FAC SIMILE Octobre 2019

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Toutsavoir
surl’homme
quidéfie
labien-pensance

Quiest(vraiment)
ÉricZemmour
 Éric Zemmour,
journaliste,
écrivain,
polémiste.
Engagé.

La vérité
PHOTOPQR/LE PARISIEN/MAXPPP

temps de quitter son polo jaune et

de revêtir une chemise blanche, et
Zemmour relit ses notes en se mor-

sur Zemmour
dillant le pouce.
Sur le gril de l’émission, ce jour-
là, l’ex-ministre UMP Bruno Le Maire,
le patron de Mediapart Edwy Plenel
et le journaliste sportif Daniel Riolo
vont se frotter aux “deux Éric”. Dans
Il pourfend la pensée unique, défend la France la salle de maquillage, les deux ter-
reurs du Paf se chamaillent. « Casse-
d’autrefois, condamne les dérives de l’époque et réveille toi, Naulleau, t’es là depuis une heure ! »
les consciences. En une décennie, le journaliste Éric Ambiance bon enfant. Il faut filer sur
Zemmour a imposé un style, une marque, et réhabilité le plateau. Dans l’escalier sombre qui
le mène vers les projecteurs, Zem-
un discours abandonné par la classe politique. Enquête mour fredonne la chanson de France
sur le polémiste qui exaspère la bien-pensance. Gall : « Résiste ! Prouve que tu existes ! »
Son enthousiasme ferait presque
Par Geoffroy Lejeune oublier qu’il chante, comme le lui

S
a frêle silhouette sanglée dans
un imperméable beige se fau-
file furtivement entre les pas-
sants. Pavillon Gabriel, VIIIe
arrondissement de Paris, un
jour de printemps. Éric Zemmour
enregistre son émission hebdoma-
daire Zemmour & Naulleau sur la
chaîne Paris Première. Il passe inco-
gnito la barrière de sécurité. Le
reprochent ses enfants, « comme une
casserole ».
La bande-annonce de l’émission
fait grésiller la voix du général de
Gaulle : « Paris outragé ! Paris brisé ! »
Zemmour serre les poings et mime

2 — VALEURS ACTUELLES — Octobre 2019

6
12
Zemmour-Maréchal, les secrets de leur offensive
L’insoumis
16 L’entretien : “Il y a bien une âme française !”
le grand homme en susurrant avec
grandiloquence le célèbre « Paris
martyrisé ! » Les trois facettes de la
pensée zemmourienne s’expriment
ce jour-là : zélateur forcené de la
grandeur perdue de la France face
à Le Maire, il se mue en résistant de
la première heure face à l’inquisi-
teur Plenel, qu’il accuse de subver-
tir l’information pour promouvoir
ses idées gauchistes, puis en socio-
logue éblouissant analysant au tra-
vers du prisme déformant du foot-
ball, face à Daniel Riolo, les faiblesses
de la société contemporaine… Tout
Zemmour est là : homme politique,
philosophe, esprit libre, tour à tour
espiègle et frondeur, il terrorise l’es-
tablishment des plateaux télévisés,
assène ses vérités dans un jubilatoire
exercice de remise de l’église au
centre du village.
C’est l’histoire d’un homme arrivé
trop tard, dans une époque qu’il n’aime
pas, et trop tôt dans un monde qui
n’est pas prêt à changer. Lorsqu’il
débarque à la télévision, le person-
nage hérisse la société médiatique,
habituée au confort de l’entre-soi.
C’est l’ex-chanteuse à succès Dorothée
qui s’entend reprocher d’avoir « intro-
duit un truc d’une rare indigence et
d’une médiocrité inouïe ». C’est l’hu-
moriste Michaël Youn, auquel Zem-
mour ne veut surtout pas être com-
paré, car « on n’est pas comme lui, on
n’est pas des professionnels de la bonne
humeur pour enfants de 4 ans ». C’est
le comédien Jacques Weber, qui manque
de briser son verre d’eau en écrasant,
ivre de rage, son poing sur la table,
après que Zemmour l’a apostrophé :
« Vous savez très bien que le premier
problème dans les banlieues, c’est la
sécurité »…
Cinq années sur le plateau d’On
n’est pas couché auront suffi à Zem-
mour pour imposer une puissance de
feu. L’émission bat des records d’au-
dience, ses livres s’arrachent, comme
en témoigne le succès de ses livres, et
le phénomène Zemmour sur Internet
ne faiblit pas : la vidéo la plus consul-
tée a été visionnée plus de 5 millions
de fois ! À titre de comparaison, la
vidéo la plus regardée de François
Hollande, une parodie l’associant à
un personnage de jeu vidéo, dépasse
à peine 2 millions de vues…
Cette notoriété, Zemmour ne la
mesure pas totalement : tout juste en
sent-il le souffle lorsqu’il se promène
dans la rue. Son père, décédé il y a
quelques mois, lui disait : « Mon fils,
ils vont te tuer ! » Mais sur le trajet de
retour au Figaro, qu’il parcourt à pied
ce jour-là, des dizaines de personnes
l’accostent pour lui serrer la main,
échanger un mot sympathique. Un
livreur de sushis à scooter manque de
l’écraser : « Eh, mais c’est M. Zem-
mour ! » Une claque dans le dos, un
éclat de rire, et ça repart.
Son rire, justement, est à la fois
bouclier et arme de destruction mas-
sive : « Il me donne l’image inverse de
celle dans laquelle mes contradicteurs
veulent m’enfermer. » Par une sorte
de miracle, Zemmour le réactionnaire
s’est fondu dans le paysage média-
tique avec l’agilité d’un cabri, en a
intégré les codes, pour mieux diffu-
ser ses messages.
HOMME POLITIQUE,
PHILOSOPHE,
ESPRIT LIBRE,
TOUR À TOUR
ESPIÈGLE
ET FRONDEUR,
IL TERRORISE
L’ESTABLISHMENT.
Octobre 2019 — VALEURS ACTUELLES — 3
FRANCE
Est-il tenté par la politique ? Il ne
démentira pas, même s’il avoue déjà
en faire « à la Gramsci ». Certain, avec
le théoricien italien, que les idées
dominent le monde, il s’emploie à dif-
fuser sa pensée sur les ondes. Zem-
mour, ou l’anti-Plenel, utilise les codes
trotskistes pour imposer son « hégé-
monie culturelle ». Son débat face à
Tariq Ramadan, où, le premier, il se
lance dans un vibrant plaidoyer pour
le modèle assimilationniste français,
en est la preuve la plus indiscutable.
« Je revendique ! », plastronne Zem-
mour en levant l’index. Des années
après, tous les ténors de la droite ont
calqué leur discours sur ces mots jadis
proscrits du vocabulaire politique.
Mais Zemmour n’a pas attendu la
télévision pour exprimer sa pensée.
Après un essai politique sur Édouard
Balladur (Immobile à grands pas,
1995), son Coup d’État des juges
(1997) dessine les contours de la
prise de pouvoir de magistrats poli-
tisés au détriment des hommes poli-
tiques, et ce nostalgique de la poé-
sie du football des années 1970 y
consacre un chapitre prémonitoire
à la dérive du foot-business, déna-
turé par sa soumission aux règles
du marché.
Le Livre noir de la droite (1998)
esquisse aussi les reniements de la
droite avant que les Rats de garde
(2000), fable de politique-fiction (Éli-
sabeth Guigou y devient premier
ministre !) écrite en collaboration avec
Patrick Poivre d’Arvor, ne condamnent
— treize ans avant l’affaire Cahuzac !
— la dérive des journalistes et des
politiques fascinés par la transpa-
rence.
Zemmour révèle en 2002, dans un
portrait psychologique de Jacques
Chirac (l’Homme qui ne s’aimait pas),
sa rencontre avec Jean-Marie Le Pen
durant la présidentielle de 1988. En
 FRANCE / ZEMMOUR
KAMIL ZIHNIOGLU/AP/SIPA
2006, il accède enfin à la notoriété
médiatique avec le Premier Sexe,
essai au vitriol contre la féminisa-
tion de la société, et publie, en 2010,
sa somme historique Mélancolie fran-
çaise, dont il résume ainsi la thèse :
« Le déclin français commence au
XVIIIe siècle, avec deux sursauts :
l’Empire et la Première Guerre mon-
diale. À chaque fois, les Anglais nous
empêchent de profiter de ces aubaines
en se dressant sur notre route. »
Longtemps, Zemmour a cru qu’il
avait médiatiquement tort parce que
sa pensée était politiquement mino-
ritaire. Son succès a fait comprendre
à ce nostalgique fou de la campagne
de Maastricht que la représentation
politique n’est plus en phase avec
4 — VALEURS ACTUELLES — Octobre 2019
Manifestation de soutien à Éric Zemmour le 22 avril 2010.
l’opinion. Sa surexposition dans les
médias révèle, en creux, l’incapacité
de la droite à capter les aspirations
populaires. Hormis Séguin, en qui
il a beaucoup cru, il n’a pas trouvé
l’homme providentiel qui rendrait
son lustre à notre vieux pays. Il avoue
avoir voté Mitterrand en 1981, Che-
ZEMMOUR PLEURE
AUJOURD’HUI
LA “DÉCONSTRUCTION
DES VALEURS
TRADITIONNELLES”
ENTAMÉE
DANS LES ANNÉES 1970.
vènement en 2002, Sarkozy en 2007.
Sans y croire vraiment. En désespoir
de cause, car l’homme est de ces pes-
simistes invétérés pour qui l’Histoire,
tragique, impose de passer par le
chaos pour envisager le redresse-
ment, il poursuit sa croisade contre
l’Europe, la mondialisation, le libé-
ralisme. Il analyse la société en termes
de rapports de force, de lutte des
classes, de guerre des sexes.
L’adolescent qui ne vivait « que
pour Dumas, le foot, la politique et
l’histoire de France » pleure aujour-
d’hui la « déconstruction méthodique
entamée dès les années soixante-dix,
quand on a commencé à expliquer
que l’accomplissement individuel
était plus important que la famille,

et que le père devait être une deu-
xième mère ». Le vote du mariage
homosexuel, voulu par François Hol-
lande avec qui, jeune, il dévorait des
pains au chocolat au Café de Flore,
ne l’a pas surpris : « La fin de la société
patriarcale mène droit au mariage
homo. »
Il ne dévie pas de sa grille de pen-
sée : « Quand on me dit liberté, je
rétorque libéralisme : la famille, qui
a servi de socle à la société pendant
des millénaires, est vampirisée par
de prétendus progressistes qui font le
lit du marché. » Et assume, impertur-
bable, sa nostalgie : « L’Occident est
sorti du Moyen Âge en retrouvant ses
racines dans l’Antiquité, avec la Renais-
sance. » •
Le parcours
du combattu
Comment un fils d’immigrés né en banlieue
est devenu l’un des intellectuels les plus détestés
par la gauche.
Par Geoffroy Lejeune
P
as une fée penchée sur le ber-
ceau d’Éric Zemmour n’aurait
osé parier que ce fils d’immi-
grés juifs d’Algérie, né à Mon-
treuil en 1958, deviendrait le
polémiste craint, admiré ou détesté
qui règne aujourd’hui sur les médias.
Son bac en poche, Zemmour révise
sur la table de la salle à manger fami-
liale le concours d’entrée à Sciences
Po. Rue Saint-Guillaume, il fréquen-
tera les enfants de la bourgeoisie,
parmi lesquels Pierre Moscovici,
Guillaume Pepy, actuel patron de la
SNCF, et Pierre Bédier. Diplômé en
1979, il échoue par deux fois au
concours d’entrée de l’Ena, plombé
par la note en anglais que lui attri-
bue son jury, présidé par René
Rémond. Zemmour a 26 ans. Il sera
« Chateaubriand ou rien ».
Après un passage de trois mois
dans la publicité (« J’ai explosé, j’étais
nullissime ! »), il rejoint en 1986 le
Quotidien de Paris de Philippe Tes-
son, qui lui offre un poste au service
politique. Chargé du suivi de l’UDF
et du RPR, il écrit, devise des heures
durant, préférant porter la contra-
diction aux hommes politiques qu’écou-
ter benoîtement leur discours. Son
parcours du combattu commence en
1994 : juste avant la disparition du
Quotidien de Paris, il rejoint InfoMa-
tin en tant qu’éditorialiste. Honni par
Octobre 2019 — VALEURS ACTUELLES — 5
FRANCE / ZEMMOUR
cette rédaction de gauche, insulté
quotidiennement, il fourbit ses armes
et aiguise son sens de la controverse.
En 1996, il rejoint le Figaro, avant d’y
être rapidement “placardisé”. L’époque
n’est pas au journalisme d’idées que
pratique ce pourfendeur de la pen-
sée autorisée.
Il perce son plafond de verre
médiatique en 2006, avec le Premier
Sexe, son pamphlet sur la féminisa-
tion de la société. La promotion de
son livre lui vaut de vifs débats…
Laurent Ruquier le repère et lui pro-
pose de rejoindre On n’est pas cou-
ché, sur France 2. L’émission est un
immense succès. Elle allie à l’imper-
tinence d’Éric Naulleau le ton poli-
tiquement incorrect de Zemmour,
assurant des affrontements mémo-
rables et des audiences conséquentes.
Début 2011, son procès pour “pro-
vocation à la haine raciale” lui rap-
pelle que la horde guette. Attaqué
par les associations antiracistes, il
le sera à nouveau en 2012 pour sa
chronique sur Christiane Taubira,
qu’il accuse d’avoir « choisi ses vic-
times, ses bourreaux : les femmes,
les jeunes des banlieues sont dans
le bon camp à protéger, les hommes
blancs dans le mauvais ». Malgré les
pressions, il continue aujourd’hui
d’exercer sa liberté. Conditionnelle.
Surveillée. • •
FRANCE

Zemmour-Maréchal,
les secrets
de “l’opération 2022”
L’écrivain et l’ex-députée se sont affichés ensemble pour la première fois,
le 28 septembre à Paris. Première étape d’une recomposition de la droite,
simple galop d’essai ou stratégie pour battre Macron en 2022? Récit.

Par Bastien Lejeune

I
l aimait le football, les Rolling Stones
et les fraises Tagada. Certains disaient
qu’il ressemblait à Dominique Roche-
teau — à cause des boucles noires qui
descendaient dans sa nuque. C’était
un garçon comme les autres. Ou presque.
Gamin, Éric Zemmour préférait au
Mickey Magazine les biographies de
Napoléon, et l’admiration — la fascina-
tion même — éprouvée pour le “petit
caporal” ne le quitta jamais. C’est le
genre de clin d’œil dont l’histoire a le
secret: si l’essayiste devait, dans un futur
proche, prendre une décision qui ferait
basculer irrémédiablement son destin,
peut-être verrait-il un signe dans le lieu
où s’est noué le premier acte de cette
aventure, un après-midi de juin 2019.
Rue Bonaparte. Ce vendredi-là, le
journaliste a rendez-vous, dans cette
artère de Saint-Germain-des-Prés, avec

6 — VALEURS ACTUELLES — Octobre 2019


DAMIEN LEPETITGALAND/MAXPPP
Marion Maréchal, chez une amie que se
partagent les deux figures de la “droite
hors les murs”. Quelques jours plus tôt,
Les Républicains de François-Xavier
Bellamy ont subi une déroute électorale
retentissante aux élections européennes.
Au moment des résultats, l’entremet-
teur — qui demande à conserver l’ano-
nymat — dîne avec le jeune trublion de
l’union des droites Erik Tegnér. Les deux
décident de profiter du flottement que
nemanquerontpasdeconnaîtreLesRépu-
blicains pour « avancer des pions »: voilà
Zemmour et Maréchal réunis autour
d’un verre de rosé.
Éric Zemmour donne une
conférence dans l’école de Marion
Maréchal, en novembre 2018.
Les deux s’apprécient, se voient
régulièrement. Et partagent
le même objectif politique.
Ilséchangentleursaccords—lemoment
politique est propice pour tenter quelque
chose — et désaccords — elle se recon-
naît dans la droite et un certain libéra-
lisme, lui se décrit plutôt comme populiste
et bonapartiste. Insignifiantes nuances:
à la fin, les admirateurs de l’une sont les
soutiens de l’autre, et viceversa. Dans cet
appartement du VIe arrondissement, le
spectre des droites bourgeoise et popu-
laire, conservatrice et nationaliste est
représenté. Tous deux acceptent la pro-
position de leurs hôtes et prennent ren-
dez-vouspourlafindumoisde septembre.
L’attelage prend forme rapidement.
Tegnér s’associe avec le mensuel l’Incor-
rect et François de Voyer, le président
du Cercle Audace. Ce proche de l’an-
cienne députée du Vaucluse est resté
marqué par son souvenir du CPAC, la
réunion annuelle des conservateurs amé-
ricains, où Marion Maréchal avait donné
un discours, très commenté, en février
2018. Un hall gigantesque, des dizaines
d’associations côte à côte malgré des
différences de fond notables. « Tout le
monde s’entend bien, échange des cartes,
boit des verres… Leur capacité à se ras-
sembler m’avait fasciné », se souvient-
il. Il s’en émeut auprès de Nigel Farage,
présent ce jour-là, qui partage son admi-
ration pour le modèle américain.
Si cet état d’esprit semble incompa-
tible avec notre culture politique, l’idée
du trio est de lancer une sorte de CPAC
à la française, « forcer la main aux partis
qui refusent de se parler ». « Foutre la
merde. » Ce sera la “convention de la
“ON VEUT PRÉPARER
UN ÉCOSYSTÈME
FAVORABLE
À L’ÉCLOSION
D’UNE ALTERNATIVE
AU PROGRESSISME.”
Octobre 2019 — VALEURS ACTUELLES — 7
droite”. « On veut préparer un écosys-
tème favorable à l’éclosion d’une alter-
native au progressisme, qui nous
permettrait de battre Macron en 2022 »,
explique Tegnér; « La droite est difficile
à définir, mais ce qui est certain, c’est
qu’elle s’oppose en tout point au progres-
sisme porté par Macron », poursuit
Jacques de Guillebon, directeur de la
rédaction de l’Incorrect.
La dure réalité des logiques partisanes
Marion Maréchal, qui confesse n’avoir
pas hésité à participer, partage cette
ambition de « redessiner les contours
idéologiques de ce mouvement de pensée
confus du fait des trahisons répétées
des Républicains ». Pour casser l’effet
“université d’été”, le casting se veut éclec-
tique: le journaliste Ivan Rioufol, l’avo-
cat Gilles-William Goldnadel, le fondateur
de l’Institut de formation politique
Alexandre Pesey, l’écrivain Laurent
Obertone, Candace Owens, égérie de
Trump, ou le consultant Frédéric Saint
Clair se succéderont sur scène, quand
le Dr Laurent Alexandre ou l’essayiste
Raphaël Enthoven viendront porter la
contradiction pour « fuir le confort d’une
rentrée politique ».
L’événement est politique, c’est
entendu. Mais pas électoral, précisent
en chœur les organisateurs. Il faut dire
que les précédentes tentatives de faire
advenir une union électorale des diffé-
rentes droites se sont systématiquement
soldées par des échecs cuisants. C’était
Le Rendez-vous de Béziers de Robert
Ménard en mai 2016 ou Les Amoureux
de la France de Jean-Frédéric Poisson,
Nicolas Dupont-Aignan et Emmanuelle
Ménard. Chaque fois, les bonnes volon-
tés se heurtent à la réalité des logiques
partisanes (lire pages 20 et 24).
L’esprit de parti frappa une nouvelle
fois, quelques semaines après le rendez-
vous de la rue Bonaparte. Fin juin, une
quinzaine d’élus LR dînent avec Marion •
 FRANCE / ZEMMOUR
JACQUES WITT/SIPA
Maréchal, geste interprété comme un
premier pas vers la fin du « cordon sani-
taire ». L’un des “fautifs”, l’élu local des
Pays de la Loire Sébastien Pilard, se jus-
tifie en affirmant « préférer dîner avec
Marion qu’avec Macron ». « Comment ça
peut surprendre quelqu’un? interroge
aujourd’hui le cofondateur de Sens
commun. Vu mon histoire politique, cela
relève de l’évidence. » Si Jean Leonetti,
président par intérim, rappelle que l’ap-
partenance au parti LR implique une
« totale étanchéité » avec « l’extrême
droite », Pilard est soutenu localement
par Bruno Retailleau et reçoit de nom-
breux messages de soutien de militants.
Tétanisé par l’élection à venir de son
nouveau président, le parti ne remue
plus. Xavier Breton, présent au dîner, se
paie même le luxe de participer à la
convention sans que cela suscite de réac-
tions démesurées: « Il faut cesser de
réfléchir en termes d’alliances pour se
concentrer sur une dynamique, précise
le député de l’Ain. Et si on prétend que
l’extrême droite est infréquentable, il
faut expliquer pourquoi. » Reste que
cette “extrême droite” rejetée par LR
n’est pas spécialement non plus dans
une logique de main tendue.
Septembre 2019, réunion au sommet
au Rassemblement national. Le sujet est
dans toutes les têtes, et c’est Bruno Gol-
lnisch qui brise la glace. Que faire quand
on nous invite à la “convention de la
8 — VALEURS ACTUELLES — Octobre 2019
de sa liste aux élections européennes a précipité
la démarche des organisateurs de la convention.
droite”? Que dire quand on nous inter-
roge à son sujet? À Nanterre, ce qui est
déjà perçu par Marine Le Pen comme
une tentative des proches de sa nièce
d’organiser en 2022 une « opération à
la Macron » a rapidement déclenché une
« crise passion ». « Marine n’a pas inter-
dit formellement d’aller à la conven-
tion, mais on sait comment ça marche
ici: la Corée du Nord est plus démocra-
tique », cingle un membre du bureau
national. Personne, au RN, ne semble
prêt à prendre le risque d’agacer — euphé-
misme — la patronne. « Marine n’a qu’à
appuyer sur un bouton pour faire dis-
paraître presque n’importe qui de la
photo, développe un autre. Regardez ce
qu’elle a fait à Philippot, à Marion… »
C’est le nœud du problème. L’équa-
tion est ainsi résumée par la tête d’af-
fiche Zemmour : « Premièrement, si
Marine Le Pen sort en tête du camp anti-
Macron, Macron va la battre. Deuxième-
ment, la droite n’osera jamais proposer
un grand rassemblement avec Marine
Le Pen. Tant qu’on aura ces deux
“LE FAIT QUE MARINE
NE PUISSE PAS
DÉPASSER LES 50 %
EST UN AXIOME
INDÉMONTRÉ.”
François-Xavier Bellamy. La déroute
obstacles-là, Macron peut dormir tran-
quille. » Cette droite-là se trouve donc
face à une contradiction, persuadée que
son pôle électoral le plus puissant est en
même temps pour elle la garantie de ne
jamais accéder au pouvoir.
Stratégie buissonienne
« L’union des droites n’est pas aussi forte
que Marine Le Pen, contredit le polito-
logue Jérôme Sainte-Marie. Le fait que
Marine ne puisse pas dépasser les 50 %
est un axiome indémontré. Je ne doute
pas un instant que Mitterrand était pré-
senté dans les années 1990 comme la
garantie pour la droite de rester au pou-
voir… » Deux sondages, publiés l’année
dernière par l’Ifop, plaçaient Marine
Le Pen à 43 %: « C’est quoi, ce plafond
de verre qui passe de 33 % à 43 %? pour-
suit Sainte-Marie. C’est une construc-
tion, un mot qui qualifie simplement de
manière mouvante le niveau maximal
jamais atteint par le RN. »
Ces prospections sondagières n’ont
jamais fait vaciller la conviction de la
directrice de l’Issep, qui défend la stra-
tégie développée par Patrick Buisson
dans la Cause du peuple, ainsi synthé-
tisée par l’ancien conseiller de Nicolas
Sarkozy: l’alliance de la France de Johnny
et de la France de La Manif pour tous.
Parce qu’il estime que l’union des droites
est électoralement insuffisante pour par-
venir à 51 %, Zemmour, lui, est suspecté
En 2016, la tentative de Robert Ménard
d’œuvrer au rapprochement des droites
s’était heurtée à la réalité de l’esprit partisan.
de voir d’un bon œil un rapprochement
avec Jean-Luc Mélenchon.
« Je ne suis pas Philippot, je n’ai que
faire d’une alliance avec un parti vérolé
parl’allianceentreles islamo-gauchistes
et les féministes », se défend l’éditoria-
liste du Figaro. Selon lui, il existe un
électorat populaire, français, composé
de petits fonctionnaires, de professeurs,
tous les jours au contact de l’immigra-
tion de masse. « Ces gens-là sont en pre-
mière ligne, ils sont à Verdun. » Cet
électorat naturel de la gauche depuis
trente ans, parce qu’il « ne suivra pas
La France insoumise ou le PS de Glucks-
mann dans leur cosmopolitisme et leur
islamo-gauchisme », a, selon Zemmour,
vocation à rejoindre un mouvement de
droite nationale, identitaire, qui défende
les mœurs et la culture françaises.
On se demande s’il faut opposer les
conservateurs ou les populistes aux pro-
gressistes, les souverainistes aux mon-
dialistes ou les nationalistes aux
multiculturalistes. Lui pense que l’im-
migration est le « vrai clivage » — il
regrette que Marine Le Pen « n’en parle
jamais » —, le seul axe qui permette, sur
le plan tactique, de rassembler tous les
électeurs ciblés par le duo qu’il pour-
rait former avec sa nouvelle alliée.
Marion-Zemmour, combien de divi-
sions? La question, en l’état, ne se pose
pas… car aucun des deux n’a revendi-
qué d’ambitions électorales. « C’est très
simple: ce sont des agitateurs velléi-
taires. Ni elle ni lui ne seront candidats
en 2022, tance un familier du palais de
l’Élysée, proche du président de la Répu-
blique. Ils sont simplement les indica-
teurs que la droite française est devenue
la basse-cour criarde des canards sans
tête… Tout ce monde piaille dans tous
les sens, mais au fond ne produit pas de
pensée. » Bien plus bienveillant, Robert
Ménard confie malgré tout son « exas-
pération » de voir la droite organiser
des conventions sans s’atteler concrète-
ment à son problème d’incarnation: « Je
veux bien qu’à Paris on se prenne pour
Gramsci, mais moi je m’en bats l’œil de
la métapolitique. Il y a urgence: la droite
doit être incarnée, et ni Éric ni Marion
ne sont candidats à la présidentielle. »
Dans les faits, la droite est incarnée…
Seulement elle ne l’est pas dans le champ
électoral. « Mitterrand disait que la poli-
tique, c’est parler aux gens. Moi, je parle
“MITTERRAND DISAIT
QUE LA POLITIQUE,
C’EST PARLER AUX
GENS. MOI, JE PARLE
AUX GENS ! ÇA FAIT
QUINZE ANS QUE JE FAIS
DE LA POLITIQUE.”
Octobre 2019 — VALEURS ACTUELLES — 9
FRANCE / ZEMMOUR
ALAIN ROBERT/APERCU/SIPA
aux gens! argumente Zemmour. C’est
aussi défendre des convictions et des
idées. Ça fait quinze ans que je fais de
la politique. » Dans ses interventions
télévisées, l’essayiste prend soin de ne
jamais poser de questions à ses invités
mais de débattre avec eux. Manière d’as-
sumer son positionnement politique.
Mais s’il se perçoit comme un acteur
politique depuis plus de dix ans, l’idée
de convertir sa popularité médiatique
dans les urnes n’est apparue que beau-
coup plus récemment dans son esprit.
Éric Zemmour n’est plus journaliste
« J’ai vu le moment où Éric Zemmour a
cessé d’être journaliste. » En 2014, au
moment de la sortie du Suicide fran-
çais, le journaliste le plus connu de
France entame une série de conférences
dans les régions, doublée d’une tournée
des capitales européennes. Les salles
sont de plus en plus grandes, toujours
plus remplies. Le livre est un best-seller.
Chaque soir, Zemmour pénètre sur scène
en musique, acclamé telle une rock star
de la politique, devant un parterre de
militants chauffés à blanc. La journa-
liste du Monde Ariane Chemin suit l’au-
teur à Béziers et rapporte cette liesse
dans le quotidien du soir. On vient le
chercher en limousine, la ville est cou-
verte d’affiches pour annoncer sa venue,
il est attendu par ses aficionados. Éric
Zemmour n’est plus journaliste. •
 FRANCE / ZEMMOUR
l’affrontement avec sa tante. À droite, Éric Zemmour dédicace “le Suicide français” en 2014.
NICOLAS TAVERNIER/REA
Qu’est-il devenu? Son éditrice, Lise
Boëll, l’accompagne pour leur cin-
quième livre ensemble – en dix ans de
collaboration, ils ont déjà écoulé près
de 900000 exemplaires. Elle est aux
premières loges de sa métamorphose.
« L’intellectuel est subitement passé de
la théorie au terrain, raconte-t-elle.
Lors de ses conférences aux quatre
coins de la France, il a rencontré les
gens, a confronté ses idées à la réalité
de leur expérience. Ce fut son premier
contact avec le terrain politique. » Dans
le train en direction de Lyon, où il doit
donner une conférence, il apprend que
le Premier ministre d’alors s’en est pris
directement à lui et à son « déclinisme ».
Manuel Valls récidive dix jours plus
tard, classant Zemmour parmi ceux
qui « vont jusqu’à défendre des thèses
racistes ou négationnistes, ceux qui
construisent leur notoriété sur la peur,
la résignation, la réaction », ceux qui,
en somme, « ne méritent pas qu’on les
lise ». Un indice de la dimension nou-
velle qu’il est alors en train de prendre.
Il commence à penser que l’idée n’est
peut-être pas si folle et reçoit même des
propositions de financement d’une
éventuelle campagne présidentielle.
Lui jure n’avoir jamais changé: ce n’est
pas parce qu’il incarne des idées poli-
10 — VALEURS ACTUELLES — Octobre 2019
Marion Maréchal et Marine Le Pen. La nièce a toujours fixé comme ligne rouge
Ses adeptes se demandent si sa popularité pourrait être convertie électoralement.
“ÉRIC A UN POTENTIEL
D’INTELLECTUEL
UNIQUE EN FRANCE,
MAIS LA FONCTION
PRÉSIDENTIELLE,
C’EST DE L’ACTION !”
tiques qu’il serait un homme politique à
proprementparler.«Jeremplisunmanque,
c’esttout », plaide-t-il. Il disserte sur cette
vieille histoire, bien française, des imbri-
cations entre journalisme, littérature et
politique. Cite Barrès, Chateaubriand,
Zola, Hugo et Lamartine. Enfant, il avait
développé une fascination pour Lucien
de Rubempré, incarnation de sa vision
mouvante des frontières entre ses trois
métiers.«À14ans,cen’estpastantRubem-
pré qui me séduisait que l’univers dans
lequelilévoluait, raconte-t-il. C’estcomme
Rastignac,Lousteauoud’Arthez…Balzac
avait tout compris. »
Zemmour peut s’échapper, se réfu-
gier dans son rôle de porte-parole des
idées délaissées par le système politico-
médiatique, toujours, cette pensée lui
revient, pas forcément si saugrenue. « À
tout le moins, elle est bien moins lou-
foque qu’on veut bien le dire, argumente
le sociologue québécois Mathieu Bock-
Côté. Zemmour incarne une résistance
combative et combattante au politique-
ment correct. Si certains rêvent à Zem-
mour, c’est qu’ils considèrent que la
classe politique de droite est inverté-
brée. » L’enthousiasme est plus mesuré
du côté de son éditrice, Lise Boëll: « Éric
a un potentiel d’observateur politique,
de critique et d’intellectuel unique en
France, mais la fonction présidentielle,
c’est de l’action! Il faut manager, gérer
des ministres. Je me demande s’il ne ris-
querait pas de se brûler les ailes. »
Durcissement du système médiatique
La question se pose d’autant moins que
la conjoncture est aujourd’hui moins
favorable qu’au moment de la sortie
du Suicide français. Lui-même en
convient: « Je comprends qu’on s’inter-
roge sur ma candidature, mais pour
cela il faudrait des circonstances qui
aujourd’hui ne se présentent pas. » Le
blocage est lié à la présence d’un RN
indéboulonnable, mais aussi à sa propre
évolution depuis 2014. La nouvelle dimen-
sion prise par l’essayiste a entraîné un
durcissement des médias et des réseaux
politiques. Certaines portes se ferment,
les invitations se raréfient.

BEBERT BRUNO/SIPA
Pendant la promotion de son dernier
ouvrage, Destin français, un désaccord
stratégique l’opposa à Lise Boëll, qui
trouvait sa trajectoire trop marquée à
droite. Passé le pic de ventes post-“affaire
Hapsatou”, sa séance de dédicace à
La Nouvelle Librairie et sa conférence
dans l’école de Marion Maréchal ache-
vèrent de le cataloguer à “l’extrême
droite” aux yeux du système médiatique.
La porte s’est-elle refermée? En tout cas,
tous ceux qui ont croisé Zemmour au
cours des trois derniers mois en ont parlé
avec lui… Et son rapprochement avec
Marion Maréchal marque une nouvelle
étape dans sa réflexion. « Ils ne savent
pas exactement ce qu’ils veulent faire,
mais ils savent qu’ils veulent le faire
ensemble… », résume Erik Tegnér.
L’uneetl’autre,pourtant,ontdebonnes
raisons de se tenir à l’écart de l’arène élec-
torale. S’agissant de la première, l’équa-
tion est déjà connue. Depuis son retrait
de la vie politique, la petite-fille de Jean-
Marie Le Pen a toujours décrit comme
une ligne rouge l’affrontement avec sa
tante. « Elle considère que la France vit
unepériodebeaucouptroptragiquepour
lui infliger une nouvelle dispute de la
famille Le Pen, confie un proche. Elle
trouverait ça vraiment méprisable. »
Gênée par cette situation, elle a appelé
satantepourcalmerlejeuavantlaconven-
tion et la rassurer sur le fait que l’événe-
ment n’était pas dirigé contre elle. Au
moment de quitter la vie politique, en
mai 2017, la jeune députée avait aussi
invoqué la nécessité de consacrer plus de
temps à sa fille, à qui elle a « beaucoup
manqué dans ses premières années si
précieuses ». Quelques mois plus tard,
elle annulait même au dernier moment
un déjeuner avec un ponte de la droite
hors les murs pour rester au chevet de sa
fille malade. Changement de priorités.
De la même manière, la préservation
de son équilibre familial est un élément
fondamental pour Zemmour, souvent
oublié par les spéculateurs. « Depuis
trente ans, sa femme est capitale dans
sa vie, elle participe à toutes les grandes
décisions », affirme une amie proche.
L’entourage de Zemmour décrit la grande
influence de son épouse sur l’auteur du
Premier Sexe, qui s’acquitte de bonne
grâce de certaines tâches ménagères ou
effectue un détour en rentrant du Figaro
pour acheter les fruits, le fromage et le
poisson. Ses amis s’interrogent sur sa
forme physique, sa capacité à tenir le
choc d’une campagne présidentielle et
d’un éventuel quinquennat. Lui se dit
toujours « touché, flatté, encouragé »
par cet enthousiasme, mais s’évertue à
rester lucide: « C’est une vieille phrase
mais elle n’a rien perdu de sa justesse:
les conseilleurs ne sont pas les payeurs. »
Et l’addition pourrait être salée en
cas d’épopée élyséenne… « Contraire-
ment à ce que l’on dit, Macron n’est pas
tout à fait sorti de nulle part, s’inquiète
une proche du couple. Il était énarque,
soutenu par tous les patrons, le lobby
LGBT, tout le système. » Mathieu Bock-
“SON DERNIER MOTEUR
LE MAINTIENT DANS SON
ÉNERGIE ET SA FORCE.
IL N’A PAS ENVIE
DE SORTIR DE
CETTE AMBIGUÏTÉ.”
Octobre 2019 — VALEURS ACTUELLES — 11
FRANCE / ZEMMOUR
Côté ne dit pas autre chose: « Zemmour
est plus que courageux, mais je devine
qu’il sait que le système chercherait tout
simplement à l’anéantir de toutes les
manières possibles. »
Dans l’esprit de ses organisateurs, la
“convention de la droite” fut un immense
succès. Le 28 septembre, les projecteurs
médiatiques étaient braqués sur La Pal-
meraie, dans le XVe arrondissement
— plus de 130 demandes d’accréditation
presse avaient été formulées —, à l’affût
d’un signal lancé par l’une des deux stars
de la droite hors les murs. Une manière
de faire exister les membres du casting
et ce courant de la droite électoralement
inexistant en profitant du fantasme
généré par le duo de proue.
2021, un nouveau livre… et une campagne ?
Maréchal n’a jamais insulté l’avenir, ni
fermé la porte à un retour, selon les
conditions et l’utilité d’un tel come-back.
Lui manie l’ambiguïté de manière quasi
involontaire. Il ouvre une conférence
dont l’adversaire désigné est Macron?
« Je comprends bien votre sous-entendu,
mais on ne se situe pas sur le même plan,
pour l’instant… » Son éditrice décrypte:
« Éric est l’essayiste ayant vendu le plus
de livres ces dix dernières années. Son
dernier moteur, même si c’est un fan-
tasme, le maintient dans son énergie et
sa force. Il n’a pas envie de sortir de cette
ambiguïté. » Zemmour prépare un nou-
veau livre pour 2021, après son récent
Destin français. Un prolongement du
Suicide français. « Il sera magique, plus
fort que le Suicide, de par la forme et le
propos. » Un an avant la présidentielle,
avec Marion Maréchal, il pourrait presque
s’offrir un nouveau tour de France en
forme de campagne. On verrait alors ce
qu’il y a de l’autre côté du Rubicon… Sui-
cide? Destin français? •
Retrouvez sur le Club VA l’intégralité
des réponses de Mathieu Bock-Côté
sur la “convention de la droite”
et la recomposition politique. •
12 — VALEURS ACTUELLES — Octobre 2019
 Éric Zemmour.
Au sommet de son art,
le polémiste est devenu
la bête noire de la gauche.
L’insoumis
Seul contre tous, il combat la pensée unique, vilipende
nos “élites nihilistes”, fustige la victoire des valeurs
“soixante-huitardes”. Son succès en librairies
a élevé Éric Zemmour au rang de héraut d’une France
qui refuse de sombrer dans le néant.
Portrait d’un authentique révolutionnaire.
Par Geoffroy Lejeune
D
ans un monde où chacun triche,
c’est l’homme vrai qui fait figure
de charlatan. En citant Gide et
ses Faux-Monnayeurs, Éric Zem-
mour pourrait parler de lui. Mais
rien ne prédisposait cet enfant de Balzac
et de Stendhal à subir le tombereau d’in-
jures qui a accompagné la parution de
ses livres ou chacune de ses interventions
publiques. Zemmour n’a pas été vraiment
surpris, mais tout de même, la violence
du choc l’a ébranlé.
Retour en 2014, au moment de la paru-
tion du Suicide français. Dans Libéra-
tion, voici l’affable chroniqueur qualifié
de « polémiste néoréac, homophobe et
xénophobe », son livre — « une dérive
française » — rencontrant un « inquié-
tant succès », sa caricature vilaine à sou-
hait accompagnant le titre « La France
rancedeZemmour». «Mafillem’aditque
ledessin ne me ressemblait pasdu tout »,
a commenté Éric Zemmour, accompa-
gnant son dédain d’un sempiternel éclat
de rire.
Même combat pour le Monde, qui fait
du soldat Zemmour le « symptôme des
angoisses françaises », sous-marin de
BRUNO COUTIER
la stratégie de « dédiabolisation du FN »,
coupable de « falsification idéologique »
et d’avoir étrenné un « marketing de la
Restauration ». Le premier secrétaire
du Parti socialiste, Jean-Christophe
Cambadélis, s’inquiète d’une « zemmou-
risation de la société ». Manuel Valls, au
voisinage duquel Zemmour a dansé lors
du dernier concert des Rolling Stones à
Paris, dénonce ses thèses d’« adversaire
de la République ». Rien que cela… Face
à un tel déferlement, Zemmour a gardé
son sang-froid et, surtout, son humour.
« Ils sont même allés chercher le vieux
Paxton! », s’est-il amusé en constatant
que certaines publications convoquaient
l’historien américain pour battre en
brèche ses théories sur Vichy. En bête
médiatique, il a pris l’habitude de ter-
rasser ses adversaires de plateaux télé-
visés, qui rêvent de “se payer” Zemmour,
de démonter ses théories, à grand ren-
fort d’érudition et de références litté-
raires ou historiques. Rien ne lui aura
ET SI ZEMMOUR
ÉTAIT LE DÉCLENCHEUR
D’UNE RÉVOLTE
CONTRE
DES ÉLITES
DÉCONNECTÉES ?
Octobre 2019 — VALEURS ACTUELLES — 13
FRANCE
été épargné, du roquet en quête de noto-
riété à la statue du commandeur média-
tique, pour ruiner les efforts de
pédagogie qu’il déploie au fil des 528
pages de son Suicide français.
Pourquoi tant de haine? Parce que
Zemmour cogne là où ça fait mal. Remue
le couteau dans la plaie. Parle mieux que
personne du déclin français et, pour la
première fois, analyse ses causes par les
coups portés à la nation, à l’identité, à la
souveraineté. Zemmour fracasse l’idéo-
logie dominante, pointe les coupables du
déclassement national, porte un coup
mortel à leur idéologie jusqu’ici floris-
sante. Ces « trois ans de boulot » l’ont
conduit à disséquer Bernard-Henri Lévy,
Balavoine, Coluche, Louis Schweitzer, à
qui il consacre un portrait au scalpel.
Modestement, Zemmour veut être le
Michel Foucault de son époque: quand
celui-ci a bâti une idéologie dominante,
lui la torpille.
« De quoi Zemmour est-il le nom? »,
feignent de s’interroger ses détracteurs,
pour mieux expliquer le « retour des
années 1930 » (Renaud Dély et Claude
Askolovitch) ou déceler des relents pétai-
nistes en France. Et si, tout simplement,
Zemmour était le symptôme et le déclen-
cheur d’une révolte populaire contre des
élites déconnectées, méprisantes et cou-
pables d’une entreprise de destruction à
grande échelle? Zemmour est celui qui
triomphe en librairie, quand l’ex-icône
bien-pensanteYannickNoahestcontrainte
d’annuler ses concerts faute de public,
payant ses engagements politiquement
corrects.
Zemmour est celui qui fait décoller
les audiences des émissions de divertis-
sement quand l’ex-idole Bernard-Henri
Lévy réduit la programmation de sa pièce
dans un théâtre germanopratin, faute de
spectateurs. Dans un monde ou le mani-
chéisme triomphe et où la raison est non
grata, Zemmour est celui qui réhabilite •
 FRANCE / ZEMMOUR
FRANTZ BOUTON/NICE MATIN/MAXPPP
un art du débat à la française, faisant de
sa pensée systémique une arme de des-
truction massive, orientée contre les niai-
seriesvéhiculéesparl’idéologiedominante,
car, répète-t-il après Gide, «onnefaitpas
delittératureavecdesbonssentiments».
Certains esprits chagrins s’échinent
à tenter de comprendre le “phénomène”
Zemmour, veulent l’enfermer dans un
coin, le traquent pour connaître son
vote… Lui ne se démonte pas. Jamais.
« Il faut arrêter de penser qu’on ne doit
pas déraper. Il ne faut pas se laisser inti-
mider », a-t-il harangué la foule venue
l’écouter à Béziers, où il s’est rendu à
l’invitation du maire, Robert Ménard,
dans une conférence aux airs de mee-
ting politique.
Car Zemmour, qui s’est installé récem-
ment dans le fauteuil de l’interviewé chez
Jean-Jacques Bourdin, sur BFM TV, fait
de la politique. Pas au sens où l’entendent
ceux qui veulent le coincer, mais au sens
gramscien du terme, comme il l’avoue.
« Je l’assume complètement, détaille-t-il.
On fait tous de la politique. Ceux qui
disent qu’ils n’en font pas sont des men-
teurs parce qu’ils font de l’idéologie, et
c’est la même chose. Faire de la politique
neveutpasdireêtreunhommepolitique,
14 — VALEURS ACTUELLES — Octobre 2019
jusqu’à la gestuelle des politiques en campagne.
un élu. Moi, je mène un combat politique
dans la réflexion. »
Zemmour perpétue la tradition fran-
çaise qui confond, « comme Cha-
teaubriand», le journalisme, la politique
et la littérature. Il se dit nostalgique des
affrontements idéologiques d’antan,
quand il était encore possible de débattre
de tout. « À 14 ans, on s’engueulait dans
lacourderécréationausujetdelanatio-
nalisation de Dassault, je m’en souvien-
drai toute ma vie. » Il confesse de rares
amitiés avec les politiques rompus à cet
art, Cambadélis, Dray, Guaino, Mélen-
chon, Buisson, et leurs aînés, Chevène-
ment, Le Pen, Pasqua…
À ceux qui le questionnent sur la ten-
tation de se présenter un jour devant le
suffrage universel, il réplique que cette
hypothèse, malgré les « Zemmour, pré-
sident! » qu’il entend ici où là, ne l’« inté-
“LA GAUCHE
ET LA DROITE
ONT LAISSÉ TOMBER
LE PEUPLE,
IL L’A RAMASSÉ.”
En conférence à Nice, Éric Zemmour adopte
resse pas ». Au sujet de ces élus, qu’il a
côtoyés durant ses années de journalisme
politique au Quotidien de Paris et au
Figaro, il paraît dépité: « Je ne leur jette
pas la pierre, mais ça doit être très dur
d’être politique aujourd’hui. Tu ne peux
pas dire ce que tu penses face à la disci-
pline de parti et à la terreur médiatique.
Je les plains, surtout les plus intelligents
d’entre eux, qui comprennent très vite la
vacuité de leur situation… »
Il est loin, le temps où le petit journa-
liste fut traumatisé par une séance de
dédicace lors de laquelle Jean Yanne,
assis à son côté, vendit tous ses livres en
une matinée, quand lui désespérait d’at-
tirer des lecteurs. Zemmour est devenu
le symbole d’une époque où les idoles
capitulent, où les soumis se rebellent, où
les masques tombent. « La gauche et la
droite ont laissé tomber le peuple, il l’a
ramassé », se désole son compère Éric
Naulleau. Zemmour annonce une France
à deux doigts du chaos, où les affronte-
ments ethniques vont s’intensifier, où les
«gensseséparent» et préparent la guerre
civile. Zemmour prophétise: «Ilestminuit
moins une. » Mais, comme l’a compris
Boris Vian, « les prophètes ont toujours
tort d’avoir raison ». •
 À LA FORMULE INTÉGRALE ET

JE M’ABONNE JE DEVIENS MEMBRE DU CLUB VA

+ LES DANGERS DU
TRANSHUMANISME
Avec Michel Onfray, Thibaud Collin,
Dominique Folscheid, Jean-Marie Le Méné
et Laurent Alexandre
Dossier coordonné
par Charlotte d’Ornellas

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16 — VALEURS ACTUELLES — Octobre 2019

“IL Y A BIEN UNE ÂME FRANÇAISE !”
Sa vraie passion, c’est l’histoire. Deux heures durant,
A
Éric Zemmour s’est livré au jeu des questions-réponses
avec la rédaction de Valeurs actuelles pour détailler sa certitude:
le présent se comprend par le passé.
Avec un désespoir empreint de nostalgie, il avait
décortiqué les quarante années qui venaient
de précipiter son pays à l’heure des « conséquences
et de l’irréparable ». Mais par une ironie toute
française, c’est justement celui qui déplore la
désaffection de ses compatriotes pour la lecture
que les Français décidaient alors de plébisci-
ter dans les librairies. Le Suicide français,
500000 exemplaires vendus, fut un best-seller.
Mais le point de départ de la décrépitude occi-
dentale et française ne se situe pas à la fin des
années 1960. Éric Zemmour garde alors pour lui
l’intuition qui aboutira finalement à l’écriture du
livre le plus personnel de sa vie. Si notre chute fut
si violente, c’est que la France affronte aujourd’hui,
simultanément, toutes les épreuves qu’elle a endu-
rées dans son histoire millénaire. Pour le com-
prendre, il fallait revenir en arrière. À ce Destin
“MES français, que la France a ciselé pendant mille
ANCÊTRES ONT cinq cents ans. Par une galerie de portraits plus
ÉTÉ COLONISÉS ou moins inattendus, le journaliste dessine les
contours de cette nation unique, façonnée par des
PAR LA FRANCE, enfants de chair ou d’esprit qui se transmettent
J’AI PRIS des traits communs depuis les Gaulois réfrac-
LE PARTI DU taires! Zemmour est un guerrier, plus que jamais
sur le terrain historique; il sait qu’Orwell avait
COLONISATEUR raison d’écrire: « Qui contrôle le présent contrôle
COMME le passé. » Il a lu, cherché, écrit et réécrit au fil de
LES GALLO- ses découvertes, pour comprendre les person-
ANTHONY MICALLEF/HAYTHAM-REA
nages qui ont nourri, défendu, corrompu ou ravivé
ROMAINS. l’âme française. Et, 570 pages — passionnantes —
C’EST ÇA ÊTRE plus tard, s’impose au lecteur une étonnante
FRANÇAIS.” conclusion: bien plus encore que ses acteurs, tous
ces personnages n’ont cessé d’être les héritiers de
leur histoire. Les partisans du déracinement sont
prévenus: l’Histoire se venge. • Français. C’est bien le cœur de cet ouvrage.
FRANCE
Votre livre s’intitule Destin français
au singulier, et c’est pourtant une galerie de
portraits… Voulez-vous donc parler du vôtre?
J’ai sciemment joué sur les mots. D’abord, chaque
personnage est un destin français et incarne
une France dont je fais l’éloge ou la critique.
Ensuite, j’ai aussi un destin français. J’explique
dans une longue introduction pourquoi je l’ai
choisi à la suite de mes parents, en utilisant la
fameuse distinction de Suarès entre les pères
selon la chair et ceux selon l’esprit.
Enfin, et c’est un sens auquel je tiens, ce terme
signifie aussi fatalité. Nous vivons une époque
hyper rationalisée, technicienne, qui a voulu
tout régler par la négation de la fatalité. Sauf
que nous avons déclenché des bouleversements
tellement énormes que nous ne contrôlons plus
rien… Nous sommes paradoxalement revenus à
une situation qui relève quasiment de la malé-
diction des dieux ou de la fatalité, et donc du
destin au sens antique du terme. Comme l’écri-
vait Drieu la Rochelle dans les années 1930: « On
en arrive bientôt à l’époque des conséquences
et de l’irréparable. » Je crois que nous y sommes.
Votre livre ne procède-t-il pas justement
de cette phrase de Suarès que vous évoquiez,
et de l’urgence de redécouvrir ces pères
selon l’esprit?
Vous avez parfaitement compris. Il ajoute après
que « même quand les pères selon la chair contre-
disent les pères selon l’esprit, on doit se soumettre
aux pères selon l’esprit ». Mes ancêtres ont été
colonisés par la France, j’ai pris le parti du colo-
nisateur comme les Gallo-Romains. C’est ça être
•
Octobre 2019 — VALEURS ACTUELLES — 17

Alors justement, qu’avez-vous cherché
à écrire? Une réponse à l’Histoire mondiale
“EST-CE QU’ON de la France de Boucheron, votre roman natio-
RACONTE UNE nal, une définition de l’identité française?
HISTOIRE Lorsque j’ai commencé à écrire ce livre à la fin de
l’année 2015, Boucheron n’avait pas encore écrit
DE FRANCE, le sien — ou plutôt fait écrire le sien par une cen-
RÉELLE, taine d’historiens —, mais je n’ai pas été étonné
DE CE PAYS QUI du tout. Il y a des logiques idéologiques: cette his-
toire de Boucheron était l’aboutissement évident
A ÉTÉ FAIT PAR de tout ce qui était en germe depuis quarante ans.
L’ÉGLISE, LE Pour ma part, j’ai toujours vécu avec l’his-
CATHOLICISME toire de France, je la refais tout le temps. C’est
ma pathologie à moi! J’ai voulu expliquer pour-
ET LES ROIS, quoi, livre après livre, nous en sommes au temps
OU EST-CE de l’irréparable. Dans le Suicide français, je
QU’ON revenais sur les quarante dernières années. Cette
fois-ci, j’explique sa genèse. L’histoire de France
RACONTE UNE est ce qui constitue notre identité. Celle que l’on
HISTOIRE veut désintégrer et effacer. Comme un grand
NOUVELLE, effacement qui accompagnerait et renforcerait
le grand remplacement de population en cours.
POUR PLAIRE Les deux sont intimement liés. Dans chaque cha-
AUX pitre, je lie notre histoire à notre actualité. L’his-
POPULATIONS toire éclaire ainsi ce qui se joue aujourd’hui.
FRAÎCHEMENT Pour vous, l’histoire est devenue un enjeu
ARRIVÉES idéologique majeur…
OU SOUSCRIRE Et c’est pour ça aussi que j’ai fait ce livre, en effet!
La France est un pays fabriqué par l’histoire. Pas
À L’IDÉOLOGIE de langue commune, pas de géographie com-
MODERNE ?” mune, pas même de peuple unique… Nous savons
que notre unité, c’est l’histoire et la politique. Je
retrace cette tradition bien française des guerres
18 — VALEURS ACTUELLES — Octobre 2019
BERTRAND GUAY/AFP
de l’histoire dans mon introduction, germanistes
contre romanistes, partisans des ancêtres francs
contre ceux de l’Empire romain, historiens de la
Révolution contre ceux de l’Ancien Régime, giron-
dins contre montagnards, marxistes contre anti-
marxistes… Aujourd’hui, ces querelles sont
dépassées. Le seul vrai clivage qui demeure, on
le voit d’ailleurs avec le livre de Boucheron, est
celui de l’immigration.
Est-ce qu’on raconte une histoire de France,
réelle, de ce pays qui a été fait par l’Église, le
catholicisme et les rois ou est-ce qu’on raconte
une histoire nouvelle, pour plaire aux popula-
tions fraîchement arrivées, ou souscrire à l’idéo-
logie moderne?
Quel message retenir? Que le “suicide
français” est irrémédiable, ou que l’histoire
est parfois surprenante et qu’elle pourrait
l’être encore?
Chaque fois qu’elle a été menacée de disparaître,
la France a su renaître. C’est incontestable dans
notre histoire. Mais j’ai malgré tout le sentiment
que le défi n’a jamais été aussi grave. La France
risque d’être engloutie. Nous devons réfléchir
aux défenses possibles. C’est l’intention de mon
livre. Je repense à la très belle phrase de Péguy,
qui écrit juste avant 1914: « Regardez ce peuple,
vous ne le reverrez pas. » On a l’impression qu’il
a cent ans d’avance.
Mais il n’y a pas de leçon univoque dans l’his-
toire. Certaines situations se sont retournées,
d’autres non. L’Anatolie grecque est devenue turque
et ne redeviendra jamais grecque, comme le Kosovo
Si certains voudraient le faire taire
et le poursuivent régulièrement en justice,
Éric Zemmour persiste et signe.
ne redeviendra jamais serbe. Je cite souvent cette
phrase, selon laquelle dans l’histoire il y a trois
règles: le nombre, le nombre, le nombre.
Sans compter que dans votre conclusion,
vous constatez qu’on se déchire sur tout
en permanence…
J’ai terminé mon texte sur le livre de Monte-
Cristo en disant qu’il incarnait la modernité au
sens où tout le monde se venge de tout le monde.
La France est devenue une terre de vengeance.
Je ne pense pas qu’il y ait un autre pays dans ce
cas-là; c’est impressionnant. Il me semble évident
que cela fait le lit de notre désagrégation.
Votre livre est un antidote à cela, puisque vous
n’aimez pas certains des personnages tout
en les considérant partie de notre identité
malgré tout…
Ce n’est pas que je ne les aime pas. Je critique
par exemple Victor Hugo, que j’aime beaucoup
et que je lis avec plaisir. Je pense simplement
qu’il a inoculé au pays le virus de la victimisa-
tion, de la sensiblerie et que c’est calamiteux.
J’aime Voltaire, mais je déteste beaucoup de
choses chez lui aussi. Rien n’est blanc ou noir…
et Pétain en est une autre illustration!
Parlons justement du choix de vos
personnages. Avez-vous dressé une liste
de ceux qui incarnent l’histoire de France,
ou est-ce l’histoire que vous vouliez incarner
qui vous a poussé à chercher ces personnages?
Je sais que beaucoup m’accuseront d’avoir cher-
ché des personnages pour incarner mes idées…
C’est faux. Prenons l’exemple de Catherine
de Médicis. Je voulais évidemment traiter des
guerres de religion, sans trop savoir comment.
Sans savoir que j’allais tomber sur cette femme
étonnamment proche de nous et de nos élites,
qui refont exactement ses mêmes erreurs. Je
trouve des critiques du protestantisme — qui
est à l’époque un fondamentalisme — dans les
textes de Montaigne ou de Ronsard, qui collent
tellement à ce qui pourrait être écrit de l’islam
d’aujourd’hui… J’en suis resté sidéré.
Il en va de même avec la Pompadour! C’est
en lisant un livre des Goncourt que je la découvre…
Le pouvoir des femmes, la catastrophe de sa
grande stratégie, le renversement d’alliances
contre lequel se fera la Révolution française!
L’historien anglais Arthur Young passe en France
FRANCE / ZEMMOUR
à ce moment et dit: « Le grand changement, c’est
que les femmes ne dirigent plus la vie publique
et qu’ainsi le pays s’en portera mieux. » C’est
extraordinaire ! On croit qu’il s’agit d’enjeux
contemporains qui seraient les miens, que j’en
rajouterais, mais pas du tout.
À propos de Catherine de Médicis
et de la Saint-Barthélemy, vous avez une
phrase étonnante: « Comme tous les pacifistes,
elle fait la guerre trop tard et trop fort… » “CATHERINE
Elle finit par ordonner le massacre de la Saint-
Barthélemy alors qu’elle n’a cessé de mener une
DE MÉDICIS
politique de conciliation qui a rendu fous les FINIT PAR
catholiques! On fait exactement la même chose, ORDONNER
depuis des années. Je ne dis évidemment pas
que la situation est la même pour nous, ce n’est
LE MASSACRE
jamais à l’identique, mais les ruines du passé DE LA SAINT-
nous constituent. BARTHÉLEMY
Le pacifisme mène très souvent à la guerre.
On l’a vu dans les années 1930 où, certes, c’était
ALORS QU’ELLE
beaucoup plus évident qu’au XVIe siècle… N’A CESSÉ
DE MENER UNE
Vous tirez de chaque personnage une leçon
pour le présent; ne craignez-vous pas
POLITIQUE DE
le reproche de l’anachronisme, faute majeure CONCILIATION
de notre époque quand elle confond l’histoire QUI A RENDU
et la morale?
C’est un risque, mais j’estime, à la suite de Tocque-
FOUS LES
ville, que l’histoire est une galerie de portraits CATHOLIQUES !
avec beaucoup de copies et peu d’originaux. Je COMME
crois du reste ne jamais dire que les choses se
passent à l’identique. J’essaye simplement de com-
TOUS LES
prendre les mécanismes communs à ces époques. PACIFISTES,
Ce qui m’a frappé durant mon travail, c’est que ELLE FAIT
la France ressemble à ces personnes qui vont
mourir et qui voient défiler leur vie… La France
LA GUERRE
est sur le point de disparaître, et concentre tous TROP TARD
ses drames, toutes les grandes crises qu’elle a pu ET TROP
connaître par le passé: le retour des grands féo-
daux contre les États, le pouvoir féminin du XVIIIe,
FORT…”
les grandes invasions islamistes du VIIe, notre sou-
mission à l’Allemagne… Ça ne veut pas dire que
c’est la même chose — ce serait de l’anachro-
nisme —, toutefois il y a des mécanismes qui ont
toujours imprégné l’âme française… Car elle existe,
contrairement à ce que pensent nos historiens.
Abordons le personnage qui fâche! Pourquoi
avez-vous souhaité revenir sur la figure
du maréchal Pétain, qui vous a valu tant
de critiques? •
Octobre 2019 — VALEURS ACTUELLES — 19
 FRANCE / ZEMMOUR
FAIDY/PARIS PREMIÈRE
Je n’avais pas le choix! Si je ne l’avais pas fait,
“JE PRÉFÈRE on aurait dit que je me défilais, ou que je me
M’EXTRAIRE soumettais à la doxa. Je préfère persister et
signer. D’autant que j’ai encore plus travaillé
D’UNE LECTURE qu’il y a quatre ans.
‘GENTILS J’ai lu, notamment, le livre de Robert Aron, si
CONTRE injustement vilipendé. C’est absurde de le faire
passer pour pétainiste… Il est très sévère avec
MÉCHANTS’, Pétain, mais il essaie simplement d’être objectif.
CELA OFFRE Contrairement à Robert Paxton, dont je parlais
UNE HISTOIRE dans le Suicide français, il ne calque pas des
raisonnements américains ou modernes sur
RÉCONCI- l’époque. C’est ma méthode. Quand j’étais jour-
LIATRICE ET naliste politique, l’information en tant que telle
CELA NOUS ne m’intéressait pas. Je me préoccupais bien
plus de savoir ce qu’il y avait dans la tête de
PERMET Séguin, Pasqua, Chevènement, Giscard… En
SURTOUT histoire, je fais la même chose.
D’ARRÊTER Avec le maréchal Pétain aussi. Et j’ai compris
que tout procède de sa date de naissance, en 1856.
DE BATTRE Cinquante ans après Iéna, soixante ans avant
NOTRE Verdun. Avec ces deux dates-là, on a tout Pétain.
COULPE.” C’était une intuition que j’avais depuis longtemps
et je découvre, en lisant Aron, que Pétain avait
20 — VALEURS ACTUELLES — Octobre 2019
Privé de micro sur RTL,
il poursuit son numéro de duettiste
avec Éric Naulleau sur Paris Première.
un livre sur Iéna sur sa table de nuit! Et encore
une fois, je ne l’ai pas cherché… Il faut comprendre
l’arrière-plan, sans quoi on sombre dans le mora-
lisme.
J’ai découvert autre chose dans ce travail,
notamment par le biais d’historiens américains
paradoxalement plus honnêtes que les français
sur cette période. Je prends un exemple: Philip
Nord explique bien que la période vichyste de
1940-1942 est la mère des Trente Glorieuses; que
tout ce qui a été fait à la Libération est déjà dans
Vichy et que d’ailleurs tout ce qui est dans Vichy
est déjà là en 1938. Lors du procès de Papon, Gui-
chard rappellera que trois des quatre premiers
chefs de gouvernement de la Ve République
(Chaban, Couve de Murville, Debré) étaient des
fonctionnaires de Vichy! Sans compter Pompi-
dou lui-même, qui était prof.
La vérité, c’est qu’en 1945 on reprend les
mêmes institutions et les mêmes types. Je pré-
fère m’extraire d’une lecture “gentils contre
méchants”, cela offre une histoire réconcilia-
trice et cela nous permet surtout d’arrêter de
battre notre coulpe sur le dos de nos parents et

de nos arrière-grands-parents. C’est trop facile.
Qu’est-ce qu’on aurait fait, nous?
Quand Renan parle de la nation, il évoque
une chaîne de trois maillons: l’âme, l’héritage
et le plébiscite. Vous dites qu’il n’y a plus que
le troisième, que l’on appelle “vivre-ensemble”.
Comment en est-on arrivés là?
Pour deux raisons principales: l’une exogène,
l’autre endogène. D’abord, l’histoire a démenti
Renan et donné raison aux Allemands. On ne le
dit jamais, mais c’est tragique. Tous les pays qui
sont nés après 1914 reposent sur la race, la langue
et des transferts de populations qui ne se sup-
portaient pas. Musulmans et hindous au Pakis-
tan, chrétiens et musulmans entre la Grèce et
l’Empire ottoman, juifs et musulmans avec Israël
et la Palestine…
Renan a eu tort. Ou plutôt, il n’a eu raison qu’en
France où nous avons appliqué avec grande intel-
ligence ses leçons en réussissant l’assimilation. À
partir des années 1970, la folie très française de
nos intellectuels constate que les nations alentour
(avec Hitler!) se sont construites sur la race, et
décident de nier tout ce qui relève du lien naturel,
à savoir la race, l’ethnie, la culture, etc. On ne
retient plus que le consentement. C’est la revanche
des révolutionnaires qui voulaient faire table rase
du passé pour ne retenir que le contrat social.
Venons-en au catholicisme dont vous parlez
beaucoup et auquel vous attribuez un rôle
fondateur pour la France, tout en dénonçant
les dérives d’un universalisme débridé…
André Suarès dit: « Qu’il aille ou pas à l’église,
le peuple français a l’Évangile dans le sang. Et
les plus graves erreurs de la France, c’est quand
elle met du sentiment dans la politique. » Je
pense que cette phrase est l’une de celles qui
peuvent définir l’identité française.
Le catholicisme, c’est la loi juive, l’ordre grec
et l’Amour. Quand l’Amour écrase les deux autres,
cela provoque l’entrée du sentiment en poli-
tique… et notre époque!
Nous avons eu Catherine de Médicis, les paci-
fistes dans les années 1920 ou 1930 (“les Allemands
sont gentils”, “ils ont beaucoup souffert”, “même
Hitler est gentil” et autres niaiseries), nous avons
le XVIIIe siècle avec Mme de Staël (“nous sommes
méchants, Napoléon aussi alors que les Allemands
sont gentils et poètes”)… C’est d’ailleurs ce qui
fonde ma critique de l’Enracinement de Simone
FRANCE / ZEMMOUR
Weil. On s’attarde toujours sur les 50 premières
pages du livre qui sont magnifiques mais, après,
elle est exactement dans la lecture exclusive de
l’Amour qu’offre le christianisme en nous expli-
quant que Louis XIV est Hitler, Napoléon aussi…
C’est d’ailleurs pour moi le combat entre catholi-
cisme et christianisme. Quand le christianisme
l’emporte trop ostensiblement, c’est une catas-
trophe de la dissolution, celle qu’on a aujourd’hui.
Vous expliquez dans votre livre que le rejet
de l’islam a forgé la conscience européenne. “LES
Est-ce l’abandon du christianisme qui
empêche à nouveau ce rejet, ou est-ce que
CROISADES
la forte islamisation va provoquer ONT SAUVÉ
le réveil identitaire? L’EUROPE.
Je développe l’idée d’un livre remarquable d’Henri
Pirenne qui s’appelle Mahomet et Charlemagne
EN 1453,
et qui explique qu’il n’y aurait jamais eu d’em- QUAND
pire d’Occident s’il n’y avait pas eu l’islam pour LES ARABES
couper le grand Empire romain. Il explique une
deuxième chose, plus importante encore: il y a
PRENNENT
eu deux destructions de l’Empire romain. L’em- CONSTAN-
pire d’Occident a été détruit par les Barbares qui TINOPLE,
venaient du nord et par les Francs, tandis que
l’empire d’Orient a été détruit par les Arabes.
C’EST TROP
Que s’est-il passé? Les deux “Barbares” ne se sont TARD. IL Y A
pas comportés de la même façon. Et là, on touche LA FRANCE,
au cœur du sujet. Les Barbares francs, Barbares,
Goths se sont convertis au christianisme et ont
L’ANGLETERRE,
parlé latin. Les Arabes ont imposé le Coran. L’ITALIE, LA
On comprend alors tout ce qui se passe RENAISSANCE
aujourd’hui. On me reprochera d’être allé cher-
cher ça, mais Pirenne écrivait dans les années
ITALIENNE
1930! C’est-à-dire lorsqu’il n’y avait pas un émigré ET C’EST FINI.
musulman en France ou en Europe. Il se moquait L’EUROPE
de nos problématiques. Je ne crois pas qu’il y ait
de progrès en histoire, chaque époque répond à
VA DEVENIR
ses problématiques. Les historiens du passé n’ont L’EUROPE.”
pas nos problématiques d’aujourd’hui et donc
pas nos inhibitions non plus… Ils nous éclairent
par hasard, ou par fatalité!
Qu’en retenir pour aujourd’hui?
Nous avons une population musulmane qui, en
dépit d’une minorité qui aspire à devenir vrai-
ment française, a beaucoup de mal à comprendre
qu’il faille changer de culture identitaire en chan-
geant de territoire. Ils ont toujours imposé leur
Dieu, leur langue et leurs textes sacrés. Alors que
la France a toujours été constituée de multiples
peuples qui se sont romanisés. •
Octobre 2019 — VALEURS ACTUELLES — 21

Je suis un Gallo-Romain et tous les gens qui
viennent d’ailleurs aussi! On met la toge et on
joue aux Romains… Et finalement tout ça fait des
“LE VÉRITABLE Français. Ça semble dérisoire mais c’est impor-
POPULISME tant. Puis on en revient au nombre… Quand ils
sont peu nombreux, ils se fondent dans la masse.
ÉTAIT Quand ils sont en nombre suffisant pour organi-
LA MONARCHIE. ser leur vie selon leur propre culture, ils le font.
LES Comme ils l’ont fait dans l’empire d’Orient.
POPULISTES Quelle réaction avoir alors?
AGISSENT La soumission comme l’ont fait les populations
CONTRE de l’empire d’Orient, ou le réveil décrit dans mon
chapitre sur les croisades. Celles-ci ne sont pas
LES CLERCS une attaque de l’islam, mais une action de défense.
QUI SONT Je reprends les travaux de René Grousset (encore
AUJOURD’HUI un historien du passé!) qui explique très bien que
la croisade et Urbain II ont eu un rôle salvateur
LES MÉDIAS, dans le développement de l’Europe. Si l’islam
LES avait gagné à la fin du XIe siècle et conquis Constan-
UNIVERSITÉS… tinople, les musulmans fonçaient sur l’Europe
occidentale et c’était la catastrophe parce que
ET CONTRE nous ne nous étions pas encore réapproprié notre
NOTRE héritage grec… Les croisades ont sauvé l’Europe.
ARISTOCRATIE En 1453, quand les Arabes prennent Constanti-
nople, c’est trop tard. Il y a la France, l’Angle-
QUI EST CELLE terre, l’Italie, la renaissance italienne et c’est fini.
DE LA FINANCE L’Europe va devenir l’Europe.
ET DE Vous prêchez la croisade, donc?
L’ÉCONOMIE.” Il faut bien comprendre que la reconquête du tom-
beau du Christ est un prétexte. Le problème, à
l’époque, c’est de repousser l’invasion musulmane.
On ne refera jamais la même chose. On reprend
des éléments du passé pour faire les choses diffé-
22 — VALEURS ACTUELLES — Octobre 2019
DOMINE-WYTERS/ABACA
remment, encore une fois. Mais il est sûr que s’il
n’y a pas de reconstitution d’une identité chré-
tienne française, l’islam s’imposera. Parce qu’elle
est une spiritualité et qu’il en faut bien une.
Mais si l’on prend votre exemple personnel…
Vous n’êtes pas catholique non plus, mais juif.
Et pourtant bien français!
Le judaïsme ne repose pas sur la foi mais sur la
pratique. À ceci près qu’il faut écouter Rémi
Brague nous dire que c’est plus exactement une
religion et un peuple. Et c’est tout le problème
des juifs d’ailleurs: il faut qu’ils abandonnent la
partie peuple pour devenir français. Je sais que
c’est un enjeu qu’il ne faut pas sous-estimer parce
qu’il fait sa réapparition maintenant qu’il y a
Israël. Mais après tout, les juifs qui ne veulent pas
renoncer au peuple peuvent aller y vivre. Et cer-
tains le font. Abandonner cette notion de peuple
est d’ailleurs ce que leur demande Napoléon: de
se sentir frères des Français et de considérer Paris
comme Jérusalem. Moi, c’est ce que je fais, j’en
suis resté à Napoléon, tout bêtement. Le reste est
du rituel, du privé qui n’embête personne.
L’islam est différent. C’est — toujours selon
Brague — une religion et un système politique. En
fait, l’islam devrait faire le même boulot que le
judaïsme sous Napoléon. Se délester de leur sys-
tème politico-juridique. Quand je dis que les musul-
mans doivent choisir entre l’islam et la France, je
ne dis pas autre chose, mais je me retrouve aussi-
tôt au tribunal. Et puis revient la question du
nombre… Les juifs étaient 30000 sous Napoléon!
Il reste un dernier point: à l’époque, il y avait
une admiration et une adoration pour ce que
En 2014, avec la sortie de son best-seller,
“le Suicide français”, le journaliste s’est offert,
de dédicace en dédicace, une tournée de rock star.
les Allemands appelaient la grande nation. Tout
le monde voulait en être! Napoléon ouvrait les
ghettos partout en Europe, la ville de Gênes
voulait demander elle-même son ralliement à
la France tandis que des pétitions s’organisaient
à Cologne pour faire partie des départements
français… Nous n’en sommes plus là.
Pourquoi ne pas imaginer, dès lors, un islam
de France?
C’est un double problème. Les politiques fran-
çais s’imaginent être Napoléon sauf qu’ils ne com-
prennent rien à ce qu’il a fait. Il n’a pas laissé les
juifs s’organiser dans leur coin avec la bénédic-
tion de l’État, il leur a imposé les choses. C’est lui
qui dirigeait les affaires et imposait certaines
règles. C’est inimaginable aujourd’hui. En raison
du nombre, de l’époque et de l’absence de Napo-
léon! Je sais qu’on a comparé Macron à Napoléon,
mais je crois qu’il peut aller se rhabiller.
Vous montrez dans votre livre que les rois
de France ont souvent pris le parti du peuple
contre les élites… Est-ce exagéré d’y voir
une préfiguration du populisme?
Pas du tout ! Le véritable populisme était la
monarchie. Les populistes agissent contre les
clercs qui sont aujourd’hui les médias, les uni-
versités… et contre notre aristocratie qui est
celle de la finance et de l’économie. Depuis le
début, les rois de France ont joué le peuple contre
les aristocraties. Et même contre l’Église, bref,
contre les élites de l’époque.
Les rois de France ont bâti leur pouvoir avec
cette alliance. C’est d’ailleurs lorsque Louis XVI
renonce à le faire qu’il meurt. Alors que Louis XIV
le fait, à plusieurs reprises. Pour le meilleur, lorsqu’il
écrase la Fronde, mais pour le pire aussi parce que
la révocation de l’édit de Nantes, c’est très popu-
laire! On aurait fait un sondage, il obtenait 90 %!
Et Bluche explique d’ailleurs que si les Français
soutiennent Louis XIV en 1712, lors de ce fameux
appel quasiment révolutionnaire de la nation en
armes pour arrêter les étrangers à Denain et ail-
leurs, c’est par reconnaissance pour la révocation
de l’édit de Nantes. On ne le dit jamais!
Dans ce livre, on découvre un Éric Zemmour
nettement moins républicain… C’est une
impression?
Non, c’est une bonne lecture! Je suis beaucoup
plus sensible à ce que je lis que ce que l’on croit.
J’ai découvert deux choses. D’abord, le problème
FRANCE / ZEMMOUR
de la République ressemble à celui que peut
avoir le catholicisme avec l’universalisme. Tant
que la République arrive à concilier le patrio-
tisme et l’universalisme, ça tient. Quand elle se
laisse aller à son seul penchant universaliste, on
recueille un abandon de l’identité française au
profit de la seule République universelle.
Deuxièmement, j’associais — parce que je
l’avais appris à l’école — la République au patrio-
tisme et à l’indépendance nationale. 1792 et 1914.
Ça reste vrai à ces deux dates-là, mais si je vou-
lais être un peu provocateur, je dirais que la sou-
mission à l’Allemagne était dans l’ADN de la
“SOYONS
République, au moins depuis la IIIe. Tout simple- CLAIRS,
ment parce qu’elle est le fruit de la défaite de 1871. LA FRANCE
Les dirigeants d’alors veulent être une grande
Suisse. L’ambassadeur d’Angleterre écrit à son
N’AURAIT
gouvernement en lui expliquant qu’il ne sert plus JAMAIS DÛ
à rien de discuter avec les Français parce que les EXISTER. C’EST
décisions se prennent à Berlin. Et Bismarck joue
la République, évidemment, parce qu’il pense
UNE CRÉATION
que la démocratie va aggraver le penchant des INTELLEC-
Français à la guerre civile, puisqu’il les voit divi- TUELLE,
sés entre légitimistes, orléanistes, bonapartistes
et républicains. Il a bien joué. Il craint qu’un retour
POLITIQUE,
du roi signifie le retour des alliances naturelles DE L’ÉGLISE,
de la monarchie, ce qui serait très mauvais pour DES ROIS…
lui. C’est pourquoi je pense que de Gaulle est le
seul à avoir essayé de restaurer l’autorité monar-
C’EST UN TRUC
chique de l’État… Dès qu’il est parti, l’Allemagne CÉRÉBRAL
a repris le dessus. La République a désormais ET SPIRITUEL.
pour moi ce double péché originel. ALORS
Cela ressemble à la tentation de l’évêque ÉVIDEMMENT,
Cauchon, contre Jeanne d’Arc… LES ÉLITES
Mais c’est la tentation de nos élites depuis l’ori-
gine! C’est pour ça que je dis que la monarchie
DISENT QU’IL
est un populisme. Soyons clairs, la France n’au- Y A TOUJOURS
rait jamais dû exister. C’est une création intellec- PLUS GRAND
tuelle, politique, de l’Église, des rois… C’est un
truc cérébral et spirituel. Alors évidemment, les
QUE
élites disent qu’il y a toujours plus grand que la LA FRANCE.”
France. Il y a toujours plus beau, plus grand et
plus saillant que la France. Sauf lorsque l’Europe
est la France. Mais ça dure vingt ans sous Louis XIV
et dix ans sous Bonaparte.
Ce qui n’empêche pas Macron d’en rêver aussi.
Mais tous les Français en rêvent… Soyons honnêtes
avec nos dirigeants, ils ne sont pas au clair dans
leur tête avec ça. Eux aussi en rêvent. Ils se sou-
mettent à l’Allemagne en rêvant de dominer •
Octobre 2019 — VALEURS ACTUELLES — 23
FRANCE / ZEMMOUR
l’Europe. C’est leur complexité, et c’est leur contra-
diction. Mais c’est aussi parce que nous n’avons
plus les moyens. Un jour, Edgar Faure est venu dire
à de Gaulle qu’il était plus grand que Napoléon
parce qu’il avait restauré la grandeur française
sans armes et sans guerre. Mais de Gaulle qui
n’étaitpasdupedelaflatterieasimplementrépondu:
«C’estunequestiondemoyens.» Nous n’avons plus
la grande armée, ni l’Italie du Nord, ni les moyens
de Napoléon. Ni même le peuple. À l’époque, la
France est la Chine de l’Europe. C’est d’ailleurs
pour cela qu’on encourage l’immigration et qu’on
vote le regroupement familial, au début. On rêve
de faire la France de 100 millions, et Michel Debré
le conceptualise. C’est pour cela aussi qu’il est
contre l’avortement, évidemment.
Et pourquoi ne pas refaire plutôt le baby-boom
à ce moment-là?
Il serait plus juste de parler de Pétain-boom
puisqu’il commence en 1941. Ce sont les lois démo-
graphiques de 1938 et 1939, plus la “paix” en 1941,
qui expliquent que les naissances repartent. On
POUR appelle ça le baby-boom parce qu’on fait sem-
ZEMMOUR, blant de croire que ça recommence en 1944 ou
1945. Pourquoi ne pas le refaire? Parce qu’on
UNE CHOSE savait aussi qu’en 1970, la nouvelle génération
EST SÛRE : voulait le divorce de masse, l’avortement, l’indi-
IL FAUT vidualisme et le consumérisme. Sans oublier le
travail des femmes (parce qu’on ne dit jamais que
COMMENCER les Trente Glorieuses se sont faites sur un modèle
PAR de femme à la maison, Évelyne Sullerot le dit elle-
REDÉCOUVRIR même!). Mais comme l’élite veut faire la France
de 100 millions, on choisit l’immigration. Et même
CE QUE NOUS l’Algérie avant ça, d’ailleurs.
SOMMES
ET CESSER L’Algérie?
On perd l’Inde et le Canada lorsque Louis XIV
D’AVOIR échoue, Napoléon ne parvient pas à imposer son
HONTE. hégémonie. Alors on conquiert l’Algérie et Pré-
C’EST CE QUI vost-Paradol explique en 1869 qu’on va arriver à
faire la grande France de 100 millions. Parce que
L’A POUSSÉ c’est la seule capable de tenir contre les États-
À ÉCRIRE Unis… Toujours les mêmes problématiques.
CE “DESTIN Votre tropisme napoléonien vous pousse
FRANÇAIS”. à affirmer que le destin français, c’était
finalement de gouverner l’Europe, c’est ça?
Destin français, Quand je dis l’empire, je parle de l’empire nation.
d’Éric Zemmour, Que sont la Chine, les États-Unis ou la Russie?
Albin Michel, Ce sont des nations impériales ou des empires
576 pages, 24,50 €. nationaux.
24 — VALEURS ACTUELLES — Octobre 2019
En corrigeant mes épreuves, je relisais le Grand
Échiquier de Brzezinski, où il écrit notamment:
« La France avait le plus de chances d’avoir l’hé-
gémonie sur l’Europe et si Napoléon avait gagné,
la France serait devenue une vraie puissance glo-
bale. » Tout est dit et c’est pour cela que je l’ai
rajouté dans mon livre. Vous voyez, c’est typique
de ma méthode, ce n’est pas de ma faute si mes
sources confirment parfois mes intuitions!
Mais honnêtement, pour moi, la vocation de
la France était de reconstituer l’Empire romain,
et c’est ce que dit l’évêque Remy à Clovis. Si on
regarde l’avenir, c’est d’être une grande puis-
sance mondiale, mais il faut pour cela refaire
l’Empire romain. L’Italie du Nord, l’Allemagne
rhénane, la Belgique, donc l’Empire napoléo-
nien. C’est ce qui me pousse à penser que l’échec
de Napoléon marque la vraie fin de l’histoire
de France.
Pourquoi n’avez-vous pas plus de bienveillance
à l’égard du projet européen?
Je n’ai aucune malveillance, je dis simplement
comme de Gaulle : qu’est-ce que l’Europe ? Le
levier d’Archimède de la puissance française!
À six, on va faire aussi bien que les États-Unis
ou l’URSS à l’époque et ça nous permettra de
retrouver le rang qu’on a perdu à Waterloo.
De Gaulle le sait. Il dit d’ailleurs à Malraux que
tout ce qu’a fait Napoléon jusqu’en 1808 est
parfait. En 1919, il est, comme Bainville, pour
la dislocation de l’Allemagne. En 1947, aussi.
Ces hommes, parce qu’ils connaissent leur his-
toire, savent que si la France veut rester une
puissance dominante en Europe, elle doit casser
l’Allemagne et prendre l’hégémonie pour recons-
tituer l’Empire romain.
Donc le projet européen, je n’ai rien contre,
mais vous voyez bien qu’avec une Allemagne réu-
nifiée depuis 1989, c’est fini. Ou alors, c’est dirigé
par l’Allemagne. La France a perdu avec Louis XIV
et Napoléon et c’est le rêve allemand qui l’a
emporté, sous domination américaine depuis
1989. L’Europe dirigée par la France a fonctionné
pendant dix ans. Sous de Gaulle.
Vous semblez plus critique qu’à l’accoutumée
à l’égard du général de Gaulle?
Parce que je creuse, je travaille et que je le connais
mieux. Et parce qu’il n’y a aucun personnage par-
fait! Je fais à la fin quatre chapitres sur de Gaulle
et Pétain, et de Gaulle et Soustelle. Pour les deux

premiers, je reprends la thèse du glaive et du bou-
clier. Je pense que c’est la seule thèse rationnelle,
paradoxalement. Je sais, je vais me faire agonir
d’injures par l’ensemble des historiens qui sont
encore plus idéologues que moi dans cette affaire.
Et plus passionnés…
Bien évidemment, parce qu’il faut diaboliser
Pétain. En 1940, il fallait diaboliser de Gaulle,
aujourd’hui, il faut absolument diaboliser Pétain.
C’est idiot. Je ne diabolise ni l’un ni l’autre et je
n’idéalise ni l’un ni l’autre. Dans la tête de Pétain
et de De Gaulle, compte tenu de la similitude de
leur formation, de parcours et de pensée, il n’y
a pas plus près de Pétain que de Gaulle et pas
plus près de De Gaulle que Pétain.
Ils sont pris dans deux histoires différentes.
C’est la même histoire que dans ce livre que j’aime
beaucoup, la Chronique du règne de Charles IX
de Mérimée. Pendant les guerres de religion, il y
a deux frères protestants dont l’un se convertit
au catholicisme. Ils se font la guerre avant de
s’entre-tuer. Ce sont pourtant deux frères…
Pour revenir à de Gaulle et Pétain,
l’un préférait la France aux Français,
l’autre les Français à la France, c’est ça?
C’est une formule de Mauriac. Mauriac a tout
compris. Pétain et de Gaulle sont prisonniers de
leurs alliances respectives. Pour des raisons dif-
férentes, ils sont faibles tous les deux. Pour
Pétain, c’est l’Allemand qui occupe son pays.
Pour de Gaulle, ce sont les alliés anglais et amé-
ricain. Chacun essaie de jouer sa partition. Pétain
devient le meilleur ami de l’ambassadeur amé-
ricain qui vient le voir tout le temps au grand
dam des vrais collabos de Paris, qui l’insultent
en disant qu’il se met dans la main des Améri-
cains. Et de Gaulle s’acoquine avec Staline pour
pouvoir desserrer l’étau des Anglais et des Amé-
ricains… Ce n’est pas de la morale. Ils font ce
qu’ils peuvent.
Votre livre montre bien l’importance
des hommes et comment ils font l’histoire…
Vous trouvez? Peut-être que je n’ai rien compris
à mon livre (rire), mais je pense qu’ils sont empor-
tés par une histoire qui les dépasse. Même les
types les plus brillants, les esprits les plus supé-
rieurs comme de Gaulle, Napoléon, qui sont au-
dessus du lot, qui voient à cent ans, eh bien, au
final, ils n’arrivent pas à maîtriser leur destin.
FRANCE / ZEMMOUR
Il y a des contre-exemples: Urbain II, Maupeou?
Urbain II, il est fort. Mais Maupeou, son travail
est ruiné par Louis XVI…
Il y a également Jeanne d’Arc. D’ailleurs,
pour ce chapitre, vous préférez vous attarder
sur le personnage de Cauchon…
Je l’ai fait à dessein. Précisément parce qu’elle est
une météorite et qu’elle ne comprend rien à rien!
Je plaisante. Mais le vrai type qui pense l’histoire,
c’est l’évêque Cauchon. Lui, il a un projet. C’est
une sorte de technocrate bruxellois. Il a compris
que l’alliance avec les Anglais est nécessaire et
contribuera à pacifier la situation. Il pense même
qu’étant plus nombreux nous allons dominer
l’aristocratie anglaise, qui parle déjà français.
Jeanne d’Arc, c’est une réaction épidermique, EN 1940,
une fille du peuple qui refuse d’être dirigée par IL FALLAIT
les Godons, comme elle appelle les Anglais. C’est
primaire. Cauchon, c’est un intellectuel.
DIABOLISER
DE GAULLE,
Mais c’est elle qui gagne! AUJOURD’HUI,
Je suis d’accord. Je voulais montrer la logique de
toutes nos élites. Cauchon est une matrice. C’est
IL FAUT
la paix au nom de l’Europe, contre le peuple et ABSOLUMENT
l’identité française. Ce ne sont pas forcément des DIABOLISER
méchants ou des pervers. Ils ont de bonnes inten-
tions, et c’est le pire. L’enfer en est pavé.
PÉTAIN.
C’EST IDIOT.
Une dernière question… Si Emmanuel Macron JE NE
n’est pas Napoléon, qui est-il?
Louis-Philippe. L’alliance des deux bourgeoi-
DIABOLISE
sies, celle de droite et de gauche. NI L’UN NI
L’AUTRE ET
Quel pourrait être le rôle historique
d’Emmanuel Macron?
JE N’IDÉALISE
Soit on résiste à l’invasion migratoire, soit on se NI L’UN NI
soumet. Son rôle historique est simple: s’il veut L’AUTRE.
le jouer, il doit être le de Gaulle de l’Algérie.
De Gaulle est venu au pouvoir sur les épaules
des partisans de l’Algérie française avant de les
trahir. Macron est venu au pouvoir sur les épaules
des partisans de la soumission de la France à
l’ordre mondial et à l’invasion migratoire… Il
doit se retourner contre eux. Pour l’instant, je
ne le vois pas faire cela. Mais Emmanuel Macron
n’aura aucun rôle historique s’il se contente
d’être ce qu’il a été en tant que candidat. Il sera
au contraire un nouveau Hollande, comme les
courbes de popularité le laissent déjà paraître.
Ce sera son destin français à lui!
Propos recueillis par la rédaction
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Octobre 2019 — VALEURS ACTUELLES — 25
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