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Sarcey dit : oui; Faguet : non ; Lemaître : si. M. Mornet met bien
des nuances : « Andromaque », précise-t-il, « chaste, droite, sincère,
est jetée par Racine dans cette situation où il lui faut tromper et
séduire. Elle est une « coquette vertueuse » ou plutôt elle découvre
en elle les coquetteries instinctives qui apaisent et leurrent un
homme1. » En somme, au rebours des personnages raciniens, pas-
sionnés, perfides, criminels, incestueux malgré leur devoir, Andro-
maque, dans cette première tragédie racinienne, est comme un per-
sonnage cornélien égaré et n'est coquette que par devoir, si elle Test.
Mais Test-elle'?
Sur la question, posée déjà par Nisard, peut-être convient-il d'in-
terroger Racine. Sous prétexte qu' Andromaque est un personnage
« vivant », on se donne, chaque fois qu'elle reparaît à la rampe, la
latitude de l'interpréter aux lumières de la psychologie du jour. 11 y a
pourtant une limite que devraient respecter, je ne dis pas les comé-
diens, - ils ne peuvent pas, ils jouent « comme ils sentent », - mais
les critiques avisés qui aiment à voir dans les créations du génie non
ce qu'il est expédient d'y mettre, mais ce qui y est véritablement.
Il y a dans le rôle d'Andromaque des passages très nets, d'autres
un peu incertains et troubles. Dans les premiers, elle exprime de façon
indubitable sa répulsion à l'égard de Pyrrhus, son amour éternel pour
Hector. Pylade, témoin impartial, nous la donne dès le début comme
une « veuve inhumaine ». L'amour de Pyrrhus est seulement « payé »
de haine. Pyrrhus est obligé de la menacer, en la personne de son fils,
s'il veut la faire plier, et ne réussit d'ailleurs qu'à faire pleurer ces
beaux yeux qu'il essuie aussitôt que possible. Quand Andromaque
rencontre Pyrrhus qui l'attend et qui aurait bien voulu qu'elle le cher-
chât, elle dit bien haut que la rencontre est toute fortuite, qu'elle
« passe » jusqu'aux lieux où l'on garde sori fils, ce « seul bien » qui
lui reste et « d'Hector et de Troie ». Elle évoque donc, dès son appari-
tion, l'éternel obstacle qui est entre elle et Pyrrhus. Elle souffre même
de le voir. Malgré ses mérites, ses titres à la reconnaissance, elle
voudrait le fuir, elle implore l'exil :
Souffrez que, loin des Grecs et même loin de vous,
J'aille cacher mon fils et pleurer mon époux. (l, 4.)
Quand elle ignore encore combien le péril est pressant, elle se
montre agressive, injurieuse :
Quelque Troyen vous est-il échappé ?
Elle ne voit dans les offres généreuses de Pyrrhus qu'un vil marché :
Sans me faire payer son salut de mon cœur !
Elle souffre presque autant, parfois, dans sa dignité abaissée que
dans son immortel amour :
N'y a-t-il pas, d'autre part, dans ce qui suit, un regard un peu bien
complaisant jeté sur ses « tristes » attraits ?
Captive, toujours triste, importune à moi-même,
Pouvez-vous souhaiter qu'Andromaque vous aime ?
Quels charmes ont pour vous des yeux infortunés
Qu'à des pleurs éternels vous avez condamnés ? (I, 4.)
et, ici, comme un dépit à propos d'un triomphe escompté?
Tu vois le pouvoir de mes yeux ! (ill, 6.)
Elle parle ailleurs d'un « espoir de pardon », d'un « reste de fierté ».
Ne voilà-t-il pas qu'elle mollit, qu'elle transige? Ne cède-t-elle pas,
enfin, quand elle dit le mot que Pyrrhus attendait, exigeait, - un seul
mot, sans doute, et que le scrupule de Racine a voulu seulement nous
suggérer, mais qui n'a pas été : non? Et Pyrrhus l'a bien entendu,
lui:
tous ces vers-là sont assurément faits pour mettre Pyrrhus sens des-
sus dessous; et il est clair qu'Andromaque ne l'ignore pas. » Et c'est
très bien ainsi. « Cette finesse féminine parmi tant de vertu et de
douleur, et une aussi parfaite fidélité conjugale, il me semble que
cela fait une combinaison exquise, et hardie, et vraie4. »
Aussi nous est-il interdit de voir, comme je crois que l'a bien vu
M. Mornet, dans les attitudes d'Andromaque, autre chose que des
surprises passagères et fort nuancées de l'instinct féminin de plaire,
mais rien de combiné et de voulu. Cela n'empêchera, d'ailleurs, jamais
une comédienne de rouler les yeux et d'attendrir sa voix en parlant à
Pyrrhus, - pas plus qu'un chanteur ne consentira à garder dans le
masque une de ses bonnes notes, sous prétexte qu'elle n'est pas mar-
quée, - le compositeur ne sachant pas qu'il serait là ! « Les artistes »,
nous l'avons dit, se reconnaissent des droits qu'il est inutile de pro-
clamer comme ceux de l'homme, car ils ont le caractère imprescrip-
tible et souverain de la loi non écrite. Les auteurs en font tous les
jours l'expérience, mais, pour cause, regimbent encore moins que le
public.
Henri Jacoubet.
4. On sait que c'est ce que lui reprochait l'inepte Gréquy. On connaît la riposte
piquante de Racine.