Vous êtes sur la page 1sur 1

Vos mots-clés     Connexion 

Revues Que sais-je ? / Repères Ouvrages Magazines  Mon cairn.info

Accueil
Que sais-je ? / Repères Ouvrage Chapitre
I. La BCE aux commandes de l'euro  Citer ou exporter
Agnès Bénassy-Quéré et Benoît Cœuré
 Dans Économie de l’euro (2014), pages 15 à 28  Ajouter à ma bibliographie

Plan Auteurs Sur un sujet proche  Feuilleter
Article

L 'Union monétaire européenne est un exemple unique d'États partageant un attribut essentiel de
leur souveraineté, la monnaie, tout en en conservant les autres attributs. Pour gérer la monnaie
unique, la Banque centrale européenne (BCE) s'appuie sur les banques centrales nationales des pays
1

participants, telles que la Banque de France. Dans ce premier chapitre, nous décrivons les missions et
l'organisation de la BCE. Le chapitre suivant est consacré à la mise en œuvre de la politique monétaire.

Mandat de la BCE

La BCE a été créée en 1998. Ses statuts, décidés à Maastricht en décembre 1991, sont inscrits dans le 2
traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ou traité de Lisbonne et, dans la suite de ce livre, le
Traité), plus précisément, dans l'article  105 et dans le protocole annexé au Traité portant statuts du
système européen des banques centrales (SEBC). La BCE est responsable de la définition et de la mise
en œuvre de la politique monétaire, de la conduite des opérations de change et d'autres missions
comme la surveillance des systèmes de paiement, la coopération avec les pays candidats à l'adhésion à
l'Union sur les questions monétaires, l'établissement des statistiques monétaires et de balance des Besoin d'aide ?

paiements... Ses missions peuvent évoluer : comme on le verra au chapitre iv, des responsabilités
supplémentaires lui ont été confiées en 2013 en matière de contrôle bancaire.

Le Traité assigne à la BCE la mission principale de maintenir la stabilité des prix à moyen terme dans la 3
zone euro. La « stabilité des prix » est en pratique mesurée par la variation sur douze mois de l'indice
des prix à la consommation harmonisé (IPCH), calculé par l'o fice statistique de l'Union européenne,
Eurostat, à partir d'une définition commune des indices de prix dans chaque pays de la zone. Sans
préjudice de cet objectif principal, la BCE apporte son soutien aux politiques économiques générales de
l'Union européenne de manière à « promouvoir un développement harmonieux et équilibré des activités
économiques dans l'ensemble de la Communauté, une croissance durable et non in lationniste
respectant l'environnement, un haut degré de convergence des performances économiques, un niveau
d'emploi et de protection sociale élevé, le relèvement du niveau et de la qualité de la vie, la cohésion
économique et sociale, et la solidarité entre États membres » (article 2 du Traité). Cette définition des
objectifs soulève d'emblée trois questions importantes.

Quel objectif d'inflation ?


En pratique, la BCE vise à moyen terme une hausse annuelle de l'indice des prix à la consommation de 4
la zone euro inférieure à 2 % par an et proche de cette valeur. Au cours de la crise, la banque centrale a
clarifié que son objectif est symétrique autour de 2 %, c'est-à-dire que l'in lation est tout aussi
préoccupante à 1 % qu'à 3 %.

Un objectif d'in lation précis et crédible permet aux acteurs économiques de prendre leurs décisions en 5
connaissance de cause, mais le chi fre de 2 % est-il le bon ? On connaît les dangers d'une in lation très
élevée : en favorisant une indexation généralisée sur les prix, elle rend l'économie instable et finit par
détruire la confiance dans la monnaie, comme l'Allemagne des années 1920, les Balkans des années 1990
ou le Zimbabwe des années 2000 l'ont illustré. Surtout, l'in lation a fecte le pouvoir d'achat des plus
pauvres qui n'ont pas accès aux techniques financières permettant de s'en protéger.

Mais une in lation trop faible présente aussi des inconvénients. En premier lieu, les indices de prix à la 6
consommation surestiment l'in lation : ils prennent mal en compte le fait que certaines hausses de prix
re lètent une meilleure qualité ou des fonctionnalités améliorées (par exemple pour les voitures ou les
ordinateurs) ; ils n'enregistrent qu'avec retard les modifications des comportements de consommation
(développement du hard discount ou des achats sur Internet) et les substitutions dans le panier de
consommation : si le prix relatif du poulet augmente, les ménages consomment moins de poulet et
davantage de porc et cela apparaîtra à tort comme une hausse de l'in lation si le panier n'est pas ajusté.
La surestimation de l'in lation dite e fet Boskin n'a pas fait l'objet d'études récentes en Europe (Lequiller
[1997] l'estimait à moins de 1 % en France) mais elle n'en signifie pas moins que la banque centrale doit
viser une in lation significativement supérieure à zéro pour éviter la dé lation.

En deuxième lieu, la rigidité des salaires nominaux à la baisse (c'est-à-dire la di ficulté de diminuer la 7
paye des salariés même en période de récession) rend nécessaire un certain niveau d'in lation pour
permettre aux entreprises subissant des di ficultés temporaires de réduire le coût réel du travail sans
baisser les salaires nominaux. Akerlof, Dickens et Perry [1996] recommandent pour cela que l'in lation
soit comprise entre 1,5 et 4 % dans les pays développés. Cette contrainte revêt une importance
particulière dans une union monétaire où les conditions économiques divergent entre pays. En
supposant que l'in lation moyenne soit de 2 %, la hausse des prix doit être significativement supérieure à
2 % dans les pays les plus dynamiques pour donner aux pays en récession l'espace nécessaire pour
s'ajuster, surtout s'ils pèsent significativement dans la moyenne de la zone euro.

Enfin, l'expérience malheureuse du Japon dans les années 1990 et 2000 nous rappelle qu'un taux 8
d'in lation positif permet de contenir le taux d'intérêt réel en période de ralentissement économique. Le
raisonnement est le suivant. Le taux d'intérêt réel, qui mesure le pouvoir d'achat supplémentaire
apporté par un placement financier, est égal à la di férence entre le taux d'intérêt nominal et le taux
d'in lation. Plus il est élevé, plus les ménages et les entreprises hésitent à investir dans l'économie réelle
(voir chapitre ii). Or le taux d'intérêt nominal n'est jamais significativement inférieur à zéro : s'il l'était,
pourquoi ne pas détenir toute sa richesse sous forme de pièces et de billets, dont la valeur faciale est
assurée ? Un taux d'in lation nul ou négatif implique donc, lorsque le taux d'intérêt nominal est proche
de zéro, un taux d'intérêt réel positif qui pèse sur l'activité économique.

Pour toutes ces raisons, le consensus des économistes sur le « bon » niveau d'in lation pour les pays 9
avancés se situe plutôt entre 1-1,5 % et 3-3,5 %. Depuis que la BCE a associé la stabilité des prix à une
in lation « inférieure à 2 % mais proche de 2 % », les autres grandes banques centrales – la Réserve
fédérale américaine (ou Fed), la Banque d'Angleterre et, depuis 2013, la Banque du Japon  – ont convergé
vers le même objectif.

Qu'est-ce que le « moyen terme » ?


Depuis Milton Friedman, les économistes considèrent que la politique monétaire in luence l'économie 10
avec un délai « long et variable » souvent estimé à dix-huit mois. C'est donc l'in lation future, non
l'in lation constatée sur le passé, qui doit amener la banque centrale à réagir. En cas d'écart ponctuel à
l'objectif d'une in lation « inférieure à 2 % mais proche de cette valeur », et dès lors que les anticipations
d'in lation des acteurs économiques demeurent proches de ce chi fre (dans le jargon de la banque
centrale, on dit qu'elles sont ancrées à 2 %), la BCE ne réagit pas de manière agressive mais cherche à
ramener progressivement la hausse des prix vers 2 % à un rythme dépendant de la nature du choc
[Cœuré, 2014]. Il y a là une marge d'appréciation dont la BCE a fait usage à plusieurs reprises, et à
nouveau en 2014 face à une in lation très faible, notamment en période de hausse du prix des matières
premières. Mais cela contribue à réduire la prévisibilité de la politique monétaire européenne ainsi que
son contrôle a posteriori (il est di ficile de dire si la BCE atteint ou non son objectif). En comparaison, la
cible d'in lation de la Banque d'Angleterre est plus précise puisqu'elle est appréciée sur deux années
glissantes. Cela dit, entre janvier 1999 et janvier 2014, l'in lation s'est établie en moyenne à 2,01 % dans la
zone euro (voir graphique 1).

Quelle hiérarchie des objectifs ?


Le Traité prévoit des objectifs secondaires mais les subordonne strictement à l'objectif principal de 11
stabilité des prix, et la BCE n'a pas jugé utile de les formaliser dans la définition de sa stratégie
monétaire. Le mandat de la BCE est donc très di férent de celui de la Fed, qui place sur le même plan
stabilité des prix et plein emploi (on dit que la Fed a un double mandat). Ceci signifie-t-il qu'elle n'est pas
tenue de réagir à un ralentissement de la demande ? Non, car il n'y a pas de con lit entre les objectifs
lorsqu'une économie est dominée par des chocs de demande, comme les variations de la demande
mondiale ou le moral luctuant des consommateurs. Dans ce cas, qui est le plus fréquent, stabiliser
l'in lation équivaut à stabiliser l'activité. Une poussée de la demande fait en e fet monter les prix, tandis
qu'une chute de la demande les fait baisser (voir encadré p.  20). C'est ainsi que la BCE a abaissé son
principal taux d'intérêt de 3,75 % à 0,25 % entre 2008 et 2013 en réponse à la crise financière mondiale
puis à la crise de la zone euro, car celles-ci pesaient simultanément sur l'activité et sur les prix. De
même, un euro plus fort justifie, toutes choses égales par ailleurs, une politique monétaire plus
accommodante (on reviendra sur ce point au chapitre v).

: Graphique 1. Inflation dans la zone euro, 1999-2013 (glissement annuel


de l'indice harmonisé des prix à la consommation, en %)

— Source  : BCE.

Les choses se compliqueraient si l'économie subissait des chocs d'o fre comme une hausse brutale du 12
prix du pétrole ou des gains rapides de productivité. Dans le premier cas, l'activité diminuerait mais les
prix augmenteraient ; l'inverse se produirait dans le second cas, mais les prix évolueraient toujours en
sens contraire de l'activité. La banque centrale serait donc face à un dilemme : stabiliser les prix ou
stabiliser l'activité. Compte tenu de la hiérarchie imposée par le Traité, la BCE choisirait de stabiliser les
prix, relevant, par exemple, le taux d'intérêt en cas de hausse du prix du pétrole, même si celle-ci
pénalise l'activité et l'emploi. Une telle décision suppose néanmoins que le choc ait un impact persistant
sur l'in lation future en poussant à la hausse les salaires nominaux (e fets indirects ou de « second
tour »). Il y a là aussi une marge d'appréciation qui justifie, pour éviter de surréagir à des chocs
transitoires, d'utiliser comme un indicateur supplémentaire l'in lation sous-jacente – taux d'in lation
« nettoyé » des facteurs les plus volatils comme le prix de l'énergie et des produits alimentaires frais
(voir le chapitre ii).

Le lien entre activité et prix

À long terme, il est généralement admis que la monnaie est neutre : la masse monétaire, le niveau
des prix et le taux d'in lation n'ont pas d'impact sur la production (même si l'incertitude sur les prix
peut être défavorable) ; en retour, le niveau de production et la croissance n'ont pas d'impact sur
les prix. Selon les mots de Milton Friedman : « L'in lation est partout et toujours un phénomène
monétaire » (Milton Friedman reconnaissait toutefois que le « court terme » pouvait durer
plusieurs années).
À court terme, l'activité subit des chocs positifs et négatifs touchant l'o fre (les capacités et les
coûts de production) et la demande (la consommation, l'investissement, les exportations). Les prix
ne s'ajustent que progressivement pour rééquilibrer l'o fre et la demande (on parle de rigidités
nominales). L'activité et les prix réagissent dans le même sens à un choc de demande (par exemple,
une baisse de l'activité aux États-Unis freine à la fois les exportations et l'in lation en Europe), mais
ils réagissent en sens contraire à un choc d'o fre (par exemple, une baisse du prix du pétrole ou une
vague d'innovation technologique stimule l'activité tout en abaissant les prix). Tel est
l'enseignement du modèle o fre agrégée-demande agrégée, dit encore modèle de la synthèse
classico-keynésienne.
Dans un diagramme production/prix, on représente l'o fre agrégée à court terme par une courbe
croissante (graphique 2). En e fet, une hausse des prix ne se répercute pas immédiatement sur les
salaires, ce qui améliore les conditions de production des entreprises et les incite temporairement
à produire davantage. Dans ce même repère, on représente la demande agrégée par une courbe
décroissante. La raison en est qu'une hausse de prix réduit la demande en abaissant la richesse
réelle des consommateurs et/ou en incitant la banque centrale à relever les taux d'intérêt. Un choc
positif sur la demande déplace la courbe de demande vers la droite. La production et les prix
augmentent simultanément. La hausse des prix incite les entreprises à produire la nouvelle
quantité demandée. De son côté, un choc positif sur l'o fre entraîne une hausse de l'activité, mais
une baisse de prix. La baisse de prix est la condition pour que la nouvelle quantité o ferte trouve un
débouché.

Graphique 2. Effet sur la production et les prix d'un choc de


demande et d'un choc d'offre

La BCE et les banques centrales nationales de la zone euro ont également un rôle de prêteur en dernier 13
ressort. Cela signifie que, lorsqu'une banque de la zone ne parvient plus à se refinancer (c'est-à-dire à
honorer ses engagements financiers), elle peut emprunter auprès de la BCE ou de sa banque centrale
nationale, qui crée la liquidité nécessaire pour l'occasion. Cela suppose néanmoins que la banque soit
solvable, c'est-à-dire qu'elle ait à terme la capacité de rembourser ces emprunts. Une fois la crise de
liquidité terminée, ces prêts sont remboursés et la liquidité correspondante est détruite.

Les prêts de la banque centrale sont nantis par des collatéraux, actifs financiers dont les banques 14
centrales resteront propriétaires si les prêts ne sont pas remboursés. Dans le cas d'institutions
financières qui ne remplissent plus les conditions nécessaires pour bénéficier des prêts de la BCE (par
exemple, parce que leur collatéral n'est plus adéquat, voir chapitre ii), c'est la banque centrale nationale
qui fournit, à ses propres risques mais sous le contrôle du conseil des gouverneurs de la BCE, une
assistance d'urgence à la liquidité. Ce soutien ne peut en principe être accordé que si la banque est viable
car, dans le cas contraire, elle doit être restructurée ou liquidée.

La fonction de prêteur en dernier ressort est indispensable pour limiter la propagation des crises 15
financières mais elle crée un aléa de moralité, c'est-à-dire de mauvaises incitations pour les banques,
leurs actionnaires et leurs superviseurs : pourquoi limiter la prise de risque si la banque centrale peut
jouer les pompiers ? Pourquoi forcer la banque à se restructurer si la banque centrale peut la maintenir à
lot ? Elle peut également entrer en con lit avec la politique monétaire si, par exemple, les banques
demandent une liquidité abondante dans une période de hausse des prix. Elle appelle donc un contrôle
strict des banques et une identification précoce des risques qui menacent la stabilité du système
financier.

Faut-il pour autant que le contrôle des banques soit assuré par la banque centrale elle-même ? La 16
banque centrale doit être au cœur des dispositifs d'identification des risques systémiques. Toutes les
réformes engagées après la crise, que ce soit aux États-Unis, dans la zone euro, au Royaume-Uni ou
dans les pays émergents, vont dans ce sens. Cependant, elle doit veiller à ne pas subordonner la
politique monétaire à la stabilité financière. C'est pourquoi une séparation est prévue au sein de la BCE
entre politique monétaire et contrôle prudentiel des banques. Nous reviendrons sur ces questions au
chapitre iv.

Responsabilité politique de la BCE

Comme la Fed ou la Banque du Japon, la BCE est indépendante des gouvernements. Les membres de ses 17
organes de décision ne peuvent solliciter ni accepter des instructions des institutions européennes ou
des gouvernements des États membres.

Cette indépendance est justifiée par deux types d'arguments, économiques et politiques [Le Héron et 18
Moutot, 2008]. Depuis un célèbre article de Barro et Gordon [1983], il est souvent admis que, pour
limiter l'in lation chronique, il vaut mieux confier la gestion de la politique monétaire à une institution
indépendante du pouvoir politique. La raison en est qu'un gouvernement soumis au jugement des
urnes sera tenté d'abaisser le taux de chômage en laissant « filer » l'in lation au-delà de ce qu'anticipent
les agents privés – employeurs et salariés. Ces derniers tiendront compte de cette tentation dans leurs
anticipations d'in lation, donc dans leurs comportements de fixation des salaires et des prix.
Indépendamment du comportement e fectif du gouvernement, l'in lation sera alors chroniquement
plus élevée, sans gain en termes d'emploi puisque cette in lation sera intégrée dans les revendications
salariales. Ce « biais in lationniste » se double de la tentation, lorsque la dette publique est importante,
de laisser celle-ci s'éroder par l'in lation, voire de financer directement le déficit de l'État par la création
monétaire, ce qui subordonne la politique monétaire à la politique budgétaire (on parle de dominance
budgétaire, la référence théorique classique sur le sujet étant l'article de Sargent et Wallace [1981] ; voir
aussi Woodford [2001]). L'indépendance de la banque centrale constitue un rempart institutionnel
contre ces deux dérives. L'autre rempart est l'interdiction faite à la BCE de financer les gouvernements
(art. 123 du Traité). De fait, au cours des années 1990, des travaux empiriques ont montré que les pays de
l'OCDE les moins in lationnistes étaient ceux dont les banques centrales étaient les plus indépendantes,
tandis qu'il ne semblait pas y avoir de lien net entre le degré d'indépendance de la banque centrale et les
performances en termes de croissance [Alesina et Summers,  1993].

À cet argument économique s'ajoutent en Europe des raisons politiques et historiques. Traumatisés par 19
l'hyperin lation des années 1920, les Allemands avaient créé après la guerre une institution monétaire
indépendante chargée de veiller à la stabilité des prix, cet objectif étant même inscrit dans leur
Constitution. La Bundesbank est un élément fondamental du système politique allemand de l'après-
guerre ; les Allemands souhaitaient donc calquer la BCE sur ce modèle, qui avait fait ses preuves en
matière de lutte contre l'in lation. Par ailleurs, l'indépendance est le seul système viable en l'absence
d'un centre de décision politique unique.

L'indépendance a toutefois une contrepartie essentielle : un contrôle démocratique à la fois en amont 20


dans la définition des objectifs et en aval dans le contrôle de leur réalisation. Di férents modèles sont
possibles. Aux États-Unis, la Fed dispose d'une grande latitude pour définir ses objectifs et sa stratégie,
mais elle entretient un dialogue étroit avec l'exécutif et avec le Congrès qui peut modifier à tout
moment ses statuts, inscrits dans une simple loi. Ainsi, le président de la Fed rencontre à intervalles
réguliers le secrétaire au Trésor et témoigne deux fois par an devant le Congrès (témoignage
« Humphrey Hawkins »). Dans d'autres pays, l'indépendance de la banque centrale n'est
qu'opérationnelle (« indépendance de moyens »), les objectifs étant fixés par le gouvernement, et la
banque centrale doit rendre compte sous forme de lettre ouverte en cas de dépassement des objectifs.
C'est le cas au Royaume-Uni depuis 1997, l'exemple extrême étant celui de la Nouvelle-Zélande, où le
président de la banque centrale peut être démis de ses fonctions en cas de non-respect des objectifs
fixés par le gouvernement.

Rien de tel n'est prévu dans la zone euro. La BCE a par conséquent établi sa propre définition de la 21
stabilité des prix sans en référer aux autorités politiques de l'Union et sa responsabilité (ou redevabilité,
en anglais, accountability) politique est moins codifiée.

La BCE parle régulièrement aux opinions publiques et aux opérateurs des marchés financiers. Ceci 22
passe principalement par les conférences de presse du président après les décisions monétaires, que la
BCE a été la première grande banque centrale à organiser, par le bulletin mensuel di fusé dans toutes
les langues de l'Union et mis en ligne sur l'Internet, et par les interventions publiques des membres du
conseil des gouverneurs, qui s'expriment fréquemment sur la politique monétaire. Mais les comptes
rendus du conseil des gouverneurs ne sont pas rendus publics, à la di férence des États-Unis, du
Royaume-Uni et du Japon qui publient après quelques semaines un procès-verbal anonyme des débats
et les votes nominatifs des membres du comité de politique monétaire.

Vis-à-vis des institutions politiques, les seules obligations légales de la BCE sont de répondre aux 23
convocations de la commission des a faires monétaires du Parlement européen (rendez-vous trimestriel
dit « dialogue monétaire », dont le procès-verbal est public) et d'accueillir le président de l'Eurogroupe et
le commissaire chargé des A faires monétaires, sans voix consultative, aux réunions du conseil des
gouverneurs. Le Parlement européen n'a cependant pas le pouvoir de sanctionner la BCE en cas de non-
respect de ses objectifs. Il est consulté avant la nomination, par le conseil, du directoire de la BCE (voir
encadré p.  26). Mais son pouvoir est faible, comme l'a montré, en 2013, la nomination d'un membre
contre l'avis du Parlement (lequel souhaitait féminiser le conseil des gouverneurs de la BCE, constitué à
l'époque uniquement d'hommes).

Ainsi, la BCE définit les objectifs dans le cadre de son mandat, mène la politique monétaire et évalue 24
elle-même les résultats ; on a pu aller jusqu'à dire qu'elle est « dans la position exorbitante d'être à la fois
à la fenêtre et de se regarder passer » [Aglietta, 2001]. Seule la Cour européenne de justice est juge, en
dernière instance, de son action. Mais la crise de la zone euro, en mettant la BCE en première ligne, a
renforcé l'exigence de responsabilité de l'institution. Une première étape devrait être la publication de
comptes rendus du conseil des gouverneurs. Il n'y a pas consensus sur l'opportunité de révéler les votes
individuels des gouverneurs : beaucoup considèrent que cela les soumettrait à des pressions politiques
dans leur pays d'origine. On peut répondre à cela que  le  Traité protège leur indépendance et dispose
clairement qu'ils doivent voter dans l'intérêt de la zone euro et qu'ils ne se privent déjà pas de rendre
leurs points de vue publics, au risque d'une certaine cacophonie. Autre évolution importante, le
Parlement européen a exigé et obtenu en 2013 qu'un accord interinstitutionnel avec la BCE précise les
modalités d'une transparence renforcée en matière de contrôle bancaire.

L'organisation du système européen des banques centrales

Des cercles concentriques : le SEBC, l'Eurosystème et la BCE


Située à Francfort-sur-le-Main, en Allemagne, la BCE emploie environ 1 500  personnes (en équivalent 25
temps plein, hors contrôle bancaire) issues des vingt-huit États membres de l'Union européenne. C'est
une filiale commune des vingt-huit banques centrales nationales (BCN) de l'Union européenne, qui ont
constitué son capital et ses réserves de change selon une clé de répartition fondée à parts égales sur la
population et le PIB. Cependant, seules les BCN de la zone euro ont versé l'intégralité de leur
contribution, les dix banques centrales des pays non participants à l'euro n'en ayant versé que 3,75 %
comme participation aux frais de fonctionnement. Au 1er janvier 2014, la quote-part la plus importante
était celle de la Bundesbank (25,7 %) et la plus petite celle de la Banque centrale de Malte (0,09 %).

Le bénéfice dégagé par la BCE, issu de la di férence de rémunération entre son actif et son passif 26
(capitaux propres, réserves des banques, billets), une fois défalqués les coûts de fonctionnement et les
provisions pour risque, est redistribué chaque année aux BCN de la zone euro selon la même clé de
répartition. Ce revenu s'élevait en 2013 à 1 440 millions d'euros. Le revenu lié à l'émission des pièces en
euro est perçu directement par les États.

Un système fédéral
La politique monétaire unique est décidée par le conseil des gouverneurs et mise en œuvre par les 27
banques centrales nationales. L'Eurosystème ressemble ainsi au système de Réserve fédérale aux États-
Unis, où les décisions de politique monétaire sont prises par un comité appelé FOMC (Federal Open
Market Committee) réunissant des présidents de banques centrales régionales (Chicago, Saint-Louis,
Kansas City...) et sept gouverneurs (noter la di férence de terminologie avec l'Europe) nommés par le
président des États-Unis, qui constituent l'équivalent du directoire de la BCE. Mais cette ressemblance
n'est que superficielle. Seuls cinq présidents de Fed régionales votent au FOMC, sur la base d'une
représentation tournante, à l'exception du président de la Fed de New York qui vote toujours. En
Europe, les dix-huit gouverneurs des pays membres de la zone euro sont présents au conseil des
gouverneurs, contre seulement six membres du directoire. Le conseil des gouverneurs est donc
beaucoup plus nombreux que le FOMC (vingt-quatre membres votants contre douze) et plus
décentralisé (les représentants des banques régionales pèsent pour trois quarts des votes contre à peine
plus de 40 % aux États-Unis).

Le conseil des gouverneurs fonctionne selon le principe « une personne, une voix » qui accorde autant 28
de poids au gouverneur de la Banque centrale de Malte qu'à celui de la Bundesbank, même si les poids
économiques de ces pays sont très di férents. Un système de rotation limitant le nombre de
gouverneurs disposant d'un droit de vote entrera en vigueur lorsque la zone euro comptera dix-neuf
membres (voir le communiqué de la BCE du 18 décembre 2008).

Les organes de décision du SEBC

Le système européen de banques centrales (SEBC) réunit les banques centrales nationales des
vingt-huit États membres de l'Union européenne (la Banque d'Angleterre, la Banque de France, la
Bundesbank, la Banque nationale de Bulgarie, etc.) autour de la BCE. L'Eurosystème ne comprend
quant à lui que la BCE et les dix-huit banques centrales nationales de la zone euro (schéma 1).
Le conseil des gouverneurs de la BCE définit la politique monétaire de la zone  euro. Il réunit le
premier et le troisième jeudis de chaque mois les dix-huit gouverneurs des banques centrales
nationales de la zone euro et les six membres  du directoire de la BCE, soit vingt-quatre personnes
en 2014. Les  gouverneurs des BCN sont nommés par les gouvernements nationaux, tandis que les
membres du directoire sont désignés par le Conseil européen pour  des mandats de huit ans non
renouvelables, après consultation du Parlement européen. Les décisions de politique monétaire
sont prises lors de la première réunion mensuelle ou, en cas d'urgence, lors d'une conférence
téléphonique.
Le directoire de la BCE met en œuvre les grandes orientations définies par le conseil des
gouverneurs et gère quotidiennement la BCE. Il comprend le président, le vice-président et quatre
autres membres. Chaque membre du directoire reçoit des attributions spécifiques : études
économiques, relations internationales, opérations monétaires, billets, etc. Les trois premiers
présidents de la BCE ont été le Néerlandais Wim Duisenberg (1998-2003), le Français Jean-Claude
Trichet (2003-2011) et l'Italien Mario Draghi, nommé en  2011.
Le règlement européen de 2013 faisant de la BCE le contrôleur unique de quelque 130  banques de
la zone euro prévoit une gouvernance spécifique à cette activité sous l'autorité d'un comité de
supervision (voir le chapitre iv).
Le conseil général de la BCE, qui réunit le président et le vice-président de la BCE ainsi que les
vingt-huit gouverneurs de l'Union européenne, gère les questions communes à tout le SEBC ainsi
que les relations monétaires entre la zone euro et les autres États membres.
L'Eurosystème est indépendant des pouvoirs politiques : ses dirigeants ne  peuvent recevoir
d'instruction des ministres des Finances européens ni de la  commission ; il lui est interdit de
financer directement les États membres et  leurs institutions publiques (à l'exception de banques
de développement comme la Banque européenne d'investissement), ce qui lui assure le contrôle de 
la monnaie qu'elle émet ; enfin, le budget de la BCE est distinct de celui de  l'UE.

: Schéma 1. Les organes de décision de la politique monétaire

À la di férence des ministres des Finances, qui défendent au Conseil de l'UE les intérêts de leur pays et 29
dont les votes sont pondérés selon la taille des États, les membres du conseil des gouverneurs ne doivent
pas défendre des intérêts nationaux, mais tous embrasser un point de vue fédéral. Le gouverneur de la
Banque de France, par exemple, doit plaider pour une hausse de taux d'intérêt en cas de tensions
in lationnistes dans la zone euro même si l'économie française ne connaît pas ces tensions.

Les gouverneurs « jouent-ils le jeu » de l'intérêt collectif de la zone euro ? Les simulations e fectuées par 30
Bénassy-Quéré et Turkisch [2009] sont rassurantes car elles montrent que, même si les gouverneurs
défendaient l'intérêt de leurs pays, et même dans une zone euro élargie, il est très peu probable que se
formerait une coalition susceptible d'imposer au directoire une décision non conforme aux intérêts de
la zone euro dans son ensemble. En outre, le fonctionnement du conseil des gouverneurs est dominé
par la recherche du consensus pour faire émerger une opinion collective au terme de longues
discussions. L'in luence d'un gouverneur ne dépend donc pas seulement de la taille du pays qu'il
représente mais aussi de la qualité de son argumentation et de sa force de conviction.

Conclusion : La solitude de la BCE

Depuis la mise en place de l'euro, le débat sur la BCE tourne autour de deux questions qui doivent être 31
traitées séparément : les concepteurs du traité de Maastricht ont-ils eu raison de lui donner un objectif
prioritaire, la stabilité des prix ? La BCE devrait-elle être plus transparente et rendre des comptes plus
explicitement aux autorités politiques ?

Pour rendre justice à la BCE, le déficit démocratique qui lui est souvent reproché n'est qu'une des 32
facettes d'un système politique européen inédit et à bien des égards imparfait : la BCE est une
institution fédérale dans une Europe qui ne l'est pas et elle n'a donc pas d'interlocuteur politique
unique. L'Eurogroupe et le Conseil européen ne remplissent pas ce rôle car les États membres ne parlent
pas d'une seule voix et, bien souvent, ne respectent pas le devoir de coordination inscrit dans le Traité
(nous y reviendrons au chapitre iii). La BCE ne rend des comptes qu'au Parlement européen, mais ce
dernier n'a pas de pouvoir de contrôle a posteriori. En cela, le modèle européen est très di férent de la
conception américaine. En outre, il est incohérent de reprocher à la BCE de respecter strictement le
mandat qui lui est confié par le Traité tout en critiquant son manque de responsabilité démocratique.

Livrée à elle-même, la BCE semble hésiter en permanence entre trois conceptions de la responsabilité 33
d'une banque centrale : une conception « allemande » (dans un cadre juridique qui protège son
indépendance mais limite strictement son rôle, la banque centrale tire sa légitimité de la confiance des
citoyens ; elle s'adresse directement à eux, et à eux seuls), une conception « britannique » (la légitimité
provient du respect des objectifs, ce  qui nécessite des objectifs clairs et une politique de transparence,
notamment vis-à-vis des marchés financiers), une conception « française » (la banque centrale s'inscrit
dans un environnement politique et les relations avec les autres institutions sont formalisées).

L'avenir ne passe sans doute pas par le choix d'un modèle contre un autre mais par le renforcement des 34
trois. La crise financière a été l'heure de vérité pour la BCE : en déployant tous les moyens à sa
disposition pour empêcher la dislocation de la zone euro et relancer son économie, la banque centrale a
renforcé sa légitimité, ce qui a encouragé les dirigeants politiques européens à lui attribuer de nouvelles
compétences, comme son rôle de conseil au sein de la troïka ou le contrôle prudentiel des banques.
Peut-être cet épisode dramatique aura-t-il marqué l'âge de la maturité et permis à chacun de dépasser
les appréhensions initiales. Mais il reste à prouver que la BCE peut étendre son champ de compétences
sans sacrifier son indépendance, sans compromettre le respect de ses objectifs et en rendant compte
aux citoyens européens et à leurs représentants.

Mis en ligne sur Cairn.info le 18/06/2014

 Chapitre précédent Chapitre suivant 

 À propos  Aide  Accès via Université Louis Lumière


 Éditeurs  Contact Lyon 2
 Particuliers  Twitter  Authentification hors campus

Avec le soutien du  Bibliothèques  Facebook  Cairn International (English)

© Cairn.info 2020 | Conditions générales d'utilisation | Conditions générales de vente | Politique de confidentialité

Vous aimerez peut-être aussi