Explorer les Livres électroniques
Catégories
Explorer les Livres audio
Catégories
Explorer les Magazines
Catégories
Explorer les Documents
Catégories
The Paradine case Le procès Paradine, Alfred Hitchcock, usa, 1948, 114 mn
Hitchcock mineur, ce qui veut seulement dire qu’il n’est pas génial. La faute
en revient au producteur Selznick qui, à son habitude – voir Leslie Howard dans
Gone with the wind (p. 476) – impose des distributions aberrantes : dans l’op-
position entre Gregory Peck et Louis Jourdan, le premier aurait dû être plus
aristocratique, sans accent américain (genre Ray Milland), l’autre plus peuple
(genre Joseph Cotten). Charles Laughton est, quant à lui, parfait dans son rôle
de juge pendeur, une espèce de vieux cochon affriolé par l’épouse de Gregory
Peck (Ann Todd, très bien elle aussi).
Notorious (p. 982) est le seul Hitchcock/Selznick à être génial. Mais c’est
l’exception qui confirme la règle : Selznick avait dû vendre, clefs en main, le
projet à la rko, ce qui l’a empêché de remplacer Cary Grant par Joseph Cotten.
La scène d’incarcération annonce celle de The wrong man (p. 1282) : c’est
une protestation contre le fait de disposer de la liberté d’autrui, même celle d’une
criminelle (Alida Valli). C’est dans ce type de détail que s’exprime le catholicisme
de Hitchcock – mieux que dans I confess (p. 1229) plombé par le flash-back
central.
Avec les mêmes partis pris que Les parapluies de Cherbourg (p. 129), le ton
doux-amer ayant laissé place au tragique. Michel Legrand n’est pas au rendez-
vous, mais la musique de Michel Colombier sait être touchante, notamment dans
les scènes de groupe – piquets de grève, etc. On reconnaît le passage de la
Pommeraye, cher à Demy ; Michel Piccoli y vend des téléviseurs, affublé d’un de
ces horribles “colliers”, la barbe du pauvre qui sévissait dans ma jeunesse chez les
instituteurs. Il retrouve dans ce film, après Les demoiselles de Rochefort (p. 633),
Danielle Darrieux, extraordinaire baronne alcoolique ; ce personnage relie le couple
d’amants formé par Dominique Sanda, sa fille, et Richard Berry, son locataire.
Sorti en même temps que le blockbuster L’as des as, le film a pâti d’une mal-
adroite polémique. En opposant le gros public des belmonderies à celui, raffiné,
qui va voir des films un peu chiants, c’est le baiser de la mort qu’on lui donnait.
1
Remorques Jean Grémillon, France, 1940, 85 mn
Cinéaste des femmes, ici autour de Marisa Paredes. Le film est un vrai plaisir,
mais laisse un peu sur sa faim. Dans le genre film de femmes, Volver (p. 1624)
sera nettement plus réussi.
2
Capitaine Conan Bertrand Tavernier, France, 1996, 132 mn
“Ils ont tous trahi leur jeunesse”. À la recherche de ses anciens soupirants, une
jeune veuve (Marie Bell) ne trouve que désillusions. Superbe distribution pour ce
film à sketches dont le plus impressionnant utilise des cadrages obliques : près
du pont transbordeur de Marseille, un médecin borgne aux sens propre et figuré
(Pierre Blanchar), finit par tuer sa compagne, une virago jouée par Sylvie.
Le jeune Robert Lynen devait être arrêté par la Gestapo et assassiné quelque
part en Allemagne. Musique de Maurice Jaubert, La valse grise.
3
A matter of life and death Une question de vie et de mort, Michael Powell,
Grande-Bretagne, 1946, 104 mn
Bette Davis opposée à Herbert Marshall comme dans La vipère (p. 175).
L’acteur avait perdu une jambe pendant la Grande Guerre, mais on ne s’en
aperçoit guère. Il semble n’avoir jamais joué d’unijambiste – de peur, sans doute,
de perdre son image d’homme “normal” auprès du public – pas même dans un
film de pirates comme Anne of the Indies (p. 1622).
Gale Sondergaard, remarquable, campe une Asiatique cupide, calculatrice et
cruelle à souhait. Sa carrière devait tourner court quelques années plus tard :
mariée à Herbert Biberman, l’un des Dix de Hollywood, elle fut blacklistée.
4
The woman in the window La femme au portrait, Fritz Lang, usa, 1944,
99 mn
Wanley (Edward G. Robinson) est monté prendre un verre chez Alice (Joan
Bennett) qu’il vient de rencontrer. Tout se gâte lorsque l’amant jaloux de la
belle fait irruption ; Wanley est amené à le tuer en légitime défense, puis à se
débarrasser du cadavre. Il est très embarrassé quand ses amis, un juge et un
médecin, le font participer à l’enquête sur la mort du personnage, qui était une
huile. De plus un individu douteux (Dan Duryea), qui a tout vu, fait chanter le
couple. Tout s’arrange in extremis ; mais trop tard pour Wanley qui s’est suicidé.
Et se réveille d’un mauvais rêve, car il s’agit en fait d’un cauchemar ciné-
matographique. Du rêve, le film garde tous les éléments angoissants ; il est, par
contre, totalement cohérent, alors que les personnages, les décors d’un vrai rêve
changeraient ou se déroberaient. Le spectateur apprend ainsi à la fin que cette
histoire n’a pas eu lieu. Allez donc savoir pourquoi “ce n’était qu’un rêve” est
plus rassurant que “ce n’était qu’un film” !
Dans le rôle du médecin, l’Écossais Edmund Breon, le Juve de Fantômas
(p. 1031). Robinson, Bennett et Duryea se retrouveront dans Scarlet street
(p. 1049).
Sherlock Holmes and the secret weapon Roy William Neill, usa, 1942,
69 mn
Sherlock Holmes contemporain (cf. pp. 9, 11, 490, 1091 et 1617) : il participe
ici à l’effort de guerre. Avec Basil Rathbone et Nigel Bruce, tous deux parfaits
dans leurs rôles respectifs. On y trouve aussi des seconds rôles récurrents, Dennis
Hoey en Lestrade et Harry Cording, aux faux airs de Lénine, en méchant.
Moriarty, l’ennemi mortel de Sherlock Holmes, n’apparaît pratiquement pas
chez Conan Doyle. Mais le cinéma a largement compensé cette lacune ; ici c’est
Lionel Atwill qui joue ce personnage diabolique.
L’histoire est vaguement inspirée d’une histoire originale de Conan Doyle,
The dancing men, exemple de cryptographie à trois sous. En règle générale, le
raisonnement est le point faible de Sherlock Holmes. Sa logique tant vantée n’est
qu’une inversion des causes et des conséquences : si c’est plus cher, c’est mieux,
si Untel a eu une récompense, c’est qu’il est bon ; et quand il y a crime, cherchez
les sales gueules. On a voulu, sous le nom d’“abduction”, faire passer ce type de
raisonnement, aussi foireux qu’inévitable, pour de la logique. Le rôle de la logique
est, au contraire, de débusquer ce genre d’ânerie, mère de tous les racismes.
Rien n’empêche cependant de trouver plaisir aux élucubrations de Sherlock
Holmes malgré – ou à cause de – leur irrationalité. Faut-il d’ailleurs croire aux
vampires pour aimer Dracula ?
5
Noi vivi Nous les vivants, Gofreddo Alessandrini, Italie, 1942, 174 mn
D’après Ayn Rand, philosophesse américaine icône des libertariens : son “ob-
jectivisme” est une espèce de réalisme léniniste où le prolétariat a été remplacé
par les premiers de cordée. Le film The fountainhead (1948) exprime bien cette
conception.
Il s’agit ici de ses souvenirs de l’urss avant qu’elle ne devienne figurante
pour The king of kings (p. 76) et ne s’installe aux usa. Pour cause de guerre,
son roman fut adapté sans les droits – même problème pour Ossessione (p. 22),
adaptation non autorisée de James Cain. Et le film interdit en conséquence après
guerre jusqu’à ce qu’Ayn Rand en prenne le contrôle. On peut le voir en dvd
dans une version expurgée qui ne retient que 80% du métrage original. Les cou-
pures peuvent être (stoïquement) visionnées sur un disque auxiliaire : une très
longue, de 18 mn concerne un cousin délateur qui envoie sa sœur à une mort
probable en Sibérie. Cette coupure est une discutable simplification de l’intrigue,
car elle sacrifie la famille de Kira. D’autres coupures, qui concernent des ajouts du
scénariste, me semblent aller à l’encontre du minimum de licence qu’on concède
habituellement à une adaptation : les guépéistes tuent une nonne, sans doute
pour marquer qu’ils sont ces sans-Dieu combattus par Mussolini, mais pourquoi
pas ? La seule de ces coupures à être vraiment justifiée montre le vieux bolché-
vik Timochenko qui, avant de se suicider, dit ses quatre vérités au spéculateur
Morozov : “Tu es un de ces sales Juifs qui ont confisqué la révolution pour faire
leurs petites affaires”. Cela donne au film une dimension antisémite qui en altère
le sens.
De façon étrange, le seul personnage masculin positif est Andreï, joué par
Fosco Giachetti, acteur du fascisme qu’on ne verra plus dans des films importants
– sauf Les maudits (p. 1379). Ce “bon guépéiste” est d’ailleurs un trostkyste, à
en croire la tranche de son livre de chevet. Le beau Leo (Rossano Brazzi) dont
Kira (Alida Valli) est amoureuse est, par contre, mouillé jusqu’au cou dans les
trafics. On remarquera que ces spéculateurs renvoient aux méchants “nepmen”
des films soviétiques (Boris Barnet, etc.) des années 1920 ; ici, ils sont en cheville
avec des communistes influents qui finiront par avoir la peau du vertueux Andreï.
On sent, malgré tout, une certaine ambivalence quant au communisme, que
ce soit de la part d’Ayn Rand ou de son adaptateur fasciste. La première édition
du roman avait d’ailleurs laissé échapper cet aveu : j’admire vos méthodes (celles
du Guépéou) mais je méprise vos idéaux – “I loathe your ideals. I admire your
methods”. Ce que pourraient d’ailleurs dire les fascistes qui n’ont pas hésité à
singer le communisme. Comme toujours, le Fond et la Forme ont bon dos : pour
paraphraser Larquey dans la salle de classe du Corbeau (p. 1578), où est le fond,
où est la forme ?
6
Naniwa erejı̄ L’élégie de Naniwa, Kenji Mizoguchi, Japon, 1936, 69 mn
Evil under the sun Meurtre au soleil, Guy Hamilton, Grande-Bretagne, 1982,
117 mn
7
The man who knew too much L’homme qui en savait trop, Alfred Hitch-
cock, usa, 1956, 120 mn
Remake du film de 1934 (p. 437 où Pierre Fresnay jouait le rôle tenu ici par
Daniel Gélin.
Doris Day lance une scie qu’on ne cessera d’entendre dans toutes les langues :
Que sera sera. C’est le troisième des quatre films de James Stewart pour Hitch-
cock ; Cary Grant en a, lui aussi, tourné quatre. Leo G. Carroll six, mais ce ne
sont que des seconds rôles.
On voit, au début, Marrakech dans un Maroc sous protectorat pour encore
quelques mois. Le pauvre James Stewart ne sait où mettre ses jambes au restau-
rant, encore moins se servir avec ses doigts. On mentionnera aussi la fausse piste
du début, celle du taxidermiste : elle ne joue aucun rôle dans l’intrigue, mais quel
décor inquiétant !
Reggie Nalder est plus un visage terrifiant qu’un acteur. On regrette qu’Hilary
Brooke n’ait qu’un rôle de figuration. Brenda de Banzie, qui venait de se faire
remarquer dans Hobson’s choice (p. 1561), le dernier David Lean en noir et
blanc, est une criminelle ambiguë. Le film la laisse en plan ; elle sera sans doute
victime d’une purge. On pense à la fin de Notorious (p. 982) et du sort qui attend
l’infortuné Claude Rains.
C’est une parodie de James Bond ; mais la parodie est un format assez casse-
gueule.
L’acteur Mike Myers joue deux rôles, un pastiche d’Ernst Stavro Blofeld,
chef du redoutable spectre, d’une part, un super-agent psychédélique qui ne
ressemble en rien à James Bond de l’autre : surgelé en 1967 il a été dégelé au
bout de 30 ans. Tout est fort drôle, parfois à la limite de la vulgarité, mais du
bon côté. Par exemple, l’assistante du Dr. Evil s’appelle Alotta Fagina, ce qui
renvoie à Pussy Galore de Goldfinger (p. 476).
Aguirre, der Zorn Gottes Aguirre ou la colère de Dieu, Werner Herzog, rfa,
1972, 94 mn
La rencontre d’un cinéaste fou avec un acteur qui l’est encore plus. C’est le
meilleur film de Klaus Kinski, parce qu’Aguirre lui ressemble. Par moment, on se
croirait dans Richard iii.
Musique planante de Popol Vuh.
8
Aparajito L’invaincu, Satyajit Ray, Inde, 1956, 110 mn
Un autre Sherlock Holmes “contemporain” (cf. pp. 5, 11, 490, 1091 et 1617)
avec le duo Rathbone/Bruce. Intrigue à tiroirs dans un train avec sa cohorte
de faux suspects. Les habituels Dennis Hoey (Lestrade) et Harry Cording (en
fabriquant de cercueils). Et aussi l’inquiétant Skelton Knaggs dans un rôle de
tueur. Comme Moriarty est mort à pluisieurs reprises dans les épisodes précédents,
il a sans doute épuisé ses sept vies ; c’est ici un Colonel Sebastian Moran qui lui
sert de substitut. Curieux, ces génies du crime surgis de nulle part et qui ne
durent qu’un épisode. Moran est joué par Alan Mowbray qui incarne, la même
année dans My darling Clementine (p. 1571), un acteur de passage à Tombstone.
L’homme qui aimait les femmes François Truffaut, France, 1977, 114 mn
9
Die Puppe La poupée, Ernst Lubitsch, Allemagne, 1919, 65 mn
Film muet tourné à Berlin. Lubitsch y apparaît au début comme une espèce
de montreur de marionnettes ; il se donnera un vrai rôle dans Sumurun (p. 1362).
L’histoire, une jeune femme – Ossi Oswalda – qui se fait passer pour la poupée
faite à son image, est tellement invraisemblable que seul un traitement ouverte-
ment fantaisiste peut faire avaler la pilule. C’est ainsi que les chevaux sont des
hommes recouverts d’une couverture ; doués de parole, ils sont capables de dire
qu’ils sont fatigués.
Hannah and her sisters Hannah et ses sœurs, Woody Allen, usa, 1986,
107 mn
Un des meilleurs Woody Allen, surpassé cependant par Crimes and misdemea-
nors (p. 964) dont il n’a pas la noirceur absolue. Tout se termine relativement
bien, en particulier pour le couple Dianne Wiest/Woody Allen. Le peintre joué
par Max von Sydow est, par contre, tragique : incapable du moindre compromis,
il sera abandonné par sa femme (Barbara Hershey), son unique contact avec le
monde, dit-il. La mère des trois sœurs est jouée par la véritable mère de Mia
Farrow, Maureen O’Sullivan qui fut la Jane des six premiers Tarzan (p. 180).
10
Malombra Mario Soldati, Italie, 1942, 130 mn
11
Nostalghia Andreï Tarkovski, Italie, 1983, 121 mn
Les images rappellent souvent Stalker (p. 56) : une église dans l’eau, la
pluie qui tombe du plafond, la piscine sulfureuse que le héros (Oleg Yankovsky)
traverse, une bougie allumée à la main, avant de s’effondrer mort. Cette déam-
bulation un peu absurde résume le spiritualisme abscons du film ; elle répond au
suicide par le feu du “fou” (Erland Josephson) au Capitole.
On retrouve aussi Le miroir (p. 549) dans des passages en sépia censés évo-
quer la lointaine Russie. Le dernier plan du film qui découvre une datcha enserrée
entre les murs d’une cathédrale en ruines renvoie à la fin de Solaris (p. 1015).
S’il est légitime d’exprimer un doute quant aux mathématiques, encore ne
faut-il pas se tromper. Quand Tarkovski écrit 1 + 1 = 1, il suggère que 1 + 1 = 2
pourrait résulter d’un raisonnement douteux. Erreur, cette équation ne relève pas
des mathématiques, mais du simple calcul ; elle est de ce fait indiscutable.
Le titre est en russe (l’italien demanderait nostalgia).
Un routier (Stacey Keach, le “loser” de Fat city, p. 630) transporte une cargai-
son de porcs de Melbourne à Perth, à travers l’interminable plaine de Nullarbor,
littéralement “sans arbre”. Il soupçonne le conducteur de la camionnette verte qui
voyage sur la même route d’être le fameux tueur en série qui dispose des restes
de ses victimes, bras, pieds, etc. aux quatre coins de l’Australie ; une glacière
entrevue sur le siège du passager pourrait d’ailleurs contenir une tête.
Référence à Rear window (p. 1008), mais sans le voyeurisme ; l’auto-stoppeuse
prise en chemin (Jamie Lee Curtis) est d’ailleurs surnommée Hitch – comme
hitch-hiker, mais aussi Hitchcock. Mais le film renvoie aussi à la poursuite de
Duel (p. 518). Comme chez Hitch’ tout se termine bien in extremis : le hé-
ros a pu livrer sa cargaison de carcasses de porc dont il a craint un moment
qu’elle ne renferme celle de la charmante Hitch. Pas de problème, la viande sera
consommée, mais de la viande de quoi, au juste ?
Il y est beaucoup question du chien aborigène australien, le dingo qui, nous
dit-on, n’aboie pas. Qu’attend-on pour l’acclimater à nos latitudes ?
12
Spione Les espions, Fritz Lang, Allemagne, 1927, 144 mn
13
Baby doll Elia Kazan, usa, 1956, 115 mn
Tennessee Williams adapté à nouveau par Kazan qui ne fait rien pour atténuer
la lourdeur du propos. Le film a été vilipendé par le Cardinal Spellman, ami
personnel de Pie xii et moraliste à la “Faites ce que je dis, pas ce que je fais”.
Le code Hays, alors à l’agonie, avait été conçu pour prévenir ce type d’attaque.
Eli Wallach, qu’on retrouvera en bandit mexicain dans Le bon, la brute et
le truand (p. 514), inaugure une carrière de mafioso qui le mènera à l’opéra
de Palerme : il meurt d’une indigestion de cannoli empoisonnés dans le dernier
Parrain (p. 462). Ici, il répète qu’il n’est pas un “wop” (un rital), mais un Sicilien,
le représentant d’une ancienne culture. La scène où il joue à cache-cache avec
Baby Doll relève presque du dessin animé.
Karl Malden est le petit blanc ruiné et raciste. Carroll Baker trouve le rôle
de sa vie dans son lit-cage ; mais on peut préférer Something wild (p. 1461).
Mildred Dunnock, l’épicière de The trouble with Harry (p. 1092), joue la tante
de Baby Doll.
Le coffret Wild Side, maintenant épuisé, proposait trois films de Kazan, celui-
ci, Un homme dans la foule (p. 142) et America, America (p. 984) au format
4/3 (1.37 :1) ; ce qui ne correspond au format original que pour Baby Doll.
Bhowani Junction La croisée des destins, George Cukor, usa, 1956, 105 mn
C’est avant tout un beau film romantique avec Ava Gardner et Stewart Gran-
ger. La toile de fond est la période troublée qui précède immédiatement l’indé-
pendance indienne. Le point de vue adopté est plutôt réactionnaire – les bons
Anglais s’en vont et il faut les remplacer par les moins mauvais Indiens possibles.
Les horribles communistes sont prêts à tout pour que cette transition échoue.
Ava Gardner joue une métisse qui cherche sa place entre l’Inde et l’Angleterre.
L’autre métis de l’histoire, qui se veut plus blanc que les anglais, trouve la mort
à la fin du film. La scène où Stewart Granger fait jeter des eaux de vidange sur
des manifestants indiens a été tournée au Pakistan (à Lahore) et non pas en
Inde. Elle fait pendant à celle où Gary Cooper, un des Trois lanciers du Bengale
(p. 20), faisait parler un musulman en menaçant de coudre son cadavre dans une
peau de porc.
L’acquittement d’Ava Gardner qui a tué, sans témoins, un officier anglais
qui tentait de la violer, est totalement invraisemblable. Dans Three came home
(p. 1331), Claudette Colbert, qui avait osé dénoncer une tentative de viol,
n’échappe à la mort que par miracle : “J’avais oublié que l’homme qui tient
le fusil a toujours raison”, dit-elle.
14
La sentinelle Arnaud Desplechin, France, 1992, 140 mn
Film de femmes emmené par Carmen Maura, ici actrice de publicités télévi-
suelles, comme celle de la lessive Ecce Omo ( !) : mère de l’assassin de Cuatro
Caminos (station de métro madrilène), elle lave ses chemises maculées de sang
et de viscères ( !). . . la police doit reconnaître la blancheur immaculée du linge.
Dans la tradition des screwball comedies de Howard Hawks avec Cary Grant :
tout va tellement vite qu’on n’a pas le temps de réfléchir. Avec Chus Lampreave,
Julieta Serano, Rossy de Palma, Antonio Banderas autour d’un réjouissant gas-
pacho bourré de sédatifs.
El deseo (le désir) est la société de production des frères Almodóvar.
15
Deception Jalousie, Irving Rapper, usa, 1946, 107 mn
Hollenius (Claude Rains), dont le nom évoque Sibelius, très en vogue aux
usa, est un compositeur absolument odieux. Et qui fait tout pour démoraliser un
violoncelliste (Paul Henried) dont il aime l’épouse (Bette Davis). C’est ainsi qu’il
lui confie la création de son nouveau concerto tout en sabotant systématiquement
les répétitions. Tout cela finira très mal.
Bette Davis, Paul Henried, Claude Rains : c’est le second film du trio après
Now, voyager (p. 1361) du même Irving Rapper, film resté célèbre à cause du
dialogue final : “Pourquoi demander la lune ? Nous avons les étoiles.” Dans
un autre film avec Bette Davis, Mr. Skeffington (p. 763), Rains était carré-
ment une victime, un Juif épousé par Davis par intérêt. Henried est plutôt
abonné aux rôles positifs (Casablanca, p. 1256) ; mais il faut parfois, comme
dans Train de nuit pour Munich (p. 1120), se méfier de son aspect avenant.
On voit, derrière la baie vitrée du salon, le pont newyorkais de Queensboro.
Inspiré d’un personnage de Jean Bruce, à la mode dans les années 1960
(Double bang à Bangkok, etc.). Le film, qui se présente superficiellement comme
une parodie de film d’espionnage, est avant tout une satire de la mentalité des
années 1950, particulièrement de l’esprit colonialiste. Ainsi le héros n’hésite-t-il
pas à faire taire le muezzin qui troublait son sommeil.
On y trouve des tas de clins d’œil. Par exemple, le jokari, jeu qu’on offrait
aux enfants en raison de son prix modique. Ou ce passage où l’on voit Bérénice
Bejo et Jean Dujardin dans une voiture avec le paysage en transparences. La
chanson Bambino créée en 1956, soit un peu après la date supposée de l’action
est légèrement anachronique, le twist l’est franchement.
Dans un second rôle, Said Amadis, de son vrai nom Boussouar, français
d’origine kabyle qui fut mon camarade de promotion à l’eni de Lyon (1962-66)
et que je n’ai revu qu’au cinéma.
L’adaptation est à peu près fidèle au roman, mais le film déçoit. La version,
tant décriée, de 1948 (p. 510), commençait après Waterloo ; la distribution était
cependant excellente avec María Casares, Louis Salou et, bien sûr, Gérard Philipe
en Fabrice. Ce téléfilm en six épisodes ne zappe pas Waterloo. Marthe Keller en
Sanseverina, Georges Wilson en Ernest iv et, surtout, Gian Maria Volontè en
Mosca sont très bien, mais Fabrice est aux abonnés absents.
16
Buchanan rides alone L’aventurier du Texas, Bud Boetticher, usa, 1958,
79 mn
Our hospitality Les lois de l’hospitalité, Buster Keaton & John G. Blystone,
usa, 1923, 73 mn
Le film est basé sur la locativité : doit-on juger les gens en fonction de leur
origine géographique, sociale, etc. ? Ou encore, doit-on payer pour les fautes de
ses ancêtres ? On pourrait même se poser la question de l’héritage tout court.
Le ressort de l’intrigue est la vendetta, principe locatif s’il en est. Cette
vendetta s’oppose à un principe “spirituel” (je veux dire non locatif), l’hospitalité
sudiste. Une seconde locativité apparaît : selon qu’on est dans la maison ou
dehors, c’est soit l’hospitalité, soit la vendetta : politesse à l’intérieur, coup de
pistolet dès qu’on passe la porte.
Un élément locatif mineur du film est représenté par ce couple qui s’entretue.
Quand Buster tente, au nom des principes “spirituels”, de venir en aide à la pauvre
femme, celle-ci prend violemment le parti – locatif, donc – de son mari.
Entre tienablas Dans les ténèbres, Pedro Almodóvar, Espagne, 1983, 100 mn
17
Roberte Pierre Zucca, France, 1979, 98 mn
Le film fut – pour moi au moins – un choc : d’abord le style rétro qui s’exprime
en tout premier lieu à travers les coiffures féminines. On peut d’ailleurs dater à
ce détail la plupart des films antérieurs ; ainsi Un million d’années avant Jésus
Christ avec Raquel Welch, de 1966.
L’autre choc est lié à ce regard décapant sur la Résistance et la collaboration
– qui rompait avec la Vulgate, qu’elle soit gaulliste ou communiste. Certains ont
accusé, à tort, le film de faire l’éloge des collabos ; à leur décharge, l’attitude
“compréhensive” de Pompidou à l’égard du criminel de guerre Touvier. De nos
jours, on crierait au pamphlet anti-Macron : Lacombe Lucien, qui sort à tout
bout de champ sa carte de la Gestapo ou son flingue, rappelle curieusement un
certain Benalla Alexandre.
Lucien (Pierre Blaise) éprouve une sorte de haine de classe, notamment quand
il détruit la maquette d’un fils de privilégié ; personnage similaire, Joseph, le
boiteux d’Au revoir les enfants (p. 606). Ni bon ni méchant, il n’a simplement
aucun sens moral. Il tire sur les maquisards comme il tire sur les lapins ; s’il
tue l’Allemand à la fin du film, ce n’est pas pour protéger France Horn (Aurore
Clément), mais pour un petit butin, la montre de gousset du père Horn (Holger
Löwenhadler). La grand-mère Horn (Therese Giehse) est un personnage quasi-
muet qui finit par éprouver une sorte de sympathie pour Lucien.
Les gestapistes sont avant tout veules. Sauf Faure, joué par René Bouloc,
une saleté genre Brasillach : il faut voir sa gueule de rat quand il dit précisément
“Un Juif, c’est comme un rat.” Le chef Tonin (Jean Rougerie) est visiblement
inspiré du gestapiste Bonny, inspecteur ripou limogé par le Font Populaire mais
aussi d’Abel Danos (p. 1067), truand chargé des basses œuvres nazies à Tulle.
Le gestapiste noir est sans doute une blague du scénariste Patrick Modiano : il
est aussi vraisemblable que le proviseur nain de Zéro de conduite (p. 410).
Le jeune Pierre Blaise devait se tuer peu après sur la route, tout comme le
jeune Alessandro Momo de Profumo di donna (p. 1016). Le film est tourné à
Figeac et sur les causses avoisinants.
18
Vincent, François, Paul et les autres Claude Sautet, France, 1974, 114 mn
Les acteurs principaux sont un peu Les bourgeois de Jacques Brel ; ils pour-
raient illustrer la phrase d’Un carnet de bal (p. 3) “Ils ont tous trahi leur jeunesse”.
Sautet, comme à son habitude, est capable d’individualiser de nombreux person-
nages. Cependant, on a du mal à se rendre compte qu’on vit sous Pompidou –
sauf le petit passage sur le divorce qui ne peut encore se faire que sur faute. C’est
le point faible du film, qui appartient à la veine nombriliste de l’auteur.
Le film suivant, Mado (p. 416), autre scénario de Claude Néron, nous mon-
trera une société gangrénée par les magouilles ; il comporte une longue scène où
la récurrente bande de copains de Sautet s’enlise au bord de la Seine. C’est ce
type de symbole qui fait défaut ici.
Excellente musique de Philippe Sarde.
19
The aviator Martin Scorsese, usa, 2004, 170 mn
The lives of a bengal lancer Les trois lanciers du Bengale, Henry Hathaway,
usa, 1935, 109 mn
20
Greed Les rapaces, Erich von Stroheim, usa, 1924, 240 mn
Edward G. Robinson, magistral, joue pour la troisième fois pour LeRoy. Bien
qu’il ne soit pas gangster comme dans Little Caesar (p. 1598), il finit sur la chaise
électrique, victime de la perfidie féminine. Le temps que le cerveau s’arrête, deux
secondes pour revivre sa vie.
Preston Foster, le flic manipulateur de Kansas City confidential (p. 1592),
joue le copain. Guy Kibbee et J. Carroll Naish ont de petits rôles.
21
Il brigante di Tacca del Lupo La tanière des brigants, Pietro Germi, Italie,
1952, 93 mn
22
A farewell to arms L’adieu aux armes, Frank Borzage, usa, 1932, 89 mn
L’édition Blu Ray de bfi rend justice à la beauté de la photo. Le film rappelle
d’ailleurs les grandes réussites muettes de Borzage, par exemple les films avec
Charles Farrell et Janet Gaynor. Gary Cooper est très émouvant.
La désertion du héros se passe au moment de la piquette de Caporetto
(octobre 1917). Du fait de la révolution russe, les Allemands rapatriaient leurs
troupes vers la France en vue de l’offensive du printemps 1918 ; sur le chemin ils
enfoncèrent les lignes italiennes, démontrant ainsi l’impéritie des Autrichiens. La
mort de l’héroïne (Helen Hayes) le jour de l’armistice implique une grossesse de
plus d’un an ! Avec Adolphe Menjou.
23
State secret Secret d’État, Sidney Gilliat, Grande-Bretagne, 1950, 100 mn
Le titre original signifie “Les défunts”. L’histoire, bien ficelée, est un jeu de
cache-cache entre un flic infiltré chez les truands et un truand infiltré chez les flics.
Excellente distribution : Jack Nicholson, Matt Damon, Leonardo DiCpario ainsi
que Martin Sheen, le héros d’Apocalypse now (p. 25) dans un rôle secondaire.
Ceci dit, Scorsese a fait mieux, par exemple Goodfellas (p. 1026). Il faut dire
qu’ici la Mafia est irlandaise et non pas italienne, ce qui fait qu’il manque un
je-ne-sais-quoi à cette belle machine.
Il est malgré tout 41e au hit-parade IMDb des meilleurs films de tous les temps.
Quand on sait que le numéro 1 est le blockbuster The Shawshank redemption
(p. 1312) de Frank Darabond, on ne s’émeut pas outre mesure. On est d’ailleurs
surpris de trouver quelques chefs-d’œuvre dans cette liste dominée par les Harry
Potter, Batman et autres Star Wars.
24
I wake up screaming H. Bruce Humberstone, usa, 1941, 82 mn
3.10 to Yuma Trois heures dix pour Yuma, Delmer Daves, usa, 1957, 92 mn
25
Deliverance Délivrance, John Boorman, usa, 1972, 109 mn
Le film est un peu l’antithèse de The emerald forest (p. 228), autre histoire de
barrage. Ici, pas de rousseauisme : les montagnards ont des têtes de dégénérés,
comme le garçon joueur de banjo. Cela ressemble à une version non censurée
de The trail of the lonesome pine (p. 1644) qui pourrait facilement tourner
au Massacre à la tronçonneuse (1974) si le film de Boorman lorgnait vers la
facilité. Les citadins font face à une nature et une population hostiles, toutes
deux maltraitées par la civilisation : une des dernières images du film montre
d’ailleurs un cimetière qu’on déplace à cause du barrage.
Le retour à la nature se muera en retour à la sauvagerie. Un montagnard,
joué par Bill McKinney – le Terrill de Josey Wales (p. 475) –, viole un des
citadins (Ned Beatty) avant de se faire transpercer d’une flèche par un autre
(Burt Reynolds). Un troisième canoéiste (Jon Voight) tuera un montagnard qui
pourrait être le complice du violeur. . . à moins qu’il n’y ait eu méprise. C’est ce
que suggère le film, qui se referme sur la honte d’un crime inavouable.
Difficile de voir Jon Voight sans penser à toutes ces tueries encouragées par
la nra, la Mafia des armes à feu.
Hangmen also die ! Les bourreaux meurent aussi, Fritz Lang, usa, 1943,
134 mn
26
L’homme sans visage Georges Franju, France, 1975, 420 mn
Feuilleton télévisuel dans le style Feuillade, écrit par son petit-fils, Jacques
Champreux qui joue lui-même cet homme sans visage affublé d’une cagoule rouge
peu seyante. Cette version est bien supérieure à Nuits rouges, sa réduction à une
durée de 100 mn soit moins du quart du total.
Production fauchée, dont les acteurs principaux – comme Gert Fröbe, moyen
– sont souvent étrangers et doublés. Et médiocres, sauf Clément Harari – le faux
garçon de café des Espions (p. 394) – dans un rôle qui rappelle celui de Pierre
Brasseur dans Les yeux sans visage (p. 1590).
Comme sortis des Vampires ou Judex (pp. 487, 1645), on retrouve une sorte
de Musidora – la femme en collants sur les toits –, un analogue du policier
comique joué par Marcel Lévesque (Coquantin, Mazamet), un avatar de l’enfant
des rues joué par René Poyen (Bout-de-Zan, Môme Réglisse), mais ils ne valent
pas les originaux. On se rabattra donc sur les seconds rôles, plus satisfaisants
peut-être parce que leurs apparitions sont brèves : Raymond Bussières en faux
acheteur, Marcel Portier qu’on voit chez Sautet, Pierre Collet en grand maître,
Marcel Gassouk et Georges Douking dans des rôles minuscules.
Le film se donne la peine de nous expliquer pourquoi ces Vampires (p. 487) à la
Feuillade sont masqués, même dans leur repère : ce n’est pas pour impressionner
le spectateur, mais pour ne pas risquer de se reconnaître dans la rue et se trahir.
Il y a quelques moments réussis, la marche des spectres à la salle des ventes qui
rappelle la mort de Nicolaieff dans Le joueur d’échecs (pp. 927, 979), ou encore
cette main baguée qui sort du ciment. Par rapport à Feuillade qui bricolait des
épisodes répétitifs à la fortune du pot – on était en guerre –, on a affaire à
un scénario relativement bien structuré, qui entrelace deux mystères, celui de
l’homme sans visage, espèce de Mabuse du pauvre et les Templiers qui seraient
détenteurs d’un secret nucléaire dont le prix est la peste rouge – sorte de cancer
qui atteint le gardien du trésor radioactif ; ça fait un peu Matin des magiciens,
ce qui n’est pas dérangeant dans un film qui ne se prend pas au sérieux. La fin
est bien venue : l’homme sans visage n’est pas tué, il quitte sa fausse mercerie
au bras de sa Musidora, pour sans doute préparer de nouveaux méfaits.
On a dit que le film était anachronique. Est-ce bien sûr ? Avec de bons
acteurs, de vrais décors, cela pourrait tenir la route. Et l’idée technologique
centrale du film – fabriquer des robots humains “aptes à toutes les besognes” –
correspond aux ambitions à peine voilées de l’“intelligence” artificielle. Dans une
nouvelle version du feuilleton, les “spectres” pourraient ainsi se voir implanter
une puce électronique et, devenus trolls sur Internet, contribuer à l’amélioration
de la démocratie.
Le film tranche avec l’esprit de Feuillade, car il a un léger contenu politique.
Tourné sous Pompidou (1973), il dénonce l’exploitation des sans papiers.
27
Jenny Marcel Carné, France, 1936, 92 mn
Le film est une illustration du célèbre Mrs Dalloway de Virginia Woolf dont ont
retrouve les thèmes, par exemple la bisexualité, à travers les trois protagonistes :
l’auteure (Nicole Kidman) écrivant le livre en 1923, Laura une épouse américaine
(Julianne Moore) de 1951 qui pense à se tuer puis se ravise et décide de quitter
son mari après la naissance de l’enfant qu’elle porte, et Clarissa (Meryl Streep)
une newyorkaise de 2001 laquelle prend soin d’un poète atteint du sida (Ed
Harris) qui se défenestre sous ses yeux. Il n’était autre que le fils de Laura que
nous revoyons, vieillie, lors d’une rencontre magique avec Clarissa.
28
Circle of danger L’enquête est close, Jacques Tourneur, Grande-Bretagne,
1951, 83 mn
L’histoire n’est qu’un prétexte pour mettre en scène un freak circus comme
il y en avait à l’époque : nains, culs-de-jatte, homme-tronc, siamoises, etc. Il n’y
a que le “freak” de synthèse – ce qu’il reste de la belle Olga Baclanova – qui soit
un trucage.
Irving Thalberg, le producteur monstrueux qui mutila Greed (p. 21) – et qui
n’hésitait pas à tourner de fausses bandes d’actualité pour discréditer un candidat
démocrate – est à l’origine de ce film unique.
Le nain Harry Earles a joué pour le même Browning dans The unholy three
(p. 1268) un bandit qui se fait passer pour un bébé dont la “mère” est. . . Lon
Chaney. Dans le role d’Hercule, Henry Victor, le futur aide de camp Schultz de
Sig Ruman dans To be or not to be (p. 982). Wallace Ford joue un clown.
29
Muriel, ou le temps d’un retour Alain Resnais, France, 1963, 117 mn
Le meilleur Resnais, sur un scénario de Jean Cayrol, avec lequel il fit aussi Nuit
et brouillard (p. 515). Un abîme sépare ce chef-d’œuvre du Coup de grâce (1966),
mis en scène par le seul Cayrol et ce, malgré une distribution plus impressionnante
que celle de Muriel : Piccoli, Darrieux, Riva.
Le film traite du mensonge sous toutes ses formes : on ment aux autres parce
qu’on se ment à soi-même. Qu’il s’agisse de la torture ou de sentiments amoureux
réchauffés. Le mensonge surgit organiquement de l’opposition entre l’ancien et le
nouveau. Ville (Boulogne sur Mer) à moitié reconstruite, appartement moderne
de Delphine Seyrig où s’entassent des antiquités, gare ancienne où les trains de
Paris ne passent plus. . .
Le film est en même temps ancré dans un temps très concret, où la France
était coupée entre le 110 et le 220 volts. Un temps réglé par un certain type de
banalités que reconnaîtront ceux qui ont vécu cette époque : “– Peut-on mélanger
les styles ? – C’est admis”. C’est le moment du référendum de 1962, nous apprend
un journal, juste après cette guerre d’Algérie qui a vu la mort d’une jeune femme,
baptisée Muriel, sous la torture. Cette torture dont on ne saurait parler est le
mensonge suprême qui entretient une sorte de relation de dépendance avec les
petites lâchetés dont les personnages du film se rendent coupables. Qui voient,
par exemple, le service militaire comme un grande colonie de vacances : “Il a fait
son service, il en est revenu transformé”.
Delphine Seyrig joue une antiquaire qui veut revivre un ancien amour en
refusant de voir qu’il a pris l’eau. Jean-Pierre Kérien, dont c’est le meilleur rôle
au cinéma avec celui d’Un homme marche dans la ville (p. 1069), joue un hâbleur
compulsif, toujours prêt à rendre service, mais fuyant ses responsabilités, plein
d’idées, mais sans le souffle pour les mettre en œuvre. Le rôle le plus touchant
est dévolu à Jean Champion, éternel “troisième couteau” – sauf dans L’invitation
(p. 1075) où il campait un extraordinaire aigri – ; c’est le beau-frère de Kérien
qu’il essaye de ramener au bercail. Le temps s’arrête un instant quand il chante
une chanson de Paul Colline Déjà. Claude Sainval, acteur plus obscur, campe
un profiteur de guerre : c’est le démolisseur attitré de la ville. Il parle avec une
componction qui s’est perdue avec sa génération.
Dans de plus petits rôles, Laurence Badie (de Jeux interdits, p. 37) en amie
intéressée et le neveu de Pierre Fresnay, Philippe Laudenbach, dans son premier
rôle “Muriel, ça ne se raconte pas”. Le loueur de chevaux est joué par Julien
Verdier. Jean Dasté cherche un bouc pour sa chèvre.
Le film, très découpé, bénéficie d’une extraordinaire musique de Hans Werner
Henze.
30
Boudu sauvé des eaux Jean Renoir, France, 1932, 81 mn
Revoici Michel Simon en clochard, juste après La chienne (p. 1560). Il sème
la zizanie chez un aimable bourgeois, par manque de respect, mais aussi d’irres-
pect. C’est en cela que le film dérange car Boudu se fout éperdument de son
environnement : il cire ses chaussures avec le drap de lit, crache dans La physio-
logie du mariage. Puis retourne à son état de clochard heureux en laissant des
regrets chez ces dames. Une chanson vaguement égrillarde “Les fleurs du jardin”,
traverse le film.
Charles Granval, qui campe le libraire voltairien du Quai Voltaire, était l’époux
de Madeleine Renaud. Max Dalban et Jean Gehret jouent les sauveteurs, Jean
Dasté un étudiant : on le trouvera souvent au générique des films de Truffaut et
Resnais. Son seul rôle important est celui du marinier de L’atalante (p. 56).
31
Fiend without a face Les monstres invisibles, Arthur Crabtree, Grande-
Bretagne, 1958, 74 mn
Le danger nucléaire vu par un réalisateur médiocre, qui n’a guère à son actif
qu’un des sketches de Quartet (p. 882) d’après Somerset Maugham. Son Caravan
(1946) avec Stewart Granger débutant, n’est qu’une lassante accumulation de
poncifs en tous genres.
Le film ressemble à du Ed Wood réalisé de façon compétente ; par exemple, les
pierres tombales ne vacillent pas quand on les touche. Et donc, moins amusant.
Heureusement, l’idée de base est tellement saugrenue qu’elle replace le film,
surtout à la fin, à un niveau de kitsch jubilatoire. L’énergie mentale, stimulée par
la radioactivité, induit une espèce de vampirisme : les monstres invisibles sont en
fait des cerveaux meurtriers qui se matérialisent quand le niveau de radiations
devient trop intense.
Marshall Thompson est acteur de second plan dans quelques films “sérieux”,
e.g., They were expendable (p. 1099).
The maltese falcon Le faucon maltais, John Huston, usa, 1941, 100 mn
32
Karumen kokyō ni kaeru Carmen revient au pays, Keisuke Kinoshita, Japon,
1951, 83 mn
Film bien fait avec Humphrey Bogart et Lizabeth Scott, sorte de Lauren
Bacall du pauvre. Mais qui ne convainc pas complètement : on n’y sent pas
la fatalité propre au film noir. Seul moment d’émotion, ce parachute qui s’ouvre
symboliquement lors du “grand saut” de la femme fatale : “Geronimo” dit Bogart.
Petits rôles pour Wallace Ford et James Bell. Le réalisateur apparaîtra très
vieux – 90 ans – en évêque gâteux dans A wedding (p. 989).
Keaton est obligé de se marier à tout prix, ce qui fait qu’on lui propose
des choix ridicules. Par exemple, une fillette, une Juive, une Noire ! Ce racisme
s’exprime aussi par la présence d’un acteur blanc passé au cirage, Jules Cowles
dont c’était la spécialité. C’est l’opposé des modernes quotas qui obligent, au
contraire à faire jouer des Noirs, souvent sans rime ni raison : quel rôle dans une
nouvelle version de Jeanne d’Arc ? Un Anglais, peut-être. . .
La poursuite finale, qui voit une foule de femmes courant après le pauvre
Buster, est un cauchemer misogyne qui n’aurait vraiment de sens que dans un
paradis mormon où Buster pourrait les épouser toutes à la fois.
Dans un second rôle, on reconnaît le minuscule Snitz Edwards (1,52 mètre).
33
Brazil Terry Gilliam, Grande-Bretagne, 1985, 143 mn
Le meilleur Terry Gilliam, après le coup d’essai réussi de Time bandits (p. 87).
Il semble que les producteurs s’ingénient, depuis, à lui confier de gros budgets
tout en lui rognant les ailes : tous ses films postérieurs à Brazil déçoivent.
Le film est un peu l’adaptation réussie du 1984 d’Orwell, bien plus satisfai-
sante que celle de Michael Radford (p. 1602) qui fut le dernier film de Richard
Burton. Sur un mur, une affiche “Ne soupçonnez pas un ami, dénoncez-le” donne
le ton. Le sens pictural de Gilliam se manifeste à travers un décor oppressant,
style années 1930 et une architecture bofillesque, avec des scènes de cauchemar
qui reprennent son imagerie habituelle. Les machines, à la fois contemporaines
et un peu vieillottes, donnent l’impression d’un monde parallèle au nôtre, où les
outils n’auraient pas été développés de la même façon. Cette technologie est
dominée par une tuyauterie omniprésente, à la fois apparente et cachée : gérée
par “Central Services”, métaphore du totalitarisme.
Le thème musical “Brazil” renvoie à un tube de 1939. Il accompagne les rêves
dans lesquels s’évade facilement le héros (Jonathan Pryce). Le faux happy end
est particulièrement réussi. En particulier quand les papiers se mettent à entraver
le plombier pirate joué par De Niro, à le recouvrir. . . le héros enlève les papiers
et il n’y a plus rien ; comme ça se passe souvent dans les rêves.
Le second docteur est joué par le nain Jack Purvis de Time bandits. Et l’“ami”
tortionnaire par le Monty Python Michael Palin.
Un des meilleurs Sautet (avec Mado, p. 416, et les trois derniers). L’histoire
est un peu celle de Kansas City confidential (p. 1592) : le flic Max (Michel Piccoli)
veut se faire mousser en pinçant les coupables d’un hold-up dont il est l’initiateur.
Mais alors que dans le film américain, les coupables étaient de vrais gangsters, il
s’agit ici d’une pitoyable, presque sympathique, bande de petits voyous vivant de
petits trafics. Dans cette bande de “ferrailleurs” menée par Bernard Fresson se
détachent le chanteur Boby Lapointe et Michel Creton (Armaguedon et Tenue de
soirée, pp. 1120, 777). Pour une fois, la bande de copains n’est pas bourgeoise.
Les flics sont joués par Michel Piccoli, Georges Wilson et François Périer.
La machine infernale montée par Max se brise sur une faiblesse inattendue :
le sentiment – lequel, on ne sait pas trop, lui non plus d’ailleurs – qu’il éprouve
pour une prostituée (Romy Schneider), pièce maîtresse de cette manipulation.
Musique de Philippe Sarde, compositeur attitré de Sautet. Scénario de Claude
Néron. On entrevoit l’hôtel Alsina de Jenny (p. 28). Petits rôles pour le débutant
Philippe Léotard, Bernard Musson et le sempiternel Dominique Zardi.
34
Sanma no aji Le goût du sake, Yasujirō Ozu, Japon, 1962, 113 mn
The man from Laramie L’homme de la plaine, Anthony Mann, usa, 1955,
102 mn
35
The bridge on the river Kwai Le pont de la rivière Kwai, David Lean,
Grande-Bretagne, 1957, 161 mn
Le film est dominé par les compositions de Sessue Hayakawa – l’acteur japo-
nais international de l’époque, avant Toshirō Mifune et “Beat” Kitano – et Alec
Guinness. Ils représentent deux aspects du militarisme. Hayakawa veut, avant
tout, gagner la guerre. Le Bushidō, code du guerrier, considère qu’on ne doit
pas tomber aux mains de l’ennemi : d’où une brutalité marquée à l’égard des
prisonniers. Guinness veut, quant à lui, préserver l’Armée : la discipline, les droits
des officiers, le bien-être des soldats. Il est d’une intransigeance absolue à ce
sujet. Mais, dès qu’on lui rend son joujou, il perd toute forme de patriotisme et
se met à servir l’ennemi en perdant toute mesure : il finira par faire travailler les
blessés. William Holden est un opportuniste tire-au-flanc qui n’inspire pas une
grande sympathie.
Adapté de Pierre Boulle, ce blockbuster intelligent s’en prend donc plus à l’es-
sentialisme militaire, symbolisé par cet absurde pont, qu’à la guerre elle-même ;
la dernière réplique du film : “Folie, folie !” trahit un peu son esprit, qui n’est pas
vraiment pacifiste.
Les militaires de Ceylan sont joués par Jack Hawkins et André Morell qui
sera, dans Barry Lyndon (p. 403), la planche pourrie que le héros espère utiliser
pour approcher le roi. La célèbre “marche du colonel Bogey” date de 1914.
Film de science-fiction dont la vedette est Robby le robot. Les acteurs dé-
çoivent, sauf Walter Pidgeon. On peut sauver, à la rigueur, le médecin (Warren
Stevens, le producteur de La comtesse aux pieds nus, p. 40) et Earl Holliman en
cuisinier qui se fait livrer 50 gallons de bourbon par Robby.
L’idée intéressante du film est de faire fonctionner un amplificateur du ça (en
Anglais “id”) de Walter Pidgeon pour produire un monstre invisible et meurtrier
qui réalise les désirs inconscients de cette espèce de savant fou. La progression
géométrique en puissances de 10 des cadrans suggère des niveaux d’énergie sans
rapport avec les limites admises de l’Univers.
Il y a un réjouissant côté Intelligence artificielle, qui s’exprime ici dans toute sa
niaiserie. Les personnages connaissent tous leur qi, le robot analyse la nourriture
et fabrique immédiatement des plats de synthèse, les Krells savaient tout ou
à peu près, etc. “– Robby peut-il se tromper ? – Jamais”. Ce scientisme, aussi
obscurantiste que les histoires de vampires, reste très amusant, au second degré
du moins. Au premier degré, sur France-Culture par exemple, beaucoup moins :
c’est la dystopie avançant ses pions.
36
Jeux interdits René Clément, France, 1952, 86 mn
Night and the city Les forbans de la nuit, Jules Dassin, Grande-Bretagne,
1950, 96 mn
37
Moonfleet Les contrebandiers de Moonfleet, Fritz Lang, usa, 1955, 83 mn
Une histoire d’aventures vue à travers les yeux d’un enfant comme chez
Stevenson (L’île au trésor, Enlevé !). Les quatre personnages principaux sont
mauvais et comme on est à Hollywood, de plus chez la mgm, ils payent tous de
leur vie, ainsi que l’horrible juge pendeur. Lord Ashwood (George Sanders) est un
cynique vicieux, alors que Fox (Stewart Granger) garde une étincelle de bon, la
nostalgie d’une innocence perdue ; son retournement de dernière minute causera
sa perte. Mais l’enfant continuera à croire en lui et à attendre son retour.
Les contrebandiers composent une bande assez effrayante qu’on ne voit pas
assez : Jack Elam, Skelton Knaggs sont sous-utilisés.
La séance d’inspection bidon qui se termine par l’arrivée du véritable gradé
en sous-vêtements rappelle Le lotus bleu d’Hergé.
Film à sketches réalisé par Alberto Cavalcanti, Charles Crichton, Basil Dear-
den et Robert Hamer dont la structure est celle d’un cauchemar cyclique. Le
héros (Mervyn Jones) arrive dans un lieu dont il a souvenir d’avoir rêvé. Il prévoit
ce qu’il va se passer, il va par exemple commettre un meurtre. Il se réveille de ce
cauchemar pour retourner dans le même lieu. On est dans donc dans un rêve où
l’on rêve qu’on rêve qu’on rêve. . .
Miles Malleson est un inquiétant chauffeur de corbillard. Dans le sketch co-
mique du film, les compères Naunton Wayne et Basil Radford qui jouaient déjà en
tandem dans Une femme disparaît (p. 457), en compagnie de Michael Redgrave
qui campe ici le ventriloque fou du sketch le plus mémorable du film.
38
Written on the wind Écrit sur du vent, Douglas Sirk, usa, 1956, 100 mn
Mélodrame Universal de Sirk avec Rock Hudson, ainsi que Robert Stack et
Dorothy Malone ; on les retrouvera dans The tarnished angels (p. 1010). C’est un
feuilleton style Dallas, avec un magnat du pétrole, son fils (Stack) alcoolique et
violent et sa fille (Malone) “tramp” que la police (privée !) repêche dans un motel
en compagnie d’une rencontre de hasard. Face à ces tordus, deux personnages
que l’argent n’a pas pourris, joués par Hudson et Lauren Bacall.
Cette histoire est sauvée par un traitement paroxystique : par exemple quand
Malone danse dans sa chambre, alors que son père – joué par Robert Keith,
le colonel sonné de Men in war (p. 1488) – a une attaque dans l’escalier. Le
film s’ouvre d’ailleurs sur un coup de feu et ce vent qui balaye les feuilles d’un
calendrier 1956, 1955. . . , pour se terminer par l’assagissement de la désormais
héritière de l’empire : beau plan où elle témoigne, auréolée de son chapeau noir.
The postman always rings twice Le facteur sonne toujours deux fois, Tay
Garnett, usa, 1946, 108 mn
D’après James Cain. Cecil Kellaway campe un mari âgé qui mégote sur l’élec-
tricité, mais qui, comme tous les radins, l’utilise sans compter dès qu’il ne la paye
plus. Et qui offre à son épouse (Lana Turner) un avenir radieux, s’occuper d’une
sœur paralytique dans le Grand Nord canadien. L’assassinat devient presque de
la légitime défense ! Hume Cronyn joue un avocat retors qui dame le pion au
procureur (Leon Ames).
John Garfield devait être blacklisté, mais les persécutions dont il fut, en plus,
victime de la part de la police politique maccarthyste précipitèrent sa mort.
Le second film important de Wilder, sorte de descente aux enfers d’un alcoo-
lique (Ray Milland). Cachettes, petits vols, mensonges, humiliations d’un enfant
pris la main dans la boîte à bonbons ; mais un moment de honte est vite passé.
Tout ça mènerait au délirium – et même à la mort sans le happy end final.
Excellent gag des prêteurs sur gages irlandais “solidaires” de leurs collègues
juifs fermés pour Kippour, qui leur rendent la pareille pour la Saint Patrick.
Dans les seconds rôles, Howard Da Silva qui devait être blacklisté quelques
années plus tard. Et aussi Doris Dowling (de Riz amer, p. 52), avec ses tics de
langage “Don’t be ridic”, mais aussi son amour pour le héros. Dans une version
du film sans happy end, on pourrait imaginer le héros buvant avec elle le calice
du Day of wine and roses (p. 1011) jusqu’à la dernière goutte. On entr’aperçoit
Douglas Spencer (The thing, p. 457) à la cellule de dégrisement.
39
Basic instinct Paul Verhoeven, usa, 1992, 128 mn
Film misogyne, basé sur l’idée qu’“elles” sont toutes des meurtrières. Histoire
tordue de manipulations à tiroirs, centrée autour de Catherine Tramell (Sharon
Stone) qui aurait tué ses parents, ses amants, poussé sa maîtresse – elle est aussi
lesbienne – au crime, tout en écrivant des best-sellers à ce sujet. Son amie brune
sur laquelle retombent tous les soupçons à la fin est-elle la véritable meurtrière ?
Réponse au pied du lit avec ce pic à glace – arme déjà utilisée pour tuer Trotsky
– qui attend la fin des ébats amoureux. Ceci dit, il y a contradiction entre l’idée
de pulsion incontrôlable et celle de manipulation savamment organisée.
La chair est triste au cinéma : trop de sexe explicite, Sharon Stone qui décroise
les jambes pour montrer sa toison aux inspecteurs, etc., tue le sexe.
Dorothy Malone trouve ici son dernier rôle : elle joue une sorte de mère
de toutes les meurtrières. George Dzundza, qui jouait un des copains de The
deer hunter (p. 990) est ici le collègue du héros (Michael Douglas), victime d’un
meurtre qui rappelle celui de Psychose (p. 1036). Petit rôle de psy pour James
Rebhorn. L’imprimante archaïque date le film.
40
Les disparus de Saint-Agil Christian-Jaque, France, 1938, 94 mn
Comme tout les films pour enfants, le problème est la liaison entre deux
mondes. Celui des enfants gravite autour du club secret des Chiche-capons. Le
rôle principal est tenu par Serge Grave dont la carrière s’essouflera avec l’âge
adulte : on le voit pour la dernière fois dans Sous le ciel de Paris (p. 467) dans
un rôle sans intérêt. On remarque aussi Marcel Mouloudji. En face, il y a des
bandits, mais gentils ; d’ailleurs ils font de la fausse monnaie, ce qui n’est pas
très grave. Parmi ces malfaiteurs, Robert Le Vigan, qui se déplace comme s’il
était un courant d’air, qu’on voit jouer. . . au loto. Les autres font un peu penser
à Tirez sur le pianiste (p. 1565). Ils séquestrent un Chiche-capon qui leur lit des
romans mexicains : “Est-ce que c’est ma faute à moi si je ne sais pas lire ?”. À
cette réplique, on reconnaît la patte de Prévert.
Et le personnel du pensionnat : Armand Bernard en concierge à la Bourvil.
René Génin est professeur de musique ; ses élèves qui rêvent d’Amérique répètent
Stars and stripes forever. Le directeur (Aimé Clariond) est le seul méchant de
l’histoire ; c’est lui qui tue le professeur alcoolique joué par Michel Simon.
Stroheim, affublé d’une coiffure en brosse, est le trait d’union entre les deux
mondes ; son caractère inquiétant est accentué par son accent étranger. C’est à
lui que Serge Grave confiera la fourchette instrument du court-circuit qui avait
plongé le collège dans une obscurité propice au meurtre. Il rejoint à la fin les
Chiche-capons pour une réunion en présence de Martin Squelette.
Le film adapte, comme Goupi Mains-Rouges (p. 998), un roman de Pierre Véry.
Absence complète de femmes et atmosphère d’avant-guerre : “Ça va éclater”.
Contrairement à ce qu’on a pu écrire, Claude Roy, majeur à l’époque, ne joue
pas dans ce film : le “garçon à la tortue” de ce nom a dans les 8 ans.
41
The body snatcher Le récupérateur de cadavres, Robert Wise, usa, 1945,
78 mn
C’est plus un film du producteur rko Val Lewton, que de Wise, alors débu-
tant. John Gray (Boris Karloff) est un précieux, mais encombrant, auxiliaire qui
fournit à la science des cadavres d’une fraîcheur inégalée : on le voit doubler en
calèche une chanteuse des rues dont la voix s’éteint subitement dans le brouillard.
Henry Daniell, acteur dévolu aux rôles antipathiques, déplaisants, joue le médecin
MacFarlane, principal client de Gray. La fin du film montre MacFarlane, devenu
détrousseur de sépultures, pris dans une tempête avec le cadavre qu’il transporte
et prend pour celui de Gray qu’il a auparavant tué.
Le scénario fait explicitement référence aux sinistres Burke et Hare qui, dans
les année 1828, fournissaient le Dr. Knox en “sujets” en utilisant les méthodes du
film. Burke fut pendu, Hare s’en tira et Knox ne fut même pas inquiété. Situé à
Édimbourg, le film présente Henry Daniell comme un ancien élève de Knox.
Bela Lugosi a un second rôle peu développé.
42
La cérémonie Claude Chabrol, France, 1995, 107 mn
Excellente distribution pour ce film tourné à Saint Malo. D’un côté des bour-
geois bobos (Jean-Pierre Cassel, Jacqueline Bisset, Virginie Ledoyen), qui ont
tout, en particulier la culture : Mozart (Don Giovanni) est leur référence, telle-
ment habituelle qu’on cite les concertos par leur référence Köchel.
Un abîme les sépare de leur nouvelle bonne, jouée par Sandrine Bonnaire ;
cette “perle” est capable de tout, y compris de meurtre, pour éviter que son se-
cret – elle ne sait pas lire – ne se dévoile. Elle fait la rencontre d’une postière
aigrie (Isabelle Huppert) qui, comme Stéphane Audran dans Poulet au vinaigre
(p. 223), ouvre le courrier. Huppert a commis un enfanticide, mais “Ils n’ont rien
pu prouver”. Elle en veut au monde entier, en particulier à ce monde paternaliste
dont elle est exclue ; voir les scènes liées au Secours Catholique. Si la plus ve-
nimeuse des deux est Huppert, la plus violente est, finalement, Bonnaire qui ne
veut laisser aucun témoin de son illettrisme.
Extraordinaire Harvey Keitel en flic drogué, racketteur et j’en passe. Qui tire
au pistolet sur son auto-radio coupable de lui avoir annoncé la défaite de l’équipe
sur laquelle il a parié. Scène étonnante de masturbation dans la rue avec la
complicité – non voulue – de deux jeunes femmes qui n’ont pas vraiment l’air de
vierges effarouchées.
Et puis ce ripou est touché par la grâce, parce qu’une nonne violée ne porte
pas plainte, qu’elle pardonne à ses agresseurs. Le mauvais flic rencontre même le
Christ – assez saint-sulpicien – en croix dans l’église, ce qui n’est pas plus bizarre
que des éléphants roses. Et pardonne aux coupables, qu’il se contente d’exiler.
Mystères du catholicisme. . . Dans un second rôle, Victor Argo.
Fah talai jone Les larmes du Tigre Noir, Wisit Sasanatieng, Thaïlande, 2000,
97 mn
Western thai, donc eastern. Vus d’un peu loin, les acteurs pourraient d’ailleurs
passer pour des mexicains si le décor n’était extrême-oriental, un peu années
1950. Couleurs criardes et fausses, scènes de dégainage, font du film un pastiche
de western spaghetti, donc un pastiche de pastiche. L’harmonica nous renvoie à
Sergio Leone et à Il était une fois dans l’Ouest (p. 1326), mais c’est plutôt au
nostalgique Il était une fois en Amérique (p. 281) que le film fait penser avec
la fin dramatique et, contre toute attente, un peu triste : Tigre Noir est étendu
mort dans les bras de la femme de sa vie.
43
The man who shot Liberty Valance L’homme qui tua Liberty Valance,
John Ford, usa, 1962, 123 mn
Dark passage Les passagers de la nuit, Delmer Daves, usa, 1947, 102 mn
44
Ikiru Vivre, Akira Kurosawa, Japon, 1952, 143 mn
45
The spy who came in from the cold L’espion qui venait du froid, Martin
Ritt, Grande-Bretagne, 1965, 108 mn
Le film est tourné à Londres et les personnages anglais sont joués par des
comédiens nés en Grande-Bretagne : on reconnaît, dans des seconds rôles, Cyril
Cusack et Bernard Lee (le “M” des premiers James Bond). On est pourtant loin
de James Bond, puisque le fim adapte un roman de John Le Carré. Il s’agit d’une
machination épouvantable, basée sur une technique de contre-feu. Erreur de
logique, tout le monde considère, à tort, qu’une preuve de A, si elle est fausse, a
la valeur d’une preuve de non A. Les politiciens véreux, par exemple Clemenceau
au moment du scandale de Panamá, sont capables de susciter des révélations
bidons qui, une fois dégonflées, leur offrent ainsi une réhabilitation publique.
Ici, Richard Burton est chargé de discréditer un chef des services secrets
est-allemands, Mundt (Peter Van Eyck). Mais il ne sait pas que son plan est
miné, car cet ennemi est en réalité une taupe des Britanniques. Une fois la
machination de Burton démontée, Mundt est lavé de tout soupçon. Les services
secrets britanniques n’ont pas hésité à sacrifier un pion insignifiant – une jeune
communiste anglaise qui en sait trop pour survivre (Claire Bloom).
L’activité souterraine de Mundt avait été détectée par Fiedler (Oskar Werner),
son subordonné et ennemi : Fiedler est juif, alors que Mundt est un ancien
nazi, un antisémite qui, comme Klaus Barbie à l’époque, s’est mis au service de
l’Occident. Cet envers peu ragoûtant du “monde libre” c’est un peu celui de The
quiet american : le roman de Graham Greene dénonce les accommodements de
la cia avec le terrorisme, mais pas le film de Mankiewicz (p. 94) dont le scénario
semble avoir été réécrit par la même cia.
The man in the white suit L’homme au complet blanc, Alexander Macken-
drick, Grande-Bretagne, 1951, 82 mn
46
Dead men don’t wear plaid Les cadavres ne portent pas de costard, Carl
Reiner, usa, 1982, 89 mn
Le film a, sur le papier, une distribution improbable : Alan Ladd, Ray Milland,
Humphrey Bogart, Cary Grant, Burt Lancaster, . . . Il exploite les possibilités du
champ/contrechamp pour insérer des passages de films, principalement noirs, 19
au total, tournés entre 1941 et 1950. L’histoire, forcément un peu décousue et
répétitive, s’efface devant un humour constant. Et prend forme à la fin avec un
complot nazi sur l’île de Carlotta, au large du Pérou où se déroulait un des films
cités, The bribe (p. 585) : des nazis y préparent la revanche. Leur arme secrète
n’est pas basée sur l’uranium comme celle de Notorious (p. 982), mais sur un
fromage de destruction massive dont les moisissures auront le temps de dissoudre
la ville de Terre Haute (Indiana).
Film d’aventures situé dans le sud de l’Afrique. Burt Lancaster, venu y cher-
cher des diamants, repartira avec Corinne Calvet, actrice française qui ne fit
guerre carrière à Hollywood. Paul Henried, Claude Rains et Peter Lorre font par-
tie de la distribution, ce qui donne une atmosphère très Casablanca (p. 1256)
au film. Peter Lorre est corrompu, mais du côté des “gentils”, Henried est, à
l’encontre de son image habituelle, une brute sadique. Quant à Claude Rains, il
est fourbe et louvoyant, encore plus que dans le film de Curtiz.
On reconnaît Mike Mazurki et surtout Sam Jaffe, le tsar Pierre iii un peu
crétin de L’impératrice rouge (p. 1619).
47
Trouble in Paradise Haute pègre, Ernst Lubitsch, usa, 1932, 83 mn
Quel paradis au juste ? Celui des deux voleurs, joués par Miriam Hopkins et
Herbert Marshall. Ou celui du monde du luxe que ce dernier partage un moment
avec Kay Francis (de One way passage p. 1113), au physique très années 1930 :
pas de poitrine. Ce film est le meilleur Lubitsch parce qu’il a quelque chose que
ses autres n’ont pas : une discrète nostalgie qui crèe d’autant plus d’émotion
que tout est à peine suggéré. “On aurait pu. . . ” dit Kay Francis au moment où
Herbert Marshall, pressé par la police et par Miriam Hopkins, prend congé.
Second rôle pour Robert Greig, dont on se demande s’il quittait jamais son
habit de majordome, C. Aubrey Smith qui délaisse l’uniforme pour un rôle de
pdg indélicat, et les rivaux, joués par Charles Ruggles et surtout l’inimitable
Edward Everett Horton ; un mot “tonsils” (amygdales) traverse le film.
Rôle microscopique de russe communiste (en fait, trotskyste) tenu par Leonid
Kinskey. Herbert Marshall monte et descend plusieurs fois les escaliers, filmé de
dos, et pour cause puisqu’il était unijambiste. Les deux voleurs peuvent partir les
poches pleines : c’était deux ans avant le code Hays (1934).
48
The bells of St Mary Les cloches de Sainte Marie, Leo McCarey, usa, 1946,
126 mn
Le père O’Malley, prélat catholique au canotier joué par Bing Crosby, reprend
du service après Going my way (p. 216), où il était opposé à Barry Fitzgerald.
Il vient ici superviser un couvent dirigé par Sœur Bénédicte, jouée par Ingrid
Bergman et secondée par l’actrice Ruth Donnelly qui fut la belle-mère de James
Cagney dans Hard to handle (p. 1248).
Dans notre monde, la bonne volonté conduit souvent à un approfondissement
des antagonismes. Ici, elle finit par les aplanir. Bergman apprend aux élèves à
se battre, à jouer au baseball, Crosby ressoude une famille dispersée. Le million-
naire égoïste joué par Henry Travers fera finalement don de son immeuble à la
communauté – c’est peut-être pour ça que l’acteur jouera l’ange Clarence de
It’s a wonderful life (p. 399).
Le film se termine sur un quiproquo dissipé à la dernière minute : merveilleux
sourire de Bergman et petit moment d’émotion. Qui a dit qu’on ne fait pas de
bons films avec de bons sentiments ?
Bing Crosby, plus chanteur que comédien, interprète plusieurs chansons ;
Bergman une seule, en suédois.
Ce film raconte la chute d’un caïd. Bob Hoskins (qu’on retrouvera dans
Qui veut la peau de Roger Rabbit ?, p. 460) campe un important chef de gang
londonien dégoulinant de vulgarité satisfaite. Il faut dire qu’il a tout pour lui,
le yacht avec cuisinier français, un femme sexy, jouée par Helen Mirren à une
époque où elle n’avait pas encore le physique à jouer The queen (p. 1068) et il
voyage en Concorde. Il s’apprête même à sceller une alliance profitable avec un
“syndicat” du crime américain représenté par Eddie Constantine.
Le ciel lui tombe brutalement sur la tête : bombes, subordonnés assassinés
ou simplement crucifiés. Il ne sait plus où donner de la tête, d’autant plus que
son contact américain exige une relation “bourgeoise”. Il se débat dans tous les
sens, frappant ses rivaux anglais qu’il torture ; dans une scène d’anthologie, ils
sont tous accrochés, tête en bas et placés dans un frigo face aux carcasses de
bidoche.
Il finit par apprendre qu’il a croisé, sans le vouloir, le chemin de l’ira, qui
comme son nom l’indique, est une petite armée. Et que peut faire un chef de
gang contre l’Armée ?
Violent, mais roboratif, le film est bercé par une ironique musique irlandaise.
49
Stalag 17 Billy Wilder, usa, 1953, 121 mn
On nous annonce au début qu’il n’y a jamais eu de film sur les prisonniers
de guerre ; c’est, soit oublier La grande illusion (p. 1034), soit se restreindre au
cinéma américain.
William Holden joue un personnage principal antipathique et égoïste, ca-
pable de trouver la bonne combine et justement détesté par ses compagnons de
captivité. Dans lesquels on reconnaît Neville Brand de Kansas city confidential
(p. 1592) et Peter Graves (le père des enfants de La nuit du chasseur, p. 1563)
qui joue l’allemand infiltré. Le rôle le plus mémorable est celui de l’Animal, joué
par l’impayable Robert Strauss, sur lequel repose le contrepoint comique du film.
Chez les geôliers allemands, Otto Preminger joue avec délectation un com-
mandant de camp sadique. Le pompon revient à Johann Sebastian ( !) Schulz,
joué par le génial Sig Ruman, feldwebel vicieux derrière un abord bonhomme.
Le film causa la rupture de Wilder avec la Paramount où il avait fait toute
sa carrière américaine, comme scénariste puis comme metteur en scène. Pour ne
pas froisser les Allemands – alors revenus du bon côté – le studio avait voulu,
dans la version doublée, faire du traître un Polonais. Ce qui, pour Wilder dont
une partie de la famille avait été exterminée, était inadmissible. Le film nous
apprend incidemment, quand un nommé Shapiro reçoit du courrier à son nom,
aussi bizarre que cela paraisse, que les Allemands n’inquiétaient pas les prisonniers
de guerre juifs. D’ailleurs, on peut faire confiance à Wilder sur ce sujet.
Tini zabutykh prediv Les chevaux de feu, Sergueï Paradjanov, urss, 1964,
92 mn
Le film est tourné dans les Carpates ukrainiennes ; les cartons sont en ukrai-
nien, ainsi que le titre dont la traduction littérale est Ombres des ancêtres oubliés.
C’est l’histoire d’Ivan, d’abord amoureux de Marichka, pourtant fille du meurtrier
de son père – “Nous ne serons pas un couple” –, qui se noie. Ivan épouse plus
tard Palagna, femme sensuelle qui ne lui donne pas d’enfant ; il finit par mourir
en retrouvant le fantôme de son amour.
Tout cela est rendu au moyen d’un lyrisme échevelé : mouvements de caméra,
effets de montage, surimpressions, jeux sur les couleurs, sauf pour la période qui
suit la mort de Marichka, filmée en noir et blanc. On se souvient aussi des
silhouettes de chevaux ensanglantés lors de la mort du père d’Ivan. De l’étoile
que suit Marichka avant de se noyer, de sa présence, morte, à la fenêtre du couple
stérile. Et de cette extraordinaire tempête déviée par le sorcier.
Le film fait une large place au folklore ; mais, venant de Paradjanov, tout
porte à penser qu’il est en partie réinventé.
50
He walked by night Il marchait la nuit, Alfred L. Werker, usa, 1948, 79 mn
Richard Basehart – qu’on se rappelle pour ses compositions chez Fellini, “Le
matto” de La strada (p. 529) et Picasso d’Il bidone (p. 1559) – joue un voleur
adroit, criminel et surtout solitaire.
Le film, moyennement intéressant, est un faux documentaire avec voix off,
dans le style des productions Louis De Rochemont. On y voit, en particulier,
l’élaboration d’un portrait-robot. Le film se termine dans le gigantesque réseau
collecteur d’eaux de pluie de Los Angeles. Dans Them ! (p. 1233) ils serviront
de repère à de redoutables fourmis géantes.
Dans des seconds rôles, Whitt Bissell et Jack Webb. Le film fut réalisé en par-
tie par Anthony Mann, non crédité au générique, à qui l’on a tendance à attribuer
les quelques qualités de l’œuvre. Il faut dire que Werker s’est immortalisé, si l’on
peut dire, en remplaçant Stroheim sur le tournage de Walking down Broadway,
sorti sous le nom de Hello, sister ! (p. 969).
51
Cet obscur objet du désir Luis Buñuel, France, 1977, 99 mn
Mystery of the wax museum Masques de cire, Michael Curtiz, usa, 1933,
74 mn
52
They live by night Les amants de la nuit, Nicholas Ray, usa, 1948, 95 mn
Jean Desailly et Françoise Dorléac, trop tôt disparue, en couple adultère. Mais
l’amour se délite : très vite, il la trouve un peu limitée, il est mal à l’aise avec
elle en public, elle l’énerve. Il est temps de retrouver son petit appartement et sa
femme (Nelly Benedetti) dans l’alcôve que ferme un rideau amovible, symbole
de leur entente sexuelle. Laquelle épouse arborera un énigmatique sourire dans
le dernier plan du film alors qu’elle vient de tuer son mari.
La musique de Georges Delerue exprime un sorte de nostalgie prémonitoire.
La longue séquence de Reims préfigure l’échec du couple : un raseur (Daniel Cec-
caldi) désireux d’afficher sa familiarité avec un ancien camarade devenu célèbre,
se mue en pot de colle, en sparadrap ; seule issue à ce cauchemar, la fuite.
Le film nous rappelle, incidemment, qu’il était difficile de téléphoner à l’époque :
c’était le temps des taxiphones toujours occupés. On utilisait encore des préfixes
à lettres, ici med pour Médicis. Et le super coûtait 1 franc le litre : Desailly fait
le plein de sa ds pour 50 francs.
On retrouve le nombre 813 (d’après un Arsène Lupin de 1910), cher à Truf-
faut : c’est le numéro de chambre de Dorléac à Lisbonne. Autre clin d’œil, le
collègue de Desailly s’appelle Kanayan, comme l’acteur enfant de Tirez sur le
pianiste (p. 1565). Petits rôles pour la jeune Sabine Haudepin (après Jules et Jim,
p. 552), Laurence Badie, Charles Lavialle (le veilleur de l’hôtel) et Maurice Garrel.
53
Le roman d’un tricheur Sacha Guitry, France, 1936, 78 mn
54
L’ibis rouge Jean-Pierre Mocky, France, 1975, 77 mn
55
Stalker Andreï Tarkovski, urss, 1979, 156 mn
Le film est avant tout poétique : sur une musique de Maurice Jaubert, on suit
un couple de mariniers tout juste mariés. Amour, bonheur, puis petites désillusions
pour la femme (Dita Parlo, qui garde son accent allemand). Le mari (Jean Dasté)
se révèle un peu rabat-joie et jaloux des étrangers qui amusent sa jeune épouse.
Quand elle fait une petite fugue, il plonge pour la chercher au fond de l’eau.
Séquence d’anthologie : Michel Simon, torse nu dans son capharnaüm, affecte
de fumer une cigarette avec le nombril devant la “patronne”.
On reconnaît l’hôtel de l’Ancre, quai de Jemappes, qui fonctionnait encore
comme café au début des années 2000. Le nom de Gilles Margaritis, qui campe
le camelot/magicien/homme-orchestre est associé à la grande période de la té-
lévision : il y produisait la célèbre Piste aux étoiles, émission dédiée au cirque.
56
Road to Utopia En route pour l’Alaska, Hal Walker, usa, 1945, 90 mn
La série Road to. . . , avec Bing Crosby, Bob Hope et Dorothy Lamour, fut un
des grands succès de la Paramount dans les années 1940. Sur un canevas cousu
de fil blanc, une histoire bon enfant et bien enlevée ; Crosby n’oublie jamais de
chanter.
Cet opus est le meilleur de la demi-douzaine que comporte la série. Il s’appuie
sur le succès des épisodes précédents pour introduire un second degré : le com-
mentaire nous dit sans arrêt qu’on est dans un film. Ici, c’est un acteur qui s’est
trompé de plateau. Là, c’est Lamour qui sort en sarong – sa tenue habituelle des
films Paramount – au milieu des neiges. C’est encore ce poisson qui parle, puis
l’ours qui se plaint de ne pas avoir, lui aussi, de dialogue. Un personnage se met
à jurer, mais le son est coupé : “Je t’avais bien dit qu’ils ne le laisseraient pas
passer”, dit l’autre.
Petit coup de canif au Code : Dorothy épouse Bob, mais on s’aperçoit que
leur fils ressemble à Bing. Hilary Brooke, Douglass Dumbrille et Robert Barrat
jouent les méchants d’opérette.
57
L’étrangleur Paul Vecchiali, France, 1970, 91 mn
Encore une histoire d’étrangleur. Celui-ci (Jacques Perrin), qui trucide par
compassion, est suivi à la trace par un parasite, le Chacal, qui en profite pour
se remplir les poches, dénaturant ainsi un acte fondamentalement altruiste. Il
est opposé à un policier (Julien Guiomar) qui se fait passer pour un psycho-
logue compréhensif. Il faut pas mal de bonne volonté pour avaler ce scénario
abradacabrantesque.
Le film est parcouru par une image obsessionnelle, celle de la rue Émile Richard
qui sépare en deux le cimetière Montparnasse. Cette image nocture est développée
dans une longue séquence assez réussie qui montre des agressions diverses, des
meurtres et pas mal d’homosexualité – bien avant Once more (p. 1190). Un mari
(Marcel Gassouk) avoue ses “tendances” à sa femme (Muni).
On reconnaît Nicole Courcel et Andrée Tainsy, ainsi que Sonia Saviange, sœur
de Vecchiali et Hélène Surgère, son actrice-fétiche. Toutes deux devaient jouer
dans Femmes femmes (p. 528). Musique de Roland Vincent.
58
The curse of the cat people La malédiction des hommes-chats, Gunther
von Fritsch, usa, 1944, 70 mn
Film Val Lewton terminé par Robert Wise, qui signe ainsi sa première réalisa-
tion. C’est une sorte de suite à Cat people (p. 454), située une dizaine d’années
plus tard. Le couple formé par Kent Smith et Jane Randolph, maintenant mariés,
a une petite fille. L’enfant voit, ou plutôt croit voir, le fantôme de la féline Simone
Simon, qui chante en français “Do do l’enfant do”. Le film relève fondamentale-
ment du merveilleux, tempéré par une touche d’inquiétude, due au rôle, un peu
effrayant, tenu par Elizabeth Russell. Fille d’une vieille voisine un peu zinzin qui
ne la reconnaît plus, elle jalouse la fillette, objet des attentions de sa mère.
Belle séquence où la fillette, seule sur la route enneigée, croit entendre passer
le cavalier sans tête de Sleepy Hollow. Sir Lancelot qui joue ici un domestique,
était un chanteur jamaïcain, auteur du célèbre tube Shame and scandal in the
family, qu’il créa dans Vaudou (p. 468).
Le dernier film de Claude Sautet, sorte de testament, n’est pas aussi déses-
péré que son précédent Un cœur en hiver (p. 999). Au centre du film, la barrière
injuste et cruelle de l’âge qui sépare Michel Serrault et Emmanuelle Béart. Quand
l’épouse du vieil homme déboule, au lieu de l’envoyer sur les roses comme Guitry
dans une situation similaire (Mon père avait raison, p. 1646), il se laisse pha-
gocyter et s’embarque avec elle pour un long voyage, sorte de fuite en avant
résignée.
Michael Lonsdale campe une extraordinaire épave, un tapeur qui vit aux
dépens de Serrault.
C’est l’informatique qui date ce film : les gros Mac de bureau et leur système
OS9, à la mode au milieu des années 1990.
C’est toute un époque, celle des hôtels de vacances. Avec un bal masqué et
l’inévitable pensionnaire autoritaire qui organise son excursion. Et aussi son feu
d’artifice, bien que celui du film soit dû à la proverbiale maladresse de Hulot. Les
personnages communiquent avec une componction elle aussi très datée.
La scène la plus hilarante du film montre Hulot tenant sa raquette de tennis
moitié comme une poêle à crêpes, moitié comme un tue-mouche.
C’est le seul Tati en noir et blanc, puisqu’on a pu, dans les années 1990,
développer le négatif Thomsoncolor de Jour de fête (p. 504). Le film est tourné
à Saint-Marc-sur-Mer d’où un Hulot statufié contemple désormais le large.
59
Frenzy Alfred Hitchcock, Grande-Bretagne, 1972, 116 mn
Cet Hitchcock tardif est situé à Covent Garden, qui abritait encore, face
à l’opéra, un marché que le réalisateur avait fréquenté dans son enfance. La
distribution est sans relief : on reconnaît cependant Anna Massey (du Voyeur,
p. 453), Barry Foster (de Ryan’s daughter, p. 455) en étrangleur à la cravate ;
Jon Finch campe un héros assez antipathique.
Avec une scène de dix minutes détaillant de façon complaisante le meurtre
d’une victime par un pervers sexuel, le film rompt avec le style Hitchcock. On
est davantage en terrain balisé quand le même pervers part à la recherche du
cadavre de sa seconde victime parmi les sacs de pommes de terre dans un camion
en mouvement.
L’humour est le point fort du film. À la sortie de l’agence matrimoniale, la
femme d’un nouveau couple énonce tous les devoirs de l’heureux élu, la secrétaire
de l’agence exprime un dégoût pathologique des hommes,. . . Sans parler des
scènes de repas : l’épouse de l’inspecteur (Vivien Merchant) ne jure que par la
cuisine française, alors que son mari, adepte de la nourriture de pub, est horrifié
par les petits plats raffinés qu’elle lui prépare.
Jean Poiret campe Papu, sorte de sdf qui aide une dame patronesse, la Major
(Jeanne Moreau). Renversé par une automobile, il se met à jouer au paralytique.
La compagnie d’assurance l’Abeille n’entend pas indemniser un simulateur et
envoie aux trousses de Papu M. Fox-Terrier, qui est muet et affublé par son
épouse moustachue (Sylvie Joly) d’un collier canin. Papu part pour Lourdes afin
de simuler une guérison qui lui permettra de garder l’indemnité sans être cloué
dans un fauteuil roulant. Papu et Fox-Terrier sont, à la fin, plongés dans l’eau
miraculeuse. Fox-Terrier se met à parler, mais en anglais ; quant à Papu, il est
désormais paralysé pour de bon.
Le scénario pille l’épisode no 19, Strange miracle de la série Alfred Hitch-
cock presents VII (p. 707) basée sur un scénario de George Langelaan : un
homme feint la paralysie, puis ayant touché son indemnité, se rend auprès d’une
vierge miraculeuse pour simuler une guérison mais est alors paralysé pour de bon.
Comme toujours chez Mocky, le film fourmille d’idées un peu bâclées, par
exemple, ce confessional vidéo à pièces qui ressemble à une cabine Photomaton.
La troupe de Mocky est moins fournie, car nombre de ses habituels des années
1960-70 sont morts. On remarque cependant Jean Abeillé, Roland Blanche, Do-
minique Zardi, Jean Rougerie, ainsi que Georges Lucas en miraculé historique.
Antoine Mayor glisse sa face patibulaire dans un habit de clown.
Poiret et Serrault formaient un célèbre duo comique dans les années 1950-60.
60
Tōkyō nagaremono Le vagabond de Tōkyō, Seijun Suzuki, Japon, 1966,
79 mn
Film de yakuzas produit par la Nikkatsu. Qui trahit qui ? Cela n’a pas trop
d’importance, puisque le film est prétexte à des bagarres variées au poing comme
au pistolet, dans une débauche de couleurs plaquées. Le héros est confronté au
tueur d’un clan rival, Tatsu la Vipère (Tamio Kawaji). Kurara, le boss de Tetsu
le Phénix est joué par Ryūji Kita, un des trois compères des derniers films d’Ozu,
e.g., Le goût du sake (p. 35) ; il trahit Tetsu, qui est l’image de la droiture ( !).
Avec leur Code, les yakuzas se prennent un peu pour des samourais ; ce qui
rappelle les mafieux de Scorsese et leurs références à la chevalerie.
Tetsu se met au vert, d’abord dans les neiges de Hokkaidō (Hakodate), puis
à Sasebo, dans l’île de Kyūshū. Le combat final est filmé dans un décor théâtral
immense et presque vide.
Complainte lancinante Le vagabond de de Tōkyō et chanson en anglais Blue
night in Akasaka.
Les tortues comprennent le verlan, d’où Esio Trot pour “tortoise”. C’est du
moins ce que Dustin Hoffman veut faire croire à Judi Dench dans cette histoire
d’amour où les protagonistes ont dans les 80 ans.
D’après Roald Dahl, ce téléfilm très amusant est à voir avec des enfants.
61
I, Claudius Herbert Wise, Grande-Bretagne, 1976, 670 mn
62
Aruitemo aruitemo Still walking, Hirokazu Koreeda, Japon, 2008, 110 mn
L’anniversaire d’un fils mort célébré chez des parents vieillissants. Le père
grincheux n’apprécie pas que Ryōta (Hiroshi Abe), le fils qui lui reste, soit marié
à une veuve, encore moins qu’il ne lui ait pas succédé comme médecin local. La
mère fait de la tempura au maïs ou des beignets de daikon et le soir, lorsqu’un
papillon jaune vient rôder, “C’est peut-être le fils mort, ne l’écrasons pas” dit-elle.
Responsable involontaire de l’accident qui a causé la mort du fils, un grotesque
jeune homme vient se recueillir et bredouiller des excuses à n’en plus finir. La
mère (Kirin Kiki) l’invite à revenir l’an prochain pour une nouvelle séance d’auto-
dénigrement ; elle reconnaît que la souffrance de cette larve la soulage.
Contraireme à sa sœur (You), Ryōta a passé la nuit chez ses parents, erreur
à ne pas commettre la prochaine fois, confie-t-il à son épouse. Quelques années
plus tard, le couple se recueille au cimetière et arrose la tombe des parents. Ils
ont maintenant une petite fille à eux, ce dont rêvait la mère.
Ingrid Bergman (sans lien familial avec Ingmar) campe une pianiste interna-
tionale qui, avant de repartir pour une nouvelle tournée, vient passer quelques
jours avec sa fille. Centrée sur sa carrière, elle n’a jamais vraiment prêté atten-
tion à ses enfants ; l’une est devenue, faute d’amour, aphasique. L’autre, jouée
par Liv Ullmann, quémande encore l’amour de sa mère, par exemple en jouant
du piano, ce qui est le plus sûr moyen de se faire remettre à sa place. Cette de-
mande d’amour montre facilement son envers, fait de rancœurs et de frustrations
accumulées.
63
Sonatine Takeshi Kitano, Japon, 1993, 90 mn
C’est un des premiers films de Sternberg, après The salvation hunters (p. 956)
et The seagull (1926), film détruit par son producteur, Chaplin. Ce film, dominé
par la composition massive de George Bancroft, met en scène, ce qui est re-
lativement nouveau, des gangsters. Les trois qu’on nous présente – le chef, sa
maîtresse et son avocat – sont animés de sentiments nobles, fidélité et sacrifice
avant tout.
La scène de fête avec ces cotillons qui pendent devant la caméra fait penser
à Agent X 27 (p. 631), un des plus beaux Sternberg/Dietrich.
64
The birds Les oiseaux, Alfred Hitchcock, usa, 1963, 119 mn
I shot Jesse James J’ai tué Jesse James, Samuel Fuller, usa, 1949, 81 mn
John Ireland campe Bob Ford, un personnage qui lui va comme un gant, celui
d’un traître culpabilisé. Il a tué son ami Jesse James, un des deux Robin des Bois
américains avec Dillinger, et porte son crime comme une croix. On ne se bat pas
contre lui, on lui montre le dos, ce qui veut dire “Profites-en pour tirer comme
tu as fait pour Jesse”. Moment extraordinaire où il demande qu’on lui chante
jusqu’au bout la célèbre complainte à la gloire de Jesse et dans laquelle il est
traité de “sale petit lâche”. De l’inconvénient d’être une légende vivante.
Ce premier film de Fuller est un production Lippert, studio fauché de “Poverty
Row”. On retrouve l’étrange porte du saloon dans d’autres westerns de cette
petite compagnie.
65
The thin man L’introuvable, W.S. Van Dyke, usa, 1934, 87 mn
After the thin man Nick, gentleman détective, W.S. Van Dyke, usa, 1936,
108 mn
Another thin man Nick joue et gagne, W.S. Van Dyke, usa, 1939, 98 mn
Film noir avec Katharine Hepburn et Robert Taylor dans le rôle d’un mari
qui, craignant que son épouse ne découvre son noir passé, essaye de la tuer. Tout
cela est bien long et un peu mollasson : ce n’est pas un sujet pour Minnelli. Le
quasi-débutant Robert Mitchum passe difficilement en frère de Taylor épris de
musique et de poésie.
Alla Nazimova joue une Marguerite Gautier un peu mijaurée face à Rudolph
Valentino. Les décors modernes sont splendides ; il y a même un orchestre de
jazz qu’on n’entend pas, et pour cause.
Pourquoi “Camille”, alors que personne ne surnomme ainsi l’héroïne ? C’est
peut-être un jeu de mots sur “camélia” à moins qu’il ne s’agisse d’une confusion :
une aquarelle du dessinateur Camille Roqueplan représentant Marie Duplessis est
exposée au Musée Carnavalet.
66
High plains drifter L’homme des hautes plaines, Clint Eastwood, usa, 1973,
105 mn
Film noir parodique qui rappelle vaguement Le faucon maltais (p. 32). Bob
Hope est un photographe pour enfants qui remplace, par désœuvrement, le dé-
tective à la Bogart du bureau d’à côté – Alan Ladd, dans une apparition-éclair.
Il est engagé par une pépée en noir – Dorothy Lamour – pour une enquête tré-
pidante. Peter Lorre campe un assassin sinistre à souhait déguisé pour un temps
en jardinier. . . dans une fausse maison vide qui pourrait être celle de La mort
aux trousses (p. 993). Lon Chaney Jr. est parfait en infirmier imbécile qui casse
les noix au creux de son coude.
Bob Hope, Dorothy Lamour et Bing Crosby formaient à l’époque le célèbre
trio des Road to. . . (p. 882). Crosby fait une apparition à la fin, en bourreau
dépité que Hope ait échappé à la chambre à gaz.
C’est, avant tout, un film d’Audiberti. L’histoire est mise en scène dans un
tourbillon de couleurs et de chansons (voix de Catherine Sauvage), avec le travesti
Sonne Teal dans le rôle de la femme du colonel (Zbigniew Cybulski du Manuscrit
trouvé à Saragosse, p. 416) et de la poupée faite à son image, ce qui renvoie
à Metropolis (p. 1011). On reconnaît Daniel Emilfork, Sacha Pitoëff et László
Szabó ; ainsi que Jacques Dufilho en Indienne des plateaux. Dans un petit rôle,
le vétéran Roger Karl qui joua avec Delluc.
Il est question de tuer le colonel-dictateur d’une république sud-américaine.
De colonel à général, il n’y a qu’un grade, ce qui explique le carton-parapluie
précisant que tout cela est purement gratuit : aucune allusion à “Qui vous savez”,
i.e., au général qui régentait alors la France.
67
Mockery Benjamin Christensen, usa, 1927, 70 mn
Pendant la guerre civile russe, un moujik un peu idiot (Lon Chaney) sauve
la vie d’une jeune comtesse. Poussé par un prolétaire hargneux, il exige une
reconnaissance en nature de la belle qui lui préfère un officier tsariste très expéditif
(Ricardo Cortez). Notre moujik n’échappera à une exécution sommaire que grâce
à la comtesse, qui paye ainsi sa dette. Il regagnera ensuite sa vraie place, à l’étage
des domestiques, dans le paradis en survie de la Russie blanche.
Christensen est connu pour son extraordinaire Sorcellerie à travers les âges
(p. 575). Dans Michael (p. 1648), il campe le peintre homosexuel Claude Zoret.
Comédies et proverbes, opus 1. Le film est centré sur les amours du jeune
Philippe Matlaud, qui devait mourir peu de temps après, Marie Rivière (du
Rayon vert, p. 1188) et la très jeune Anne-Laure Meury, excellente mais qui
ne fera pas carrière. On aperçoit aussi Mathieu Carrière dans le rôle de l’aviateur
et Rosette (Louisette de Pauline à la plage, p. 1483) en concierge. Une partie du
film est tournée dans le parc des Buttes-Chaumont.
Le titre du film est un cas typique d’abduction, i.e., de logique foireuse à la
Sherlock Holmes. L’aviateur va voir un avocat en compagnie d’une jeune femme.
Déduction à la mords-moi-le-nœud des témoins de la visite : il serait en instance
de divorce pour épouser Rivière qu’il a précisément vue le matin. La femme de
l’aviateur est en fait sa sœur : tous deux sont en procès contre un voisin.
68
Tikhy Don Le Don paisible, Sergueï Guérassimov, urss, 1957, 330 mn
Le ciel est à vous Le ciel est à vous, Jean Grémillon, France, 1944, 107 mn
69
Insiang Lino Brocka, Philippines, 1976, 94 mn
Dans un Manille populeux, Tonya, malgré son âge, vient d’installer Dado,
gigolo arrogant, à domicile. Sa fille, Insiang, tente en vain de lui ouvrir les yeux ;
elle n’obtient pas plus d’aide de son fiancé Bebot, un dégonflé. Elle séduit alors
sciemment Dado pour provoquer sa mort : la mère le tue, en effet, par jalousie.
Plus tard, Insiang va voir la meurtrière en prison et lui avoue sa machination tout
en affirmant son amour filial. Quand elle s’en va, arborant un sourire énigmatique,
sa mère la suit du regard depuis une fenêtre.
Le plus ancien film conservé de Naruse, muet comme tout le cinéma japonais
de la première moitié des années 1930. Le scénario utilise une ficelle récurrente
des films de l’époque, la maladie ou l’accident d’un enfant (p. 3). Ici, le fils a été
parcuté par un tramway.
L’originalité du film tient à un renversement de ton. Le héros, agent d’assu-
rances famélique, use de tous les subterfuges pour obtenir qu’une riche voisine
assure ses enfants ; il va même jusqu’à jouer à saute-mouton avec eux. Quand
on apprend qu’un enfant du quartier a eu un accident, il en profite pour fourguer
son contrat et revient à la maison, un jouet sous le bras pour son môme. . . et
apprend qu’il n’a obtenu le fameux contrat que grâce à l’accident de son propre
fils. Près du lit de l’enfant, le ton comique a disparu : mourra, mourra pas ? Le
film pourrait à ce moment, virer au tragique ; mais Dieu et le scénariste ont opté
pour le happy end.
70
A letter to three wives Chaînes conjugales, Joseph L. Mankiewicz, usa,
1949, 99 mn
Première adaptation du roman de Roald Dahl, avec Gene Wilder dans le rôle
du solitaire et facétieux Willie Wonka. Drôle de conte de fées, où les enfants, sauf
le jeune Charlie, sont antipathiques ; spécialement Veruca – à peu près “Verrue” –
odieuse fille à papa.
Les extérieurs sont tournés en Bavière. La photo du faussaire paraguayen au
ticket d’or qui s’étale en une des journaux est celle de Martin Bormann, qu’on
croyait alors vivant et réfugié au. . . Paraguay.
Ce bon film est un peu écrasé par la version de Tim Burton (p. 855), plus
ramassée, avec des enfants encore plus antipathiques, et des trouvailles visuelles :
les Oompa Loompa sont joués par un unique acteur clôné, Deep Roy.
C’est le premier d’une série de fims en noir et blanc, qui se poursuit avec
Stardust memories, Zelig et Broadway Danny Rose (pp. 1142, 1618, 296). Sur
fond de musique de Gershwin, le film est une ode à New York filmée par Gordon
Willis à qui l’on doit de splendides images nocturnes, comme celle de l’affiche :
le couple Keaton/Allen sur un banc devant le pont de Queensboro.
Parmi les acteurs, Michael Murphy (de chez Altman) et Mariel Hemingway,
petite fille de l’écrivain âgée de 17 ans et qui dépasse Woody d’une tête. L’ex de
Diane Keaton (Wallace Shawn), rencontré par hasard, est à New York à l’occasion
d’un symposium sur la sémantique (sic). . . on comprend qu’elle l’ait quitté !
71
Amici miei – Atto IIo Mes chers amis II, Mario Monicelli, Italie, 1982, 127 mn
Amici miei (p. 605), sauce rallongée. Même Perozzi (Philippe Noiret), enterré
dans la première partie, participe à cette suite. On le voit, dans un flash-back,
surpris au lit avec sa maîtresse par la crue de l’Arno de 1966. Il y a du bon, par
exemple le sketch de consolidation de la tour de Pise, et du moins bon, ainsi la
farce scatologique dont est victime Capogreco (Paolo Stoppa). Le film, succession
un peu longuette de farces infantiles, se clôt sur la paralysie de Mascetti (Ugo
Tognazzi) qui pourra désormais participer à des courses en fauteuil roulant ; sous
le regard goguenard des autres couillons, une larme au coin de l’œil.
William Castle est ici, plus que jamais, le Hitchcock du pauvre. Il présente
son film, comme le faisait à l’époque le maître dans une série télévisée qui dura
dix ans (1955-65). On retrouve l’atmosphère de Psychose (p. 1036) ; la femme
dans le fauteuil roulant, muette et paralysée (Eugenie Leontovich, au visage très
expressif) et sa nièce, la meurtrière au couteau. Une atmosphère de schizophrénie
perdure jusqu’à la révélation finale.
Malgré cette référence écrasante, le film reste, contrairement à d’autres psy-
choseries, e.g., Paranoiac (p. 32), une réussite.
D’après David Goodis, ce film noir est filmé en noir et blanc. Surtout en noir :
l’action se déroule principalement de nuit et la photo s’attache à capter les jeux
d’ombre, les contre-jours.
Avec Dan Duryea, la pneumatique Jayne Mansfield, Martha Vickers (la petite
sœur fofolle de Bacall dans The big sleep, p. 1573), ainsi que Mickey Shaughnessy
(le boxeur sonné de Designing woman, p. 1309). On reconnaît l’immense hall de
la gare de Philadelphie qui servira de décor à Blow out (p. 1198).
L’histoire est basée sur le personnage, campé par Vincent Price, de James
Reavis, extraordinaire faussaire qui faillit s’approprier le territoire de l’Arizona
grâce à des documents de sa fabrication datés du xviiie siècle.
Ellen Drew joue la prétendue héritière de la famille Peralta. Et l’acteur d’ori-
gine russe Vladimir Sokoloff un mexicain, comme dans Les sept mercenaires
(p. 1033) où il sera le chef du village.
72
Kutabare akutō domo Crevez vermines, Seijun Suzuki, Japon, 1963, 84 mn
Le film s’inscrit parmi les multiples suites des films de monstres Universal
– dont certains, comme Bride of Frankenstein (p. 1018) sont supérieurs aux
originaux. Cette suite du Dracula de 1931 (p. 83) est un produit hybride avec
une distribution terne et des ruptures de ton mal maîtrisées, par exemple le syle
comique du début qui jure avec la suite.
L’originalité du film repose sur la présence d’une vampiresse (Gloria Holden),
relativement effrayante car filmée en contre-plongée. Elle sera tuée d’une flèche
en plein cœur par un assistant, tout aussi effrayant, joué par Irving Pichel – le
metteur en scène des Chasses du comte Zaroff (p. 420). Cette vampiresse est-
elle une pauvre fille cherchant à se débarrasser de la malédiction familiale ou une
monstresse désireuse de prolonger à tout prix sa non-mort ? C’est en réalité une
schizophrène qui oscille entre les deux à cause d’un scénario bâclé.
73
The outfit Échec à l’organisation, John Flynn, usa, 1973, 103 mn
Sympathique film qui voit Robert Duvall, assisté de Karen Black et Joe Don
Baker s’attaquer victorieusement à la Mafia, ce qui, faute d’être très vraisem-
blable, est réjouissant. Le film utilise une galerie d’acteurs de la génération précé-
dente : Elisha Cook, Mary Windsor, Timothy Carey (tous trois dans The killing,
p. 985) ainsi que Jane Greer et Robert Ryan.
Scène particulièrement réussie où la femme d’un garagiste prétend avoir été
agressée pour provoquer une rixe qui pourrait la débarrasser de son mari.
La ley del deseo La loi du désir, Pedro Almodóvar, Espagne, 1987, 102 mn
Eusebio Poncela, aux faux airs de Fabrice Luchini, campe un cinéaste homo-
sexuel, dont le frère (Carmen Maura !) est transsexuel. Un jeune homme (Antonio
Banderas) assassinera par jalousie l’amant du cinéaste. L’histoire, qui fait réfé-
rence à Cocteau (La voix humaine), se termine de façon tragique et touchante.
L’enquête policière tourne autour d’une chemise Hermès. “Pour être un bon
policier, l’absence de scrupules ne suffit pas” martèle un inspecteur.
Scènes d’orgie : il s’agit avant tout de l’alcool qui coule à flots en ces temps
de prohibition, d’exhibitions indécentes comme ce combat de boxe féminine, voire
cette course sur des “pogo sticks”, pas très orgiaque, quand même. Ce qui rappelle
la décadence romaine, selon le vertueux procureur O’Bannon (Thomas Meighan) ;
DeMille, toujours moralisateur, en profite pour nous rassasier d’images antiques.
Au centre de ces débordements nocturnes, une héritière égoïste, Lydia Thorne
(Leatrice Joy) ; possédée de jour par le démon de la vitesse, elle provoque la mort
d’un policier. Bien qu’issue d’un milieu à l’aise avec les procureurs, son affaire
n’est pas classée : O’Bannon a décidé, par amour, de l’envoyer en prison. Dans
le monde selon DeMille, la prison réhabilite.
Pendant que la belle retrouve le chemin de la vertu, le procureur prend celui
du speakeasy : il démissionne, s’adonne à la boisson et va jusqu’à mettre au clou
sa flasque – non sans l’avoir préalablement vidée. Mais tout cela finira bien et le
couple, enfin uni, pourra vivre dans le moralisme le plus strict.
On remarquera la mort du policier à l’hôpital, racontée en ombres chinoises,
comme celle de Dale Fuller dans Greed (p. 21). Et le rêve de vengeance de Lydia
emprisonnée qui se termine par “Si je pouvais revivre ma vie”. Et encore, lors de
son incarcération, ce carton ironique bien dans le style DeMille : elle passe de
Révillon à Bertillon.
74
Utamaro o meguru gonin no onna Cinq femmes autour d’Utamaro, Kenji
Mizoguchi, Japon, 1947, 95 mn
Die Sehnsucht der Veronika Voss Le secret de Veronika Voss, Rainer Wer-
ner Fassbinder, rfa, 1982, 104 mn
Quatrième et dernier film d’Autant-Lara avec Odette Joyeux. Avec pas moins
de quatre fantômes : Jean Desailly, François Périer, Louis Salou, ainsi que. . .
Jacques Tati, le seul à pouvoir vraiment traverser les murs. Pour une histoire en
équilibre instable entre plusieurs mondes, amour, enfance dans un grand château
avec son escalier secret et sa scène de bal. Tout cela tient debout grâce à la
composition d’Odette Joyeux qui sait rester à mi-chemin de la naïveté de l’enfance
et des émois de l’amour et nous fait croire à ses 16 ans alors qu’elle en a le double.
Pierre Larquey, avec sa diction si particulière, joue le père ; Julien Carette qui
tiendra bientôt une Auberge rouge (p. 105) pour Autant-Lara est un domestique.
75
The King of kings Le Roi des Rois, Cecil B. DeMille, usa, 1927, 160 mn
Le film, qui évoque constamment la peinture, est avant tout une grande
réussite plastique. On mentionnera la tempête qui se déchaîne au moment de la
crucifixion et de la mort de Judas. Ainsi que la scène, venue tout droit de chez
Rembrandt, où Caïphe égrène les 30 deniers devant le traître. L’introduction, avec
sa Marie-Madeleine sortie de chez Gustave Moreau et la résurrection sont tour-
nées dans un Technicolor dont les couleurs, superbement choisies, parviennent à
faire oublier les limitations du bichrome.
Magnifique trône de Ponce Pilate surmonté d’un aigle gigantesque. Le Christ
est joué par H. B. Warner qui sera rétrogradé au rang de pharmacien dans It’s a
wonderful life (p. 399).
Marlon Brando campe un Zapata très Actors Studio qui mange ses mots, sans
doute pour signifier son illettrisme. La composition la plus intéressante du film
est celle de Joseph Wiseman – futur Dr. No du premier James Bond (p. 1199).
Il seconde fidèlement le révolutionnaire jusqu’au moment où celui-ci, arrivé au
sommet, se retire, de peur de devenir un nouveau Porfirio Díaz ; passé du côté des
militaires, c’est lui qui organise l’embûche fatale à Zapata. Cet individu au cou de
taureau ne croit qu’en la “logique”. . . veut-il dire la nécessité historique ? L’année
1952 voit Kazan, devenu délateur, balancer ses anciens amis communistes.
La scène de l’exécution nocturne de Madero est très impressionnante. Le film
s’achève avec ce cheval blanc qui, tel le chien errant du Quai des brumes (p. 10),
s’évade de la cour de caserne qui a vu la mort de Zapata. On ne tue pas une
légende.
Une vieille dame habite dans une zone populaire en cours de yuppisation.
Ses voisins, dont Lesley Manville, sont en effet puants : “Une place pour tout
le monde et tout le monde à sa place” dit le mari.
Sa propre fille est une excitée de l’arrivisme social – son mari boit du Moët
avec rondelle de citron dans un verre à whisky – qui prend son frère (Phil Davis)
pour un foutu raté (a fucking loser), la pire insulte de ces années.
Le couple formé par ce frère avec Ruth Sheen (actrice récurrente de Leigh)
est, en effet, dénué d’ambition sociale. Ils ont surnommé son cactus Thatcher
et considèrent Highgate, le cimetière où repose Karl Marx, comme un lieu de
pélerinage. . . on pense à Morgan (p. 687). C’est à eux, et aussi à cette mère qui
perd la boule, que l’auteur réserve sa tendresse.
76
Jungfrukällen La source, Ingmar Bergman, Suède, 1959, 91 mn
Au moyen-âge, la mort d’une jeune fille, violée par des bergers. Cette vierge
blonde était jalousée par sa demi-sœur brune (Gunnel Lindblom), enceinte et
adepte de la sorcellerie et du dieu Odin. Sa mort sera vengée par son père (Max
von Sydow) qui, dans sa colère, tuera aussi un innocent, le petit frère des bergers.
Cette injustice en réponse à une injustice amène le père à douter. Mais une
source miraculeuse surgit : les desseins de Dieu sont impénétrables.
Ren xiao yao Plaisirs inconnus, Zhangke Jia, Chine, 2002, 108 mn
Résumé : un père marie sa fille. Ce qui convient à moult films de l’auteur dont
c’est le premier en couleurs. Ici, pas de mariage arrangé : la fille (Ineko Arima) a
déjà trouvé un fiancé (Keiji Sada). Il s’agit de convaincre son père (Shin Saburi,
marié dans le film à Kinuyo Tanaka d’O haru, femme galante, p. 1143). Une jeune
fille rusée, Yukiko (Fujiko Yamamoto), l’amènera à consentir, puis à assister à
contre-cœur au mariage et, enfin, à aller voir les jeunes mariés à Hiroshima. Le
film se ferme, comme Ukikusa monogatari (p. 690) sur un train qui s’en va.
Sous les noms de Hirayama, Kawai et Horie, Shin Saburi, Nobuo Nakamura
(le maire-adjoint de Ikiru, p. 45) et Ryūji Kita forment une espèce de triumvirat,
qu’on retrouve à deux reprises dans le restaurant tenue par Toyo Takahashi :
dans Fin d’automne (p. 1010) avec d’autres noms, et Le goût du sake (p. 35),
avec les mêmes noms, Chishū Ryū remplaçant Saburi. Ici, Ryū n’a qu’un rôle
de second plan. Lors d’une réunion d’anciens élèves qui se tient près du pont
de Takeshima (baie de Mikawa), il psalmodie a cappella une longue déploration
militaire.
77
Sapphire Opération Scotland Yard, Basil Dearden, Grande-Bretagne, 1959,
92 mn
Bien que son message anti-raciste soit un peu daté, le film est un document
sur les milieux noirs du Londres de l’époque.
Nigel Patrick a le rôle principal, celui du détective. On reconnaît Bernard
Miles – le mari du couple de kidnappeurs de L’homme qui en savait trop, p. 8 –
dans le rôle de l’ex-futur-beau-père de la victime. Londres, autour du parc de
Hampstead Heath, est très bien filmé.
Emil Jannings campe une espèce d’empereur des portiers d’hôtel ; bien droit
dans son uniforme, il est un Monsieur dans le quartier populaire où il réside. Ce
plus grand des petits n’est rien pour l’administration du palace qui remarque sa
peine à soulever une malle. Il est alors privé de son bel uniforme – un bouton
arraché à ce moment évoque même une dégradation militaire – et envoyé s’oc-
cuper des toilettes. Sa silhouette change alors, il se courbe et marche comme s’il
allait perdre l’équilibre. Tout s’arrange finalement, car il fait un gros héritage ; le
côté Deus ex machina de ce happy end est revendiqué, au moyen d’un carton,
par l’auteur.
Le décor de la ufa, splendide, est utilisé par Murnau pour composer d’in-
oubliables images de nuit, souvent à travers des vitres. Dans The last command
(Sternberg, p. 444), Jannings incarnera un ex-général russe devenu figurant à
Hollywood et qui réendosse l’uniforme le temps d’un film.
78
Million dollar legs Folies olympiques, Edward F. Cline, usa, 1932, 59 mn
The lady Eve Un cœur pris au piège, Preston Sturges, usa, 1941, 90 mn
Dans cette screwball comedy, Henry Fonda est un fils de famille – dont le
père est joué par le massif Eugene Pallette – passionné par les serpents. De retour
d’Amazonie, il est littéralement happé par un gang de tricheurs professionnels
dont un père (Charles Coburn) et sa fille (Barbara Stanwyck). Elle ne fera qu’une
bouchée de notre herpétologue, couillon intégral du début à la fin. Le film s’in-
génie à multiplier ses chutes, mais ce slapstick n’est guère plus réussi que celui
des Voyages de Sullivan (p. 58).
Robert Greig est plus majordome que jamais. Mention spéciale pour l’acteur-
fétiche de Sturges, William Demarest qui campe une espèce d’ange-gardien, tou-
jours à l’affût derrière une porte ou une fenêtre.
Le générique prend la forme d’un dessin animé : un serpent dans ce qui
pourrait être le Jardin d’Éden, avec le nom Ève gravé sur une pomme.
Voir ce film, c’est d’abord se plonger dans une époque que Clouzot restitue
avec une attention maniaque, comme s’il en éprouvait déjà la nostalgie. Cou-
vertures en piqué, nappes imperméables en nylon, . . . Une bouteille de Johnny
Walker coûtait 2500 (anciens) francs et Zappy Max présentait Quitte ou double
sur Radio-Luxembourg (aujourd’hui, rtl).
Les rôles principaux sont tenus par Paul Meurisse, personnage odieux à la tête
d’une institution minable, Vera Clouzot qui joue son épouse et Simone Signoret
sa maîtresse ; cette dernière fait accessoirement partie des professeurs, au rang
desquels Pierre Larquey et Michel Serrault. Charles Vanel campe le commissaire
de police retraité, Jean Brochard le concierge et Noël Roquevert le voisin niortais,
un ancien militaire aigri occupé à jouer au Meccano.
Petits rôles pour Robert Dalban, Jean Lefebvre et Jacques Hilling. Parmi les
élèves, Georges Poujouly, ainsi que le jeune Johnny Halliday qui pose au centre
de la photo de groupe. Hitchcock demandera aux scénaristes Boileau et Narcejac
une intrigue de la même eau : cela donnera le sublime Vertigo (p. 1561).
79
The far country Je suis un aventurier, Anthony Mann, usa, 1954, 97 mn
The spiral staircase Deux mains, la nuit, Robert Siodmak, usa, 1946, 84 mn
Film gothique situé en 1916, dans une grande maison centrée sur un escalier
qui mène à une chambre d’invalide (Ethel Barrymore) et qui descend en spirale à
la cave, lieu où la domestique alcoolique (Elsa Lanchester de Bride of Franken-
stein, p. 1018) vole une bouteille, et où le beau-fils de l’invalide (George Brent)
tuera une jeune femme (Rhonda Fleming). Il sera abattu par sa belle-mère, tou-
jours dans l’escalier, au moment où il allait poursuivre son projet eugéniste en
débarrassant le monde d’une jeune muette (Ella Raines), qui retrouve la parole
pour alerter un médecin ami (Kent Smith). Tout ça par une nuit d’orage déchaîné.
Le film se laisse voir, mais donne, avec sa fausse piste menant au demi-frère
de Brent, une impression de gratuité, tout comme The dark mirror (p. 1034) où
l’on ne savait pas laquelle des sœurs était une criminelle. On est loin du grand
Siodmak des Killers (p. 478), son film suivant.
Petits rôles pour James Bell en policier et Sara Allgood (la mère de Qu’elle
était verte ma vallée, p. 171) en infirmière.
80
The African Queen John Huston, usa, 1951, 105 mn
The ghost and Mrs. Muir L’aventure de Madame Muir, Joseph L. Mankie-
wicz, usa, 1947, 105 mn
81
La Belle et la Bête Jean Cocteau, France, 1946, 95 mn
82
Dracula Tod Browning, usa, 1931, 74 mn
Il s’agit d’un Sherlock Holmes parodique. S’il a bien l’accent british, il n’est
pas victorien pour autant : dans le premier épisode, des soupçons d’homosexualité
s’attachent à Watson (Colin Blakely), puis à Holmes (Robert Stephens) lui-même.
On est “rassuré” par la suite, puiqu’il vit une histoire d’amour “normale”, et pas
du tout platonique, avec la belle espionne (Geneviève Page). Il n’est pas non plus
infaillible et se fait mener en bateau ; comme dit son frère Mycroft (Christopher
Lee) “On t’a manipulé comme un cochon pour trouver des truffes”.
L’épisode principal tourne autour du monstre du Loch Ness, commode camou-
flage d’un sous-marin expérimental ; on y croise des espions allemands déguisés
en trappistes – le vœu de silence les dispense de parole – et des nains dans
des cercueils ; le drôlatique Stanley Holloway (de My fair lady, p. 1345) joue un
fossoyeur comme dans le Hamlet de Laurence Olivier (p. 159).
Le film comportait d’autres épisodes courts, mais la version complète, d’une
durée de 165 mn semble à jamais disparue. La prise finale de drogue par Holmes
n’est pas une désacralisation de plus du personnage : il s’adonnait déjà à la
cocaïne à la fin du Signe des quatre.
83
Yukinojō henge La vengeance d’un acteur, Kon Ichikawa, Japon, 1963, 113 mn
Situé à Edo en 1836, c’est avant tout un film sur le théâtre kabuki, filmé,
pour l’essentiel comme une pièce de théâtre avec un décor minimaliste sur fond de
nuit noire. Kazuo Hasegawa (des Amants crucifiés, p. 611) joue Yukinojō, acteur
spécialisé dans les rôles féminins, mais aussi redoutable bretteur. Il vengera ses
parents, victimes d’une sinistre bande, dont un ancien juge, joué par Ganjirō
Nakamura (de Dernier caprice, p. 593). L’innocente fille du juge (la belle Ayako
Wakao) y laissera la vie.
En contrepoint comique de cette histoire triste, un sympathique couple de
voleurs : Yumitarō (Kazuo Hasegawa qui tient ainsi deux rôles) et Ohatsu, campée
par Fujiko Yamamoto (de Fleurs d’équinoxe, p. 77). Le scénario repose sur un
feuilleton, paru dans les années 1930 dans l’Asahi Shimbun, lui-même basé sur
les “Jumeaux vengeurs” de Johnston McCulley, le créateur de Zorro.
Film muet sans sous-titres ni scénario, mais mené train d’enfer sur fond de
musique trépidante. C’est d’abord un film sur le cinéma et ses possibilités :
l’homme à la caméra est omiprésent. On nous montre même, de façon insistante,
l’objectif Tessar 1 :4,5. Tout se termine dans une salle de cinéma où l’on projette,
justement, L’homme à la caméra.
Le film est aussi une sorte de documentaire unanimiste sur la vie grouillante
d’une grande ville – Odessa. Le travail puis les loisirs : l’usine et le club de
travailleurs.
The quiet man L’homme tranquille, John Ford, usa, 1952, 130 mn
La verte Erin sert de décor à cette histoire de retour aux sources. Autour
de John Wayne et Maureen O’Hara, on trouve les habitués de Ford : Victor
MacLaglen en frère de la jeune épouse, Mildred Natwick en veuve, Ward Bond en
curé, et Francis, frère aîné de Ford, qui sort de son lit de misères pour aller voir une
bonne bagarre. Barry Fitzgerald campe un homme à tout faire, occasionnellement
marieur, un alcoolique dont le cheval s’arrête par habitude devant le pub. Arthur
Shields (qui était le frère de Barry Fitzgerald), joue un pasteur amateur de boxe.
On reconnaît Jack MacGowran (le professeur Abronsius du Bal des vampires,
p. 546). Bien que tourné sur place, le film recourt, pour certains plans rapprochés,
à des “transparences” sommaires et maladroites.
84
Following Le suiveur, Christopher Nolan, Grande-Bretagne, 1998, 70 mn
Sur le thème de la femme (Yoshiko Okada) qui se prostitue pour payer les
études d’un homme (Osen aux cigognes de papier, p. 1260, L’élégie de Naniwa,
p. 7). Ici, son frère – joué par l’acteur eurasien Ureo Egawa – se suicide de
honte. Signature précoce d’Ozu, une bouilloire et des cheminées qui fument. Le
scénario de Tadao Ikeda présente des simitudes avec celui de Rêves de chaque nuit
(p. 105).
Le frère emmène sa voisine (la jeune Kinuyo Tanaka) voir au cinéma Si j’avais
un million (p. 868), plus précisément le sketch de Lubitsch avec Charles Laughton.
85
Angel Ernst Lubitsch, usa, 1937, 87 mn
Sommaren med Monika Un été avec Monika, Ingmar Bergman, Suède, 1953,
98 mn
Rocco e i suoi fratelli Rocco et ses frères, Luchino Visconti, Italie, 1960,
170 mn
Film néo-réaliste tardif : une famille abandonne sa Basilicate natale pour les
brumes milanaises. L’intrigue est concentrée sur trois personnages négatifs : le fils
perverti (Renato Salvatori), le fils chevaleresque (Alain Delon) et la prostituée
(Annie Girardot). “Du passé faisons table rase” semble dire le quatrième fils,
ouvrier chez Alfa-Romeo.
Petits rôles pour Roger Hanin, Paolo Stoppa et Suzy Delair.
86
Time bandits Bandits, bandits, Terry Gilliam, Grande-Bretagne, 1981, 116 mn
Film dans le style des Monty Python dont avait fait partie Gilliam. Une bande
de nains voleurs, Jack Purvis, etc. se promène dans le temps. Et croise Napoléon
(Ian Holm), Agamemnon (Sean Connery), Robin des Bois (John Cleese) dans un
sketch hilarant, le Mal (David Warner) et l’Être Suprême (Ralph Richardson) ;
et deux amoureux (Michael Palin et Shelley Duvall) à bord du Titanic.
Le film, qui montre une incroyable créativité visuelle, a pour seul défaut de
n’être qu’un divertissement pour enfants. Mais le futur Brazil (p. 34) est en
gestation à travers les horribles parents du garçonnet, rivés à une télévision où
alternent publicités débiles et jeux du cirque.
Musique de Mahler (sixième symphonie).
87
L’amore in città L’amour à la ville, Francesco Maselli & Cesare Zavattini
& Carlo Lizzani & Michelangelo Antonioni & Dino Risi & Alberto Lattuada &
Federico Fellini, Italie, 1953, 110 mn
Cesare Zavattini est le maître d’œuvre de cette série de six sketches. Il codirige
d’ailleurs celui de Francesco Maselli : une jeune femme “dénaturée” (snaturata)
abandonne son enfant avant de se raviser, ce qui rappelle un de ses précédents
scénarios, Umberto D. (p. 695).
Carlo Lizzani nous parle de prostitution, Michelangelo Antonioni de suicide.
Dino Risi nous emmène dans une salle de bal, humour grinçant. Et clin d’œil
d’Alberto Lattuada qui filme des “pépées” et les hommes qui suivent ces pépées,
ainsi que les rues de Rome où se déroule ce petit jeu.
Federico Fellini met en scène une jeune femme naïve et généreuse, un per-
sonnage qu’on retrouvera dans les films suivants (La strada, Les nuits de Cabiria,
pp. 529, 583) ; et dans Il bidone (p. 1559) avec la même Sue Ellen Blake.
Some like it hot Certains l’aiment chaud, Billy Wilder, usa, 1959, 122 mn
Film extrêmement drôle, même s’il lui manque cette touche de dérision qui
est la marque des grands films du maître. Comment oublier Tony Curtis et Jack
Lemmon travestis, l’un avec Marilyn Monroe, l’autre avec le milliardaire joué par
Joe E. Brown et la réplique finale “Nobody is perfect” ? Le film fait référence à la
Prohibition et au massacre de la Saint Valentin. Le gangster aux guêtres, Spats,
est joué par George Raft ; clin d’œil à la pièce de monnaie qu’il faisait sauter dans
Scarface (p. 422), une image dont l’acteur n’a jamais pu se séparer. Le sonotone
(anachronique) de l’exécution à la mitraillette renvoie à The big combo (p. 1556).
Le film, avec Michael Palin des Monty Python, est comme la sauce rallongée
de Monty Python and the Holy Grail (p. 1097). Plastiquement très réussi, il est
affligé d’un scénario laborieux ; l’affrontement avec le monstre inspiré de Lewis
Carroll – Through the looking glass, 1871 : “Beware the Jabberwock, my son !
The jaws that bite, the claws that catch !” – se fait trop attendre. Gilliam ne
trouvera son style qu’avec Time bandits (p. 87).
88
The kid Charles Chaplin, usa, 1921, 50 mn
C’est Alien (p. 479), sauce rallongée : Sigourney Weaver reprend le rôle
de Ripley, l’androïde étant joué cette fois-ci par Lance Henriksen. La chat que
Ripley allait chercher à la dernière minute est remplacé par une petite fille. Comme
toujours dans la série, la compagnie qui finance le voyage n’a qu’une idée en tête,
ramener un Alien qu’elle espère pouvoir utiliser à des fins pas très avouables.
Même si le monstre, véritable vedette du film, est très réjouissant, c’est un
tantinet longuet. Et les militaires qui se font décimer l’un après l’autre par la
bête, passablement conventionnels.
Le petit garçon du début du film semble sorti de The shining (p. 980).
Time without pity Temps sans pitié, Joseph Losey, Grande-Bretagne, 1957,
85 mn
89
Le bureau des légendes I Éric Rochant, France, 2015, 542 mn
Une légende est l’identité fictive, mais très cohérente, utilisée par un agent
secret à l’étranger. Cette première “saison” voit l’enlèvement et la libération
finale de l’agent Cyclone, posté en Algérie, et aussi les débuts d’une légende
féminine, Marina (Sara Giraudeau), en partance pour l’Iran, ainsi que les amours
de Malotru ( !) (Mathieu Kassovitz) avec une belle Syrienne qui le conduiront à
se vendre à la cia.
La série est bien insérée dans le contexte géopolitique de l’époque, avec ce
qu’il faut de mauvaise conscience et de coups tordus pour ne pas tomber dans
la jamesbonderie. Mais on est tout de même loin de John Le Carré.
Jean-Pierre Darroussin joue le chef du Bureau Duflot.
Outcast of the islands Le banni des îles, Carol Reed, Grande-Bretagne, 1951,
96 mn
D’après Jospeh Conrad. Comme dans Lord Jim (p. 987), Willems (Trevor
Howard), un individu déchu, est envoyé dans un comptoir perdu par son père
adoptif Lingard (Ralph Richardson). Aucune rédemption ici ; s’étant amouraché
de la belle Aissa (Kerima), il complote contre Almayer (Robert Morley), l’agent
de Lingard et perd l’appui de son protecteur qui le condamne à une vie de paria.
Bien que tourné à Ceylan, le film utilise des Occidentaux maquillés. George
Coulouris fait un Babalatchi plausible, mais Kerima – Miriam Charrière de son
vrai nom – passe difficilement en indigène : n’est pas Dorothy Lamour qui veut.
Avec Wendy Hiller et Wilfrid Hyde-White, déplaisant à souhait dans un petit rôle.
90
Footsteps in the fog Des pas dans le brouillard, Arthur Lubin, Grande-
Bretagne, 1955, 86 mn
Signé de l’immortel auteur de Francis, the talking mule (1950), le film s’ouvre
sur un enterrement. Le veuf éploré (Stewart Granger) nous rassure vite : il l’a
tuée. C’est ce que comprend aussi la soubrette (Jean Simmons) qui dicte alors
ses conditions. Dans cette Angleterre edwardienne, la pluie de l’enterrement fait
place au fog dont profite l’assassin qui tue la maîtresse-chanteuse ; ou plutôt croit
la tuer car, dans le brouillard, il s’est trompé de victime. Il finira par s’empoisonner
lui-même pour faire accuser la domestique, mais il a mal calculé la dose. . .
Moins coupable que dans Angel face (p. 90), le personnage de Jean Simmons
n’inspire cependant aucune sympathie. On reconnaît Finlay Currie en inspecteur
et William Hartnell en beau-frère, un peu maître-chanteur lui aussi.
Johnny Eager Johnny, roi des gangsters, Mervyn LeRoy, usa, 1941, 107 mn
Edward Arnold joue un procureur dont la fille (Lana Turner) est tombée
amoureuse du gangster Johnny Eager (Robert Taylor).
Tout ça est bien longuet et conventionnel. On mentionnera Van Heflin dans le
rôle du copain alcoolique de Johnny. Le comparse Julio est joué par Paul Stewart,
remarqué, la même année, dans Citizen Kane (p. 472).
91
Champagne Charlie Alberto Cavalcanti, Grande-Bretagne, 1944, 101 mn
Manbiki kazoku Une affaire de famille, Hirokazu Koreeda, Japon, 2018, 121 mn
Une drôle de famille où tout le monde s’est choisi. On travaille, bien sûr, mais
en trichant un peu sur tout. Le petit garçon fait ainsi ses commissions en volant
à l’étalage de la boutique Yamatoya ; le vieil épicier fermait sans doute les yeux.
Ce petit monde heureux finit par s’effondrer ; la “grand-mère” (Kirin Kiki)
meurt, puis le garçon se fait attraper, entraînant sa “famille” avec lui.
Cette maladresse du “fils” était volontaire : le gamin s’est laissé prendre pour
savoir si son “père” (Lily Franky) ne l’abandonnerait pas. Qu’est-ce qu’un père,
une mère ? C’est la question muette que semble se poser la petite fille, rendue
par la société à sa famille biologique qui l’ignore quand elle ne la maltraite pas.
Le film relate un épisode de guerre civile dans le Japon du xiie siècle avec le
célèbre Yoshitsune du clan Minamoto. Le ton humoristique est proche de celui
des films de samourais de Kurosawa des années 1960 : des guerriers se font passer
pour des moines et le fidèle Benkei va jusqu’à infliger, pour la bonne cause, une
correction à son maître, Yoshitsune. Les pitreries du porteur, joué par Ken’ichi
Enamoto, font penser à Toshirō Mifune dans Les sept samourais (p. 1597).
Le film fut interdit par le gouvernement japonais, comme ridiculisant le bu-
shidō. . . et par les Américains pour exaltation du militarisme. On aperçoit Takeshi
Shimura (de Ikiru, p. 45) et Masayuki Mori (de Hakuchi, p. 1594).
92
The apartment La garçonnière, Billy Wilder, usa, 1960, 125 mn
Une Amérique dystopique, rebaptisée Gilead, dirigée par une secte puritaine.
Les costumes de la caste des servantes renvoient d’ailleurs au Massachussetts du
xviie siècle ; cela tombe bien car l’action se passe à Boston. Le problème national
est la baisse de la fertilité, d’où ces servantes dédiées à la reproduction ; chaque
famille de patriciens (commanders) a la sienne, renommée d’après le maître des
lieux : ofFred, ofManuel, ofWarren, etc.
Le régime est nataliste et homophobe, il punit de mort les “gender traitors”.
Ce n’est pas tout à fait la Manif’ pour Tous, car les Noirs ne sont pas parqués
dans des zoos et on fait la chasse aux prêtres catholiques. C’est davantage une
secte évangéliste qui cite Saint Paul (Romains I, 26) pour étayer sa condamnation
de l’homosexualité.
Dans ce monde d’où toute relation sexuelle a été bannie, l’accouplement d’un
“commander” avec sa servante donne lieu à une saillie rituelle : la malheureuse
est placée entre les cuisses de l’épouse, légitime mais stérile, pendant que son
mari besogne. C’est ce qu’il y a de plus réussi dans cette première “saison”, même
si on est loin de The lobster de Yorgos Lanthimos (p. 1084).
La dimension religieuse du film se limite à la formule de politesse “Béni soit le
fruit” et sa réponse “Que le Seigneur l’ouvre”. Le film n’est que superficiellement
effrayant, car personne n’a l’air de croire en ces mots, contrairement à ce qu’il
se passe dans les modernes théocraties genre État Islamique.
On nous montre des forêts de pendus, mais nos héroïnes s’en tirent toujours,
même si l’une perd un œil et l’autre est livrée à la prostitution dans une mai-
son réservée aux “commanders”. Ces personnages-phénix sont la base-même des
séries, mais aussi leur limite.
93
The quiet American Un Américain bien tranquille, Joseph L. Mankiewicz,
usa, 1958, 122 mn
94
Ostře sledované vlaky Trains étroitement surveillés, Jiří Menzel, Tchécoslo-
vaquie, 1966, 93 mn
D’après un roman de Bohumil Hrabal. L’action se passe dans une petite gare
du Protectorat de Bohême-Moravie, où l’on consacre beaucoup de temps à faire
l’amour. Un employé sera d’ailleurs sanctionné pour avoir appliqué un tampon
officiel sur les fesses d’une jeune collègue. Quant au héros (Václav Neckář), il est
obsédé par l’éjaculation précoce, ce qui le conduit à une tentative de suicide ; il
reçoit alors les conseils d’un médecin (Jiří Menzel).
Mais, en cette année 1945, la guerre n’est pas finie et le Reich se rapproche
de la victoire à mesure que son territoire s’amenuise. C’est du moins ce que
prétend le grand chef (Vlastimil Brodský) venu de Prague dans son impayable
automobile-draisine avec laquelle il repart en marche arrière.
L’esprit de dérision du film est typique de l’éphémère nouvelle vague tchèque.
Constamment drôle, il est aussi touchant : on s’était attaché à ce jeune homme
gauche, et voilà qu’il meurt, presque par accident, aux derniers jours de la guerre.
95
The player Robert Altman, usa, 1992, 119 mn
Chef-d’œuvre du film noir, pourtant issu d’un studio fauché, prc, de “Po-
verty Row”. Les acteurs sont assez obscurs : on reconnaît, tout au plus, Esther
Howard en serveuse. La femme fatale (Ann Savage) est sans scrupule, hargneuse
à souhait ; elle voudrait cependant être aimée. . . Le héros (Tom Neal) porte dans
ses yeux toute la tristesse et la résignation du monde : “Le destin vous désigne
sans raison” dit-il en voix off alors que la police le ramasse.
96
Le bureau des légendes II Éric Rochant, France, 2016, 536 mn
Film misogyne de Mocky, bâclé et prétexte à une série d’épisodes pas même
amusants.
Liebe ist kälter als der Tod L’amour est plus froid que la mort, Rainer
Werner Fassbinder, rfa, 1969, 85 mn
Götter der Pest Les dieux de la peste, Rainer Werner Fassbinder, rfa, 1970,
88 mn
Pierre Véry, au scénario, et Serge Grave, dans un second rôle, font du film
une sorte de faux raccord aux Disparus de Saint-Agil (p. 41) : ce sont François
Périer, Serge Reggiani et Bernard Blier qui jouent les anciens élèves. L’histoire est
celle de l’agonie d’un collège qui coïncide avec la mort de son directeur (Pierre
Larquey). Fallait-il vraiment qu’il y ait une mort (Odile Versois) pour rendre cette
histoire pathétique ? La véritable mort est celle de l’enfance.
Petit rôle pittoresque de concierge pour Charles Vissières.
97
Napoléon Abel Gance, France, 1927, 344 mn
Le film est scandé par des moments épiques : la bataille de boules de neige
dans une Brienne bien montagneuse (on reconnaît Briançon), la fuite de Corse
sur une barque avec un drapeau français en guise de voile, avec une caméra
qui semble prise du mal de mer et des superpositions de la Convention et de
la guillotine, l’arrêt dans une Convention déserte sur le chemin de l’Italie et les
grands morts qui lui confient la République – de façon muette, heureusement,
ce qui évite la grandiloquence de La fin du monde (p. 718). Et puis la fin et ses
triptyques, dont certains sont raccordés assez exactement ; c’est le moment de
mentionner l’impressionnant travail de reconstitution de Kevin Brownlow.
Albert Dieudonné trouve le rôle de sa vie, avec son profil auquel répond l’aigle
qui traverse le film. Antonin Artaud joue Marat, Philippe Hériat est Salicetti et
Abel Gance, Saint-Just. Maurice Schutz joue Paoli ; dans Goupi Mains-Rouges
(p. 998), il sera “L’empereur” ! Edmond Van Daële est un Robespierre réfrigé-
rant. Gina Manès campe une excellente Joséphine ; on remarque la débutante
Annabella.
Pourquoi Gance a-t-il ajouté une calomnie à la légende noire de Robespierre en
lui faisant endosser l’emprisonnement de Bonaparte ? Ce dernier a bien passé dix
jours en prison, mais après le 9 Thermidor, sous l’inculpation de robespierrisme.
C’est malheureusement Giono qui adapte son roman. Il n’a pas le sens du
dialogue cinématographique : le procureur (Charles Vanel) nous assène un peu
trop de “Je suis un goûteur d’âmes”.
Bien qu’un peu raté de ce fait, le film de Leterrier (acteur chez Bresson, dans
Un condamné à mort s’est échappé, p. 232), reste très attachant. Les scènes
de neige sont particulièrement réussies : sur le fond blanc, se détachent, en
noir, les deux silhouettes du gendarme et de l’assassin lequel, inversant les rôles,
s’assure que son poursuivant n’a pas perdu sa trace. Ou encore, en rouge, l’habit
de l’enfant qui accompagne Vanel ; sans parler de cette espèce de calligraphie
vermillon que trace le sang de l’oie décapitée répandu sur la neige.
La chanteuse Colette Renard joue Saucisse, mère maquerelle à la retraite ;
“L’amour, c’est le théâtre du pauvre”, dit-elle. Le théâtre du roi, c’est le meurtre ;
on tue par désœuvrement, contre l’ennui, quitte à se tuer soi-même. Albert Rémy
et le bégayeur professionnel Pierre Repp jouent de petits rôles.
Le roman de Giono, situé dans le Trièves, a été dépaysé en Aubrac, peut-être
pour avoir davantage de neige. Il manque le troisième couplet de la complainte
chantée par Jacques Brel (le second passe deux fois, sans doute par erreur). “Et
tous ces loups qu’il faut tuer, tous ces printemps qu’il reste à boire”.
98
The long goodbye Le privé, Robert Altman, usa, 1973, 112 mn
Le film oppose deux jeunes femmes sans grands repères dans la vie. Appar-
tement un peu squatté, petits boulots et petites amours avec des gars du même
genre qu’elles, mais moins mignons (des videurs). L’une des deux (Natacha Ré-
gnier) devient la proie d’un fils à papa qui la jette comme un Kleenex, ce qui
provoque déprime et suicide.
L’autre (Élodie Bouchez), est généreuse ; elle s’intéresse à l’occupante of-
ficielle de l’appartement, dans le coma à la suite d’un accident. Personnage
particulièrement réussi et touchant, elle passe du temps à l’hôpital auprès de
la malade et s’en va sur la pointe des pieds quand celle-ci sort de sa léthargie.
On ressent une impression de déchirure quand le film s’arrête. C’est sans
doute dû à la sobriété des dialogues et au jeu des actrices.
99
Vautrin Pierre Billon, France, 1943, 116 mn
100
Deux hommes dans Manhattan Jean-Pierre Melville, France, 1959, 84 mn
Criss cross Pour toi j’ai tué, Robert Siodmak, usa, 1949, 88 mn
Un des grands films de Siodmak, avec, comme pour The killers (p. 478), Burt
Lancaster, la femme fatale étant ici jouée par Yvonne De Carlo. Le centre de
gravité du film est un bar, avec sa pocharde, où trône Percy Helton en serveur.
Tout cela ne peut finir que très mal, les deux amants seront exécutés par le
terrifiant chef de gang campé par Dan Duryea. Une sirène de la police, sans
doute prévenue par le Code, nous rassure : l’assassin du couple sera puni.
Séquence angoissante où le héros, hospitalisé, est veillé par un douteux visiteur
nocturne (Robert Osterloh).
Le film nous parle d’un petit monde, celui des “plombiers” qui viennent de
s’illustrer avec le Watergate. Gene Hackman est un solitaire taiseux et facile-
ment ombrageux, spécialisé dans l’espionnage sonore. Et voici qu’il enregistre
une conversation où il est question d’un meurtre, dont il ne comprendra les te-
nants et aboutissants que bien trop tard.
Tourné entre les deux premiers Parrains (p. 461), le film n’ambitionne pas
d’être un blockbuster : il ne fait aucune concession commerciale. La dernière sé-
quence montre le héros dépeçant son appartement à la recherche d’un micro (il
vient d’être menacé au téléphone par Harrison Ford) : tout y passe, plinthes, pa-
piers, faux parquets. Seul dans cet espèce de champ de bataille, comme retourné
à un état primal, il se met alors à jouer du saxophone.
John Cazale, trop tôt disparu, est le collègue du héros. On aperçoit Robert
Duvall en victime du meurtre.
101
La ronde Max Ophüls, France, 1950, 93 mn