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Introduction-2 : Aliments fonctionnels et fonctionnalité de l'alimentation.

Chapter · February 2019

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Anthony Fardet
French National Institute for Agriculture, Food, and Environment (INRAE)
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Food matrix and its effect on lipid digestion & metabolism View project

The characterization of food degree of processing View project

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 ChapItre 2 

aliments fonctionnels et
fonctionnalité de l’alimentation
A N T H O N Y FA R D E T

1. Conceptions réductionniste et holistique


de l’aliment : vers une nouvelle définition
de la fonctionnalité
Sur la base des données scientifiques acquises aujourd’hui, le potentiel santé des aliments
ne peut plus être réduit à sa seule composition nutritionnelle (Fardet, 2014 ; Fardet,
2015c ; Fardet et al., 2015b) ou densité énergétique (Monteiro et Cannon, 2015). En
d’autres termes, un aliment est plus que la seule somme de ses composants. Cela signifie
qu’à composition ou densité énergétique identique, deux aliments n’auront pas le même
impact dans l’organisme selon la structure de sa matrice (« effet matrice »), les aliments
associés dans le régime et/ou le niveau d’activité physique de l’individu. Cette nouvelle
vision globale ou holistique de l’aliment est aujourd’hui nécessaire, voire indispensable,
car plus en phase avec la réalité – qui par définition est complexe (Fardet et Rock, 2014).
L’approche réductionniste qui a prévalu jusqu’à aujourd’hui est l’approche par nutri-
ments ou l’approche calorique de l’aliment, ce que les anglo-saxons appellent le « nutri-
tionism » (Scrinis, 2013). Cette approche a abouti à des recommandations nutritionnelles
par nutriments, diabolisant parfois certains d’entre eux (e.g., les matières grasses saturées
ou le cholestérol), et à la promotion de régimes alimentaires basés essentiellement sur une
conception mécanique de l’organisme humain vu comme une machine avec des inputs
et des outputs énergétiques. Dans cette optique, peu importe la matrice alimentaire, une
calorie d’un aliment A est la même qu’une calorie d’un aliment B (Scrinis, 2013). Enfin,
stade ultime de l’approche réductionniste basée sur une conception de l’aliment comme
une seule somme de nutriments, les technologues ont fractionné les aliments en ingrédients,
voire en nutriments isolés, les ont recombinés pour recréer de nouveaux aliments ignorant
le rôle complexe des interactions des nutriments entre eux, le rôle de l’effet « matrice » sur
la santé (i.e. satiété, biodisponibilité…), et additionnant et/ou enrichissant ces aliments
recombinés avec d’autres ingrédients (i.e. sel, sucres et matières grasses), micronutriments
(i.e. vitamines et minéraux) et/ou phytonutriments (e.g. phytostérols, caféine, etc.).
Ces aliments fractionnés-recombinés ont abouti à la mise sur le marché de complé-
ments nutritionnels, de « nutraceutiques » et d’aliments « fonctionnels » (pour compenser

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10 ■ Introduction

un régime par ailleurs déséquilibré) jusqu’à parler « d’alicaments », reflétant bien cette
conception pharmacologique et réductionniste de l’alimentation. Ces aliments peuvent
bien évidemment trouver leur place dans un régime complexe, mais ils participent d’une
approche curative et réductionniste de l’alimentation : or, force est de constater que le
développement croissant de ces aliments ces dernières décennies n’ont absolument pas
permis d’enrayer les épidémies toujours croissantes de maladies chroniques. Un examen
attentif de la littérature scientifique sur l’effet de ces aliments sur les risques de développer
des maladies chroniques montre des résultats très décevants, avec majoritairement une
absence d’effet, voire parfois une augmentation des risques (Fardet, 2015a  ; Fardet, 2015b).
On peut même aboutir à des résultats paradoxaux comme avec les aliments enrichis en
phytostérols (voir Chapitre I.7) dont le but initial est de réduire le niveau de cholestérol
plasmatique (facteur de risque cardiovasculaire) mais qui dans le même temps réduisent
l’absorption des vitamines liposolubles et des caroténoïdes précurseurs de la vitamine A
dans des proportions compatibles avec une augmentation du risque observé de maladies
cardiovasculaires (Fardet et al., 2015a).
L’aliment « fonctionnel », tel qu’on le définit aujourd’hui, participe donc de cette approche
réductionniste poussée à l’extrême (Scrinis, 2013). Cette conception de l’aliment ne fonc-
tionne pas car elle est sous-tendue par un paradigme qui ne rend pas compte de la com-
plexité de la réalité de l’aliment, mais aussi de l’action des nutriments dans l’organisme
humain. Il est par ailleurs bon de rappeler que tout aliment est « fonctionnel » dans le sens
où ses nutriments qui le composent et son effet « matrice » vont participer d’un effet sur
l’organisme et donc remplir une fonction. C’est donc vers une nouvelle conception de la
fonctionnalité des aliments qu’il faut se diriger pour les années à venir, une conception qui
doit se baser sur un nouveau paradigme plus en accord avec le fonctionnement du réel, ce
qui est aujourd’hui qualifié d’approche holistique (Fardet et Rock, 2014).

2. L’alimentation comme modulatrice de la santé


Fort de cette redéfinition holistique de la fonctionnalité des aliments, il est naturel – voire
nécessaire – de s’interroger comment notre alimentation, au-delà de la simple fourniture
d’énergie et de nutriments pour les besoins métaboliques de base de l’organisme, peut
moduler notre santé.
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), « la santé est un état de complet
bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de mala-
die ou d’infirmité ». L’impact fonctionnel de l’alimentation sur la santé ne peut donc pas
se réduire à la seule fourniture d’énergie et de nutriments. L’alimentation inclut donc des
dimensions à la fois physiologique (incluant d’ailleurs des facteurs génétiques), psycholo-
gique, socio-économique, culturelle, de plaisir, et aussi environnementale et de bien-être
animal. Les régimes alimentaires complexes s’inscrivent dans cette multi-dimensionnalité
car ils dépendent des traditions culturelles et culinaires, impactent l’environnement, et
participent également d’une logique socio-économique. D’ailleurs, les résultats des études
épidémiologiques montrent de façon convaincante, plus que l’approche par nutriments,
aliments ou groupes d’aliments, que les régimes alimentaires complexes impactent diffé-
remment la santé selon la combinaison des groupes d’aliments qui les composent. Ainsi, les
régimes riches en aliments végétaux et peu ou moyennement transformés (type « Prudent
diet » comme les régimes méditerranéens, Okinawa et végétarien) diminuent le risque des

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 Chapitre 2    Aliments fonctionnels et fonctionnalité de l’alimentation ■ 11

maladies chroniques tandis que les régimes riches en énergie, produits animaux et aliments
très transformés (type « Western diet » comme le régime omnivore occidental) augmentent
ces risques (Fardet, Rock et al., 2015b).
Toutefois, si l’on se réfère à la définition de l’OMS, il est clair que l’alimentation n’est pas
un facteur suffisant pour moduler et garantir la santé. Il faut élargir notre niveau d’obser-
vation, notamment jusqu’au style de vie. Une étude d’observation publiée en 2009 illustre
bien ce constat : les auteurs ont étudié l’impact de quatre facteurs de style de vie (ne pas
fumer, indice de masse corporelle inférieur à 30, faire 3,5 heures ou plus d’activité physique
par semaine, et adhérer à un régime alimentaire sain riche en fruits, légumes, pain complet
et pauvre en viandes) sur le risque de développer des maladies cardiovasculaires (infarctus
du myocarde et accident vasculaire cérébral), des cancers ou un diabète de type 2 chez
23 153 allemands adultes âgés de 35 à 65 ans issus de la cohorte EPIC (European Prospective
Investigation Into Cancer and Nutrition) (Ford et al., 2009). Les participants répondant
aux quatre critères d’un style de vie sain ont un risque réduit de 78 % de développer des
maladies chroniques, et cette réduction est d’autant moins importante lorsque le nombre
de critères diminue (par exemple, réduction de 21 % pour le seul critère « alimentation
saine » et réduction de 24 % pour le seul critère « activité physique »). Cette étude montre
bien que la prise en compte de l’activité physique est un critère important à considérer, et
donc qu’une approche holistique de l’alimentation est nécessaire. En effet, les participants
adhérant à la fois aux critères « régime sain » et « activité physique » ont un risque réduit
de 66 %, soit 45 % de plus qu’en prenant seulement en compte l’alimentation, et 42 %
de plus qu’en prenant seulement en compte l’activité physique.

3. Approche holistique des modes alimentaires


et de leur relation avec les grandes
pathologies dégénératives et métaboliques

Une approche holistique des modes alimentaires inclut donc à la fois les entrées (« inputs »
ou régimes alimentaires) et les sorties (« outputs » ou exercice physique), signifiant qu’à
régime alimentaire identique mais niveau d’activité physique différent, l’alimentation n’aura
pas le même impact sur la santé.
Mais focalisons-nous sur l’alimentation. Tout d’abord, cette dernière doit s’inscrire dans
une démarche préventive afin d’éviter de développer une maladie chronique, et non dans
une démarche curative pour corriger une alimentation déjà déséquilibrée à la base. Dans
cette optique, parce que le surpoids, l’obésité et le diabète de type 2 augmentent le risque
de développer d’autres maladies chroniques comme les maladies cardiovasculaires et les
cancers, il est nécessaire de tout faire pour ne pas tomber dans l’entonnoir de ces deux
dérégulations métaboliques (Fardet et Boirie, 2013). Un examen exhaustif de la littérature,
basé sur une approche holistique des relations entre 15 groupes alimentaires et 10 maladies
chroniques et sur la comparaison « consommations élevées versus basses », montre claire-
ment qu’un régime riche en produits végétaux peu transformés (fruits, légumes, grains et
graines), incluant des produits laitiers et favorisant le thé, le lait et le café aux boissons
sucrées permet de rester en bonne santé (Fardet et Boirie, 2014).

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12 ■ Introduction

Cependant, aucun aliment ou groupe d’aliments n’est à exclure : ce serait « retomber »


dans une approche réductionniste. Tout est question de quantités et d’aliments associés,
donc de régimes alimentaires, voire de mode de vie. Pourtant, un aspect a longtemps été
négligé dans les recommandations nutritionnelles pour rester en bonne santé, c’est celui du
degré de transformation des aliments. En effet, plus les populations adhèrent à un régime
à base d’aliments ultra-transformés (c’est-à-dire fractionnés, raffinés puis recombinés et
additionnés de sucres, sels et matières grasses), plus leurs risques de développer des maladies
chroniques sont élevés (Fardet et Boirie, 2014). Cela a particulièrement bien été étudié
dans la population brésilienne (Canella et al., 2014 ; Louzada et al., 2015a ; Louzada et al.,
2015b ; Monteiro et al., 2011 ; Monteiro et al., 2013 ; Moubarac et al., 2014 ; Moubarac
et al., 2013), menant le gouvernement à publier fin 2014 les premières recommandations
nutritionnelles basées sur une approche holistique de l’alimentation (donc prenant en
compte toutes ses dimensions) et le degré de transformation des aliments, et non basée
sur les groupes d’aliments classiques (Ministry of Health of Brazil, 2014 ; Monteiro et al.,
2015). Ceci n’est pas étonnant car les produits alimentaires ultra-transformés participent
d’une vision réductionniste de l’alimentation, ignorant le rôle des effets « matrice », « bio-
disponibilité » et « synergie » au sein de l’organisme humain.
Il est donc aujourd’hui nécessaire de changer les paradigmes sous-tendant notre approche
de la relation entre alimentation et santé : ces nouveaux paradigmes devraient inclure une
approche plus holistique de la nutrition, la prise en compte du degré de transformation et
de l’effet « matrice » dans le potentiel santé des aliments (figure 2.1), pas seulement l’apport
énergétique et la composition en nutriments. Ce n’est qu’à ce prix que l’on pourra espérer
enrayer le développement toujours croissant des maladies chroniques dans le monde ; et
cela demande de repenser ce qu’est la fonctionnalité d’un aliment.

Procédés technologiques : +

1) Aliments naturels ou peu transformés Potentiel


2) Aliments moyennement transformés santé
3) Aliments ultra-transformés

± ±
1 2
Structure physique Densité nutritionnelle et
de la matrice composition chimique
(paramètres qualitatifs) (paramètres quantitatifs)

Satiété Bio-accessibilité Effet fibre Effet sur


Biodisponibilité /côlon le transit

Mesures : taille de particules, densité, Mesures : scores/index


fragmentabilité, dureté, gélatinisation nutritionnels, analyses
de l’amidon, porosité, Aw, biochimiques...
index glycémique...

Aliments Santé
naturels

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 Chapitre 2    Aliments fonctionnels et fonctionnalité de l’alimentation ■ 13

Figure 2.1. La relation entre les procédés technologiques, la composition en nutriments, la structure physique
des aliments et leur potentiel santé (adapté de Fardet et al. (Fardet, Rock et al., 2015b)).

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