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Vu du canapé

The Paradine case Le procès Paradine, Alfred Hitchcock, usa, 1948, 114 mn

Hitchcock mineur, ce qui veut seulement dire qu’il n’est pas génial. La faute
en revient au producteur Selznick qui, à son habitude – voir Leslie Howard dans
Gone with the wind (p. 476) – impose des distributions aberrantes : dans l’op-
position entre Gregory Peck et Louis Jourdan, le premier aurait dû être plus
aristocratique, sans accent américain (genre Ray Milland), l’autre plus peuple
(genre Joseph Cotten). Charles Laughton est, quant à lui, parfait dans son rôle
de juge pendeur, une espèce de vieux cochon affriolé par l’épouse de Gregory
Peck (Ann Todd, très bien elle aussi).
Notorious (p. 982) est le seul Hitchcock/Selznick à être génial. Mais c’est
l’exception qui confirme la règle : Selznick avait dû vendre, clefs en main, le
projet à la rko, ce qui l’a empêché de remplacer Cary Grant par Joseph Cotten.
La scène d’incarcération annonce celle de The wrong man (p. 1282) : c’est
une protestation contre le fait de disposer de la liberté d’autrui, même celle d’une
criminelle (Alida Valli). C’est dans ce type de détail que s’exprime le catholicisme
de Hitchcock – mieux que dans I confess (p. 1229) plombé par le flash-back
central.

Une chambre en ville Jacques Demy, France, 1982, 88 mn

Avec les mêmes partis pris que Les parapluies de Cherbourg (p. 129), le ton
doux-amer ayant laissé place au tragique. Michel Legrand n’est pas au rendez-
vous, mais la musique de Michel Colombier sait être touchante, notamment dans
les scènes de groupe – piquets de grève, etc. On reconnaît le passage de la
Pommeraye, cher à Demy ; Michel Piccoli y vend des téléviseurs, affublé d’un de
ces horribles “colliers”, la barbe du pauvre qui sévissait dans ma jeunesse chez les
instituteurs. Il retrouve dans ce film, après Les demoiselles de Rochefort (p. 633),
Danielle Darrieux, extraordinaire baronne alcoolique ; ce personnage relie le couple
d’amants formé par Dominique Sanda, sa fille, et Richard Berry, son locataire.
Sorti en même temps que le blockbuster L’as des as, le film a pâti d’une mal-
adroite polémique. En opposant le gros public des belmonderies à celui, raffiné,
qui va voir des films un peu chiants, c’est le baiser de la mort qu’on lui donnait.

1
Remorques Jean Grémillon, France, 1940, 85 mn

D’après un roman breton de Roger Vercel. Henri Poupon et Charles Blavette,


acteurs de Pagnol, jouent dans le film, mais Blavette garde son accent. Sans
corriger le tir au moyen d’un sobriquet genre “le Marseillais” : il s’appelle Tanguy !
Défaut similaire dans un autre film de Grémillon, L’amour d’une femme
(p. 1103). Massimo Girotti y joue un ingénieur italien de passage en Bretagne. Il
aurait été normal de le faire parler français avec un accent italien. On a préféré
le doubler, ce qui sonne aussi faux que l’accent méridional de Blavette.
Retrouvailles Gabin/Morgan après Le quai des brumes (p. 10). Composition
émouvante de Madeleine Renaud, actrice récurrente de Grémillon.

Blanche Fury Jusqu’à ce que mort s’ensuive, Marc Allégret, Grande-Bretagne,


1948, 94 mn

Film en Technicolor, supérieur à la moyenne des films de son auteur. On


remarque au générique l’inévitable Natalie Kalmus, experte couleur imposée par
contrat par son ex-époux, inventeur du procédé. Mme Kalmus ne semble avoir
été bonne qu’à toucher des royalties. En 1950, la législation change et personne
ne requiert plus ses services de “color consultant”.
Les acteurs sont excellents, en particulier Stewart Granger, né pour porter
le costume (Scaramouche, p. 525, Beau Brummell, p. 1639, l’ambigu Fox de
Moonfleet, p. 38) dans le rôle de Philip Thorn. Et, dans le rôle de Laurence Fury,
Michael Gough dont on se rappelle surtout la composition dans Crimes au musée
des horreurs (p. 393).
Dans cette histoire d’héritage, il n’y a que des coupables : le spoliateur Lau-
rence Fuy et le spolié Philip Thorn devenu assassin, ainsi que Blanche Fury
(Valerie Hobson) qui a fermé les yeux sur le meurtre de son époux. Tout ce
monde paye de sa vie, ainsi que la fille du spoliateur, seule innocente du film.
Après toutes ces morts, ne reste qu’un nouveau-né, réconciliation post mortem
du spoliateur et du spolié. Un peu comme dans la Tétralogie de Wagner, on
retourne au statu quo ante.
Au cinéma, les poneys ne semblent servir qu’à tuer les enfants : voir Gone
with the wind (p. 476) et Barry Lyndon (p. 403).

La flor de mi secreto La fleur de mon secret, Pedro Almodóvar, Espagne,


1995, 105 mn

Cinéaste des femmes, ici autour de Marisa Paredes. Le film est un vrai plaisir,
mais laisse un peu sur sa faim. Dans le genre film de femmes, Volver (p. 1624)
sera nettement plus réussi.

2
Capitaine Conan Bertrand Tavernier, France, 1996, 132 mn

On a bien oublié Roger Vercel, romancier de la mer (Remorques, p. 2, Jean


Villemeur ) qui obtint le Goncourt 1934 pour ce roman guerrier. L’interprétation,
magistrale, est dominée par Philippe Torreton qui joue un français ordinaire,
magnifié par une guerre qui révèle sa nature de tueur. La boucherie terminée, il
retourne en Bretagne où il s’éteint entre le café et la mercerie de sa femme.
Le film montre une improbable Fréhel, qui ne ressemble guère au monstre
qu’on voit au cinéma à partir de Cœur de lilas (p. 1614).
Le personnage d’Erlane – engagé trouillard – fait penser à Montherlant qui
avait réussi à se faire réformer pour “hypertrophie cardiaque” – ce qui ne l’empê-
cha pas, après guerre, de pratiquer des sports violents. Comme il voulait cepen-
dant “la faire”, il se fit pistonner dans un service de l’arrière, où il reçut, contre
toute attente, quelques éclats d’obus d’une batterie allemande qui ignorait sans
doute les bonne manières.

Aniki Bóbó Manoel de Oliveira, Portugal, 1942, 68 mn

Magnifiques images de Porto – son pont “Eiffel”. Le film utilise un format


étrange et assez casse-gueule, l’histoire d’adultes jouée par des enfants. Ainsi,
Bugsy Malone (1976), film de gangsters, est-il un ratage absolu : passée la
surprise initiale, on n’arrive pas à accrocher à cette histoire où les balles de
mitraillette sont devenues des bonbons, etc.
Il y a ici un véritable méfait : le vol d’une poupée, et une véritable tragédie,
l’enfant qui fait une chute accidentelle attribuée à son rival amoureux. Un senti-
ment d’irréalité l’emporte, car les adultes sont absents. La seule exception est le
marchand bienveillant, qui ne cherche en aucune façon à se venger.
On ne sait trop s’il faut sourire ou s’émouvoir, mais cela finit par marcher.
Dans les films japonais des années 1930 (Ozu, Naruse), le thème de l’enfant
accidenté, souvent renversé par une voiture, est courant. Il sert de catalyseur
social : comment payer les soins, alors que le père n’a pas de travail ?

Un carnet de bal Julien Duvivier, France, 1937, 130 mn

“Ils ont tous trahi leur jeunesse”. À la recherche de ses anciens soupirants, une
jeune veuve (Marie Bell) ne trouve que désillusions. Superbe distribution pour ce
film à sketches dont le plus impressionnant utilise des cadrages obliques : près
du pont transbordeur de Marseille, un médecin borgne aux sens propre et figuré
(Pierre Blanchar), finit par tuer sa compagne, une virago jouée par Sylvie.
Le jeune Robert Lynen devait être arrêté par la Gestapo et assassiné quelque
part en Allemagne. Musique de Maurice Jaubert, La valse grise.

3
A matter of life and death Une question de vie et de mort, Michael Powell,
Grande-Bretagne, 1946, 104 mn

Film de propagande exaltant l’amitié anglo-américaine, qui évite cependant


les pièges de l’exercice. Le Paradis en noir, la Terre en couleurs, comme plus
tard dans Der Himmel über Berlin (p. 1623). C’est, d’ailleurs, le second film
en couleurs de Powell après Colonel Blimp (p. 1019) – voire le troisième si l’on
compte la co-réalisation The thief of Bagdad (p. 169). Images étonnantes comme
cet escalier mécanique qui monte au Ciel.
On reconnaît, dans de petits rôles : Katherine Byron qu’on retrouvera dans
Le narcisse noir (p. 1232) et Richard Attenborough, encore chevelu.

The letter La lettre, William Wyler, usa, 1940, 95 mn

Bette Davis opposée à Herbert Marshall comme dans La vipère (p. 175).
L’acteur avait perdu une jambe pendant la Grande Guerre, mais on ne s’en
aperçoit guère. Il semble n’avoir jamais joué d’unijambiste – de peur, sans doute,
de perdre son image d’homme “normal” auprès du public – pas même dans un
film de pirates comme Anne of the Indies (p. 1622).
Gale Sondergaard, remarquable, campe une Asiatique cupide, calculatrice et
cruelle à souhait. Sa carrière devait tourner court quelques années plus tard :
mariée à Herbert Biberman, l’un des Dix de Hollywood, elle fut blacklistée.

The wolf man Le loup-garou, George Waggner, usa, 1941, 70 mn

Le point fort du film est la photo : superbes scènes nocturnes. L’interprétation


laisse à désirer : Lon Chaney Jr. ne fait pas oublier son père – ceci dit, un acteur
empoté est assez à sa place dans cette histoire de monstre-malgré-lui. Seule
Ouspenskaïa, en gitane, tire son épingle du jeu ; Bela Lugosi ne serait pas mal
non plus s’il ne mourrait pas au début du film. Scénario de Curt, frère de Robert
Siodmak, spécialiste de la greffe de cerveau (Black friday, p. 1033).

Panique Julien Duvivier, France, 1946, 98 mn

La noirceur bien connue de Duvivier donne à la fin de cette histoire, qui


adapte Les fiançailles de M. Hire de Simenon, une allure de chasse à l’homme,
de mise à mort collective. Ne tenant plus à la vie que du bout des doigts, Michel
Simon, accroché à sa gouttière, est comme crucifié par la petitesse et la bêtise
des habitants du quartier, presque aussi coupables que le voyou assassin (Paul
Bernard, qui s’encanaille pour ce rôle) et sa maîtresse (Viviane Romance, abonnée
aux rôles de garce).

4
The woman in the window La femme au portrait, Fritz Lang, usa, 1944,
99 mn

Wanley (Edward G. Robinson) est monté prendre un verre chez Alice (Joan
Bennett) qu’il vient de rencontrer. Tout se gâte lorsque l’amant jaloux de la
belle fait irruption ; Wanley est amené à le tuer en légitime défense, puis à se
débarrasser du cadavre. Il est très embarrassé quand ses amis, un juge et un
médecin, le font participer à l’enquête sur la mort du personnage, qui était une
huile. De plus un individu douteux (Dan Duryea), qui a tout vu, fait chanter le
couple. Tout s’arrange in extremis ; mais trop tard pour Wanley qui s’est suicidé.
Et se réveille d’un mauvais rêve, car il s’agit en fait d’un cauchemar ciné-
matographique. Du rêve, le film garde tous les éléments angoissants ; il est, par
contre, totalement cohérent, alors que les personnages, les décors d’un vrai rêve
changeraient ou se déroberaient. Le spectateur apprend ainsi à la fin que cette
histoire n’a pas eu lieu. Allez donc savoir pourquoi “ce n’était qu’un rêve” est
plus rassurant que “ce n’était qu’un film” !
Dans le rôle du médecin, l’Écossais Edmund Breon, le Juve de Fantômas
(p. 1031). Robinson, Bennett et Duryea se retrouveront dans Scarlet street
(p. 1049).

Sherlock Holmes and the secret weapon Roy William Neill, usa, 1942,
69 mn

Sherlock Holmes contemporain (cf. pp. 9, 11, 490, 1091 et 1617) : il participe
ici à l’effort de guerre. Avec Basil Rathbone et Nigel Bruce, tous deux parfaits
dans leurs rôles respectifs. On y trouve aussi des seconds rôles récurrents, Dennis
Hoey en Lestrade et Harry Cording, aux faux airs de Lénine, en méchant.
Moriarty, l’ennemi mortel de Sherlock Holmes, n’apparaît pratiquement pas
chez Conan Doyle. Mais le cinéma a largement compensé cette lacune ; ici c’est
Lionel Atwill qui joue ce personnage diabolique.
L’histoire est vaguement inspirée d’une histoire originale de Conan Doyle,
The dancing men, exemple de cryptographie à trois sous. En règle générale, le
raisonnement est le point faible de Sherlock Holmes. Sa logique tant vantée n’est
qu’une inversion des causes et des conséquences : si c’est plus cher, c’est mieux,
si Untel a eu une récompense, c’est qu’il est bon ; et quand il y a crime, cherchez
les sales gueules. On a voulu, sous le nom d’“abduction”, faire passer ce type de
raisonnement, aussi foireux qu’inévitable, pour de la logique. Le rôle de la logique
est, au contraire, de débusquer ce genre d’ânerie, mère de tous les racismes.
Rien n’empêche cependant de trouver plaisir aux élucubrations de Sherlock
Holmes malgré – ou à cause de – leur irrationalité. Faut-il d’ailleurs croire aux
vampires pour aimer Dracula ?

5
Noi vivi Nous les vivants, Gofreddo Alessandrini, Italie, 1942, 174 mn

D’après Ayn Rand, philosophesse américaine icône des libertariens : son “ob-
jectivisme” est une espèce de réalisme léniniste où le prolétariat a été remplacé
par les premiers de cordée. Le film The fountainhead (1948) exprime bien cette
conception.
Il s’agit ici de ses souvenirs de l’urss avant qu’elle ne devienne figurante
pour The king of kings (p. 76) et ne s’installe aux usa. Pour cause de guerre,
son roman fut adapté sans les droits – même problème pour Ossessione (p. 22),
adaptation non autorisée de James Cain. Et le film interdit en conséquence après
guerre jusqu’à ce qu’Ayn Rand en prenne le contrôle. On peut le voir en dvd
dans une version expurgée qui ne retient que 80% du métrage original. Les cou-
pures peuvent être (stoïquement) visionnées sur un disque auxiliaire : une très
longue, de 18 mn concerne un cousin délateur qui envoie sa sœur à une mort
probable en Sibérie. Cette coupure est une discutable simplification de l’intrigue,
car elle sacrifie la famille de Kira. D’autres coupures, qui concernent des ajouts du
scénariste, me semblent aller à l’encontre du minimum de licence qu’on concède
habituellement à une adaptation : les guépéistes tuent une nonne, sans doute
pour marquer qu’ils sont ces sans-Dieu combattus par Mussolini, mais pourquoi
pas ? La seule de ces coupures à être vraiment justifiée montre le vieux bolché-
vik Timochenko qui, avant de se suicider, dit ses quatre vérités au spéculateur
Morozov : “Tu es un de ces sales Juifs qui ont confisqué la révolution pour faire
leurs petites affaires”. Cela donne au film une dimension antisémite qui en altère
le sens.
De façon étrange, le seul personnage masculin positif est Andreï, joué par
Fosco Giachetti, acteur du fascisme qu’on ne verra plus dans des films importants
– sauf Les maudits (p. 1379). Ce “bon guépéiste” est d’ailleurs un trostkyste, à
en croire la tranche de son livre de chevet. Le beau Leo (Rossano Brazzi) dont
Kira (Alida Valli) est amoureuse est, par contre, mouillé jusqu’au cou dans les
trafics. On remarquera que ces spéculateurs renvoient aux méchants “nepmen”
des films soviétiques (Boris Barnet, etc.) des années 1920 ; ici, ils sont en cheville
avec des communistes influents qui finiront par avoir la peau du vertueux Andreï.
On sent, malgré tout, une certaine ambivalence quant au communisme, que
ce soit de la part d’Ayn Rand ou de son adaptateur fasciste. La première édition
du roman avait d’ailleurs laissé échapper cet aveu : j’admire vos méthodes (celles
du Guépéou) mais je méprise vos idéaux – “I loathe your ideals. I admire your
methods”. Ce que pourraient d’ailleurs dire les fascistes qui n’ont pas hésité à
singer le communisme. Comme toujours, le Fond et la Forme ont bon dos : pour
paraphraser Larquey dans la salle de classe du Corbeau (p. 1578), où est le fond,
où est la forme ?

6
Naniwa erejı̄ L’élégie de Naniwa, Kenji Mizoguchi, Japon, 1936, 69 mn

Le théme mizoguchien par excellence, celui de la femme qui s’abaisse pour


aider son frère, son père ou celui qu’elle aime. Et qui ne reçoit en retour que le
mépris qui s’attache aux filles perdues. Voir aussi Osen aux cigognes de papier
(p. 1260) et Une femme de Tōkyō (p. 85). L’actrice Isuzu Yamada sera la “Mme
Macbeth” du Château de l’araignée (p. 867).
Naniwa est l’ancien nom d’Ōsaka. Le décor suggère d’ailleurs la présence de
canaux.

Evil under the sun Meurtre au soleil, Guy Hamilton, Grande-Bretagne, 1982,
117 mn

Produit de consommation courante réalisé par un un tâcheron spécialisé dans


les blockbusters comme Goldfinger (p. 476).
C’est de l’Agatha Christie, i.e., le genre d’histoire policière que les jeunes filles
de bonne famille avaient le droit de lire dans ma jeunesse : les criminels y tuent,
certes, mais en respectant les convenances. Avec sa sempiternelle mécanique du
whodunit basée sur l’estimation de l’heure du meurtre, faussée comme il se doit.
Ce monument d’académisme vaut pour ses décors et une remarquable inter-
prétation emmenée par Peter Ustinov qui reprend le rôle d’Hercule Poirot qu’il
tennait dans Death on the Nile (p. 442). Dans les petits rôles on remarquera :
Maggie Smith (The prime of Miss Jean Brodie, p. 1167), Colin Blakely qui fut
un acceptable Watson dans The private life of Sherlock Holmes (p. 83) et Sylvia
Miles, la femme au petit chien de Macadam cowboy (p. 563).

Un drôle de paroissien Jean-Pierre Mocky, France, 1963, 80 mn

Un film de gendarmes et de voleurs, un genre que Mocky devait reprendre


dans Les compagnons de la marguerite (p. 669) et d’autres films moins réussis.
Les acteurs sont extraordinaires et Mocky a toujours su les utiliser, même dans
des rôles insignifiants. Quand on a vu pas mal de ses films, on finit par placer des
noms sur les têtes récurrentes, Gérard Hoffman, Jean-Claude Rémoleux, Roger
Legris, etc. Ici, deux vétérans du cinéma sont particulièrement bien servis : Marcel
Pérès et Jean Tissier.
Dans les rôles principaux, Francis Blanche et Bourvil en noble désargenté
portant raie au milieu, bien loin de ses habituels ahuris. Véronique Nordey, qui
joue sa sœur, était la madame Mocky de l’époque.
Visiblement imposé par la production, le carton initial prétend désamorcer la
charge anticléricale de cette histoire de pilleurs de troncs. Mocky s’en sort en se
qualifiant d’“aimable irresponsable”.

7
The man who knew too much L’homme qui en savait trop, Alfred Hitch-
cock, usa, 1956, 120 mn

Remake du film de 1934 (p. 437 où Pierre Fresnay jouait le rôle tenu ici par
Daniel Gélin.
Doris Day lance une scie qu’on ne cessera d’entendre dans toutes les langues :
Que sera sera. C’est le troisième des quatre films de James Stewart pour Hitch-
cock ; Cary Grant en a, lui aussi, tourné quatre. Leo G. Carroll six, mais ce ne
sont que des seconds rôles.
On voit, au début, Marrakech dans un Maroc sous protectorat pour encore
quelques mois. Le pauvre James Stewart ne sait où mettre ses jambes au restau-
rant, encore moins se servir avec ses doigts. On mentionnera aussi la fausse piste
du début, celle du taxidermiste : elle ne joue aucun rôle dans l’intrigue, mais quel
décor inquiétant !
Reggie Nalder est plus un visage terrifiant qu’un acteur. On regrette qu’Hilary
Brooke n’ait qu’un rôle de figuration. Brenda de Banzie, qui venait de se faire
remarquer dans Hobson’s choice (p. 1561), le dernier David Lean en noir et
blanc, est une criminelle ambiguë. Le film la laisse en plan ; elle sera sans doute
victime d’une purge. On pense à la fin de Notorious (p. 982) et du sort qui attend
l’infortuné Claude Rains.

Austin Powers : international man of mystery Austin Powers, Jay Roach,


usa, 1997, 90 mn

C’est une parodie de James Bond ; mais la parodie est un format assez casse-
gueule.
L’acteur Mike Myers joue deux rôles, un pastiche d’Ernst Stavro Blofeld,
chef du redoutable spectre, d’une part, un super-agent psychédélique qui ne
ressemble en rien à James Bond de l’autre : surgelé en 1967 il a été dégelé au
bout de 30 ans. Tout est fort drôle, parfois à la limite de la vulgarité, mais du
bon côté. Par exemple, l’assistante du Dr. Evil s’appelle Alotta Fagina, ce qui
renvoie à Pussy Galore de Goldfinger (p. 476).

Aguirre, der Zorn Gottes Aguirre ou la colère de Dieu, Werner Herzog, rfa,
1972, 94 mn

La rencontre d’un cinéaste fou avec un acteur qui l’est encore plus. C’est le
meilleur film de Klaus Kinski, parce qu’Aguirre lui ressemble. Par moment, on se
croirait dans Richard iii.
Musique planante de Popol Vuh.

8
Aparajito L’invaincu, Satyajit Ray, Inde, 1956, 110 mn

Le second et le plus émouvant volet cette trilogie d’Apu – qu’on prononce


apparemment Opou – rythmée par la mort : la sœur à la fin de Pather panchali
(p. 129), la jeune épouse au milieu d’Apur sansar (p. 130). Ici, il y carrément
deux décès : celui du père, au début, signalé par un envol d’oiseaux – noirs car
filmés en contre-jour – et, à la fin, celui de la mère, beaucoup moins soudain.
C’est un film de trains : on circule beaucoup, Bénarès, Calcutta et la cam-
pagne où s’éteint la mère qui attend, en vain, son fils en guettant, justement, les
locomotives qui passent en fumant à l’arrière-plan. Une fois, le fils rate son train
exprès pour donner une jour de présence supplémentaire à cette mère – admira-
blement jouée par Karuna Bannerjee. La seconde fois, il arrivera trop tard.

Terror by night Le train de la mort, Roy William Neill, usa, 1946, 60 mn

Un autre Sherlock Holmes “contemporain” (cf. pp. 5, 11, 490, 1091 et 1617)
avec le duo Rathbone/Bruce. Intrigue à tiroirs dans un train avec sa cohorte
de faux suspects. Les habituels Dennis Hoey (Lestrade) et Harry Cording (en
fabriquant de cercueils). Et aussi l’inquiétant Skelton Knaggs dans un rôle de
tueur. Comme Moriarty est mort à pluisieurs reprises dans les épisodes précédents,
il a sans doute épuisé ses sept vies ; c’est ici un Colonel Sebastian Moran qui lui
sert de substitut. Curieux, ces génies du crime surgis de nulle part et qui ne
durent qu’un épisode. Moran est joué par Alan Mowbray qui incarne, la même
année dans My darling Clementine (p. 1571), un acteur de passage à Tombstone.

L’homme qui aimait les femmes François Truffaut, France, 1977, 114 mn

Dans cette superbe galerie de femmes, se détachent Nelly Borgeaud, la tordue


dangereuse et Brigitte Fossey, la responsable d’édition. Leslie Caron campe la
blessure secrète de Morane (Charles Denner), la seule femme qu’il ait jamais
aimée. Moment mémorable du film, celui où Morane console une fillette : “Tout
en pleurant, tu sens un petit plaisir, n’est-ce pas ?”
Morane est un fétichiste de la guibole : une femme en pantalon (Nathalie
Baye) ne l’intéresse pas. “Les jambes de femmes sont des compas qui arpentent
le Globe en tout sens et lui donnent son équilibre et son harmonie.”
La barrette en forme de flèche dans les cheveux de la serveuse judoka est une
citation de Man hunt (p. 172). Morane exerce une profession qui l’amène à faire
joujou avec des maquettes de navires et qu’on ne voit guère que chez Truffaut
(La femme d’à côté, Domicile conjugal, pp. 1029, 474).
Le film développe l’épisode Denner de La mariéé était en noir (p. 610). Jean
Dasté joue un médecin et le metteur en scène Roger Leenhardt un éditeur parisien.

9
Die Puppe La poupée, Ernst Lubitsch, Allemagne, 1919, 65 mn

Film muet tourné à Berlin. Lubitsch y apparaît au début comme une espèce
de montreur de marionnettes ; il se donnera un vrai rôle dans Sumurun (p. 1362).
L’histoire, une jeune femme – Ossi Oswalda – qui se fait passer pour la poupée
faite à son image, est tellement invraisemblable que seul un traitement ouverte-
ment fantaisiste peut faire avaler la pilule. C’est ainsi que les chevaux sont des
hommes recouverts d’une couverture ; doués de parole, ils sont capables de dire
qu’ils sont fatigués.

Hannah and her sisters Hannah et ses sœurs, Woody Allen, usa, 1986,
107 mn

Un des meilleurs Woody Allen, surpassé cependant par Crimes and misdemea-
nors (p. 964) dont il n’a pas la noirceur absolue. Tout se termine relativement
bien, en particulier pour le couple Dianne Wiest/Woody Allen. Le peintre joué
par Max von Sydow est, par contre, tragique : incapable du moindre compromis,
il sera abandonné par sa femme (Barbara Hershey), son unique contact avec le
monde, dit-il. La mère des trois sœurs est jouée par la véritable mère de Mia
Farrow, Maureen O’Sullivan qui fut la Jane des six premiers Tarzan (p. 180).

Le quai des brumes Marcel Carné, France, 1938, 92 mn

D’après Pierre MacOrlan, un film typique du “réalisme poétique” ; le réalisme


peut pas exister que comme construction, d’où les adjectifs “poétique”, “socia-
liste”. Le réalisme à la Carné-Prévert est particulièrement éloigné de la réalité :
où verra-t-on un peintre dire, comme Le Vigan, “Un nageur pour moi, c’est déjà
un noyé”. . . avant, justement d’aller se noyer ? Michel Simon, qui joue l’horrible
oncle de Michèle Morgan, a les meilleures répliques. “Vous voulez me faire peur,
alors que je n’arrive pas à me faire peur à moi-même ?” “Est-ce qu’il y a quelqu’un
qui m’aime, moi ?” Devenu gloire nationale, Prévert sera nettement plus confor-
miste. Ce mangeur de curés cautionnera même une censure de Victor Hugo : la
laïcisation de l’archidiacre libidineux Frollo dans le très académique Notre-Dame
de Paris (p. 391).
Parmi les acteurs, Roger Legris qu’on retrouve dans des petits rôles chez Mo-
cky dans les années 1960. Et Raymond Aimos qui mourra dans des circonstances
obscures sur les barricades parisiennes de 1944, victime peut-être d’un règlement
de comptes. Édouard Delmont joue Panama, le patron du café.
Le film s’ouvre et se referme sur un chien errant, une image qui renvoie au
déserteur joué par Jean Gabin. Inoubliable musique de Maurice Jaubert.

10
Malombra Mario Soldati, Italie, 1942, 130 mn

Le chef-d’œuvre du calligraphisme italien : le lac de Côme vers 1880 et


l’enfermement. L’héroïne, jouée par Isa Miranda, n’est nullement sympathique,
contrairement à celle (Alida Valli) du précédent film tiré d’Antonio Fogazzaro
Piccolo mondo antico (p. 1215). Malombra est enfermée en elle-même, dans ses
fantômes et ses rêves. L’homme qu’elle aime (Andrea Checchi) – mais peut-elle
aimer ? – serait une réincarnation, pas étonnant qu’elle le baptise Renato, i.e.,
René. La dernière scène – le repas funèbre – est d’une beauté incroyable.
Parmi les acteurs, la monstresse moustachue Ada Dondini qui avait un rôle
encore plus déplaisant dans Piccolo mondo antico.
On remarque que les acteurs utilisent le “Voi” (Vous) imposé par Mussolini
au détriment du “Lei” (Elle). Même en admettant que la loi puisse changer le
langage, comment censurer des personnages du passé et les faire parler “correcte-
ment” ? Ce “Voi” très peu italien s’est paradoxalement maintenu dans le cinéma
transalpin jusqu’au milieu des années 1950.
Les opposants calligraphistes au fascisme comme Soldati n’ont rien fait de
bien remarquable après guerre. Le renouveau du cinéma italien est venu de l’autre
bord, de Rossellini qui avait signé, par exemple, un Uomo dalla croce (p. 580) à
la gloire de cette croisade anti-bolchévique qui aller se terminer en piquette.

Dressed to kill La clef, Roy William Neill, usa, 1946, 72 mn

Le dernier de la série des Rathbone/Bruce qui comporte 14 films (pp. 5, 9,


488, 490, 1091 et 1617), 11 étant réalisés par Neill, dont la mort a sans doute
interrompu le cycle. L’histoire est, comme toujours, invraisemblable : un secret
est réparti entre trois boîtes à musique. Ce secret n’est autre que le nom du Dr.
Samuel Johnson ! La cryptographie musicale est un MacGuffin typique, utilisé
par exemple dans Une femme disparaît (p. 457), où un traité secret serait codé
musicalement – enfoncée la musique sérielle !
Sherlock Holmes est toujours aussi condescendant, il donne du “My dear
fellow”, i.e., “Mon ami” ou “Mon brave”, à ce pauvre Watson, toujours aussi
couillon : il faut le voir imitant un canard !
Question interprétation, le récurrent Harry Cording a, pour une fois, un rôle
un peu étoffé : avec sa casquette à la Lénine, il campe Hamid, chauffeur-tueur.
On remarquera aussi la logeuse habituelle du 221B, Baker street, Mary Gordon.
Il manque Dennis Hoey, l’inspecteur Lestrade de la série.
Edmund Breon campe Stinky, vieillard un peu libidineux. En 1914, le cinéma
n’étant pas parlant, cet écossais avait pu incarner Juve dans Fantômas (p. 1031).
On remarquera aussi un acteur au visage très familier, Ian Wolfe : plus de
300 rôles au cinéma. Moins que Dominique Zardi, cependant !

11
Nostalghia Andreï Tarkovski, Italie, 1983, 121 mn

Les images rappellent souvent Stalker (p. 56) : une église dans l’eau, la
pluie qui tombe du plafond, la piscine sulfureuse que le héros (Oleg Yankovsky)
traverse, une bougie allumée à la main, avant de s’effondrer mort. Cette déam-
bulation un peu absurde résume le spiritualisme abscons du film ; elle répond au
suicide par le feu du “fou” (Erland Josephson) au Capitole.
On retrouve aussi Le miroir (p. 549) dans des passages en sépia censés évo-
quer la lointaine Russie. Le dernier plan du film qui découvre une datcha enserrée
entre les murs d’une cathédrale en ruines renvoie à la fin de Solaris (p. 1015).
S’il est légitime d’exprimer un doute quant aux mathématiques, encore ne
faut-il pas se tromper. Quand Tarkovski écrit 1 + 1 = 1, il suggère que 1 + 1 = 2
pourrait résulter d’un raisonnement douteux. Erreur, cette équation ne relève pas
des mathématiques, mais du simple calcul ; elle est de ce fait indiscutable.
Le titre est en russe (l’italien demanderait nostalgia).

Roadgames Déviation mortelle, Richard Franklin, Australie, 1981, 100 mn

Un routier (Stacey Keach, le “loser” de Fat city, p. 630) transporte une cargai-
son de porcs de Melbourne à Perth, à travers l’interminable plaine de Nullarbor,
littéralement “sans arbre”. Il soupçonne le conducteur de la camionnette verte qui
voyage sur la même route d’être le fameux tueur en série qui dispose des restes
de ses victimes, bras, pieds, etc. aux quatre coins de l’Australie ; une glacière
entrevue sur le siège du passager pourrait d’ailleurs contenir une tête.
Référence à Rear window (p. 1008), mais sans le voyeurisme ; l’auto-stoppeuse
prise en chemin (Jamie Lee Curtis) est d’ailleurs surnommée Hitch – comme
hitch-hiker, mais aussi Hitchcock. Mais le film renvoie aussi à la poursuite de
Duel (p. 518). Comme chez Hitch’ tout se termine bien in extremis : le hé-
ros a pu livrer sa cargaison de carcasses de porc dont il a craint un moment
qu’elle ne renferme celle de la charmante Hitch. Pas de problème, la viande sera
consommée, mais de la viande de quoi, au juste ?
Il y est beaucoup question du chien aborigène australien, le dingo qui, nous
dit-on, n’aboie pas. Qu’attend-on pour l’acclimater à nos latitudes ?

Pardon us Sous les verrous, James Parrott, usa, 1931, 57 mn

Laurel et Hardy, devenus bootleggers amateurs, se retrouvent en prison. Où


leur ennemi habituel, le bigleux Finlayson, donne des cours aux détenus. Ils s’en-
fuient et se cachent, enduits de cirage comme les acteurs “noirs” de Birth of a
nation (p. 1061). Oliver Hardy chante Lazy moon.
Le film n’est pas parasité, comme souvent, par une sous-intrigue amoureuse.

12
Spione Les espions, Fritz Lang, Allemagne, 1927, 144 mn

Rudolph Klein-Rogge joue Haghi, personnage transformiste proche du Dr.


Mabuse qu’il a interprété deux fois pour Fritz Lang (pp. 516, 551). L’appartement
vide avec ses traces de tableaux au mur sera repris dans le Mabuse de 1933.
L’horloge qui fonctionne sur 24 heures et non sur 12, qu’on apercevait déjà dans
le Mabuse de 1922 est comme un signe d’ominiscience. Scénario de Thea von
Harbou, épouse de Lang.
Des détails qui rappellent Les vampires (p. 487) : ce faux buvard dissimulant
un papier carbone ou cette improbable copie de clef basée sur le moulage d’un
trou de serrure. Suicide sur scène comme dans Murder de Hitchcock (p. 446).
Fritz Rasp joue Jellusic, une des victimes de Haghi. Et le roumain Lupu Pick
un Matsumoto qui se fait hara-kiri après avoir été interpellé par les fantômes de
ses émissaires. Le seppuku n’est cependant pas régulier : un assistant aurait dû
couper la tête du malheureux.
La belle Gerda Maurus — qui tourna plus de têtes que de films — joue
le rôle d’une espionne qui trahit Haghi par amour. Ce type de personnage est
habituellement victime d’une balle perdue à la dernière minute.
Le héros masculin (Willy Fritsch) n’est guère mémorable.

Mon oncle Jacques Tati, France, 1958, 116 mn

Le film exprime l’aversion un peu passéiste de Tati pour la modernité. On y


voit beaucoup de plastique sous forme de “fleurs qui se gardent”, et de tuyaux que
Tati se plaît à transformer en saucisses de Strasbourg. Mais aussi des chevaux
et des chiens qui préfèrent aller pisser dans la vieille ville qu’on est en train de
démolir.
Le film me semble supérieur à Playtime (p. 425), un peu trop du côté de la
déshumanisation. Ici, face au pavillon fonctionnel de son beau-frère (Jean-Pierre
Zola), l’invraisemblable maison d’Hulot aux absurdes escaliers. Et ce café où
pendouille un téléphone non raccroché.
Jacques Tati a un rôle presque muet : “J’en connais une, elle est courte”
est sa phrase la plus longue ; la suite se perd dans l’oreille d’une snobinarde
qui n’apprécie que modérement. Laquelle vient d’ailleurs d’être prise, à cause
de son accoutrement, pour un de ces vendeurs ambulants comme il y en avait
tant dans les années 1950 et que les enfants avaient appris à singer : “Ti veux
tapis, monzami ?”. . . une phrase très datée que prononce Pierre Fresnay dans Le
défroqué (p. 288).
Betty Schneider qui a un rôle un peu nunuche – la fille du concierge – a joué
dans quelques autres films, dont Paris nous appartient (p. 268).
Le film est sorti le 10 Mai, trois jours avant le coup d’état.

13
Baby doll Elia Kazan, usa, 1956, 115 mn

Tennessee Williams adapté à nouveau par Kazan qui ne fait rien pour atténuer
la lourdeur du propos. Le film a été vilipendé par le Cardinal Spellman, ami
personnel de Pie xii et moraliste à la “Faites ce que je dis, pas ce que je fais”.
Le code Hays, alors à l’agonie, avait été conçu pour prévenir ce type d’attaque.
Eli Wallach, qu’on retrouvera en bandit mexicain dans Le bon, la brute et
le truand (p. 514), inaugure une carrière de mafioso qui le mènera à l’opéra
de Palerme : il meurt d’une indigestion de cannoli empoisonnés dans le dernier
Parrain (p. 462). Ici, il répète qu’il n’est pas un “wop” (un rital), mais un Sicilien,
le représentant d’une ancienne culture. La scène où il joue à cache-cache avec
Baby Doll relève presque du dessin animé.
Karl Malden est le petit blanc ruiné et raciste. Carroll Baker trouve le rôle
de sa vie dans son lit-cage ; mais on peut préférer Something wild (p. 1461).
Mildred Dunnock, l’épicière de The trouble with Harry (p. 1092), joue la tante
de Baby Doll.
Le coffret Wild Side, maintenant épuisé, proposait trois films de Kazan, celui-
ci, Un homme dans la foule (p. 142) et America, America (p. 984) au format
4/3 (1.37 :1) ; ce qui ne correspond au format original que pour Baby Doll.

Bhowani Junction La croisée des destins, George Cukor, usa, 1956, 105 mn

C’est avant tout un beau film romantique avec Ava Gardner et Stewart Gran-
ger. La toile de fond est la période troublée qui précède immédiatement l’indé-
pendance indienne. Le point de vue adopté est plutôt réactionnaire – les bons
Anglais s’en vont et il faut les remplacer par les moins mauvais Indiens possibles.
Les horribles communistes sont prêts à tout pour que cette transition échoue.
Ava Gardner joue une métisse qui cherche sa place entre l’Inde et l’Angleterre.
L’autre métis de l’histoire, qui se veut plus blanc que les anglais, trouve la mort
à la fin du film. La scène où Stewart Granger fait jeter des eaux de vidange sur
des manifestants indiens a été tournée au Pakistan (à Lahore) et non pas en
Inde. Elle fait pendant à celle où Gary Cooper, un des Trois lanciers du Bengale
(p. 20), faisait parler un musulman en menaçant de coudre son cadavre dans une
peau de porc.
L’acquittement d’Ava Gardner qui a tué, sans témoins, un officier anglais
qui tentait de la violer, est totalement invraisemblable. Dans Three came home
(p. 1331), Claudette Colbert, qui avait osé dénoncer une tentative de viol,
n’échappe à la mort que par miracle : “J’avais oublié que l’homme qui tient
le fusil a toujours raison”, dit-elle.

14
La sentinelle Arnaud Desplechin, France, 1992, 140 mn

Premier long-métrage de Desplechin et son meilleur.


Une pléthore de jeunes acteurs, tous excellents, une attention aux nuances
sociales : Bruno Todeschini est un parvenu, Thibault de Montalembert un aristo-
crate imbu de ses origines, Emmanuel Salinger un enfant de la grande bourgeoisie.
Et aussi aux errements, aux difficultés des relations amoureuses, etc. On retrou-
vera tout ça dans les films suivants, avec une certaine tendance au nombrilisme.
Pas de nombrilisme ici à cause de cette toile de fond monstrueuse, la fin de
la guerre froide, mais traitée de façon fantastique avec la tête de ce mort qui
passe de valise en valise, tête avec laquelle le héros semble établir une étrange
complicité. Et de Jean-Louis Richard – ex-époux de Jeanne Moreau et scénariste
de Truffaut – en manipulateur à moitié fou.

Mujeres al borde de un ataque de “niervios” Femmes au bord de la crise


de nerfs, Pedro Almodóvar, Espagne, 1988, 89 mn

Film de femmes emmené par Carmen Maura, ici actrice de publicités télévi-
suelles, comme celle de la lessive Ecce Omo ( !) : mère de l’assassin de Cuatro
Caminos (station de métro madrilène), elle lave ses chemises maculées de sang
et de viscères ( !). . . la police doit reconnaître la blancheur immaculée du linge.
Dans la tradition des screwball comedies de Howard Hawks avec Cary Grant :
tout va tellement vite qu’on n’a pas le temps de réfléchir. Avec Chus Lampreave,
Julieta Serano, Rossy de Palma, Antonio Banderas autour d’un réjouissant gas-
pacho bourré de sédatifs.
El deseo (le désir) est la société de production des frères Almodóvar.

Dragonwyck Le château du dragon, Joseph L. Mankiewicz, usa, 1946, 99 mn

Vincent Price joue un patroon : ce mot hollandais désigne un représentant


de l’aristocratie des vieux colons américains. Un de ses ennemis, joué par Harry
Morgan, le traite de “poltroon”. Ce film gothique, dominé par des images de
revenants, rappelle Malombra (p. 11) : même orgueil, même refus du monde
chez le patroon qui reçoit ses fermiers trônant sur une chaise curule en pierre.
Face à lui, une jeune épouse (Gene Tierney) qui n’a été choisie que pour lui
donner un héritier mâle. Le patroon est aussi un peu assassin, il connaît les vertus
du laurier rose. Le personnage du docteur qui sauve la belle est peu convaincant.
Les seconds rôles sont excellents : Spring Byington et Jessica Tandy, Walter
Huston et Anne Revere. Cette dernière, descendante du héros de l’indépendance
américaine Paul Revere, devait bientôt être blacklistée.

15
Deception Jalousie, Irving Rapper, usa, 1946, 107 mn

Hollenius (Claude Rains), dont le nom évoque Sibelius, très en vogue aux
usa, est un compositeur absolument odieux. Et qui fait tout pour démoraliser un
violoncelliste (Paul Henried) dont il aime l’épouse (Bette Davis). C’est ainsi qu’il
lui confie la création de son nouveau concerto tout en sabotant systématiquement
les répétitions. Tout cela finira très mal.
Bette Davis, Paul Henried, Claude Rains : c’est le second film du trio après
Now, voyager (p. 1361) du même Irving Rapper, film resté célèbre à cause du
dialogue final : “Pourquoi demander la lune ? Nous avons les étoiles.” Dans
un autre film avec Bette Davis, Mr. Skeffington (p. 763), Rains était carré-
ment une victime, un Juif épousé par Davis par intérêt. Henried est plutôt
abonné aux rôles positifs (Casablanca, p. 1256) ; mais il faut parfois, comme
dans Train de nuit pour Munich (p. 1120), se méfier de son aspect avenant.
On voit, derrière la baie vitrée du salon, le pont newyorkais de Queensboro.

OSS 117 : le Caire, nid d’espions Michel Hazanavicius, France, 2006, 99 mn

Inspiré d’un personnage de Jean Bruce, à la mode dans les années 1960
(Double bang à Bangkok, etc.). Le film, qui se présente superficiellement comme
une parodie de film d’espionnage, est avant tout une satire de la mentalité des
années 1950, particulièrement de l’esprit colonialiste. Ainsi le héros n’hésite-t-il
pas à faire taire le muezzin qui troublait son sommeil.
On y trouve des tas de clins d’œil. Par exemple, le jokari, jeu qu’on offrait
aux enfants en raison de son prix modique. Ou ce passage où l’on voit Bérénice
Bejo et Jean Dujardin dans une voiture avec le paysage en transparences. La
chanson Bambino créée en 1956, soit un peu après la date supposée de l’action
est légèrement anachronique, le twist l’est franchement.
Dans un second rôle, Said Amadis, de son vrai nom Boussouar, français
d’origine kabyle qui fut mon camarade de promotion à l’eni de Lyon (1962-66)
et que je n’ai revu qu’au cinéma.

La certosa di Parma La chartreuse de Parme, Mauro Bolognini, Italie, 1982,


307 mn

L’adaptation est à peu près fidèle au roman, mais le film déçoit. La version,
tant décriée, de 1948 (p. 510), commençait après Waterloo ; la distribution était
cependant excellente avec María Casares, Louis Salou et, bien sûr, Gérard Philipe
en Fabrice. Ce téléfilm en six épisodes ne zappe pas Waterloo. Marthe Keller en
Sanseverina, Georges Wilson en Ernest iv et, surtout, Gian Maria Volontè en
Mosca sont très bien, mais Fabrice est aux abonnés absents.

16
Buchanan rides alone L’aventurier du Texas, Bud Boetticher, usa, 1958,
79 mn

Western amusant de la série des Boetticher/Scott. Randolph Scott n’y est


pas désespéré comme dans le suivant, la tragique Ride lonesome (p. 994). Le ton
est assez proche de la comédie dans une ville tenue par une fratrie, les Agry. Des
trois frères, le plus mémorable est le mollasson qui tient l’hôtel (Paul Whitney).
C’est en réalité un quatrième compère, Carbo, qui tire les ficelles ; mais l’acteur
est peu convaincant, on ne retient guère que son costume noir.
Le film accumule les emprisonnements temporaires avec un certain laisser-
aller dans le scénario : trois méchants sont abandonnés, mal attachés, dans une
cabane ; à l’extérieur, leurs trois chevaux les attendent avec des carabines dans
les fontes. Cinq minutes après, ils ont rétabli la situation en leur faveur et tué le
sympathique texan joué par L. Q. Jones.

Our hospitality Les lois de l’hospitalité, Buster Keaton & John G. Blystone,
usa, 1923, 73 mn

Le film est basé sur la locativité : doit-on juger les gens en fonction de leur
origine géographique, sociale, etc. ? Ou encore, doit-on payer pour les fautes de
ses ancêtres ? On pourrait même se poser la question de l’héritage tout court.
Le ressort de l’intrigue est la vendetta, principe locatif s’il en est. Cette
vendetta s’oppose à un principe “spirituel” (je veux dire non locatif), l’hospitalité
sudiste. Une seconde locativité apparaît : selon qu’on est dans la maison ou
dehors, c’est soit l’hospitalité, soit la vendetta : politesse à l’intérieur, coup de
pistolet dès qu’on passe la porte.
Un élément locatif mineur du film est représenté par ce couple qui s’entretue.
Quand Buster tente, au nom des principes “spirituels”, de venir en aide à la pauvre
femme, celle-ci prend violemment le parti – locatif, donc – de son mari.

Entre tienablas Dans les ténèbres, Pedro Almodóvar, Espagne, 1983, 100 mn

Almodóvar se cherche encore, avec ce film délirant centré sur un étrange


couvent où les nonnes se droguent quand elles ne sont pas franchement les-
biennes. Une d’elle écrit même des romans de gare – un peu comme dans La
fleur de mon secret (p. 2). Trois de ces improbables religieuses feront partie des
abonnées de l’auteur : Carmen Maura, Marisa Paredes et Chus Lampreave.
L’esprit de movida qui anime ce film daté est un peu sa limite : le cadavre
de Franco était encore tiède.

17
Roberte Pierre Zucca, France, 1979, 98 mn

Ce film met en scène l’érotisme pervers de Pierre Klossowski dont l’épouse


joue le rôle principal dans des tableaux statiques à connotation “scolastique”
inspirés du texte de Klossowski. Le film est fauché, joué par des copains metteurs
en scène, qui ne savent trop quoi faire ; les cadrages laissent à désirer.
À l’arrivée, un produit étrange, qui ressemble à l’idée ou au brouillon d’un film
et dont le metteur en scène aurait été kidnappé. . . par le scénariste Klossowski.

Lacombe Lucien Louis Malle, France, 1974, 138 mn

Le film fut – pour moi au moins – un choc : d’abord le style rétro qui s’exprime
en tout premier lieu à travers les coiffures féminines. On peut d’ailleurs dater à
ce détail la plupart des films antérieurs ; ainsi Un million d’années avant Jésus
Christ avec Raquel Welch, de 1966.
L’autre choc est lié à ce regard décapant sur la Résistance et la collaboration
– qui rompait avec la Vulgate, qu’elle soit gaulliste ou communiste. Certains ont
accusé, à tort, le film de faire l’éloge des collabos ; à leur décharge, l’attitude
“compréhensive” de Pompidou à l’égard du criminel de guerre Touvier. De nos
jours, on crierait au pamphlet anti-Macron : Lacombe Lucien, qui sort à tout
bout de champ sa carte de la Gestapo ou son flingue, rappelle curieusement un
certain Benalla Alexandre.
Lucien (Pierre Blaise) éprouve une sorte de haine de classe, notamment quand
il détruit la maquette d’un fils de privilégié ; personnage similaire, Joseph, le
boiteux d’Au revoir les enfants (p. 606). Ni bon ni méchant, il n’a simplement
aucun sens moral. Il tire sur les maquisards comme il tire sur les lapins ; s’il
tue l’Allemand à la fin du film, ce n’est pas pour protéger France Horn (Aurore
Clément), mais pour un petit butin, la montre de gousset du père Horn (Holger
Löwenhadler). La grand-mère Horn (Therese Giehse) est un personnage quasi-
muet qui finit par éprouver une sorte de sympathie pour Lucien.
Les gestapistes sont avant tout veules. Sauf Faure, joué par René Bouloc,
une saleté genre Brasillach : il faut voir sa gueule de rat quand il dit précisément
“Un Juif, c’est comme un rat.” Le chef Tonin (Jean Rougerie) est visiblement
inspiré du gestapiste Bonny, inspecteur ripou limogé par le Font Populaire mais
aussi d’Abel Danos (p. 1067), truand chargé des basses œuvres nazies à Tulle.
Le gestapiste noir est sans doute une blague du scénariste Patrick Modiano : il
est aussi vraisemblable que le proviseur nain de Zéro de conduite (p. 410).
Le jeune Pierre Blaise devait se tuer peu après sur la route, tout comme le
jeune Alessandro Momo de Profumo di donna (p. 1016). Le film est tourné à
Figeac et sur les causses avoisinants.

18
Vincent, François, Paul et les autres Claude Sautet, France, 1974, 114 mn

Les acteurs principaux sont un peu Les bourgeois de Jacques Brel ; ils pour-
raient illustrer la phrase d’Un carnet de bal (p. 3) “Ils ont tous trahi leur jeunesse”.
Sautet, comme à son habitude, est capable d’individualiser de nombreux person-
nages. Cependant, on a du mal à se rendre compte qu’on vit sous Pompidou –
sauf le petit passage sur le divorce qui ne peut encore se faire que sur faute. C’est
le point faible du film, qui appartient à la veine nombriliste de l’auteur.
Le film suivant, Mado (p. 416), autre scénario de Claude Néron, nous mon-
trera une société gangrénée par les magouilles ; il comporte une longue scène où
la récurrente bande de copains de Sautet s’enlise au bord de la Seine. C’est ce
type de symbole qui fait défaut ici.
Excellente musique de Philippe Sarde.

Brigham Young Henry Hathaway, usa, 1940, 113 mn

Hagiographie d’un personnage exceptionnel et assez douteux. Il fut accusé,


dans Une étude en rouge de tenir une espèce d’Inquisition à Salt Lake City ;
Conan Doyle reprenait une nouvelle du Dynamiteur de Robert Louis Stevenson
et de son épouse Fanny – née dans l’Indiana, où se situait Nauvoo d’où furent
chassés les Mormons – qui attribuait à Brigham Young une espèce de chaise
électrique pour exécuter ses sentences. Vu le pouvoir de nuisance de la secte,
ces histoires, extravagantes ou pas, n’ont pas la moindre chance d’être jamais
portées à l’écran.
La question de la polygamie pose problème. On s’en débarrasse au début
du film par une boutade exagérant le nombre de femmes. Ceci dit, le nombre
attesté d’épouses de Young, 55, en fait le plus grand polygame de l’Occident. On
s’attendrait donc à un petit harem de douze, non par mesure d’économie, mais à
cause de la difficulté d’individualiser les foules. Ici, on nous présente une seule et
unique épouse, jouée par Mary Astor, ce qui suggère la monogamie. D’ailleurs,
le texte fait à un moment allusion aux “autres” sans plus de précision, ce qui fait
qu’on n’a pas tout à fait prétendu que Young était monogame. Les familles de
Mormons semblent, elles aussi, toutes de style “traditionnel”.
Le film se voudrait l’épopée des Mormons ; le départ de Nauvoo, le miracle
des mouettes sont assez réussis. Mais l’interprétation n’est pas très satisfaisante :
Dean Jagger n’a pas le charisme qu’on attendrait d’un tel meneur d’hommes.
Cet acteur est bien meilleur dans Pursued (p. 158) où il joue le maléfique Grant
Callum obsédé par une terrible vendetta.

19
The aviator Martin Scorsese, usa, 2004, 170 mn

Consacré à Howard Hughes (joué par Leonardo DiCaprio), avant qu’il ne


prenne le contrôle de la rko et ne finisse par la couler.
Ce personnage antipathique est dépeint comme un égocentrique de plus en
plus dominé par ses phobies – typiquement, la peur des microbes. Quand le
film se termine, il commence à répéter ses phrases comme un disque rayé. De
sa relation avec le cinéma, Aviator insiste sur le tournage de son premier film
Hell’s angels (p. 1368) – nous apercevons le tout puissant Louis B. Mayer. Le
second, The outlaw (1943), donne lieu à un débat sur la taille relative des tétons
de Claudette Colbert et Jane Russell, tout cela devant le comité de censure
de Hollywood. Pour mémoire, ce comité n’avait pas le pouvoir d’interdire un
film, mais seulement sa distribution dans les principaux réseaux. Hughes avait les
moyens de passer outre, mais le film fut néanmoins un échec ; mérité, car c’est
un pénible film de producteur.
Autour de Hughes, plusieurs actrices de l’époque, qu’on a du mal à recon-
naître, notamment Ava Gardner et Jean Harlow. Faith Domergue n’est guère
plus conforme, mais comme son visage n’est pas très familier, on ne s’en aper-
çoit pas. Exception, Cate Blanchett qui joue une Katharine Hepburn tellement
vraisemblable qu’on finit par oublier son manque de ressemblance. Scène très
réussie avec l’insupportable famille style “gauche caviar” de l’actrice.

The lives of a bengal lancer Les trois lanciers du Bengale, Henry Hathaway,
usa, 1935, 109 mn

Le cinéma colonial des années 1930. L’action se passe en Afghanistan –


pays des “pushtus”, autrement dit, pachtounes. Comme dans La charge de la
brigade légère (p. 140), les Anglais s’affrontent aux Russes pour le contrôle de
ce territoire. Une espionne russe, qu’on ne fait qu’entrevoir, cause bien des dégâts.
Certains détails du film seraient impensables de nos jours : l’espion afghan,
nullement intimidé par une menace de pendaison, devient volubile dès qu’on le
menace de coudre son cadavre dans une peau de porc !
L’héroïsme militaire est personnifié par Gary Cooper et Franchot Tone. Le
troisième personnage, qui se laisse embobiner par l’espionne et qui parle sous la
torture, devrait logiquement se racheter avant de recevoir une balle perdue. Ici,
il se rachète bien en tuant le méchant émir joué par Douglass Dumbrille ; mais il
reçoit une distinction pas tout à fait méritée des mains de son père, un militaire
rigide surnommé “ramrod” – la baguette. Ce troisième lancier est joué par Richard
Cromwell, un acteur qui n’a pas fait carrière et qui ressemble à DiCaprio jeune.
On remarque C. Aubrey Smith dans son numéro habituel d’officier britannique.
On retrouvera plus tard un Maharajah du fictif Gopal chez Hergé.

20
Greed Les rapaces, Erich von Stroheim, usa, 1924, 240 mn

Il s’agit d’une extraordinaire reconstitution du chef-d’œuvre de Stroheim,


mutilé par Thalberg et dont ne on voit, habituellement, que 130 mn. Le métrage
supplémentaire, basé sur des photogrammes, change profondément la perception
du film. On voit, en particulier, l’importance accordée au coloriage au pochoir –
en général du jaune, associé à l’or. On découvre les deux intrigues subsidiaires.
D’une part, deux gentils retraités qui finissent par se marier. De l’autre, le couple,
joué par deux acteurs récurrents de Stroheim, Cesare Gravina et Dale Fuller –
actrice à tics, dont le jeu consiste à se dandiner les poings sur les hanches – : le
mari, obsédé par une imaginaire vaisselle dorée, finira par tuer son épouse.
L’intrigue principale repose sur trois personnages. McTeague, brute un peu
simplette, est joué par Gibson Gowland, déjà vedette de Blind husbands (p. 427),
et qui disparaitra progressivement des écrans. Marcus, personnage vulgaire, ran-
cunier et rusé, est joué par Jean Hersholt, le Danois de Hollywood qui y pour-
suivra une carrière d’acteur de second plan. Le meilleur rôle est celui de Trina
pour qui l’or est substitut de sexualité : il faut la voir, nue comme on pouvait
l’être en 1923, se vautrant dans ses pièces d’or. Elle est jouée par Zazu Pitts,
qui continuera à faire carrière dans les seconds rôles, e.g., Ruggles of Red Gap
(p. 133). L’image récurrente de deux canaris guettés par un chat, symbole un
peu lourd comme les affectionnait le cinéma muet, résume les rapports entre les
protagonistes.
Dans les seconds rôles, Chester Conklin joue le père de Trina ; le gros Hugh
Mackie joue le compagnon de beuverie de McTeague et Lon Poff – qui fut deux
fois le Père Joseph, pp. 433, 1477 – un inquiétant agent de loterie.
Ce film est le meilleur Stroheim car il repose sur un livre et non pas sur une
suite de fantasmes comme Foolish wives (p. 224) ou The wedding march (1926).
Cela donne d’autant plus de relief au style de l’auteur ; ainsi, ce cortège funéraire
avec enfant unijambiste ( !) qui passe dans la rue durant le mariage.
Le livre de Frank Norris est du pur naturalisme à la Zola : McTeague est un
dégénéré, fruit de générations de débauche. Actualisé en 1922, il semble ignorer
la Prohibition : que de cafés ouverts !

Two seconds Mervyn LeRoy, usa, 1932, 67 mn

Edward G. Robinson, magistral, joue pour la troisième fois pour LeRoy. Bien
qu’il ne soit pas gangster comme dans Little Caesar (p. 1598), il finit sur la chaise
électrique, victime de la perfidie féminine. Le temps que le cerveau s’arrête, deux
secondes pour revivre sa vie.
Preston Foster, le flic manipulateur de Kansas City confidential (p. 1592),
joue le copain. Guy Kibbee et J. Carroll Naish ont de petits rôles.

21
Il brigante di Tacca del Lupo La tanière des brigants, Pietro Germi, Italie,
1952, 93 mn

L’arrière-plan politique du film est extraordinaire : la résistance à l’unité ita-


lienne qui rappelle celle des Vendéens à la République. Habitués à être pressurés
de toute part, les habitants de Melfi ne voient rien de positif dans le nouveau
pouvoir, celui des Piémontais qui leur apporte par contre deux plaies de plus,
les impôts et la conscription. Donc, vive le roi François ii, le dernier Bourbon
de Naples tout juste détrôné (on est en 1863). La révolte s’exprime par une vio-
lence qui rappelle celle du film O cangaceiro (p. 176). À laquelle répond celle
des Piémontais qui pillent et fusillent ceux qui aident les rebelles.
Après un départ fulgurant, le film s’essouffle pour s’achever sur de bons sen-
timents, comme si l’unité italienne s’était réalisée, durant le film, par la simple
extermination de ces brigands anachroniques. Premier symbole, l’officier royaliste
qui, avant de mourir, souhaite bonne chance à. . . l’Italie. Et puis, extravagance
suprême, le mari pardonne à sa femme d’avoir été violée par le brigand. Norma-
lemement, une femme honnête aurait dû se suicider ; tout comme au Japon, un
soldat déshonoré par la capture.
Le rôle principal est tenu par Amadeo Nazzari, lequel fut un acteur important
du fascisme – par exemple, Luciano Serra, pilota (1938) – et qui continua sa
carrière, notamment dans la série des films de Matarazzo avec Yvonne Sanson.
Acteur tellement célèbre dans les années 1950 qu’il joue son propre rôle dans Les
nuits de Cabiria (p. 1297). On remarque aussi Saro Urzì qu’on retrouvera dans
Séduite et abandonnée (p. 505) du même Germi.

Ossessione Les amants diaboliques, Luchino Visconti, Italie, 1943, 135 mn

Adaptation pirate, à cause de la guerre, du Facteur sonne toujours deux fois


de James Cain. Premier film de Visconti et un des tous premiers du néo-réalisme.
On tourne beaucoup en extérieurs : les rives du Pô, Ferrare et surtout Ancône. La
scène la plus mémorable du film est ce concours de bel canto gagné par la future
victime du “couple diabolique” incarné par Massimo Girotti et Clara Calamai :
l’acteur (Juan de Landa) chante lui-même un air de la Traviata.
Elio Marcuzzo joue “l’Espagnol”, personnage touchant, car il éprouve un
amour homosexuel non partagé : il faut le voir contemplant Girotti endormi.
Marcuzzo devait trouver un fin tragique en 1945, pendu après la fin de la guerre
au terme d’un procès expéditif.
Mario Girotti, acteur du Guépard (p. 1030) et de nombreux westerns spaghetti
sous le pseudonyme de Terence Hill, n’a aucune relation avec Massimo Girotti.

22
A farewell to arms L’adieu aux armes, Frank Borzage, usa, 1932, 89 mn

L’édition Blu Ray de bfi rend justice à la beauté de la photo. Le film rappelle
d’ailleurs les grandes réussites muettes de Borzage, par exemple les films avec
Charles Farrell et Janet Gaynor. Gary Cooper est très émouvant.
La désertion du héros se passe au moment de la piquette de Caporetto
(octobre 1917). Du fait de la révolution russe, les Allemands rapatriaient leurs
troupes vers la France en vue de l’offensive du printemps 1918 ; sur le chemin ils
enfoncèrent les lignes italiennes, démontrant ainsi l’impéritie des Autrichiens. La
mort de l’héroïne (Helen Hayes) le jour de l’armistice implique une grossesse de
plus d’un an ! Avec Adolphe Menjou.

The enforcer L’inspecteur ne renonce jamais, James Fargo, usa, 1976, 93 mn

Film globalement déplaisant de la série de l’inspecteur “Dirty” Harry (p. 1614),


joué par Clint Eastwood. On ne nous épargne aucun détail démagogique : le
maire, les supérieurs hiérarchiques de l’inspecteur, etc. sont tous à plat ventre
devant les gauchistes. Lequels, membres d’une “People revolutionary strike force”,
ne sont qu’une une bande d’assassins rançonneurs. Référence à l’attentat bien
oublié contre la centrale de Fessenheim, alors en construction (1975).
Dans ce genre de film, on n’hésite pas à nous montrer des poursuites inter-
minables. Si un criminel réel a bien raison de fuir le plus longtemps possible, on
ne comprend pas pourquoi il s’acharne tant au cinéma, puisqu’il sera pris.
Quelques détails mineurs sont amusants, en particulier ceux liés au bourgeon-
nement pornographique de l’époque : la poursuite interminable passe par un lit
où se tourne un film “hard” ; une autre scène nous montre une poupée gonflable
utilisable en 32 positions, mais on ne nous les montre pas.
Pour une fois, l’acteur noir de service – quota oblige – s’intègre naturellement
au scénario : Albert Popwell est même un des deux personnages positifs de
l’histoire. L’autre est une fliquesse plutôt réussie – l’inspecteur commence avec
son numéro machiste mais, heureusement, évite de développer cet aspect.

Desperatly seeking Susan Recherche Susan désespérement, Susan Seidel-


man, usa, 1985, 99 mn

Excellente comédie mettant en scène Madonna. Mais c’est Rosanna Arquette


qui a le rôle intéressant dans une histoire bien enlevée de poursuite, amnésie et
quiproquos.
Le film ridiculise le mari de Rosanna Arquette, représentant d’une catégorie
nouvelle à l’époque : le yuppie.

23
State secret Secret d’État, Sidney Gilliat, Grande-Bretagne, 1950, 100 mn

Un excellent thriller politique qui met en scène un régime totalitaire – en


Vosnie, dont le langage ressemble parfois à du tchèque. Le dictateur est mort,
mais cette nouvelle doit être cachée à tout prix. Une histoire du même genre est
à la base de Moon over Parador (p. 1074) de Paul Mazursky, film tourné dans
l’étonnante Ouro Preto. Ici le seul décor identifiable est celui de la poursuite en
montagne : les Dolomites.
Le film fait penser, par moments, à Hitchcock ; ce qui n’est pas étonnant, vu
que Gilliat fut scénariste d’Une femme disparaît (p. 457).
Outre Douglas Fairbanks Jr., on reconnaît Jack Hawkins et surtout Herbert
Lom, qui devait entre autres incarner le supérieur hiérarchique zinzin de Clouseau
dans la série des Pink panther (p. 523). L’actrice Glynis Johns a un petit air de
Martine Carol.

The departed Les infiltrés, Martin Scorsese, usa, 2006, 151 mn

Le titre original signifie “Les défunts”. L’histoire, bien ficelée, est un jeu de
cache-cache entre un flic infiltré chez les truands et un truand infiltré chez les flics.
Excellente distribution : Jack Nicholson, Matt Damon, Leonardo DiCpario ainsi
que Martin Sheen, le héros d’Apocalypse now (p. 25) dans un rôle secondaire.
Ceci dit, Scorsese a fait mieux, par exemple Goodfellas (p. 1026). Il faut dire
qu’ici la Mafia est irlandaise et non pas italienne, ce qui fait qu’il manque un
je-ne-sais-quoi à cette belle machine.
Il est malgré tout 41e au hit-parade IMDb des meilleurs films de tous les temps.
Quand on sait que le numéro 1 est le blockbuster The Shawshank redemption
(p. 1312) de Frank Darabond, on ne s’émeut pas outre mesure. On est d’ailleurs
surpris de trouver quelques chefs-d’œuvre dans cette liste dominée par les Harry
Potter, Batman et autres Star Wars.

The naked spur L’appât, Anthony Mann, usa, 1953, 92 mn

Western de la série des Mann/Stewart. Ici aussi, James Stewart campe un


personnage sans ossature morale, prêt à tout pour gagner de l’argent, mais qui
se structurera à travers les épreuves qu’il va traverser.
Le film n’a que cinq acteurs, tous excellents. Outre Robert Ryan et Janet
Leigh, Ralph Meeker, le héros antipathique de Kiss me deadly (p. 962) et Millard
Mitchell qu’on avait vu dans La scandaleuse de Berlin (p. 1585). Il joue le vieux
prospecteur alors qu’il n’a pas cinquante ans ; mais il lui reste très peu de temps
à vivre à cause de son cancer du poumon.
Le film frappe par son décor de verdure, inattendu dans un western.

24
I wake up screaming H. Bruce Humberstone, usa, 1941, 82 mn

Film noir banal transcendé par l’extraordinaire composition de Laird Cregar,


flic effrayant, manipulateur, mais avant tout malheureux. Il n’aura de rôle prin-
cipal qu’à la fin de sa carrière, en 1944, dans deux films mémorables de John
Brahm, The logder (p. 1094) et Hangover square (p. 510). Hélas, mécontent
de son physique imposant, il s’infligea une telle cure d’amaigrissement qu’il en
mourut ; il avait trente ans.
Dans des seconds rôles, Alan Mowbray, Allyn Joslyn, Morris Ankrum et
Charles Lane – le fleuriste qu’on entrevoit et qui joue dans tellement de films
que son visage en est devenu familier. Elisha Cook n’a pas un rôle à la hauteur
de son talent. Musique de fond lancinante tirée du Magicien d’Oz (p. 1314).

3.10 to Yuma Trois heures dix pour Yuma, Delmer Daves, usa, 1957, 92 mn

La distribution est épatante. Dans les seconds rôles, on remarque le poivrot


héroïque joué par Harry Jones et le méchant Richard Jaeckel. Des deux femmes,
la plus émouvante est la moins connue, Leora Dana qui joue l’épouse de Van
Heflin. Glenn Ford compose un criminel charmeur. High noon (p. 206) reposait
déjà sur le thème de l’homme qui reste seul à faire face.
La photo noir et blanc du film est splendide : le meilleur western de Daves.

Apocalypse now Francis Ford Coppola, usa, 1979, 203 mn

Le scénario mélange la guerre du Vietnam vue par le journaliste Michael Herr


et la longue nouvelle de Joseph Conrad Au cœur des ténèbres, son chef-d’œuvre
avec Nostromo. Le film est un peu monstrueux, à l’image de la composition
de Marlon Brando en Kurtz, militaire à la Aussaresses. Le scénario manifeste
d’ailleurs une certaine fascination pour le personnage – ce qui reflète sans doute
les opinions politiques libertariennes du scénariste John Milius.
Je trouve la guerre du Vietnam assez bien rendue ; par contre, ce qui touche à
Kurtz est un peu trop loin de Joseph Conrad. Dans la nouvelle, le héros remontait
le Congo pour découvrir un Kurtz à l’agonie, murmurant “L’horreur, l’horreur” ;
on entrevoyait des têtes sur des pieux, une concubine africaine. Le film met un
peu trop les points sur les ı. Cependant, la remontée nocturne de la rivière donne
l’impression à la fois funèbre et mystérieuse, d’une entrée au cœur des ténèbres.
La version “redux” rétablit des scènes coupées lors de la sortie du film. Notam-
ment un long passage dans une plantation française anachronique, avec Chris-
tian Marquand, Aurore Clément, Frank Villard. On entrevoit l’ancien d’Indochine
Pierre Segui qui, dans The deer hunter (p. 990), aidait De Niro à retrouver Chris
Walken lors de la chute de Saïgon.

25
Deliverance Délivrance, John Boorman, usa, 1972, 109 mn

Le film est un peu l’antithèse de The emerald forest (p. 228), autre histoire de
barrage. Ici, pas de rousseauisme : les montagnards ont des têtes de dégénérés,
comme le garçon joueur de banjo. Cela ressemble à une version non censurée
de The trail of the lonesome pine (p. 1644) qui pourrait facilement tourner
au Massacre à la tronçonneuse (1974) si le film de Boorman lorgnait vers la
facilité. Les citadins font face à une nature et une population hostiles, toutes
deux maltraitées par la civilisation : une des dernières images du film montre
d’ailleurs un cimetière qu’on déplace à cause du barrage.
Le retour à la nature se muera en retour à la sauvagerie. Un montagnard,
joué par Bill McKinney – le Terrill de Josey Wales (p. 475) –, viole un des
citadins (Ned Beatty) avant de se faire transpercer d’une flèche par un autre
(Burt Reynolds). Un troisième canoéiste (Jon Voight) tuera un montagnard qui
pourrait être le complice du violeur. . . à moins qu’il n’y ait eu méprise. C’est ce
que suggère le film, qui se referme sur la honte d’un crime inavouable.
Difficile de voir Jon Voight sans penser à toutes ces tueries encouragées par
la nra, la Mafia des armes à feu.

Hangmen also die ! Les bourreaux meurent aussi, Fritz Lang, usa, 1943,
134 mn

Prague, 1942 : après avoir exécuté le “Protecteur” Heydrich, Svoboda (Brian


Donlevy) se réfugie chez le professeur Novotný (Walter Brennan) et sa fille (Anna
Lee). Les Allemands fusillent alors des otages pour amener le coupable à se rendre.
Le scénario de Bertolt Brecht, qui rappelle les films muets de Lang, accumule les
épisodes feuilletonnesques comme celui du faux résistant Čaka (Gene Lockhart)
qui se trahit en s’esclaffant devant une plaisanterie en allemand, langue qu’il est
censé ignorer. A partir de là, toutes ses relations tchèques l’accablent de leurs
faux témoignages pour contraindre ses maîtres de la Gestapo à le liquider comme
auteur de l’assassinat et mettre ainsi fin aux représailles. Tous les Tchèques
unanimes contre un seul traître est une version difficilement acceptable quand on
sait que c’est un des leurs qui dénonça les meurtriers du chouchou d’Himmler,
qui étaient deux. On est loin du Chagrin et la pitié (p. 165).
Petits acteurs du film : Virginia Farmer et Margaret Wycherly, ainsi qu’
Alexander Granach et Reinhold Schünzel, gestapistes assez réussis.
Un film à gros budget pourrait-il dépenser trois sous pour relire les inscriptions
en langues étrangères ? Ici, on écrit Hradžin, alors qu’il faudrait un “č”, Hradčany,
pour le château de Prague. Le tchèque n’est pas connu de tout le monde mais
que dire du “Théâtre de la grimac” qui s’affiche au mur dans Morocco (p. 1052) ?

26
L’homme sans visage Georges Franju, France, 1975, 420 mn

Feuilleton télévisuel dans le style Feuillade, écrit par son petit-fils, Jacques
Champreux qui joue lui-même cet homme sans visage affublé d’une cagoule rouge
peu seyante. Cette version est bien supérieure à Nuits rouges, sa réduction à une
durée de 100 mn soit moins du quart du total.
Production fauchée, dont les acteurs principaux – comme Gert Fröbe, moyen
– sont souvent étrangers et doublés. Et médiocres, sauf Clément Harari – le faux
garçon de café des Espions (p. 394) – dans un rôle qui rappelle celui de Pierre
Brasseur dans Les yeux sans visage (p. 1590).
Comme sortis des Vampires ou Judex (pp. 487, 1645), on retrouve une sorte
de Musidora – la femme en collants sur les toits –, un analogue du policier
comique joué par Marcel Lévesque (Coquantin, Mazamet), un avatar de l’enfant
des rues joué par René Poyen (Bout-de-Zan, Môme Réglisse), mais ils ne valent
pas les originaux. On se rabattra donc sur les seconds rôles, plus satisfaisants
peut-être parce que leurs apparitions sont brèves : Raymond Bussières en faux
acheteur, Marcel Portier qu’on voit chez Sautet, Pierre Collet en grand maître,
Marcel Gassouk et Georges Douking dans des rôles minuscules.
Le film se donne la peine de nous expliquer pourquoi ces Vampires (p. 487) à la
Feuillade sont masqués, même dans leur repère : ce n’est pas pour impressionner
le spectateur, mais pour ne pas risquer de se reconnaître dans la rue et se trahir.
Il y a quelques moments réussis, la marche des spectres à la salle des ventes qui
rappelle la mort de Nicolaieff dans Le joueur d’échecs (pp. 927, 979), ou encore
cette main baguée qui sort du ciment. Par rapport à Feuillade qui bricolait des
épisodes répétitifs à la fortune du pot – on était en guerre –, on a affaire à
un scénario relativement bien structuré, qui entrelace deux mystères, celui de
l’homme sans visage, espèce de Mabuse du pauvre et les Templiers qui seraient
détenteurs d’un secret nucléaire dont le prix est la peste rouge – sorte de cancer
qui atteint le gardien du trésor radioactif ; ça fait un peu Matin des magiciens,
ce qui n’est pas dérangeant dans un film qui ne se prend pas au sérieux. La fin
est bien venue : l’homme sans visage n’est pas tué, il quitte sa fausse mercerie
au bras de sa Musidora, pour sans doute préparer de nouveaux méfaits.
On a dit que le film était anachronique. Est-ce bien sûr ? Avec de bons
acteurs, de vrais décors, cela pourrait tenir la route. Et l’idée technologique
centrale du film – fabriquer des robots humains “aptes à toutes les besognes” –
correspond aux ambitions à peine voilées de l’“intelligence” artificielle. Dans une
nouvelle version du feuilleton, les “spectres” pourraient ainsi se voir implanter
une puce électronique et, devenus trolls sur Internet, contribuer à l’amélioration
de la démocratie.
Le film tranche avec l’esprit de Feuillade, car il a un léger contenu politique.
Tourné sous Pompidou (1973), il dénonce l’exploitation des sans papiers.

27
Jenny Marcel Carné, France, 1936, 92 mn

Excellent premier film de Carné. On remarque surtout les seconds rôles :


Margo Lion en sous-maîtresse, René Génin qui lit les lignes de la main contre un
café-calva, Robert Le Vigan en “Albinos”, un de ses rôles les plus extravagants,
et surtout Jean-Louis Barrault en “Dromadaire”, bossu méchant auquel Prévert
réserve ses meilleures répliques, par exemple “– J’aime mon chat – Tu as un chat ?
– Non, mais j’aime ce que j’ai pas.”. On entrevoit Roger Blin sur un lit d’hôpital
(le malade sans visiteurs) ; dans Le corbeau (p. 1578), toujours hospitalisé, il
aura droit à “Vieux cadavre, tu as un cancer du foie croquignolet qui te mène
grand train aux asticots.” Le rôle de Sylvia Bataille n’est pas aussi mémorable
que sa prestation dans Partie de campagne (p. 1613).
L’hôtel Alsina du film était sis 39, avenue Junot, mais il a fermé depuis. Il a
servi de décor à plusieurs films, dont Baisers volés (p. 1255).

On dangerous grounds La maison dans l’ombre, Nicholas Ray, usa, 1951,


82 mn

Scénario de Bezzerides. Le film oppose la ville nocturne à la campagne en-


neigée et, parallèlement, le flic violent (Robert Ryan) à la douceur de l’aveugle
(Ida Lupino). C’est un peu la suite et réconciliation du Violent (p. 468) du même
Ray.
Remarquable musique de Bernard Herrmann qu’on réentendra dans La mort
aux trousses (p. 993). Parmi les musiques de films réutilisées, celle de Yumeji
(1991), assommant film esthétisant de Seijun Suzuki, auteur plus inspiré par les
yakuzas : Shigeru Umebayashi la remploie dans In the mood for love (p. 569).
Parmi les acteurs, le sempiternel Ian Wolfe, le minuscule Jimmy Conlin, Frank
Ferguson qu’on verra en shérif dans Johnny Guitar (p. 225), Ed Begley, le supé-
rieur hiérarchique. Ward Bond joue le rôle d’un justicier déstabilisé par la jeunesse
du criminel.

The hours Stephen Daldry, usa, 2002, 110 mn

Le film est une illustration du célèbre Mrs Dalloway de Virginia Woolf dont ont
retrouve les thèmes, par exemple la bisexualité, à travers les trois protagonistes :
l’auteure (Nicole Kidman) écrivant le livre en 1923, Laura une épouse américaine
(Julianne Moore) de 1951 qui pense à se tuer puis se ravise et décide de quitter
son mari après la naissance de l’enfant qu’elle porte, et Clarissa (Meryl Streep)
une newyorkaise de 2001 laquelle prend soin d’un poète atteint du sida (Ed
Harris) qui se défenestre sous ses yeux. Il n’était autre que le fils de Laura que
nous revoyons, vieillie, lors d’une rencontre magique avec Clarissa.

28
Circle of danger L’enquête est close, Jacques Tourneur, Grande-Bretagne,
1951, 83 mn

Ray Milland, britannique, prend l’accent américain ; il vient en Grande-Bretagne


enquêter sur la mort de son frère. Sans se refermer franchement, les portes se
dérobent l’une après l’autre. Le film, qui semble tourner à vide, se termine par
un étrange rendez-vous sur la lande aux allures de guet-apens et l’explication du
mystère. Cette atmosphère étrange se retrouvera dans Rendez-vous avec la peur
(p. 396), l’autre film british de Tourneur et peut-être son chef-d’œuvre.
On reconnaît Marius Goring et Naunton Wayne ; ainsi que Patricia Roc, faire-
valoir de Margaret Lockwood dans les productions Gainsborough. Colin Gordon
qu’on aperçoit au début a joué par deux fois le numéro 2 de la série Le prisonnier
(p. 765).
Sur un sujet proche, Les codes de Wojciech Has (p. 1110).

Freaks Tod Browning, usa, 1932, 60 mn

L’histoire n’est qu’un prétexte pour mettre en scène un freak circus comme
il y en avait à l’époque : nains, culs-de-jatte, homme-tronc, siamoises, etc. Il n’y
a que le “freak” de synthèse – ce qu’il reste de la belle Olga Baclanova – qui soit
un trucage.
Irving Thalberg, le producteur monstrueux qui mutila Greed (p. 21) – et qui
n’hésitait pas à tourner de fausses bandes d’actualité pour discréditer un candidat
démocrate – est à l’origine de ce film unique.
Le nain Harry Earles a joué pour le même Browning dans The unholy three
(p. 1268) un bandit qui se fait passer pour un bébé dont la “mère” est. . . Lon
Chaney. Dans le role d’Hercule, Henry Victor, le futur aide de camp Schultz de
Sig Ruman dans To be or not to be (p. 982). Wallace Ford joue un clown.

Decision before dawn Le traître, Anatole Litvak, usa, 1951, 119 mn

Les derniers mois de l’Allemagne nazie dans un décor de ruines et débâcle.


Le film repose sur la composition d’Oskar Werner qui n’a jamais fait son âge au
cinéma : ici, il a l’air d’un gamin alors qu’il approche des trente ans. Le scénario
est de Peter Viertel qui écrira aussi Chasseur blanc cœur noir (p. 1584) d’après
ses souvenirs du tournage d’African Queen (p. 81).
La fille de Pierre Blanchar, Dominique qu’on retrouvera plus tard dans le
meilleur film de Granier-Deferre Une étrange affaire (p. 1013), joue une infirmière
française. O. E. Hasse, l’assassin de I confess (p. 1229), est un général allemand
au bout du rouleau. Dans un rôle minuscule, Klaus Kinski.

29
Muriel, ou le temps d’un retour Alain Resnais, France, 1963, 117 mn

Le meilleur Resnais, sur un scénario de Jean Cayrol, avec lequel il fit aussi Nuit
et brouillard (p. 515). Un abîme sépare ce chef-d’œuvre du Coup de grâce (1966),
mis en scène par le seul Cayrol et ce, malgré une distribution plus impressionnante
que celle de Muriel : Piccoli, Darrieux, Riva.
Le film traite du mensonge sous toutes ses formes : on ment aux autres parce
qu’on se ment à soi-même. Qu’il s’agisse de la torture ou de sentiments amoureux
réchauffés. Le mensonge surgit organiquement de l’opposition entre l’ancien et le
nouveau. Ville (Boulogne sur Mer) à moitié reconstruite, appartement moderne
de Delphine Seyrig où s’entassent des antiquités, gare ancienne où les trains de
Paris ne passent plus. . .
Le film est en même temps ancré dans un temps très concret, où la France
était coupée entre le 110 et le 220 volts. Un temps réglé par un certain type de
banalités que reconnaîtront ceux qui ont vécu cette époque : “– Peut-on mélanger
les styles ? – C’est admis”. C’est le moment du référendum de 1962, nous apprend
un journal, juste après cette guerre d’Algérie qui a vu la mort d’une jeune femme,
baptisée Muriel, sous la torture. Cette torture dont on ne saurait parler est le
mensonge suprême qui entretient une sorte de relation de dépendance avec les
petites lâchetés dont les personnages du film se rendent coupables. Qui voient,
par exemple, le service militaire comme un grande colonie de vacances : “Il a fait
son service, il en est revenu transformé”.
Delphine Seyrig joue une antiquaire qui veut revivre un ancien amour en
refusant de voir qu’il a pris l’eau. Jean-Pierre Kérien, dont c’est le meilleur rôle
au cinéma avec celui d’Un homme marche dans la ville (p. 1069), joue un hâbleur
compulsif, toujours prêt à rendre service, mais fuyant ses responsabilités, plein
d’idées, mais sans le souffle pour les mettre en œuvre. Le rôle le plus touchant
est dévolu à Jean Champion, éternel “troisième couteau” – sauf dans L’invitation
(p. 1075) où il campait un extraordinaire aigri – ; c’est le beau-frère de Kérien
qu’il essaye de ramener au bercail. Le temps s’arrête un instant quand il chante
une chanson de Paul Colline Déjà. Claude Sainval, acteur plus obscur, campe
un profiteur de guerre : c’est le démolisseur attitré de la ville. Il parle avec une
componction qui s’est perdue avec sa génération.
Dans de plus petits rôles, Laurence Badie (de Jeux interdits, p. 37) en amie
intéressée et le neveu de Pierre Fresnay, Philippe Laudenbach, dans son premier
rôle “Muriel, ça ne se raconte pas”. Le loueur de chevaux est joué par Julien
Verdier. Jean Dasté cherche un bouc pour sa chèvre.
Le film, très découpé, bénéficie d’une extraordinaire musique de Hans Werner
Henze.

30
Boudu sauvé des eaux Jean Renoir, France, 1932, 81 mn

Revoici Michel Simon en clochard, juste après La chienne (p. 1560). Il sème
la zizanie chez un aimable bourgeois, par manque de respect, mais aussi d’irres-
pect. C’est en cela que le film dérange car Boudu se fout éperdument de son
environnement : il cire ses chaussures avec le drap de lit, crache dans La physio-
logie du mariage. Puis retourne à son état de clochard heureux en laissant des
regrets chez ces dames. Une chanson vaguement égrillarde “Les fleurs du jardin”,
traverse le film.
Charles Granval, qui campe le libraire voltairien du Quai Voltaire, était l’époux
de Madeleine Renaud. Max Dalban et Jean Gehret jouent les sauveteurs, Jean
Dasté un étudiant : on le trouvera souvent au générique des films de Truffaut et
Resnais. Son seul rôle important est celui du marinier de L’atalante (p. 56).

Sátántangó Le tango de Satan, Béla Tarr, Hongrie, 1994, 421 mn

Chef-d’œuvre de Béla Tarr, maître du plan-séquence. Les grandes lignes de


l’histoire sont faciles à comprendre, mais on manque de repères sur la Hongrie
pour tout saisir. Le scénario est basé sur un roman de László Krasznahorkai,
publié en 1985, ce qui laisse à penser que l’action se passe durant la phase
de décomposition finale du régime communiste. Il s’agit de la liquidation d’un
kolkhoze : un aventurier, en cheville avec la police, escroque les derniers occupants
en s’emparant de leurs indemnités et en leur faisant miroiter un fumeux travail,
en fait d’indicateurs de police, comme il y en avait tant sous le communisme.
On retrouve la plupart des acteurs dans d’autres films de Tarr, en particulier
Damnation (p. 635) et Les harmonies Werckmeister (p. 530). La petite simplette
qui empoisonne son chat avant de se donner la mort jouera, adulte, dans Le
cheval de Turin (p. 266). Le rôle du diabolique Irimiás est tenu par Mihály Vig,
compositeur attitré de Tarr. Ce Satan tient son étrange pouvoir de séduction de
sa diction, qu’il nous est difficile de juger cependant : le Hongrois est accentué sur
la première syllabe, ce qu’il fait qu’il sonne un peu comme une bande magnétique
lue à l’envers et donne une impression de calme qui n’est peut-être pas ressentie
par les Magyars.
Les kholkoziens sont un peu dégénérés : alcool et sexe avant tout. Une scène
de danse hypnotique et avinée – un danseur arbore même une brioche sur le front
– se déroule sous les yeux de la fille simplette qui se tue peut-être pour ne pas
leur ressembler. Le film se clôt – c’est le cas de le dire – sur le médecin alcoolique
du kolkhoze qui, n’ayant plus personne à espionner, cloue ses fenêtres et entame,
à voix haute, un récit de l’histoire du film dans l’obscurité totale.
On reconnaît des lieux des Harmonies Werckmeister, notamment cette place
où déboulent des chevaux. L’extérieur est toujours hostile, pluie ou vent, boue.

31
Fiend without a face Les monstres invisibles, Arthur Crabtree, Grande-
Bretagne, 1958, 74 mn

Le danger nucléaire vu par un réalisateur médiocre, qui n’a guère à son actif
qu’un des sketches de Quartet (p. 882) d’après Somerset Maugham. Son Caravan
(1946) avec Stewart Granger débutant, n’est qu’une lassante accumulation de
poncifs en tous genres.
Le film ressemble à du Ed Wood réalisé de façon compétente ; par exemple, les
pierres tombales ne vacillent pas quand on les touche. Et donc, moins amusant.
Heureusement, l’idée de base est tellement saugrenue qu’elle replace le film,
surtout à la fin, à un niveau de kitsch jubilatoire. L’énergie mentale, stimulée par
la radioactivité, induit une espèce de vampirisme : les monstres invisibles sont en
fait des cerveaux meurtriers qui se matérialisent quand le niveau de radiations
devient trop intense.
Marshall Thompson est acteur de second plan dans quelques films “sérieux”,
e.g., They were expendable (p. 1099).

Paranoiac Freddie Francis, Grande-Bretagne, 1963, 80 mn

Le réalisateur est surtout connu comme directeur de la photographie (Ele-


phant man, p. 438, etc.). Dans cette production Hammer, un seul acteur se
dégage, Oliver Reed, neveu du metteur en scène du Troisième homme (p. 127),
qui a commencé sa carrière dans l’horreur avec La nuit du loup-garou (p. 562).
Le film serait plutôt réussi dans son genre s’il n’exploitait pas lourdement la
veine ouverte par Psychose (p. 1036).

The maltese falcon Le faucon maltais, John Huston, usa, 1941, 100 mn

Première réalisation de John Huston, jusque là scénariste à Hollywood, e.g.,


Sergent York (p. 145). Un dvd, qui couple ce film avec les deux versions précé-
dentes de l’œuvre de Dashiell Hammett (Del Ruth, p. 699 et Dieterle, p. 1176)
permet de voir le fossé qui sépare ce chef-d’œuvre d’une adaptation honnête.
Le couple Sidney Greenstreet/Peter Lorre est extraordinaire ; ils ont d’ailleurs
joué souvent ensemble. Quant à Elisha Cook, il trouve ici un rôle de petite
gouape à la hauteur de son talent. Mary Astor est parfaite en criminelle ambiguë ;
interprétation emblématique de Bogart.
Dans des petits rôles : Jerome Cowan joue Spade, le partenaire de Bogart,
Barton MacLane et Ward Bond sont des flics, James Burke un détective d’hôtel.
Walter, le père du réalisateur, fait une brève apparition en Capitaine Jacoby.
La célèbre réplique finale est tirée de Shakespeare (La tempête) : “We are
such stuff as dreams are made on”.

32
Karumen kokyō ni kaeru Carmen revient au pays, Keisuke Kinoshita, Japon,
1951, 83 mn

Premier film japonais en couleurs (Fujicolor), entièrement tourné en exté-


rieurs, au pied du Mont Asama, la véritable vedette du film. Le film charme par
sa fraîcheur. Carmen (Karumen en japonais) est une strip-teaseuse, jouée par
Hideko Takamine (de Nuages flottants, p. 1566) qui vient faire un tour au village
natal avec une collègue : finalement, ces filles un peu délurées (elles fument)
danseront, au pied de la montagne, au son des Moments musicaux du célèbre
compositeur allemand Shoe Belt (= Schubert).
On reconnaît Chishū Ryū, qui avait déjà joué avec Kinoshita un rôle extrême-
ment déplaisant dans le film de propagande L’Armée (p. 181) ; ici, il correspond
à l’acteur qu’on aime chez Ozu. Takeshi Sakamoto, grande vedette des années
1930 (le premier Ukikusa d’Ozu, p. 690) joue le père de Carmen. On reconnaît
aussi Keiji Sada (fils de Ryū dans Le goût du sake, p. 35) et Kōji Mitsui, acteur
récurrent de Kurosawa.
Chanson lancinante Mon village natal composée par l’aveugle (Sūji Sano).

Dead reckoning En marge de l’enquête, John Cromwell, usa, 1946, 100 mn

Film bien fait avec Humphrey Bogart et Lizabeth Scott, sorte de Lauren
Bacall du pauvre. Mais qui ne convainc pas complètement : on n’y sent pas
la fatalité propre au film noir. Seul moment d’émotion, ce parachute qui s’ouvre
symboliquement lors du “grand saut” de la femme fatale : “Geronimo” dit Bogart.
Petits rôles pour Wallace Ford et James Bell. Le réalisateur apparaîtra très
vieux – 90 ans – en évêque gâteux dans A wedding (p. 989).

Seven chances Fiancées en folie, Buster Keaton, usa, 1925, 57 mn

Keaton est obligé de se marier à tout prix, ce qui fait qu’on lui propose
des choix ridicules. Par exemple, une fillette, une Juive, une Noire ! Ce racisme
s’exprime aussi par la présence d’un acteur blanc passé au cirage, Jules Cowles
dont c’était la spécialité. C’est l’opposé des modernes quotas qui obligent, au
contraire à faire jouer des Noirs, souvent sans rime ni raison : quel rôle dans une
nouvelle version de Jeanne d’Arc ? Un Anglais, peut-être. . .
La poursuite finale, qui voit une foule de femmes courant après le pauvre
Buster, est un cauchemer misogyne qui n’aurait vraiment de sens que dans un
paradis mormon où Buster pourrait les épouser toutes à la fois.
Dans un second rôle, on reconnaît le minuscule Snitz Edwards (1,52 mètre).

33
Brazil Terry Gilliam, Grande-Bretagne, 1985, 143 mn

Le meilleur Terry Gilliam, après le coup d’essai réussi de Time bandits (p. 87).
Il semble que les producteurs s’ingénient, depuis, à lui confier de gros budgets
tout en lui rognant les ailes : tous ses films postérieurs à Brazil déçoivent.
Le film est un peu l’adaptation réussie du 1984 d’Orwell, bien plus satisfai-
sante que celle de Michael Radford (p. 1602) qui fut le dernier film de Richard
Burton. Sur un mur, une affiche “Ne soupçonnez pas un ami, dénoncez-le” donne
le ton. Le sens pictural de Gilliam se manifeste à travers un décor oppressant,
style années 1930 et une architecture bofillesque, avec des scènes de cauchemar
qui reprennent son imagerie habituelle. Les machines, à la fois contemporaines
et un peu vieillottes, donnent l’impression d’un monde parallèle au nôtre, où les
outils n’auraient pas été développés de la même façon. Cette technologie est
dominée par une tuyauterie omniprésente, à la fois apparente et cachée : gérée
par “Central Services”, métaphore du totalitarisme.
Le thème musical “Brazil” renvoie à un tube de 1939. Il accompagne les rêves
dans lesquels s’évade facilement le héros (Jonathan Pryce). Le faux happy end
est particulièrement réussi. En particulier quand les papiers se mettent à entraver
le plombier pirate joué par De Niro, à le recouvrir. . . le héros enlève les papiers
et il n’y a plus rien ; comme ça se passe souvent dans les rêves.
Le second docteur est joué par le nain Jack Purvis de Time bandits. Et l’“ami”
tortionnaire par le Monty Python Michael Palin.

Max et les ferrailleurs Claude Sautet, France, 1971, 107 mn

Un des meilleurs Sautet (avec Mado, p. 416, et les trois derniers). L’histoire
est un peu celle de Kansas City confidential (p. 1592) : le flic Max (Michel Piccoli)
veut se faire mousser en pinçant les coupables d’un hold-up dont il est l’initiateur.
Mais alors que dans le film américain, les coupables étaient de vrais gangsters, il
s’agit ici d’une pitoyable, presque sympathique, bande de petits voyous vivant de
petits trafics. Dans cette bande de “ferrailleurs” menée par Bernard Fresson se
détachent le chanteur Boby Lapointe et Michel Creton (Armaguedon et Tenue de
soirée, pp. 1120, 777). Pour une fois, la bande de copains n’est pas bourgeoise.
Les flics sont joués par Michel Piccoli, Georges Wilson et François Périer.
La machine infernale montée par Max se brise sur une faiblesse inattendue :
le sentiment – lequel, on ne sait pas trop, lui non plus d’ailleurs – qu’il éprouve
pour une prostituée (Romy Schneider), pièce maîtresse de cette manipulation.
Musique de Philippe Sarde, compositeur attitré de Sautet. Scénario de Claude
Néron. On entrevoit l’hôtel Alsina de Jenny (p. 28). Petits rôles pour le débutant
Philippe Léotard, Bernard Musson et le sempiternel Dominique Zardi.

34
Sanma no aji Le goût du sake, Yasujirō Ozu, Japon, 1962, 113 mn

Le dernier film d’Ozu, littéralement Le gôut du balaou (sanma), un poisson


du Pacifique inconnu sous nos longitudes.
Le film se passe dans divers lieux de boisson ; il y a d’abord un restaurant où
se retrouvent les trois compères de Fleurs d’équinoxe (p. 77), Horie, Kawai et
Hirayama, dont le rôle est tenu ici par Chishū Ryū, celui de la patronne étant
assuré par la même Toyo Takahashi. Il y a aussi un bar, tenu par Kyōko Kishida
(de La femme des sables, p. 1429), où l’on passe de la musique militaire et où la
rencontre de Chishū Ryū avec Daisuke Katō, l’acteur-fétiche de Naruse, donne
cette scène d’anthologie : “– Si l’on avait gagné la guerre, on jouerait du shamisen
dans les rues de New York – On a peut être bien fait de perdre”. Enfin une gargote
tenue par La Calebasse (Eijirō Tono), l’ancien instituteur du trio dont la fille est
jouée par Haruko Sugimura, actrice ordinairement vouée aux rôles de punaise qui
campe ici une vieille fille aigrie, sacrifiée à l’égoïsme de son père : après que les
trois copains l’ont ramené saoul, elle se met à sangloter dans son coin.
L’histoire est de l’Ozu à l’état pur : un père marie sa fille. . . mais on ne
voit même pas l’époux. Malgré la musique alerte, avec un petit côté Mon oncle
(p. 13), de Takanobu Saitō, c’est un film triste : resté seul à la fin, le héros
contemple ces pièces désormais vides et boit pour ne pas pleurer.

The man from Laramie L’homme de la plaine, Anthony Mann, usa, 1955,
102 mn

Dernier western de la série Mann/Stewart. Sur un scénario signé Philip Yordan


et peut-être écrit par Philip Yordan.
Comme souvent dans la série, le héros joué par James Stewart est un per-
sonnage évolutif ; il est ici animé par une obsession vengeresse dont il finit par
se libérer en renonçant à punir le coupable, ce qui ne change pas grand’chose
puisqu’il l’abandonne aux Indiens.
Donald Crisp, vétéran du cinéma américain, campe un cattle baron un peu
trop vertueux qui n’a d’égards que pour son fils dégénéré. Son fils adoptif (Arthur
Kennedy) est mi-bon, mi-méchant comme dans Bend of the river (p. 402). Il finit
pourtant par tuer son “frère” et s’attaquer à son “père” dans un lieu isolé qui est
comme le point nodal du film et où il trouvera lui-même la mort.
Aline MacMahon, actrice des années 1930, est bien servie dans son rôle d’alter
ego de Donald Crisp. Celui de Cathy O’Donnell (de They live by night, p. 53) est
par contre plus nunuche. L’Indien du film est joué par John War Eagle dont le
nom indique qu’il n’est pas “caucasien”. On reconnaît aussi le sempiternel Wallace
Ford. Et l’extraordinaire Jack Elam dont le personnage n’est pas assez développé.

35
The bridge on the river Kwai Le pont de la rivière Kwai, David Lean,
Grande-Bretagne, 1957, 161 mn

Le film est dominé par les compositions de Sessue Hayakawa – l’acteur japo-
nais international de l’époque, avant Toshirō Mifune et “Beat” Kitano – et Alec
Guinness. Ils représentent deux aspects du militarisme. Hayakawa veut, avant
tout, gagner la guerre. Le Bushidō, code du guerrier, considère qu’on ne doit
pas tomber aux mains de l’ennemi : d’où une brutalité marquée à l’égard des
prisonniers. Guinness veut, quant à lui, préserver l’Armée : la discipline, les droits
des officiers, le bien-être des soldats. Il est d’une intransigeance absolue à ce
sujet. Mais, dès qu’on lui rend son joujou, il perd toute forme de patriotisme et
se met à servir l’ennemi en perdant toute mesure : il finira par faire travailler les
blessés. William Holden est un opportuniste tire-au-flanc qui n’inspire pas une
grande sympathie.
Adapté de Pierre Boulle, ce blockbuster intelligent s’en prend donc plus à l’es-
sentialisme militaire, symbolisé par cet absurde pont, qu’à la guerre elle-même ;
la dernière réplique du film : “Folie, folie !” trahit un peu son esprit, qui n’est pas
vraiment pacifiste.
Les militaires de Ceylan sont joués par Jack Hawkins et André Morell qui
sera, dans Barry Lyndon (p. 403), la planche pourrie que le héros espère utiliser
pour approcher le roi. La célèbre “marche du colonel Bogey” date de 1914.

Forbidden planet Planète interdite, Fred M. Wilcox, usa, 1956, 98 mn

Film de science-fiction dont la vedette est Robby le robot. Les acteurs dé-
çoivent, sauf Walter Pidgeon. On peut sauver, à la rigueur, le médecin (Warren
Stevens, le producteur de La comtesse aux pieds nus, p. 40) et Earl Holliman en
cuisinier qui se fait livrer 50 gallons de bourbon par Robby.
L’idée intéressante du film est de faire fonctionner un amplificateur du ça (en
Anglais “id”) de Walter Pidgeon pour produire un monstre invisible et meurtrier
qui réalise les désirs inconscients de cette espèce de savant fou. La progression
géométrique en puissances de 10 des cadrans suggère des niveaux d’énergie sans
rapport avec les limites admises de l’Univers.
Il y a un réjouissant côté Intelligence artificielle, qui s’exprime ici dans toute sa
niaiserie. Les personnages connaissent tous leur qi, le robot analyse la nourriture
et fabrique immédiatement des plats de synthèse, les Krells savaient tout ou
à peu près, etc. “– Robby peut-il se tromper ? – Jamais”. Ce scientisme, aussi
obscurantiste que les histoires de vampires, reste très amusant, au second degré
du moins. Au premier degré, sur France-Culture par exemple, beaucoup moins :
c’est la dystopie avançant ses pions.

36
Jeux interdits René Clément, France, 1952, 86 mn

Situé dans la France rurale, au début de la dernière guerre, le film a quelque


chose de commun avec La chambre verte (p. 1096) : la création d’une sorte
d’autel des morts. Avec une différence essentielle, les officiants sont des enfants.
Georges Poujouly, acteur qui ne passera pas le cap difficile de l’âge adulte – on
le revoit en petite gouape dans Ascenseur pour l’échafaud (p. 458) –, joue un
enfant qui vient de perdre son frère. C’est surtout Brigitte Fossey, alors âgée de
5 ans, qui est la vedette de cette œuvre sans concession : ses parents sont morts
dans l’exode et, sans identité, elle est destinée à la triste vie des orphelinats. Dans
un second rôle, la débutante Laurence Badie, qu’on reverra dans Muriel (p. 30).
Détail d’époque, le hideux art funéraire qui cherchait sans doute à culpabiliser
les vivants. Le célèbre thème s’entend déjà dans Blood and sand (p. 1035) : la
fiche IMDb le présente comme Romance de amor de Fernando Sor. Contrairement
à un préjugé très répandu, il n’est donc pas de Narciso Yepes qui avait 14 ans
en 1941. Dans son Voyage à travers le cinéma français (p. 650), Tavernier nous
apprend que le film fut d’abord tourné comme un sketch.

Night and the city Les forbans de la nuit, Jules Dassin, Grande-Bretagne,
1950, 96 mn

Richard Widmark dans un de ses meilleurs rôles, Fabian, un petit escroc


capable de monnayer une autorisation administrative bidon : un peu d’eau sur le
document falsifié vendra la mèche. Il a quand même un coup de génie, celui de
jouer sur l’opposition entre la lutte gréco-romaine et le catch : Gregorius, lutteur
à l’ancienne, déteste ce type de cirque promu par son fils Kristo (Herbert Lom).
Fabian met Gregorius dans sa poche en prétendant organiser un combat gréco-
romain, alors qu’il cherche uniquement à l’opposer à un catcheur, l’Étrangleur
(Mike Marzuki). Le plan ne fonctionne que trop bien, mais Gregorius meurt des
suites d’une altercation avec l’Étrangleur. Plus rien ne protège alors Fabian de la
vindicte de Kristo. La chasse à l’homme se terminera, au terme d’une poursuite
nocturne dans Londres, au pied du monstrueux pont victorien de Hammersmith.
Dassin sera blacklisté après ce film et ne refera surface, difficilement, qu’en
France. Le film est cependant très américain dans sa moralité : les méchants sont
punis, les bons récompensés. Le patron d’une boîte de nuit (Francis L. Sullivan) a
été abandonné par sa femme (Googie Withers) ; quand elle revient au bercail, elle
découvre son mari suicidé, mais elle n’héritera pas pour autant. L’héroïque épouse
de Fabian (Gene Tierney, qui méritait un rôle plus étoffé) n’est pas abandonnée
à sa douleur : un consolateur, joué par Hugh Marlowe, est en vue.

37
Moonfleet Les contrebandiers de Moonfleet, Fritz Lang, usa, 1955, 83 mn

Une histoire d’aventures vue à travers les yeux d’un enfant comme chez
Stevenson (L’île au trésor, Enlevé !). Les quatre personnages principaux sont
mauvais et comme on est à Hollywood, de plus chez la mgm, ils payent tous de
leur vie, ainsi que l’horrible juge pendeur. Lord Ashwood (George Sanders) est un
cynique vicieux, alors que Fox (Stewart Granger) garde une étincelle de bon, la
nostalgie d’une innocence perdue ; son retournement de dernière minute causera
sa perte. Mais l’enfant continuera à croire en lui et à attendre son retour.
Les contrebandiers composent une bande assez effrayante qu’on ne voit pas
assez : Jack Elam, Skelton Knaggs sont sous-utilisés.
La séance d’inspection bidon qui se termine par l’arrivée du véritable gradé
en sous-vêtements rappelle Le lotus bleu d’Hergé.

Gilda Charles Vidor, usa, 1946, 110 mn

Le troisième personnage de ce film splendide est Ballin, joué par Georges


Macready. Trois signes le rendent inquiétant : l’arme sournoise et atypique dont
il se sert, la canne-épée, sa balafre qu’une photo en contre-jour met bien en
évidence et les stores vénitiens de son bureau, signes de danger.
Excellents seconds rôles : Joe Sawyer en brute opportuniste, Joseph Calleia en
policier sympathique et surtout Steven Geray, l’Oncle Pio qui traite Farrell (Glenn
Ford) de paysan. Gilda (Rita Hayworth) chante pour lui seul en s’accompagnant
d’une guitare dont elle ne sait pas jouer : sa main gauche ne bouge pas.
Nombreuses scènes mémorables : le bal masqué ou encore celle où le petit
industriel ruiné par le cartel (Saul Martell) se met à tirer sur Ballin. Ce cartel a
une vague ressemblance avec le sinistre club nazi de Notorious (p. 982).

Dead of night Au cœur de la nuit, Grande-Bretagne, 1945, 104 mn

Film à sketches réalisé par Alberto Cavalcanti, Charles Crichton, Basil Dear-
den et Robert Hamer dont la structure est celle d’un cauchemar cyclique. Le
héros (Mervyn Jones) arrive dans un lieu dont il a souvenir d’avoir rêvé. Il prévoit
ce qu’il va se passer, il va par exemple commettre un meurtre. Il se réveille de ce
cauchemar pour retourner dans le même lieu. On est dans donc dans un rêve où
l’on rêve qu’on rêve qu’on rêve. . .
Miles Malleson est un inquiétant chauffeur de corbillard. Dans le sketch co-
mique du film, les compères Naunton Wayne et Basil Radford qui jouaient déjà en
tandem dans Une femme disparaît (p. 457), en compagnie de Michael Redgrave
qui campe ici le ventriloque fou du sketch le plus mémorable du film.

38
Written on the wind Écrit sur du vent, Douglas Sirk, usa, 1956, 100 mn

Mélodrame Universal de Sirk avec Rock Hudson, ainsi que Robert Stack et
Dorothy Malone ; on les retrouvera dans The tarnished angels (p. 1010). C’est un
feuilleton style Dallas, avec un magnat du pétrole, son fils (Stack) alcoolique et
violent et sa fille (Malone) “tramp” que la police (privée !) repêche dans un motel
en compagnie d’une rencontre de hasard. Face à ces tordus, deux personnages
que l’argent n’a pas pourris, joués par Hudson et Lauren Bacall.
Cette histoire est sauvée par un traitement paroxystique : par exemple quand
Malone danse dans sa chambre, alors que son père – joué par Robert Keith,
le colonel sonné de Men in war (p. 1488) – a une attaque dans l’escalier. Le
film s’ouvre d’ailleurs sur un coup de feu et ce vent qui balaye les feuilles d’un
calendrier 1956, 1955. . . , pour se terminer par l’assagissement de la désormais
héritière de l’empire : beau plan où elle témoigne, auréolée de son chapeau noir.

The postman always rings twice Le facteur sonne toujours deux fois, Tay
Garnett, usa, 1946, 108 mn

D’après James Cain. Cecil Kellaway campe un mari âgé qui mégote sur l’élec-
tricité, mais qui, comme tous les radins, l’utilise sans compter dès qu’il ne la paye
plus. Et qui offre à son épouse (Lana Turner) un avenir radieux, s’occuper d’une
sœur paralytique dans le Grand Nord canadien. L’assassinat devient presque de
la légitime défense ! Hume Cronyn joue un avocat retors qui dame le pion au
procureur (Leon Ames).
John Garfield devait être blacklisté, mais les persécutions dont il fut, en plus,
victime de la part de la police politique maccarthyste précipitèrent sa mort.

The lost weekend Le poison, Billy Wilder, usa, 1945, 101 mn

Le second film important de Wilder, sorte de descente aux enfers d’un alcoo-
lique (Ray Milland). Cachettes, petits vols, mensonges, humiliations d’un enfant
pris la main dans la boîte à bonbons ; mais un moment de honte est vite passé.
Tout ça mènerait au délirium – et même à la mort sans le happy end final.
Excellent gag des prêteurs sur gages irlandais “solidaires” de leurs collègues
juifs fermés pour Kippour, qui leur rendent la pareille pour la Saint Patrick.
Dans les seconds rôles, Howard Da Silva qui devait être blacklisté quelques
années plus tard. Et aussi Doris Dowling (de Riz amer, p. 52), avec ses tics de
langage “Don’t be ridic”, mais aussi son amour pour le héros. Dans une version
du film sans happy end, on pourrait imaginer le héros buvant avec elle le calice
du Day of wine and roses (p. 1011) jusqu’à la dernière goutte. On entr’aperçoit
Douglas Spencer (The thing, p. 457) à la cellule de dégrisement.

39
Basic instinct Paul Verhoeven, usa, 1992, 128 mn

Film misogyne, basé sur l’idée qu’“elles” sont toutes des meurtrières. Histoire
tordue de manipulations à tiroirs, centrée autour de Catherine Tramell (Sharon
Stone) qui aurait tué ses parents, ses amants, poussé sa maîtresse – elle est aussi
lesbienne – au crime, tout en écrivant des best-sellers à ce sujet. Son amie brune
sur laquelle retombent tous les soupçons à la fin est-elle la véritable meurtrière ?
Réponse au pied du lit avec ce pic à glace – arme déjà utilisée pour tuer Trotsky
– qui attend la fin des ébats amoureux. Ceci dit, il y a contradiction entre l’idée
de pulsion incontrôlable et celle de manipulation savamment organisée.
La chair est triste au cinéma : trop de sexe explicite, Sharon Stone qui décroise
les jambes pour montrer sa toison aux inspecteurs, etc., tue le sexe.
Dorothy Malone trouve ici son dernier rôle : elle joue une sorte de mère
de toutes les meurtrières. George Dzundza, qui jouait un des copains de The
deer hunter (p. 990) est ici le collègue du héros (Michael Douglas), victime d’un
meurtre qui rappelle celui de Psychose (p. 1036). Petit rôle de psy pour James
Rebhorn. L’imprimante archaïque date le film.

The barefoot contessa La comtesse aux pieds nus, Joseph L. Mankiewicz,


usa, 1954, 130 mn

Production de la compagnie Figaro de Mankiewicz. L’histoire est racontée en


flash-back et à plusieurs voix. Bogart est un metteur en scène “on the wagon”,
ı.e., alcoolique en phase d’abstinence. Edmond O’Brien, excellent, campe un
“yes man” dégoulinant de sueur, Rossano Brazzi un Prince Charmant qui épouse
une actrice – c’est presque Rainier de Monaco et Grace Kelly ! La Cendrillon
de l’histoire (Ava Gardner) a un côté obscur : sexualité centrée sur les voyous,
relations ancillaires. Et le prince Torlato-Favrini cache une blessure de guerre qui
lui interdit certaines activités. Il n’en informe son épouse qu’au moment de la
nuit de noces, ce qui n’est pas une idée de scénariste : le mariage à l’ancienne,
était un lapin dans un sac qui réservait d’étranges surprises à l’ouverture.
Dans les seconds rôles, Warren Stevens campe un producteur hollywoodien
borné et d’un conformisme écœurant “Toutes les mamans sont des saintes”. Face
à lui, Marius Goring, acteur plus connu (The red shoes, p. 1322, etc.) joue un
milliardaire du guano tout aussi odieux, mais moins bête. Franco Interlenghi (de
Sciuscià (p. 653), I vitelloni, p. 535) et Valentina Cortese (alias Cortesa) ont des
petits rôles.
La jet set de l’époque, appelée “international set” met en scène de façon
transparente l’ex-Roi Edward viii, exilé pour cause de nazisme.
Le film se termine dans une Ligurie pluvieuse un peu atypique. Comme sortie de
Pandora (p. 1580), la statue d’Ava Gardner regarde les vivants sortir du cimetière.

40
Les disparus de Saint-Agil Christian-Jaque, France, 1938, 94 mn

Comme tout les films pour enfants, le problème est la liaison entre deux
mondes. Celui des enfants gravite autour du club secret des Chiche-capons. Le
rôle principal est tenu par Serge Grave dont la carrière s’essouflera avec l’âge
adulte : on le voit pour la dernière fois dans Sous le ciel de Paris (p. 467) dans
un rôle sans intérêt. On remarque aussi Marcel Mouloudji. En face, il y a des
bandits, mais gentils ; d’ailleurs ils font de la fausse monnaie, ce qui n’est pas
très grave. Parmi ces malfaiteurs, Robert Le Vigan, qui se déplace comme s’il
était un courant d’air, qu’on voit jouer. . . au loto. Les autres font un peu penser
à Tirez sur le pianiste (p. 1565). Ils séquestrent un Chiche-capon qui leur lit des
romans mexicains : “Est-ce que c’est ma faute à moi si je ne sais pas lire ?”. À
cette réplique, on reconnaît la patte de Prévert.
Et le personnel du pensionnat : Armand Bernard en concierge à la Bourvil.
René Génin est professeur de musique ; ses élèves qui rêvent d’Amérique répètent
Stars and stripes forever. Le directeur (Aimé Clariond) est le seul méchant de
l’histoire ; c’est lui qui tue le professeur alcoolique joué par Michel Simon.
Stroheim, affublé d’une coiffure en brosse, est le trait d’union entre les deux
mondes ; son caractère inquiétant est accentué par son accent étranger. C’est à
lui que Serge Grave confiera la fourchette instrument du court-circuit qui avait
plongé le collège dans une obscurité propice au meurtre. Il rejoint à la fin les
Chiche-capons pour une réunion en présence de Martin Squelette.
Le film adapte, comme Goupi Mains-Rouges (p. 998), un roman de Pierre Véry.
Absence complète de femmes et atmosphère d’avant-guerre : “Ça va éclater”.
Contrairement à ce qu’on a pu écrire, Claude Roy, majeur à l’époque, ne joue
pas dans ce film : le “garçon à la tortue” de ce nom a dans les 8 ans.

Captain Clegg Le fascinant Capitaine Clegg, Peter Graham Scott, Grande-


Bretagne, 1962, 79 mn

Il s’agit d’une histoire de gendarmes et de voleurs. Chez les gendarmes, on


remarque surtout Patrick Allen, qui veut absolument pendre ce village de contre-
bandiers. Et une espèce de brute épaisse, un muet qui sera la némésis du prêtre
du village. Ce dernier, campé par Peter Cushing, l’acteur emblématique de la
Hammer, est en réalité le Capitaine Clegg, pirate mal pendu qui a appris aux vil-
lageois comment s’enrichir aux dépens du Trésor. Jack MacGowran (le professeur
Abronsius du Bal des vampires, p. 546) campe un divertissant contrebandier.
Rérence à Pimpernel Smith (p. 1435) avec l’épouvantail blessé ; on doute
cependant qu’avec sa carrure Oliver Reed ait pu s’y dissimuler. Quant aux sque-
lettes phosphorescents censés effrayer la police. . . Magré ce manque de sérieux,
le film est bien enlevé, avec de belles images.

41
The body snatcher Le récupérateur de cadavres, Robert Wise, usa, 1945,
78 mn

C’est plus un film du producteur rko Val Lewton, que de Wise, alors débu-
tant. John Gray (Boris Karloff) est un précieux, mais encombrant, auxiliaire qui
fournit à la science des cadavres d’une fraîcheur inégalée : on le voit doubler en
calèche une chanteuse des rues dont la voix s’éteint subitement dans le brouillard.
Henry Daniell, acteur dévolu aux rôles antipathiques, déplaisants, joue le médecin
MacFarlane, principal client de Gray. La fin du film montre MacFarlane, devenu
détrousseur de sépultures, pris dans une tempête avec le cadavre qu’il transporte
et prend pour celui de Gray qu’il a auparavant tué.
Le scénario fait explicitement référence aux sinistres Burke et Hare qui, dans
les année 1828, fournissaient le Dr. Knox en “sujets” en utilisant les méthodes du
film. Burke fut pendu, Hare s’en tira et Knox ne fut même pas inquiété. Situé à
Édimbourg, le film présente Henry Daniell comme un ancien élève de Knox.
Bela Lugosi a un second rôle peu développé.

Koi no tsumi Guilty of romance, Sion Sono, Japon, 2011, 145 mn

Le film, magnifique, se présente comme l’itinéraire d’Izumi, femme japonaise


traditionnelle qui se dévergonde sous l’influence de Mitsuko jusqu’à devenir pros-
tituée. Cela commence comme une version torride de Belle de jour (p. 1314),
la fascination d’une vie parallèle. Jusqu’au momemt où Izumi est mise en rela-
tion“professionnelle” avec son propre mari, un indifférent qu’elle n’a cessé d’aimer
et cherchait en quelque sorte à rejoindre à travers des expériences paroxystiques.
Elle comprend alors qu’elle a été manipulée par Mitsuko, depuis longtemps
la maîtresse de ce mari opaque, laquelle Mitsuko cherche son père à travers le
sexe. Le château de Kafka est la métaphore de cette quête : on n’y entre pas,
sinon par la mort, suite logique des petites morts. Restée seule, Izumi, japonaise
à gros seins, devient une sorte de pierreuse : étendue dans une rue, frappée par
des clients, ensanglantée, elle manifeste une sorte de satisfaction. Elle a peut-être
trouvé la porte du château : “Je m’immobilise dans tes larmes”.
On pense à L’empire des sens (p. 683) pour Mitsuko et, pour Izumi, à la
fin de The gambler (p. 1154) : James Caan contemplant, dans un miroir, la
belle balafre qu’il a réussi à se faire faire. Cependant, l’auto-destruction n’est
pas vraiment le but des deux femmes, il est plus positif ; même si, en termes de
résultats, cela ne fait guère de différence.
Le dvd indique, à la japonaise, Sono Sion : Nom Prénom comme Lacombe
Lucien. L’adagietto de la cinquième de Mahler renvoie à Mort à Venise (p. 100).

42
La cérémonie Claude Chabrol, France, 1995, 107 mn

Excellente distribution pour ce film tourné à Saint Malo. D’un côté des bour-
geois bobos (Jean-Pierre Cassel, Jacqueline Bisset, Virginie Ledoyen), qui ont
tout, en particulier la culture : Mozart (Don Giovanni) est leur référence, telle-
ment habituelle qu’on cite les concertos par leur référence Köchel.
Un abîme les sépare de leur nouvelle bonne, jouée par Sandrine Bonnaire ;
cette “perle” est capable de tout, y compris de meurtre, pour éviter que son se-
cret – elle ne sait pas lire – ne se dévoile. Elle fait la rencontre d’une postière
aigrie (Isabelle Huppert) qui, comme Stéphane Audran dans Poulet au vinaigre
(p. 223), ouvre le courrier. Huppert a commis un enfanticide, mais “Ils n’ont rien
pu prouver”. Elle en veut au monde entier, en particulier à ce monde paternaliste
dont elle est exclue ; voir les scènes liées au Secours Catholique. Si la plus ve-
nimeuse des deux est Huppert, la plus violente est, finalement, Bonnaire qui ne
veut laisser aucun témoin de son illettrisme.

Bad lieutenant Abel Ferrara, usa, 1992, 96 mn

Extraordinaire Harvey Keitel en flic drogué, racketteur et j’en passe. Qui tire
au pistolet sur son auto-radio coupable de lui avoir annoncé la défaite de l’équipe
sur laquelle il a parié. Scène étonnante de masturbation dans la rue avec la
complicité – non voulue – de deux jeunes femmes qui n’ont pas vraiment l’air de
vierges effarouchées.
Et puis ce ripou est touché par la grâce, parce qu’une nonne violée ne porte
pas plainte, qu’elle pardonne à ses agresseurs. Le mauvais flic rencontre même le
Christ – assez saint-sulpicien – en croix dans l’église, ce qui n’est pas plus bizarre
que des éléphants roses. Et pardonne aux coupables, qu’il se contente d’exiler.
Mystères du catholicisme. . . Dans un second rôle, Victor Argo.

Fah talai jone Les larmes du Tigre Noir, Wisit Sasanatieng, Thaïlande, 2000,
97 mn

Western thai, donc eastern. Vus d’un peu loin, les acteurs pourraient d’ailleurs
passer pour des mexicains si le décor n’était extrême-oriental, un peu années
1950. Couleurs criardes et fausses, scènes de dégainage, font du film un pastiche
de western spaghetti, donc un pastiche de pastiche. L’harmonica nous renvoie à
Sergio Leone et à Il était une fois dans l’Ouest (p. 1326), mais c’est plutôt au
nostalgique Il était une fois en Amérique (p. 281) que le film fait penser avec
la fin dramatique et, contre toute attente, un peu triste : Tigre Noir est étendu
mort dans les bras de la femme de sa vie.

43
The man who shot Liberty Valance L’homme qui tua Liberty Valance,
John Ford, usa, 1962, 123 mn

Le film commence avec un train qui arrive à Shinbone (littéralement, tibia) et


se termine avec ce même train qui remmène l’homme qui tua Liberty Valance :
un sénateur (James Stewart) à l’accent américain très marqué. Ce n’est pas lui
qui a tué l’homme de main des éleveurs, mais, comme le dit la célèbre réplique :
“Print the legend”.
Derrière une apparence brutale, qui s’accorde d’ailleurs avec ses prises de
positions sans nuances sur la guerre au Vietnam, John Wayne joue, comme dans
The searchers (p. 397), le rôle d’un homme amer, profondément blessé. On le
revoit, au moment de la convention du territoire, sale, mal lavé, de toute évidence
un peu imbibé ; capable de dépit amoureux, il a mis auparavant le feu à la maison
qu’il pensait occuper la future épouse du sénateur (Vera Miles).
Le porte-parole du clan des éleveurs est campé par John Carradine, excellent,
et son bras séculier Liberty Valance par Lee Marvin. Lee Van Cleef, alors au creux
de sa carrière, est un de ses assistants ; il fut relancé par Et pour quelques dollars
de plus (p. 1562).
Parmi les acteurs de second plan, on reconnaît Andy Devine. Et surtout
Edmond O’Brien en alcoolique, sympathique, comme toujours chez Ford. Allusion
inattendue et amusante au “spittoon” (crachoir) installé près de Stewart dans le
train. Paramount, qui produit le film, n’est pas le studio de prédilection de Ford
qui serait plutôt Fox, voire Republic, la plus grande des petites compagnies.

Dark passage Les passagers de la nuit, Delmer Daves, usa, 1947, 102 mn

Un des films du couple Bogart/Bacall. La première partie est en caméra


subjective car le héros change de visage ; au début, seule la voix de Bogart est
reconnaissable. Le happy end final est surprenant : bien sûr le héros avait été
condamné à tort, bien sûr les deux morts qu’il a causées sont accidentelles, mais
la justice aurait dû passer quand même pour respecter l’esprit du code Hays.
La vieille taupe américaine Agnes Moorehead est ici carrément une double
meurtrière. Bruce Bennett (l’éphémère quatrième homme du Trésor de la Sierra
Madre, p. 1316) est moins intéressant que le maître-chanteur joué par l’obscur
Clifton Young.
Le film nous présente un univers parallèle d’entraide des victimes de la société.
Le chauffeur de taxi (Tom D’Andrea) et le chirurgien (Houseley Stevenson à
l’étrange visage) en font partie. Il ne s’agit pas d’une conspiration, ni même de
l’honneur des truands façon Melville, mais d’une espèce fraternité, de philadelphie
désintéressée et donc peu américaine.

44
Ikiru Vivre, Akira Kurosawa, Japon, 1952, 143 mn

La grand rôle de Takashi Shimura, alors âgé de 47 ans. Il joue un chef de


service que les autres employés de la mairie surnomment la Momie. Une momie
que la révélation d’un cancer à l’estomac en phase terminale réveillera.
Longue scène (25 minutes) en compagnie d’un écrivain, joué par une espèce
de Michel Simon japonais, Yūnosuke Itō, qui se présente comme son Méphisto-
phélès : pachinko (le flipper japonais), boîte de nuit où l’ex-momie interprète une
chanson lugubre, strip-tease, puis femmes légères et vomissements. On trouve
des séquences similaires dans plusieurs autres films de Kurosawa, notamment
Chien enragé (p. 399) et Entre le Ciel et l’Enfer (p. 174). Juste avant l’épisode
nocturne, une de ces fulgurances typiques de Kurosawa : “Mitsu, Mitsu” dit le
héros alors que les images se bousculent pour lui rappeler le départ de son fils à
la guerre dans une débauche de drapeaux.
C’est la fréquentation d’une jeune collègue qui lui indique la voie qu’il va
désormais suivre. Il consacre alors l’énergie qui lui reste à un projet de parc pour
les enfants que les divers services municipaux se renvoient. Il s’agit d’assainir une
sorte de cloaque qui pourrait être celui de L’ange ivre (p. 451) où Shimura jouait
un médecin alcoolique.
Le film fait un saut brutal de six mois, pour se terminer sur la veillée funèbre du
héros. Le maire adjoint, joué par Nobuo Nakamura, ici jupitérien, se fait attribuer
le mérite du projet par les divers chefs de service qui sont de purs yes men. Il est
implicitement contredit par les femmes du quartier qui viennent se recueillir et
pleurer devant l’autel de leur bienfaiteur. La grosse huile partie, Kimura (Shin’ichi
Himori) est le seul des collègues présents à attribuer la construction du parc à
son véritable responsable. Alors que les autres disent plutôt “Il n’y est pour rien
et d’ailleurs son plan empiétait sur les autres services”. Puis, l’alcool aidant, tout
le monde finit à peu près par reconnaître les mérites du défunt et à promettre
que, désormais, tout va changer. En fait, on va simplement changer de Momie.
La cérémonie est entrecoupée de petits flash-backs, par exemple, la prière
muette mais insistante du héros au maire-adjoint ; ou encore, quand deux yakuzas
veulent intimider le héros : ils sont joués par Daisuke Katō et Seiji Miyaguchi,
deux des Sept samourais (p. 1597) dont faisait aussi partie Shimura. Et, surtout,
la scène où Shimura, sur la balançoire de “son” parc, reprend la lugubre chanson
de l’épisode nocturne. C’est là qu’on le retrouvera gelé.
Un détail nous rappelle qu’on est encore dans l’après-guerre : “– Où trouve-
t-on des bas de femme – Dans les magasins étrangers”.

45
The spy who came in from the cold L’espion qui venait du froid, Martin
Ritt, Grande-Bretagne, 1965, 108 mn

Le film est tourné à Londres et les personnages anglais sont joués par des
comédiens nés en Grande-Bretagne : on reconnaît, dans des seconds rôles, Cyril
Cusack et Bernard Lee (le “M” des premiers James Bond). On est pourtant loin
de James Bond, puisque le fim adapte un roman de John Le Carré. Il s’agit d’une
machination épouvantable, basée sur une technique de contre-feu. Erreur de
logique, tout le monde considère, à tort, qu’une preuve de A, si elle est fausse, a
la valeur d’une preuve de non A. Les politiciens véreux, par exemple Clemenceau
au moment du scandale de Panamá, sont capables de susciter des révélations
bidons qui, une fois dégonflées, leur offrent ainsi une réhabilitation publique.
Ici, Richard Burton est chargé de discréditer un chef des services secrets
est-allemands, Mundt (Peter Van Eyck). Mais il ne sait pas que son plan est
miné, car cet ennemi est en réalité une taupe des Britanniques. Une fois la
machination de Burton démontée, Mundt est lavé de tout soupçon. Les services
secrets britanniques n’ont pas hésité à sacrifier un pion insignifiant – une jeune
communiste anglaise qui en sait trop pour survivre (Claire Bloom).
L’activité souterraine de Mundt avait été détectée par Fiedler (Oskar Werner),
son subordonné et ennemi : Fiedler est juif, alors que Mundt est un ancien
nazi, un antisémite qui, comme Klaus Barbie à l’époque, s’est mis au service de
l’Occident. Cet envers peu ragoûtant du “monde libre” c’est un peu celui de The
quiet american : le roman de Graham Greene dénonce les accommodements de
la cia avec le terrorisme, mais pas le film de Mankiewicz (p. 94) dont le scénario
semble avoir été réécrit par la même cia.

The man in the white suit L’homme au complet blanc, Alexander Macken-
drick, Grande-Bretagne, 1951, 82 mn

Un des meilleurs films britanniques de l’après-guerre, dominé par la composi-


tion d’Alec Guinness. C’est l’histoire d’un textile synthétique tellement parfait que
capital et travail s’unissent pour qu’il ne soit jamais commercialisé. Excellente dis-
tribution avec Michael Gough, Cecil Parker et Colin Gordon ; sans oublier Ernest
Thesiger, l’inquiétant Professeur Pretorius de Bride of Frankenstein (p. 1018).
A la belle Joan Greenwood qui campe la fille du patron, s’oppose la syndicaliste
hommasse (Vida Hope) qui ne comprend pas qu’un chercheur puisse travailler
au-delà du temps réglementaire.
On aperçoit la petite Mandy Miller que Mackendrick devait reprendre pour
Mandy (p. 272). Les sacs de sable destinés à amortir les effets des expériences
du héros évoquent les bombardements encore récents.

46
Dead men don’t wear plaid Les cadavres ne portent pas de costard, Carl
Reiner, usa, 1982, 89 mn

Le film a, sur le papier, une distribution improbable : Alan Ladd, Ray Milland,
Humphrey Bogart, Cary Grant, Burt Lancaster, . . . Il exploite les possibilités du
champ/contrechamp pour insérer des passages de films, principalement noirs, 19
au total, tournés entre 1941 et 1950. L’histoire, forcément un peu décousue et
répétitive, s’efface devant un humour constant. Et prend forme à la fin avec un
complot nazi sur l’île de Carlotta, au large du Pérou où se déroulait un des films
cités, The bribe (p. 585) : des nazis y préparent la revanche. Leur arme secrète
n’est pas basée sur l’uranium comme celle de Notorious (p. 982), mais sur un
fromage de destruction massive dont les moisissures auront le temps de dissoudre
la ville de Terre Haute (Indiana).

Rope of sand La corde de sable, William Dieterle, usa, 1949, 104 mn

Film d’aventures situé dans le sud de l’Afrique. Burt Lancaster, venu y cher-
cher des diamants, repartira avec Corinne Calvet, actrice française qui ne fit
guerre carrière à Hollywood. Paul Henried, Claude Rains et Peter Lorre font par-
tie de la distribution, ce qui donne une atmosphère très Casablanca (p. 1256)
au film. Peter Lorre est corrompu, mais du côté des “gentils”, Henried est, à
l’encontre de son image habituelle, une brute sadique. Quant à Claude Rains, il
est fourbe et louvoyant, encore plus que dans le film de Curtiz.
On reconnaît Mike Mazurki et surtout Sam Jaffe, le tsar Pierre iii un peu
crétin de L’impératrice rouge (p. 1619).

Slaughterhouse five Abattoir 5, George Roy Hill, usa, 1972, 103 mn

Le film tourne autour du bombardement de Dresde, un des crimes de guerre


des Alliés, du même ordre de grandeur que la bombe de Nagasaki. Il est adapté
d’un roman de Kurt Vonnegut qui fut, en tant que soldat américain captif, témoin
du bombardement ; l’abattoir 5 est un lieu de rétention. On a l’impression que
la complexité du scénario – décrochages temporels, science-fiction sur la planète
Tralmafadore – est un moyen d’alléger le plaidoyer ; en particulier, quand le héros
se retrouve à l’hôpital en compagnie d’un historien conformiste qui vient, comme
par hasard, d’écrire un livre sur Dresde : “On n’a pas commis de crime et d’ailleurs
les autres ont fait pire” lui fait-on (à peu près) dire.
Le film rappelle un peu Le monde selon Garp (p. 525). Excellente composition
de Ron Leibman (le syndicaliste de Norma Rae, p. 664) en Paul Lazzaro, la
némésis du héros (Michael Sacks).

47
Trouble in Paradise Haute pègre, Ernst Lubitsch, usa, 1932, 83 mn

Quel paradis au juste ? Celui des deux voleurs, joués par Miriam Hopkins et
Herbert Marshall. Ou celui du monde du luxe que ce dernier partage un moment
avec Kay Francis (de One way passage p. 1113), au physique très années 1930 :
pas de poitrine. Ce film est le meilleur Lubitsch parce qu’il a quelque chose que
ses autres n’ont pas : une discrète nostalgie qui crèe d’autant plus d’émotion
que tout est à peine suggéré. “On aurait pu. . . ” dit Kay Francis au moment où
Herbert Marshall, pressé par la police et par Miriam Hopkins, prend congé.
Second rôle pour Robert Greig, dont on se demande s’il quittait jamais son
habit de majordome, C. Aubrey Smith qui délaisse l’uniforme pour un rôle de
pdg indélicat, et les rivaux, joués par Charles Ruggles et surtout l’inimitable
Edward Everett Horton ; un mot “tonsils” (amygdales) traverse le film.
Rôle microscopique de russe communiste (en fait, trotskyste) tenu par Leonid
Kinskey. Herbert Marshall monte et descend plusieurs fois les escaliers, filmé de
dos, et pour cause puisqu’il était unijambiste. Les deux voleurs peuvent partir les
poches pleines : c’était deux ans avant le code Hays (1934).

Blue velvet David Lynch, usa, 1986, 121 mn

C’est l’Amérique profonde, républicaine et bien pensante, chère au cœur de


David Lynch, qui est la toile de fond du film. Il ne manque guère que les pré-
dicateurs évangélistes pour se retrouver chez Donald Trump. La ville s’appelle
Lumberstone, ce qui renvoie aux bûcherons : on n’est pas loin de Twin Peaks
(pp. 1051, 162). Kyle MacLachlan, l’alter ego de Lynch, et Laura Dern, avec la
coiffure datée des américaines des années 1980, campent les personnages positifs,
destinés à se marier, avoir des enfants et passer la tondeuse le dimanche.
On échappe au conformisme béat grâce à la chanteuse, jouée par Isabella
Rossellini ; elle interprète le tube, créé en 1951, qui donne son titre au film :
les sempiternels rideaux rouges de Lynch ont ici viré au bleu. Elle partage une
relation sado-masochiste avec Frank (Dennis Hopper), lequel utilise une espèce
d’inhalateur pour se mettre en condition. Dans les seconds rôles, Dean Stock-
well, qui fut Le garçon aux cheveux verts (p. 805) ressemble à une marionnette
efféminée. Jack Nance, l’acteur principal d’Eraserhead (p. 1094), et qui devait
trouver la mort pour avoir refusé de donner trois sous à des quémandeurs est un
des hommes de main de Frank ; son rôle n’est pas plus étoffé que celui de Brad
Dourif (de Wise blood, p. 1015).
Étonnant paroxysme final avec l’“homme en jaune” ko debout et le proprié-
taire de l’oreille coupée, bien mort lui, un ruban de velours rouge dans la bouche.

48
The bells of St Mary Les cloches de Sainte Marie, Leo McCarey, usa, 1946,
126 mn

Le père O’Malley, prélat catholique au canotier joué par Bing Crosby, reprend
du service après Going my way (p. 216), où il était opposé à Barry Fitzgerald.
Il vient ici superviser un couvent dirigé par Sœur Bénédicte, jouée par Ingrid
Bergman et secondée par l’actrice Ruth Donnelly qui fut la belle-mère de James
Cagney dans Hard to handle (p. 1248).
Dans notre monde, la bonne volonté conduit souvent à un approfondissement
des antagonismes. Ici, elle finit par les aplanir. Bergman apprend aux élèves à
se battre, à jouer au baseball, Crosby ressoude une famille dispersée. Le million-
naire égoïste joué par Henry Travers fera finalement don de son immeuble à la
communauté – c’est peut-être pour ça que l’acteur jouera l’ange Clarence de
It’s a wonderful life (p. 399).
Le film se termine sur un quiproquo dissipé à la dernière minute : merveilleux
sourire de Bergman et petit moment d’émotion. Qui a dit qu’on ne fait pas de
bons films avec de bons sentiments ?
Bing Crosby, plus chanteur que comédien, interprète plusieurs chansons ;
Bergman une seule, en suédois.

The long Good Friday Racket, John Mackenzie, Grande-Bretagne, 1980,


114 mn

Ce film raconte la chute d’un caïd. Bob Hoskins (qu’on retrouvera dans
Qui veut la peau de Roger Rabbit ?, p. 460) campe un important chef de gang
londonien dégoulinant de vulgarité satisfaite. Il faut dire qu’il a tout pour lui,
le yacht avec cuisinier français, un femme sexy, jouée par Helen Mirren à une
époque où elle n’avait pas encore le physique à jouer The queen (p. 1068) et il
voyage en Concorde. Il s’apprête même à sceller une alliance profitable avec un
“syndicat” du crime américain représenté par Eddie Constantine.
Le ciel lui tombe brutalement sur la tête : bombes, subordonnés assassinés
ou simplement crucifiés. Il ne sait plus où donner de la tête, d’autant plus que
son contact américain exige une relation “bourgeoise”. Il se débat dans tous les
sens, frappant ses rivaux anglais qu’il torture ; dans une scène d’anthologie, ils
sont tous accrochés, tête en bas et placés dans un frigo face aux carcasses de
bidoche.
Il finit par apprendre qu’il a croisé, sans le vouloir, le chemin de l’ira, qui
comme son nom l’indique, est une petite armée. Et que peut faire un chef de
gang contre l’Armée ?
Violent, mais roboratif, le film est bercé par une ironique musique irlandaise.

49
Stalag 17 Billy Wilder, usa, 1953, 121 mn

On nous annonce au début qu’il n’y a jamais eu de film sur les prisonniers
de guerre ; c’est, soit oublier La grande illusion (p. 1034), soit se restreindre au
cinéma américain.
William Holden joue un personnage principal antipathique et égoïste, ca-
pable de trouver la bonne combine et justement détesté par ses compagnons de
captivité. Dans lesquels on reconnaît Neville Brand de Kansas city confidential
(p. 1592) et Peter Graves (le père des enfants de La nuit du chasseur, p. 1563)
qui joue l’allemand infiltré. Le rôle le plus mémorable est celui de l’Animal, joué
par l’impayable Robert Strauss, sur lequel repose le contrepoint comique du film.
Chez les geôliers allemands, Otto Preminger joue avec délectation un com-
mandant de camp sadique. Le pompon revient à Johann Sebastian ( !) Schulz,
joué par le génial Sig Ruman, feldwebel vicieux derrière un abord bonhomme.
Le film causa la rupture de Wilder avec la Paramount où il avait fait toute
sa carrière américaine, comme scénariste puis comme metteur en scène. Pour ne
pas froisser les Allemands – alors revenus du bon côté – le studio avait voulu,
dans la version doublée, faire du traître un Polonais. Ce qui, pour Wilder dont
une partie de la famille avait été exterminée, était inadmissible. Le film nous
apprend incidemment, quand un nommé Shapiro reçoit du courrier à son nom,
aussi bizarre que cela paraisse, que les Allemands n’inquiétaient pas les prisonniers
de guerre juifs. D’ailleurs, on peut faire confiance à Wilder sur ce sujet.

Tini zabutykh prediv Les chevaux de feu, Sergueï Paradjanov, urss, 1964,
92 mn

Le film est tourné dans les Carpates ukrainiennes ; les cartons sont en ukrai-
nien, ainsi que le titre dont la traduction littérale est Ombres des ancêtres oubliés.
C’est l’histoire d’Ivan, d’abord amoureux de Marichka, pourtant fille du meurtrier
de son père – “Nous ne serons pas un couple” –, qui se noie. Ivan épouse plus
tard Palagna, femme sensuelle qui ne lui donne pas d’enfant ; il finit par mourir
en retrouvant le fantôme de son amour.
Tout cela est rendu au moyen d’un lyrisme échevelé : mouvements de caméra,
effets de montage, surimpressions, jeux sur les couleurs, sauf pour la période qui
suit la mort de Marichka, filmée en noir et blanc. On se souvient aussi des
silhouettes de chevaux ensanglantés lors de la mort du père d’Ivan. De l’étoile
que suit Marichka avant de se noyer, de sa présence, morte, à la fenêtre du couple
stérile. Et de cette extraordinaire tempête déviée par le sorcier.
Le film fait une large place au folklore ; mais, venant de Paradjanov, tout
porte à penser qu’il est en partie réinventé.

50
He walked by night Il marchait la nuit, Alfred L. Werker, usa, 1948, 79 mn

Richard Basehart – qu’on se rappelle pour ses compositions chez Fellini, “Le
matto” de La strada (p. 529) et Picasso d’Il bidone (p. 1559) – joue un voleur
adroit, criminel et surtout solitaire.
Le film, moyennement intéressant, est un faux documentaire avec voix off,
dans le style des productions Louis De Rochemont. On y voit, en particulier,
l’élaboration d’un portrait-robot. Le film se termine dans le gigantesque réseau
collecteur d’eaux de pluie de Los Angeles. Dans Them ! (p. 1233) ils serviront
de repère à de redoutables fourmis géantes.
Dans des seconds rôles, Whitt Bissell et Jack Webb. Le film fut réalisé en par-
tie par Anthony Mann, non crédité au générique, à qui l’on a tendance à attribuer
les quelques qualités de l’œuvre. Il faut dire que Werker s’est immortalisé, si l’on
peut dire, en remplaçant Stroheim sur le tournage de Walking down Broadway,
sorti sous le nom de Hello, sister ! (p. 969).

Die Nibelungen Fritz Lang, Allemagne, 1924, 290 mn

Le film est divisé en deux parties d’égale longueur : La mort de Siegfried


et La vengeance de Krimhilde et découpé en 14 (= 7+7) chants. Basé sur le
même corpus de légendes que la Tétralogie de Wagner, il est situé dans un temps
vaguement mérovingien, chez des Burgondes censés représenter l’Allemagne de
cette époque.
Plastiquement parlant, le film est magnifique. Ainsi, cette forêt aux arbres
gigantesques où les personnages s’insèrent comme dans une tapisserie ancienne.
Le scénario, dû à Thea von Harbou, épouse de Lang, est d’un nationalisme
outrancier : dédié au peuple allemand, dont il vante “l’âme loyale”, il est dominé
par le personnage de Hagen Tronje, dont le casque rappelle celui des paquets de
Gauloises ( !). Fourbe et cruel, c’est un farouche défenseur de cette Allemagne
fantasmée. Il vole le trésor de Siegfried, après l’avoir traitreusement assassiné ; et
il tuera aussi, par pure cruauté, le bébé d’Attila dans la seconde partie. Ce paran-
gon de loyauté est un lâche qui utilise les frères de Krimhilde pour se protéger et
qui dirait, s’il avait droit à un procès, qu’il s’est contenté d’obéir aux ordres. Inci-
demment, l’acteur Hans Adalbert Schlettow qui tient le rôle s’est porté volontaire
pour la défense de Berlin en 1945 et y a trouvé la mort. Krimhilde (Margarete
Schön) est, par contre, un personnage négatif : son obsession vengeresse provo-
quera la perte de ses frères qui refusent de lui livrer l’Allemand exemplaire qu’est
Hagen.
Étrange rêve prémonitoire en forme de dessin animé tachiste. Rudolph Klein-
Rogge, l’acteur récurrent des Lang muets, joue Attila.

51
Cet obscur objet du désir Luis Buñuel, France, 1977, 99 mn

D’après La femme et le pantin de Pierre Louÿs, plusieurs fois adapté au


cinéma, notamment par Sternberg (p. 980) : Concha était jouée par Marlene
Dietrich, avec Lionel Atwill dans le rôle du barbon. Lequel barbon est ici campé
par Fernando Rey ; il est opposé à une Conchita double, jouée par Carole Bouquet
et Angela Molina. La demi-Conchita de Bouquet est un peu plus gentille que celle
de Molina, plus garce. Cette schizophrénie est à rapprocher du titre du film.
Le film est un long flash-back raconté dans un compartiment de train. Les
spectateurs sont Milena Vukotic, Jacques Debary et le nain Piéral en professeur
de psychologie ( !). On reconnaît un habitué du Buñuel français, Julien Bertheau,
ainsi que Bernard Musson et Muni dans des rôles beaucoup plus modestes.
Cet ultime film de Buñuel se termine par une explosion. Sans doute provoquée
par le garej, le Groupe Armé Révolutionnaire de l’Enfant Jésus.

Riso amaro Riz amer, Giuseppe De Santis, Italie, 1949, 104 mn

Malgré son ancrage néo-réaliste, le film ne parle pas de la condition des


travailleurs, ici les “mondine”, saisonnières préposées à la culture du riz, près de
Vercelli. C’est un prétexte pour montrer des cuisses, car on ne met pas de robe
dans la rizière. Sur un fond vaguement policier, la cavale d’un petit voleur.
Les deux pôles du film sont le méchant truand, joué par Vittorio Gassman
et le bon soldat, joué par Raf Vallone. Doris Dowling, actrice américaine (Le
poison,p. 39) pour une fois dans un premier rôle, campe une mauvaise fille régé-
nérée par le travail et son amour pour le bon soldat. Silvana Mangano, qui devait
épouser le producteur du film Dino De Laurentiis peu après, est, au contraire une
bonne fille du peuple pervertie par son attirance pour le méchant truand.

Mystery of the wax museum Masques de cire, Michael Curtiz, usa, 1933,
74 mn

Long-métrage en Technicolor bichrome, rouge/bleu ou rouge/vert. Lionel At-


will joue le rôle principal de ce film d’horreur : son musée de cire est une morgue.
Glenda Farrell joue une journaliste alerte qui enquête sur cet étrange lieu. On
déplore de petits passages comiques qui jurent avec le “sérieux” du film. Avant
de tomber, comme il se doit, dans sa marmite de cire, Atwill ouvre une caisse
verticale contenant son ennemi de toujours, qui bascule en avant : on pense à
James Cagney dans la dernière image de The public enemy (p. 562).
Le film a été refait par André De Toth (House of wax, p. 522), avec Vincent
Price dans le rôle principal.

52
They live by night Les amants de la nuit, Nicholas Ray, usa, 1948, 95 mn

La toile de fond est le gangstérisme de la Crise, profondément différent de


celui de la Prohibition. On a affaire à des isolés qui se livrent à des hold-ups mal
préparés, mais nécessaires à leur survie. La police abat comme des chiens ces
anti-sociaux qui ne jouissent pas des protections d’Al Capone, lequel, bien assis
socialement, s’en tira avec 11 ans de prison pour fraude fiscale.
La caméra de Ray capte les émotions, les peurs. Par exemple, la panique,
l’improvisation du hold-up dans la bourgade de Zelton ou lors d’un accident
d’automobile. Elle s’attache surtout aux deux héros, Farley Granger et Cathy
O’Donnell qui vivent une existence nocturne et fébrile, avec des moments de
tendresse déchirante. Les deux acteurs devaient rejouer ensemble dans Side street
(p. 1496), film plus conventionnel.
Les complices du héros sont joués par Howard Da Silva qui campe l’effrayant
borgne Chickamaw et Jay C. Flippen. Helen Craig est parfaite dans un rôle de
donneuse qui livre le héros aux mitraillettes de la police. Will Wright est le père
de Cathy O’Donnell, Ian Wolfe le marieur louche. Le roman d’Edward Anderson
a été adapté, sous son titre original, Thieves like us, par Robert Altman (p. 794).

La peau douce François Truffaut, France, 1964, 118 mn

Jean Desailly et Françoise Dorléac, trop tôt disparue, en couple adultère. Mais
l’amour se délite : très vite, il la trouve un peu limitée, il est mal à l’aise avec
elle en public, elle l’énerve. Il est temps de retrouver son petit appartement et sa
femme (Nelly Benedetti) dans l’alcôve que ferme un rideau amovible, symbole
de leur entente sexuelle. Laquelle épouse arborera un énigmatique sourire dans
le dernier plan du film alors qu’elle vient de tuer son mari.
La musique de Georges Delerue exprime un sorte de nostalgie prémonitoire.
La longue séquence de Reims préfigure l’échec du couple : un raseur (Daniel Cec-
caldi) désireux d’afficher sa familiarité avec un ancien camarade devenu célèbre,
se mue en pot de colle, en sparadrap ; seule issue à ce cauchemar, la fuite.
Le film nous rappelle, incidemment, qu’il était difficile de téléphoner à l’époque :
c’était le temps des taxiphones toujours occupés. On utilisait encore des préfixes
à lettres, ici med pour Médicis. Et le super coûtait 1 franc le litre : Desailly fait
le plein de sa ds pour 50 francs.
On retrouve le nombre 813 (d’après un Arsène Lupin de 1910), cher à Truf-
faut : c’est le numéro de chambre de Dorléac à Lisbonne. Autre clin d’œil, le
collègue de Desailly s’appelle Kanayan, comme l’acteur enfant de Tirez sur le
pianiste (p. 1565). Petits rôles pour la jeune Sabine Haudepin (après Jules et Jim,
p. 552), Laurence Badie, Charles Lavialle (le veilleur de l’hôtel) et Maurice Garrel.

53
Le roman d’un tricheur Sacha Guitry, France, 1936, 78 mn

“Ce film, je l’ai conçu et réalisé moi-même” entend-on au générique ; ce ne


peut donc être qu’un film de Sacha Guitry en personne. Bons mots et cynisme,
retournements de situation, utilisation de la voix off pour un commentaire parfois
d’un laconisme extrême, dans ce film bavard : “Un plat de champignons me laissa
seul au monde”. Contrairement à d’autres films, e.g., Le trésor de Cantenac
(p. 312), l’auteur nous fait grâce des ses opinions politiques à la Zemmour. Ce
n’est pas non plus la transcription cinématographique d’une de ses pièces, comme
Mon père avait raison (p. 1646).
Serge Grave (des Disparus de St-Agil, p. 41) joue le héros enfant. Roger
Duchesne (Bob le flambeur, p. 426) campe un anarchiste russe dénoncé par notre
tricheur. Fréhel chante “Et c’est un coup qu’il m’asséna/Au coin du boulevard
Massena”. On retrouve l’actrice-fétiche de Guitry, Pauline Carton, ainsi que son
épouse de l’époque, la charmante Jacqueline Delubac. La scène du vol de bijoux,
avec utilisation d’une “chignole” électrique, rappelle Fantômas (p. 1031).
Avant guerre, le papier hygiénique était à peu près inconnu : ce sont des
journaux coupés en quatre qui en tenaient lieu. Et qu’on lisait machinalement en
cas de séjour prolongé dans les “lieux” ; c’est un journal bien choisi que Pauline
Carton “y” dépose à l’intention de Serge Grave pour l’inciter à chercher du travail
et à foutre le camp.

Comment je me suis disputé. . . Arnaud Desplechin, France, 1996, 173 mn

Le sous-titre (Ma vie sexuelle) place ce film sous le signe du nombrilisme,


même si ce nombril n’est pas forcément celui de l’auteur. Par rapport à La
sentinelle (p. 15), dont il reprend à peu près les acteurs, la dimension politique
a disparu. Parmi les nouveaux venus, Mathieu Amalric, alors débutant, campe
Paul Dédalus, universitaire indécis qui hésite entre plusieurs femmes et n’arrive
pas à terminer sa thèse. On retrouvera Amalric dans la plupart des films suivants
de Desplechin ; il suit ici une psychanalyse, comme dans Rois et reine (p. 1230).
Michel Vuillermoz est un nouveau mandarin particulièrement puant qui ne se
déplace jamais sans son singe.
Paul Dédalus hésite entre trois femmes, Esther (Emmanuelle Devos), Sylvie
(Marianne Denicourt) et Valérie (Jeanne Balibar), tellement véridiques qu’elles
semblent clonées sur des personnes réelles qu’on a pu connaître, voire aimer.
Par exemple Valérie, inoubliable tordue, sans pareille pour mettre les hommes
en porte-à-faux : une enfant, parfaitement à l’aise dans sa peau d’adulte et qui
dénie aux autres leur droit à l’enfance, dit la voix off.

54
L’ibis rouge Jean-Pierre Mocky, France, 1975, 77 mn

Un roman de Fredric Brown dépaysé près du Canal Saint-Martin.


Michel Serrault campe un sympathique étrangleur, vague cousin de l’Archibald
de la Cruz (p. 473) de Bunũel. Michel Galabru est un représentant en liqueurs.
Jean Le Poulain est un bougnat reconverti en restaurateur grec ; il faut le voir
danser la “bourrée du Pirée”, le sirtaki. Enfin, Michel Simon, dont ce fut le dernier
rôle : il joue un râleur raciste qui renvoie au Vieil homme et l’enfant (p. 771).
Petits rôles pour Jean-Claude Rémoleux en cuisinier, Jean Abeillé en voisin,
Antoine Mayor en chauffeur de taxi patibulaire. Dominique Zardi joue l’homme
de main borgne d’une sorte de chef oas attardé (Michel Francini), un manchot
affublé d’un crochet/gratte-dos. Musique d’Éric Demarsan.

Blackmail Chantage, Alfred Hitchcock, Grande-Bretagne, 1929, 82 mn

C’est un film de transition entre le muet et le sonore. Ainsi, la séquence


initiale est-elle une sorte de documentaire muet, d’une dizaine de minutes, sur
lequel musique et dialogue entre policiers de dos ont été surajoutés.
La scène de la tentative de viol est traitée comme une litote, réminiscence
de Variétés (p. 753) : on s’agite derrière un rideau dont émerge une main qui
trouve, à l’aveuglette, un couteau. Mémorable poursuite dans le British Museum
avec le maître-chanteur descendant à la corde à côté d’une gigantesque tête
égyptienne. Image récurrente d’un clown riant, commentaire vaguement moqueur
du comportement des personnages.
La mère de l’héroïne est jouée par Sara Allgood, dévolue à ce type de rôle,
e.g., Qu’elle était verte ma vallée (p. 171). Hitchcock se met en scène comme un
passager du métro qui sert de souffre-douleur à un sale gosse. On voit Piccadilly
de nuit avec sa sempiternelle réclame lumineuse pour Bovril, le Viandox anglais.

Le beau mariage Éric Rohmer, France, 1982, 95 mn

Comédies et proverbes, opus 2. Le film commence, comme souvent chez Roh-


mer, avec une sorte de didascalie interne, une longue déclaration d’intention. Après
vingt minutes de pensum, difficile d’ignorer que Sabine (Béatrice Romand) re-
cherche un partenaire pour une union traditionnelle avec femme au foyer. Le gibier
de cette chasse à l’homme est vite trouvé : c’est Edmond (André Dussollier).
Contre toute attente, l’agacement initial contre les partis pris du film se
dissipe peu à peu ; d’abord, Arielle Dombasle apparaît moins et puis les deux
acteurs principaux sont convaincants, l’une dans son obstination, l’autre dans sa
volonté d’indépendance. La déconfiture de Sabine, démenti ironique des lourdes
déclarations d’intention liminaires, les rend rétrospectivement plus supportables.

55
Stalker Andreï Tarkovski, urss, 1979, 156 mn

D’aprèe l’œuvre des frères Strougatski. Anatoli Solonitsyne et Nikolaï Grinko,


deux acteurs d’Andreï Roublev (p. 483), jouent ici l’Écrivain et le Professeur.
Guidés par un stalker, i.e., un maraudeur connaissant bien les lieux (Alexandre
Kaïdanovsky), ils s’aventurent dans la Zone, une enclave interdite et réputée
miraculeuse. Il ne se passe pas grand’chose dans ce film très lent. Les deux
intellectuels pérorent à n’en plus finir et manifestent par rapport à la Zone un
agnostisme que condamne notre stalker : “Ils ne croient en rien” dit-il à la fin
à son épouse (Alissa Freindlikh). Ce n’est pas le cas de Tarkovski qui semble
prendre au sérieux les conneries sur le Triangle des Bermudes.
La Zone est filmée en couleurs. Dans le monde normal, en noir et blanc,
l’enfant handicapée du stalker est la seule à “avoir la couleur”. Il lui a d’ailleurs
été donné un don de télékinésie : elle fait tomber du regard les verres de la table.
Que d’eau, que d’eau : boue, cascades, rivières. Tarkovski adore filmer des
objets à peine immergés : une seringue, des pièces de monnaie, une icône. . . et
en dessous, des restes de carrelage. Au terme de leur visite, alors que les trois
personnages se reposent, la Zone se manifeste au moyen d’une courte pluie qui
brouille un instant la mare du premier plan.

L’Atalante Jean Vigo, France, 1934, 85 mn

Le film est avant tout poétique : sur une musique de Maurice Jaubert, on suit
un couple de mariniers tout juste mariés. Amour, bonheur, puis petites désillusions
pour la femme (Dita Parlo, qui garde son accent allemand). Le mari (Jean Dasté)
se révèle un peu rabat-joie et jaloux des étrangers qui amusent sa jeune épouse.
Quand elle fait une petite fugue, il plonge pour la chercher au fond de l’eau.
Séquence d’anthologie : Michel Simon, torse nu dans son capharnaüm, affecte
de fumer une cigarette avec le nombril devant la “patronne”.
On reconnaît l’hôtel de l’Ancre, quai de Jemappes, qui fonctionnait encore
comme café au début des années 2000. Le nom de Gilles Margaritis, qui campe
le camelot/magicien/homme-orchestre est associé à la grande période de la té-
lévision : il y produisait la célèbre Piste aux étoiles, émission dédiée au cirque.

Sherlock Junior Buster Keaton, usa, 1924, 44 mn

Buster, en détective amateur, poursuit un gang de voleurs. Il le fait dans un


rêve : projectionniste, il s’est endormi dans sa cabine. On le voit commençant
son rêve en s’introduisant dans le film ; il doit alors subir les conséquences de
changements de décor inopinés. L’idée a été reprise – et surout développée – par
Woody Allen dans La rose pourpre du Caire (p. 633).

56
Road to Utopia En route pour l’Alaska, Hal Walker, usa, 1945, 90 mn

La série Road to. . . , avec Bing Crosby, Bob Hope et Dorothy Lamour, fut un
des grands succès de la Paramount dans les années 1940. Sur un canevas cousu
de fil blanc, une histoire bon enfant et bien enlevée ; Crosby n’oublie jamais de
chanter.
Cet opus est le meilleur de la demi-douzaine que comporte la série. Il s’appuie
sur le succès des épisodes précédents pour introduire un second degré : le com-
mentaire nous dit sans arrêt qu’on est dans un film. Ici, c’est un acteur qui s’est
trompé de plateau. Là, c’est Lamour qui sort en sarong – sa tenue habituelle des
films Paramount – au milieu des neiges. C’est encore ce poisson qui parle, puis
l’ours qui se plaint de ne pas avoir, lui aussi, de dialogue. Un personnage se met
à jurer, mais le son est coupé : “Je t’avais bien dit qu’ils ne le laisseraient pas
passer”, dit l’autre.
Petit coup de canif au Code : Dorothy épouse Bob, mais on s’aperçoit que
leur fils ressemble à Bing. Hilary Brooke, Douglass Dumbrille et Robert Barrat
jouent les méchants d’opérette.

Ninotchka Ernst Lubitsch, usa, 1939, 109 mn

C’est l’avant-dernier film de Greta Garbo, sur un scénario de Charles Brackett


et Billy Wilder. Elle campe une commissaire soviétique, transfigurée par l’amour
d’un aristocrate français (Melvyn Douglas). Avant de prendre un célèbre fou
rire qui rompt avec ses personnages habituels, elle est particulièrement dénuée
d’humour. “– Cette civilisation condamnée pétille. – Je ne ne conteste pas sa
beauté, mais quel gaspillage d’électricité.”. Elle met une journée à comprendre la
plaisanterie sur le café sans crème : “Je n’ai pas de crème, vous contenteriez-vous
d’un café sans lait ?”
Les trois émissaires russes sont croustillants, particulièrement Felix Bressart
et, surtout, Sig Ruman ; on les retrouvera dans To be or not to be (p. 982).
On reconnaît Bela Lugosi en commissaire russe et George Tobias en préposé aux
visas : “Il a été rappelé à Moscou pour enquête. Si vous voulez en savoir plus,
demandez à sa veuve”. Satire des appartements collectifs où le silence se fait
brusquement chaque fois qu’un co-locataire traverse la pièce : “Quand il sort, on
ne sait pas s’il va faire des courses ou s’il va à la police”.
Le film est daté par le carton initial qui fait allusion au couvre-feu à Paris.
L’intérêt de Ninotchka pour le majordome est une inexactitude : les communistes
considéraient les domestiques comme des ennemis de classe.

57
L’étrangleur Paul Vecchiali, France, 1970, 91 mn

Encore une histoire d’étrangleur. Celui-ci (Jacques Perrin), qui trucide par
compassion, est suivi à la trace par un parasite, le Chacal, qui en profite pour
se remplir les poches, dénaturant ainsi un acte fondamentalement altruiste. Il
est opposé à un policier (Julien Guiomar) qui se fait passer pour un psycho-
logue compréhensif. Il faut pas mal de bonne volonté pour avaler ce scénario
abradacabrantesque.
Le film est parcouru par une image obsessionnelle, celle de la rue Émile Richard
qui sépare en deux le cimetière Montparnasse. Cette image nocture est développée
dans une longue séquence assez réussie qui montre des agressions diverses, des
meurtres et pas mal d’homosexualité – bien avant Once more (p. 1190). Un mari
(Marcel Gassouk) avoue ses “tendances” à sa femme (Muni).
On reconnaît Nicole Courcel et Andrée Tainsy, ainsi que Sonia Saviange, sœur
de Vecchiali et Hélène Surgère, son actrice-fétiche. Toutes deux devaient jouer
dans Femmes femmes (p. 528). Musique de Roland Vincent.

Sullivan’s travels Les voyages de Sullivan, Preston Sturges, usa, 1941, 91 mn

Le sujet favori de Hollywood : Hollywood. Pour préparer son prochain film, O


brother, where art thou ?, un metteur en scène (Joel McCrea) veut s’immerger
dans le peuple de la Dépression . Difficile cependant de jouer au vagabond, vu
l’omniprésent land yacht, sorte de monstrueux camping car, de l’équipe du studio
(Robert Warwick, Porter Hall, Franklin Pangborn). Quand il doit monter dans un
train de marchandises, le studio téléphone à la compagnie pour savoir où s’em-
barquent les vagabonds. Une fois dans le wagon, il se “mêle” au peuple en posant
des questions du genre “Que pensez-vous de la situation de l’emploi ?” Entre deux
voyages, il rencontre à Hollywood l’apprentie starlette jouée par Veronika Lake.
Devenu amnésique à cause d’un mauvais coup, il est envoyé au bagne comme
un “Richard Roe” : ce cousin de John Doe désigne un prisonnier sans identité.
Libéré, il abandonnera l’idée de son film social, car le rire est la seule chose qu’il
reste à ceux qui n’ont plus rien. Mais le scénario a finalement été tourné, c’est
du moins ce qu’insinue le titre d’une réussite des frères Coen (p. 235).
On remarque les deux acteurs-fétiches de Sturges, William Demarest en huile
du studio et Jimmy Conlin en minuscule bagnard. La femme vieillissante qui
essaye de mettre le grappin sur Sullivan est jouée par Esther Howard, équivalent
américain de Jane Marken. Robert Greig, fidèle au poste, campe un majordome.
N’est pas Blake Edwards qui veut : la scène, prétendument burlesque, où le
land yacht s’emballe, est pénible car il ne suffit pas de multiplier les chutes pour
obtenir un bon slapstick.

58
The curse of the cat people La malédiction des hommes-chats, Gunther
von Fritsch, usa, 1944, 70 mn

Film Val Lewton terminé par Robert Wise, qui signe ainsi sa première réalisa-
tion. C’est une sorte de suite à Cat people (p. 454), située une dizaine d’années
plus tard. Le couple formé par Kent Smith et Jane Randolph, maintenant mariés,
a une petite fille. L’enfant voit, ou plutôt croit voir, le fantôme de la féline Simone
Simon, qui chante en français “Do do l’enfant do”. Le film relève fondamentale-
ment du merveilleux, tempéré par une touche d’inquiétude, due au rôle, un peu
effrayant, tenu par Elizabeth Russell. Fille d’une vieille voisine un peu zinzin qui
ne la reconnaît plus, elle jalouse la fillette, objet des attentions de sa mère.
Belle séquence où la fillette, seule sur la route enneigée, croit entendre passer
le cavalier sans tête de Sleepy Hollow. Sir Lancelot qui joue ici un domestique,
était un chanteur jamaïcain, auteur du célèbre tube Shame and scandal in the
family, qu’il créa dans Vaudou (p. 468).

Nelly et Monsieur Arnaud Claude Sautet, France, 1995, 107 mn

Le dernier film de Claude Sautet, sorte de testament, n’est pas aussi déses-
péré que son précédent Un cœur en hiver (p. 999). Au centre du film, la barrière
injuste et cruelle de l’âge qui sépare Michel Serrault et Emmanuelle Béart. Quand
l’épouse du vieil homme déboule, au lieu de l’envoyer sur les roses comme Guitry
dans une situation similaire (Mon père avait raison, p. 1646), il se laisse pha-
gocyter et s’embarque avec elle pour un long voyage, sorte de fuite en avant
résignée.
Michael Lonsdale campe une extraordinaire épave, un tapeur qui vit aux
dépens de Serrault.
C’est l’informatique qui date ce film : les gros Mac de bureau et leur système
OS9, à la mode au milieu des années 1990.

Les vacances de Monsieur Hulot Jacques Tati, France, 1953, 87 mn

C’est toute un époque, celle des hôtels de vacances. Avec un bal masqué et
l’inévitable pensionnaire autoritaire qui organise son excursion. Et aussi son feu
d’artifice, bien que celui du film soit dû à la proverbiale maladresse de Hulot. Les
personnages communiquent avec une componction elle aussi très datée.
La scène la plus hilarante du film montre Hulot tenant sa raquette de tennis
moitié comme une poêle à crêpes, moitié comme un tue-mouche.
C’est le seul Tati en noir et blanc, puisqu’on a pu, dans les années 1990,
développer le négatif Thomsoncolor de Jour de fête (p. 504). Le film est tourné
à Saint-Marc-sur-Mer d’où un Hulot statufié contemple désormais le large.

59
Frenzy Alfred Hitchcock, Grande-Bretagne, 1972, 116 mn

Cet Hitchcock tardif est situé à Covent Garden, qui abritait encore, face
à l’opéra, un marché que le réalisateur avait fréquenté dans son enfance. La
distribution est sans relief : on reconnaît cependant Anna Massey (du Voyeur,
p. 453), Barry Foster (de Ryan’s daughter, p. 455) en étrangleur à la cravate ;
Jon Finch campe un héros assez antipathique.
Avec une scène de dix minutes détaillant de façon complaisante le meurtre
d’une victime par un pervers sexuel, le film rompt avec le style Hitchcock. On
est davantage en terrain balisé quand le même pervers part à la recherche du
cadavre de sa seconde victime parmi les sacs de pommes de terre dans un camion
en mouvement.
L’humour est le point fort du film. À la sortie de l’agence matrimoniale, la
femme d’un nouveau couple énonce tous les devoirs de l’heureux élu, la secrétaire
de l’agence exprime un dégoût pathologique des hommes,. . . Sans parler des
scènes de repas : l’épouse de l’inspecteur (Vivien Merchant) ne jure que par la
cuisine française, alors que son mari, adepte de la nourriture de pub, est horrifié
par les petits plats raffinés qu’elle lui prépare.

Le miraculé Jean-Pierre Mocky, France, 1987, 83 mn

Jean Poiret campe Papu, sorte de sdf qui aide une dame patronesse, la Major
(Jeanne Moreau). Renversé par une automobile, il se met à jouer au paralytique.
La compagnie d’assurance l’Abeille n’entend pas indemniser un simulateur et
envoie aux trousses de Papu M. Fox-Terrier, qui est muet et affublé par son
épouse moustachue (Sylvie Joly) d’un collier canin. Papu part pour Lourdes afin
de simuler une guérison qui lui permettra de garder l’indemnité sans être cloué
dans un fauteuil roulant. Papu et Fox-Terrier sont, à la fin, plongés dans l’eau
miraculeuse. Fox-Terrier se met à parler, mais en anglais ; quant à Papu, il est
désormais paralysé pour de bon.
Le scénario pille l’épisode no 19, Strange miracle de la série Alfred Hitch-
cock presents VII (p. 707) basée sur un scénario de George Langelaan : un
homme feint la paralysie, puis ayant touché son indemnité, se rend auprès d’une
vierge miraculeuse pour simuler une guérison mais est alors paralysé pour de bon.
Comme toujours chez Mocky, le film fourmille d’idées un peu bâclées, par
exemple, ce confessional vidéo à pièces qui ressemble à une cabine Photomaton.
La troupe de Mocky est moins fournie, car nombre de ses habituels des années
1960-70 sont morts. On remarque cependant Jean Abeillé, Roland Blanche, Do-
minique Zardi, Jean Rougerie, ainsi que Georges Lucas en miraculé historique.
Antoine Mayor glisse sa face patibulaire dans un habit de clown.
Poiret et Serrault formaient un célèbre duo comique dans les années 1950-60.

60
Tōkyō nagaremono Le vagabond de Tōkyō, Seijun Suzuki, Japon, 1966,
79 mn

Film de yakuzas produit par la Nikkatsu. Qui trahit qui ? Cela n’a pas trop
d’importance, puisque le film est prétexte à des bagarres variées au poing comme
au pistolet, dans une débauche de couleurs plaquées. Le héros est confronté au
tueur d’un clan rival, Tatsu la Vipère (Tamio Kawaji). Kurara, le boss de Tetsu
le Phénix est joué par Ryūji Kita, un des trois compères des derniers films d’Ozu,
e.g., Le goût du sake (p. 35) ; il trahit Tetsu, qui est l’image de la droiture ( !).
Avec leur Code, les yakuzas se prennent un peu pour des samourais ; ce qui
rappelle les mafieux de Scorsese et leurs références à la chevalerie.
Tetsu se met au vert, d’abord dans les neiges de Hokkaidō (Hakodate), puis
à Sasebo, dans l’île de Kyūshū. Le combat final est filmé dans un décor théâtral
immense et presque vide.
Complainte lancinante Le vagabond de de Tōkyō et chanson en anglais Blue
night in Akasaka.

Burden of dreams Les Blank, usa, 1982, 95 mn

Documentaire sur le tournage de Fitzcarraldo (p. 639) et indispensable com-


plément du film. On comprend que le véritable Fitzcarraldo n’est pas Kinski, ni
même Jason Robards – qui dut abandonner pour cause de maladie –, mais bien
Herzog lui-même, obsédé par un projet de film aussi utopique que celui prêté
au personnage. Il semble qu’il accumule à dessin les difficultés : Amazonie péru-
vienne difficile d’accès, tribus voisines hostiles – des maraudeurs venus ramasser
des œufs de tortue transpercent de leurs flèches des auxiliaires d’Herzog – niveau
d’eau trop faible. “Ici, la création n’a pas été terminée”, dit-il. Et, par dessus tout,
cette pente à 30% sur laquelle il s’obstine à hisser un bateau.
Klaus Kinski, râleur (il s’ennuie ferme) fait pâle figure à côté de ce rêveur. Il
faut cependant voir sa tronche quand on lui propose un bol où les indiens ont
préalablement craché. On se croit par moments dans L’oreille cassée d’Hergé,
notamment quand les Indiens s’amusent à attraper des flèches au vol.

Esio Trot Un amour de tortue, Deabhla Walsh, Grande-Bretagne, 2015, 88 mn

Les tortues comprennent le verlan, d’où Esio Trot pour “tortoise”. C’est du
moins ce que Dustin Hoffman veut faire croire à Judi Dench dans cette histoire
d’amour où les protagonistes ont dans les 80 ans.
D’après Roald Dahl, ce téléfilm très amusant est à voir avec des enfants.

61
I, Claudius Herbert Wise, Grande-Bretagne, 1976, 670 mn

Le personnage central de cette longue saga télévisuelle est Clau-clau-claudius,


empereur bègue et boiteux. Le scénario s’inspire de deux romans historiques de
Robert Graves que Sternberg tenta d’adapter en 1937, avec Charles Laughton
dans le rôle-titre.
Ici, Derek Jacobi interprète cet énigmatique personnage qui joue de son in-
firmité pour survivre, trop ridicule pour être pris au sérieux dans ce monde où le
poison est roi. Personne, même pas sa grand-mère Livia, ne prend la peine de lui
servir des figues empoisonnées ou de lui envoyer un médecin expéditif.
Le film commence avec la période d’Octave-Auguste : “Auguste dirigeait
l’Empire et Livia dirigeait Auguste”. Cette Livia est présentée comme une empoi-
sonneuse qui fait le vide dans le cercle très restreint de sa famille et de celle de
son second époux, l’Empereur. Elle déteste Claude, mais ne prend pas la peine
d’écraser cette mouche, alors qu’elle va jusqu’à enduire de poison les figues du
jardin qu’Octave, méfiant, va cueillir lui-même. Avec tous ces morts, Postumus
par exemple, la succession d’Octave ressemble à la fin du Parrain (p. 461) : on
tue beaucoup. Plus tard, au moment de mourir, Livia demande à Claude de tout
faire pour qu’elle soit déifiée, pour éviter d’errer sans fin au Royaume des Morts.
Tibère, fils de Livia, succède à Auguste. Des empoisonneurs d’Antioche le dé-
barrassent d’un rival potentiel, Germanicus, oncle de Claude et père de Caligula.
Pervers et débauché, il s’isole à Capri en laissant les rênes du pouvoir à un maire
du palais, Séjan, qui fait régner la terreur à Rome. Claude, devenu bien malgré
lui – il plie toujours, il va jusqu’à exagérer sa claudication, son bégaiement –
beau-frère de Séjan, est une pièce du complot qui mène cet ambitieux à sa perte.
Il sera tué par un certain Macron ; le jupitérien Caligula (John Hurt, excellent
en dieu vivant) pourra ainsi succéder à Tibère. Claude ne doit sa survie, face à ce
fou, qu’à une certaine ruse servile : il est l’oncle idiot que ce Jupiter auto-proclamé
poste à l’entrée de l’impérial boxon où il prostitue jusqu’à ses sœurs.
Empereur malgré lui – il est républicain –, Claude épouse Messaline dont
il tombe réellement amoureux. Le nom est devenu, par antonomase, synonyme
d’extrême débauche ; après l’exécution de cette Messaline, l’Empereur est pré-
senté comme triste et résigné. Sa dernière épouse, Agrippine – sœur de Caligula
et mère incestueuse de Néron – l’empoisonne avec son consentement tacite.
Au second plan, Hérode Agrippa frère d’Hérodiade, ami d’enfance de Claude
et dernier roi juif de Judée. Le héros du film nous est présenté comme un historien,
ce qui est exact, bien que son œuvre soit perdue. Et nous éclaire quant à la
prétendue idiotie du personnage.
Le film nous rappelle l’importance des oracles, la prégnance des goûteurs, la
pièce de monnaie pour Charon qu’on met dans la bouche des morts.

62
Aruitemo aruitemo Still walking, Hirokazu Koreeda, Japon, 2008, 110 mn

L’anniversaire d’un fils mort célébré chez des parents vieillissants. Le père
grincheux n’apprécie pas que Ryōta (Hiroshi Abe), le fils qui lui reste, soit marié
à une veuve, encore moins qu’il ne lui ait pas succédé comme médecin local. La
mère fait de la tempura au maïs ou des beignets de daikon et le soir, lorsqu’un
papillon jaune vient rôder, “C’est peut-être le fils mort, ne l’écrasons pas” dit-elle.
Responsable involontaire de l’accident qui a causé la mort du fils, un grotesque
jeune homme vient se recueillir et bredouiller des excuses à n’en plus finir. La
mère (Kirin Kiki) l’invite à revenir l’an prochain pour une nouvelle séance d’auto-
dénigrement ; elle reconnaît que la souffrance de cette larve la soulage.
Contraireme à sa sœur (You), Ryōta a passé la nuit chez ses parents, erreur
à ne pas commettre la prochaine fois, confie-t-il à son épouse. Quelques années
plus tard, le couple se recueille au cimetière et arrose la tombe des parents. Ils
ont maintenant une petite fille à eux, ce dont rêvait la mère.

Bez svideleï Sans témoins, Nikita Mikhalkov, urss, 1983, 90 mn

“Chacun a sa petite musique, à laquelle doit s’accorder la partition qu’il com-


pose avec ses actes.” Un homme (Mikhaïl Oulianov) vient rôder chez son ex-
femme (Irina Kouptchenko) qu’il a quittée par pur arrivisme. Il a épousé la fille
d’un mandarin, ce qui lui a valu une ascension fulgurante, mais aussi le privilège
de laver la voiture de son beau-père. Le possible remariage de son ex avec un
collègue honnête le plonge dans une crise, de peur et de jalousie. Recroquevillé
en position fœtale, il finit par avouer son pitoyable échec.
Le film est un tête à tête entrecoupé d’apartés sur fond de musique à la télé,
par exemple la chanson du film Du rififi chez les hommes (p. 224) en russe.
Tourné à la fin des années Brejnev, il donne une image peu reluisante de l’homo
sovieticus.

Höstsonaten Sonate d’automne, Ingmar Bergman, Suède, 1978, 93 mn

Ingrid Bergman (sans lien familial avec Ingmar) campe une pianiste interna-
tionale qui, avant de repartir pour une nouvelle tournée, vient passer quelques
jours avec sa fille. Centrée sur sa carrière, elle n’a jamais vraiment prêté atten-
tion à ses enfants ; l’une est devenue, faute d’amour, aphasique. L’autre, jouée
par Liv Ullmann, quémande encore l’amour de sa mère, par exemple en jouant
du piano, ce qui est le plus sûr moyen de se faire remettre à sa place. Cette de-
mande d’amour montre facilement son envers, fait de rancœurs et de frustrations
accumulées.

63
Sonatine Takeshi Kitano, Japon, 1993, 90 mn

“Beat” Kitano campe Murakawa, un yakuza impitoyable capable de faire ac-


crocher un “mauvais payeur” à une grue du port pour le noyer. Son boss l’envoie
donner un coup de main à un copain à Okinawa ; comme souvent dans ce type
de film, le boss est un traître qui veut se débarrasser à la fois du copain et de
Murakawa. À Okinawa, le héros est en butte à des attentats sanglants, ce qui
l’amène à se mettre au vert près d’une plage avec sa bande.
Cette période d’attente constitue le centre du film au temps comme suspendu
avec ces tueurs occupés à des jeux infantiles. On assiste ainsi à une combinaison
inédite entre pierre/papier/ciseaux et roulette russe. L’image de Murakawa un
pistolet sur la tempe, est l’image centrale de ce film à double détente, pour de
faux, pour de vrai ? À la fin, ayant soldé ses comptes, il le fera pour de bon.
Image effrayante d’un tueur déguisé en pêcheur qui déballe tranquillement
son matériel. Et surtout ce règlement de compte nocturne dans un immeuble
plongé dans l’obscurité où l’on ne voit que les baies vitrées traversées d’éclairs
ou encore des reflets sur les voitures du parking.

Underworld Les nuits de Chicago, Joseph von Sternberg, usa, 1927, 80 mn

C’est un des premiers films de Sternberg, après The salvation hunters (p. 956)
et The seagull (1926), film détruit par son producteur, Chaplin. Ce film, dominé
par la composition massive de George Bancroft, met en scène, ce qui est re-
lativement nouveau, des gangsters. Les trois qu’on nous présente – le chef, sa
maîtresse et son avocat – sont animés de sentiments nobles, fidélité et sacrifice
avant tout.
La scène de fête avec ces cotillons qui pendent devant la caméra fait penser
à Agent X 27 (p. 631), un des plus beaux Sternberg/Dietrich.

Varjoja paratiisissa Ombres au Paradis, Aki Kaurismäki, Finlande, 1986,


71 mn

Un des premiers Kaurismäki avec deux de ses acteurs-fétiches, Kati Outinen


et Matti Pellonpää, pince-sans-rire disparu en 1995. Il met en place un univers
fait de petits boulots – il est éboueur, elle est vendeuse et perd son travail – de
transgressions de la loi – il passe une nuit en prison, elle vole la caisse du magasin
– qu’on retrouvera dans d’autres films. Sur fond de musique, de rôdeurs agressifs
sur le port. La plupart de ces films se terminent bien, même si les happy end
sont peu vraisemblables ; ici, les protagonistes s’embarquent pour. . . Tallinn, en
Union Soviétique à l’époque.

64
The birds Les oiseaux, Alfred Hitchcock, usa, 1963, 119 mn

La dernière image, terrifiante, montre les oiseaux, restés maîtres du champ


de bataille, observant le départ furtif en voiture des quatre “survivants”. Ce n’est
sans doute qu’un répit. Le lent parcours vers le véhicule sous la surveillance
muette des oiseaux rappelle la fin de Notorious (p. 982) : les trois protagonistes
rejoignent une automobile sous l’œil des sinistres “amis” de Claude Rains, lequel
reste sur place, abandonné à son triste sort.
Tippi Hedren, substitut peu satisfaisant de Grace Kelly, jouera dans le Hit-
chcock suivant, Marnie (p. 1313). L’acteur australien Rod Taylor avait tenu le
rôle principal de The time machine (p. 1592). Jessica Tandy campe une mère
égoïste, incapable de donner de l’amour à ses enfants. À la fin, dans la voiture où
les héros se sont glissés comme des voleurs, elle semble s’être humanisée. Avec
Suzanne Pleshette et Charles McGraw.
Le lieu de tournage, Bodega Bay, est situé dans le comté de Sonoma, dont
le chef-lieu, Santa Rosa, sert de décor à L’ombre d’un doute (p. 398). D’après
Daphne du Maurier, comme Rebecca (p. 1056).

I shot Jesse James J’ai tué Jesse James, Samuel Fuller, usa, 1949, 81 mn

John Ireland campe Bob Ford, un personnage qui lui va comme un gant, celui
d’un traître culpabilisé. Il a tué son ami Jesse James, un des deux Robin des Bois
américains avec Dillinger, et porte son crime comme une croix. On ne se bat pas
contre lui, on lui montre le dos, ce qui veut dire “Profites-en pour tirer comme
tu as fait pour Jesse”. Moment extraordinaire où il demande qu’on lui chante
jusqu’au bout la célèbre complainte à la gloire de Jesse et dans laquelle il est
traité de “sale petit lâche”. De l’inconvénient d’être une légende vivante.
Ce premier film de Fuller est un production Lippert, studio fauché de “Poverty
Row”. On retrouve l’étrange porte du saloon dans d’autres westerns de cette
petite compagnie.

Rosa la rose, fille publique Paul Vecchiali, 1986, 84 mn

Filmé aux Halles (notamment rue de la Grande Truanderie), l’image de la


prostitution n’a rien de réaliste cependant : où va-t-on voir une professionnelle
(Marianne Basler) une rose à la main ? Le maniérisme de Vecchiali lorgne, comme
souvent, du côté du cinéma des années 1930. Ce qui donne des intermèdes
musicaux réussis, mais aussi des ratages comme ce banquet inspiré de la Cène de
Leonardo. Ou encore les fantasmes sexuels des clients, pâles décalques de Belle
de jour (p. 1314) où jouait déjà Jean Sorel – ici maquereau aux traits empâtés.
Ce film en dents de scie est racheté par la tragédie finale, assez émouvante.

65
The thin man L’introuvable, W.S. Van Dyke, usa, 1934, 87 mn

After the thin man Nick, gentleman détective, W.S. Van Dyke, usa, 1936,
108 mn

Another thin man Nick joue et gagne, W.S. Van Dyke, usa, 1939, 98 mn

Un couple de détectives amateurs, Nick (William Powell) et Nora (Myrna


Loy), accompagnés de leur fidèle fox à poil dur Asta, sont les protagonistes
d’une série de six films inspirés de Dashiell Hammett.
Les intrigues policières sont peu intéressantes : on nous présente à chaque
fois une galerie de suspects dont un se révèle être le coupable à l’issue de la
sempiternelle réunion mondaine où ils sont tous convoqués par Nick. Dans le
deuxième épisode, c’est le débutant James Stewart qui est ainsi démasqué.
Les films se laissent voir – mais trois d’un coup, c’est trop – à cause du ton
humoristique. Par exemple, Nick confie un suspect à la garde du “redoutable”
Asta. Le même Asta voyage en emmenant sa bouche d’incendie personnelle. Et
puis Nick est constamment bourré, surtout dans le second film.
“The thin man” ne réfère pas plus à Nick que Frankenstein au monstre ou la
Panthère Rose (p. 523) à l’inspecteur Clouseau. Il s’agit en fait de l’introuvable
suspect de la première histoire de la série, un homme maigre que Nick découvre
mort à la fin de l’épisode.

Undercurrent Lame de fond, Vincente Minnelli, usa, 1946, 116 mn

Film noir avec Katharine Hepburn et Robert Taylor dans le rôle d’un mari
qui, craignant que son épouse ne découvre son noir passé, essaye de la tuer. Tout
cela est bien long et un peu mollasson : ce n’est pas un sujet pour Minnelli. Le
quasi-débutant Robert Mitchum passe difficilement en frère de Taylor épris de
musique et de poésie.

Camille La dame aux camélias, Ray C. Smallwood, usa, 1921, 70 mn

Alla Nazimova joue une Marguerite Gautier un peu mijaurée face à Rudolph
Valentino. Les décors modernes sont splendides ; il y a même un orchestre de
jazz qu’on n’entend pas, et pour cause.
Pourquoi “Camille”, alors que personne ne surnomme ainsi l’héroïne ? C’est
peut-être un jeu de mots sur “camélia” à moins qu’il ne s’agisse d’une confusion :
une aquarelle du dessinateur Camille Roqueplan représentant Marie Duplessis est
exposée au Musée Carnavalet.

66
High plains drifter L’homme des hautes plaines, Clint Eastwood, usa, 1973,
105 mn

Il y a un cadavre dans le placard des citoyens de Lago. Venu pour venger la


victime, Clint Eastwood viole carrément une femme, un tantinet provocatrice,
nomme comme shérif le nain du village, puis fait repeindre en rouge cette ville
de lâches qu’il rebaptise Hell. Puis il la laisse brûler par des bandits, au rang
desquels on reconnaît Geoffrey Lewis.
Ce premier western mis en scène par Eastwood a un fort relent de spaghetti.
Les mêmes thèmes seront traités de façon moins démagogique dans Pale rider
et Unforgiven (pp. 1199, 1572).

My favorite brunette La brune de mes rêves, Elliott Nugent, usa, 1947,


87 mn

Film noir parodique qui rappelle vaguement Le faucon maltais (p. 32). Bob
Hope est un photographe pour enfants qui remplace, par désœuvrement, le dé-
tective à la Bogart du bureau d’à côté – Alan Ladd, dans une apparition-éclair.
Il est engagé par une pépée en noir – Dorothy Lamour – pour une enquête tré-
pidante. Peter Lorre campe un assassin sinistre à souhait déguisé pour un temps
en jardinier. . . dans une fausse maison vide qui pourrait être celle de La mort
aux trousses (p. 993). Lon Chaney Jr. est parfait en infirmier imbécile qui casse
les noix au creux de son coude.
Bob Hope, Dorothy Lamour et Bing Crosby formaient à l’époque le célèbre
trio des Road to. . . (p. 882). Crosby fait une apparition à la fin, en bourreau
dépité que Hope ait échappé à la chambre à gaz.

La poupée Jacques Baratier, France, 1962, 90 mn

C’est, avant tout, un film d’Audiberti. L’histoire est mise en scène dans un
tourbillon de couleurs et de chansons (voix de Catherine Sauvage), avec le travesti
Sonne Teal dans le rôle de la femme du colonel (Zbigniew Cybulski du Manuscrit
trouvé à Saragosse, p. 416) et de la poupée faite à son image, ce qui renvoie
à Metropolis (p. 1011). On reconnaît Daniel Emilfork, Sacha Pitoëff et László
Szabó ; ainsi que Jacques Dufilho en Indienne des plateaux. Dans un petit rôle,
le vétéran Roger Karl qui joua avec Delluc.
Il est question de tuer le colonel-dictateur d’une république sud-américaine.
De colonel à général, il n’y a qu’un grade, ce qui explique le carton-parapluie
précisant que tout cela est purement gratuit : aucune allusion à “Qui vous savez”,
i.e., au général qui régentait alors la France.

67
Mockery Benjamin Christensen, usa, 1927, 70 mn

Pendant la guerre civile russe, un moujik un peu idiot (Lon Chaney) sauve
la vie d’une jeune comtesse. Poussé par un prolétaire hargneux, il exige une
reconnaissance en nature de la belle qui lui préfère un officier tsariste très expéditif
(Ricardo Cortez). Notre moujik n’échappera à une exécution sommaire que grâce
à la comtesse, qui paye ainsi sa dette. Il regagnera ensuite sa vraie place, à l’étage
des domestiques, dans le paradis en survie de la Russie blanche.
Christensen est connu pour son extraordinaire Sorcellerie à travers les âges
(p. 575). Dans Michael (p. 1648), il campe le peintre homosexuel Claude Zoret.

La femme de l’aviateur Éric Rohmer, France, 1981, 102 mn

Comédies et proverbes, opus 1. Le film est centré sur les amours du jeune
Philippe Matlaud, qui devait mourir peu de temps après, Marie Rivière (du
Rayon vert, p. 1188) et la très jeune Anne-Laure Meury, excellente mais qui
ne fera pas carrière. On aperçoit aussi Mathieu Carrière dans le rôle de l’aviateur
et Rosette (Louisette de Pauline à la plage, p. 1483) en concierge. Une partie du
film est tournée dans le parc des Buttes-Chaumont.
Le titre du film est un cas typique d’abduction, i.e., de logique foireuse à la
Sherlock Holmes. L’aviateur va voir un avocat en compagnie d’une jeune femme.
Déduction à la mords-moi-le-nœud des témoins de la visite : il serait en instance
de divorce pour épouser Rivière qu’il a précisément vue le matin. La femme de
l’aviateur est en fait sa sœur : tous deux sont en procès contre un voisin.

Seisaku no tsuma La femme de Seisaku, Yasuzō Masumura, Japon, 1965,


93 mn

Un amour déchirant sur fond de nationalisme exacerbé. La belle Ayako Wakao


est ici une ancienne maîtresse, revenue au village après la mort de son protecteur.
Munie d’un pécule consistant, elle n’en est pas moins ostracisée à cause de son
passé et aussi par jalousie. Seisuke est un valeureux soldat qui épouse la réprouvée
dont il est tombé amoureux. Éclate la guerre de 1904 : Seisuke y part, fleur au
fusil. Blessé lors d’une mission-suicide et à peine remis, il est prêt à retourner
“donner l’exemple” à Port-Arthur.
C’est alors qu’elle l’aveugle par traîtrise, avec un clou. Le héros ne pourra
donc pas se faire tuer par les Russes ; mais il est taxé de lâcheté et ostracisé à
son tour. Quand sa femme rentre de prison, deux ans plus tard, il lui pardonne :
“Sans toi je serais resté un stupide soldat exemplaire”.
Ayako Wakao a joué dans plus de vingt films de Masumura.

68
Tikhy Don Le Don paisible, Sergueï Guérassimov, urss, 1957, 330 mn

Film en trois parties suivant assez exactement le roman-fleuve de Cholokhov.


Étalé sur une période de dix ans, il relate la destruction de la nation cosaque,
paysans soldats aisés et derniers remparts du tsarisme. Le héros Grigori, avec son
nez “turc” – mais le bourg s’appelle Tatarski – est ballotté entre deux camps,
principalement les Blancs et occasionnellement les Rouges. Et aussi entre deux
femmes, son épouse et celle qu’il aime, Axinia. Le village, tout aussi ballotté,
change plusieurs fois de mains.
Le film et le roman ont été décriés, à cause de leur côté officiel. Mais l’aspect
édifiant ne dépasse guère le stade du surmoi plaqué : le héros n’a rien de positif et
d’ailleurs le régime communiste, impitoyable, ne connaissait pas le mot “amnis-
tie”. Bien qu’ayant rejoint la cavalerie rouge de Boudionny, il n’a aucune chance
d’échapper au peloton d’exécution. Qu’un personnage aussi loin de la “nécessité
historique” ait été le héros d’un grand roman, puis d’une superproduction so-
viétique ne peut s’expliquer que par un caprice de Staline qui s’était sans doute
attaché au personnage. La vision de la révolution n’est d’ailleurs guère positive ;
tout au plus, les Blancs sont montrés comme un peu plus sanguinaires que les
Rouges, et encore.
Ce film n’est pas non plus ce monument d’académisme tant décrié. Les scènes
de bataille sont très bien rendues. Le retour de la dépouille du frère (Pétro) de
Dimitri est un vrai moment d’émotion. On mentionnera aussi cette image sur-
prenante de Daria, la belle-sœur de Dimitri, endormie comme une grosse chatte,
repue de sang, d’alcool et de sexe.

Le ciel est à vous Le ciel est à vous, Jean Grémillon, France, 1944, 107 mn

C’est un film dédié à la passion, à l’obstination positive et désintéressée.


Celle des scientifiques, des explorateurs, des créateurs, incarnée ici par le couple
de garagistes, devenus aviateurs, formé par Charles Vanel et Madeleine Renaud.
Cette passion dévore tout, le garage et même le piano de la fille du couple qui
ne pourra pas préparer le Conservatoire.
Le film met en scène une belle-mère, nullement caricaturale, comme il y en
avait tant à l’époque. Veuve, elle vit chez ses enfants et ne cesse de récriminer,
spécialement contre son gendre. Jeune mariée, elle avait pourtant sans doute
subi de semblables “attentions” de la part de sa propre belle-mère. Face à ce
comportement archaïque, Madeleine Renaud donne une image émancipée de la
femme, dans la lignée d’Hélène Boucher ou Maryse Bastié, qui tranche avec le
Travail-Famille-Patrie de l’époque.
Petits rôles pour Jean Debucourt, Albert Rémy et Léonce Corne.

69
Insiang Lino Brocka, Philippines, 1976, 94 mn

Dans un Manille populeux, Tonya, malgré son âge, vient d’installer Dado,
gigolo arrogant, à domicile. Sa fille, Insiang, tente en vain de lui ouvrir les yeux ;
elle n’obtient pas plus d’aide de son fiancé Bebot, un dégonflé. Elle séduit alors
sciemment Dado pour provoquer sa mort : la mère le tue, en effet, par jalousie.
Plus tard, Insiang va voir la meurtrière en prison et lui avoue sa machination tout
en affirmant son amour filial. Quand elle s’en va, arborant un sourire énigmatique,
sa mère la suit du regard depuis une fenêtre.

Les sièges de l’Alcazar Luc Moullet, France, 1989, 53 mn

Le film ne traite pas de la Guerre d’Espagne, mais de la guéguerre des revues


de cinéma dans les années 1950 : l’Alcazar est une salle de cinéma et les sièges
sont ceux des premiers rangs, les préférés des cinéphiles. Le héros, qui écrit,
comme Moullet à l’époque, aux Cahiers du cinéma représente une cinéphilie de
droite – c’était le temps où Truffaut fréquentait l’immonde Rebatet – ; il porte
aux nues Cottafavi et dénigre Visconti et Antonioni. Il est opposé à une critique
de Positif, plutôt communisante, qui méprise Cottafavi et porte aux nues Visconti
et Antonioni.
On reconnaît Sabine Haudepin, Jean Abeillé et, dans le rôle des propriétaires
de l’Alcazar, Dominique Zardi et la toujours drôlatique Micha Bayard.
Le film, fauché, utilise des affiches bricolées : la septième de Bruckner enten-
due durant une projection est la musique de Sensso (sic, p. 517).

Koshiben gambare Bon courage, larbin !, Mikio Naruse, Japon, 1931, 29 mn

Le plus ancien film conservé de Naruse, muet comme tout le cinéma japonais
de la première moitié des années 1930. Le scénario utilise une ficelle récurrente
des films de l’époque, la maladie ou l’accident d’un enfant (p. 3). Ici, le fils a été
parcuté par un tramway.
L’originalité du film tient à un renversement de ton. Le héros, agent d’assu-
rances famélique, use de tous les subterfuges pour obtenir qu’une riche voisine
assure ses enfants ; il va même jusqu’à jouer à saute-mouton avec eux. Quand
on apprend qu’un enfant du quartier a eu un accident, il en profite pour fourguer
son contrat et revient à la maison, un jouet sous le bras pour son môme. . . et
apprend qu’il n’a obtenu le fameux contrat que grâce à l’accident de son propre
fils. Près du lit de l’enfant, le ton comique a disparu : mourra, mourra pas ? Le
film pourrait à ce moment, virer au tragique ; mais Dieu et le scénariste ont opté
pour le happy end.

70
A letter to three wives Chaînes conjugales, Joseph L. Mankiewicz, usa,
1949, 99 mn

Film à sketches montrant l’arrivisme social de trois épouses, toutes trois


obsédées par l’Arlésienne du film, une certaine Addie Ross qui a tout pour elle,
élégance, argent, culture, relations.
Le second sketch est dominé par la philippique d’un qui n’est rien (Kirk
Douglas), un enseignant sans un radis nous dit-on, contre la publicité à la. . .
radio (le film semble ignorer la télévision), incarnée par une horrible matrone
(Florence Bates) et son minuscule mari (Hobart Cavanaugh).
Le troisième sketch nous montre Linda Darnell décidée à quitter un apparte-
ment familial qui tremble à chaque passage du train. Elle manipule son patron
(Paul Douglas), un gros “gorille” plein de fric, pour se faire épouser.
Dans un second rôle, la toujours excellente Thelma Ritter.

Willie Wonka and the chocolate factory Charlie et la chocolaterie, Mel


Stuart, usa, 1971, 100 mn

Première adaptation du roman de Roald Dahl, avec Gene Wilder dans le rôle
du solitaire et facétieux Willie Wonka. Drôle de conte de fées, où les enfants, sauf
le jeune Charlie, sont antipathiques ; spécialement Veruca – à peu près “Verrue” –
odieuse fille à papa.
Les extérieurs sont tournés en Bavière. La photo du faussaire paraguayen au
ticket d’or qui s’étale en une des journaux est celle de Martin Bormann, qu’on
croyait alors vivant et réfugié au. . . Paraguay.
Ce bon film est un peu écrasé par la version de Tim Burton (p. 855), plus
ramassée, avec des enfants encore plus antipathiques, et des trouvailles visuelles :
les Oompa Loompa sont joués par un unique acteur clôné, Deep Roy.

Manhattan Woody Allen, usa, 1979, 96 mn

C’est le premier d’une série de fims en noir et blanc, qui se poursuit avec
Stardust memories, Zelig et Broadway Danny Rose (pp. 1142, 1618, 296). Sur
fond de musique de Gershwin, le film est une ode à New York filmée par Gordon
Willis à qui l’on doit de splendides images nocturnes, comme celle de l’affiche :
le couple Keaton/Allen sur un banc devant le pont de Queensboro.
Parmi les acteurs, Michael Murphy (de chez Altman) et Mariel Hemingway,
petite fille de l’écrivain âgée de 17 ans et qui dépasse Woody d’une tête. L’ex de
Diane Keaton (Wallace Shawn), rencontré par hasard, est à New York à l’occasion
d’un symposium sur la sémantique (sic). . . on comprend qu’elle l’ait quitté !

71
Amici miei – Atto IIo Mes chers amis II, Mario Monicelli, Italie, 1982, 127 mn

Amici miei (p. 605), sauce rallongée. Même Perozzi (Philippe Noiret), enterré
dans la première partie, participe à cette suite. On le voit, dans un flash-back,
surpris au lit avec sa maîtresse par la crue de l’Arno de 1966. Il y a du bon, par
exemple le sketch de consolidation de la tour de Pise, et du moins bon, ainsi la
farce scatologique dont est victime Capogreco (Paolo Stoppa). Le film, succession
un peu longuette de farces infantiles, se clôt sur la paralysie de Mascetti (Ugo
Tognazzi) qui pourra désormais participer à des courses en fauteuil roulant ; sous
le regard goguenard des autres couillons, une larme au coin de l’œil.

Homicidal William Castle, usa, 1961, 87 mn

William Castle est ici, plus que jamais, le Hitchcock du pauvre. Il présente
son film, comme le faisait à l’époque le maître dans une série télévisée qui dura
dix ans (1955-65). On retrouve l’atmosphère de Psychose (p. 1036) ; la femme
dans le fauteuil roulant, muette et paralysée (Eugenie Leontovich, au visage très
expressif) et sa nièce, la meurtrière au couteau. Une atmosphère de schizophrénie
perdure jusqu’à la révélation finale.
Malgré cette référence écrasante, le film reste, contrairement à d’autres psy-
choseries, e.g., Paranoiac (p. 32), une réussite.

The burglar Le cambrioleur, Paul Wendkos, usa, 1957, 90 mn

D’après David Goodis, ce film noir est filmé en noir et blanc. Surtout en noir :
l’action se déroule principalement de nuit et la photo s’attache à capter les jeux
d’ombre, les contre-jours.
Avec Dan Duryea, la pneumatique Jayne Mansfield, Martha Vickers (la petite
sœur fofolle de Bacall dans The big sleep, p. 1573), ainsi que Mickey Shaughnessy
(le boxeur sonné de Designing woman, p. 1309). On reconnaît l’immense hall de
la gare de Philadelphie qui servira de décor à Blow out (p. 1198).

The baron of Arizona Samuel Fuller, usa, 1950, 97 mn

L’histoire est basée sur le personnage, campé par Vincent Price, de James
Reavis, extraordinaire faussaire qui faillit s’approprier le territoire de l’Arizona
grâce à des documents de sa fabrication datés du xviiie siècle.
Ellen Drew joue la prétendue héritière de la famille Peralta. Et l’acteur d’ori-
gine russe Vladimir Sokoloff un mexicain, comme dans Les sept mercenaires
(p. 1033) où il sera le chef du village.

72
Kutabare akutō domo Crevez vermines, Seijun Suzuki, Japon, 1963, 84 mn

Film de yakuzas, le premier de la série Detective bureau 23 qui s’arrête au


numéro 2. Le héros est incarné par l’acteur typique de ce genre de films, Jō
Shishido aux joues implantées – ratage de la chirurgie esthétique qui l’a orienté
vers les rôles de brute – qui joue un policier infiltré chez les yakuzas, au nombre
desquels Tamio Kawaji (Tatsu la Vipère du Vagabond de Tōkyō, p. 61). Dans
une scène de cabaret, le héros est reconnu par la chanteuse : monté sur scène
pour la faire taire, il forme avec elle un duo sur fond de musique Charleston.

La vieille dame indigne René Allio, France, 1965, 91 mn

D’après Bertolt Brecht. Une veuve sort du format en s’offrant de petites


distractions avec des amis de fraîche date, au grand dam de ses enfants : le
scandale ne réside pas vraiment dans ses dépenses, somme toute modestes, mais
dans le fait que la vieille dame a cessé d’être la propriété de la famille
Le fim est ancré dans son époque, celle du formica : on n’y mourait pas à
l’hôpital et les veuves se promenaient encore tout de noir vêtues. Et dans un lieu,
Marseille, plus précisément l’Estaque.
À 80 ans, Sylvie aux étranges yeux clairs est émouvante. Les amis sont joués
par Malka Ribowska et Jean Bouise, et la famille par François Maistre, Victor
Lanoux et un Étienne Bierry d’autant plus terrifiant qu’il n’est en rien caricatural.
“Faut-il pleurer, faut-il en rire ? Fait-elle envie ou bien pitié ? Je n’ai pas le
cœur à le dire, on ne voit pas le temps passer” chante la voix chaleureuse de
Jean Ferrat.

Dracula’s daughter La fille de Dracula, Lambert Hillyer, usa, 1936, 68 mn

Le film s’inscrit parmi les multiples suites des films de monstres Universal
– dont certains, comme Bride of Frankenstein (p. 1018) sont supérieurs aux
originaux. Cette suite du Dracula de 1931 (p. 83) est un produit hybride avec
une distribution terne et des ruptures de ton mal maîtrisées, par exemple le syle
comique du début qui jure avec la suite.
L’originalité du film repose sur la présence d’une vampiresse (Gloria Holden),
relativement effrayante car filmée en contre-plongée. Elle sera tuée d’une flèche
en plein cœur par un assistant, tout aussi effrayant, joué par Irving Pichel – le
metteur en scène des Chasses du comte Zaroff (p. 420). Cette vampiresse est-
elle une pauvre fille cherchant à se débarrasser de la malédiction familiale ou une
monstresse désireuse de prolonger à tout prix sa non-mort ? C’est en réalité une
schizophrène qui oscille entre les deux à cause d’un scénario bâclé.

73
The outfit Échec à l’organisation, John Flynn, usa, 1973, 103 mn

Sympathique film qui voit Robert Duvall, assisté de Karen Black et Joe Don
Baker s’attaquer victorieusement à la Mafia, ce qui, faute d’être très vraisem-
blable, est réjouissant. Le film utilise une galerie d’acteurs de la génération précé-
dente : Elisha Cook, Mary Windsor, Timothy Carey (tous trois dans The killing,
p. 985) ainsi que Jane Greer et Robert Ryan.
Scène particulièrement réussie où la femme d’un garagiste prétend avoir été
agressée pour provoquer une rixe qui pourrait la débarrasser de son mari.

La ley del deseo La loi du désir, Pedro Almodóvar, Espagne, 1987, 102 mn

Eusebio Poncela, aux faux airs de Fabrice Luchini, campe un cinéaste homo-
sexuel, dont le frère (Carmen Maura !) est transsexuel. Un jeune homme (Antonio
Banderas) assassinera par jalousie l’amant du cinéaste. L’histoire, qui fait réfé-
rence à Cocteau (La voix humaine), se termine de façon tragique et touchante.
L’enquête policière tourne autour d’une chemise Hermès. “Pour être un bon
policier, l’absence de scrupules ne suffit pas” martèle un inspecteur.

Manslaughter Le réquisitoire, Cecil B. DeMille, usa, 1922, 100 mn

Scènes d’orgie : il s’agit avant tout de l’alcool qui coule à flots en ces temps
de prohibition, d’exhibitions indécentes comme ce combat de boxe féminine, voire
cette course sur des “pogo sticks”, pas très orgiaque, quand même. Ce qui rappelle
la décadence romaine, selon le vertueux procureur O’Bannon (Thomas Meighan) ;
DeMille, toujours moralisateur, en profite pour nous rassasier d’images antiques.
Au centre de ces débordements nocturnes, une héritière égoïste, Lydia Thorne
(Leatrice Joy) ; possédée de jour par le démon de la vitesse, elle provoque la mort
d’un policier. Bien qu’issue d’un milieu à l’aise avec les procureurs, son affaire
n’est pas classée : O’Bannon a décidé, par amour, de l’envoyer en prison. Dans
le monde selon DeMille, la prison réhabilite.
Pendant que la belle retrouve le chemin de la vertu, le procureur prend celui
du speakeasy : il démissionne, s’adonne à la boisson et va jusqu’à mettre au clou
sa flasque – non sans l’avoir préalablement vidée. Mais tout cela finira bien et le
couple, enfin uni, pourra vivre dans le moralisme le plus strict.
On remarquera la mort du policier à l’hôpital, racontée en ombres chinoises,
comme celle de Dale Fuller dans Greed (p. 21). Et le rêve de vengeance de Lydia
emprisonnée qui se termine par “Si je pouvais revivre ma vie”. Et encore, lors de
son incarcération, ce carton ironique bien dans le style DeMille : elle passe de
Révillon à Bertillon.

74
Utamaro o meguru gonin no onna Cinq femmes autour d’Utamaro, Kenji
Mizoguchi, Japon, 1947, 95 mn

À Edo, à la fin du xviiie siècle, Utamaro et ses modèles, principalement


des courtisanes. L’une d’elles, Takasode, a une peau si belle que le maître peint
directement sur son dos. Habillée à la façon d’un ukiyo-e de Harunobu – maître
de la génération précédente –, elle s’enfuit avec l’amant en titre d’Okita (Kinuyo
Tanaka d’O Haru, femme galante, p. 1143), laquelle, peu partageuse, commettra
un double meurtre.
Pour crime de lèse-shōgun, Utamaro est menotté à domicile pendant 50 jours.
Au terme de sa peine, il ne se précipite pas sur le sake, mais sur ses pinceaux.

Die Sehnsucht der Veronika Voss Le secret de Veronika Voss, Rainer Wer-
ner Fassbinder, rfa, 1982, 104 mn

Avant-dernier film de Fassbinder et le plus sombre. Dans une Allemagne datée


par la mode féminine de 1955, une actrice has been du nazisme (la ufa) et
toxicomane, est devenue la proie d’une bande de trafiquants de morphine, dont
le quartier général est un cabinet de neurologie. Ils utilisent la dépendance de
leurs clients pour les presser comme des citrons avant de provoquer leur suicide.
Le victimisme habituel de Fassbinder tourne ici au complotisme à la Mabuse
(p. 516), ainsi quand une voiture écrase un témoin gênant. Le rêve final de
l’héroïne qui chante devant le piano comme pour une soirée d’adieu, est un
moment magnifique où le noir domine en contraste avec la blancheur effrayante
du cabinet médical.
On reconnaît, dans des seconds rôles, Armin Müller-Stahl qui joue l’ex-mari
et Günther Kaufmann en soldat noir américain. Lilo Pempeit, mère du cinéaste,
fait son habituelle apparition.

Sylvie et le fantôme Claude Autant-Lara, France, 1946, 98 mn

Quatrième et dernier film d’Autant-Lara avec Odette Joyeux. Avec pas moins
de quatre fantômes : Jean Desailly, François Périer, Louis Salou, ainsi que. . .
Jacques Tati, le seul à pouvoir vraiment traverser les murs. Pour une histoire en
équilibre instable entre plusieurs mondes, amour, enfance dans un grand château
avec son escalier secret et sa scène de bal. Tout cela tient debout grâce à la
composition d’Odette Joyeux qui sait rester à mi-chemin de la naïveté de l’enfance
et des émois de l’amour et nous fait croire à ses 16 ans alors qu’elle en a le double.
Pierre Larquey, avec sa diction si particulière, joue le père ; Julien Carette qui
tiendra bientôt une Auberge rouge (p. 105) pour Autant-Lara est un domestique.

75
The King of kings Le Roi des Rois, Cecil B. DeMille, usa, 1927, 160 mn

Le film, qui évoque constamment la peinture, est avant tout une grande
réussite plastique. On mentionnera la tempête qui se déchaîne au moment de la
crucifixion et de la mort de Judas. Ainsi que la scène, venue tout droit de chez
Rembrandt, où Caïphe égrène les 30 deniers devant le traître. L’introduction, avec
sa Marie-Madeleine sortie de chez Gustave Moreau et la résurrection sont tour-
nées dans un Technicolor dont les couleurs, superbement choisies, parviennent à
faire oublier les limitations du bichrome.
Magnifique trône de Ponce Pilate surmonté d’un aigle gigantesque. Le Christ
est joué par H. B. Warner qui sera rétrogradé au rang de pharmacien dans It’s a
wonderful life (p. 399).

¡ Viva Zapata ! Elia Kazan, usa, 1952, 109 mn

Marlon Brando campe un Zapata très Actors Studio qui mange ses mots, sans
doute pour signifier son illettrisme. La composition la plus intéressante du film
est celle de Joseph Wiseman – futur Dr. No du premier James Bond (p. 1199).
Il seconde fidèlement le révolutionnaire jusqu’au moment où celui-ci, arrivé au
sommet, se retire, de peur de devenir un nouveau Porfirio Díaz ; passé du côté des
militaires, c’est lui qui organise l’embûche fatale à Zapata. Cet individu au cou de
taureau ne croit qu’en la “logique”. . . veut-il dire la nécessité historique ? L’année
1952 voit Kazan, devenu délateur, balancer ses anciens amis communistes.
La scène de l’exécution nocturne de Madero est très impressionnante. Le film
s’achève avec ce cheval blanc qui, tel le chien errant du Quai des brumes (p. 10),
s’évade de la cour de caserne qui a vu la mort de Zapata. On ne tue pas une
légende.

High hopes Mike Leigh, Grande-Bretagne, 1988, 108 mn

Une vieille dame habite dans une zone populaire en cours de yuppisation.
Ses voisins, dont Lesley Manville, sont en effet puants : “Une place pour tout
le monde et tout le monde à sa place” dit le mari.
Sa propre fille est une excitée de l’arrivisme social – son mari boit du Moët
avec rondelle de citron dans un verre à whisky – qui prend son frère (Phil Davis)
pour un foutu raté (a fucking loser), la pire insulte de ces années.
Le couple formé par ce frère avec Ruth Sheen (actrice récurrente de Leigh)
est, en effet, dénué d’ambition sociale. Ils ont surnommé son cactus Thatcher
et considèrent Highgate, le cimetière où repose Karl Marx, comme un lieu de
pélerinage. . . on pense à Morgan (p. 687). C’est à eux, et aussi à cette mère qui
perd la boule, que l’auteur réserve sa tendresse.

76
Jungfrukällen La source, Ingmar Bergman, Suède, 1959, 91 mn

Au moyen-âge, la mort d’une jeune fille, violée par des bergers. Cette vierge
blonde était jalousée par sa demi-sœur brune (Gunnel Lindblom), enceinte et
adepte de la sorcellerie et du dieu Odin. Sa mort sera vengée par son père (Max
von Sydow) qui, dans sa colère, tuera aussi un innocent, le petit frère des bergers.
Cette injustice en réponse à une injustice amène le père à douter. Mais une
source miraculeuse surgit : les desseins de Dieu sont impénétrables.

Ren xiao yao Plaisirs inconnus, Zhangke Jia, Chine, 2002, 108 mn

Datong, dans la province de Shanxi chère à l’auteur. Ville-chantier où les


repères s’effacent à coups de licenciements économiques, d’argent aussi – qu’on
fétichise, comme ce billet d’un dollar – sans le comprendre, même s’il circule
chez les usuriers. En cet an 2000, on apprend que les jo de 2008 sont attribués
à Pékin.
Deux adolescents déboussolés se cherchent à tâtons dans ce monde étrange.
L’un entretient une relation avec la maîtresse d’une sorte de gangster et quitte le
film en abandonnant sa moto sur l’autoroute. L’autre, apparemment plus sage,
se laisse entraîner dans un hold-up bidon qui échoue avant d’avoir commencé ;
c’est néanmoins la mort qui l’attend, lui dit le policier de garde qui, par dérision,
l’oblige à chanter une chanson entraînante, survivance d’un passé communiste
pas très éloigné.

Higanbana Fleurs d’équinoxe, Yasujirō Ozu, Japon, 1958, 92 mn

Résumé : un père marie sa fille. Ce qui convient à moult films de l’auteur dont
c’est le premier en couleurs. Ici, pas de mariage arrangé : la fille (Ineko Arima) a
déjà trouvé un fiancé (Keiji Sada). Il s’agit de convaincre son père (Shin Saburi,
marié dans le film à Kinuyo Tanaka d’O haru, femme galante, p. 1143). Une jeune
fille rusée, Yukiko (Fujiko Yamamoto), l’amènera à consentir, puis à assister à
contre-cœur au mariage et, enfin, à aller voir les jeunes mariés à Hiroshima. Le
film se ferme, comme Ukikusa monogatari (p. 690) sur un train qui s’en va.
Sous les noms de Hirayama, Kawai et Horie, Shin Saburi, Nobuo Nakamura
(le maire-adjoint de Ikiru, p. 45) et Ryūji Kita forment une espèce de triumvirat,
qu’on retrouve à deux reprises dans le restaurant tenue par Toyo Takahashi :
dans Fin d’automne (p. 1010) avec d’autres noms, et Le goût du sake (p. 35),
avec les mêmes noms, Chishū Ryū remplaçant Saburi. Ici, Ryū n’a qu’un rôle
de second plan. Lors d’une réunion d’anciens élèves qui se tient près du pont
de Takeshima (baie de Mikawa), il psalmodie a cappella une longue déploration
militaire.

77
Sapphire Opération Scotland Yard, Basil Dearden, Grande-Bretagne, 1959,
92 mn

Bien que son message anti-raciste soit un peu daté, le film est un document
sur les milieux noirs du Londres de l’époque.
Nigel Patrick a le rôle principal, celui du détective. On reconnaît Bernard
Miles – le mari du couple de kidnappeurs de L’homme qui en savait trop, p. 8 –
dans le rôle de l’ex-futur-beau-père de la victime. Londres, autour du parc de
Hampstead Heath, est très bien filmé.

Week-end Jean-Luc Godard, France, 1967, 100 mn

Le film est centré sur la bagnole : scènes d’accident, carcasses de voitures


qui brûlent, interminable embouteillage. On y parle de sexe – à contre-jour et de
façon quasi inaudible comme Mireille Darc au début du film – et de révolution,
si c’est bien le but du groupe de cannibales dirigé par Jean-Pierre Kalfon : “J’ai
mélangé le cochon avec les touristes anglais. Il y a aussi un reste de ton mari. . . ”
Le mari, c’était Jean Yanne. On reconnaît, entre autres, Juliet Berto, Jean-Pierre
Léaud, László Szabó et on aperçoit Anne Wiazemsky.
Le style Godard s’exprime par l’utilisation d’intertitres en grosses capitales
qui évoquent les dazibaos alors à la mode dans les milieux pro-chinois. Et par
sa manie de nous infliger le dernier livre qu’il a lu ; ici, en voix off, une longue
citation de Guy Dhoquois, “Communisme primitif et démocratie militaire”.

Der letzte Mann Le dernier des hommes, F. W. Murnau, Allemagne, 1924,


90 mn

Emil Jannings campe une espèce d’empereur des portiers d’hôtel ; bien droit
dans son uniforme, il est un Monsieur dans le quartier populaire où il réside. Ce
plus grand des petits n’est rien pour l’administration du palace qui remarque sa
peine à soulever une malle. Il est alors privé de son bel uniforme – un bouton
arraché à ce moment évoque même une dégradation militaire – et envoyé s’oc-
cuper des toilettes. Sa silhouette change alors, il se courbe et marche comme s’il
allait perdre l’équilibre. Tout s’arrange finalement, car il fait un gros héritage ; le
côté Deus ex machina de ce happy end est revendiqué, au moyen d’un carton,
par l’auteur.
Le décor de la ufa, splendide, est utilisé par Murnau pour composer d’in-
oubliables images de nuit, souvent à travers des vitres. Dans The last command
(Sternberg, p. 444), Jannings incarnera un ex-général russe devenu figurant à
Hollywood et qui réendosse l’uniforme le temps d’un film.

78
Million dollar legs Folies olympiques, Edward F. Cline, usa, 1932, 59 mn

Les habitants de la République de Klopstokia, emmenés par W. C. Fields,


gagnent les Jeux Olympiques de Los Angeles. Ici, Fields en est encore au lait de
chèvre, l’animal-fétiche des klopstokiens. Le premier rôle de ce Fields des débuts
est dévolu à Jack Oakie (le Napaloni du Dictateur, p. 109).

The lady Eve Un cœur pris au piège, Preston Sturges, usa, 1941, 90 mn

Dans cette screwball comedy, Henry Fonda est un fils de famille – dont le
père est joué par le massif Eugene Pallette – passionné par les serpents. De retour
d’Amazonie, il est littéralement happé par un gang de tricheurs professionnels
dont un père (Charles Coburn) et sa fille (Barbara Stanwyck). Elle ne fera qu’une
bouchée de notre herpétologue, couillon intégral du début à la fin. Le film s’in-
génie à multiplier ses chutes, mais ce slapstick n’est guère plus réussi que celui
des Voyages de Sullivan (p. 58).
Robert Greig est plus majordome que jamais. Mention spéciale pour l’acteur-
fétiche de Sturges, William Demarest qui campe une espèce d’ange-gardien, tou-
jours à l’affût derrière une porte ou une fenêtre.
Le générique prend la forme d’un dessin animé : un serpent dans ce qui
pourrait être le Jardin d’Éden, avec le nom Ève gravé sur une pomme.

Les diaboliques Henri-Georges Clouzot, France, 1955, 116 mn

Voir ce film, c’est d’abord se plonger dans une époque que Clouzot restitue
avec une attention maniaque, comme s’il en éprouvait déjà la nostalgie. Cou-
vertures en piqué, nappes imperméables en nylon, . . . Une bouteille de Johnny
Walker coûtait 2500 (anciens) francs et Zappy Max présentait Quitte ou double
sur Radio-Luxembourg (aujourd’hui, rtl).
Les rôles principaux sont tenus par Paul Meurisse, personnage odieux à la tête
d’une institution minable, Vera Clouzot qui joue son épouse et Simone Signoret
sa maîtresse ; cette dernière fait accessoirement partie des professeurs, au rang
desquels Pierre Larquey et Michel Serrault. Charles Vanel campe le commissaire
de police retraité, Jean Brochard le concierge et Noël Roquevert le voisin niortais,
un ancien militaire aigri occupé à jouer au Meccano.
Petits rôles pour Robert Dalban, Jean Lefebvre et Jacques Hilling. Parmi les
élèves, Georges Poujouly, ainsi que le jeune Johnny Halliday qui pose au centre
de la photo de groupe. Hitchcock demandera aux scénaristes Boileau et Narcejac
une intrigue de la même eau : cela donnera le sublime Vertigo (p. 1561).

79
The far country Je suis un aventurier, Anthony Mann, usa, 1954, 97 mn

Quatrième de la série Mann/Stewart, ce western se déroule pendant la ruée


vers l’or de 1898, à Dawson City, dans le territoire canadien du Yukon ; les exté-
rieurs sont filmés dans l’Alberta. James Stewart campe, ici aussi, un personnage
sans ossature morale qui sera amené à prendre parti par altruisme et peut-être
aussi par esprit de revanche. John McIntire a le rôle le plus sympathique du film,
bien que ce soit celui d’une fieffée crapule. Ruth Roman joue une sensuelle beauté
qui, trop compromise avec ce dernier, ne peut se racheter que grâce à la balle
perdue tirée par le Code : elle meurt dans les bras de James Stewart. Corrine
Calvet, avec ses couettes et son bonnet, a un rôle un peu cucul.
Les seconds rôles sont tenus par Walter Brennan, Jay C. Flippen chez les
bons, Robert J. Wilke et Jack Elam chez les méchants. On aperçoit Royal Dano
et Henry Morgan.

Spetters Paul Verhoeven, Pays-Bas, 1980, 123 mn

Le film s’attache à une bande d’adolescents plutôt attardés (dans les 25


ans !) et nous montre leur difficile passage à l’âge adulte. Sur fond de courses de
motos (avec Rutger Hauer dans un second rôle), de sexe pas toujours ragoûtant
et parfois improbable, comme ce concours de bites avec pied à coulisse, digne
d’enfants de 12 ans ! Mais le titre signifie, après tout, “éclaboussures”. Un des
trois garçons, paralysé après un accident de moto, préfère se donner la mort. Film
touchant malgré ses maladresses. Avec la bombe sexuelle Renée Soutendijk.

The spiral staircase Deux mains, la nuit, Robert Siodmak, usa, 1946, 84 mn

Film gothique situé en 1916, dans une grande maison centrée sur un escalier
qui mène à une chambre d’invalide (Ethel Barrymore) et qui descend en spirale à
la cave, lieu où la domestique alcoolique (Elsa Lanchester de Bride of Franken-
stein, p. 1018) vole une bouteille, et où le beau-fils de l’invalide (George Brent)
tuera une jeune femme (Rhonda Fleming). Il sera abattu par sa belle-mère, tou-
jours dans l’escalier, au moment où il allait poursuivre son projet eugéniste en
débarrassant le monde d’une jeune muette (Ella Raines), qui retrouve la parole
pour alerter un médecin ami (Kent Smith). Tout ça par une nuit d’orage déchaîné.
Le film se laisse voir, mais donne, avec sa fausse piste menant au demi-frère
de Brent, une impression de gratuité, tout comme The dark mirror (p. 1034) où
l’on ne savait pas laquelle des sœurs était une criminelle. On est loin du grand
Siodmak des Killers (p. 478), son film suivant.
Petits rôles pour James Bell en policier et Sara Allgood (la mère de Qu’elle
était verte ma vallée, p. 171) en infirmière.

80
The African Queen John Huston, usa, 1951, 105 mn

Ce célèbre film d’aventures est surtout prétexte à un duo d’acteurs : Hum-


phrey Bogart en alcoolique un peu mécréant est opposé à Katharine Hepburn qui
campe une vieille fille, sœur d’un missionnaire (Robert Morley, seul Anglais des
trois acteurs). L’intrigue, située en 1914 dans l’actuelle Tanzanie, est centrée sur
l’African Queen, rafiot qui servira de torpille contre les Allemands. Tout cela et
cousu de fil blanc, ainsi cette soudure sommaire d’une pale d’hélice.
Le tournage en Afrique, raconté par Peter Viertel, scénariste non crédité du
film, constitue la matière de Chasseur blanc, cœur noir (p. 1584). Un autre
film de Huston, (Heaven knows, Mr. Allison, p. 875) oppose un marine (Robert
Mitchum) à une religieuse (Deborah Kerr) : on a changé de guerre, les Japonais
ont remplacé les Allemands et les Îles du Pacifique l’Afrique de l’Est.

Exotica Atom Egoyan, Canada, 1996, 99 mn

Au centre d’un dispositif narratif complexe, un agent du Trésor (Bruce Green-


wood) qui a perdu sa fillette. Il passe ses soirées au strip-tease où se produit une
très jeune fille (Mia Kirshner), au style de lycéenne japonaise, qui danse avec son
cartable sur une musique de Leonard Cohen : Everybody Knows. Elle s’occupait
auparavant de l’enfant assassinée qu’elle allait garder en emportant, précisément,
son cartable. La quête de deuil du père passe aussi par sa nièce, qu’il utilise comme
baby-sitteuse, comme si sa fille était encore là.
Le disk-jockey du strip-tease (Elias Koteas, affublé d’une perruque), jalouse
la relation entre sa jeune vedette et le père endeuillé, qu’il poussera à enfreindre
l’interdit “Tu ne toucheras qu’avec les yeux”. Un second parallèle s’établit avec un
trafiquant d’animaux, un homosexuel qui utilise un dispositif très élaboré, basé
sur le Roméo et Juliette de Prokofiev, pour faire des rencontres,
Arsinée Khanjian, épouse d’Egoyan, joue la patronne enceinte du strip-tease.

The ghost and Mrs. Muir L’aventure de Madame Muir, Joseph L. Mankie-
wicz, usa, 1947, 105 mn

Une veuve (Gene Tierney) et le fantôme (Rex Harrison) de la maison qu’elle


a louée. Contaminée par le langage fleuri de cet ancien marin, elle se met à jurer
elle-même ; mais comme le Code n’aurait pas toléré “fucking” (foutu), on n’a
droit qu’à “blasted” (fichu). En contrepoint à cette belle histoire d’amour, le peu
reluisant personnage, joué par George Sanders, un habitué de ce type d’emploi.
Robert Coote joue l’agent immobilier ; dans un rôle d’enfant, la jeune Natalie
Wood.

81
La Belle et la Bête Jean Cocteau, France, 1946, 95 mn

Magie du cinéma, l’impression de fantastique qui se dégage du film reste


inégalée, notamment dans la séquence de l’arrivée du père (Marcel André) au
château de la Bête : bras qui sortent des murs en brandissant des chandelles,
statues qui suivent des yeux ou de la tête le voyageur égaré. Tout cela malgré
(ou à cause) des effets spéciaux rudimentaires. Josette Day, qui s’était éloignée
de Pagnol après La fille du puisatier (p. 1374) est opposée à un Jean Marais au
masque de fauve, qui reste pourtant reconnaissable à sa voix, amplifiée ici par
une diction volontairement emphatique.
Michel Auclair, Mila Parély et Nane Germon jouent la fratrie de la Belle.

Crash David Cronenberg, Canada, 1996, 100 mn

Le roman de J. G. Ballard dénonçait le rôle grandissant de l’automobile. Dans


une optique très différente de celle de Week-end (p. 78), puisqu’il s’agit de son
empreinte sur nos corps et notre sexualité : le livre met en scène un fétichisme
des cicatrices, celles que portent les humains, mais aussi leurs machines. Eros et
Thanatos : l’accident d’automobile devient une espèce d’orgasme.
Elias Koteas est assez convaincant quand il met en scène la mort de James
Dean en attendant de s’occuper de celle de Jayne Mansfield. C’est le côté Tha-
natos du roman : “James Dean mourut le cou brisé et devint immortel”, dit-il.
Le côté Eros est moins satisfaisant : on reste de marbre devant les ébats de
James Spader avec Deborah Kara Unger ou Holly Hunter. Pourtant le défi n’est
pas insurmontable, voir les scènes de sexe réussies de Contes de la folie ordinaire
(p. 144), film qui ne sombre pas pour autant dans le porno. Seule Rosanna
Arquette s’en tire avec sa prothèse et ses horribles coutures recouvertes d’un bas
résille.

City streets Les carrefours de la ville, Rouben Mamoulian, usa, 1931, 76 mn

Film de gangsters d’avant le Code : un petit truand (Gary Cooper) sort du


jeu – le juteux trafic d’alcool de la Prohibition – sans être inquiété, ni recevoir la
traditionnelle balle perdue qui supplèe aux limitations de la justice humaine. Guy
Kibbee joue un tueur à la solde du grand chef (Paul Lukas). Un mot traverse
le film “No hard feelings” (sans rancune) : c’est ce qu’on dit à un concurrent
qu’on prévoit d’assassiner. Le mot est repris, parodiquement, par Cooper quand
il abandonne ses anciens amis dans la nature.
Le film s’ouvre sur une splendide scène foraine où Sylvia Sidney fait la connais-
sance de Gary Cooper, lequel ne porte pas encore ce col de fourrure qui sent
l’argent mal gagné.

82
Dracula Tod Browning, usa, 1931, 74 mn

“Classique” très surestimé : les acteurs sont mauvais et l’histoire, bavarde et


assez éloignée du roman de Bram Stoker, est ennuyeuse. La plastique du film est
plus satisfaisante, avec ses beaux décors et ses belles images de vampires, Bela
Lugosi et ses trois sœurs.
Le cauchemar de Dracula (p. 400) de Terence Fisher est beaucoup plus réussi.

The private life of Sherlock Holmes La vie privée de Sherlock Holmes,


Billy Wilder, usa, 1970, 125 mn

Il s’agit d’un Sherlock Holmes parodique. S’il a bien l’accent british, il n’est
pas victorien pour autant : dans le premier épisode, des soupçons d’homosexualité
s’attachent à Watson (Colin Blakely), puis à Holmes (Robert Stephens) lui-même.
On est “rassuré” par la suite, puiqu’il vit une histoire d’amour “normale”, et pas
du tout platonique, avec la belle espionne (Geneviève Page). Il n’est pas non plus
infaillible et se fait mener en bateau ; comme dit son frère Mycroft (Christopher
Lee) “On t’a manipulé comme un cochon pour trouver des truffes”.
L’épisode principal tourne autour du monstre du Loch Ness, commode camou-
flage d’un sous-marin expérimental ; on y croise des espions allemands déguisés
en trappistes – le vœu de silence les dispense de parole – et des nains dans
des cercueils ; le drôlatique Stanley Holloway (de My fair lady, p. 1345) joue un
fossoyeur comme dans le Hamlet de Laurence Olivier (p. 159).
Le film comportait d’autres épisodes courts, mais la version complète, d’une
durée de 165 mn semble à jamais disparue. La prise finale de drogue par Holmes
n’est pas une désacralisation de plus du personnage : il s’adonnait déjà à la
cocaïne à la fin du Signe des quatre.

Taxi driver Martin Scorsese, usa, 1976, 114 mn

Robert De Niro campe un inquiétant chauffeur de taxi qui rêve de nettoyer


New York ; il s’attache pour un temps aux pas d’un politicien en campagne
qui le tient à distance. Avec sa coupe Iroquois et muni d’une impressionnante
artillerie, il libére une adolescente (Jodie Foster, qui n’avait pas encore 13 ans)
de l’emprise d’un maquereau (Harvey Keitel). La belle attachée de campagne
(Cybill Shepherd), qui avait tiqué lorsque De Niro l’avait emmenée voir un film
d’éducation sexuelle, retrouve alors de l’intérêt à ce héros d’un jour.
Peter Boyle (le monstre de Frankenstein Junior, p. 552) est un collègue taxiste
et Victor Argo un épicier de nuit. Scorsese tient lui même un petit rôle de cocu.

83
Yukinojō henge La vengeance d’un acteur, Kon Ichikawa, Japon, 1963, 113 mn

Situé à Edo en 1836, c’est avant tout un film sur le théâtre kabuki, filmé,
pour l’essentiel comme une pièce de théâtre avec un décor minimaliste sur fond de
nuit noire. Kazuo Hasegawa (des Amants crucifiés, p. 611) joue Yukinojō, acteur
spécialisé dans les rôles féminins, mais aussi redoutable bretteur. Il vengera ses
parents, victimes d’une sinistre bande, dont un ancien juge, joué par Ganjirō
Nakamura (de Dernier caprice, p. 593). L’innocente fille du juge (la belle Ayako
Wakao) y laissera la vie.
En contrepoint comique de cette histoire triste, un sympathique couple de
voleurs : Yumitarō (Kazuo Hasegawa qui tient ainsi deux rôles) et Ohatsu, campée
par Fujiko Yamamoto (de Fleurs d’équinoxe, p. 77). Le scénario repose sur un
feuilleton, paru dans les années 1930 dans l’Asahi Shimbun, lui-même basé sur
les “Jumeaux vengeurs” de Johnston McCulley, le créateur de Zorro.

Tcheloviek s kino-apparatom L’homme à la caméra, Dziga Vertov, urss,


1929, 68 mn

Film muet sans sous-titres ni scénario, mais mené train d’enfer sur fond de
musique trépidante. C’est d’abord un film sur le cinéma et ses possibilités :
l’homme à la caméra est omiprésent. On nous montre même, de façon insistante,
l’objectif Tessar 1 :4,5. Tout se termine dans une salle de cinéma où l’on projette,
justement, L’homme à la caméra.
Le film est aussi une sorte de documentaire unanimiste sur la vie grouillante
d’une grande ville – Odessa. Le travail puis les loisirs : l’usine et le club de
travailleurs.

The quiet man L’homme tranquille, John Ford, usa, 1952, 130 mn

La verte Erin sert de décor à cette histoire de retour aux sources. Autour
de John Wayne et Maureen O’Hara, on trouve les habitués de Ford : Victor
MacLaglen en frère de la jeune épouse, Mildred Natwick en veuve, Ward Bond en
curé, et Francis, frère aîné de Ford, qui sort de son lit de misères pour aller voir une
bonne bagarre. Barry Fitzgerald campe un homme à tout faire, occasionnellement
marieur, un alcoolique dont le cheval s’arrête par habitude devant le pub. Arthur
Shields (qui était le frère de Barry Fitzgerald), joue un pasteur amateur de boxe.
On reconnaît Jack MacGowran (le professeur Abronsius du Bal des vampires,
p. 546). Bien que tourné sur place, le film recourt, pour certains plans rapprochés,
à des “transparences” sommaires et maladroites.

84
Following Le suiveur, Christopher Nolan, Grande-Bretagne, 1998, 70 mn

Film anglais de Nolan, tourné en noir et blanc. Cette histoire de machination


est racontée de façon complexe et elliptique, comme une sorte de cauchemar. À
la fin, le vrai criminel s’évapore dans la foule.

Les dames du Bois de Boulogne Robert Bresson, France, 1945, 86 mn

Ce Bresson atypique est une histoire de vengeance amoureuse, d’après Di-


derot. Une femme (María Casares) délaissée par son amant (Paul Bernard) le
jette dans les bras d’une “grue” (Elina Labourdette, dont c’est un des rares rôles
intéressants). “Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour”.
La mère de la “grue” est jouée par Lucienne Bogaert qui sera la mère de
Danièle Delorme dans Voici le temps des assassins (p. 518).

Urga Nikita Mikhalkov, urss, 1991, 114 mn

Un des derniers films de l’Union Soviétique, en co-production avec la France :


un camion russe tombe en panne dans les steppes de la Mongolie Intérieure, près
de Hulunbuir.
Le scénario, chaleureux, s’attache à nous montrer une civilisation condamnée
à terme par le progrès : dans un rêve, le héros mongol voit Genghis Khan et sa
(petite) horde s’en prendre à un poste de télévision. La voix off finale nous parle
d’un futur proche où le lac Baikal serait asséché ( !). Dialogue drôlatique sur
le contrôle des naissances : “– Les préservatifs, c’est comment ? – Tu t’es déjà
baigné avec des bottes ?”
Une chanson bouleversante, Les collines de Mandchourie, est interprétée par
le camionneur russe, passablement éméché et torse nu pour que l’orchestre puisse
lire la partition tatouée sur son dos. Composée en 1906 et un tantinet nationaliste,
elle parle des morts de Port-Arthur qu’il faut venger.

Tōkyō no onna Une femme de Tōkyō, Yasujirō Ozu, Japon, 1933, 47 mn

Sur le thème de la femme (Yoshiko Okada) qui se prostitue pour payer les
études d’un homme (Osen aux cigognes de papier, p. 1260, L’élégie de Naniwa,
p. 7). Ici, son frère – joué par l’acteur eurasien Ureo Egawa – se suicide de
honte. Signature précoce d’Ozu, une bouilloire et des cheminées qui fument. Le
scénario de Tadao Ikeda présente des simitudes avec celui de Rêves de chaque nuit
(p. 105).
Le frère emmène sa voisine (la jeune Kinuyo Tanaka) voir au cinéma Si j’avais
un million (p. 868), plus précisément le sketch de Lubitsch avec Charles Laughton.

85
Angel Ernst Lubitsch, usa, 1937, 87 mn

Marlene Dietrich, Herbert Marshall et Melvyn Douglas dans un trio amou-


reux nettement moins réussi que celui de Trouble in Paradise (p. 48). L’histoire
d’amour impossible devrait séduire et pourtant c’est le mari, joué par Herbert
Marshall, qui emporte la sympathie et non pas l’amant. . .
Impayable Edward Everett Horton en valet snobissime : “How is the weather
to-day ?” lui demande Marshall. “Not bad, Sir”, répond-il, imperturbable, alors
que la pluie s’acharne contre les vitres.

Sommaren med Monika Un été avec Monika, Ingmar Bergman, Suède, 1953,
98 mn

Harriet Andersson, la première, chronologiquement, des grandes actrices de


Bergman, avant Bibi Andersson, Ingrid Thulin et Liv Ullmann. Ce n’est pas la
plus belle des quatre, mais c’est elle qui dégage le plus de sensualité – mêlée dans
ce film à une impression d’extrême jeunesse.
On est encore dans l’adolescence ; le rival éconduit vient carrément mettre le
feu aux habits. Monika chaparde de la nourriture et se sauve comme une voleuse
par la fenêtre. Mais l’âge adulte arrive avec l’automne, une grossesse, le mariage.
Le garçon rentrera dans le rang des adultes alors que Monika poursuivra au moins
pour un temps sa vie de cigale.
Magnifique coffret Criterion (blu rays dézonés) regroupant une quarantaine
de films de Bergman.

Rocco e i suoi fratelli Rocco et ses frères, Luchino Visconti, Italie, 1960,
170 mn

Film néo-réaliste tardif : une famille abandonne sa Basilicate natale pour les
brumes milanaises. L’intrigue est concentrée sur trois personnages négatifs : le fils
perverti (Renato Salvatori), le fils chevaleresque (Alain Delon) et la prostituée
(Annie Girardot). “Du passé faisons table rase” semble dire le quatrième fils,
ouvrier chez Alfa-Romeo.
Petits rôles pour Roger Hanin, Paolo Stoppa et Suzy Delair.

Tant qu’on a la santé Pierre Étaix, France, 1966, 65 mn

Le comique de Pierre Étaix est, comme celui de Tati, un comique de si-


tuations. Il est davantage mis en valeur dans un long-métrage, où il peut se
développer en contre-point d’une histoire, que dans ce film, formé de quatre
courts-métrages traitant, entre autres, de la publicité et du stress.

86
Time bandits Bandits, bandits, Terry Gilliam, Grande-Bretagne, 1981, 116 mn

Film dans le style des Monty Python dont avait fait partie Gilliam. Une bande
de nains voleurs, Jack Purvis, etc. se promène dans le temps. Et croise Napoléon
(Ian Holm), Agamemnon (Sean Connery), Robin des Bois (John Cleese) dans un
sketch hilarant, le Mal (David Warner) et l’Être Suprême (Ralph Richardson) ;
et deux amoureux (Michael Palin et Shelley Duvall) à bord du Titanic.
Le film, qui montre une incroyable créativité visuelle, a pour seul défaut de
n’être qu’un divertissement pour enfants. Mais le futur Brazil (p. 34) est en
gestation à travers les horribles parents du garçonnet, rivés à une télévision où
alternent publicités débiles et jeux du cirque.
Musique de Mahler (sixième symphonie).

2001, a space odyssey 2001, l’odyssée de l’espace, Stanley Kubrick, usa,


1968, 149 mn

Résumé : une méta-civilisation dépose des monolithes destinés à guider l’er-


rante humanité.
La sempiternelle distinction entre forme et fond fonctionne pour Kubrick : on
a rarement vu de film aussi parfait techniquement et aussi bête, voire déplaisant.
Le message pourrait fonctionner dans une optique religieuse, mais il y faudrait
des croix, pas des monolithes. Ici règne la religion du pauvre, la mystagogie à la
mode dans les années 1960 : le secret révélé au terme d’un parcours initiatique
se réduit à l’existence d’un secret, lequel se réduit à. . . Seule originalité par
rapport au Matin des magiciens, ce ne sont pas les ss qui en sont dépositaires,
mais une méta-civilisation. Méta, méta, mais ta sœur : une poudre aux yeux
magistralement administrée nous fait prendre des images énigmatiques et creuses
pour de la profondeur, ainsi ce salon Louis xv où l’humanité meurt pour renaître
sous forme d’un bébé.
Kubrick nous dit “Je suis plus intelligent que vous” et donne l’impression
de croire vraiment au tissu d’âneries du scénario qui ne sont pourtant pas plus
sérieuses que les histoires de vampires dont l’unique prétention est de nous diver-
tir. Le même Dieu (ou le même monolithe) qui a donné cet extraordinaire sens
plastique à Kubrick l’a complètement privé d’humour. Cet humour que sait uti-
liser Jodorowsky quand, au terme de la quête initiatique de sa Montaña sagrada
(p. 1023), il dévoile le plateau de tournage.
Pour accompagner cette œuvre prétentieuse et vide, mortellement sérieuse,
on ne pouvait trouver mieux que le Zarathoustra de Richard Strauss, poème
symphonique pompier s’il en est.
On retrouvera Gary Lockwood dans Model shop (p. 1494) où il fut imposé
par la Columbia au détriment de Harrison Ford.

87
L’amore in città L’amour à la ville, Francesco Maselli & Cesare Zavattini
& Carlo Lizzani & Michelangelo Antonioni & Dino Risi & Alberto Lattuada &
Federico Fellini, Italie, 1953, 110 mn

Cesare Zavattini est le maître d’œuvre de cette série de six sketches. Il codirige
d’ailleurs celui de Francesco Maselli : une jeune femme “dénaturée” (snaturata)
abandonne son enfant avant de se raviser, ce qui rappelle un de ses précédents
scénarios, Umberto D. (p. 695).
Carlo Lizzani nous parle de prostitution, Michelangelo Antonioni de suicide.
Dino Risi nous emmène dans une salle de bal, humour grinçant. Et clin d’œil
d’Alberto Lattuada qui filme des “pépées” et les hommes qui suivent ces pépées,
ainsi que les rues de Rome où se déroule ce petit jeu.
Federico Fellini met en scène une jeune femme naïve et généreuse, un per-
sonnage qu’on retrouvera dans les films suivants (La strada, Les nuits de Cabiria,
pp. 529, 583) ; et dans Il bidone (p. 1559) avec la même Sue Ellen Blake.

Some like it hot Certains l’aiment chaud, Billy Wilder, usa, 1959, 122 mn

Film extrêmement drôle, même s’il lui manque cette touche de dérision qui
est la marque des grands films du maître. Comment oublier Tony Curtis et Jack
Lemmon travestis, l’un avec Marilyn Monroe, l’autre avec le milliardaire joué par
Joe E. Brown et la réplique finale “Nobody is perfect” ? Le film fait référence à la
Prohibition et au massacre de la Saint Valentin. Le gangster aux guêtres, Spats,
est joué par George Raft ; clin d’œil à la pièce de monnaie qu’il faisait sauter dans
Scarface (p. 422), une image dont l’acteur n’a jamais pu se séparer. Le sonotone
(anachronique) de l’exécution à la mitraillette renvoie à The big combo (p. 1556).

Jabberwocky Terry Gilliam, Grande-Bretagne, 1944, 101 mn

Le film, avec Michael Palin des Monty Python, est comme la sauce rallongée
de Monty Python and the Holy Grail (p. 1097). Plastiquement très réussi, il est
affligé d’un scénario laborieux ; l’affrontement avec le monstre inspiré de Lewis
Carroll – Through the looking glass, 1871 : “Beware the Jabberwock, my son !
The jaws that bite, the claws that catch !” – se fait trop attendre. Gilliam ne
trouvera son style qu’avec Time bandits (p. 87).

Return to Glennascaul Hilton Edwards, Grande-Bretagne, 1951, 22 mn

Histoire de fantômes, proche de celle des Contes de la lune vague après la


pluie (p. 1045). Ce court-métrage, où Orson Welles joue son propre rôle, fut
tourné entre deux prises du film par un acteur d’Othello (p. 1020).

88
The kid Charles Chaplin, usa, 1921, 50 mn

La séquence finale du rêve avec les angelots désamorce la rencontre avec la


mère (Edna Purviance) qui risquait d’être un peu larmoyante.

Aliens Aliens – le retour, James Cameron, usa, 1986, 154 mn

C’est Alien (p. 479), sauce rallongée : Sigourney Weaver reprend le rôle
de Ripley, l’androïde étant joué cette fois-ci par Lance Henriksen. La chat que
Ripley allait chercher à la dernière minute est remplacé par une petite fille. Comme
toujours dans la série, la compagnie qui finance le voyage n’a qu’une idée en tête,
ramener un Alien qu’elle espère pouvoir utiliser à des fins pas très avouables.
Même si le monstre, véritable vedette du film, est très réjouissant, c’est un
tantinet longuet. Et les militaires qui se font décimer l’un après l’autre par la
bête, passablement conventionnels.
Le petit garçon du début du film semble sorti de The shining (p. 980).

Lola Montès Max Ophüls, France, 1955, 115 mn

Film en couleurs d’Ophüls, dominé par d’éblouissantes scènes de cirque et la


composition de Peter Ustinov, sorte de Barnum qui exploite jusqu’à la corde une
Lola Montès (Martine Carol) fatiguée. “– Je ne suis pas un objet de scandale
– C’est ce que l’éléphant a pensé aussi, mais il a appris à jouer du piano”.
Les flash-backs sont moins satisfaisants : si le premier, aux dominantes ocres
(la séparation d’avec Liszt) est assez réussi, l’épisode bavarois est un peu sage : on
ne voit guère ce que Louis I (Anton Walbrook) peut trouver à cette aventurière.
Seconds rôles pour Oskar Werner, qui passe aisément pour un étudiant, Ivan
Desny en premier mari et Paulette Dubost en domestique qui sait, quand Madame
va être “occupée”, aller tenir compagnie au cocher (Henri Guisol).

Time without pity Temps sans pitié, Joseph Losey, Grande-Bretagne, 1957,
85 mn

Michael Redgrave campe un écrivain alcoolique dont le fils va être exécuté. Il


est opposé à Leo McKern (qui sera le principal numéro 2 de la série Le prisonnier,
p. 765) dans des scènes menées tambour battant. Le sacrifice final au petit matin,
sorte de rédemption du père, est bouleversant. Après la nuit, le fils, innocenté,
pourra retrouver la belle Ann Todd.
On reconnaît Lois Maxwell, la Moneypenny des premiers James Bond, et
Peter Cushing, futur star Hammer de l’épouvante. Après plusieurs années d’exil,
Losey signe à nouveau de son vrai nom : la Chasse aux sorcières touche à sa fin.

89
Le bureau des légendes I Éric Rochant, France, 2015, 542 mn

Une légende est l’identité fictive, mais très cohérente, utilisée par un agent
secret à l’étranger. Cette première “saison” voit l’enlèvement et la libération
finale de l’agent Cyclone, posté en Algérie, et aussi les débuts d’une légende
féminine, Marina (Sara Giraudeau), en partance pour l’Iran, ainsi que les amours
de Malotru ( !) (Mathieu Kassovitz) avec une belle Syrienne qui le conduiront à
se vendre à la cia.
La série est bien insérée dans le contexte géopolitique de l’époque, avec ce
qu’il faut de mauvaise conscience et de coups tordus pour ne pas tomber dans
la jamesbonderie. Mais on est tout de même loin de John Le Carré.
Jean-Pierre Darroussin joue le chef du Bureau Duflot.

Angel face Un si doux visage, Otto Preminger, usa, 1953, 91mn

Une jeune femme, fondamentalement méchante (Jean Simmons), ne pense


qu’à tuer sa belle-mère (Barbara O’Neill) ; elle y parvient, mais son père adoré
(Herbert Marshall) est victime collatérale du meurtre dans lequel est impliqué,
bien malgré lui, le chauffeur joué par Robert Mitchum. Lorsque, écœuré, il voudra
s’en aller, la femme fatale l’emportera dans le même voyage en marche arrière
qui avait déjà tué son père.
Le point faible du film est la scène du procès qui rappelle trop celle du Facteur
sonne toujours deux fois (p. 39) où jouait déjà Leon Ames. Mais le final, avec
cette grande maison vide où erre cette femme monstrueuse et profondément
malheureuse, est bouleversant. Le taxi qu’avait commandé Mitchum attendra en
vain son client, le klaxon final résonnant alors comme la plainte que personne
n’aurait sinon poussée.
Kenneth Tobey (de The thing, p. 457) joue le collègue infirmier de Mitchum.

Outcast of the islands Le banni des îles, Carol Reed, Grande-Bretagne, 1951,
96 mn

D’après Jospeh Conrad. Comme dans Lord Jim (p. 987), Willems (Trevor
Howard), un individu déchu, est envoyé dans un comptoir perdu par son père
adoptif Lingard (Ralph Richardson). Aucune rédemption ici ; s’étant amouraché
de la belle Aissa (Kerima), il complote contre Almayer (Robert Morley), l’agent
de Lingard et perd l’appui de son protecteur qui le condamne à une vie de paria.
Bien que tourné à Ceylan, le film utilise des Occidentaux maquillés. George
Coulouris fait un Babalatchi plausible, mais Kerima – Miriam Charrière de son
vrai nom – passe difficilement en indigène : n’est pas Dorothy Lamour qui veut.
Avec Wendy Hiller et Wilfrid Hyde-White, déplaisant à souhait dans un petit rôle.

90
Footsteps in the fog Des pas dans le brouillard, Arthur Lubin, Grande-
Bretagne, 1955, 86 mn

Signé de l’immortel auteur de Francis, the talking mule (1950), le film s’ouvre
sur un enterrement. Le veuf éploré (Stewart Granger) nous rassure vite : il l’a
tuée. C’est ce que comprend aussi la soubrette (Jean Simmons) qui dicte alors
ses conditions. Dans cette Angleterre edwardienne, la pluie de l’enterrement fait
place au fog dont profite l’assassin qui tue la maîtresse-chanteuse ; ou plutôt croit
la tuer car, dans le brouillard, il s’est trompé de victime. Il finira par s’empoisonner
lui-même pour faire accuser la domestique, mais il a mal calculé la dose. . .
Moins coupable que dans Angel face (p. 90), le personnage de Jean Simmons
n’inspire cependant aucune sympathie. On reconnaît Finlay Currie en inspecteur
et William Hartnell en beau-frère, un peu maître-chanteur lui aussi.

Loro Silvio et les autres, Paolo Sorrentino, Italie, 2018, 203 mn

Une longue introduction montre Sergio Morra (Riccardo Scamarcio), une


sorte de maquereau venu de Tarente rassembler un cheptel de “belline” (bimbos),
des filles un peu putes, mais pas trop, pour une villégiature en Sardaigne, à côté
de “Lui” dont il espère un mandat de député européen. “Il” n’apparaît qu’au
bout d’une heure, joué par un Toni Servillo aux faux airs d’Eli Wallach. On voit
Berlusconi et ses phrases creuses, Berlusconi et les sénateurs qu’il achète comme
au marché, Berlusconi et son épouse qui le quitte, etc. Dans cette radiographie
du vide, un étrange moment voit le cavaliere vendre, avec un plaisir évident, un
appartement par téléphone. Il aime par dessus tout embobiner, que ce soit pour
éviter la prison, séduire, gagner beaucoup d’argent ou simplement, comme ce
soir-là, par goût de la manipulation sportive, presque sans enjeu.
Le titre Loro veut dire “eux”, ceux qui comptent, les premiers de cordée
consommateurs de belline. Le personnage de Paolo Spagnolo (Dario Cantarelli),
éminence gris et garde du corps tout vêtu de blanc, est particulièrement glaçant.
Berlusconi est un adepte de la “post-vérité” : un mensonge proféré avec suffi-
samment d’aplomb devient vrai. Il reprend en fait les thèses d’une logique “philo-
sophique” (i.e., merdique) particulièrement croquignolette, dite paraconsistante.

Johnny Eager Johnny, roi des gangsters, Mervyn LeRoy, usa, 1941, 107 mn

Edward Arnold joue un procureur dont la fille (Lana Turner) est tombée
amoureuse du gangster Johnny Eager (Robert Taylor).
Tout ça est bien longuet et conventionnel. On mentionnera Van Heflin dans le
rôle du copain alcoolique de Johnny. Le comparse Julio est joué par Paul Stewart,
remarqué, la même année, dans Citizen Kane (p. 472).

91
Champagne Charlie Alberto Cavalcanti, Grande-Bretagne, 1944, 101 mn

Le film est consacré au music-hall anglais et George Leybourne auquel on doit


la chanson The daring young man on the flying trapeze. Mais aussi à d’autres ar-
tistes, Bessie Bellwood et Alfred Vance (joué par Stanley Holloway). Les menaces
de fermeture des music halls sont comme une illustration de l’adjectif “victorien”.
La séquence du duel entre les deux couards que sont Leybourne et Vance est
particulièrement réjouissante. La chanson Hit him on the boko fait penser à la
Bonne paire de claques de Boris Vian.

Blade runner Ridley Scott, usa, 1982, 118 mn

D’après Philip K. Dick, un Ridley Scott de sa grande époque. Rutger Hauer


campe un dangereux humanoïde qu’Harrison Ford est chargé d’éliminer. Joe
Turkel (récurrent de Kubrick) est Tyrrell, le créateur des infortunés “répliquants”.
Somptueux décors nocturnes dans un futur de style extrême-oriental.

Manbiki kazoku Une affaire de famille, Hirokazu Koreeda, Japon, 2018, 121 mn

Une drôle de famille où tout le monde s’est choisi. On travaille, bien sûr, mais
en trichant un peu sur tout. Le petit garçon fait ainsi ses commissions en volant
à l’étalage de la boutique Yamatoya ; le vieil épicier fermait sans doute les yeux.
Ce petit monde heureux finit par s’effondrer ; la “grand-mère” (Kirin Kiki)
meurt, puis le garçon se fait attraper, entraînant sa “famille” avec lui.
Cette maladresse du “fils” était volontaire : le gamin s’est laissé prendre pour
savoir si son “père” (Lily Franky) ne l’abandonnerait pas. Qu’est-ce qu’un père,
une mère ? C’est la question muette que semble se poser la petite fille, rendue
par la société à sa famille biologique qui l’ignore quand elle ne la maltraite pas.

Tora no o wo fumu otokotachi Sur la queue du tigre, Akira Kurosawa,


Japon, 1945, 57 mn

Le film relate un épisode de guerre civile dans le Japon du xiie siècle avec le
célèbre Yoshitsune du clan Minamoto. Le ton humoristique est proche de celui
des films de samourais de Kurosawa des années 1960 : des guerriers se font passer
pour des moines et le fidèle Benkei va jusqu’à infliger, pour la bonne cause, une
correction à son maître, Yoshitsune. Les pitreries du porteur, joué par Ken’ichi
Enamoto, font penser à Toshirō Mifune dans Les sept samourais (p. 1597).
Le film fut interdit par le gouvernement japonais, comme ridiculisant le bu-
shidō. . . et par les Américains pour exaltation du militarisme. On aperçoit Takeshi
Shimura (de Ikiru, p. 45) et Masayuki Mori (de Hakuchi, p. 1594).

92
The apartment La garçonnière, Billy Wilder, usa, 1960, 125 mn

Un employé d’une société d’assurances (Jack Lemmon) pousse la complai-


sance jusqu’à prêter son appartement à ses supérieurs hiérachiques pour leurs
ébats extra-conjugaux. Il obtient ainsi un poste convoité auprès du directeur de
la compagnie (Fred MacMurray). Face à ces individus peu reluisants, Shirley
MacLaine joue une naïve employée d’ascenseur.
Le contrepoint comique de ce film plutôt caustique est assuré par le voisin
médecin qui, à cause du va-et-vient chez Lemmon, le prend pour un athlète
sexuel. Et par une quasi-citation de Beau fixe sur New York (p. 497), l’abus du
suffixe “wise” comme dans “percentage-wise” (du point de vue du pourcentage)
– on entend même “otherwise-wise”. Petite pique contre la télévision : une secré-
taire compréhensive décommande le rendez-vous du jeudi soir pour ne pas rater
“Les incorruptibles avec Robert Stack”.

The handmaid’s tale I La servante écarlate, usa, 2017, 525 mn

Une Amérique dystopique, rebaptisée Gilead, dirigée par une secte puritaine.
Les costumes de la caste des servantes renvoient d’ailleurs au Massachussetts du
xviie siècle ; cela tombe bien car l’action se passe à Boston. Le problème national
est la baisse de la fertilité, d’où ces servantes dédiées à la reproduction ; chaque
famille de patriciens (commanders) a la sienne, renommée d’après le maître des
lieux : ofFred, ofManuel, ofWarren, etc.
Le régime est nataliste et homophobe, il punit de mort les “gender traitors”.
Ce n’est pas tout à fait la Manif’ pour Tous, car les Noirs ne sont pas parqués
dans des zoos et on fait la chasse aux prêtres catholiques. C’est davantage une
secte évangéliste qui cite Saint Paul (Romains I, 26) pour étayer sa condamnation
de l’homosexualité.
Dans ce monde d’où toute relation sexuelle a été bannie, l’accouplement d’un
“commander” avec sa servante donne lieu à une saillie rituelle : la malheureuse
est placée entre les cuisses de l’épouse, légitime mais stérile, pendant que son
mari besogne. C’est ce qu’il y a de plus réussi dans cette première “saison”, même
si on est loin de The lobster de Yorgos Lanthimos (p. 1084).
La dimension religieuse du film se limite à la formule de politesse “Béni soit le
fruit” et sa réponse “Que le Seigneur l’ouvre”. Le film n’est que superficiellement
effrayant, car personne n’a l’air de croire en ces mots, contrairement à ce qu’il
se passe dans les modernes théocraties genre État Islamique.
On nous montre des forêts de pendus, mais nos héroïnes s’en tirent toujours,
même si l’une perd un œil et l’autre est livrée à la prostitution dans une mai-
son réservée aux “commanders”. Ces personnages-phénix sont la base-même des
séries, mais aussi leur limite.

93
The quiet American Un Américain bien tranquille, Joseph L. Mankiewicz,
usa, 1958, 122 mn

Le roman de Graham Greene (1955) oppose le journaliste anglais Fowler, en


poste à Saigon, au bénévole américain Pyle, qui sous des dehors naïfs, est en
réalité le chef local de la cia. En cette année 1952, il manipule un groupe terro-
riste, la “troisième force” du général Trin Minh Thé (personnage historique). Lors
d’un reportage en province, la curiosité déplacée de Fowler lui vaut l’animosité
du général ; il n’est sauvé que grâce à Pyle qui décide in extremis de l’épargner.
Plus tard, un attentat organisé par la “troisième force”, mais supervisé par Pyle,
convainc Fowler d’aider le Viet Minh (Richard Loo) à neutraliser l’irresponsable
chef de la cia. Lequel est aussi son rival en amour, d’où le malaise final de
Fowler : il voudrait présenter des excuses, mais ne sait trop à qui.
De nos jours, le rôle trouble de la cia n’est plus un scoop : il suffit d’évoquer
ses ex-chouchous, les Talibans. Ce n’était pas le cas à l’époque et le film ressemble
à une tentative de démolition du roman. Sans incitation externe, Mankiewicz
n’aurait jamais adapté sur ses propres deniers (la compagnie Figaro) un roman
qu’il jugeait par ailleurs ridiculement anti-américain.
Le film comporte deux cartons. Le premier rappelle qu’en 1952, le Vietnam
était dirigé par une marionnette des Français, Bao Dai. Le second qualifie le
dictateur de l’époque (1958), Ngo Dinh Diem, de “librement choisi”. On aurait
pu ajouter “avec enthousiasme”, puisque ce libre choix fut celui de 108% des
votants, là où le kgb n’aurait jamais fait que 98,7%. Ironiquement, un autre
libre choix de la cia conduira, en 1963, à la liquidation de Diem.
Le film suit le roman, même si les joutes verbales tournent toujours à l’avan-
tage de Pyle (Audie Murphy). Et se termine comme ces pseudo-documentaires
du genre ’G’ men (p. 135) où un acteur jouant une huile du fbi prend la pa-
role : dans un pensum de 8 minutes, l’inspecteur Vigot (Claude Dauphin) démolit
le scénario et explique que Fowler (Michael Redgrave), mené en bateau par les
communistes, est complice de l’assassinat d’un inoffensif humanitaire. Pourquoi
donc ce complot pour l’éliminer ? Silence, et pour cause. Reste une impression
d’attaque presque ad hominem contre Graham Greene : Fowler, “comme tous les
intellectuels de gauche”, est un traître en puissance. Le film lui inflige, par ailleurs,
une punition absente du livre : la belle Phuong (Georgia Moll) ne reviendra pas.
Zemlia (p. 1155), célébrait la dékoulakisation sans cacher son côté propagan-
diste. Cette charge sournoise contre le traître en puissance et calomniateur de
l’Occident Graham Greene, peut-être le film plus dégueulasse de tous les temps, ne
pouvait que ravir le trublion fascisant des Cahiers du cinéma, Jean-Luc Godard.
Film malgré tout fort bien fait ; on citera la séquence nocturne où Pyle, qui
avait envoyé Fowler à la mort, lui sauve la vie. La version, respectueuse du roman,
de Phillip Noyce (p. 775) n’est, hélas, pas à la hauteur de celle-ci.

94
Ostře sledované vlaky Trains étroitement surveillés, Jiří Menzel, Tchécoslo-
vaquie, 1966, 93 mn

D’après un roman de Bohumil Hrabal. L’action se passe dans une petite gare
du Protectorat de Bohême-Moravie, où l’on consacre beaucoup de temps à faire
l’amour. Un employé sera d’ailleurs sanctionné pour avoir appliqué un tampon
officiel sur les fesses d’une jeune collègue. Quant au héros (Václav Neckář), il est
obsédé par l’éjaculation précoce, ce qui le conduit à une tentative de suicide ; il
reçoit alors les conseils d’un médecin (Jiří Menzel).
Mais, en cette année 1945, la guerre n’est pas finie et le Reich se rapproche
de la victoire à mesure que son territoire s’amenuise. C’est du moins ce que
prétend le grand chef (Vlastimil Brodský) venu de Prague dans son impayable
automobile-draisine avec laquelle il repart en marche arrière.
L’esprit de dérision du film est typique de l’éphémère nouvelle vague tchèque.
Constamment drôle, il est aussi touchant : on s’était attaché à ce jeune homme
gauche, et voilà qu’il meurt, presque par accident, aux derniers jours de la guerre.

Subarashiki nichiyōbi Un merveilleux dimanche, Akira Kurosawa, Japon,


1947, 105 mn

Dans le style néo-réaliste, avec l’actrice Chieko Nakakita qu’on retrouvera


chez Naruse. Situé dans un Tōkyō d’immédiate après-guerre livré aux trafics, tel
ce racket des billets de concert, le film est déprimant malgré quelques moments
réussis. Par exemple, l’étonnante séquence des sous-sols du cabaret ou encore
celle où le héros se retrouve seul dans sa chambre à écouter la pluie alors qu’un
haut-parleur diffuse de la musique dans la rue. La scène où le héros dirige la
Symphonie inachevée avec un orchestre inexistant devant sa seule fiancée est par
contre un peu ratée.

The suspect Robert Siodmak, usa, 1944, 81 mn

Philip (Charles Laughton), un sympathique petit bourgeois, est amené à tuer


une épouse venimeuse : dans cette Angleterre edwardienne, c’est le seul moyen
qu’il a trouvé pour l’empêcher de détruire, par ses calomnies, la réputation d’une
jeune femme (Ella Raines). Un voisin alcoolique (Henry Daniell), que Scotland
Yard pousse à témoigner contre l’assassin – que l’enquête a pourtant blanchi –,
en profite pour exploiter la situation : il sera sa deuxième victime. Moment de
suspense quand Philip est amené à cacher son corps derrière le sofa.
Le héros se livrera lorsque la police lui fait croire qu’une innocente va payer
à sa place. Le moralisme des studios impose cette punition. Mais que dire du
policier qui a transformé le voisin, qui n’avait rien vu, en maître-chanteur ?

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The player Robert Altman, usa, 1992, 119 mn

Sur le sujet favori de Hollywood, Hollywood, le film met en scène un an-


tipathique producteur (Tim Tobbins) qui tue, en toute immunité, un obscur
scénariste. À ce crime devant les hommes répond un crime devant l’intelligence :
un scénario, au départ sans happy end ni acteurs connus, donne lieu à un film au
dénouement heureux dans lequel jouent les gloires, grandes et petites, du studio.
Pire, le scénariste lui-même a été corrompu au point d’approuver cette trahison ;
on comprend qu’il est en train de perdre, après son âme, son originalité.
De nombreux acteurs connus jouent de petits rôles – le leur – dans le film.
Référence au Voleur de bicyclette (p. 208).

Il deserto rosso Le désert rouge, Michelangelo Antonioni, Italie, 1964, 113 mn

La vie ressemble à un long dimanche où l’on s’ennuie, tout comme le person-


nage un peu schizophrène de Monica Vitti. On remarque Richard Harris dans le
rôle de l’amant et Xenia Valderi (d’Il bidone, p. 1559) dans celui de l’amie.
Le spectateur s’ennuie ferme aussi. Il peut se consoler en contemplant la splen-
dide photographie en couleurs – avec une insistance sur le rouge – aux cadrages
soignés. Parmi les images mémorables, celle du radio-télescope de Medicina (près
de Bologne) et un étonnant moment dans le brouillard.

An Les délices de Tōkyō, Naomi Kawase, Japon, 2015, 113 mn

Le titre, An, réfère à la pâte de haricots sucrés, ingrédient-phare de la patisse-


rie japonaise. Le film met en scène une vieille dame (Kirin Kiki, de chez Koreeda)
qui sait comment en faire de délicieux dorayakis, sortes de crêpes fourrées. Elle
transmet, par la même occasion, son approche animiste du monde. Tout ceci ne
serait qu’une histoire un peu mièvre de communication entre générations sur fond
de cerisiers en fleurs si l’on n’apprenait que la vieille femme fait partie d’une com-
munauté ostracisée, les lépreux. Le vase de sable de Yoshitarō Nomura (p. 1391)
avait déjà évoqué ce thème à travers une enquête policière.

Detour Edgar G. Ulmer, usa, 1945, 69 mn

Chef-d’œuvre du film noir, pourtant issu d’un studio fauché, prc, de “Po-
verty Row”. Les acteurs sont assez obscurs : on reconnaît, tout au plus, Esther
Howard en serveuse. La femme fatale (Ann Savage) est sans scrupule, hargneuse
à souhait ; elle voudrait cependant être aimée. . . Le héros (Tom Neal) porte dans
ses yeux toute la tristesse et la résignation du monde : “Le destin vous désigne
sans raison” dit-il en voix off alors que la police le ramasse.

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Le bureau des légendes II Éric Rochant, France, 2016, 536 mn

Duflot (Jean-Pierre Darroussin) qui suspecte Malotru (Mathieu Kassovitz),


lui offre un carnet en moleskine, i.e., en peau de taupe (de la cia). Une fois
son amie syrienne sauvée des griffes d’Assad, notre taupe cherche la rédemption
dans une mission-sacrifice, l’assassinat d’un Français, bourreau chez daech. La
jeune sismologue Marina (Sara Giraudeau) infiltrée en Iran, victime collatérale
du double jeu de Malotru, s’en tire de justesse. “On ne gagne jamais de guerre,
tout au plus de petites batailles. Et encore, on en ressort meurtri.”
On apprend incidemment que les surnoms des agents (Malotru, Moule à
Gaufre, etc.) sont tous tirés du copieux lexique d’insultes du Capitaine Haddock.

À votre bon cœur, Mesdames Jean-Pierre Mocky, France, 2013, 82 mn

Film misogyne de Mocky, bâclé et prétexte à une série d’épisodes pas même
amusants.

Liebe ist kälter als der Tod L’amour est plus froid que la mort, Rainer
Werner Fassbinder, rfa, 1969, 85 mn

Götter der Pest Les dieux de la peste, Rainer Werner Fassbinder, rfa, 1970,
88 mn

Deux films assez agaçants du début de Fassbinder, surtout le premier, avec


ses regards-caméra de chez Godard et son gangster au chapeau sorti de chez
Melville. Le deuxième bénéficie d’une belle photo de nuit.
Hanna Schygulla joue dans les deux films avec d’autres membres de la future
troupe de Fassbinder, y compris sa propre mère, Lilo Pempeit. Mais l’auteur ne
s’est pas encore trouvé.

Les anciens de Saint-Loup Georges Lampin, France, 1950, 82 mn

Pierre Véry, au scénario, et Serge Grave, dans un second rôle, font du film
une sorte de faux raccord aux Disparus de Saint-Agil (p. 41) : ce sont François
Périer, Serge Reggiani et Bernard Blier qui jouent les anciens élèves. L’histoire est
celle de l’agonie d’un collège qui coïncide avec la mort de son directeur (Pierre
Larquey). Fallait-il vraiment qu’il y ait une mort (Odile Versois) pour rendre cette
histoire pathétique ? La véritable mort est celle de l’enfance.
Petit rôle pittoresque de concierge pour Charles Vissières.

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Napoléon Abel Gance, France, 1927, 344 mn

Le film est scandé par des moments épiques : la bataille de boules de neige
dans une Brienne bien montagneuse (on reconnaît Briançon), la fuite de Corse
sur une barque avec un drapeau français en guise de voile, avec une caméra
qui semble prise du mal de mer et des superpositions de la Convention et de
la guillotine, l’arrêt dans une Convention déserte sur le chemin de l’Italie et les
grands morts qui lui confient la République – de façon muette, heureusement,
ce qui évite la grandiloquence de La fin du monde (p. 718). Et puis la fin et ses
triptyques, dont certains sont raccordés assez exactement ; c’est le moment de
mentionner l’impressionnant travail de reconstitution de Kevin Brownlow.
Albert Dieudonné trouve le rôle de sa vie, avec son profil auquel répond l’aigle
qui traverse le film. Antonin Artaud joue Marat, Philippe Hériat est Salicetti et
Abel Gance, Saint-Just. Maurice Schutz joue Paoli ; dans Goupi Mains-Rouges
(p. 998), il sera “L’empereur” ! Edmond Van Daële est un Robespierre réfrigé-
rant. Gina Manès campe une excellente Joséphine ; on remarque la débutante
Annabella.
Pourquoi Gance a-t-il ajouté une calomnie à la légende noire de Robespierre en
lui faisant endosser l’emprisonnement de Bonaparte ? Ce dernier a bien passé dix
jours en prison, mais après le 9 Thermidor, sous l’inculpation de robespierrisme.

Un roi sans divertissement François Leterrier, France, 1963, 84 mn

C’est malheureusement Giono qui adapte son roman. Il n’a pas le sens du
dialogue cinématographique : le procureur (Charles Vanel) nous assène un peu
trop de “Je suis un goûteur d’âmes”.
Bien qu’un peu raté de ce fait, le film de Leterrier (acteur chez Bresson, dans
Un condamné à mort s’est échappé, p. 232), reste très attachant. Les scènes
de neige sont particulièrement réussies : sur le fond blanc, se détachent, en
noir, les deux silhouettes du gendarme et de l’assassin lequel, inversant les rôles,
s’assure que son poursuivant n’a pas perdu sa trace. Ou encore, en rouge, l’habit
de l’enfant qui accompagne Vanel ; sans parler de cette espèce de calligraphie
vermillon que trace le sang de l’oie décapitée répandu sur la neige.
La chanteuse Colette Renard joue Saucisse, mère maquerelle à la retraite ;
“L’amour, c’est le théâtre du pauvre”, dit-elle. Le théâtre du roi, c’est le meurtre ;
on tue par désœuvrement, contre l’ennui, quitte à se tuer soi-même. Albert Rémy
et le bégayeur professionnel Pierre Repp jouent de petits rôles.
Le roman de Giono, situé dans le Trièves, a été dépaysé en Aubrac, peut-être
pour avoir davantage de neige. Il manque le troisième couplet de la complainte
chantée par Jacques Brel (le second passe deux fois, sans doute par erreur). “Et
tous ces loups qu’il faut tuer, tous ces printemps qu’il reste à boire”.

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The long goodbye Le privé, Robert Altman, usa, 1973, 112 mn

La chanson finale, “Hooray for Hollywood”, résume les intentions du film :


adapter Raymond Chandler en cassant le personnage de Marlowe. Elliott Gould,
par sa désinvolture – il ne s’occupe que de son chat, alors qu’il cohabite avec de
jeunes hippies à moitié nues – incarne une sorte d’anti-Bogart, bien loin du héros
de The big sleep (p. 1573). Altman accumule les clins d’œil, tels ce gardien de
résidence qui imite les grands acteurs ou encore cette scène de strip-tease collectif
de truands. Sans parler de Marlowe commentant le comportement de son suiveur
“Je ne suis pas supposé te voir”.
Sterling Hayden, Nina van Pallandt et Henry Gibson en effrayant psy mani-
pulateur, sont davantage dans le ton du film noir. Un “Madison”, billet de 5000$
rarissime – il n’en resterait que 342 en circulation –, passe de mains en mains.

La vie rêvée des anges Erick Zonca, France, 1998, 109 mn

Le film oppose deux jeunes femmes sans grands repères dans la vie. Appar-
tement un peu squatté, petits boulots et petites amours avec des gars du même
genre qu’elles, mais moins mignons (des videurs). L’une des deux (Natacha Ré-
gnier) devient la proie d’un fils à papa qui la jette comme un Kleenex, ce qui
provoque déprime et suicide.
L’autre (Élodie Bouchez), est généreuse ; elle s’intéresse à l’occupante of-
ficielle de l’appartement, dans le coma à la suite d’un accident. Personnage
particulièrement réussi et touchant, elle passe du temps à l’hôpital auprès de
la malade et s’en va sur la pointe des pieds quand celle-ci sort de sa léthargie.
On ressent une impression de déchirure quand le film s’arrête. C’est sans
doute dû à la sobriété des dialogues et au jeu des actrices.

Casque d’Or Jacques Becker, France, 1952, 98 mn

Au temps de Félix Faure, le monde des apaches (Raymond Bussières, Émile


Genevois) sous la supervision du respectable Leca (Claude Dauphin) au mieux
avec la police. La belle Casque d’Or (Simone Signoret) qui “travaille” pour un
apache, tombe amoureuse de l’ouvrier charpentier Manda (Serge Reggiani), pro-
mis à la fille (Loleh Bellon) de son patron (Gaston Modot). Tout cela se termine,
un petit matin, devant la guillotine.
Mais il est bien court, le temps des cerises : inspirée d’un fait divers particu-
lièrement sordide, l’histoire est magnifiée en tragédie de l’amour.
Roland Lesaffre campe un serveur de restaurant indic’ qui meurt, victime d’un
“accident” arrangé par la bande à Leca.

99
Vautrin Pierre Billon, France, 1943, 116 mn

Honnête adaptation du dyptique Illusions perdues/Splendeurs et misères des


courtisanes de Balzac. L’interprétation est dominée par Michel Simon en Vautrin.
Madeleine Sologne est la malheureuse Esther et Line Noro Asia, l’âme damnée de
Vautrin. Nucingen est joué par Louis Seigner, le procureur Grandville par Jacques
Varennes. Georges Marchal est un Rubempré un peu mièvre ; mais le personnage
n’est, après tout, qu’une marionnette de Vautrin.

Morte a Venezia Mort à Venise, Luchino Visconti, Italie, 1971, 131 mn

D’après une nouvelle de Thomas Mann, le film est comme un deuil de la


jeunesse. Tadzio (dont la mère est, dans le film, Silvana Mangano) est plus
l’image de ce passé, à jamais inaccessible et révolu, qu’une icône homosexuelle –
même si cet aspect existe indéniablement. L’adagietto de la cinquième de Mahler
accompagne cette lente plongée vers un autre monde symbolisée par ce coucher
de soleil sur l’Adriatique d’un des tout derniers plans du film. Parmi les réussites
macabres, la longue séquence grimaçante où les chanteurs ont l’air de sortir de
tableaux d’Ensor. Et puis celle chez le barbier (Franco Fabrizi) qui apprête Dirk
Borgarde comme le ferait un croque-mort.
Le scénario a voulu faire du héros une sorte de Mahler (c’est, en réalité,
Wagner qui est mort à Venise). Les flash-backs – discussions sur l’art, mort
d’une des filles, etc. – sont d’un insupportable académisme.

The revenge of Frankenstein La revanche de Frankenstein, Terence Fisher,


Grande-Bretagne, 1958, 90 mn

Dans ce nouvel épisode, le monstre acceuille le cerveau d’un nain.


Quelque chose ne fonctionne pas dans la philosophie de ces films, même
si celui-ci voit le transfert final – pour échapper à la justice – du cerveau de
Frankenstein dans un autre corps, ce qui n’est qu’un clin d’œil du scénario.
Toutes les tentatives échouent à cause de diverses contingences : la curiosité
féminine qui détache la créature de ses liens, la méchanceté des hommes qui
les pousse à torturer le monstre et la jalousie mesquine des collègues médecins.
Sans parler ici de l’intelligence de cette créature, peu enthousiaste à l’idée d’être
exhibée comme preuve des succès de Frankenstein. Autrement dit, la méthode
est bonne, ce sont les hommes qui sont mauvais. La morale implicite du film
suggère plutôt qu’on n’a pas le droit de se substituer à Dieu.
Les productions Hammer utilisent presque toujours le même bâtiment, qu’on
retrouve, plus ou moins modifié, de film en film : cela fait un peu fauché.

100
Deux hommes dans Manhattan Jean-Pierre Melville, France, 1959, 84 mn

Un journaliste de l’afp (joué par Melville), accompagné d’un photographe


imbibé, un fouille-merde qui travaille pour France-Match ( !), recherchent le délé-
gué français à l’onu. Ils le retrouveront, victime d’une épectase à la Félix Faure.
Dilemme, faut-il ou non publier les photos ?
Le film se voudrait une plongée nocture dans New York, mais n’arrive pas à
intégrer les deux personnages français dans le cadre américain. On peut sauver
le dernier plan, le long du métro aérien. Pris au petit matin, il renvoie à la place
Blanche de Bob le flambeur (p. 426).

Criss cross Pour toi j’ai tué, Robert Siodmak, usa, 1949, 88 mn

Un des grands films de Siodmak, avec, comme pour The killers (p. 478), Burt
Lancaster, la femme fatale étant ici jouée par Yvonne De Carlo. Le centre de
gravité du film est un bar, avec sa pocharde, où trône Percy Helton en serveur.
Tout cela ne peut finir que très mal, les deux amants seront exécutés par le
terrifiant chef de gang campé par Dan Duryea. Une sirène de la police, sans
doute prévenue par le Code, nous rassure : l’assassin du couple sera puni.
Séquence angoissante où le héros, hospitalisé, est veillé par un douteux visiteur
nocturne (Robert Osterloh).

The conversation Conversation secrète, Francis Ford Coppola, usa, 1974,


114 mn

Le film nous parle d’un petit monde, celui des “plombiers” qui viennent de
s’illustrer avec le Watergate. Gene Hackman est un solitaire taiseux et facile-
ment ombrageux, spécialisé dans l’espionnage sonore. Et voici qu’il enregistre
une conversation où il est question d’un meurtre, dont il ne comprendra les te-
nants et aboutissants que bien trop tard.
Tourné entre les deux premiers Parrains (p. 461), le film n’ambitionne pas
d’être un blockbuster : il ne fait aucune concession commerciale. La dernière sé-
quence montre le héros dépeçant son appartement à la recherche d’un micro (il
vient d’être menacé au téléphone par Harrison Ford) : tout y passe, plinthes, pa-
piers, faux parquets. Seul dans cet espèce de champ de bataille, comme retourné
à un état primal, il se met alors à jouer du saxophone.
John Cazale, trop tôt disparu, est le collègue du héros. On aperçoit Robert
Duvall en victime du meurtre.

101
La ronde Max Ophüls, France, 1950, 93 mn

Anton Walbrook est le maître de ce manège sexuel où alternent cinq femmes


et cinq hommes, Simone Signoret, Serge Reggiani, Simone Simon, Daniel Gé-
lin, Danielle Darrieux, Fernand Gravey, Odette Joyeux, Jean-Louis Barrault, Isa
Miranda et Gérard Philipe, pour se refermer sur Simone Signoret.
L’œuvre, ponctuée d’interventions cocasses de Walbrook, par exemple quand
il répare le manège (Gélin