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Université Mohammed V-Souissi

Année universitaire : 2020-2021

Matière : Problèmes économiques et sociaux


Prof. Maâninou Amal

Groupes C et D

Introduction générale

Pendant les « Trente glorieuses » (1945-1975) les pays développés (USA, Canada, Allemagne,
France …) ont connu une croissance forte et soutenue, un taux de chômage très faible, une
hausse du niveau de vie, une dynamique des activités industrielles et de services sans précédant,
un rôle actif des pouvoirs publics via des politiques économiques d’inspiration keynésienne, et
un élargissement du cercle des consommateurs conséquent avec l’accès d’une large partie de
la population aux biens de consommation de masse (voitures, produits électroménagers, agro-
alimentaires, pharmaceutiques …). Dans ce contexte, cette dynamique a conduit à la réduction
des inégalités sociales. Or, la crise de 1974 va changer la donne dans la mesure où elle conduit
à de nombreuses transformations qui, au fil du temps, mettent en évidence des problèmes
économiques et sociaux liés au chômage, à la précarité, aux inégalités sociales, etc. Ces
transformations se sont manifestées par :

-la globalisation financière : elle se manifeste par les 3 D (déréglementation, dérégulation,


désintermédiation) qui permettent aux capitaux de circuler librement entre plusieurs places
financières, ce qui engendre une instabilité financière dont témoigne, par exemple, la crise
financière de 2008.

-la mondialisation : sous l’égide du GATT et ensuite de l’OMC, elle permet une circulation
intense de biens (finals ou intermédiaires) et de services à travers le monde ; elle permet aussi
la circulation des informations et, parfois, de la main d’œuvre. La mondialisation a ainsi
transformé la géographie des activités économiques à travers, entre autres, les stratégies de
délocalisation des Firmes Multinationales et les accords de libre-échange, ce qui a conduit à la
« désindustrialisation » avec son cortège de pertes d’emploi.

-la libéralisation du marché du travail : ici, le mot d’ordre est flexibilité. Dès lors, le salariat est
soumis à plusieurs vitesses. D’un côté, existent des emplois bien rémunérés, avec un statut
juridique de type contrat à durée indéterminée. D’un autre côté, pullulent des emplois moins
rémunérés, à durée déterminée : emplois précaires, à temps partiel…qui jouent le rôle de
variable d’ajustement quand la conjoncture se retourne.

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-l’essor spectaculaire des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication :
ces nouveaux supports vont petit à petit bouleverser les structures économiques et les relations
commerciales, mettre au devant de la scène de nouveaux acteurs (les GAFA, par exemple),
modifier les relations entre les entreprises, entre ces dernières et les consommateurs … Le e
commerce en est une parfaite illustration. Et la crise de la Covid-19 accentue cette tendance,
mais montre aussi le poids des inégalités socio-économiques, lesquelles se traduisent par la
fracture numérique entre ceux et celles qui disposent et utilisent ces outils et ceux qui sont
exclus de l’utilisation des TIC, l’accès aux soins médicaux qui n’est pas généralisé …

Bref, ces transformations ont eu lieu dans un contexte historique marqué par le sceau du
Consensus de Washington dont les recommandations sont : - discipline fiscale, privatisation
des entreprises publiques, libéralisation des taux de change …En d’autres termes, moins d’Etat
et plus de marché.

Ce tournant s’est au fond traduit par une croissance erratique, souvent faible. Dans de nombreux
pays développés le taux de chômage est relativement élevé. Les inégalités sociales y sont
prégnantes. Et ces pays ne sont pas à l’abri de crises dont les conséquences sur le plan socio-
économique sont importantes.

Pour les pays en développement (la terminologie a évolué : pays du Tiers Monde, pays en voie
de développement …), la trajectoire historique est différente. Nombreux d’entre eux ont acquis
leur indépendance durant les années 1950-1970. Depuis, ces pays ont cherché à sortir de la
trappe de la pauvreté, à moderniser les structures économiques, à diversifier les activités
productives, à s’insérer dans les rouages de la mondialisation … Ils ont ainsi mis en place des
stratégies pour tenter de rejoindre le peloton des pays développés (réformes agraires, stratégies
d’industrialisation, stratégies d’ouverture…) dont les retombées sont contrastées. Alors que les
« Dragons asiatiques » ou Nouveaux Pays Industrialisés (Corée du Sud, Singapour …) ont
marqué des points, d’autres n’ont pas vraiment « décollés ». Entre-temps, une nouvelle
catégorie de pays désignés par Emergents (les BRIC - Brésil, Russie, Inde, Chine- mais cette
liste n’est pas exhaustive) ont enregistré du taux de croissance relativement élevé, une insertion
plus poussée dans l’économie mondiale, une diversification des activités économiques, etc.
Néanmoins, certains d’entre eux (Brésil, Turquie, Argentine …) sont par la suite confrontés à
de nombreuses difficultés (crise financière, taux de croissance faible, récession, aggravation
des inégalités …). A l’autre extrémité, des pays, souvent Africains, sont toujours en difficulté
(taux de croissance faible, pauvreté galopante, inégalités socioéconomiques criantes, etc.) : on
les désigne par les pays les moins avancés (que l’on pense à des pays subsahariens comme le
Niger, le Mali, etc.). Enfin, d’autres pays sont dans une situation « intermédiaire ». Si des
progrès sont à signaler (infrastructures, réformes institutionnelles, etc.), la croissance y est
encore faible et irrégulière, elle ne permet pas de créer assez d’emploi, notamment chez les
jeunes, les inégalités y persistent…, comme c’est le cas du Maroc.

Bref, de nombreux pays doivent faire face à des problèmes économiques et sociaux (chômage,
inégalités …) dans un contexte marqué par :

- les conséquences de la crise financière de 2008 et de celles de la pandémie liée au Covid-19,

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-le défi de la transition énergétique afin de faire face au réchauffement climatique,

- les potentialités et les menaces de la révolution numérique,

-les tensions commerciales et géopolitiques (USA versus Chine), etc.

L’intérêt de cette matière réside donc dans la présentation et la discussion des principaux
problèmes économiques et sociaux dont doivent faire face moult pays. Ces problèmes sont
nombreux, complexes car ils s’interpénètrent, et leur intensité diffère d’un pays à un autre. Ces
problèmes interpellent la sphère académique ou universitaire, les décideurs politiques, les
entrepreneurs, les experts, les journalistes, les membres des Associations Non
Gouvernementales, etc., et les citoyens. Ces problèmes renvoient, pour faire vite, à la croissance
et au développement et leurs corolaires : crises, chômage, emploi, inégalités … Les enjeux et
les défis sont multiples, complexes, et se posent, à géométrie variable, selon les pays.

Pour les pays développés, l’enjeu consiste à renouer avec une croissance forte et inclusive. Cala
consiste à chercher à diminuer fortement le taux de chômage, à augmenter la richesse crée, à
atténuer les inégalités, à permettre à une large partie de la population de vivre décemment, donc
à investir de nouvelles activités économiques porteuses de postes d’emploi …, et à assurer un
développement durable compte tenu des défis liés au réchauffement climatique.

Pour les pays en développement, les enjeux sont immenses : bâtir une croissance régulière et
forte, trouver un « modèle » de développement approprié apte à résoudre les problèmes de
chômage, d’exclusion sociale… et d’être en phase avec les impératifs de la transition
énergétique.

Cette prise en considération a des implications sur le plan méthodologique. D’une part, ce cours
est l’occasion d’approcher la réalité économique et sociale, de confronter la théorie et le monde
réel. Il s’agit de fait d’interroger les corpus théoriques à l’aune de l’observation de faits
empiriques et des données informationnelles. Il est donc tout à fait pertinent de se méfier des
explications abstraites, universelles, simplifiées, lesquelles ne prennent pas en considération
l’examen de phénomènes socio-économiques complexes, comme c’est le cas, par exemple, des
crises ou du développement et ne s’interrogent pas sur la spécificité de tel ou tel pays. D’où,
toujours d’un point de vue méthodologique, il serait tout à fait indiqué de renouer avec
l’Economie Politique, c’est-à-dire de la considérer comme faisant partie des sciences sociales,
et donc de chercher à croiser l’économie à l’histoire, à la sociologie, au droit … Un tel
croisement serait de nature à mieux comprendre lesdits phénomènes.

En tous les cas, les étudiant(e)s sont sollicité(e)s à faire de (petites) recherches, à mobiliser leur
curiosité pour chercher des informations supplémentaires, notamment pour le cas du Maroc. A
ce sujet, quelques références s’imposent :

- les Rapports de Bank Al Maghreb, ceux du Conseil Economique, Social et Environnemental,


du Haut Commissariat au Plan, etc.,

- des revues (Revue Critique économique ; Revue des Sciences Politiques et Sociales …).

3
Elargir la perspective est le bienvenue avec : Revue Mondes en développement ; Revue du Tiers
Monde…, facilement accessibles sur internet.

Plan du cours

Chapitre 1 : La croissance économique

Section 1 : La croissance : définition, mesure et indicateurs

Section 2 : Les facteurs de la croissance

Section 3 : Les limites du PIB et indicateurs alternatifs

Section 4 : L’évolution de la croissance : le cas du Maroc

Chapitre 2 : La problématique du développement

Section 1 : La genèse de l’économie du développement

Section 2 : Les indicateurs du sous-développement

Section 3 : La pluralité des explications

Section 4 : Les stratégies

Chapitre 3 : Cycles, fluctuations et crises

Section 1 : La grande rupture : la révolution industrielle

Section 2 : Cycles, fluctuations et crises

Section 3 : Les approches théoriques des crises

Chapitre 4 : Activité, emploi et chômage

Section 1 : Le marché de l’emploi

Section 2 : Le chômage

Section 3 : Les politiques de l’emploi

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Chapitre 5 : Répartition des revenus, inégalités et justice sociale

Section 1 : Des définitions

Section 2 : Les théories de la répartition

Section 3 : La redistribution

Section 4 : Les inégalités, données et enjeux

Section 5 : Pauvreté, définition, mesure et politiques

Bibliographie sélective

Aglietta M. (sous la direction de) (2020), Capitalisme. Le temps des ruptures, Odile Jacob.

Atkison T. et al. (2001), Inégalités économiques, La Documentation française.

Baslé M. et al. (1988), Histoire des pensées économiques. Les contemporains, Sirey

Ben Hammouda H. et al. (2010), Banquiers&Economistes face à la crise, De Boeck.

Bihr A., Pfefferkom R. (1995), Déchiffrer les inégalités, Syros.

Boyer R. (2003), Les crises économiques, La Découverte.

Dockès P., Rosier B. (1988), L’histoire ambigüe. Croissance et développement en question,


PUF.

Dockès P. (sous la direction de) (2003), Ordre et désordres dans l’économie-monde, PUF.

Perret B., Roustang G., (2001), L’économie contre la société, Seuil.

Piketty T. (2013), Le capital du XXIème siècle, Seuil.

Rosier B., (2003), Les théories des crises, La Découverte.

Silem A. (2009), L’économie politique. Bases méthodologiques et problèmes fondamentaux,


A. Colin.

Vercueil J. (2010), Les pays émergents. Mutations économiques et nouveaux défis, Bréal.

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Chapitre 1 : La croissance économique

Depuis A Smith, les économistes s’intéressent à la question de la croissance économique. Pour


Smith, la richesse des nations (ou la croissance) a deux sources : la division du travail au sein
des manufactures (entreprises) et la proportion du travail productif. D’un côté, la division du
travail permet de réduire le temps de travail pour fabriquer un bien économique et donc conduit
à l’augmentation de la productivité. D’un autre côté, l’importance du travail productif, c’est-à-
dire celui qui permet à l’entrepreneur de réaliser un profit (le travail improductif assimilé aux
services ne réalise pas de profit à l’instar de celui des domestiques) dont une partie sera
réinvestit, ce qui permet l’accumulation du capital. Ces deux facteurs sont conditionnés par la
taille du marché et, pour Smith, l’invention des machines peut également jouer un rôle dans la
dynamique de la croissance.

Par la suite, ce sont les économistes spécialistes de la macroéconomie qui ont le plus abordé
cette question. Par la même occasion, ils ont, d’un côté, développé des outils et avancé des
indicateurs pour mesurer la croissance économique et, d’un autre côté, mis en exergue ses
facteurs ou sources.

Enfin, plus récemment d’autres économistes ont mis en lumière les limites des analyses
traditionnelles de la croissance et à cet égard ont confectionné de nouveaux indicateurs.

Section 1 : La croissance : définition, mesure et indicateurs

La croissance économique est l’augmentation durable de la production globale d’une économie.


C’est un phénomène économique de nature quantitative que l’on peut donc mesurer. A ce titre,
il s’agit de l’accroissement continu sur une longue période du produit intérieur brut (PIB).

Exemple : durant une bonne partie des « Trente glorieuses », de nombreux pays ont enregistré
un taux moyen de croissance élevé. Ainsi, entre 1960 et 1973, ce taux était pour la France de
l’ordre de 6,3%, de 9,9% pour le Japon, de 3,8% pour les USA, etc.

Le PIB mesure ainsi la richesse produite par les agents économiques résidents durant une année.
La croissance se distingue de l’expansion, laquelle se traduit par une augmentation du PIB mais
pour une courte période. Elle se distingue aussi du développement qui est un phénomène socio-
économique de nature qualitative.

Le PIB comprend deux volets. D’une part, le PIB marchand, c’est-à-dire l’ensemble des biens
et services vendus sur le marché. D’autre part, le PIB non marchand, compris comme
l’ensemble des biens et services fournis à des prix inférieurs ou égaux à leur coût. Ces biens
sont fournis par l’Etat sous forme de services publics : éducation, santé, éclairage, ordre
public…

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La mesure de la croissance économique renvoie donc à un indicateur-clé, celui du taux de
croissance du PIB. Ce dernier est compris comme la somme des valeurs ajoutées créées par les
entreprises ou unités résidentes dans un pays donné durant une année (valeur des productions –
valeur des consommations intermédiaires).

Prenons un exemple chiffré fictif. Si, avec la mesure de ce taux à prix courants, la production
pour l’année t 1 est de 3000 milliards de DH et qu’elle passe à 3160 DH à la fin de l’année t 2,
alors le taux de croissance nominal est de : 100 x ((3160 – 3000)/3000) = 4%. Dans ce cas, il
s’agit du PIB nominal exprimé en DH courants, c’est-à-dire avec le système de prix de l’année
considérée.

Pour passer à la mesure réelle de ce taux, il faut déflater l’augmentation nominale du PIB par
un indice des prix approprié (prix constants). En effet, l’augmentation de ce taux peut être le
fruit d’une augmentation des prix et non des quantités produites. Dans ce cas, afin de mesurer
la croissance réelle, il faut calculer le PIB réel à prix constant ou en DH constants. Le déflateur
est donc un instrument qui permet de corriger une grandeur économique des effets de l’inflation
en faisant le rapport entre l’indice de la production courante et l’indice des prix. On a donc :
PIB réel : PIB nominal / Indice de prix (déflateur) x 100. Supposons que l’indice des prix est
passé de 100 (t 1) à 102 (t 2), soit 2% d’augmentation pour les prix à la consommation, et que
le PIB nominal est de 4%, le PIB réel est donc :

104/102 x 100 = 101, 96. Par conséquent, le PIB réel a augmenté de presque 2%.

Existent d’autres indicateurs de la croissance comme le rapport du PIB à la population totale de


la population (PIB /population) ...

Section 2 : Les facteurs de la croissance

Ces facteurs ou sources sont nombreux :

a-les ressources naturelles et énergétiques : charbon, pétrole, gaz, bois, fer, étain,
cobalt…indispensables pour produire des biens et des services. Ces ressources sont limitées et
leur exploitation engendre des externalités négatives (déforestation, pollution…).

b-les deux facteurs travail et capital et la qualité de leur combinaison. D’abord le travail qui
joue un rôle important dans la production des biens et services. La qualité de ce facteur est
également importante, elle exige de l’éducation, la formation et l’apprentissage continu dans
les secteurs de pointe (informatique, télécommunication, aérospatial, pharmacie…) ou les
activités économiques qui produisent des biens sophistiquées qui génèrent plus de valeur
ajoutée. Néanmoins, un pays peut enregistrer de manière continue un taux de croissance élevée
avec une part non négligeable du travail peu qualifié.

Ensuite, le capital que l’on peut décomposer en deux sous-parties. La première est le capital
physique : bâtiment, instruments, machines-outils, moyens de transfert (tapis roulant, chariots
élévateurs, par exemples) et de transport, robots …, La seconde est l’investissement, c’est-à-
dire l’acquisition par un agent économique de nouveaux moyens de production. Il s’agit

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d’investissement matériel (machines…) ou d’investissement immatériel (R&D, licences,
formation des employés, publicité …).

Il importe par la suite de combiner le plus efficacement possible ces deux facteurs afin d’éviter
les surcoûts, les gaspillages …pour un niveau donné de la production. Cette combinaison
renvoie au métier de l’entreprise et à son environnement, elle repose sur l’un de deux piliers que
sont complémentarité ou substitution. Dans le premier cas, l’entreprise cherche à utiliser
conjointement ces deux facteurs, l’un ayant besoin de l’autre pour produire des biens et des
services : les activités de textile-habillement en est un bon exemple. Dans le second cas, l’un
remplace l’autre (mais pas entièrement), c’est la tendance lourde qui se traduit par la
substitution du capital au travail grâce à l’introduction du machinisme et de la mécanisation
comme c’est le cas, par exemple, des activités industrielles pétrochimiques.

c-le progrès technique ou l’innovation : ce facteur joue aussi un rôle clef dans la dynamique de
la croissance. Il est à l’œuvre depuis la première révolution industrielle et se poursuit jusqu’à
nos jours grâce, entre autres, au développement spectaculaire des TIC. On distingue ainsi entre
les innovations radicales ou majeures et les innovations d’amélioration ou incrémentales. Les
premières bouleversent les structures économiques et marchandes. Prenons deux exemples.

- l’acier remplace le bois et le fer et permet donc de produire et de commercialiser de nouveaux


produits : avions, voitures, machines …

- les TIC ont permis l’apparition de nouveaux produits et services : ordinateurs, tablettes,
Smartphones, accès à l’internet, e commerce …

Durant la diffusion de ces nouveaux biens, ces derniers enregistrent des améliorations continues
et des recombinaisons. L’acier peut faire l’objet d’amélioration donnant lieu à un acier plus
léger, plus résistant … que l’on peut mélanger avec du cuivre, du carbone… Les téléphones
portables incorporent de nouvelles fonctions et applications : messagerie, photos, géo-
localisation, jeux, etc.

Sur un plan théorique, l’un des modèles de croissance le plus cité dans la littérature économique
est celui de R. Solow. En effet, dans son article publié en 1956 (A contribution to the Theory of
Economic Growth), cet économiste présente un modèle d’inspiration néo-classique. Il est bâti
sur des hypothèses simplificatrices :

-il prend un seul bien homogène et un seul agent économique,

-la production se fait dans le cadre de la concurrence pure et parfaite,

-la production repose sur l’articulation entre deux facteurs, travail et capital, qui sont
substituables,

-toute l’épargne est convertie en investissement,

-etc.

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Dans ce modèle, l’augmentation du travail (population) et du capital (investissement) explique
en partie l’augmentation de la croissance. Mais, il existe un autre facteur, le progrès technique,
ou « facteur résiduel » qui permet aussi d’augmenter la croissance, facteur dont on ne connaît
pas l’origine et qui est exogène (externe) au modèle.

Les limites de ce modèle ne manquent pas. Les agents économiques consomment plusieurs
produits, et pour une catégorie de bien (une machine à laver, par exemple) il existe une
différenciation par le prix et hors prix (transport et installation, garantie, qualité…). D’autre
part, la concurrence est en très grande partie imparfaite : les structures économiques sont
composées d’agents économiques de taille différente : grandes entreprises, entreprises de taille
moyenne et PME. Nous avons ainsi des situations d’oligopole (trois sinon plus d’entreprises
qui dominent un marché), ou duopole (deux entreprises qui se partagent un marché), ou
monopole (une seule)…. L’épargne n’est pas automatiquement convertie en investissement,
etc.

Durant les années 1980-1990, de nouvelles théories de la croissance voient le jour. Elles
prennent à contre pied la position de Solow en rendant le progrès technique endogène, jouant
ainsi un rôle explicite dans la dynamique de la croissance. Ces nouvelles approches théoriques
soutiennent l’idée selon laquelle le progrès technique « ne tombe pas du ciel », il est le fruit des
décisions des agents économiques et qu’il induit des externalités positives, comprises comme
des retombées bénéfiques pour l’ensemble des agents économiques. L’Etat joue aussi un rôle
important grâce aux systèmes éducatif et de santé.

Plus exactement, P. Romer, E. Lucas et R. Barro… vont renouveler la théorie de la croissance :


celle-ci explique comment la combinaison des facteurs, dont l’innovation, ainsi que le rôle de
l’Etat influencent positivement la croissance. Pour eux, si l’on peut expliquer le progrès
technique, si les éléments qui le composent sont des variables déterminées, et donc expliquées
ou endogénéisées, alors il est possible d’envisager des politiques économiques pour augmenter
le niveau de vie par tête à long terme.

Dans ce cadre, l’Etat contribue et ce par le biais des aides et des subventions accordées aux
entreprises à soutenir la R&D, à déployer des mécanismes incitatifs pour promouvoir
l’innovation et contribue aussi à soutenir la formation, ce qui n’est pas sans incidence sur les
compétences des salariés et la qualité du capital humain. Ce dernier est par définition mieux
outillé pour mettre au point et produire des biens économiques ayant une valeur ajoutée plus
conséquente, ce qui permet d’augmenter la richesse créée.

De même, grâce à l’édification des infrastructures publiques, l’Etat contribue aussi à induire
des externalités positives. Ces économistes font allusion aux infrastructures de
télécommunication et de transport qui fonctionnent comme des réseaux au sein desquels la
satisfaction d’un agent économique augmente avec le nombre des agents qui y participent. Les
facteurs institutionnels jouent au fond un rôle plus vaste : un Etat de droit, la protection de la
propriété intellectuelle, la liberté de commercer à l’intérieur d’un pays et de participer aux
échanges internationaux, une fiscalité avantageuse… sont autant d’ingrédients qui contribuent
à l’augmentation de la croissance et du bien être collectif.

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Du côté des entreprises privées, loin d’être un facteur résiduel, l’innovation fait partie des
comportements de ces agents qui sont réduits, pour les besoins de la modélisation, à un agent
représentatif. Celui-ci investit dans la R&D, innove, propose de nouveaux biens économiques,
mais aussi de nouveaux moyens de production (machines …). La quantité des investissements
réalisés commande le rythme du progrès technique. Elle est elle-même influencée par la
disponibilité des facteurs travail et capital et des conditions macro-économiques et
institutionnelles.

La dynamique engendrée par l’innovation échappe à la loi des rendements décroissants car
chaque nouvelle connaissance ouvre de nouvelles perspectives pour le progrès technique. La
connaissance est donc cumulative. Chaque investissement est source de connaissance
supplémentaire. Il se crée ainsi un stock de savoir collectif dans lequel chaque entreprise y puise
et contribue par imitation-amélioration à l’alimenter. Cette dynamique donne aussi lieu à des
effets d’apprentissage qui impactent positivement la productivité. Les effets de l’apprentissage
par la pratique (learning by doing) relient les gains de productivité au volume de l’activité
économique.

Cette nouvelle approche ne manque de robustesse. Elle prend en considération les efforts
déployés directement par les entreprises en matière de R&D et ses incidences sur la croissance
économique. Elle donne à l’innovation une tonalité dynamique : le stock de l’innovation est
ouvert, chaque agent peut l’exploiter et l’enrichir. Les facteurs institutionnels participent
également à la dynamique d’ensemble. Ils mettent en place des politiques publiques porteuses
d’externalités positives (par exemple, l’amélioration du niveau général de l’enseignement d’un
pays a des retombées positives sur le secteur productif sans que les entreprises participent au
financement de l’enseignement), ainsi que des investissements susceptibles d’inciter l’acteur
privé à innover, à tirer profit des potentialités du marché en proposant des produits qui incluent
une valeur ajoutée plus importante.

Ceci étant, cette théorie n’échappe pas à des critiques Le recours à la notion d’agent
représentatif pose problème : on fait comme si toutes les entreprises se comportaient de la même
manière. Or ce comportement diffère selon la taille de l’entreprise, son métier, le marché où
elle se situe, la structure concurrentielle au sein d’un secteur donné, etc. Si une grande entreprise
possède des atouts pour innover, ce n’est pas le cas de nombreuses PME dont les moyens
financiers, technologiques … sont limités. Le recours à la notion d’agent représentatif laisse
aussi de côté les modalités de coordination entre les agents économiques.

Par ailleurs, cette approche théorique est en décalage par rapport aux mutations enregistrées par
les pays développés à la veille du présent siècle. La globalisation financière ainsi que la
dynamique de la mondialisation sont minorées. Or l’ouverture sur l’international via, entre
autres, la réduction ou la suppression des obstacles tarifaires mettent en concurrence les
territoires, pousse à la délocalisation, y compris pour une partie de la R&D, et affaiblit la marge
de manœuvre des Etats. Le poids des pouvoirs publics marque ainsi le pas. Le marché est
devenu central (Consensus de Washington). Les politiques publiques sont donc réduites,
tournées pour l’essentiel vers un encadrement des politiques budgétaires (politique d’austérité

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qui réduit les dépenses publiques notamment en UE), une réduction des investissements publics

Dans ce cadre, il devient difficile de mener à bien des politiques industrielles et d’aménagement
du territoire pour doper la croissance. En effet, ces politiques participent à la création de
nouvelles filières porteuses de postes d’emploi (que l’on pense aux énergies renouvelables, par
exemple), contribuent à la reconversion des salariés (par l’intermédiaire de la formation) pour
être en phase avec les mutations technologiques, mais également des régions qui sont touchées
par des pertes d’emploi, en particulier les régions mono-industrielles. L’Etat développe aussi
de nouvelles infrastructures liées, par exemple, aux TIC… Faute d’une marge de manœuvre
appropriée, le rôle de l’Etat est donc réduit, et donc il n’est pas étonnant que le taux de
croissance des pays développés régresse comme l’illustre ce tableau.

Années UE USA Japon


79-89 2,0 2,7 3,5
89-99 1,9 2,7 1,5
99-01 1,7 1,8 0,6

Section 3 : Les limites du PIB et indicateurs alternatifs

A partir des années 1990, le PIB traditionnel a fait l’objet de plusieurs critiques. Aussi, des
travaux émanant du Programme des Nations Unies pour le Développement s’attachent-ils à
mettre le doigt sur les limites du PIB. Ces limites sont :

-le PIB traditionnel ne prend pas en considération l’ensemble des activités non marchandes,
notamment celles rattachées aux travaux domestiques, à l’éducation des enfants, au bricolage,
à l’autoconsommation, etc. ;

-il met en sourdine le travail informel ou en noir, c’est-à-dire l’économie souterraine, mais aussi
toutes les activités illicites (trafic de drogue, de cigarettes…) ;

-il ne dit rien sur le bénévolat et l’entraide, voire le troc ;

-il passe sous silence les externalités négatives induites par les activités économiques. Il s’agit
de la dégradation de la nature (appauvrissement des sols, déforestations, épuisement des nappes
phréatiques, pénurie d’eau …), la disparition d’écosystèmes, d’animaux, de plantes, etc., la
pollution sous toutes ses formes … ;

-il met sous le tapis la question de la répartition des richesses créées ;

-il tourne le dos aux inégalités du genre (inégalités entre hommes et femmes).

Dans ce contexte, de nouveaux indicateurs sont retenus : les Indicateurs de Développement


Humain (IDH). Ces indicateurs sont plutôt centrés sur l’être humain :

-l’espérance de vie à la naissance, ce qui implique de prendre en considération la santé des


individus, l’accès aux soins, les vaccinations… ;

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-l’accès à l’éducation (scolarisation, accès à l’enseignement supérieur…) ;

-le niveau de vie réel par habitant en parité de pouvoir d’achat.

D’autres indicateurs ont fait par la suite leur apparition. A titre d’exemples :

- indicateur de la participation des femmes aux activités économiques et politiques,

- indice de santé sociale,

-indice de pauvreté humaine …

Section 4 : L’évolution de la croissance : le cas du Maroc

Cette évolution se caractérise par une croissance volatile, modérée, peu créatrice de postes
d’emploi et mal répartie. Entre 2000 et 2008, selon le HCP, le taux de la croissance est en
moyenne de l’ordre de 4,8%. Entre 2009 et 2019, il est de l’ordre de 3,7%. Le tableau (HCP)
qui suit retrace l’évolution récente du taux du PIB :

Année 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019
Taux de 5,2 3 4,7 2,6 4,5 1,1 4,1 2,1 2,9
croissance

Les raisons qui expliquent cette évolution erratique sont complexes. Parmi ces raisons nous
citons :

-la croissance est « extravertie », c’est-à-dire tirée par les exportations. Elle repose sur
l’attractivité des investissements directs à l’étranger (IDE) émanant des firmes multinationales,
notamment dans les métiers mondiaux du Maroc (Automobile, Aéronautique, Textile&Cuir,
Offshoring, Transformation des produits de la mer, Electronique, Agroalimentaire), et ce depuis
2005 avec le lancement du Plan Emergence, suivi du Plan National d’Emergence Industrielle
2009-2015 et ensuite du Plan d’Accélération Industrielle 2014-2020.

Or, la valeur ajoutée générée par les filiales de ces firmes est en grande partie faible car l’activité
de ces filiales concerne, à titre principal, des segments de la production peu capitalistiques (qui
n’utilisent pas ou peu de machines, robots…) dont les activités demandent par conséquent une
main d’œuvre peu ou pas qualifiée et donc bon marché.

En outre, d’une part, ces filiales n’ont pas ou très peu de relations avec les PME à capitaux
marocains (exemple : sur les vingt cinq fournisseurs de premier rang de Renault-Tanger, seules
trois sont des entités à capitaux marocains) et en conséquence les activités de ces filiales, qui
importent de nombreux entrants de l’extérieur, n’impactent pas positivement les autres
industries moyennant des relations intersectorielles dynamiques, génératrices de gains de
productivité et d’innovation et, d’autre part, étant donné l’étroitesse du marché marocain et de
la rareté d’une main qualifiée, ces filiales n’investissent pas ou très peu dans la R&D.

12
- au niveau macroéconomique, la part des dépenses de R&D dans le PIB avoisine, selon
plusieurs sources, 0,8%. Dans ce cadre, la part de l’Etat frôle 70%, alors que celui des
entreprises est un peu moins de 30%.

Ainsi, à part quelques grands groupes marocains (OCP, IAM, Managem…), le secteur productif
marocain accorde peu d’intérêt à l’innovation. Les données chiffrées publiées par l’Office
Marocain de la Propriété Intellectuelle et Commerciale sont à cet égard éloquentes (voir
tableau). Non seulement le nombre de dépôts de brevet est faible mais il est aussi erratique.
Quant aux entreprises à capitaux marocains, leur participation n’est pas brillante.

Année 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018


Total 196 315 353 224 237 182 126
Dont les 26 26 36 14 21 - -
entreprises
à capitaux
marocains

De manière générale, il existe peu d’interactions entre les entreprises, ces dernières et les
universités et autres centres de recherche pour activer les leviers de l’innovation. Cette dernière
exige des interactions soutenues et durables entre les entreprises, y compris concurrentes
(stratégie de coopération technique), et les universités pour promouvoir l’innovation et ouvrir
de nouveaux champs d’exploration.

Compte tenu de ces faiblesses, il serait difficile de réaliser une montée de gamme via la
production de biens économiques à fort contenu en termes de valeur ajoutée. C’est, par
exemple, ce qui ressort d’une étude menée par Jaidi L. et Msadifa Y. (La complexité de la
remontée de la chaîne de valeur mondiale dans les industries automobile et aéronautique : cas
du Maroc et de la Tunisie, OCP Policy Center, 2017).

En guise de conclusion

-La croissance économique est une hausse durable du PIB, elle ne se confond pas avec
l’expansion qui se traduit par une augmentation du PIB mais pour une période courte. En tant
que phénomène de nature quantitative, la croissance économique fait l’objet de diverses
mesures.

-La croissance économique mesure la richesse créée par les résidents d’un pays durant une
année. Elle se compose de deux parties. L’une est relative au PIB marchand (ensemble des
biens et services vendus sur le marché). L’autre est relative au PIB non marchand (ensemble
des services fournis par l’Etat). La croissance économique est ainsi mesurée par un indicateur
clef : le taux de croissance du PIB. Ce taux nominal est déflaté pour passer au taux réel. D’autres
mesures sont disponibles : taux du PIB/population totale….

-Les facteurs de la croissance sont nombreux : les ressources naturelles et énergétiques, le


travail, le capital, le progrès technique, la démographie… Sur un plan théorique, le modèle de
la croissance de Solow met le doigt sur les facteurs travail et capital, mais indique aussi
l’existence d’un autre « facteur résiduel », le progrès technique, exogène au modèle. Plus tard,

13
la théorie de la croissance endogène s’attache à rendre explicite la contribution du progrès
technique ou de l’innovation dans la dynamique de la croissance. Du coup, l’innovation est
considérée comme un facteur endogène de la croissance. Le rôle clef de ce facteur est à mettre
à l’actif de deux principaux acteurs. D’un côté, l’Etat qui investit dans l’éducation et la
formation, déploie des mécanismes incitatifs et accorde des subventions pour soutenir
l’innovation. D’un côté, les entreprises investissent dans la R&D, créent une dynamique qui se
traduit par un accroissement du stock des connaissances scientifiques et techniques, ce stock
est ouvert, chaque entreprise peut l’exploiter et l’enrichir. En conséquence, ces efforts se
traduisent par le lancement sur le marché de nouveaux biens économiques, exigent des effets
d’apprentissage pour hausser la productivité, pour élargir le cercle des consommateurs, et
contribuent donc à la création de la richesse.

-La conception traditionnelle du PIB fait l’objet de nombreuses critiques. Les limites de cette
conception sont : 1- elle ne prend pas en considération l’ensemble des activités non marchandes
(travaux domestiques…), 2- elle fait l’impasse sur le travail en noir, 3- elle ne dit rien sur les
solidarités (entraide…), 4- elle ignore les externalités négatives (pollution…), etc. En
conséquence, de nouveaux indicateurs voient le jour, ce sont les Indicateurs de Développement
Humain.

- Au Maroc, l’évolution du taux de croissance est volatile, modérée. Entre 2009 et 2019 il est
de l’ordre de 3,7%. Cette évolution erratique et relativement faible s’explique pour plusieurs
raisons. En substance, cette croissance est « extravertie », tirée par les exportations via les
l’attractivité des IDE dans les secteurs mondiaux du Maroc. Or, force est de constater que les
activités des filiales des FMN installées au Maroc génèrent souvent une faible valeur ajoutée.
Dans ce contexte, les relations de ces filiales avec des PME à capitaux marocains sont limitées
et les efforts pour dynamiser la R&D sont faibles.

14
Chapitre 2 : La problématique du développement

La question du développement a fait couler beaucoup d’encore sans qu’il ait un consensus parmi
les économistes spécialistes en la matière. Les avis sont donc divergents. Néanmoins, on peut
grosso modo repérer deux points de vue. Le premier a une vision ethnocentrique : les pays dits
sous-développés ont intérêt à suivre tel quel le cheminement des pays développés pour sortir de
la trappe de la pauvreté, du « mal développement », etc. Dans cette perspective, il existe un best
of way, une voie unique et universelle pour rattraper les USA, les pays européens… Les travaux
de Rostow s’inscrivent dans cette perspective.

Le second insiste plutôt sur des trajectoires nationales de développement différentes les unes
des autres. Il n’y a donc pas une voie unique ou une « recette magique » et universelle pour
rejoindre le peloton des pays dit développés. Il importe ainsi de comprendre pourquoi des pays
comme la Corée du Sud, la Chine ou encore Singapour s’en sortent beaucoup mieux que le
Mali, Costa Rica, le Bangladesh, etc. Dans ce cadre, les enjeux sont multiples et ne concernent
pas uniquement les facteurs technico-économiques. Entrent ainsi en ligne de compte : l’histoire,
les facteurs institutionnels, la culture, les mentalités, etc. Les travaux de Perroux,
Hirshman, Myrdal …., sont représentatifs du second point de vue.

Section 1 : La genèse de l’économie du développement

L’intérêt porté à la problématique du développement a émergé après la seconde guerre


mondiale. Elle s’est posé dans un contexte historique marqué par la « guerre froide » qui mettait
face à face les USA et l’ex URSS, mais également par le mouvement des Pays Non Alignés et
ce suite à la conférence de Bandong en 1955 ainsi qu’une vague de décolonisations qui
redessine les cartes du commerce international.

L’économie du développement qui est une branche de l’Economie Politique prend ainsi son
envol avec comme objectif d’analyser et d’expliquer les spécificités des pays sous- développés
par rapport aux autres, de proposer des modalités pour sortir de la trappe du sous-
développement.

Dans ce cadre, les pays sous-développés rencontrent des difficultés spécifiques qui n’ont pas
leur équivalent chez les autres pays. Il importe par conséquent de leur donner une attention
toute particulière :

-ces pays étaient souvent colonisés,

- certains rencontraient des difficultés liées à l’instabilité politique (coups d’Etat, guerre
civile….),

- des pans entiers de la population étaient confrontés à la famine, au chômage, etc.,

-ces pays n’ont pas connu de Révolution industrielle,

-etc.

15
De ce point de vue, l’économie du développement offre une pluralité d’explications, allant de
celle qui s’inscrit dans le moule libéral, à celle qui prône la déconnexion, c’est-à-dire sortir du
système économique capitaliste, en passant par celle qui privilégie des solutions graduelles ou
une série de réformes adaptées au contexte de tel ou tel pays.

Section 2 : Les indicateurs du sous-développement

Malgré leur diversité, les pays sous-développés ont quelques traits ou des indicateurs communs.
Ces derniers sont nombreux :

-les indicateurs économiques : généralement les PIB par habitant est faible, les pays concernés
sont endettés, leurs activités économiques tournent autour de l’agriculture vivrière, de
l’exportation du gaz, du bois…et quelques activités industrielles ayant une faible valeur ajoutée.
Parmi ces pays, certains développent une économie de rente (pétrole, gaz…) peu favorable à
l’esprit d’entreprendre et la prise de risque. De même on y observe un manque d’infrastructures,
un fort pourcentage d’inactifs, un marché en noir important …

-les indicateurs de santé et d’éducation : souvent ces pays enregistrent un taux de natalité
important couplé à un taux de mortalité élevé. L’espérance de vie y est faible, la malnutrition
est importante… Dans une même veine, dans ces pays l’accès à l’école n’est pas généralisé,
surtout pour les filles, le travail des enfants court les rues, l’accès à l’eau et à l’électricité (surtout
dans les campagnes) est inexistant… La recherche scientifique et technique n’est pas valorisée,
et bon nombre de cadres (ingénieurs, chercheurs …) quittent leur pays pour regagner les USA,
la G-B….. (la fuite des cerveaux)

-les indicateurs institutionnels : dans les pays rentiers l’Etat ne gère pas la manne pétrolière ou
gazière pour réduire les inégalités, lancer des réformes institutionnelles pour mieux articuler les
structures économiques. Les décideurs sont corrompus, ou incompétents… Le droit n’est pas
respecté, ce qui conduit à la défiance…Il existe de nombreuses inégalités (économique, de
genre, territoriale….) que les pouvoirs publics n’arrivent pas à résorber ou du moins à atténuer
leurs effets. Autre indice : les femmes sont souvent exclues de la responsabilité dans le domaine
politique, mais aussi économique, culturel…

-les indicateurs culturels : dans ces pays souvent le poids de la tradition est fort. La stabilité est
préférée au changement permanent induit par le progrès technique. Les comportements sont
plus régis par les valeurs de la tradition. La prise de risque et la gestion de l’incertitude ont peu
de prise sur les mentalités, ce qui réduit la capacité des agents économiques à imaginer et à
mettre en place des mécanismes pour réduire l’incertitude (règles juridiques, dispositifs et
normes, standard, contrôle, évaluation, etc.), et à anticiper.

Bref, ces indicateurs montrent que le développement est multidimensionnel, il inclut et


conjugue des facteurs économiques, institutionnels, culturels…

16
Section 3 : La pluralité des explications

Les travaux de W.W. Rostow sont représentatifs de l’approche théorique qui prône une voie
universelle d’évolution pour se développer ou, pour le dire autrement, le sous- développement
est un retard du développement. Son ouvrage, The Stages of Economic Growth publié en 1958,
retient des étapes qu’il estime indispensables, notamment celle du décollage, que les pays sous-
développés doivent suivre et respecter à la lettre pour rejoindre le club des pays développés :

-la société traditionnelle,

-les conditions préalables du décollage,

-le décollage (take off),

-le progrès vers la maturité,

-l’avènement de la société de consommation de masse (à l’américaine).

Cette approche insiste sur la phase du décollage puisque elle permet l’accroissement de
l’épargne (qui atteste de la hausse des revenus et de la satisfaction des besoins fondamentaux
de la population) et de l’investissement (qui atteste de la présence d’entrepreneurs dynamiques
qui innovent), et donc autorise à lever les obstacles qui caractérisent le sous-développement.

Cette approche a au fond comme référent absolu l’économie américaine. Elle repose donc sur
une analyse qui réduit l’histoire des sociétés à un schéma linéaire, répétitif qui nie toute
spécificité des sociétés non américaines ou occidentales, qui ne prend en considération que des
facteurs économiques et, de surcroît, balaye d’un revers de main d’autres alternatives, d’autres
voies de développement propres à tel ou tel pays.

Une autre approche dont les fers de lance sont Perroux, Hirshman, Lewis, Prebisch…, se
démarque par le rejet des hypothèses de l’école néo-classique (agent économique qui ne cherche
que son propre intérêt, rationnel, abstrait….) en focalisant l’attention sur les spécificités des
sociétés qui ont eu accès à l’indépendance après la seconde guerre mondiale, en tenant compte
de la pluralité des trajectoires nationales : pays de l’Amérique Latine et Centrale, des Caraïbes,
d’Asie, d’Afrique …tout en accordant aux acteurs et aux institutions, notamment l’Etat, un rôle
clef dans la dynamique du développement.

Cette grille de lecture met ainsi le doigt sur la différence entre les pays développés et les autres.
Alors que les premiers sont de vieux Etats Nations, les autres sont en voie de constitution. Dans
les premiers, l’Etat providence est actif (surtout durant les « Trente glorieuses ») : il réduit les
inégalités, protège contre certains risques (maladie, chômage, retraite …), etc. Or, ce n’est pas
forcément le cas dans les pays sous- développement où le chômage, les activités informelles,
etc. sont légion.

Dans le cadre du commerce international, l’idée selon laquelle tous les pays sont gagnants n’est
pas fondée. Le marché mondial contribue à concentrer la richesse et la puissance et non à
diffuser le progrès par le biais d’une répartition plus équitable des gains de l’échange. Cette

17
situation particulière des pays sous-développés trouve principalement son origine en deux
directions : la dépendance et le dualisme.

Le dualisme signifie que l’économie de ces pays se caractérise par une dichotomie ou une
séparation entre un secteur traditionnel et un secteur moderne. Le premier est essentiellement
rural, il préexiste à la colonisation. Le second est plutôt le produit de la pénétration étrangère et
est étroitement lié au marché mondial.

Ce dualisme se traduit donc par l’inarticulation entre ces deux secteurs, ce qui engendre un
manque d’intégration de l’économie nationale, une juxtaposition de structures économiques
différentes, peu reliées les unes aux autres. Les effets de propagation ou d’entraînement qui
structurent les relations intersectorielles est donc faible. Il est le produit de la domination que
subissent les pays dépendants.

La dépendance veut dire que les pays sous-développés sont sous la coupe des pays développés.
Les relations économiques internationales sont asymétriques ou inégalitaires, donnent lieu à
des inégalités en termes de gain, et donc à une dégradation des termes d’échange pour les pays
sous-développés qui, pour l’essentiel, sont exportateurs de produits primaires (agricoles,
matières premières, gaz, pétrole…) et importateurs de produits manufacturés et de biens de
production (machines…), conséquences du sous-emploi et des faibles taux de salaire. De par
leur position, les pays développés armés de multinationales qui cherchent à maximiser leur
profit influencent ou imposent les prix et les conditions de l’échange, loin de l’univers de la
concurrence pure et parfaite.

Dans cette perspective, nous n’avons pas affaire à des agents économiques abstraits, ayant des
capacités équivalentes (hypothèse de l’atomicité dans le corpus néo-classique), mais plutôt à
des acteurs différents, dotés de ressources inégalitaires et des moyens d’action différenciés.

Sur ce point, Perroux introduit la notion d’unités économiques pour se démarquer de l’homo
economicus. Il s’agit d’entreprises, de groupes d’entreprises, de nations…qui tiennent un rôle
important, mais ces acteurs sont inégaux en dimension et en puissance.

Cela suscite des conflits, mais également des négociations, des discussions, de la coopération,
des compromis temporaires, ce qui ne correspond pas au jeu des forces anonymes de l’offre et
de la demande postulé par le courant néo-classique.

Bref, il existe des rapports de force entre le « centre » (les pays développés) et la « périphérie »
(les pays sous-développés).

Néanmoins, au sein de ce second courant, existent des différences analytiques quant aux
modalités d’action et au positionnement des pays sous-développés par rapport au commerce
international.

Sans trop entrer ici dans les détails, indiquons que pour, par exemple, S. Amin les pays sous-
développés ont intérêt à se déconnecter du commerce international et donc à opter pour un

18
développement autocentré, axé sur les potentialités internes du pays et la mise en place d’un
système économique non capitaliste. La thèse de l’antagonisme entre centre et périphérie
suggère que cette dernière est dans l’impossibilité de bâtir une économie de type capitaliste car
son insertion dans les rouages des échanges mondiaux constitue un blocage ou un frein à cause
de la dégradation des gains à l’échange.

Pour Baran et Sweezy, l’obstacle réside fondamentalement dans l’utilisation du surplus


économique potentiel. Celui-ci est absorbé par les classes dominantes des pays sous-développés
et drainé au profit des pays développés. Par conséquent, la solution consiste à lancer des
réformes agraires, à se protéger du marché international et à promouvoir un Etat entrepreneur,
mais aussi planificateur

Quant à Perroux, il fait observer que le choix dit rationnel des agents économiques suppose une
couverture des coûts de l’homme. La satisfaction entre termes de santé, d’éducation, de
nourriture… est un préalable pour faire des choix, lancer des projets, tirer profit des
opportunités, etc.

Le tournant libéral des années 1980 a en quelque sorte éclipsé les travaux de l’économie du
développement. Le Consensus de Washington semble s’imposer : moins d’Etat, plus de marché.
Dans ce cadre, les politiques d’ajustement structurel deviennent la clef de voûte pour renouer
avec la croissance et s’insérer dans les rouages de la mondialisation. Les grandes institutions
financières (FMI, Banque mondiale..) ont en font leur cheval de bataille.

Néanmoins, les trajectoires de certains pays qualifiés d’émergents (Chine et Inde en premier
chef) viennent remettre en cause le cœur de ce Consensus : Etat et Marché ne sont pas
antinomiques. Loin d’être un acteur secondaire, l’Etat joue un rôle clef dans la dynamique de
l’émergence. Il met en place un cadre économique, institutionnel, territorial…. approprié et
appuyé par des réformes ciblées, graduelles ainsi que des mécanismes d’incitation pour
promouvoir l’esprit d’entreprendre, la prise de risque ..., et impose un minimum de
protectionnisme. Autrement dit, le marché ne peut pas fonctionner sans environnement
institutionnel favorable pour remodeler les structures économiques, créer une dynamique
intersectorielle, activer les leviers de l’innovation ...

Au juste, d’un côté les limites du tournant néolibéral des années 1980 (instabilité financière,
croissance molle et erratique, chômage, aggravation des inégalités, pollution…) a interpellé
cette sous discipline de l’Economie Politique (que l’on pense aux travaux de J. Stiglitz, D.
Rodrick, A. Sen….) et, d’un autre côté, l’émergence des BRIC a donné lieu à des travaux qui à
leur tour renouent avec la tradition de l’économie du développement (P. Salama, P. Hugon, A.
Adelman, A. Piveteau …).

Indiquons au passage que les BRIC ne forment pas un bloc homogène. Ces pays n’ont pas la
même histoire, diffèrent sur les plans démographique et de dotation en ressources naturelles,
leur mode d’insertion (spécialisation) dans la mondialisation est loin d’être identique (la Russie
joue la carte des exportations de gaz, le Brésil celle des produits agroalimentaires, l’Inde opte
pour les services, la Chine mise sur les produits manufacturés ….), et leur part dans le
commerce international est contrastée : si la part de la Chine est importante, ce n’est pas

19
forcément le cas des autres pays émergents. En outre, ces derniers ne sont pas à l’abri de
retournements de conjoncture, de crise… comme c’est le cas, par exemple, du Brésil qui depuis
2014 rencontre plusieurs difficultés.

Ces économistes contribuent ainsi à donner une seconde jeunesse à cette tradition. A titre
d’exemple, Sen prolonge les travaux de Perroux : lorsque les droits réels (accès à l’éducation,
à la santé…) sont respectés, les individus peuvent déployer leur capabilité, leur capacité à faire
des projets, à s’associer, à trouver des solutions, à prendre des décisions ….

De manière générale, pour cette génération d’économistes l’économie de développement peut


être défini comme un processus endogène et cumulatif de long terme de progrès de la
productivité et de réduction des inégalités, permettant à un nombre croissant de la population
de passer d’une situation de précarité, de vulnérabilité et d’insécurité à une situation de plus
grande maîtrise de l’incertitude et des instabilités, de satisfaction des besoins fondamentaux
d’une large partie de la population, d’expression des capacités grâce à l’acquisition des droits,
à la mise en place d’organisations et d’institutions et les modes de régulation, de gestion de
conflits, permettant de piloter des systèmes complexes, évolutifs, et de préserver le choix des
générations futures. Il existe ainsi parmi ces économistes un consensus sur certains principes :

-marché, organisations, institutions et Etat sont les principaux acteurs. Le choix « le tout Etat »
comme celui « le tout Marché » conduit à l’échec. L’exemple de la Chine est à cet égard
frappant : c’est l’Etat qui est l’instituteur du marché puisque il établit les bases institutionnelles
en termes de propriété, de contrat, de monnaie, d’autorité du marché, et favorise l’apprentissage
par les agents de la logique marchande ;

-les investissements en capital humain et la couverture des coûts de l’homme sont indissociables
du développement : leur vertu consiste à réduire de manière significative les inégalités ;

-la planification indicative et la participation de nouveaux acteurs sont des réducteurs


d’incertitude. L’introduction de réformes et la création de nouvelles institutions se font suivant
la séquence essai-erreur : on expérimente le nouveau à petite échelle, on en tire des
enseignements, on rectifie le tir, puis on le généralise graduellement de telle sorte que chaque
étape prépare ou conditionne la suivante : bref comme le note Adelman « la seule constance
dans le développement est un changement dynamique systémique » ;

-un protectionnisme minimum est nécessaire compte tenu des asymétries internationales, des
chocs extérieurs, des retournements de conjoncture ; des vulnérabilités internes (le processus
d’apprentissage est long, fragilité des nouvelles activités économiques …) ;

-il faut prendre au sérieux la question du développement durable.

Section 4 : Les stratégies

Les stratégies pour sortir du sous-développement sont nombreuses et ont donné lieu à des
résultats contrastés. Dans ce qui suit, nous aborderons deux exemples : la Corée du Sud et la

20
Chine (voir document annexe). Le cas de la Corée du Sud mérite d’être présenté car il montre
bien que les facteurs du développement sont composites, et donc ne peuvent pas être réduits à
des considérations purement économiques. Dépourvu de ressources naturelles et énergétiques,
ce pays est parvenu à réduire considérablement les inégalités, à réformer son agriculture, à
ensuite recomposer ses structures économiques, notamment industrielles, en amont comme en
aval, à accorder au capital humain (éducation) une attention particulière …. , bref à hisser le
pays au premier plan, à le placer parmi les grandes nations actives en matière d’innovation, à
disposer de FMN innovantes à résonnance mondiale (LG, Samsung….). Ceci étant, l’histoire
et la localisation géographique de la Corée du Sud sont à prendre en considération pour éviter
des explications hâtives, axées sur « le miracle coréen ». Au lendemain de l’indépendance de
ce pays (1949), la « guerre froide » fait rage, les pouvoirs publics coréens sont sous le
« parapluie » américain, et donc cherchent à se démarquer de leurs voisins (Corée du Nord,
Chine Populaire, ex URSS). Sous un régime autoritaire, ce pays bénéficie des acquis de
l’occupation japonise, notamment en matière industrielle, de la présence de paysans actifs qui
pratiquent une agriculture intensive, mais aussi de groupes d’affaires dynamiques (les Chaebol)
ayant une longue tradition marchande qui ne vise pas uniquement le marché domestique, mais
également extérieur, sans oublier l’aide financière des USA et l’accès plutôt avantageux, à
l’époque, au crédit.

Sur le plan industriel, durant les années 1960 ce pays dispose de groupes coréens et de PME
contrôlées par des capitaux domestiques qui vont s’orienter dans un premier temps vers une
stratégie de « substitution d’exportations », fiancée en partie par l’épargne interne. La main
d’œuvre est disponible, elle est imprégnée par la culture confucéenne (respect de la hiérarchie
sociale, recherche de la dignité, etc. ), docile, qui travaille sans protection sociale (mais en 1987,
des conflits de travail et politiques changent la donne : amélioration des conditions de travail,
démocratisation de la vie politique…). Ce pays tire ainsi profit des conséquences de la crise des
années 1970, et ce moyennant la réception d’IDE sous forme de délocalisations de certains
segments peu capitalistiques des FMN japonaises, européennes…., dans l’assemblage et le
montage final, des activités liées au textile, à la fabrication de composants…. Mais, le
retournement de la situation des années 1980 apporte son lot de problèmes : hausse des taux
d’intérêt, baisse des exportations, concurrence acharnée… La Corée du Sud s’oriente donc vers
une industrialisation en amont, c’est-à-dire tournée vers les secteurs de sidérurgie, de
métallurgie, de chimie, etc. ; alors qu’il ne dispose nullement, comme le Japon, de ressources
minières (charbon, fer…) ! Parallèlement, l’Etat investit massivement dans l’éducation et les
entreprises donnent de l’importance au marché domestique tout en activant les leviers de la
R&D. De fait, ces entreprises parviennent à réaliser une montée de gamme (avec des produits
qui incorporent plus de valeur ajoutée), à élargir le spectre des activités industrielles
(électronique grand public, produits électroménagers, automobiles…) et participent au
développement des TIC.

En guise de conclusion

21
-Les travaux qui se rattachent à l’économie de développement ont émergé au lendemain de la
seconde guerre mondiale, et ce dans un contexte marqué par la « guerre froide », l’apparition
du mouvement des Pays Non Alignés ainsi qu’un processus qui va déboucher sur
l’indépendance de nombreux pays africains, asiatiques…

-Parmi ces travaux, certains insistent sur les différences entre les pays développés et les pays
sous-développés ou en voie de développement (ces derniers ont été colonisés, certains d’entre
eux ont connu une instabilité politique, ont fait face à des pénuries de produits alimentaires…,
et n’ont pas connu la révolution industrielle), d’où l’impératif de tenir compte de leurs
difficultés spécifiques.

-Ces pays partagent certains indicateurs : 1- économiques (PIB par habitant faible, économie
peu diversifiée axée principalement sur l’agriculture, les mines.., esprit d’entreprendre
faible…), 2- de santé et d’éducation (taux de natalité et de mortalité élevés, malnutrition, accès
à l’école limité…, manque d’infrastructures, etc.), 3- institutionnels (l’action de Etat inefficace
sur le plan économique, droit non respecté, présence de nombreuses inégalités…), 4- culturels
(poids de la tradition, faible prise de risque et gestion de l’incertitude….).

-Les explications sont nombreuses, mais on peut les regrouper en deux blocs. Le premier est
représenté par Rostow pour qui le sous-développement est un retard du développement. Son
argumentaire repose sur des étapes, dont celle du « décollage » est cruciale, pour rejoindre les
USA et donc réaliser la dernière étape marquée par une consommation de masse. Cette grille
de lecture renvoie donc à un schéma linéaire, déterminé, qui conduit automatiquement au
développement. Le second se démarque nettement de l’approche de Rostow, met plutôt le doigt
sur la spécificité des pays en développement, et insiste sur deux points : la dépendance qui se
matérialise par des asymétries au niveau du commerce international favorables aux pays
développés, et le dualisme qui se traduit par la présence d’un secteur traditionnel et d’un secteur
moderne sans liens entre eux.

-Les travaux de l’économie de développement vont connaître une sorte de traversée du désert à
cause de l’hégémonie du consensus de Washington. Néanmoins, l’avènement des BRIC change
la donne et montre le rôle central de l’Etat dans le processus de l’émergence. Sous cet éclairage
de nouveaux travaux voient le jour en s’inspirant de ceux de Perroux, Lewis…Ces travaux
conçoivent le développement comme un processus long, endogène et cumulatif qui réduit
fortement les inégalités, permet à une large proportion de la population à sortir de la trappe de
la pauvreté, de jouir d’une liberté réelle pour mener à bien ses projets. Ils insistent sur les points
suivants : 1- marché, organisations, institutions et Etat sont les principaux acteurs du
développement, 2- les investissements en éducation et santé sont de nature à réduire les
inégalités, 3- la planification indicative et la mise en place de réformes économiques
structurelles suivant la séquence essai-erreur et généralisation progressive sont de nature à
engendrer un changement dynamique et systémiques, 4- un minimum de protectionnisme est
nécessaire pour faire face aux asymétries internationales et pour promouvoir le processus
d’apprentissage, 5- prendre en considération la question du développement durable.

-Les stratégies de développement sont nombreuses, et leurs retombées sur le développement


sont contrastées. Le cas de la Corée du Sud montre que l’absence de ressources minières et

22
énergétiques n’est pas un handicap pour aller de l’avant, mettre progressivement en place des
réformes pour transformer les structures économiques en produisant des biens économiques à
haute valeur ajoutée. Ce cas montre aussi l’importance de l’éducation pour renforcer les
capacités en termes d’innovation. Celui de la Chine met au premier plan la mise en place de
réformes économiques et institutionnelles suivant la séquence essai-erreur et leur généralisation
progressive. Il montre aussi l’importance de l’Etat dans cette dynamique ainsi que les efforts
fournis en matière de R&D.

Chapitre 3 : Cycles, fluctuations et crises

23
L’évolution du système économique capitaliste est loin d’être linéaire, « plate », sans
fluctuations, ni cycles et autres crises. Bien au contraire, cette évolution est sujette à de
multiples « secousses », à des retournements de situation, à des hauts et des bas, à des crises
qui jalonnent l’histoire du capitalisme comme celles des années 1930 et de 2008.

La première Révolution industrielle n’est pas étrangère à cette évolution en dents de scie. Elle
marque le début d’une période remarquable en termes de changement technique, d’apparition
et du développement de nouvelles activités industrielles et d’un salariat de plus en plus
nombreux, d’un élargissement des marchés…, mais amplifie également des situations de crise,
de retournements de situation, de tendances cycliques dont Schumpeter a tenté d’en rendre
compte.

Donc, l’histoire du capitalisme est loin d’être linéaire, avec une progression sans heurs majeurs :
l’image de la « destruction créatrice » retenue par Schumpeter suggère que le progrès technique
ou l’innovation donne lieu à des mutations fortes qui déstabilisent les activités économiques les
plus courantes, fait émerger de nouvelles qui s’imposent durant un temps, puis cèdent la place
à d’autres avec son lot de crises, de retournements conjecturels…

Section 1 : La grande rupture : la révolution industrielle

Sans aucun doute, la première Révolution industrielle a joué un rôle majeur dans la
restructuration des activités économiques qui jusqu’au là étaient, pour l’essentiel, l’agriculture
et l’élevage traditionnels, le petit commerce et le commerce au loin (biens de luxe et esclaves),
les activités artisanales (coopérations d’artisans avec un maître artisan et ses apprentis), et la
finance.

Le développement de nouvelles activités de nature industrielle bouleverse la donne, affaiblit


considérablement les coopérations, s’appuie sur les avantages du travail à domicile, puis sur
ceux des manufactures (introduction d’innovations organisationnelles : concentration de la
main d’œuvre, division du travail, spécialisation, …) et ensuite de ceux attachés aux fabriques
(introduction d’un système de machines actionné par une énergie non humaine, ni animale).

Ces bouleversements concernent en premier chef l’Angleterre, berceau de ladite Révolution,


et s’inscrivent dans un contexte historique marqué par le mouvement des enclosures (ou haies
qui fractionnent en propriété privée des parcelles de champs auparavant collectifs, exploités
aussi bien par la noblesse terrienne que par des familles de paysans).

Ce mouvement force de nombreux paysans à quitter les campagnes, les terres communes (dans
lesquelles ils pouvaient faire des cultures vivrières, un peu d’élevage, exploiter les forêts,
chasser,….), pour s’installer dans les grandes villes anglaises, et ce dès le 13ème siècle. C’est
l’Eglise qui, dans un premier temps, se charge de les nourrir et de leur donner asile. Mais cette
situation ne dure pas longtemps sous le poids d’une insécurité croissante (vagabondage, vols,
agressions, rixes, alcoolisme…) due à la poursuite de ce mouvement durant les siècles 15OO-
1800, et donc à l’arrivée de nouveaux paysans sans ressources (mais ce mouvement a aussi
donné lieu à des conflits, des révoltes….). Les conséquences de ce mouvement sont multiples.

24
D’une part, les seigneurs les plus riches se transforment en fermiers capitalistes qui emploient
des salariés agricoles. Ces fermiers se spécialisent dans l’élevage ovin, et donc ne produisent
pas des denrées alimentaires mais de la laine, dont la demande ne cesse d’augmenter, aussi bien
sur le marché anglais que le marché international.

D’autre part, étant donné une insécurité de plus en plus galopante, les pouvoirs politiques
mettent en place une législation ou « Lois sur les pauvres » qui oblige ces derniers à travailler
dans les « maisons de travail forcé », afin de les adapter au contexte de l’époque, changer leur
comportement et leur mentalité pour devenir des salariés aptes à travailler dans les
manufactures, chaque jour ou presque, souvent dans des conditions difficiles, loin du travail
saisonnier agricole et des solidarités paysannes.

Ainsi, la Législation des Tudors (1500-1834), par exemple, fait la chasse aux vagabonds,
mendiants, pauvres…., et stipule que ces derniers sont assujettis à des sanctions lourdes :
marquage au fer rouge, déportation dans les nouvelles colonies, placement dans des maisons de
redressement, prison avec travail forcé…

Les lois sur les pauvres, allant de 1572-1601, ajoutent une autre couche : désormais, les pauvres
sont intégrés dans le putting out system, ou le travail à domicile : il s’agit de familles de paysans
éparpillées sur le territoire, pour qui effectuer un travail artisanal constitue un complément de
revenu. Ici, le marchand-capitaliste met à leur disposition les matières nécessaires, forme même
des réseaux d’ateliers pour contourner le travail artisanal propre aux coopérations d’artisans.
C’est une forme de relations de sous-traitance, au sein de laquelle il maitrise l’accès au marché.

Parallèlement, l’essor des manufacturières dans le textile apporte son lot de changements :
regroupement de la main d’œuvre, spécialisation, contrôle et surveillance... Le machinisme est
à deux doigts de faire son apparition, avec la Révolution industrielle en arrière plan. Mais avant
d’aborder ce point, il est utile de revenir rapidement sur d’autres faits historiques qui ont
également joué un rôle pour que la « mayonnaise monte », prenne corps et devienne possible.

-la Renaissance qui défend l’utilisation de la raison, de l’esprit critique, du dialogue


contradictoire….

-les avancées dans le domaine scientifique et technique (astrologie, médecine, chimie…),

-le prêt avec intérêt est toléré quand la transaction est fort risquée : le risque est grand dans le
cas des marchés au loin (or, épices, soie…) : piraterie, caprices des océans, naufrage,
accidents…L’ouverture est faite pour que l’intérêt ne soit plus condamné,

- la Réforme (religieuse, notamment dans les pays du nord de l’Europe et ensuite aux USA….),
laquelle fait l’éloge de la besogne ou du travail (professionnel), de l’épargne, de
l’accumulation… et condamne l’oisiveté, l’assistance, la paresse…., ce qui n’est pas sans
incidence sur le changement des mentalités,

-la constitution de quelques Etats-Nations (Hollande et Angleterre), de grandes cités


marchandes (Londres, Amsterdam, Anvers), des banques centrales affiliées à ces pays,

25
l’utilisation de la monnaie dans les coins le plus reculés…. et un essor démographique bien
perceptible en Angleterre,

-la découverte du nouveau monde, laquelle offre de nouvelles opportunités pour chercher de
nouveaux débouchés, conquérir de nouveaux espaces…

En ce qui concerne la première Révolution industrielle, elle est, sur le plan technologique, le
fruit de nombreuses innovations qui se succèdent, se diffusent pour donner au processus de
production une dimension industrielle totalement différente du travail à domicile et de la
manufacture. Cette diffusion a rencontré néanmoins des résistances de la part des ouvriers-
artisans (le mouvement des luddistes qui fait la guerre aux machines, mais sans succès…) ; elle
concerne d’abord un secteur, celui du textile.

En 1733, J. Key invente la navette volante qui révolutionne le métier à tisser et, petit à petit,
s’impose au cours des années 1750-1760 : l’utilisation de cette navette conduit ainsi à une
hausse du volume de la production et à l’élimination des tisserands traditionnels. En 1765, J.
Hargreaves invente la spinning jenny, petite machine simple (en bois et peu coûteuse) qui
permet de multiplier considérablement la quantité de fil produite par unité.

Un pas supplémentaire est effectué par R. Arkwright en 1768, celui-ci invente une machine
actionnée par l’énergie hydraulique. Plus tard, en 1780 S. Crompton invente la mule-jenny,
machine robuste, peu coûteuse, qui produit un fil fin et plus solide. Le passage à l’utilisation
d’une autre énergie et la conception de machines en fer s’opère entre 1780 et 1825. En 1785 E.
Cartwright met au point un métier mécanique actionné par une machine à vapeur (inventée par
T. Newcomen en 1712, améliorée par J. Watt en 1769 et utilisée dans les mines…). En 1801,
J. Monteith fait de même via l’implantation d’une fabrique à vapeur avec deux cents métiers à
tisser.

Dans ces conditions, la machine à vapeur jusqu’au là utilisée dans les pompes à eau, pour
extraire l’eau des mines, faire monter l’eau potable…, investit d’autres domaines, comme celui
de faire tourner une roue en bois ou en métal dans les métiers à tisser.

La mue est donc lancée, elle concerne l’utilisation de dispositifs de machines actionnés par
l’énergie à vapeur de plus en plus complexes, des machines-outils de plus en plus spécialisées
(tisser, forger, forer, braser, découper, meuler, mouler, tracer…), employées dans diverses
activités : tissage, imprimerie, teinture, transport, fabrication d’armes…, avec souvent l’emploi
d’une main d’œuvre composée principalement de femmes et d’enfants, et donc bon marché.

Dans cette perspective, la machine à vapeur investit un autre domaine, celui des transports avec
la création du chemin de fer, vers 1830 et le recours de plus en plus massif au charbon.

De même l’invention de l’acier, qui remplace le fer, la fonte et le bois, ouvre de nouvelles
perspectives pour fabriquer des machines plus robustes, mais également de nouveaux biens
économiques, et contribue aussi à la fabrication de rails, de locomotives… ensuite de ponts, etc.

En1874, Cort et Purtnell mettent au point un procédé chimique pour transformer le fer en acier.
Ceux de Bessemer 1856) et de Siemens-Martin (1868) aboutissent à des résultats meilleurs : un

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acier plus homogène, épuré, qui ne nécessite pas de finissage, de bonne qualité et donc
facilement employable non seulement pour fabriquer des machines, mais aussi de nouvelles
marchandises. Cet acier joue ainsi un rôle clef dans le principe d’interchangeabilité des pièces
qui est au cœur de l’extension de l’industrie américaine.

Ainsi, se dessine une seconde Révolution industrielle dont les principales innovations sont :
l’acier, le moteur à explosion, l’électricité, etc., avec d’autres sources énergétiques : gaz,
pétrole, et plus tard énergie nucléaire. Cette seconde Révolution industrielle prend également
appui sur l’introduction du taylorisme, de la chaîne de montage… afin de produire de nouveaux
biens (voitures, avions, machines à coudre, tracteurs, produits en conserve…) à grande échelle,
donnant ainsi lieu à la production et la consommation de masse.

Durant toute cette longue période, des industriels prennent en main l’extension de nouvelles
activités qui gravitent autour du textile, testent, introduisent et améliorent l’usage de systèmes
de machines actionnés par de nouvelles sources énergétiques.

Néanmoins, ces mutations ne sont pas à l’abri de crises, de retournements de situation…Les


incessants chamboulements des activités économiques via l’introduction de nouvelles
innovations font des gagnants et des perdants, alternent des situations de dynamisme,
d’euphorie et de stagnation, de crise.

Aux USA, par exemple, la récession de 1873 a eu un fort impact sur de nombreuses activités
économiques. Cette crise conduit à la concentration financière et industrielle et donc à
l’apparition de grandes entreprises dans le tabac, les chemins de fer, l’acier, le pétrole…., et
donc à l’élimination de nombreuses PME. Ce pays profite aussi des vagues d’immigration de
personnes venant de l’Europe Centrale et Oriental, personnes n’ayant aucune expérience dans
le domaine industriel. Elles seront au cœur des usines américaines qui introduisent certains
principes du taylorisme et du fordisme pour lancer de nouvelles activités industrielles porteuses
de nouveaux biens.

Section 2 : Cycles, fluctuations et crises

L’activité économique ne s’inscrit pas dans un sentier régulier, stable, sans oscillations.
Quelques exemples suffisent pour l’illustrer. La production et la consommation du gaz
domestique (chauffage) connaissent un pic durant l’hiver, puis baissent. La production et la
consommation de maillots, de parasols, de certaines crèmes….bondissent durant l’été, puis
régressent le reste de l’année. Dans les pays où le salaire est mensuel, on observe durant les 15
premiers jours du mois une augmentation de la consommation, ensuite cette dernière chute

27
pendant la deuxième quinzaine du mois. Durant la période de fêtes, la production et la
consommation de gâteux, de chocolat, de miel….bondissent, ensuite déclinent.

Les fluctuations sont ainsi au cœur des activités économiques, lesquelles ne sont pas à l’abri de
crises, de tensions militaires, d’aléas climatiques, de crises sanitaires…. Dans ce cadre,
l’évolution du système économique capitaliste est sujette à des fluctuations, à des
retournements, exogènes ou endogènes, dont les effets sont nombreux. Dans le premier cas, les
aléas climatiques (sécheresse, inondations), les guerres (localisées ou plus vastes), les
pandémies … jouent un rôle de premier plan, et de par leur ampleur ils peuvent conduire à des
situations de crise, prolongées parfois de périodes de récession.

Dans le second cas, c’est le comportement des agents économiques et les mouvements
erratiques, en termes de prix, de certains marchés qui jouent à ce niveau un rôle majeur. Par
exemple, le prix de certains produits agricoles (café, soja, cacao, blé….) ou énergétiques
(pétrole, gaz…) jouent le yoyo, et donc affectent l’activité économique. L’impact peut être
d’ordre sectoriel, n’affectant que de peu le reste de l’économie. Mais il peut avoir des effets
d’entraînement sur les autres secteurs. Le comportement des agents économiques est aussi à
prendre en considération. Il est au centre des crises financières (spéculation) qui jalonnent
l’histoire du capitalisme, comme c’est le cas de la crise de 2008.

Au-delà de ces fluctuations, les économistes se sont attachés à mettre en lumière des
changements d’ordre cyclique, une discontinuité qui alterne une phase de prospérité et une
phase de crise. Un cycle est généralement une période, plus ou moins longue, qui se caractérise
par une succession de phases de hausse de la production ou de l’activité économique, et de
phases de baisse de ces activités. Un cycle comporte ainsi une phase d’expansion économique,
une phase de crise et de dépression, ensuite une phase de reprise, et ainsi de suite.

On distingue entre plusieurs types de cycle : celui de Kondratieff se déroule sur presque un
demi-siècle, et d’autres, de durée moins longue : celui identifié par Juglar (10 ans) et celui
observé par Kitchen (40 mois).

Schumpeter utilise dans Bisness Cycles, édité en 1939, l’analyse cyclique pour mettre en
lumière l’évolution non linéaire du système économique capitaliste. Il identifie une phase de
reprise dont le moteur est à mettre à l’actif d’entrepreneurs-innovateurs pionniers qui lancent
sur le marché de nouveaux biens économiques issus d’une « grappe » d’innovations radicales
(voir tableau) tout en utilisant de nouvelles méthodes de production (OST par exemple). Ces
entrepreneurs accèdent sans difficulté au crédit, investissent, embauchent de la main d’œuvre,
distribuent des revenus, agrandissent le volume de la production…., et donc dopent la
croissance. Cette dernière est ainsi soutenue par l’émergence et le développement d’industries
motrices qui impactent positivement les autres activités économiques : l’essor de la métallurgie,
par exemple, a des incidences sur la production des voitures, des avions, des frigidaires, des
tracteurs, des trains…..

A cette phase, succède une autre marquée par la dépression avec saturation du marché, absence
d’entrepreneurs innovateurs, faillites en cascade, recul de la production, hausse du chômage,
raréfaction du crédit, baisse du volume de la production…, et donc chute du PIB. Ce sont les

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derniers entrepreneurs suiveurs qui subissent le plus cette dépression étant donné qu’ils ont mal
anticipé l’évolution cyclique du système économique.

Tableau : Vagues longues « Kondratieff »

Phase A Phase B Innovations


1770-1789 Révolution industrielle
Machine à vapeur
1789-1816
1816-1848 Chemin de fer
1848-1873
1873-1895 Electricité, chimie, métallurgie
de l’acier, moteur à explosion,
taylorisme
1895-1929
1929-1945 Biens de consommation
durables, audiovisuel,
nucléaire….
1945-1973
1973-1990 NTIC

La crise est ainsi un retournement brutal de la conjoncture économique qui met fin à la phase
d’expansion, elle ouvre par conséquent la voie à une période de dépression caractérisée par une
chute du PIB, le recul de la production, l’explosion du chômage… Elle peut être d’origine
financière, comme c’est le cas de celle de 2008.

Au début du présent siècle, suite à la crise des « valeurs technologiques » (1999-2002) et à la


faillite d’Enron en 2001, la politique de la Réserve fédérale américaine (Banque centrale
américaine) consiste à redonner confiance aux investisseurs qui opèrent dans les marchés
financiers en facilitant, moyennant des taux d’intérêt bas, l’accès au crédit pour relancer la
croissance et donner un nouveau souffle au climat des affaires. Le secteur qui bénéficie le plus
de liquidité est celui de l’immobilier. Epaulée par le gouvernement américain de l’époque, la
Réserve fédérale américaine incite ainsi les ménages à revenu modeste à accéder à la propriété
immobilière (maison, appartement…) en ouvrant à volonté le robinet du crédit. De nombreux
acteurs profitent de cet accès facile au crédit : l’Etat, les ménages, les entreprises ainsi que les
institutions bancaires et financières. De fait, les banques s’engouffrent dans la brèche, offrent
à plus de 6 millions de ménages l’opportunité de devenir propriétaires. L’engouement pour les
crédits immobiliers dope véritablement la bourse, en lui octroyant de fait une tendance
haussière, privilégiant ainsi le cours terme au long terme. Tant que le marché immobilier est,
jour après jour, orienté à la hausse, l’endettement se poursuit. Les agences de notation sont aussi
de la partie. Elles accordent, par exemple, à la banque d’affaires Lehman Brothers une
excellente note (AAA), alors que presque 8 mois plus tard ladite banque fera faillite !

Entre-temps, le génie financier invente la titrisation : on transforme les créances en titres vendus
sur les places financières et on forme à cet égard des packages composés de titres « propres »
et de titres « toxiques (douteux liés à l’immobilier) » afin de diluer et de fractionner les risques.

29
Dès 2005, l’alerte est néanmoins donnée. Les informations concernant la solvabilité des
ménages sont souvent erronées : on a surestimé leur capacité à rembourser leur dette. Aussi,
dans bon nombre de cas la dette des ménages dépasse-t-elle largement leur revenu disponible.
Dans cette perspective, le défaut de paiement passe de 11% à plus de 20%. Le doute s’installe,
la confiance prend un coup, la panique n’est pas loin. Les acteurs veulent se débarrasser des
titres « toxiques », mais ne trouvent point d’acheteurs !

La tendance haussière se retourne brusquement en septembre 2008 : les titres s’effondrent, c’est
le krach. La crise financière accouche d’une crise de liquidité bancaire. De peur d’être
contaminées, les banques ne se font plus crédit entre elles. La défiance se généralise. Les actifs
des banques se dévalorisent, ce qui donne lieu à une crise de solvabilité. Le secteur immobilier
et des institutions financières et bancaires sont directement touchés : faillite, licenciement…,
mais de manière générale les décideurs économiques des autres secteurs anticipent la récession,
gèlent ou annulent les investissements, réduisent leur capacité de production, licencient… La
crise n’épargne pas d’autres pays comme l’Espagne, l’Italie…. In fini, l’Etat sauve les meubles !

Un mot sur la crise sanitaire en cours. Elle voit le jour en Chine, puis se propage à grande
vitesse. Les transports aérien et maritime sont fortement réduits. Les chaînes de valeur
mondiales sont perturbées. Le confinement est à l’ordre du jour…., ce qui affecte les activités
économiques dans de nombreux pays. Moult secteurs sont amplement touchés : tourisme,
hôtellerie, restauration, petit commerce, cinéma, théâtre, aéronautique, automobile…. Le
chômage s’envole, etc.

Selon certaines estimations, le taux de croissance de la Chine avoisinerait, en 2020, 1,8%


(contre plus de 5% pour les années précédentes), aux USA, il serait de -3,5%, pour certains
pays européens, il frôlerait -8%. Un peu partout, les autorités mettent en place des politiques de
relance pour « limiter la casse », soutenir tant que possible les activités économiques, etc.

Section 3 : Les explications de la crise

Marx est l’un des premiers économistes qui a avancé une explication de la crise du capitalisme,
ou plutôt examine sa possibilité. Critiquant la Loi de Say (la monnaie est neutre, l’offre
rencontre la demande….), il suggère que la séquence Marchandise-Argent-Marchandise n’est
pas automatique, et donc il se peut qu’il ait un décalage entre M-A et A-M. L’Argent ne sert
pas automatiquement à acheter une Marchandise, il peut servir de thésaurisation, ou rembourser
une dette. En outre, les entrepreneurs peuvent mal anticiper l’évolution de la demande,
notamment celle des produits de première nécessité ; la faiblesse des salaires (sous-
consommation ouvrière) crée une situation d’une offre excessive qui débouche sur une crise de
surproduction.

Keynes a également avancé une explication de la crise des années 1930. Il met le doigt sur le
point suivant : l’idée selon laquelle le marché est-autorégulateur est non fondée. Livré à lui-
même, le marché peut déboucher sur une crise financière, comme celle de 1929. Cet économiste
a le mérite d’apporter des éclairages sur le monde de la finance spéculative, et d’y déceler le
comportement des acteurs. Pour Keynes, l’acteur en question est un agent conformiste et

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moutonnier, il imite ce que font les autres : « si l’agent X achète l’action ou le titre boursier Y
c’est qu’il de bonne raison de le faire, j’en fais de même, et un autre m’imite, et ainsi de suite »,
ce qui implique la hausse boursière de Y. Une bulle gonfle, et un jeu spéculaire se met en
marche : « chacun croît que les autres croient que les cours vont continuer de monter ». La bulle
peut éclater, et conduire à une catastrophe, mais en attendant « il vaut mieux avoir tort avec
les autres (continuer à acheter et à vendre Y en réalisant des plus-values), que d’avoir raison
tout seul (vendre au plus vite et une fois pour toute). Lorsque la crise éclate, c’est la panique….
Keynes en tire trois enseignements majeurs :

- le chômage est involontaire ;

- le rôle de l’Etat est central ;

- il faut réguler la sphère financière.

Pour M. Friedman, représentant de l’école néo-classique, la spéculation financière est


stabilisante, et en dépit de crises passagères le système économique tend vers l’équilibre. Pour
cette école, le marché s’autorégule, et donc l’intervention de l’Etat ne peut être que néfaste. Le
marché est dans ce cadre jugé efficient et les acteurs sont capables de faire des anticipations
rationnelles, de faire l’arbitrage entre rentabilité et risque, de détenir les informations
nécessaires et fiables pour aller dans cette direction…. S’il y a crise, elle ne peut être
qu’exogène (crise sanitaire, tension militaire, …), ou le produit de l’intervention de l’Etat qui
fausse le jeu libre du marché. A ce titre, suite à la crise de 2008, les représentants de cette école
ont endossé la responsabilité à la Réserve fédérale américaine (Fed) et non aux spéculateurs. P.
Salin, autre représentant de cette école, écrit à ce propos : « La cause essentielle de cette crise
provient de l’extraordinaire variabilité de la politique monétaire américaine au cours des années
récentes. Or, celle-ci est bien évidemment décidée par les autorités publiques et non déterminée
par le marché (…) La Fed a introduit une extraordinaire instabilité des taux d’intérêt qui est à
l’origine des difficultés du présent (liées à la crise)… ».

En guise de conclusion

-La dynamique du système économique capitaliste est non linéaire, elle est marquée par des
fluctuations, des cycles et des crises. L’évolution de ce système alterne donc des phases de
création de la richesse, de prospérité, et des phases de retournements conjoncturels, de crise
prolongée de période de récession.

-Dans cette perspective, la Révolution industrielle joue un rôle clef car elle est à l’origine de
transformations structurelles de l’économie, dont les effets sont porteurs d’une grande
dynamique industrielle portée par de nombreuses innovations technologiques, mais également
par des cycles et des crises. Cette révolution s’inscrit dans une dynamique historique plus large
dans laquelle de nombreux facteurs vont se conjuguer pour rendre cette Révolution possible :
1- le mouvement des enclosures qui, d’une part, transforme des propriétaires terriens en
fermiers capitalistes et donc l’emploi d’un salariat rural et, d’autre part, l’entassement de
générations de paysans chassés des terres communes dans les villes anglaises, entassement qui
occasionne vagabondage, insécurité…. Dans ce cadre, l’Eglise prend en charge ces paysans,

31
mais la législation change la donne en les obligeant à travailler dans des « maisons de travail
forcé » en vue de changer de comportement et d’habitudes et donc les intégrer dans les
manufactures, 2- la Renaissance qui prône l’utilisation de la raison, de l’esprit critique…,3-
les avancées dans le domaine scientifique et technique, 4-le prêt à intérêt n’est plus interdit, -
la Réforme religieuse qui prône le travail, l’épargne, l’accumulation, et condamne la paresse,
l’assistanat…,5- la constitution d’Etats-Nations, la présence de grandes villes marchandes ayant
un port, la constitution de Banques centrales, l’essor démographique, - 6 la découverte du
nouveau monde et les progrès dans la navigation maritime, 7-l’essor des manufactures et du
travail à domicile qui, petit à petit, affaiblissent les coopérations artisanales.

-Dans ce contexte, la Révolution industrielle va transformer les structures économiques. Elle


est le fruit d’incessantes innovations technologiques localisées dans un premier temps dans le
tissage. Ces innovations vont se traduire par une hausse du volume de la production, une
meilleure qualité des produits. Elles prennent leur envol grâce à l’utilisation de la machine à
vapeur qui actionne de nombreux métiers à tisser, et dans la foulée tire profit des innovations
relatives à l’acier, lesquelles permettent de fabriquer de nouvelles machines, non seulement
dans le tissage, mais aussi dans l’imprimerie, la fabrication d’armes, les chemins de fer, etc., et
plus tard dans la fabrication de tracteurs, de machines à coudre...Mais cet dynamique demeure
sensible à des crises comme celle qui a en 1873 frappé de plein fouet les USA.

-L’évolution de ce système est donc sujette à des fluctuations et des retournements de situation
avec des effets plus ou moins profonds. Elles sont soit exogènes (crise sanitaire, guerre…) soit
endogènes (comportement des agents économiques et mouvements des prix de certaines
matières (pétrole, café…)). Leurs effets peuvent être limités, mais peuvent aussi avoir des effets
d’entraînement qui affectent d’autres activités économiques.

-Cette évolution est aussi sujette à des phases cycliques de durées diverses : de 40 mois à
presque un demi- siècle. A cet égard, Schumpeter propose une analyse cyclique de longue durée
qui alterne une phase de prospérité et une phase de déclin. A ses yeux, ce sont les entrepreneurs
innovateurs pionniers qui déclenchent la première phase. Mais face à la saturation du marché
et à la rareté d’opportunités innovatrices, un cycle de dépression se déclenche mettant ainsi en
difficulté les derniers entrepreneurs suiveurs.

-Elle est également sujette à des crises comme celle de 2008. C’est une crise financière liée au
secteur de l’immobilier et à la titrisation. Le boom de l’immobilier a drainé une hausse de la
valeur boursière immobilière, alors que les ménages qui ont eu accès au crédit ont peu de
ressources pour honorer leur dette. Pour fractionner et diluer le risque, on invente la titrisation.
Or le taux de défaut de paient augmente, et donc apporte son lot de doute. C’est la panique : les
titres « toxiques » sont invendables ! C’est le krach. La crise touche les institutions bancaires,
le secteur immobilier, mais aussi d’autres. Le chômage augmente, la croissance prend un
coup…

-Quant aux explications de la crise, elles sont diverses. Pour Marx, la possibilité de la crise
provient du décalage entre M-A et A-M, l’argent n’a pas uniquement comme but d’acheter des
marchandises, mais aussi, par exemple, de rembourser une dette, ce qui pourrait conduire à des
crises de surproduction. De son côté, Keynes admet que le marché n’est pas autorégulateur et

32
que le monde de la finance conduit à des crises. Fin connaisseur de la bourse, cet économiste
décrit le comportement moutonnier et imitateur du spéculateur et ses conséquences sur
l’éclatement des bulles financières. Enfin, pour la tradition néo-classique, le marché est
autorégulateur, il tend vers l’équilibre et que dans ce contexte la crise ne peut être que la
conséquence de l’intervention néfaste des pouvoirs publics.

Chapitre 4 : Activité, emploi et chômage

La question de l’emploi est de loin la question la plus importante dans beaucoup de pays - aussi
bien du côté des pays du Nord (développés), que de ceux du Sud (en voie de développement….)
car avoir un emploi permet à la main d’œuvre de travailler, permet à chacun de toucher (à la
fin du mois, de la semaine ou du jour) un salaire, de nourrir sa famille, de contribuer à la création
de la richesse, de consommer …, faute de quoi, chômer, surtout pour longtemps, conduit
souvent à des situations plus que dramatiques. L’emploi constitue donc une dimension
importante dans l’intégration sociale.

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Dans moult pays le principe du droit au travail est inscrit dans la Constitution, mais les
retournements conjoncturels, les crises…. ne garantissent pas ce droit, y compris du côté des
pays développés. Dans ces pays, les pouvoirs publics ont tenté depuis des années de mener à
bien des politiques pour relancer la machine économique, créer un cadre incitatif pour
encourager le secteur productif (entreprises privées mais aussi publiques) à embaucher, à
réduire le taux de chômage… avec des fortunes différenciées. Certains s’en sortent mieux que
d’autres ; mais les crises affectent d’une manière ou d’une autre les résultats et on assiste dans
certains cas à un chômage de longue durée. En outre, du côté du secteur productif, les
entreprises privées en particulier, on assiste depuis la fin des années 1980 à une segmentation
du marché du travail : des emplois biens rémunérés, dotés de contrats de travail indéterminés,
tirant profit d’autres avantages (prime individuelle ou collective, voiture de service, etc.)
…contrastent avec des emplois peu ou moins rémunérés, juridiquement instables, à la merci
des retournements conjoncturels…., et donc facilement licenciables. D’un autre côté,
l’internalisation des marchés du travail conduit à des pertes d’emploi dans le Nord, et la création
d’autres postes dans le Sud, mais ce basculement tire les salaires vers le bas, étant donné le
niveau de vie inférieur de ces pays par rapport à celui des USA, ou du Japon, ou de la G-B…
et l’absence totale ou partielle de protections (contre le chômage, les accidents ; sans oublier le
travail des enfants, l’importance du marché au noir…). Il reste que le marché du travail et fort
singulier. Il est loin de correspondre à une simple rencontre entre l’offre et la demande.

Section 1 : Le marché du travail

Le marché du travail ou de l’emploi est un marché particulier. Le travail, pour reprendre les
propos de K. Polanyi (La grande transformation, 1944), est une marchandise fictive : on a
jamais vu un employé ou un salarié (le salariat est dans beaucoup de pays la structure dominante
dans l’emploi, presque 80%, sinon plus) transporter une quelque marchandise dite « travail »
pour la vendre. Ce qu’il vend c’est sa force de travail qui la met à la disposition de son
employeur, c’est une mise en disponibilité des potentialités physiques et intellectuelles du
travailleur, un usage inscrit dans le temps (durée du travail, par exemple) et l’espace (pays
concerné et telle ou telle entreprise) et régi, dans un cadre légal, par un rapport supérieur-
subordonné, mettant face à face une relation d’autorité accordée à l’employeur et une relation
de subordination juridique acceptée par l’employé.

Le salarié a dans ce cadre des obligations contractuelles (accepter et respecter les ordres de son
supérieur hiérarchique, être loyal, divulguer les informations, éviter l’opportunisme (vol, triche,
cacher une information pour son propre compte…), donner le meilleur de lui même…) et des
droits (faire la grève, par exemple). Mais le contrat de travail est par nature incomplet, et à bien
des égards il est différent d’un contrat commercial.

Le contrat de travail est incomplet car on ne peut d’avance, pendant la rédaction de ce contrat,
prévoir à l’avance toutes les éventualités futures, celles, par exemple, qui portent sur le
comportement de l’employé : sa cadence de travail, ses relations avec la hiérarchie, son
assiduité, sa productivité…, ainsi que de celui de son employeur qui pourrait face à des
retournements de situation.

34
Dans ce contexte, le contrat de travail fixe une « zone d’acceptation » dans laquelle employé
et employeur tire chacun un gain, mais différencié suivant les époques historiques. Ainsi, si
durant 1945-1970 bon nombre d’employés avaient des salaires dont la hausse était indexée au
taux annuel d’inflation, depuis les années 1980, dans les pays développés, globalement les
salaires stagnent, et sont en sus très sensibles aux crises et à leurs conséquences. Dans ces
circonstances, avec un chômage galopant, marqué par une segmentation du marché de l’emploi
au niveau national (postes de travail avec contrat à durée indéterminé, hauts salaires…., versus
des contrats à durée déterminée, salaires plus bas….) et une concurrence internationale des
marchés du travail qui tire les salaires vers le bas (Asie, Afrique, Amérique Latine), l’employé
est contraint d’accepter tel ou tel emploi, car une alternative crédible (créer sa propre entreprise,
par exemple) est hors de sa portée.

Etant incomplet, le contrat de travail donne donc lieu à de potentiels conflits, à des
interprétations juridiques des contrats, mais aussi à des mécanismes internes aux entreprises :
ce sont des mécanismes d’incitation oscillant entre « la carotte et le bâton » : prime, promotion,
reconnaissance… versus sanction, mise à pied…, voire licenciement. Les facteurs
institutionnels sont aussi de la partie, cela se traduit par la présence légale d’un salaire de
minimum (ou de subsistance comme disait Smith) dans certains pays.

Au-delà de ce volet, existent de nombreuses différences entre un contrat d’emploi et un contrat


commercial. Sans trop approfondir ce point, soulignons qu’en matière d’obligations un contrat
commercial fait fi ou abstraction des obligations de subordination, de loyauté, de divulgation
des informations….Chaque agent économique est juridiquement indépendant de l’autre, et n’est
pas obligé de divulguer des informations….Par ailleurs, les procédures de gestion des conflits
diffèrent quant à la responsabilité financière de l’un et de l’autre, aux dommages payés
….Enfin, en matière de rupture du contrat les modalités ne sont pas les mêmes.

D’autre part, des travaux relevant de la Sociologie économique (P. Steiner, par exemple)
montrent que le marché du travail n’obéit pas strictement à la loi de l’offre et de la demande.
Des études empiriques (de terrain) menées, par Granvotter par exemple aux USA, suggèrent
que d’autres modalités entrent en jeu. L’anonymat du postulant est prise à défaut, en ce sens
que la famille, les relations personnelles, l’entourage, l’école ou encore les réseaux sociaux
concourent pour relier offre et demande sur le marché de l’emploi (voir tableau).

Tableau : Mode d’obtention de l’emploi

1-Demande personnelle auprès d’une entreprise 30 ,3


2-Par l’intermédiaire d’une annonce 6,2
3-Mise à son compte 4,7
4-Par concours ou examen 3,0
5-Par le biais d’un organisme de classement 13,3
6-Grâce à la famille 6,3
7-Par le biais de relations personnelles 19,5
8-Via l’école ou d’un organisme de formation 4,1
9-Contacté par un employeur 5,7
10-Autre 6,9

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Il ressort grosso modo de ce tableau trois situations :

-la première est la démarche directe ou candidature spontanée ne reposant sur aucun contact
personnel.

-la seconde renvoie à des médiations formelles (annonce, organismes de placement, privés et
publics…).

-la troisième est à mettre à l’actif des contacts personnels (famille, entourage, organisme de
formation….).

Le marché n’est donc pas totalement régi par une relation « automatique », anonyme qui
équilibre l’offre et la demande. Les médiations formelles jouent un rôle dans l’ajustement entre
l’offre et la demande, orientent les candidats…..Et le recours aux relations personnelles n’est
pas marginal, sans oublier l’implication des réseaux sociaux….

Bref, lorsqu’un salarié a un « capital social » (éducation, diplôme, expérience,


connaissances…) bien garni, ses chances pour rebondir sont conséquentes, alors que celui dont
ce capital est limité, ses chances sont moindres.

Enfin, réitérons l’observation selon laquelle nous assistons depuis la fin des années 1980 à une
flexibilité du marché de l’emploi, à un salariat à deux ou plusieurs vitesses. D’un côté, nous
avons un « marché interne » caractérisé par des emplois stables, bien rémunérés…, et un
« marché externe » ou « périphérique » caractérisé par des emplois atypiques, à durée
déterminée (trois mois, par exemple), moins rémunérés regroupant les intérims, le recours au
travail à temps partiel, des empois aidés, temporaires, à mi-temps…

C’est cette deuxième catégorie de salariés qui fait les frais d’un retournement de la situation, ils
sont donc les premiers à se retrouver dans une situation de chômage, mais comme l’écrit R.
Castel (Les métamorphoses de la question sociale, 1995), l’intensité des crises conduit aussi à
« déstabiliser les plus stables » : cadres, ingénieurs….

Quant au marché de l’emploi au Maroc, d’après le HCP, en 2019 l’économie marocaine a crée
165000 postes d’emploi, contre 111000 pour 2018. Les secteurs les plus dynamiques sont –
services ; - BTP ; - industrie et artisanat. Le taux de chômage est passé de 9,5% à 9,2% au
niveau national. Mais il existe des disparités, en ce sens que les femmes ont un taux de chômage
de l’ordre de 13,5%, celui des diplômés avoisine 15,7%, alors que celui des jeunes de 15 à 24
ans est de 24,9%.

Parmi les actifs, à peine 15% ont un diplôme supérieur et 33% un diplôme intermédiaire. Dans
cette perspective, 45% des actifs dans l’industrie&artisanat n’ont pas de diplôme, 59% dans le
BTP et 81% dans l’agriculture&forêt&pêche. D’un autre côté, plus de 55% des actifs n’ont pas
de contrat de travail, presque 25% ont un CDI, 11,8% ont un CDD, et 6,2% ont un contrat
verbal.

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Par ailleurs, une enquête menée par le HCP en 2014 met le doigt sur l’importance du secteur
informel de l’emploi. Cette enquête estime le nombre d’unités informelles à un peu moins de
1700000 avec 2400000 postes d’emploi.

S’agissant de l’impact de la crise sanitaire sur ce marché, il se traduit par une augmentation du
chômage, estimé à 12,7% en 2020 par le HCP. Les plus touchés sont les jeunes (33,4%), les
diplômes (18,2%) et les femmes (15,6%).

Section 2 : Le chômage

Le problème de l’emploi concerne la population active totale. Celle-ci regroupe la population


active occupée ou employée et la population active en âge de travailler - dont généralement
l’âge va de 15 ans à 60-65 ans - à la recherche d’un emploi qui constitue la population de
chômeurs évaluée (souvent) par enquête annuelle. Quant au taux du chômage, il est : nombre
de chômeurs / population active X 100.

Le phénomène du chômage est complexe, multiforme, il prend en effet plusieurs


configurations :

-chômage de longue durée : cela concerne les demandeurs d’emploi de plus de 12 mois,

-chômage technique : ce type de chômage est lié à des circonstances qui conduisent à un arrêt
de la production : difficultés d’approvisionnement, panne majeure, intempéries….,

-chômage conjoncturel : ce genre de chômage est lié à un ralentissement momentané de


l’activité économique,

-chômage structurel : celui-ci est lié aux mutations structurelles qui animent et bouleversent les
économies, il se traduit essentiellement par l’inadéquation des qualifications par rapport aux
exigences des nouvelles activités économiques,

-chômage keynésien : ce type de chômage trouve sa source dans l’insuffisance de la demande


globale, dans ce cas les entreprises réduisent leur potentiel de production, et donc licencient,

-etc.

Il est difficile d’atteindre un équilibre parfait sur le marché du travail suivant un jeu libre de
l’offre et de la demande (hausse et baisse du prix du travail). Plusieurs facteurs l’expliquent :

D’une part, les mutations technologiques rendent désuètes certaines activités économiques ou
du moins les affectent négativement (e-commerce versus commerce traditionnel, par exemple),
ce qui provoque du chômage et exige un délai d’adaptation et de formation du personnel afin
d’acquérir les compétences requises pour trouver un emploi. Le déversement de l’emploi d’un
secteur « vieillissant » ou traditionnel à un secteur de pointe ne se fait donc pas du jour au
lendemain. La création de postes d’emploi dans de nouvelles activités ne compense pas
automatiquement celle de perte de postes de travail.

Dans une perspective historique longue, on observe dans les pays du Nord un déclin de l’emploi
dans l’agriculture (moins de 5% de la population active) ensuite un essor remarquable de
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l’emploi dans l’industrie mais qui au fil du temps décline à son tour, puis ce sont les services
qui prennent le relais en créant le plus de postes d’emploi.

Dans d’autres pays, ce n’est pas le cas : au Maroc, par exemple, selon le HCP la part en 2019
de l’agriculture&forêt&pêche reste importante (32,5% des emplois), celle des services gagne
du terrain (44,9%), alors que celle de l’industrie&PTB est en retrait (22,5%).

D’autre part, des facteurs institutionnels jouent aussi un rôle via la mise en place d’un salaire
minimum légal, ce qui constitue une rigidité rendant ainsi in-opératoire la flexibilité, c’est-à-
dire une baisse des salaires (hors inflation). De même, les syndicats contribuent aussi dans
certains pays dans les négociations collectives par branche ou par entreprises (syndicat-maison)
au niveau des grilles de salaires.

Sur un autre plan, dans le cadre de la mondialisation, les FMN délocalisent une partie de leur
activité, ce qui provoque du chômage, notamment dans les pays du Nord. Cette délocalisation
concerne souvent des industries traditionnelles comme l’automobile (voir tableaux), touche
parfois de plein fouet des régions mono-industrielles ; la reconversion de ces territoires est
coûteuse, longue, nécessite de nombreuses ressources et aides…

Enfin, les retournements de situation, les crises qui se succèdent… apportent leur lot de
licenciements.

Tableau : Exemples de fermetures d’usines de montage aux USA

Constructeur Usine Année


GM Detroit 1987
GM Leed 1988
GM Lakewood 1990
Chrysler Pontiac 1988
Chrysler Saint Louis 1990
Chrysler Framingham 1990

Tableau : Réduction des effectifs chez les équipementiers automobiles français

Année Effectifs, en milliers


1980 143,3
1990 112,9
2000 94,1
2001 94,4
2002 96,3
2003 92,6
2004 91,4
2005 89,5

Section 3 : Les politiques de l’emploi


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Ces politiques visent fondamentalement à améliorer le marché de l’emploi, à résorber ses
déséquilibres en vue d’atteindre le plein emploi. Globalement, ces politiques sont de deux
sortes.

La première est dite passive, elle consiste à apporter une aide sociale (indemnité du chômage,
mais dont les modalités et la durée diffèrent d’un pays à un autre) et à réduire la population
active par le recours à la préretraite. Néanmoins, cette politique a peu d’effet dans des
économies où la protection sociale est faible ou inexistante.

La seconde est dite active, elle consiste à préserver des emplois existants, à promouvoir la
création de nouveaux postes d’emploi, et à adapter la main d’œuvre aux besoins du marché. Ici,
les mesures prises cherchent à modifier le fonctionnement du marché de l’emploi, à l’adapter
par rapport aux mutations technologiques et leurs effets sur la dynamique économique. L’un
des axes le plus développé est l’insertion professionnelle : formation, emplois aidés, stages
payés, et autres subventions accordées au secteur productif pour s’adapter aux changements
technologiques. Un second axe vise à réduire les charges ou cotisations sociales afin d’inciter
les entrepreneurs à embaucher de la main d’oeuvre. Il s’agit donc de mesures fiscales pour
réduire le coût du travail, elles sont susceptibles de relancer l’emploi. Une autre voie consiste
à réduire le temps de travail pour mieux partager l’emploi à l’instar des 35 heures, comme durée
hebdomadaire du travail au lieu de 39 heures (France).

Il n’existe pas de « remède miracle » pour faire face au problème du chômage. En outre, il faut
garder à l’esprit que les politiques de l’emploi sont indissociables des autres politiques
publiques, monétaire et budgétaire. Or durant des décennies la marge de manœuvre de
nombreux Etats au niveau de la politique budgétaire est limitée, privilégiant l’austérité à la
relance par la demande (Keynes).

Par ailleurs, les marchés du travail sont différenciés sur plusieurs plans : territorial,
démographique, législatif, institutionnel, économique….Prenons le cas de celui des USA.
Avant le déclenchement de la crise sanitaire, le taux de chômage était de l’ordre d’un peu plus
de 3% au niveau national (mais avec des disparités entre les Etats fédéraux). La dynamique de
ce marché s’explique pour plusieurs raisons :

- les services y jouent un rôle moteur (outre la finance, le petit commerce, la distribution, le
transport, les plates-formes numériques…),

- l’exploitation du pétrole et du gaz de schiste avec leurs effets d’entrainement,

- la mobilité de la main d’œuvre, laquelle se déplace d’un Etat à un autre pour trouver un job,

- sur le plan des mentalités, l’assistanat est pour de nombreux américains mal vue,

- une politique fiscale favorable à la création d’entreprise et des procédures administratives


simplifiées,

- des entrepreneurs innovateurs dynamiques, épaulés par la contribution du capital-risque,

- l’accès au crédit…

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Néanmoins, si le taux de chômage est faible, de nombreux jobs sont mal rémunérés, précaires
…., et le salaire minimum légal n’est pas généralisé sur l’ensemble du territoire américain.

Les marchés de l’UE sont différents. En Allemagne, le taux de chômage était, avant la Covid-
19, bas. Ce pays est considéré comme la locomotive de l’UE. Sur le plan institutionnel il se
distingue par le rapprochement entre le patronat et les syndicats : on évite les conflits et donc
on cherche le consensus via la négociation. Les syndicats acceptent un gel des salaires, voire
même une diminution, et en contrepartie obtiennent le non licenciement de la main d’œuvre.
Un autre aspect est à mettre à l’actif d’un système d’éducation et de formation continue qui,
géré au niveau régional, permet d’adapter le système scolaire au système productif, de bâtir
des ponts entre les deux. Les activités industrielles demeurent vivaces et contribuent, grâce à
des réseaux de PME dynamiques, à entretenir des postes d’emplois dans des activités
diverses ayant une forte valeur ajoutée et d’en créer : machines-outils, équipements médicaux,
produits pharmaceutiques, chimie de synthèse, automobile, électronique, énergies
renouvelables …

En guise de conclusion

-La question de l’emploi est d’une grande importance, aussi bien dans les pays du Nord que du
Sud. Avoir un emploi, c’est toucher un revenu (salaire), entretenir sa famille, consommer et
participer à la création de la richesse. En revanche, être dans une situation de chômage,
notamment de longue durée, équivaut à être exclu de l’intégration sociale.

-Un peu partout, les pouvoirs publics cherchent à mettre en place des dispositifs pour atteindre
le plein emploi. C’est difficile, mais on observe des périodes historiques dans lesquelles certains
pays s’en approchent, mais, comme on le sait, les retournements des situations et les crises
conduisent à la hausse du chômage, à des faillites….

-A bien des égards, le marché de l’emploi est particulier. Ce que le salarié vend ce sont ses
capacités productives qu’il met potentiellement à la disposition de l’employeur, et ce dans un
cadre légal, un contrat de travail, qui relie l’autorité de l’employeur à la subordination juridique
du salarié. Ce dernier a donc des obligations contractuelles, mais également des droits. Etant
incomplet, ce contrat assure néanmoins à l’un et à l’autre un gain. Et l’employeur mobilise des
mécanismes incitatifs pour cadrer le comportement du salarié.

-D’autre part, ce marché n’est pas exclusivement déterminé par les rouages du marché, offres
et demandes anonymes et spontanées qui tendent vers l’équilibre. D’autres modalités entrent
en jeu : les médiations formelles, les contacts personnels, la famille, l’entourage, les réseaux
sociaux…, autant que canaux qui relient offre et demande. De même, l’existence d’un salaire
légal minimum constitue une rigidité qui contredit le libre jeu du prix du travail.

-Globalement, depuis les années 1980 ce marché est devenu dual, avec un « marché interne »
caractérisé par des emplois bien rémunérés, des CDI ; et un « marché externe » caractérisé par
des emplois moins rémunérés, des CDD, des emplois à temps partiel, temporaires, aidés…, et
c’est ce second marché qui fait les frais lorsque la situation se retourne.

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-Le chômage est un phénomène complexe, qui prend plusieurs configurations : chômage de
longue durée, technique, conjoncturel, structurel… Son ampleur est tributaire en grande partie
des mutations technologiques qui bouleversent les structures économiques et sociales. Le
déversement de l’emploi des activités traditionnelles aux activités de pointe exige des
adaptations qui ne se font pas rapidement.

-Les politiques de l’emploi sont de deux ordres. L’une est dite passive, elle consiste à apporter
une aide sociale aux chômeurs et à recours aux préretraites. L’autre, dite active, consiste à
préserver les emplois existants, à promouvoir la création de nouveaux postes d’emploi et à
modifier le fonctionnement de ce marché. Elle s’appuie sur la formation continue, sur
l’utilisation de leviers fiscaux pour réduire le coût du travail, et sur le partage de l’emploi via
la réduction du temps de travail.

-Les marchés nationaux du travail sont différents sur plusieurs plans : démographique,
législatif, institutionnel, territorial…., comme le montrent les cas des USA et de l’Allemagne,
où avant le déclenchement la crise sanitaire, le taux de chômage y était faible. En ce qui
concerne le Maroc, le taux du chômage est passé, avant le déclenchement de la crise sanitaire,
de 9,5% à 9,2%. Néanmoins, il existe des disparités dans la mesure où les jeunes, les diplômés
et les femmes ont un taux élevé par rapport au niveau national. Les secteurs les plus dynamiques
en termes de postes d’emploi sont par ordre d’importance les services, l’agriculture et
l’industrie. Le marché de l’emploi informel est important, et à peine le quart de ceux et celles
qui travaillent d’une manière légale ont un CDI. Enfin, suite à ladite crise, ce taux est estimé à
12,7%.

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