Ses interventions, sobres et précises,mais
sanshumour ni élégance, sont toujours suivies avec une grande atten
tion. Car, par le biais de son fer de lance - l'Association patronale
suisse des constructeurs demachines (ASM fondée en 1905) - Sulzer
Ziegler est le représentant des groupes les plus importants du patronat
helvétique. Présidée par Emil Huber-Werdmüller, l'un des entrepre
neurs les plus importants de l'époque, cette association est cependant
sous la coupe des deux vice-présidents: Sulzer-Ziegler et F. Funk de la
BBC à Baden62.Organisée un peu sur lemodèle d'une société secrète,
l’ASM se comporte comme un groupe de combat engagé dans la lutte
contre les syndicats et les socialistes. En 1913, elle dipose d'une « cais
se de guerre» de deuxmillionsde francs.De surcroît, elle possède un
fichier qui comporte des renseignements sur plus de 70'000 ouvriers,
ce qui lui permet une surveillance discrète mais efficace des tra
vailleurs de l'industrie desmachines.
Cependant, il convient d'ajouter que Sulzer-Ziegler ne préconise
pas seulement le bâton ,mais prêche également, dans le même état
57
d'esprit que Bismarck , pour une certaine politique sociale - à condi
tion qu 'elle reste en mains patronales et concoure à diminuer
l'influence des syndicats et des socialistes. Quant aux projets sociaux
d'ordre plus général, Sulzer-Ziegler est plus réticent. S'il soutient la
loi sur l'assurance maladie et accident - après l'avoir cependant pas
sablement émoussée - il oppose un non catégorique à tout projet en
matière d'assurance vieillesse ou chômage. Par ailleurs, adepte des
nouvelles théories issues du darwinisme social propagées par les
hommes forts du patronat allemand , Sulzer-Ziegler aime se référer à
la morale chrétienne et à l'ordre divin.
A leur façon, les patrons de l'industrie sont souvent épaulés par
de hauts officiers de l'armée. Je ne veux pas parler ici des profession
nels, des officiers de carrière qui, parfois trop repliés sur leur esprit
militaire, n'entrent pas toujours facilement dans l'intimité de la vie
politique ou économique. Ilme semble cependant utile de porter une
certaine attention au «colonel politique», ce type d homme quipour
suit une importante carrière civile, tout en se distinguant dans sa
fonction militaire. Avec Edouard Secrétan , le directeur de la Gazette
de Lausanne, nous avons déjà rencontré l'une de ces personnalités
dont la vie politique s'adosse à la carrière militaire: dans le civil, le
colonel-divisionnaire Secrétan ne quittait jamais les prérogatives et le
style acquis à l'armée .
Parmi les représentants de ce cursus, on peut signaler une autre
personnalité qui n 'est pas sans intérêt pour notre propos: c'est le
Schaffhousois Beat Heinrich Bolli (1858 -1938), député au Conseil des
Etats de 1906 à 1933 et, parmid'autres fonctions,membre du Conseil
d'administration de la Société de Banque Suisse. Ce dernier, qui a fait
des études de droit à Heidelberg,Munich, Berlin et Aix -en-Provence,
appartient - bien qu'affilié au Parti radical - à la droite musclée du
pays. Dans sa carrière civile, il est tout d'abord avocat, puis adjoint du
procureur général, et finalement juge cantonal. A Berne,où il s'inves
tit notamment dans la préparation des affaires militaires délicates, il
est considéré commeproche du Conseil fédéral. Dans ce sens, sa voix
pèsera d'un poids décisif dans l'élection de Wille au plus hautposte de
l'armée. Durant la Première Guerre mondiale, il commande les fortifi
cations de Morat, la petite ville qui, en 1476 sous le commandement
du noble Adrian de Bubenberg, résista à Charles le Téméraire. Or,
58
4 . Le généralUlrich Wille (à gauche) et le colonel Beat Bolli, commandant des fortifica
tionsdeMorat à l'occasion de la commémoration de la bataille deMorat en 1915.
Derrière Wille, en civil,le conseiller fédéral Motta.
(Schweizer Illustrierte Zeitung du 3 juillet 1915.)
sans crainte du ridicule, Beat Heinrich Bolli prendra l'habitude au
cours de ce commandement de s'annoncer au général Wille sous le
nom d'« Adrian de Bubenberg II». Cependant, son caractère et son
orientation idéologique sont probablement mieux cernés par le sobri
quet dont l'affuble son entourage: « le petit Hindenburg» . En effet,
Bolli représente ce type même d'esprit militaire autoritaire propre à
une frange de la droite helvétique. Par ailleurs, sous son commande
mentà Morat, on trouve un personnage du nom d'Eugen Bircher, un
homme de la nouvelle droite dont nous allons reparler encore plu
sieurs fois dans ce parcours du paysage politique helvétique. Car
Bircher non seulement admire « le petit Hindenburg» autant que le
« grand », mais il peut toujours compter sur son chef pour jouer les
fidèles protecteurs. Cet aspect de leur relation est d'autant plus pré
cieux que Bolliassumeun certain nombre de mandats dans des comité
de gestion de banques ou d'entreprises, comme il est intimement lié à
la vie politique et aux cercles économiques du pays63.
Le 15 juillet 1880 naît Louis Gonzague Frédéric Marie Maurice de
Reynold , fils unique d'une famille aristocratique fribourgeoise qui
bénéficie d'un glorieux passé militaire. En octobre 1914, le général
Wille nomme Gonzague de Reynold -auparavant déclaré inapte au
service- chef du Bureau de conférences de l'Etat major de l'armée
avec le grade demajor.
Je renonce délibérément à retracer ici la vie de Gonzague de
Reynold, car le risque est grand que l'on identifie mécaniquement la
renaissance du conservatisme avec cette personnalité. Ce qui revien
drait à fausser les perspectives et à brûler trop d'étapes. Toutefois, il
faut insister sur le rôle important joué par de Reynold dans la naissan
ce de la nouvelle droite. Auteur prolifique, ses nombreux écrits
constituent un dossier de sources inestimables pour cerner l'époque.
De surcroît,Gonzague de Reynold représente le type mêmede l'intel
lectuel quimarque la rupture avec le poète du radicalisme des pères
fondateurs de l'Etatlibéral- avec l'univers de Gottfried Keller. Etsi le
nom de Gottfried Keller est implicitement inscrit dans la
Constitution libérale de 1848 , celui de Reynold se trouve ouverte
menten tête des nomsgravés sous le Lion de Lucerne, lemonument
dédié à la mémoire des gardes suisses tombés au service du roi lors de
la Révolution française.
De Reynold , j'ai l'aidéjà mentionné, apparaît à satiété dans cette
étude. Je me contenterai donc de sélectionner quelques aspects bio
graphiques parmi les plus importants . Gonzague passe une enfance
solitaire, marquée par la religion et les récits de souvenirsmilitaires. Il
fréquente le collège de Fribourg et s'inscrit en 1899 à la Sorbonne,
décidé à devenir écrivain parce que, dit-il, «je n 'ai pas pu être
soldat»64. En 1909, après avoir soutenu une thèse sur le Doyen Bridel
et les origines de la littérature suisse romande, il rentre au pays.
Collaborateur de La Voile latine il continue, après la rupture provo
quée par les frères Cingria, son activité de journaliste culturel dans les
Feuillets65 et fonde avec des amis, en particulier avec Alexis François,
la Nouvelle Société Helvétique. En 1915, il est nommé professeur de
littérature à l'Université de Berne, une chaire qu'il quittera en 1932
après avoir fait l'objet d'une violente campagne politique. Lamême
année encore, il assumera un enseignement à l'Université de
Fribourg. Pendant toute cette période, de Reynold s'adonne à des
activités étendues de conseiller politique. Il établit des liens particu
liers avec Mussolini, et il compte parmi les proches des Conseillers
.

5.Gonzagueles 23de Reynold


Macolin à l'assemblée
et 24 septembre 1916.annuelle de la Nouvelle Société Helvétique à
fédéraux Motta, Musy et Etter. En 1938, plein d'emphase, ce dernier
lui écrit:« Vous n'êtes pas seulementun poète, vous êtes un visionnai
re!»66. Or ce «visionnaire» interprète le national-socialisme comme
une révolution antimoderne salutaire, et manifestera durant la
Deuxième Guerre mondiale une attitude fort positive à l'égard du
«NouvelOrdre» en Europe.
De ce portrait de groupe des nouveaux maîtres de la droite, il faut
retenir qu'il n'a pas pour fonction d'analyser, de manière exhaustive,
la biographie des personnalités appartenant à cette sensibilité poli
tique spécifique. L'important consistait à mettre en avant quelques
uns des différents profils, parfois insolites, qui caractérisent un cou
rant idéologiquement flou,mais efficace au niveau desa pratique. Car
la nouvelle droite, c'est aussi une nouvelle élite acquise à une expres
sion personnelle forte, moderne et exaltée. Au-delà du discours, c'est
la présence sociale et la gestuelle qui fondent l'efficience et provo
quent la séduction . Les personnalités de la nouvelle droite, encore
dispersées sur l'étendue de la Suisse, ne manquent pas de se faire
remarquer grâce à leur style «moderne» et pourtant profondément
inscrit dans la tradition des valeurs conservatrices et archaïques.
Récupérant l'apparat symbolique des Cours princières, elles le reéla
borent sous une formecontemporaine « populiste» .

62
5 . Les Avant-gardes de la réaction

Lundi soir 19 juin 1893, au centre de la ville de Berne, une foule


considérable commence à attaquer la Käfigturm ,une tour situéemain
tenant au milieu de la vieille ville etdépendante de ses anciennes for
tifications. A ce moment, et depuis longtemps, cette bâtisse sert de
prison et fait figure en quelque sorte de mini-Bastille bernoise. A la
fin de cette même journée, dans un grand restaurant des abords de la
ville tout environné d'arbres et de bosquets,la bonne sociétébernoise
se déploie à la lumière des feux d'artifices. Elle danse ,masquée, pour
financer une collecte en faveur d'un monument historique. Quant à
la foule devant la Käfigturm , elle cherche à libérer quatorze ouvriers
du bâtiment arrêtés dans l'après-midi pour avoir détruit du matériel et
agressé des travailleurs italiens sur quelques chantiers de la ville.
Cette échauffourée, qui résulte d'une petite réunion tenue peu après
·midi,a été convoquée par un ouvrier au chômage. Environ cinquante
hommes - pour la plupart des chômeurs du bâtiment - se sont retrou
vés près de la gare pour organiser, par la suite, un cortège de protesta
tion quiva passer à travers différents chantiers de la ville. Notons que
l'ouvrier qui en a pris l'initiative n 'était ni syndiqué, niorganisé poli
tiquement.L'émeute de la Käfigturm est plus simplement l'éclatement
d'un malaise dans la situation de l'emploi. Car les entrepreneurs du
bâtiment marquent une nette préférence à engager en grand nombre
des Italiens, ces derniers acceptantdes conditionsde salaire et de tra
vail nettement inférieures à celles accordées habituellement aux
autochtones.
La police ce soir-là, soutenue par des pompiers et des gardes
civiques, ne semble plus en mesure demaîtriser la foule. Le colonel
divisionnaire Eduard Müller, maire de la ville, demande directement
l'aide de la troupe auprès du chef du Département fédéral militaire,
sans consulter le Conseil d'Etat. Celle-ci arrive peu après minuit et
rétablit l'ordre. On compte 40 blessés et 80 arrestations. Les pour
suites judiciaires concerneront 186 personnes et la justice s'en pren
dra particulièrement au secrétaire de l'Union ouvrière, Wassilieff - un
Russe naturalisé - qui est derechef condamné à une année de maison
de force67. Pourtant Wassilieff n'était nullement responsable de cette
émeute et avait même proposé ses services à la police pour calmer la
foule. Mais la sentence du tribunal répondait aux attentes et aux pré
jugés ambiants de la bourgeoisie bernoise. Ce quifait dire à l'historien
Erich Gruner que ce jugement repose sur l'exercice d'une véritable
« justice de classe»68. Par ailleurs, poursuivant cette logique, le
Conseil municipal créera officiellement une garde civique de 600
hommes armés et renforcée de 43 cavaliers, tandis que le Conseil
d'Etat, à la fin de juillet 1893, interdira toute exhibition du drapeau
rouge.
Bien que cet événement relatif au monde ouvrier se trouve en
tête de chapitre, il n 'est cependant pas question d'élagir ici le sujet au
domaine de son histoire.Mais je tenais à rappeler que la ligne direc
trice de la nouvelle droite et du conservatismerévisé s'organise large
ment sur une base antisocialiste. L'identification du socialisme au
«Mal» figure de plus en plus souvent comme le point commun essen
tiel des différents programmes de la droite bourgeoise qui l'utilise
comme levier pour leurs activités. Mise dans cette perspective,l'appa
rition des nouvelles formations de la droite, telles les gardes civiques
ou autres ligues bourgeoises, revêt une importance non négligeable.
Dans le climat politique général esquissé dans les chapitres précé
dents, la naissance de la nouvelle droite semanifeste donc par l'émer
gence de mouvements bourgeois de ce type. A Berne, en l'occur
rence, nous trouvons non seulement une garde civique, mais égale
ment une organisation fondée six mois auparavant, en décembre
1892. Sous le nom de Einwohnerverein Bern, cette société est essen
tiellement composée de membres issus des professions libérales, du
petit commerce, ainsi que des patrons des arts et métiers. Cemouve
ment accueille également quelques beaux esprits religieux qui se sou
cient de morale publique. A sa tête se tient Ernst Pezolt, un homme
d'une trentaine d'années, étudiant en droit et fils d'un professeur de
gymnase à Berne. Au début de 1893, il publie une brochure polé
mique dénonçant ce qu'il appelle lesméfaits du socialisme69.
Parallèlement, le programme de la Einwohnerverein préconise la lutte
contre le socialisme et la prohibition du drapeau rouge.
64
Mêmesi les ligues bourgeoises du genre Einwohnerverein ne proli
fèrent pas vraiment, elles représentent néanmoins un phénomène
significatif de la culture politique de ces années.Mais d'autres
exemples nous permettront de mieux comprendre le caractère de ce
type de formation politique. A Zurich ce sont quelques corporations
ainsi que la Gewerbeverein (Société des arts et métiers) qui appellent,
en avril 1905, les « citoyens bien -pensants» à une réunion pour discu
ter des problèmes de la ville. Or, si l'on se réfère aux interventions
relatées par la presse, le public - environ 2000 personnes - se compose
en grande partie des membres des professions libérales et des arts et
métiers, soit des classes moyennes et de la petite bourgeoisie . Au
cours de cette soirée très animée, surgissent de nombreuses plaintes
au sujet des grèves et du « désordre» qui règne en ville. Un certain
DrRosenberg - faisant sans doute allusion aux sociétés ouvrières et
aux syndicats - déclare même que la grève est devenue un moyen de
chantage de certaines associations qui, selon lui,seraient acquises au
terrorismeorganisé70.
L'assemblée décide alors la constitution d'une société, une sorte
de ligue qui permettra d'exercerune pression renforcée sur les autori
tés politiques accusées, quant à elles, de laxisme et de complaisance à
l'égard de la gauche. Deux mille personnes s'inscrivent et quatre
cents d'entre-elles vont participer, le 31 mai 1905, à la fondation de
la Bürgerverband. Le début du programme de cette organisation avan
ce comme but principal une lutte énergique contre les « empiète
ments socialistes». Sa deuxièmepartie évoque la nécessité d'une pro
pagande élargie auprès de la classe bourgeoise pour la rendre à même
demieux comprendre les «questionséconomiques».Une formulation
qui recouvre une crainte très précise, à savoir que les classes
moyennes, devenues sensibles aux critiques formulées à l'encontre de
l'économie libérale , rejoignent la politique socialiste. Car n 'oublions
pas que les récessions économiques et l'évolution capitaliste inquiè
tent aussi la petite bourgeoisie qui en subit parfois les conséquences.
Finalement, la Bürgerverband proclame que toutes ces démarches
iront dans le sens de «l'intérêt public», une parole devenue un rituel
pour légitimer l'activité de ce genre de groupes de pression ?1
Du côté organisationnel, un comité de 30 membres et un prési
dent en la personne de l'architecte Otto von Tobel sont élus. La ligue
dispose d'un journal, le Schweizerische Bürgerzeitung, qui paraît trois
fois par semaine. Pourtant, le mouvement refuse qu'on l'identifie en
tant que parti politique car il représente, dit-il, l'ensemble des
citoyens de la ville. Au vu de leur hostilité ouverte et farouche contre
les socialistes, il faut dès lors en conclure que les membres de la
Bürgerverband ne considèrentplus ces derniers comme des citoyens à
part entière.Une attitude qui deviendra commune à l'ensemble de la
droite de l'époque. Malgré ce refus d'être caractérisé comme parti, la
ligue agit aussi bien par des interventions directes auprès de la muni
cipalité, que par la participation aux élections dans le sillage des par
tis bourgeois traditionnels.
Cette forme d'organisation «informelle», qui se place au -dessus
des partis politiques, possède une certaine tradition à Zurich. Au
cours des années 90 par exemple, le Reitclub Zurich - où se retrouve la
droite huppée du Parti radical de la ville - se mêle d'une façon parti
culière aux affaires politiques. En effet, en 1896 , ce Club impose
Ulrich Wille comme candidat aux élections communales, ce dernier
ayant momentanément abandonné sa fonction militaire pour cause
de désaccord avec le Conseil fédéral. Cependant,malgré cette pres
sion ,Wille échoue dans sa candidature et une deuxième tentative,
pour l'élire cette fois au Conseil national, est organisée par le même
cerclemais sans plus de succès.Or, durant cette campagne électorale,
Wille a bénéficié du soutien d'Emil Richard, un des hommes les plus
influents de la Société commerciale (Kaufmännischer Verein ). Pour le
consoler de ce fiasco , on lui propose alors d'entrer dans le fief de
l'économie helvétique, l'USCI, où Alfred Frey, l'homme fort de cette
association faîtière, profitera d'établir des liens privilégiés avec le
futur général72. Ce dernier prêtera de bon gré l'oreille aux conseils du
chef de l'USCI, ce qui ne sera pas sans conséquence, par exemple,
lors de la grève générale de 1918.
A Bâle, la nouvelle formation de la droite s'appelle Parti bour
geois progressiste (Fortschrittliche Bürgerpartei). Comme dans beau
coup d'autres villes, la confrontation entre les petits patrons et les
ouvriers du bâtiment avait provoqué une radicalisation des premiers.
Ceux -ci en effet se sentent abandonnés par un gouvernement qui,
depuis l'introduction de la proportionnelle, se débat dans une situa
tion difficile: les radicaux n 'arrivent plus à s'imposer comme parti
66
bourgeois unique et naviguent, sans cap, entre les socialistes et la
droite. Dans ce contexte, les petits entrepreneurs, particulièrement
touchés par les troubles économiques, vont chercher un soutien
auprès de la Société des propriétaires de maisons (la
Hausbesitzerverein fondée en 1892) et auprès de l'Association des arts
etmétiers (Gewerbeverband ). Sur cette base se constitue, en janvier
1911, le Parti bourgeois progressiste, unedénomination quine corres
pond nullement à l'orientation de cette nouvelle force politique. Car
ses membres appartiennent en premier lieu aux ailes droites des Partis
radical et catholique-conservateur, et on y trouve la même structure
sociale que dans la ligue bourgeoise de Zurich. Par ailleurs,un des lea
ders du parti bâlois se consacrera essentiellement à cette idée de
défense des classesmoyennes, alors qu'après la Première Guerremon
diale, le parti s'adossera sur le plan politique au Parti des artisans, pay
sans et bourgeois (PAB devenu aujourd 'huiUDC )73.Des raisons éco
nomiques, jointes à la volonté de défendre les intérêts des classes
moyennes, sont aussi à l'origine d'un regroupement des petits com
merçants de Lucerne. Ces derniers fondent une Union de défense
économique (Geschäftswehr) dont le programme comporte la lutte
contre les grands magasins, les coopératives (l'une des composantes
importantes du mouvement ouvrier), les marchands ambulants et les
Juifs des pays de l'Europe de l'Est.
Ces constellations particulières dans les rapports de forces poli
tiques et économiques, attisés par une situation conflictuelle, favori
sent sans aucun doute l'émergence des nouveaux courants de la droi
te. S'il s'agit là d'un problème structurel propre non seulement à la
Suisse mais à la plupart des sociétés industrielles de l'avant-guerre, à
l'intérieur du pays les formes d'organisation varient pourtant encore
énormément. Et les mêmes préoccupations n'engendrent pas, méca
niquement, des réponses de type identique à celles de Berne, Zurich
et Bâle. Si l'Association patronale mise sur pied par Eduard Sulzer
Ziegler nous a montré un certain modèle de réponse organisationnel
le, ailleurs nous en trouvons d'autres.Mais regardons, pour en affiner
la perception , comment la droite s'est organisée à Lausanne.
Le prétexte immédiat fait suite, une fois de plus, à une série de
conflits salariaux accompagnés de grèves. Sous l'instigation d'un
entrepreneur du bâtiment, François Brezzola, une Fédération vaudoise
des entrepreneurs (FVE) voit le jour en 1904. A la direction s'associe
d'emblée un avocat de choc,MeCharlesNiess. Orl'engagement d'un
«spécialiste» - qui élabore les tactiques de luttes et dirige toutes les
délibérations au moyen d'un arsenal de références juridiques - est
significatif de la nouvelle ambiance qui règne dans les organisations
de la droite. De plusen plus souvent, en effet, on fait appel aux tribu
naux pour combattre les ouvriers grévistes, sachant que des amendes
mêmemodestes accablent sérieusement les organisations syndicales.
De surcroît, assurés du soutien des autorités politiques, des groupes de
lutte comme la FVE ne vont plus essayer d'éviter la confrontation
directe avec les syndicats. Au contraire. La FVE, par exemple, n 'hési
tera pas à utiliser le lock -out, tactique qui provoque une lutte de
classes ouverte et brutale.
Les entrepreneurs du bâtiment, souvent des petits artisans qui ont
su profiter du boom dans la construction , réussissent ainsi à s'imposer
comme l'un des groupes de pression les plus violents et les plus réac
tionnaires. Auparavant, déjà réunis depuis 1897 dans la Société suisse
des entrepreneurs, ils avaient développé à l'égard des ouvriers une
politique musclée et sans concession. Cette société interdit en effet à
ses membres d’entrer en négociation lors de conflits du travail.
Commeelle refuse aussi catégoriquement d'envisager tout accord sur
des tarifs ou des salaires minimaux. Par contre, les petits entrepre
neurs sollicitent sans hésiter l'intervention des forces de l'ordre
contre les grévistes, s'adressant souvent directement au plus haut
niveau des autorités politiques74.
La dureté de cette attitude suscite même parfois la critique des
milieux bourgeois qui considérent certains de ces entrepreneurs com
me de nouveaux riches suspects. Afin d'atténuer cette image négati
ve, la Société suisse des entrepreneurs décide d'améliorer son profil
public par l'élaboration d'un discours de type patriotique. Ce dernier,
fortement coloré par des aspects xénophobes, est dirigé en premier
lieu contre les Italiens, le groupe des étrangers qui travaillent essen
tiellementdansleur secteur. Par leurs propos,les patrons tentent ainsi
dedisqualifier auprès du public l'imagemorale de ceux qui leur appor
tent économiquement les plus gros avantages. Cette tactique perverse
a pour effet d'attiser les tensions déjà existantes dans la situation de
l'emploi entre ouvriers étrangers et indigènes. Le but visé est d'empê
68
cher, d'une part, toute solidarité chez les travailleurs du bâtiment et,
d'autre part, de donner une justification à la répression qu'ils exercent
sur l'ensemble des travailleurs de la construction .
Les ouvriers italiens se montrent, en effet, particulièrement com
batifs dans les conflits du travail. Organisés depuis 1895 dans l'Union
socialiste de langue italienne en Suisse - réorganisée en1903 sous le
nom d'Unione Socialista italiana in Svizzera, puis transformée en
Fédération unique des maçons de langue italienne en Suisse - ils for
ment l'élément dynamique du mouvement ouvrier dans le bâtiment.
Cependant, cette attitude et un certain manque de discipline syndi
cale provoquent souventdes tensions entre ouvriers suisses et italiens.
En dénigrant ouvertement les ouvriers italiens, le patriotisme xéno
phobe des entrepreneurs va favoriser, à la fois dans l'opinion publique
et dans lemonde ouvrier suisse, une attitudehostile non seulement à
l'égard de la main -d'oeuvre italienne,mais également à l'encontre de
toute lutte revendicative qui pourrait se développer dans le secteur.
Les mesures répressives dictées par les autorités politiques seront ainsi
mieux acceptéespar la population . Vers la fin du 19e siècle ,la police
pourra se permettre, de plus en plus fréquemment, d'emprisonner ou
d'expulser des Italiens considérés automatiquement comme princi
paux meneurs et fauteurs de troubles. Ainsi, cette main d'oeuvre
étrangère, particulièrement exploitée, se verra encore mieux contrô
lée et soumise aux volontés patronales.
L'exemple des entrepreneurs de la construction montre bien com
ment se trouvent confondus les intérêts économiques et le discours
politique. L'amalgame entre patriotisme et xénophobie, les démarches
brutales contre les ouvriers qui recourent à la grève, ainsi qu'un anti
socialisme viscéral, constituent des éléments suffisament significatifs
pour qu'Erich Gruner qualifie l'attitude de la Société suisse des entre
preneurs comme une « lutte de classe de haut en bas» 75. Une
manoeuvre devenue le fer de lance de l'idéologie et de la pratique de
la nouvelle droite .
Par ailleurs, dans la politique helvétique, la présence des militaires
n'a rien d'extraordinaire. Et ce n'est probablement pas par hasard que
la presse appelle l’Hydre - du nom de ce serpent à sept têtes auquel il
en renaissait plusieurs dès que l'une d'entre elles était sectionnée - le
groupe d'officiers qui exerce à l'intérieur du Département militaire
une influence si prépondérante qu'elle est considérée comme un petit
Etat dans l'Etat. Le Reitclub deZurich, nous l'avonsdéjà vu, avait ten
té de lancer dans la carrière politique le futur généralde l'armée suisse,
Ulrich Wille. Or, cet exemple n'est pas unique. Car les ramifications
des courants militaires dans la politique et la société civile constituent
l'un des phénomènes importants ayant favorisé l'avènement de la
droite helvétique.
En 1907, avec l'acceptation de la nouvelle organisation de
l'armée,l'espritmilitaire régénéré et renforcé se confirme, tout en ras
surant une bourgeoisie qui craignait son rejet en votation populaire -
comme ce fut déjà le cas en 1895 , lorsqu'un projet de révision consti
tutionnelle de l'armée avait subi un net échec. A leur manière, ces
deux événements témoignent de l'importance prise par les débats sur
l’armée dans la société helvétique de l'époque. En effet,le rappel de la
tradition héroïque des soldats suisses, les discussions au sujet de la
modernisation de l'armée et la défense des valeursmilitaires contre la
critique des pacifistes et des antimilitaristes,marquent profondément
l'esprit public des vingt années qui précèdent la Première Guerre
mondiale. Même les revues culturelles introduisent de longs com
mentaires sur le rôle de l'armée et le sensde la guerre dans les civilisa
tions «avancées». On y trouve bon nombre d'auteurs qui prêchent
l'idée selon laquelle une société quine doit pas faire face à la guerre
est vouée à la dégénérescence physique et à l'affaiblissementmoral.
Cependant,même si ces aspects dominent le discours public
contemporain , il ne s'agit pas ici de rendre compte de l'ensemble de
la politique militaire , ni d'analyser les débats qui l'entourent. Ce qui
importe d'avantage, c'est de souligner le fait que l'armée et ses valeurs
acquièrent, à ce moment-là , le statut d'une religion nationale. Carl
Hilty dira, après l'acceptation de la nouvelle organisation militaire,
en 1907: « L'aspect positif de ce référendum réside dans le fait que le
peuple suisse a retrouvé son âme - qui risquait de se dissimuler dans
l'esprit matérialiste de l'époque - et qu'il lui a permis de mieux
connaître ses ennemis intérieurs» 76. Quant à l'élite bourgeoise, elle
commence à accepter plus facilement l'idée que les militaires forment
un groupe social autonome. Dans ce contexte, une partie des officiers
s'organise quasiment en tant que caste, avec pour objectif l'occupa
tion d'une place privilégiée dans la société civile à l'instar des presti
70
gieuses associations faîtières.Non seulement la Société suisse des offi
ciers, mais aussi la traditionnelle Société mathématique militaire
assument, du moins partiellement, une telle fonction . Dans la vie
publique, l'officier exige de plus en plus impérativement qu'on lui
manifeste un respect particulier, et l’uniforme devient l'expression du
prestige absolu. Lors des débats au Conseil national au sujet de la
nouvelle organisation militaire, une des questions les plus discutées
concernait l'uniformedes officiers. Décider si celui-ci pouvait devenir
un habit de confection au lieu d'un costume fait sur mesure par un
tailleur, telle était l'une des préccupationsmajeures de l'Assemblée -
jusqu'au moment où la première solution fut rejetée par une large
majorité!
A propos du rôle social des officiers, Carl Hilty avance encore
uneautre appréciation. Il est d'avis que la formation d'une élite socia
le militaire est indispensable pour sauver la Suisse:
« C 'est en particulier dans un corps patriotique d'officiers solide
ment soudés, moralement et scientifiquement éduqués, que nous
voyons la garantie la meilleure pour la Confédération actuelle et la
seule solution réelle pour maintenir l'unité nécessaire dans les temps
à venir où tout menace de se disloquer dans les partis. Sur ce rocher
doit se briser ce qui d'ordinaire n 'est pas convenable chez nous. Et
dans ce service [d'officiers),on apprendra et on maintiendra vivant le
sens de l'ordre et de l'utilité pour la vie civile qui est, elle aussi, un
service, pour autant qu'elle soit juste et non un simple arbitraire.
Dans les Etats républicains, le plus difficile, le plus nécessaire, c'est de
bien obéir et de bien savoir donner des ordres. Chez nous,l'armée et
sa juste organisation n'est pas seulement une nécessité politique de
protection contre l'extérieur,mais c'est aussi une part absolument
indispensable de l'éducation publique de notre peuple»77.
Cependant, ces cercles demilitaires et de militaristes - ce dernier
terme apparaît de plus en plus fréquemment dans les articles et
études publiés au cours des années 1890 - ne forment pasune couche
sociale uniforme. Des disputes internes, souvent violentes, les sépa
rent les uns des autres, tout en provoquant des débats houleux repris
par l'opinion publique. Ce climat sera propice à la constitution de
quelques «avant-gardesmilitaires» que nous allons oberver d’un peu
plus près.
71
En 1903,la presse critique violemment ce groupe d'officiers appelé
l’Hydre qui, sans être une formation systématiquement organisée, s'est
emparé d'une partie de l'administration militaire. D 'autres hauts gra
dés se démarquent déjà depuis quelques années en défendant à la fois
des privilèges de classe et, par rapport aux soldats, le principe d'une
discipline rigoureuse et d'une obéissance aveugle. L'impact de ces
cercles ne se répercute pas seulement sur le Départementmilitaire,
mais il prolonge également cette conception militariste au sein de
l'élite de la droite. Tout comme celle-ci, ces courants d'officiers identi
fient l'ennemiautant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays. Par consé
quent, ils estiment nécessaire de préparer l'armée à des interventions
dans les conflits sociaux. Sous prétexte d'entraînements au maintien
de l'ordre public, certains commandants organisent des exercices
« anti-grèves» qui irontmême jusqu'à susciter la critique des journaux
bourgeois78. Envisagés dansun contexte plus général, les cercles d'offi
ciers et les gardes civiques préparent le champ pour le recrutement du
bras arméde la nouvelle droite, tel qu'il se manifestera dans les années
20 au sein de la Ligue patriotique suisse. Pour compléter ce tableau de
la droite militaire, force est de signaler encore l'existence de réseaux
reposant sur des liens familiaux. LesWille-Schwarzenbach -von Erlach
par exemple, fort bien décrits par Nicolas Meienberg79, forment
l'alliance classique de la droite mondaine autour de 1900: celle du
guerrier,du patron de l'industrie, et de l'aristocrate.
«Les corporations estudiantines et la carrière d'officier fonction
nent», ditGruner, « en tant que sélection pseudo-féodale, à l'instar du
modèle allemand». Et quelques pages plus loin , il ajoute: «L'imitation
de formes féodales et monarchistes était considérée commela maladie
de l'armée de milice» 80. Dans ce sens, on ne saurait omettre un bref
regard sur certaines formes de sociabilité estudiantine, en plein épa
nouissement au moment de l'avènement de la nouvelle droite.
Charles Gilliard, il y a fort longtemps déjà , avait épinglé demanière
très lucide les signes de cette évolution particulière: «Les habitudes
bachiques et les rites étrangers tels qu'ils sont imposés par ce véritable
code qu'on appelle le Comment, voilà ce qui était devenu la préoccu
pation essentielle de beaucoup. Conséquemment était né un esprit de
classe: les étudiants appartenaient à une sorte de caste, ayant ses
moeurs et ses usages spéciaux , et quise tenait volontairement à l'écart
de la masse de la nation . C 'était un mal grave et qui ne faisait
qu'empirer, quelque chagrin que les meilleurs en eussent. Il s'étendait
même aux sections romandes, où, avec un zèle de néophytes, on attri
buait à des usages moyenâgeux une importance exagérée et
ridicule» 81.
En effet, en introduisant le Comment et l'esprit des corporations
nationalistes allemandes, en acceptant formellement le duel, en
excluant pour des raisons racistes les Juifs, en ritualisant, lors de soi
rées et beuveries, une discipline pseudo-militaire et des principes
d'obéissance aveugle, certaines sociétés d'étudiants constituent sans
aucun doute des foyers complémentaires aux cercles d'officiers réac
tionnaires82. Avides de se battre, ceux-ci forment potentiellement les
composantes essentielles des gardes civiques. C 'est aussi dans ces
milieux que l'idéologie de la nouvelle droite rejointles discours pseu
do-scientifiques conformes à ses propres valeurs. Les théories vulgari
sées de Nietzsche,Darwin, Chamberlain et Spengler, discutées lors de
tables rondes où dominent la bière et la « grande gueule », font l'objet
d'une sorte de séminaire à l'usage de l'avant-garde réactionnaire. Les
pratiques hiérarchiques de la corporation , ainsi que les nouvelles
approches d'une dite pensée scientifique, ont constitué par exemple
pour un Eugen Bircher (que nous retrouvons plus tard dans l'analyse
des cercles de l'extrême droite), la trame fondamentale de son imagi
naire social etpolitique. Certes, ces courants de la droite ne sont que
rarement majoritaires, mais dans cet amalgame de patriotisme et
d'intellectualismedépourvusderaison critique, le nouveau discours, à
la fois réactionnaire etmoderne, s'épanouit avec un certain succès.
Chez les catholiques-conservateurs, l'idée contre-révolutionnaire
ou, en d'autres termes, la stratégie politique antilibérale et antisocia
liste, était l'acquis « naturel» de la majorité des organisations. Les
notables et les cercles catholiques se référaient donc, en règle généra
le,à un programme reposant sur les valeurs d’Ancien Régime et sur la
tradition de la vieille Suisse. Dans un discours consacré aux pro
blèmes de l'éducation nationale prononcé devant le Conseil des
Etats, Georges de Montenach résume très bien l'attitude à la fois
réactionnaire et « révisionniste» de la droite catholique: « Qu'on
abandonne également ce sentimentalisme romantique qui, sous le
prétexte de célébrer la Révolution française et de rattacher nos insti
tutions aux immortels principes de 89, nous montre la liberté, l'égali
té, la fraternité sous un aspect qui n'est pas suisse, sous un jour quine
correspond nullement aux réalités denotre évolution historique» 83.
Cependant ces réflexions, prises en charge par l'ensemble du
conservatisme catholique, ne dévoilent pas la pratique politique
«contre-révolutionnaire» effective. Il est vrai aussi que l'activité
publique de la droite catholique n 'utilise pas exactement les mêmes
moyens que les Bürgervereine. Pourtant, danscemilieu, on voit émer
ger des cercles souvent informels quidéveloppent un zèle et une men
talité fort proches de ceux des avant-gardes de la nouvelle droite non
catholique.
On trouve sans doute un tel créneau à Fribourg, au numéro 13 de
la Grand-Rue. Ce «No 13» - c'est ainsi que le langage populaire dési
gnait cette institution - représente le centre nerveux et le poste de
commandement de la force politique du régime de Python. Il s'agit de
l'Oeuvre de Saint-Paul, une officine de la presse catholique fondée,
comme on l'a déjà vu, en 1873 par le chanoine Schorderet. Lors de
son arrivée au pouvoir,Georges Python s'empare rapidement de cette
précieuse entreprise. Du «No 13», il fait le centre dynamique de la
nouvelle droite catholique. Les publications, comme par exemple La
Liberté et L'Ami du Peuple , sont mises entièrement au service des
objectifs pythoniens. Quatre hommes - deux laïcs et deux ecclésias
tiques - dirigent la centrale. A sa tête se trouve le rédacteur en chef
de La Liberté, Jean -Mamert Soussens, surnommé le « père du men
songe». A son côté travaille l'autre laïc de choc, Pie Philipona, long
temps correspondantde la presse catholique à Berne. Quantaux deux
ecclésiastiques, il s'agit des abbés Jean Quartenoud et Raphaël
Horner84. Or, petite anecdote non sans intérêt pour notre propos,
cette imprimerie fonctionne parfois au moyen de rapports de force
directs. Pour contrecarrer par exemple les revendications des
employés typographes, on les licencie et, à leur place, on met au
plomb des jeunes filles «honnêtes» dont le travail estmoins payé et le
caractère plus docile. Schorderet avait lui-même recruté ces nouvelles
employées modèles dans un pensionnat des Ursulines dont il était le
directeur. Formées à Lyon , on les a installées, après leur retour à
Fribourg, dans une communauté étroitement surveillée par des reli
74
gieuses. Tenant compte du fait que la droite catholique n 'accorde en
général aux femmes qu’un statut social « privé» , cette démarche
étonne quelque peu.
Mais au delà de la propagande diffusée par sa presse, le «No 13»
influence largement la sociabilité fribourgeoise, voire une grande par
tie de la Suisse catholique. Il a notamment la main sur l’Union gou
vernementale, une organisation appelée par ailleurs la « franc-maçon
nerie noire», qui tente de quadriller les communes du canton et de
contrôler, si possible, les élections et les votations. Des hommes de
confiance - établis dans les communes comme agents - travaillent en
secret et sont directementreliés à la centrale «No 13».
Contrairement aux Bürgervereine et aux gardes civiques, le
«No 13» n'est pas parallèle ou marginal, mais il se trouve au centre
même du pouvoir politique et de l'Etat. Il s'agit donc, en l'occurence,
d'une véritable «avant-garde institutionnelle». Ce qui n'empêche
nullement que ses activités échappent aux règles démocratiques et
que ses buts, reliés aux autorités ultramontaines les plus intransi
geantes, s'inscrivent tacitement dans une politique contre-révolu
tionnaire.Mais, plus important que l'orientation idéologique, c'est
me semble-t-il ses modes d'intervention qui lui donnent un profil
caractéristique: monopole de presse, discrétion du centre nerveux de
l'organisation et mise en scène quasiment théâtrale de sa politique
rénovée. Dans l'ensemble, une activité qui, comme celle des gardes
civiques, sort largement des voies officielles du système politique
démocratique traditionnel.
Cette émergence de formes neuves et diversifiées obtient un cer
tain succès auprès de la jeune génération. Prenons en guise d'exemple
Jean Baptiste. Rusch (1886 - 1954 ), un jeune Appenzellois issu du
milieu paysan et élève spirituel de Kaspar Decurtins. Rusch fréquente
tout d'abord un grand nombre d'écoles catholiques à Stans, à Altdorf,
à Zoug et au Monastère de Disentis. Ce sont les maîtres de cemonas
tère qui lui inspirent sa vocation professionnelle de journaliste.
Encore gymnasien , il fait paraître ses premiers articles dans la presse
catholique. En 1909, il entre comme professionnel au Sarganserländer,
une feuille locale des catholiques ultramontains. De 1911 à 1917, il
dirige l’Aargauer Volksblatt, un journal qui appartient également à la
droite catholique. Après la guerre, brandissant un patriotisme popu
75
liste exalté, Rusch essaie de lancer ses propres mouvements poli
tiques. Hostile au système des partis traditionnels, il croit la Suisse
sérieusement menacée par les influences étrangères, capitalistes et
juives. Et c'est aux classes moyennes, à la petite bourgeoisie et aux
ouvriers demeurés patriotes, qu'il fait appel pour créer une Ligue
républicaine suisse (Vereinigung Schweizerischer Republikaner), ainsi
qu'une Jungschweiz - une organisation élitaire et semi-clandestine.
Ces mouvements n'ont pas connu une grande fortune, mais Rusch,
grâce à son journal intitulé les Republikanische Blätter, continue son
activité politique, non sans un certain impact sur les milieux de la
droite. Il est aussi vrai que Rusch, une personnalité non conformiste
et pour cette raison souvent en opposition avec lesdogmatiques de sa
propre famille politique, défend de temps à autre des positions quasi
libertaires. Parfois très violent verbalement,il s'en prend directement
aux représentants du pouvoir et au capitalisme industriel. Quant à
son attitude antisémite, il l'abandonnera après la prise du pouvoir de
Hitler .
Ce qui est typique chez Rusch - et révélateur des changements
qui s'opèrent dans les mentalités et les pratiques politiques de
l'époque - c'est l'attitude moderniste de son militantisme politico
journalistique. L'un de ses professeurs à Disentis, le père Maurus,
l'avait vivement incité à devenir «un prêtre de la plume» et à se ser
vir du journalisme pour développer une politique en dehorsdes cadres
habituels. Son métier, Rusch le conçoit ainsi: « En tant que rédacteur,
je suis un soldat. La plume est mon fusil. Elle me sert pour aider la
patrie»85. Une de ses premières expériences dans ce sens tient à sa
collaboration à la Schildwache am Jura, une feuille de combat des
jeunes catholiques, fondée par Otto Walter et Kaspar Decurtins. Se
référant au programme de Pie X, la Schildwache avait inauguré une
activité politique «moderne» à l'intention de la jeunesse. Quant à
Rusch , il va combiner les dogmes de la droite catholique avec l'image
d'un Etat suisse «naturel», fondé sur les liens invisibles d'une authen
tique race helvétique. Pour justifier ses théories politiques et son pro
jet d'une réforme de l'Etat, il utilise délibérément les mythes et les
légendes de l'histoire suisse .
C'est par Genève que je veux conclure ce petit tour d'horizon de
la Suisse réactionnaire. Ici, la nouvelle droite apparaît - comme il se
76
doit pour une cité aux aspirations internationales - assortie d'un petit
air mondain . C 'est dans le champ élargi de l'Action française qu'elle
se situe, dans la proximité de Maurras et de Barrès, et elle s'exprime
de préférence au niveau élitaire des revues culturelles et littéraires.
L'une d'entre elles, Les Idées de demain , comporte un passage qui
forme unebonne introduction à la pensée de cette droite genevoise:
«Le nationalisme cantonal vexé par une tendance centralisatrice
et unificatrice, les traditions confédéralistes abandonnées, le culte de
la démocratie poussé jusqu'à la superstition, la démocratie elle-même
devenue, par le fait de ce culte, outrancière et despotique, les prin
cipes de la Révolution partout acceptés, les religions nationales
inégalement traitées, les aristocraties suspectées, la médiocrité de
mise, la politique nationale, extérieure et intérieure, privée de toute
idée directrice élevée et un peu partout le règne del'incompétence -
tout cela a créé cet état d'esprit individuel dont il vient d'être ques
tion » 86.
Or,la revue Les Idées de demain a été fondée à la suite de l'éclate
mentde La Voile latine lancée en 1904 par Adrien Bovy, Alexandre et
Charles- Albert Cingria , Charles Ferdinand Ramuz et Gonzague de
Reynold . A ce groupe s'était joint en 1906 un jeune homme très bar
résien , Robert de Traz, qui en prend la direction . Issus des classes
aisées, ces jeunes gens appartiennent en majorité à la mouvance de
l'extrême droite, et cela même si leurs passions respectives les divi
sent fréquemment. Une violente querelle intervient notamment
entre les frères Cingria et Gonzague de Reynold pourtant idéologi
quement très proches, puisque tous trois acquis aux idées deMaurras
et de l'Action française. Mais ce seront justement les démarches de
Gonzague de Reynold dans le cadre des manifestations de l'Action
française à Paris qui vont provoquer la colère des Cingria. Ces der
niers réagissent en sabotant La Voile, et tentent de la remplacer tout
d'abord par La Voix clémentine, puis par Les Idées de demain - ajoutant
à cette dernière le sous-titre de «bulletin du groupe franco-suisse de
l'Action française». Le groupe lui-même est fondé en décembre 1910
à Lausanne. Gonzague de Reynold et Robert de Traz, de leur côté,
créent Les Feuillets, une revue à caractère culturel mais qui, en fin de
compte, se profile largement comme feuille de combat dans le sillage
du Maurrassisme87. Autour de ces deux courants idéologiquement
77 .
jumelés se développe toute une vie culturelle dotée d'un impact poli
tique considérable. Dans un premier temps, c'est cet aspect que je
voudrais examiner d'un peu plus près.
En Suisse romande, on constate tout d'abord que l'antisocialisme
est tellement évident qu'il ne fait même plus l'objet d'un discours
explicite. Tous les principes issus de la Révolution étant rejetés, le
socialisme n'apparaît plus que comme l'une des conséquences néfastes
du libéralisme et de la société moderne. « La Révolution », explique
William Martin , collaborateur aux Feuillets, « a lancé dans le monde
une grande idée, l'individualisme, du moins c'est elle qui lui a donné
une valeur pratique. L'individualisme a produit, par une évolution
logique, le libéralisme, et tout deux ensemble ont créé le désordre ».
Plus loin , Martin affirme encore: «Le socialisme est un élément de
désordre dans un Etat libéral...». Or le retour à l'ordre, l'un des grands
chevaux de bataille de la nouvelle droite ,devrait se réaliser grâce à « la
philosophie politique moderne» , c'est-à-dire par un retour à l'Ancien
Régime88.
Gonzague de Reynold est le premier à revendiquer sans cesse cet
Ancien Régime, « cette Suisse religieuse,héroïque, créatrice de tant
de génie et tant d'art», mais gâtée jusqu'à la rendre inhabitable par la
démocratie89. Cette fois, le mot est tombé: c'est la démocratie , objet
de haine, qui est la cause de tous les maux. De fait, chaque réflexion
autour de la renaissance nationale et de la nouvelle culture helvé
tique présentée par la jeune droite de la Suisse romande converge
vers une critique acerbe, voire un rejet violent de la démocratie libé
rale. Et demanière réitérée, cette dernière est mise au pilori:
«La Démocratie n 'a pas tenu et ne pouvait tenir ses promesses. Elle
est viciée dans son originemême, quiest la Révolution française. Son
égalité factice, contraire aux exigences et aux lois de la vie elle
même, devait aboutir forcément à la tyrannie du nombre , au règne
desmédiocres, à la brutale centralisation , à l'Etatisme. Ne reconnais
sant, par principe, aucune supériorité, la démocratie est par le fait
même l'adversaire de toutes les élites: l'élite intellectuelle et morale
aussi bien et même davantage que ces aristocraties de naissance
qu'elle a supprimées...» 90. Or ces propos, que l'on peut qualifier de
réactionnaires, ne sont pas le résultat d'un dérapage occasionnel.
Gonzague de Reynold répète le même type de discours à satiété, et la
démocratie ne cesse d'être au centre de ses accusations, comme c'est
le cas par exemple dans un article publié dans Wissen und Leben91,
une revue au ton généralementassezmodéré.
DansLes Idées de demain, on fait encore moins dans la dentelle et
on annonce clairement la couleur: « S 'il y a une idée que nous
excluons de notre programme contre-révolutionnaire, c'est à coup sûr
celle du suffrage universel»92. Plus tard,relatant des propos tenus par
Alexandre Cingria , Gonzague de Reynold confirmera l'état d'esprit
qui régnait alors dans ce milieu d'intellectuels: «Il me répondit que
nous n'avions plus le droit d'être indifférents, qu'il fallait engager la
lutte contre la démocratie et les idées de la révolution française, et
que le maître à suivre avait nom Maurras. Il venait de recevoir le
coup de foudre et je le reçus après lui» 93.
Au delà des discours dans les revues et les journaux - la Gazette de
Lausanne offrira volontiers ses pages aux chantres de cette jeunedroi
te -,l'équipe deGonzague de Reynold entame une initiativepolitique
concrète. En effet, en collaboration avec Robert de Traz et Alexis
François,Gonzague de Reynold organise, en janvier 1912, la réunion
d'un groupe de jeunes gens pour fonder, sous le nom de Pro Helvetica
Dignitate et Securitate, un mouvement nationaliste plus ou moins
secret. Un de ses membres, Richard Bovet, contacte Ernst Laur à
Berne et l'incite, avec succès, à organiser un groupe semblable en
Suisse alémanique. Par ailleurs, un certain nombre de Zofingiens
adhèrent au mouvement, rapprochant ainsi cette société d'étudiants
de ce nouveau cercle. Le fait que dans l'Entre-deux-guerres les
Zofingiens vaudois formeront le noyau dur d'une droite proche des
idées fascistes n 'est donc pas dû au hasard.
Gonzague de Reynold , qui tente de contrôler autoritairement Pro
Helvetica Dignitate et Securitate, dissimule un peu l'aspect antidémo
cratique de son programme en l'enrobant de déclamations patrio
tiques et mythiques. Pourtant, certains observateurs critiques recon
naissent facilement l'inspiration primitive de sa démarche. « C 'est
tout de même», avance l'un d'entre eux, « d'abord du nationalisme
suisse, c'est-à-dire quelque chose d'inspiration ou si vous voulez
d'influence française. Si M .Barrès vivait en Suisse, il reconnaîtrait en
vous, en Robert de Traz et en quelques autres les serviteurs de ses
meilleures idées» 94. Pro Helvetica se moulera finalement dans la
Nouvelle Société Helvétique, créée le 1er février 1914 à Berne.
Quant à Gonzague deReynold,il prolongera son engagement «helvé
tique» en qualité de chef du Bureau de conférences de l'état-major
général,une section de propagande de l'armée. Il aura sous ses ordres
l'historien William Martin et l'écrivain Robert Faesi. C 'est dans cette
expérience que ce dernier puisera l'imaginaire social de sa petite nou
velle intitulée Le Fusilier Wipf,un récit publié pendant cette collabo
ration . Discipline et camaraderie viriles structurent et fondent cette
histoire en tout pointconforme à la sensibilité de droite. A la fin des
années 30 et durant la DeuxièmeGuerre mondiale, grâce à une adap
tation fort habile pour le cinéma, cette nouvelle tiendra lieu de gran
de épopée de la Défense spirituelle95.
Si le titre de ce chapitre parle d' «avant-gardes», c'est pour signa
ler que les courants de la droite passés en revue danscette partie-ci se
distinguent du conservatismerévisé par une vocation particulière. En
effet, l'une des caractéristiques communes à cette aile de la droite
conservatrice réside dans son attitude résolument «moderne» , une
disposition propre à cette nouvelle sensibilité sociale qui émerge aux
alentours de 1900 . Car il faut constater qu'elle se donne souvent un
air contestataire , réfractaire , voire frondeur ou révolutionnaire . Et sa
démarche aux accents de radicalité vise vraisemblablement une rup
ture avec la tradition récente de la culture politique. De plus, cette
apparence révolutionnaire se confond même parfois avec celle d'une
partie du radicalisme de gauche ou de l'anarchisme culturel.
Cependant, force est de souligner que ces avant-gardes de la droite
puisent dans le même fond que les nouveaux conservateurs. Ses
représentations sociales, en effet - qui font appel aux modalités de
l’Ancien Régime et aux mythes d'une Suisse prérévolutionnaire -
reposent en premier lieu sur la conception d'un nouvel ordre hiérar
chique. Ce dernier est censé accorder aux élites une autorité impéra
tive qui impose des valeurs religieuses ou nationalistes, et tend à pri
vilégier les classes moyennes tout en les protégeant contre l'avène
ment du prolétariat. Ce qui signifie, pour le résumer d'une autre
façon , que le système démocratique et le libéralisme - des éléments
fondamentalementopposés à son idéologie - doivent être éliminés.
S'il est vrai que cette lutte peut compter sur un appui tacite du
conservatisme révisé, elle a cependant besoin d'une force dynamique
80
pour être menée à terme avec succès. Et celle-ci se trouve justement
dans l'avant-garde de la nouvelle droite qui préconise plus ou moins
ouvertement la contre-révolution. Pour d'autres,moins acquis à cette
pensée historique, la force contre-révolutionnaire exprime simple
ment la lutte moderne des élites sociales pour un pouvoir autoritaire:
une lutte qui, conforme aux règles du social-darwinisme, permettrait
aux meilleurs de survivre.

81
6 . Luttes de classes aristocratiques

«Une grève générale est un crime comparable à l'insurrection; il


exige en tant que réponse l'étatde siège (l’armée)» 96 .
Cet avis tranché de Carl Hilty correspond à une opinion large
ment répandue dans les milieux bourgeois. Quant à la nouvelle droite,
elle l'intègre en tant qu'élément constitutif de son idéologie et de son
combat. Concrètement, il ne s'agit de rien d'autre que d'une procla
mation ouverte de guerre civile. Le conflit social généralisé - engendré
par le capitalisme industriel, l'urbanisation et les contradictions entre
classes sociales - n'est dès lors plus discuté dans son contexte politique
ou économique,mais directement transféré sur le champ militaire.
Or, c'est dans l'Europe entière que les armées sont mises au front
lors des grèves. De façon de plus en plus évidente, elles se manifestent
comme le seul rempart du pouvoir bourgeois. Et parfois, comme ce fut
le cas en 1898 àMilan, un général fait tirer à coups de canons lourds
sur une population en effervescence, provoquant ainsi la mort de 80
personnes et en blessant 450 autres. Pour ce haut fait, le roi d'Italie
en personne récompensera le général en luidécernant l'une des plus
prestigieuses distinctions honorifiques.
Durant la première décennie du 20e siècle, le nombre des conflits
du travail, qui n'a cessé d'augmenter, atteint son apogée. Et la liste
des affrontements du type de celui de Milan est presque interminable.
Envisagée dans cette perspective, la Première Guerre mondiale
devient, au -delà d'une lutte entre puissances impérialistes, une guerre
civile des forces réactionnaires contre les mouvements ouvriers à
l'intérieur de chaque pays - y compris les non -belligérants. Or la
guerre, les interventions armées et les grèves, ne font qu'exprimer de
façon paroxystique la grande contradiction sociale quimarque, avec
l'avènement du socialisme, le tournant du siècle. En effet, les partis
socialistes sont en train de gagner en influence et de multiplier leur
représentation dans les parlements des pays européens économique
ment les plus importants. Etilne semble pas exclu que,à court terme,
cette évolution les porte à obtenir desmajorités parlementaires dans
l'un ou l'autre de ces pays. En Suisse, certes, les députés socialistes
sont encore fortement minorisés;mais la croissance du nombre de
sièges conquis par la gauche est impressionnante. Et dans certains
centres urbains, cette dernière est proche de s'imposer. Dans les
milieux bourgeois, on est très frappé et inquiet du dynamisme socio
culturel des Unions ouvrières citadines. Des monuments inédits,
appelés Maison du Peuple, investissent l'espace public et semblent
faire pièce au traditionnel Hôtel de Ville. Parfois, comme à Berne, la
façade est réalisée en béton, une technique récente qui exhibe une
nouvelle forme esthétique. Et derrière leurs murs, s'organise et se
développe une sociabilité prolétarienne très vivante et très riche en
initiatives culturelles. De même, la propagande de la gauche pour les
élections se saisit des moyens les plusmodernes et, pour la première
fois, les votations mobilisent presque toute la population . La démo
cratie risque de devenirréellementpopulaire.
Dans ce contexte, la multiplication des grèves représente pour la
bourgeoisie non seulement l'épouvantail atroce des conflits sociaux,
mais égalementune véritablemenace de la civilisation bourgeoise par
la force ouvrière. L'évolution des conflits ne semble que confirmer la
gravité de cette confrontation fondamentale. Après les grèves géné
rales deGenève (1902) et Vaud (1907), l'Union ouvrière de Zurich
déclenche à son tour,le 12 juillet 1912, une grève générale d'un jour.
Une fois de plus, il s'agit d'un conflit du travail qui se transforme en
affrontement entre autorités politiques et mouvement ouvrier. Or, la
discipline et l'organisation exemplaires des grévistes donnent à cette
action une gravité inattendue.Les patrons, choqués, répondentpar le
lock-out, alors que le Conseild'Etat fait occupermilitairement la ville
quiplonge dans un calme insolite. Aucun incident particulier ne sera
à signaler. Cependant, Leonhard Ragaz, professeur de théologie à
l'Université et leader des sociaux-chrétiens, décrit ainsi l'atmosphère
qui règne alors: « Sur ce silence plane le démon de la guerre civile .
Cet acte de la bourgeoisie aura des conséquences graves»97.
Sur cette situation conflictuelle et l'avènement d'un état d'esprit
résolument antisocialiste, on pourrait écrire un long chapitre. Car ce
comportement, qui marquera profondément la politique du 20e
siècle, n'est pas seulement l'acquis spécifique de la droite réaction
83
naire,mais constitue un élément idéologique décisif qui va permettre
au bloc bourgeois de se souder. Pour les radicaux et les libéraux, à qui
une orientation claire faisait de plus en plus défaut, l'antisocialisme
agit comme un ciment pour la fabrication d'une nouvelle doctrine de
combat. Carl Hilty, par exemple, ne se contente pas seulement de
pourfendre les socialistes de toutes sortes de griefs,mais il annonce
régulièrement à hue et à dia la fin définitive de la pensée marxiste.
Par cesdémarches, les radicaux convergentdemanière idéale avec la
préoccupation primordiale des catholiques qui voient dans le socia
lisme l'une des plus grandes hérésies de l'époque moderne98. Quant
aux libéraux-conservateurs, ils se contentent souvent d'épingler des
faits isolés concernant l'attitude des socialistes, et déversent sur cet
adversaire une critique simpliste et moralisante. Le Journal de la
Société vaudoise d'utilité publique, quant à lui, ne cesse de fustiger les
«horreurs que les socialistes, les anarchistes et tant d'autres ennemis
du bien public publient chaque jour pour bouleverser les bases du
corps social, pour détruire la vie de famille, pour dérober à tous les
hommes la paix de l'âme, pour les rendre tous mécontents de leur
sort, et pour semer la haine entre les hommes», et préconise comme
remède de «revenir au travail honnête,modeste, consciencieux , labo
rieux, sur lequel repose la bénédiction de Dieu...» 99
Dans ce sens, ilconvientde relever que le socialismen'est pas pris,
comme il se devrait en démocratie, comme une idée programmatique
digne d'être discutée ou controversée. Mais, de manière abrupte, on
tente tout simplement de le rapprocher d'intentions criminelles. Ce
mêmeprocédé avait par ailleurs fait ses preuves dans la première moi
tié du 19e siècle, lorsque les radicaux l'avaient appliqué envers les
catholiques et les Jésuites afin de les diaboliser. Et si l'objectif change,
la méthode de stigmatisation reste identique. Afin de mieux dénigrer
les socialistes, on construit un amalgame insolite dans lequel ils sont
confondus avec les anarchistes, eux-mêmes visés en tant que terro
ristes. Ainsi le Bund parle, en se référant aux événements de la
Käfigturm de 1893, d'une «société de terroristes et d'auteurs d'attentats
(Attentäter)100». En 1912, encore avant la grève générale de Zurich,
Eduard Sulzer-Ziegler instrumente un procès substantiel contre le
mouvement ouvrier en dénonçant les grèves comme des actes crimi
nels: «On devrait être enjoint par la raison à déclarer punissable toute
84
tentative visant à troubler le mécanisme de la société, et à traiter les
instigateurs des troubles comme desmalfaiteurs tout à fait communs,
voire commedes criminels; et l'on en viendra certainementlà lorsque
l'opinion publique aura été suffisamment instruite par unemauvaise
expérience. Mais l'hypnose que provoque l'hérésie socialiste est
aujourd'hui si grande, que plus personne ne s'élève contre de tels cri
minels; on se résigne à les laisser impunis et on ne met pas les cou
pables devant leur responsabilité. [...] Les grandes oeuvres que l'esprit
humain a inventées et aménagées pour le bien -être de l'humanité sont
paralysées par quelques individus brutaux,sans conscience et privés de
tout sentiment de responsabilité. On ne s'indigne plus et, au lieu
d'agir énergiquement, on reste commeune poule hypnotisée devant le
trait de craie et on s'incline devant le «droit de grève» !» 101
Cette façon d'amalgamer grévistes et malfaiteurs va même s'impo
ser dans la juridiction du pays. Avec la création de la Police fédérale
en 1889, mise en place sous le prétexte de mieux contrôler les fau
teurs de troubles étrangers, la Confédération s'apprête immédiate
mentà quadriller le mouvement ouvrier suisse. En 1894, par le biais
d'une loi fédérale concernant les crimes à l'égard de la sûreté
publique,le contrôle des socialistes et la surveillance de la criminalité
politique sont confondus. Anarchistes, terroristes et sociaux -démo
crates, tous épinglés comme délinquants, sont mis en carte sans dis
tinction dans le même fichier.
En connotant une activité politique par une prétendue criminali
té - en l'occurrence celle des socialistes - on met en place un proces
sus bien connu, appelé «stigmatisation » par Erving Goffman qui l'a
fort bien analysé102. Nous retrouverons la mention de cette tactique
dans le chapitre suivant quitraitera du racisme de la droite.Mais
j'aimerais déjà signaler ici l'existence d'une autre combinaison, tout
aussi fameuse et largementutilisée, à savoir celle qui conjugue antiso
cialisme et antisémitisme. Un assemblage qui débouchera plus tard
sur la formule de «judéo-bolchévisme». Décrivant la situation poli
tique à Zurich , un pasteur déclare en 1912 lors de l'assemblée généra
le du Cercle suisse français: « On voit, en particulier, se développer
chez nous la propagande du socialisme international et de la libre
pensée agressive. L'élément sémitique, quia augmenté de 55 % depuis
1900, y contribuedans une large part»103 .
85
Vers 1900, l’antisocialisme est devenu ordinaire et quotidien ; il
appartient désormais à l'ambiance générale de la vie politique. Dans
un rejet catégorique, la gauche est même qualifiée de profondément
« kulturwidrig», c'est-à-dire comme fondamentalement opposée aux
valeurs culturellesdu pays104. A cela s'ajoute occasionnellement une
réflexion plus ou moins théorique quine se contente pas seulement
de blâmer le socialisme,mais intègre un discours plus général sur la
politique sociale de la bourgeoisie. Une critique plus globale vise par
ticulièrement l'« Etat social», une conception fortement préconisée
par l'aile gauche des radicaux. En prétendant que ce projet est iden
tique à la programmatique des socialistes, la droite bourgeoise bloque
toute alternative allant dans le sens d'une politique sociale - dans
l'acception large du terme. La revue Wissen und Leben, représentative
de ce nouvel esprit critique, publie en 1911 un long article intitulé
« Contre l'Etat social» 105. Dans ce texte, les principes du libéralisme,
le matérialisme, et en fin de compte l'Etat des radicaux, y sont forte
ment attaqués. Pour l'auteur, tous ces courants convergent vers le
socialisme, doctrine à laquelle il oppose un plaidoyer pour l'indivi
dualité chrétienne et la suprématie de l'élite bourgeoise.
Ce mode de penser est similaire à celui d'un grand patron de
l'industrie, Eduard Sulzer-Ziegler106, dont les luttes politiques s’ali
mentent à un antisocialisme souvent virulent. Cependant, ce qui
m 'intéresse davantage dans la vision politique de cet homme influent,
c'est le bricolage philosophique qui la nourrit, ainsi que l'imaginaire
social qui la structure. Car Sulzer-Ziegler, à partir d'une remise en
question de la théorie économique de Marx - dans laquelle il intro
duit à son tour une sorte d'esprit socio -religieux - fonde une doctrine
qui légitime la mission sociale de l'entrepreneur du 20e siècle. Celle
ci porte sur l'idée qu'il existe une élite sociale suprême, investie de
l'autorité de Dieu. Le pouvoir d'une classe dominante, en l'occurren
ce celle des entrepreneurs, est ainsi justifiée par l'ordre divin. Des
propos identiques sont formulés,de façon simpliste, mais fort adéqua
te, par le Journal de la Société vaudoise d'utilité publique: «L'économie ,
c'est l'ordre divin dans la société humaine» 107.
Mais Sulzer-Ziegler pousse encore plus avant sa logique. A cette
légitimation de la supériorité des patrons, il superpose encore un dis
cours scientifique particulier. Acquis à la technique moderne, il voit
86
une équation entre la croissance de la productivité industrielle et le
progrès de la civilisation tout court. Dans cette évolution, l'entrepre
neur moderne, qui seulmaîtrise ce processus, est d'office prédestiné à
un rôle dirigeantdans la vie politique et sociale. De surcroît, Sulzer
Ziegler incorpore à son système philosophique le darwinisme social,
une théorie très en vogue à l'époque - notamment chez ses amis
entrepreneurs de la droite allemande. La «lutte pour la survie », argu
mente Sulzer-Ziegler, a élevé les entrepreneurs à la position d'une
avant-garde sociale. Cette élite n 'est pas seulement indispensable
pour l'épanouissement de l'économie moderne,mais elle représente
l'unique force sociale capable de sauvegarder l'Etat, ainsi que la poli
tique et la culture bourgeoises, affirme-t-il. Ce patron de choc, par
conséquent, se méfie des droits démocratiques qui tendent à res
treindre le rôle dominant des élites «naturelles» .Dans ce sens, il pré
conise que le pouvoir politique soit pris fermement en main par des
hommes forts. Lui-même n'hésite d'ailleurs pas à se comparer à la
«Wikinger-Natur», une sorte d'archétype du surhommenordique108.
Gardons-nous cependant de considérer Sulzer-Ziegler unique
ment comme le modèle du patron réactionnaire. Son admiration
pour la technique, son énergie de pionnier dans la construction de
grands ouvrages - il dirige le percement du tunnel du Simplon -, une
adaptation aux transformations quimarquent l'aube du 20e siècle et
qui est liée à sa maîtrise des nouveaux moyens d'organisation et de
communication , font de ce patron une personnalité aux facettes
apparemment contradictoires mais justement très moderne. Dans son
entreprise , il va jusqu'à introduire une certaine politique sociale et
même des conseils ouvriers - à condition bien sûr que ses employés
s'abstiennent d'adhérer aux syndicats et au socialisme.
Les aspects souvent contradictoires de la personnalité de Sulzer
Ziegler, ainsi que la petite phrase trouvée dans le Journal de la société
vaudoise d'utilité publique: « L'économie , c'est l'ordre divin dans la
société humaine», me donnent l'occasion de relever l'un de ces paro
doxes propres à la pensée de la nouvelle droite. En effet, comme nous
le voyons par exemple chez Sulzer-Ziegler, des intérêts primordiale
ment matériels et une pensée «positiviste» dirigent largement son
activité politique et économique. Pourtant, son discours idéologique
est trempé de valeurs spirituelles considérées comme « suprêmes» et
vilipende l'état d'esprit matérialiste de la société contemporaine. En
principe, ces deux discours ne concordentnullement.Mais cette droi
te, de manière tacite, refuse la contrainte des rapports de causalité qui
sont à la base de la pensée rationaliste. Raison pour laquelle elle peut
assumer, sans autre forme de procès, cette incompatibilité et cette
inconséquence.
Ce mélange entre modernisme et idéologie réactionnaire - le
paradoxe dynamique de la nouvelle droite - ne manquera pas de
séduire la jeunesse de 1900. A titre d'exemple ,je propose de ponctuer
quelques éléments du parcours biographique d'Eugen Bircher (1882
1956 ), le fils du directeur de l'hôpital cantonal d'Aarau. Dans le cha
pitre 4 (Maîtres, intellectuels et patrons), je n'ai pas parlé de ce per
sonnage, car il appartient, par rapport à son activité et à son rayonne
ment politiques, à la génération del'Entre-deux-guerres. Haut officier
paré du grade de colonel-divisionnaire, écrivain militaire, président
de la Ligue patriotique suisse, Conseiller national du Parti des pay
sans, artisans et bourgeois et chef - comme son père - de l'hôpital can
tonal, Bircher est indéniablement une personnalité publique de pre
mier plan . Politiquement, et en dépit de son activité gouvernementa
le, il appartient à l'extrême droite. Pour lui, l'avènement de Hitler au
pouvoir signifie «un acte salvateur pour la culture de l'Europe du
centre109» . Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, il dirigera des
missions militaro -médicales sur les fronts de l'Est, au service de
l'armée allemande. Après la chute du nazisme, Bircher continuera
sans accroc sa carrière politique, et aucune justification ne lui sera
demandée sur ses activités passées.
C 'est comme gymnasien encore que, sur sa propre demande,
Bircher entre prématurément à l'école de recrue. En 1901, lors des
examens de maturité, il se présente en uniforme de caporal. Lors des
épreuves, il compense ses lacunes intellectuelles par, comme il avoue
lui-même, «une solide attitude militaire»110 . Par la suite, ils'épanouit
dans la rude ambiance des associations d'étudiants, ces dernières réa
lisant pour lui une sorte de modèle de société. Quant à ses références
intellectuelles, elles sont le résultat d'une combinaison éclectique
entre des auteurs tels que Darwin, Nietzsche et Marx, dont la lecture
précède sa formation universitaire. Par ailleurs, il trouve chez Carl
Hilty un maître à penser exemplaire.
88
Dans le cadre d'idées souvent confuses et antagoniques - assez
communes dans une partie de la jeunesse vers 1900 - Bircher
construit peu à peu sa propre idéologie politique. Alors qu'un antiso
cialismemusclé y trouve une place primordiale , il reconnaît, en théo
rie , la nécessité d'une aide aux classes défavorisées. Cependant, en
pratique, ils'oppose violemment à tout projet de politique sociale qui,
selon lui, déboucherait sur un Etat-providencemalsain . Dans ce sens,
il prétendra, par exemple, que la défaite de l'Allemagne lors de la
Première Guerre mondiale est due à l'affaiblissement du système ner
veux de sa population - une défaillance provoquée par la sécurité
qu'engendre l'existence des assurances sociales. Par ailleurs, Bircher
croit à une ordonnance naturelle des classes sociales, et défend dès
lors un autoritarisme et un élitisme très avancés. Son idéal réside dans
l'établissement d'une démocratie hiérarchisée, débarrassée d'un parle
mentarisme « néfaste » qui empêche l'élite d'assumer directement, et
sans contrainte, la gestion du pouvoir. Les fondements de cette pen
sée doivent sans doute être recherchés dans les idées floues du darwi
nisme social et du racisme. Comme une grande partie de la jeunesse
de son époque, il est influencé par la vulgarisation très répandue des
théories de Darwin et de la philosophie de Nietzsche qui l'ont amené
à prôner une idéologie à la foismoderne et profondémentréaction
naire. A l'instar de Sulzer-Ziegler, il trouve sesmaîtres à penser et ses
amis dans la droite, voire l'extrêmedroite allemande.
Pour cette génération, le darwinisme social avait le double avan
tage de combiner à la fois une doctrine scientifique et une pensée de
l'ordre de la croyance. Cet aspect syncrétique va lui donner une
immense force de séduction dans cette société qui doute du rationa
lisme et du matérialisme. Par le recours à une soi-disant loi biolo
gique, l'homme et la société sont ainsi rendus à la nature et à sa vita
lité. Le monde appartient au plus fort, et cette règle «naturelle » est
comprise comme la sanction de la destinée humaine. Quant à ceux
qui se réfèrent à la tradition religieuse, ils peuvent s'approprier cette
nouvelle expression de la hiérarchie sociale tout en la reélaborant en
tant qu'incarnation d'un nouvel ordre ecclésiastique et divin. Mais
force est d'ajouter,pour pondérer le propos etmontrer la force de cet
te pseudo -théorie, que les débats concernant le darwinisme social
touchent aussi parfois la gauche et altèrent la pensée socialiste. Il
n 'est pas rare, en effet, que certains socialistes confondent la lutte des
classes avec une lutte darwinienne, combat où le prolétariat se mani
festerait comme race saine et supérieure parce qu'investie d'une force
biologique capable de s'imposer à la bourgeoisie.
Quant aux traits communs à la pensée de Sulzer-Ziegler et de
Bircher, on les trouve dans la conjonction d'un antisocialisme viscé.
ral et d'une théorie élitiste - des visées tout imprégnées de ce même
darwinisme social. Cette configuration représente l'une des expres
sions les mieux portées et les plus en vogue dans la nouvelle droite.
Ce n'est sans doute pas par hasard que Bircher et Sulzer-Ziegler trou
vent tous deux leur inspiration en Allemagne. Leur imaginaire social
correspond en effet particulièrement bien à ce que l'historien Hans
Ulrich Wehler a identifié comme étant celui de la nouvelle droite
nationaliste de l'Empire allemand111. Dans une analyse d'envergure
plus large qui porte surl’Europe fin de siècle , ArnoMayer constate lui
aussi: « Avec la remobilisation de l'ordre ancien , le darwinisme social
apparut comme l'idée force par excellence des classes dominantes et
dirigeantes d'Europe» 112.
En Suisse romande, on l'a vu, les références de la nouvelle droite
ne se situent pas en Allemagnemais en France. C 'est par le truche
ment des écrits de Jules Soury et Maurice Barrès - l'un des nouveaux
maîtres à penser - qu'elle intègre le darwinisme social dans sa
réflexion politique et philosophique113. C'est par conséquentdans les
groupes inspirés par la nouvelle droite française que, dans cette partie
du pays, ces idées se retrouventet se développent. Cependant, un élé
mentmontre une distinction importante par rapport à la droite suisse
alémanique: comme je l'ai déjà mentionné dans le chapitre précé
dent, l'antisocialisme des cercles gravitant autour de Gonzague de
Reynold n'est même pas particulièrement apparent, car il se fond
complètement dans leur lutte contre le libéralisme. Pour eux, le
socialisme ne représente rien d'autre que la suite logique de la
Révolution française . Cette dernière, corroborée par les effets de
l'industrialisation, est responsable de la formation du prolétariat - une
classe sociale qui,par définition , va à l'encontre de la civilisation . Sur
ce point, les conservateurs en Suisse romande ne partagent donc pas
les idées «progressistes» d'un Sulzer-Ziegler quant au rôle de l'indus
trie et des patrons. En jetant le libéralisme et l'industrialisation dans
un même sac, la droite romande relie étroitement la lutte de classes à
la lutte contre les radicaux et l'Etat libéral. Chez Gonzague de
Reynold et ses coreligionnaires, on a largement l'impression que le
monde ouvrier n 'appartient tout simplement pas à l'image globale
qu'ils se font de la société et de la civilisation . C 'est pourquoi les
grèves générales de 1902 à Genève, et de 1907 dans le canton de
Vaud, ne font que confirmer, dans les faits, une rupture pré-existante
dans la mentalité collective de cette droite. Le même clivage se
retrouve par ailleurs au sein de la droite vaudoise. La grève générale
de 1907 affermit l'idée que le mouvement ouvrier est complètement
investi par un socialismerévolutionnaire. Pour la société bourgeoise
en général, c'est le prétexte à une rupture totale.
Aussi, ce refus catégorique du socialisme engendre-t-il dans la pen
sée et la pratique de la droite uneméfiance profonde à l'égard de toutes
démarches concernant une politique sociale,même de caractère libé
ral. Cette dernière est abruptement considérée comme un cheval de
Troie socialiste dans l'enceinte bourgeoise. La droite vaudoise, en parti
culier, entame parallèlement à la lutte antisocialiste le combat contre
tous les projets des radicaux en matière de politique sociale:
«La liberté qui nous reste est menacée de deux côtés à la fois:
d'abord par le socialisme révolutionnaire qui réclame l'abolition de la
propriété et le travail en commun , c'est-à-dire l'esclavage complet,
brutalet dégradant.Mais les attaques sauvages de l'anarchisme contre
la liberté humaine sont moins dangereuses que bruyantes. Un autre
ennemide la liberté marche plus sourdement et va droit au même
but, c'est le socialisme d'Etat, bizarre alliance du despotisme et du
socialisme qui consiste à augmenter toujours plus la compétence de
l'autorité, à élargir son champ d'action ,même en chargeant l'Etat de
prendre soin , non seulement des pauvres, mais de toute l'armée des
gens quine veulent pas se protéger eux-mêmes. Tous les mauvais
drôles et les paresseux forment cette armée et l'Etat les exempterait
de soucis aux dépens des travailleurs.Cette armée à son tour soutient
l'autorité qui s'appuie ainsi sur la partie la plus tarée de la population.
Ce progrès est en train de s'accomplir»114.
Les propos émis par la droite suisse alémaniquene sont cependant
pasmoins acérés et cauteleux.Un poème, publié en 1907 sur la pre
mière page de la Schweizerische Bürgerzeitung - l'organe de la
Bürgerverband de Zurich - illustre fort bien la violence quimarque la
lutte de classesbourgeoise et modèle son image de l'ennemi«hérédi
taire » :
«Depuis que l'insolente engeance,
Nous instille son poison dans notre peuple ,
Etqu'avec une impétuosité sacrilège,
Partout sème le désordre,
Nous nous tenons prêts à prendreles armes,
Pour exterminer le parasite :
Les agitateurs ne doiventpas plus longtemps,
Semoquer denous,peuple etarmée!» 115
Après la guerre, c'est dans la mêmeoptique que le patronat suisse
reprendra une attitude hostile face à la population urbaine. Exaspéré
par la grève générale de 1918,le Schweizerische Arbeitgeber Zeitung - le
journal des patrons - préconise ouvertement la guerre civile : «Nous
avons à Zurich une populace de la grande ville qu 'on ne pourrait
dominer qu'au moyen de mitrailleuses et degrenades àmain» 116.
Il est vrai que, comme on l'a déjà vu,les références culturelles des
nouvelles droites de la Suisse alémanique et de la Suisse romande ne
sont pas identiques.Maurras et Barrès sont peu connus Outre-Sarine,
alors qu’un Julius Langbehn et un H .S. Chamberlain sont souvent
ignorés des Romands. Cependant, les quelques approches sous forme
de vulgarisation des écrits de Darwin , Nietzsche ou Schopenhauer
leur procurent déjà une certaine base de réflexion unifiée. Quant à
leur comportement respectif face au mouvement ouvrier, il s'avère
très utile pournouer une série de lieux communs dans la formation de
leur idéologie. C 'est notamment la main -d'oeuvre étrangère, en forte
croissance pendant cette période, qui servira de support à leur vindic
te sociale, et reliera les différents courants des droites helvétiques. En
effet, en désignant les étrangers comme premiers responsables des
grèves et des conflits sociaux, aussi bien les patrons de l'industrie suis
se alémanique que les traditionalistes ruraux tel un Dürrenmatt, ou
les nationalistes mondains deGenève, reconnaissent au «Mal helvé
tique» une seule et mêmeorigine: l'ouvrier socialiste et l'étranger.
Ce remarquable déplacementmental, opéré de préférence par la
droite, s'exprime en ces termes chez Gonzague de Reynold: « Et
92
l'industrie tout court crée un prolétariat en grande partie composé de
réfugiés de France, d'Italie et de l'Allemagne, qui se moque du pays
qui le fait vivre, et fait trembler dans leur peau les élus du suffrage
universel» 117. De ces propos accusateurs au dénigrement pur et
simple des ouvriers comme instigateurs et fauteurs de troubles, il n'y
avait qu'un pas, allègrement franchi par l'un des collaborateurs
notoires de la revue Wissen und Leben. Sous le titre significatif
«Problèmes patriotiques», ce dernier prétend que la grève générale de
Zurich en 1912 a été dirigée par des « agents ouvriers étrangers», et
que la ville a été soumise à des « commandements étrangers » 118 .
Pour la droite, cette forme particulière de mise en perspective
comporte un avantage indéniable en matière de structuration d'une
idéologie commune. Car elle permet d'utiliser la xénophobie en tant
que connecteur des différents imaginaires sociaux inscrits dans la
pensée antisocialiste et antilibérale. Ainsi, cette utilisation négative
de la notion d’étranger, accolée sans autre au terme de classe
ouvrière, permet à la droite de justifier son comportement anti
ouvrier, tout en donnant au rôle d'élite sociale qu'elle s'attribue un
profil national. Par conséquent, sa volonté de domination du pays se
mue en tâche patriotique, alors que dans le mêmemouvement, la
construction d'un «autrui» inférieur légitime sa suprématie élitaire et
justifie son attitude raciste.
Le caractère de l'aversion des bourgeois à l'encontre de la popula
tion ouvrière montre que le marxisme et la politique socialiste ne
sont pas forcément à l'origine de leurs principaux griefs.Une petite
étude spécifique, réalisée à l'Université de Zurich , révèle un senti
ment d'angoisse autrement plus profond et qui est propre à cette
droite : la classe ouvrière en tant que telle menacerait l'existence
bourgeoise, parce qu'elle serait porteuse de défauts et de tares innés
qui empêchent à jamais l'ouvrier de se réformer et d'accepter les
valeurs qui la fondent. L'ouvrier, contrairement au bourgeois indivi
dualiste, ne peut exister que dans une société de masse, et sa vie est
ordonnée par le seul intérêt matériel et égoïstel19. Dans le roman de
Jakob Bosshart, Un crieur dans le désert - un document clé pour les
années d'avant-guerre - la classe ouvrière est effectivement donnée à
voir comme fondamentalementmatérialiste et égoïste: les intérêts de
l'estomac dominent, et l'esprit est considéré comme l'ennemi de la
conscience prolétaire120.Quant à Albert Baur,le rédacteurdeWissen
und Leben , il suit les traces de Gonzague de Reynold et considère le
mouvement ouvrier comme profondément opposé à la culture et à la
civilisation («durch und durch kulturwidrig» ). Le Parti socialiste, pour
suit Baur, est indifférentaux acquis culturels, est indifférent au travail
même, et ne s'intéresse qu'aux questions salariales121
C'est sur fond de cette critique culturelle munie de références aux
« théories» biologiques et organicistes qu’Edouard Rod fait, quant à
lui, son procès au socialisme.Dans son roman La course à la mort, on
trouve entre autres cette explication au mépris supposé des socialistes
pour les domaines de l'esprit et de l'intellect: «Dans un organisme
intelligent, le développementdetous les organes a pour objet le déve
loppementdu cerveau; dans l'organismesocial rêvé par les socialistes,
le cerveau est sacrifié auxmembres inférieurs» 122.
Pourtant, infirmant ces pseudo-analyses, la gauche ne s'exprime
pas seulement par des grèves et des manifestations,mais aussi par un
épanouissement culturel et un avènement électoral parfois spectacu
laire. J'ai déjà mentionné quelques-uns de ses résultats remarquables
lors des élections dans certains centres urbains. J'ai aussi rapidement
évoqué l'existence des Unions ouvrières qui jouent souventle rôle de
véritables créneaux politiques et culturels du monde ouvrier. Si l'on
ajoute à ces éléments la progression rapide de la presse socialiste - les
années 90 voient l'apparition du Berner Tagwacht et du Volksrecht, les
deux grand quotidiens socialistes -, l'organisation de cours de forma
tion culturelle et politique, ainsi qu 'une activité grandissante des
coopératives ouvrières, force est de reconnaître que l'essor du socia
lismene se réduit pas, et de loin, aux grèves et aux luttes matérielles
ou politiques. Dans et hors les murs des Maisons du Peuple ,une véri
table culture prolétarienne est en train de se déployer.
Etmême si uneprise du pouvoir par les socialistes ne pouvait être
sérieusement envisagée, certaines franges de la bourgeoisie entre
voient déjà le drapeau rouge flottant sur leurs Hôtels de ville. En
même temps, elles observent avec surprise l'épanouissement d'une
culture ouvrière qui semble contredire, dans les faits, leur propre
concept de civilisation . A partir de ces expériences, la droite, particu
lièrement sensible aux valeurs culturelles, développe toute une
gamme de fantasmes censés livrer des recettes pour briser le raz de
marée menaçant de la gauche. Une de ses solutions préférées se pro
file à travers l'idée qu'une guerre pourrait étouffer ce danger et rendre
à la politique intérieure une nouvelle discipline: elle permettrait,
entre autres, d’attiser le patriotisme et l'esprit national,de discipliner
le peuple et de mettre dans le rang - ou au front - la classe ouvrière.
Cette perspective est largementpartagée. Et mêmeun Vilfredo Pareto
dit, en 1904 déjà, qu'une grande guerre en Europe rejettera le socia
lismeun demisiècle en arrière, tout en sauvant la bourgeoisie pour la
durée de cette même période123. Quant à Kaspar Decurtins - qui gar
dait par ailleurs sur ce point une attitude critique en dénonçant
l'esprit militariste ambiant - il avait compris cette logique bien avant
l'éclatement de la guerre. Invité par Jean Baptiste Rusch pour une
conférence publique, ildéclare le 8 juin 1914:
«On se sauvera des révolutions en entrant en guerre, et les consé
quences de la guerre engendreront des révolutions!» 124.

95
7. La race des petits seigneurs alpins

«Mais aussi, nous sommes envahis par les Barbares [...]. Ces
Slaves, ces Grecs, ces Américains du Sud, ces Orientaux sont de
grands enfants mal civilisés, ils arrivent avec un mauvais goût de clin
quant et de gros luxe, des philosophies nuageuses, des idées subver
sives, des maladies physiques et morales. Si nous étions assez forts
pour leur imposer notre culture! mais non : ce sont eux qui font chez
nous de la propagande, et laquelle, et comment! et l'anarchie gâte
nos villes. Le «droit d'asile» avait sa raison d'être à une époque de
lutte pour la conquête des libertés essentielles: il est un danger au
jourd'hui» 125 .
L'auteur de ces propos acrimonieux, Gonzague de Reynold , n'est
de loin pas le seul à exprimer des craintes mêlées d'animosité contre
les étrangers - ces « barbares» - qui semblent de plus en plus importu
ner les Suisses, non seulement en tant que réfugiés ou immigrés, mais
aussi comme touristes fortunés! Il est vrai, et c'est un fait connu, que
le nombre des étrangers en Suisse ne cesse de croître à partir de 1890 ,
pour atteindre le taux de 14 % juste avant la Première Guerre mon
diale . Or cette croissance est en premier lieu la conséquence de l'évo
lution économique amorcée dans les années 90 . L'industrie , et notam
ment le bâtiment, fontmassivement appel à la main -d'oeuvre exté
rieure. Dans certains quartiers ouvriers, le taux des étrangers dépasse
les 30 % . Cette présence et l'accueil qu'elle rencontre provoque un
grand débat politique qui sera à l'origine d'une notion marquante
pour la mentalité suisse du 20e siècle: la « surpopulation étrangère».
Cependant, ce ne sont pas les répercussions de l'évolution socio
économique que le discours reynoldien vise en premier lieu; pas plus
qu'il n 'insiste particulièrement sur la croissance quantitative de la
population étrangère. Ce sont bien plutôt les images mises en jeu
pour désigner l'étranger qu'il faut interroger: ces «barbares», ces
« enfantsmal civilisés». Car l'argumentation principale de Gonzague
de Reynold porte sur les différences de qualité quidistinguent,d'après
96
lui, les peuples et les races. Ce faisant, il participe à un éventail
d'idées symptomatiques qui, souvent demanière diffuse, ont investi la
structure mentale collective à la fin du siècle déjà . Prenons par
exemple Georges de Montenach qui avance des opinions similaires
lors d'un discours prononcé au cours de la commémoration de la
bataille deMorgarten , le 24 août 1909:
« Nous avons arrêté les chevaliers cupides qui venaient s'emparer
denos terres, nous réduire à un humiliant servage et chasser le génie
de nos montagnes; mais vous avez à combattre une invasion plus
redoutable que celle à laquelle nos poitrines ont fait barrière: c'est
l'inflitration lente et continue d 'idées, de moeurs, d'habitudes qui ne
sont point les vôtres, quine doivent point devenir les vôtres et qui,
peu à peu, changent, sans que vous paraissiez assez vous en douter,
votre physionomie nationale et brisent le ressort de vos anciennes
énergies» 126 .
Dans tous les discours de ce type, l'étranger est donné à voir et à
ressentir comme un élément mettant en péril et déstabilisant l'iden
tité culturelle . Cette attitude défensive ne peut s'expliquer que par le
contexte historique vers 1900 : au moment du paroxysme de l'Etat
moderne, les peuples de la périphérie, à savoir les soi-disant sous
développés, sont dénoncés comme un danger qui risque d'altérer non
seulement la toute nouvelle identité nationale, mais aussi la tradition
et le génie primitif du pays. L'étranger importune au moment même
où les nations modernes s'apprêtent à construire la grande fresque
d'un passé idéalisé. Car c'est la période qui voit proliférer des
recherches presque frénétiques de sources historiques et de genèse des
traditions - parfois d'ailleurs même inventées pour les besoins de la
cause127. Dans ce cadre, le débat au sujet des racines et de l'histoire
des peuples dits civilisés prend une dynamique et une importance pri
mordiales.
Or, à mesure que l'Etat fédéral s’affirme - par exemple en prenant
en compte dans son cahier des charges une politique culturelle128 -,
l'origine et la qualité des ancêtres de l'espace helvétique commence à
susciter l'intérêt du public.Mais ce questionnement sur les vertus et
les valeurs de la Suisse préhistorique, ainsi que lesdébuts de l'histoire
«nationale» , se transforment également - sous l'influence des idées
darwiniennes - en une comparaison avec les attributs des «autres», les
«moins civilisés». De surcroît, l'expansion coloniale entraîne non
seulement des confrontations avec des peuples dits primitifs,mais exi
ge aussi des justifications pseudo-scientifiques à l'exploitation de ces
derniers par les pays industrialisés.

6 . Johann Gottlieb Hegi (1840-1901),Le retour du chasseur au temps des lacustres


(1865),aquarelle (Berner Schulwarte).
Hegi, instituteur, peintre et sculpteur sur bois, exprime ici fortbien l'image mythique
que ses contemporains se faisaientdes lacustres.

En Suisse, on se livre à une apologie peu rigoureuse ,mais très


populaire, de la civilisation desLacustres élevée au niveau d'un patri
moine classique à l'image de laGrèce antique129. Ceux-ci sontutilisés
pour fabriquer toutes sortes d'autoreprésentations, marquées autant
par les fantasmesde la société industrielle, que par des constructions
historiques plus ou moins scientifiques. Lors des expositions interna
tionales de Paris (1867) et de Vienne (1873), par exemple, on aligne
astucieusement des objets issus des fouilles récentes afin de livrer la
preuve de la supériorité du travail et de la production helvétiques. En
outre, la Confédération en acquiert un certain nombre à titre de pre
mier fonds pour une future collection du patrimoine national130. En
98
1884, avec cet achat payé bien trop cher d'ailleurs, le gouvernement
inaugure l'ère de la politique culturelle. Afin de persuader le
Parlement de la qualité et de l'importance de cette collection, le
Conseil fédéral présente un long message appuyé sur des expertises
soi-disant scientifiques. Les élucubrations qu'il contient ne sont pas
sans intérêt, car la lecture de quelques lignes mettent particulière
ment bien en évidence la nature de la distinction entre civilisés et
barbares. « Les superbes crânes d'Auvernier», dit le texte officiel,
« peuvent soutenir honorablement la comparaison avec ceux des
peuples civilisés. Par leur capacité et les particularités de leur confor
mation, ils peuvent être placés sur la même ligne que les crânes les
mieux formés de la race aryenne» 131.
Cette quête de la race d'origine des Suisses est alors presque deve
nue un sport national. Les yeux bleus, les cheveux blonds, la forme
des crânes, l'image de l'homme celte ou du type alpin sont autant de
critères pour avancer des réflexions ou des analyses plus ou moins
sérieuses132.Houston Chamberlain , l'auteur d'une théorie raciale qui,
parmi d'autres, servira de référence aux concepts raciaux des Nazis,
est souvent cité.Même ses propos antisémites sont parfois retenus.
Eugen Bircher, en particulier, s'avère un adepte enthousiaste de cette
idéologie. Dans le cadre d'un compte rendu du livre Untergang der
grossen Rasse de Madison Grant, il construit son propre mélange de
théories culturelles et d'idées racistes133. Pour effectuer cette
démarche, il utilise également les travaux de son père qui a pu établir
des statistiques concernant la couleur des yeux, des cheveux et de la
peau des jeunes Helvètes lors des examens annuels des recrues.
Bircher lui-mêmerevendique pour la Suisse une race alpine qui, grâce
à ses vertus guerrières, égalerait la race nordique considérée comme
supérieure à toutes les autres. Dans ce même article, il déplore l'essor
et l'activité des Noirs aux Etats-Unis, une race sans doute inférieure
précise-t-il.Finalement, il ne manque pas de souligner le fait, indiscu
table à ses yeux, que la démocratie favorise l'évolution et le dévelop
pementdes racesmédiocres.
La différence qui sépare les «barbares» de la «race alpine» a été
prodigieusement mise en scène lors de l'Exposition nationale de
1896 à Genève. D 'une part,on y construit un Village suisse, une sorte
de miniature rurale animée par d'authentiques vaches et flanquée
7.Fred Boissonnas,photographie de la série « Village suisse», Exposition nationale
suisse de 1896 ,Genève.

d'unemontagne avec cascade artificielle134. D'autre part, on y instal


le une «tribu nègre», logée avec son petit bétail dans des cases pri
mitives. Tandis que le Village suisse - grâce aux nombreuses fêtes et
manifestations qui s'y déroulent en permanence - est profondément
intégré au parcours et à la perception du visiteur, le Village nègre est
placé à une certaine distance, tel un objet d'observation scientifique.
Ce jeu de miroirs des stéréotypes, quimet habilement en exergue
sous formede décalage les différences entre le «monde civilisé» et le
«monde primitif», a sans aucun doute renforcé les idées sur l'inégali
té des races. Par ailleurs, à la même époque, l'industrie chocolatière
100
suisse introduit dansl'espace public des images analogues en guise de
publicité.
La « race alpine», un concept quine repose sur aucune base scien
tifique, devient dès lors une référence importante de la droite. L'avo
cat Fritz Fick, un collaborateur de Wissen und Leben quifait l'éloge de
Chamberlain et vilipende «la décadence négroïde» en Suisse , préco
nise l'élevage d'un «homo alpinus» 135. Dans toutes ces conceptions,
les Alpes, l'air pur et les bergers, forment le nouveau refuge - plus tard
appelé aussi Réduit national -, une forteresse pour lutter contre la
société urbaine et les dangers extérieurs. Ecoutons Georges de
Montenach: « L’Alpe a été toujours, pour la race suisse, une terre de
jouvence où elle s'est rajeunie, et vivifiée. C 'est là que se retrempent
nos vertus originales, c'est là que nous nous débarrassonsdu virus cos
mopolite qui s'infiltre en nousde toutesparts» 136.
En matière de racisme, la Suisse s'est donc également mise à
l'heure européenne. Rappelons quelques-uns des traits caractéris
tiques de cette période: l'impérialisme et le colonialisme appliquent
avec brutalité le principe de la différence dans le cadre d'une «hiérar
chie naturelle» parmi les hommes. L'exploitation des «races infé
rieures» par les peuples dits civilisés devient le principe de base de
l'organisation de l'économie mondiale. La Suisse , quiaffiche en 1880
le taux d'exportation le plus haut par tête d'habitant de tous les pays
industrialisés, n'échappe pas à cette règle. Bien que dépourvue de
colonies propres, elle participe au grand commerce impérialiste en
naviguant dans le sillage desnavires des grandes puissances. La Suisse
jouit ainsid'un impérialisme feutré,bien protégé par le paravent de la
neutralité. Le grand industriel Eduard Sulzer-Ziegler défend en consé
quence une idéologie appropriée à ces valeurs générales: «La race
blanche», prône-t-il, «a le droit absolu de s'opposer sur ses territoires
à la concurrence des races inférieures»137.
N 'oublions pas non plus que l'expansion économique de la Suisse
à la fin du siècle se réalise grâce à l'utilisation croissante d'unemain
d'oeuvre étrangère, traitée en fin de compte commeune population
colonisée. Dans ce contexte, il est important de comprendre le pas
sage qui s'effectue entre la perception du monde impérialiste et
l'interprétation de la société de classes à l'intérieur du pays. En effet,
les principes hiérarchiques du colonialisme et de l'impérialismese tra
101
duisent, au niveau national, par des discriminations sociales et des
exclusions racistes. Ces déplacements particuliers sont fort bien ana
lysés par Tzvetan Todorov138. Le colonialisme, dit- il, nous a accou
tumé à l'idée que certains peuples «inférieurs» méritent d'être domi
nés ou bridés. L'idée de peuple ou de race inférieurs implique, dans le
contexte de la civilisation capitaliste, la domination et l'exploitation
de l’un par l'autre, du « barbare» par le «civilisé» - mais finalement
aussi de l'ouvrier par l'entrepreneur. Appréhendé dans une telle pers
pective,nous saisissons mieux l'amalgame effectué par Sulzer-Ziegler
qui préconise pour le patron - tel qu'il le représente lui-même - une
mission civilisatrice dans son propre pays. Ce type de patron
moderne, précise-t-il, ressemble à la race des Vikings - un modèle
qu'il revendique par ailleurs pour sa propre personne. Quant à l'idée
demission, elle intervient aussi sur un autre plan qui est quant à lui
relié à l'imaginaire religieux . En effet, Carl Hilty prétend que la
Suisse se distingue fondamentalement des autres nations et que le
peuple suisse est élu par Dieu («ein gesondertes Volk Gottes»)139.
Au delà de ces réflexions pseudo-philosophiques, et de manière
plus générale, on constate l'essor d'une mentalité xénophobe propre
au nationalisme et à la pensée politique de la nouvelle droite.Certes,
les débats tournent encore souvent autour de la question de l'assimi
liation et de la naturalisation de l'étranger. Et dans ce sens, ils se rat
tachent toujours à une certaine tradition libérale du 19e siècle140.
Mais de plus en plus souvent, des voix s'élèvent qui considèrent
l'étranger comme un danger vital pour l'avenir du peuple helvétique.
Dans un livre paru en 1900 et intitulé Notre question étrangère, on
trouve pour la première fois et clairement exprimée la notion
d'Ueberfremdung - dont la traduction par « surpopulation étrangère»
ne rend que demanière imparfaite la coloration xénophobe. L'auteur
précise que, dans le contexte juridique actuel, la Suisse sera bientôt
submergée par les étrangers, à ce point « que son existence nationale
ne peut être sauvée que par un miracle»141. Notons par ailleurs que le
fils de cet essayiste , Robert Schmid, présentera en 1925 une thèse qui
traite entre autres de la politique raciale (Rassenhygiene) et des
mesures à prendre pour améliorer la qualité de la race humainel42. La
même année, ce dernier assumera aussi le poste de secrétaire dans
l'une des premières organisations fascistes de Suisse:la Heimatwehr.
102
Hof Frechheit.

DUDE

re cht
Asyl

„ Sie erlauben , herr Collega, daß ido 'mal die Schleppe Ihrer Gnädigen aufhebe – id vermute türkiſde
FI - Obe darunter . .

8 . Fritz Boscovitz, Insolence.


Soulevant la jupe de l'Helvétia (Liberté), un « turc» à caractère sémite découvre
un pan de la robe marqué « droit d'asile» et dit: « Permettez, cher collègue, que je
soulève la traîne de votre chère femme, je crains qu'il n 'y ait là-dessous quelques
poux turcs.» Jeu demot entre Fl-üchtlinge(réfugiés)et Fl-öhe(poux).
(Caricature parue dans le Nebelspalter, No 33, 19 mars 1905.)

103
En guise d'exemple pour illustrer des sensibilités analogues en
Suisse romande, on peut se référer à une publication de John Cuénoud,
le directeur de la police genevoise143. Pour Cuénoud, les étrangers
appartiennent, tout comme les criminels, aux classes dangereuses des
villes. Ils sont frappés de tous lesmaux etmoralement inférieurs. A ses
yeux, ils représentent un danger immédiat pour la vie biologique de la
population indigène. Or, ce genre de discours se répète à satiété etdans
tous les domaines de la vie publique. A l'instar de Gonzague de
Reynold , un Robert de Traz voit «notre esprit et nos moeurs» menacés
par « la masse des immigrés» 144. Quant à Ernst Laur, dans le but de
valoriser la rôle social de la paysannerie helvétique, ilne cesse de bran
dir l'épouvantail des étrangers dangereux. « La classe paysanne», dit-il,
« constitue le contrepoids contre l'envahissement denos villes parl'élé
ment étranger...» 145. Et pour lui,non seulement les paysans sont appe
lés à défendre une race helvétique saine,mais plus particulièrement les
montagnards.Georges Addor (1860-1938 ), chancelier de l'Etat de
Vaud,mène la réflexion suivante :« Pour sauver du naufrage la santé de
la race, on proclamera la nécessité d'une existence sobre, calme et
sereine, et des travaux en plein air. Ce sera la revanche et le triomphe
des habitants des campagnes,des vallées rustiques et desmontagnes au
rude climat!Mais la chaîne des générations aura-t-elle résisté et serons
nous les ancêtres des habitants des siècles futurs ?»146.
Une grande partie de ces propos sont mobilisés dans un discours
de Samuel Cornut (1861- 1918), un écrivain populaire vaudois dont
la révolte est nourrie par un nouvel idéal religieux. Patriote et mys
tique, il est aussi l'un des premiers à lancer l'idée de la création de la
Nouvelle Société Helvétique. Au sujet des étrangers, ilnemâche pas
ses mots: « Seulun pays qui sait ce qu'il veut et qui veut vivre n 'a rien
à craindre de sesmétèques; il se les assimile ou les repousse [...] A cet
te gangrène qui se propage avec une foudroyante rapidité, y a-t-il des
remèdes? On a proposé la naturalisation forcée: des fournées
annuelles de métèques se verraient imposer le nom de Suisse...» 147 .
Finalement, le terme de «surpopulation étrangère» entre dans la
langue officielle de la Confédération . En 1914, le Département fédéral
politique présente un rapport qui reprend la notion . C 'est le début
d'une attitude qui aura pour conséquence - en passant par la création
de l'Office central de la police des étrangers en 1917 - de rendre pos
104
sible la fameuse parole prononcée en 1942 par le Conseiller fédéral von
Steiger: «la barque est pleine...»148. A ces paroles officielles et la même
année, Eugen Bircher ajoute en public son propre commentaire: «Les
immigrants ont l'intention de conquérir, chez nous, des positions éco
nomiques. Nous risquons de ne plus pouvoir nous en débarrasser. Ils
viennent cracher chez nous leur venin. Ils forment dansnotre peuple
un corps étranger (Fremdkörper) qui doit être expulsé»149.
Bien que l'histoire de la politique à l'égard des étrangers ne
constitue pas notre sujet150, force est de revenir sur ce domaine plus
spécifiquement lié à la nouvelle droite. En effet, dans le cadre des
attitudes faces aux étrangers, il nous faut examiner de plus près le
caractère xénophobe et raciste des différents discours. Le regard cul
turel d'un Gonzague de Reynold , les propos «scientifiques» des
Schmid et Bircher, ainsi que les réflexions socio-économiques d'un
Sulzer-Ziegler convergent tous vers un même principe: la société est
«naturellement» ordonnée par une hiérarchie éternelle; elle compor
te nécessairement des éléments subalternes quiméritent et exigent
leur domination par des élites sociales. A partir de ces présupposés, la
droite utilise une multitude de connotations pour qualifier le statut
subordonné et dégradé des classes inférieures. Barbare et ouvrier,
socialiste et étranger, manoeuvre et criminel, sont autant de combi
naisons interchangeables permettant de construire une image négati
ve ou injurieuse de ces «autruis» considérés comme inférieurs.Etdans
cette panoplie de valeurs péjoratives s'inscrit encore une autre figure
hautementemblématique: le Juif.
Rappelons tout d'abord que la Constitution de 1848 accorde les
droits politiques aux citoyens de religion chrétienne seulement. Cette
discrimination tombera en 1866 et sera définitivement abolie par la
nouvelle Constitution de 1874 . Bien que le nombre d'Israélites en
Suisse se maintienne à un niveau très bas (0,3 % de la population en
1888 et 0,5 % en 1910) l'antisémitisme existe et se développe comme
dans n'importe quel autre pays européen. Il est vrai que l'histoire suis
se a plutôt occulté ce phénomène; mais aujourd'hui, grâce à des
études comme celles de Friedrich Külling ou d'Aaron Kamis-Müller,
nous disposons d'analyses pertinentes sur l'ambiance antisémite qui a
régné dans notre pays.
105
Commeil se doit dans une Helvétie au charme si discret,l'antisé
mitisme trouve souventrefuge dansle jeu d'une politique populiste et
l'exaltation du folklore patriotique. En 1893 par exemple, il se loge
dans le sillage d'une initiative contre l'abattage rituel - une pratique
traditionnelle de la religion judaïque. Lancée par des sociétés de pro
tection des animaux, elle est soutenue pour desmotivationsbien par
ticulières par une grande partie de la droite. Etmême s'il est vrai que
les catholiques-conservateurs - afin de maintenir le principe de la
liberté des cultes - s'abstiennent officiellement, un grand nombre des
voix en faveur de l'initiative viendra quand même des régions où la
droite catholique est fortement implantée. Ulrich Dürrenmatt se
trouve parmi les plus engagés dans cette campagne, et ouvre large
ment son journal à ses partisans. Une fois de plus, il confirme son
antisémitisme virulent, celui qui nourrit depuis des années ses com
mentaires et poèmes publiésdans sa feuille populaire. C 'est également
chez Dürrenmatt qu'apparaît la notion de la «verjudete Schweiz»
(Suisse « enjuivée» ) 151, reprise en 1938 dans un rapport du chef de la
Police fédérale des étrangers, Heinrich Rothmund .
C 'est l'affaire Dreyfus, dont les ramifications en Suisse sont enco
re mal connues, qui va attiser pour la deuxième fois l'antisémitisme
de cette fin de siècle. Pour des raison bien compréhensibles, l'événe
ment touche tout d'abord Genève où un journal de la droite catho
lique - Le Courrier de Genève - répond violemment aux articles des
Dreyfusards du Journal deGenève. De manière plus noble et plusrete
nue, mais ferme sur les principes chers à la droite, l'abbé Eugène
Carry (1853-1912) - le directeur de conscience de Gonzague de
Reynold - y participe également152. La Liberté de Fribourg montre
moins de réserve. Par la plume de Jean -Mamert Soussens - le journa
liste de choc du régime Python -, elle se lance dans une campagne de
dénigrement sans borne. Le Bund de Berne, le quotidien des radicaux,
mène lui aussi pendant quelques semaines une farouche campagne
antidreyfusarde; mais celle-ci cesse brusquement après un change
ment au sein de la rédaction . Quant à Dürrenmatt, il ironise sur
l'ensemble de l'affaire, tout en souhaitant que l'on boute les Juifs aussi
vite que possible hors de l'Europe.
Parmiles leaders de la nouvelle droite, l'antisémitisme ne se
manifeste que demanière feutrée. Kaspar Decurtins par exemple ,
106
en critiquant la faiblesse des intellectuels catholiques à Vienne,
commente: « ...tout est dominé par les libéraux, à savoir la science
juive impertinente» 153 . Or si la tonalité du propos est plutôt rete
nue, ces paroles sont pourtant significatives du fameux procédé qui
consiste à relier une notion politique à un propos raciste afin de
mieux dénigrer l'un par l'autre. Car Decurtins a une bonne
connaissance de l'antisémitismemoderne. Il a fait de longs séjours
à Vienne où il s'est lié d'amitié avec Karl Lueger (1844-1910 ), le
grand leader du parti chrétien -social et maire de la ville . A ce
moment,la Vienne de Lueger - en cela comparable à l'Etat fribour
geois de Python - représente une forme spectaculaire de nouvelle
république chrétienne. Cependant, Vienne vit aussi au rythme de
la première vague d'antisémitisme moderne. Lueger, un homme
politique à la fois rusé, autoritaire et populaire, utilise sans ver
gogne l'antisémitisme pour affirmer son pouvoir et accroître sa
popularité. Dans son entourage, les attaques contre les Juifs font
partie intégrante du discours mondain . Un de ses admirateurs se
nomme Adolf Hitler. Plus tard, ce dernier prétendra avoir appris
dans la ville de Lueger comment on se sert de l'antisémitisme pour
gagner le soutien de la petite bourgeoisie154.
En Suisse - il convient icide le rappeler même si le fait a peu à
voir,la plupart du temps, avec l'essordel'antisémitisme- la présence
des Juifs est très faible, et nulle part elle n 'engendre une situation
comparable à celle de Vienne vers 1900 . Il faudra attendre les années
trente du 20e siècle pour qu'il prenne cette tournure calomnieuse
propre aux fantasmes véhiculés depuis des siècles dans la population
européenne. Et cette violence va s'exprimer en premier lieu dans la
caricature et la feuille satirique. Après la Grande Guerre, le fasciste
genevois Georges Oltramare (1896-1960) et son dessinateur favori
Noël Fontanet auront le privilège, grâce à leur journal Le Pilori, de
faire monter cette forme de haine à son niveau le plus intolérable.
Oltramare, écrivain et dandy de la bonne société genevoise, est un
pur produit de la nouvelle droite de 1900.
Mais on ne saurait oublier que l'antisémitisme n'est pas la seule
forme de racisme. En effet, les idées obsessionnelles concernant la dis
tinction et l'exclusion de «l'autrui» - éléments fondamentaux de
toute attitude antisémite - peuvent aussi s'exercer au préjudice
107
d'autres groupes sociaux. Les premiers en Suisse à subir unerépression
effective et organisée sont les Tsiganes. En 1891, la Conférence des
chefs de polices des cantons de la Suisse romande décide de présenter
formellement au Département fédéral de justice et police une
demande de décret fédéral portant sur le principe de non-tolérance
absolue à l'égard des bohémiens. La Confédération se montre dans un
premier temps plutôt réticente, invoquant la tradition du droit libéral
de la Constitution .Mais en 1905, le Conseil fédéral change d'avis et
décide d'interdire aux entreprises de transport suisses de véhiculer des
Tsiganes sur leurs wagons. Il invite en même temps les cantons à les
expulser systématiquement. Pour élaborer de manière la plus adé
quate possible ces manoeuvres, la Confédération a trouvé un spécia
liste zélé en la personne du Dr Eduard Leupold , adjoint du
Département de justice et police. En 1911, celui-ci présente un pro
gramme de lutte contre «la plaie des Tsiganes» (Zigeunerplage) 155.
Finalement, leur persécution sera organisée par Pro Juventute, une
association de protection de la jeunesse fondée en 1912 et dirigée par
Carl Horber (1882- 1931) et le fils du général Wille, le major Ulrich
Wille (1877 -1959). Pro Juventute, de façon systématique, enlèvera
leurs enfants aux familles tsiganes afin qu'elles diparaissent en tant
que groupe social particulier. Quant à Carl Horber, très proche de
l'extrême droite, il tentera d'introduire ses idées de politique
« sociale» dans le mouvement Pro Familia .
Dans ce cadre , et parce qu'elle fait à son tour l'objet d'une exclu
sion parfois violente, je dois revenir encore une fois sur une autre col
lectivité déjà abordée à plusieurs reprises: les ouvriers italiens. A
Zurich-Aussersihl, le 26 juin 1896, suite à une rixe entre un maçon
italien et un ouvrier alsacien quiva y perdre la vie, la population de
ce quartier prolétaire commence àmettre à sac lesbistrots et les loge
ments des Italiens. Le lendemain ,un lundi soir, ce qui est devenu une
chasse aux Italiens se poursuit. On dévaste systématiquement leurs
lieux d'habitation, souvent de petites chambres insalubres qu'ils
louent à plusieurs. Mais, événement important, l'agression de la
population va se tourner aussi contre la troupe appelée pour rétablir
l'ordre. Le calmene reviendra que trois jours plus tard, le mercredi29
juillet. Quantaux Italiens,ils ont fui la ville et se sont en partie terrés
dans les forêts avoisinantes156.
108
Dans la violence de ce comportement collectif, il faut distinguer
deux niveaux. D 'une part, il s'agit de l'explosion d'une agressivité
nourrie sans aucun doute par une xénophobie latente, car on constate
le mêmephénomène lors d'une émeute similaire à Arbon, en août
1902 - et il est vrai que la population ouvrière n'est pas exempte d'une
attitude xénophobe, ce que l'émeute de la Käfigturm à Berne, en 1893,
a déjà montré. D'autre part, les incidents deZurich témoignentégale
ment des fortes tensions sociales qui règnent dans les quartiers
ouvriers.Il est en particulier significatif que la violence anti-italienne
se soit rapidement transformée en hostilité contre les forces de l'ordre.
Cependant, il est important pour l'analyse de retenir le fait sui
vant: les insatisfactions et les frustrations - particulièrementprésentes
dans les quartiers ouvriers - ne se traduisent pas seulement en luttes
de classes. Très facilement, elles peuvent déboucher sur une violence
qui prend comme bouc émissaire une collectivité appartenant au
même milieu . Dans ce sens, la xénophobie représente l'une des
formes possibles prises par des conflits qui ainsi se maintiennent à
l'intérieur des classes populaires.
L'image négative attribuée à l'ouvrier étranger, en l'occurence à la
main -d'oeuvre italienne, va de pair avec les mesures répressives ini
tiées par le ministère public de la Confédération et la police poli
tique. Après sa création en 1889 - justifiée par la nécessité de contrô
ler les réfugiés socialistes allemands -, c'est le mouvement ouvrier
dans son ensemble qui devient l'objet primordial d'une surveillance
policière. Et dans ce contexte, les ouvriers italiens en deviennent la
cible préférée. Les autorités légitiment cette politique par le fait que
parmi les quelques groupuscules anarchistes qui défraient la chro
nique de l'époque, les Italiens se distinguent particulièrement. En
1898, différentes circonstances permettent finalement la mise en scè
ne d'une deuxième chasse aux Italiens, d'une autre nature que celle
de 1896 . En mai, lors d'une émeute à Milan où la misère sociale avait
provoqué une révolte populaire, quelques centaines d'Italiens tra
vaillant en Suisse tentent de rejoindre leurs collègues en lutte. Sur
ordre du Conseil fédéral, 200 d'entre eux sont interceptés par l'armée
au Tessin et sont livrés à la police et aux troupes italiennes.
Mais la grande épuration ne commence qu'en automne de la
mêmeannée,lorsque deux événements spectaculaires donnent le pré
109
texte à une intervention musclée. Tout d'abord, une grève générale
du bâtiment éclate à Genève. Les entrepreneurs, largement soutenus
par les autorités politiques, utilisent habilement la forte présence de
la main-d'oeuvre italienne pourdénigrer le mouvement des grévistes
en l'attribuant à des anarchistes et des vagabonds étrangers. Quelques
semaines plus tard - le conflit se termine par une victoire des entre
preneurs - un grave incident attisera encore davantage cette
ambiance excitée. Le 10 septembre, un anarchiste italien - qui par
ailleurs n'avait rien à voir avec les grévistes et le mouvement ouvrier
de la ville - assassine à Genève l'impératrice Elisabeth d’Autriche.
Certains feront très vite l'amalgame entre ces différents événements.
Et le procureur de la Confédération , soutenu par une opinion
publique échauffée, met sur pied une série d'actions policières systé
matiques contre les Italiens. Celles-ci vontégalement frapper les réfu
giés politiques qui ont fui la répression des forces de l'ordre italiennes
après l'écrasement sanglantde l'émeute de Milan157.
A partir de cette année mouvementée, les ouvriers italiens
deviendront de plus en plus fréquemment la proie sélective des chi
canes policières et de la répression musclée. Sulzer-Ziegler, lui aussi,
est directement impliqué dans cette pratique. En 1901, en effet, lors
d'une grève sur les chantiers du Simplon , 240 ouvriers italiens sont
expulsés en wagon cellulaire et lesmenottes aux mains. Sulzer-Ziegler
- qui plaide vivement pour que dans les cas de cette espèce on
applique une politique ferme et expéditive - considère ces affronte
ments non seulement comme des conflits du travail,mais comme une
lutte fondamentale contre le mouvement ouvrier et ses dangereux
étrangers.
Dans la polémique et la lutte contre les Italiens, contre les Juifs,
contre les socialistes et, de manière plus générale, contre les étran
gers, émerge finalement encore une autre catégorie de la population
qui inquiète les bourgeois, et plus particulièrment la droite: les
femmes. L'imaginaire qui véhicule cette crainte est nourri par un
antiféminisme primaire dont les fondements puisent aux mêmes
sources que le racisme. Observé en surface, l'antiféminisme semble
tout d'abord provenir d'une simple réaction liée à unemanifestation
nouvelle et plus étendue des femmes dans la vie publique. Mais exa
minons tout d'abord l'aversion suscitée par la participation des
110
femmes aux luttes politiques - un comportement qui illustre particu
lièrementbien le phénomène.
Lors des émeutes anti-italiennes à Zurich, le Stadtbote se déclare
scandalisé par la présence «de quelques douzaines de femmes sales
(dreckige Weiber)» et déplore qu'on ne les ait pas abattues au moyen
de quelques salves bien tirées158. De toute évidence, les femmes qui
contestent dans la rue sont considérées comme la lie du peuple. Et au
mépris ainsi exprimé se mêle sans doute une peur diffuse pour cette
autre forme d'altérité. Ce jugement, on le retrouve également dans
une brochure antisocialiste rédigée en 1923 par le secrétaire du Parti
radical suisse, E. Steinmann, et le rédacteur en chef de la NZZ, W .
Bretscher. Les deux auteurs expliquent, en se référant à des experts
scientifiques, que la femme révoltée est complétement dépourvue de
sentimentsmoraux. Si la femme, déclarent-ils, dépasse son périmètre
naturel - qui est la famille - pour se lancer dans la vie publique, elle
perd toutes ses références de valeurs morales et devient, notamment
quant elle se trouve du côté des socialistes, extrêmement dangereu
se159.
Ces propos nous conduisentsur un terrain particulièrement ambi
gu et encore peu étudié en Suisse. Il s'agit en quelque sorte d'un
marécage fangeux où s'effectue une interpénétration étrange entre la
xénophobie , l'antisémitisme et l’antiféminisme,pour ne nommer que
quelques-unes des composantesmentales qui participent à la forma
tion d'un imaginaire social insolite. La Vienne de 1900, considérée
comme une scène particulièrement représentative de l'esprit Fin de
siècle et comme un laboratoire spécifique de la crise de la modernité, a
souvent été prise ces dernières années comme un lieu privilégié pour
l'étude de ce genre de phénomène160. Jacques Le Rider, par exemple,
a effectué un travail biographique très intéressant sur Otto
Weininger, un étudiant viennois d'origine israélite. Il nous apprend
que ce dernier, fils d'un artisan de l'orfèvrerie , avait publié en 1903
une thèse alambiquée intitulée Sexe et caractère - un livre qui a connu
vingt-huit éditions successives et a été traduit dans une dizaine de
langues161. Mais son auteur se suicide à l'âge de 23 ans, quelques mois
après la parution de son ouvrage. Devenu rapidement un texte à la
mode très prisé par la jeunesse moderne, celui-civa presque immédia
tement acquérir le statut d'une véritable théorie culturelle. Et ceci
111
entre autres grâce à des intellectuels, écrivains et artistes tels Freud,
Kafka,Musil ou Kokoschka, qui vont intégrer dans leurs oeuvres les
mises en perspective élaboréesdans Sexe et caractère.
Or, si on examine les passages du livre qui ont fait la célébrité de
Weininger, on constate qu'ils regorgent de propos et de qualificatifs
méprisants et acrimonieux sur « la Femme» et « le Juif». Car
Weininger construit une opposition fondamentale entre le principe
mâle (représentant l'intelligence infinie , la pensée conceptuelle et la
volonté du pouvoir), et le principe femelle qui n 'obéit qu'à des
impulsions primitives faisant fide la raison, et dirigé uniquementpar
le souci de l'approvisionnement et de la reproduction. Le principe
femelle, explique Weininger, est également propre au caractère juif.
Fort de cette typologie,Weininger divise la société en deux races,
deux cultures, et deux destins fondamentalement opposés. En dra
pant son discours de théories empruntées à Schopenhauer,
Nietzsche, Darwin et Freud - pour ne citer que quelques-unes des
références utilisées - Sexe et caractère se donne à lire comme une syn
thèse de la philosophie, de l'anthropologie et de la psychologie
contemporaines. Par là-mêmeWeininger exprime, demanière incisi
ve, une angoisse fantasmagorique mais profonde de «l'Autre», un
inconnu hostile et investi du principe femelle. Avec cet amalgame
insolite, il livre à cette société Fin de siècle une interprétation de
«l'Autre» en général qui s'avère porteuse de multiples hantises. Car
dans cette construction factice du principe d'une différence irréduc
tible, il endosse, plus ou moins explicitement, aussi bien l'antisémi
tisme que le racisme et le nationalisme exalté. Et si par ailleurs, on
associe l'image de « la Femme» échafaudée par Weininger au nou
veau discours sur la sexualité, on s'aperçoit que cette représentation
fonctionne de la mêmemanière que pour le Juif ou l'étranger: com
me catalyseur de la crise sociale et culturelle.
En Suisse, le livre a également eu ses amateurs. A l'instar de
l'auteur d'un article paru dans Wissen und Leben, ils adhèrent aux pro
pos de Weininger en soulignant notamment: «Ce n 'est que l'homme
qui a du génie, et si une femme dépasse le niveau moyen de sa fémi
nité, elle le doit à la dose d'éléments masculins qui investit son rai
sonnement» 162. Aussi l'antiféminismea-t-il une bonne tradition dans
la droite helvétique. Eugène de Budé par exemple,un membre impor
112
tant de l'Association genevoise contre la littérature immorale, s'en
est pris tout particulièrement à Georges Sand, «cette âme mal équili
brée qui, avec l'égalité des sexes et ses conséquences inévitables,
prêche la liberté de l'amour, condamne le mariage, anéantit la
famille, nourrit une secrète et haineuse jalousie contre l'homme, sys
tème que des admirateurs enthousiastes ont osé ériger en enseigne
ment philosophique»163.
Mais ce qui donne à ce phénomène une résonance particulière,
c'est l'instrumentalisation du rôle de « la femme» pour porter haut la
renaissance conservatrice et l'idéologie de la nouvelle droite.
Cependant, disons-le d'emblée, l'antiféminisme n 'est pas la ligne
directrice dominante de la droite helvétique. Et certaines personnali
tés, telle un Carl Hilty, préconisent même l'introduction du suffrage
féminin. Pourtant, dans le modèle hiérarchique de la droite dans son
ensemble, les femmes occupent par définition une place inférieure.
Pour la grandemajorité de la société helvétique, la subordination des
femmes aux hommes, ainsi que la division du travail par rapport aux
sexes, sont des acquis incontestés et intouchables. Dans ce sens, on
pourrait qualifier cette attitude de mysoginie structurelle, nourrissant
en permanence le renforcement des valeurs conservatrices, voire
réactionnaires,de la culture politique.
Au sein des sociétés estudiantines, notamment dans celles qui
s'adonnent au rituel des armes,la mysoginie ambiante est partie pre
nante de la sociabilité quotidienne. Trace langagière de ce comporte
ment, la jeune fille - souvent future compagne de l'étudiant - est
appelée «le balai» (der Besen). Car l'exaltation de la virilité - une pra
tique qui structure la mentalité de ces associations dont aucune fem
mene peut faire partie - comporte toujours sa part de dénigrement de
la féminité corroborée par les grivoiseries et obscénités dont il est fait
un large usage.Notonspar ailleurs que lors du virage des corporations
d'étudiants vers la droite, certaines commenceront également à
exclure les Juifs.
Dans la pensée de Kaspar Decurtins, le rôle des femmes prend
sans aucun doute une place importante164. En 1897, lors d'un congrès
ouvrier international à Zurich , ce dernier affronte le grand leader
socialiste Auguste Bebel, auteur du best-seller de la littératuremarxis
te, La femme et le socialisme. En opposition aux thèses de Bebel,
113
Decurtins prétend que la libéralisation des lois familiales et l'engage
ment des femmes dans la vie publique sont responsables du déclin des
sociétés. A titre d'exemple révélateur,il cite les « dames spirituellesde
l'Ancien Régime», et les accuse d'avoir favorisé l'avènement de la
Révolution. Il ne faut cependant pas oublier de dire que le mouve
ment ouvrier, en dépit des assertions théoriques de certains de ses
représentants, n'est pas exempt de velléités antiféministes165. Car
d'une part, les femmes sont ressenties par les travailleurs comme des
concurrentes sur un marché de la main -d'oeuvre où elles sont accu
sées de faire baisser les salaires; d'autre part, le modèle bourgeois de la
femme au foyer, sous la forme de prêt-à -porter petit-bourgeois, tend à
devenir la référence et l'aspiration dominantes.
Quant aux catholiques-conservateurs, c'est vers la fin du siècle
qu'ils tentent de mieux organiser les femmes.Réagissant en partie au
défi lancé par les organisations féminines socialistes et bourgeoises
qui revendiquent impérativement l'émancipation des femmes, ils
créent, en 1912, la Ligue des femmes catholiques - une organisation
présidée par Suzanne de Montenach , l'épouse de Georges de
Montenach . Cette Ligue se soumet d'emblée à un programme tradi
tionaliste, voire réactionnaire166. L'égalité entre les sexes est catégori
quement récusée, et le rôle des femmes est défini en fonction d'une
politique familiale conservatrice. Quant à leur participation à la vie
publique, elle est acceptée uniquementdans le cadre des oeuvres cha
ritables ou des activités patriotiques. A ce propos, on peut prendre
note que le livre ayant connu l'un des plus forts tirages en Suisse
romande est Adèle Kamm , un récit de Paul Seippel (1858-1926 ). Or
ce roman , publié en 1912, raconte l'histoire d'une sainte protestante
qui accepte humblement le rôle classique de la femme soumise à la
tradition chrétienne.
Il faut voir cependant que toutes ces paroles et discours ne man
quent pas d'hypocrisie. Il suffit de rappeler l'épisode peu glorieux où le
chanoine Schorderet à Fribourg n'avait pas hésité à faire appel aux
jeunes filles des institutions religieuses pour assurer la parution de la
presse catholique - et ceci afin de court-circuiter les revendications
syndicales des typographes. On connait aussi l'existence d'un certain
nombre d'institutions ecclésiastiques quimaintenaient des jeunes filles
en caserne, tout en offrant leur force de travail aux entreprises indus
114
trielles. De toute façon, il faut constater que les femmes fonctionnent
surlemarchédu travail, d'une part, comme base ouvrière bon marché
et, d'autre part, comme tampon conjoncturel assumant un rôle écono
miquement comparable à celui de la main -d'oeuvre étrangère.
A ce stade, la liste des attitudes antiféministes serait longue. Le
travail de bureau par exemple - un secteur qui vers 1900 se «fémini
se» et accuse une croissance largement au-dessus de la moyenne -
constitue un domaine singulier de l'affrontement avec la femme
moderne. Car la toute nouvelle demoiselle de bureau est connotée
par des images d'émancipation , telles par exemple le célibat et l'allure
citadine: des valeurs fortement combattues par la droite. Il n 'est donc
guère étonnant que la Schweizerischer Kaufmännischer Verein mette
toutes sortes d'obstacles pour barrer la voie à une formation qualifiée
de l'employée de bureau167. C 'est par ailleurs dans le même sens
qu'intervient l'Union suisse des employés des PTT (fondée en 1893).
Cette association s'oppose avec succès contre l'engagement des
femmes dans son secteur, tout en soulignant l'importance d'une amé
lioration du statut socialde leur emploi. Quant aux avocats, pour
prendre encore un autre exemple, lors de leur congrès de 1910 à
Genève, ils nient aux femmes les qualités nécessaires pour exercer
cette profession. Leur subjectivité naturelle,disent-ils, empêchent les
femmes de rendre un jugement équilibré. De toute évidence, il est
certain que ces diverses confrontations ne peuvent que favoriser
l'antiféminisme et la misogynie. Et en effet, ce genre d'attitude va
marquer durablement la mentalité des classes moyennes, tout en
côtoyantharmonieusement les courants xénophobes et antisémites.
Les différentes attitudes décrites dans ce chapitre font partie d'un
large processusde bricolage d'une nouvelle structure mentale collecti
ve quinaît et s'amplifie au tournant du siècle. Une de ses lignes direc
trices porte sur les multiples tentatives d'identifier un danger flou par
la représentation d'un «Autre» menaçant. L'étranger, le socialiste, le
Juif, les classes défavorisées,les alcooliques, la femme émancipée, aus
si bien que les maladies contagieuses comme par exemple la syphilis,
ne font qu'incarner des angoisses plus ou moins diffuses, des peurs
plus ou moins nommables. Tous ces éléments sont censés menacer
non seulementl'identité culturelle et nationale ,mais aussi l'individu
et sa personnalité. Dans ce sens, les travaux de Freud et de la psychia
115
. ...

TON Hoshaeits
Rexha primei
SBB fresh.Nichttrinker für Nichtspurker RussDamencoupee Tidinggensalon
SBB
Bomben

ma
2

9 . Fritz Boscovitz, Des CFF trèsmodernes selon le Dr Forel.


Premier wagon : «non fumeur» / « voyages de noces et d'affaires» . Deuxièmewagon :
« réservé aux abstinents et aux non -cracheurs» . Troisième wagon : «Coupépour
dames russes» (Bombensicher fait allusion aux bombes des terroristes) / « Salon pour
ritals» ( Tschingg est un mot d'argot suisse allemand quidésignede manière péjorati
ve les Italiens), «on parle italien » .
(Caricature parue dans le Nebelspalter,No 49, 7 décembre 1907.)
trie moderne ne font qu'aggraver les inquiétudes et la désorientation .
Sur fond d'anxiété obscure, les appels à la lutte contre la dégénéres
cence humaine et les recettes pour éliminer le «mal social»,suscitent
un écho considérable. Et ceci d'autant plus que le discours médical -
souvent proche de certaines formes de racisme - y ajoute encore sa
touche de légitimité. Même Auguste Forel, un psychiatre qui n'a en
principe rien à voir avec l'idéologie politique de la droite, développe
cette tendance. Dans ses exposés, il fait une analyse biologisante de la
116
société, et plaidera sa vie durant pour une «hygiène de la race»
(Rassenhygiene). En Suisse, il sera l'un des premiers à appliquer la sté
rilisation desmalades mentaux168. Avec, pour argument, que la socié
té est divisée en deux grands groupes: les classes supérieures d'une
part - saines, heureuses et utiles au développement social; et les
classes inférieures d'autre part - malades,malheureuses, chargeant
inutilement la communauté et dangereuses pour l'avenir de la civili
sation . Dans sa fameuse brochure intitulée La morale sexuelle, publiée
en 1906 , on peut lire :«... nous possédonsun énorme excédent d'indi
vidus malingres, infirmes, neurasthéniques, imbéciles, déséquilibrés,
criminels, paresseux, menteurs, vaniteux, rusés, avares, passionnés,
impulsifs, ou sans volonté. Ces êtres, incapables ou nuisibles, exigent
beaucoup des autres et ne produisent que fort peu de travail utile,
souventmême plus de mal social que de travail» 169. En généralisant
cette approche, Forel développe une sorte de théorie raciale qui
s'applique non seulement à des groupes sociaux, mais à des peuples
entiers et à leur culture. A ce propos, il écrit en 1914: « Il faut distin
guer avec certitude celles [les races) qui sont simplement encorebar
bares ou sauvagesmais civilisablesde celles qui sontelles-mêmes infé
rieures par hérédité et par là incomplètement civilisables» 170.
Ce qui rapproche les idées de Forel de celles émises par les théori
ciens racistes, c'est le rôle donné à l'hérédité. En effet, le célèbre psy
chiatre est persuadé que tout défaut, qu'il soit physique,moral ou psy
chique, est dû en grande partie au poids de l'hérédité. Tirant les
conséquence de son analyse, il pense qu'il est du devoir de la société
de se protéger de la prolifération des prétendus tarés par une politique
sociale etmédicale.Par ailleurs, cette manière de cerner une classe ou
un groupe social dit dégénéré ou frappé de maladies héréditaires
n 'apparaît pas seulement dans le discours des médecins et des psy
chiatres. Car l'idée de dégénérescence est devenue la composante
essentielle d'une nouvelle angoisse collective. A la peur suscitée par
les maladies héréditaires s'ajoutent les craintes de la petite bourgeoi
sie de subir un déclassement social - c'est-à-dire d’être jetée dans le
prolétariat. C'est pourquoi les nouvelles maladies jouent le rôle de
figure métaphorique d'une possible et redoutée descente dans la
misère des couches sociales ditesmalsaines. La présence de la tuber
culose - une maladie mortelle, facilement contagieuse et souvent
117
consécutive de la pauvreté - ne fait que renforcer l'image que les
classes laborieuses sont aussi des classesdangereuses.
De l'ensemble des approches pseudo-scientifiques prônées par les
médecins et les psychiatres, il ressort que dans le public la peur
s'aggrave et devient de plus en plus irrationnelle. Un destin funeste
semble se dresser devant l'humanité. Edouard Rod, l'un des écrivains
les plus prisés de Suisse romande, écrit: «Et une loi plus inexorable que
la menace du Décalogue rend les fils héritiers des faiblesses de leurs
pères, de leurs névroses, de leurs vices, qui se transforment à l'infini,
s'effacent, reparaîssent, s'aggravent, empoisonnent des familles inno
centes, procréent des générations de crétins, de phtisiques, de rachi
tiques, de scrofuleux, d'ivrognes et d'assassins. Enfin notre intelligen
ce, en nous mettant en lutte contre la nature, en poursuivantnotre
émancipation, nous a créé de nouvelles chaînes» 171.
Chez les adeptes de ces nouvelles théories scientifiques, la dégra
dation morale de l'homme, la criminalité et la maladie mentale ne
représentent pas seulement des dangers sociaux ou individuels. Dans
les spéculations sur l'avenir de la société, les défauts psychiques - tels
qu'ils sont décrits dans les traités psychiatriques du début du siècle -
sont considérés comme des facteurs décisifs pourmettre en danger les
piliers mêmes de l'ordre social et la structure étatique. Comme
l'explique Armand de Mestral (1861-1921) - un libéral conservateur
appartenant aux milieux religieux vaudois -, ils menacent «à la fois
l'Eglise, la patrie et la famille» 172.
Mais revenons à Forel et aux psychiatres de la Suisse alémanique
des années avant-guerre. Eugen Bleuler (1857-1939), le psychiatre
qui prend la relève de Forel à la direction de l'asile des aliénés à
Zurich (le Burghölzli), partage largement ces vues. La médecine
moderne, dit Bleuler, représente un danger pour l'avenir de la race
humaine car son efficacité prolonge la vie, favorise la prolifération
des faibles,et cela au détrimentdes races fortes.Il n'est pasnécessaire
d'être un adepte de Nietzsche, conclut Bleuler, pour se faire de
sérieux soucis concernant l'avenir des peuples civilisés173. Au début
du 20e siècle, Bleuler se fera connaître comme l'un des précurseurs les
plus populairesde l'eugénisme.
Formé dans l'entourage de Forel et Bleuler, un autre psychiatre
suisse fera carrière comme grand spécialiste de la politique démogra
118
phique et raciale de l'Allemagne nazie. Il s'agit d'Ernst Rüdin (1874
1952) qui a fait ses études au Burghölzli. Très tôt, il se tourne vers
Alfred Ploetz, le père fondateur de l'hygiène sociale. Nommé profes
seur de psychiatrie à Munich en 1915, Rüdin ne rompt pas ses liens
avec la Suisse et dirigera, de 1925 à 1928, la clinique psychiatrique
universitaire de Bâle. Quant à sa carrière en Allemagne - qui débute
avec la rédaction du commentaire sur la loi de stérilisation de 1933 -,
elle trouvera son apogée sous le régime nazi lorsque Rüdin deviendra
membre de la Commission d'experts chargée de définir les grandes
options en matière depolitique démographique et raciale174.
Ce qui est particulièrement remarquable pour notre propos, c'est
que dans tous cesdiscours médicaux, l'alcoolisme, la maladie mentale
et la criminalité sont jetés pêle-mêle pour former un ensemble de
repères permettant, une fois de plus, d'identifier, d'isoler ou d'exclure
une classe sociale spécifique, ou alors des groupes ethniques ou cultu
rels perçus comme différents. Sans vouloir prolonger la présentation
de ce discours alambiqué qui s'impose jusque sur les premières pages
des journaux politiques de l'époque, j'aimerais tout de même relever
encore l'une de ces combinaisons insolites greffée sur un groupe social
particulièrement stigmatisé par la droite de l'époque - et dont le suc
cès a probablement dépassé toutes les espérancesde ses promoteurs. Il
s'agit, en l'occurrence, d'une explication quimet en rapport l'alcoo
lismeet la classe ouvrière, un des thèmes récurrents du Journal de la
Société vaudoise d'utilité publique. « A mesure que l'alcoolisme progres
se», dit l'auteur d'un article, «les grèves se multiplient»175. Et dans
une brochure rédigée par une autre plume, on peut lire le complé
ment suivant: «...prenons-y bien garde! L'alcoolisme uni à d'autres
causes, serait en train de façonner un prolétariat capable de nous
ramener à la barbarie» 176.
Or sans vouloir nier les effets désastreux de l'alcool sur la popula
tion ouvrière, il convient de souligner que dans la bataille contre
cette maladie sociale, un certain discours médical aura son poids de
conséquences. Tout d'abord, il va souvent fonctionner comme corol
laire et légitimation des mesures policières répressives. Ensuite, les
remèdes envisagés iront de plus en plus fréquemment dans le sens
d'une hygiène raciale, telle que la préconise par exemple Robert
Schmid dans sa thèse intitulée Le recul desnaissance en Suisse. De sur
119
croît, c'est aussi dans ce contexte qu'apparaissent les premiers prin
cipes de l'eugénisme - une doctrine qui dominera une grande partie
du discours de la politique sociale de l'Entre-deux guerres. Dans le
canton de Vaud, c'est en 1928 qu'un article concernant la stérilisa
tion desmaladesmentaux est introduit dans sa nouvelle loi sanitaire.
Le chef de la clinique psychiatrique de Cery à Lausanne, le Dr
Mahaim , explique à ce propos: « Seules ces règles générales sont de
nature à améliorer la race et elles seront toujours plus efficaces que
tout ce que l'on est obligé de faire plus tard pour soigner ces malheu
reux déchets de l'humanité »177.
Mais retournons, pour terminer ce chapitre, aux valeurs fonda
mentales de la nouvelle droite. Il faut rappeler qu'elles se définissent
en premier lieu par la négative: contre l'étranger, contre les couches
sociales défavorisées, contre le socialisme, contre l'émancipation des
femmes, etc.Mais cette énumération suggère qu'il existe quelque part
une élite capable de rétablir l'ordre et d'ordonner les hiérarchies
sociales. Ce qui forcément a des implications pratiques. C 'est pour
quoi Hilty propose, commenous l'avons vu au chapitre 5, qu'un corps
d'officiers patriotiques assume cette tâche. Le même esprit aristocra
tique est par ailleurs aussi l'acquis spécifique des corporations d'étu
diants. Quant à l'imaginaire social qui sous-tend cette vision du mon
de, cette élite le puise dans une série de références quifondentl'exis
tence d'une race supérieure, caractérisée quant à elle par ses origines
rustiques, ses vertus guerrières (Hilty) et son héroïsme solitaire. Une
configuration de valeurs qui dégagentdeux qualités bien identifiables:
la virilité,le goût et la fascination pour la guerre.
De la guerre, il en est justement question dans le discours pro
noncé le 14 août 1891 par le Conseiller d'Etat bernois von Steiger -
le chef des conservateurs - pour le 700ème anniversaire de Berne.
Vitupérantcontre les faiblesse du peuple - sa mollesse due à son senti
ment de sécurité et ses discordes mesquines -, il souhaite qu 'il
retrouve la «force virile» (Manneskraft) des ancêtres. Orpour obtenir
ce résultat, il lui semble que seul «le bruit des armes ennemies» pour
rait réveiller les Suisses178. Hilty quant à lui, en arrive quelques
années plus tard aux mêmes conclusions:« Seule la guerre supprimera,
y compris dans les conditions actuelles, cet état social rouillé (verros
tete Zustände)» 179.Même un Ernest Bovet voit dans l'absence de
120
guerre les causes de la dégradation des valeurs sociales. «Nos pires
ennemis», écrit-il, «ce ne sont pas les armées étrangères, ce ne sont
que notre égoïsme, l'indifférence, l'anarchie des esprits et la veulerie
qu'une longue période de paix engendre presque fatalement»180.
Ce qui donne à cet éventail de propositions une gravité très
importante , c'est leur convergence avec le discours des adeptes du
darwinisme social. Car pour ces derniers, la lutte inévitable entre les
nations sélectionnera le peuple le plus fort et la race la plus vigou
reuse. Aux yeux des gens qui raisonnent comme Eugen Bircher, le
militaire et la guerre catalysent les vertus indispensables à l'existence
et à la formation de la société moderne. Lesmêmes fantasmes que
ceux développés par Barrès ou D 'Annunzio sont présents; car eux
aussi rêvent de restaurer, par le recours aux violences guerrières, une
société civile hiérarchisée et dotée d'une culture d'élite.
La Grande Guerre semble arriver à point pour exaucer les voeux
de cette droite conservatrice belliqueuse. Le 20 août 1914, Edouard
Secrétan, le directeur de la Gazette de Lausanne, écrit: «L'épreuve est
solennelle. Il est trop tard pour revenir en arrière, pour tergiverser,
pour donner des explications. Il faut tuer, et dans cette tuerie il faut
chez chacun de ces hommes, du général en chef au dernier soldat, le
mépris de la mort, l'oubli de soi, l'espérance d'une vie nouvelle,
l'exaltation suprême pour, à travers les périls et les souffrances, être
plus alerte, plus infatigable , plus tenace, plus fort que l'ennemi. Dans
ces efforts vont se résumer toute la vie antérieure de chacun de ces
deux peuples: traditions, moeurs, éducation physique et culture intel
lectuelle dans la famille et dans l'école, arts et sciences, institutions
politiques et économiques, et organisme gouvernemental, foi religieu
se, toutes les puissancesmatérielles et morales des deux nations, dans
X

le passé et dans le présent...» 181.


Et une année plus tard, Gonzague de Reynold affirme: « Cette
guerre, [...] je crois souvent, était une nécessité: nous n'en voyons
aujourd'hui que les côtés les plus sombres et les plus dramatiques,
mais nous en verrons demain , j'en suis sûr, des côtés lumineux.[...] Il
est certain que nous arrivons au seuil d'un nouveau monde et d'une
nouvelle civilisation » 182. Cette nouvelle civilisation , Robert de Traz -
écrivain et maître à penser de la nouvelle droite helvétique - y aspi
rait déjà auparavant. Car il voyait dans la guerre le nécessaire rituel
121
de passage pour accéder à unenouvelle ère héroïque: «Mais si la guer
re éclatait - et elle éclatera encore -, si nous étions livrés à nos seules
forces, c'est pour le coup qu'il faudrait nous surpasser. Puissions-nous
être alors héroïques! Sans doute la plupart d'entre nous en périrait.
Peut-être notre pays lui-même devrait-il disparaître... Qu'importe la
mort, aurait dit un Athénien , si le souvenir qu'on laisse est
immortel» 183.
Finalement, et toujours pour pointer ce réseau d'aspirationsbelli
queuses, j'aimerais encore citerune personnalité qui, avant la Grande
Guerre, n 'apparaît qu'en marge de la droite genevoise. Il s'agit de
Théodore Aubert (1878-1963), avocat à Genève et occasionnelle
ment écrivain patriotique. Par la suite, c'est lui qui appellera à la
création des gardes civiques et organisera la lutte anticommuniste en
Suisse. En 1911,il publie un roman: 1814. Roman historique genevois,
et en octobre 1914, unepetite brochure, intitulée La conscience helvé
tique qui contient les phrases suivantes: « La fleur de la jeunesse
d'Europe tombe sur les champs sanglants. Saluons son héroïsme et sa
foi. L'obstination sublime qu'elle apporte à la bataille, démontre à
l'Histoire que l'Européen a gardé le courage et l'esprit de sacrifice et
qu'il est digne encore de porter en lui les espoirs de la civilisation. De
lamort, la vie ressuscite» 184.
Ortous ces hommes, porteurs de tant de fascination et d'enthou
siasme pour la guerre, trouvent dans les oeuvres de Robert de Traz un
modèle littéraire. Son roman à succès, L'homme dans le rang - publié
juste avant la Première Guerre mondiale - célèbre lui aussi à satiété
l'esprit guerrier, les vertus de l'officier héroïque et la soumission de
l'homme simple à la hiérarchie «naturelle».
Dans l'idéologie de la droite, le désir de violence est constitutif
d'une stratégie politique dont le projet est précis et concret: la recons
truction d'une société hiérarchisée et dominée par l'élite réactionnai
re qu'elle représente. Dans cette perspective, la Grande Guerre ne
signifiait pas seulement un conflit impérialiste entre les grandes
nations,mais aussi bien une lutte de classes ouverte, initiée et organi
sée non essentiellement par le prolétariat, mais par la bourgeoisie
conservatrice et réactionnaire de chaque pays. L'appel à la « lutte
héroïque » visait en définitive autant l'ennemi « de l'intérieur» que
celuide la nation hostile.
122
8 . La politique comme oeuvre d' art

La première partie du livre de l'historien bâlois Jakob Burckhardt


La Civilisation de la Renaissance en Italie porte un titre symptomatique:
« L'Etat comme oeuvre d'art». Car l'image évoquée par ce libellé
rejoindra une véritable obsession de la bourgeoisie autour de 1900, et
culminera dans les fantasmes de ce qu'on appelle en allemand la
Gesamtkunstwerk, soit l'oeuvre d'art totale185. Cette notion - dont la
traduction française est insatisfaisante - va souvent de pair avec une
aspiration et un imaginaire culturels composésde visions idéalisées de
l'antiquité et de la renaissance. Avec, à la clé, une représentation
esthétique de l'Etatmoderne qui se confond avec les ruines de
l’Acropole. Quant aux chimères logées dans la Gesamtkunstwerk, on
les retrouvent par exemple dans des oeuvres comme le Bayreuth de
Richard Wagner, ou le Vittoriale de Gabriele D'Annunzio - une sorte
de culte consacré au nationalisme et à l'héroïsme de l'Italie mussoli
nienne. Par ailleurs, cette idée de la Gesamtkunstwerk est également
chargée d'un attrait profond pour donner à l'Etat une forte expression
symbolique. En effet, la classe politique bourgeoise,mise au défit par
la nouvelle élite culturelle de la fin du siècle, aspire à l'image d'un
Etat qui dépasserait la sobriété du système politique, la médiocrité de
la salle parlementaire et la laideur du classicismedes édifices publics.
Les Beaux-Arts sont donc appelés à la rescousse pour tenter de trans
former les actes politiques en scènes théâtrales, afin d'inculquer à la
représentation symbolique du pouvoir un sens plus profond et plus
authentique.
Quant à la nouvelle droite, elle utilise ce déplacement - quibiaise
le débat politique par un discours artistique - pour mieux diffuser ses
propres valeurs sociales. C 'est dans ce sens que Gonzague de Reynold
fait l'éloge de l’Ancien Régime en tant qu'Etat baroque (et catho
lique) qui, dit-il, « est théâtral comme l'art lui-même». Et il conclut,
dévoilant par là les concepts politiques véhiculés par cette représen
tation : «Ainsi, l'Etat baroque emprunte à la Renaissance l'idée de
123
10.Gonzague de Reynold dans son château de Cressier en 1940.
124
beauté, de luxe, de prodigalité, demagnificence, mais non plus pour
l'homme seul: pour Dieu, et pour ceux qui représentent Dieu: le sou
verain ,l'Eglise» 186.
Robert de Traz, quant à lui, s'imagine la Gesamtkunstwerk dans le
cadre de l'antiquité. «Chez les Grecs», dit -il, «la beauté était une idée
constitutive de la République. L'artiste n'était pas un isolé: on s'inté
ressait au contraire à son travail et ses oeuvresmanifestaient le génie
commun » 187. Et si le temps des cathédrales gothiques trouve aussi
grâce à ses yeux, il regrette qu'aujourd'hui, et particulièrement en
Suisse, l'art n'ait pas le droit de la cité qu'ilmérite. Pourtant, de Traz
n'exprime pas uniquement un engouement nostalgique. En dépit de
sa prédilection pour l'art des grandes époques del'humanité, il défend
également l'artmoderne et avant-gardiste.
Sur un autre plan, et souvent proche d'un rituel quasireligieux,la
Suisse de la fin du 19e siècle se trouve à son tour dans une ère «de
luxe, de prodigalité et de magnificence». En effet, les fêtes, cérémo
nies et commémorations prolifèrent à telpoint que certains semblent
en avoir la nausée. Gottfried Keller, en 1883 déjà , déclare ne plus
supporter ces démonstrations. Et Carl Hilty réitère presque chaque
année ses critiques au sujet des fêtes populaires.Même la Société suis
se d'utilité publique donne à une commission le mandat d'enquêter
sur les moyens d'améliorer cette situation . En dépit de ces démarches,
le nombre des fêtes patriotiques et culturelles ne cesse de croître. En
1891, éblouie par les 14 juillet, anniversaires du Kaiser et commémo
rations de la bataille de Sedan, la Confédération introduit la fête du
ler août. L'évidence de la date historique est contestée. Le fameux
pacte de 1291 - un traité local comme on en signait beaucoup à
l'époque - n 'avait été découvert qu 'au 18e siècle, et un peu par
hasard.Ce n'est qu'à partir de la fin du siècle que le Premier août sera
lentement accepté comme fête nationale. Son véritable baptême,
celui qui l'investira de l'aura de la tradition , se jouera durant la
Première Guerre mondiale, lorsque le nationalisme exalté et l'esprit
militaire luiinculqueront leur âme.
En approfondissant la recherche, l'historien se rend compte que
cette activité spectaculaire cache, sans aucun doute, un malaise spéci
fique de la société civile à la fin du siècle. Les fêtes et rituels tendent
à compenser de fait les faiblesses de la réflexion politique et le
125
manque de projets sociaux.Mais avant d'analyser ce décalage, jetons
quand même un bref regard sur les fastes de la société helvétique
autour de 1900.
En 1883, 1896 et 1914, des expositions nationales qui rassem
blent des centaines de milliers de Suisses dans une fête permanente,
sont organisées avec l'aide de la Confédération . Quant aux commé
morations des batailles, cautionnées par la présence de nombreux
notables et Conseillers fédéraux, elles deviennent de véritables rituels
de la classe politique, ainsi que le lieu privilégié d'une mise en scène
de l'esprit national. C 'est notamment le cas pour le 500èmeanniver
saire de la bataille de Sempach en 1886 , une fête qui va se reproduire
année après année, amorçant ainsi une nouvelle phase dansla spirale
du spectaculaire. En 1911, dix mille personnes se retrouveront sur
l'ancien champ de bataille pour admirer des cohortes de figurants
mimant les luttes d'antan . Les commémorations cantonales, tel le
100ème anniversaire de la naissance du canton de Vaud en 1903,
prennent des dimensions gigantesques avec, notamment, d'immenses
Festspiele qui engagent des centaines, voire des milliers de partici
pants . C 'est aussi en 1895 qu'on réinvente la fête des bergers
d'Unspunnen à Interlaken , une pseudo-tradition qui auparavant ne
s'était manifestée que deux fois: en 1805 et 1808. En ces temps-là, le
gouvernementbernois avait espéré, en mettant lui-même en scène
cette rencontre populaire, non seulement améliorer sa popularité
mais aussi stimuler le tourisme dans l'Oberland bernois. Cependant,
les tournures festives de la fin du siècle, tout en restant liées à l'indus
trie touristique, s'inscrivent davantage dans l'activité patriotique du
nouveau conservatisme rural. Dans la même optique,mais aspirant à
des valeurs culturelles et esthétiques plus « élevées» , la Fête des
Vignerons de 1905 battra tous les records. Edouard Rod lui-même
publie un long article très élogieux pourmarquer cet événement188.
Un autre commentateur, Arthur de Claparède, loue cette célébration
comme « la plus splendide manifestation de l'art social». Et il ajoute:
« Le patriotisme suisse et le travail moralisateur y sont exaltés, nous
l'avons vu, dans un scénario puissant qui procure les émotions artis
tiques les plus élevées et les plus fortes» 189.
L'euphorie des fêtes séduit ainsi l'élite intellectuelle et culturelle.
A Lausanne, les cérémonies universitaires se déroulent du 17 au 20
126
mai 1891 dans un faste mémorable. Félix Bonjour, alors journaliste à
La Nouvelle Revue, se rappelle: «Cérémonie religieuse à la cathédrale,
cérémonie universitaire au Théâtre, banquets, grand concert, course
sur le lac sur trois bateaux en compagnie du Grand Conseil et du
Conseil communalde Lausanne, cantate d'enfants,adresses, discours,
grand commers d'étudiants sous la Grenette, réception à Beau
Rivage, rien ne manqua de ce qui pouvait donner à ces fêtes une
signification imposante» 190 .
La même année, lors de l'inauguration du nouvel opéra, Zurich
présente un autre exemple de cette culture qui s'oriente vers les fêtes
spectaculaires. L'édifice en question, couronné d'une lourde coupole,
s'ouvre au public au son de la Lohengrin de Wagner accompagnée de
rituels pompeux .Mais on peut encore citer d'autres formes de cet
épanouissement culturel.Certaines associations, comme par exemple
le Cercle littéraire de Hottingen - un haut lieu non seulement de la
société bourgeoise zurichoise mais aussi d'un grand nombre d'intellec
tuels suisses, voire Allemands - organise chaque année unemanifesta
tion somptuaire. En 1912, l'année de la grève générale, c'est une fête
printanière à la romaine - avec participants en costumes d'époque -
qui transforme la bourgeoisie zurichoise en société de la Rome
antique.La NZZ consacre une page entière à cet événement.
Mais de ce pointde vue,la classe politique ne s'investit pas seule
ment dans ces fêtes. Au delà des commémorations, son activité passe
de plus en plus fréquemment par une sorte de geste théâtral dont le
modèle est livré par les grands potentats de l'Europe de 1900. Le 2
mai 1893, par exemple, l'empereur d'AllemagneGuillaume II fait une
« visite-éclair» (Blitzbesuch ) à Lucerne. Pour voir passer le maître de
l'empire germanique, 30 '000 spectateurs et 800 journalistes se sont
mobilisés. Or, on connaît les conséquences de cette pratique de
« visites -éclairs» A Agadir en 1911, pour ne citer que cet évènement,
Guillaume II tente par cette méthode d'impressionner la France avec
son « saut de panthère» (Panthersprung), tout en provoquant une crise
politique internationale. En 1912, l'empereur allemand revient en
Suisse, accueilli cette fois par l'un des plus grands spectacles poli
tiques et militaires que le pays ait connu. L'écrivain Meinrad Inglin ,
né en 1893, nous livre dansLa Suisse dans un miroir - ce roman consa
cré à la société suisse de la première moitié du 20e siècle - une image
127
fidèle de l'arrivée de Guillaume II. Elément significatif, cet épisode
ouvre le récit: «La presse bourgeoise lui souhaita la bienvenue avec
un empressement solennel; les autorités suprêmes du pays et une
compagnie d'honneur l'attendaient à la gare; la traversée de la ville,
pavoisée d'oriflammes et de drapeaux, et les vivats de la population ,
tout contribua à faire de cette réception un événement que même
une ville du Reich n 'aurait pu réussir aussi bien » 191.
Finalement, dans les manoeuvres mises en scène spécialement
pour cette réception, l'occasion est offerte au futur général Wille de
faire la preuve que l'armée suisse s'apprête à emboîter le pas prussien.
L'empereur ayant apparemment laisser tomber lesmots « Parbleu, les
Belges ne sont pas autant capables», la diplomatie helvétique
s'empresse de faire valoir le succès de cette visite qui comporte un
seul défaut: Guillaume II, faute de temps, n 'a pas pu visiter
l’Engadine, une terre qu'il considère comme sacrée depuis le séjour
de Nietzsche192.
En tout état de cause, ce monde des fêtes et des spectacles poli
tiques est plein d'ambiguïtés. Certes, il s'agit de l'expression d'un for
midable épanouissement de la culture et de l'espace public bourgeois;
et cesmanifestationstémoignentde la capacité des classes dirigeantes
à appréhender les points cruciaux de la sensibilité populaire tout en
activant un imaginaire social de fabrication maison . Mais ces fastes
masquent souvent un vide, celui de l'absence de projets politiques
cohérents. Cet aspect est particulièrementmanifeste si l'on pense à
l'année 1912. Car c'est le moment choisit par l'élite zurichoise pour
mimer la société aisée de la Rome antique, alors qu'à Aussersihl -
dans le quartier ouvrier dominé par la toute nouvelle et impression
nante Maison du peuple -, tel un spectre, la grève générale s'organise.
Cette entrée en matière par le biais des fêtes et commémorations
nous permet d'aborder très directementun domaine qui se trouve au
centre de l'intérêt de la nouvelle droite. Tout commeGonzague de
Reynold préfère l'Etat baroque au système politique des radicaux, la
droite aimerait superposer au discours politique libéraldu 19e siècle,
la prose littéraire et la gestuelle symbolique d'un nouveau mythe.
Dansles pays voisins,des démarches de ce type ont déjà relativement
bien réussi. Maurice Barrès comme poète de la Nation , Julius
Langbehn comme éducateur de l'homme nouveau, Gabriele
128
D 'Annunzio en tant qu'esthète du dandysme de la nouvelle droite,
témoignent tous à leur manière du succès d'une idéologie en prise sur
le politique par le truchementd'un discours esthétiquemoderne.
Cette idée du déplacement du politique vers la sphère du culturel
est modulée de différentes façonsdans la pensée de la nouvelle droite.
Mais avantde passer à l'analyse de ce phénomène dans le cadre de la
droite helvétique, il convient de préciser tout d'abord comment il
évolue au sein des mouvements catholiques-conservateurs. Chez ces
derniers, c'est sur le plan des pèlerinages que cette modalité d'existen
ce des moeurs politico -culturelles s'exprime le mieux. Le nouveau
concept est fort bien décrit dans une petite étude de Gottfried
Korff193 qui mentionne par ailleurs un cas précis en Allemagne. De
manière générale, c'est le Kulturkampf qui donne pour la première fois
aux processions et pèlerinages un caractère politiquemanifeste.Mais
la véritable modernisation s'opère plus tard, sous la direction d'un
nouveau catholicisme politique qui voit le jour à la fin du siècle.
Profitantde l'application des inventions les plus récentes - telle l'illu
mination électrique - pèlerinages et processions deviennent des spec
tacles hautement organisés et programmés, accompagnés de fanfares,
de groupes en costumes, et de défilés de drapeaux bien ordonnés. Les
notables assument dans ces cortèges un rôle central, imposant à la
manifestation le principe de la hiérarchie sociale . Dans la mesure où
il réussit à susciter une sensibilité esthétique, ce rituel n'est pas pour
déplaire à la nouvelle droite dans son ensemble.
A Fribourg, les protagonistes de la république chrétienne de
Python n'hésitent pas à utiliser ce moyen de propagande et d'enca
drement populaire. La formemoderne du pèlerinage, développée par
le chanoine Schorderet, est récupérée par la classe politique. Il en va
de même à la campagne,où une autre fraction catholique organise le
pèlerinage cantonal à Notre-Dame desMarches. Les gens affluent en
masse, souvent transportés par des trains commandés tout spéciale
ment. Et dans les villes de la diaspora catholique suisse, la procession
sert, commele précise un journal, pour «la reconquête de la rue pour
Dieu » 194
Mais si les catholiques s'apprêtent à conquérir la rue, la bourgeoi
sie libérale occupe et défend l'espace de la cité. Sur ce plan des luttes
symboliques,les édifices publics se prêtentparticulièrementbien pour
129
afficher un langage métaphorique195 .Ainsi, par exemple, la construc
tion des gares se transforme en manifestation esthétique censée expri
mer lesvaleurs politiques de l'Etat. La gare de Lucerne (1896 ) illustre
particulièrement bien ce phénomène. Projetée par Hans W . Auer,
l'immense coupole du hall central, quinemanque pas de rappeler la
physionomie de l'architecture sacrée, dépasse la hauteur des clochers
des églises lucernoises. Un langage symbolique vécu comme une véri
table provocation par la population catholique. Le même Auer
construira encore le Palais fédéral inauguré le 1er avril 1902196.Mais
son style Fin de siècle ne suscitera pas, et de loin, l'unanimité. Le
monument fédéral n'est pas ménagé par des critiques parfois très
acerbes, et mêmeHilty trouve que le bâtiment,disproportionné, n 'est
pas tout à fait réussi. Quant à Decurtins, il voit dans le Palais fédéral
un «mausolée du parlamentarisme».
Le déplacement du discours politique en manifestations symbo
liques devient une pratique de plus en plus courante dansles activités
des radicaux. L'Etat fédéral n 'échappe pas à cette évolution et, dans
ce sens, il se voit contraint d'amorcer une politique culturelle197. En
1887, la Confédération promulgue un arrêté autorisant la création
d'une Commission fédérale des Beaux-Arts pourvue d'un budget
annuel de 100'000 francs. Cette commission,moyennant l'achat de
leurs tableaux, va subventionner les peintres suisses. En 1890 , elle
organise la première exposition nationale des Beaux-Arts. C 'est la
débâcle totale. Une critique violente s'abat sur les responsables,
incluant le Conseil fédéral lui-même. A partir de cette année 1890,
l'Etat fédéral- et les radicaux en tantque majorité politique- est dou
loureusement impliqué dans une série de polémiques artistiques. En
1897, La Retraite de Marignan , le projet de fresque réalisé par Hodler
pour le Musée national, déchaîne derechef la virulence des chroni
queurs. Cette tempête à peine calmée, unenouvelle attaque contre la
Commission fédérale des Beaux-Arts déclenche la troisième crise .
Cette dernière sera alimentée par des débats extrêmementviolents au
sein même du Parlement à Berne. Ainsi, juste à l'aube de la Grande
Guerre, la politique culturelle de la Confédération est aux abois, et
les projets officiels ont perdu presque toute crédibilité. Curieusement,
ces faits contrastent fortement avec le faste du Palais fédéral, les édi
ficespublics pompeux, et les fêtespopulaires spectaculaires. Pourtant,
130
une fois de plus, il s'agit de la manifestation des deux facettes d'une
situation très ambiguë et propre à cette fin du siècle.
De ces différentes affaires, retenons simplement que l'époque de
1900 se caractérise à la fois par l'avènement d'un nouveau discours
politico -culturel, par l'éclatement des orientations esthétiques tradi
tionnelles, ainsi que par l'altération des valeurs culturelles.Un grand
nombre d'études historiques a relevé ce déboussolementparticulier de
la société industrielle et capitaliste au tournant du siècle. Or, il cor
respond largement aux contradictions sociales et aux tensions écono
miques de cette période. En Suisse , on n 'échappe pas à cette évolu
tion quidébouche sur une véritable crise de conscience. Hilty, quant
à lui, considère l'ensemble de la vie artistique et littéraire moderne
commele résultatmalsain d'une crise de nerfs collective198 .
Dans cette confusion et dansce désarroi,la nouvelle droite entre
voit la possibilité d'ouvrir une brèche décisive dans l'enceinte de la
culture politique des radicaux. Elle espère imposer, par le truchement
d'un discours culturel, ses propres projets politiques. L'esprit de cette
démarche se trouve clairement exprimé par le titre d'un article de
Gonzague de Reynold, paru en janvier 1910 dans La Voile latine: « Le
besoin de l'ordre». Cette parole lancée, de Reynold poursuit en décli
nant l'enchaînement de valeurs qui vont de l'esthétique au politique :
« L'idée d'ordre implique une hiérarchie esthétique: la classique hiérar
chie des genres, ou sociale: aristocratie de naissance,de fonction ou de
culture» 199. Cette conception d'un nouvel ordre, qui permet de criti
quer durement l'état culturel de la Suisse, traduit bien entendu les
valeurs fondamentales de l'idéologie de la droite. Ce programme poli
tico-culturel s'adresse en premier lieu à une nouvelle nouvelle géné
ration d'intellectuels investie, prétend de Reynold, d'un esprit parti
culier qui «entend baser la société de demain sur des lois qui ne
soient point contraires à la nature; il accepte le monde tel qu'il est et
ne rêve pas de perfectionnements indéfinis, de liberté, d'égalité, de
fraternité impossibles etdangereuses»200.
Ainsi, le courant le plusmoderniste de la droite a trouvé un
modèle esthétique concret et conforme à l'idée du nouvel ordre.
«Hodler», précise une fois de plus Gonzague de Reynold, «a exercé
sur la plupart d'entre nous une action profonde, parce que ce volon
taire est le plus puissant créateur d'ordre de ce temps»201. Et dans un
131
autre article,ilconfirme: «Pour la première fois chez nous,Hodler, ce
rude Bernois, a trouvé sa langue et créé son style: son art est la plus
haute expression de la Suisse actuelle» 202. Cependant, paradoxale
ment, c'est justement l'expression esthétique de Hodler quiprovoque
de profonds clivages dans la droite helvétique. Ce sont les images de
sang et de fer de la Première Guerremondiale quifiniront par rassem
bler la grande majorité autour des guerriers ensanglantés du peintre
bernois.
Nousavons vu que la conception élitaire de la droite ne supporte
pas les principes de la démocratie. Cet aspect se manifeste encore plus
clairement sur le plan culturel. Les Beaux-Arts, prêche la droite, ont
profondément besoin de l'esprit d'un maître et de la force du génie .
Comme la démocratie enfermel'individu dans un espace où l'égalité
et la médiocrité dominent, elle entrave de ce fait l'épanouissement
des arts203. Cette logique recoupe donc parfaitement les principes
politiques de la nouvelle droite, principes qui s'opposent fermement à
l'idée d'une égalité politique.
Par rapport à ce processus de déplacement de la réflexion poli
tique vers le discours esthétique, force est de tenir compte encore
d'un autre facteur important: l'élitisme et l'exaltation culturelle prati
qués par la jeunesse. Cette nouvelle conscience est sans aucun doute
liée à l'avènement d'une classe particulière, les intellectuels. En
France, on situe ce phénomène dans le contexte de l'affaire Dreyfus,
période où les écrivains, les hommes de lettres et les universitaires
interviennent fréquemmentdans le débat public en tant que groupe
social et professionnel204. Cependant, la cause première de cette évo
lution réside dans un changement social particulier de la population
universitaire et académique. En effet, à la fin du siècle, la population
estudiantine augmente rapidement. C 'est aussi le cas en Suisse où le
nombre des étudiants passe de 2'300 en 1890 à 6'800 en 1910. On
note en particulier une croissance considérable dans le domaine des
sciences humaines. Entre 1895 et 1905 les effectifs doublent et,
aspect singulièrement intéressant pour notre thématique, le nombre
de femmes parmi les étudiants se multiplie par quatre. Par ailleurs,
l'augmentation numérique de ce groupe professionnel suscite la crain
te que cette traditionnelle élite sociale ne subisse les effets d'une véri
table « prolétarisation» .
132
A cette croissance du nombre des intellectuels correspond
l'expansion de la presse et des maisons d'édition. Non seulement la
presse quotidienne se développe rapidement,mais à partir de 1890 de
nombreuses revues politico -littéraires apparaissentsur le marché. On
prendra comme exemple le Politisches Jahrbuch der Schweizerischen
Eidgenossenschaft, créé en 1886 par Carl Hilty, professeur de droit
public à Berne - une source historique par ailleurs inestimable et dont
je me suis largement servi pour cette étude. Comme autre exemple,
on peut encore signaler La Semaine littéraire, une revue créée en 1893
et qui restera longtemps une tribune culturelle importante des intel
lectuels de la Suisse romande. Ce type de publications, considérable
ment élargi, va égalementrenforcer le poids économique desmaisons
d'édition devenues un nouvel enjeu du marché.
Le statut et le prestige social de l'universitaire risquentdès lors de
se dégrader.Laconcurrence à laquelle il se heurte sur le marché du tra
vail se durcit, et sa dépendance économique devient plus contrai
gnante. Mais d'autre part, les intellectuels se constituent progressive
ment en tant que groupe socio -professionnel qui assume un rôle de plus
en plus important dans la formation de l'opinion publique de masse.
L'une des expressionsde ce changement se manifeste par l'élaboration
d'une conscience de classe de l'universitaire, de l'homme de lettres et
de l'écrivain qui va de pair avec son nouveau rôle dans la société. En
tant que professionnel de l'opinion publique, ce dernier - à l'instar de
n 'importe quel autre groupe de pression économique ou politique -
tente d'augmenter son influence par unemeilleure organisation .Or la
naissance de la nouvelle droite est étroitement liée à ce phénomène.
En effet, l'élitisme de la droite, son engouement pour le respect d'une
hiérarchie culturelle, ont aussi pour fonction de défendre un groupe
social dont le statut spécifique est devenu précaire.
L'essor de la Kulturgeschichte (histoire de la civilisation ), promue
au rang de science suprêmepar Jakob Burckhardt (1818- 1897) à Bâle,
ou par Philippe Monnier (1864-1911) à Genève, renforce ce rôle de
l'élitisme culturel. Car ce domaine de l'histoire crée effectivement - et
ceci est particulièrement valable pour la droite - un lieu de réflexion
privilégié pour la recherche d'une nouvelle ligne directrice. Iloffre en
effet la possibilité d'introduire une perspective inédite pour sortir du
marasme de la culture démocratique et de la civilisation des radicaux.
133
Fait révélateur,Kaspar Decurtins après avoir pris sa retraite de politi
cien investit la chaire de Kulturgeschichte à l'Université de Fribourg.
La culture, prise en main par une élite fermeet consciente - c'est
ainsi que la nouvelle droite conçoit le changement fondamental du
début du 20e siècle - doit ordonner le discours politique devenu
matérialiste et égoïste. Parallèlement, elle doit rendre à l'autorité éta
tique la magnificence et la splendeur des régimes prérévolutionnaires.
L'art, en particulier, doit être investi d'un message social capable
d'atteindre le peuple et se superposer au discours politicien et électo
raliste du libéralisme.Cette idée n'est cependantpas tout à fait nova
trice. Salomon Vögelin (1837-1888), père de la politique culturelle
de l'Etat fédéral et professeur d'histoire de l'art et des civilisations à
l'Université de Zurich , songeait déjà à cette possibilité de conquérir
l'adhésion et la loyauté du peuple au moyen d'un langage esthétique
qui valoriserait l'exploit et la raison d'Etat205. Il se référait, en parti
culier, à l'exceptionnel rayonnement de l'Eglise catholique qui savait
envelopper et exalter le peuple par un message artistique touchant sa
sensibilité profonde.Cette volonté d'approcher et de persuader par le
truchement des arts va devenir l'une des composantes fondamentales
de l'idéologie de la droite moderne. Dans ce sens, Georges de
Montenach souhaite que « l'accord nouveau entre l’Art et le Peuple
soit une oeuvre de concorde et d 'union entre tous les esprits pensants,
entre tous les esprits sociaux de la Suisse , entre tous ceux qui,ne vou
lant point jouir en égoïstes de la Beauté des choses, cherchent à en
distiller quelques gouttes sur les lèvres desséchées du travailleur pour
rendre moins amère la coupe où ildoits'abreuver!»206.
Une des occasions derencontre entre peuple et art s'est présentée
dans le cadre d'un mouvement né au début du siècle: le Heimatschutz
ou, ce que l'on appelle en français - on a beaucoup de peine à trouver
une traduction adéquate - «la conservation du patrimoine de la Suisse
pittoresque» . Ce rassemblement résulte d'un profond malaise, provo
qué d'un côté par les transformations ou les destructions des centres
traditionnels des villes, mais plus encore par l'altération de la nature
et des Alpes causée par le développement du tourisme. Ces méfaits
sont dénoncés notamment par les nouveaux intellectuels et écrivains,
ceux qui se sentent justement décalés par rapport à la politique de
l'Etat des radicaux et de la Suisse officielle. Dans ce groupe, on
134
remarque entre autres Ernest Bovet, Philippe Godet, PaulGanz
(conservateur demusée à Bâle) et Charles Ferdinand Ramuz. Ce der
nier a trouvé des formules particulièrementpercutantes pour vilipen
der la «laideur helvétique» de 1900: «Une Suisse d'hôtels,une Suisse
truquée et machinée comme les coulisses d'un théâtre, avec feux de
Bengale sur les cascades, glaciers artificiels, crevasses à trappes,
joueurs de cor des Alpes, faisant la quête après chaque air, et cos
tumes nationaux pour sommelières. On a dit: légende, et je viens de
me servir moi-même de cemot; mais à y regarder de près, je n 'y vois
pour ma part que la caricature d'une Suisse réelle existant réellement,
la plus encombrante, la plus tyrannique, la plus influente de
toutes»207
Au début du 20e siècle, ce genre de critique prolifère. La Suisse
moderne et industrielle est mise au pilori en même temps que la
classe politique qui la représente, à savoir les radicaux et les indus
triels capitalistes. Cependant, la réplique proposée par ces intellec
tuels pour enrayer cette dégradation n'est pas pensée en tant que
courant politique, mais bien sous la forme de l'exaltation du Beau en
soi. « Car le Beau est vraiment, chez nous, un des grands persécutésde
l'heure présente», écrit Georges de Montenach. Et il poursuit: « Du
coin des rues envahipar la sottise de la réclame, du fond des carre
fours où les trolleys, si bien nommés, entrecroisent leurs fils, où les
poteaux électriques érigent leurs tristes silhouettes, du fond des églises
remplies des navrants produits des bazars de la rue St-Sulpice, il fait à
ses défenseurs un suprême appel»208.
C 'est en 1905 que s'est constitué à Berne le Heimatschutz, une
société qui compte déjà 6 '000 membres en 1914 . On y trouve
quelques-unes des personnalités mentionnées plus haut, et la section
bernoise de la Société suisse des peintres, sculpteurs et architectes
patronne la fondation . Marguerite Burnat-Provins (1872- 1952 ),
peintre et auteure français d'origine flamande, installée à Montreux
où elle avait fondé une Ligue pour la beauté, y joue un rôle impor
tant. Dès ses débuts, le Heimatschutz est investi demotivations esthé
tiques et culturelles trèshétéroclites. On y décèle la présence de cou
rantsmodernistes internationaux du genre Werkbund allemand - une
conception qui préconise un renouvellement de l'artisanat et de
l'architecture sur la base d'une plus grande simplicité dans la
135
construction et l'utilisation de matériaux traditionnels.Mais d'autre
part, les représentants des classes aisées citadines et internationales -
appartenant justement à ce monde touristique qui est responsable de
la construction des hôtels et des chemins de fer dans les Alpes- y sont
également actifs. Le Heimatschutz n'est pourtant pas un espace où
s'exprimeraient uniquement des sentiments défensifs et nostalgiques.
Certains pensent que ce mouvement doit servir à une transformation
profonde de la Suisse et à la réinvention des valeurs authentiques du
pays. Dans La Voile latine, par exemple, on précise qu'il s'agit de
« transformer la Suisse d'aujourd'hui en Suisse de demain» 209.
En tout état de cause, cette association devient l'un des lieux forts
où la nouvelle droite tente de s'implanter. Ce qu'elle fait en reprenant
non seulement les objectifs principaux du Heimatschutz - à savoir la
protection de la Suisse pittoresque -mais en y greffant toute unepar
tie de son imaginaire social: la revalorisation des traditions et de l'art
de l'ancienne Suisse, la propagande pour lesmoeurs rustiques,l’anima
tion d'un esprit national et religieux. «L'oeuvre du Heimatschutz», dit
Gonzague de Reynold, «est une oeuvre éminemment nationale: il faut
y adhérer et y collaborer» . Et il ajoute: «Mais le sentiment de la natu
re ne suffit pas: il faut le sentiment artistique»210.
Dans le sillage du Heimatschutz naîtront d'autres sociétés patrio
tiques telle , en 1916 , la Société des costumes du canton de Vaud, sui
vie en 1926 par la Fédération suisse du costume national et de la
chanson populaire. Orcettemode des costumes dits traditionnels, qui
trouve son origine dans les Trachtenbilder des petits-maîtres autour de
1800 , a démarré avec force vers la fin du 19e siècle . En 1898 déjà, les
bourgeois aisés du Cercle littéraire de Hottingen avaientorganisé une
fête en leur honneur et, depuis le début du siècle, des publications
toujours plus luxueuses exaltent les costumes régionaux. Sur le mar
ché, on les trouve mis en scène sur de petites cartes coloriées qui
reproduisent des oeuvres vendues aux premiers touristes à la fin du
18e et au débutdu 19e siècle. L'authenticité de ces costumes, compo
sés de vêtements supposés avoir été porté par le peuple, est
aujourd'hui très controversée.
Quant à la Fédération suisse du costume national, elle se trouvera
très vite sous la férule du fils de Ernst Laur - le chef tout puissant de
l'Union suisse des paysans. Tout comme Ulrich Wille junior se
136
consacre à Pro Juventute en y imposant ses propres conceptions de
l'ordre social, Laur junior prend en main la renaissance des costumes
en imposant une discipline quasi militaire et des prescriptions aussi
rigides que celles qui régissent le port d'un uniforme.Par ailleurs, cet
te mise en scène se rapproche d'une véritable «invention de la tradi
tion » - dans le sens où elle a été analysée par Eric Hobsbawm . Cette
invention consiste dans la réalisation d'un bricolage culturel qui vise,
en fin de compte, non seulement la protection ou la renaissance de
coutumes traditionnelles,mais bien la création - dans le but d'impo
ser un nouveau concept politique et culturel - de nouvelles figures
emblématiques et de nouveaux mythes. « Tout revient à dire que nous
nous efforceronsde renouer une tradition,de la créer s'il le faut», dit
par exempleGonzague de Reynold211. Il ne s'agit donc pas seulement,
explique à son tour Robert de Traz, d'une «recherche et [de] la mise
en lumière de ce qui existe autour de nous de véritablement suisse,
mais encore [de] la création de nouvelles valeurs helvétiques» . Et il
confirme lui-même: « C 'est un mythe [...].Mais un mythe provoque
les désirs et les oriente. Les activités se déterminentpar rapport à lui,
qui n'existe peut-être pas. Cela suffit pour obtenir des résultats. C'est
en contemplantdans les nuages l'irréelle cité de Dieu que les hommes
dumoyen âge, en attendant,ontbâti les cathédrales» 212.
Pour la droite catholique, le Heimatschutz n'offre pas seulementle
terrain idéal pour bâtir des mythes nationaux et religieux, il procure
également l'espace nécessaire pour renforcer l'idée du corporatisme -
un élément central de sa politique en faveur des classes moyennes.
L'artisan, en tant que petit producteur indépendant, est particulière
mentmis en avant dans les concepts du Heimatschutz. Dans les propos
de la droite catholique sur l'art et le peuple, il est placé à un très haut
niveau symbolique, car il représente l'élément traditionnel du corpo
ratisme, ce remède miracle censé réformer, voire dépasser le système
économique et socialdu capitalisme industriel. De surcroît, dans cette
optique, le travail artisanal indépendant est mis en opposition au tra
vail dépendant de l'ouvrier d'usine. Ce dernier, dit-on , est devenu un
barbare. Non seulement parce qu'il est acquis au socialisme, mais
parce qu'il a aussi perdu le véritable sens et la vraie valeur du travail.
Tout en participant à une production abrutie , il ne s'occupe plus que
du niveau de son salaire et de la réduction de ses horaires213.
137
Finalement, le lieu commun le plus efficace réunissant la droite
catholique et le Heimatschutz , est le Village suisse. Les deux villages
construits lors des expositionsnationales de 1896 et de 1914 mettent
parfaitement en scène les images contenues dans les discours des
Georges de Montenach et autres. C 'est le cas en particulier du Dörfli
de l'exposition de 1914, fortement inspiré par les conceptions du
Heimatschutz. Ce qui frappe, en suivant notamment le discours de la
droite catholique, c'est la lucidité avec laquelle les auteurs compren
nent l'impact de ces représentations sur le peuple et saisissent fort
habilement les possibilités qu'elles offrent pour servir à des fins idéo
logiques. Il faut travailler, dit par exemple Georges de Montenach ,
« dans le sens de l'instinct populaire qui a besoin d'une petite patrie
pour mieux aimer la grande»214. A ces propos, on peut rattacher une
autre pensée qui explique l'interdépendance entre amour de la
patrie , conviction catholique et principes aristocratiques. C 'est
Gonzague de Reynold qui exprime clairement cette idée: «Le patrio
tisme lui-même est pournous un sentiment aristocratique. Volonté de
vivre par soi-même, de ne pas se laisser niveler,ni par l'étatisme et sa
bureaucratie tracassière, nipar le socialismeavec ses schémas interna
tionaux»215
Le patriotisme, ajoute GeorgesdeMontenach ,« est joint à la pen
sée esthétique». Ainsi la boucle se referme car, continue de
Montenach, «partout l'art populaire de chez nous est une expression
de la foi et commeune prière fixée pour jamais sur le bois, lemétal ou
la pierre»216 . Gonzague de Reynold , l'homme des formules souvent
simplistes mais efficaces de par leur pouvoir évocateur, conclut: «La
première notion qu'il faut avoir de l'ancien art suisse, est celle d'un
art non seulement rustique,mais encore héroïque et religieux» 217.
Cependant, un autre courant de la droite se réfère au Heimat
schutz pourattaquer l'art moderne. Cette tendance se trouve implici
tement en opposition aux groupes qui voient dans la peinture de
Hodler - à l'instar du cercle autour de Gonzague de Reynold -
l'expression de leur idéal d'ordre esthétique et social. L'art ditmoder
ne, comme on l'a déjà vu, est exposé depuis le début du siècle à une
vive critique conservatrice qui aura ses ramifications jusqu'au sein de
la politique fédérale. Le paroxysme de cette attitude sera atteint au
moment où le Parlement - prenant comme prétexte le crédit géré par
138
la Commission fédérale des Beaux-Arts - se lance dans un débat
homérique en matière d'art et d'esthétique. Dans ces joutes oratoires,
l'art moderne est noirci sans pitié par la majorité des députés qui
prennent la parole - faisant preuve par ailleurs à cette occasion de
leurmanque de connaissance et d'ouverture. Leurs propos caractéri
sent notamment cette expression artistique comme un viol des senti
ments sains et vertueux de la population . La presse commente en
donnant dans la surenchère, et profite de l'occasion pour dénigrer le
travail de la Commission fédérale des Beaux -Arts. La Berner Tagblatt,
le journalde la droite bernoise, fait des incursions plus générales pour
qualifier Van Gogh de malademental et Gauguin de sauvage et de
barbare sous prétexte qu'il réside à Tahiti218. Dès lors, les verdicts de
ce genre envahissentde plus en plus fréquemment les débats publics
en matière de Beaux -Arts.
Dans une lettre adressée au Conseiller fédéral Calonder, le
peintre Hans Bachmann (1852-1917) - alors président d'une associa
tion de peintres à l'idéologie conservatrice nommée Sezession , ainsi
qu'auteur de fresques à la chapelle de Tell près de Küsnacht - reprend
les mêmes griefs. Il demande tout d'abord que pour l'exposition natio
nale, on élimine les tableaux qu'il appelle «pervers» et «médiocres».
Comme il le précise, il veut les remplacer par des oeuvres d'art com
prises et acceptées par 95 % du peuple. Cette section , propose-t-il,
sera appelée «exposition d'art populaire et patriotique». Bachmann
poursuit sa missive en attaquant violemment les amateurs d'art
moderne, des gens qui apprécient même «l'art des malades men
taux»219.
En dépit d'une ambiguïté évidente et d'un flou certain , la doctri
ne culturelle de la droite voudrait réunir l'art et le peuple, la culture
et la tradition,l'esthétique et l'Etat, tout cela dansune sorte d'harmo
nie sociale ordonnée par une nouvelle vie culturelle. Pourtant, en son
centre même, ce concept comporte une profonde contradiction . En
effet, cette activation d'une communion populaire idéale s'oppose
forcément à l'élitisme et à la conscience hiérarchique de la droite.
Quand Georges de Montenach parle du patrimoine historique exposé
dans les musées, il remarque que ces objets, séparés de la vie sociale,
sontmorts et mêmedépourvus de leur expression esthétique. Pour les
faire vivre, déclare-t-il, il faudrait que les anciens propriétaires
139
reviennent, les utilisent, les réaniment.Dans ce sens, il est par consé
quentnécessaire que les classes aisées et la noblesse reprennent leur
place. Quant à l'art que le peuple est véritablement capable d'appré
cier, il ne peut s'agir selon lui que d'un art appliqué, ou alors des
manifestationsde l'apanage de l'Eglise ou de l'Etat.
Mais l'esprit culturel élitaire apparaît encore sous une autre for
me, et en dehors du traditionalisme aristocratique. En effet, les intel
lectuels de l'époque, et pas uniquement ceux de la droite, s'adonnent
à un large rituel culturel qui se nourrit de l'exaltation d'une sensibili
té « héroïque», inscrite dans un nouvel espace artistique. Il s'agit, par
exemple, de l'idolâtrie à l'égard d'un écrivain comme D 'Annunzio
dont la première épopée héroïque - La Nave (1906 ) - est vivement
commentée en Suisse, ou encore du culte autour de la musique de
Wagner.
Paul Seippel, se souvenant des années passées en compagnie
d'Edouard Rod, nous livre une petite illustration de cette nouvelle
sensibilité de la jeunesse helvétique: «Des rêves d'héroïsme, de pas
sion , de volupté surhumaine nous hantaient, ramenés sans cesse par
les leitmotiv qui nous poursuivaient, nuit et jour, de leur insistante
suggestion. Nous vivions dans un état d'hypnose que ne sauraient
comprendre ceux qui n'ont pas éprouvé la formidable puissance
magnétique dégagée par l'artwagnérien encore près de sesdébuts»220.
Et Seippel de poursuivre en confirmant l'enthousiasme de Rod pour
Wagner et Schopenhauer.
Ce type de discours culturel et esthétique - qui fonctionne tel un
ersatz du débat politique jugé trop matérialiste - me semble exercer
une influence plus grande en Suisse romande qu'en Suisse aléma
nique. Le fort impact du Maurrasisme sur les Romands n'y est proba
blement pas pour rien . Ce quine signifie pas pour autant que les
intellectuels et écrivains suisses alémaniques soientexempts d'un cer
tain désarroi culturelpar rapport à l'Etat libéral et à la politique de la
bourgeoisie radicale. Dans ce sens, les débats assassins qui vont
prendre pour objet La retraite de Marignan de Hodler témoignent d'un
profonde désagrégation des orientationsgénérales dans le domaine de
la culture politique. A cela s'ajoute les luttes réitérées entre les
«modernistes» et «traditionalistes». Une dispute qui complique la
situation du fait que les deux camps opposés ne correspondent pas
140
toujours au clivage qui sépare la gauche et la droite , ou les réaction
naires et les progressistes. En 1912 et 1913,lors des débats au sujet de
la politique culturelle de la Confédération, la confusion sera encore
plus grande. Observé dans une perspective globale, il semble que le
cadre d'orientation de la culture s'est complètement effrité. Pour
Johann Winkler (1845 -1918 ), ancien juge fédéral et porte-parole des
conservateurs, la politique culturelle de l'Etat fédéral se trouve sous la
férule d'une clique d'épigones de Hodler. D 'après lui, la production
artistique est frappée du stigma de la décadence, et se trouve en
contradiction totale avec la «sensibilité populaire» (Volks
empfinden )221.La presse de droite approuve cette critique et les Basler
Nachrichten lancent même une série d'articles sous le titre « Art et
Confédération» 222. Toujours est-il que les polémiques des ces années
mettent fondamentalement en cause - en ceci elles sont comparables
aux critiques de la droite suisse romande - la capacité de l'Etat fédéral
d'assumer un rôle culturel.
Cependant, en Suisse alémanique, ces luttes ne débouchent pas
sur une activité commune de la droite. Il n 'y a visiblement pas cette
ligne générale qui permettrait de connecter le traditionalisme conser
vateur à une certaine expression du modernisme.Même s'il est vrai
que l'idée d'un remplacementde l'Etat politique du 19e siècle par une
Gesamtkunstwerk - à l'instar de l « Etat baroque» de Gonzague de
Reynold - apparaît également ici ou là . Carl Spitteler, par exemple,
dans son Printemps olympien, laisse entendre que l'Etat devrait se parer
d'attributs esthétiques, alors que Jakob Schaffner ne cesse de vilipen
der l'esprit culturelmesquin de la bourgeoisie.Mais la nouvelle droite
qui s'apparente aux idées de Sulzer-Ziegler ou de Bircher ne semble
pas très intéressée par le discours artistique, et ne récupère que peu le
domaine esthétique pour nourrir ses débats. Elle se contente du fait
que ses démarches politiques se distinguent par l'expression d'une for
ce déterminée et virile .
Pourtant, il existe une certaine convergence de fond qui relie ces
différentes sensibilités à l'esthétique politique de la droite. En effet,
dans presque tous ces courants, on constate une volonté de super
poser à l'ancien débat politique - considéré commemédiocre, ineffi
cace, bassementmatérialiste et provoquant un nivellement social
inacceptable - une expression autoritaire. Celle -ci aurait pour fonc
141
tion de faire respecter les valeurs hiérarchiques propres à la fois à la
société traditionnelle et à celles défendues par le darwinisme social.
Sur le plan de l'esthétique politique, expression autoritaire signifie
que le geste et l'apparat du pouvoir sont de plus grande importance
que le processus de délibération démocratique. Ainsi, la renaissance
de la «magnificence» baroque peut être combinée avec la volonté de
fer du type Viking. Or en Suisse, la Gesamtkunstwerk basée sur ces
principes s'est esquissée, entre autres, lors de la visite deGuillaume II
en 1912. Les «manoeuvres impériales» (Kaisermanöver) dirigées au
pas prussien par Ulrich Wille évoquaient, du moins pour la droite
suisse alémanique, des rêves conformes à son imaginaire social et
artistique.
Quant au catalogue de cet imaginaire, valable pour la plus grande
partie de la nouvelle droite helvétique, il prend forme sous la plume
de Robert de Traz. Ce dernier, tout en présentant les idées chères aux
rédacteurs de La Voile latine, compose cette intéressante image de la
Suisse noire: «On le voit, les idées qu'on rencontre dans la revue ne
manquent pas. J'en passe, comme celle -ci: que, pour établir un ordre
dans le chaos de sa formation morale, un jeune Suisse doit s'imposer
une discipline, et que ce doit être la discipline classique; ou celle-ci:
qu'il existe un classicisme alpestre; ou celle -ci: que nos amateurs de
peinture ou de musique manquent moins d'ignorance que d'innocen
ce; ou celle -ci: que l'élément principal du paysage alpestre est moins
la couleur que la ligne; ou celle-ci: que les Suisses, quoique les ora
teurs publics les proclament constamment neutres et pacifiques, sont
une race guerrière , orgueilleuse et avide de gloire...»223.
En parcourant la thématique de ce chapitre, on pourrait objecter
que ce discours culturel de la nouvelle droite, ainsi que son projet de
superposer une armature esthétique au système politique, ne
débouche finalement sur aucune démarche concrète. De surcroît,
toutes ces idées se présentent sous la forme d'images floues et contra
dictoires, rendant impossibles toute articulation et toute entreprise
un tant soit peu cohérentes. Il ne s'agirait donc, en dernière analyse,
que de quelques fantasmes ou rêves insolites.
Pourtant, là n 'est pas la question . Car ce qui importe dans ce cas,
ce qui fait sens, c'est justement le fait que la nouvelle droite avance
142
des notions certes floues,mais investies d’une fiction esthétique
séduisante. Par cette démarche, elle propose une alternative brillante,
voire utopique, à la morosité d'un discours politique plat et usé ou
aux fêtes fastidieuses et dépourvues d'élan novateur. A ce sujet, il faut
rappeler que dans le désarroides démocraties de l'Entre-deux-guerres,
ce sont précisément des fantasmes culturels de ce genre - renforcés
par la mise en scène théâtrale de la politique par quelques chefs
suprêmes - qui ont su inspirer aux masses l'espoir d'un monde nou
veau dans et par un nouvel ordre social. C'est notamment le cas de la
petite bourgeoisie et des classes moyennes, à la fois hantées par les
propos de la gauche et jetées dans la rue par les crises du capitalisme.
En outre, l'avènement de cette esthétique politique signifie , pour
l'ensemble du 20e siècle,la défaite de l'Etat libéral et laïc qui,en pri
vilégiant l'avancement de certaines couches sociales, n 'a pas su don
ner à la société dans son ensemble une perspective et une conviction
raisonnables pour son avenir.

143
9. L'avenir du passé

Si cette histoire de la nouvelle droite helvétique à l'aube du 20e


siècle ne se présente pas sous la forme d'un tableau complet et cohé
rent, c'est que le sujet lui-même s'y prête peu. En effet, la droite de
ces années reste hétérogène, versatile et dispersée dans les différentes
niches du territoire helvétique. Simultanément, ses concepts, ses
idées et sensibilités s'entrelacent et se repoussent, en même temps
qu'ils sont frappés des paradoxes et de l'irrationalité propres à une
époque déchirée. La droite helvétique, en quelque sorte, se manifeste
commeautantde petites taches d'encre fraîche distribuées presque au
hasard sur la carte de la Suisse.Mais ces éclaboussures pénètrent rapi
dement le vieux papier, composant de manière irrésistible ce que
Kaspar Decurtins appellerait des « trèfles noirs» .
En dépit des lacunes historiographiques considérables sur le
sujet (cf. le chapitre 10), j'ai quand même décidé d'en présenter
une première approche. La raison majeurede cette démarche réside
dans le fait que ce courant politico-culturel, mal connu , dominera
largement la période de l'Entre-deux-guerres, voire d'une grande
partie du 20e siècle . Sans parler de la nouvelle fin de siècle dans
laquelle nous sommes immergés actuellement. Si le 19e siècle navi
guait sous les pavillons du libéralisme, de l'industrie et du capita
lisme - réunis dans un essor fulgurant au milieu du siècle et saisis
vers 1900 par une exacerbation des contradictions qu'ils ont engen
drés - le 20e siècle est fortement imprégné de la parole séduisante
du « besoin de l'ordre». Une notion encore aujourd'hui très vivante,
et dont le contenu et les conséquences ne sont pas toujours claire
ment perçus. Or, ce drapeau de l'ordre a été hissé partout où l'uto
pie du libéralisme s'est effritée. Le « besoin de l'ordre», par exemple,
empanache le fanion de la contre-révolution européenne qui glane
ses victimes sur les champs des guerres perdues et des crises écono
miques dévastatrices. Et une partie de la bourgeoisie, désécurisée,
effrayée de surcroît par l'avènement du socialisme et du commu
144
nisme, se rallie avec un certain enthousiasme derrière cette nou
velle parole.
En ce qui concerne plus particulièrement la Suisse, l'appel à
l'ordre figurera commeparole impérative de la culture politique bour
geoise de l’Entre-deux-guerres et du Réduit national, tous courants
confondus. Le 25 juin 1940 - après la défaite de la France et la victoi
re des Nazis - le jeune et brillant Conseiller fédéral Marcel Pilet
Golaz, radical vaudois, homme d'Etat de grande notoriété et type du
non conformiste moderne, parlera en des termes sibyllins de «renou
vellement» et de «restauration du monde disloqué». Or ce même
Pilet-Golaz avait prononcé, en décembre 1933 déjà, des paroles signi
ficatives de l'ambiance politique de cette période: «Dans cette guerre
du ventre et de l'argentque se fontles peuples, nous ne pouvons résis
ter sansméthodique défense, sinon ce serait l'irrémédiable défaite. Le
plan, c'est au gouvernement à l'établir, à la nation de l'exécuter. [...]
Vous ne comprendrez pas? Tant pis; un général n 'a pas le loisir
d'expliquer à ses troupes le pourquoi de ses dispositions et le gouver
nement aujourd'hui fonctionne comme un général. Vousne serez pas
d'accord ? Qu'importe! Vous ne pourrez pas juger de la situation
d'ensemble, pas plus qu'un commandant de compagnie n ’apprécie
celle de la division. Votre devoir civique sera malgré tout d'exécuter,
disons le mot: d'obéir...» 224.
Il est vrai que depuis la fracture introduite par la Première
Guerre mondiale et ses conséquences, le climat politique a profon
dément changé. Mais pas seulement lui. La guerre et l'après-guerre,
c'est tout d'abord un énorme chambardement social et économique.
La bataille économique en particulier, décisive sur tous les plans,
s'est aussi déployée avec force dans toute la Suisse. On voit des
entreprises encaisser des bénéfices de guerre fabuleux, alors que
d'autres, étranglées, disparaissent du marché. Par ailleurs, on consta
te qu'une grande partie de la population enregistre une baisse sen
sible de ses revenus et de son niveau de vie. Quant à la
Confédération, son endettement s'est multiplié - en valeurs réelles -
par dix.Grâce aux pleinspouvoirs et à la large utilisation de la clau
se d'urgence, le Conseil fédéral gouverne autoritairement,mais sans
fortune.Il luimanque aussi un concept organisateur pour le long ter
me, et il n'arrive pas à mettre sur pied un programme financier cohé
145
rent - un défaut qui par ailleursmarque encore de nos jours la poli
tique fédérale.
L'Europe de l'après Première Guerre est, elle aussi, économique
ment déstabilisée et financièrement très endettée, en premier lieu
auprès des Etats-Unis - la nouvelle grande puissance capitaliste.Or, si
« l’américanisme» séduit l'Europe et transforme les modes de produc
tion et les mentalités, on ne sort pas des crises. Celle de l'après-guer
re, violente, n'est séparée que par quelquesmoments d’accalmie de la
grande dépression des années 30. Et si la Suisse réussit à rétablir son
économie au cours des années 20, elle ne se départit pas pour autant
des contradictions de sa politique économique. Celle-ci est certes
toujours dominée par l'Union suisse du commerce et de l'industrie,
mais les intérêts des banques, de l'artisanat, et notamment des pay
sans, s'opposent souvent profondément aux visées du Vorort. L'agri
culture, en particulier, a de graves problèmes financiers. L'Etat fédéral
et l'USCI tentent de la sauvegarder en lui accordant des privilèges,
des protections et des subventions, réglant de cette manière leur dette
pour le soutien musclé que les paysans leur avaient apporté dans la
lutte contre les socialistes - qui, quant à eux, se retrouvent dans une
sorte de ghetto national. Pourtant, le bloc bourgeois campe à son tour
dansune enceinte blindée, dépourvu d'un conceptpolitique qui serait
comparable à celui de l'utopie radicale de 1848. Pour beaucoup, la fin
de la Grande Guerre signifie la rupture définitive avec le 19e siècle.
D 'autres la saluent comme le début d'une ère nouvelle que Gonzague
de Reynold appelle « antimoderne».
J'aimerais encore esquisser quelques-unes des perspectives dans
lesquelles apparaît, après la PremièreGuerremondiale, cette nouvelle
droite helvétique née au tournant du siècle. Je les ébaucherai sous
forme de petites fenêtres qui s'ouvriront sur quelques exemples,signa
lant les pointes de l'iceberg d'une histoire encore à faire.
C 'est la nouvelle droite helvétique de l'avant-guerre qui propo
sera, parmi d'autres, une renaissance politique et des remèdes contre
le marasme socialde l'après-guerre. Afin d'en bien comprendre les
enjeux, retournons tout d'abord à la Grande Guerre. L'évolution
sociale durant ces années - qui débouchent sur la crise politique la
plus grave que la Suisse moderne ait connue, à savoir la grève géné
rale de 1918 - a conduit la droite à renforcer son discours idéologique.
146
Dans le même temps, elle organise les premiers rassemblements
importants de ses forces politiques. La dégradation sociale intervenue
au cours de la guerre - un sixième de la population tombe au niveau
de l'assistance publique -, ainsi que la radicalisation des socialistes
face à une situation politique figée par les pleins pouvoirs provoquent
un climat de guerre civile. Cet engrenage, la droite l'a toujours prévu ,
voire même recherché. De plus, son engagement aux côtés des forces
de l'ordre, essentiellement dirigées contre le mouvement ouvrier,
confirme et renforce sa frange la plus radicale. Bircher organise par
exemple, par le biais de l'Association patriotique suisse, un vaste
réseau de gardes civiques financé par des industriels et des banques, et
partiellement armé par le Départementmilitaire lui-même. A ses
côtés, en tant que Secrétaire romand, apparaît Théodore Aubert de
Genève, personnalité qui rêve de créer une union nationale des
gardes civiques. Par ailleurs, ce dernier lance encore sa propre organi
sation de lutte: l’Entente internationale contre la Troisième
Internationale. Dans les années 30, il deviendra l'un des dirigeants du
mouvement frontiste. Quant à Bircher, il établira des liens avec
Ludendorff et Hitler afin de mettre sur pied un réseau international
de l'extrême droite. A quelques exceptions près, toute la droite de
l'avant-guerre côtoie ou favorise les mouvement de la droite des
années 30.
En la personne d'Ernst Laur, Bircher a trouvé un fidèle compa
gnon de lutte. Car Laur dispose après la guerre, non seulement de la
virulente Union suisse des paysans, mais il peut aussi compter sur
l'appui d'une nouvelle force politique autonome, le Parti des paysans,
artisanset bourgeois (PAB). Partout où ce parti se constitue,il sert de
lieu de rassemblement aux courants réactionnaires. A Berne par
exemple, une grande partie de la droite de l'avant-guerre rejoint cette
formation. Le PAB se propose d'emblée comme bélier bourgeois dans
la lutte contre le socialisme, tout en préconisant le renforcement de
l'autorité étatique. Pourtant, la politique musclée n 'est pas l'unique
support que les paysans offrent à la droite. Car Laurpère et fils impo
sent peu à peu un discours culturel traditionaliste et ruralisant. En
même temps, ils mettent sur pied - par le truchement du
Heimatschutz, de la Fédération suisse du costume national et de la
chanson populaire, et mêmedes organisation comme la Fédération de
147
lutte suisse (Schwingerverband) - une vaste trame de partisans fidèles
et disciplinés. La campagne et le paysan, la montagne et le berger, le
village et l'église, s'imposent désormais comme autant de figures
emblématiques de l'imaginaire social de cette nouvelle sensibilité
politique conservatrice. Dans ce monde rustique et mythifié, la ville
et le citadin - et en premier lieu l'ouvrier de fabrique - ne trouvent
pas place et sont stigmatisés comme les représentants d'une culture
altérée et décadente. Ce qui n 'empêche à aucun moment Laur de col
laborer étroitementavec la grande bourgeoisie urbaine.Car en dépit
des intérêts économiques divergents qui séparent l'agriculture de
l'industrie, il n'est pas rare que les chefs des paysans et les dirigeants
de l'Union suisse du commerce et de l'industrie forment des alliances
tactiques. Ensemble, ils interviennent dans la politique fédérale en
utilisant souvent les voies extra-parlamentaires. Quant au bélier pay
san , il recevra sa reconnaissance publique et formelle en 1929, avec
l'entrée du premier représentant PAB au Conseilfédéral.
« Avant l'Italie, avant l'Allemagne, avant les fronts», déclare
l'abbé Savoy lors du congrès de l'Union romande des corporations en
juillet 1933, « l'Union romande s'est donnée comme but l'ordre
social corporatif» 225. En effet les catholiques-conservateurs, sous
l'emprise de la nouvelle droite, reprennent la notion de corporatisme
en tant que ligne directrice de leur programme. En 1935, cette orien
tation les amènera à soutenir l'initiative pour la révision totale de la
Constitution -une initiative concoctée par les fronts fascistes, le
mouvement Aufgebot de Jakob Lorenz, ainsi que l'Union des jeunes
catholiques. Lancée par la droite fasciste dans le but de mettre fin à
la démocratie libérale, cette démarche offrait aux catholiques un
moyen de mettre en avant le corporatisme, propager les principes
d'un Etat autoritaire et attiser leur critique du libéralisme. Notons
par ailleurs que le Parti radical vaudois et la Ligue des patries
romandes, entre autres, se sont déclarés favorables à l'initiative. De
toute façon , le corporatisme a gagné beaucoup d'adhérents en Suisse
romande. Chez les Amis de la corporation , par exemple, on trouve
des personnalités telles qu'Albert Masnata, député du Parti libéral et
directeur le l’Office suisse d'expansion commerciale , ou Raymond
Devrient,secrétaire de l’USCI. Quant à HenriGuisan , le futur géné
ral, il est indéniablement acquis à ces mêmes conceptions de l'Etat
148
qui confortent ses propres réticences à l'égard des partis et du parle
mentarisme.
Au cours des années 20 ,Genève devient avec Fribourg la deuxiè
mecapitale du corporatismehelvétique.Mais cette notion se répand
aussi en Suisse alémanique où, par exemple, un August Schirmer -
chef de l'Union suisse des arts et métiers - s'engage avec beaucoup
d'énergie pour son accomplissement. A Genève, à Fribourg et dans le
canton de Vaud, on prépare une législation permettantl'introduction
du corporatisme. Et quasiment danschaque parti bourgeois, on trouve
des notables connus pour être acquis aux idées de la nouvelle droite.
Mais il arrive aussi que la gauche, et en particulier certains cadres
syndicaux, convergent dans la même direction .
La droite catholique va en outre élargir son influence sur les élites
de la politique nationale. Déjà avant son entrée au gouvernement,
Jean -Marie Musy - le deuxième représentant des catholiques-conser
vateurs au Conseil fédéral - avait su profiter de la grève générale pour
diffuser avec beaucoup d'éclat ses convictions politiques et ses valeurs
idéologiques. Armé d'un discours intraitable et blessant, il accuse les
socialistes de tous les crimes, donnant ainsi à a droite bourgeoise la
garantie qu'il saura défendre une position réactionnaire sans conces
sion . A partir de 1920,Musy marque le Conseil fédéral de son attitu
de autoritaire, non sans provoquer parfois des conflits avec ses col
lègues moins intransigeants.Après sa démission du Conseil fédéral en
1934, Musy tente sa chance auprès des mouvements d'extrêmedroite.
C'est aussi le moment qu'il choisit pour produire, soutenu par les stu
dios de la SS à Munich, un film de propagande antisocialiste à la fois
manichéen , corrosif et retors, intitulé La Peste rouge.
Le successeur de Musy au gouvernement, le Zougois Philipp Etter,
va suivre plus ou moins les tracesde son prédécesseur. Par ailleurs,les
deux magistrats ont toujours été efficacement épaulés par Gonzague
de Reynold qui fut le grand inspirateur d’Etter. Et ceci notamment en
ce qui concerne la politique culturelle - celle qui débouche sur la
fameuse Défense spirituelle . Une analyse critique de son contenu
montre particulièrement bien comment les valeurs sociales, ainsi que
l'imaginaire esthétique de la droite helvétique de 1900 , ont été tra
duits en discours politique proche, à la fois d'un patriotisme rural
«moderne», et d'un traditionalisme religieux et mythique. De fait, le
149
bloc bourgeois puise ses mots d'ordre dans ces deux discours culturels
complémentaires: celui du terroir et du sang prôné par les organisa
tions paysannes; et celui du spiritualismenational catholique propre à
l'idée d'une république chrétienne autoritaire226.
L'évolution économique et politique de l'Entre-deux-guerres va
aussi renforcer l'attitude conservatrice de la droite catholique à
l'égard des femmes. Le recul du travail féminin salarié permet de
mieux propager et rendre plus crédible la norme d'une femme beso
gnantentre foyer et Eglise. Avec pour conséquence que les femmes -
dans leurs conditions de vie et leur statut social -seront les premières
victimes des crises économiques. Car les entrepreneurs profitenthabi
lement du discours catéchisant de la droite pour licencier tout
d'abord la main -d'oeuvre féminine. Il ne fait aucun doute que, obser
vée sur l'ensemble de la période de l'Entre-deux-guerres et de la
Deuxième Guerre mondiale, la condition des femmes est largement
soumise aux injonctions contraignantes de la droite réactionnaire qui
veutmaintenir leur statut social dans l'infériorité227.Mais au même
moment - et une fois de plus on voit émerger les ambiguïtés de
l'époque - on « hisse» les femmes au rang de gardiennes et prêtresses
du patriotisme nationaliste.Mobilisées sur la place publique à titre
décoratif pour les cérémonies officielles, elles sont encadrées par les
sociétés de costumes et de chants. Au cours des années 30 , le soi
disant costume national est presque devenu un uniforme, et l'appari
tion des femmes lors des cérémonies patriotiques se déroule sous la
forme de mises en scène bien disciplinées. Finalement, en 1940 et
avec beaucoup de réticences, une petite partie des femmes sera
admise à servir sous les drapeaux. Leur statut dans l'armée restera non
seulement largement inférieur à celui des hommes,mais il va même
parfois friser l'humiliation. Car à la fin de la guerre, le général - dont
les apparitions en public sont souvent réhaussées par la présence de
groupes de femmes «encostumées» - refuse que le Service complémen
taire féminin se présente sur la Place du Palais fédéral munide son
propre drapeau .
Cette pratique coercitive à l'égard des femmes estmenée parallè
lement à la mise en valeur d'une politique familiale nataliste et envi
sagée sous un angle rustique - en ceci comparable à celle préconisée
par le régime de Vichy. Lorsqu’un Georges Rigassi,alors rédacteur à la
150
Gazette de Lausanne, écrit:« Sans enfant, le foyer s'écroule et,avec lui,
la nation »228, il exprimeun dogme social partagé non seulementpar
l'ensemble de la droite,mais aussi par une largemajorité de la popula
tion. Car il est indéniable que les valeurs conservatrices ont large
ment réussi à pénétrer les mentalités collectives. Pourmesurer l'éten
due et l'impact de l'argumentation à laquelle était soumis le
« peuple », il suffit de lire lesnombreux discours du Conseiller fédéral
Etter, ou encore des articles commecelui concernant «l'ordre familial
chez Gotthelf», paru dans la plaquette rédigée en l'honneur de Max
Huber229. L'obtention de ce consensus a notamment favorisé la créa
tion , en 1926 , de la fondation Pro Familia , une association qui s'ins
crit particulièrementbien dans la perspective de cette politique socia
le conservatrice. Orla famille saine - telle que la comprend la droite -
est également considérée comme le rempart le plus efficace contre la
formation d'une conscience de classe du prolétariat. La politique
familiale devient ainsi un instrument dans le cadre des luttes de
classes - ce qui n 'est certainement pas pour déplaire à l'extrême droi
te. Et ce n 'est probablement pas un hasard si le fondateur de Pro
Familia est Carl Horber,le mêmequi avait créé Pro Juventute en colla
boration avec Ulrich Wille junior. En 1928, il publie un petit livre
intitulé La politique suisse, un ouvrage qui servira de référence à toute
une génération de frontistes des années 30230 .
Dans cette même perspective, il convient d'être attentif à une
autre ambiguïté propre à la droite et au conservatisme. En effet, si
l'idéologie nataliste y trouve une place privilégiée, certains courants de
la droite s'efforcent en même temps d'introduire dans la législation des
mesures eugéniques, considérées comme le seulmoyen efficace pour
faire disparaitre les couches sociales « inutiles» et «dangereuses». Avec
les mêmes intentions que les psychiatres mentionnés dans le chapitre
7, le canton de Vaud introduit, en 1928, une loi qui autorise la stérili
sation desmaladesmentaux. Cette activité eugénique ira mêmejusqu'à
susciter l'intérêt des spécialistes de l'Allemagne nazie qui demandent,
en vue de la préparation de leur politique raciale, une documentation
sur la législation vaudoise considérée comme exemplaire.
Une autre composante de la période réside dans la force de l'esprit
militaire. Le service actif durant la Première Guerre avait engendré
une véritable culture - voire même un culte - du militaire . Cette der
151
nière fut très propice à l'épanouissement social des officiers de la droi
te. Après la guerre, les cercles et les liens personnels existants favori
sent la constitution de groupes de pression et de clans informels qui
tentent de quadriller l'armée et la politique militaire. Vers la fin des
années 30, dans le cadre des nouvelles réformes de l'armée - il s'agit
notammentde créer le poste de général en temps de paix - cesmêmes
milieux sollicitent une plus grande indépendance de l'armée par rap
port au politique, et notamment par rapport au contrôle du Parlement.
Tant la création d'un poste de généralen temps de paix - la droite pré
fère parler de chef -, que l'affaiblissement du contrôle politique,
s'incrivent dans les perspectives de ceux qui aimeraient démanteler le
parlementarisme et renforcer l'autorité personnelle des « chefs» .
C 'est autour du commandant de corpsUlrich Wille, fils du géné
ral de la Première Guerre mondiale, que se forme le courant le plus
important de la droite militaire. Ce dernier va entretenir, entre
autres, des liens étroits avec les hauts potentats du Troisième Reich .
En 1941, un des officiers de ce cercle, le colonel Gustave Däniker,
provoquera une petite crise politique en présentantau Conseil fédéral
un mémoire qui défend la cause allemande. Un autre éminent gradé,
proche des Wille, devient au début des années 30 déjà un leader
important des mouvements frontistes. Il s'agit du colonel division
naire Emil Sonderegger, chef de l'Etat-major généralde 1919 à 1923
et commandant des troupes de maintien de l'ordre envoyées à Zurich
lors de la grève générale - une circonstance au cours de laquelle il
s'était particulièrement distingué par son comportement martial.
C 'est par ailleurs le même personnage qui avait préparé, sous les
ordres de Wille ,les fameuses Kaisermanövers de 1912. Wille le consi
dérait comme l'héritier direct de ses principes. Au début des années
30, Sondereggermilite dans les groupes politiques de l'extrêmedroite,
aux côtés desmouvements fascistes. Il va encore fonder, en collabora
tion avec le major Leonhardt, une Volksbund für nationale und soziale
Politik (Ligue populaire pour une politique nationale et sociale).
D 'aucuns ont alors vu en lui le futur chef de tous ces mouvements
réunis. Mais sa mort, le 14 juillet 1934 - le jourde la commémoration
de la Révolution française -met fin à cette éventualité.
Il est impossible, dans le cadre de ce petit chapitre, d'énumérer
toutes les conséquences politiques engendrées par la droite militaire.
152
Elles vontde la fondation de véritables partis fascistes - comme celle
de la Fédération fasciste suisse du colonel Fonjallaz - jusqu'à la création
de revues politico -culturelles comme les Schweizer Monatshefte für
Politik und Kultur. Dans ce sens, les rapports privés qu'entretiennent
certaines personnalités de la droite ne sont pas dépourvus d'intérêt.
Prenons, à tire d'exemple, les liens entre Fonjallaz et Roger Masson .
Ce dernier, chef du Service de renseignement,maintient sa collabora
tion avec Fonjallaz jusque dans la prison où celui-ci a été enfermépour
cause d'espionnage en faveur de l'Allemagne nazie. Un autre exemple
de rapports interpersonnels complexes peut être soulevé avec le cas des
Schweizer Monatshefte . Tout d'abord, cette revue est liée à la Ligue pour
l'indépendance de la Suisse (Volksbund für die Unabhängigkeit der
Schweiz ), une association de conservateurs germanophiles. Ensuite, le
rédacteur des Monatshefte, Hans Oehler, est le gendre de Eugen
Bircher,alors que parmiles membres du Volksbund on constate la pré
sence de personnalités comme le général Wille et Théophil von
Sprecher - le chef de l'Etat-major général de la Première Guerre mon
diale. Primitivement conçus pour lutter contre l'entrée de la Suisse
dans la Société des Nations, le Volksbund et les Monatshefte devien
nent les tremplins privilégiés de la jeunedroite frontiste des années 30 .
En 1940 finalement, la fameuse « pétition des 200 » - qui demande au
Conseil fédéral d'amorcer une politique conforme aux principes de
l'Allemagne nazie - a pour origine le groupe dirigeant du Volksbund.
Ces exemples démontrent, de façon particulièrement significati
ve, l'évolution extraordinaire des formes de la sociabilité politico
culturelle propre à la nouvelle droite de 1900 . L'influence de tous ces
courants, même si elle est d 'inspiration militaire, se répercute par le
biais d'un discours socio -culturel large, tout en investissant de maniè
re plus pointue de petits groupes élitaires d'intellectuels et d'hommes
d'affaires. La droite se construit ainsi un réseau social complexe qui
dépasse de loin le domaine strictement politique. Par analogie, on
pourrait la comparer à la conquête de l'espace suisse par les momu
ments de pierre ou de fer érigés à la mémoire de la mobilisation de 14:
une colonisation symbolique quisemanifeste sur les places de la cité
et sur les sites historiques de la campagne.
Un autre des résultats de la GrandeGuerre réside dans la nouvel
le tonalité du nationalisme. Le replimilitaire et culturel - une évolu
153
tion contraire à celle de l'économie qui ouvre ses portes à une large
production de guerre pour les belligérants - renforce la composante
xénophobe de l'esprit national. Au cours des années 20, les débats au
sujet de la « surpopulation étrangère» font désormais partie de l'ordre
du jour de la politique fédérale. L'activité de l'Office central de la
police des étrangers - appuyée sur une législation toujours plus affinée
- quadrille efficacement la population étrangère et les immigrants
potentiels. Cette attitude défensive est corroborée par la croissance
d'une certaine identité nationale. Certes, le plus souvent, celle -ci
s'exprime demanière floue et peu cohérente, mais elle attise efficace
ment les sentiments xénophobes. Autour de la notion de schweizerisch
(« suissitude») se construit un imaginaire socialmythique dans lequel
l'étranger est fortement stigmatisé. Le Message du Conseil fédéral
concernant le séjour et l'établissementdes étrangers du 2 juin 1924, com
porte déjà le catalogue de toutes les mesures restrictives qui seront
plus tard appliquées et élargies systématiquement - préparant ainsi le
terrain à la consigne de «la barque est pleine», prononcée le 30 août
1942 par le Conseiller fédéral von Steiger. Ce dernier, il est utile de le
rappeler, est le représentant du Parti des paysans,bourgeois et artisans
au gouvernement.
Les répercussions de l'attitude xénophobe propre à la politique
menée à l'égard des étrangers se manifestentnotamment dans la pro
lifération de l'adjectif unschweizerisch. Ce terme, introduit demanière
abusive dans le discours patriotique de l'Entre-deux-guerres, va perdu
rer jusqu'à la fin des années 50. Or unschweizerisch - qu'on ne peut tra
duire mieux que par « à l'encontre de l'esprit suisse» - est la forme
négative de schweizerisch. Une notion qui se trouve à la clé du
Message du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant les moyens
de maintenir et de faire connaître le patrimoine spirituel de la
Confédération du 9 décembre 1938. Cette formule a pour fonction
d'exclure et de dénigrer toute manifestation politique ou culturelle
quiéchappe au cadre normatif de l'«esprit suisse»:une substance labi
le enfin rentrée dans le rang comme l'exhortaient, depuis le début du
siècle, des paroles comme celles du « besoin de l'ordre». Mais l'ordre
désormais s'appellera «suissitude» (schweizerisch), un nom bien de
chez nous! Autant il est difficile de définir concrètement les valeurs
et les concepts de ce terme, autant il est facile de cerner la notion par
154
la négative: est unschweizerisch l'architecture moderne, le cubisme,
l'étranger, le marxisme, le pacifisme, le rouge à lèvres, ainsi que le
mariage d'un Suisse avec une femme étrangère. Ce dernier exemple
d'unschweizerisch a été montré du doigt à l'Exposition nationale de
1939 où, sous la forme d'unemaquette très parlante, on a mis au pilo
ril'homme suisse qui a osé épouser une étrangère.
La peur latente engendrée par la Grande Guerre, ainsi que les
menaces d'une éventuelle implication de la Suisse dans les combats,
ont aussi provoqué des déplacements insolites dans les mentalités col
lectives. En effet, le danger extérieur - qui s'estmanifesté de manière
plutôt incertaine - s'est traduit dans la société suisse en peur intérieu
re greffée sur des objets proches et concrets.Un des résultats de cette
anxiété aura pour conséquence, par exemple, de diviser la population
en deux camps linguistiques opposés. Et l'on voit se développer une
confrontation violente qui passe de la critique mutuelle à la haine
ouverte. C'est le fameux « fossé», provoqué par différentes causes que
je ne discuterai pas dans ce contexte. Je tiens tout simplement à
rendre attentif au fait que dans une ambiance d'exclusion « d'autrui»,
propre à la xénophobie et au racisme, même le compatriote peut
apparaître comme un ennemihéréditaire. En dépit d'un culte exal
tant l'unité de la communauté nationale, la droite helvétique ne ces
se d'attaquer violemmentl'ennemiintérieur, tandis que la bourgeoisie
du « juste milieu » renforce intrinsèquement cette lutte par un état
d'esprit patriotique et étriqué.
Bien que cette question ait déjà été mise en évidence dans cette
étude, j'aimerais une fois encore relever le soi-disant problème de la
«surpopulation étrangère». En effet, en dépit du départ d'un grand
nombre d'étrangers qui se rangent sous les drapeaux de leur pays res
pectif, le sentiment qu'ils représentent une menace pour la Suisse
gagne en importance. Tout se passe comme si le danger extérieur
s'était greffé sur une proie facilement et immédiatement accessible de
l'intérieur. Cette situation ouvre un champ propice à la propagande
xénophobe et discriminatoire, et les articles prônant des « théories»
racistes continuent à remplir les publications.Mais le langage xéno
phobe entre aussi en force dans les sphères de la politique officielle.
Ainsi Jean -Marie Musy, dans son discours incendiaire contre les socia
listes du 10 décembre 1918, suggère par exemple au Conseil national
155
d'« éloigner la vermine étrangère»231. Durant tout l’Entre-deux
guerres, ce genre de propos va prendre de l'extension et trouvera son
apogée en 1942. Car si le Conseiller fédéral von Steiger se contente
encore, comme on l'a déjà vu, d'unemétaphore relativement modérée
commecelle de « la barquepleine», Eugen Bircher semanifeste par des
discours beaucoup plus musclés, et parle ouvertement de «venin » et
de « corps étranger» quidoiventêtre expulsés (voir ch .7).
Dans ce climat, l'antisémitismene peut que se renforcer. Les auto
rités politiques introduisent des mesures discriminatoires de plus en
plus nombreuses à l'égard des Juifs. Le succès est tel que le chef de la
police fédérale des étrangers,Heinrich Rothmund,peut constater avec
satisfaction que cette politique a réussi à empêcher « l'enjuivement»
(Verjudung) de la Suisse . Cependant, il ne fautpas considérer cet anti
sémitisme comme l'apanage personnel de Rothmund ou de quelques
« extrêmistes» . Au contraire, ce sentiment est partagé par de nom
breux responsables politiques et quelques maîtres à penser, commepar
exemple un Marcel Regamey dont l'antisémitisme virulent rejoint lar
gement celui d'Ulrich Dürrenmatt. Pour ce comportement, et aussi
pour d'autres raisons, Regamey peut être qualifié d'héritier légitime de
cette personnalité de la droite traditionaliste bernoise. La Ligue vau
doise, dont il est le chef spirituel, n'hésite pas à reprendre et prolonger
les discours des Musy et Bircher. Et mêmesi je cours le risque d'élargir
un peu trop ce paragraphe, force est de prendre une fois sérieusement
note de l'envergure de cette attitude antisémite qui, trop souvent, a
fait l'objet d'une banalisation indéfendable. Pour étayer mes propos et
conclure sur ce sujet, retenons un passage tiré d'une publication de la
Ligue vaudoise en 1941: « Il en est cependant qui causeront toujours
des désordres et abaisseront toujours la valeur professionnnelle de leur
profession: ce sont les Juifs. Ils se donnent de faux airs de contribuer
au bien -être général;mais ils édifient d'énormes fortunes prises sur la
moelle du pays et les transfèrent ensuite à l'étranger. Siles classes
moyennes font avec fierté les sacrifices nécessaires à l'indépendance
de la Suisse, ce n'est pas pour permettre à des éléments internationaux
rapaces et sans gêne de se livrer à la curée de nos professions et d'en
dégrader lesmeilleurs principes» 232.
Afin de compléter ce catalogue des différentes attitudes d’exclu
sion, il faut relever une fois de plus la question de l'antiféminisme ou,
156
en termes plus feutrés, de l'opposition à l'émancipation des femmes.
Nous avons déjà vu que le maintien des femmesdans le giron de leur
foyer et de l'Eglise constitue un élément fondamental dans la pensée
de la droite catholique. Avec pour avantage non négligeable d'offrir
aux patronsdes industries frappées par les récessions un discours com
mode pourlicencier lamain-d'oeuvre féminine. Pourtant, dans le dis
cours politique de la droite, l'image symbolique de la femmene cesse
de gagner en importance. Soit du point de vue négatif, en stigmati
sant de manière violente et mesquine les femmes qui participent aux
luttes du mouvement ouvrier ou des partis de gauche - et qui sont
censées représenter le «mal social» dans toute sa plénitude. Soit en
auréolant en tant que citoyennes accomplies celles qui, telles des prê
tresses de la nation , se consacrent entièrement à leurs devoirs fami
liaux. Dans cette optique, l'engouement pour le costume national
féminin fonctionne commeun cache-sexe destiné auxmanifestations
sur la place publique. Et le moins que l'on puisse dire , c'est que la
femmemoderne - en voie d'émancipation - n'a pas la cote233. Il faut
éliminer, disent par exemple les directives pour une politique de pro
pagande officielle élaborée en 1940, le «courtisanenhaften Girltyp»,
c'est-à-dire le type de femmecourtisane et girl - un terme par ailleurs
incorrectement orthographié dans le document234.
Mais c'est l'extrême droite qui développe, sur la base d'images
péjoratives et misogynes, le plus grand nombre de fantasmes poli
tiques. Ceux -ci se traduisent parfois explicitement dans un amalgame
qui réunit étroitement antisocialisme, antisémitisme et antiféminisme.
Le journal du Front National (alors allié des partis bourgeois deZurich
pour tenter de mettre fin à la majorité rouge de la ville) rapporte en
ces termes une confrontation de sa troupe avec la population du quar
tier ouvrier où le Front avait organisé un défilé électoral: « Est-ce que
vous ne les avez pas vus, bordant la rue, les étrangers (Fremdlinge)
pâles et les femmes juives stridentes qui, protégés par les gourdins
rouges, poursuivaient d'insultes notre cortège aux flambeaux ?»235
S'il est vrai, que dans ce dernier chapitre, j'ai essayé en premier
lieu d'établir quelques-uns des jalons les plus spectaculaires de la
droite de l'Entre-deux -guerres, je n 'aipourtant pas l'intention de sug
gérer que cette période historique est complètementsubmergée par la
nouvelle droite. Car bien que celle-ci se soit fortement épanouie
157
depuis 1900 , elle se présente toujours sous une forme très hétéroclite
et contradictoire. Ce qui ne l'empêche nullement de s'incruster pro
fondément dans la culture politique helvétique. Certes, la nouvelle
droite se voit souvent fortement critiquée, non seulement par la
gauche,mais aussi par des courants bourgeois qui ont gardé un certain
sens politique critique.Mais de manière plus générale, tout en récu
sant ses projets en tant que tels, la bourgeoisie partage, de façon plus
ou moins nuancée, une grande partie de son imaginaire social et de
ses valeurs idéologiques. De surcroît, si l'on constate une nette tolé
rance de la bourgeoisie par rapport à cette pensée réactionnaire, il
faut préciser que les propositions de la gauche sont, quant à elles,
impérativement rejetées et réprouvées. Bien sûr, la nouvelle droite
offre, avec son nationalisme patriotique, un soutien inconditionnel à
l’armée. Et son antisocialisme viscéral constitue un excellent terrain
de rencontre avec les partis bourgeois. Ainsi, pour la Suisse, cette
période de l'Entre-deux -guerres et de la DeuxièmeGuerre mondiale
signifie une volonté de retour - souventmasquée par un discours
«moderniste» - de l’Ancien Régime,mais dans une version qui serait
incorporée à la société industrielle et capitaliste. Le libéralisme du
19e siècle n'est plus qu'un souvenir, une lueur d'espoir pour ceux qui
se souviennent de Gottfried Keller. Quant au retour de l’Ancien
Régime, il se manifeste de manière très emblématique dansun projet
particulier que j'aimerais esquisser et interpréter de manière un peu
insolite pour clore cette étude. Il s'agit du Réduit national placé dans la
perspectivede la Gesamtkunstwerk.
Le prélude au Réduit national se situe à la Landi, l'exposition natio
nale de 1939 à Zurich. Il s'agit probablementde la manifestation offi
cielle la plus «moderne» de la Suisse de l’Entre-deux-guerres.Je dis ici
moderne dans le sens où une société industrielle réussit à créer un
haut lieu de communion dans lequel s'amalgament les valeurs tradi
tionnelles de l'Ancien Régime, le machinisme et les technologies
contemporaines, sans pour cela provoquer de ruptures ou de contra
dictionsmanifestes. Sur le plan de son organisation spatiale, cette
exposition s'articule autour du lac. Sur l'une des rives, on a érigé le
nouveau vieux Village suisse bordé par la mise en activité de l'agricul
ture, du travail à domicile et des costumes nationaux; alors que sur
l'autre se dressent les pavillonsde l'industrie, du tourisme, des loisirs,
158
de la culture et du sport. Les deux parties de l'exposition sont reliées
par un téléférique, un des fleurons de la technique contemporaine.
Mais le véritable réseau qui rattache l'ancienne Suisse - celle du
Dörfli - à celle de la société industrielle, se tisse dans l'«avenue suréle
vée» (Höhenweg), ou la section appelée «Patrie et Peuple», ainsi que
dans le Pavillon de l'armée. Ces hauts lieux symboliques, qui occu
pent le centre des représentationsde la Suisse moderne,rappellentde
manière fort suggestive les valeurs de la Suisse traditionnelle. L'expo
sition se trouve ainsi ordonnée sur les deux côtés du lac par deux
« Patries» complémentaires: celle de la paysannerie et du Heimatschutz
sur la rive droite , celle du peuple et de l'armée sur la rive gauche. Or
l'espace «Patrie et peuple», adossé au Pavillon de l'armée, anticipe en
quelque sorte l'ambiance du Réduit national. Un effet d'émotion
intense est produit par une conjonction particulière entre l'« avenue
surélevée» - une sorte de chemin de pèlerinage civique - et le sanc
tuaire de l'armée. En fin de course, le visiteur qui a cheminé pieuse
ment sous les drapeaux de toutes les communes helvétiques pénètre
dans une salle glaciale. Telle une salle de prière dénudée, celle-ci a
pour unique décor la présence d'un soldat statufié par Hans
Brandenberg - appelé «Wehrbereitschaft» (Volonté de défense) - un
drapeau suisse et, apposée sur le mur, l'inscription suivante en lettres
massives: « 1939, tout Suisse est tenu au service» 236 . Ainsi, au centre
d'une ambiance moderniste, le spectateur se trouve cerné dans un
repli austère dominé par trois valeurs considérées comme fondamen
tales: l'homme, le service, et le drapeau. Ce langage esthétique - une
figure, une parole, un emblème- fabriqué pour susciter une adhésion
sansretenue, s'affiche comme une perfection dans son genre !
Dans la même période, cette dialectique inquiétante entre
l'esthétique et le militaire est développée et exaltée dans un luxueux
ouvrage préfacé par Gonzague deReynold et trois Conseillers fédé
raux. Intitulé Art et armée suisse, sa conclusion rejoint l'esprit de
Réduit proposé dans l'exposition nationale: «Art et armée sont placés
l'un en face de l'autre comme deux miroirs. Entre ces deux miroirs, il
y a le visage de la Suisse. Celuide l'armée lui renvoie son profil réel,
celui de l'art, son profil idéal»237.
L'idée que la véritable manifestation esthétique correspond au
«besoin de l'ordre» n'est pas seulementpropagée dans le contexte de
159
« art et armée», mais également dans un cadre plus général. Dans cet
te perspective, l'expression artistique est considérée en tant que mot
d'ordre social et politique. Sous le titre «L'art est une nécessité» ,
l'auteur d'un article paru dans la Gazette de Lausanne explique entre
autres: « L'art est une mise en ordre [...];où il y amise en ordre, il y a
discipline, donc obéissance, hiérarchie et valeurs» 238.
Le 9 juillet 1940 , à peine une année après l'ouverture de
l'Exposition nationale, le général Guisan décide de se replier avec
l’armée dans l'enceinte des Alpes. La plaine avec les villes et les
grands centres industriels - qui s'apprêtent à travailler en partie pour
l'économie de guerre allemande - sont abandonnés à eux-mêmes.
Mais les montagnes se transforment en forteresse helvétique connue
désormais sous le nom de Réduit national. Le 1er août 1941, sur une
prairie près de Schwyz située au coeur du Réduit, on commémore le
650ème anniversaire de la Confédération .
Deux mois à peine après la fête de Schwyz, Eugen Bircher partira
à la tête d'une colonne médicale sur le front de l'Est où il s'engage,
avec ses volontaires suisses, dans les rangs de l'armée allemande.
Cette mission, patronnée par la Croix-Rouge, a reçu le consentement
du Conseil fédéral qui, au mêmemoment,durcit sa politique restricti
ve à l'égard des réfugiés. Quant aux festivités commémoratives orga
nisées dans le Réduit, elles se déroulenten présence du Général et du
Conseil fédéral in corpore, et dans une ambiance plutôt sombre - la
couleur disparaissant derrière la grisaille des uniformes et le noir des
costumes d’apparat. Pour cette occasion , les architectes Adolf
Kellermüller et Hans Hofmann (architecte en chef de l'Exposition
nationale de 1939) ont édifié sur les pâturages environnants une
grande estrade harnachée de drapeaux et dominée par une croix .
Cette sorte de blockhaus de plein -air, travesti en forteresse médiéva
le , est disposé de façon à utiliser les roches montagneuses comme
décor de théâtre circulaire: unemise en scène qui englobe totalement
spectateurs et participants dans le meilleur esprit des fantasmes de
l'oeuvre d'art totale239. Pour la manifestation , Cäsar von Arx (1895
1949) - un auteur dramatique des plus prisés à l'époque - avait com
posé un Festspiel patriotique. Mais dans sa première version , cette
oeuvre avait provoqué un sérieux litige entre l'auteur et le Conseiller
fédéral Etter qui l'avait jugée trop critiqueparrapport à la question de
160
l'asile politique, etmanquantde verve patriotique. Ce dernier dictera
personnellement à Von Arx un nouveau scénario dépourvu de réfé
rences aux réfugiés ou à la mission humanitaire de la Suisse. Il sera en
outre truffé de paroles de propagande patriotique puisées dans le
vocabulaire de la droite helvétique240.Ainsi eut lieu , le 1er août 1941
- replié sur le Réduit national- l'évocation contemporaine (moderne)
de cet Etat baroque tel qu'il se manifeste au centremême de la pensée
sociale et politique de la nouvelle droite. Dans ce sens, le Réduit natio
nal peut être considéré comme cette oeuvre d'art totale
(Gesamtkunstwerk) propre à l'esthétique et à l'utopie de la droite
bourgeoise de la première moitié du 20e siècle.

11. Estradepour le 650e anniversaire de la Confédération à Schwyz (1941), architectes:


Hans Hofmann et Adolf Kellermüller (gta -ETH Zurich ).

161
10 . Bibliographie et contexte historiographique

On aura pu le constater, cette tentative de mise en place du rôle


et de l'influence de la nouvelle droite helvétique puise ses sources
dans une documentation très abondante. Cependant, cette dernière
est encore extrêmement parcellisée et peu homogène. Par ailleurs, au
niveau des études d'histoire suisse, nous manquons des travaux de
synthèse qui pourraient offrir un encadrement suffisant. Dans ce
domaine, en effet, nous ne disposons d'aucun travail approfondi et les
recherches traitant l'un ou l'autre des aspects spécifiques au sujet font
défaut. On ne dispose, par exemple, d'aucune histoire récente des
partis radicaux et libéraux de cette époque, ni d'une étude pertinente
concernant les intellectuels, pas plus que d'une synthèse résumant la
mentalité de l'élite bourgeoise. Par ailleurs, nousmanquons d'une his
toire sociale globale qui intégrerait les rapports sociaux entre les
sexes, ainsi que les changements intervenus dans la société féminine.
Cettemise en perspective de la droite doit donc se lire comme autant
de questions posées à une histoire suisse lacunaire que comme pre
miers éléments de réponse sur un sujet par trop négligé jusqu'à ce
jour.
Pourtant, l'histoire de la droite autour de 1900, ainsi que les phé
nomènes qui ont accompagné sa renaissance, n'ont pas échappé tota
lement à l'attention des historiens. Par exemple, dans un paragraphe
très lucide de son histoire de l'Etat fédéral intitulé «Politique cultu
relle, situation culturelle et critique culturelle vers 1900» (Handbuch
der Schweizer Geschichte, vol. 2, Zurich 1977, pp. 1112-1119), Hans
von Greyerz nous rend attentif aux principaux faits se trouvant à la
base de la formation d'un nouveau conservatisme et d'une nouvelle
droite - à savoir l'altération de l'esprit libéral et l'apparition de nou
velles sensibilités idéologiques. Il conclut sa brève analyse en ces
termes: « Beaucoup de motifs se sont rencontrés: le traditionalisme,
certaines sensibilités esthétiques, un dégoût de la mentalité Fin de
siècle et de l'Epoque banale,un sentimentnationalrenforcé».
162
En dépit de cette indication très claire, les phénomènes propres
aux décennies transitoires de 1900 - le renouvellement du conserva
tisme, le glissement des radicaux vers la droite et l'avènement de
l'avant-garde réactionnaire - n'ont encore jamais été analysés dans le
cadre d'un concept spécifique. Cette lacune est d'autant plus regret
table que ces éléments, loin d'être des faits dérisoires, ont eu un
impact décisif sur l'histoire du tournant du siècle et sur la première
partie du 20e siècle au moins.
L'accès aux sources et la qualité des travaux étant plutôt précaires,
l'esquisse historique effectuée dans cette étude ne peut pas encore, à
ce stade, revendiquer le statut de synthèse définitive.Mon but était,
dans un premier temps, d'aborder cette période ambiguë dans le cadre
d'une nouvelle approche et, dans un deuxième temps, d'avancer
quelques hypothèses permettant de mieux comprendre certaines
lignes de force qui l'ont dominée et déterminée. Cette démarche
- présentée sous la forme d'exemples choisis – comporte sans aucun
doute de nombreuses lacunes. Ou, pour rester proche de l'imaginaire
de mon sujet, elle est pleine de «trous noirs». Ces défauts trouvent
leur origine tant dans le manque de temps pour entamer des
recherches auxiliaires plus importantes, que dans la carence de l'his
toriographie qui ne permet pas un accès direct aux informations
nécessaires.
Il convient notamment de signaler une inégalité dans le traite
ments des différentes régions de la Suisse. A mon grand regret, le
Tessin et le Valais sont quasiment absents demon propos. La présen
tation de la droite suisse alémanique n'est pas aussi complète que je
l'aurais souhaité. Pour une fois, et contrairement à la pratique habi
tuelle, c'est la Suisse romande qui sert de modèle à l'ensemble de
l'histoire suisse. Ce renversement me semble pourtant comporter
quelques avantages. Il permet de nuancer la fameuse image du
«patriotisme helvétique» propre à la Suisse romande, un sentiment
que l'on avait tendance à considérer comme l'expression d'un char
mant renouvellement du libéralisme dans l'esprit de l'Etat fédéral de
1848 .
J'ai en outre atténué considérablement le caractère académique de
cette étude. Ce choix a pour conséquence une limitation très stricte
de l'appareil critique et des références, cela pour éviter que les notes
163
ne submergent le texte au point qu'il n'en deviendrait plus qu'un
appendice. Par ailleurs, un bref regard sur la bibliographie ci-dessous
peut donner une idée de l'étendue et de la richesse du matériel à dis
position . A ce propos, il faut souligner qu'elle ne comporte que les
ouvrages strictement indispensables. Quant aux articlesde presse, soit
dans les notes, soit dans la bibliographie, ils ne figurent que pour
signaler les citations. Finalement, afin de présenter l'ensemble du
matériel sélectionné sous une forme simplifiée, j'ai divisé l'ensemble
des titres en deux parties, chacune inventoriée par ordre alphabétique.
Le premier choix comporte quelques ouvrages de base et notamment
des références intéressantes provenant de l'historiographie étrangère.
Sous le titre « sources et littérature», j'ai composé par la suite une
longue liste des documents très variés utilisés pour cette étude.Je tiens
à rendre attentif le lecteur au grand nombre d'articles intéressants
publiés, au début du 20e siècle, dans quelques revues remarquables.
Parmi ces dernières se distingue Wissen und Leben fondée en 1907 à
Zurich par Ernest Bovet (1870- 1941), professeur de langues romanes à
l'Université de Zurich. La rédaction de cette revue a su présenter un
éventail très large des opinions culturelles et politiques qui ontmar
qué les débats de l'époque. Il me semble qu'une lecture filée de cette
partie bibliographique constitue, en elle-même, une bonne informa
tion illustrant la complexité du sujet traité.
Pour conclure, je tiens encore à souligner que la thématique choi
sie ici n'a jamais représenté pour moi un objet historique indifférent
ou isolé dans son temps. La simple chronologie du passé ne m 'a
jamais intéressé.Mon objectif primordial est de chercher ce qui, dans
les événements et les structures du passé, peut aider à comprendre et
interpréter les temps actuels. Dans ce sens, l'histoire de la droite
autour de 1900 est d'une actualité brûlante. En effet, nous assistons
aujourd'hui à une série de phénomènes qui ne sont pas sans résonan
ce avec le contenu de cette étude. Car non seulementune vague de
conservatisme «postmoderne» tente de s'affirmer - confortée par la
résurgence d'une croisade antilibérale de l'Eglise catholique et par
l'apparition de divers courants intégristes qui remettent en cause la
démocratie et l'Etat laïc; mais la présence d'une nouvelle vague de
xénophobie et de racisme se manifeste chaque jour demanière plus
inquiétante. Par ailleurs, la récente guerre du Golfe - une guerre
164
éclair destinée à imposer un nouvel ordre mondial - a été esthétisée et
héroïsée par une mise en scène qui, une fois de plus mais à un degré
jamais atteint jusque-là , a réussi à en camoufler l'horreur.
Mais ces rencontresdu passé et du présent comportent encore un
aspect plus personnel qui m 'a particulièrement touché. En effet, le
premier chapitre intitulé « La mort du poète» a été rédigé en automne
1990. Peu de temps après, à Naples où je résidais, la nouvelle annon
çant la mort de Max Frisch m 'est parvenue comme un écho à ma
propre réflexion .
Durant ces mêmes journées,la Suisse officielle entamait sa bizarre
commémoration du 700e anniversaire. Une situation qui ressemblait
fort à celle du centenaire précédent. Car un écrivain (ou même deux
si on se souvient que Dürrenmatt est mort quelques mois aupara
vant), qui incarne lui aussi l'esprit critique face à une mentalité hel
vétique frileuse et étriquée,meurt au moment où la Suisse officielle
s'apprête à mettre en scène ses festivités nationales. Complètement
fabriquées sur le mode spectaculaire de l'Ancien Régime, celles-ci
sont placées sous le signe du mercantilisme et d'un conservatisme
«postmoderne». Et dans la classe politique, compromise par des scan
dales et affligée d'une sérieuse perte de crédibilité auprès de la popula
tion, la parole qui a donné à cette étude sa coloration spécifique se
déploie à nouveau: «besoin de l'ordre»...
Mais passonsmaintenant aux sources et aux documents:
a) Quelques titres choisis
ALTERMATT Urs, Der Weg der Schweizer Katholiken insGhetto ,Zürich : Benziger,
1972 .
BERCHTOLD Alfred, La Suisse romande au cap du XXe siècle , Lausanne: Payot, 1966 .
BUGNARD Pierre -Philippe, Le machiavélisme de village. La Gruyère face à la
République chrétienne de Fribourg (1881-1913),Lausanne:
Le Front littéraire, 1983.
BÜTTIKER Georges, Ernest Bovet, 1870 - 1941, Basel/Stuttgart, 1971.
FRY Karl,Kaspar Decurtins. Der Löwevon Truns, 1855- 1916 , 2 Bde., Zürich :
Thomas- Verlag, 1949/1952.
GRUNER Erich, Arbeiterschaft undWirtschaft in der Schweiz, 1880-1914 ,3 Bde.,
Zürich : Chronos, 1987/88.
GRUNER Erich ,“Konservatives Denken und konservative Politik in der Schweiz”,
in KALTENBRUNNER Gerd -Klaus, Rekonstruktion des Konservatismus,
Freiburg:Rombach , 1972, pp.241-272.

165
JOHNSTON William , L'esprit viennois. Une histoire intellectuelle et sociale 1848-1938,
Paris: PUF, 1985.
KLEIN Fritz, VON ARETIN Karl Otmar, Europa um 1900. Texte einesKolloquiums,
Berlin: Akademie -Verlag, 1989.
LANARO Silvio, “La cultura antigiolittiana”, in Storia della società italiana, diretta da
GiovanniCherubini, vol. 20,Milano: Teti, 1981, pp. 427 -464.
LE RIDER Jacques, Le cas Otto Weininger. Racines de l'antiféminisme etde l'anti
sémitisme, Paris: PUF, 1982.
MATTMÜLLER Hans-Peter,Carl Hilty 1833-1909, Basel/Stuttgart:Helbing &
Lichtenhahn, 1966 .
MAURER Therese,Ulrich Dürrenmatt, 1849- 1908 . Ein Schweizer Oppositionspolitiker,
Bern : Stämpfli, 1975 (Arch . des Hist. Verenins Bern , Bd. 59).
MAYER Arno, La persistance de l'Ancien régime. L 'Europe de 1848 à la Grande Guerre.
Paris: Flammarion , 1983.
MAYEUR Jean-Marie, Catholicisme social etdémocratie chrétienne. Principes romains,
expériences françaises, Paris: Cerf, 1986 .
NEWMAN Otto , The Challenge of Corporatisme, London:Macmillan Press, 1981
PRONGUÉ Bernard , Catholicisme social, corporatisme et syndicalisme chrétien en Suisse
romande 1888 -1949, Porrentruy, 1968.
RIMLI Bruno , Sozialpolitische Ideen der schweizerischen Liberal-Konservativen, Diss.
Zürich , 1951.
SCHÜEPP Hanspeter, Die Diskussion über die schweizerische Demokratie von
1904-1914. Eine Untersuchung über dasdemokratische Bewusstsein in der
Schweiz vor dem Ersten Weltkrieg, Zürich: Juris, 1969.
STERN Fritz, Politique et désespoir . Les ressentiments contre la modernité dans
| l'Allemagne préhitlérienne, Paris: Armand Colin , 1990.
STERNHELL Zeev,Maurice Barrès et le nationalisme français, Paris: Ed. Complexe,
1985 .
STERNHELL Zeev ,Naissance de l'idéologie fasciste, Paris: Fayard , 1989.
STRAESSLE Arthur, Eduard Sulzer-Ziegler, 1854- 1913 . Von der politischen und sozial
politischen Tätigkeit einesWinterthurer Industriellen ,Winterthur: Druckerei
Winterthur, 1968.
TODOROV Tzvetan,Nous et les autres. La réflexion française sur la diversitéhumaine,
Paris: Seuil, 1988.
Vienne 1880 - 1938. L'apocalypse joyeuse , sous la dir. de Jean Clair, Paris: Ed. du
Centre Pompidou, 1986 .
WEHLER Hans-Ulrich,DasDeutscheKaiserreich , 1871-1918,Göttingen:
Vandenhoeck & Ruprecht, 1973.
b ) Sources et littérature
ADDORGeorges, De la naturalisation etde l'assimilation des étrangers en Suisse, Zürich:
1913 .
ALATRI Paolo , “L 'interventionnismo e la guerra” , in Storia della società italiana , vol.
21, Milano: Teti, 1982, pp. 13 -33.
166
ALTERMATTUrs,“Antisozialistische Sammlung”,in Katholizismus undModerne
Zur Sozial- und Mentalitätsgeschichte der Schweizer Katholiken im 19. und
20.Jahrhundert, Zürich : Benziger, 1989.
ANGST Markus,“ Der Solothurner Bankkrach und die Verfassungsrevision von
1887”, in Jahrbuch für Solothurnische Geschichte 60, 1987, pp. 3-235.
ARLETTAZGérald /BURKART Silvia,“Naturalisation, «assimilation » et nationa
lité suisse. L'enjeu des années 1900 -1930”, in Avenir Suisse, Adhésion et
diversité culturelle des étrangers en Suisse. Textes réunis par Pierre Centlivres,
Genève:Georg, 1990,pp. 47-62.
ARLETTAZGérald ,“ Démographie etidentité nationale (1850-1914). La Suisse et
«La question des étranger» ”, in Etudes et sources 11, 1985 , pp . 83- 180.
ARLETTAZ Gérald, “ Les effets de la Première Guerremondiale sur l'intégration des
étrangers en Suisse”, in Relations internationales no 54, été 1988, pp. 161
179 .
Art et armée. Notre espritmilitaire exprimé par l'art,Genève: Roto -Sadag, 1940 .
Articles et discours du Colonel Secrétan , Lausanne, 1918 .
ARX Bernhard von , Der Fall Karl Stauffer, Bern , 1969.
AUBERT Théodore, La conscience helvétique. Appel à tous les Suisses,Genève, octobre
1914,Genève: Imprimerie de la Tribune de Genève, 1914 .
AUBERT Théodore, Uneforme de défense sociale : Les Unions civiques, Paris: Extrait
du Mercure de France, 1921.
BALMER Josef, Die Kunstpflege in der Schweiz, Luzern 1902 (tiré à part du Vaterland).
BAUER Eddy, “Charles Maurras et la Suisse romande”, in Etudesmaurrassiennes 2 ,
1973, pp.41-46 .
BAUR Albert,“Weitere Auseinandersetzungen”, in Wissen und Leben X, 1912,
pp.692-695.
BINGGELIElisabeth , “Garde à vous! A ceux qui lisent”. L 'Association suisse contre la
littérature immorale 1885 - 1914 , Mém . de lic .Genève, 1985.
BIRCHER Eugen , “ Zur Rassenfrage in der Schweiz. Bei Anlass von Madison Grants
«Untergang der grossen Rasse»”, in Schweizer Monatshefte 5, 1925 /26 , pp.
671-677 .
BLEULER Eugen, Führen die Fortschritte der Medizin zur Entartung der Rasse? Tiré à
part deMünchnermedizinische Wochenschrift,no 7, 1904 .
BLOCHER Eduard,“Konservativ”, in Wissen und Leben VIII, 1911, pp. 864-875.
BODMANN Emanuel von ,“Otto Weininger”, in Wissen und Leben IX, 1911-1912,
pp.459-470.
BONJOUR Félix , Souvenirsd'un journaliste,t.1, Lausanne:Payot, 1931.
BOSSHART Jakob, Ein Rufer in der Wüste, Frauenfeld:Huber, 1951 (prémière édi
tion en 1921).
BOURGEOIS Daniel,“Reynold a-t-il « compris le siècle»? Propos sur sa pensée et
son action politiques (1909-1941)”, in La Liberté, 12-13 juillet 1980.
BRUESCHWEILER Carl, ETTER Philipp, VEILLARD Maurice,
Bevölkerungsprobleme und Familienschutz in der Schweiz , Bern : Eidg.Stat.
Amt, 1941.
167
BÜCHLER Hermann , Drei Schweizerische Landesausstellungen , Zürich 1883,Genf
1896 , Bern 1914, Zurich , 1970.
BÜCHLER Max,“Die Bantu-Neger und ihre Kulturfähigkeit", in Wissen und Leben
IX , 1911-12, pp. 757-769.
CANTINI Claude, Les Ultras. Extrême droite et droite extrême en Suisse: lesmouve
ments et la presse de 1921 à 1991, Lausanne: Editionsd'En bas, 1992.
CASAGRANDEGiovanni,“Mises en fiche du début du siècle:le cas deLuigi
Bertoni”,in Centans de police politique en Suisse (1889-1989),Lausanne:
Editions d’En bas, 1992, pp.63-80.
CEPPI Jean-Philippe, Neuchâtelet l'Action Française (1919-1939),mém . de lic .
Fribourg, 1986 .
CLAVIEN Alain, “Une revue nationaliste romande du début du siècle: « Les
Feuillets» (1911- 1913 )”, in Revue suisse d'histoire 37, 1987, pp . 285 - 302
CRETTAZ Bernard , JOST HansUlrich , PITHON Rémy, Peuples inanimés, avez-vous
donc une âme ? Images et identités suisses au XXe siècle, Etudes et mémoires
de la section d'histoire de l'Université de Lausanne, publiés sous la direc
tion du prof. H .U . Jost, tome 6 , 1987.
CRIPS Liliane, “ Essai d'analyse institutionnelle du racisme biologique: le cas de la
« Société allemande d'hygiène raciale »”, in Sexe et race: Aspects du darwinis
me social du XIXèmeau XXème siècle , sous la dir.de Rita Thalmann,
Université Paris 7, CERG , 1988, pp. 117-130 .
CUENOUD John , La criminalité à Genève au XIXe siècle,Genève, 1891.
Der Hang zum Gesamtkunstwerk. Europäische Utopien seit 1800 ,Kunsthaus
Zürich 11. Februar bis 30 . April 1983, Aarau: Sauerländer, 1983.
EGGER August, “ Die Familienordnung beiJeremias Gotthelf und heute”, in Festgabe
Max Huber, Zürich , 1934
EGGER Franz,“ Der Bundesstaat und die fremden Zigeuner in der Zeit von 1848 bis
1914”, in Studien und Quellen 8, 1982, pp. 49-73.
EHRENSTRÖM Philippe, La stérilisation des maladesmentaux etl'avortement eugé
nique dans le canton de Vaud: Eugénisme et question sociale du débutdu XXe
siècle aux années 1930 , Mémoire de lic .Genève, 1989.
ERNI,Die Entwicklung des schweizerischen Kranken- und Unfallversicherungswesens,
Fribourg: Ed . universitaires, 1980 .
FOREL Auguste, La morale sexuelle , Lausanne, 1906.
FREHNER Matthias, “ 100 Jahre Gottfried -Keller-Stiftung - Eine Standort
bestimmung", in NZZ 256 , 3-4 nov. 1990 .
FREI Annette, Rote Patriarchen . Arbeiterbewegung und Frauenemanzipation in der
Schweiz um 1900,Zürich : Chronos, 1977.
FREY Ad., “ Bundesrat EmilWelti, 1825 - 1899”, in Argovia 65, 1953 , pp . 269-284.
FRISCHKNECHT Ernst, Aspekte bürgerlichen Bewusstseins in Zürich in der Zeit vor
dem ersten Weltkrieg,Mém . de lic. Zürich, 1969.
FRITZSCHE Bruno,“Der Käfigturmkrawall 1893. Destabilisierung im städtischen
Wachstumsprozess” , in Geschichte und Gegenwart, Festgabe Max
Silberschmidt,Zürich: Europa-Verlag, 1981, pp. 157-178.
168
FROIDEVAUX Gérald, L'artet la vie . L'esthétique de Ramuz entre le symbolisme et les
avant-gardes, Lausanne: L'Age d'Homme, 1983.
FUES Wolfram Malte, “ Abbildentstellung? Anmerkungen zu Gottfried Kellers
Martin Salander anhand neuster Literatur”, in Internationales Archiv für
Sozialgeschichte der deutschen Literatur, Bd.9, 1984,pp. 152-179.
GALL Lothar, Bismarck. Derweisse Revolutionär, Frankfurt a.M ./Berlin /Wien :
Propyläen , 1980 .
GARRIDO Angela,Le début de la politique fédérale à l'égard des étrangers, Etudes et
mémoires de la section d'hist. de l'Université de Lausanne, publiés sous la
dir. du prof. H .U . Jost, Lausanne 1987.
GAUFRES M .-J.,“ Alcoolismeet progrès”,in Journaldela Société vaudoise d'utilité
publique, 1895, p. 127.
GAUTSCHIWilli,Geschichte des Kantons Aargau, Bd. 3, Baden: Baden Verlag,
1978 .
GILLARD Charles, La Société de Zofingue, 1819- 1919. Cent ans d'histoire nationale,
Lausanne: Bridel, 1919.
GLAUS Beat, Die Nationale Front, Zürich /Einsiedeln /Köln : Benziger, 1969.
GOFFMAN Erving, Stigma.Über Techniken der Bewältigung beschädigter Identität,
Frankfurt a.M .: Suhrkamp, 1967.
GRELLET Pierre, Souvenirs d'écritoire, Lausanne: Ed.Vie, 1952
GRUNER Erich , “ 100 Jahre Wirtschaftspolitik ”, in Ein Jahrhundert schweiz .
Wirtschaftsentwicklung. Festschrift zum hundertjährigen Bestehen der Schweiz.
Ges. f. Statistik und Volkswirtschaft, 1864 -1964, Bern , 1964.
GRUNER Erich,Die Parteien in der Schweiz,2e édition élargie, Bern:Francke,1977.
GRUNER Erich , Edmund von Steiger.Dreissig Jahre neuere bernische und schweizerische
Geschichte, Bern : Francke, 1949.
GRUNER Erich , L'Assemblée fédérale suisse 1848-1920, vol. 1, Bern : Francke, 1966 .
GUANZINICatherine,Les origines de la Nouvelle Société Helvétique (1911-1914),
mém . de lic . Université de Lausanne, 1985 ,
GUBLER Jacques,Nationalisme et internationalismedans l'architecture modernede la
Suisse,Lausanne: L 'Age d'Homme, 1978.
HÄSLER Alfred,La Suisse Terre d'Asile? La politique de la Confédération envers les
réfugiés de 1933 à 1945 , Lausanne: Rencontre, 1971.
HELFENSTEIN Josef, VON TAVEL Christoph (Hg.), « Der sanfte Trug des Berner
Milieus» . Künstler und Emigranten 1910 -1920, Kunstmuseum Bern :
Stämpfli, 1988.
HELLER Daniel, Eugen Bircher. Arzt,Militärund Politiker, Zürich: VerlagNZZ, 1988.
HILTY Carl, “ Fin de Siècle”, in Politisches Jahrbuch der Schweizerischen
Eidgenossenschaft XIII, 1899, pp. 3 -21.
HOBSBAWM Eric ,RANGER Terence (ed.), The Invention of Tradition ,
London /New York :Cambridge University Press, 1983.
HOPHAN Franz-Peter, Der politische Katholizismus im Aarau 1885- 1921, Diss. Zürich :
Baden , 1974.
HUBER Max, Denkwürdigkeiten 1907-1924,Zürich :Orell Füssli, 1974.
169
ILLI Alfred , “ Fritz Bopp, Dichter und Bauernpolitiker” , in Neujahrsblatt für Bülach
und das Zürcher Unterland 1960, Bülach , 1960.
INGLIN Meinrad ,La Suisse dans un miroir, Lausanne, 1985 .
ISLER Alexander,Prof. Dr. Salomon Vögelin ,Nationalrath . Lebensbild eines
schweizerischen Volksmannes,Winterthur:GeschwisterZeigler, 1892.
ISLER Ursula , “ Lydia, den Maler Stauffer betrachtend”, in NZZ 60 , 12 - 13 mars
1983.
JACCARD Paul-André, “Suisse romande: centre ou périphérie ? Retour en Suisse,
retour à l'ordre”, Ztschr. f. schweiz. Archäologie und Kunstgesch. 41, 1984,
pp. 118 -124.
JACQUIN A .-M ., L'oeuvre de Saint-Paul 1874-1924, Fribourg: Imp. Saint-Paul,
1925 .
JOST HansUlrich , “ Protestbewegung und politischer Radikalismus. Ueber die
Funktion von sozialer Devianz und Stigma im politischen System ”, in
Annuaire suisse de science politique 13, 1973, pp. 117-129.
JOST Hans Ulrich , “ «Un juge honnête vautmieux qu ’un Raphaël» .Le discours
esthétique de l'Etatnational”, in Etudes de lettresno 1, 1984, pp. 49-73.
JOST Hans Ulrich , “La culture politique du petit Etat dans l'ombre des grandes puis
sances”, in Les « petits Etats » face aux changements culturels, politiques et éco
nomiques de 1750 à 1914. Sous la dir. de D . Kosáry, Université de
Lausanne, 1985,pp. 5-32.
JOST Hans Ulrich, “Critique historique du parti politique”, in Annuaire suisse de
science politique 26, 1986, pp. 317-332.
JOST HansUlrich , “ Identität und nationale Geschichte. Die Schweizergeschichte
unter dem Einfluss der «Geistigen Landesverteidigung»”, in Widerspruch
13,Juli 1987, pp. 7-20.
JOST HansUlrich ,“ Politique culturelle de la Confédération et valeurs nationales”,
in B. CRETTAZ, H .U . JOST, R . PITHON , Peuples inanimés, avez-vous
donc une âme? Images et identités suisses au XXe siècle , Histoire et société
contemporaines,t.6, Lausanne 1987,pp. 19-38.
JOST HansUlrich , “Das “Nötige" und das "Schöne”. Voraussetzungen und Anfänge
der Kunstförderung des Bundes”, in Der Bund fördert, der Bund sammelt.
100 Jahre Kunstförderung des Bundes, Bundesamt für Kulturpflege, 1988, pp
13-24 .
JOST HansUlrich , “Kulturkrise und politische Reaktion ", in Europa um 1900 . Texte
eines Kolloquiums, hg. von Fritz Klein und KarlOtmar von Aretin, Berlin :
Akademie-Verlag, 1989, pp . 303-317.
JOST HansUlrich,“Les Beaux-arts et la culture politique:du paradoxe à l'anomie”,
in Ipotesi Helvetia . Un certo espressionismo, Pinacoteca comunale Casa
Rusca, 10 marzo - 20 maggio 1991, pp. 225 -240.
JUNG Joseph, Katholische Jugendbewegung in derdeutschen Schweiz:der
Jungmannschaftsverband zwischen Tradition und Wandel von derMitte des
19.Jahrhundertsbis zum Zweiten Weltkrieg,Fribourg :Universitätsverlag,
1988 .

170
JUNKER Beat,“ Die Bundesfeier alsAusdruck nationalen Empfindens in der Schweiz
um 1900”, in Geschichte und politische Wissenschaft, Festschriftfür E .Gruner
zum 60.Geburtstag, Bern: Francke, 1975, pp. 19-32.
JUNKER Beat, Eidgenössische Volksabstimmungen über Militärfragen um 1900, Bern
1962.
KAMIS -MÜLLER Aaron , Antisemitismus in der Schweiz , 1900-1930, Zürich :
Chronos, 1990
KELLER Gottfried,Gesammelte Schriften,hg. von Carl Helbling, Bd. 3/1, Bern:
Benteli, 1954.
KELLER Gottfried,Martin Salander,Genève: EditionsZoé, 1991.
KÖNIG Mario, Die Angestellten zwischen Bürgertum und Arbeiterbewegung. Soziale
Lage und Organisation der kaufmännischen Angestellten in der Schweiz 1914
1920, Zürich: Limmat-Verlag, 1984.
KÖNIG Mario, SIEGRIST Hannes, VETTERLI Rudolf,Warten und Aufrücken. Die
Angestellten in der Schweiz 1870-1950, Zürich : Chronos, 1985.
KÜLLING Friedrich, Antisemitismus - beiunswie überall? Zürich: Juris, 1977.
KUNZ Josef,Die Hirtenbriefe der Schweizer Bischöfe zwischen 1860 und 1920 und deren
Ordnungsprinzipien von Legitimitätund Autorität als Antwort auf den
Liberalismus,den Sozialismus und die Arbeiter- und Gewerkschaftsfrage, Diss.
phil.- hist. Bern , 1983.
KURZ Hans Rudolf, “Der deutsche Kaiserbesuch in der Schweiz (1912)”, in Revue
militaire suisse 128, 1962,pp.489-496.
La Ligue vaudoise au travail: le paysan , le vigneron,l'artisan, le commerçant,
l'ouvrier et le patrimoine vaudois, Lausanne, 1941.
LABHART Walter, Bundesrat Ludwig Forrer 1845 - 1921, Winterthur: Lüthi, 1972
LANGEWIESCHE Dieter (Hg.), Liberalismus im 19. Jahrhundert, Göttingen :
Vandenhoeck & Ruprecht, 1988.
LAUR Ernst, Erinnerungen eines schweizerischen Bauernführers, Bern:
Verbandsdruckerei, 1942.
LAUR Ernst, Politique agraire, Lausanne: Payot, 1919.
LAUR Ernst, Une politique agraire suisse envisagée à la lumière d'une conception supé
rieure de la vie, Brugg, 1918.
LE DINH Diana, Le Heimatschutz ,une ligue pour la beauté ,Histoire et société
contemporaines, t. 12, Lausanne 1992 .
Le livre d'or de l'exposition nationale 1939, rédaction Eugène-Th.Rimliet
Marcel Pobé, Zürich : Verkehrsverlag, 1940 .
LEYVRAZ René,“La vie et l'oeuvre de l'Abbé A . Savoy”, in A . Savoy, Le plan de
Dieu dans la Création etla Rédemption de l'Humanité, Sion , 1951, pp. 5- 19 .
LIEBESKIND Ingrid, Controverses et polémiques autours de l'installation des grands
magasins à Genève dans l'Entre-deux-guerres,Mém . de lic .Genève, 1988.
LOOSER Heinz, “Zwischen « Tschinggenhass» und Rebellion . Der
«Italienerkrawall» von 1896 ", Lücken im Panorama. Einblicke in den
Nachlass Zürichs, hg. vom Geschichtsladen Zürich , Zürich : Cooperative
Drucki Aarau , 1986 , pp. 85 - 107.

171
LÜTHIWalter, Der Basler Freisinn von den Anfängen bis 1914, Basel 1983 (161.
Neujahrsblatt d.Ges.f.das Gute u.Gemeinnützige).
MALFROY Silvain ,“Le paysage de la Suisse comme valeur et comme problème”, in
Nosmonuments d'art et d'histoire, 1984, pp. 23-31.
MASSIMO Sardi,ZIMMERMANN Christoph, L'exposition nationale suisse: de la
représentation à l'image,mémoire de lic .Université deGenève, 1985.
MATTIOLIAram et STIRNIMANN Charles,“ Von der Bürger- undGewerbepartei
Basel-Stadt zur Nationalen Volkspartei Basel”, in Basler Zeitschrift für
Geschichte und Altertumskunde 87, 1987, pp. 119-154.
MATTIOLI Aram , Gonzague de Reynold und die Rechte in der Schweiz,mémoire de
licence, Université de Bâle , 1987.
MATTIOLI Aram ,“Der «neohelvetische» Nationalist Gonzague de Reynold und
der Anschluss Vorarlbergs”, in « Eidgenossen helft euern Brüdern in der Not!»
Vorarlbergs Beziehungen zu seinen Nachbarnstaaten 1918-1922, Feldkirch,
1990, pp. 7-31.
MATTMÜLLER Markus, Leonhard Ragaz und der religiöse Sozialismus, Bd. 1,
Zollikon /Zürich : Evangelischer Verlag, 1957.
MESTRAL COMBREMONT J. de, “Préface”, in La pensée d'Edouard Rod, Paris:
Perrin , 1911, pp. V -LIII.
MONTENACH Georges de, Formation et éducation du patriotisme. Conférence par
M . G . de Montenach donnée dans la grande salle du Théâtre de St
Maurice le 9 juin 1910, St-Maurice: Impr. St-Augustin, 1910.
MONTENACH Georges de, L 'art et le peuple (avec une lettre de M . l'Abbé Lemire,
député du Nord). Fribourg: Imprimerie Fragnière, 1903.
MONTENACH Georges de, Pensées etprévisions politiques.Articles recueillis et pré
facéspar G . deReynold, Fribourg: Fragnière frères, 1926 .
MONTENACH Georges de, Pour le visage aiméde la patrie, Lausanne, 1908.
MORO Henri, “Les idéesmorales d'Edouard Rod ”, in Wissen und Leben X , 1912 ,
pp. 239-248 et 300-308.
MOSER Daniel Vinzenz,Geschichte der Freisinnig-demokratischen Partei des Kantons
Bern 1890 -1922, Diss. phil.-hist. Bern, 1977.
MOSER Jonny, “ Antisemitismus zwischen Doppeladler und Kruckenkreuz (1870
1930)”, in Wien 1870 - 1930 . Traum und Wirklichkeit, Salzburg /Wien :
Residenz-Verlag, 1984, pp. 64-70.
MÜLLER Martin , Die Entwicklung der Bundespolizeiund ihre heutige Organisation , Diss.
jur. Zürich : Aarau, 1949.
MUSCHG Adolf,Gottfried Keller,München : Kindler, 1977.
MUTTER Christa, Frauenbild und politisches Bewusstsein im schweiz. Kath .
Frauenbund,mémoire de licence, Fribourg, 1987.
NOVIK Dimitri, Théodore Aubert et son oeuvre,Genève, 1932 .
OLLNHUSEN Heinz,“Das Schweizervolk . Die Herkunft der Schweizervolkes und
seinerNachbarn ”,in Wissen und Leben VI, 1910 ,pp .160-176.
PASSAVANT Rudolf von , Zeitdarstellung und Zeitkritik in Gottfried Kellers “Martin
Salander” , Bern : Francke, 1978 .

172
PAVILLON Monique,La femmeillustrée des années 20, Lausanne:Histoire et société
contemporaines, t. 4, 1986 .
PAVILLON Monique, Les immobilisées,Lausanne: Editions d'En bas, 1989.
PAVILLON Monique /VALLOTTON François,“Des femmes dans l'espace public
helvétique 1870 - 1914 ”, in Lieux de femmes dans l'espace public 1800 -1930 ,
Actes du colloque à l'Université de Lausanne 11- 12 nov . 1991, publiés par
M . Pavillon et F. Vallotton, Lausanne:Histoire et société contemporaines,
t. 13/1992, pp. 7-57.
PEZOLT Ernst,Wesen und Ziele der Sozialdemokratie, Volksschriften des
Einwohnervereins Bern, Nr. 1, Bern 1893.
PRONGUÉ Bernard,Lemouvementchrétien -social dansle Jura bernois, Porrentruy:
Imprimerie La bonne presse, 1968.
QUIDORT Charles,La question de l'alcoolisme, Lausanne, 1893.
RÄBER Ludwig, Ständerat Räber. Ein Leben im Dienste derHeimat, 1872- 1934,
Einsiedelnt/Zürich/Köln : Benziger, 1950.
RAMUZ C .F.,“La Suisse actuelle et les artistes”, in Wissen und Leben IV , 1909,
pp . 590 -597.
RENK Hansjörg, Bismarcks Konfliktmit der Schweiz . DerWohlgemuth -Handel von
1889. Vorgeschichte, Hintergründe und Folgen , Basel/Stuttgart: Helbing &
Lichtenhahn, 1972.
REYNOLD Gonzague de,“Lebesoin de l'ordre”,in La Voile Latine VI, 1910,
pp. 3- 17.
REYNOLD Gonzague de,“ Confédération suisse ou République helvétique”, in La
Voile latine VI, 1910, pp. 378 -403 .
REYNOLD Gonzague de,“La Suisse , son art,son architecture”, in Wissen und Leben
V, 1909/10.
REYNOLD Gonzague de,“Démagogie”, in Wissen und Leben VIII, 1911, pp. 242
243.
REYNOLD Gonzague de, “Réflexions sur l'écrivain suisse et le moment présent”, in
Wissen und Leben IX, 1911-1912,pp. 225-229.
REYNOLD Gonzague de, FAESI Robert,GOS Charles, Soldat und Bürger,hg. vom
Vortragsbureau beim Armeestab, Zürich, 1916 .
REYNOLD Gonzague de, La démocratie et la Suisse. Essaid'une philosophie de notre his
toire nationale, 3e éd., Bienne: Les éditions du chandelier, 1934.
REYNOLD Gonzague de, Les bannières flammées, Lausanne: Payot, 1915.
REYNOLD Gonzague de, Mes Mémoires, 3 vol.,Genève: Ed .Générales, 1960 -1963.
RICHTER Max, Aufdie Mensur!Geschichte der schlagenden Korporationen der Schweiz,
Zürich: Arma Verlag, 1978.
RIGASSIGeorges, “La restauration de la famille, condition première de notre réno
vation nationale”, in La Suisse et le destin de l'Europe, Lausanne: Editions de
l'Eglise nationale vaudoise, 1946, pp. 143 - 151.
RINDERKNECHT Peter, Der « Eidgenössische Verein » 1875 - 1913. Die Geschichte der
protestantisch -konservativen Parteibildung im Bundesstaat, Zürich , 1949
(Zürcher Beitr. z.Gesch . wiss. Bd . 3).

173
RINGSWerner, Schweiz im Krieg 1933-1945, Zürich : Ex Libris, 7e édition, 1985.
ROD Edouard,“Histoire d'une fête populaire”, in Revue des Deux-Mondes 1905,
vol. 3, pp.632-659.
ROD Edouard, La course à la mort, Paris: L. Frinzine, 1885 .
ROSSEL Virgile, “ Edouard Rod”, in Wissen und Leben VI, 1910, pp. 193-203.
ROTH Dorothea,“ Die Politik der Liberal-Konservativen in Basel, 1875 -1914”, in
167. Neujahrsblatt. Herausgegeben von derGesellschaft fürdas Gute und
Gemeinnützige, Basel:Helbing & Lichtenhahn , 1988.
RÖTHLISBERGER Heinz Christian , Derpolitische Standort von Ulrich Wille , Stäfa,
1975.
RÖTHLISBERGER Rolf,Die Festspiele des Schweizer Dramatikers Cäsar von Arx, Bern:
Lang, 1984.
RUFER Marc, “ La poutre dans l'oeil: racisme et psychiatrie. Histoire et actualité de
la génétique dansla psychiatrie suisse”, in Les Annuelles, sous la dir. du
Prof. H .U .Jost,nº 2, Lausanne 1991,pp.7-24.
RUFFIEUX Roland, “La Suisse des Radicaux, 1848 - 1914”, in Nouvelle histoire de la
Suisse et des Suisses, t. 3, Lausanne: Payot, 1983.
Rusch J. B ., 1886 - 1954 , Priester der Feder, Lehrer des Volkes, Anwalt des Vaterlandes.
Eine Gedenkschrift für J'B 'R ', Rapperswil: Gasser, 1955.
SAVOY André, Les tâches actuellesde la démocratie chrétienne en Suisse, Fribourg,
1919.
SCHAFFNER Jakob , “ Patriotisme”, in Wissen und Leben VIII, 1911, pp . 333 -339.
SCHALLER Anne de, La pensée sociale de Georges deMontenach (27 oct. 1862 - 24
mai 1925), mém . de lic . Fribourg , 1962 .
SCHMID C .A .,“Die Fremdenfrage”, in Wissen und Leben VI, 1910, pp. 705-709.
SCHMID CarlAlfred,Unsere Fremdenfrage,Zürich , 1900.
SCHMID Markus, Josef Becks Versuch einer Politik sozialer Demokratie und
Verständigung. Ein Beitrag zurGeschichte des schweizerischen Katholizismus am
Ende des 19.Jahrhunderts, Diss. Basel, 1965.
SCHMID Robert,DerGeburtenrückgang in der Schweiz, Diss. Rechts- und staatswiss.
Fak . Zürich , 1915.
SCHWARZ Dr. F.,“ Die Alemannen und die heutige Bevölkerung der Schweiz”, in
Wissen und Leben X , 1912, pp . 329 -340, 408 -413 .
SIMONIN Pierre Yves, L 'Action Française et la Suisse romande. Les revues ( 1904
1930 ),mém . de lic. Fribourg, Bern , 1961.
SPRECHER H . von,“Gegen den sozialen Staat”, in Wissen und Leben VIII, 1911,
pp. 465-477.
STADLER Peter,“Wirtschaftsführer und Politiker”, in NZZ 283, 4-5 déc. 1982.
STEIGER J.,“ Vaterländische Fragen”, in Wissen und Leben X , 1912, pp. 708-724,
769-785.
STEINMANN Ernst /BRETSCHER Willi, Die sozialistische Bewegung in der Schweiz,
Bern, 1923.
STEINMANN Ernst, Aus Zeit und Streit. Notizen eines Politikers 1905- 1920 , Bern :
Haupt, 1953.
174
STÜCKELBERGER Johannes,“Das Bundeshaus als Ort der schweizerischen
Selbstdarstellung”, in Nos monuments d'art etd'histoire, 1984,no 1,pp.58
65 .
SULZER-ZIEGLER Eduard,“Streik und Staat”, in Wissen und Leben X,1912,
pp. 2-10.
TRAZRobert de,“Dans la nouvelle génération ”, in La Semaine Littéraire, 31 janvier
1914 .
TRAZRobert de, L'hommedans le rang, Lausanne: Payot, 1913.
TRAZRobert de,“La vie en Suisse”,in Semaine Littéraire n°926, 30 sept. 1911.
TRAZRobertde,“La Voile latine”, in Wissen und Leben II, 1908,pp.263-266.
TRAZ Robert de,“Le public et les artistes”,in Wissen und Leben VI, 1910, pp. 144
159.
TRAZ Robert de, “Le sens de l'héroïque”, in La Voile latine , t. VI, 1910.
TRAZ Robert de,“ Sur divers sujets”, in Les Feuillets, t. 1, 1911 .
VALLOTTON François , Ainsi parlait Carl Spitteler . Genèse et réception du « Notre
point de vue suisse » de 1914 ,Histoire et société contemporaines, t. 11,
Lausanne, 1991.
VOGELIN Salomon , “Kunst und Volksleben ”, discours du 11 janvier 1876 , in
Oeffentliche Vorträge Bd. 3, H . 11, Basel 1876 , pp. 1-29.
VUILLEUMIER Marc, Immigrés et réfugiés en Suisse ,Zurich : Pro Helvetia , 1987.
VUILLEUMIER Marc, "Lemouvement ouvrier et les travailleurs italiens en Suisse
jusqu'à la Première Guerre mondiale”, in Revue syndicale suisse 82, 1990 ,
pp . 102-116 .
WEBER Quirin,Korporatismus statt Sozialismus. Die Idee der berufsständischen
Ordnung im schweizerischen Katholizismuswährend der Zwischenkriegszeit,
Fribourg: Universitätsverlag, 1989.
WECK Marcel de, Georges de Montenach , Dijon : Publ.” Lumière", 1928 .
WEININGER Otto , Sexe et caractère, avant-propos de Roland Jaccard , Lausanne:
L'Age d'homme, 1975.
WIDMER Thomas,Die Schweiz in der Wachstumskrise der 1880er Jahre, Zürich:
Chronos, 1992.
WINKLER Johann , Errements dans la protection des Beaux- Arts, Genève, 1912 (en
allemandMissstände in der schweizerischen Kunstpflege, Bern, 1911).
ZIMMERMANN Karl,“ Pfahlbauromantik im Bundeshaus. Der Ankauf der
« Pfahlbausammlung» von Dr. Victor Gross durch die Eidgenossenschaft im
Jahre 1884 und die Frage derGründung eines schweizerischen National
oder Landesmuseums”, in Berner Zeitschrift fürGeschichte und Heimatkunde
49, H . 3, 1987, pp. 117 -151.

175
Notes
NZZ 200 , 19 juillet 1890 .
Wolfram Malte FUES,“ Abbildentstellung? Anmerkungen zu Gottfried Kellers
Martin Salander anhand neuster Literatur”. - Concernant les titres des publica
tionsmentionnéesdans lesnotes, je les donnerai en règle générale dansune
version abrégée. Les libellés complets se trouventdans la bibliographie qui se
trouve dans le chapitre 10 .
BUND 196 , 197, 199 et 200 , 18, 19, 21 et 22 juillet 1890.
4 François VALLOTTON , Ainsi parlait Carl Spitteler. Genèse et réception du
« Notre point de vue suisse» de 1914, Lausanne 1991.
C .F.RAMUZ, “La Suisse actuelle et les artistes”, in Wissen und Leben IV ,
1909, p.590 .- A propos de Wissen und Leben (W + L), cf. notre ch . 10.
6 Jakob BOSSHART, Ein Rufer in der Wüste, Frauenfeld : Huber, 1951 (mais
écrit avant et durant la Première Guerremondiale ).
Jakob SCHAFFNER ,“Patriotismus”, in W +L VIII, 1911, pp. 333-339.
Zeev STERNHELL,Maurice Barrès etle nationalismefrançais, Paris: Ed.
Complexe, 1985.
Lausanne: Payot, 1913.Une deuxième édition date de 1938, aussi chez Payot,
Lausanne.
Gonzague DE REYNOLD,“Lebesoin de l'ordre”, in La Voile Latine, t. VI,
1910, p. 11.
Gottfried Keller à Theodor Storm , 25 juin 1878, cité in G . KELLER ,
Gesammelte Schriften,t. 3/1, p. 420.
12 Beat JUNKER ,“Die Bundesfeier als Ausdruck nationalen Empfindens in der
Schweiz um 1900”,in Festschrift für E.Gruner zum 60.Geburtstag,pp. 19-32.
A la place de la longue biographie publiée par Ernst Gagliardien 1919, on
consultera avec profit le portrait pertinent esquissé par: PeterSTADLER ,
“ Wirtschaftsführer und Politiker”, in NZZ 283, 4-5 déc. 1982.
Ad. FREY,“ Bundesrat Emil Welti, 1825-1899”, in Argovia 65, 1953,
pp. 269-284.
Bernhard von ARX , Der Fall Karl Stauffer, Bern , 1969;Ursula ISLER ,“ Lydia,
den Maler Stauffer betrachtend”, in NZZ 60, 12-13 mars 1983.
6 Markus ANGST, “Der Solothurner Bankkrach und die Verfassungsrevision
von 1887”.
Roland RUFFIEUX,“La Suisse des Radicaux, 1848-1914”, p.64.
18 Erich GRUNER, Die Parteien in der Schweiz, p. 87.
19 Hans-PeterMATTMÜLLER, Carl Hilty 1833-1909.
O Carl HILTY , “ Fin de Siècle”, 1899.
21 Erich GRUNER ,“ 100 Jahre Wirtschaftspolitik”, Bern , 1964 .
22 Ernst LAUR, Politique agraire, Lausanne: Payot, 1919.
23 GRUNER , Arbeiterschaft und Wirtschaft in der Schweiz, 1880- 1914,t. 3.
24 GRUNER , ibid., t. 2, p. 139, 1136; t. 3, p.519,536 etc.
HansUlrich JOST, “La culture politique du petit Etat dans l'ombre des
grandes puissances”.

176
26 Gonzague de REYNOLD,“ Le besoin de l'ordre”, p. 11.
27 Dieter LANGEWIESCHE (Hg.), Liberalismus im 19.Jahrhundert,Göttingen :
Vandenhoeck & Ruprecht, 1988 .
28 Arno MAYER , La persistance de l'Ancien régime, Paris: Flammarion, 1983.
29 Therese MAURER , Ulrich Dürrenmatt, 1849- 1908.
30 Erich GRUNER , Edmund von Steiger, pp.67-97.
31 Alfred ILLI, “Fritz Bopp, Dichter und Bauernpolitiker”.
32 Peter RINDERKNECHT, Der « Eidgenössische Verein » 1875- 1913 .
Die Geschichte der protestantisch-konservativen Parteibildung im Bundesstaat,
Zürich 1949.
33 Dorothea ROTH ,“Die Politik der Liberal-Konservativen in Basel, 1875
1914 ”.
34 Journalde la Société vaudoise d'utilité publique 1895,p.65.
35 Elisabeth BINGGELI, “Garde à vous! A ceux qui lisent” . L'Association suisse
contre la littérature immorale 1885-1914 ,mém . de lic .Genève 1985.
36 Pierre-Philippe BUGNARD , Le machiavélisme de village, pp. 71-78 .
37 Urs ALTERMATT, Der Weg der SchweizerKatholiken insGhetto .
8 Alfred BERCHTOLD , La Suisse romande au cap du XXe siècle , pp.571-579 .
39 Cité in Bernard PRONGUÉ, Le mouvement chrétien -socialdans le Jura bernois,
p. 36 .
40 Les Feuillets 1911, p. 132.
41 Cit. in Ingrid LIEBESKIND, Controverses et polémiques autours de l'installation
des grands magasins à Genève dans l'Entre -deux -guerres, p. 30 .
42 BUGNARD, Lemachiavélisme de village , pp. 121-128.
43 Ernst STEINMANN , Aus Zeit und Streit. Notizen eines Politikers 1905 - 1920,
p. 133 .
44 Ernst LAUR, Erinnerungen eines schweizerischen Bauernführers.
45 Ernst LAUR,Une politique agraire suisse envisagée à la lumière d'une conception
supérieure de la vie , p. 10 .
46 Walter LABHART, BundesratLudwig Forrer 1845- 1921, pp. 108 -126 ; Toni
ERNI, Die Entwicklung des schweizerischen Kranken - und Unfall
versicherungswesens.
47 Eduard BLOCHER ,“ Konservativ”, W +L VIII, 1911, pp. 864-875.
48 Lothar GALL, Bismarck . Der weisse Revolutionär.
49 Karl FRY,KasparDecurtins.
50 Dans un article nécrologique, Basler Volksblatt,6 juin 1916 .
51 Urs ALTERMATT, Der Weg der Schweizer Katholiken ins Ghetto, pp . 119 - 135 .
52 Markus SCHMID , Josef Becks Versuch einer Politik sozialer Demokratie und
Verständigung
53 Marcel de WECK ,Georges de Montenach; cf. aussi Roland Ruffieux ,
Le Mouvement chrétien -social en Suisse romande 1891-1949.
54 Gonzague de REYNOLD ,MesMémoires, t. 3, p. 493
Pierre GRELLET, Souvenirs d'écritoire, p. 80 et 81.
56 Ernest BOVET, cit. in : Félix Bonjour, Souvenirs d'un journaliste, t. 2, p. 252.
57 Alfred BERCHTOLD , La Suisse romande au cap du XXe siècle , p . 227 .
177
58 Eddy BAUER ,“Charles Maurras et la Suisse romande”.
59 Pierre GRELLET , Souvenirs d'écritoire, p. 24.
50 HenriMORO , “ Les idées morales d'Edouard Rod”; J. de MESTRAL
COMBREMONT,“ Préface”, in La pensée d'Edouard Rod, pp. V -LIII.
Arthur STRAESSLE, Eduard Sulzer-Ziegler, 1854-1913.
62 Erich GRUNER , Arbeiterschaft und Wirtschaft in der Schweiz, t. 2, p. 817.
63 Erich GRUNER , L'Assemblée fédérale suisse 1848-1920, pp. 492-493.
64
Gonzague de REYNOLD , Mes Mémoires, t. 2, p. 218 .
65 Alain CLAVIEN ,“Une revue nationaliste romande du début du siècle:
« Les Feuillets» (1911-1913)”.
66 Cité in Aram MATTIOLI,Gonzague de Reynold und die Rechtein der Schweiz,
p . 131.
Bruno FRITZSCHE, “Der Käfigturmkrawall 1893” .
Erich GRUNER, Arbeiterschaft und Wirtschaft,t. 3,p.536.
69 Ernst PEZOLT,Wesen und Ziele der Sozialdemokratie, 1893.
70 NZZ 109, 19 avril 1905 .
71 NZZ 152, 2 juin 1905.
72 Heinz Christian ROTHLISBERGER , Der politische Standortvon Ulrich Wille .
73 Aram MATTIOLI et Charles STIRNIMANN , “ Von der Bürger- und
Gewerbepartei Basel-Stadt zur Nationalen Volkspartei Basel” .
74 Erich GRUNER, Arbeiterschaft und Wirtschaft,t.2,pp. 392-396 .
75 Ibid , p. 816 .
76 Politisches Jahrbuch XXI, 1907, p . 545 .
77 Politisches Jahrbuch VIII, 1893, p . 396 .
78 Par exemple à Berne en 1902, cf. BUND, 23-24 juillet 1902.
790 Nicolas MEIENBERG , Le délire général.
8 Erich GRUNER , Arbeiterschaft und Wirtschaft, t. , p .520 et 551.
81 CharlesGILLARD,La Société de Zofingue, 1819-1919, p. 156.
Max RICHTER , Aufdie Mensur! Geschichte der schlagenden Korporationen der
Schweiz , pp . 70 -79 .
Georges de MONTENACH , “Le problème de l'éducation nationale”, p. 29.
Pierre-Philippe BUGNARD , Lemachiavélisme de village , pp. 71-80, 88-90 .
85 J.B.Rusch, 1886-1954, Priesterder Feder, Lehrer des Volkes, Anwaltdes
Vaterlandes. EineGedenkschrift für J'B'R ', Rapperswil:Gasser, 1955, p. 8 et 89.
86 Les Idées de demain , no 1, 1911, p. 3.
87 Alain CLAVIEN ,“Une revue nationaliste...” (avec des références bibliogra
phiques); Alfred BERCHTOLD , La Suisse romande au cap du XXe siècle,
pp. 655-663.
Gazette de Lausanne, 2 avril 1911.
89 La Voile latine,t. VI, 1910, p. 11.
Gonzague de REYNOLD , “Confédération suisse ou République helvétique” ,
pp. 401.
91 Gonzague de REYNOLD ,“Démagogie”, in W + L VIII, 1911,p. 242-243.
92 Les Idées de demain , no 3, 1911, p. 25.
Les Tue
93 Gonzague de REYNOLD,Mesmémoires,t. 3, p. 124.
178
94 Cit.in CatherineGUANZINI, Les origines de la Nouvelle Société Helvétique,
p. 39.
Cf.les articles de Python et de Jost in: Bernard CRETTAZ,Hans Ulrich
JOST, Rémy PITHON , Peuples inanimés, avez-vous donc une âme ?
CarlHILTY, Politisches Jahrbuch XXI, 1907,p. 669
Cit. in MarkusMATTMÜLLER , Leonhard Ragaz und der religiöse Sozialismus,
t. 1, p. 185 .
98 Urs ALTERMATT,“ Antisozialistische Sammlung”, in Katholizismus und
Moderne, pp. 152-154.
99 Journaldela Société vaudoise d'utilité publique,no 11, 1893, pp. 258-260.
100 Cit. in Daniel Vinzenz MOSER , Geschichte der Freisinnig -demokratischen Partei
des Kantons Bern 1890 -1922, p. 177 .
101 Eduard SULZER -ZIEGLER , “ Streik und Staat”.
102 HansUlrich JOST, “Protestbewegung und politischer Radikalismus.Ueber die
Funktion von sozialer Devianz und Stigmaim politischen System ”.
103 Cit in Aaron KAMIS-MÜLLER, Antisemitismusin der Schweiz, 1900-1930,
p. 55.
104 Albert BAUR,“Weitere Auseinandersetzungen”.
105 H . von SPRECHER ,“Gegen den sozialen Staat”.
106 Arthur STRAESSLE, Eduard Sulzer- Ziegler, pp. 93- 112.
107 Journal de la Société vaudoise d'utilité publique, no 3, 1892, p. 96 .
108 Erich GRUNER , Arbeiterschaft und Wirtschaft in der Schweiz, t. 3,pp. 512 -513.
109 Cit.in DanielHELLER, Eugen Bircher, p. 136 .
110 Ibid ., p.18.
111 Hans-Ulrich WEHLER, Das Deutsche Kaiserreich , 1871-1918, pp. 179-181.
112 ArnoMAYER , La persistance de l'Ancien régime, p . 273.
113 Zeev STERNHELL,Maurice Barrès et le nationalisme français, p. 253 .
114 “Garde à vous,hommes libres!”,Journal de la Société vaudoise d'utilité publique,
no 4, 1890, pp. 89-93.
115 Schweizerische Bürgerzeitung76, 2 juillet 1907 (traduction de Sophie Pavillon ).
116 Schweizerische Arbeitgeber Zeitung, 21 juin 1919.
117 Gonzague de REYNOLD , “ Le besoin de l'ordre”, p. 12 .
118 J. STEIGER , “ Vaterländische Fragen ”.
119 Ernst FRISCHKNECHT, Aspekte bürgerlichen Bewusstseins in Zürich in der Zeit
vor dem ersten Weltkrieg.
120 Jakob BOSSHART, Ein Rufer in der Wüste, p . 362
121 Albert BAUR,“Weitere Auseinandersetzungen ”.
122 Edouard ROD, La course à la mort, p. 199.
123 Paolo ALATRI,“ L'interventionnismo e la guerra ”, p. 15 .
124 Cit . in Priester der Feder, Lehrer des Volkes, Anwalt des Vaterlandes, p. 89.
125 Gonzague de REYNOLD ,in W + L V, 1909/10, pp. 261-264.
126 Georges de MONTENACH ,“Les morts quiparlent”,in Pensées et prévisions
politiques, p .13 .
127 Eric HOBSBAWM , Terence RANGER (ed.), The Invention of Tradition .
179
128 HansUlrich JOST,“ Das «Nötige» und das « Schöne». Voraussetzungen und
Anfänge der Kunstförderung des Bundes”.
129 Christian OSTERWALDER MAIER, “Die Pfahlbauidee: eine Geschichts
interpretation machtGeschichte” ,NZZ 92, 21-22 avril 1990 .
130 Karl ZIMMERMANN , “Pfahlbauromantik im Bundeshaus” .
131 Feuille fédérale 1884/IV , p. 532 .
132 Par ex . Dr. F. Schwarz, “ Die Alemannen und die heutige Bevölkerung der
Schweiz”, et Heinz OLLNHUSEN , " Das Schweizervolk . Die Herkunft der
Schweizervolkes und seiner Nachbarn ”.
133 Eugen BIRCHER ,“ Zur Rassenfrage in der Schweiz”.
134 Bernard CRETTAZ, Juliette MICHAELIS -GERMANIER , Une Suisse miniatu
re ou Les grandeurs de la petitesse, Genève,Musée d'ethnographie de Genève,
1984.
135 W + L III, 1908/09, p. 350.
136 Georges de MONTENACH , Pour le visage aimé de la patrie , p . 115 .
137 Eduard SULZER -ZIEGLER , W + L IX , 1911/12, p. 799.
138 Tzvetan TODOROV, Nous et les autres. La réflexion française sur la diversité
humaine, Paris: Seuil, 1988 .
139 Politisches Jahrbuch der Schweiz. Eidgenossenschaft XI, 1897, p. 540
140 Gérald ARLETTAZ, “Les effets de la Première Guerremondiale sur l'intégra
tion des étrangers en Suisse”.
141 Carl Alfred SCHMID , Unsere Fremdenfrage, p. 5 .
142 Robert SCHMID ,Der Geburtenrückgang in der Schweiz.
143 John CUENOD, La criminalité à Genève au XIXe siècle.
144 Robert de TRAZ,“La vie en Suisse”,p. 458.
145 Ernst LAUR, Politique agraire, p.62.
146 Georges ADDOR , De la naturalisation etde l'assimilation des étrangers en Suisse,
p. 39.
147 Cit. in :Gérald ARLETTAZ/Silvia BURKART, “Naturalisation , « assimila
tion » et nationalité suisse. L'enjeu des années 1900 -1930”, p . 56 .
148 AlfredHAESLER , La Suisse Terre d'Asile ? La politique de la Confédération envers
les réfugiés de 1933 à 1945 .
149 WilliGAUTSCHI,Geschichte des Kantons Aargau, p. 415.
150 A consulter: Angela GARRIDO , Le début de la politique fédérale à l'égard des
étrangers, etMarc VUILLEUMIER, Immigrés et réfugiés en Suisse.
151 Therese MAURER,Dürrenmatt,p. 346.
152 Alfred BERCHTOLD, La Suisse romande...,pp.582-583.
153 Karl FRY, Decurtins, t. 2, p. 39
154 JonnyMOSER , “ Antisemitismus zwischen Doppeladler und Kruckenkreuz
(1870- 1930 )”.
155 FranzEGGER ,“Der Bundesstaat und die fremden Zigeuner in der Zeit von
1848 bis 1914” .
156 Heinz LOOSER , “ Zwischen « Tschinggenhass» und Rebellion . Der « Italiener
krawall» von 1896 ” .
180
157 Erich GRUNER , Arbeiterschaft und Wirtschaft, t. 2,pp. 1070- 1076, 1177;t. 3,
pp . 442-445 ;GiovanniCASAGRANDE,“Mises en fiche du début du siècle: le
cas de Luigi Bertoni”.
158 Heinz LOOSER,“ Zwischen « Tschinggenhass» und Rebellion ”, p. 94.
159 Ernst STEINMANN /Willi BRETSCHER , Die sozialistische Bewegung in der
Schweiz, pp. 125 -126 .
160 William JOHNSTON ,L'espritviennois; Vienne 1880-1938, et L'apocalypse
joyeuse, sous la dir. de Jean Clair.
161 Otto WEININGER , Sexe et caractère.
162 Emanuel von BODMANN ,“Otto Weininger”.
163 Cit. in : Elisabeth BINGGELI,“Garde à vous! A ceux quilisent”, p. 41.
164 Karl FRY, Decurtins, t. 2, pp . 126 - 153.
165 Annette FREI, Rote Patriarchen. Arbeiterbewegung und Frauenemanzipation in der
Schweiz um 1900 .
166 Christa MUTTER , Frauenbild und politisches Bewusstsein im schweiz. Kath .
Frauenbund.
167 Mario KÖNIG ,Die Angestellten zwischen Bürgertum und Arbeiterbewegung.
168 Marc RUFER, “ La poutre dansl'oeil: racisme et psychiatrie” .
169 Auguste FOREL, Lamorale sexuelle , p. 21.
170 Auguste FOREL , Les Etats-Unis de la Terre. Un programme praticable d'entente
pacifique universelle et stable entre les peuples, Lausanne: Ruedi, 1914, p . 16 .
171 Edouard ROD, La course à la mort, p. 168.
172 A . deMESTRAL, “L ’internement des personnes à responsabilité limitée et
spécialement des alcooliques”, in Journal de la Société vaudoise d'utlité publique,
juin 1906 , p. 155.
173 Eugen BLEULER ,Führen die Fortschritte derMedizin zur Entartung der Rasse?
174 Liliane CRIPS,“ Essai d'analyse institutionnelle du racismebiologique:le cas
de la « Société allemande d'hygiène raciale»".
175 M .-J.GAUFRES, “ Alcoolisme et progrès”, p. 127.
176 Charles QUIDORT, La question de l'alcoolisme, p .87.
177 Cit. in Philippe EHRENSTRÖM , La stérilisation des maladesmentaux et l'avorte
ment eugénique dans le canton de Vaud: Eugénisme et question sociale du débutdu
XXe siècle auxannées 1930,p. 47
178 " Festrede von Reg.r. von Steiger zur 700 Jahrfeier Berns
zur ns aam 14. Aug. 1891”, in

Helvetia 1891, p . 571.


179 Politisches Jahrbuch XIII, 1899,p. 71.
180 Ernest BOVET,“ Die schweizerischeNation. La Suisse , la vie intellectuelle”, in
W + L VI, 1910, p. 33.
181 Articles et discours du Colonel Secrétan,p. 11.
182 Cit. in Aram MATTIOLI,Gonzague de Reynold und die Rechten in der Schweiz,
p. 44.
183 Robert de TRAZ, “Le senshéroïque”, p. 134.
184 Théodore AUBERT,La conscience helvétique. Appel à tous les Suisses, p. 6 .
185 Der Hang zum Gesamtkunstwerk . Europäische Utopien seit 1800 .
186 Gonzague de REYNOLD, La démocratie etla Suisse . p. 473.
181
187 Robert de TRAZ, “Le public et les artistes”, p. 145.
188 Edouard ROD, “Histoire d'une fête populaire” .
189 Arthur de CLAPAREDE,“ La Fête des Vignerons 1905”, in Feuille centrale de
Zofingue, déc. 1905, p. 150.
190 Félix BONJOUR, Souvenirs d'un journaliste , p. 118 .
191 Meinrad INGLIN , La Suisse dans un miroir, p. 9.
192 HansRudolfKURZ, “Der deutsche Kaiserbesuch in der Schweiz (1912)”.
193 Gottfried KORFF, “Formierung der Frömmigkeit. Zur sozialpolitischen
Intention der Trierer Rockwallfahrten 1891”, in Geschichte undGesellschaft 3,
1977, pp. 352-383.
194 Cit. in ALTERMATT, Katholizismus undModerne, p. 257.
195 JacquesGUBLER ,Nationalisme et internationalismedansl'architecture moderne de
la Suisse.
196 Johannes STÜCKELBERGER , “ Das Bundeshaus als Ort der schweizerischen
Selbstdarstellung”.
197 HansUlrich JOST,Das «Nötige» und das « Schöne». Voraussetzungen und
Anfänge der Kunstförderung des Bundes”.
198 Politisches Jahrbuch XIV , 1900, pp. 242 et 495 .
199 Gonzague de REYNOLD ,“ Le besoin de l'ordre ”, p. 6 .
200 Gonzague de REYNOLD , “Réflexions sur l'écrivain suisse et le moment
présent”, p . 228 .
201 Gonzague de REYNOLD ,“Le besoin de l'ordre”, p. 16 .
202 Gonzague de REYNOLD , “ La Suisse, son art, son architecture”, p.610.
203 HansUlrich JOST, “ «Un juge honnête vaut mieux qu 'un Raphaël» .
Le discours esthétique de l'Etat national”, pp. 49-73, notes 71 et 72.
204 PascalORY, Jean -François SIRINELLI, Les Intellectuels en France, de l'Affaire
Dreyfus à nos jours, Paris: Armand Colin, 1986.
205 Salomon VÖGELIN , “Kunst und Volksleben ”, discours du 11 janvier 1876 .
206 Georges de MONTENACH, L'art et le peuple, p. 10.
207 C .F.RAMUZ,“La Suisse actuelle et les artistes, p. 591.
208 Georges deMONTENACH , L 'art et le peuple , p . 4 .
209 La Voile latine, t. VI, p. 55 .
210 Gonzague de REYNOLD,“La Suisse,son art,son architecture”,p.611.
211 Gonzague de REYNOLD, “Le besoin de l'ordre”, p. 16 .
212 Robert de TRAZ,“Sur divers sujets”,p. 135.
213 Albert BAUR,“Weitere Auseinandersetzungen”.
214 Georges de MONTENACH , Formation et éducation du patriotisme, p. 11.
215 Gonzague de REYNOLD , La démocratie et la Suisse, p. 370.
216 Georges deMONTENACH , Art etpeuple , p . 3.
217 Gonzague de REYNOLD,“La Suisse,son art,son architecture”,p.598.
218 Berner Tagblatt, nos 55 -57, 4 et 5 février 1914 .
219 Hans Bachmann au Conseiller fédéralCalonder, 8 juin 1914, Archives fédérales
8 (E ) carton 12.
220 Cit. in “ Préface” de J. de MestralCombremont, p.XXIV .
182
221 Johann WINKLER ,Missstände in der schweizerischen Kunstpflege, Berne 1911,
p. 16 .
222 "Kunst und Bund”, in Basler Nachrichten ,nos 89, 101, 168, 171, 22 février, ler
mars, 11 et 15 avril 1914 .
223 Robert de TRAZ,W +L II, 1908,p.266.
224 Cité dans la Gazette de Lausanne, 24 décembre 1933.
225 Cit. in Quirin WEBER ,Korporatismus statt Sozialismus. p. 165.
226 Cf. les articles de H .U . JOST: “Politique culturelle de la Confédération
et valeurs nationales”;“Identität und nationale Geschichte”;“Les Beaux-arts
et la culture politique: du paradoxe à l'anomie”.
227 Monique PAVILLON , Les immobilisées.
228 Georges RIGASSI, “La restauration de la famille, p . 148
229 August EGGER , “ Die Familienordnungbei JeremiasGotthelf und heute”.
230 Beat GLAUS, Die Nationale Front, pp. 21 et 39.
231 Cit.in Gérald ARLETTAZ, “Les effets de la Première Guerre mondiale sur
l'intégration des étrangers en Suisse”,p. 175.
232 La Ligue vaudoise au travail, p. 39.
233 Monique PAVILLON , La femme illustrée des années 20.
234 Einwirkung aufdie öffentlicheMeinungsbildung (Exposé Bureau 1), Eingereicht
Herrn Bundesrat Etter, 3. August 1940, vom Armeestab , Abt. Presse und
Funkspruch , Bureau 1.
235 Cit. in WernerRINGS, Schweiz im Krieg 1933-1945, p. 106 .
236 Le livre d'or de l'exposition nationale 1939 , pp . 55 et 64-66 .
237 Art et armée. p. 13.
238 Ch. BLANC-GATTI,“L'art est unenécessité”, in Gazette de Lausanne,
24 oct. 1940.
239 Silvain MALFROY,“ Le paysage de la Suisse comme valeur et commeproblè
me” .
240 RolfRÖTHLISBERGER , Die Festspiele des Schweizer Dramatikers
Cäsar von Arx, Bern : Lang, 1984.

183
Index des noms propres
Abt 19 Cornut 104
Addor 104 Cramer-Frey 15, 56, 57
Alexandre Cingria 79 Cuénoud 104
Anker 41
Arx 160, 161 D 'Annunzio 9, 121, 123, 140
Aubert 122, 147 Däniker 152
Auer 130 Darwin 73, 88, 89, 92, 112
Augustin 42 de Mun 36
Decurtins 36 , 37, 41, 42, 43, 48, 49, 50 ,
Bachmann 139 51, 54, 56 , 75 , 76, 95, 106 , 107, 113,
Bally 57 130, 134, 144
Barrès 10, 11, 77, 79, 90, 92, 121, 128 Deucher 7
Baur 94 Devrient 148
Bavier 16 Dürrenmatt 28, 29, 30, 43, 46, 47, 48,
Bebel 113 50 , 54, 92, 106 , 156
Beck 50
Bircher 59, 73, 88, 89, 90 , 99, 105, 121, Elisabeth d'Autriche 110
141, 147, 153, 156, 160 Emil Frey 19
Bismarck 8, 43, 47, 58 Escher 15, 16 , 56, 57
Bleuler 118 Etter62, 149, 151, 160
Böcklin 7
Bolli 58 , 59 Faesi 56 , 80
Bonjour 127 Feigenwinter 36 ,50
Bonnard 53 Fick 101
Bopp 29 Fonjallaz 153
Bosshart 10 , 93 Fontanet 107
Bovet 120, 135, 164 Forel 116, 117, 118
Bovy 77 Forrer 43
Brandenberg 159 François 60, 79
Bretscher 111 Franzvon Segesser 50
Brezzola 67 Freud 112 , 115
Budé 112 Frey 15 , 57, 66
Burckhardt 31, 123, 133 Frisch 165
Burnat-Provins 135 Funk 57
Calonder 139 Ganz 135
Carry 106 Georg 33
Carteret 20 Gertsch 19
Chamberlain 73, 92, 99, 101 Gilliard 72
Cingria 77 Godet 53,54, 55 , 56 , 135
Claparède 126 Gotthelf 41, 151
Conseiller d'Etat bernois von Steiger 120 Grant 99
184
Grellet 52 , 54 Mermillod 36
Greulich 49 Mestral 118
Greyerz 55, 56 Meuron 53
Guillaume II 127, 128, 142 Micheli 42
Guisan 148, 160 Monnier 55, 133
Montenach 36,37,50,51, 73, 97, 101,
Hilty 23, 70 , 71, 82, 84, 88, 102, 113, 114 , 134 , 135 , 138 , 139
120 , 125 , 130 , 131, 133 Motta 62
Hitler 76 , 88, 107, 147 Müller 63
Hodler 130, 131, 132, 138, 140, 141 Musil 112
Hofmann 160 Mussolini 60
Horber 108, 151 Musy 40,50,62, 149, 155, 156
Horner 74
Huber 151 Niess 68
Huber-Werdmüller 57 Nietzsche 8, 27, 73, 88, 89, 92, 112,
118, 128
Inglin 10, 127
Oehler 153
Kafka 112 Oltramare 107
Keller 7, 8, 9, 10, 11, 12, 14, 16, 18,60,
125, 158 Pareto 95
Kellermüller 160 Pezolt 64
Kokoschka 112 Philipona 74
Korff 128 Pie IX 35
Krebs 39 Pie X 49, 76
Künzli 28 Pilet-Golaz 11, 145
Ploetz 119
La Tour du Pin 36 Python 36 , 40, 41,50, 51, 52, 74, 106 ,
Langbehn 8, 11, 92, 128 107, 129
Laur 41, 42, 43, 79 , 104, 136 , 147, 148
Laur junior 137 Quartenoud 74
Leonhardt 152
Leupold 108 Ragaz 83
Lorenz 148 Ramuz 10, 77, 135
Löwenstein 36 Regamey 156
Ludendorff 147 Repond 42, 43
Lueger 107 Reynold 12, 26 , 52, 59, 60 , 77, 78, 79 ,
Lydia 16 80, 90 , 91, 92 , 94 , 96 , 104 , 105 , 106 ,
121, 123, 128 , 131, 136 , 137, 138 , 141,
Mahaim 120 146 , 149, 159
Martin 38, 78, 80 Richard 66
Marx 86 , 88 Richard Bovet 79
Masnata 148 . Rigassi 150
Masson 153 Rod 10, 11, 55 , 94, 118, 126 , 140
Maurras 77, 79 , 92 Rothmund 106 , 156

185
Rothpletz 7 Storm 14
Rüdin 119 Sulzer-Ziegler 25 , 43, 56 , 57, 58 ,67, 84 ,
Rusch 75, 76 , 95 86 , 87, 89, 90 , 101, 102, 105, 110 , 141
Suzanne de Montenach 114
Sand 113
Savoy 37,50, 148 Tobel65
Schaffner 11, 141 Traz 12 , 77, 79, 104, 121, 122, 125, 137,
Schenk 29 142
Scherrer 49
Schirmer 39, 149 Ulrich Wille 108, 136, 151, 152
Schmid 102, 105 , 119
Schopenhauer 27, 49,55, 92, 112, 140 Vallette 55
Schorderet 35 , 36 ,51, 74 , 114 , 129 Vessaz 19
Schwarzenbach 43 Vögelin 134
Secrétan 32, 52, 53, 55,58, 121
Segesser 34
Seippel 114 , 140 Wagner 55, 123, 127, 140
Sombart 49 Walter 76
Sonderegger 152 Wassilieff64
Soury 90 Weininger 111, 112
Soussens 74 , 106 Welti 15 , 16
Spengler 73 Widmann 8
Spitteler 9, 10, 141 Wille 12, 19,43, 58, 59,60,66, 70, 108,
Stauffer 16 128, 142, 152, 153
Steck 24, 49 Winkler 141
Steiger 105, 154, 156
Steinmann 111 Zemp 8, 12, 16 , 21

186
Crédits photographiques
(Leschiffres renvoient aux numéros des illustrations)
Bibliothèque nationale suisse, Berne: 1, 3, 4,5 , 8, 9, 10.
Musée historique de Berne:6 .
Fondation suisse pour la photographie, Kunsthaus, Zurich : 7.
Institut d'histoire et de théorie de l'architecture (gta), ETH Zurich: 11.
Maquette de couverture etmise en page: Tristan Boy de la Tour

187
Autour de 1900 , le visage politique de la
Suisse se modifie profondément.
Face ou à côté de la lente montée de la
gauche, la droite fait peau neuve.
Le libéralisme change de nature.
Le conservatisme se renouvelle .
Et, contre l'esprit fin de siècle , les
tenants d 'une nouvelle droite (déjà . ..)
embouchent les trompettes du modernisme
voire de l'anarchisme culturel pour
proposer des solutions « hiérarchiques»
aux conflits sociaux :
ce sont les «avant- gardes réactionnaires» .
Avec ici une figure emblématique:
Gonzague de Reynold .
Car dans ces pages, pour une fois, c'est la
Suisse romande qui sert de modèle à
l'ensemble de l'histoire suisse.
Hans Ulrich Jost est né à Bienne en 1940.
Professeur d 'histoire contemporaine à l'Université de
Lausanne depuis 1981, il renouvelle les approches de
l'histoire sociale et de la culture politique suisses, tant
par ses travaux que par ceux d 'assistants et d' étu
diants qu 'il publie dans la collection « Histoire et
société contemporaines» qu 'il a fondée.
Organisateur de nombreux colloques, il a aussi lancé
en 1990 la revue «Les Annuelles» .
ISBN 2 -8290 -0151- 6

9782829 "001512||

Vous aimerez peut-être aussi