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Le problème d'"Andromaque": Si Racine l'a voulue coquette

Author(s): Henri Jacoubet


Source: Revue d'Histoire littéraire de la France , 1929, 36e Année, No. 3 (1929), pp. 409-
415
Published by: Presses Universitaires de France

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/40519185

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MÉLANGES

LE PROBLÈME D' « ANDROMAQUE »


SI RACINE L'A VOULUE COQUETTE

Sarcey dit : oui; Faguet : non ; Lemaître : si. M. Mornet met bien
des nuances : « Andromaque », précise-t-il, « chaste, droite, sincère,
est jetée par Racine dans cette situation où il lui faut tromper et
séduire. Elle est une « coquette vertueuse » ou plutôt elle découvre
en elle les coquetteries instinctives qui apaisent et leurrent un
homme1. » En somme, au rebours des personnages raciniens, pas-
sionnés, perfides, criminels, incestueux malgré leur devoir, Andro-
maque, dans cette première tragédie racinienne, est comme un per-
sonnage cornélien égaré et n'est coquette que par devoir, si elle Test.
Mais Test-elle'?
Sur la question, posée déjà par Nisard, peut-être convient-il d'in-
terroger Racine. Sous prétexte qu' Andromaque est un personnage
« vivant », on se donne, chaque fois qu'elle reparaît à la rampe, la
latitude de l'interpréter aux lumières de la psychologie du jour. 11 y a
pourtant une limite que devraient respecter, je ne dis pas les comé-
diens, - ils ne peuvent pas, ils jouent « comme ils sentent », - mais
les critiques avisés qui aiment à voir dans les créations du génie non
ce qu'il est expédient d'y mettre, mais ce qui y est véritablement.
Il y a dans le rôle d'Andromaque des passages très nets, d'autres
un peu incertains et troubles. Dans les premiers, elle exprime de façon
indubitable sa répulsion à l'égard de Pyrrhus, son amour éternel pour
Hector. Pylade, témoin impartial, nous la donne dès le début comme
une « veuve inhumaine ». L'amour de Pyrrhus est seulement « payé »
de haine. Pyrrhus est obligé de la menacer, en la personne de son fils,
s'il veut la faire plier, et ne réussit d'ailleurs qu'à faire pleurer ces
beaux yeux qu'il essuie aussitôt que possible. Quand Andromaque

1. Histoire des Grandes Œuvres de la Littérature française, p. 80.


2. « Puisque ni la gloire ni la pitié ne suffisent pour fléchir Pyrrhus, elle ne dira
pas qu'elle l'aime ni même qu'elle est sensible à son amour; mais elle avouera
qu'elle l'estime et qu'entre tous les Grecs, ses vainqueurs, c'est Pyrrhus qui semble,
à la triste Andromaque, son meilleur vainqueur. » (Ibid., p. 80.)

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410 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.

rencontre Pyrrhus qui l'attend et qui aurait bien voulu qu'elle le cher-
chât, elle dit bien haut que la rencontre est toute fortuite, qu'elle
« passe » jusqu'aux lieux où l'on garde sori fils, ce « seul bien » qui
lui reste et « d'Hector et de Troie ». Elle évoque donc, dès son appari-
tion, l'éternel obstacle qui est entre elle et Pyrrhus. Elle souffre même
de le voir. Malgré ses mérites, ses titres à la reconnaissance, elle
voudrait le fuir, elle implore l'exil :
Souffrez que, loin des Grecs et même loin de vous,
J'aille cacher mon fils et pleurer mon époux. (l, 4.)
Quand elle ignore encore combien le péril est pressant, elle se
montre agressive, injurieuse :
Quelque Troyen vous est-il échappé ?

Elle ne voit dans les offres généreuses de Pyrrhus qu'un vil marché :
Sans me faire payer son salut de mon cœur !
Elle souffre presque autant, parfois, dans sa dignité abaissée que
dans son immortel amour :

Je respire, je sers. (Hl, 6.)


Pyrrhus, avec cette double vue du dépit amoureux q
secret des mots comme des réticences, se sent, se sait déte
Vous me haïssez plus que tous les Grecs ensemble.
11 la dément durement quand elle cherche à l'émouvo
déclaration habilement ambiguë :
Non, vous me haïssez ; et, dans le fond de l'âme,
Vous craignez de devoir quelque chose à ma flamme.
Ce fils même, ce fils l'objet de tant de soins,
Si je l'avais sauvé, vous l'en aimeriez moins.
Ici, Pyrrhus le passionné dépasse singulièrement en cl
Pylade, observateur raisonnable. Au surplus, les passage
tiques abondent, qui prouvent que le fonds, le tréfonds d'A
c'est une haine inextinguible pour l'homme dont la vu
tous ses plus cruels souvenirs. Non, mille fois non. Hector
« Pyrrhus pour successeur ! » C'est un devoir :
Dois-je les oublier s'il ne s'en souvient plus ?
Dois-je oublier Hector privé de funérailles ?...
Dois-je oublier son père à mes pieds renversé ?... (Ill,
devoir qui, par surcroit, s'enveloppe, si j'ose dire, dans un
fort comme la mort.
Inversement, Hector reste tout pour elle. Elle est presque consolée
du sort d'Astyanax en pensant que tous trois vont être désormais
« réunis ». Dans son fils, elle voit son mari. Hector, aux yeux même
de Pyrrhus, se réincarne. Elle se jette sur ses lèvres dans une espèce
d'hallucination qui serait horrible si elle n'était pas la pureté même.

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LE PROBLÈME d'« ANDROMAQUE ». SI RACINE i/a VOULUE COQUETTE. 411

II n'y a plus ni prudence ni convenance qui tienne. Mais, au contraire


de Phèdre, c'est une refoulée pour le bon motif. Au moment du
suprême désarroi, quand il faut décidément et promptement faire
son choix, c'est auprès d'Hector qu'elle court en un geste de sublime
instinct :

Allons sur son tombeau consulter mon époux !

Non, l'histoire n'aura pas à connaître d'une « Andromaque infi-


dèle » ! Elle se tuera plutôt que d'appartenir, ne fût-ce qu'un instant,
à un autre que l'objet immortel de sa première foi ! Jusqu'au dernier
moment, la pensée d'Hector veille en elle. C'est Hector, après la mort
de Pyrrhus, que, plus que Pyrrhus même, elle semble vouloir venger
sur les Grecs !

Andromaque elle-même, à Pyrrhus si rebelle,


Lui rend tous les devoirs d'une veuve fidèle,
Commande qu'on le venge et peut-être sur nous
Veut venger Troie encore et son premier époux. (Ill, 5.)
Voici, cependant, qui sonne moins plein. A certain moment, cette
belle limpidité d'âme se trouble un peu. C'est qu'il s'agit de ménager
Pyrrhus, maître de la situation, d'intéresser sa fierté, d'émouvoir sa
bonté, sinon de toucher son cœur :

Seigneur, que faites-vous et que dira la Grèce ? (ï, 4.)


... Je me suis quelquefois consolée
Qu'ici plutôt qu'ailleurs le sort m'ait exilée. (Ill, 6.)
Andromaque, sans vous,
N'aurait jamais d'un maître embrassé les genoux.

N'y a-t-il pas, d'autre part, dans ce qui suit, un regard un peu bien
complaisant jeté sur ses « tristes » attraits ?
Captive, toujours triste, importune à moi-même,
Pouvez-vous souhaiter qu'Andromaque vous aime ?
Quels charmes ont pour vous des yeux infortunés
Qu'à des pleurs éternels vous avez condamnés ? (I, 4.)
et, ici, comme un dépit à propos d'un triomphe escompté?
Tu vois le pouvoir de mes yeux ! (ill, 6.)
Elle parle ailleurs d'un « espoir de pardon », d'un « reste de fierté ».
Ne voilà-t-il pas qu'elle mollit, qu'elle transige? Ne cède-t-elle pas,
enfin, quand elle dit le mot que Pyrrhus attendait, exigeait, - un seul
mot, sans doute, et que le scrupule de Racine a voulu seulement nous
suggérer, mais qui n'a pas été : non? Et Pyrrhus l'a bien entendu,
lui:

Père, sceptre, alliés,


Content de votre cœur, il met tout à vos pieds. (IV, 1.)
Fidèle à sa parole, elle remplira les devoirs - plus aisés - d'une
veuve fidèle. Enfin et surtout, quand elle reparaissait aux yeux des

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412 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANGE.

spectateurs, dans une scène supprimée par la suite, elle lâchait


quelques expressions sur lesquelles nous aurons à revenir.
Ce sont les derniers passages que nous avons cités qui ont frappé
Sarcey, et il n'a pas fait état de cette étrange scène. Ils suffisaient
pour lui amplement à prouver qu'Andromaque est « joliment
maligne1 ». On ne peut expliquer autrement qu'elle ait pu si long-
temps prolonger une situation aussi fausse que la sienne. Il lui a fallu
une « diplomatie » qui allât jusqu'à la « coquetterie », coquetterie
« vertueuse » si Ton veut que la fin justifie le moyen, ou même si Ton
trouve excessive la contradiction des termes, autre chose que de la
coquetterie, mais quelque chose qui y ressemble terriblement. Mais si
Sarcey consent à supprimer le mot, nous n'y gagnons rien, à la façon
dont il développe la chose.
« II n'est pas que vous n'ayez passé par là. Une femme qui est
absolument libre et qui ne veut pas de vous, ne vous l'envoie pas dire.
Elle ne prend pas des mitaines, elle vous dit très nettement : « Vous
savez, mon cher, vous m'ennuyez, je ne veux pas de vous, passez au
large ». Mais si elle vous dit tout simplement : « Oh ! non ; laissez-moi,
j'aime mon mari. Il est si bon ! Vous êtes sans doute aimable, géné-
reux, plein de qualités, mais je n'ai jamais aimé et n'aimerai jamais
que mon mari. » Voyons, Monsieur, vous qui me lisez, est-ce que,
quand on vous dit ces choses-là (et le ton fait la chanson), votre pre-
mière idée n'est pas de penser en vous-même : « Tiens ! Tiens ! Tiens !
Voilà une femme que j'aurai un de ces jours. Ça sera long, ça sera
difficile, mais j'y arriverai*. »
De fait, elle ne dit pas à Pyrrhus : « Vous me déplaisez », mais : « Un
obstacle éternel nous sépare ». « Ces choses-là, ça agace un homme,
ça ne le désespère pas. » Elle sait « glisser » le compliment, elle s'em-
bellit de sa douleur.
« Eh oui, elle pleure 1 parce qu'il y a de quoi pleurer dans son
affaire, mais aussi parce que les larmes aiguisent sa beauté, excitent
l'amour de Pyrrhus et retardent l'instant fatal où il livrera son fils au
bourreau. A un moment, elle lui dit :
Retournez, retournez à la fille d'Hélène !

Qu'est-ce qu'il y a de plus irritant pour un homme qui fait la cour


de trop près à une maîtresse de s'entendre dire : « Non, mon cher,
allez donc retrouver votre femme 1 » II n'en est que plus enragé après
l'autre1!»
Je n'aime pas les professeurs quand ils font trop les légers, mais
ceci est vraiment un peu lourd. La vie sentimentale de Sarcey me
paraît, à lire ces lignes, avoir dû manquer de nuances. S'il a été
r « oncle » des hommes, il n'était pas fait pour jouer 1' « ami des

1. Francisque Sarcey, La Tragédie (« Librairie des Annales », s. d., p. 130).


t. üp. cit., p. 132-133.
3. Op. cit., p. 134-135.

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LE PROBLÈME D*« ANDROMàQUE ». SI RACINE l'a VOULUE COQUETTE. 413

femmes ». Faguet, admirateur cependant du critique dramatique,


voyait là une « forte erreur soutenue avec énergie * ». Sarcey eût pu
cependant s'autoriser du jugement porté par Hermione :
Cléone. - Contre un amant qui plait, pourquoi tant de fierté ?
Hermione. - Hélas ! pour mon malheur, je l'ai trop écouté.
Je n'ai point du silence affecté le mystère ;
Je croyais sans péril pouvoir être sincère,
Et, sans armer mes yeux d'un moment de rigueur
Je n'ai, pour lui parler, consulté que mon cœur ! (Il, 1.)
Andromaque ne serait donc, - et Mœe Segond-Weber l'affirma aux
Annales^ - qu'une rusée qui a su se faire désirer, alors qu'Hermione,
vierge folle, livrait trop vite le secret de son cœur et peut-être de ses
sens. Mais observons tout de suite qu'Hermione, jalouse, haineuse,
peut et doit se tromper sur Andromaque et que ces propos de rivale
exacerbée ne prouvent rien. Mais Jules Lema! tre, à son tour, a repris
le thème de Sarcey, sans le varier davantage, du moins pour le fond,
et peut-être même a-t-il ôté, au contraire, le peu de nuances2. Il veut
qu'Andromaque ait le désir, tout au moins, de ne pas déplaire.
« II n'y a pas à aller là contre ; le texte de Racine est plus fort que
tout. Cette plainte :
Mais il me faut tout perdre et toujours par vos coups !
cet argument qui, sous prétexte d'éteindre l'amour du jeune chef, lui
présente l'image de ce qu'il a de plus propre à l'émouvoir :
Captive, toujours triste, importune à moi-même..., etc.
cette façon qu'elle a d'évoquer toujours Hector devant Pyrrhus, de
parler du rival mort à l'amoureux vivant, et enfin, quand le péril de
l'enfant Astyanax est proche et certain, ces mots audacieux sous leur
air de réserve, ces mois qui, d'ailleurs, provoquent immédiatement
chez Pyrrhus l'offre de sa main et de sa couronne :
Seigneur, voyez l'état où vous me réduisez3
J'ai fait plus, je me suis quelquefois consolée
Qu'ici plutôt qu'ailleurs le sort m'ait exilée ;
Qu'heureux dans son malheur, le fils de tant de rois
Puisqu'il devait servir, fût tombé sous vos lois...
J'attendais de son fils encor plus de bonté...

tous ces vers-là sont assurément faits pour mettre Pyrrhus sens des-
sus dessous; et il est clair qu'Andromaque ne l'ignore pas. » Et c'est
très bien ainsi. « Cette finesse féminine parmi tant de vertu et de
douleur, et une aussi parfaite fidélité conjugale, il me semble que
cela fait une combinaison exquise, et hardie, et vraie4. »

1. Préface de l'ouvrage cité. p. vm.


2. Sarcey signalait le vers : « Qu'à des pleurs éternels vous avez condamnés ». Il
se contentait d'en réduire la portée. Op. cit., p. 434.
3. J abrège la citation en ne rapportant que les vers soulignés Dar Le m altre.
4. J. Lemaltre, Jean Racine. Galmann-Lévy, s. A., p. 143-144.

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414 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.

Sarcey avouait qu'Andromaque haïssait Pyrrhus. Lemaitre recon-


naît qu'elle hait le fils d'Achille.
« La personne même de Pyrrhus, je crois qu'Andromaque ne la
hait point. » Et la preuve, ajoute-i-il, c'est qu'aussitôt que Pyrrhus
est mort à cause d'elle, Andromaque se met à l'aimer '. Et il appuie
encore : « Je ne dis pas seulement qu'elle lui est reconnaissante et
qu'elle le pleure par convenance ; je dis qu'elle l'aime. » Cela res-
sort pour lui avec évidence de la scène du cinquième acte qui était
dans l'édition de 1668. On peut consentir qu'elle contient des vers
assez singuliers. Andromaque disait sa misère accrue du fait qu'elle
avait à verser des « pleurs^sur un autre qu'Hector ». Voilà qui n'est
pas trop compromettant encore et ce sont sans doute des pleurs de
pitié. Une héroïne généreuse peut regretter un ennemi chevaleresque,
fût-il parmi « les plus grands », mais qu'on médite un peu sur ceci :
Pyrrhus de mon Hector semble avoir pris la place...
Pyrrhus à mon époux me rendait infidèle...
Il y a là au moins quelque équivoque. Racine a supprimé cette
scène dans l'édition de 1676. Mais il est très vrai qu'il l'avait écrite
et fait jouer.
Il faudrait donc jeter ici un peu de lest si nous n'avions, pour ren-
trer dans la vraie conception de Racine, une autre scène qui, celle-là,
est restée, parce qu'elle fait partie intégrante du caractère d'Andro-
maque. C'est celle où elle annonce à Céphise son intention de se don-
ner la mort aussitôt qu'elle aura engagé sur les autels la parole de
Pyrrhus, désormais forcé de défendre le fils de la reine d'Épire :
0 ma chère Céphise,
Ce n'est point avec toi que mon cœur se déguise !...
Quoi donc l as-tu pensé qu'Andromaque infidèle
Pût trahir un époux qui croit revivre en elle !...
Je vais donc, puisqu'il faut que je me sacrifie
Assurer à Pyrrhus le reste de ma vie ;
Je vais, en recevant sa foi sur les autels
L'engager à mon fils par des nœuds immortels.
Mais aussitôt ma main à moi seule funeste
D'une infidèle vie abrégera le reste
Et, sauvant ma vertu, rendra ce que je dois
A Pyrrhus, à mon fils, à mon époux, à moi !
Voilà de mon amour l'innocent stratagème. (IV, 1.)
Innocent ? C'est à savoir ; en tout cas, pas très habile. Pyrrhus
trompé, en somme, serat-il tenu par un serment prêté, en quelque
sorte, sur des reliques cachées? Que vaut un pacte si la bonne foi n'a
été que d'un côté? N'est-il pas vraisemblable que, soit ressentiment
raisonné, soit égarement qui voit rouge, il ne fasse payer à Astyanax
les restrictions mentales de sa mère, quitte, d'ailleurs, à se tuer après
sur les deux victimes de sa furieuse passion? Andromaque calcule
1. On notera la contradiction avec lo vers que nous avons cité : « Veut venger
Troi« encore et son premier époux ».

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LE PROBLÈME d'« ANDROMAQUE ». SI RACINE l'a VOULUE COQUETTE. 415

qu'elle concilie quatre obligations. C'est surtout la part de son fils,


celle de son époux et la sienne qui sont belles. La quatrième n'est
qu'une ombre. Elle est pour Pyrrhus.
Mais c'est cette maladresse même dans la ruse qui nous donne
peut-être la clef du personnage. Remarquons que l'essentiel pour
nous, - rappelons-nous ce qu'assure Bourget dans sa Physiologie de
V Amour moderne, que c'est la souillure matérielle qui excite surtout
la jalousie, - et ne sommes-nous pas tous un peu jaloux de cette
belle et noble Andromaque ? L'essentiel, disons-nous, serait que la
chaste veuve restât, après avoir été contrainte d'épouser Pyrrhus,
intacte à l'œuvre de chair. Racine a voulu davantage. Il ne faut pas
que son Andromaque ait eu un seul moment l'idée que le mariage
pût être consommé. Au prix même d'une folie, elle devait chercher à
éviter le don matériel de sa personne. Car c'est elle qui est maladroite,
et pas Racine, qui est, au contraire, ici, d'une suprême habileté.
Autant vaudrait lui reprocher d'avoir fait Oreste un mauvais ambas-
sadeur en parlant un peu haut, et surtout un peu vite à Pyrrhus :
Prenant, demandarli tout pour ne rien obtenir ».

Aussi nous est-il interdit de voir, comme je crois que l'a bien vu
M. Mornet, dans les attitudes d'Andromaque, autre chose que des
surprises passagères et fort nuancées de l'instinct féminin de plaire,
mais rien de combiné et de voulu. Cela n'empêchera, d'ailleurs, jamais
une comédienne de rouler les yeux et d'attendrir sa voix en parlant à
Pyrrhus, - pas plus qu'un chanteur ne consentira à garder dans le
masque une de ses bonnes notes, sous prétexte qu'elle n'est pas mar-
quée, - le compositeur ne sachant pas qu'il serait là ! « Les artistes »,
nous l'avons dit, se reconnaissent des droits qu'il est inutile de pro-
clamer comme ceux de l'homme, car ils ont le caractère imprescrip-
tible et souverain de la loi non écrite. Les auteurs en font tous les
jours l'expérience, mais, pour cause, regimbent encore moins que le
public.
Henri Jacoubet.

4. On sait que c'est ce que lui reprochait l'inepte Gréquy. On connaît la riposte
piquante de Racine.

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