Magali Bessone
Avec WikiLeaks ou Facebook, l’internet valorise de multiples manières la transparence: publicité des documents contre la raison d’État, présentation de soi sans
intermédiaire et sans retrait privé sur les réseaux sociaux. Pour la philosophe Magali Bessone, loin d’être un simple effet des nouvelles technologies, cette valorisation
s’inscrit dans la tradition philosophique américaine d’Emerson et Thoreau. Mais au lieu d’accomplir le projet philosophique du transcendantalisme, l’idéologie de la
visibilité peut aussi le caricaturer et le trahir.
Le début du xxie siècle a vu l’émergence puis l’utilisation massive d’un nouveau dispositif technique destiné, dans l’esprit de ses créateurs puis de ses partisans les plus
militants, à élaborer une « société mondiale de l’information et de la communication » : l’internet. Le présent article n’a pas la prétention d’étudier les usages effectifs de
l’internet, dont on a vu encore récemment qu’ils sont incroyablement variés, imprévus et sans doute toujours à inventer. L’objet de l’article est de se pencher sur le discours
qui a accompagné la naissance et le développement de l’internet. On peut en effet souligner à quel point l’internet fait l’objet d’un véritable culte1 qui s’inscrit dans la
célébration de l’utopie de la transparence et appelle de ses vœux la création d’un nouveau lien social fondé sur la séparation des corps et l’union des consciences.
Ce discours peut être situé entre idéologie et utopie, qui ont en commun d’exprimer des structures de l’imaginaire social convergeant « vers un problème fondamental :
l’opacité du pouvoir2 ». Contre cette opacité, le discours sur l’internet consiste à valoriser la transparence de soi. Utopique, le culte de l’internet invente, produit une
alternative à la société présente où l’individu transparent fonctionne comme poche de résistance à l’État secret et répressif et comme source fondatrice d’un nouvel ordre
vertueux. Idéologique, il fabrique une image idéalisée et légitimante de la réalité où l’expression transparente de soi suffirait en elle-même à compenser le déficit éthique et
politique de la société. L’hypothèse qui va être poursuivie ici est qu’on peut saisir l’ambiguïté de ce culte de la transparence de soi lorsqu’on rapporte ce discours à l’une de
ses sources maîtresses, trop ignorée, le transcendantalisme3. Une vaste littérature contemporaine4 souligne combien ce mouvement est central dans la culture américaine
d’aujourd’hui, via l’influence de nombre de ses thèses sur la Beat Generation et les hippies. La contreculture, devenue mouvement de masse aux États-Unis dans les années
1960, revendique explicitement Thoreau comme l’un de ses pères fondateurs5. L’hypothèse défendue ici est que Thoreau et Emerson sont des influences essentielles sur la
nouvelle culture de l’internet et que le culte de l’internet, en particulier dans sa valorisation de l’expression transparente de soi, prend sa source dans l’utopie démocratique
transcendantaliste.
De nombreux éléments biographiques et théoriques font de Thoreau une référence incontournable dans les années 1960. Il se sépare d’une société américaine qu’il juge
médiocre pour saisir son individualité propre, en communion avec la nature, lorsqu’il part vivre deux ans deux mois et deux jours dans une cabane près de l’étang de
Walden (Massachussets) – et ce mode de vie est perçu comme un idéal alternatif ; l’épisode de sa vie où il a passé une nuit en prison pour avoir refusé de payer ses impôts a
été interprété comme l’acte fondateur de la désobéissance civile, inspirant les positions de Martin Luther King Jr. ou de Gandhi6 ; sa lutte en faveur des Indiens et contre
l’esclavage des Noirs, la place accordée aux femmes dans le mouvement transcendantaliste en général, témoignent de ses préoccupations égalitaires ; enfin, on a lu le
voyage qu’il entreprend avec son frère vers la source des rivières Concord et Merrimack comme un voyage initiatique moderne reprenant l’enseignement du Bhagavad-
Gita7.
La contre-culture a ainsi exhumé le transcendantalisme enterré sous le pragmatisme, philosophie « officielle » des États-Unis qu’elle refusait, et l’idéologie de l’internet
s’inscrit dans la continuité de cette démarche. On peut en effet repérer des axes conceptuels qui relient Emerson ou Thoreau à Norbert Wiener, Steve Jobs ou Bill Gates :
dans la volonté de mettre en œuvre la transparence des esprits et la communication des âmes, dans la subversion de l’opposition traditionnelle entre le public et le privé,
enfin et surtout dans un certain attachement aux valeurs démocratiques. Comprendre la genèse du discours sur l’internet, les intentions qui ont présidé à sa création et les
justifications qui accompagnent son explosion, permettra de saisir sa force utopique et ses limites idéologiques – de cerner les nécessaires limites de la transparence :
justifications qui accompagnent son explosion, permettra de saisir sa force utopique et ses limites idéologiques – de cerner les nécessaires limites de la transparence :
limites à la fois inévitables étant donné l’objet qui se donne à voir, le soi, et l’instrument de la visibilité, l’internet, et indispensables si ce « soi » transparent est figuré
comme le modèle de toute individualité démocratique à venir. Après avoir montré comment l’idéologie du tout visible de l’internet concorde sur un certain nombre de
critères essentiels à la démocratie perfectionniste prônée par Emerson et Thoreau, on verra sur quels points elle s’en détache pour osciller entre une exigence éthique forte,
celle du perfectionnisme, et une pratique économique néolibérale « décomplexée ».
Dans Le Monde du 1er juillet 2000, on pouvait voir une publicité pour un nouveau portail internet dont la légende disait : « Je suis ce que je sais, ce que je sens, ce que je
vois. Je suis des millions de personnes et tous ensemble nous sommes internet. » Cette accroche est l’expression même de la promesse d’accéder à une conscience
universelle où le moi individuel, défini en termes de connaissance, d’appréhension et de relation, se fond dans un moi global, défini par l’immédiateté de son caractère
autotransparent. La ressemblance est frappante avec la description émersonienne de l’état de l’âme prise dans le « réseau » de l’Over Soul : « Je deviens un œil transparent ;
je ne suis rien ; je vois tout ; les courants de l’Être Universel coulent en moi8. »
Le transcendantalisme repose sur la croyance mi-philosophique, mi-religieuse, en l’unité spirituelle du monde : ce n’est pas un culte déiste9, ce n’est pas non plus une
pensée explicitement utopique. C’est une croyance en l’unité de la foi et de la raison, doublée d’un programme d’action politique. Au-delà des apparences, de la surface
insignifiante de la vie américaine, ce qu’il importe de découvrir et de comprendre, c’est l’intime de chaque être. Il n’y a qu’une seule Nature. Obéir au Dieu, c’est en même
temps obéir à sa nature profonde ; découvrir le divin, c’est se connaître soi-même et faire confiance à ce qui en soi est individuel, contre ces rapports superficiels et
hypocrites avec les autres sur le mode du conformisme. La matérialité des choses et des rapports humains est un écran qui dissimule leur essence universelle et divine. Or
cette aspiration à la vérité dissimulée des choses semble être à l’origine de l’invention de l’ordinateur dans les années 1960 par l’équipe rassemblée autour de Steve Jobs :
« L’extase, le satori, sont associés clairement à la recherche de la transparence qui fait voir la réalité des choses10. »
Emerson et Thoreau exaltent l’individualisme, la liberté de conscience et d’expression (de son être intime), parce qu’être vrai à soi-même, c’est être vrai dans le réseau des
êtres. Emerson fait appel au génie, seul porteur de l’authenticité. L’affirmation de ma liberté à être et à penser ce que je suis intimement, parce que c’est seulement dans
cette mesure que je m’intègre dans l’universel, dans cette mesure aussi que j’ai une présence politique, représente l’expression de ce que Stanley Cavell a identifié sous le
nom de « perfectionnisme moral11 ».
Le perfectionnisme émersonien est une revendication de ma liberté comme dépendant de ma voix. La question du consentement devient celle de savoir si, en termes
wittgensteiniens, ma voix publique est ma voix privée, si la voix que je prête, quand je reconnais qu’une société est la mienne, qu’elle parle pour moi, est ma voix, ma voix
propre12.
Il ne s’agit pas de faire l’apologie du surhomme, mais bien d’insister sur cette part de divin qui est en chacun de nous, et qu’il faut retrouver, qu’il faut laisser s’exprimer.
Pour l’actualiser, il faut privilégier la confiance en soi (self-reliance) sur la conformité à l’opinion du plus grand nombre13. En ce sens, c’est bien une forme radicale
d’individualisme que revendique Emerson, mais si chacun d’entre nous osait suivre son impulsion, son intuition, nous pourrions tous être nobles, héroïques, géniaux,
autonomes. Trust thyself, telle est l’injonction d’Emerson14, à laquelle fait écho le Explore thyself de Thoreau15. Confiance en soi et connaissance de soi sont
indissociables.
On a d’abord un instinct, puis une opinion, puis une connaissance, comme la plante a des racines, un bourgeon, un fruit. Il faut faire confiance à l’instinct jusqu’à la fin,
même si on ne peut pas en rendre raison. […] Si vous lui faites confiance jusqu’à la fin, il mûrira et donnera la vérité, et vous saurez pourquoi vous croyez16.
Cette self-reliance que chacun cultive permet à la fois d’être en accord avec son caractère et d’aspirer au self-government. La Déclaration d’indépendance américaine fait
état du droit des peuples à choisir leur gouvernement pour justifier la sécession des colonies vis-à-vis de l’Empire britannique et leur constitution en une union. Pour
Emerson, ce concept politique de self-government s’applique aussi aux individus – car il y a analogie entre l’organisme individuel et l’organisme collectif, le corps
singulier et le corps politique, et leurs « constitutions » (à la fois organique et politique) selon les mêmes lois naturelles17. Le concept de self-government sert à la
constitution d’un homme nouveau, l’Américain, après avoir servi à la Constitution d’une nation. Par opposition au self-government, le conformisme est cette maladie de la
modernité, qui pousse les hommes à n’oser ni exister, ni penser par eux-mêmes et préférer s’en remettre aux autres. C’est la peur de l’opinion des autres. Il y a chez
Emerson une véritable « aversion du conformisme18 », c’est-à-dire de l’attitude trop répandue parmi les hommes qui consiste à oublier qu’ils sont capables d’être des êtres
moraux et libres.
Quatre grands aspects présents dans cette critique du conformisme au nom d’une véritable démocratie fondée sur l’individualisme sont relayés par la contre-culture puis par
l’idéologie de l’internet : le refus de la conformité aux normes dominantes, l’exaltation du mouvement, le caractère fondamental de la voix et de la conversation et la
remise en cause des catégories sociales du public et du privé.
La protestation n’est cependant pas que refus, elle est aussi création d’une culture parallèle, qui cherche à former une vraie communauté sociale21, fondée sur les principes
de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Le drop out est aussi un plug in. Cette démocratie revendiquée s’appuie sur deux principes fondamentaux : la liberté
d’expression, qui donne à chacun sa voix, ainsi que la possibilité matérielle de l’exprimer, et la subversion du couple public/privé, qui crée un nouveau lien social. Chaque
individu peut à la fois avoir un accès direct à la connaissance et l’information, ce qui augmente son état de conscience, améliore ses capacités et fait de lui un citoyen
éclairé, et être en rapport immédiat avec des individus semblables à lui. Semblables dans leur désir de communiquer et de comprendre le monde autour d’eux. Semblables
parce que chacune de leurs voix se fait entendre et que la démocratie se construit dans leur unisson22. C’est d’emblée l’enjeu de l’internet :
La vie à l’intérieur des flux informationnels se déroule exactement comme Thomas Jefferson l’aurait voulu […], régie par la primauté des libertés individuelles, le souci du
pluralisme, la diversité, l’esprit de communauté. […] L’ouverture et la liberté sont les vraies promesses de cette technologie23.
L’internet donne une voix à chacun et la conversation ainsi créée représente la « démocratie en marche ». Rappelons à quel point le concept de conversation est central pour
toute la pensée politique américaine, et en particulier depuis les transcendantalistes24. Les voix toutes ensemble font le corps politique. La dimension commune de la self-
reliance, en se manifestant, crée la communauté des hommes, contre la juxtaposition de solitudes silencieuses et indifférentes. La présence physique et la voix se
distinguent radicalement, voire font obstacle l’une à l’autre : en ce sens, la présence physique crée l’opacité et la voix rétablit ou rend possible la transparence. La matière
du corps politique est paradoxalement faite de cette étrange matérialité qu’est la voix des citoyens25 et c’est ainsi qu’il ne fait qu’un, E pluribus unum. Pourquoi Thoreau
se retire-t-il à Walden ? Pour se faire entendre. C’est dans l’isolement qu’il se propose de s’adresser à ses prochains : si Thoreau revendique le droit de refuser la
participation à une citoyenneté qui a perdu toute signification morale, il ne s’agit pas pour autant de disparaître de la collectivité. Il cherche un autre moyen d’action et c’est
la voix qui le lui fournit.
Je ne me propose pas d’écrire une ode à l’abattement, mais de claironner avec toute la vigueur de Chanteclair au matin, juché sur son perchoir, quand ce ne serait que pour
réveiller mes voisins,
écrit Thoreau dans l’épigraphe de Walden, phrase qui se répète mot pour mot dans le chapitre « Où je vécus et ce pourquoi je vécus26 ». S’il choisit donc de se séparer de la
ville, il reste à portée de voix : ce qui importe, c’est de réveiller les hommes, ses proches. Le coq est l’oiseau du jour nouveau, transition et création. Cette épigraphe trouve
d’une certaine manière sa résolution dans la dernière phrase de Walden :
La lumière qui nous crève les yeux est ténèbres pour nous. Seul point le jour auquel nous sommes éveillés. Il y a plus de jour à poindre. Le soleil n’est qu’une étoile du
matin27.
Chanteclair est la figure d’un porte-parole pour des hommes qui ont perdu, avec l’habitude, l’usage de leur voix, qui ont renoncé à faire usage de leur propre entendement
et de leur self-government. La voix est avant tout revendication, capacité à se faire entendre ; elle n’est pas contenu de parole. Elle est action et la « vérité » des mots étant
inaccessible, il faut se méfier par principe de qui prétend dire seul la vérité. La situation d’énonciation compte dans sa dimension performative. La seule chose qui demeure
paradoxalement des mots est l’acte dans lequel ils sont prononcés et entendus, leur existence sociale en tant que matériaux volatiles d’un langage construit comme moyen
de communication.
Or il est nécessaire de se poser le problème de sa voix pour reformuler et résoudre l’opposition caduque entre le public et le privé. Ce qui se pensait en termes de privé et de
public, à tort, est en réalité à agir en termes de voix ou d’expression. C’est en oubliant leurs revendications faussement privées, qui ne sont que le témoignage d’un horizon
public, à tort, est en réalité à agir en termes de voix ou d’expression. C’est en oubliant leurs revendications faussement privées, qui ne sont que le témoignage d’un horizon
étroit et d’un égocentrisme généralisé, que les hommes, plongeant dans l’intime, retrouveront leur capacité à être expressifs, c’est-à-dire à être publics. Parler en ce sens
permet de ne pas rester des individus privés d’autre, enfermés l’un avec l’autre peut-être physiquement sur un territoire commun, mais toujours l’un sans l’autre, fondus
dans la masse des conformistes. Le principe d’hospitalité invoqué par Thoreau dans le chapitre « Pendaison de crémaillère » travaille précisément à renouveler la réflexion
sur ce qu’est une société juste sans tenir pour acquise la territorialité comme condition d’une vie en commun ou l’opposition entre droit de visite/droit de conquête et
autochtonie. Il est intéressant de relire ce passage dans son intégralité :
Je rêve parfois d’une maison plus grande et plus populeuse, debout dans un âge d’or, de matériaux durables, et sans travail de camelote, laquelle encore ne consistera qu’en
une pièce, un hall primitif, vaste, grossier, solide, sans plafond ni plâtrage, avec rien que des poutres et des ventrières pour supporter une manière de ciel plus bas sur votre
tête […]. Une maison dont l’intérieur est tout aussi ouvert, tout aussi manifeste qu’un nid d’oiseau, et où l’on ne peut entrer par la porte de devant et sortir par la porte de
derrière sans apercevoir quelqu’un de ses habitants ; où être un hôte consiste à recevoir en présent droit de cité au logis, non pas à se voir soigneusement exclu de ses sept
huitièmes, enfermé dans une cellule à part, et invité à vous y croire chez vous – en prison cellulaire. De nos jours l’hôte ne vous admet pas à son foyer, mais a demandé au
maçon de vous en construire un quelque part dans sa ruelle, et l’hospitalité est l’art de vous tenir à la plus grande distance28.
Dans ce modèle, l’espace intérieur permet de communiquer avec l’extérieur, recréant en son sein une communauté ouverte, libre, sans exclusion ni censure. Ce modèle
s’oppose radicalement à la juxtaposition de communautés posées comme non miscibles en nature ou en culture : elle trace l’image d’une démocratie idéale, d’une
réalisation architecturale des principes du libéralisme comme reconnaissance d’une symétrie des relations entre membres de la société.
Les relations et les êtres y seraient alors transparents les uns aux autres, comme chacun le serait à lui-même.
La transparence, comme croyance, est une subversion de l’axe intériorité/extériorité. Il peut bien y avoir, en apparence, un extérieur visible et un intérieur caché, mais dès
lors que tout est connaissable, l’intérieur passe toujours potentiellement à l’extérieur : il est retournable « comme un gant »,
écrit Philippe Breton analysant le fonctionnement de l’espace de l’internet29. La notion de vie privée se dissout de l’intérieur. L’utopie de Thoreau est porteuse de
l’idéologie du Web comme tout-visible30.
Des maisons de verre, l’admission de tous dans l’intimité31, sans limites internes entre espace public et espace domestique, c’est le principe même d’une multiplicité de
projets mis en œuvre sur la Toile dans la dernière décennie, depuis le projet Here and Now en 200032 jusqu’à la récente explosion de Facebook. La justification des
internautes est l’héritière de l’éthique puritaine : ils n’ont « rien à cacher », on ne dissimule que ce dont on a honte, soit ce qui est mal33. Tout est donc mis en regard, le
plus intime s’offrant jusqu’à l’exhibition. Le secret ou le caché est le péché. Le projet Here and Now pousse la communication jusqu’à l’ubiquité :
Si une demi-douzaine de maisons équipées comme celle-ci étaient interconnectées (dans le monde entier), nous pourrions créer un espace à la fois réel et virtuel,
complètement inédit […]. Nous nous verrions et nous entendrions en permanence, comme si nous étions dans une seule et même habitation. La vraie promesse de
l’internet, c’est de pouvoir être en plusieurs endroits simultanément, de vivre plusieurs vies en parallèle.
Est mise à l’épreuve ici l’idée paradoxale que l’enfermement sur soi et la séparation physique ne sont plus un obstacle, mais une condition à la vraie rencontre de l’autre.
Ce qui est le plus intime est le plus offert, sans danger : la mise à distance rend publics des comportements auparavant privés. Les consciences communiquent sans que les
corps s’agglutinent et que le regroupement forcé sur un territoire commun, limité, à partager, ne pousse les hommes à perdre le respect qu’ils se doivent et qui est aussi une
fonction de la mise à distance34.
En outre, si nous menons des existences parallèles, nous nous trouvons au carrefour de points de vue, au centre du réseau. De là, notre vision du monde et notre action sur
le monde seront complètes. Pour les transcendantalistes, si nous nous percevons comme simples, c’est que nous n’avons pas conscience du réseau des êtres, c’est que notre
vision sur le monde est faussée par l’aspect statique et parcellaire de ce que nous refusons de considérer comme un simple point de vue. C’est aussi que nous fermons les
yeux à notre être double, à notre complexité, qui fait de nous-mêmes toujours en même temps notre propre voisin. Il faut multiplier les points de vue dans le temps et
l’espace pour chercher à comprendre le monde de l’intérieur. Mais ce que les transcendantalistes ont admis, et que l’idéologie du tout-visible de l’internet n’a pas encore
appris, c’est que nous ne sommes pas transparents pour nous-mêmes. Multiplier les points de vue pour le transcendantalisme est une méthode pour parvenir à se voir sous
des angles variés dont jamais ni l’un d’entre eux ni la totalité ne donnera la « vérité » de notre être, inaccessible. Par contraste, la personne qui communique sur le réseau
social Facebook semble pouvoir entièrement se réduire à un certain nombre de critères (centres d’intérêt, statut amoureux, goûts musicaux, top ten des livres préférés,
nombre d’amis) qui réduisent ce qu’elle est à cette liste35. Ce réductionnisme est indissociable de l’exigence de transparence.
L’idéologie de l’internet doit ainsi son succès à son enracinement, par-delà les générations, dans une pensée proprement américaine, démocratique et faisant appel à la
transparence comme catégorie d’être. C’est l’espoir d’une société globale et unifiée, pacifiée, qui motive les utilisateurs militants de l’internet. Le monde serait enfin
harmonieux, sans conflit, puisque chacun pourrait entrer en contact avec son prochain et le comprendre, parler le même langage que lui et se dévoiler en le découvrant. Or
c’est là que nous atteignons les limites de cette idéologie, en particulier dans son lien avec le transcendantalisme. Deux problèmes se posent, tous deux trouvant leur origine
dans la confluence entre une pensée politique héritée de ces premières voix de l’Amérique, Thoreau et Emerson, et une pensée économique néolibérale36. La transparence
dont se prévaut l’internet est avant tout une transparence des échanges : tout est flux de communication et d’interactivité ; tout ce qui s’échange est bien de consommation
auquel j’ai droit et que je peux acheter. Le langage et l’accès à l’autre ne sont que des cas particuliers de ce commerce interplanétaire duquel dépendent la résolution des
conflits et l’harmonie37. Mon rapport à l’autre est-il à ce point conditionné par un schéma économique ? Le langage n’est-il qu’un de ces biens que je peux posséder dans
un marché du libre-échange ? La communication a-t-elle pour horizon idéal la transparence ? La réalité des objets, des phénomènes et des individus est-elle entièrement
épuisée dans l’information qui les constitue et qui s’échange dans un courant permanent ? Les limites de cette idéologie de la transparence qui sous-tend le discours sur
l’internet tiennent à trois points : le « soi » n’est pas transparent ; l’internet n’est pas un véhicule d’expression transparente ; le soi, par définition opaque, qui s’exprime
dans les réseaux internet, n’est pas une figure adéquate du citoyen démocratique. Ces limites sont donc de fait et de droit, en quelque sorte ; elles tiennent tant aux objets en
jeu qu’à l’interprétation qui en est faite dans le discours exaltant les vertus de l’internet. Bien sûr, on s’intéresse ici au discours sur l’expression sociale de soi dans une
démocratie et non pas aux usages politiques, extrêmement variés, qui peuvent être faits des réseaux sociaux.
Le rapport à la vérité n’est pas d’abord une connaissance, un accès à une forme sans matière, mais se fait dans la réceptivité d’une perception intuitive, qu’on ne peut
choisir, qu’on ne peut refuser, qui est « fatale ».
Si je vois un trait, mes enfants le verront après moi et au fil du temps toute l’humanité, quoiqu’il soit possible que personne ne l’ait vu avant moi. Car la perception que j’en
ai est quelque chose d’aussi réel que le soleil40.
La fatalité réside dans le fait, d’une part, que l’expérience sensorielle, parce qu’elle est si puissante, nous fait croire à la permanence et la stabilité ; d’autre part, et les deux
conséquences sont liées, que le despotisme des sens mène à la routine. L’intuition engage toute l’âme et est inséparable d’une attitude, celle d’hommes luttant pour la
perfectibilité de leur condition. La sensation ne doit ni nous endormir ni nous aveugler, mais au contraire nous renforcer dans notre self-reliance qui est engagée dans l’ici
et le maintenant, dans ma condition particulière que je ne peux ni refuser ni dépasser.
Selon Cavell, c’est une réinterprétation du scepticisme qui est en jeu ici, qui transforme la question théorique « que pouvons-nous connaître ? » en une constatation : le
scepticisme est vécu et concerne notre condition. Le doute ne porte pas d’abord sur la connaissance, mais sur notre accès à nous-mêmes, parce qu’il est perverti par la non-
volonté de reconnaître l’humanité d’autrui. Or « ce qui obstrue ma vision de l’autre n’est pas […] le corps de l’autre, mais mon incapacité ou ma non-volonté de
l’interpréter, de le juger exactement, d’effectuer les bonnes connexions41 ». On se trompe d’enjeu et de problème si l’on cherche à nier le corps. Il n’est pas à évacuer, mais
à prendre en compte, à la fois parce qu’il est la clef de notre rapport au monde et parce qu’il est limitant et qu’il faut accepter, tracer, construire sur ces limites. Le véritable
enjeu porte sur le rapport que j’ai à ma propre individualité, qui m’échappe.
C’est là qu’intervient la revendication de ma voix comme la mienne. La seule solution pour prendre en charge l’illusion que mon privé est nécessairement caché dans une
inexpressivité radicale, c’est de revendiquer mon autonomie dans/par ma voix. Je donne naissance à la communauté démocratique si et seulement si je me reconnais et
m’affirme dans mon expression. Je risque mon identité, je risque mon rapport aux autres (qui gagne alors une dimension publique) dans l’acte de faire entendre ma voix ; et
dans le même temps, je constitue cette société au nom de laquelle je parle. C’est en me posant ainsi dans un acte toujours déjà politique que mon obscurité, mon opacité à
moi-même, parce que je me donne à entendre aux autres, se résoudra dans un autogouvernement. C’est le nouvel homme « ordinaire » qui est pensé ainsi.
Rendre le privé public, faire en sorte que ma voix privée soit publique : c’est bien le problème de la démocratie, et de l’ordinaire même. Comment ma voix individuelle
peut-elle devenir commune, représentative […] ? […] Le but de la politique devient la construction d’un homme. L’espoir américain devient celui de la construction d’un
homme nouveau et d’une nouvelle culture, l’un et l’autre domestiqués […] : l’homme domestique est celui qui arrivera à accorder son intérieur et son extérieur, sa voix
publique et sa voix privée42.
En quoi l’internet rate-t-il ce projet ? Il semble dans un premier temps qu’au contraire, avec la possibilité offerte à chacun de créer une page personnelle, un compte
Facebook ou un blog sur le Web, soient donnés en même temps à chacun le lieu et la possibilité de faire entendre sa voix dans un champ public ; il semble que la mise en
Facebook ou un blog sur le Web, soient donnés en même temps à chacun le lieu et la possibilité de faire entendre sa voix dans un champ public ; il semble que la mise en
relation de voix différentes dans les forums ou à travers les commentaires corresponde précisément à l’aspiration à donner à sa voix un enjeu public, à créer un nouvel
espace public, virtuel, de conversation.
Mais les utilisateurs de l’internet sont derrière un écran, qui les dissimule aux regards, et dont la fonction primordiale est de les protéger pour permettre la communication ;
l’ouverture et l’échange entre les individus ou les communautés ne sont possibles que parce que l’univers numérique renforce considérablement les possibilités
d’occultation. D’abord parce que l’absence de hiérarchisation des informations sur le réseau est un obstacle à la transparence effective : tout s’y trouve donc rien ne s’y
distingue. La fiabilité de l’information finit par être strictement quantitative. Ensuite,
les questions fondamentales de l’origine du message, de l’identité de l’émetteur, de l’authenticité du contenu, celles de la propriété, de la responsabilité, du sujet, n’ont
souvent pas de réponse certaine sur le Web, où chacun peut émettre, recevoir, copier, manipuler. Qui parle ? D’où communique-t-on ? L’énoncé est-il vrai, complet,
intègre ? Qui est responsable ? [L’internet] est un univers de mots de passe, de codes, de pseudonymes, indispensables pour survivre dans la maison de verre planétaire,
mais qui l’apparentent à un gigantesque bal masqué43.
Ce n’est donc pas ma voix que je peux faire entendre sur l’internet, mais une voix, que je ne fais entendre que grâce à la distance entre elle et moi. Outre les innombrables
effets de brouillage et de glissements qu’un tel anonymat entraîne (un « je » qui n’est pas vraiment moi – en tout cas rien ne le prouve et « je » peux être en même temps
des voix différentes aux noms différents – s’adresse en code à un autre que je n’ai jamais reconnu comme tel, qui n’a même pas besoin d’exister pour être), nous sommes
ici à l’opposé du projet émersonien de constitution d’un homme structuré par la confiance en soi et qui pense sa voix comme commune. L’homme du Web ne « représente »
rien, pas même lui-même. L’opacité se confond avec la confidentialité et la responsabilité de l’agent politique est perdue dans l’anonymat du consommateur d’informations.
Une conséquence plus grave se fait jour : si l’origine et la destination de la voix perdent toute pertinence (l’émetteur et le récepteur ont disparu dans le Wiki), la structure de
la revendication ou la représentativité de cette voix disparaissent et ne demeure que le contenu du message. Et si le contenu est susceptible d’être incomplet, ou d’être une
citation qui ne se reconnaît pas pour telle (dans une parfaite inconscience ou insouciance de la « différence de posture » à l’œuvre dans l’opposition entre dire et citer44),
devient primordiale la réalité des mots placés devant nos yeux. La voix a perdu sa dimension d’acte politique, mais le message prend toute la place. Il n’y a plus aucun
moyen d’établir une éventuelle distance entre ce que nous disons et ce que nous voulons dire. Le message gagne en évidence ce qu’il perd en signification.
Or il ne suffit pas de parler pour dire. Le langage, en particulier ce langage doublement codé de l’échange informatique, demeure un véhicule imparfait de soi ; ou du moins
il est adapté si l’on admet qu’il n’est que le milieu opaque de notre con-diction, de notre dire ensemble, pour reprendre le jeu de mots de S. Cavell, mais qu’il n’en est pas
la vérité. Notre condition est du langage mais l’information qui s’échange sur l’internet est bien loin de constituer ce dire ensemble.
L’information réduite au discours qui circule sur le Web est devenue l’emblème de la libre expression si chère à la culture américaine, comprise comme un free trade in
ideas45. Ce qui porte l’utopie de cette nouvelle démocratie des échanges, c’est l’exigence d’installer un système de gouvernement par discussion, par l’exposition publique
de la plus grande diversité possible des opinions. Il faut privilégier la diversité, l’hétérogénéité, pour que le champ d’alternatives soit le plus ouvert possible et que
l’internaute fasse librement son choix.
Or cette discussion n’est qu’un pâle reflet de la conversation transcendantaliste, ou de la délibération prônée par un certain nombre de théoriciens actuels46. L’idéologie qui
accompagne cette conception vise à faire de l’information, comme pour tout autre produit d’échange et de consommation, l’objet d’un marché privé dérégulé, conçu en
termes de loi anti-trust. Et à l’inverse, le piratage est compris comme une poche de résistance, d’affirmation et d’appropriation par l’internaute-consommateur de son droit à
échanger. Se joue ici l’alliance objective entre des intérêts économiques majeurs et une information, y compris en termes d’expression de soi, comprise comme
marchandise.
Le culte de l’internet repose donc sur une double tendance : d’une part, il est l’écho d’une pensée proprement américaine, qui s’est inscrite dès le xixe siècle dans un projet
de constitution d’un homme et d’une société nouvelle par l’approfondissement d’une individualité où le plus intime est le plus public ; d’autre part, il abandonne les
exigences, la pénibilité d’un tel projet en le replaçant dans le conformisme et la propriété matérielle. Ainsi le projet de subversion risque-t-il de se perdre dans l’idéologie
du tout visible au prix d’une renonciation aux idéaux démocratiques.
*.
Maître de conférence en philosophie politique à l’université de Rennes 1. Elle a notamment publié : À l’origine de la République américaine : un double projet,
Thomas Jefferson et Alexander Hamilton, Paris, Michel Houdiard, 2007.
1.
Philippe Breton, le Culte de l’internet. Une menace pour le lien social ?, Paris, La Découverte, 2000.
2.
Paul Ricœur, l’Idéologie et l’Utopie, Paris, Le Seuil, coll. « La couleur des idées », 1996, p. 405.
3.
Le transcendantalisme est un mouvement littéraire, intellectuel, culturel, philosophique, né à Concord (près de Boston) en 1836, date à la fois de la parution de l’essai
Nature de Ralph Waldo Emerson et de la création du Transcendental Club à Cambridge (Mass.) par le même homme. Les figures les plus importantes du mouvement
sont, outre Emerson, Henry David Thoreau, Walt Whitman, Margaret Fuller et Bronson Alcott, entre autres. C’est surtout l’héritage d’Emerson et de Thoreau qui
nous occupera ici dans la mesure où ils sont les plus largement lus et cités, présents dans tous les curricula académiques aux États-Unis.
4.
Voir notamment et sans prétendre à l’exhaustivité : George Kateb, The Inner Ocean: Individualism and Democratic Culture, Ithaca et Londres, Cornell University
Press, 1992 ; Jane Bennett, Thoreau’s Nature: Ethics, Politics and the Wild, Thousand Oaks, Londres, Sage Publications, 1994 ; Charles E. Mitchell, Individualism
and Its Discontents: Appropriations of Emerson, 1880-1950, Amherst, University of Massachussetts Press, 1997 ; Michael Meyer, Several More Lives to Live.
Thoreau’s Political Reputation in America, Westport, Connecticut, Greenwood Press, 1977.
5.
6.
H. D. Thoreau, Resistance to Civil Government, 1849 (trad. G. Villeneuve, la Désobéissance civile, Paris, Mille et une nuits, 1997). Voir Anita Haya Patterson, From
Emerson to King, New York/Oxford, Oxford University Press, 1997 ; George Hendrick, “The Influence of Thoreau’s ‘Civil Disobedience’ on Gandhi’s Satyagraha”,
New England Quarterly, décembre 1956, 29/4, p. 462-471.
7.
Le Bhagavad-Gita vient alors d’être traduit et introduit aux États-Unis et Thoreau le commente à plusieurs reprises.
8.
R. W. Emerson, « Nature », dans Essais, trad. A. Wicke, Paris, Michel Houdiard, 1997, p. 16.
9.
Pas plus que le culte du tout visible sur l’internet : pas d’institutionnalisation, pas de centralisme hiérarchisé, pas de figure divine personnifiée, pas de dogmes
positifs, mais l’existence d’un bien et d’un mal.
10.
11.
S. Cavell, Conditions nobles et ignobles, la constitution du perfectionnisme émersonien, trad. C. Fournier, S. Laugier, Combas, L’Éclat, 1993.
12.
Sandra Laugier, Recommencer la philosophie, Paris, Puf, 1999, p. 173. Voir aussi id., Une autre pensée politique américaine, la démocratie radicale d’Emerson à
13.
Thème fondamental chez Emerson, voir George Kateb, Emerson and Self-Reliance, Lanham, Boulder, Rowman & Littlefield Publishers, [1995] 2002.
14.
« Crois en toi-même », (“Self Reliance”) « Confiance et autonomie », R. W. Emerson, Essais, op. cit., p. 30.
15.
H. D. Thoreau, « Explore-toi toi-même », Walden, ou la vie dans les bois, trad. L. Fabulet, Paris, Gallimard, 1922, p. 321.
16.
R. W. Emerson, “Intellect”, “Essays, Second Series”, dans Essays, Londres/New York, Everyman’s Library, 1967, p. 182.
17.
18.
19.
R. W. Emerson, « L’intellectuel américain », dans Essais II, trad. A. Wicke, Paris, Michel Houdiard, 2000. S. Laugier, Recommencer la philosophie, op. cit., p. 69.
20.
L’expression « Web 2.0 » a été lancée et popularisée par l’éditeur Tim O’Reilly en 2004 lors d’une conférence de presse où il l’utilise pour désigner le Web comme
plate-forme de communication ; il oppose le Web 1.0 symbolisé par l’Encyclopedia Britannica Online au Web 2.0 symbolisé par Wikipedia
(http://oreilly.com/web2/archive/what-is-web-20.html). Le terme avait été créé par Darcy DiNucci : dans son article “Fragmented Future”, Print, 1999, 53/4, elle
écrit : « On ne comprendra plus le Web [à venir] comme des écrans déroulant du texte et du graphisme, mais comme un mécanisme de transport, comme l’éther dans
lequel se produira l’interactivité » (p. 32).
21.
En ce sens, si comme le souligne Paul Mathias (la Cité internet, Paris, Presses de Sciences-Po, 1997), il n’y a pas de netizen (citoyen de l’internet) au sens strict, si la
communauté internet n’est pas politique, il s’agit bien, dans un certain nombre de discours, de faire du réseau l’outil de construction d’une « autre » communauté
sociale notamment fondée sur la liberté d’expression et d’information.
22.
Voir le projet proposé dès 1994 par Albert Gore, alors vice-président des États-Unis, lors d’une conférence internationale sur les télécommunications : « La global
information infrastructure permettra d’établir une sorte de conversation globale dans laquelle chaque personne qui le veut pourra dire son mot… Ce ne sera pas
seulement une métaphore de la démocratie en marche ; dans les faits, elle encouragera le fonctionnement de la démocratie en accroissant la participation des citoyens
à la prise de décision et elle favorisera la capacité des nations à coopérer entre elles » (http://www.friends-partners.org/oldfriends/telecomm/al.gore.speech.html).
23.
Mitchell Kapor, “Where is the Digital Highway Really Heading?”, dans Wired, juillet-août 1993.
24.
Voir Stanley Cavell, les Voix de la raison, trad. S. Laugier et N. Balso, Paris, Le Seuil, 1996 et S. Laugier, Recommencer la philosophie, op. cit., p. 164 : « Ainsi se
forme le concept […] de conversation : pour que le gouvernement soit légitime, tous doivent y avoir, ou y trouver leur voix. »
25.
Bruno Bernardi, « Un corps composé de voix », dans Cahiers philosophiques, avril 2007, 109, p. 29-40.
26.
27.
Ibid., p. 332.
28.
29.
30.
Voir G. Wajcman, l’Œil absolu, Paris, Denoël, 2010. Voir la profession de foi de Mark Zuckerberg, sur la page d’accueil de sa page Facebook : « J’essaie de rendre le
monde plus ouvert en aidant les gens à se connecter et à partager » (http://www.facebook.com/markzuckerberg).
31.
Sur la catégorie de l’intime, voir Michaël Fœssel, la Privation de l’intime, Paris, Le Seuil, 2008.
32.
Voir la présentation du projet dans l’article de Y. Eudes, Le Monde, 28 avril 2000 : « La grande maison bleue n’est pas un lieu ordinaire […]. Tout ce qui s’y passe
peut être vu et entendu sur la Terre entière. Erik […] et ses cinq amis vivent en direct sur l’internet vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Neuf caméras fonctionnent
en permanence dans le salon, la cuisine, la salle de jeux et chacune des chambres à coucher du premier étage […] “Je considère tous les gens qui se connectent
comme mes invités, je leur parle et je prends soin d’eux comme s’ils étaient physiquement parmi nous”. »
33.
Voir la remarque célèbre d’Eric Schmidt, Pdg de Google : « S’il y a quelque chose que vous voulez que tout le monde ignore, peut-être devriez-vous commencer par
éviter de faire cette chose » (interview donnée le 3 décembre 2009 sur Cnbc, http://www.huffingtonpost.com/2009/12/07/google-ceo-on-privacy-if_n_383105.html).
34.
« Nous vivons en paquet et sur le chemin l’un de l’autre, trébuchons l’un sur l’autre et perdons ainsi, je crois, du respect l’un pour l’autre […]. La valeur d’un homme
n’est pas dans sa peau, pour que nous le touchions » (H. D. Thoreau, Walden, ou la vie dans les bois, op. cit., p. 136).
35.
Zadie Smith, “Generation Why?”, The New York Review, 25 novembre 2010. Elle cite Jaron Lanier, You’re not a Gadget: A Manifesto, New York, Random House
Zadie Smith, “Generation Why?”, The New York Review, 25 novembre 2010. Elle cite Jaron Lanier, You’re not a Gadget: A Manifesto, New York, Random House
Knopf, 2010, dans lequel il étudie la manière dont les internautes se réduisent eux-mêmes afin de rendre leur description informatique plus juste.
36.
De ce point de vue, la critique rejoint celle de Paul Mathias qui dénonce l’appropriation de réseau par les intérêts purement économiques (la Cité internet, op. cit.)
37.
Reprise du thème classique s’il en est des vertus pacifiques du commerce, déjà exploré et nuancé chez les premiers penseurs « libéraux » du xviiie siècle,
Montesquieu, Quesnay ou Adam Smith.
38.
Voir Pierre Lévy, World Philosophie, Paris, Odile Jacob, 2000, pour une présentation de la « gnose » qui accompagne cette approche ; ici p. 73.
39.
Voir le ou les mouvements des Anonymous, où l’internet est utilisé par plusieurs communautés d’internautes pour mener des actions collectives organisées, qui
n’apparaissent physiquement en public que portant le masque de Guy Fawkes, popularisé par le roman graphique V pour Vendetta d’Alan Moore et symbolisant
l’anarchie. Les Anonymous ont récemment monté l’opération Leakspin-Crowdleak pour favoriser la diffusion des dépêches recueillies par WikiLeaks.
40.
R. W. Emerson, « Expérience », cité par S. Laugier, Recommencer la philosophie, op. cit., p. 159.
41.
42.
S. Laugier, « Emerson : penser l’ordinaire », dans Revue française d’études américaines, 2002/1, no 91, p. 57-59.
43.
44.
Différence au contraire fondamentale dans le transcendantalisme, voir S. Cavell, In Quest of the Ordinary, Chicago, University of Chicago Press, 1998.
45.
Cass R. Sunstein, Democracy and the Problem of Free Speech, New York, Macmillan, 1993. Voir l’opinion célèbre du juge à la Cour suprême Holmes, dans l’affaire
Abrams vs. United States (1919) : « La meilleure des vérités est le pouvoir qu’a la pensée de se faire accepter dans la concurrence du marché. »
46.
Voir, pour une présentation de la démocratie délibérative, Charles Girard et Alice Le Goff, la Démocratie délibérative, une anthologie, Paris, Hermann, 2010 : la
délibération repose sur une éthique normative particulièrement exigeante et les critères d’une parole juste, impartiale, libre, égale, rationnelle, argumentée, sont
rarement rencontrés sur les forums de discussion, même en l’absence de tout troll.
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