Serge Gainsbourg

Histoire de
Melody Nelson
1
Melody
Les ailes de la Rolls effleuraient des pylônes
Quand m’étant malgré moi égaré
Nous arrivâmes ma Rolls et moi dans une zone
Dangereuse, un endroit isolé –
Là-bas, sur le capot de cette Silver Ghost de 1910
S’avance en éclaireur la Vénus d’argent du radiateur
Dont les voiles légers volent aux avant-postes
Hautaine, dédaigneuse,
Tandis que hurle le poste de radio
Couvrant le silence du moteur.
Elle fixe l’horizon et l’esprit ailleurs
Semble tout ignorer des trottoirs que j’accoste.
Ruelles, culs-de-sac aux stationnements
Interdits par la loi, le coeur indifférent
Elle tient le mors de mes vingt-six chevaux-vapeurs
Prince des ténèbres, archange maudit,
Amazone modern’ style que le sculpteur,
En anglais, surnomma Spirit of Ecstasy...
Ainsi je déconnais avant que je ne perde
Le contrôle de la Rolls. J’avançais lentement –
Ma voiture dériva et un heurt violent
Me tira soudain de ma rêverie... Merde!
J’aperçus une roue de vélo à l’avant,
Qui continuait de rouler en roue libre.
Et comme une poupée qui perdait l’équilibre
La jupe retroussée sur ses pantalons blancs –
- “Tu t’appelles comment?”
- “Melody.”
- “Melody comment?”
- “Melody Nelson.”
Melody Nelson a des cheveux rouges
Et c’est leur couleur naturelle.
Melody
The wings of the Rolls nearly brush the pylons
When, being led astray in spite of myself,
We arrived, my Rolls and me, in a dangerous zone,
An isolated place –
Out there, on the hood of that Silver Ghost from 1910
Scouts the radiator’s gilded Venus,
Whose light veils soar to the vanguards,
Haughty, scornful,
While the radio station howls,
Blanketing the silence of the engine.
She fixes the horizon, and her spirit, some place else,
Seems altogether ignorant of the pavement I accost.
Sidestreets, culs-de-sac with parking spots
Forbidden by law; her indifferent heart,
It holds the bit for my twenty-six horsepower,
A prince of darkness, accursed archangel,
The modern-Amazon style that the sculptor
Called, in English, “Spirit of Ecstasy”...
And so I was daydreaming until I lost
Control of the Rolls. I was coasting slowly –
My car veered off, and a violent collision
Suddenly pulled me from my revery... Shit!
I saw a bike-wheel up front,
Which continued to spin freely.
And like a doll who lost her balance –
The skirt rolled up above her white panties –
- “What’s your name?”
- “Melody.”
- “Melody what?”
- “Melody Nelson.”
Melody Nelson has red hair,
And it’s her natural color.
2
Ballade de Melody Nelson
Ça, c’est l’histoire
De...
- “Melody Nelson” –
Qu’à part moi-même personne
N’a jamais pris dans ses bras.
Ça vous étonne
Mais c’est comme ça.
Elle avait de l’amour,
Pauvre...
- “Melody Nelson” –
Ouais, elle en avait des tonnes.
Mais ses jours étaient comptés –
Quatorze automnes,
Et quinze étés.
Un petit animal,
Que cette...
- “Melody Nelson” –
Une adorable garçonne
Et si délicieuse enfant
Que je n’ai connue
Qu’un instant.
Oh! Ma Melody
Ma...
- “Melody Nelson” –
Aimable petite conne
Tu étais la condition
Sine qua non
De ma raison.
Ballad of Melody Nelson
This is the story
Of...
- “Melody Nelson” –
Whom, besides myself, no-one
Has ever held in his arms.
This surprises you,
But that’s how it is.
She had love,
Poor...
- “Melody Nelson” –
Yeah, she had tons of it.
But her days were numbered –
Fourteen autumns,
And fifteen summers.
A little animal,
This...
- “Melody Nelson” –
An adorable girl
And a child so delicious
Whom I only knew
But an instant.
Oh! My Melody,
My...
- “Melody Nelson” –
An agreeable little dolt,
You were the condition,
Sine qua non,
Of my reason.
3
Valse de Melody Melody’s Waltz
Le soleil est rare The sun is infrequent
Et le bonheur aussi. And so is happiness.
L’amour s’égare Love goes astray
Au long de la vie. In the course of life.

Le soleil est rare The sun is infrequent

Et le bonheur aussi. And so is happiness.
Mais tout bouge But it all springs to life
Au bras de Melody. In Melody’s arms.

Les murs d’enceinte The impregnable walls

Du labyrinthe Of the labyrinth
S’entrouvent sur Open up onto
L’infini. Infinity.

Le soleil est rare The sun is infrequent

Et le bonheur aussi. And so is happiness.
Mais tout bouge But it all springs to life
Au bras de Melody. In Melody’s arms.

Les murs d’enceinte The impregnable walls

Du labyrinthe Of the labyrinth
S’entrouvent sur Open up onto
L’infini. Infinity.
4
Ah! Melody Ah! Melody
Ah! Melody – Ah! Melody –
Tu m’en auras fait faire des conneries... The stupid shit I’ll have done for you...
Hue, hue et ho – Heave, heave and ho –
A dada sur mon dos... Astride my back...
Oh, Melody – Oh, Melody –
L’amour tu ne sais pas ce que c’est. You don’t know what love is.
Tu me l’as dit You’re the one who told me so,
Mais tout ce que tu dis est-il vrai? But is everything you say the truth?

Ah! Melody – Ah! Melody –

Tu m’en auras fait faire des conneries... The stupid shit I’ll have done for you...
Hue, hue et ho – Heave, heave and ho –
A dada sur mon dos... Astride my back...
Oh, Melody – Oh, Melody –
Si tu m’as menti j’en ferai If you’ve lied to me, I’ll turn this into
Une maladie – A sickness –
Je n’sais pas ce que je ferai. I don’t know what I’ll do.
5
L’Hôtel particulier
Au cinquante-six, -sept, -huit – peu importe –
De la rue X, si vous frappez à la porte,
D’abord un coup, puis trois autres,
On vous laisse entrer seul
Et parfois même accompagné.
Une servante, sans vous dire un mot, vous précède.
Des escaliers, des couloirs sans fin se succèdent,
Décorés de bronzes baroques, d’anges dorés,
D’Aphrodites et de Salomés.
S’il est libre, dites que vous voulez
Le quarante-quatre.
C’est la chambre qu’ils appellent ici
De Cléopâtre,
Dont les colonnes du lit de style rococo
Sont des nègres portant des flambeaux.
Entre ces esclaves nus taillés dans l’ébène
Qui seront les témoins muets de cette scène –
Tandis que là-haut un miroir nous réfléchit –
Lentement j’enlace Melody.
- “Melody... Melody...”
The Private Townhouse
At number 56, -7, -8 – it barely matters –
On rue X, if you knock on the door,
First one knock, then three more,
They let you enter alone
And sometimes even with company.
A servant leads you inside without saying a word.
Staircases, endless corridors follow one another,
Decorated with baroque bronzes, gilded angels,
Aphrodites and Salomés.
If it’s available, say that you want
44.
It’s the room here they call
The Cleopatra,
Whose rococo style bed-posts
Are Negros carrying torches.
Between these nude slaves carved out of ebony
Who will bear silent witness to this scene –
As a mirror overhead reflects us –
Slowly I intertwine with Melody.
- “Melody... Melody...”
6
En Melody
Melody voulut revoir le ciel de Sunderland.
Elle prit le 707 avion cargo de nuit,
Et le pilote d’automatique au commande de l’appareil
Fit une erreur fatale à Melody.
In Melody
Melody wanted to see the Sunderland sky again.
She took the overnight 707 cargo plane,
And the machine-controlled automatic pilot
Made an error fatal for Melody.
7
Cargo culte
Je sais moi des sorciers qui invoquent les jets
Dans la jungle de Nouvelle-Guinée.
Ils scrutent le zénith convoitant les guinées
Que leur rapporterait le pillage du fret.
Sur la mer de corail au passage de cet appareil
Ces créatures non dénuées de raison,
Ces papous, attendent des nuées
L’avarie du Viscount et celle du Comet.
Et comme leur totem n’a jamais pu abattre
A leurs pieds ni Boeing ni même DC-4,
Ils rêvent de hijacks, et d’accidents d’oiseaux.
Ces naufrageurs naïfs armés de sarbacanes
Qui sacrifient ainsi au culte du cargo,
En soufflant vers l’azur et les aéroplanes.
Où es-tu Melody et ton corps disloqué?
Hante-t-il l’archipel que peuplent les sirènes?
Ou bien accrochée au cargo
Dont la sirène d’alarme s’est tue?
Es-tu restée... au hasard des courants?
As-tu déjà touché ces lumineux coraux
Des côtes guinéennes
Où s’agitent en vain ces sorciers indigènes
Qui espèrent encore des avions brisés...?
– N’ayant plus rien à perdre ni Dieu en qui croire
Afin qu’ils me rendent mes amours dérisoires.
Moi, comme eux, j’ai prié les cargos de la nuit.
Et je garde cette espérance d’un désastre aérien
Qui me ramènerait Melody,
Mineure détournée de l’attraction des astres.
- “Tu t’appelles comment?”
- “Melody.”
- “Melody comment?”
- “Melody Nelson.”
Occult Cargo
I know about witch-doctors who invoke jets
In the jungles of New Guinea.
They examine the zenith, lusting after the guineas
That they’d get a hold of, looting the freight.
At the passage of this machine over the coral sea
These creatures not stripped of reason,
These Papuans, await from the clouds
The wreckage of the Viscount and that of the Comet.
And as their totem could never send crashing
To their feet either a Boeing or even a DC-4,
They dream of hijackings, and accidents brought on by birds.
These naive marauders armed with blowguns
Who thus make sacrifices to the cult of the cargo,
Blowing into the azure at airplanes.
Where are you, Melody, and your dislocated body?
Haunting the archipelago populated by sirens?
Or indeed hung-up on the cargo
Whose alarm-siren petered out?
Do you remain... at the mercy of the currents?
Have you already touched those luminous corals
Of the Guinean coasts
Where those indigenous sorcerors flap about in vain
Still hoping for broken planes...?
– Having nothing more to lose nor a God to believe in
So that they might return my ridiculous object of love.
I, like them, have prayed for cargo from the night.
And I hold onto this hope of an aerial disaster
That would wash back to me Melody,
A minor pulled off course by the attraction of the stars.
- “What’s your name?”
- “Melody.”
- “Melody what?”
- “Melody Nelson.”