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LE RÔLE DU POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE DU DIRIGEANT DANS

L'AMÉLIORATION DE LA PERFORMANCE : CAS DES ENTREPRISES


TUNISIENNES

Imen Khanchel

Direction et Gestion | « La Revue des Sciences de Gestion »

2009/3 n° 237-238 | pages 95 à 103


ISSN 1160-7742
DOI 10.3917/rsg.237.0095
Article disponible en ligne à l'adresse :
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La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 237-238 – Organisation 95

Le rôle du pouvoir discrétionnaire

Innovations managériales
du dirigeant dans l’amélioration
de la performance :
Cas des entreprises tunisiennes
par Imen Khanchel

F
ace aux mutations et à l’incertitude marquant le monde
actuel, le souci d’améliorer la gouvernance acquiert de
l’importance (R.V. Aguilera, 2005 ; F. Song et A.V. Thakor,
2006). En effet, nous assistons aujourd’hui à une série de
scandales comptables des grandes firmes, par exemple, depuis
plusieurs années, Enron, WorldCom et Tyco. L’effondrement de
ces entreprises s’explique surtout par l’importance de la latitude
managériale et par la faiblesse des systèmes de gouvernance (I.S.
Demirag et J.F. Solomon, 2003 ; K. Lins et F. Warnock, 2004 ;
D.S. Sharma, 2006). Suite à ces scandales, les entreprises et
Imen KHANCHEL les états se trouvent confrontés à plusieurs interrogations : Est-il
Maître assistante, opportun d’imposer de nouvelles réglementations et de renforcer
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davantage les institutions de contrôle et de bureaucratie ? Faut-il
Institut Supérieur des Etudes Technologiques diminuer le pouvoir discrétionnaire du dirigeant ? Faut-il renforcer
en Communications, le système de gouvernance ?
Tunis, (Tunisie)
1.
A notre sens, le système de contrôle et de gestion des entreprises
peut être renforcé et amélioré si en premier lieu les différents
acteurs au sein de l’entreprise (les créanciers, les employés, les
clients, les fournisseurs, l’état et la société en général) bénéficient
pleinement de leurs droits et assument en même temps leurs
responsabilités (K. Gugler, D.C. Mueller et B.B. Yurtoglu, 2004 ;
R. La Porta, F. Lopez-de-Silanes, A. Shleifer et R. W Vishny, 2002 ;
K. Lins et F. Warnock, 2004). Les investisseurs financent les
firmes et obtiennent en contrepartie certains droits et pouvoirs.
Les créanciers ont par conséquent le droit d’obtenir une garantie
en cas de défaut de remboursement. Quant aux actionnaires,
ils ont le droit de participer aux instances de décision à travers
le vote (telles que l’élection des administrateurs et la poursuite
de la firme et des administrateurs en justice). La firme devrait

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96 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 237-238 – Organisation

donc assurer un équilibre entre les droits et les obligations de l’efficacité de contrôle exercé par ce mécanisme. Ce même code
toutes les parties. laisse aussi la liberté aux entreprises d’opter pour le cumul ou
En second lieu, la gouvernance serait meilleure si les relations entre la séparation des fonctions de dirigeant et celle de président du
les différentes parties prenantes étaient bonnes (I. Filatotchev, conseil d’administration ce qui pourrait entraîner une tendance
2007). En effet, l’existence de conflits d’intérêts entre les « stake- au cumul par le dirigeant dans le but de renforcer son pouvoir.
Innovations managériales

holders » (en particulier entre les actionnaires et le dirigeant Les entreprises sont aussi libres de fixer la taille du conseil
d’une part et entre ce dernier et les obligataires d’autre part) d’administration dans une fourchette assez large (de 3 à 12) et
engendre un manque de communication entre ces derniers ; d’où les dirigeants peuvent, dans ce cas, influencer cette taille afin
l’importance de sensibiliser ces acteurs sur l’importance de la d’affaiblir le rôle disciplinaire du conseil d’administration. En 20051,
gouvernance (M.N. Young, M.W. Peng, D. Ahlstrom, G.D. Bruton le gouvernement tunisien a promulgué une nouvelle loi relative
et Y. Jiang, 2008). au renforcement de la sécurité financière dont les dispositions
Dans ce cadre, et pour esquiver les conflits d’intérêts entre les s’articulent autour de plusieurs axes visant le renforcement de la
stakeholders, il serait pertinent d’intégrer la gouvernance compor- sécurité des comptes de l’entreprise, de la politique de divulgation
tementale pour plusieurs raisons. Premièrement, les conflits financière, de la bonne gouvernance ainsi que du rôle du conseil
d’intérêts entre les stakeholders peuvent engendrer des « coûts du marché financier.
comportementaux » (H. Sheffrin, 2001). Ces derniers peuvent être Dans ce qui suit, une deuxième section sera consacrée au
dûs à des erreurs comportementales des stakeholders (tels que développement théorique de la relation discrétion managériale-
les analystes, les investisseurs financiers et les administrateurs performance. Une troisième concernera l’échantillon sélectionné,
externes…). Deuxièmement, la gouvernance comportementale la définition des variables ainsi que notre méthodologie de
permet d’améliorer le pouvoir explicatif des théories de la gouver- recherche. Les résultats empiriques constatés seront présentés
nance (G. Charreaux, 2005). Troisièmement, les biais cognitifs dans la quatrième section. La dernière section synthétisera nos
et émotionnels des dirigeants peuvent expliquer en grande partie constats empiriques.
leur discrétion managériale. Tous ces arguments engendrent
la nécessité d’intégrer la dimension comportementale dans la
gouvernance. 2. L e pouvoir discrétionnaire
Notre recherche s’insère dans ce cadre de recherche mais elle du dirigeant : un facteur
se distingue par sa problématique envisagée : la discrétion
managériale contribuerait-elle à l’amélioration de la performance ? déterminant de la performance
Notre recherche a deux objectifs fondamentaux. Le premier
consiste à apporter un éclairage théorique sur la relation discrétion Les stratégies sont des «abstractions» dans les esprits des
managériale-performance. Le second doit vérifier si ces prédic- dirigeants (H. Mintzberg, 1986). Elles émergent d’un éventail
tions théoriques demeurent valables dans le contexte tunisien et d’idées et de construits à travers lesquels les problèmes sont
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établir le lien entre la discrétion managériale et la performance identifiés et interprétés. La contribution «importante» des dirigeants
des entreprises tunisiennes. dans la prise des décisions est essentielle dans la mesure où ces
Notre recherche vise, principalement, à mettre en valeur l’impor- derniers sélectionnent les questions stratégiques, les interprètent
tance de l’examen du rôle de la discrétion managériale dans et possèdent le pouvoir nécessaire pour appliquer les choix issus
l’amélioration de la performance dans les firmes tunisiennes. de ces interprétations (D.C. Hambrick et P.A. Mason, 1984).
Plusieurs motivations expliquent le choix de mener notre étude Toutefois, bien que de nombreux chercheurs aient souligné le rôle
dans le contexte tunisien. D’abord, les entreprises tunisiennes se clé des dirigeants dans la prise de décision et la stratégie suivie
caractérisent par une concentration de la propriété ce qui confère par l’organisation, d’autres études ont suggéré que l’organisation
au dirigeant un pouvoir considérable (I. Khanchel, 2007). Ensuite, dans son ensemble constitue un système d’interprétation des
le marché tunisien a connu d’importantes mutations telles que la différentes parties prenantes impliquées dans le processus de
restructuration et la réorganisation du marché financier tunisien décision. Cette controverse peut être expliquée par la latitude
en 1994 et ce, en vue d’améliorer l’efficience et la transparence d’actions accordée au dirigeant ou par la discrétion managériale.
des transactions réalisées. De plus, la mise en place de certaines En effet, si la latitude managériale peut conduire les dirigeants
nouvelles dispositions réglementaires sont de nature à accroître à faire prévaloir leurs propres objectifs au détriment de ceux des
la discrétion managériale à travers le renforcement du rôle et de actionnaires (ou de l’ensemble des composantes de la firme),
l’intervention du dirigeant dans le conseil d’administration des elle peut également être une condition nécessaire à la création
entreprises tunisiennes. Le code des sociétés commerciales, de valeur : en élargissant l’espace des choix des dirigeants,
par exemple, laisse le choix aux entreprises d’avoir recours aux l’extension du pouvoir présente un caractère incitatif évident.
administrateurs externes dans le conseil d’administration ce D.J. Wood (1991) énonce dans ce sens que « les gestionnaires
qui est de nature à encourager éventuellement la tendance de
l’assemblée générale ordinaire, à nommer moins d’administrateurs
1. Loi n° 2005-96 du 18 octobre 2005, relative au renforcement de la sécurité
externes au niveau du conseil et ce, dans le seul but de réduire des relations financières. NDLR. PhN

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sont des acteurs moraux et doivent exercer leur pouvoir discré- réduisant leur effort ou en s’enrichissant au détriment de leur
tionnaire de façon socialement responsable » (D.J. Wood, 1991, mandant (M. Paquerot, 1997). Pour en tirer profit, les dirigeants
p. 698). Ce principe se fonde sur les prémisses suivantes : les doivent bénéficier d’un pouvoir discrétionnaire qui est lui-même
gestionnaires existent dans une organisation où il est possible synonyme du concept de latitude managériale introduit par G.
de faire des choix, leurs actions ne sont pas totalement guidées Charreaux (1996) : ce pouvoir discrétionnaire désigne la zone

Innovations managériales
par des procédures, et ces derniers sont soumis aux mêmes de pouvoir des dirigeants qui échappe au contrôle de l’un ou de
valeurs morales au travail que dans leur vie privée. Le principe de l’autre des stakeholders. Il dépasse donc bien le simple cadre
discrétion managériale implique que le gestionnaire est redevable des relations actionnaires-dirigeants pour englober l’ensemble
de ses décisions organisationnelles en tant qu’individu sur les des partenaires de la firme ou stakeholders.
plans économique, légal et éthique. Toutefois, plusieurs approches Par ailleurs, le pouvoir discrétionnaire ne se déploie que parce que
théoriques proposent des cadres d’analyse différents du rôle de les mécanismes disciplinaires sont insuffisants (G. Charreaux,
la discrétion managériale dans l’amélioration de la performance. 1997). Ainsi, la discrétion managériale est considérée par la théorie
de l’agence comme une opportunité pour les dirigeants à atteindre
leurs propres objectifs plutôt que ceux des autres acteurs. Ces
Intérêt de la théorie de l’agence derniers peuvent mettre en place à leur tour plusieurs stratégies
et de la théorie de l’enracinement en vue d’empêcher les dirigeants d’utiliser leurs discrétions à des
fins personnelles au détriment de la performance de l’entreprise
pour l’étude du pouvoir discrétionnaire (E.C. Chang et S.M.L. Wong, 2003). Ces stratégies ont pour
du dirigeant conséquence d’atténuer les coûts d’agence dus à la discrétion
managériale (M. Jensen et W.H. Meckling, 1976).
En s’appuyant sur les conclusions de l’étude d’A.A. Berle et Toutefois, le dirigeant, en tant qu’agent, est incité à accroître
G.C. Means (1932), la théorie de l’agence est basée sur une son enracinement afin de réduire son risque de révocation.
séparation entre la propriété et le management. S. Ross (1973) Cet enracinement présuppose que non seulement les moyens
a formalisé le conflit d’intérêts dû à cette séparation comme un de contrôle et d’incitation du dirigeant ne sont pas parfaite-
problème de principal-agent. Ce conflit se traduit par le fait que ment efficaces au sein de l’entreprise, mais également que le
le propriétaire abandonne ses prérogatives sur la direction de dirigeant est un potentiel opportuniste. Ce dernier, en jouant
l’affaire et délègue son pouvoir à un manager professionnel qui sur l’information, cherche à accroître sa latitude discrétionnaire
doit, a priori, agir dans le sens des intérêts de ce propriétaire. de façon à s’approprier le maximum de rentes tout en évitant
Ainsi la théorie de l’agence met l’accent sur l’intérêt à discipliner le d’être remplacé. Cette stratégie peut prendre de nombreuses
dirigeant à travers la mise en place d’outils de contrôle efficaces. formes : investissements spécifiques aux dirigeants, investisse-
Cette théorie, repose sur une « hypothèse d’agence » selon ments peu visibles (notamment en recherche et développement),
laquelle il existe une asymétrie d’information entre les parties1. remplacement des anciens cadres par de nouveaux cadres plus
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Le contrat liant les deux parties est nécessairement incomplet. loyaux en cas de changement d’équipe dirigeante, acquisitions
réalisées pour accroître les rentes managériales, nomination au
Dès que l’hypothèse d’agence est posée, la théorie de l’agence conseil d’administration d’administrateurs externes mal informés,
sera focalisée sur deux questions fondamentales pour la concep- incompétents ou dépendants.
tion et l’analyse du rôle du dirigeant dans l’entreprise : Comment Toutes les stratégies mises en place permettent d’élargir le
bâtir un système d’incitation, de surveillance, de contrôle pour pouvoir discrétionnaire du dirigeant à travers un enracinement plus
empêcher le dirigeant de nuire aux intérêts des actionnaires2. important. Selon M. Paquerot (1997), l’enracinement constitue
Comment, malgré l’imperfection de la communication concevoir « le passage obligé des équipes dirigeantes désirant élargir leur
des mécanismes permettant l’extraction d’information se rappro- espace discrétionnaire », En effet, pour le dirigeant lui-même,
chant au maximum de la perfection de l’information qui existe l’enracinement correspond au souci de conserver sa position,
(théoriquement) sur le marché ? La vision traditionnelle de la place d’accroître sa liberté d’action, et/ou d’augmenter sa rémunération
du dirigeant dans les théories de la gouvernance est donc une et ses avantages annexes (G. Charreaux, 1997).
vision conflictuelle (G. Charreaux, 1997). Elle s’inscrit dans une De ce fait, la théorie de l’enracinement constitue une sorte de
conception de l’entreprise vue comme un « nœud de contrats » dérivé de la théorie de l’agence. Cette théorie revient sur la
(M. Jensen et W.H. Meckling, 1976). nécessité de mettre en place les structures de contrôle abordées
Dans le cadre de la théorie de l’agence, les dirigeants disposent dans la théorie de l’agence et ce, afin d’en mesurer toutes les
d’une latitude importante pour définir la politique d’investisse- limites et, notamment celle inhérente au risque d’enracinement
ment. Ils peuvent l’utiliser pour faire preuve d’opportunisme en du dirigeant. Comme dans le cadre de la théorie de l’agence, la
discrétion managériale peut être un déterminant de la performance
1. Le cas le plus fréquemment étudié étant celui de l’agent qui en sait plus que de l’entreprise. Par ailleurs, Il serait déconseillé pour l’entreprise
le principal sur la tâche qui lui est confiée. de réduire trop fortement la discrétion managériale, et de ne pas
2. Ou mieux : pour aligner les objectifs du dirigeant sur ceux des actionnaires, et
donc maximiser la valeur pour ces derniers ? tolérer de sous-performance.

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98 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 237-238 – Organisation

Intérêt de la théorie de l’intendance Donaldson et J.H. Davis, 1991 ; L. Donaldson et J.H. Davis, 1994 ;
pour l’étude de la discrétion managériale J.H. Davis, F.D. Schoorman et L. Donaldson, 1997).

Si la théorie de l’agence apparaît particulièrement bien adaptée


aux situations dans lesquelles les cadres affichent des compor- Intérêt de l’approche de l’échelon
Innovations managériales

tements individualistes et une volonté de maximisation de leur supérieur dans l’étude du pouvoir
propre fonction d’utilité, la théorie de l’intendance ne l’est pas
moins si l’on se propose d’envisager les situations où le dirigeant discrétionnaire du dirigeant.
donne la primeur à l’intérêt général. Une telle situation devient
envisageable lorsque le manager n’est pas opportuniste, que ses La réflexion sur l’influence de la discrétion managériale (à travers
propres intérêts convergent vers ceux des actionnaires, que la les capacités et les caractéristiques managériales des dirigeants)
relation principal-dirigeant est basée sur la confiance et que ce sur la performance et la valeur de l’entreprise a pris de l’ampleur
dernier peut tirer une satisfaction personnelle de la réussite même avec la perspective de l’échelon supérieur (upper echelon)
de l’organisation qu’il dirige (L. Donaldson et J.H. Davis, 1994). développée par D.C. Hambrick et P.A. Mason (1984). Ces auteurs
En tant qu’intendants (stewards), les dirigeants ont besoin d’avoir supposent que les caractéristiques de l’équipe dirigeante devraient,
« les mains libres » afin d’apporter dans leurs fonctions toute la au moins partiellement, expliquer la performance de l’entreprise
motivation intrinsèque qu’ils ont naturellement (L. Donaldson et J.H. et ses résultats organisationnels via leur influence sur les choix
Davis, 1991). Loin d’être opportunistes, ils ont pour vocation ou stratégiques. De ce fait, l’organisation refléterait alors l’équipe
pour fonction d’utilité de contribuer au développement à long terme dirigeante. Les caractéristiques et le fonctionnement de celle-ci
de l’entreprise tout en servant l’intérêt général (J.H. Davis, F.D. auraient alors un grand impact sur les résultats de l’entreprise
Schoorman et L. Donaldson, 1997). Cette conjonction d’intérêts comme sur ses choix et ses positions. Le niveau de perfor-
peut profiter aux actionnaires par l’amélioration des dividendes et mance de l’entreprise devient par conséquent un reflet de la
du cours de l’action (J.H. Davis, F.D. Schoorman et L. Donaldson, singularité du dirigeant, d’où une approche de la valorisation du
1997). En conséquence, la théorie de l’intendance s’intéresse au dirigeant tendant à souligner une valeur spécifique du dirigeant
comportement du dirigeant ; elle suppose une liberté de décision (L. Donaldson et J.H. Davis, 1991). Dans ce cadre, le dirigeant
et s’appuie sur une réflexion éthique qui vise l’intérêt général. joue un rôle important dans l’amélioration de la performance (D.C.
Pour cette théorie, il n’y a pas de problème inhérent au dirigeant Hambrick et S. Finkelstein, 1987). Il est susceptible d’influencer
quant à sa motivation : la perspective est donc davantage celle de les résultats de l’entreprise par ses choix, ses décisions et ses
savoir comment l’organisation va aider le dirigeant à exercer son capacités managériales spécifiques. De par sa position unique,
pouvoir et ses responsabilités, que de s’attacher à surveiller son ses compétences spécifiques et non partageables avec le reste
comportement. La gouvernance doit donc permettre au dirigeant de l’équipe dirigeante (C.M. Daily et J.L. Johnson, 1997), ce
d’exercer son autorité, ses responsabilités et de recueillir par dernier est capable d’influencer les résultats de l’entreprise
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ce moyen la reconnaissance des autres parties prenantes, (D.C. Hambrick et P.A. Mason, 1984). Par ailleurs, les facultés
notamment les actionnaires. La théorie de l’intendance supplée cognitives du dirigeant ont une influence sur les choix stratégiques
certaines omissions de la théorie de l’agence en prenant en et l’efficacité de l’organisation (D.C. Hambrick et P.A. Mason,
considération d’autres facteurs, de nature différente (J.H. Davis, 1984). M.A. Carpenter et B.R. Golden (1997) suggèrent dans
F.D. Schoorman et L. Donaldson, 1997). Certains sont psycho- ce sens que le trait psychologique d’une personne, qualifié de
logiques et intègrent les récompenses intrinsèques (autonomie, sensation de contrôle (locus of control) peut affecter la manière
enrichissement des connaissances, variété et contenu du travail), selon laquelle les dirigeants se perçoivent eux-mêmes comme
les ressorts d’identification (volonté et fierté d’appartenance) et ayant une discrétion dans une variété de situations. La sensa-
les besoins d’influence et de pouvoir personnel (rattaché non pas tion de contrôle reflète les perceptions d’un individu par lequel
à la position hiérarchique du dirigeant, mais plutôt au respect et il contrôlerait ou serait contrôlé par son environnement. Cette
à l’expertise issue de la réussite collective de l’entreprise). Les discrétion a constitué ultérieurement les fondements d’une nouvelle
autres facteurs peuvent être qualifiés de contextuels et dépendent théorie dite théorie de la discrétion managériale ou de la latitude
de l’importance accordée aux valeurs éthiques et à la confiance, décisionnelle. D.C.Hambrick et S. Finkelstein (1987), les pionniers
en fonction des turbulences environnementales et des diverses de cette théorie, définissent la discrétion managériale comme la
cultures en présence. La latitude discrétionnaire du dirigeant capacité du dirigeant à influencer plusieurs aspects de la gestion
ne doit donc pas être systématiquement limitée, mais bien au (tels que l’allocation des ressources, la sélection des produits
contraire étendue. Cela permet d’établir une organisation plus ou le lancement des initiatives compétitives). Nous pouvons par
performante dans l’intérêt partagé des différentes parties prenantes conséquent définir la discrétion managériale comme la marge de
et des différents groupes d’actionnaires. Ainsi, les partisans de la manœuvre disponible pour le dirigeant. Toutefois, si ce dernier a
théorie de l’intendance considèrent que la discrétion managériale une latitude d’action limitée, alors il n’est pas suffisamment motivé
n’est pas forcément nuisible à la performance, en particulier si à s’impliquer dans des activités organisationnelles considérables
le pouvoir et l’autorité sont détenus par une seule personne (L. (D.C. Hambrick et S. Finkelstein, 1987), ce qui peut affecter la

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performance de l’entreprise. Dans cette perspective, l’analyse (PROPDIR). H. Demsetz (1983) montre qu’une fraction impor-
de la contribution du dirigeant à l’amélioration de la performance tante du capital détenu par le dirigeant lui permet de renforcer
accorde une place essentielle aux critères traduisant les caracté- son pouvoir de contrôle et l’incite à défendre ses propres intérêts
ristiques personnelles et managériales propres au dirigeant. Les et ceci au détriment de ceux des autres actionnaires.
approches précédemment présentées impliquent des perceptions – La fraction des administrateurs internes dans le conseil

Innovations managériales
différentes de la discrétion managériale. Pour les tenants de la d’administration : Elle est mesurée par le nombre d’adminis-
théorie de l’agence et de la théorie de l’enracinement, il s’agit trateurs internes sur le nombre total d’administrateurs dans
d’une discrétion managériale qui encourage les dirigeants à le conseil d’administration (adminter). Selon M.S. Weisbach
atteindre leurs objectifs personnels. Ainsi il faudrait contrôler le (1988), les administrateurs internes et externes ont des intérêts
plus possible les actions des dirigeants de manière à éviter les différents au sein de la firme. En ce sens, les externes ont intérêt
effets de leur opportunisme. Pour les tenants de la théorie de à révoquer le dirigeant non performant afin de sauvegarder leur
l’intendance et de la théorie de la discrétion managériale, il s’agit, réputation contrairement aux internes qui, eux, n’ont aucun intérêt
au contraire, de mettre en place les conditions qui permettent de à révoquer le dirigeant car leur carrière est étroitement liée à
laisser libre champ à l’exercice des compétences individuelles ce dernier. Ainsi, pour augmenter sa discrétion managériale,
du dirigeant, pour le bien commun. Les conséquences pratiques le dirigeant peut aisément « fidéliser », de différentes façons,
de ces différentes approches sont donc radicalement différentes. les administrateurs internes par des contrats informels sous
forme de promesse de carrière, de sécurité d’emploi ou d’avan-
tages en nature (G. Charreaux, 1997). De plus, le dirigeant
3. Etude empirique peut accroître l’asymétrie d’information pour perturber leur
maîtrise des conditions réelles dans lesquelles se développe
l’entreprise (G. Charreaux, 1997). En outre, le dirigeant peut
3.1. Echantillon utiliser son réseau de relations pour convaincre les membres
de l’entreprise, y compris les administrateurs internes, d’aug-
Cette étude se base sur un échantillon de 78 entreprises menter sa discrétion managériale et de diminuer la pression
tunisiennes ayant la forme juridique de société anonyme. Parmi des administrateurs externes.
ces dernières, 24 sont cotées à la Bourse des Valeurs Mobilières Ainsi nous pouvons conclure que les administrateurs internes et
de Tunis. La période de l’étude s’étale sur quatre ans de 2003 externes prennent des décisions différentes en ce qui concerne
à 2006. la révocation du dirigeant. Ainsi, plus la fraction des administra-
teurs internes dans le conseil d’administration augmente, plus
la discrétion managériale est importante.
3.2. Présentation des variables utilisées
3.2.2. Mesure de la performance et des variables
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3.2.1. Mesure de la discrétion managériale de contrôle
La plupart des études antérieures n’utilisent pas une mesure Nous avons retenu deux mesures de performance (le Q de Tobin1
directe de la discrétion managériale mais plutôt une variable et le rendement de l’actif) et quatre variables de contrôle (la taille
proxy. En effet, l’approche fréquemment utilisée consiste à utiliser de l’entreprise, son potentiel de croissance, le niveau d’endet-
les mesures de certaines conditions qui permettent de délimiter tement et le secteur d’activité). Le Q de Tobin : Ce ratio permet
ou d’augmenter la discrétion managériale. Ces variables sont d’évaluer la performance boursière de la firme. Nous pouvons
relatives à la structure de propriété. approximer ce ratio par le rapport de la valeur marchande sur la
Néanmoins l’utilisation de ces variables suppose que la diffusion valeur comptable des actifs (Q). Selon P. Milgrom et J. Roberts
de la structure de propriété est une condition qui permet aux (1992), le niveau de performance boursière dépend de la contri-
dirigeants d’atteindre leurs propres objectifs (H. Demsetz et K. bution managériale et de son effet sur la profitabilité de la firme.
Lehn, 1985). D’autres variables proxy ont été utilisées comme Le rendement de l’actif est le rapport du résultat d’exploitation sur
la composition du conseil d’administration et l’ancienneté du l’actif total (RA). Cette mesure est utilisée par plusieurs études
dirigeant (E. Ruiz-Barbadillo, E. Biedma-López, N. Gómez-Aguilar, antérieures (R. Daines, 2001)2.
2007). Il est à noter que ces variables proxy présentent l’avantage
de l’utilisation de données objectives (E.C. Chang et S.M.L.Wong,
2003). Pour combler le déficit de ces proxy, nous utiliserons dans 1. Cette mesure de performance boursière a été calculée uniquement pour 24
entreprises constituant notre échantillon et qui sont cotées à la Bourse des
la présente étude une mesure plus complète de la discrétion Valeurs Mobilières de Tunis.
managériale et ce, en ayant recours à deux mesures : 2. Nous avons utilisé cette mesure car elle ne souffre pas du problème d’anti-
– La proportion du capital détenu par le dirigeant : Celle -ci est cipation. Néanmoins Bhagat et Jefferis (2002) montrent que cette mesure de
performance est affectée pat les conventions comptables d’évaluation des actifs
mesurée par le pourcentage du capital détenu par le dirigeant et des revenus.

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La taille de l’entreprise est mesurée par le logarithme décimal 3.3. Les modèles utilisés
de l’actif total (taille). En se basant sur deux effets, H. Short et
K. Keasey (1999) montrent que la taille affecte positivement la L’objectif de notre étude est de tester l’impact du pouvoir discrétion-
performance : l’effet du financement potentiel et les économies naire du dirigeant sur la performance des entreprises tunisiennes.
d’échelle. Selon ces deux auteurs, l’effet du financement potentiel Pour ce faire, nous effectuerons quatre régressions linéaires en
Innovations managériales

permet aux firmes de taille plus importante non seulement de prenant chaque fois comme variable dépendante l’une des deux
générer plus facilement des fonds internes mais aussi d’accéder mesures de performance retenues et comme variable explica-
à des fonds à partir des sources externes. Ainsi ces firmes tive la discrétion managériale et les variables de contrôle. Les
auront une performance plus élevée que les autres. Le deuxième modèles utilisés sont :
argument avancé par H. Short et K. Keasey (1999) stipule que Modèle 1 : R  Ai,t = β0 + β1Propdiri,t + β2taillei,t + β3 endti,t
les économies d’échelle qui accompagnent la taille permettent + β4 acti,t + β5 croissi,t + εi,t (1)
aux firmes de créer des barrières à l’entrée ce qui affecte positi- Modèle 2 : RAi,t = β0 + β1 adminteri,t + β2 taillei,t + β3 endti,t
vement la performance. Dans notre étude, nous prévoyons une + β4 acti,t + β5croissi,t + εi,t (2)
relation positive entre la taille de l’entreprise et sa performance. Modèle 3 : Q  i,t = β0 + β1Propdiri,t + β2 taillei,t + β3endti,t + β4acti,t
Le potentiel de croissance de la firme est mesuré par la croissance + β5croissi,t + εi,t (3)
relative des ventes sur une année (croiss). En nous basant sur les Modèle 4 : qi,t = β0 + β1adminteri,t + β2 taillei,t + β3 endt + β4acti,t
résultats des études antérieures (J.J. McConnell et H. Servaes, + β5 croissi,t + εi,t (4)
1990), nous anticipons une relation positive entre cette variable
et la performance de la firme.
Le secteur d’activité : Il s’agit d’une variable binaire qui prend la 4. Les résultats
valeur 1 si l’entreprise appartient au secteur industriel et la valeur
0 si elle appartient au secteur de service (act). Nous avons inclus 4.1. Les statistiques descriptives
cette variable pour contrôler l’hétérogénéité observée dans les
entreprises qui constituent notre échantillon. Les statistiques descriptives de l’échantillon sont présentées
L’endettement mesuré par le rapport des dettes/l’actif total dans le tableau 1
(endt). Plusieurs études de la structure de capital basées sur D’après le tableau 1, la taille moyenne de l’entreprise, mesurée par
l’approche principal-agent montrent l’existence d’une relation le logarithme des actifs, est de 16,177, et son ratio d’endettement
significative entre la structure de capital et la performance de la est de 0,315. La firme moyenne de notre échantillon enregistre
firme. Par exemple, M. Jensen (1986) a montré que les dettes un rendement des actifs de l’ordre de 8,87 %. De plus, il est
peuvent être utilisées pour résoudre les conflits d’intérêts entre à signaler que les entreprises tunisiennes créent de la valeur
dirigeant et actionnaires et ce, en restreignant la liberté du pour leurs actionnaires puisque le niveau moyen du ratio du Q
dirigeant à consommer de manière abusive, ce qui est de nature à de Tobin est supérieur à 1. En examinant les écarts types des
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améliorer la performance de la firme. J.E. Stiglitz (1985) a, quant variables retenues, nous constatons que la performance boursière
à lui, montré que le contrôle des actions du dirigeant n’est pas (reflétée par le Q de Tobin) est beaucoup plus volatile que la perfor-
exercé par les actionnaires mais par les créanciers et en particulier mance comptable. De plus, il est à remarquer qu’en moyenne le
les banques. Par conséquent, les dettes devraient augmenter la dirigeant détient 19,3 % du capital. Enfin, nous constatons que
valeur des actions (M.C. Jensen et W.H. Meckling, 1976). les conseils d’administration des firmes tunisiennes constituant

Tableau 1 : Statistiques descriptives des variables

Variables N Moyenne Ecart-type


Panel A : Variables de performance
Q 96 3,113 3,754
RA 312 0,0887 0,0754
Panel B : Variables de discrétion managériale
propdir 312 0,193 0,128
adminter 312 0,85 0,415
Panel C : Variables de contrôle
TAILLE 312 16,177 0,891
ENDT 312 0,315 2,27684
CROISS 312 0.256 2.894
Ce tableau présente les statistiques descriptives des variables utilisées dans l’analyse. Q est le rapport de la valeur marchande sur la valeur
comptable des actifs. RA est le rapport du résultat d’exploitation sur l’actif total. propdir mesure le pourcentage du capital détenu par le dirigeant.
adminter est le nombre d’administrateurs internes sur le nombre total d’administrateurs dans le conseil d’administration. TAILLE est le logarithme
décimal de l’actif total. ENDT le rapport des dettes sur l’actif total. CROISS la croissance relative des ventes sur une année.

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notre échantillon sont dominés par les administrateurs internes vant les résultats du tableau 2, nous constatons que tous les
puisqu’en moyenne 85 % des administrateurs sont qualifiés coefficients de corrélation présentent des valeurs inférieures à 0.8
comme étant internes. (G. Kennedy, 1985) à l’exception du coefficient entre la propriété
du dirigeant et la fraction des administrateurs internes (0.868).
Toutefois, ces deux mesures de la discrétion managériale ne
4.2. Les tests multivariés

Innovations managériales
vont pas être introduites dans une même régression. Ainsi nous
pouvons conclure à l’absence de problèmes de multicolinéarité
propdir adminter taille endt croiss entre les variables explicatives.
propdir 1
adminter 0,869** 1
taille 0,123 0,045 1
4.3. Existence de relation entre la discrétion
endt 0,035 -0,012 0,168 1
managériale et la performance
croiss 0,254 0,229 0,306 0,252 1
des entreprises
Ce tableau présente la matrice de corrélation des variables explica-
tives utilisées pour étudier la relation entre la discrétion managé- Pour tester l’impact du pouvoir discrétionnaire du dirigeant sur
riale et la performance. propdir mesure le pourcentage du capital la performance des entreprises, nous nous sommes basée sur
détenu par le dirigeant. adminter est le nombre d’administrateurs les 4 équations présentées dans la section iii. Toutefois et avant
internes sur le nombre total d’administrateurs dans le conseil
d’estimer ces équations, nous avons testé si le modèle est à effet
d’administration. TAILLE est le logarithme décimale de l’actif total.
ENDT le rapport des dettes sur l’actif total. CROISS la croissance fixe ou à effet aléatoire. Le test de spécification (J.A. Hausman,
relative des ventes sur une année 1978) de l’homogénéité ou de l’hétérogénéité du processus
** La corrélation est significative au niveau 0.01 (bilatéral). générateur de données indique que notre modèle est à effet
Tableau 2 : Matrice de corrélation de Pearson aléatoire. En effet, l’acceptation de l’hypothèse nulle de ce test
implique que le modèle retenu est à effet individuel aléatoire.
Avant d’estimer les modèles d’analyse par la méthode des En estimant les équations (1), (2), (3) et (4) par la méthode des
moindres carrés ordinaires, nous avons mené plusieurs tests moindres carrés ordinaires, nous obtenons les résultats suivants :
pour nous assurer de l’adéquation de cette méthode à notre D’après le tableau 3, nous constatons que le pouvoir discrétion-
étude. Nous avons ainsi vérifié l’absence de multicolinéarité naire du dirigeant (à travers les deux mesures retenues) a un
entre les variables indépendantes en ayant recours à la matrice effet positif significatif sur la performance comptable (reflétée à
de corrélations bivariées ainsi qu’à d’autres critères1. En obser- travers le rendement des actifs). Ce résultat implique le rejet des
présomptions de la théorie de l’agence. En effet, les partisans de
1. Les critères d’évaluation de la multicolinéarité entre les variables explica- cette dernière (M.C.Jensen et W.H. Meckling, 1976) ont stipulé
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tives utilisées dans cette étude sont les suivants : les facteurs d’inflation de que les dirigeants suivent des objectifs « self-serving » aux dépens
la variance, les valeurs propres et les indices de conditionnement. Le calcul de
ces critères nous a permis de nous prononcer sur l’absence de problèmes de des intérêts des actionnaires, ce qui nuit à la performance des
colinéarité entre les variables indépendantes.

Tableau 3 : Impact de la discrétion managériale sur la performance. Modèles à effet individuel aléatoire

Modèle 1 Modèle 2 Modèle 3 Modèle 4


N = 312 N = 312 N = 96 N = 96
RA RA Q Q
Constante 0,089 0,071 0,105 0,113
propdir 0,196*** 0,152
adminter 0,985*** 1.213
Taille 0,295** 0,516*** 2,316* 1,596***
ENDT 0,654*** 0,401** 3,526* 3,645***
ACT 0,062 0,132 -1,103 -0,202
croiss 0,278 0,189 0,548 0,978
Nbr. d’observations 240 240 240 240
Valeur de F de Fisher 3.985*** 3.159*** 8.065*** 7.894***
R2 0.89 0.85 0.78 0.80
Ce tableau présente les résultats des régressions linéaires pour tester l’impact de la discrétion managériale sur la performance. Q est le rapport de la valeur
marchande sur la valeur comptable des actifs. RA est le rapport du résultat d’exploitation sur l’actif total. propdir mesure le pourcentage du capital détenu par
le dirigeant. adminter est le nombre d’administrateurs internes sur le nombre total d’administrateurs dans le conseil d’administration. TAILLE est le logarithme
décimal de l’actif total. ENDT le rapport des dettes sur l’actif total. CROISS la croissance relative des ventes sur une année.
*, **, ***: Significatif respectivement au seuil de 10 %, 5 % et 1 %

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102 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 237-238 – Organisation

entreprises. Le résultat trouvé est néanmoins cohérent avec par dettes au recours au marché financier et évitent d’introduire
celui de L. Donaldson et J.H. Davis (1991) qui ont avancé que de nouveaux actionnaires dans le capital en vue de garder le
les dirigeants sont les bons intendants de l’entreprise et qu’ils contrôle. Par conséquent, pour faciliter la modalité de finance-
suivent les intérêts des actionnaires. Ainsi nous pouvons conclure ment retenue, les dirigeants essaient d’améliorer la rentabilité
que la performance des entreprises tunisiennes constituant notre économique et financière dans le but de refléter une solvabilité
Innovations managériales

échantillon augmente si le dirigeant a suffisamment de latitude considérable leur permettrant d’obtenir facilement des emprunts
managériale. Un tel résultat peut être expliqué par les caractéris- (dans la limite du possible).
tiques de la structure de propriété des firmes tunisiennes. Ces Nos résultats montrent également qu’il y a une relation positive
dernières sont caractérisées par une concentration du capital entre la taille de la firme et sa performance. Ce résultat est en
(I. Khanchel, 2007). accord avec celui de E.F. Fama et K.R. French (1995) qui ont montré
Par exemple, dans les entreprises cotées, les trois premiers que les firmes de grande taille ont deux avantages par rapport aux
actionnaires détiennent plus que 50 % du capital. Ajoutons que autres firmes. D’abord, elles peuvent profiter d’économies d’échelle
dans 15 % de ces entreprises la totalité du capital est détenu assez importantes. Ensuite, elles ont un accès considérable aux
par les trois premiers actionnaires. De plus le ¼ du capital est ressources financières. Ces deux avantages conduisent à une
détenu par les familles. Ainsi les actionnaires majoritaires (repré- amélioration de la performance au sein de ces firmes.
sentant des familles dans la majorité des entreprises) exercent Nous remarquons aussi que l’endettement contribue à l’amé-
un pouvoir important, contraignant ainsi les dirigeants à renforcer lioration du niveau de performance. Ce résultat est en accord
leur position et leur rôle au sein des entreprises. Ajoutons avec l’argument de M. Jensen (1986). Enfin les estimations
qu’étant donné que le salaire du dirigeant et sa présence dans montrent que l’appartenance sectorielle et les opportunités de
l’entreprise dépendent de sa contribution dans l’amélioration croissance n’expliquent pas le niveau de performance comptable
de la performance, ce dernier est amené à utiliser son pouvoir et boursière.
discrétionnaire au profit de l’intérêt général de l’entreprise.
Enfin, il est aussi à noter que dans les entreprises à caractère
familial, le dirigeant est parfois la personne la plus âgée dans Conclusion
la famille et donc celle qui va profiter de sa latitude managé-
riale pour prémunir les intérêts de la famille dans l’ensemble. L’objectif de cette étude est d’étudier l’impact du pouvoir discré-
La parenté modère ainsi l’intérêt personnel et les conflits qu’il tionnaire du dirigeant sur la performance. Pour ce faire, nous
peut causer car elle se traduit par la loyauté et l’engagement avons en premier lieu passé en revue les différents arguments
vis-à-vis de la famille et l’entreprise. Par exemple, la nécessité théoriques traitant la relation qui existe entre ces variables. En
de surveiller le comportement d’un agent membre de la famille effet, les études antérieures, tant théoriques qu’empiriques
est réduite parce que la communication et la coopération sont montrent qu’il n’existe pas de consensus concernant la relation
facilitées par la familiarité et la connaissance intime. Ce résultat considérée.
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confirme l’argument de E.F. Fama et M.C. Jensen (1983) selon Certes, selon la théorie de l’agence, les dirigeants privilégient
lequel « les membres de la famille entretiennent, durant un leurs objectifs personnels. Cela les conduit à utiliser leur pouvoir
long horizon temporel, plusieurs dimensions d’échange les uns discrétionnaire pour préserver leurs intérêts personnels ce qui
avec les autres impliquant des avantages dans le contrôle et la nuit à la performance de l’entreprise. D’autre part, la théorie
discipline des agents de décision familiaux « (E.F. Fama et M.C. de l’intendance des dirigeants suppose que les dirigeants sont
Jensen, 1983, p. 306). Toutefois, dans les entreprises familiales de bons intendants de l’entreprise et donc que leurs intérêts
tunisiennes, il existe parfois des relations conflictuelles entre convergent avec les intérêts des actionnaires ce qui conduit à
la famille dominant l’entreprise et les actionnaires minoritaires une amélioration de la performance.
(en situation d’ouverture du capital). En second lieu, nous avons étudié l’impact du pouvoir discrétion-
Il est aussi à remarquer que le pouvoir discrétionnaire du dirigeant naire du dirigeant sur la performance d’un échantillon d’entreprises
n’explique pas la performance boursière des firmes tunisiennes. tunisiennes. Nos résultats montrent que bien que la discrétion
Les spécificités du système de gouvernance tunisien expliquent managériale n’ajoute aucun pouvoir explicatif à la performance
en grande partie ce résultat. En effet, ce système est un système boursière, elle a un effet positif significatif sur la performance
intermédiaire où le marché financier joue un rôle limité dans le comptable des firmes tunisiennes. Ce résultat a été attribué à
financement des entreprises. la nature de la structure de propriété des firmes tunisiennes.
Ces dernières sont dépourvues d’une culture boursière et se En effet, les entreprises tunisiennes sont caractérisées par la
financent davantage auprès des banques ; ainsi les dirigeants présence d’actionnaires majoritaires qui représentent dans la
ne s’intéressent pas autant à la performance boursière qu’à la plupart des cas des familles. Ces dernières exercent une pression
performance comptable car, de leur point de vue, les incitations sur le dirigeant (dans le cas où il serait salarié) qui est amené à
proposées par le marché financier ne sont pas aussi avantageuses maximiser la performance de la firme afin de garder son poste.
que celles offertes par les banques (I. Khanchel, 2007). De plus Par conséquent la discrétion managériale dans ce cas a un impact
les dirigeants des entreprises familiales préfèrent le financement positif sur la performance.

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La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 237-238 – Organisation 103

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