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L’action administrative

Leçon 8 : La notion d'acte administratif unilatéral


Jean-Marie Pontier

Table des matières


Section 1. Contenu de la notion d'acte administratif unilatéral............................................................................. p. 2
§1. Délimitation de la notion d'acte administratif unilatéral................................................................................................................. p. 2
A. Un acte unilatéral pris par une autorité administrative................................................................................................................................................ p. 2
1. Un acte administratif unilatéral............................................................................................................................................................................................................................p. 3

2. Un acte pris par une autorité administrative.......................................................................................................................................................................................................p. 3

B. La décision exécutoire..................................................................................................................................................................................................p. 4
1. Les différents sens de l'expression « décision exécutoire ».............................................................................................................................................................................. p. 4

2. Un acte faisant grief............................................................................................................................................................................................................................................p. 5

§2. Les mesures d'ordre intérieur........................................................................................................................................................ p. 6


A. Les catégories de mesures d'ordre intérieur............................................................................................................................................................... p. 6
1. Les circulaires......................................................................................................................................................................................................................................................p. 6

2. Les directives.......................................................................................................................................................................................................................................................p. 8

3. Les mesures internes au service......................................................................................................................................................................................................................p. 10

B. La tendance à la réduction des mesures d'ordre intérieur........................................................................................................................................ p. 11


Section 2. La diversité des décisions exécutoires................................................................................................ p. 14
§1. La classification des décisions exécutoires................................................................................................................................. p. 14
A. La distinction entre la décision réglementaire et la décision non réglementaire....................................................................................................... p. 14
1. Intérêt de la distinction entre décisions réglementaires et décisions non réglementaires................................................................................................................................p. 14

2. La décision réglementaire................................................................................................................................................................................................................................. p. 15

B. Les décisions ni réglementaires ni individuelles........................................................................................................................................................ p. 15


1. Les décisions collectives ..................................................................................................................................................................................................................................p. 16

2. Les actes « sui generis »................................................................................................................................................................................................................................. p. 16

3. L'intervention de la hiérarchie matérielle.......................................................................................................................................................................................................... p. 17

§2. La hiérarchie des décisions......................................................................................................................................................... p. 18


A. La hiérarchie formelle.................................................................................................................................................................................................p. 18
B. L’intervention de la hiérarchie matérielle................................................................................................................................................................... p. 20

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Le droit administratif présente des aspects très différents ou, si l'on préfère, il existe plusieurs angles
d'approche. On est très sensible, aujourd'hui, à la dimension de protection des droits et libertés des citoyens,
ce qui se comprend facilement, et le droit administratif est un droit de protection des citoyens à travers
différentes réglementations, à travers des principes tels que les principes généraux du droit, examinés dans
une précédente leçon, à travers toute une série de procédures, procédures non juridictionnelles et procédures
juridictionnelles notamment, parmi ces dernières, celle qui permet de mettre en oeuvre l'un des recours les plus
protecteurs, le recours pour excès de pouvoir. Cette dimension sera examinée dans des leçons ultérieures.

Cependant, il ne faut pas oublier un autre aspect tout aussi important du droit administratif : le droit administratif
est aussi, et peut-être d'abord, le droit de l'action administrative.

C'est un droit qui permet à l'administration d'agir, qui est la formalisation des procédés et des procédures
qu'utilise et que met en oeuvre l'administration dans son action.

L'action de l'administration est faite, en partie, de simples agissements, par lesquels l'administration met en
oeuvre une politique ou, plus simplement, fonctionne : la transmission d'un document est normalement -
mais l'on verra que partout il y a des exceptions - une simple opération matérielle, comme l'est aussi, par
exemple, une action de dégagement d'une chaussée encombrée par un arbre tombé sur la voie. Mais l'action
de l'administration se traduit également par des actes, qu'il s'agisse d'accords passés avec d'autres personnes,
que l'on va qualifier de contrats, ou qu'il s'agisse d'actes pris par une autorité administrative en cette qualité,
et ce sont ces seuls actes qui vont nous retenir dans cette leçon.

Les actes ainsi pris par une autorité administrative sont qualifiés d'actes administratifs unilatéraux. Mais cette
expression un peu anodine recouvre de nombreuses interrogations, et l'on va s'attacher, dans un premier
temps, à délimiter le contenu de cette notion avant d'examiner les diverses décisions exécutoires.

Section 1. Contenu de la notion d'acte


administratif unilatéral
L'administration prend régulièrement des actes que l'on va qualifier d'actes administratifs unilatéraux. Mais
que faut-il entendre exactement par là ? Une délimitation de cette notion est indispensable, et elle va faire
apparaître une catégorie d'actes qui, par leur importance comme par la subtilité des solutions adoptées, appelle
une étude à part, celle des mesures d'ordre intérieur.

§1. Délimitation de la notion d'acte


administratif unilatéral
L'administration prend des actes unilatéraux qui n'ont pas tous le même contenu et ne produisent pas les
mêmes effets. L'analyse de ces actes fait apparaître l'existence d'actes unilatéraux parmi lesquels seuls
certains vont pouvoir être qualifiés de décisions exécutoires.

A. Un acte unilatéral pris par une autorité


administrative

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Il n'y a aucune évidence - ou ce sont de fausses évidences - à affirmer que l'acte administratif unilatéral est
un acte unilatéral pris par une autorité administrative.

1. Un acte administratif unilatéral


Tout d'abord rappelons qu'un acte administratif unilatéral est un acte, ce qui le différencie des simples
agissements de l'administration dont quelques exemples ont été donnés précédemment. En d'autres termes,
la volonté de l'administration peut s'exprimer par de simples agissements, qui peuvent néanmoins
produire des effets de droit, par exemple sur le plan de la responsabilité.

Un acte unilatéral est le produit de la volonté administrative, mais ce n'est pas nécessairement l'acte d'une
seule personne.

• D'une part, en effet, il est possible, et cela est prévu, voire imposé par des textes, qu'un acte soit, pour
être valide, signé par plusieurs autorités administratives. Un exemple classique est celui d'un arrêté
interministériel qui, comme sa dénomination l'indique, est pris par plusieurs ministres (ceci est à ne
surtout pas confondre avec le contreseing ministériel des ministres responsables). De même, on peut
trouver, à l'échelon local, des arrêtés interpréfectoraux. Deux autorités locales décentralisées peuvent
être amenées à prendre un acte commun, qu'il s'agisse, par exemple, d'un arrêté relatif à une voie
publique limitrophe à deux communes, ou qu'il s'agisse d'un arrêté pris par un président de conseil
général et un président de conseil régional pour une opération concernant un bâtiment dans lequel se
trouvent, à la fois, un collège et un lycée (même si cette situation, de moins en moins fréquente, est
appelée à disparaître.)

• D'autre part, un acte unilatéral peut fort bien être pris par un organe collégial. C'est le cas de toutes
les délibérations prises par les assemblées délibérantes locales que sont les conseils municipaux, les
conseils généraux, les conseils régionaux. Ces délibérations, lorsqu'elles se traduisent par un acte (car
le terme de délibération est ambigu, il peut désigner le simple fait de débattre, ou le résultat de la
discussion), sont des actes unilatéraux.

Ainsi, le caractère unilatéral de l'acte se caractérise, non par l'unicité des auteurs de l'acte, mais par les effets
de celui-ci : un acte unilatéral est un acte que les destinataires doivent appliquer sans l'avoir discuté, l'acte
unilatéral est celui qui s'applique sans nécessiter le consentement des personnes visées.

2. Un acte pris par une autorité administrative

Un acte unilatéral est un acte pris par une autorité administrative, ce qui revient à se demander ce qu'est une
autorité administrative.

Cette délimitation de l'acte unilatéral peut se faire, d'abord, de manière négative, en écartant des actes qui ne
pourront pas recevoir cette qualification parce que leurs auteurs ne sont pas des autorités administratives.

Ainsi, tout d'abord, l'acte administratif unilatéral ne peut pas être l'acte émané d'un organe qui n'est pas un
organe administratif, même s'il s'agit d'un organe public : l'acte émané de l'organe législatif suivant la procédure
législative ne peut être un acte administratif, pas plus que ne l'est l'acte d'une juridiction intervenant en la forme
juridictionnelle.

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Similairement, ne peuvent être des actes administratifs les actes pris par des personnes privées, sauf si elles
agissent en vue de satisfaire un service public et en ayant recours - le plus souvent - à des prérogatives de
puissance publique. Le cas des personnes privées illustre la difficulté que l'on éprouve parfois à identifier un
acte administratif : ce n'est pas parce qu'une personne privée poursuit un intérêt général, qu'elle se voit dotée de
prérogatives de puissance publique que, par cela même, elle prend des actes devant être considérés comme
des actes administratifs. Encore faut-il que ces actes aient été pris en vue de l'exécution de la mission qui lui a
été confiée. Et par ailleurs, il faut distinguer, ainsi que nous l'avons vu dans la leçon sur les services publics, les
prérogatives qui sont effectivement des prérogatives de puissance publique, et celles dont une personne privée
dispose en vertu de son seul statut de droit privé (V. CE 20 juin 1946, Morand, Rec. p. 183, et CE 21 mai 1976,
GIE Brousse-Cardell, Rec. p. 268, AJ 1977, p. 42, concl. S. Grévisse), la distinction n'étant pas, il faut bien le
reconnaître, toujours évidente. En revanche, selon le juge, les associations communales de chasse agréées
sont des organismes de droit privé chargés d'un service public; dès lors, "les décisions qu'elles prennent dans
le cadre de leur mission de service public et qui manifestent l'exercice de prérogatives de puissance publique
constituent des actes administratifs susceptibles d'être déférés à la juridiction administrative" (TC 9 juillet 2012,
Avocat-Maulaz c/ Association communale de chasse agréée d'Abondance, req. n° 3861).

Ce n'est pas parce que l'acte est pris par une autorité administrative qu'il est obligatoirement un acte
administratif : il faut toujours penser à l'hypothèse, même si elle n'est pas très fréquente, de l'acte de
gouvernement, analysé dans une leçon précédente. Il faut également relever l'hypothèse dans laquelle l'acte
n'est pas détachable d'une autre procédure, auquel cas l'acte administratif unilatéral ne peut être considéré
indépendamment de cette procédure : tel est le cas d'un acte administratif non détachable d'une procédure
juridictionnelle (ex. la démission d'office d'un conseiller municipal par décision du juge administratif : CE 17
janvier 1969, Maire de la commune de Saint Laurent-L'abbaye, Rec. p. 25) ou encore d'un contrat de droit privé
(CE 19 novembre 1971, Delle Leduc, Ministre de l'Intérieur c/Dame Dodan ; CE 2 novembre 1988, Labadie,
Rec. p. 391).

La détachabilité peut jouer en sens inverse, pour faire considérer qu'un acte est bien un acte administratif :
certains actes sont détachables d'une convention internationale, d'une procédure juridictionnelle (ainsi, par
exemple, le refus par une chambre régionale des comptes de constater la non inscription d'une dépense
obligatoire au budget d'une commune ; ou encore, la décision par laquelle la Commission nationale des
comptes de campagne et des financements politiques saisit le juge de l'élection n'est pas détachable de la
procédure juridictionnelle engagée devant celui-ci, donc n'est pas susceptible d'être attaquée : CE 13 novembre
1992, Grosjean), d'une procédure législative (ainsi pour un acte administratif pris par la chambre des députés
d'un territoire d'outre-mer : CE 27 févr. 1970, Saïd Ali Tourqui et autres, Rec. p. 138).

B. La décision exécutoire
L'expression « décision exécutoire » a été utilisée pour la première fois par M. Hauriou dans son précis de
droit administratif. Beaucoup plus tardivement, le Conseil d'État s'est mis à parler de décision exécutoire, pour
la première fois dans un arrêt de 1970 (CE Ass. 23 janv. 1970, Ministre d'État chargé des affaires sociales c/
Amoros et autres, Rec. p. 51). Mais cette expression de décision exécutoire est extrêmement ambiguë.

1. Les différents sens de l'expression « décision exécutoire


»

Les décisions du Conseil d'État parlent tantôt de « décision exécutoire » , tantôt d'« acte exécutoire ». Il semble
que l'on puisse relever trois sens différents de ces expressions.

• Un premier sens, qui paraît celui qui caractérise le mieux la décision exécutoire, est la modification
de l'ordonnancement juridique qu'entraîne celle-ci, c'est-à-dire la création de droits ou d'obligations au
profit ou à la charge d'autres personnes, notamment des administrés : un permis de construire donne la

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possibilité à son bénéficiaire de construire l'immeuble pour lequel il a demandé le permis, l'acte décidant
de taxer les véhicules qui produisent un CO2 supérieur à un certain taux crée une obligation à la charge de
l'acheteur d'un véhicule dépassant ce taux de payer la taxe en question ; la nomination d'un fonctionnaire
entraîne à son profit un certain nombre de droits, etc.

• Un deuxième sens, étroitement lié au premier, est celui de l'obligatoriété, c'est-à-dire du caractère
obligatoire de l'acte. Un acte qui modifie l'ordonnancement juridique est un acte obligatoire pour tous ceux
qui sont tenus de l'appliquer. Toutefois, tous les actes impliquant une modification de l'ordonnancement
juridique ne sont pas des actes obligatoires, il en est ainsi, notamment, de tous les actes qui autorisent, qui
habilitent ou qui permettent : sans l'autorisation, la permission, l'habilitation, l'activité n'est pas possible,
donc l'acte en question ajoute un élément à l'ordonnancement juridique, sans présenter pour autant un
caractère obligatoire.

• Le législateur a ajouté un troisième sens en subordonnant le caractère exécutoire des actes des
collectivités territoriales à l'accomplissement d'une double formalité, la transmission de l'acte au
représentant de l'État et la publicité (variable selon la nature de l'acte) de l'acte en question. Le législateur
a ici assimilé l'opposabilité de l'acte à ces formalités, qui conditionnent la production d'effets.

2. Un acte faisant grief


Malgré les incertitudes qui entourent la notion d'acte administratif unilatéral, et parce qu'il est indispensable
d'avoir des points de repère, on dira, pour simplifier, que toute décision exécutoire est un acte administratif
unilatéral, mais que tout acte administratif unilatéral n'est pas une décision exécutoire, parce que certains de
ces actes ne font pas grief et, par voie de conséquence, sont insusceptibles d'être différés au juge de l'excès
de pouvoir en vue de leur annulation.

Cela signifie que l'on peut identifier un certain nombre d'actes qui sont effectivement des actes administratifs
unilatéraux, mais auxquels on ne peut pas reconnaître le caractère d'acte exécutoire ou de décision. Ce sont
des actes qui, normalement, n'ont pas d'effet sur la situation juridique ou matérielle des administrés.

Il existe une très grande variété d'actes auxquels le juge, s'il est saisi, refuse de reconnaître le caractère de
décision et cette réserve du juge paraît le plus souvent justifiée. Ainsi en est-il des actes qui présentent un
caractère simplement indicatif, parce qu'ils opèrent une simple constatation (CE 7 octobre 1988, Bienvenu,
Rec. p. 330), ou bien parce qu'ils manifestent une simple déclaration d'intention (CE 22 avril 1970, Société '
Établissements Louis Rémusat, Rec. p. 264). C'est encore le cas des actes par lesquels l'autorité administrative
se borne à émettre une opinion (CE 18 février 1987, Rocache, Rec. p. 61), ainsi que des actes pris dans le
cadre d'une procédure complexe faisant intervenir une série d'actes successifs. C'est aussi le cas des actes
que l'on qualifie de préparatoires ou de provisoires. Les avis émis par de nombreux organes consultatifs (on
en dénombre en France plusieurs milliers) ainsi que des autorités administratives qui peuvent, par ailleurs,
prendre de véritables décisions, ne sont pas considérés, sauf cas particuliers que l'on examinera plus loin,
comme des décisions. Ces avis, de même que les voeux, ont eu, en d'autres temps, une grande importance
à l'échelon des conseils municipaux. Une particularité, dont l'intérêt n'est plus qu'historique, est à relever. Le
juge a été amené à considérer les avis rendus par les conseils municipaux comme des décisions, et cela pour
une raison simple : les avis spontanés émis par les conseils municipaux et, notamment, ainsi que l'on peut
s'en douter, ceux qui interviennent dans le domaine politique, sont interdits mais le seul moyen de les annuler
était de les considérer comme des décisions (s'ils n'avaient pas été considérés comme tels ils n'auraient pu
être annulés, ce qui aurait privé l'État de moyen d'intervention ; ajoutons que dans tout ceci il y avait surtout
une dimension symbolique ou, si l'on préfère, une question de principes).

Cet exemple des avis des conseils municipaux montre que dans la qualification de l'acte unilatéral comme
décision, ou le refus de le considérer comme tel, le juge montre un très grand pragmatisme :

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des actes qui, en théorie, ne sont pas censés produire des effets de droit sont analysés parfois par le juge
comme des décisions parce qu'ils produisent de tels effets. Ou bien le juge affirme qu'ils ne produisent aucun
effet, mais, pour le dire, il admet la recevabilité du recours, et il annule la mesure.

§2. Les mesures d'ordre intérieur


Les mesures d'ordre intérieur sont des actes administratifs unilatéraux que le juge considère comme ne
pouvant pas être invoqués devant lui par les administrés, qui ne peuvent ni s'en prévaloir, ni les contester.

L'explication de cette situation est simple. Les actes unilatéraux qualifiés de mesures d'ordre intérieur ne
concernent que la marche interne des administrations, ils ne font pas grief aux administrés, qui ne sont point
destinataires de ces mesures. C'est même cette caractéristique qui constitue le principal intérêt des mesures
d'ordre intérieur. Toute administration a besoin, pour fonctionner normalement, que des actes indiquent aux
agents comment ils doivent agir. Cet univers administratif est étranger et extérieur aux administrés.

Tout irait pour le mieux si la réalité, parfois, n'était différente du schéma théorique ainsi présenté. Le juge
a donc été amené à s'interroger sur ces mesures, la jurisprudence étant particulièrement évolutive depuis
quelques années.

A. Les catégories de mesures d'ordre intérieur


De manière classique et pratiquement incontestée, on distingue trois catégories de mesures d'ordre
intérieur.

1. Les circulaires
Les circulaires sont un instrument utilisé par l'autorité administrative centrale pour éclairer les services placés
sous son autorité sur le sens à donner à une disposition de loi ou de décret, sur la manière d'appliquer un texte.

Ces circulaires se révèlent pour les agents très pratiques en raison de la multiplication des lois, dont beaucoup
de dispositions renvoient à d'autres lois, rendant le texte souvent illisible si l'on n'a pas à l'esprit ces autres
dispositions. Elles facilitent la compréhension des textes, donc leur application. Les services déconcentrés
sont les principaux destinataires de ces circulaires que les autorités centrales n'hésitaient pas, autrefois, à
adresser aussi aux autorités décentralisées (aujourd'hui ce sont les préfets qui sont chargés par les circulaires
d'apporter les informations aux élus).

Naturellement, la réalité est éloignée de ce schéma un peu idyllique, l'administration fourmille de circulaires
(aux noms les plus divers, l'administration centrale n'étant jamais en reste pour trouver toutes sortes
d'appellations) et les lois de décentralisation n'ont pas réduit, contrairement à ce que l'on aurait pu penser,
le rythme de production des circulaires. Il faut dire que l'activisme du législateur alimente la production de
circulaires dont certaines présentent un caractère quasi ubuesque (Voir, par exemple, la très longue circulaire
du 22 octobre 2007 sur les chiens).

Quoi qu'il en soit, les circulaires sont nombreuses et, depuis longtemps, le juge a perçu la difficulté qui pouvait
survenir : les circulaires sont des actes à usage interne, elles ne concernent pas les administrés mais si, en
fait, des circulaires, nonobstant leur nature théorique, créent des droits ou/et des obligations, posent une règle

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nouvelle, que fait-on ? Il est probable que ce problème n'est pas propre à la France, mais se rencontre dans
toutes les administrations, celles-ci obéissant, sociologiquement, à des règles très similaires.

En d'autres termes, des circulaires produisent des effets à l'égard des administrés, elles ressemblent fort à des
décisions. La situation devient préoccupante lorsque les circulaires se multiplient. Du temps de la Quatrième
République, le commissaire du gouvernement Tricot faisait valoir que l'interdépendance des problèmes, mais
aussi l'instabilité ministérielle, poussaient l'administration à inclure dans la circulaire des règles qui auraient dû
figurer dans des décrets ou des arrêtés : « on assiste ainsi à un recul de la règle de droit vers le précaire et
le confidentiel », écrivait-il (B. Tricot). Ce phénomène est moins net aujourd'hui (c'est le nombre de lois et de
mesures d'application qui pose problème) mais le problème est bien réel.

Pour tenir compte de cette réalité, le Conseil d'État a développé une jurisprudence très intéressante à partir
d'une décision de principe, CE 29 janvier 1954, Institution Notre-Dame du Kreisker, Rec. p. 64, RPDA 1954,
p. 50, concl. Tricot). Dans cette décision, le Conseil d'État a distingué, parmi les circulaires, deux catégories,
les circulaires interprétatives et les circulaires réglementaires. Les premières sont les circulaires « normales »,
celles qui répondent à leur nature, les secondes s'apparentent à des décisions, et sont traitées comme telles.

Le principe de cette distinction est très satisfaisant, toute la difficulté est de trouver le critère permettant de dire
quelles sont les circulaires interprétatives et celles qui sont réglementaires.

D'un point de vue abstrait, il est possible d'affirmer que la circulaire est interprétative, qu'elle est une « vraie »
circulaire, lorsqu'elle se borne à rappeler, ou à commenter, ou à expliciter les règles de droit antérieurement
existantes. La circulaire est réglementaire - et il y a, alors, toutes les probabilités pour qu'elle soit illégale
- lorsqu'elle ajoute à la réglementation existante. On en revient, au fond, au critère de modification de
l'ordonnancement juridique : la circulaire qui affecte cet ordonnancement est réglementaire, dans le cas
contraire, elle est interprétative.

Malheureusement, la mise en oeuvre de ce critère se révèle fort délicate. Le juge se trouve en permanence au
coeur d'un dilemme, que B. Tricot avait bien vu, déclarant, dans ses conclusions précitées, à propos du juge :
« S'il refuse le caractère réglementaire à toute circulaire, il réduit les garanties des administrés. Il les oblige
à attendre la prise d'une décision individuelle, alors que l'illégalité est déjà patente et qu'il serait opportun de
la sanctionner sans attendre qu'elle ait sévi dans de nombreux cas particuliers. Mais s'il décide trop souvent
qu'il y a règlement, il consacre et renforce ce qui pouvait n'être que l'énoncé d'une tendance, une directive
susceptible d'accommodements ».

Cette appréciation est très réaliste, d'autant que la difficulté peut être encore accrue par le fait qu'une circulaire
peut être pour partie réglementaire et pour partie interprétative et, dans ce cas, il faut en quelque sorte «
découper » la circulaire pour voir ce qui est réglementaire et ce qui ne l'est pas, ce qui complique encore la
difficulté.

Devant une telle situation, il est bien difficile de donner un critère permettant de se prononcer à coup sûr,
on peut seulement donner des illustrations permettant de se faire une idée de ce que sont des circulaires
réglementaires et des circulaires non réglementaires.

Les circulaires non réglementaires sont, si l'on peut dire, la norme, le cas normal, celles qui répondent
effectivement à la définition de la circulaire.

Sont, en revanche, des circulaires réglementaires celles qui créent des règles nouvelles, et ces circulaires
vont être considérées par le juge comme de véritables décisions, les administrés peuvent les déférer au juge
qui, dans la plupart des cas, les annulera pour illégalité. Sont des circulaires réglementaires, par exemple, les
circulaires qui ajoutent une condition nouvelle (CE 26 juin 1965, Lefranc, Rec. p. 199, condition d'âge posée
par une circulaire pour pouvoir accéder aux oeuvres du CROUS), qui soumettent la mise en oeuvre des droits
des administrés à des sujétions (CE 14 janv. 1981, MRAP et UNEF, Rec. p. 13), ou qui l'entourent de garanties
(CE 1er avr. 1949, Chaveneau, Rec. p. 161) celles qui ajoutent à une loi (CE 15 févr. 1978, Association des
étudiants en droit de Metz, Bonichot et SGEN, AJDA 1978, p. 678), voire - à plus forte raison - qui modifient

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une loi (CE 28 janv. 1987, Département de la Vendée c/Ministre chargé des PTT, AJDA 1987, p. 282), celles
qui contiennent une règle générale et impérative nouvelle (ex. la circulaire du ministre des PTT qui énumère
les fonctionnaires auxquels est refusé le droit de grève (CE 28 nov. 1958, Lepouse, Rec. p. 596 ; circulaire
du ministre de l'Éducation nationale organisant la participation de l'État aux frais engagés par les familles
éloignées d'une école pour assurer la fréquentation scolaire de leurs enfants et réservant le bénéfice de cette
participation aux familles dont les enfants fréquentent une école publique : CE 6 oct. 1961, Union nationale
des parents d'élèves de l'enseignement public, Rec. p. 550, RDP 1961, p. 1271, concl. A. Bernard), celles
qui restreignent les possibilités offertes par un texte (CE Sect. 23 mai 1969, Sté « Distilleries Brabant », Rec.
p. 264).

Cependant, avec l'expérience jurisprudentielle, le juge a estimé indispensable de faire évoluer le critère
de distinction entre les circulaires réglementaires et les circulaires non réglementaires. Dans une décision
importante de 2002, il a posé comme distinction celle des circulaires non impératives et des circulaires
impératives (CE Sect. 18 déc. 2002, Mme Duvignères). Cette jurisprudence apporte une simplification :
jusque-là, la circulaire qui n'était pas interprétative, mais qui n'avait pas de portée obligatoire, ne pouvait faire
l'objet d'un recours.

Les circulaires non impératives La circulaire impérative


Les circulaires non impératives sont, dans la
jurisprudence Duvignères, les circulaires qui ne
produisent aucun effet de droit, ces circulaires
ne sont ni opposables aux administrés ni
invocables par ces derniers devant le juge,
La circulaire impérative est un acte attaquable,
qui les ignore. Les circulaires impératives sont
mais ce n'est pas nécessairement un acte
celles qui produisent des effets de droit parce
illégal : tel est le cas d'une circulaire qui
qu'elles dictent une certaine conduite à tenir.
ordonne l'exécution d'une mesure conforme à
Dans l'arrêt Dame Duvignères, l'ordre était en
la hiérarchie des normes (V. par ex. le cas
contradiction avec l'état de droit existant. Dans
de la circulaire du ministre des transports prise
ce cas, l'acte est annulé, généralement sur
sur le fondement de l'article R.221-19 du code
le fondement de l'incompétence. La circulaire
de la route, interdisant le port du turban sur
impérative peut être également celle qui
la photographie du permis de conduire : CE
rappelle des règles existantes (auquel cas, dans
15 déc. 2006, Association United Sikhs, AJDA
la jurisprudence précédente, cette circulaire
2007, p. 313, concl. T. Olson).
n'est pas considérée comme réglementaire),
mais ces règles en question ne sont pas
conformes à la hiérarchie des normes (tel est le
cas, par exemple, d'un décret qui ne respecte
pas une directive communautaire).

2. Les directives
Une première remarque est une invitation à ne pas confondre les directives dont il est question ici avec les
directives communautaires dont il a été question dans une autre leçon.

Une directive est un acte par lequel une autorité administrative qui dispose d'un pouvoir discrétionnaire se fixe
à elle-même une règle sur la conduite à tenir dans des séries de cas semblables.

La directive est l'expression d'une sorte de pouvoir d'orientation d'une autorité administrative qui, d'une manière
non contraignante, va donner des indications aux agents subordonnés sur l'attitude à tenir dans des séries de
cas individuels. On pourrait dire, également, que la directive est l'expression d'une volonté d'anticipation sur
la manière d'agir pour des cas qui se sont déjà présentés.

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Au fond, la directive paraît présenter tous les avantages, à la fois pour l'autorité administrative et pour les
administrés.

• Du côté de l'autorité administrative, le procédé introduit de la cohérence, dans la mesure où les


situations individuelles comparables vont pouvoir être traitées d'une manière similaire.
• Du côté des administrés, le procédé procure une sécurité juridique, puisque ces administrés savent à
l'avance quelle sera la conduite de l'administration si une même situation se reproduit.

Cependant, cette vision un peu idéalisée se heurte à une objection importante : dès lors que l'administration
dispose d'un pouvoir discrétionnaire, elle doit procéder, dans chaque cas, à un examen particulier des
circonstances : c'est bien pour cela qu'un pouvoir discrétionnaire est remis à une autorité administrative. En
se fixant à l'avance une règle sur la conduite à tenir, l'administration renonce à opérer un examen particulier
des circonstances, elle renonce à son pouvoir discrétionnaire.

On a donc l'impression, au vu des arguments qui viennent d'être exposés, de se trouver face à un dilemme
dont il est difficile de sortir. Mais ce sont précisément ces exigences quelque peu contradictoires qui expliquent
la jurisprudence très nuancée du juge, un juge qui tente, à travers cette jurisprudence, de concilier toutes ces
exigences.

Le juge administratif a édifié cette jurisprudence sur les directives à partir de deux décisions, complétées par
bien d'autres, l'une de 1970 (CE Sect. 11 déc. 1970, Crédit foncier de France, Rec. p. 750, concl. L. Bertrand),
l'autre de 1973 (CE 29 juin 1973, Société Géa, RDP 1974, p. 547, note Waline).

Jurisprudence
Dans l'affaire Crédit foncier de France, il s'agissait de l'attribution, par une commission, de subventions ou
de prêts aux particuliers pour l'amélioration de leur habitat. L'autorité administrative que constituait cette
commission avait pris en l'espèce une directive par laquelle elle posait des conditions pour l'attribution desdites
subventions, et relatives, notamment, aux revenus des propriétaires et à la nature des travaux entrepris.
Des particuliers s'étaient vu refuser une subvention en application de cette directive. Sur recours de ces
personnes, le Tribunal administratif de Paris avait annulé le refus d'attribution de subvention sur le fondement
de l'erreur de droit, estimant qu'il s'agissait d'une circulaire réglementaire illégale. En appel, le Conseil d'État
estima qu'il s'agissait d'une directive, qui ne pouvait être assimilée à une circulaire, et considéra qu'il n'y avait
pas eu d'illégalité dans la mesure où la commission s'était bornée à « définir des orientations générales (...)
sans renoncer à son pouvoir d'appréciation ».

La jurisprudence sur les directives peut être résumée de la manière suivante.

• En premier lieu, et comme le montre clairement l'exemple précédent, la directive doit être distinguée
de la circulaire, tout en appartenant à la catégorie des mesures d'ordre extérieur. Cela signifie que,
normalement, la directive n'est pas un acte réglementaire, elle ne peut faire grief et ne peut, non
plus, faire l'objet d'un recours en annulation devant le juge administratif (CE 3 mai 2004, Comité anti-
amiante Jussieu, Rec. p. 193). En revanche, la directive peut être contestée indirectement, par la voie
de l'exception d'illégalité.

• En deuxième lieu, la directive permet à l'administration de se fixer à l'avance la conduite à tenir, mais à
condition de respecter les principes suivants.
• D'une part, il doit toujours être possible à l'autorité administrative de déroger à une directive, pour
tenir compte, soit de considérations d'intérêt général, soit de la particularité de la situation des
administrés.
• D'autre part, l'autorité administrative doit toujours pouvoir procéder à un examen particulier des
circonstances, elle ne peut appliquer la directive mécaniquement, automatiquement, elle doit
rechercher si la situation n'appelle pas une dérogation.

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3. Les mesures internes au service
Les mesures internes au service constituent la troisième catégorie des mesures d'ordre intérieur. La
dénomination assez vague de « mesures internes au service » montre la difficulté à appréhender
conceptuellement un ensemble aussi varié de mesures. On en distingue habituellement de trois sortes.

• On trouve, en premier lieu, les mesures dites d'organisation du service. Ce sont toutes les mesures
susceptibles d'être prises par les chefs de services concernant l'organisation du service placé
sous leur autorité. Ces mesures présentent une extrême diversité, ce n'est qu'à l'occasion de recours
qu'elles apparaissent. Car le juge applique à ces mesures le même raisonnement qu'il tient pour les
autres mesures d'ordre intérieur : par définition, elles ne font pas grief, plus exactement, elles ne doivent
pas faire grief, mais s'il arrive que tel est le cas, le juge va considérer qu'il s'agit de décisions, susceptibles
d'être attaquées et d'être annulées.

Jurisprudence
Quelques illustrations permettent de se faire une idée de la diversité de ces mesures. Ainsi, constituent bien
des mesures d'organisation du service, insusceptibles de faire grief, des mesures telles que, par exemple,
celle qui décide que les internes d'un centre hospitalier participeront au fonctionnement de l'antenne mobile de
réanimation qui est un centre annexe de l'hôpital (CE Sect. 19 mars 1965, Antoine et autres et Dame Galabru,
Rec. p. 186), ou encore celle qui opère une mutation d'un étudiant d'un groupe de travaux dirigés à un autre
(CE 11 janv. 1967, Bricq), ou encore la lettre fixant, en application d'une délibération répartissant les fonctions
entre enseignants, les modalités pratiques d'organisation des fonctions d'enseignement, et notamment des
horaires (CE 12 déc. 1984, Melki, Rec. p. 419).

Inversement, sont des décisions et non de simples mesures d'organisation du service, la décision d'un conseil
scientifique d'université de réduire de moitié les crédits de recherche accordés à un professeur titulaire ainsi
que la décision de lui enlever la gestion de tous les crédits de fonctionnement qui lui étaient précédemment
attribués (CE Sect. 26 avr. 1978, Crumeyrolle, Rec. p. 189), l'interdiction faite à un professeur d'université
d'exercer ses activités d'enseignement et de recherche (CE 1er juill. 1983, Payen de la Garanderie),
l'exclusion d'une résidente de la cité internationale universitaire de Paris (CE 15 oct. 1982, Mlle Mardirossian,
Rec. p. 348).

• Parmi les mesures internes au service, on trouve, en deuxième lieu, les correspondances internes
au service. On comprend facilement que, pour fonctionner, les services ont besoin d'échanger des
correspondances et, normalement, ces correspondances ne produisent aucun effet à l'égard des
administrés, elles leur sont extérieures, elles leur sont aussi le plus souvent inconnues, puisque - et
par définition - de tels actes ne font pas l'objet d'une publication. Ce n'est qu'indirectement, par le biais
d'organisations syndicales, ou par les médias, par exemple, que ces correspondances sont connues. Il
en est ainsi, par exemple, des correspondances échangées entre des ministres.

Jurisprudence
CE 6 oct. 1965, Mely et Fédération CFTC de l'aviation civile, lettre par laquelle le ministre des finances indique
au ministre chargé des travaux publics qu'il ne convient pas de réviser les indemnités compensatrices versées
à certains personnels dès lors qu'ils n'ont formé aucun recours).

Mais, comme précédemment, une correspondance peut être considérée par le juge comme constitutive d'une
décision si elle comporte une disposition ayant des effets à l'égard des administrés.

• Enfin, en troisième lieu, et ce sont probablement les plus importantes, parmi les mesures internes au
service, on trouve les mesures de police interne du service. Il est plus facile d'en comprendre l'idée
que d'appréhender le contenu de ces mesures. En simplifiant, on peut dire que les mesures par
lesquelles l'autorité hiérarchique règle la discipline interne du service placé sous son autorité
sont des mesures d'ordre intérieur, et il n'appartient pas au juge d'en connaître.Traditionnellement,

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on distingue trois domaines dans lesquels on va trouver, de manière privilégiée, des mesures de
police interne, ces trois illustrations n'étant évidemment pas exclusives.
• Le premier de ces domaines est celui des établissements pénitentiaires. Ces derniers soulèvent
d'innombrables questions, qui vont de la philosophie à la sociologie en passant par la politique, la
médecine et le droit. De ce dernier point de vue, qui seul nous retient ici, il apparaît que le juge avait
traditionnellement tendance à considérer un certain nombre de mesures concernant les détenus
comme des mesures d'ordre intérieur. Il en allait ainsi, par exemple, des mesures par lesquelles
l'autorité pénitentiaire infligeait une sanction (CE 6 mars 1935, Bruneaux, Rec. p. 295) ou celle
plaçant un détenu dans un quartier de « plus haute sécurité » (CE Sect. 27 janv. 1984, Cuillal,
AJDA 1984, p. 107). En revanche, les mesures relatives au régime alimentaire des détenus - qu'il
s'agisse de la composition des menus, des horaires de repas ou des boissons autorisées - ne
constituaient pas (et, a fortiori, ne constituent pas) des mesures d'ordre intérieur, le juge ayant
admis la recevabilité des recours contre de telles mesures (CE 15 janvier 1992, Cherbonnel, RFDA
1993, p. 1131, concl. F. Scanvic).
• Le deuxième domaine concerné est celui des établissements scolaires, c'est-à-dire les collègues et
les lycées. Les responsables de ces établissements ont pris des mesures - dont certaines peuvent
faire sourire aujourd'hui, mais il ne faut pas oublier l'adage « autres temps, autres moeurs » -
considérées par le juge comme des mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours : tel est le
cas de l'interdiction du port de certains insignes (CE 21 octobre 1938, Lote, Rec. p. 786), ou encore,
exemple toujours cité en raison de son caractère pittoresque, l'interdiction du port de pantalons de
ski, dans un lycée de jeunes filles, sauf par temps de neige (CE 20 octobre 1954, Chapou).
• Un troisième domaine, enfin, où l'on ne s'étonnera pas de trouver des mesures d'ordre intérieur est
celui de l'armée. Parce que celle-ci a été considérée, et appelée, longtemps, « la grande muette »,
et que la « discipline » est censée faire sa force, un certain nombre de mesures ont été considérées
comme des mesures d'ordre intérieur, et tel a été le cas des mesures concernant les permissions
(CE 18 octobre 1918, Voltine, Rec. p. 908), un ordre d'entrée à l'hôpital (CE 5 octobre 1955, Baillard,
Rec. p. 771), voire même certaines sanctions, telle celle que l'on qualifie d'« arrêt de forteresse
» (CE 11 juillet 1947, Devawrin, Rec. p. 307).
Un exemple de mesure d'ordre intérieur dans une administration est représenté par la décision par
laquelle l'administration refuse d'accorder à l'un de ses agents, à titre discrétionnaire, une autorisation
d'absence pour commodité personnelle, sans retenue sur traitement (CE 11 mai 2011, Caisse des dépôts
et consignations, req. n° 337280).
Comme pour les autres catégories de mesures d'ordre intérieur, cependant, les mesures de police interne
cessent d'appartenir à cette catégorie, et deviennent des décisions, à partir du moment où elles modifient
la situation juridique des intéressés : tel est le cas de l'exclusion définitive d'un élève d'un lycée (CE 19
avril 1952, Veillard, Rec. p. 169), des sanctions militaires touchant au statut des agents ou comportant
pour eux des conséquences pécuniaires ou matérielles, telle une mutation d'office (CE 5 novembre 1920,
Wannieck, Rec. p. 923) ou encore la mesure par laquelle le maire d'une ville remet le conservateur en chef
de la bibliothèque municipale classé (ce qui signifie que le conservateur, ayant un statut d'État, est mis
à la disposition de la collectivité) à son administration d'origine, portant ainsi atteinte à ses prérogatives
statutaires (CE 7 janvier 1983, Ville d'Aix-en-Provence c/Mme Suzanne Estève, D.1983, p. 493, note
B. Poujade).

B. La tendance à la réduction des mesures d'ordre


intérieur
Il convient d'observer tout d'abord qu'un certain nombre de décisions précitées, et un peu anciennes, ne sont
plus représentatives de l'état actuel du droit parce que les circonstances ont changé.

On conçoit parfaitement que des solutions qui pouvaient s'expliquer et se justifier en 1938 ou dans les années
50 ne sont plus guère justifiables aujourd'hui. Toutefois, il ne faudrait pas trop vite conclure que toutes

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ces mesures qui, hier, étaient des mesures d'ordre intérieur, sont aujourd'hui des décisions, parce que les
exigences qui étaient à la base de ces solutions demeurent.

• Ceci étant, plusieurs facteurs ont contribué à l'évolution de la jurisprudence. Il faut observer, d'abord,
qu'une jurisprudence n'est jamais figée une fois pour toutes, elle ne vaut que pour un temps, c'est même
l'un des avantages d'un droit jurisprudentiel que de pouvoir s'adapter rapidement.
• En deuxième lieu, on a déjà souligné, dans des leçons précédentes, cette plus grande attention qui est
portée aux droits et libertés des individus avec une reconnaissance de plus en plus affirmée de ces droits
et une « montée en valeur » desdits droits.
• En troisième lieu, on peut parler de l'influence de « l'air du temps », formule qui n'a pas trait au temps
mais à une sorte de météorologie sociale qui varie précisément au fil du temps. Le juge ne peut faire
abstraction de ces tendances, parce qu'il n'a pas à les juger, mais ses jugements sont influencés par
ces tendances. A plus forte raison, le législateur, parce qu'il est l'expression de la volonté populaire, est-
il l'interprète des évolutions sociales qui se manifestent, et sachant que, parfois, l'art de gouverner dans
l'intérêt général est, ou devrait être, d'aller à l'encontre de l'opinion publique dominante. Mais c'est là
un autre problème.

Le législateur a fait évoluer certaines mesures d'ordre intérieur en décidant qu'elles ne présentaient plus ce
caractère et étaient des décisions.

Une illustration est particulièrement caractéristique, c'est celle qui concerne les règlements intérieurs des
assemblées délibérantes locales. Toute assemblée de ce type - conseil municipal, conseil général,
conseil régional, etc., et cela vaut aussi pour d'autres organisations telles que les associations -
adopte un règlement intérieur qui est destiné à déterminer le mode de fonctionnement et les règles
de fonctionnement de l'assemblée. Le Conseil d'État avait estimé que ces règlements intérieurs, qui
n'intéressent pas directement les citoyens et sont extrêmement nombreux (plus de 50 000 si l'on ajoute à ceux
des assemblées délibérantes locales les règlements intérieurs des établissements publics de coopération),
étaient des mesures d'ordre intérieur qui n'étaient pas susceptibles de faire grief, et il s'était même prononcé
sur la question par une décision de principe (CE Ass. 2 décembre 1983, Charbonnel et autres).

Cependant le législateur, dûment informé de cette jurisprudence, a décidé de l'annihiler. En 1992, il a adopté
une disposition législative, aujourd'hui codifiée au code général des collectivités territoriales (CGCT) faisant
des règlements intérieurs de ces assemblées des mesures faisant grief et susceptibles de recours
devant le juge administratif. Le second alinéa de l'article L. 2121-8 de ce code, introduit par la loi du 6 février
1992, dispose, pour les conseils municipaux : « Le règlement intérieur peut être déféré au juge administratif ».
Une disposition similaire existe pour les conseils régionaux (art. L. 4132-6 du CGCT).

La tendance à la réduction des mesures d'ordre intérieur est également jurisprudentielle. On peut relever une
telle évolution de la jurisprudence sur quatre plans.

• La réduction du champ des mesures d'ordre intérieur s'applique, en premier lieu, aux mesures
individuelles relatives à la carrière de certains fonctionnaires, en particulier les magistrats, mesures
qui ont été longtemps analysées comme des mesures d'ordre intérieur. Depuis 1975, ces mesures
concernant les magistrats, en particulier celles relatives à la notation, ou encore au refus de confier
certaines attributions, sont attaquables par les intéressés (CE 31 janvier 1975, Wolff).
En revanche, la décision par laquelle l'administration refuse une autorisation d'absence pour commodité
personnelle est une mesure d'ordre intérieur (CE 11 mais 2011 Caisse des dépôts et consignations, précité).
• En deuxième lieu, au sein des établissements d'enseignement, le juge admet de plus en plus largement la
recevabilité des recours contre les mesures prises par l'établissement. En particulier, il considère comme
recevable le recours contre un règlement intérieur interdisant les signes distinctifs à caractère religieux
(CE 12 novembre 1992, Kherouaa, Rec. p. 389 ; CE 10 mars 1995, M. et Mme Aoullili, Rec. p. 122).

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• En troisième lieu, dans l'institution militaire, le Conseil d'État a fait également évoluer sa jurisprudence.
Dans une affaire où un maître timonier sur un navire de guerre s'était vu infliger 10 jours d'arrêt pour
avoir, un soir, regagné le bord en état d'ivresse, le juge a admis la recevabilité du recours (CE Ass. 17
février 1995, Philippe Ardouin, Rec. p. 83, concl. Frydman).

• Enfin, en quatrième lieu, et s'agissant des établissements pénitentiaires, le juge a décidé, à propos
d'une punition de cellule (c'est-à-dire le placement du détenu à l'isolement dans une cellule dépourvue
de confort) entraînant la privation de visites et des restrictions de correspondances qu'il s'agissait de
mesures faisant grief (CE 17 février 1995, M. Pascal Marie, mêmes références que pour Ardouin). Cette
jurisprudence a été, par la suite, confirmée et élargie. Dans une décision de 2007 le juge a déclaré que
le transfert d’un détenu d’un établissement à un autre établissement similaire était une mesure d’ordre
intérieur, « sous réserve que ne soient pas en cause des libertés et des droits fondamentaux des détenus
» (CE Ass. 14 décembre 2007, Garde des Sceaux c/ Boussouar, AJDA 2008 p. 128, chron. J. Boucher
et B. Bourgeois-Machureau). Il a précisé cette jurisprudence dans une décision du 27 mai 2009 (M. M..,
req. n° 322148) dans laquelle il déclare que la décision de changement d’affectation d’un détenu entre
établissements pour peine de même nature est susceptible de recours dès lors qu’elle bouleverse son
droit à conserver des liens familiaux. Depuis 2010 la décision portant sur l'organisation de visites aux
détenus est un acte faisant grief (CE 21 avril 2010, Ministre d'Etat, garde des Sceaux, ministre de la
justice et des libertés c/ M. Bompard, req. n° 329564).Dans une décision du 28 mars 2011 (Garde des
Sceaux, ministre de la justice c/ Bennay) le Conseil d'Etat considère comme étant un acte attaquable la
décision par laquelle un détenu est placé en "régime différencié" pour être affecté à un secteur dit "portes
fermées". En ce domaine, le déclin des mesures d'ordre intérieur se poursuit et paraît inéluctable.

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Section 2. La diversité des décisions
exécutoires
Les décisions exécutoires présentent une très grande diversité. Si l'on veut y voir un peu plus clair, il est
nécessaire de chercher à classer ces décisions, ce qui conduit aussi à établir entre elles une hiérarchie.

§1. La classification des décisions


exécutoires
Les décisions peuvent être analysées, en droit public, sous un double point de vue, le point de vue formel
ou organique et le point de vue matériel. La classification formelle s'attache à la nature de l'organe qui
prend la décision et, accessoirement, à des éléments tels que la procédure d'élaboration des décisions. La
classification matérielle s'attache, elle, au contenu des décisions prises. On peut partir, pour présenter les
décisions administratives, d'une classification ou d'une autre. Pour la clarté de l'exposition, on partira de la
classification matérielle, la classification formelle permettant d'introduire une hiérarchie entre les décisions.

Du point de vue matériel, on peut distinguer les décisions réglementaires et les décisions non réglementaires,
que l'on a tendance à ramener aux décisions individuelles. Mais cette distinction ne rend pas compte de
l'ensemble des décisions.

A. La distinction entre la décision réglementaire et la


décision non réglementaire

Il paraît d'abord nécessaire de s'interroger sur l'intérêt de la distinction, pour pouvoir ensuite définir les décisions
règlementaires et les décisions individuelles.

1. Intérêt de la distinction entre décisions réglementaires et


décisions non réglementaires
Est-il vraiment utile de distinguer entre les décisions réglementaires et celles qui ne le sont pas ? N'est-ce pas
compliquer inutilement les choses ? La réponse ne fait aucun doute, il est indispensable de pouvoir qualifier
une décision, pour les raisons suivantes.

En premier lieu, et ainsi qu'on le verra plus en détail plus loin, les décisions réglementaires ne créent jamais
de droits acquis, à l'inverse des décisions non réglementaires qui, elles, créent de tels droits. Cela s'explique
parce que les décisions réglementaires sont, matériellement, comparables à des lois, elles ont une portée
générale. D'ailleurs, dans de nombreux pays, même développés, il n'existe pas de possibilité de recours contre
les décisions réglementaires. En France, il n'en est pas ainsi, les décisions réglementaires sont attaquables,
mais elles ne peuvent créer de droits ce qui a notamment pour conséquence qu'elles peuvent être abrogées
à tout moment.

En deuxième lieu, et s'agissant des recours possibles, la qualification de décision réglementaire emporte
comme conséquence la possibilité de la contester directement devant le juge (en intentant une action, d'où
l'expression de contestation par voie d'action) mais également, si les délais de recours sont expirés, de la

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contester indirectement par la voie de l'exception d'illégalité : celle-ci consiste, à l'occasion d'un recours, intenté
dans les délais, contre une décision individuelle prise en application de la décision règlementaire à l'égard
de laquelle le délai de recours est expiré, d'invoquer, à l'appui de la demande d'annulation de la décision
individuelle, l'illégalité de la décision règlementaire. Si le juge constate cette illégalité, il annule la décision
individuelle, en laissant subsister la décision réglementaire (puisque les délais de recours contre celle-ci
sont expirés), mais en la privant de tout effet. L'exception d'illégalité n'est pas possible contre une décision
individuelle.

En troisième lieu, la qualification juridique de la décision entraîne des conséquences sur la détermination
du juge compétent lorsqu'il s'agit de l'appréciation de légalité et de l'interprétation d'un acte : la décision
réglementaire peut être interprétée par n'importe quelle juridiction, en revanche, en ce qui concerne l'acte non
réglementaire, le juge judiciaire non répressif ne peut procéder à l'interprétation d'un acte. Toutefois, selon
le nouveau code pénal, entré en vigueur en 1994, les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter
et apprécier la légalité des actes administratifs tant individuels que réglementaires « lorsque, de cet examen,
dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis » (art. 111-5).

2. La décision réglementaire

La décision réglementaire peut être définie comme un acte à portée générale et impersonnelle.

Il faut se garder d'en déduire que la décision réglementaire concerne nécessairement un grand nombre de
personnes. Tel peut être le cas, mais ce n'est pas toujours vrai : ce qui définit la décision réglementaire c'est le
nombre indéterminé de ses destinataires, qui n'est donc pas un nombre préétabli. A la limite, et en raisonnant un
peu ab absurbo, une seule personne peut, à un moment donné, être concernée par une décision réglementaire.
Cette hypothèse est évidemment rare, mais pas impossible. G. Vedel citait en ce sens un exemple qui peut
toujours être donné : une décision qui attribue une indemnité au préfet de police de Paris présente un caractère
réglementaire, car elle a une portée indéterminée, elle s'adresse à toutes les personnes qui, après le titulaire
occupant cette fonction au moment de l'édiction de l'acte, lui succèderait dans ce poste, et ce nombre est
indéterminé ; elle s'applique cependant, concrètement, à une seule personne. La décision réglementaire définit
des catégories de personnes, elle ne désigne pas des personnes.

La décision réglementaire est celle qui est prise, sans considérer des personnes déterminées, en application
de prescriptions légales, voire d'autres dispositions réglementaires, ou bien qui est prise pour l'organisation
du service.

Un commissaire du gouvernement proposait la définition suivante, qui est assez satisfaisante : « est un acte
réglementaire tout acte qui définit une norme impersonnelle dans son objet et permanente en principe dans
la portée, indéfinie ou non, qu'elle se fixe dans le temps, et qui sert ou peut servir de base à des décisions
individuelles prises pour son application, et assujettissant à ladite norme des catégories de personnes
limitativement dénommées » (J. Rigaud, concl. sur CE Sect. 19 novembre 1965, Époux Delattre-Floury, Rec.
p. 623).

Les applications de la notion de décision réglementaire sont des plus diverses.

Les solutions adoptées peuvent paraître parfois subtiles, même si on peut estimer qu'elles sont parfaitement
logiques : ainsi, les arrêtés qui créent une commission (CE 23 décembre 1949, Roy, Rec. p. 576), qui fixent la
composition d'une commission (CE 13 octobre 1961, Blake, Rec. p. 562), ou qui en modifient la composition
(CE 13 juin 1969, Commune de Clefay, Rec. p. 308) ; en revanche, les décisions de nomination des membres
d'une commission n'ont pas un caractère règlementaire.

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B. Les décisions ni réglementaires ni individuelles

Lorsque la décision n’est pas réglementaire, on pense spontanément qu’il s’agit d’une décision individuelle,
ce qui peut n’être pas exact.

La décision individuelle, à l'inverse de la décision réglementaire, est celle qui concerne, non seulement un
nombre déterminé de personnes mais aussi des personnes nommément désignées. Il en résulte que la
décision individuelle ne concerne pas nécessairement une seule personne, elle peut concerner un nombre
important de personnes (ex. la décision énumérant les bénéficiaires d'une décoration). Il semblerait donc que
tout ce qui n'est pas réglementaire est individuel. Tel n'est cependant pas le cas, parce que deux catégories
de décisions échappent à cette classification.

1. Les décisions collectives


On parle quelquefois de décisions collectives, ou de décisions à caractère collectif.

Une décision collective se distingue d'une décision individuelle concernant plusieurs personnes par la solidarité
qu'elle introduit entre les personnes visées par la mesure.

Mais elle se distingue de la décision réglementaire parce qu'elle n'est pas une décision à caractère
impersonnel, elle vise des personnes qui sont nommément désignées.

La difficulté que l'on rencontre est de savoir comment traiter les décisions à caractère collectif. Car, si elles
se distinguent bien des décisions réglementaires et des décisions individuelles, il n'existe que deux régimes
juridiques pour les actes administratifs, et il faut donc « ramener » la décision collective, soit au régime de la
décision réglementaire, soit au régime de la décision individuelle.

2. Les actes « sui generis »


Il arrive au juge de dire de certains actes qui lui sont déférés qu'ils ne sont pas réglementaires, mais qu'ils ne
sont pas, non plus, individuels. De tels actes ne peuvent pas plus être considérés comme des actes collectifs,
ce qui suscite, dès lors, un certain embarras pour les qualifier comme pour les classer.

Une illustration très nette de cette situation est fournie par les déclarations d'utilité publique (DUP), qui
interviennent dans la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique. Dans une décision de 1975, le
juge a été amené à déclarer de manière nette que « l'acte qui déclare l'utilité publique d'un ouvrage n'a pas le
caractère d'un acte réglementaire » (CE 14 février 1975, Epoux Merlin). Quelques années plus tard, le juge a
affirmé, de manière beaucoup plus évidente, que la déclaration d'utilité publique n'était pas un acte individuel
(CE 11 février 1983, Commune de Guidel). Or il est exclu de considérer la déclaration d'utilité publique comme
un acte à caractère collectif. La DUP n'entre donc dans aucune classification, elle fait partie de ces actes que
le juge et les auteurs appelle « actes particuliers », « actes intermédiaires », « décisions d'espèce » (mais, vu
le nombre de DUP qui interviennent chaque année, cette dernière appellation est tout sauf satisfaisante).

L'exemple de la déclaration d'utilité publique n'est pas le seul, on trouve d'autres actes tout autant inclassables.
C'est le cas, notamment, des actes de classement. Il existe toutes sortes de classements, mais on peut
prendre, parce significatif, le classement d'un immeuble (un autre classement existe pour les meubles) comme

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monuments historiques, procédé utilisé par l'État pour protéger les immeubles qui le justifient. Le même
raisonnement fait pour les DUP vaut pour les mesures de classement.

L'expression « sui generis » qui est utilisée est au fond une manière d'occulter ou d'évacuer le problème, c'est
un aveu d'impuissance à ramener un acte dans une catégorie bien définie (cela ne vaut d'ailleurs pas que
pour les actes, cela a pu être appliqué à des institutions ou des entreprises publiques qui n'entraient dans
aucune catégorie).

Quoi qu'il en soit, s'agissant de ces actes, deux situations peuvent se présenter.

• Ou bien le régime juridique est prévu par les textes qui les prévoient, et tel est le cas, par exemple, pour
les DUP comme pour les décisions de classement. Dans ce cas, on applique le régime juridique prévu
par la loi ou le règlement.
• Ou bien ce régime juridique n'est pas précisé par la loi, et dans ce cas le juge applique, selon les cas, le
régime de l'acte réglementaire ou le régime des actes individuels. Le choix de l'un ou l'autre régime n'est
pas indifférent, notamment pour l'application d'un certain nombre de règles examinées précédemment,
qu'il s'agisse, par exemple, de la motivation des actes, ou de leur abrogation.

Le terme « arrêté » s'applique à des actes qui sont pris par les autorités administratives qui disposent d'un
pouvoir de décision.

Ces autorités sont souvent des autorités autres que celles qui sont compétentes pour prendre des décrets, et
que l'on vient de présenter. Cependant, il n'est pas possible de définir les arrêtés comme étant les décisions
prises par les autorités autres que celles compétentes pour édicter des décrets, car ces dernières sont aussi
compétentes pour prendre des arrêtés : le président de la République, le Premier ministre, prennent des
arrêtés, qui sont souvent des arrêtés de nomination.

Les auteurs des arrêtés sont donc les ministres, agissant seuls ou conjointement avec d'autres ainsi que, à
l'échelon local, les préfets et les autorités exécutives des collectivités territoriales (maires, présidents de conseil
général, présidents de conseil régional, pour s'en tenir aux collectivités généralistes), ainsi que des directeurs
ou présidents d'établissements publics (fort nombreux, et de toutes sortes).

Les arrêtés sont subordonnés aux décrets, et il existe une hiérarchie interne aux arrêtés avec, dans la hiérarchie
descendante, les arrêtés interministériels, les arrêtés ministériels, les arrêtés préfectoraux.

Il faut signaler qu'il n'existe pas de hiérarchie entre les actes des différentes autorités administratives des
collectivités territoriales parce qu'il n'existe pas de hiérarchie entre ces dernières. En 2003, le constituant a
explicitement décidé que toute tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre est interdite. On peut penser
que ce souci d'égalité entre les collectivités est une affirmation de principe qui peut, à ce titre, satisfaire ce goût
d'égalité, mais est aussi source d'inconvénients importants lorsque des collectivités territoriales interviennent
ensemble, ce qui est fréquent et souhaitable. On a sacrifié les nécessités d'un bon fonctionnement des
institutions à des principes.

Enfin, il ne faut pas oublier les décisions prises par des personnes privées, chargées de la gestion d'un service
public et auxquelles le juge reconnaît la qualité de décisions administratives. Ces décisions ne sont évidemment
pas des arrêtés mais, si l'on voulait les classer dans cette hiérarchie, elles se situeraient au bas de celle-ci.

3. L'intervention de la hiérarchie matérielle


La hiérarchie matérielle complète la hiérarchie formelle ou organique en fournissant des éléments
d'appréciation de la portée des actes qui ont été pris. Deux remarques peuvent être présentées à cet égard.

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En premier lieu, il faut relever qu'il y a indépendance de l'analyse formelle ou organique et de l'analyse
matérielle en ce sens que les catégories qu'elles définissent ne coïncident pas nécessairement. Ainsi, un
décret peut aussi bien être un acte à portée réglementaire qu'un acte à portée individuelle. Si l'on s'attache
à la classification formelle, on ne trouve qu'une seule catégorie, celle des décrets, en revanche, l'analyse
matérielle distingue ici deux catégories d'actes, l'acte réglementaire et l'acte non réglementaire. Inversement,
un règlement peut être un décret (tel est le cas, par exemple, d'un décret du Premier ministre), mais peut être
également un arrêté (arrêté municipal par exemple). Dans ce cas, l'analyse matérielle voit une seule catégorie
(le règlement), tandis que l'analyse formelle en voit deux (le décret et l'arrêté).

En second lieu, la hiérarchie matérielle permet d'apporter deux importantes précisions.

• Il s'agit, d'une part, de l'hypothèse dans laquelle une même autorité est compétente pour prendre un
acte réglementaire (qu'il s'agisse d'un décret ou d'un arrêt) et des décisions individuelles. Ces dernières,
dans ce cas, doivent être conformes à l'acte réglementaire pris précédemment. C'est l'application de
l'adage patere legem quam fecisti en même temps que d'une exigence de justice (ainsi, pour prendre un
exemple simple, si un arrêté municipal, qui est un règlement, interdit le stationnement des véhicules dans
une rue, le maire ne peut, ensuite, par un acte individuel, autoriser l'un des riverains à faire stationner
son véhicule dans la même rue).
• D'autre part, et c'est un peu moins évident que l'hypothèse précédente mais procède de la même logique,
l'acte individuel pris par une autorité supérieure doit être conforme à l'acte réglementaire pris par l'autorité
inférieure, dont la compétence doit être respectée (dans le même exemple que ci-dessus, un ministre, ou
le président de la République, ne peut, par un acte individuel, accorder une autorisation de stationnement
à un riverain).

Point de vue formel/organique Point de vue matériel


Nature de l'organe prenant la décision
• Eléments divers : comme la procédure Contenu des décisions prises
d'élaboration de décision
• Décision règlementaire • Décision collective
• Décision non-règlementaire • Acte "sui generis"

§2. La hiérarchie des décisions


Classer n'est pas nécessairement hiérarchiser, mais, en droit, dans le domaine des normes, parce qu'il existe
inévitablement une hiérarchie des normes, le classement n'est pas seulement une classification, c'est une
hiérarchisation.

Il faut, pour mémoire, rappeler une catégorie qui a disparu, celle des règlements d'administration publique
(couramment appelés RAP), qui se trouvaient au sommet de la hiérarchie des actes administratifs parce qu'ils
étaient pris par le président de la République pour l'application des lois importantes après avis de l'Assemblée
générale du Conseil d'État (celui-ci assimila même, jusqu'en 1907, ces RAP à des lois). Les RAP n'avaient
plus de justification réelle sous la Ve République, la catégorie a été supprimée définitivement en 1980.

La hiérarchie des actes est d'abord une hiérarchie formelle, celle-ci est complétée et précisée par une hiérarchie
matérielle.

A. La hiérarchie formelle
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La hiérarchie formelle ou encore organique est celle qui prend en considération l'auteur de l'acte ainsi que, de
manière complémentaire, la procédure qui doit être suivie pour l'édiction d'un acte.

Une distinction classique est faite, de ce point de vue, entre les décrets et les arrêtés.

Le terme « décret » s'applique à des actes qui sont pris, soit par le président de la République, soit par le
Premier ministre. Il convient de relever, au préalable, que la terminologie, comme souvent, n'est pas toujours
d'une rigueur extrême et, par exemple, et bien qu'il s'agisse d'un cas de figure très particulier, qui constitue un
héritage de la monarchie qui disparaîtra un jour, les décrets de grâce du président de la République ne sont
pas des actes administratifs mais des actes juridictionnels (CE Ass. 28 mars 1947, Gombert, RDP 1947, p.
95, note Waline). Sous cette réserve, la hiérarchie descendante est celle qui va des décrets du président de
la République aux décrets du Premier ministre.

Selon la Constitution, le président de la République signe les décrets délibérés en conseil des ministres, ce
qui signifie qu'il en est l'auteur. Une telle formulation paraît simple, en réalité, elle a soulevé un certain nombre
de difficultés juridiques, on en évoquera deux principales.

• D'une part, les textes spécifiant qu'un décret doit être délibéré en conseil des ministres sont en définitive
très peu nombreux, et un certain nombre de décrets à propos desquels il n'était rien précisé ont été
délibérés en conseil des ministres. La question de leur légalité s'est donc posée. Après avoir décidé,
dans une jurisprudence de 1987 qui constitue une parenthèse, que le président de la République ne
devait signer de décrets délibérés en conseil des ministres que ceux pour lesquels cette formalité
était prévue par un texte, le Conseil d'État est revenu à la logique de la jurisprudence de 1962, citée
ci-après, et a décidé, opportunément, que relevait de la compétence du président de la République
l'édiction de l'ensemble des décrets délibérés en conseil des ministres, sans qu'il y ait de distinguer selon
que la délibération en conseil des ministres était imposée par un texte ou procédait de considérations
d'opportunité (CE Ass. 10 septembre 1992, Meyet, Rec. p. 327, concl. D. Kessler).

On a reproché à cette jurisprudence d'étendre le pouvoir réglementaire du président de la République au


détriment de celui du Premier ministre. Cet argument est de peu de poids : d'abord, en cas d'accord (politique)
entre les deux autorités, il ne doit pas y avoir, compte tenu des conceptions constitutionnelles sur lesquelles
repose la Cinquième République, de difficulté ; ensuite, en cas de désaccord (cohabitation), le Premier ministre
peut menacer de ne pas contresigner ; enfin le mécanisme ne présente pas d'irréversibilité, la compétence
peut toujours être restituée au Premier ministre.

• D'autre part, il peut arriver, il est arrivé - ainsi que l'on pouvait s'y attendre - que des décrets non délibérés
en conseil des ministres et qui n'ont pas à l'être soient signés par le président de la République d'où,
de nouveau, la question de la légalité. La réponse du juge est claire et logique : un décret non délibéré
en conseil des ministres signé par le président de la République est légal s'il comporte la signature du
Premier ministre (CE 27 avril 1962, Sicard et autres, Rec. p. 279). La solution est logique parce que
l'incompétence du président de la République est couverte par la compétence du Premier ministre, la
signature du premier est surabondante.

Mais, pour conserver cette logique, puisque le décret relève de la compétence du Premier ministre, il en découle
deux conséquences :
• cet acte doit, dans son édiction, respecter les règles de contreseing des décrets du Premier ministre
et, par ailleurs,
• celui-ci peut, par la suite, modifier ou abroger le décret en question.

Dans tous les autres cas qui sont, quantitativement, les plus nombreux, les décrets sont pris par le Premier
ministre. Il faut observer que les règles de procédure introduisent une hiérarchie interne aux actes pris par une
même autorité. En effet, les décrets sont, selon les cas, pris après avis du Conseil d'État, ou sans que cet avis
soit exigé. Il en résulte que, dans la hiérarchie descendante, on trouve, d'abord, les décrets pris après avis
obligatoire conforme (l'avis conforme étant, ainsi que nous l'avons vu, celui qui a la portée la plus grande et

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aboutit quasiment à un transfert du pouvoir de décision), ensuite les décrets pris après avis obligatoire (mais
sans qu'il s'agisse d'un avis conforme, ce qui est le cas le plus courant) du Conseil d'État, enfin les décrets
pris sans avis obligatoire du Conseil d'État.

B. L’intervention de la hiérarchie matérielle

La hiérarchie formelle présentée précédemment, et qui est fondamentale du point de vue de l’Etat de droit, doit
se combiner avec une autre hiérarchie, qui est la hiérarchie matérielle. La hiérarchie matérielle est celle qui
prend en considération la portée des actes : il tombe sous le sens que certains actes ont une portée limitée,
parce qu’ils ne visent que quelques personnes, d’autres ont une portée générale, voire très générale, parce
qu’ils ne visent personne de manière précise.

La prise en compte du critère matériel vient compliquer la hiérarchie des normes parce que il n’existe pas de
coïncidence nécessaire entre une catégorie juridique de la hiérarchie formelle et une catégorie juridique de
la hiérarchie matérielle. Pour comprendre cela prenons l’exemple d’un décret, qualification qui résulte de la
classification formelle : cette norme peut être aussi bien à portée individuelle (un décret de nomination, par
exemple) que à portée générale, et l’on dira alors que ce décret est un décret réglementaire (ces décrets sont
très nombreux et peuvent porter sur tous les domaines, aussi bien, par exemple, sur des normes d’ouverture
des portes dans les établissements recevant du public que sur des appellations protégées de vin ou de
fromages). Mais inversement, si l’on prend l’exemple d’un règlement, celui-ci peut prendre la forme d’un décret
(un exemple que tout le mode comprend bien est celui de la partie réglementaire du code de la route), mais
il peut également relever d’une autre catégorie de la classification formelle (l’exemple le plus significatif sans
doute est celui d’un règlement de police municipal, donc édicté par un maire, ce règlement de police est
juridiquement un arrêté).

Il faut encore apporter une double précision à cette hiérarchie matérielle, qui va montrer qu’il ne s’agit pas
seulement d’appellations.

• D’une part, lorsqu’une autorité administrative a pris un acte réglementaire (qu’il s’agisse, selon la
classification formelle, d’un décret ou d’un arrêté), les actes individuels que cette même autorité pourra
prendre par la suite (par définition, les actes individuels seront pris en application de l’acte réglementaire,
sinon il y a de fortes chances pour que l’acte soit illégal) devront être conformes à l’acte réglementaire
édicté précédemment. C’est là, au fond, un principe de bon sens, qui correspond aussi à ce vieil adage
latin patere legem quam fecisti (autrement dit, en traduisant presque littéralement : respectes la règle
que tu as toi-même posée).

• D’autre part, et cela est un peu plus difficile à comprendre, mais parfaitement logique, ce critère matériel
conduit à poser la règle selon laquelle l’acte individuel pris par une autorité supérieure doit être conforme
à l’acte réglementaire pris par une autorité inférieure.

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