depuis les tentatives grandioses et ambiguës de l’idéalisme allemand, les
« philosophies de la Nature » n’ont pas spécialement bonne presse et nombreux sont ceux qui estiment que c’est aux scientifiques, et non aux philosophes, de s’occuper de la nature et d’en explorer les arcanes. Ne nousreste-t-il pas à tout le moins, cependant, une interrogation philosophique concernant la nature et ce qu’elle peut signifier pour nous? Il importe, en ce cas, d’indiquer pourquoi et comment ce questionnement mérite d’être mené. É. Weil s’y emploie dans quelques essais importants qui témoignent d’une préoccupation très tôt présente et jamais abandonnée. Car l’enjeu n’est ici pour lui rien de moins que le sens de la réalité, de la réalité entendue comme totalité et telle qu’il nous faut tenter de la penser si nous voulons mettre la cohérence de nos discours en prise et en accord avec le monde dans lequel nous vivons [1][1]Deux textes essentiels sont explicitement consacrés à cette…. 2Ce qui rend difficile tout abord philosophique de la question de la nature est que « nous », modernes, sommes portés à n’attribuer de valeur qu’à ce qu’en appréhende la connaissance scientifique : une objectivité adverse qui nous fait face et qu’il nous importe de réduire à des mécanismes rationnels afin d’en prendre la mesure qui nous permette de les maîtriser, n’est-ce pas là l’essentiel de la nature pour notre entendement opératoire? Et, sans doute, cela n’empêche pas les mêmes modernes que nous sommes de continuer à vivre, à sentir et à rêver, dans une référence plus ou moins explicite à un « milieu lui-même vivant, dans lequel nous vivons, sentons, nous mouvons » [2][2]Philosophie et réalité, p. 350, dont la référence implicite…. Mais ce sentiment d’appartenance à une belle totalité à laquelle nous serions harmonieusement accordés peut-il relever d’autre chose que d’un besoin nostalgique de compensation mythologique? Est-il possible de tenir ensemble, selon une cohérence consciente de soi, ces orientations apparemment contradictoires du savoir objectif et de la vie subjective?