2. La reconnaissance par le juge de l'aptitude des personnes privées à gérer un service public....................................................................................................................... p. 12
2. La décision Narcy..............................................................................................................................................................................................................................................p. 15
2. La qualification jurisprudentielle........................................................................................................................................................................................................................ p. 19
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Section 1. Introduction
La notion de service public est, pourrait-on dire, une des « notions phares » du droit administratif en ce
sens que le droit administratif tient largement son importance, l'écho qu'il a pu rencontrer en France et dans
d'autres pays, de cette notion de service public. Sans doute, le droit administratif français ne se réduit pas au
service public, loin de là, mais le service public occupe une place considérable dans ce droit.
Au fond, le service public a été un facteur de légitimation du droit administratif, c'est par le service public
que le droit administratif a dépassé le cercle du juge et des juristes. Le service public a diffusé dans l'opinion
publique, il est devenu un élément du débat public. On pourrait même se demander si le service public n'est
pas devenu un des éléments de ce que l'on appelle « l'identité française ».
Le droit administratif est d'abord le droit de l'action administrative, et le service public est l'un des
procédés de l'action de l'administration. Il en existe d'autres, que l'on examinera dans d'autres chapitres,
mais le procédé du service public est celui qui a connu le développement le plus remarquable, peut-être parce
qu'il correspondait le mieux à « l'esprit français » et à la tendance plus que séculaire à l'interventionnisme
de l'État
Le service public passe par des moments d'engouement et par des phases de désintérêt. Nous sommes
plutôt, aujourd'hui, dans un moment de "désenchantement" à l'égard du service public, du fait de l'évolution
du système économique et social pas seulement national mais mondial, ce qui explique le succès, à l'inverse,
de notions telles que le contrat. Mais le service public demeure dans le système français une notin clé de
l'intervention publique.
La notion de service public n'est pas une notion qui aurait été inventée un jour et dont la définition serait
fixée définitivement. C'est une notion évolutive, ce qui explique que des interrogations accompagnent en
permanence le service public.
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Section 2. Une notion évolutive
Une double évolution a caractérisé l'histoire du service public.
La première de ces évolutions concerne les caractéristiques que l'on attribue au service public. La seconde
évolution est relative à l'aptitude des personnes à prendre en charge un service public.
Le pôle organique, improprement appelé critère organique, est le plus simple à définir, il fait référence aux
institutions, aux structures qui assurent une activité, ainsi que les agents qui animent ces structures. Parler de
services publics, c'est donc parler avant tout des services des personnes publiques qui assurent un certain
nombre de missions.
Les personnes publiques sont d'abord représentées, dans notre pays, par l'État, qui est la personne publique
par excellence. L'État dispose de services centraux, très développés en France et qui présentent une «
visibilité » largement voulue car elle exprime cette présence de l'État (il suffit de penser, par exemple, au
ministère des finances, l'un des plus importants ministères, et l'habitude a été prise de parler de « Bercy » :
Bercy est le lieu, le bâtiment, que l'on ne peut pas ne pas voir, où siège ce ministère). L'État dispose également
de services à l'échelon local. Ce sont des services que l'on a appelés, jusqu'en 1992, « services extérieurs
» (formule significative de la centralisation française : ce qui est extérieur, c'est ce qui est en dehors du cercle où
se prennent les décisions) et qui, depuis cette date, sont appelés plus justement ' services déconcentrés, ces
services déconcentrés pouvant être établis - choix premier et toujours de principe - à l'échelon départemental
(ex. les services de l'architecture) ou à l'échelon régional (ex. les directions régionales de l'action culturelle,
DRAC) ou bien encore aux deux échelons : c'est le cas, par exemple, de services importants tels que les
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services sociaux (directions départementales de l'action sanitaire et sociale (DDASS) et directions régionales
de l'action sanitaire et sociale (DRASS).
Les personnes publiques sont représentées également par les collectivités territoriales avec, principalement
(mais il en existe d'autres) les communes, les départements et les régions. Toutes ces collectivités
disposent de services qui se sont considérablement accrus avec le développement de la décentralisation et
elles ont cherché, elles aussi, à se donner une plus grande visibilité, notamment avec la création d'imposants «
hôtel du département » et « hôtel de la région ». Le transfert de certaines compétences de l'État aux collectivités
territoriales s'est accompagné du transfert d'un certain nombre de services.
Il faut noter que le seul fait qu’une collectivité territoriale intervienne n’implique pas automatiquement la
qualification de service public. Ainsi, dans le cas où une commune avait créé un festival de musique de variétés,
qui avait connu un succès croissant au point de devenir un événement majeur de la politique culturelle et
touristique de la commune et de contribuer à sa renommée, et qu’après avoir géré pendant dix ans ce festival
la commune avait entendu en confier l’organisation et la gestion à un professionnel du spectacle, la question
s’est posée de savoir quelle était la nature de la convention passée par la commune, nature qui dépendait
de la qualification donnée à l’activité. Le juge s’est prononcé finalement en faveur de la nature de service
public, mais non sans avoir hésité (V. le commentaire de J.-M. Pontier, Festival, service public et délégation de
service public, note sous CAA Marseille 17 juin 2010, Commune de Six-Fours-les-plages, JCP A 8 novembre
2010, p. 2335).Toutefois, dans cette affaire de festival le Conseil d'Etat, en cassation, a considéré, de manière
critiquable, qu'il n'y avait pas service public mais marché public de service (CE 23 mai 2011, Commune de Six-
Fours-les-Plages, req. n° 345520; V. sur cette affaire J.-M. Pontier, Réflexions discursives sur une catégorie
juridique spéculative: les services publics culturels, in Les services publics culturels, PUAM 2012 p. 9 et s.,
p. 146 et s.).
Pour faire fonctionner ces services, les personnes publiques disposent d'agents, qui ont souvent le statut
d'agents publics. La plupart de ces agents publics sont des fonctionnaires, et l'on distingue trois fonctions
publiques : la fonction publique de l'État, la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière.
L'ensemble de ces trois fonctions publiques représente plus de 5 millions de personnes, ce qui fait de la France
le pays développé qui, à proportion de sa population, compte le plus de fonctionnaires.
Il faut se souvenir aussi que, tant à l'échelon de l'État qu'à l'échelon des collectivités territoriales, un service
peut ou non être personnalisé, c'est-à-dire recevoir ou non la personnalité juridique. La plupart des
services n'ont pas la personnalité juridique, les décisions qu'ils prennent le sont au nom de la collectivité dont
ils relèvent : un service d'urbanisme, un service des ponts et chaussées, etc., relèvent, selon les cas, de la
commune ou de l'État, un service social relève du département, de la commune ou de l'État. Lorsqu'un service
est personnalisé, c'est-à-dire qu'il est doté de la personnalité morale, on dit qu'il s'agit d'un établissement
public : le Centre communal d'action sociale (CCAS, anciennement appelé Bureau d'aide sociale), un hôpital,
sont des établissements publics. Ces établissements publics peuvent être communaux (cas de l'hôpital, un
musée peut également être un établissement public) départementaux (l'exemple le plus important est celui
des collèges) ou régionaux (le meilleur exemple est celui des lycées).
Un service public est une activité qui est assurée dans un intérêt général. Celui-ci appelle quelques précisions,
car c'est une notion qui peut paraître relativement vague.
• En premier lieu, les personnes publiques, l'État au premier chef, mais également les autres personnes
publiques, sont finalisées, en ce sens qu'elles doivent poursuivre l'intérêt général, qu'elles ne peuvent
que poursuivre l'intérêt général. Le moyen du détournement de pouvoir, dans le contentieux, est destiné
à sanctionner la personne publique qui ne poursuivrait pas l'intérêt général. De plus, il ne peut pas s'agir
de n'importe quel intérêt général : une personne publique est sanctionnée si elle ne poursuit que son
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intérêt financier, alors que cet intérêt financier n'est évidemment pas celui de personnes particulières,
mais de la collectivité.
• En deuxième lieu, la terminologie utilisée peut varier, et il ne faut pas accorder plus d'importance
qu'elles n'en ont à ces variations. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen parlait de «
l'utilité commune » qu'elle opposait à « l'utilité particulière ». L'utilité commune c'est évidemment l'intérêt
général. Dans certains domaines, on parle aujourd'hui de « l'utilité publique ». C'est notamment le cas
lorsque, dans le cadre d'une procédure d'expropriation, intervient (obligatoirement) ce qui est appelé
déclaration d'utilité publique (DUP). L'utilité publique, c'est un intérêt général, mais appliqué à un domaine
spécifique, celui de l'expropriation (que les textes appellent précisément « expropriation pour cause
d'utilité publique »). On parle également d' « intérêt public ». Le recours à la formule « intérêt public
» permet de différencier plusieurs sortes d'intérêts publics. Il y a un intérêt public national et un intérêt
public local. L'intérêt public local est celui qui est poursuivi par la collectivité publique locale (commune,
département, région, etc.). L'intérêt public local est un intérêt général mais on comprend facilement
que puisse et même que doive exister une hiérarchie entre ces intérêts publics : normalement (et sauf
circonstances particulières) l'intérêt public national doit l'emporter sur l'intérêt public local.
• En troisième lieu, on comprendra assez aisément que, lorsque l'on parle d'intérêt général, on ne se trouve
pas uniquement, et peut-être pas d'abord, sur le terrain juridique. Car l'intérêt général est d'abord celui qui
est défini par les gouvernants désignés démocratiquement par la Nation. Les conceptions politiques
peuvent être différentes, il est souhaitable qu'elles le soient, l'unanimité est toujours dangereuse car
fausse ou faussée. Cela signifie que, selon les idéologies, l'intérêt général peut être compris et défini de
manière plus ou moins compréhensive, c'est-à-dire de manière plus ou moins large. En d'autres termes
certaines idéologies sont plus interventionnistes que d'autres, notamment dans le domaine économique.
Il est légitime que, en fonction de leur idéologie, les dirigeants donnent un contenu variable à l'intérêt
général. Cela ne veut pas dire qu'ils peuvent faire n'importe quoi. Les dirigeants doivent respecter certains
principes, et nous l'avons vu précédemment avec, par exemple, les principes fondamentaux reconnus
par les lois de la République. Il faut également tenir compte, à côté de l'idéologie, du facteur temps : ce
qui est d'intérêt général à un moment donné peut ne plus l'être quelques décennies ou un siècle
après. Cela explique que des services publics peuvent disparaître. Le meilleur exemple sans doute est
celui des cultes : les cultes furent un service public (ils furent reconnus comme tels par le concordat de
1801), ils ne le sont plus depuis la loi de séparation des Églises et de l'État du 9 décembre 1905 (ainsi
qu'on le sait, pour des raisons historiques, la séparation n'existe pas sur plusieurs parties du territoire
français et, s'agissant du territoire métropolitain, elle ne s'applique pas dans les deux départements
d'Alsace et dans le département de la Moselle, les ministres du culte des trois cultes reconnus étant,
non de véritables agents publics, mais rémunérés par l'État). On pourrait également citer la disparition
du service public des lavoirs publics (où les femmes allaient laver le linge, ces lavoirs subsistent encore
dans de nombreuses communes)
Il est encore plus facile de comprendre et d'admettre que ce qui n'était pas service public peut le devenir
parce que les dirigeants, mais aussi l'opinion publique, considèrent qu'il doit en être ainsi. Un signe,
parmi d'autres, en est l'augmentation du nombre de ministères : en 1791, on comptait six ministères (le
ministère de l'intérieur, le ministère de la justice, le ministère du trésor, le ministère des relations extérieures, le
ministère de la guerre et, à mettre à part car correspondant à des facteurs historiques, le ministère de la marine),
aujourd'hui on compte, selon les gouvernements, entre quarante et cinquante départements ministériels. Et
certes tous les ministères ne correspondent pas à un service public déterminé, mais il est encore plus vrai
de constater qu'il existe de nombreux services publics qui ne correspondent (évidemment) pas à un ministère
(ex. il existe un service public de l'équarrissage, on imagine mal qu'il puisse donner lieu à un département
ministériel...).
L'intérêt général est donc une notion politique au sens le plus noble du terme, l'organisation de la vie des
hommes vivant dans la Cité (polis), et cela est tout à fait normal. Cependant, il convient de ne pas faire de
confusion entre les considérations purement politiques et les considérations juridiques : ce n'est pas parce que
quelque chose est qualifié de « public » que pour autant il y a intérêt général et service public. Par ailleurs
certains éprouvent aujourd’hui des doutes sur l’existence ou la possibilité d’identifier l’intérêt général, qui a
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parfois tendance à se dissoudre, tout en demeurant une irremplaçable référence (V. J.-M. Pontier, L’intérêt
général existe-t-il encore ?, Rec. Dalloz 8 octobre 1998, p. 327).
L'exemple des entreprises publiques le montre bien. Pour des raisons qui tiennent aussi bien à l'histoire (les
manufactures d'Ancien Régime dont a hérité la République, les entreprises allemandes revenant à la France
en 1918 au titre des réparations) que, surtout, à la politique (avec les trois vagues de nationalisations que
nous avons connues), l'État français a été, et demeure en partie, propriétaire d'entreprises publiques, et les
collectivités territoriales ont pu également l'être dans une moindre mesure (quelques-unes le demeurent avec
des entreprises de production d'électricité et de gaz). Mais il n'y a aucune conjonction obligée entre l'entreprise
publique et le service public. Une entreprise publique peut certes gérer un service public (la SNCF est une
entreprise publique qui gère, en partie, un service public), mais la plupart des entreprises publiques ne
gèrent pas de service public.
Tout ceci est source de confusion. L'entreprise publique est plus une notion économique qu'une notion
juridique, l'expression désigne seulement la propriété par une personne publique, sans que cela entraîne
aucune conséquence obligatoire, toutes les hypothèses étant possibles.
Si, aujourd'hui, le thème du service public a dépassé le cercle du droit pour devenir un thème de société, la
notion de service public est d'abord une notion juridique, une notion inventée et développée par le juge.
De petits événements qui, à l'échelle d'une nation, n'ont guère d'importance, peuvent être à l'origine de grands
mouvements ou de grandes décisions. C'est ce qui s'est produit dans l'affaire Blanco : une fillette, Agnès
Blanco, est renversée par un wagonnet d'une manufacture de tabacs. L'affaire se présente comme une banale
affaire de responsabilité. Mais voilà que devant le tribunal saisi, le préfet décide d'élever le conflit (on verra dans
un autre chapitre que, dans le cadre du conflit positif, le préfet peut saisir le Tribunal des conflits pour faire dire à
ce dernier quel est le juge compétent). Le Tribunal des conflits va rendre une décision (on ne parle pas d'arrêts
pour le Tribunal des conflits, mais de décisions) extrêmement importante pour la suite. L'idée de service public
avait déjà été utilisée auparavant, mais c'est dans la décision Blanco que toutes les conséquences juridiques
en sont tirées.
Dans ce que l'on appelle un « considérant de principe », le Tribunal des conflits déclare : « la responsabilité,
qui peut incomber à l'État pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu'il
emploie dans le service public, ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le code civil
pour les rapports de particulier à particulier ». Il ajoute, ce qui est capital : « cette responsabilité n'est
ni générale ni absolue ; (...) elle a ses règles spéciales qui varient suivant les besoins du service et
la nécessité de concilier les droits de l'État avec les droits privés » (TC 8 févr. 1873, Blanco, Rec. 1er
suppl. p. 61, concl. David).
La formulation du Tribunal des conflits est tout à fait remarquable, et parfaitement claire. Le Tribunal des
conflits écarte la compétence des juridictions judiciaires pour se prononcer sur des litiges relatifs aux
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services publics. Le commissaire du gouvernement David déclarait, dans ses conclusions sur cette décision,
que les tribunaux judiciaires « sont radicalement incompétents pour connaître de toutes les demandes formées
contre l'administration à raison des services publics, quel que soit leur objet ».
L'affirmation de l'incompétence des juridictions judiciaires pour connaître de tout ce qui est relatif aux services
publics a une conséquence très importante : le service public va devenir le critère de la compétence de
la juridiction administrative, autrement dit le service public va devenir le critère de l'application du droit
administratif. Le droit administratif n'est plus seulement le droit applicable aux services publics, ou à certains
services publics, c'est le droit du service public, celui-ci déterminant celui-là.
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Jurisprudence
Une première grande décision est la décision Terrier (CE 6 févr. 1903, Terrier, Rec. p. 94, concl. Romieu). On
pourrait l'appeler, pour s'en souvenir plus facilement, l'affaire de « la chasse aux vipères ». A cette époque, un
conseil général avait décidé d'attribuer une prime pour toute vipère qui serait tuée (aujourd'hui cela ne serait
guère plus possible, ne serait-ce qu'en raison des préoccupations environnementales...). Une personne, le
sieur Terrier, ayant rapporté un certain nombre de vipères qu'il avait tuées, se vit refuser la prime pour un
motif très banal, l'épuisement des crédits qui avaient été prévus à cet effet (le nombre de vipères tuées a
dû être supérieur à ce qu'escomptait le Conseil général...). Mécontent, l'intéressé saisit le Conseil d'État en
faisant valoir qu'il y avait eu violation du contrat conclu, selon lui, entre le département et les chasseurs.
Le Conseil d'État se reconnut compétent pour se prononcer sur ce litige et prit à cette occasion « l'une
des décisions les plus importantes du droit administratif », selon les auteurs des « Grandes décisions de
la jurisprudence administrative ». Les conclusions du commissaire du gouvernement sont particulièrement
éclairantes. Selon Romieu : « Toutes les actions entre les personnes publiques et les tiers ou entre ces
personnes publiques elles-mêmes, et fondées sur l'exécution, l'inexécution ou la mauvaise exécution d'un
service public sont de la compétence administrative ». On peut donc dire que, d'une part, la gestion publique
entraîne la compétence de la juridiction administrative, d'autre part, que cette gestion concerne l'organisation
et le fonctionnement des services publics
Une seconde grande décision de la période est la décision Thérond (CE 4 mars 1910, Thérond, Rec. p.
193, concl. Pichot), on pourrait l'appeler l'affaire des « chiens errants ». En l'espèce une commune, la ville
de Montpellier, avait passé un contrat avec le sieur Thérond pour la mise en fourrière des chiens errants et
l'enlèvement des bêtes mortes (cela laisse supposer, au passage, qu'au début du vingtième siècle, l'hygiène
publique devait faire encore des progrès). Certaines stipulations du contrat n'ayant pas été respectées, le
sieur Thérond forma un recours en résiliation avec demande de dommages intérêts devant le conseil de
préfecture. En appel, devant le Conseil d'État, la question principale posée sur le plan juridique devant le
conseil de préfecture.
Dans l'affaire Terrier, le juge s'était prononcé, mais seulement sur le plan contractuel, il n'avait pas réglé la
question sur le plan de la responsabilité. Le Conseil d'État se reconnaît compétent et déclare : « La ville de
Montpellier a agi en vue de l'hygiène et de la sécurité de la population et a eu, dès lors, pour but d'assurer
un service public ».
Il en est différemment lorsqu'il s'agit de l'application de la loi et des principes en vigueur, dont le juge est chargé
de vérifier la bonne application. La question qui se pose en ce qui concerne le service public est dès lors,
concrètement, celle de l'aptitude à créer ou gérer un service public. Et cette question s'est posée à propos des
collectivités territoriales et des personnes privées.
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Les collectivités territoriales sont des collectivités publiques, mais elles ne se situent pas sur le même plan
que l'État : la loi de l'État peut être changée si le Parlement le décide (et, naturellement, sous réserve de
respecter les normes constitutionnelles), les collectivités territoriales sont soumises à la loi, telle qu'elle est
interprétée par le juge ; par ailleurs ces collectivités sont des institutions administratives, ce qui explique
qu'elles soient soumises au contrôle du juge administratif.
La question de savoir si les collectivités territoriales peuvent ou non créer un service public est donc réglée,
ou bien par la loi, ou bien par la jurisprudence.
Des textes particuliers ont cependant été adoptés par le législateur dans des circonstances qui appelaient
de telles dispositions. Les temps de crise, les circonstances exceptionnelles (au sens large du terme et non
dans l'acception contentieuse que nous avons étudiée dans la leçon précédente) se prêtent naturellement à
l'adoption de textes de cette nature, parce qu'il faut faire face aux nécessités et, plus particulièrement, répondre
aux besoins de la population.
Les guerres se traduisent toujours, entre autres, par des dérèglements économiques qui pèsent lourd sur la
vie quotidienne des populations. Durant les deux guerres mondiales, on a assisté simultanément, les deux
étant liés, à une pénurie, notamment des produits alimentaires, et à une hausse des prix. Pour faire face à ces
situations, le législateur a quelquefois donné des pouvoirs étendus aux collectivités territoriales, les
communes étant les collectivités les plus concernées. C'est ainsi qu'une loi du 16 avril 1916 déclare qu' «
il pourra être pourvu à l'approvisionnement de la population civile par voie d'achats amiables ou de réquisitions
en vue de cessions, aux communes, des denrées ». Un décret d'application de cette loi, en date du 30 juin
1916, prévoit que la vente à la consommation locale de ces denrées peut notamment s'effectuer « en régie
directe dans des magasins gérés pour le compte de la commune ».
En dehors des périodes de guerre et de crises, d'autres textes ont spécifiquement habilité les collectivités
locales à gérer des services publics. Ces textes particuliers sont, ou étaient, relativement nombreux. On peut
citer les quelques exemples suivants. Tout d'abord certaines lois ou décrets ont non seulement prévu une telle
possibilité mais, de plus, ont conféré à ces collectivités un véritable monopole. Ce fut le cas de décrets du
17 mars 1790 et 17 brumaire de l'an IX sur les halles de marchés et les bureaux de pesage (ces derniers
sont en voie de disparition mais subsistent encore dans quelques petites communes), de différentes lois sur
les abattoirs, de la loi du 28 décembre 1904 sur le service extérieur des pompes funèbres (le monopole des
communes ayant été supprimé en 1993).
D'autres textes ont porté sur les entreprises de bains publics (loi du 3 février 1851), sur l'exploitation des mines
(ordonnances du 8 novembre 1829 et 31 mai 1833), de tourbières (loi du 26 décembre 1814) ; de salles de
spectacles (décret du 11 frimaire, an VII), d'habitations bon marché (HBM, qui existaient avant les HLM, loi du
23 décembre 1912), etc. Tout cela fait un ensemble de textes qui paraît impressionnant, mais qui l'est moins
lorsqu'on les lit, car généralement, l'intervention des collectivités locales (essentiellement les communes) était
reconnue de manière restrictive.
Deux décrets, pris sur l'habilitation d'une loi, ont représenté une tentative du gouvernement pour donner de plus
larges possibilités d'intervention aux collectivités locales, ce sont les décrets du 5 novembre et du 28 décembre
1926. Bien que ces textes n'aient pas été exempts d'arrière-pensées (ils permettaient aux communes de mettre
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fin à des contrats de concession devenus trop onéreux pour elles), ils donnaient un fondement légal à un certain
nombre d'interventions de nature économique. C'est précisément à propos de ces décrets que le Conseil d'État
a rendu une décision qui a constitué la décision de référence pour la création, par les collectivités locales, de
services publics en matière industrielle et commerciale.
Cette décision du Conseil d'État donne une interprétation très restrictive des possibilités d'intervention
des communes en matière économique, et l'argumentation du juge est, en l'espèce, des plus discutables.
Cette jurisprudence permet au moins de comprendre que les interventions économiques des communes aient
été beaucoup moins développées en France que dans les pays voisins (sous l'influence des Fabiens, dont
les plus connus sont, en Grande-Bretagne, S. et B. Webb, un peu partout en Europe se développent des
entreprises publiques locales, notamment des commerces municipaux). Cependant, l'interdiction posée par
le juge n'est pas absolue, des « circonstances particulières » peuvent justifier la création, par une collectivité
locale, d'un service public dans un domaine normalement réservé à l'initiative privée. Quelques illustrations
peuvent être données de ces circonstances.
Le juge évoque d'abord les « circonstances particulières de temps ». Celles-ci sont de nature à justifier
l'intervention de la collectivité locale s'il y a carence ou insuffisance manifeste de l'initiative privée. Il
est rare que l'on puisse parler de véritable carence, qui signifie que rien n'existe pour faire face à un besoin (un
exemple, d'autant plus intéressant qu'il concerne un département, ce qui est rarement le cas, est la couverture
de risques refusée par les compagnies d'assurances privées : CE Sect. 15 oct. 1965, Département du Var c/
Compagnie l'Abeille, Rec. p. 516).
L' « insuffisance », ou l' « insuffisance manifeste » est plus fréquente, elle est également plus difficile à
apprécier.
Jurisprudence
L'insuffisance peut être quantitative : ainsi le juge admet la création, par une commune, d'un terrain de
camping municipal parce que l'initiative privée existante ne permet pas, à elle seule, de satisfaire les besoins
(l'explication tient ici à la variabilité des besoins, car il s'agissait d'une commune touristique dont la population,
l'été, augmentait considérablement, CE Sect. 17 avr. 1964, Commune de Merville-Franceville, Rec. p. 251).
L'insuffisance peut être qualitative, elle est encore plus délicate à apprécier. Ainsi, le juge a admis, en 1933,
la création par la ville de Reims de boucheries municipales en vue de favoriser « la régularisation des prix
d'une denrée de première nécessité » (les circonstances, ici, sont représentées par la crise mondiale qui avait
touché la France, CE Ass. 24 nov. 1933, Zénard, Rec. p. 1100). Plus remarquable sans doute, parce que
plus proche de nous et surtout plus proche de nos préoccupations actuelles est la constatation par le juge de
l'insuffisance de praticiens privés de soins dentaires, « alors surtout que ceux-ci pratiquaient en fait, pour la
plupart du moins, des tarifs supérieurs aux tarifs de responsabilité de la sécurité sociale », cette insuffisance
ayant justifié la création par la ville de Nanterre, dans son dispensaire municipal, d' « un cabinet dentaire
ouvert à l'ensemble de la population locale » en vue de « permettre à la population locale, composée en
grande majorité de salariés modestes, de ne pas renoncer aux soins dentaires » (CE Sect. 20 nov. 1964,
Ville de Nanterre, Rec. p. 563).
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Les circonstances particulières de lien appellent moins de remarques : toute personne publique voit sa
compétence territorialement délimitée et limitée au territoire (à la circonscription, pour les services d'une
personne publique) sur lequel elle intervient.
La jurisprudence Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers doit être compétée et précisée par
les points suivants.
• En deuxième lieu, la position du Conseil d'État a beaucoup évolué parce que le monde lui-même a
beaucoup changé, et que la situation d'aujourd'hui n'est plus celle de 1930. Les deux références qui
ne changent pas sont, d'une part l'intérêt public, qui doit toujours commander les interventions des
personnes publiques, d'autre part le respect de l'initiative privée (V. CE Ass. 31 mai 2006, Ordre des
avocats au barreau de Paris, RFDA 2006, p. 1048, concl. Casas)
• En troisième lieu, plus que du respect de l'initiative privée, il convient de parler, avec les acquis
communautaires, du respect du droit de la concurrence. Ce respect est celui, par les personnes
publiques, des personnes privées. Mais il faut également souligner, car il s'agit d'un aspect important,
que le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ne fait pas obstacle à ce que les collectivités
publiques se portent elles-mêmes candidates à un marché public. Dans un avis contentieux important,
le Conseil d'État a déclaré que « aucun texte ni aucun principe n'interdit en raison de sa nature, à une
personne publique, de se porter candidate à l'attribution d'un marché public ou d'un contrat de délégation
de service public » (CE Sect. avis contentieux 8 nov. 2000, Société Jean-Louis Bernard Consultants,
Rec. p. 492, BJCP 2001.111 et RFDA 2001.112, concl. Bergeal)
Pour comprendre les développements qui suivent, il faut partir du constat que l'on ne peut pas opposer
abruptement, d'un côté les personnes publiques qui, seules, poursuivraient l'intérêt général et l'assureraient
donc par le biais des services publics et, de l'autre, les personnes privées qui seraient mues par le seul intérêt
personnel se ramenant généralement au profit. La réalité n'est guère conforme à ces oppositions tranchées,
elle est beaucoup plus complexe, ce qui va expliquer la reconnaissance progressive par le juge de la possibilité,
pour une personne privée, de gérer un service public.
Les premières sont les considérations d'ordre historique. Avant que l'on ne parle de service public, sous l'Ancien
Régime, la plupart des services que nous considérerions aujourd'hui comme des services publics
étaient assurés par des personnes privées. C'était le cas de tous les services que nous appelons sociaux ou
médico-sociaux, ou de santé, et qui étaient assurés, soit directement par l'Église catholique, soit par des ordres
religieux. Certains de ces ordres religieux s'étaient même spécialisés dans le traitement de certaines maladies.
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Au XVIIe siècle, l'un des personnages les plus entreprenants en ce domaine est Saint Vincent de Paul, qui
crée une confrérie, la confrérie des « filles de la Charité » pour prendre en charge les enfants abandonnés. Il
ne fait aucun doute qu'un tel service pourrait être qualifié, rétrospectivement, de service public.
Une deuxième série de considérations est constituée par la logique de l'évolution jurisprudentielle. Les
conceptions révolutionnaires ont pu fausser un temps le raisonnement, en laissant croire que l'intérêt public
se trouvait du côté de la personne publique et l'intérêt privé du côté des personnes privées. Mais le fait
que la Nation décide de prendre en charge des actions qui étaient jusque-là assurées par des personnes
privées ne supprimait pas pour autant le caractère d'intérêt public de certaines de leurs interventions. Mais
cette reconnaissance n'a été rendue possible qu'à partir du moment où l'on a admis, un peu par la force
des choses, qu'une personne publique pouvait intervenir un peu de la même manière que le ferait un simple
particulier. L'étape décisive est représentée, sur le plan conceptuel, par l'affaire Terrier, dans laquelle
le commissaire du gouvernement envisage cette possibilité qu'une personne publique puisse agir
comme une personne privée. A partir du moment où l'on admettait ce découplage, il était inévitable, et
logique, d'admettre que des personnes privées puissent, elles aussi, poursuivre un intérêt général. Comment
aurait-on pu soutenir que seul l'État pouvait poursuivre cet intérêt général ? A. Mestre avait bien résumé la
question en déclarant : « L'État n'a pas le monopole du bien public ».
Un arrêt est annonciateur, sans représenter véritablement la reconnaissance, c'est la décision Établissement
Vézia (CE 20 déc. 1935, Établissement Vézia, Rec. p. 212). Le juge reconnaît dans cette affaire le « caractère
d'intérêt public » qui s'attache aux opérations de prévoyance, de secours et de prêts mutuels agricoles qui
avaient été instituées dans certaines colonies africaines de la France.
Mais la décision de principe, celle qui consacre véritablement cette possibilité, est la décision Caisse primaire
« Aide et protection » (CE Ass. 13 mai 1938, Caisse primaire « Aide et protection », D.1939.365, concl. R.
Latournerie). Il s'agissait en l'espèce d'une loi relative, notamment, aux cumuls de retraite et de rémunérations.
Selon le Conseil d'État, cette disposition ' vise tous les agents ressortissant à un organisme chargé de
l'exécution d'un service public, même si cet organisme a le caractère d'un « établissement privé » '.
Cette décision est extrêmement importante car elle reconnaît, pour la première fois explicitement, qu'une
personne privée peut gérer un service public. Par là, elle opère une dissociation entre la nature de la personne
et la nature de l'activité poursuivie par celle-ci et, par voie de conséquence, le régime juridique qui lui est
applicable : une personne, même privée, peut gérer un service public et, par là, être soumise à un régime
juridique de droit public.
La décision Caisse primaire « Aide et protection » s'inscrit dans cette évolution qui, admettant et consacrant la
possibilité pou une personne publique de ne pas être soumise au droit public si elle se comportait comme une
personne privée, devait logiquement se traduire, et en sens inverse, par la reconnaissance de la possibilité pour
des personnes privées de gérer un service public. Mais cette décision ne fournissait pas toutes les réponses
aux interrogations que soulevaient ces importantes évolutions.
Un exemple récent est intéressant, il concerne un organisme d’accréditation, le Comité français d’accréditation
(COFRAC), association régie par la loi de 1901. Le Conseil d’Etat a considéré que « le COFRAC assure
sous le contrôle de l’Etat une mission d’intérêt général d’attestation de la capacité des laboratoires de biologie
médicale à réaliser des examents dans de bonnes conditions, pour l’exécution de laquelle il a été habilité
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à délivrer, suspendre ou retirer l’accrédiation conditionnant la possibilité, pour un laboratoire de biologie
médicale, d’exercer son activité ; (…) dans ces conditions, cette ordonnance (ordonnance de 2009 concernant
la biologie médicale) a pour effet de charger le COFRAC de l’exécution d’une mission de service public
administratif » (CE 23 décembre 2010, Conseil national de l’ordre des médecins, req. n° 337396).
La reconnaissance de la gestion de services publics par des personnes privées est particulièrement importante
dans trois domaines, qui recouvrent pratiquement tout le champ possible d'intervention des personnes
publiques: le domaine social (les services publics gérés par des personnes privées y étant multiples,
notamment à l'échelon local); le domaine culturel (où la gestion par une personne privée est, en dehors des
grandes institutions culturelles, la norme); le domaine sportif.
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Section 3. Les interrogations juridiques
soulevées par le service public
Le succès remarquable du service public n'a pas manqué de s'accompagner d'un certain nombre
d'interrogations. La première question qui vient à l'esprit est celle du ou des critères du service public ? Existe-
t-il des critères qui puissent permettre de dire à coup sûr si l'on a affaire à un service public ? Une seconde
question est apparue à la suite d'une jurisprudence du Tribunal des conflits, celle de savoir s'il pouvait y avoir
des catégories de services publics autres que les services publics administratifs et les services publics à
caractère industriel et commercial.
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Jurisprudence
Une illustration paraît particulièrement remarquable à cet égard, c'est celle des services publics que l'on
qualifie de « culturels ». Une activité culturelle peut-elle être un service public ? Dans une décision de 1916 (CE
7 avr. 1916, Astruc), la réponse du juge est négative. S'agissant d'une demande d'indemnisation présentée
à la ville de Paris à raison de l'inexécution d'une promesse de concession d'un emplacement situé sur les
Champs-Élysées pour la construction d'un « Palais philarmonique », le Conseil d'État déclare que le « palais
» en question « n'était pas destiné à assurer un service public ». Cette position recueille l'assentiment de
la doctrine. Mais, sept ans plus tard à peine (en réalité, culturellement ce n'est pas sept années mais un
siècle parce que le basculement dans le XXe siècle ne se fait pas le 1er janvier 1901 mais au cours de
la Première guerre mondiale) le Conseil d'État opère un revirement de jurisprudence en admettant que le
contrat conclu à propos de l'Opéra comique « présente le caractère d'une concession de service public » (CE
27 juill. 1923, Sieur Gheusi, Rec. p. 639). L'expression « service public culturel », trop audacieuse pour
l'époque, n'apparaît pas, on la trouve seulement à partir de la décision Dauphin (CE 11 mars 1959, Dauphin,
D.1959.J.315, concl. Mayras).
La même observation pourrait être faite pour d'autres activités, par exemple le sport. Le juge a reconnu que
l'exploitation d'une remontée mécanique par une commune, dans une station de sports d'hiver, pouvait être
un service public (CE Sect. 23 janv. 1959, Commune d'Huez, Rec. p. 67, AJDA 1959, p. 165, concl. Braibant).
2. La décision Narcy
La décision Narcy paraît synthétiser la jurisprudence antérieure et présente, en tout état de cause, un intérêt
pédagogique indiscutable. Une loi avait prévu la création dans toute branche d'activité où l'intérêt général le
commande la création de « centres techniques industriels » ayant pour objet de promouvoir le progrès des
techniques, de participer à l'amélioration du rendement et à la garantie de la qualité de l'industrie.
Un litige s'étant élevé à propos de l'un de ces centres, le « centre technique des industries de la fonderie
», le Conseil d'État déclare, s'agissant de ces centres, que « en vue de les mettre à même d'exécuter la
mission d'intérêt général qui leur est ainsi confiée et d'assurer à l'administration un droit de regard sur les
modalités d'accomplissement de cette mission, le législateur a conféré aux centres techniques industriels
certaines prérogatives de puissance publique et les a soumis à divers contrôles de l'autorité de tutelle ». Il en
déduit que le législateur a entendu, sans leur enlever pour autant le caractère d'organismes privés, charger
ces centres de la gestion d'un véritable service public (CE Sect. 28 juin 1963, Narcy, Rec. p. 401, RDP 1963,
p. 1963, p. 1186, note Waline).
Ainsi, dans cette décision Narcy, le Conseil d'État retient trois éléments pour caractériser un service public :
l'existence d'une mission d'intérêt général confiée à l'organisme ; des prérogatives de puissance publique qui
lui sont attribuées ; les contrôles que l'administration peut exercer sur ces organismes.
La décision Narcy est claire, mais certaines décisions ultérieures le sont moins, en particulier en ce qui
concerne les prérogatives de puissance publique
Les prérogatives de puissance publique paraissent intimement associées à la personne publique, plus
précisément l'État : celui-ci se définit entre autres par de telles prérogatives, il peut aussi confier certaines de
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ces prérogatives aux collectivités locales territoriales, aux autres personnes publiques, aux personnes privées.
Mais l’absence de prérogatives de puissance publique n’exclut plus, désormais, la possibilité de la gestion
d’un service public par une personne privée.
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Les deux catégories juridiques de services publics sont constituées par les services publics administratifs
(SPA) et les services publics à caractère industriel et commercial (SPIC), les tentatives pour consacrer une
troisième catégorie ayant été vouées à l'échec.
La catégorie des services publics administratifs ne mérite pas que l'on s'y attarde longuement car c'est la plus «
naturelle ». En d'autres termes, un service public va être présumé administratif, sauf si l'on peut démontrer
qu'il présente un caractère industriel ou commercial. Le service public administratif est également « naturel »
en ce que le droit qui lui est applicable est normalement le droit administratif.
Le service public à caractère industriel ou commercial apparaît comme une sorte de dérogation à ce régime
naturel, une soustraction au régime qui apparaît « normal » pour un service public, le régime du droit
administratif. Comme pour d'autres notions que nous avons rencontrées et que nous rencontrerons, le service
public à caractère industriel ou commercial a vu sa naissance conditionnée par des circonstances historiques.
Cela signifie qu'il aurait pu ne pas être, il n'est pas un produit de la nécessité, on aurait pu s'en passer sans
que cela bouleverse le droit administratif. Mais aujourd'hui il serait très difficile de revenir en arrière, on ne peut
tirer comme conséquence de ce qui aurait pu ne pas être que cela ne soit plus.
La reconnaissance de la catégorie de service public à caractère industriel ou commercial est passée par trois
étapes.
• La première étape est celle de Terrier (1903), moins, d'ailleurs, dans la décision elle-même, qui ne
comporte pas d'avancées notables, que dans les conclusions du commissaire du gouvernement. Celui-
ci déclarait que si l'administration était normalement soumise au droit public, il fallait « réserver (...) les
circonstances où l'administration doit être réputée agir dans les mêmes conditions qu'un particulier et
se trouve soumise aux mêmes règles comme aux mêmes juridictions. Cette distinction entre ce qu'on a
proposé d'appeler la gestion publique et la gestion privée peut se faire, soit à raison de la nature du service
qui est en cause, soit à raison de l'acte qu'il s'agit d'apprécier ». L'idée défendue par le commissaire du
gouvernement, et que l'on ne retrouve pas dans la décision rendue, est que l'on peut avoir également,
dans certains cas, une gestion privée du service public
• La deuxième étape est la consécration par le juge de cette possibilité, pour une personne publique, de
ne pas être soumise, ponctuellement, au droit public pour l'une de ses interventions. C'est la solution que
retient le juge à propos du contrat passé entre une commune et une entreprise pour la fourniture de pavés
à la première par la seconde. Le Conseil d'État relève que le contrat a pour « objet unique des fournitures
à livrer selon les règles et conditions des contrats intervenus entre particuliers » et que, par conséquent,
la demande « soulève une contestation dont il n'appartient pas à la juridiction administrative de connaître
» (CE 31 juill. 1912, Société des granits porphyroïdes des Vosges, Rec. p. 909). La nature de service
public de l'activité n'a pas été contestée, mais le régime à appliquer a été le régime de droit privé.
• Dans cette logique, l'étape suivante a été la systématisation de la solution qui avait été dégagée en 1912.
Cette systématisation a pris la forme d'une catégorisation, le Tribunal des conflits créant une nouvelle
catégorie de services publics, la catégorie des SPIC. Dans une affaire relative à un bac qui avait coulé
en faisant la liaison entre les deux rives du lac Ebrié, dans ce qui était la colonie de Côte d'Ivoire, le
Tribunal des conflits a déclaré qu' « en effectuant, moyennant rémunération, les opérations de passage
des piétons et des voitures d'une rive à l'autre de la lagune, la colonie de la Côte d'Ivoire exploite un
service de transport dans les mêmes conditions qu'un industriel ordinaire ; (...) par suite, en l'absence d'un
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texte spécial attribuant compétence à la juridiction administrative, il n'appartient qu'à l'autorité judiciaire
de connaître des conséquences dommageables de l'accident invoqué » (TC 22 janv. 1921, Société
commerciale de l'Ouest africain, Rec. p. 91, concl. Matter ; cette affaire est plus couramment dénommée
l'affaire du « Bac d'Eloka », du nom du bac concerné).
L'expression « service public à caractère industriel ou commercial » ne figure pas expressément dans la
décision en question, mais personne ne s'y est trompé : c'était bien une position de principe qu'avait adoptée
le Tribunal des conflits, et l'expression « service public à caractère industriel ou commercial » (SPIC) s'est
très vite répandue. Ce qui caractérise le SPIC, et qui le différencie des opérations ponctuelles passées sous
régime de droit privé par une personne publique, c'est qu'il est par principe soumis au droit privé. Ce n'est plus
seulement la gestion privée au sein d'un service public, c'est le service public qui devient à gestion privée. Les
conséquences de la reconnaissance de la catégorie des SPIC sont extrêmement importantes.
La logique des catégories juridiques de services publics a conduit le Tribunal des conflits à estimer qu'il pouvait
rééditer l'opération de 1921 en créant une nouvelle catégorie de services publics. Cette nouvelle tentative a
été un échec, il n'y a que deux catégories juridiques, ces catégories étant seules à prendre en considération,
à l'exclusion des appellations.
L'opération manquée est l'opération Naliato, du nom de la décision inaugurée par le Tribunal des conflits
en 1955 et qui entendait donner naissance à une nouvelle catégorie. Les circonstances dans lesquelles
le Tribunal des conflits se prononça furent celles d'un accident dont fut victime un enfant dans une colonie de
vacances organisée par l'État. Le Tribunal des conflits reconnut d'abord, ce qui n'avait rien d'original, la nature
de service public de l'activité et déclara ensuite que l'organisation de cette colonie ne présentait, « en ce qui
concerne les rapports entre ses bénéficiaires et l'administration, aucune particularité de nature à la distinguer
juridiquement des organisations similaires relevant des personnes ou des institutions de droit privé » (TC 22
janv. 1955, Naliato, Rec. p. 614). On en déduisit que le Tribunal des conflits avait entendu créer au profit du juge
judiciaire un nouveau « bloc de compétences » portant sur les services publics sociaux. L'une des explications
possibles de cette jurisprudence tient à l'importance du thème des services publics sociaux, ceci étant une
suite ou un écho à l'idéologie d'interventionnisme social qui avait marqué la France de l'après-guerre.
Mais l'opération de 1955 n'est en rien comparable à celle de 1921 car elle fut un échec. Celui-ci tient au refus
de nos deux juridictions suprêmes, Conseil d'État et Cour de cassation, de suivre cette logique d'une
catégorie de services publics (les services publics sociaux) qui aurait été soumise, par principe, au droit
privé, comme le sont les SPIC : l'un comme l'autre considérèrent que les colonies de vacances comme d'autres
services publics sociaux, étaient, selon les cas, un service public administratif ou un SPIC. N'ayant pas été
suivi, le Tribunal des conflits finit lui-même par renoncer : la décision Gambini (TC 4 juill. 1983, Gambini,
Rec., p. 540) signe l'arrêt de mort de la jurisprudence Naliato.
A la réflexion, il est assez compréhensible que cette tentative ait été un échec. La logique des catégories
juridiques de services publics est directement en lien avec la dualité d'ordres juridictionnels : on peut
comprendre - même si, disons-le une fois de plus, cela ne s'imposait pas vraiment - que du fait de cette dualité,
et de la nécessité, pour un service public, de recourir parfois au droit privé, on ait pensé à créer une catégorie de
services publics, celle des SPIC, principalement soumise au droit privé et relevant, dans cette logique, du juge
judiciaire. La création d'une nouvelle catégorie de services publics, les services publics sociaux, n'aurait eu de
sens que s'il avait existé un ordre juridictionnel propre au droit de ces services publics sociaux. Et, précisément,
au moment de la Libération, et pendant quelques années, on a pensé instituer un tel ordre juridictionnel, ce
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qui peut aussi expliquer la décision Naliato. L'idée de création d'un ordre juridictionnel spécialisé dans les
problèmes sociaux a été abandonnée, et une catégorie propre de services publics sociaux n'avait dès lors plus
guère de signification mais aurait entraîné de nombreuses complications.
Sachant qu'un service public est obligatoirement, soit un service public administratif, soit un SPIC, il convient
évidemment de pouvoir dire quand un service public est administratif et quand il est à caractère industriel ou
commercial.
La qualification qui, lorsqu'elle existe, s'impose, est évidemment celle du législateur. Rien n'interdit en effet
à ce dernier, lorsqu'il crée ou organise un service public, de le qualifier. Le bon sens conduit à penser que
lorsque le législateur se met à qualifier un service public, il y a beaucoup plus de chances que ce
soit la qualification de SPIC plutôt que celle de SPA qu'il adopte, pour la simple raison énoncée
précédemment, à savoir que la qualification de service public administratif est la première, c'est celle
que l'on présume. Si le législateur ne dit rien, la présomption (qui peut toujours faire l'objet d'une démonstration
contraire) est celle du service public administratif avec application du droit public.
La qualification, lorsqu'elle est faite par le législateur, ne résulte pas toujours clairement du texte de loi lui-
même, elle peut résulter des travaux préparatoires. Ainsi par exemple selon le Tribunal des conflits, il
résulte des dispositions d'une loi du 8 juillet 1965 relative à la gestion et à l'exploitation des abattoirs publics
départementaux et communaux, éclairées par les travaux préparatoires, que le législateur a entendu faire de
ces abattoirs publics des SPIC (TC 8 nov. 1982, Société anonyme Maine-Viande, Rec. p. 460).
En revanche, une autre qualification a priori est à exclure, celle selon laquelle il existerait des activités qui,
« par nature », seraient, ou bien des services publics administratifs, soit des services publics à caractère
industriel ou commercial. Certes, il existe des présomptions, qui sont plus ou moins fortes, et l'on peut avoir le
sentiment, face à des activités comme des services publics, que ces derniers ne peuvent être que des services
publics administratifs. Mais un sentiment n'est pas un argument et la comparaison tant dans le temps (hier
et aujourd'hui pour notre pays) que dans l'espace (la situation des autres pays) montre qu'il n'y a guère de «
vérité » en la matière. Même si des juridictions (en particulier le Tribunal des conflits) évoquent des activités
qui relèvent « par nature » de la puissance publique, il convient d'être extrêmement méfiant à l'égard de telles
affirmations, qui peuvent facilement être démenties par les réalités.
2. La qualification jurisprudentielle
La plupart du temps, le législateur ne dit rien sur la nature juridique du service public, et les travaux
préparatoires ne sont pas plus éclairants sur la question. Il appartient alors au juge, à l'occasion d'un litige,
de dire s'il s'agit d'un service public administratif ou d'un SPIC.
Le critère à retenir est, en simplifiant, le critère des conditions d'organisation et de fonctionnement du service.
Méritent d'être citées, à cet égard, les formules des conclusions d'un commissaire du gouvernement qui sont
particulièrement claires et illustrent la démarche du juge. Le commissaire du gouvernement, Laurent, ayant
relevé que la décision de 1921 ne permettait pas de dire de manière suffisamment précise quand on pouvait
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parler de SPIC estimait que celui-ci s'imposait lorsque le service fonctionnait comme une « véritable
entreprise », ajoutant : « La constitution de l'entreprise implique une organisation interne particulière,
des procédés de commandement, des méthodes de travail, des rapports humains qui ne sont pas ceux
du service administratif ».
En d'autres termes, il convient d'examiner, pour chaque service public sur la nature duquel on s'interroge, quel
est son objet, quelle est l'origine de ses ressources, quelles sont ses modalités de fonctionnement. Et l'on
comprend alors facilement que, selon ces conditions d'organisation et de fonctionnement, un même service
public pourra être, selon les cas, tantôt un service public administratif, et tantôt un SPIC, un des exemples
pouvant être donnés étant précisément celui des colonies de vacances qui avaient donné lieu à la décision
Naliato.
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