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Trachman, Mathieu.

«Le métier de pornographe : rhé-


torique, contrôle et savoirs d’un groupe professionnel
discrédité», Sociologie du travail, Vol. 53 - n° 4, 2011,
444-459.
• Les études portant sur la commercialisation de la sexualité décrivent des métiers stig-
matisés, le travail sexuel apparaît comme un “petit boulot”, un activité dans laquelle
la constitution d’un collectif est problématique.
• Mais la situation des réalisateurs et des producteurs ≠ acteurs. Les réalisateurs/pro-
ducteurs peut être une activité principale et pérenne depuis la légalisation du commerce
porno en FR (1975).
• De ces différences de conditions/statuts, le débat autour de la reconnaissance du travail
sexuel comme un travail devient secondaire (sexualité féminine → échanges éco).
Objectif: S’éloigner de la socio du travail, pour mobiliser la socio des groupes profession-
nels afin d’identifier les mécanismes de professionnalisation des pornographes en FR depuis
1975.
• Plus que dans le contexte d’une “révolution sexuelle”, c’est dans celui de la rationalisa-
tion de la sexualité1 (Béjin, Pollak, 1997 ) qu’on voit le développement de métiers qui
circonscrivent dans l’espace sexuel une zone d’intervention qu’ils constituent en marché
(vendeurs de sex-shops, proprio de lieux de rencontre, sexologues).
• Sexologue ≠ pornographe → discrédité par l’État et sans formation institutionnalisée/-
reconnue, il n’a pas un tel statut.
• Contre un modèle univoque/homogène de professionnalisation (Demazière, Gadéa,
2009), mobilisation de traits communs aux métiers modestes/professions prétentieuses
(Hughes, 1996).
• Processus de professionnalisation à l’œuvre dans la profession:
1. rhétorique professionnelle → non pas un discours qui les ferait passer pour ce
qu’ils ne sont pas (des pro homogènes) mais comme image robuste apte à résister
à ses critiques car ils sont discrédités quand ils affirment la spécificité/légitimité
du métier.
2. mécanismes de contrôle → il est faux de penser que la profession est unique-
ment conduite par les intérêts du marché qui la pousserait à reculer sans cesse les
limites de la sexualité légitime/légale (Poulain, 2009). Activité d’homme pour des
hommes qui délimitent des frontières d’exercice (hétérosexualité ≠ homosexualité).
L’organisation sexuelle/sexuée de l’activité forme un contrôle interne au groupe
professionnel.
3. revendication de savoirs spécifiques → Distinction pro ≠ amateur (la répar-
tition et l’exercice d’un savoir et d’un pouvoir soumis à la critique). Ici, pas de
répartition des savoirs contingente/arbitraire. Les processus de professionnalisa-
tion produisent une répartition différentielle des savoirs sur la sexualité et de la
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Autonomisation de la sexualité ; constitution d’un corps de spécialistes ; détermination de l’orgasme comme
norme comptable du rapport sexuel idéal.

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légitimité de leur exercice ⇒ situations de monopole.
Méthodes:
• entretiens avec les principaux acteurs du milieu depuis 1975.
• observations de tournages.
• travail d’archives (lois, revues spécialisées).
Faire de la pornographie. Réaliser et produire des films/scènes qui ont pour fonction
d’exciter le spectateur. D’autres manières ont existé (écrits, dessins).
Pornographe. Les réalisateurs et les producteurs qui souvent prennent en charge une grande
partie de l’élaboration du projet.
Plan:
1. Le discrédit politique de l’activité porno et ses conséquences sur le statut professionnel.
2. Les frontières sexuelles/sexuées de l’activité et les savoirs mis en œuvre.
3. la division sexuée du travail professionnel.

1. Le discrédit politique des pornographes et ses consé-


quences
• Par la loi de 1975, le porno devient un commerce encadré mais toléré. Les “entrepreneurs
de fantasmes” s’approprient ainsi la catégorie pour se distinguer du corrupteur des
mœurs et de l’amateur.

une reconnaissance paradoxale


• La loi de finances de 1976: la catégorie “pornographie” visait à défendre une morale
sexuelle. Avec la loi, elle passe d’activité clandestine à un “commerce encadré mais
toléré”.
• Régulation marchande ⇒ mais plus de fond de soutien, 20% sont prélevés sur les béné-
fices des films, une taxe forfaitaire par film à payer, et ils doivent être diffusé dans des
salles uniquement réservées aux films porno → l’État instaure une catégorie particulière
pour ces films et délimite alors un groupe de pornographes au sein de l’ensemble des
producteurs/réalisateurs de cinéma (“ghetto porno” ; la “censure économique” remplace
la “censure morale”).
• Reconnaissance paradoxale: l’État permet une activité pro tout en la discréditant.
• Enjeu de la loi: mettre fin à une censure cinématographique perçue comme injustifié ;
séparer un monde de la pornographie qui “n’a rien d’artistique” ; protéger les enfants/-
classes pop. de représentations vulgaires/pernicieuses.
• 1976: Isolé, spécialisation progressive sous contrainte du groupe des pornographes, qui
trace une frontière entre réalisateurs/producteur porno ≠ cinéma “traditionnel”.

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portrait du pornographe en entrepreneur
• Bien que critiqué d’arbitraires, certains R/P s’approprient la catégorie d’État du classe-
ment porno, et réalisent alors des films selon des conventions standardisées, définissant
ce qui est/n’est pas pornographique ⇒ une “forme pornographique” avec des pratiques
récurrentes/excitantes pour les hommes.
• ’70: Pas de séparation avec le monde du ciné. Les R/P des films porno en sont issus.
• L’abandon des techniques cinématographiques signe un changement de statut du métier:
se décrivent comme entrepreneur (≠ cinéaste) jouissant d’une liberté de commerce.
• La définition marchande de l’activité porno s’accentue → rupture avec sa fonction poli-
tique du 18ème d’un porno critique des puissants ⇒ la rhétorique pro place la demande
avant la pornographie.

“On n’influe d’aucune façon sur les mœurs: nous n’en sommes que le reflet”

“Notre boulot c’est de mettre en image les fantasmes des gens”

→ Dépolitisation qui minimise l’importance du porno: on circonscrit le porno aux fantasmes


car ils font partie de la sphère idéelle ≠ les pratiques des consommateurs. C’est une innovation
des pornographes qui permet de marchandiser le désir, même sexuel (Boltanski, Chiapello,
1999). Ils fondent leur objectif sur le repérage des fantasmes dominants.
• La loi de 1994 qui pénalise les fantasmes pédophiles permettent aux pornographes la
reprise de cette frontière juridique/morale pour souligner la légalité/légitimité de leur
activité.

menace et extension de l’amateurisme


“Pas de place à nos goûts personnels. Il y a une demande, tant qu’elle est
légale, j’y réponds, même si c’est de la zoophilie”.

• La pornographie amateur vue par les pro comme contre-modèle, qui viserait une sa-
tisfaction personnelle. L’inscription sur un marché pour les distinguer n’est pas assez
robuste: l’amateurisme est une catégorie de marché, de plus un porno est peu cher
à produire/faible division du travail → situation qui rend difficile l’affirmation d’un
professionnalisme.
• L’entrée dans ce monde est liée à un savoir profane, acquis comme spectateur, et
l’absence d’organisation collective de défense ne permet pas de fixer une image robuste
du pornographe pro → provient du discrédit originel de la pornographie.

2. Des hétérosexuels professionnels. Rationalisation et


professionnalisation de la sexualité
• La figure de l’entrepreneur est trompeuse pour qualifier les logiques de l’activité porno:
la professionnalisation s’inscrit dans un processus de:

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– rationalisation: logique professionnelle d’autorégulation par les pornographes de
leur activité (≠ unique logique marchande d’élargissement des possibilités de pro-
fit).
– spécialisation: frontières sexuées/sexuelles du marché de la pornographie.

le marché des fantasmes


• La mise en marché de supports masturbatoires, tâche des pornographes, déclenche la
critique faible d’une production homogène/vulgaire.
• Saisie des fantasmes via des dispositifs de récoltes de ce que les gens veulent voir →
“l’air du temps”:
– chiffres de vente
– lettres de consommateurs
• Cette “profession bâtarde” (Hughes, 1996) qui prend en charge des désirs bas/vulgaires:
les rapports “interraciaux”, viol, différences d’âges sont des pratiques sexuelles illégiti-
mes/illégales mais converties en catégorie porno. Le processus de catégorisation de plus
en plus fin montre un renouvellement théorique par delà la stabilité des conventions.
• Dans ce processus de mises en scène de pratiques parfois dénommées de “perversion”,
apparait un enjeu de luttes pour définir la sexualité légitime et les frontières de la
hiérarchie sexuelle → le positionnement sur un marché permet d’inverser la figure du
consommateur de porno pervers et pathologique: “tes fantasmes sont inoffensifs et n’ont
pas à être jugés”.

l’hétérosexualité masculine comme compétence


• Le telos immanent du processus d’autonomisation du marché sexuel capitaliste (Béjin,
Pollak, 1977 ) montre que le travail de saisie des fantasme manque de distance pro ≠
marché pur → sélection de fantasmes selon leur orientation sexuelle/genre.
• L’hétérosexualité masculine est une limite à ne pas franchir: la logique pro de spécia-
lisation prend le pas sur celle d’entrepreneuriale d’expansion. L’hétérosexualité
masculine est une compétence.
• Bien que lucratif, l’homosexualité masculine est une sexualité repoussante. Sur le marché
du porno l’H.M est une sexualité désirable, mais mise à distance par les pornographes.
• A rebours d’une logique strictement marchande, la circonscription d’un terrain
d’intervention spécifique (répertoire fantasmatique) est aussi une spécialisation.

savoirs et savoir-faire sexuels


• Même s’il n’y a pas de formation savante au métier de pornographe, la culture profes-
sionnelle comporte un savoir pro spécifique sur la sexualité:
1. Mise en images des fantasmes (≠ culture cinématographique): techniques
d’éclairage
2. Connaissance des fantasmes dominants: parcours sexuel atypique. Leur expertise
ne se limite pas à l’accumulation de nouveaux fantasmes, mais à des savoir-faire
sexuels: les méthodes les plus efficaces pour parvenir à l’orgasme sont maîtrisés

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par les réalisateurs.
• Cette expertise en matière de sexualité définit un statut pro/sexuel qui les distinguent
des sujets sexuels ordinaires en leur donnant une position d’autorité en matière de
sexualité.
Hétérosexuel professionnel. Possède une compétence sexuelle acquise de manière infor-
melle et constituée en savoir distinctif.

3. Le monopole masculin de l’expertise sexuelle


• Le choix de l’hétérosexualité est au fondement de la professionnalisation. Les porno-
graphes, produit d’une socialisation différentielle que l’organisation de la profession
traduit/reproduit, les frontières du masculin/féminin sont un enjeu et se définissent
dans la division du travail professionnel.
• L’expertise sexuelle est revendiquée comme un monopole masculin par les pornographe.

résistances à l’expertise sexuelle féminine


• La réalisation de films hétéro par des femmes est illégitime:
– Soit elles restent dans les productions amateurs ⫽ soit elles sont discréditées car
incompétentes à saisir les fantasmes masculins.
– Faible nombre d’actrices devenant réalisatrices.
• Comme les acteurs, les actrices acquièrent les savoirs sexuels dont les pornographes
revendiquent le monopole. Mais cette expertise ne donne pas aux actrices/réalisatrices
un statut identique à celui des hommes → cela les discréditent (“encyclopédie du sexe”).
• Être réalisatrice de films porno relève dans une vision différentialiste des sexualités,
d’une contradiction de statut (Hughes, 1996).

la maîtrise masculine de la sexualité féminine


• Maintien d’une répartition différentielle des savoirs: le monde du porno produit et dis-
crédite des jeunes femmes expertes. Ce mécanisme de régulation montre que la profes-
sionnalisation a aussi pour enjeu l’établissement/maintien d’une relation caractérisée
par une différence de statuts professionnels/sexuels entre pornographes/actrices.
• Cette division sexuée du travail pro s’imbrique dans un des traits des rapports sociaux
de sexe: la “sauvegarde du monopole du savoir” sur la sexualité par les hommes ⇒
limite/modèle la sexualité féminine (Tabet, 2004).
• Mécanisme de régulation du groupe pro: le fort turnover des actrices.
• Mécanisme de contrôle qui permet le monopole masculin des savoirs sexuels:
l’instauration d’un petit groupe d’acteurs et d’actrices aux carrières courtes.
• Pas simplement les objet de la représentation porno, les actrices sont le matériau tra-
vaillé par les pornographes. La pornographie, vue comme “l’art de filmer des filles”.
• Pas une préférence mais bien constitutif des règles de la représentation et des rapports
de travail dans le monde du porno. Des hommes manipulent/mettent scènes des actrices
plus jeunes et définissent par là leur professionnalisme.

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Conclusion
• Objectif: identifier le travail de légitimation et les enjeux propres à l’exercice du métier
permet de dépasser les approches misérabilistes (=penser la professionnalisation du PdV
des actrices).
• Ici, le processus de professionnalisation n’est pas un une réalisation linéaire d’un pro-
gramme, mais un processus fragile/robuste par certains aspects.
• Question centrale de la division sexuée du travail pro: la professionnalisation de la
pornographie concerne l’appropriation masculine d’une expertise sur la sexualité dont
les femmes doivent être exclues, et des prises que donnent ce savoir sur la sexualité
féminine.

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Le “capitalisme fantasmatique”: les fantasmes sont in-
vestis pour créer du profit
Le discrédit étatique: du cinéma porno à la pornographie
En deux ans, de 1975 à 1976, le monde de la pornographie devient un commerce légal au prix
de son contrôle par l’État via une régulation marchande (taxe, prélèvement sur les bénéfices…)
et une marginalisation de la diffusion à des salles spécialisées. Isolant les réalisateurs et produc-
teurs pornographiques des cinéastes, la loi “X” les conduit à un processus de “ghettoïsation”
auquel ils tentent d’échapper en se construisant une rhétorique professionnelle “robuste”. Cela
passe ainsi par l’appropriation de la catégorie d’État. Rompant avec les codes du cinéaste
critique du XVIIIème , il trouve une légitimité dans la figure dépolitisée de l’entrepreneur ne
faisant que répondre à une demande.
La principale avancée de ce nouveau groupe de pornographes est d’avoir réussi à s’adapter
à ce nouveau contexte commercial en ayant sélectionné le matériau pornographique le plus
apte à être marchandisé: le fantasme. De là, ils peuvent revendiquer des savoirs spécifiques
dans le repérage des fantasmes dominants, une capacité à capter “l’air du temps” des désirs
sexuels.

Un “vrai” métier qui capture et institutionnalise les fantasmes de


“l’air du temps”
Rationalisation: logique de spécialisation → diktat sexuel de ce qu’il
convient de désirer ou non
Le script porno comme rappel à l’ordre sexué: sauvegarde du mo-
nopole du savoir

La pornographie n’est pas un symbole de l’oppression


des femmes
Dépasser les approches misérabilistes: C’est l’organisation sexuée /
sexuelle qu’il faut critiquer
la question de l’effet des images: la volonté masculine en échec (body
genre)
L’érotisation des rapports sociaux: conversion de l’illégitime / rap-
ports sociaux en catégorie porno/fantasmes. En les déréalisant ils
en font une simple “préférence”.

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Terrain de lutte culturelle: l’ambivalence du “jeune Arabe de cité”
“On pourrait plutôt décrire les transformations contemporaines comme le passage d’une sexua-
lité construite par des contrôles et des disciplines externes aux individus à une sexualité
reposant sur des disciplines internes. Il ne s’agirait pas d’une libération, mais d’une intériori-
sation et d’un approfondissement des exigences sociales […] Avec l’intériorisation des contrôles,
l’individu doit établir lui-même ses normes et sa cohérence intime, tout en continuant à être
jugé socialement”.2

Introduction
• présenter auteur, sa perspective théorique
• type de texte

La thèse
• idée/problématique principale
• lien entre texte/thème du TD: comment l’auteur traite la question

Démarche
• terrain / méthodes / hypothèses

Concepts mobilisés
• sa définition

Principaux éléments/moments de l’analyse et de


l’argumentation
• dégager la structure d’argumentation, son raisonnement, articulation idées/exemples/-
matériaux

Regard critique
• apport du texte. Retour sur les limites/zones d’ombre du texte. Comment prolonger
l’étude?

2
Simon, Patrick. «Révolution sexuelle ou individualisation de la sexualité ? Entretien avec Michel Bozon»,
Mouvements, vol. n°20, n°. 2, 2002, pp. 15-22.

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