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UNIVERSITE NICE SOPHIA ANTIPOLIS

Faculté de droit, sciences économiques et de gestion

THESE DE DOCTORAT

Année 2007/2008

LA STRATEGIE DU « FAIRE FAIRE » ET LE


DROIT FRANÇAIS DE L’ORGANISATION DES
MISSIONS D’INTERET GENERAL
Présentée et soutenue publiquement
Le 5 décembre 2008, par

Jean - Joël GOVERNATORI

Sous la direction de M. Le Professeur Gérard QUIOT

Membres du jury :

Monsieur Didier LINOTTE, Professeur de droit public à l'Université de Nice Sophia-Antipolis


Président

Monsieur Jean-Jacques SUEUR, Professeur de droit public à l’Université du Sud Toulon - Var
Rapporteur

Monsieur Florian LINDITCH Professeur de droit public à l’Université Paul-Cézanne Aix


-Marseille III
Rapporteur

Monsieur Gérard QUIOT, Professeur de droit public à l'Université de Nice Sophia-Antipolis


Directeur de recherche

1
UNIVERSITE NICE SOPHIA ANTIPOLIS

Faculté de droit, sciences économiques et de gestion

THESE DE DOCTORAT

Année 2007/2008

LA STRATEGIE DU « FAIRE FAIRE » ET LE


DROIT FRANÇAIS DE L’ORGANISATION DES
MISSIONS D’INTERET GENERAL
Présentée et soutenue publiquement
Le 5 décembre 2008, par

Jean - Joël GOVERNATORI

Sous la direction de M. Le Professeur Gérard QUIOT

Membres du jury :

Monsieur Didier LINOTTE, Professeur de droit public à l'Université de Nice Sophia-Antipolis


Président

Monsieur Jean-Jacques SUEUR, Professeur de droit public à l’Université du Sud Toulon – Var
Rapporteur

Monsieur Florian LINDITCH Professeur de droit public à l’Université Paul-Cézanne d’Aix-


Marseille III
Rapporteur

Monsieur Gérard QUIOT, Professeur de droit public à l'Université de Nice Sophia-Antipolis


Directeur de recherche

2
Les opinions exprimées dans la présente thèse sont strictement personnelles à l’auteur et ne
sauraient engager l’Université de Nice Sophia-Antipolis.

3
A mes parents,
A Jessica,

4
REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier tout particulièrement Monsieur le Professeur Gérard QUIOT pour


avoir encadré mon travail depuis le D.E.A et pendant ces années de thèse. Il a permis de rendre ce
travail moins douloureux grâce à sa disponibilité, ses conseils, ses critiques et surtout grâce à
l’intérêt permanent qu’il a porté à cette réflexion. Sans son intervention, cette recherche aurait
pris un chemin beaucoup moins excitant.

Merci à toute ma famille, en particulier à Jessica, de m'avoir supporté et aidé.

5
SOMMAIRE

PARTIE 1 : LA PLACE AMBIVALENTE DE LA STRATEGIE DU FAIRE


FAIRE DANS LE DROIT CONSACRE DE L’ORGANISATION DES
MISSIONS D’INTERET GENERAL p.34

TITRE LIMINAIRE : L’EBAUCHE EMPIRIQUE DES REGLES


D’ORGANISATION DES MISSIONS D’INTERET GENERAL A L’EPOQUE
FEODALE ET SOUS L’ANCIEN REGIME p.36

TITRE 1 : L’ANCRAGE D’UN PRINCIPE DE LIBERTE DANS LE DROIT DE


L’ORGANISATION DES MISSIONS D’INTERET GENERAL p.51

TITRE 2 : L’ERECTION DU DOGME DU SERVICE PUBLIC INDELEGABLE


PAR NATURE p.130

PARTIE 2 : LA PREGNANCE DE LA DOCTRINE DU « FAIRE FAIRE »


DANS LE DROIT EN DEVENIR DE L’ORGANISATION DES MISSIONS
D’INTERET GENRAL p.192

TITRE 1 : LA MUTATION RAMPANTE DU DROIT POSITIF DE


L’ORGANISATION DES MISSIONS D’INTERET GENERAL p.193

TITRE 2 : LE DECLIN CONSTATE DU PRINCIPE DE LIBERTE


D’ORGANISATION DES SERVICES PUBLICS EN RESEAUX: L’EXEMPLE DE
L’ENERGIE ET DES TELECOMMUNICATIONS p.275

6
LISTE DES ABREVIATIONS

AAI Autorité administrative indépendante


Aff. Affaire
AJDA Actualité juridique Droit administratif
AJDI Actualité juridique de droit immobilier
Al. Alinéa
AOT Autorisation d’occupation temporaire
APD Archives de philosophie du droit
API Autorité publique indépendante
Art. Article
ART Autorité de régulation des télécommunications
ARCEP Autorité de régulation des communications électroniques et des postes
Ass. Assemblée plénière
ATR Accès des tiers au réseau
BEA Bail emphytéotique administratif
Bibl. Bibliothèque
BJCP Bulletin juridique des contrats publics
BOCCRF Bulletin officiel de la concurrence, de la consommation et de la répression
des fraudes
Bull. Bulletin Joly
CAA Cour administrative d’appel
Cass Cour de Cassation
CE Conseil d’Etat
CJCE Cour de justice des Communautés européennes
CJUE Cour de justice de l’Union Européenne
CJEG Cahiers juridiques de l’électricité et du gaz
Cf. Confer
CGCT Code général des collectivités territoriales
Chron. Chronique
Cie Compagnie
Circ. Circulaire
civ. civile
coll. Collection
Com. Commentaires
Com. de gouv. Commissaire de gouvernement
CMP Code des marchés publics
Concl. Conclusions
Cons. Conc. Conseil de la concurrence
Cons. Constit. Conseil Constitutionnel
Cne Commune
CPCE Code des postes et des communications électroniques
CRC Chambre régionale des comptes
CRE Commission de régulation de l’énergie
CNUDCI Commission des Nations Unies pour le droit du commerce international
D Recueil Dalloz
DA Droit administratif périodique- éditions du juris-classeur

7
déc. Décision
dir. Directive
DOC. AN Document Assemblée Nationale
EDCE Etudes et documents (publiés par le Conseil d’Etat
FMI Fonds Monétaire International
Gaz. Pal La Gazette du Palais
GRD Gestionnaire du réseau de distribution
GRT Gestionnaire du réseau de transport
Ibid. Même référence
IDPD Institut du droit de la paix et du développement
In Dans
IGD Institut de la Gestion Déléguée
infra Ci-dessous
JCP A Jurisclasseur périodique (semaine juridique, Administrations et
collectivités territoriales
JCP G Jurisclasseur périodique (semaine juridique, édition générale)
JO Journal officiel
JOCE Journal officiel des Communautés européennes
JOUE Journal officiel de l’Union européenne
Leb. (ou Rec.) Recueil des décisions du Conseil d’Etat
LGDJ Librairie générale de jurisprudence
LOLF Loi organique relative aux lois de finances
LOPSI Loi d’orientation et de programmation sur la sécurité intérieure
LOPJ Loi d’orientation et de programmation sur la justice
LPA Les petites affiches
METP Marché d’entreprise de travaux publics
MIQCP Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques
MURCEF Mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier
MOP Maîtrise d’ouvrage publique
MTPB Moniteur des travaux publics et du bâtiment
NAO National Audit Office
N° Numéro
Obs. Observations
OCDE Organisation for economic cooperation and development
Op. cit. Ouvrage déjà cité
Ord. Ordonnance
PIB Produit intérieur brut
PPP Partenariats public-privé
P. Page
Préc. Précité
PUAM Presses universitaires d’Aix-Marseille
PUF Presses universitaires de France
RA Revue administrative
RAE Revue des affaires européennes
Rapp. Rapport
Rec. Recueil des décisions de la juridiction citée
Rééd. Réédition

8
Req. Requête
RDI Revue de droit immobilier
RDP Revue du droit public et de la science politique
RFAP Revue française d’administration publique
RFDA Revue française de droit administratif
RFDC Revue française de droit constitutionnel
RFSP Revue française de science politique
RGDIP Revue générale de droit international public
RGPP Revue générale des politiques publiques
RIDC Revue internationale de droit comparé
RJEP Revue juridique de l’économie publique
RMC Revue du marché commun
RTDciv. Revue trimestrielle de droit civil
RTDE Revue trimestrielle de droit européen
RTE Réseau de transport de l’électricité
S Sirey
s suivant
sect. Section
SIG Service d’intérêt général
SIEG Service d’intérêt économique général
SIGNE Service d’intérêt général non économique
SNEIG Service non économique d’intérêt général
SSIG Service social d’intérêt général
Somm. Sommaire
supra Ci-dessus
TPI Tribunal de première instance
t. Tome
TA Tribunal administratif
V. Voir
VEFA Vente en l’état futur d’achèvement
Vol. Volume

9
”Il est utile d’avoir des idées d’ensemble mêmes
fausses. Car une vue d’ensemble ressemblera
toujours plus à une vérité d’ensemble qu’une vue de
détails.” Paul Claudel1

INTRODUCTION

1. Quelques années avant sa mort, Léon Duguit a écrit que « quelle que soit la notion que
l’on se forme de l’Etat et du droit, il faut affirmer que l’Etat a des devoirs envers les individus,
que son action est limitée positivement et négativement par le droit, c’est-à-dire qu’il y a des
choses qu’il ne peut pas faire et des choses qu’il est obligé de faire. Telle est l’idée fondamentale
qui domine tout ce traité de droit constitutionnel »2. Dans la pensée de Duguit, « les choses que
l’Etat est obligé de faire » correspondent au service public. Les services publics constituent aussi
la limite de l’intervention de l’Etat. En effet, l’Etat est une coopération de services organisés et
contrôlés par les gouvernants3 mais cette affirmation ne doit pas conduire à reconnaître un
monopole de gestion au profit des gouvernants et de leurs agents 4. Les représentants de l’Etat
pour l’accomplissement des services publics ont donc le choix entre le faire et « le faire faire ».
Plus précisément, le Doyen Duguit « n’accepte pas la différenciation entre les fonctions d’intérêt
général pour lesquelles il est impossible de concevoir leur accomplissement par des particuliers,
et celles qui pourraient être exécutées par de simples citoyens »5. Cette position doctrinale ne
rend pas compte a priori du droit français de l’organisation des missions d’intérêt général qui
s’articule autour d’un principe de liberté et d’un principe d’indélégabilité.

1
Propos rapportés par P. Reuter, A. Blondeau, N. Questiaux, L. Dubouis et D. Ruzie, in L'application du droit
international par le juge français, The American Journal of International Law, Vol. 70, No. 1 (Jan., 1976), p. 179-
180.
2
L. Duguit, Traité de droit constitutionnel, T. 5, 3e éd. 1923, E. de Boccard, p. 1.
3
L. Duguit, Traité de droit constitutionnel, T. 2, 3e éd. 1923, E. de Boccard, p. 54.
4
L. Bertrand, Du concours des particuliers et des organismes privés au maintien de l’ordre public, thèse Paris, 1948,
p. 5.
5
Ibid. ; v. aussi L. Duguit, De la situation des particuliers à l’égard des services publics, RDP 1907, p. 425 et s.

10
I. LA JUSTIFICATION DE L’EMPLOI DU CONCEPT DE « FAIRE FAIRE »

2. Les outils juridiques permettant la participation des personnes privées aux missions
d’intérêt général sont divers : marché public, convention de délégation de service public,
montages contractuels complexes, contrat portant participation à l’exécution du service public,
contrat portant association au service public. La variété des modes d’interaction public/privé
repose sur une gradation du processus délégatoire. D’un point de vue pratique, cette diversité
répond à l’hétérogénéité des situations auxquelles les personnes publiques doivent faire face.

3. La doctrine publiciste française emploie fréquemment le terme d’externalisation 6 pour


appréhender le phénomène général de collaboration public/privé. La difficulté intellectuelle surgit
de la facilité avec laquelle les auteurs utilisent ce mot dont la définition extensive englobe tous
les concepts classiques tels que gestion déléguée, association public/privé ou encore partenariat
public/privé. Cette notion correspondrait à l’hypothèse dans laquelle une personne publique
accomplit des tâches d’intérêt public en faisant appel à des entités externes n’appartenant pas à
ses propres services. Ainsi, rien n’empêche d’intégrer la formule de l’établissement public dans la
catégorie de l’externalisation. A ce titre, en 1946, les nationalisations des entreprises du gaz et de
l’électricité7 reposent sur un traité de concession entre l’Etat et un établissement public. C’est
pourquoi, la doctrine a distingué la gestion publique directe de la gestion publique déléguée
(régie personnalisée et établissement public) et de la gestion privée déléguée des services
publics8. Pourtant lorsque les commentateurs utilisent le terme d’externalisation, c’est pour
aborder la question des modes d’interaction public/privé9.

6
P. Lignières et L. Babin, L’externalisation au cœur des préoccupations de l’Etat, DA mai 2002, p. 37; J-D Dreyfus,
l’externalisation éléments de droit public AJDA nov. 2002, p. 1214 ; J. Barthélémy, Stratégies d’externalisation
Dunod 2002 ; P. Couvra, l’externalisation des missions de l’administration pénitentiaire, RFAP n° 99 2001, p. 455 ;
H. Tricot, externalisation: que restera-t-il à gérer aux communes ? Maires de France n°septembre 2002 suppl.
équipements et services p.14 ; P.Lignières et R. Lazar, externalisation et contrat de partenariat, Contrats Publics avril
2004, p. 57; F. Linditch, La réforme de l’Etat et l’externalisation contractuelle, in La réforme de l’Etat, éd. Bruylant
2005, p. 228 ; G. J. Guglielmi, Réflexions critiques sur la notion d’externalisation, Le droit ouvrier, avril 2008, p.
175 ; J.-B. Auby, Problématiques de l’externalisation, DA juin 2008, p. 1, Repère n°6.
7
Loi du 8 avril 1946, v. notamment commentaire de la loi par C. Blaevoet, D. 1947, législation, p. 97.
8
G. J. Guglielmi, G. Koubi, G. Dumont, Droit du service public, Montchrestien, 2007, 2e éd., p. 304 et s.
9
F. Lichère, Externalisation et personnes publiques, in Dossier Approche juridique de l’externalisation, Cahiers de
droit l’entreprise, n°3, mai-juin 2006, p. 24 et s.

11
4. En droit militaire, deux documents fondent la doctrine du ministère de la défense sur
l’externalisation : il s’agit d’une part d’une directive ministérielle et d’autre part d’un guide de
l’externalisation10 au terme duquel l’externalisation « est un mode de gestion contractuel,
consistant à confier à des partenaires extérieurs à l’administration des activités ou des fonctions
précédemment assurés en régie ». Le règlement toutes armes explique que cette pratique
correspond à « une opération généralement contractuelle, impliquant un partenariat plus ou moins
étroit, par lequel un organisme de défense décide de confier ou de transférer avec obligation de
résultats à une structure externe au département, une fonction, un service ou une activité qu’il
assurait antérieurement et qui peut parfois impliquer des transferts d’actifs »11. Cette acception
reprend strictement à la signification courante de ce concept formulée notamment dans le
dictionnaire Larousse qui définit l’externalisation comme l’opération par laquelle une personne
physique ou morale confie à un tiers extérieur une activité ou un service qu’elle prenait
auparavant en charge.

5. Le succès de cette notion est avéré tant elle est reprise dans plusieurs articles et
commentaires juridiques au point qu’il est loisible de voir en lieu et place de gestion directe et de
gestion déléguée des services publics les termes d’internalisation ou d’externalisation d’une
activité d’intérêt général12. Mais les définitions évoquées, si elles ont le mérite de la simplicité, ne
sont nullement pertinentes en droit. D’une part, elles entretiennent la confusion entre la
délégation et le transfert d’activité, d’autre part, l’histoire de la gestion publique montre que
certaines activités n’ont jamais été réalisées directement par l’administration et il serait faux alors
de parler d’externalisation s’il n’y a pas eu d’internalisation préalable.

10
Guide de l’externalisation publié par le secrétariat général pour l’administration.
11
Terminologie et symbologie, TTA 106, V° Externalisation.
12
A. Ménéménis et E. Fatôme emploie le terme externaliser indifféremment pour qualifier des situations juridiques
renvoyant soit à des délégations de service public, soit à des marchés publics, soit à des contrats innomés, in
Concurrence et liberté d’organisation des personnes publiques : éléments d’analyse, AJDA 2006, p. 68.

12
6. En ce sens, l’arrêt du Conseil d’Etat du 6 avril 2007, Commune Aix-en-Provence 13,
souligne que le champ de la gestion sans dévolution du service inclut le procédé de la régie, du
contrat « in house  » mais aussi le cas où « une personne privée exerce, sous sa responsabilité et
sans qu'une personne publique en détermine le contenu, une activité dont elle a pris l'initiative ».
Le juge considère que « son activité peut se voir reconnaître un caractère de service public, alors
même qu'elle n'a fait l'objet d'aucun contrat de délégation de service public procédant à sa
dévolution, si une personne publique, en raison de l'intérêt général qui s'y attache et de
l'importance qu'elle revêt à ses yeux, exerce un droit de regard sur son organisation et, le cas
échéant, lui accorde, dès lors qu'aucune règle ni aucun principe n'y font obstacle, des
financements »14. Dans certains domaines où la puissance publique a négligé d’organiser le
service public, l’intervention administrative se limite donc à valider a posteriori l’action privée,
on peut parler de « faire faire » mais on ne peut pas parler d’externalisation car il n’y a aucun
processus d’extériorisation du service à un tiers. Au mieux, il faut parler d’un processus
d’internalisation d’une activité d’initiative privée dans le champ de compétence publique15.

Le Conseil d’Etat rappelle encore dans cet arrêt l’étendue du cadre de la gestion directe
qui comprend bien évidemment la gestion en régie directe qui se définit comme la prise en charge
directe de l’activité de service public par la collectivité publique compétente sans l’intermédiaire
d’une personnalité juridique distincte avec ses propres moyens financiers, humains et matériels 16.
Elle comprend également l’hypothèse dans laquelle les personnes publiques « créent un
organisme dont l'objet statutaire exclusif est, sous réserve d'une diversification purement
accessoire, de gérer ce service » et «  exercent sur cet organisme un contrôle comparable à celui
13
CE 6 avril 2007, n°284736, Commune Aix-en-Provence, G. Clamour, La transparence et le service public : vade-
mecum, D. 2007, chron. 2617 ; J.-C. Douence, note sous le même arrêt, RFDA 2007, p. 821 ; F. Linditch,
L’évolution du droit des subventions ne menace-t-elle pas à terme les délégations de service public  ?, note sous le
même arrêt, JCP A 2007, 2125 ; J.-M. Pontier, Mode d’emploi pour la gestion des services publics culturels, note
sous le même arrêt JCP A 2007, 2128 et enfin, F. Séners, concl. Sur le même arrêt, RFDA 2007, p. 812. Pour
l’ensemble des références v. Actualité bibliographique, AJDA 2008, p. 952.
14
CE 6 avril 2007, Commune Aix-en-Provence préc. ; v. aussi CE avis 18 mai 2004, Cinémathèque française, EDCE
2005, p. 185.
15
M. le Professeur Linditch pointe « une contradiction interne de l’arrêt » car le juge parlerait de régie pour qualifier
cette modalité organisationnelle laissant paradoxalement une large indépendance à l’agent privé. Or, le juge dans le
cinquième considérant aborde un nouveau système de gestion différent de l’hypothèse de la régie d’où la locution
« en outre » : il s’agit de la reconnaissance par la personne publique d’un service public dont la personne privée a
pris l’initiative, v. F. Linditch, L’évolution du droit des subventions ne menace-t-elle pas à terme les délégations de
service public ?, note sous le même arrêt, JCP A 2007, 2125.
16
J.-C. Douence, note sous le même arrêt, RFDA 2007, p. 824.

13
qu'elles exercent sur leurs propres services leur donnant notamment les moyens de s'assurer du
strict respect de son objet statutaire ».

7. Ainsi, il y a gestion directe par la collectivité publique en cas de gestion en régie directe,
en régie personnalisée, par un établissement public et plus largement, en cas de gestion par un
prestataire intégré. Dans ces dernières hypothèses, il y a bien externalisation de la gestion du
service public à des entités sans qu’on puisse parler de « faire faire ». La pratique du « faire
faire » ne se réduit donc pas au critère d’extranéité organique. Il nous paraît opportun d'exploiter
ce concept inédit, celui du « faire faire ». La notion de « faire faire » synthétise la substance d'un
phénomène, celui des modes indirects de gestion des missions d’intérêt général et non celui de la
simple extériorisation formelle de l’accomplissement de ces tâches. La notion de « faire faire »
est une notion objet  ou notion dite fonctionnelle rattachée à la vie juridique sans jamais avoir été
portée au rang de notion instrument, ou de notion dite conceptuelle « dont le contenu est
abstraitement déterminé une fois pour toute »17.

L’arrêt Commune Aix-en-Provence, véritable mode d’emploi pour la gestion des services
publics, opère une reconfiguration du cadre de la gestion directe en remettant en cause le
diptyque gestion publique directe/gestion publique déléguée élaboré par la doctrine
administrativiste18. Dès lors, loin de considération d’ordre formel, il y a gestion directe lorsque
l’autorité publique organisatrice du service public exerce sur le gestionnaire de l’activité un
contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses services. M. le Professeur J.-M. Pontier note qu’il
y a « gestion directe par la maîtrise de l’activité »19. Cependant, cette expression est impropre à
caractériser le procédé de gestion interne car dans la délégation de service public il y aussi
maîtrise de l’activité par l’autorité délégante même si dans le cadre de la gestion déléguée, le
contrôle sur le délégataire ne peut pas être semblable à celui exercé sur les personnes
gestionnaires du service public en régie.

17
R. Latournerie, De la notion de service public, section II, EDCE 1960, p. 94.
18
G. J. Guglielmi, G. Koubi, G. Dumont, Droit du service public, op. cit., p. 304.
19
J.-M. Pontier, Mode d’emploi pour la gestion des services publics culturels, note sous le même arrêt JCP A 2007,
2128, p. 40.

14
8. Le terme externalisation est largement utilisé dans le contentieux social. Ce concept est
surtout employé par la doctrine20 pour justifier l’application ou non de l’article L.122-12 du Code
du travail. Au regard du droit social, et plus particulièrement de l’application de l’article L. 122-
12 du Code du travail faite par la jurisprudence, notamment dans l’arrêt Perrier de la Cour de
Cassation21, l’externalisation correspond « à l’opération par laquelle une entreprises confie à un
tiers fournisseurs, en dehors d’un lien de subordination, la prise en charge d’une de ses activités
internes, qu’elle considère comme ne relevant pas de son cœur de métier »22. La Haute juridiction
judiciaire a donc requalifié en contrat de travail des opérations a priori constitutives
d’externalisation sur la base du critère de lien de subordination juridique. L’existence d’une
subordination manifeste une absence d’autonomie d’organisation et de gestion de l’entreprise
tierce.

9. La thèse de la doctrine publiciste selon laquelle l’externalisation dans le secteur


administratif peut prendre la forme du marché public ou de la convention de délégation de service
public23 est à nuancer, ou alors le terme d’externalisation en droit administratif est parfaitement
autonome par rapport aux conceptions travaillistes. En effet, le marché public est un contrat
portant quasi-internalisation d’activités privées dans la sphère administrative et la délégation de
service public est un contrat portant quasi-internalisation des missions d’intérêt public dans la
24
sphère administrative dans la mesure où le régime même du contrat administratif confère aux
personnes publiques des prérogatives, telles que le pouvoir de direction, de contrôle25 et de
20
G.Couturier, l’article L.122-12 du Code du travail et les pratiques d’ « externalisation », Droit social n°9/10
septembre octobre 2000 p. 845.
21
Cass. Soc. 18 juillet 2000, Bull. civ. 2000, n°423.
22
M. Fontaine, Les aspects juridiques de l’outsourcing, Bruylant Bruxelles, 2002, p. 16.
23
F. Lichère, Externalisation et personnes publiques, in Dossier Approche juridique de l’externalisation, chron. préc.,
p. 24 et s.
24
La Cour de Cassation dans un arrêt du 31 mai 2005 (Bulletin 2005 II N° 135 p. 121) pose le principe selon lequel
«les particuliers auxquels sont confiés par un conseil général l’exécution de services de transports scolaires,
travaillent dans un lien de subordination, dès lors qu’il résulte des constatations des juges du fond et des documents
annexés à la procédure de contrôle, qu’ils participent à un service de transports organisé par cette collectivité
territoriale qui les rémunèrent sur des bases tarifaires imposées et a le pouvoir de les sanctionner en cas de
défaillance dans l’exécution du transport, peu important la qualification retenue par les parties pour définir leurs
rapports ». A contrario, l’arrêt du Conseil d’Etat du 25 mai 1973, EDF et Société civile immobilière « Du
Confortable » s’inscrit dans la ligne jurisprudentielle qui dénie au marché public le caractère de contrat de travail sur
la base du critère traditionnel du droit du travail au terme duquel le contrat de travail contrairement au marché public
implique la présence d’un lien de subordination, CJEG 1973, p. 51 et s.
25
Dans sou ouvrage, le Professeur L. Richer estime que la jurisprudence ne reconnaît pas un pouvoir général de
direction et de contrôle qui pourrait s’exercer en dehors et au-delà des termes du contrat. Plus précisément, il écrit
que « les auteurs majoritaires ne fondent leurs affirmations que sur un nombre très limité d’arrêts dont la portée est

15
modification unilatérale, qui matérialisent selon nous un lien de subordination juridique à l’instar
des pouvoirs dont dispose un employeur sur son employé26.

Or, le juriste est un taxinomiste, la fiabilité de ses analyses dépend de la pertinence des
catégories qu’il utilise. Si par externalisation le glossaire administratif français s’enrichit d’une
expression « à la mode »27, il ne s’enrichit pas d’un concept au contenu pertinent. Le concept
d’externalisation est également fortement marqué par l’idée selon laquelle cette notion « consiste
à transférer des activités non essentielles et non stratégiques ». L’histoire de la gestion
administrative montre que l’association public/privé si elle peut porter sur des activités
accessoires vise surtout des missions essentielles telles les services publics, c’est pourquoi nous
pensons qu’il est loisible d’écarter ce terme au profit de l’expression « faire faire ».

10. Il est en vogue également en droit administratif d’utiliser l’expression (trop) générale de
« partenariat public-privé » pour exprimer l’idée du « faire faire ». Cette notion à faible juridicité
dans sa définition la plus large couvre « toutes les formes d’association du secteur public et du
secteur privé destinées à mettre en œuvre tout ou partie d’un service public »28. Selon la
définition consacrée dans le livre vert de la Commission européenne du 30 avril 2004 sur les
partenariats public-privé et le droit communautaire des marchés publics et des concessions, les

pour le moins douteuse, car à les examiner de près, aucun n’admet l’existence du pouvoir de contrôle en dehors
d’une stipulation du contrat ». Il en arrive alors à la conclusion que « l’affirmation quasi unanime selon la quelle le
pouvoir de contrôle (et de direction) figure au nombre des règles générales du contrat administratif n’est pas étayée
par la jurisprudence » in L. Richer, Droit des contrats administratifs, LGDJ 2006, 5 e éd., p. 247. Pourtant, un arrêt de
la cour administrative d’appel de Nantes en date du 3 février 1993 (Req. n° 89NT0001218) il est vrai isolé et
émanant d’une juridiction d’appel, consacre la thèse du rattachement du pouvoir de direction et de contrôle aux
règles générales applicables aux contrats administratifs et même dans le silence du contrat, le juge considère que « la
justification de la décision du 1er avril 1980 trouve son origine dans les règles d’urbanisme applicables au secteur
concerné ; que, si en raison de ce motif d’intérêt général qui s’imposait à l’autorité concédante, il appartenait à celle-
ci, en vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, de modifier les dispositions mêmes du
contrat et de paralyser l’exécution de certaines d’entre elles ».
26
Les propos de M. Dumont alors ministre des travaux publics mettent en exergue le rapport de subordination
existant entre l’administration et un entrepreneur de travaux publics lorsqu’il écrit que « l’entrepreneur n’est qu’un
agent entre les mains de l’administration. Il fait ce qu’on veut, il travaille sur les lieux qu’on lui indique et d’après les
indications qu’on lui fournit. Mais quand il s’agit de concessionnaires l’administration a le droit de regarder, voilà
tout ; elle n’a pas le droit de diriger elle-même», Propos rapportés par X. Bezançon dans sa thèse préc., p. 108.
27
V. communication du 20 novembre 2007 « Les services d'intérêt général, y compris les services sociaux d'intérêt
général: un nouvel engagement européen, COM 2007 725 final ; v. aussi Questions-Réponses sur l'application des
règles "marchés publics" aux services sociaux d'intérêt général, document accompagnant la communication intitulée
"Les services d'intérêt général, y compris les services sociaux d'intérêt général: un nouvel engagement pour l'Europe"
{COM(2007) 725 final} {SEC(2007) 1515} {SEC(2007) 1516
28
F. Marty, S. Trosa et A. Voisin, Les partenariats public-privé, La Découverte Collection Repères, 2006, p. 2.

16
partenariats public-privé concernent l’hypothèse d’« une coopération entre les autorités publiques
et le monde des entreprises qui vise à assurer le financement, la construction, la rénovation, la
gestion ou l’entretien d’une infrastructure ou la fourniture d’un service »29.

11. Depuis l’adoption en France de l’ordonnance du 17 juin 2004 30, l’emploi de la


terminologie de « partenariat » en droit intéresse un modèle contractuel particulier. L’ordonnance
du 17 juin 2004 régit les contrats de partenariat qui sont des «  contrats administratifs par lesquels
l’Etat ou un établissement public de l’Etat confie à un tiers, pour une période déterminée en
fonction de la durée d’amortissement des investissements ou des modalités de financement
retenues, une missions globale relative au financement d’investissements immatériels, d’ouvrages
ou d’équipements nécessaires au service public, à la construction ou transformation des ouvrages
ou équipements, ainsi qu’à leur entretien , leur maintenance, leur exploitation ou leur gestion, et,
le cas échéant, à d’autres prestations de services concourant à l’exercice, par la personne
publique, de la mission de service public dont elle est chargée »31. Les lois LOPSI32 et LOPJ33
avaient déjà instauré des outils contractuels facilitant la réalisation et la gestion d’infrastructures
affectées à un service public sur la base d’un financement innovant34.

12. Ces observations expliquent la primauté donnée au concept de « faire faire » dans notre
travail de recherche. D’un point de vue formel, le terme d’externalisation ne vise pas
obligatoirement la gestion privée des missions d’intérêt général. D’un point de vue de l’analyse
travailliste, ce terme exclurait de notre réflexion les contrats administratifs portant collaboration
public/privé tels que les marchés publics ou les conventions de délégation de service public.
L’expression « gestion déléguée » doit aussi être écartée sous peine d’exclure les marchés publics
et les contrats portant strictement exécution du service public ou répondant au besoin du service

29
COM(2004) 327 final, p. 3.
30
Ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004, publiée au JO n° 141 du 19 juin 2004, p. 10994.
31
Le titre premier de l’ordonnance régit les contrats de partenariat de l’Etat et de ses établissements publics, le titre
second régit les contrats des collectivités territoriales et de leurs établissements publics. Cette définition des contrats
de partenariat ne correspond plus aux définitions mentionnées précédemment dans les différents projets
d’ordonnance, v. ainsi Projet d’ordonnance du 4 décembre 2003 et projet d’ordonnance de mars 2004, art. 1.
32
Loi n° 2002-1094 du 29 août 2002 ( JO, 30 août 2002, n° 202, p. 14398 ) d’orientation et de programmation pour
la sécurité intérieure dite LOPSI.
33
Loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 ( JO, 10 sept. 2002, n° 211, p. 21500 ) d’orientation et de programmation
pour la justice dite LOPJ.
34
P. Lignières et J-P. Lévy, Un PFI à la française : les nouveaux PPP dans la sécurité et la justice, DA, déc. 2002,
pratiques n° 11, p. 34.

17
public35. Enfin, l’usage du mot de partenariat est à proscrire dans la mesure où la consécration
expresse de la catégorie des contrats de partenariat donne inévitablement un coup d’arrêt à la
banalisation du vocable de partenariat public/privé.

13. C’est parce qu’il y a une contamination du droit administratif par des « notions ambiguës
et des expressions impropres »36, certains diront un mouvement tendant à laisser les catégories
juridiques se dissoudre dans un magma informe et purement impressionniste, que nous utilisons
la formule de « faire faire ». A la confusion actuelle qui règne dans les contrats administratifs et
particulièrement dans les contrats dits de service public, nous avons accès notre recherche non
pas sur la question de l’instabilité de la théorie des contrats administratifs, mais sur la question de
l’instabilité du droit de l’organisation des missions d’intérêt général.

Par « faire faire », est donc visé le phénomène consistant à ce que des agents de droit
privé « authentiques », c’est-à-dire qui ne sont pas des démembrements déguisés de
l’administration37, sont chargés de la gestion opérationnelle et/ou de l’exécution matérielle des
missions d’intérêt général dans le but de satisfaire un besoin exprimé par une personne
publique38. La collaboration ne se limite pas exclusivement à la réalisation d’une activité de
service public car l’accomplissement de la prestation de service public requiert l’enclenchement
d’une multitude de fonctions annexes, périphériques qui ne peuvent être estampillées « service

35
L’attractivité de la notion de gestion déléguée est renforcée par la jurisprudence récente. En effet, l’arrêt Commune
Aix-en-Provence du Conseil d’Etat précité pose le principe selon lequel les collectivités publiques peuvent, dès lors
que la nature de ce service n'y fait pas par elle-même obstacle, décider de confier sa gestion à un tiers par un contrat
de délégation de service public ou, si la rémunération de leur cocontractant n'est pas substantiellement liée aux
résultats de l'exploitation du service, un marché public de service. Ainsi, un marché public peut comporter délégation
de la gestion du service public ce qui met à mal la réhabilitation du critère de l’objet pour distinguer marché
public/délégation de service public, v. CE Ass. 4 novembre 2005, Société J.-C. Decaux, req. n°247298 et n°247299,
BJCP n°44, p. 27 ; v. aussi, S. Braconnier, AJDA 2006, p. 1.
Cet état de la jurisprudence confirme les propos de Mme C. Bergeal selon laquelle « il serait utopique de croire
pouvoir parvenir à une définition immuable, pure et parfaite de la frontière entre marchés et délégations de service
public », in C. Bergeal, concl. sous CE 30 juin 1999, SMITOM, AJDA 1999, p. 714. La reconnaissance des marchés
de service portant sur la gestion d’un service public n’est pas chose nouvelle, la circulaire n°634 du ministère de
l’intérieur du 13 décembre 1977 visait déjà cette situation et parlait de gestion mixte lorsqu’un service public est géré
par l’intermédiaire d’un marché de service public.
36
G. Braibant, Du simple au complexe, quarante ans de droit administratif, EDCE n°45, 1993, p. 419 ; P. Weil, Le
renouveau de la théorie du contrat administratif et ses difficultés, in Mélanges M. Stassinopoulos, LGDJ 1974, p. 217
et s. ; F. Brenet, La théorie du contrat administratif, évolutions récentes, AJDA 2003, p. 919 et s.
37
J.-P. Négrin, L’intervention des personnes morales de droit privé dans l’action administrative, LDGJ 1971 ., p. 16
et s.
38
A.-S. Mescheriakoff, Droit des services publics, PUF 1997, p. 268 et s.

18
public » mais qui revêtent un intérêt général indéniable39. Le « faire faire » ne correspond pas à
un transfert d’activités auquel cas il faudrait employer l’expression de « plus faire ». Comme il
est écrit dans le rapport 2008 du Conseil d’Etat, le « faire faire ne saurait en aucun cas être
assimilable au «laissez-faire»40. Il représente le choix d’une délégation, c’est-à-dire qu’il
constitue un mode de réalisation indirecte des tâches relevant de la compétence de la sphère
publique, il n’équivaut ni à un abandon, ni à un délaissement.

14. Par ailleurs, s’intéresser à la stratégie du « faire faire » ce n’est pas se préoccuper des
activités entrant dans le champ de compétence des personnes publiques. Cette question doit être
résolue en amont car en confiant une activité à un tiers, les personnes publiques ne font
qu’exercer elles-mêmes leurs compétences de sorte que le « faire faire » n’est qu’une méthode de
concrétisation de la compétence publique41. Le choix du « faire faire » est une mesure de
rationalisation de l’action administrative et donc il serait facile de rapprocher l’impératif de
rationalisation du principe de spécialité développé en droit administratif. Mais il est primordial de
dissocier la problématique relative à la détermination des attributions d’une personne publique de
la problématique afférente à l’organisation des missions entrant dans le domaine de compétence
parce qu’il est impossible à une personne publique de réaliser par le détour du « faire faire » ce
qui lui est défendu de faire elle-même42 .

39
D. Linotte, Recherches sur la notion d’intérêt général en droit administratif français, thèse Bordeaux 1975 ; v. aussi
D. Truchet, Les fonctions d’intérêt général dans la jurisprudence du Conseil d’Etat, LGDJ 1977 ; Y. Broussole, La
participation des personnes privées aux activités d’intérêt général, thèse Paris 1992 ; G. Clamour, Intérêt général et
concurrence. Essai sur la pérennité du droit public en économie de marché, thèse Montpellier 2004.
40
Rapport public CE 2008, Le Contrat, mode d’action publique et de production de normes, Dossier de presse, p. 4,
in http://www.conseil-etat.fr/ce/rappor/rapport2008/DP_contrat.pdf.
41
P. Delvolvé, Les contradictions de la délégation de service public, AJDA 1996, p.677.
42
CE, avis, section des travaux publics - n° 356.089 - 7 juillet 1994.

19
II. INTERET DE L’ETUDE

15. Il existe des sujets en droit administratif dont l’acuité ne faiblit pas avec le temps.
L’importante littérature juridique consacrée aux différents modes d’exécution et de gestion des
missions d’intérêt général sur la base d’une approche globale43 ou thématique44 témoigne du souci
de clarifier des concepts nés d’un phénomène pérenne, à savoir la participation des personnes
privées à l’action administrative. Etonnamment la question de l’arbitrage entre le faire et « le
faire faire » n’a que très rarement intéressé la doctrine administrativiste 45. R. Bonnard, lorsqu’il
aborde les modalités d’organisation des services publics, note simplement que « l’organisation
des services publics comporte deux grandes modalités qui sont la régie et la concession »46. Dans
son célèbre Précis de droit administratif, M. Hauriou définit le service public sans aucune
référence aux modalités de gestion du service public. Il le présente comme « une organisation
créée par une personne administrative en vue de la satisfaction d’un besoin collectif »47 ou
comme « un service technique rendu au public d’un façon régulière et continue pour la
satisfaction d’un besoin public et par une organisation publique »48.

16. Cette définition n’est pas très heureuse car que faut-il entendre par organisation publique
et par l’emploi du terme rendu ? Exclut-elle tout principe de libre organisation des services
publics dans la mesure où l’activité de service public suppose que le service soit rendu par une
organisation publique, ce qui bannirait le procédé de la concession à une personne privée pour les

43
B. Gény, Essai d’une théorie générale de la collaboration des administrés avec l’administration en dehors de leurs
rapports contractuels, Paris, Recueil Sirey 1930 ; J.-P. Négrin, L’intervention des personnes morales de droit privé
dans l’action administrative, thèse préc. ;Y. Broussolle, La participation des personnes privées aux activités d’intérêt
général, thèse, Paris II, 1993.
44
G. Jèze, Les contrats administratifs, Paris, Giard, 1927 ; A. Blondeau, La concession de service public, thèse
Grenoble 1929 ; P. Comte, Essai d’une théorie d’ensemble de la concession de service public, un aspect de
l’évolution du droit public contemporain, Paris, Sirey 1934 ; H. G. Hubrecht, Les contrats de service public, thèse
Bordeaux 1980 ; J.-F. Auby, La délégation de service public, Paris, PUF, 1995 ; C. Chenaud-Frazier, La notion de
délégation de service public, RDP 1995, p. 175 ; E. Delacour, La notion de convention de délégation de service
public, essai de définition d’une nouvelle catégorie de contrat administratif, thèse Paris 2 1997 ; P. Cossalter, Les
délégations d’activités publiques dans l’Union européenne, LGDJ 2007.
45
Pour une étude historique, L. Duguit, De la situation des particuliers à l’égard des services publics, chron. préc., p.
411 ; v. aussi J.-L. Mestre, Introduction historique au droit administratif, PUF 1985. Pour une étude concernant les
collectivités territoriales ; C. Mondou, Le choix de la gestion déléguée des services publics locaux, thèse Aix-
Marseille 3, 1994 ; X. Bezançon, Essai sur les contrats de travaux et de services publics. Contribution à l’histoire
administrative de la délégation de missions publiques, LGDJ 2001 et enfin, G. J. Guglielmi et G. Koubi avec la
collaboration de G. Dumont, Droit du service public, éd. Montchrestien, 2007, p. 416 à 425.
46
R. Bonnard, Précis de droit public, 6e éd., Sirey, 1944, p. 239.
47
M. Hauriou, Précis de droit administratif et de droit public, 1° éd., 1892, Paris, Larose et Forcel, p. 150.
48
M. Hauriou, Précis de droit administratif et de droit public, 9° éd., 1919, p. 44.

20
activités de service public ? Nous ne le pensons, Hauriou ne le pense pas non plus car il précise
que « la puissance publique est à l’état de gestion lorsqu’elle est considérée comme travaillant à
l’exécution des services publics et dans cette situation, la puissance publique a forcément des
collaborateurs »49. Cette collaboration peut revêtir différentes formes telles que le fonctionnariat 50
ou la concession de service public. Hauriou poursuit en notant que « ce procédé de la concession,
qui a succédé à celui de la ferme, est-il vraisemblablement appelé à disparaître devant celui de la
régie directe ou, tout du moins de la régie intéressée »51. Cette observation est intéressante car elle
pose d’emblée la question de la place du système concessif dans le droit de l’organisation des
missions d’intérêt général.

17. Carré de Malberg remarquait que « du point de vue de la science politique, la
collaboration mérite aujourd’hui de figurer au premier plan dans la définition de l’Etat »52. En ce
qui nous concerne, il faut se placer non pas sur le terrain de la science politique mais sur celui de
la science juridique afin de savoir à quelle place « figure » la politique du « faire faire » dans le
droit de l’organisation des missions d’intérêt général.

18. Parler de droit de l’organisation des missions d’intérêt général implique d’identifier un
corps de normes juridiques venant réglementer les modalités de réalisation des tâches d’intérêt
général. La question qui sous-tend cette thématique peut être exprimée de la manière suivante : la
personne publique est-elle libre de choisir le mode de gestion des activités qui relèvent de sa
compétence, en d’autres termes, peut-elle choisir librement de faire ou de « faire faire » ? La
réponse dépend de l’époque à laquelle cette interrogation est formulée et dépend aussi des
matières dont il est question. Les auteurs s’étant intéressés à la problématique afférente aux
modes de gestion des activités d’intérêt public en arrivent tous à la conclusion suivante : l’étude
historique met en exergue des phases privilégiant le recours à la politique du faire au moyen de la
régie et/ou de la création d’entités spécialisées comme les établissements publics et des phases
marquées par la prégnance du « faire faire » au secteur privé au moyen de la concession, de

49
M. Hauriou, Précis de droit administratif et de droit public général, 4e éd., Paris L. Larose, p. 230.
50
Pour des précisions sur les diverses formes de collaboration à l’exécution des services publics, v. M. Hariou, Précis
de droit administratif et de droit public général, 4e éd, op. cit., p. 231 et s.
51
M. Hauriou, Précis de droit administratif et de droit public, 9° éd., op. cit., p. 48.
52
Carré de Malberg, Avant-propos de Contribution à la théorie générale de l’Etat, éd. CNRS, 1985, p. 8.

21
l’affermage, de contrats innomés ou de délégation unilatérale 53. Il est donc légitime de défendre
l’idée selon laquelle l’histoire de la gestion publique recoupe celle de la gestion déléguée en
ancrant la coopération public/privé dans un passé lointain.

19. Chaque époque porte un regard différent sur la politique du «faire faire »  et si le 19e
siècle peut être qualifié de siècle des concessions, la période qui s’ouvre après la première guerre
mondiale marque la fin de la sacralisation de ce système. Le mariage du public et du privé est
apparu contre nature54 et surtout contre productif. Hauriou estimait que tant que le service public
n’est exploité que par un concessionnaire, le service n’est « public qu’à moitié, son exploitation
reste pour lui une affaire privée »55. Ce sentiment de défiance vis-à-vis du procédé concessif a
même alimenté la catégorie des services publics indélégables en y incluant les services publics
nationaux à caractère économique à la Libération. Ce processus de démystification de la pratique
du « faire faire », s’il engendre une mutation des rapports public/privé dans l’accomplissement
des missions d’intérêt général, ne signifie pas pour autant la fin du « faire faire ». En 1946, le
service public de l’énergie est confié à des établissements publics qui ont la qualité de
concessionnaire et la période de l’entre deux guerres voit émerger la notion de personne privée
chargée de l’exécution d’un service public administratif56.

20. Ces brèves observations laissent à penser que « ce n’est point que l’Etat se fasse aider de
gaieté de cœur car, face à la complexité croissante de ses tâches modernes, il garde le vieux
réflexe jacobin et préfère encore « faire » que « faire faire » et lorsqu’enfin il se décide à « faire
faire » par un organisme privé ou mixte, il entoure sa participation, sa collaboration, l’octroi de
prérogatives, de tels contrôles, veto divers que bientôt, par la voie du recours contentieux, il va
reprendre de la main gauche ce qu’il avait donné de la droite. Cela est devenu net dans les
rapports des personnes publiques et des concessionnaires et d’une manière générale avec les
personnes ou organismes privés chargés de la gestion d’un service public administratif ou
commercial »57.

53
X. Bezançon, Essai sur les contrats de travaux et de services publics. Contribution à l’histoire administrative de la
délégation de missions publiques, op. cit.
54
C. Teitgen-Colly, La légalité de l’intérêt financier dans l’action administrative, Economica 1981, p. 134 et s.
55
M. Hauriou, Droit administratif, 9e éd., p. 336.
56
CE Ass. 13 mai 1938, Caisse Primaire Aide et protection, D. 1939.3.65, concl. R. Latournerie ; v. aussi CE 31
juillet 1942, Monpeurt, Rec., p. 239, S. 1942. 3. 37.
57
P. Sabourin, Décès du critère organique en droit administratif français, RDP 1971, p. 591 et s.

22
21. Néanmoins, les années 80 marquent une rupture en ce qui concerne l’appréhension et
l’utilisation de la stratégie du « faire faire ». La réhabilitation du « faire faire » correspond à la
montée en puissance du libéralisme économique. Pour les libéraux, le diagnostic est simple,
l’Etat moderne est malade, ils recommandent « une cure d’amaigrissement ». L’Etat est sommé
d’être efficace dans son action et de ne pas entraver le libre jeu du marché ce qui implique une
reconfiguration du logiciel de l’intervention administrative. Cet objectif qui est en haut de
l’agenda politique depuis plus de 20 ans passe par la transposition des modalités
organisationnelles des entreprises privées à l’administration et par la décharge d’une activité
d’intérêt général sur une personne privée. La personne publique en s’associant à la sphère privée
espère tirer profit des capacités de gestion de l’entreprise tenue de dégager les financements les
mieux adaptés au service public concerné. La mise en cause de la performance publique dans la
gestion des services publics a été théorisée par les prosélytes du nouveau management public 58.
Cette doctrine s’inscrit dans la logique originaire des sciences de l’organisation. La légitimité de
l’interventionnisme public ne reposerait plus seulement sur la légalité ou sur la constitutionnalité
mais aussi, sur l’économie, l’efficience de l’action de l’Administration, c’est-à-dire la rationalité
gestionnaire. Plus exactement, ces critères ont vocation à intégrer à plus ou moins longue
échéance le bloc de légalité et de constitutionnalité.

22. La rationalité gestionnaire n’est pas une idée neuve en droit administratif 59. Toutefois, ce
n’est que récemment grâce à la prise de conscience collective de l’insoutenabilité de la
dégradation des finances publiques60 que cette préoccupation commence à s’incarner dans des

58
OCDE, La gestion publique en mutation. Les réformes dans les pays de l’OCDE, Paris, 1995, OCDE.
59
Depuis la fin des années 80, le thème du renouveau du service public est inscrit sur l’agenda politique. En 1995,
M. A. Juppé, premier ministre, considère que « les services publics doivent désormais être plus efficaces, plus
économes et plus accessibles », in circulaire du 26 juillet 1995 relative à la préparation et à la mise en oeuvre de la
réforme de l'Etat et des services publics.
60
Cependant, le constat d’une France en faillite au regard du montant de son déficit public et de sa dette publique est
largement contesté par certains économistes et notamment Mathieu Plane, économiste à l'OFCE. Ce dernier souligne
que « la dette publique française est notée AAA par les agences de notation, la meilleure note qui soit en termes de
qualité de dette, la France fait donc partie des meilleurs élèves de la classe mondiale quant à la gestion de ses
finances publiques. Cela veut dire aussi que l'Etat français ne risque pas de faire défaut au remboursement de sa
dette, ce qui explique par ailleurs la faiblesse des taux d'intérêt sur les obligations publiques (inférieurs à 4 % en
moyenne depuis début 2005), considérées comme un placement sans risques. Si elle a augmenté de plus de 7 points
ces cinq dernières années, il n'en reste pas moins qu'en termes de niveau de dette, elle ne se distingue pas des autres
grands pays ». Cet économiste poursuit sa réflexion en relevant que « la dette au sens de Maastricht est une mesure
brute qui ne prend pas en compte les actifs détenus par les administrations publiques, or ces dernières possèdent des
actifs financiers mais surtout des actifs physiques. Si on comptabilise l'ensemble des actifs, c'est-à-dire aussi les

23
règles de droit. Dès lors, le calcul économique doit désormais accompagner le calcul politique
dans la détermination des modalités d’accomplissement des tâches d’intérêt général mais sans le
supplanter car « le calcul économique ne saurait résumer la problématique du bien public »61. En
ce sens, un rapport d’information de l’Assemblée nationale de juin 2003 dans le secteur
militaire62 insiste sur l’idée selon laquelle « l’externalisation est susceptible de permettre au
ministère de la défense de réaliser de véritables économies de fonctionnement. Il serait
déraisonnable de ne pas saisir cette opportunité, qui présentera en outre l’avantage de démontrer
que le ministère de la défense est lui aussi soucieux des deniers publics, alors qu’il est parfois de
bon ton de ne voir en lui qu’un ministère dépensier»63.

23. La Cour des Comptes, dans un rapport sur la situation et les perspectives des finances
publiques en date du 25 juin 2008, alerte le gouvernement français sur l’aggravation de la
situation d’ensemble fin 2007 en raison d’un alourdissement du déficit et de la dette des
différentes administrations publiques64 et indique que « la révision générale des politiques
publiques (RGPP) n’a pas seulement pour objet d’améliorer la gestion des politiques et services
publics mais aussi de se prononcer sur leur légitimité à travers un examen des besoins à satisfaire,

actifs physiques, les administrations publiques ne présentent plus une dette, mais une richesse nette (37,8  % du PIB
en 2006). Celle-ci a d'ailleurs augmenté de plus de 22 points de PIB entre 1995 et 2006, ce qui veut dire que les
administrations publiques se sont enrichies sur cette période, notamment en raison de la forte valorisation des terrains
détenus par l'Etat (plus de 200 % en dix ans) », v. Mathieu Plane : économiste à l'OFCE, http://www.alternatives-
economiques.fr/pourquoi-la-france deprime_fr_pub_669.html#34813.
61
A. Gély, Les biens publics, leur financement et les partenariats public-privé, in Personnes publiques et personnes
privées dans la gestion du service public, Le droit ouvrier, avril 2008, p. 184.
62
F. Cornut-Gentille, Le ministère de la défense et la réforme budgétaire, rapport d’information n° 957, AN juin
2003.
63
Ibid., p. 43.
64
Les administrations publiques (APU) de la comptabilité nationale regroupent les organismes publics non financiers
qui ont pour principale activité une production non marchande ou la redistribution des revenus et richesses. La
majeure partie de leurs ressources est constituée de prélèvements obligatoires ou de subventions d’autres APU. Elles
sont composées de quatre sous-secteurs qui forment le périmètre des finances publiques : - l’Etat stricto sensu (29 %
du total des dépenses des APU, c’est-à-dire l’ensemble des services ministériels, services centraux et unités
déconcentrées confondus; - les organismes divers d'administration centrale (ODAC) (6 % des dépenses des APU).
Ce sont environ 800 organismes de statut varié, souvent des établissements publics à caractère administratif,
contrôlés par l’Etat. Leur définition est proche de celle des opérateurs de l’Etat ;- les administrations de sécurité
sociale (ASSO) (45 % du total des dépenses des APU) comprennent, d’une part, les régimes d’assurance sociale
incluant les régimes obligatoires de sécurité sociale, les régimes complémentaires et l’assurance chômage et, d’autre
part, les « organismes dépendant des assurances sociales » (ODASS) : hôpitaux et oeuvres sociales dotées d’une
comptabilité séparée ; - les administrations publiques locales (APUL) (20 % des dépenses des APU) comprennent
les collectivités territoriales, les groupements de communes à fiscalité propre et les organismes divers
d’administration locale (ODAL). Ces derniers sont constitués des établissements publics locaux tels que les centres
communaux d’action sociale, les services départementaux d’incendie et de secours, les collèges et les lycées, ainsi
que de certains établissements publics nationaux (parcs nationaux, chambres consulaires, agences de l’eau, etc.). V.
rapport, p. 3 et s. sur le site http://www.ccomptes.fr/CC/documents/RSFPE/RSPFPJO.pdf.

24
des objectifs visés, des moyens nécessaires et du meilleur partage des tâches entre public et privé.
Elle doit pouvoir déboucher sur la suppression d’interventions ou de services publics, ou encore
leur externalisation »65. Si le concept de « révision générale des politiques publiques » est neuf, il
s’agit d’un marronnier en droit administratif.

Derrière cette volonté affichée de rationalisation de la dépense publique, il est clair que le
qualificatif adéquat pour caractériser la politique de réforme de l’Etat n’est pas la rationalisation
mais bien évidemment l’externalisation, c’est-à-dire la prévalence de la pratique « faire faire ».
Le Livre Blanc de la défense et la sécurité nationale de juin 2008 souligne également que « les
ministères exploreront systématiquement les possibilités d’améliorer les prestations, tout en
économisant les ressources publiques au moyen de partenariats avec des entreprises privées,
rendant le même service à l’État qu’une opération en régie, notamment pour le maintien en
condition opérationnelle »66. L’utilisation de l’adverbe systématiquement montre que le « faire
faire » est le principe, la gestion en interne l’exception et ce même pour des activités se trouvant
dans le sillage ou dans l’orbite des missions de souveraineté.

24. L’année 2008 ne marque pas le début du retour en grâce de la stratégie du « faire faire ».
Le succès de l’association public/privé ne se dément pas depuis longtemps 67. Pour s’en
convaincre, il suffit de se référer à une étude diligentée par le ministère de l’Economie, des
Finances et de l’Industrie en 1997 montrant que la seule commande publique, c’est-à-dire
l’ensemble des contrats conclus à titre onéreux entre un pouvoir adjudicateur 68 ou une entité
adjudicatrice69 et les opérateurs économiques publics ou privés dans le domaine des fournitures,
des travaux et des services en vue de la satisfaction de leurs besoins, représentent 9% du PIB. En

65
V. Rapport Cour des comptes préc., p. 78.
66
Livre Blanc de la défense et la sécurité nationale, p. 293, v.
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/084000341/0000.pdf.
67
Sur l’importance et l’implantation de la gestion déléguée en 1997, v. E. Delacour, La notion de convention de
délégation de service public, thèse préc., p. 427 et s.
68
La notion de pouvoir adjudicateur est la notion utilisée pour désigner l’acheteur public dans les directives
communautaires. Elle s’est substituée dans les textes français à l’ancienne notion de personne responsable du marché
(PRM). L’article 1er alinéa 9 de la directive 2004-18 du 31 mars 2004 définit les pouvoirs adjudicateurs de la façon
suivante :« Sont considérés comme "pouvoirs adjudicateurs" : l’État, les collectivités territoriales, les organismes de
droit public, et les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités, ou un ou plusieurs de ces
organismes de droit public ».
69
Une entité adjudicatrice est un pouvoir adjudicateur exerçant des activités d’opérateurs de réseau (production,
transport ou distribution d’électricité, gaz, chaleur, eau, fourniture d’un service public dans le domaine des
transports, etc…).

25
2004, l’économie de l’achat public et de la gestion déléguée est encore plus importante, elle
monte à 19% du PIB70. L’intensification de la politique du « faire faire » est quantitative mais
aussi qualitative. Par exemple, en 2008, les marchés publics dans le secteur de la sécurité
représentent 6 milliards d’euros71 alors que ce secteur est traditionnellement perçu comme devant
relever directement de l’administration. Ces statistiques faisant une large place à la pratique du
« faire faire » ont de quoi surprendre quand on sait que le droit positif de l’organisation des
missions d’intérêt général est présenté comme s’articulant autour de deux axes : d’une part un
principe de liberté et d’autre part un principe d’indélégabilité au point qu’il est loisible de
s’interroger sur l’évolution de l’état du droit français.

70
En 2004, l’Ifen (Institut français de l’environnement) dénombrait plus de 29 000 services de distribution d’eau et
d’assainissement des eaux usées. En 2006, le nombre de contrats de délégation de service public s’élevait à 4 814
pour la distribution d’eau et à 4 068 pour l’assainissement des eaux usées, soit un total de 8 882 contrats. Les autres
services sont gérés directement par la commune ou le groupement intercommunal. Si le nombre de contrats a
tendance à diminuer, en raison du développement de l’intercommunalité, 4,5 milliards de m3 d’eau potable ont été
distribués en 2006, dont près des trois quarts par les opérateurs privés et pour l’assainissement. 3 milliards de m3
d’eaux usées ont été collectés, dont plus de la moitié des volumes concernent les services délégués. Entre 1998 et
2006, les collectivités ont lancé chaque année entre 477 et 693 procédures de mise en concurrence pour la gestion de
leur service d’eau ou d’assainissement. Les dernières données de l’Ifen font apparaître 2004 comme une année
record avec 693 procédures. La durée moyenne des contrats signés en 2004 a été de 11,3 ans. 68 % des contrats ont
été signés pour 12 ans. En moyenne, lors d’une procédure de remise en concurrence d’un service d’eau ou
d’assainissement, le taux de contrats faisant l’objet d’un changement d’opérateur est compris entre 8 et 10 %.
L’année 2007 marque un pic en termes de procédures de mise en concurrence sur la période 1998-2007 Le
phénomène très largement majoritaire (96 %) est celui du maintien du mode de gestion initial. 3 % des procédures
ont abouti à un abandon de la régie en faveur de la délégation et 1 % au passage de délégation en régie. Par ailleurs,
les trois quarts du parc d’usines d’épuration sont constitués d’usines de petite taille, de moins de 2 000 équivalents-
habitants (EQH). Les opérateurs privés exploitent 56 % du parc d’usines compris entre 2 000 et 10 000 EQH, 57 %
des ouvrages de 10 000 à 50 000 EQH et 62 % des ouvrages de plus de 50 000 EQH. Le parc d’usines d’épuration
selon la taille en équivalent-habitant. L’assainissement collectif est organisé plutôt en communal. La gestion est
publique dans 60 % des communes, ce qui concerne la moitié de la population raccordée au réseau. Ce service
s’oppose à l’alimentation en eau potable dont la gestion est majoritairement déléguée à des entreprises privées.
Cependant, la gestion publique est surtout le fait des communes de moins de 2 000 habitants et de celles de plus de
50 000 habitants, alors que les communes moyennes ont plutôt opté pour une gestion privée de leur réseau
d’assainissement. La gestion déléguée de la collecte, comme du traitement, concerne la moitié de la population et les
longueurs de canalisations entretenues par les collectivités ou par des opérateurs privés sont pratiquement identiques
(Source, IFEN, Les services publics de l'assainissement en 2004 (n° D10) - Janvier 2008). En 2006, les opérateurs
privés ont réalisé un chiffre d’affaires de 5,1 milliards d’euro hors taxes dans le domaine de l’eau et de
l’assainissement en France dont 4,73 milliards d’euro pour la délégation de services et 0,37 milliard d’euro pour les
autres prestations aux collectivités locales. Ce chiffre représente environ 1 % du chiffre d’affaires des services
marchands en France (services aux entreprises et aux particuliers). En termes de population, les opérateurs privés
gèrent 72 % des services d’eau potable et 55 % des services d’assainissement (Source, Rapport BIPE / FP2E 2008).
Enfin pour terminer, notre exposé statistique très partiel donnant un aperçu de l’état ou plutôt de l’économie de la
gestion déléguée en France, il convient de noter que l’exploitation du réseau de transport urbain est déléguée à des
entreprises privées de transport dans 90 % des cas. Trois groupes français se partagent 81 % du marché des
transports urbains hors Ile-de-France (Source site Science et décision octobre 2006, v. site http://www.science-
decision.fr/cgi-bin/topic.php?topic=TRA&chapter=3).
71
V. dossier sur la sécurité publique, in La Gazette du 18 février 2008, p. 26

26
25. C’est parce que l’intérêt financier fait partie intégrante du concept d’intérêt général que la
transformation du droit de l’organisation des missions d’intérêt général est appelée à se réaliser et
ce également dans le périmètre des activités réputées indélégables. Nos contradicteurs ne
manqueront pas de souligner qu’au regard des études empiriques fondées sur l’expérience des
pays voisins, rien ne dit que la montée en puissance de la contrainte gestionnaire implique
forcément une obligation pour les personnes publiques de recourir au « faire faire ». L’intérêt
économique de la politique du « faire faire » est encore à démontrer et à ce titre M. le Professeur
Philip à l’occasion d’un colloque organisé sur la thème des prisons dites « privées » affirme que
« je n’arrive pas à comprendre comment cela coûte moins cher d’avoir recours à la gestion privée
que d’avoir directement la responsabilité d’une opération. Il faut bien que quelqu’un paie et il
faut bien que le secteur privé fasse des bénéfices ! »72.

26. Pourtant, la croyance en la supériorité de la gestion déléguée est fortement installée dans
les élites politiques françaises et communautaires73. Dans l’esprit des prosélytes du libéralisme
économique, la pratique du « faire faire » est le mode normal de gestion des tâches d’intérêt
général dans une économie de marché qui est « une économie où une partie substantielle de
l’activité économique est organisée autour d’institutions appelées marchés donnant un rôle
essentiel aux ajustements de prix »74. Dans une économie de marché, le profit n’est pas « le résidu
comptable mais le moteur des choix économiques ; il sanctionne l’action »75. Etant donné que la
fixation des tarifs des activités de services publics dans le cadre de la gestion déléguée est
enserrée dans la double limite du principe d’équilibre et du bénéfice raisonnable (ou de juste
rémunération76), le calcul économique est plus présent dans ce système.

72
L. Philip, Les Prisons dites « privées ». Une solution à la crise pénitentiaire ?, PUAM 1987, p. 66.
73
V. la contribution de l’Institut de la Gestion Déléguée intitulée « Pour une initiative française en faveur des
partenariats public/privé », in Le Moniteur 4 octobre 2002, p. 43.
74
R. Guesnerie, L’économie de marché, éd. Le Pommier, 2006, p. 22.
75
R. Guesnerie, L’économie de marché, op. cit., p. 22.
76
Le juge français a toujours admis que le concessionnaire de service public avait le droit, par la perception des
tarifs, à une « rémunération normale » ou juste rémunération, v. CE, 23 mai 1936, Commune du Vésinet, rec. p. 591 ;
v. aussi C. Bettinger, La concession de service public et de travaux publics, Paris, Berger-Levrault (coll. «
L’administration nouvelle »), 1978, p. 118. Le principe de juste rémunération est également inscrit dans la loi
d’orientation des transports intérieurs dite LOTI (Loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982, d’orientation des transports
intérieurs, dite « LOTI », JORF du 31 décembre 1982, p. 4004) qui prévoit en son article 6 que « les conditions dans
lesquelles sont exécutées les opérations de transport public, notamment la formation des prix et tarifs applicables et
les clauses des contrats de transport permettent une juste rémunération du transporteur assurant la couverture des
coûts réels du service rendu dans des conditions normales d'exploitation ».

27
27. L’arrêt Altmark de la Cour de justice des communautés en date du 24 juillet 2003 dont la
solution a été réaffirmée dans la décision BUPA du TPI du 14 février 2008 77 confirme le rang
privilégié de la doctrine du «faire faire » en droit communautaire. Comme l’écrivent les
Professeurs, G. J. Guglielmi et G. Koubi, « le quatrième critère de la jurisprudence Altmark
suppose que la modalité de droit commun de l’attribution d’obligation de service public n’est pas
la gestion directe, ni même la délégation de service public, mais bien le marché public »78 car le
marché public est la catégorie contractuelle qui dispose du régime juridique le plus contraignant
en termes de publicité et de mise en concurrence ce qui laisse entendre que le choix final sera le
plus rationnel, le plus efficient.

28. Cette position peut paraître déconcertante dans la mesure où les instances communautaires
et la jurisprudence de la Cour de justice reconnaissent que les traités CE et UE confèrent aux
Etats membres la liberté de définir des missions d'intérêt général et d'établir librement les
principes d'organisation de ces services79. Mais dans l'exercice de cette liberté, les Etats membres
doivent tenir compte du droit communautaire lorsqu'ils déterminent les modalités de mise en
oeuvre des objectifs et des principes qu'ils ont fixés. En outre, lorsqu'il s'agit de services
économiques, la compatibilité de leurs modalités d'organisation avec les principes du droit
communautaire est supposée se réaliser au moyen de la stratégie du « faire faire » des missions
d’intérêt général dans la mesure où la gestion déléguée est réputée « mieux adaptée aux principes
du droit communautaire que la gestion directe »80. Le Conseil d’Etat dans son rapport de 2002 sur
le thème « Collectivités publiques et concurrence » souligne que « la communication
interprétative de la Commission de 2000 laisse assez clairement entendre que les entreprises
privées sont, par nature, mieux à même que les collectivités publiques de satisfaire certains
besoins » et « l’externalisation permet une mise en concurrence des opérateurs potentiels »81.
L’inapplication du droit de la commande publique « risquerait non seulement de créer un obstacle
à la libre concurrence, mais également de porter préjudice à une gestion saine des finances et à

77
G. Fabre, D. Crevel-Sander ,L’arrêt BUPA du TPI du 14 février 2008 et la mise en oeuvre des principes posés dans
l’arrêt Altmar , European Law Network, n°1/2008, p.
78
G.J. Guglielmi, G. Koubi, Droit du service public, op.cit., p. 193
79
CJCE 19 mai 1993, Corbeau, C-320/91 ; CJCE 27 avril 1994, Commune d’Almelo, C-393/92 ; v. aussi COM
(2000) 580 final, JOCE 2001, C-17, p. 14 ; J.-Y. Chérot, Droit public économique, op.cit., p. 269 et s.
80
G. Quiot, Ordre concurrentiel et service public, in L’ordre concurrentiel, Mélanges en l’honneur d’A. Prirovano,
éd. Frison-Roche, p. 95.
81
Rapport CE 2002, Collectivités publiques et concurrence, EDCE n°53, p. 342.

28
une allocation efficace des ressources publiques »82. La production normative de la Commission
va dans le sens d’une « dépublicisation » des modes de gestion de service public.

29. En 2000, la Commission fait une proposition de règlement relatif aux transports de
voyageurs83. Ce texte prévoyait que l’exploitation de ce secteur devra s’opérer sur la base de
contrats de service public conclus après une mise en concurrence ce qui marginalisait donc en fait
le recours à la régie84. Le recours au contrat de service public était déjà largement privilégié dans
le règlement n°1893/1991 qui a introduit un nouvel article 14 dans le règlement n°1191/69
cependant la proposition de règlement du 26 juillet 2000 a provoqué une levée de boucliers
notamment en France car ce système avait pour effet de remettre en cause la liberté des personnes
publiques de choisir le mode de gestion des services publics.

30. En 2007, le règlement n° 1370/2007 portant sur le transport par chemin de fer et par
route85 érige le contrat de service public en mode normal de gestion des activité d’intérêt
économique général dans la mesure où une mise en concurrence permet « de rendre ces services
plus attrayants, plus innovants et moins chers »86. Ce texte est néanmoins le fruit d’un compromis
politique entre les différents Etats membres. Il prévoit en effet « la possibilité d’instaurer des
exceptions à l’obligation d’une mise en concurrence ex ante notamment par le maintien de
mécanismes d’attribution directe, par l’utilisation plus aisée d’opérateurs internes »87. En
revanche, le règlement oblige les Etats « à mettre en place des voies de droits rapides et efficaces
pour offrir aux concurrents malheureux la possibilité de contester l’attribution des contrats de
service publics ou les raisons pour lesquelles l’attribution directe a été privilégiée par l’autorité
organisatrice »88. Il n’empêche qu’en vertu de ce texte et de la jurisprudence communautaire sur
les compensations de service public (arrêt Altmark de la CJCE et décision BUPA du TPI), les
82
G. Marchegiani, « Les relations in house et le syndrome du cheval à bascule. Quelques considérations à propos de
l’arrêt Stadt Halle », RMCUE, n°494, janvier 2006.
83
Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’action des Etats membres en matières
d’exigences de service public et à l’attribution de contrats de service public dans le domaine des transports de
voyageurs par chemin de fer, par route et par voie navigable (COM. 2000.7 final).
84
G. Quiot, Ordre concurrentiel et service public, chron. préc., p. 91.
85
Règlement du 23 octobre 2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route,
JO n°L. 315 du 3 décembre 2007, p. 1.
86
Considérant n°7 du règlement n°1370/2007.
87
M. Karpenschif, Contrat de service public et transport de voyageurs : nouvelles règles pour un nouvel essor ?, JCP
A, 18 février 2008, n°2038.
88
M. Karpenschif, Le financement des obligations de service public : vers une généralisation des contrats de service
public ?, BJCP 2008 n°59, p. 238 ; v. article 5 du règlement n°1370/2007.

29
autorités organisatrices de service public ne peuvent que constater qu’ « il est fait entorse à la
liberté de choix du mode de gestion alors que jusqu’ici seuls les grands services publics en
réseaux avaient fait l’objet d’obligation en la matière »89.

31. Cette tendance n’est que le prolongement naturel de l’encadrement communautaire du


droit de l’organisation des grands services publics en réseaux. La politique de libéralisation mise
en place par les instances communautaires au milieu des années 80 dans le but de créer un
marché unique visant à « promouvoir un développement harmonieux, équilibré et durable des
activités économiques, un niveau d'emploi et de protection sociale élevé »90 a, il est vrai,
reconfiguré le logiciel du « faire faire » en France. La construction européenne a favorisé tout
d’abord la propagation de cette modalité organisationnelle à des secteurs hautement intégrés à la
personne étatique, ensuite, elle a amorcé un processus d’internalisation d’objectifs de service
public dans la sphère concurrentielle s’apparentant à une forme de « faire faire » et enfin, elle a
enjoint un mouvement à la « dé-intégration »91 obligeant les opérateurs à « faire faire »92 certaines
missions réalisées auparavant en interne afin de prévenir toute abus de position. La question du
« faire faire » au marché n’a pas pour corollaire moins d’Etat mais un Etat autrement, et c’est à
notre sens la voie tracée par le droit communautaire : le secteur privé constituant le lieu de
l’énergie publique. La conception européenne repose sur l’idée selon laquelle un système sans
marché est aussi peu crédible que celle d’un marché sans Etat93.

32. En droit communautaire, la concurrence est un moyen de satisfaire l’intérêt général, et la


stratégie du « faire faire » est perçue comme un élément probant du respect du droit de et à la
concurrence. La politique du « faire faire » est un vecteur fondamental pour la pérennité de
l’économie de marché car le secteur des missions d’intérêt général est susceptible d’offrir de
nouvelles opportunités d’accumulation du capital dans des conditions de coût favorables. Ce
cadre de création des richesses révèle une mutation du kéynésianisme parce que de l’Etat
89
Rapport CE 2002, Collectivités publiques et concurrence, op. cit. p. 343.
90
article 2 TCE.
91
Sur ce concept, v. M. Bazex, La dissociation-désintégration des fonctions autres que celles de régulateur et
d’opérateur, Colloque CEDECE, L’entreprise dans le marché unique sous la direction de Jean-Bernard Blaise,
Jacqueline Dutheil de la Rochère, Colette Nême, Documentation française, 1995 ; C. Stoffaës, Services publics
questions d’avenir, Ed. Odile Jacob, 1995, p. 178 et s. ; G. Savary, L’Europe va-t-elle démanteler les services
publics ?, L’Aube essai, 2005, p. 44.
92
J.-B. Auby, Droit de la concurrence et schémas institutionnels, DA juillet 2008, Repère n°7, p. 1.
93
J. Hicks, Une théorie de l’histoire économique, 1969, édition du Seuil.

30
Providence qui soutenait la demande au cours de l’épisode des "trente glorieuses", la
marchéisation et la financiarisation des activités d’intérêt public conduisent à l’avènement d’un
Etat Providence pour le capitalisme « actionnarial »94. Il est possible de rapprocher cette théorie
du constat fait par le Conseil économique et social dans son avis concernant « la maîtrise des
services publics urbains organisés en réseaux »95 aux termes duquel la gestion des services
publics constitue « un marché émergent »96, d’autres parleront de marché artificiel97.

33. Le sujet qui nous intéresse est sans cesse rattrapé par l’actualité. A la suite de l’adoption
de la directive n° 2008/6 du 20 février 2008 modifiant la directive n°97/67/CE en ce qui concerne
l’achèvement du marché intérieur des services postaux de la Communauté, le dossier du
changement du statut de la Poste et de l’ouverture de son capital est désormais officiellement pris
en charge par le gouvernement français98. Et s’il fallait en une mesure normative résumer le
changement de l’état du droit de l’organisation des missions d’intérêt général, la loi n° 2008-660
du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire est en tête des textes pouvant prétendre à cette qualité.
La réforme des ports autonomes métropolitains, qui prennent désormais le nom de « grands ports
maritimes » (GPM), s'engage notamment autour de deux idées fortes : la valorisation de la
doctrine du « faire faire » et le recentrage du périmètre d’action directe des ports sur les missions
d'autorité publique (accès maritimes, police portuaire, sécurité et sûreté).

34. La spécialisation de l’Etat et le désengagement progressif de celui-ci dans les opérateurs


historiques gérant les grands services publics au nom d’impératifs financiers et concurrentiels ne
signifie-t-elle pas moins d’Etat, voire plus d’Etat ? En 1992, M. Long s’interrogeait sur l’avenir
de l’Etat99. S’il est vrai qu’il y a moins d’Etat prestataire de service, il doit y avoir plus d’Etat
« prestataire de normes ». La crainte est que cette montée en puissance des acteurs privés dans le
champ des missions d’intérêt général impose une domination sans partage des intérêts privés et
marchands au détriment des préoccupations de service public. Un véritable débat idéologique

94
B. Laperche et M. D. Uzunidis, Etatisme et marchéisation du secteur public. Le cadre d’une régulation keynésiano-
libérale, v. http://riifr.univ-littoral.fr/wp-content/uploads/2007/04/doc63.pdf.
95
Cf. Avis adopté le 24 avril 2001 et qui figure dans le cahier détaché n° 2 du Moniteur, 11 oct. 2002.
96
Ibid., p. 24.
97
Cf. C-A. Morand, L’Etat propulsif, Publisud 1991, p. 179.
98
V. Les Echos du 8 septembre 2008, p.26.
99
M. Long, Quel avenir pour l’Etat ?, RFAP 1992, n°61, p. 117.

31
oppose ceux qui estiment que le « faire faire » est nécessairement un risque incontrôlable à ceux
qui pensent qu’il contraint à mieux définir les attentes, à mieux diriger les résultats.

Au premier abord, ce processus semble remettre en cause le rôle de l’Etat, comme le


montre la multiplication des théories sur le délitement ou l’impuissance de l’institution étatique.
Cependant, cette « décharge » de l’action publique sur les entreprises privées, loin de
correspondre automatiquement à une destruction de l’Etat, peut s’apparenter à sa reconfiguration
dans un contexte d’accroissement des contraintes. Il ne faut pas perdre de vue que la délégation
d’activité d’intérêt général ne correspond pas à un abandon, à un délaissement parce que le « faire
faire », par définition, interdit que la personne publique ne se décharge totalement sur la sphère
privée. Parler de « faire faire » suppose qu’elle doit toujours conserver des pouvoirs de contrôle.
Même dans les activités délégables, il y a des matières qui sont indélégables afin de matérialiser
le rattachement de la mission à la sphère administrative100.

35. A la suite de ces observations, il est normal de s’interroger sur la pertinence de


l’expression de « stratégie du faire faire ». Il faut en effet être prudent quant à l’emploi du terme
de stratégie qui correspond à un ensemble des choix d'objectifs et de moyens orientant à moyen et
long terme les activités d'une organisation. Or au nom de considérations gestionnaires et
concurrentielles, le droit de l’organisation des missions d’intérêt général semble être un pouvoir
sous contraintes. L’intérêt de notre étude provient de l’absence de travaux sur la question de la
liberté du choix entre le faire et le « faire faire ». Cette problématique n’a jamais eu la position
qu’elle méritait dans les recherches doctrinales ce qui est d’autant plus préjudiciable que
plusieurs époques se sont succédées sous l’œil des juristes quant à la place du procédé du « faire
faire » dans le droit de l’organisation des missions d’intérêt général (Partie 1). L’étude du droit
consacré est un préalable indispensable afin de saisir les enjeux de l’évolution annoncée du droit
de l’organisation des missions d’intérêt général (Partie 2).

III. PROPOSITION DE PLAN

100
V. A.-S. Mescheriakoff, Droit des services publics, PUF 1997, p. 268 et s.

32
PARTIE 1 : LA PLACE AMBIVALENTE DE LA STRATEGIE DU « FAIRE FAIRE »
DANS LE DROIT CONSACRE DE L’ORGANISATION DES MISSIONS D’INTERET
GENERAL

PARTIE 2 : LA PREGNANCE DE LA DOCTRINE DU « FAIRE FAIRE » DANS LE


DROIT EN DEVENIR DE L’ORGANISATION DES MISSIONS D’INTERET GENERAL

PARTIE 1 : LA PLACE AMBIVALENTE DE LA STRATEGIE DU


FAIRE FAIRE DANS LE DROIT CONSACRE DE
L’ORGANISATION DES MISSIONS D’INTERET GENERAL

33
36. Le droit administratif français n’est pas né au lendemain de la Révolution française
comme la résultante de la concrétisation du principe de séparation des pouvoirs 101. La
construction de ce corps normatif provient d’un double mouvement : la création des
communautés seigneuriales et villageoises au niveau local à l’époque féodale et le renforcement
du pouvoir central sous l’Ancien Régime. Les ouvrages historiques montrent très clairement que
l’organisation de la cité au Moyen-Age repose non pas sur un droit administratif mais sur un droit
de l’administration des intérêts des suzerains qui s’est ensuite transformé en un droit de
l’administration de l’intérêt collectif 102. Le premier enseignement à tirer de « ce droit
administratif avant la lettre »103 est qu’il existe une pratique récurrente voire systématique du
« faire faire ». Cependant, il est difficile de parler d’un véritable droit de l’organisation des
missions d’intérêt public, il n’y a pas de règles en ce domaine. Si les suzerains sont en apparence
libres de déterminer les modes de réalisation des activités d’utilité commune, en réalité cette
liberté se réduit à peu de choses au regard des insuffisances des structures administratives. Il
n’existe pas un principe juridique de liberté d’organisation ou d’interdiction de déléguer, ce sont
les circonstances des espèces, les contingences matérielles et les leçons des expériences passées
qui conditionnent le choix du faire ou du « faire faire ». C’est pourquoi nous pensons que
l’époque féodale et l’Ancien Régime sont caractérisés par une ébauche empirique des règles
d’organisation des missions d’intérêt général (Titre liminaire).

37. Cette propension à la collaboration public/privé justifiée par le souci de préserver les
finances publiques et d’enrichir le Trésor royal est partiellement contrariée à compter de la
Révolution de 1789. Le recours privilégié au « faire faire » ne peut se développer qu’en raison
d’un encadrement de plus en plus strict par l’administration des modalités de passation des
contrats de travaux et de service publics. L’époque révolutionnaire ouvre l’ère du libéralisme
politique. Le 19e siècle serait caractérisé par l’ancrage du libéralisme économique en France104
mais une analyse de la réalité historique montre que l’adhésion du personnel politique à ces deux
idéologies n’est pas totale. Sur cette période, la pratique du « faire faire » s’impose pour les
services publics économiques, il n’empêche que jamais la controverse sur les bienfaits de la
101
J.-L. Mestre, Introduction historique du droit administratif, PUF 1985, p. 11 et s.
102
L’évolution du droit public. Etudes offertes à Achille Mestre, Paris, Sirey, 1956.
103
A. Rigaudière, Saint-Flour, ville d’Auvergne au Bas Moyen Age. Etude d’histoire administrative et financière,
Paris PUF 1982, t. 2, p. 652.
104
L. Girard, Le libéralisme en France de 1814 à 1848, Centre de documentation universitaire, 1970 ; v. aussi L.
Girard, Le libéralisme de 1830 à 1875, UNEF 1967.

34
gestion déléguée n’a été aussi vive. En effet, pendant tout le 19 e siècle et la première moitié du
20e siècle, il n’y a pas eu une consécration d’un principe général de liberté d’organisation des
missions d’intérêt général. La reconnaissance ultérieure du principe de libre organisation est le
résultat d’un long combat intellectuel opposant les prosélytes du « faire faire » aux partisans de la
gestion en régie. Ainsi, la période de l’entre deux guerres a vu se dessiner au gré des expériences
réussies ou funestes de la gestion déléguée, un courant doctrinal et jurisprudentiel favorable à la
régie directe notamment pour les activités industrielles et commerciales (Titre 1). Néanmoins, la
portée du principe de libre choix du mode de gestion est matériellement circonscrite. Ce principe
ne concerne pas l’ensemble des activités d’intérêt général. Tout au long de l’histoire de la gestion
administrative, le commentateur assiste à l’érection d’un dogme de service public indélégable en
raison de leur nature (Titre 2).

TITRE LIMINAIRE : L’EBAUCHE EMPIRIQUE DES REGLES


D’ORGANISATION DES MISSIONS D’INTERET GENERAL A
L’EPOQUE FEODALE ET SOUS L’ANCIEN REGIME

38. Le démantèlement de l’Empire romain a ouvert une période de près de mille ans dont la
spécificité est la disparition du pouvoir central et l’absence de tout système commercial et
monétaire. L’organisation de la production de biens dans la société féodale est caractérisée par

35
l’extorsion du travail105. Ces modalités de production touchent aussi les biens d’utilité commune
dont bénéficient le seigneur, propriétaire éminent et détenteur de prérogatives de puissance
publique et les vassaux. Dès lors, il ne faut pas parler de stratégie du « faire faire », car au
Moyen-Age, il n’y a l’existence d’aucun choix, il n’y a l’élaboration d’aucune stratégie dans le
fait de déléguer à un tiers des activités qui relèvent de la compétence du suzerain. D’ailleurs,
l’emploi même de l’expression « faire faire » n’est pas des plus heureuses car à l’époque féodale,
il n’y a pas de sphère publique ou de sphère privée. La division du travail ne s’établit pas sur un
accord de volonté mais sur la base de fidélités personnelles dans le cadre d’une hiérarchie sociale.

39. Cependant, à peine la société féodale créée, les causes de sa déstructuration surgissent par
la mutation de la rente en travail en rente en nature ou en argent, par l’organisation du travail
libre, par les formes de propriétés paysannes, par le développement du commerce, par la reprise
de la vie urbaine et enfin par l’émergence d’une bourgeoisie commerçante. Cette reconfiguration
des rapports entre les habitants de la cité implique un accroissement des besoins en biens et en
services publics106. La satisfaction de ces missions d’utilité commune nécessite une
administration puissante et importante, or, le pouvoir royal et féodal est incapable d’assurer
matériellement et financièrement lui-même la réalisation de ces activités. Les suzerains délèguent
donc à des sujets des fonctions administratives et des tâches d’utilité commune qui seraient
considérées aujourd’hui comme inconcessibles. Le développement de la pratique du « faire
faire » s’explique aisément aussi par l’irrésistible ascension du capitalisme industriel et
commerçant.

40. La société féodale est construite sur l’idée même de concession entre le Roi, suzerain des
suzerains, et les seigneurs. Sur les territoires placés sous l’autorité des suzerains, ces derniers
gèrent les fiefs concédés comme un propriétaire le ferait sur sa chose 107. Dès lors, il n’a d’autres
obligations à satisfaire que morales, que celles qu’il se pose ou s’oppose à lui-même. Toutefois, «
il est de son propre intérêt de créer des structures qui, renforçant son pouvoir sur ces sujets,
constituent des formes initiales des services pouvant être mis, par la suite, en commun »108. Ainsi,
105
J. Boncoeur et H. Thouément, Histoire des idées économiques, tome 1 De Platon à Marx, Nathan 1994, p. 29 et s.
106
A. Resende Hernâni, Socialisme utopique et question agraire dans la transition du féodalisme au capitalisme,
Paris, Centre d’études et de recherches marxistes 1976 ; v. aussi M. Beaud, Histoire du capitalisme (1500à nos
jours), éd. du Seuil, 2000, p. 17 et s.
107
G. Duby, Guerriers et paysans, Gallimard 1973, p. 49 et s.
108
G. J. Guglielmi, G. Koubi, Droit du service public, op. cit., p. 18.

36
les seigneurs ont très souvent installé divers équipements et services hautement nécessaires à la
vie des communautés villageoises assises sur leur fief. Au fur et à mesure que l’activité
commerciale se développe sur le domaine du seigneur, il émerge un concept de chose publique né
de la prise de conscience des intérêts collectifs dans la cité préjugeant de la teneur et de la
signification de la future notion de service public109. M. et Mme les professeurs Guglielmi et
Koubi notent que « dès le 14e siècle, la plupart des textes préconisant l’institution des services
d’intérêt collectif se réfèrent à la notion de bien commun sous des dénominations variables :
commun profit, bien public, bien de la chose et utilité publique »110. A côté de l’instauration de
services destinés à protéger le domaine, des services de première nécessité indispensables à la vie
quotidienne sont également mis en place comme les services de lutte contre les fléaux, les
services de construction, de nettoiement, d’entretien des voies, d’enlèvement des ordures et les
services hospitaliers. Cependant, le fonctionnement de ces services suppose le déploiement d’une
administration importante et de moyens financiers conséquents. Pour éviter la dépréciation du
trésor royal et seigneurial, les administrateurs des domaines ont développé une politique du
« faire faire » qui se concrétise au moyen de l’exigence d’une contribution personnelle.

41. La création de services d’utilité commune est simultanément un avantage et un


inconvénient pour les sujets car ils sont obligés de participer personnellement aux activités de la
cité. La concrétisation de la pratique du « faire faire » à l’époque médiévale passe par le pouvoir
de police notamment par l’instauration de la corvée qui permet, tout en réalisant les missions
d’intérêt commun, de préserver les deniers publics. Les peuples barbares qui ont envahi la Gaule
romaine ont importé avec eux les institutions et les coutumes auxquels ils étaient soumis. Parmi
les outils du droit germanique, ils ont apporté l’institution connue sous le nom de trinoda
necessitas correspondant aux charges de l’entretien des châteaux ou forteresses et à l’obligation
de réparer les routes et les ponts111. Sous les rois Francs Mérovingiens comme à l’époque
romaine, l’autorité centrale a donc fait exécuter par corvées les travaux d’intérêt général. Le
régime féodal dont l’avènement s’est fait sur les miettes de l’empire carolingien a partagé le droit
de corvée entre le Roi, suzerain des suzerains et les seigneurs féodaux112. Cette corvée consiste
encore en l’accomplissement de travaux manuels par les serfs et les roturiers. Elle peut servir les
109
J.-L. Mestre, Introduction historique au droit administratif français, op.cit., p. 36.
110
G. J. Guglielmi, G. Koubi, Droit du service public, op. cit., p. 28.
111
F.-P. Clément, La corvée des chemins en France et spécialement en Poitou, thèse Potiers 1899, p. 10.
112
Ibid., p. 14.

37
seuls intérêts personnels du suzerain. Certains auteurs écrivent que la corvée seigneuriale « n’est
plus une institution d’intérêt public, mais un principe du droit privé seigneurial soumis aux règles
ordinaires du droit féodal »113. En revanche, elle vise aussi à la réalisation de missions d’intérêt
collectif comme l’entretien des chemins ou des ponts, le nettoyage et le pavage des rues, la
construction de digues ou le curage des ruisseaux. Dans le cas des corvées ayant pour finalité la
réparation, la construction ou la conservation des dépendances des bâtiments seigneuriaux, il faut
y voir la satisfaction d’un besoin personnel du « puissant » mais aussi d’un besoin collectif car les
moulins ou les châteaux eux-mêmes servent l’ensemble de la population notamment en
constituant un abri pour les sujets dans l’hypothèse d’une attaque ennemie.

Il convient d’ajouter un autre service exigé par le suzerain, c’est le service armé. En effet,
les hommes du domaine seigneurial doivent assurer un service de guet afin de prévenir toute
offensive. Ce service armé ne se limite pas à rester en ronde en haut des murs ou du donjon du
château, il suppose également, quand la classe combattante n’est pas sur le territoire,
l’organisation d’une garde114. Peut-on voir dans cette exigence de service personnel une
matérialisation de la politique du « faire faire » ? Sur le plan formel, il y a bien une délégation
d’activités à un tiers, il y a indéniablement une intervention des serfs et des roturiers dans
l’accomplissement des missions d’intérêt commun qui relèvent de la compétence du propriétaire
du domaine. Toutefois, au regard de l’analyse substantielle, pour parler de « faire faire » ou de
concession, il faut encore dissocier deux sphères juridiques distinctes. Or, dans la société féodale,
les individus demeurant sur le territoire seigneurial ne font qu’un avec leur suzerain car le
système féodal repose sur le dévouement personnel, une relation de type domestique115.

42. A compter du 11e siècle, la société féodale est en pleine décomposition sous l’effet de
l’émancipation urbaine116. Le réveil économique et l’augmentation de la production agricole
poussent le seigneur à reconnaître aux communautés villageoises le droit de s’administrer elles-
mêmes sous la forme de communes ou de consulats 117 grâce à la « concession de commune », le

113
Rambaud, Histoire de la civilisation française, 1887, tome 2, p. 504.
114
J.-L. Mestre, Introduction historique au droit administratif français, op. cit., p. 26 et s. ; v. L. Bertrand, Du
concours des particuliers et des organismes privés au maintien de l’ordre public, thèse préc., p. 107 et s.
115
M. P. Jourdan a écrit en ce sens que le féodalisme est caractérisé par la négation relative de la distinction
public/privé, in La formation du concept de service public, RDP 1987, p. 94 et s.
116
J.-L. Mestre, Introduction historique au droit administratif français, op. cit., p. 55.
117
J.-L. Mestre, Les racines seigneuriales du droit administratif, AEAP, t. 4, 1981, p. 783 et s.

38
transfert du ban permettant de fixer des règles de vie en communauté. Les communautés
villageoises disposent d’installations essentielles à la vie de la cité comme des moulins, des fours,
des pressoirs ou des bancs de boucheries. Les autorités municipales ont, sur le modèle de
l’organisation de la vie sur le domaine du seigneur, imposé des services personnels aux habitants
du bourg pour la construction et la réparation des fortifications, l’entretien des chemins et des
ponts118. Le service personnel comprend également l’injonction faite aux villageois de prendre
part à la défense de la cité soit de manière passive, le guet, soit de manière active, l’intégration
dans la milice. La corvée a été le moyen le plus efficace et le moins onéreux pour assurer les
travaux publics, mais la corvée a été en même temps la cible des critiques les plus virulentes
proférées par les sujets des seigneurs et du Roi. Il n’empêche que durant toute la période de
l’Ancien Régime et jusqu’à l’aube de la Révolution, la corvée n’a jamais cessé de fonctionner au
profit des seigneurs dont elle constituait l’un des principaux privilèges119. Reprenant à son compte
les idées de Henri IV et de Sully en matière de travaux publics, Colbert a considéré qu’en
principe les équipements publics seraient exécutés par voie d’adjudications à des entrepreneurs
afin d’assurer des ouvrages d’art de qualité 120. Cependant, par réalisme politique et surtout par
souci de préserver les finances publiques, Colbert a infléchi sa position. Ce dernier exige alors
que si les circonstances rendent nécessaires de commander des corvées, ces dernières doivent être
scrupuleusement exécutées pour ne pas réitérer à nouveau les abus des corvées seigneuriales121.

43. La généralisation de la corvée par Orry en 1738 comme moyen de réparation des routes
est décidée car l’Etat est dans l’impossibilité matérielle de prendre directement à sa charge ces
travaux122. Cette mesure est considérée par les physiocrates comme une hérésie, un obstacle au
développement économique123. C’est l’édit de février 1776 qui abroge définitivement le procédé
de la corvée à l’initiative de Turgot. Les inconvénients de l’exigence de la contribution
personnelle pour l’accomplissement des services d’intérêt commun sont évidents pour certains
auteurs et comme l’écrit le Professeur J.-L. Mestre, « plutôt que d’astreindre les habitants à des

118
J.-L. Mestre, Introduction historique au droit administratif français, op. cit., p. 71 et s.
119
F.-P. Clément, La corvée des chemins en France et spécialement en Poitou, thèse. préc., p. 38.
120
F.-P. Clément, Histoire de Colbert, 3e éd., II, p. 131.
121
F.-P. Clément, La corvée des chemins en France et spécialement en Poitou, thèse préc., p. 45.
122
Ibid., p. 53 et s.
123
V. Y. Charbit, L’échec politique d’une théorie économique : la physiocratie, Population volume 57, 2002/6 ; v.
aussi C. Loïc,, La liberté du commerce des grains et l’économie politique française, (1750-1770), thèse pour le
doctorat ès sciences économiques, Université Paris I, 1999.

39
corvées impopulaires, elles (les communautés de communes) mettent aux enchères l’exécution de
certains travaux en recourant à la concession, au bail à cens ou à l’affermage »124. De même sous
l’Ancien Régime, l’échec de la prise en charge par les habitants eux-mêmes du ramassage des
ordures et du nettoiement du pavé à Paris amène Henri IV à conclure un traité de concession et
un marché de longue durée. C. Voisin doit construire et entretenir le pavé de Paris dans un bail en
1605 et l’enlèvement des ordures ménagères est délégué pour trente ans à R. Vedel, capitaine de
l’artillerie du Roi, qui est rémunéré directement par la puissance publique par le versement d’un
prix125.

44. Malgré les limites de ce système, c’est ce procédé qui a permis à la France en 1789 de
disposer d’un réseau de grandes voies de communications. Ainsi, F.-P. Clément conclut sa thèse
sur la corvée des chemins en France de la manière suivante : « il serait sans doute inexact de voir
dans l’emploi des corvées comme mode d’entretien ou d’établissement des voies de
communications, le régime le plus parfait et le plus normal que l’on puisse concevoir dans
l’exécution des grands travaux publics. On doit reconnaître, au contraire, qu’il n’y eut là qu’un
expédient dont usèrent des gouvernements, soucieux sans doute de l’intérêt général, mais
auxquels des nécessités financières ne permettaient pas de consacrer les fonds indispensables à
l’exécution des ouvrages de cette nature »126.

45. La délégation de service public en France n’est pas née avec la loi Sapin de 1993, elle
remonte dans sa forme « préhistorique » à l’époque féodale127. L’accomplissement des activités
d’utilité commune ne se réalise pas seulement au moyen de la police, souvent les seigneurs ont
recours à l’outil de la concession en fief de tâches administratives pour satisfaire les besoins des
gens du domaine. La référence à la notion de concession bien connue des administrativistes ne
doit pas occulter le fait que cette pratique féodale est éloignée du système de la délégation de
service public. Le concessionnaire, à l’époque féodale, ne se contente pas d’exécuter une activité,

124
J.-L. Mestre, Introduction historique au droit administratif français, op.cit., p. 87.
125
X. Bezançon, Rétrospective sur la gestion déléguée du service public en France, RFDA 1997, n° spéc., p 19 ; v.
aussi X. Bezançon, Essai sur les contrats de travaux et de services publics. Contribution à l’histoire administrative de
la délégation de missions publiques, thèse préc.
126
F.-P. Clément, La corvée des chemins en France et spécialement en Poitou, thèse préc., p. 164.
127
X. Bezançon, Services publics en France, du Moyen-Age à la Révolution, Presses Ponts et Chaussées, 1995 ; v.
aussi X. Bezançon, Essai sur les contrats de travaux et de services publics. Contribution à l’histoire administrative de
la délégation de missions publiques, thèse préc.

40
une mission, il fait bien plus que cela. Son rôle ne se résume pas à celui d’un simple agent
exécutant.

46. A l’époque féodale, les auxiliaires du pouvoir en contrepartie des prérogatives qu’ils
reçoivent du contrat versent un prix au seigneur afin d’alimenter le trésor du suzerain. Ce
mécanisme est à l’origine même de la construction de la société féodale car les seigneurs
disposent de prérogatives sur la base de la concession d’un fief en terre consentie par un seigneur
plus puissant ou par le Roi en personne. Le seigneur confie encore des tâches administratives en
vertu d’un bail à cens ou d’un contrat d’affermage 128 pour la perception des redevances et des
péages. Dans la société féodale, la politique du « faire faire » intéresse particulièrement les
matières fiscales129. En raison de leur objet qui touche au financement même du pouvoir, ces
délégations fiscales sont strictement contrôlées et encadrées par le suzerain.

47. La politique du « faire faire » n’a pour limites que celles que le suzerain s’impose à lui-
même. Par exemple, les légistes du Moyen Age ont très tôt émis l’idée selon laquelle « le Roi est
source de toute justice ». La justice déléguée reposant sur les juridictions seigneuriales, les
juridictions ecclésiastiques, les Parlements, les bailliages, les présidiaux et les prévôtés 130 prend le
pas sur la justice retenue. La justice déléguée est le rouage essentiel de l’organisation judiciaire à
l’époque féodale et sous l’Ancien Régime 131. Il faut noter que « sont officiers du Roi » tous ceux
qui agissent au nom du Roi et à quelque titre que ce soit. Ce n’est qu’au 16 e siècle que la qualité
d’officier du Roi est réservée aux fonctions qui ne sont ni inféodées ni affermées, c’est-à-dire qui
sont rémunérées soit uniquement, soit en partie par des gages fixes132.

48. La spécificité du fonctionnement de la justice à cette époque est la vénalité des offices,
c’est-à-dire la marchandisation de certaines fonctions. Elle est motivée par le fait que le souverain
ne peut matériellement s’occuper de toutes les affaires et aussi par le fait que les prévôts ou le
fermier sont choisis parmi les sujets proposant de verser le fermage le plus élevé. Cette
adjudication satisfait les intérêts du Trésor royal ce qui assure alors des revenus fixes et

128
Ibid., p. 164.
129
Sur le principe de l’impôt affermé, v. ibid., p. 147 et s.
130
J. Hudault, Histoire du droit et des institutions, Les cours de droit, 1989, p. 161 et s.
131
J. Royer, Histoire de la justice en France, 3e éd. PUF 2001, p.. 25.
132
R. Fedou, L’Etat au moyen âge, PUF, coll. SUP, 1971, p. 127.

41
importants133. Le choix du « faire faire » repose en grande partie sur les mêmes considérations qui
poussent aujourd’hui les collectivités publiques à collaborer avec la sphère privée pour la
réalisation des services publics, à la différence que le droit contemporain restreint le champ des
missions délégables. Cette concession du pouvoir de justice ne va pas sans poser des problèmes
car l’affermage des fonctions de justice a provoqué des abus.

49. A Paris, la population a enrichi de façon injustifiée le fermier qui réclamait une surtaxe
aux « usagers » afin de grossir le montant de son fermage. Dès lors, Saint-Louis a substitué la
garde, c’est-à-dire la régie, à l’affermage des fonctions de prévôt en la personne d’Etienne
Boileau qui dépendait directement de l’autorité du suzerain134. Surtout la mise en régie des
fonctions de prévôts à Paris a renforcé le pouvoir et l’autorité de Saint-Louis sur ses sujets. Jean
le Bon est revenu à la ferme en 1362 après avoir condamné ce procédé pour des raisons de justice
et d’égalité entre les parties dans une ordonnance prise en 1360 135. Progressivement, la garde (la
régie) s’est tout de même généralisée.

50. Dans le domaine de la Défense, le recours au « faire faire » est la règle et la régie « un pis-
aller aussi bien pour le pain de munition, la viande et les fourrages que pour les souliers, les lits
des casernes et des hôpitaux, les chevaux et équipages de l’artillerie ou des gardes du corps, ou
encore les poudres et salpêtres »136. M. A. Corvisier souligne qu’ « en ce domaine comme en
beaucoup d’autres, la Régence prétendit innover : le 8 mars 1718, le duc d’Orléans fit annoncer
au conseil de la Guerre, par la voix de C. Le Blanc, son intention de ne plus confier à des
entrepreneurs les approvisionnements de l’armée. Mais les piètres résultats de la régie chargée
des subsistances pour les armées de Bohême et de Bavière de 1741 à 1743 incitèrent le
gouvernement à en revenir aux contrats d’entreprise »137. Aussi, il faudra attendre le règne de
Louis XIV pour que cesse le recours aux armées privées et encore dans les dernières décennies de

133
Sur les prévôts, v. E. Chénon, Histoire générale du droit français public et privé des origines à 1815, Bad Feilnbac,
1997, p. 606 et s.
134
J.-L. Mestre, Introduction historique au droit administratif français, op. cit., p. 46.
135
R. Villers, Cours d’histoire des institutions politiques et administratives du moyen- âge et des temps modernes,
Les cours de droit, Paris 1969, p. 54.
136
A. Corvisier (dir.), Histoire militaire de la France, tome 2, De 1715 à 1871, PUF 1994, p. 12.
137
A. Corvisier (dir.), Histoire militaire de la France, tome 1, Des origines à 1715, PUF 1994, p. 13 et 14.

42
la période « louisquatorzienne », les milices privées étrangères tiennent à nouveaux les lignes de
front à cause de l’insuffisance de la conscription138.

51. A l’époque féodale et sous l’Ancien Régime, le secteur de prédilection de la concession à


côté de la fiscalité est la mise en valeur du domaine éminent du seigneur (mines, marais, colonies,
villes, bastides et quartier) et du domaine utile du Roi. La plupart de ces concessions « partent
d’en bas »139 dans la mesure où la concession est attribuée aux inventeurs d’un service ou d’une
infrastructure qui sollicitent du pouvoir royal l’autorisation d’exploiter le domaine. La concession
est perçue alors comme « un retour sur investissement » afin que le pouvoir royal ne s’accapare
pas totalement l’invention de la sphère privée qui est profitable à l’ensemble de la société.

138
Ibid., p .554.
139
Expression employée par M. X. Bezançon, in Rétrospective de la gestion déléguée du service public en France,
RFDA 1997, n°spéc., p. 19.

43
52. Le 15e siècle est marqué par les premières concessions de grands travaux publics et des
services publics, c’est le temps des prémisses. Le 16e siècle est le temps de la maturation et de la
systématisation du procédé de la concession140. En 1535, la canalisation de la Vilaine est confiée
aux bourgeois de Rennes. Adam de Craponne obtient la concession du canal de la Durance en
1554 par la conclusion d’un bail en censive perpétuel. Des concessions de coches sont conclues
en 1575 à Paris, Orléans, Troyes, Beauvais et Rouen. Le 17e siècle est celui de l’ancrage de la
doctrine du « faire faire » en général et de la réglementation de la concession. Une ligne politique
apparaît clairement en particulier sous Colbert. Celui-ci considère les procédés de réalisation des
travaux publics tels que les corvées peu efficaces même si « à la recherche d’expédients peu
coûteux, (il) n’a pas hésité à prescrire l’accommodement des chemins par la corvée »141. En
revanche, le recours à la sphère privée par la voie du contrat et de l’adjudication est privilégié
pour la construction et l’entretien des ouvrages d’art (ponts, digues, chaussées, canaux). Colbert
répugne à faire exécuter les travaux en régie, il favorise le procédé du marché d’entreprise.

53. En effet, il est hostile aux concessions à péage car les expériences passées démontrent le
manque de rigueur des concessionnaires qui récoltent les fruits des péages sans assurer
convenablement les travaux publics. Les concessions sont très rares après 1661, Colbert n’a pas
pu les supprimer mais s’est efforcé d’en réprimer les abus en les réglementant strictement 142. Le
principe auquel Colbert se réfère est le marché d’entreprise sur la base d’une adjudication au
rabais avec publicité et mise en concurrence 143. Toutefois, en ce qui concerne la réalisation des
travaux publics relatifs à la navigation intérieure, Colbert ne condamne pas la concession au
motif de la complexité de l’ouvrage, de la difficulté de rassembler un financement public et de
l’entretien dans la durée de l’ouvrage. Ce mode de gestion s’inscrit dans la tradition de la
concession en fief qui se distingue fondamentalement de la concession de travaux publics du 20 e
siècle par le régime de propriété des ouvrages, c’est-à-dire par la négation de la catégorie des
biens de retour du fait de la perpétuité du contrat. C’est la Révolution française qui refonde le

140
X. Bezançon, Essai sur les contrats de travaux publics et de services publics. Contribution à l’histoire
administrative de la délégation de mission publique, thèse préc., p. 67 et s.
141
V. J. Petot, Histoire du droit : les institutions de la France du 4e au 18e siècle, Paris, Cours de droit, 1932/1933, p.
82.
142
J. Petot, Histoire du droit : les institutions de la France du 4e au 18e siècle, op. cit., p. 80.
143
A. Richardt, Colbert et le colbertisme, Paris Tallandier 1997, p. 246 ; v. aussi P. Clément, Histoire de la vie et de
l’administration de Colbert, Paris Didier et Cie, 1874, p. 203.

44
droit des concessions en revenant sur l’aliénation du domaine utile et en consacrant
définitivement le statut précaire des conventions144.

54. Les modalités de réalisation du canal de Languedoc en 1666 fixent le cadre juridique des
grands projets de travaux publics relatifs à la navigation intérieure. Parmi les travaux qui germent
dans l’esprit des ingénieurs au 17e siècle, il en est un que Colbert s’accapare et auquel il veut
associer son nom : c’est le canal de Languedoc. Les partisans de ce projet ont fait observer avec
raison que, par ce moyen, les marchandises de l’Océan et de la Méditerranée pourraient être
transportées de l’une à l’autre mer en évitant de passer par le détroit de Gibraltar, où les navires
couraient beaucoup de danger. Le 16 novembre 1662, Pierre-Paul Riquet propose son projet de
canal à Colbert en prenant soin de ne pas dévoiler des informations stratégiques. Quelques mois
plus tard, le ministre nomme des commissaires chargés d'étudier la faisabilité de l'ouvrage. Tout
paraît être entrepris mais d’après les premières études, la dépense du canal est évaluée à 6
millions de livres et ni le Roi, ni Colbert ne veulent y affecter une somme pareille sachant que la
première tâche de Colbert en qualité d’intendant puis de contrôleur général est de « remettre de
l’ordre dans les choses de l’Etat, et d’abord dans les finances »145.

144
X. Bezançon, Essai sur les contrats de travaux publics et de services publics. Contribution à l’histoire
administrative de la délégation de mission publique, thèse préc.1, p. 50 et 328, v. loi du 1 décembre 1790 sur le
domaine nationale.
145
A. Piettre, Economie dirigée d’hier et d’aujourd’hui, Du colbertisme à notre temps, Librairie de Médicis, Paris,
1947, p. 33.

45
55. Avant de statuer au fond sur le projet de Riquet, il est clair que Colbert doit trancher la
question suivante : convient-il aux intérêts de l’Etat que le Roi garde la propriété du canal pour
l’exploiter lui-même en régie ou sur la base d’un contrat d’affermage ou est-il préférable de
l’abandonner à des particuliers ? A la suite d’une longue discussion, la majorité du Conseil du
Roi est d’avis qu’ « un ouvrage qui exigeait une attention continuelle et des dépenses journalières
ne pouvait être confié sans inconvénient à une régie publique, qu’il était bien plus avantageux et
plus sûr d’en laisser la conduite à un particulier, de l’intéresser fortement à la prospérité de
l’entreprise en lui donnant la propriété, et de mettre ainsi l’intérêt public sous la sauvegarde de
l’intérêt personnel. De cette manière, ni un embarras momentané dans les finances, ni les
malheurs de l’Etat, si les circonstances devenaient contraires, ne pouvaient faire craindre
d’interruption dans les travaux, et l’on assurait en même temps la solidité, l’entretien et
l’amélioration du canal »146. La proposition de Riquet a donc été acceptée par un édit du mois
d’octobre 1666 à la suite d’un véritable appel d’offre. L’ouvrage est réalisé sur la base d’une
concession en fief ce qui signifie que le concessionnaire ne pouvait être dépossédé que
moyennant remboursement de toutes les sommes dépensées par lui. Riquet s’est aussi engagé à
employer tous les produits du fief à la construction du canal, produits résultant des droits de
péage fixés par le Roi qui seraient perçus pour le transport des marchandises sur le canal.

56. L’économie dirigée de Colbert n’équivaut pas à l’étatisme, «  l’Etat directeur ne doit pas
être un Etat exécutant car la politique de Colbert repose sur un contraste presque paradoxal entre
sa dévotion sans bornes pour l’Etat-puissance politique, et sa confiance étroitement limitée dans
les vertus de l’Etat-pouvoir économique »147. L’avis du Conseil en 1666 privilégiant la
collaboration public/privé au lieu de chercher la guerre des intérêts annonce la doctrine politique
qui prédomine tout au long du 19e siècle pour l’organisation des grands travaux et services
publics en raison de la confiance portée par le pouvoir politique envers la communauté des
entrepreneurs/inventeurs et de la montée en puissance du principe de bonne gestion des deniers
publics. Ce principe justifie l’ancrage de la doctrine du « faire faire » dans la pensée politique au
niveau national mais aussi au niveau local au nom de la supériorité de la gestion par des fermiers

146
P. Clément, Histoire de la vie et de l’administration de Colbert, Paris Didier et Cie, 1874, p. 206.
147
A. Piettre, Economie dirigée d’hier et d’aujourd’hui, Du colbertisme à notre temps, Librairie de Médicis, Paris,
1947, p. 185.

46
des activités d’intérêt public. Cette rhétorique glorifiant la gestion déléguée augure de la doctrine
du Conseil d’Etat de la fin du 19e siècle.

57. Le succès de la doctrine du « faire faire » se retrouve au niveau des communes. Les
communautés de Provence sont des exemples significatifs de la création d’un véritable droit de
l’interventionnisme économique148. En effet, la gestion des services communaux à la fin de
l’Ancien Régime est traditionnellement assurée par des fermiers et dans de rares cas au moyen
du procédé de la régie directe au point qu’il est fréquent de parler à l’époque de « la régie des
fermes »149. L’expression de « ferme » est constamment employée pour désigner les services eux-
mêmes. La régie dans le domaine des services alimentaires n’est pas interdite mais elle est
d’usage exceptionnel, ce n’est pas le mode normal de gestion car elle présente un inconvénient
majeur : la communauté doit avancer les sommes destinées à acheter les denrées avant de se faire
payer par les usagers. Elle est contrainte d’emprunter pour pré-financer ses achats alors que les
finances des communes sont déjà moribondes, en plus, elles doivent à intervalles réguliers verser
leur contribution à la trésorerie des Etats de Provence150. Les administrateurs municipaux louent
fréquemment les mérites de la gestion des services communaux par des fermiers qui arriveraient
selon eux à de biens meilleurs résultats sans que les communautés ne courent le risque des
évènements. Ces derniers seraient « plus compétents pour assumer ces tâches et ils sont stimulés
par l’appât du gain, leur intérêt les rend plus attentifs, plus vigilants »151. En ce sens, le 13 janvier
1740, l’assesseur d’Aix Chéry appelle de ses vœux la gestion par des fermiers qui
« exploiteraient en faisant des économies »152. Les fermiers tout naturellement condamnent la
gestion en régie car les commis tromperaient les échevins chargés de la régie « à qui la perte, ni
le profit n’appartient pas »153.

58. La glorification de la gestion exercée par des particuliers est entretenue par l’ensemble des
administrateurs provençaux et la doctrine du moment est parfaitement résumée dans les

148
J.-L. Mestre, Un droit administratif à la fin de l’Ancien régime ; le contentieux des communautés de Provence,
Paris, LGDJ 1976.
149
Ibid., p. 23.
150
Ibid., p. 360.
151
Ibid.
152
BB. 109, f. 193, propos rapportés par J.-L. Mestre in Un droit administratif à la fin de l’Ancien régime ; le
contentieux des communautés de Provence, thèse préc., p. 360. Les avocats aixois indiquent aux consuls des petites
communautés qu’ « il n’est rien de contraire aux règles de la bonne administration que les régies », in ibid.
153
A.M. Marseille, BB 363, n° 48, mémoire des anciens fermiers.

47
réquisitions du procureur général J.-E. d’ Autheman selon lequel « la nécessité de donner à ferme
a été reconnue dans tous les temps pour prévenir les inconvénients et les déprédations presque
inévitables dans les régies des deniers publics »154. C’est une pratique constante que « les
communautés doivent se procurer des fermes autant qu’il est possible afin qu’elles ne courent pas
le risque des évènements »155. Cette argumentation revient fréquemment dans les délibérations
des conseils communaux, les régies seraient toujours préjudiciables aux finances communales. En
pratique, les administrateurs des communautés n’utilisent la régie que dans l’hypothèse d’une
absence d’enchérisseur. Le principe posé par la jurisprudence de la Cour d’Aides est que les
communautés doivent toujours commencer par exposer leur trésorerie aux enchères et ce n’est
qu’en l’absence de candidats sérieux qu’elles peuvent désigner un « trésorier forcé »156. Les
arguments tirés de l’incapacité matérielle des communautés à gérer les services commerciaux et
de la protection des deniers publics sont ceux que le Conseil d’Etat utilisera à la fin du 19 e siècle
pour prohiber le recours à la régie pour les services économiques. Ces observations démontrent
une fois encore la pertinence des propos d’Alfred Picard selon lequel « les leçons du passé sont
en matière d’administration comme en toutes choses, le guide le plus sûr et l’on ne saurait en
recueillir avec trop de soin les précieux enseignements »157.

154
A.M. Aix, BB 112, f°234, propos rapportés par J.-L. Mestre, Un droit administratif à la fin de l’Ancien régime  ; le
contentieux des communautés de Provence, thèse préc., p. 361.
155
A. M. Aix, CC 228, mémoire du 7 août 1752 ; v. aussi J.-L. Mestre, Un droit administratif à la fin de l’Ancien
régime ; le contentieux des communautés de Provence, thèse préc., p. 359.
156
Ibid., p. 361.
157
A.Picard, Vice-Président du Conseil d’Etat, avant propos du Traité des chemins de fer 1884.

48
Conclusion du Titre liminaire

59. Les sociologues et les historiens du droit s’interrogent fréquemment sur le fait de savoir si
« l'Etat moderne » marque une rupture par rapport à l'Etat romain auquel incontestablement il
emprunte une partie de ses outils et de ses représentations 158. Nous ne sommes pas en mesure de
répondre précisément à cette question mais nous pouvons souligner que dans ces deux formes
d’Etat, la pratique du « faire faire » est au cœur même du fonctionnement de l’institution étatique.
A la différence qu’en droit romain, il faut véritablement parler de stratégie car cette politique
résulte d’un libre choix effectué au nom de la nécessaire collaboration gouvernant/gouverné alors
que dans la société médiévale et sous l’Ancien régime, le recours au « faire faire » découle de
l’incapacité de l’Etat à satisfaire par ses propres moyens certains besoins que réclame
l’organisation de la vie en communauté. A l’époque féodale, la réussite ou l’échec d’une modalité
de gestion d’une tâche administrative conditionnent la politique future de réalisation des
fonctions administratives. C’est pourquoi, nous parlons d’ébauche empirique des règles

158
V. Colloque « Rome et l'État  moderne européen : une comparaison » Ecole Française de Rome, 31 janvier - 2
février 2002.

49
d’organisation des missions d’intérêt public. Le processus délégatoire ne répond à aucune théorie
juridique préexistante. En revanche, il est fortement influencé par des considérations politiques à
savoir le souci d’enrichissement du trésor du souverain et l’impératif de bonne gestion des
deniers publics. Ce sont surtout les circonstances de chaque espèce et l’évaluation des politiques
organisationnelles menées précédemment qui vont déterminer l’arbitrage entre le faire et le
« faire faire ».

Si pendant la période médiévale, le recours au « faire faire » est justifié par l’inexistence
d’une administration, à partir du 16e siècle, « une puissante administration couvrant l’ensemble
du territoire est mise en place par le pouvoir royal et se substitue progressivement aux seigneurs
féodaux pour accomplir les tâches administratives »159 de sorte que la systématisation de
l’association public/privé résulte d’un véritable choix politique. Cette pratique n’est plus
seulement guidée par les faits, elle résulte d’une pensée créatrice d’un personnel politique jamais
las d’imaginer de nouvelles formules contractuelles soit empruntées directement à l’époque
féodale, soit créées pour répondre aux circonstances de l’espèce (contrats innomés de longue
durée à paiement public et/ou privé160). Le développement de la politique du « faire faire » est
hautement conforté par la montée de la caste des capitalistes industriels au sein de l’économie
française qui sont à l’origine d’inventions créant de nouveaux besoins en service public. La
signature de contrats de concession est en quelque sorte « la rémunération de la matière grise ».

On aurait pu croire que les révolutionnaires de 1789 faisant table rase du passé,
notamment en entamant un processus d’internalisation des missions fiscales et postales, auraient
prononcé la mort du système concessif et du marché public. Cependant, après une brève période
de relégation de la concession de service public, celle-ci revient en force dès le 19 e siècle pour
ensuite à nouveau subir les foudres d’un courant politique anti-concessif prônant les avantages de
la régie directe pour la collectivité publique. C’est cette confrontation entre les prosélytes du
« faire faire » et les tenants de la gestion interne des missions d’intérêt général à compter de

159
J. Chevallier, Science administrative, PUF, 3 e éd., p. 142 et s. Néanmoins J. Chevallier note à juste titre que « si le
nombre des serviteurs de l’Etat augmente sensiblement, il convient de ne pas surestimer l’importance de cet
encadrement administratif ni sur le plan quantitatif, ni sur le plan qualitatif » ; v. aussi J. Meyer, Le poids de l’Etat,
PUF, 1983.
160
X. Bezançon, Essai sur les contrats de travaux publics et de services publics. Contribution à l’histoire
administrative de la délégation de mission publique, thèse préc., p. 103 et s.

50
l’époque révolutionnaire qui a permis de dégager à terme un principe de libre organisation des
missions d’intérêt général.

TITRE 1 : L’ANCRAGE D’UN PRINCIPE DE LIBERTE DANS LE DROIT


DE L’ORGANISATION DES MISSIONS D’INTERET GENERAL

60. En matière d’organisation des missions d’intérêt général, les révolutionnaires auraient pu
être tentés de rayer d’un trait de plume les pratiques de l’Ancien régime en guise de
condamnation des abus commis notamment par les fermiers et les prévôts. Cette période de
l’histoire de France ouvre une nouvelle ère faisant la place belle au libéralisme politique et
économique. L’ancrage de ces deux idéologies dans les élites dirigeantes ne s’est toutefois pas
réalisé sans difficulté. Que ce soit au niveau national ou local, les débats politiques entre les
tenants de la gestion déléguée et les partisans de la régie ont été vifs surtout en ce qui concerne
les services publics économiques, source potentielle d’importants profits privés et moteur de la
révolution industrielle. Le recours au « faire faire » est fréquent voire systématique mais la
pertinence de l’opération délégatoire est à chaque occasion largement contestée par les prosélytes
de la gestion interne. Ce sont les circonstances exceptionnelles de la première guerre mondiale
qui ont réhabilité les bienfaits du procédé de la régie publique revêtant les habits de l’entreprise
commerciale privée (Chapitre 1), ce qui a débouché sur la consécration d’un principe de liberté
d’organisation des missions d’intérêt général (Chapitre 2).

51
CHAPITRE 1 : UN DROIT DE L’ORGANISATION DES MISSIONS D’INTERET
GENERAL EN GESTATION A PARTIR DE 1789

61. Les évènements amorcés en 1789 sont à l’origine d’un mouvement jetant les bases d’un
droit de l’organisation des activités d’intérêt général qui tourne autour d’une double interdiction,
celle de déléguer certaines activités à la sphère privée et celle de gérer en régie directe les
services publics industriels et commerciaux (Section 1). Le processus de mythification de la
concession s’est enrayé à la suite de la première guerre mondiale au profit de la doctrine du
capitalisme municipal (Section 2).

Section 1 : L’enracinement du « faire faire » dans le droit de l’organisation des


missions d’intérêt économique général

62. Selon les socialistes du début du 20e siècle, la réalisation de la doctrine collectiviste passe
d’abord par l'enracinement du socialisme dans le cadre municipal 161. Dans un Etat de droit dénué
de toute justice constitutionnelle, l’Etat sur la base du légicentrisme ne connaît aucune tutelle
alors que la commune subit la tutelle de l’Etat. Ainsi, comme l’écrit A. Mater, « une mesure de
socialisme d’Etat n’exige qu’un vote politique ; mais une mesure de municipalisation exige en
161
A. Menger, Etat socialiste, Paris, G. Bellais, 1904.

52
plus une discussion juridique »162. Au niveau de l’Etat, le discours politique privilégie
délibérément le recours au « faire faire » pour l’accomplissement des services publics
économiques. A la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, on voit se construire une dichotomie
au sein de la catégorie des services publics sur la base de la distinction entre gestion directe et
gestion déléguée. Les services publics administratifs sont gérés par les personnes publiques et les
services publics industriels et commerciaux par les personnes privées (§1). Au nom du
libéralisme économique, la haute assemblée administrative élabore « une sorte de politique
administrative » selon laquelle « il y a toute une série de services qui ne peuvent être exécutés
que par le système de la concession : ce sont les services publics que l’on considère comme des
entreprises économiques »163 (§2).

§1. Le recours privilégié au « faire faire » pour les missions d’intérêt économique général
relevant de l’Etat

63. L’Etat français au lendemain de la Révolution est un entrepreneur actif qui gère
directement un nombre conséquent d’industries. Souvent les industries exploitées en régie par
l’Etat constituent une forme particulière de perception de l’impôt. Au monopole en régie directe
du sel, à l’ancienne gabelle164, l’Etat a préféré instituer ceux du tabac, des allumettes et des
poudres de guerre165. La gestion directe de ces activités par l’Etat s’explique facilement car en se
livrant à de telles activités, il poursuit un but essentiellement intéressé. E. Gombeaux a écrit
encore qu’ « il ne vise pas seulement à couvrir ses frais, ou même à réaliser un bénéfice normal ;
mais il tend à grossir ses profits d’une façon tout à fait inusitée, se souciant moins d’écouler ses
produits à un prix commercial, que de réaliser sur l’acquéreur la perception d’un impôt
véritable »166. Nos développements n’ont pour objet ni de balayer l’ensemble des modalités de
gestion de l’ensemble des services publics relevant de la compétence de l’Etat, ni de traiter

162
A. Mater, Le municipalisme et le Conseil d’Etat, Revue d’économie politique 1905, p. 324.
163
M. Hauriou, note sous CE 14 février 1902, Blanleuil et Vernaudon c/ Ville d’Angoulême, S. 1904.3.81. L. Duguit
emploie le concept de service public industriel dans son article sur « la situation des particuliers à l’égard des
services publics (RDP 1907, p. 428) au sens de service public qui a pour objet une activité spécialement économique.
164
La gabelle sera abolie par l'Assemblée nationale constituante le 1 er décembre 1790. Mais l’impôt sur le sel
réapparut néanmoins en 1806, sous Napoléon Ier, et il ne fut supprimé définitivement que par la Loi des finances de
1946.
165
Il faut noter que pour les allumettes, l’Etat n’exploite directement que la fabrication alors que son intervention
regroupe à la fois la fabrication et la vente pour le tabac et les poudres.
166
E. Gombeaux, La condition juridique de l’Etat commerçant et industriel, Thèse Paris 1904, p. 6.

53
expressément de la question des limites de la fonction économique de l’Etat. Il faut bien dissocier
la problématique de la création par l’Etat de l’entreprise économique de la problématique des
modalités de l’exploitation elle-même. C’est la seconde question qui retiendra particulièrement
notre attention même si la distinction paraît dans certains cas artificielle tant l’argument de
l’incompétence juridique est utilisé par les partisans du « faire faire ».

64. La construction de la stratégie du « faire faire » pour les missions d’intérêt économique
général résulte d’un climat juridique propice à l’essor de la gestion déléguée à compter de 1789
sans qu’il soit possible d’identifier dans les textes de la période révolutionnaire un quelconque
principe juridique favorisant la pratique du « faire faire » (A). La fin du 18e siècle voit se durcir le
débat autour des modes de gestion des grands services publics. Les prosélytes de la gestion
directe craignent d’une part de laisser des secteurs clés de l’économie entre les mains de la
société capitaliste, craignent d’autre part un détournement de ces activités de leur objectif premier
et craignent enfin la collectivisation des pertes et la privatisation des profits. Le mariage du
public et du privé serait contre nature 167. Cette série d’arguments se retrouve dans le débat
idéologique qui existe au sein de la communauté des ingénieurs des ponts et chaussées (B) et
surtout au sein de la classe politique nationale lors des discussions portant sur la détermination
des modalités organisationnelles des services maritimes postaux et du service des chemins de fer
(C).

A. La place ambivalente de la doctrine du « faire faire » dans le droit révolutionnaire

65. Le droit issu de la période révolutionnaire est ambivalent car il paraît approuver la
doctrine du « faire faire » sur la base des thèses libérales et il alimente en même temps l’idée
d’une indélégabilité de certaines matières. Il est vrai que le principal souci de l’Assemblée
constituante est de concrétiser les nouvelles maximes du droit public, c’est-à-dire la suppression
des privilèges notamment liés aux délégations fiscales en substituant la régie à l’ancienne
ferme168 en vertu de l’article 9 du décret-loi des 22 novembre et du 1 er décembre 1790169 suivant
lequel: « Les droits utiles et honorifiques ci-devant appelés régaliens, et notamment ceux qui

167
C. Teitgen-Colly, La légalité de l’intérêt financier dans l’action administrative, thèse préc., p. 134 et s.
168
R. Villers, Cours d’histoire des institutions politiques et administratives du moyen- âge et des temps modernes,
Les cours de droit, Paris 1962, p. 342 et s.
169
Ibid., p. 325.

54
participent de la nature de l’impôt, comme droits d’aide et autres y joints, contrôle, insinuation,
centième denier, droits de nomination et de casualité des offices, amendes, confiscations, greffes,
sceaux et tous autres droits semblables, ne sont pas communicables ni cessibles : et toute
concessions de droits de ce genre, à quelque titre qu’elles aient faites, sont nulles, et en tous cas
révoquées par le présent décret»170. La Constitution du 3/14 septembre 1791 dans son titre V
relatif à la contribution publique pose la règle selon laquelle « Le Pouvoir exécutif dirige et
surveille la perception et le versement des contributions, et donne tous les ordres nécessaires à
cet effet ». Cette disposition constitutionnelle laisse à penser qu’il n’y a pas à l’époque
révolutionnaire un principe d’indélégabilité des missions de recouvrement des impôts, les
décrets-loi de 1790 et de 1791 prohibent la cessibilité des droits régaliens, c’est-à-dire le transfert
et non la délégation de ces droits.

66. Pour certains auteurs, à l’instar de J.-P. Négrin, dans une pensée qui met au centre de la
société le citoyen, la coopération public/privé pour la satisfaction de l’intérêt général fait partie
intégrante du nouveau régime politique. Le recours à la pratique du « faire faire » à partir de 1789
s’apparenterait alors à « la simple transposition du principe démocratique du plan politique au
plan de la gestion des affaires administratives : c’est l’intervention-fin qui vise à associer les
citoyens à l’exercice des fonctions de l’administration »171. Dans la continuité de cette opinion,
les principes de 1789 s’articuleraient autour de la thèse selon laquelle l’individu étant « au centre
unique et fin exclusive de la société », la société étant une « simple collection d’individus, simple
mise en rapport des libertés individuelles » et l’Etat étant un « simple garant et exécutant du
contrat social », il serait légitime de privilégier l’interaction entre la sphère publique et privée
pour la satisfaction des tâches d’intérêt public172.

67. A ce titre, lorsque les révolutionnaires mettent fin aux juridictions ecclésiastiques et
seigneuriales dans la nuit du 4 août 1789, « la justice devenait en droit un véritable monopole de
l’Etat »173. Toujours est-il que le principe est l’élection des juges 174 et il n’ y a point de

170
Ibid. p. 326.
171
J.-P. Negrin, L’intervention des personnes morales de droit privé dans l’action administrative, thèse préc., p. 21  ;
v. aussi S. Berstein et M. Winock (dir.), L’invention de la démocratie : 1789-1914, Paris, éd. Le Seuil, 2002.
172
T. Ferneuil, Les principes de 1789 et la science sociale, Paris 1889, p. 77.
173
R. Perrot, Instiutions judiciaires, 11e éd. Montchrestien, 2004, p. 56.
174
V. décret des 5 et 7 mai 1790 ; v. titre II, art. 3 de la loi des 16 et 24 août 1790 ; v. enfin titre III, chap. V, art.2 de
la Constitution du 3 septembre

55
magistrature175. Au même moment, le législateur révolutionnaire a vu dans l’arbitrage, c’est-à-
dire une forme de coopération public/privé, « le moyen le plus raisonnable de terminer les
contestations entre les citoyens »176. Aussi, dans le domaine de la force publique, « d’après la
pure doctrine révolutionnaire, de même que le citoyen était appelé individuellement à faire la loi,
de même il devait être appelé à la faire exécuter : de là la conception de la garde nationale,
soldat-citoyen »177.

68. Par ailleurs, le Professeur Mestre avance le point de vue selon lequel à la lecture des
débats de l’Assemblée nationale constituante, le sens matériel ou fonctionnel 178 de l’expression
service public est largement privilégié, l’emploi du sens organique demeure très limité 179. Il est
certain que cette conception est plus encline à encourager la stratégie du « faire faire »180 dans la
mesure où « une activité constitue un service public quand elle est assurée ou assumée par une
personne publique en vue d’un intérêt public »181. Le service public correspond tout d’abord à la
tâche, à l’activité d’un citoyen au service de l’Etat. Cette signification provient des termes mêmes
de l’article 7 du décret du 3 août 1790 selon lequel « la veuve d’un homme mort dans le cours de
son service public pourra obtenir une pension alimentaire et les enfants être élevés aux dépens de
la nation »182. Cette conception jette en fait les prémisses de la notion de fonction publique. La
notion de service public équivaut également à une activité destinée à satisfaire l’utilité générale.
L’important ici est la nature et la finalité de la tâche, peu importe la personne qui l’exerce.
Toutefois, est-ce que ces éléments permettent de dégager une tendance au développement de la
stratégie du « faire faire » dans le droit de l’organisation des missions d’intérêt général ?

69. En vertu de la Constitution du 3/14 septembre 1791, le champ du service public se réduit à
peu de chose : un établissement général de secours publics pour élever les enfants abandonnés,
soulager les pauvres infirmes, et fournir du travail aux pauvres valides qui n'auraient pu s'en
175
J.-P. Royer, Histoire de la Justice en France, PUF 2001, p. 323.
176
Ibid., p. 59.
177
M. Hauriou, Précis de droit public, 1901, Larose, p. 536.
178
R. Chapus, Droit administratif général, t. 1, Montchrestien, 14e éd. 2000, p. 563.
179
Dossier La notion de service public d’après les débats de l’Assemblée nationale constituante, in EDCE n°40,
1988, p. 196.
180
v. J.-L. Mestre, La notion de service public d’après les débats de l’Assemblée nationale constituante, in EDCE
n°40, 1988, p. 189 et s.
181
R. Chapus, Droit administratif général, op. cit., p. 569..
182
Dans son intervention, le député Camus parle des « services publics » du défunt, v. J.-L. Mestre, La notion de
service public d’après les débats de l’Assemblée nationale constituante, in chron. préc., p. 189.

56
procurer ; une instruction publique et gratuite commune à tous les citoyens; un service public de
la justice qui sera rendu gratuitement par des juges élus par le peuple et institués par des lettres-
patentes du Roi qui ne pourra les refuser ; un service public de recouvrement des contributions
publiques183 ; et enfin une force publique184.

70. En ce qui concerne le fonctionnement de ces services publics, c’est l’exploitation directe
par l’Etat qui est prévue. Dès la première organisation du ministère de l'Intérieur en octobre 1791,
les hôpitaux, enfants trouvés, mendicité et ateliers de secours, entrent dans les attributions d'une
division de ce Département. A compter du rétablissement des ministères en vendémiaire an IV,
leur gestion relève sans cesse de bureaux ou divisions de l'Intérieur jusqu'en 1920. La
commission des secours publics a été créée à l’origine pour garantir la répartition des sommes
recueillies pour les indigents (à la suite de l'hiver rigoureux de 1789) 185. Elle est chargée de
présenter des mesures visant à détruire la mendicité, elle s'est dévouée à toutes les questions
relatives au paupérisme et à la bienfaisance. Elle devient comité des secours publics sous la
Convention, c’est-à-dire un des comités de l’Assemblée. Il comprend trois sections : mendicité,
salubrité, secours public. Parmi les comités établis par la Convention par le décret du 2 octobre
1792, on trouve aussi le comité d'instruction publique divisé en 13 sections186.

71. Dans un secteur sensible, celui de la défense et de l’armée, la Révolution française met fin
définitivement au recours massif des mercenaires étrangers pour occuper les lignes de front grâce
au développement de la conscription187. Au début de la Révolution, on continue à confier les
missions de ravitaillement à l’entreprise privée même pour l’artillerie et les munitions. Le
monopole des poudres au profit de l’Etat a été institué par la loi du 30 août 1797 mais un an plus
tard le système de la régie pour la fabrication d’armes a été abandonné 188. Dans le domaine de la
police, L. Bertrand écrit que « l’association de l’activité privée à l’exercice de la police demeure

183
Titre V de la Constitution du 3 septembre 1791.
184
Titre IV de la Constitution du 3 septembre 1791
185
M. Borgetto, Secours publics et service public, in G. J. Guglielmi (dir.), Histoire et service public, PUF, 2004, p.
37 et s.
186
V. Les archives nationales : état général des fonds, tome 2, 1789-1940, Archives nationales 1978.
187
A. Corvisier (dir.), Histoire militaire de la France, tome 2, préc., p. 243.
188
Ibid., p. 231 et s.

57
un procédé nécessaire dans l’intérêt général. L’ampleur des désordres exige du reste une telle
solution »189.

72. Dans le domaine des travaux publics, il y a une continuité avec les procédés de l’Ancien
Régime. La loi du 28 pluviôse an VIII consacre en effet une conception fonctionnelle de la notion
de travaux publics. Cette loi dispose que « le Conseil de Préfecture prononcera…sur les
difficultés qui pourraient s’élever entre les entreprises de travaux publics et l’administration
concernant le sens ou l’exécution des clauses de leurs marchés ». Sous la Convention nationale,
la commission nationale des travaux publics est une institution incontournable, elle est chargée de
la direction, de la surveillance et des dépenses relatives aux travaux publics et de tous les traités
relatifs à l’illumination, entretien et nettoiement des rues et des places publiques 190. En revanche,
il faut absolument souligner qu’à compter de la Révolution, pour exécuter les travaux publics, le
marché d’entreprise demeure le principe, la concession est employée rarement au nom de la
protection du domaine de la Nation.

73. Au regard de la transformation des principes régissant le domaine de la Nation, on aurait


pu légitimement croire que la concession de travaux publics allait être fréquemment utilisée à
partir de 1789. En effet, le préambule du décret du 22 novembre 1790 est un plaidoyer en faveur
de l’aliénabilité du domaine de la Nation191 et de la gestion privée. Il est écrit que «  le produit du
domaine est aujourd’hui trop au-dessous des besoins de l’Etat pour remplir sa destination
primitive ; que la maxime de l’inaliénabilité devenue sans motifs, serait encore préjudiciable à
l’intérêt public, que des possessions foncières, livrées à une administration générale, frappées
d’une sorte de stérilité, tandis que dans la main de propriétaires actifs et vigilants elles se
fertilisent, multiplient les subsistances, animent la circulation, fournissent des aliments à
l’industrie, et enrichissent l’Etat ». Mais comme l’observe justement, M. P. Yolka, la rédaction de
ce décret n’est pas des plus heureuses et à l’instar des textes révolutionnaires dont il s’inspire, le
Code civil place dans le domaine de la Nation des éléments qui intégreront plus tard le domaine
privé, de sorte que la notion de domaine de la Nation en 1790 ne recouvre pas le champ que le

189
L. Bertrand, thèse préc., p. 189.
190
V. Histoire parlementaire de la Révolution française ou journal des assemblées nationales de 1789 à 1815, tome
36, Paris Paulin, p. 65.
191
P. Godfrin, Droit administratif des biens, Armand Colin, 2001, 6e éd., p. 191

58
droit positif donne aujourd’hui au concept de domaine public192. Il n’empêche que la loi
domaniale des 22 novembre et 1er décembre 1790 est « l’expression solennelle d’une idée
économique nouvelle et féconde »193. Cette disposition pose le principe selon lequel il ne rentre
pas dans la mission dévolue à l’Etat de gérer des biens productifs de revenus 194. Dès lors,
l’obligation d’affermer les biens domaniaux confine plus au désengagement de l’Etat qu’à la
concrétisation d’une stratégie du « faire faire ». Cependant, comme le note Dalloz renvoyant à
l’ouvrage de Macarel et Boulatignier « De la fortune publique en France et de son
administration»195, la règle selon laquelle « tous les immeubles appartenant à l’Etat doivent être
affermés » ne joue que dans la limite qu’ « ils ne soient pas affectés à des services publics »196. En
conséquence, il ne faut pas voir la période révolutionnaire comme un moment historique dans
lequel la réception des principes du libéralisme économique dans le droit a été complète.

74. C’est sous le Premier Empire que la concession a connu un regain de faveur car elle a
permis un préfinancement privé protégeant les finances publiques dont la ventilation budgétaire
était largement orientée autour du financement de la guerre. Ainsi, l’Empereur a utilisé ce
procédé de réalisation des travaux publics pour construire de nombreux ponts sur la base de la loi
du 24 ventôse an IX. Une loi du 16 septembre 1807 a imposé la concession à l’ensemble des
travaux relatifs au dessèchement des marais. Les concessionnaires devaient se rembourser de
leurs avances en percevant un taxe de passage197 mais Napoléon Ier a très vite regretté l’emploi
fréquent de ce système au nom de l’indélégabilité des missions fiscales comme le laisse suggérer
une note rédigée par ses soins en 1811 préconisant le rachat par la Ville de Paris des ponts
d’Auterlitz, de la Cité et des Arts. Il écrit alors que « c’est une grande gêne et un esprit de
fiscalité peu analogue au caractère français que dans une ville comme Paris, on soit obligé de
payer au passage de tous les ponts ; c’est une véritable imposition. La ville ne pourrait-elle pas
traiter de l’acquisition des ponts »198 ?

192
P. Yolka, La propriété publique. Eléments pour une théorie, LGDJ 1997, p. 109.
193
Ducrocq, Cours de droit administratif, 2e éd., t. 2, p. 154, cité par G. Quiot, thèse préc., p. 240.
194
Ibid., p. 239.
195
L.-A. Macarel et S.-J. Boulatignier, De la fortune publique en France et de son administration, Pourchet 1838.
196
Cité par G. Quiot, thèse préc., p. 240. V. en ce sens les dispositions fondamentales garanties par la Constitution de
1791.
197
V. J. Petot, op.cit., p. 446 et s.
198
Propos rapportés par J. Petot, op. cit., p. 447.

59
B. La doctrine économique des ingénieurs des ponts et chaussées au 19 e siècle entre
faire et « faire faire »

75. Les routes sont un moyen pour le Roi d’imposer sa domination sur le territoire tout entier.
La construction et la maintenance des voies des communications exigent la réunion d’experts
financiers et techniques. Louis XII délègue la mission de supervision des travaux publics aux
trésoriers de France par l’édit de 1508. Il convient de préciser que le Roi au début de la
monarchie capétienne n’était qu’un seigneur parmi tant d’autres, de sorte que les rares travaux de
l’époque étaient le fait de l’initiative privée 199. Mais progressivement, le Roi d’abord détenteur du
pouvoir de police sur les routes et chemins devient « le grand voyer de France » au début du 17e
siècle sous Sully, surintendant des finances 200. C’est Colbert qui vient organiser une
administration propre aux travaux publics. Elle est confiée alors à des ingénieurs-intendants qui
demeurent en permanence au service de l’Etat 201. Le rôle premier de ces agents est de visiter les
ponts et chaussées du territoire français et de conseiller le Roi quant à la politique des travaux
publics et de l’affectation des crédits202. Dès lors, la mission des ingénieurs est de déterminer

199
.R. Villers, Cours d’histoire des institutions politiques et administratives du moyen âge et des temps modernes, Les
cours de droit, Paris 1962-1963, p. 360.
200
M. Boutet, Sully grand voyer de France, Rev. urb., fév. 1942, n°75.
201
R. Villers, Cours d’histoire des institutions politiques et administratives du moyen âge et des temps modernes, op.
cit., p. 361 et s. ; v. aussi J. Petot, Histoire de l’administration des Ponts et Chaussées 1599-1815, thèse Paris 1958,
Librairie Marcel Rivière et Cie, p. 12 et s.
202
K. Keiko, La pensée économique des ingénieurs des ponts et chaussées dans la période de l’industrialisation en
France, thèse Paris I 1990, p. 28.

60
aussi les modalités de réalisation des travaux publics. L’importance de cette tâche a justifié la
création d’une organisation spécialisée et centralisée par les arrêts de 1716 et de 1747. Ces
dispositions donnent naissance au corps des ponts et chaussées et à son école. Par
l’institutionnalisation de ce corps, les travaux publics s’affranchissent de la subordination du
ministère des finances.

Nous avons dit précédemment que le procédé de réalisation d’un travail public n’en
affecte pas la nature203. Par conséquent, les travaux publics peuvent être exécutés selon trois
modalités : la régie, le marché d’entreprise et la concession. La question est de savoir si la
puissance publique est libre d’utiliser à son gré les différents moyens ? L’histoire de la politique
des travaux publics à compter du début du 19 e siècle révèle une tendance nette au recours à la
sphère privée par le marché d’entreprise ou la concession pour réaliser les travaux publics. Nous
avons montré qu’aucun motif juridique ne viendrait enjoindre à l’Etat de « faire faire » les
opérations de travaux publics. Cette situation découle de l’idéologie politique ambiante et de la
situation morose des finances publiques.

76. L’introduction de cours d’économie politique à l’école des Ponts et Chaussées au début du
19e siècle provient de la nécessité d’introduire le calcul économique dans la politique des travaux
publics, surtout depuis que les grands projets de travaux publics ont repris et qu’ils pèsent
énormément sur les finances publiques. L. Girard a écrit en ce sens qu’ « une France nouvelle est
née sous la Monarchie de Juillet : les grands programmes d’armements et de travaux publics font
leur apparition chez nous comme dans tous les Etats européens. Certes, depuis longtemps se
poursuivait en France un effort d’équipement du pays. La tradition de Sully, de Colbert, d’Orry et
de Trudaine avait été transmise par le Premier Empire à la Restauration puis à la Monarchie de
Juillet (immense programme de ponts et chaussées et de canaux). C’est donc un plan de trois
siècles que le régime de Louis-Philippe se propose de réaliser par les lois de 1833 et de 1837
lorsque l’alerte de 1840 ouvre ce que Marion appelle à juste titre une révolution budgétaire »204.
P. Pinon constate que « l’Etat s’est appauvri à cause de canaux quelquefois inutiles et à cause de
devis mal calculés, de projets imparfaitement étudiés »205. L’introduction des cours d’économie
203
M. Noël, La notion de travail public, Paris, LGDJ 1924, p. 47 et s.
204
Ibid., p. 3.
205
Propos rapportés par K. Keiko in La pensée économique des ingénieurs des ponts et chaussées dans la période de
l’industrialisation en France, thèse préc., p. 36.

61
politique à l’école des Ponts et Chaussées a justement pour finalité de rationaliser la politique des
grands travaux publics.

77. Ces cours sont présentés comme une application de l’orthodoxie libérale au regard de
l’orientation idéologique des professeurs206. La réalité est plus complexe. Les ingénieurs français
des Ponts et Chaussées ont théorisé durant la période de l’industrialisation le rôle de la puissance
publique en matière de travaux publics pour les voies de communications. Mais il n’y a pas une
doctrine, il est possible au minimum d’en isoler deux: les étatistes industriels comme Navier 207 et
les partisans de l’industrie privée comme Berthault-Ducreux 208. Ces deux écoles de pensée ont
légitimement pu se développer dans la mesure où en droit français la qualification d’opération de
travaux publics est complètement indépendante de la nature du procédé juridique utilisé pour
réaliser l’opération209. Les critiques des ingénieurs à l’encontre de l’exploitation privée portent
davantage sur le système concessif, outil de spéculation et d’enrichissement privé que sur le
procédé du marché d’entreprise de travaux publics. Ainsi, Courtois écrit qu’ « on commence à
comprendre les inconvénients, et même le danger, d’abandonner à de hardis spéculateurs le
monopole du transport »210. Dans le même sens, Billaudel, ingénieur des Ponts et Chaussées et
député de la Gironde, chef de file du mouvement de l’étatisme industriel défend l’exploitation par
l’Etat des chemins de fer du triangle Paris-Bordeaux-Marseille car « le gouvernement a le devoir
de se consacrer à cette entreprise toute nationale quand les compagnies ne veulent que des
affaires profitables et repoussent les opérations dont le bénéfice est éloigné »211. A l’opposé, une
branche non moins importante des ingénieurs des Ponts et Chaussées redoute la réalisation en
régie des travaux publics. En ce sens, P.-E. Morin estime que « comme dans les travaux publics
elle (la régie) est souvent dirigée par des hommes non habitués à obtenir des ouvriers le plus de
travail possible ou non intéressés et à diminuer les dépenses des travaux »212.

206
Ibid., p. 37.
207
C.-L. Navier, De l’exécution des travaux publics, et particulièrement de la concession, JCG, Tome 8, 1830, p. 327
et s.
208
A. Berthault-Ducreux, De l’entretien des routes et du roulage, Paris Carillian-Goeury, 1836.
209
M. Hauriou, Précis de droit administratif et de droit public. op. cit., p. 848.
210
A. C. Courtois, Mémoire sur les questions que fait naître le choix d’une nouvelle voie de communication, Paris,
imp. De Schneider et Langrand, 1843, p. 10.
211
Propos rapportés par K. Keiko in La pensée économique des ingénieurs des ponts et chaussées dans la période de
l’industrialisation en France, thèse préc., p. 142.
212
P.-E. Morin, Sur l’ouverture et l’entretien des routes du royaume de France, Paris, Carillian-Coeury, 1828, p. 7.

62
78. Il est difficile de trouver une unité dans la pensée économique des ingénieurs des Ponts et
Chaussées pendant l’industrialisation française tant la communauté des ingénieurs est hétérogène.
L’accession en 1817 de François Louis Becquey de Beaupré à la direction des ponts et chaussées
et des mines en lieu et place de Louis-Mathieu Molé, partisan de l’exécution des grands travaux
publics en régie directe, marque cependant la domination de la doctrine du libéralisme
économique sur les thèses prônant l’étatisme industriel. Cette nomination est surtout synonyme
de l’intégration des analyses microéconomiques dans le processus de décision 213 ce qui aboutira à
la banalisation du cofinancement public/privé des projets et au rejet des solutions extrêmes
comme la nationalisation des chemins de fer ou la réalisation en régie de tous les travaux publics.

Sous sa direction, Becquey donne une vive impulsion aux travaux de navigation intérieure
et surtout à l'exécution des canaux. En vertu des lois du 5 Août 1821 et du 14 Août 1822, les
anciens canaux construits selon des normes inférieures sont réaménagés. C'est le cas par exemple
du canal de Briare, on doit aussi au plan Becquey la plupart des grands canaux latéraux (Loire,
Garonne, Somme, etc.). L'Etat reste maître d'œuvre des travaux mais le financement est
majoritairement privé, l'exploitation et l'entretien des canaux revenant à termes à des compagnies
privées. Le travail de Becquey sera poursuivi à la fin du 19e siècle par Charles de Freycinet. Pour
parfaitement saisir l’idéologie du directeur des ponts et chaussées, il convient de se référer à la
lettre que L. Becquey envoie aux préfets en novembre 1823 dans laquelle il écrit qu’ «il (le pont)
peut donc devenir plus facilement la matière d’une spéculation de la part des capitalistes, et je
vous invite à diriger sur cet objet l’attention des personnes qui voudraient consacrer leurs fonds et
leur industrie à des entreprises d’intérêt général, où l’intérêt particulier trouverait aussi sa
récompense »214.

79. Une autre date importante dans la formation de la pensée économique des ingénieurs des
ponts et chaussées est la nomination en 1832 au poste de directeur général d’A. Legrand. Cette
nomination entérine le processus d’autonomisation du corps des ponts et chaussées vis-à-vis du
pouvoir central. Certains auteurs, à l’instar d’A. Picon, voient en lui « un fervent partisan du

213
B. Grall, De l’entretien des routes à la mesure de l’utilité : le calcul de substitution chez Dupuit, in P. Dockès
(dir), Les traditions économiques françaises, CNRS éditions, 2000, p. 323 et s.
214
Propos rapportés par G. Reverdy, Les routes de France du 19e siècle, Presses de l’école nationale des ponts et
chaussées, 1993.

63
monopole d’Etat sur les travaux publics »215, cependant il cristallise plutôt en sa personne toute la
dualité de la doctrine économique des ingénieurs. A. Legrand a en effet joué un rôle considérable
dans la conception de la politique routière dans les années 30 et dans la définition du compromis
historique entre l’Etat et les compagnies privées et « s’il marqua sa préférence pour la
construction par l’Etat, sa position, en ce qui concerne l’exploitation, fut beaucoup plus
nuancée »216. Ce compromis historique est un moyen d’accorder les points de vue des ingénieurs
étatistes et libéraux en privilégiant le recours au « faire faire » si et seulement si la puissance
publique peut exercer une tutelle sur le co-contractant privé afin de rééquilibrer le rapport de
force entre des intérêts antagonistes. L’analyse de la pensée économique des ingénieurs des ponts
et chaussées est primordiale pour comprendre le droit de l’organisation des missions d’intérêt
général de l’époque car comme le note J. Petot, si « en droit, le conseil des ponts et chaussées
n’est qu’un organe consultatif, en fait, l’intendant des finances ou le directeur général se rallient
toujours à son avis, même sur des questions administratives et financières »217.

C. La hiérarchisation des modes de gestion des grands services économiques résultant


de l’irrésistible ascension du capitalisme industriel

80. Durant tout le 19e siècle, deux secteurs industriels sont le terrain de prédilection des
affrontements idéologiques entre les prosélytes de la gestion déléguée et les partisans de la
gestion directe. Si cette confrontation débouche sur une hiérarchisation des procédés de gestion
des grands services publics économiques au profit du système concessif, en contrepartie, les
tenants de l’étatisme industriel obtiennent l’accroissement des prérogatives dont l’Administration
dispose afin que les intérêts privés ne supplantent pas l’intérêt général. Ces deux secteurs
d’activité sont les services maritimes postaux (1) et les services des chemins de fer (2).

1. La question de l’arbitrage entre le faire et le « faire faire pour les services


maritimes postaux

81. La création au 19e siècle des services publics maritimes postaux réalisés au moyen de
navires à vapeur amène le personnel politique à s’interroger sur le mode de gestion à choisir entre

215
K. Keiko in La pensée économique des ingénieurs des ponts et chaussées dans la période de l’industrialisation en
France, thèse préc., p. 156.
216
F. Caron, Histoire des chemins de fer en France (1740-1883), Fayard, 1997, p. 45.
217
J. Petot, op. cit., p. 17.

64
la régie directe et la concession218. En 1835, le service postal de la méditerranée est exécuté en
régie directe. Ce choix est guidé par l’espoir de tirer des recettes largement supérieures aux
dépenses. C’est l’opinion du ministre des finances, Humann, affirmant lors des débats
parlementaires que « nous croyons, sans craindre de tomber dans l’exagération, nous promettre
des résultats tels que les produits de ce nouveau service dépasseront les dépenses qu’il
nécessitera »219. L’option de la régie ne s’est pas faite sans heurt parce que pendant toute la
Monarchie de Juillet, deux camps se sont durement opposés : les partisans de l’étatisme pour
l’exploitation des missions d’intérêt économique général et les défenseurs du libéralisme
économique prônant soit l’association public/privé (le milieu des affaires), soit l’exploitation
exclusivement privée (les idéologues220).

82. A vrai dire, en 1835 dans le domaine des services maritimes postaux, la régie apparaît
comme le seul choix possible même pour les défenseurs pragmatiques de « l’industrie privée »
tant la sphère privée refuse de se charger de cette activité sans contrepartie financière allouée par
la puissance publique. Les libéraux déposent un amendement aux termes duquel l’Etat doit
renoncer à tout transport de marchandises afin de ne pas léser les intérêts de l’industrie privée 221.
Cette impossibilité de financer le service public par le secteur marchand rentable est à l’origine
de l’échec financier de la régie. En 1847, la gestion en régie de ce service est indéniablement une
réussite technique mais par contre c’est un gouffre financier, le déficit total cumulé s’élève à 37
millions de francs222. La faillite du service public maritime postal repose davantage sur les
lacunes de la politique de financement que sur les carences du procédé de la gestion directe. Cette
expérience démontre que la pérennité du service public passe par un double financement, la
puissance publique et le marché, solution largement consacrée par la jurisprudence française et
communautaire à la fin du 20e siècle. La crise dans les finances publiques en 1848223 pousse le
gouvernement provisoire à se désengager progressivement dans les affaires non rentables.

218
M.-F. Berneron-Couvenhes, La concession des services maritimes postaux au 19 e siècle, Rev. éco., vol n°58, n°1,
janvier 2007, p. 259.
219
Moniteur universel, 24 mars 1835, p. 599.
220
L. Girard, Les libéraux en France, Paris, Aubier, 1986, p. 144.
221
Moniteur universel du 16 mai 1835, p. 1190, rapport du député Reynard.
222
Information prise du supplément B au moniteur universel du 17 juin 1851.
223
G. de la Place de Chauvac, La crise dans les finances publiques en 1848, thèse Toulouse 1916.

65
83. Dès lors, l’Assemblée Nationale décide en avril 1849 de recourir à la concession pour ce
service public dans le but de préserver les finances publiques224. Le 28 février 1851, le
gouvernement de la Seconde République a choisi la compagnie des messageries maritimes pour
assurer l’ensemble des services postaux de la méditerranée. La durée de la concession est de
vingt ans ce qui est relativement court par rapport aux durées des concessions ferroviaires. Cette
disposition temporelle a été un moyen de rassurer les défenseurs de la gestion directe. Le
financement du service public est assuré grâce à un monopole sur cette activité, surtout grâce à la
possibilité pour le concessionnaire de pouvoir transporter des marchandises (ce qui était interdit
en 1835 pour l’Etat) et par l’allocation d’une aide en nature pour la constitution de la flotte et
d’une aide financière en contrepartie des obligations de service public. Pendant toute la durée de
la concession, l’Etat doit verser environ 54 millions de francs au concessionnaire 225. Cette
coopération financière public/privé justifie aux yeux du gouvernement la mise en œuvre d’une
tutelle administrative lourde afin de contrôler l’exécution des dispositions du cahier des
charges226.

84. En 1870, une enquête parlementaire démontre que « la navigation à postale régulière ne
peut exister qu’avec le concours pécuniaire de l’Etat »227. A l’occasion des débats portant sur la
conclusion d’un avenant au traité de concession, certains députés comme C. Pelletan
s’interrogent alors sur le fait de savoir si le coût du service postal maritime subventionné est
réellement inférieur par rapport à ce qu’il coûterait à l’Etat s’il le réalisait en régie. L’argument
majeur des partisans de l’étatisme industriel renvoie à l’idée selon laquelle les traités de
concession sont un jeu de dupes car il y a une collectivisation des pertes et une privatisation des
profits. En 1907, la convention postale adoptée par les parlementaires introduit une clause inédite
d’association financière de l’Etat aux résultats d’exploitation 228. Pourtant, lors de la négociation
d’un avenant en 1908, aussi bien les libéraux que les socialistes dénoncent cette coopération

224
Cf. suppl. Moniteur universel 17 juin 1851.
225
Archives du musée de la Poste, Rapport sur l’administration des Postes, présenté au ministre des finances par L.
Riant, octobre 1877.
226
M.-F. Berneron-Couvenhes, La concession des services maritimes postaux au 19 e siècle, Rev. éco., vol n°58, n°1,
janvier 2007, p. 266.
227
Enquête parlementaire sur la marine marchande, 1863-1865.
228
L’Etat participe aux bénéfices jusqu’à hauteur de la subvention versée pour l’exploitation des services ce qui
s’apparente à un remboursement de la subvention. L. Boyer, Des conventions conclues entre l’Etat et les compagnies
française de navigation pour l’exploitation des services maritimes d’intérêt général, Paris, Giard & Brière, 1918, p.
137.

66
financière vue comme « la plus dangereuse des expériences »229, d’autant que pour les défenseurs
de l’étatisme industriel, au regard de la situation financière de l’entreprise, l’Etat n’est associé qu’
« aux chances de détresse »230. La convention finalement votée en décembre 1911 confirme la
tendance au partenariat financier entre le public et le privé qui se concrétise par l’adoption du
principe de la solidarité d’intérêts et par l’accroissement du contrôle de la puissance publique
dans la gestion de la compagnie.

85. En définitive, le recours privilégié à la politique du « faire faire » repose sur un


malentendu. A notre sens, la déconfiture financière du service public maritime postal en 1851
repose davantage sur les insuffisances de la politique de financement que sur les carences du
procédé de la régie. Or, le fiasco économique de la réalisation en régie a injustement discrédité ce
procédé par rapport à la gestion déléguée, injustement car l’impossibilité de prendre en charge les
activités rentables est un handicap manifeste pour la viabilité financière de l’entreprise étatique.
D’ailleurs, même en l’absence d’un tel handicap la société concessionnaire eut besoin d’une
subvention conséquente. La hiérarchisation des modes de gestion au profit de la gestion concédée
relève donc plus de l’idéologie. Ainsi, se confirme une fois encore l’opinion selon laquelle le
triomphe d’une doctrine relève bien moins de sa pertinence que de la volonté que manifeste le
pouvoir en place pour justifier la politique qu’il a choisi de mettre en œuvre. Le développement
de cette stratégie du « faire faire » s’est logiquement accompagné du phénomène de tutellisation
du concessionnaire en raison du partenariat financier qui s’est inéluctablement établi entre la
sphère publique et privée. La victoire des partisans du « faire faire » est le fruit d’un compromis
scellé avec les tenants de la gestion en régie : le contrôle étroit de la puissance publique. Le
service public concédé n’en reste pas moins un service public assumé par la personne publique. Il
ne doit nullement s’apparenter à une aliénation de l’activité où prédominerait la satisfaction des
intérêts strictement privés. Cette observation est confirmée par l’expérience française dans le
domaine des chemins de fer.

229
JO, Chambre des députés, séance du 2 juin 1909, déclaration de J. Siegfried, p. 234.
230
Ibid.

67
2. La question de l’arbitrage entre le faire et le « faire faire » pour les chemins
de fer

86. C’est en 1832 que la question de l’envergure du réseau de chemin de fer à construire et
des modalités de gestion sont en haut de l’agenda politique, c’est-à-dire le jour où les frères
Seguin ont expérimenté sur le chemin de fer de Saint-Etienne à Lyon qu’ils avaient construit, la
première locomotive à vapeur française. En 1832, les frères Pereire, fervent défenseur du saint-
simonisme, ont développé dans le journal « Le National » l’idée d’une association nécessaire
entre la sphère privée et l’Etat pour assurer l’essor des chemins de fer en France.
Symboliquement les Pereire ont demandé en septembre 1832 la concession de la ligne de Paris au
Pecq.

La crise dans les finances publiques, le succès du libéralisme économique dans les élites
politiques231 et la polémique sur l’utilité des chemins de fer pour le développement de la France 232
sont des arguments qui ont beaucoup pesé dans le débat relatif à la détermination des modes de

231
L. Girard, Le libéralisme en France de 1814 à 1848, Paris, Centre de documentation française, 1966.
232
A. Thiers a écrit que « les chemins de fer sont un instrument de luxe », propos rapportés par G. de La Place de
Chauvac, in La crise dans les finances publiques en 1848, thèse Toulouse 1916, p. 29. F. de Pemmereuil, dans
l’article « Chemin » de l’ Encyclopédie méthodique de Panckoucke, affirmait en 1785 que « sans grands chemins,
point de grand commerce, point d’arts au-delà des arts les plus grossiers, les chemins doublent la richesse  », propos
rapportés par J.-M. Goger, in La politique routière en France de 1716 à 1815, Paris thèse de l’EHESS 1988, p. 425.
D’un point de vue scientifique, en septembre 1835, l’académie de médecine de Lyon affirmait que « la translation
trop rapide d’un climat à un autre produira sur les voies respiratoires un effet mortel… Enfin, l’anxiété des périls
constamment courus tiendra les voyageurs dans une perpétuelle alerte et sera le prodrome d’affections cérébrales.
Pour une femme enceinte, tout voyage en chemin de fer entraînera infailliblement une fausse couche avec toutes ses
conséquences », propos rapportés par A. Philip et L. Philip, Histoire des faits économiques et sociaux de 1800 à
1945, Dalloz, 1ere éd. 2006, p. 66.

68
réalisation des chemins de fer233. Quatre projets sont discutés : construction et exploitation par
l’Etat ; concession à des compagnies, avec ou sans le concours financier de l’Etat ; construction
par l’Etat et exploitation par des compagnies fermières ; construction par des compagnies et
exploitation par l’Etat234. Pour simplifier deux grands projets se répondent : l’un donnant tous les
travaux à l’Etat, et lui laissant le bénéfice de l’exploitation, l’autre prévoyant que l’Etat concède à
des compagnies privées les travaux et l’exploitation.

87. Les chemins de fer ont rapidement pris dans « l’imagination des contemporains les
dimensions d’un monstre aux pouvoirs sans limites, capable de bouleverser les fortunes et de
renverser les situations acquises au profit de quelques-un. S’il tombait aux mains de
l’administration, il ne pouvait qu’accroître démesurément son pouvoir aux dépens des libertés
individuelles, s’il tombait aux mains des capitalistes, il risquait de livrer la Nation tout entière à
l’arbitraire des puissances de l’argent, de détruire l’équilibre des fortunes »235. Pour les prosélytes
de l’étatisme, c’est-à-dire les partisans de la construction et de la gestion directe par l’Etat des
chemins de fer, l’Etat a toujours l’avantage lorsqu’il exécute lui-même de faire mieux, puisqu’il
opère dans des vues d’intérêt public, vues toujours plus saines et plus hautes que celles des
compagnies. De plus, « l’Etat est le capitaliste qui a le plus de crédit, l’ingénieur qui a le plus de
talent, l’entrepreneur qui dispose du plus de ressources et qui a une administration habile qui
n’attend que ses ordres pour agir »236. A. Legrand a écrit en 1838 que « l’entreprise dépasse les
forces de l’industries privées »237.

En 1837, L.-M. Molé, président du Conseil, est partisan du système de l’exploitation


directe mais cédant au lobbying des milieux des affaires, il modifie son projet en faveur du
procédé de la concession à des compagnies privées, à charge pour elles de faire les travaux,
aidées par des subventions de l’Etat. Lamartine lors de la discussion de ce projet de loi critique
violemment l’option de la concession en affirmant que les concessions provoqueraient la ruine de
la France et que les concessionnaires privés auraient entre les mains un personnel et des intérêts
233
Sur cette question v. le travail important d’ A. Picard, Traité des chemins de fer, Paris, 1887, J. Rothschild., p.
442-710.
234
Ibid., p. 442.
235
F. Caron, thèse préc., p. 113.
236
Ibid., p. 115.
237
Cité par F. Caron, thèse préc., p. 115.

69
plus forts que ceux de l’Etat et seraient investis d’un monopole écrasant et seraient ainsi maîtres
des élections238. Peu importe ces modifications, le projet a été ajourné.

88. A la suite de cet échec, une commission parlementaire a été créée pour étudier l’impact
sur les comptes publics déjà moribonds d’une réalisation par l’Etat d’un premier réseau de 4.400
Km entraînant une dépense d’un milliard de francs. La commission y est hostile. Les opposants à
l’étatisme dans les années 30 ne sont même pas partisans du « faire faire », ils estiment que l’Etat
ne doit nullement intervenir dans le service des chemins de fer. F. Arago rapporteur de la
commission parlementaire préconise en 1837 une solution à l’anglaise, les chemins de fer devant
être exécutés et exploités exclusivement par des capitaux privés sans aucune aide de l’Etat. Le
principal risque du système étatique serait « d’aboutir à un développement excessif du réseau, à
son financement, direct ou indirect, par l’impôt, aux dépens des villes non desservies. L’autre
risque était de voir l’Etat s’engager dans des entreprises qu’il serait incapable de gérer et le
diriger »239.

L’avis d’A. Thiers, membre de cette commission, résume bien la pensée des défenseurs
du « faire faire » pour les services des chemins de fer lorsqu’il écrit que « les chemins de fer sont
un produit de luxe »240. C’est pourquoi, son idée n’est pas de « créer des chemins de fer avec les
deniers de l’Etat », la puissance publique doit seulement diriger les efforts des capitalistes. Dès
février 1838, A. Legrand, ne voulant pas que les travaux de la commission de 1837 restent lettre
morte, a présenté un nouveau projet né d’un compromis historique entre l’étatisme et la gestion
déléguée. A l’Etat revient la construction des lignes principales, à l’industrie privée celles des
lignes secondaires. La nouveauté réside dans l’exploitation en concession des lignes construites
sur la base de baux de très courtes durées afin que l’Etat puisse contrôler périodiquement les
tarifs et les modifier en fonction des besoins nouveaux. Ce montage doit satisfaire une partie des
élus favorable à l’étatisme car cette organisation doit permettre d’éviter que l’exploitation privée
engendre l’agiotage et la fixation de tarifs élevés dans le seul but d’accumuler de la richesse. M.
F. Caron souligne que les banquiers sont favorables à une solution de compromis, le Président de
la société générale de Belgique constate en 1838 qu’ « il est imprudent de se lancer dans de si
238
Ibid ., p. 116.
239
F. Caron, thèse préc., p. 117
240
Propos rapportés par G. de La Place de Chauvac, La crise dans les finances publiques en 1848, thèse Toulouse
1916, p. 29.

70
grandes opérations sans subsides ou garanties d’intérêt »241. Ainsi, il est certain que la majorité
des grands banquiers cherche une solution de coopération avec l’Etat.

Pour les étatistes modérés, à l’instar d’A. Legrand, ce n’est pas la délégation de la gestion
au secteur privé qui est condamnée, c’est le transfert de cette gestion qui échapperait
complètement à la puissance publique. Si l’Etat reste maître des tracés mais aussi des tarifs en
application des dispositions contractuelles, la gestion est déléguée et non transférée. Ce
compromis est rudement critiqué par les tenants de « l’industrie privée » qui sont majoritaires au
Parlement. Le vote négatif largement acquis « frappe l’Etat d’incapacité non seulement pour
l’exploitation mais aussi pour la construction des chemins de fer »242 au nom de considérations
strictement politiques.

89. Sur la période 1838-1842, l’impuissance financière de l’Etat est patente, il faut aussi
compter sur l’indifférence des capitaux privés peu enclins à financer le service des chemins de fer
à cause des mauvais résultats de cette activité. Dès lors, pendant la discussion en 1842 d’une
nouvelle loi portant sur le développement des chemins de fer en France pour rivaliser avec les
autres pays européens, le principe d’une coopération financière entre la puissance publique et la
sphère privée est décidé pour la construction des grandes lignes des chemins de fer. L’article 2 de
la loi du 11 juillet 1842 indique que « l'exécution des grandes lignes de chemins de fer définies
par l'article précédent aura lieu par le concours de l'Etat, des départements traversés et des
communes intéressées, de l'industrie privée, dans les proportions et suivant les formes établies
par les articles ci-après. Néanmoins, ces lignes pourront être concédées en totalité ou en partie à
l'industrie privée, en vertu de lois spéciales et aux conditions qui seront alors déterminées ».
L’Etat se charge d’exécuter les terrassements et de construire les ouvrages d’art, c’est-à-dire les
infrastructures et les compagnies réalisent les superstructures243.

Malgré cet édifice organisationnel destiné à rassurer à la fois les étatistes et les milieux
des affaires, la loi du 11 juin 1842 ne s’est pas accompagnée d’un essor immédiat du mouvement
des concessions. L’ordonnance sur la police des chemins de fer, publiée le 15 novembre 1846, est

241
Cité par F. Caron, thèse préc., p. 120.
242
A. Picard, Traité des chemins de fer, , tome 1, Paris, J. Rothschild, éd., 1887. 1, p. 233.
243
Ibid., p. 9.

71
venue accroître la rigueur de la tutelle administrative. Cette évolution du droit a provoqué la
détérioration des relations Etat/concessionnaire et a alimenté un conflit juridique long de 50 ans
qui s’est soldé par l’arrêt du Conseil d’Etat du 23 janvier 1903, Compagnie des chemins de fer
économiques du Nord244. A ce sujet, Hauriou déclare qu’ «  il n’est pas douteux que nous
n’envisageons plus ce contrat comme on l’envisageait vers 1840. A cette époque déjà lointaine,
aux débuts des entreprises de chemin de fer…les concessionnaires étaient considérés comme
rendant aux administrations publiques un signalé service…il semblait que le service n’existât que
par la grâce du concessionnaire, et que dans l’intérêt même du service, on ne pût trop ménager
celui-ci ». Mais « le temps écoulé a singulièrement modifié les perspectives ; les bénéfices
réalisés par certains concessionnaires, le sans-gêne avec lequel certains d’entre eux ont traité le
public, la résistance qu’ils ont opposée aux demandes d’amélioration les plus raisonnables, le fait
que les administrations publiques se sentiraient maintenant la force de prendre en régie les
entreprises concédées, toutes ces situations ont rendu beaucoup moins bonne la situation des
concessionnaires »245.

90. La crise dans les finances publiques à la fin de la monarchie de juillet 246 a largement joué
en faveur de la gestion déléguée pour l’activité des chemins de fer afin de soulager les comptes
publics par le préfinancement privé des infrastructures. Pourtant, Garnier-Pagès, ministre des
finances du gouvernement provisoire de la seconde République, a élaboré pour sortir de la crise
de 1848 un plan axé autour de trois idées maîtresses : d’une part, l’établissement d’un impôt
progressif sur le revenu, d’autre part, le rachat de l’exploitation par l’Etat de tous les chemins de
fer, c’est-à-dire la mise en régie, et enfin, le monopole de toutes sortes d’assurances. Ce plan est
repris à l’identique par Duclerc, successeur de Garnier-Pagès parti à la commission exécutive 247.

244
Rec. 1903, p. 61 et s.
245
Cf. M. Hauriou, S. 1911.III.1, p. 2 et s.
246
En définitive, si la Restauration a eu pour priorité de remettre les routes en état et de relancer la construction des
canaux, la Monarchie de Juillet a exhumé cent ans après le programme Orry à savoir une politique de construction
routière de grande envergure combinée à l’achèvement de la construction d’un véritable réseau de voies navigables.
Ainsi, dans son rapport du 2 juin 1848 sur les comptes financiers, Billault écrit que «  certes, le dernier gouvernement
(La monarchie de Juillet) avait mal géré nos finances par une série de budgets se soldant en déficit, par une masse
énorme de travaux livrés sans aucune mesure aux éventualités de la dette flottante et du crédit privé  : il avait préparé
une redoutable crise : elle avait éclater quand il est tombé : elle a dû s’aggraver des incertitudes, des tâtonnements,
des agitations inévitables dans les premiers jours qui suivent une révolution et nous subissons aujourd’hui la triple
difficulté d’un surcroît de dépenses ordinaires sur les recettes, d’une aggravation de la dette fondée et d’une
redoutable exagération de la dette flottante », in G. de La Place de Chauvac, La crise dans les finances publiques en
1848, Thèse Toulouse 1916, p. 267.
247
Ibid., p. 103.

72
A l’origine de ce plan de redressement, on retrouve deux arguments : tout d’abord le fait que les
compagnies concessionnaires se sont constituées par l’activité du chemin de fer une richesse
importante qui permettrait de «  sortir avantageusement de la crise et pour les années suivantes de
boucler facilement le budget »248 et ensuite, le fait que ces compagnies sont les adversaires du
régime républicain. C’est la Monarchie de Juillet qui a créé cette aristocratie financière à laquelle
elle a réservé de gros bénéfices et qui en retour, lui a donné un soutien politique249.
En prolongement de l’argument politique, Garnier-Pagès craint de voir s’ériger en face de
l’Etat une féodalité capitaliste capable de concurrencer la puissance publique. La concrétisation
de ce projet nécessite obligatoirement un vote de l’assemblée constituante mais le 7 juin 1848, le
rapport Bineau souligne l’impossibilité d’une mise en régie des chemins de fer parce que les
250
finances de l’Etat ne permettent pas de racheter les traités . Par ailleurs, la majorité des
membres de l’assemblée constituante est par principe hostile à l’exploitation directe des chemins
de fer. Le 3 juillet 1848, M. Goudchaux, nouveau ministre des Finances et ami intime de James
de Rothschild (banquier et ardent défenseur des compagnies privées) enterre le projet de
nationalisation des chemins de fer qui a été envisagé par ses prédécesseurs, à l’exception de la
compagnie Paris-Lyon qui à cause d’un état financier déplorable est tombée dans le giron de
l’Etat le 17 août 1849.

91. Durant toute la seconde République et le second Empire, le débat politique et juridique
n’évolue guère tant le régime impérial est conduit par des hommes dont l’idéologie ne répugne
aucunement à faire confiance à « l’esprit d’association public/privé ». L’objectif du « faire faire »
selon le conseiller personnel de Napoléon III, M. Chevalier251, est de ramener les sommes à verser
à l’Etat par les contribuables au niveau des allocations qu’autorise une politique fiscale sage et la
durée des travaux à quelques années. En 1837, il publie l’ouvrage « Des intérêts matériels en
France  : travaux publics, routes, canaux, chemins de fer »252 dans lequel il théorise sa politique de
coopération entre le public et le privé pour la réalisation des missions d’intérêt général. Ainsi, il
écrit en 1843 que « pour compléter nos travaux publics, des sommes immenses sont nécessaires.

248
ibid., p. 184.
249
G. de La Place de Chauvac, La crise dans les finances publiques en 1848, Thèse Toulouse 1916, p. 183.
250
Moniteur du 8 juin 1848, compte rendu de la séance du 7, propos rapportés par G. de La Place de Chauvac, La
crise dans les finances publiques en 1848, thèse préc., p. 185..
251
Michel Chevalier est un adepte de la doctrine saint-simonienne et éditeur du journal Le Globe qui sera interdit en
1832 lorsque la « secte des Simoniens » est décrétée contraire à l'ordre public».
252
Paris Gosselin, 6e éd. 1843.

73
En acceptant le plan d’ensemble tout récemment proposé par l’administration, et en adoptant,
selon qu’elle le désirait le mode à peu près exclusif de l’exécution par l’Etat, il nous faudrait
demander aux contribuables ou à l’emprunt rien moins que deux milliards huit cents millions. Il
résulte de là qu’en allouant une somme de cent millions par an au budget extraordinaire des
travaux publics à exécuter par l’Etat, il s’écoulerait environ trente ans avant que le pays pût
recueillir le fruit de ses sacrifices. Il faut, soit en différant quelques ouvrages, soit en appelant les
localités et l’esprit d’association privée à concourir avec l’Etat, dans une juste proportion, à la
vaste entreprise des voies de communications par eau et par terre, ramener les sommes à verser
par l’Etat au niveau des allocations qu’autorise une politique sage et prévoyante, et la durée des
travaux à une dizaine années »253 .

Les derniers années du règne de Napoléon III sont caractérisées par l’émergence d’un
nouveau courant hostile aux grandes compagnies privées sous l’impulsion des gambettistes. En
1876, un rapport rédigé par un ingénieur des ponts et chaussées, Sadi Carnot, futur Président de la
République, prône le retour à un étatisme plus fort pour la gestion des services des chemins de
fer.
C’est le plan Freycinet et la loi du 18 mars 1878 qui amorcent la constitution d’un réseau exploité
par la compagnie de l’Etat sur la base d’un rachat des traités. Ce sont les circonstances
économiques qui ont poussé l’Etat à se faire entrepreneur de transport afin de sauver de la ruine
quelques petites compagnies concessionnaires. Il convient de noter qu’en vertu de l’article 4 de
ladite loi, la gestion par l’Etat est qualifiée d’« exploitation provisoire »254. En 1883, alors que la
loi de finances prévoit un budget extraordinaire d’un montant de 528 millions de francs, le
rapporteur de la loi de finances, Ribot, plaide en faveur d’un retour plus important à la gestion
déléguée pour apaiser les comptes publics. Les conventions de 1883 ont renouvelé les principes
de la République opportuniste en ce qui concerne la politique de la gestion des grands services
publics économiques de l’Etat malgré l’opposition farouche des radicaux tels C. Pelletant ou J.
Jaurès qui agitent l’argument selon lequel les compagnies ont édifié leur fortune sur les débris de
la fortune publique.

253
M. Chevalier, in op. cit., p. 22 et 23.
254
S. Lois annotées, 1879, p. 361.

74
92. Dans son ouvrage incontournable en ce domaine, A. Picard en arrive à la conclusion
suivante : « la construction par l’Etat et la construction par les compagnies ont chacune leurs
avantages et leurs inconvénients. Les compagnies, forcées d’obéir à des nécessités financières,
sont mieux armées que l’Etat pour résister aux entraînements et pour ne pas se laisser aller à
l’établissement de lignes improductives ; mais ces nécessités mêmes peuvent les conduire à
défendre outre mesure leurs dividendes, à pêcher par excès de prudence, à se cantonner trop
rigoureusement dans leurs positions, à ne point marcher assez de l’avant, à ne pas donner au
réseau un développement suffisant »255. Il continue en soulignant que « pour tous l’écart est
minime et ne saurait fournir une raison de décider entre l’action directe de l’Etat et la concession,
seule, l’exploitation peut donner des arguments solides aux partisans de l’Etat et à ceux des
compagnies »256. Mais là encore, A. Picard note qu’ « on ne saurait davantage trouver une raison
décisive pour ou contre l’intervention de l’Etat »257.

Le recours à la pratique du « faire faire » est un choix délibéré du personnel politique


durant toute cette période au nom de la préservation des finances publiques et de la volonté de ne
pas accaparer les fruits de l’innovation de la sphère privée. Aux concessions à long terme, à la
garantie d’intérêt accordée par l’Etat et à la situation monopolistique des compagnies, la
contrepartie est l’élaboration d’une lourde tutelle administrative voulue par les tenants de
l’étatisme. Ce cadre juridique propre aux concessions de chemins de fer fixera plus tard la théorie
générale des concessions de service public258. La politique relative à la gestion de l’activité
ferroviaire est un savant mélange entre l’étatisme industriel et le libéralisme économique ce qui
permet de dégager un consensus politique à l’Assemblée Nationale. Au regard des conclusions de
Picard, il est impossible de hiérarchiser objectivement les modes de gestion. Nous pensons alors
que l’ancrage de la concession naît bien évidemment de l’idée chère aux saint-simoniens selon
laquelle il faut impérativement associer la sphère publique à la sphère privée car il est légitime de
rendre au capitalisme industriel le fruit de son invention. A. Thiers justifie la concession de la
ligne de chemin de fer aux frères Pereire car c’est « leur petit bijou »259. Mais ce recours massif à

255
A. Picard, Traité des chemins de fer, op. cit., p. 535.
256
Ibid., p. 539.
257
Ibid., p. 710.
258
J. L’Huillier, Les contrats administratifs tiennent-ils lieu de loi à l’Administration ?, chron., p. 18, D. 1953 ; F-P.
Benoit, De l’inexistence d’un pouvoir de modification unilatérale dans les contrats administratifs, chron. n° 1775, p.
25, D. 1963

75
la gestion déléguée procède surtout d’une croyance, d’un mythe tenant à la supériorité de la
gestion par une personne privée.

§2. Le recours imposé au « faire faire » pour les missions d’intérêt économique général
relevant des collectivités locales

93. Dans le domaine de la gestion des services publics locaux, l’exception française est
manifeste. En effet, dans la plupart des Etats du continent européen, la doctrine du municipalisme
visant à banaliser l’intervention des collectivités locales dans le domaine économique par la voie
privilégiée de la régie directe est fortement ancrée dans la pratique politique (A). En France, le
système de la gestion directe est dénoncée par les autorités nationales, sans que la loi ne vienne
expressément exclure ce type de gestion (B), ainsi que par le juge administratif sur la base d’une
argumentation relevant plus de la science des organisations que de la science juridique (C).

A. La montée en puissance du municipalisme dans les sociétés occidentales

94. Le Congrès socialiste international de 1900 a adopté une importante résolution qui définit
le socialisme municipal ou le municipalisme en articulant cette doctrine autour de deux axes :
l’érection d’un nombre important d’activités industrielles et commerciales en service public et
l’exploitation en régie directe par les communes desdits services publics. Il n’est pas inutile de
rapporter la déclaration du Congrès socialiste, la voici : « Que tous les socialistes ont pour devoir,
sans méconnaître l’importance de la politique générale, de comprendre et apprécier l’activité
municipale, d’accorder aux réformes communales l’importance que leur donne leur rôle
d’embryons de la société collectiviste et de s’appliquer à faire des services communaux des
institutions modèles tant au point de vue des intérêts du public que de la situation des citoyens qui
les desservent »260. Le « municipalisme » ne se résume pas uniquement à l’extension du champ du

259
Propos rapportés par A. Philip et L. Philip, in Histoire des faits économiques et sociaux de 1800 à 1945, Dalloz
1ere éd. 2006, p. 67.
260
Déclaration rapportée dans Les cahiers du socialiste n°1 à 7, L’action socialiste municipale, Librairie du Parti
Socialiste, p.5 et s.

76
service public. Cette idéologie intègre aussi la problématique de la hiérarchisation du mode de
gestion en prônant la gestion directe au détriment de la gestion déléguée. M. Hauriou affirmait
d’ailleurs en 1902 que « la municipalisation des services dont on fait grand bruit depuis quelques
temps, ne consiste point à créer des services nouveaux, mais à exploiter en régie des services qui
jusque-là l’étaient par des concessionnaires »261. Traditionnellement, la gestion en régie directe se
définit comme « la prise en charge de l’activité de service public par la collectivité publique
compétente avec ses propres moyens financiers, humains et matériels. Son critère repose sur
l’absence de personnalité juridique distincte de l’organisme chargé de la gestion du service. La
précision est importante car il existe une tendance à l’individualisation des services en régie
directe »262.

La doctrine du socialisme municipal repose sur l’idée de la primauté de la régie directe sur
la concession car elle est « une forme économique supérieure en raison de son indépendance par
rapport à l’économie mondiale et donc des fluctuations internationales »263. Les socialistes, à
l’instar d’A. Thomas, privilégient le procédé de la régie car ils ne peuvent concevoir que « les
besoins de tous deviennent une occasion de bénéfice pour quelques-uns »264. Mais loin des
considérations strictement idéologiques, les raisons de l’industrialisme municipal reposent
d’abord sur des préoccupations financières. Les villes, ayant besoin d’argent pour améliorer leur
finance, ont cru bon de faire du commerce et de l’industrie.

95. La résolution adoptée par le congrès socialiste n’est pas le point de départ d’une nouvelle
politique de la cité car, dans de nombreux Etats européens, la gestion en régie directe est déjà
bien installée dans le droit de l’organisation des missions d’intérêt économique général. Depuis la
fin du 19e siècle, le municipalisme est un fait général des sociétés européennes. En Angleterre, il
est possible de dénombrer 1142 régies des eaux, 291 régies du gaz, 196 régies d’électricité et 176
régies de tramways265. En Allemagne, il existe 424 régies des eaux, 399 régies du gaz, 220 régies
d’électricité et 86 régies de Tramways266. Il faut noter qu’en 1900, les banquiers anglais ainsi que

261
Conclusions sur CE 14 février 1902, Blanleuil et Vernaudon c/ Ville d’Angoulême, Sirey 1904.3.81.
262
J.-C. Douence, note sous CE 6 avril 2007, Cme Aix-en-Provence, chron. préc., p. 824.
263
J-J. Bienvenu et L. Richer, Le socialisme municipal a-t-il existé ?, Revue historique du droit français et étranger,
1984, p. 205.
264
Cf. Les cahiers du socialiste n°1 à 7, L’action socialiste municipale, Librairie du Parti Socialiste, p.14..
265
M. Boverat, Le socialisme municipal en Angleterre.
266
Cf. Les cahiers du socialiste n°1 à 7, L’action socialiste municipale, op. cit., p.6 et s.

77
les sociétés privées ont organisé une campagne contre les régies municipales au nom de la
défense des libertés économiques afin de contrecarrer la mise en régie du service public des eaux
de Londres. Cette entreprise a échoué, le Parlement a validé le rachat du service des eaux par
l’adoption du Metropolis water act de 1902. Il semble que l’industrialisme municipal revêt à cette
époque un caractère universel et « il est né et il s’est surtout développé dans le pays même d’où
vient la même doctrine libérale qui lui est si hostile, et l’une des premières villes qu’il a atteintes
est Manchester, la cité mère du laisser-faire et de l’initiative individuelle »267. Ce paradoxe
singulier démontre qu’à l’origine le « municipalisme » est un pragmatisme et non une application
de l’idéologie socialiste.

Si le socialisme municipal a autant proliféré en Angleterre, c’est en raison de la tradition


de l’autonomie locale, de self-government. Le rachat du service de l’eau de Birmingham à une
compagnie privée, exécuté dès 1874 sous l’autorité du maire Chamberlain a amorcé le
mouvement du municipalisme britannique268. En France, cette doctrine n’a pas trouvé d’écho
favorable et à la multitude d’activités économiques exploitées en régie à l’étranger, la France ne
peut opposer que quelques centaines de régies municipales des eaux269 et une demi-douzaine de
régie du gaz270. En France, seuls les services publics administratifs, c’est-à-dire ceux afférents à la
salubrité publique et à la sûreté qui entreraient expressément dans le champ légal d’intervention
de la commune sont exercés en régie directe car pour les partisans du libéralisme économique,
doctrine en vogue au début du 20 e siècle, le principe est que le domaine des activités industrielles
et commerciales est réservé au secteur privé. A cette époque où se construit le diptyque service
public administratif (SPA)/service public industriel et commercial (SPIC), la distinction entre la
gestion directe et la gestion déléguée est un critère de qualification de l’activité.

96. Les services publics administratifs sont exploités en régie car ils désintéressent les
entreprises privées qui n’y voient pas une source de rentabilité. La pression exercée à « faire

267
L. Petit, L’extension du domaine industriel des communes, Rev. pol. parl. 1905., p. 469.
268
E. Bouvier, La municipalisation des services publics devant la loi et la jurisprudence française, Paris secrétariat de
l’association, 1906, p. 4.
269
Selon une étude publiée en 1892 par la Société de médecine publique et d’hygiène professionnelle, en France en
1892, sur 438 villes françaises de plus de 5000 habitants pourvues d’un service d’eau, 284 ont recours à la gestion
directe.
270
En 1905, seuls 8 communes exploitaient directement la distribution du gaz aux particuliers. Pour une description
complète du phénomène en Europe, cf. E. Bouvier, La municipalisation des services publics devant la loi et la
jurisprudence française, Paris secrétariat de l’association, 1906, p. 4 et s.

78
faire » ces missions par la coalition des intérêts capitalistes est quasiment inexistante. En
revanche, en ce qui concerne les services publics économiques, c’est-à-dire les services dont
l’exploitation se fait dans les mêmes conditions qu’un industriel ordinaire et dont la gestion
« permet de dégager des ressources que le délégataire peut normalement percevoir directement
auprès des usagers »271, l’attrait de la sphère privée est indéniable tant ceux-ci peuvent être une
source de revenu important. Comme l’écrit le Professeur Delacour, il « y a une adéquation des
services publics industriels et commerciaux à la gestion déléguée »272. La question qui se pose est
de savoir pourquoi on trouve de telles statistiques de la gestion en régie en France alors que
l’expérience du municipalisme dans les villes étrangères est concluante, notamment dans les
villes anglaises, comme à Birmingham depuis 1875 ou à Glasgow depuis un Parliament act de
1869, ou encore à Manchester, ville qualifiée de « pionnier des propriétés collectives du gaz »273.
Pendant l’année 1906, le conseil municipal de Lyon a même mandaté une délégation afin qu’elle
se rende en Angleterre pour analyser les moyens employés et les résultats obtenus par le procédé
de la régie directe274.

271
E. Delacour, thèse préc., p. 401. En même temps, les contrats de concession à paiement public avaient un
fondement législatif. En effet, le 21 août 1890, la ville de Marseille a signé un contrat de concession avec M. Génis
pour la réalisation de travaux et l’entretien du curage du collecteur et des égouts de la ville pendant 50 ans. Ce
contrat a été entériné par la loi du 24 juillet 1891 (publiée au JO du 25 juill. 1891, n°199) relative à l’assainissement
de la ville de Marseille. Dorénavant l’acte de concession à paiement intégralement public a un statut légal.
272
E. Delacour, thèse préc., p. 401.
273
Selon L. Jaray, « une telle municipalité devient une organisation économique plus qu’une administration
politique », in Industries municipalisées, dans les Questions pratiques de législation ouvrière 1903, p. 305.
274
L. Petit, L’extension du domaine industriel des communes, chron. préc., p. 468.

79
B. Le choix de la régie directe pour les services publics économiques à l’épreuve de la
loi française

97. La loi française ne prohibe pas le recours à la régie pour la gestion des services publics
économiques. Le mouvement de défiance vis-à-vis de ce procédé repose sur une interprétation
erronée du silence de la loi (1). En revanche, il est clair que la loi n’offre pas aux collectivités
locales des structures aptes à gérer une activité industrielle et commerciale (2).

1. Le silence de la loi sur la hiérarchisation des modes de gestion des services


publics économiques locaux

98. La problématique relative à l’intervention des communes dans le domaine économique est
composée en fait de deux sous problématiques. D’une part, la commune peut-elle librement
entreprendre des opérations industrielles en créant à son gré des services publics à caractère
industriel et commercial ? D’autre part, dans l’hypothèse d’une création de service public dans la
limite de ses compétences, la collectivité locale doit encore penser à son organisation, peut-elle
comme bon lui semble décider de l’exploiter directement en régie, ou est-elle contrainte de
recourir à la collaboration avec un tiers ? Par rapport à notre sujet d’étude, nous approfondirons la
seconde question mais il est vrai qu’il est malaisé de dissocier les deux interrogations. La
doctrine et le Conseil d’Etat n’ont pas toujours disjoint la question de la liberté laissée aux
communes de créer un nouveau service public de la question de la liberté laissée aux communes
de choisir le mode de gestion du nouveau service public, comme dans l’article d’A. Mater intitulé
« Le municipalisme et le Conseil d’Etat »275. Cette confusion peut être qualifiée de facilité
intellectuelle. Néanmoins, il faut reconnaître que dans les espèces que devait trancher le juge, les
deux questions étaient intimement liées.

99. Le régime légal du 5 avril 1884, qui constitue une étape importante dans le processus de
décentralisation, ne s’oppose pas à la régie directe, il s’oppose à ce qu’un pouvoir politique local

275
A. Mater, Le municipalisme et le Conseil d’Etat, Rev. d’économie politique 1905, p. 311 et s.

80
exerce une activité économique dans un but de lucre et non dans un but de service public. La
compétence économique de la commune est bien générale mais « elle n’est pas discrétionnaire,
elle est liée par la notion de service d’intérêt général »276. Alors que l’article 50 de la loi du 24
décembre 1789 confie exclusivement aux autorités municipales le pouvoir de police en vertu
duquel elles sont chargées d’assurer la propreté, la salubrité, la sûreté dans les lieux et édifices
publics (encore que par la généralité des termes employés en 1789, des activités économiques
peuvent avoir pour finalité d’assurer la salubrité publique par exemple), la loi de 1884 proclame
dans son article 62 que le Conseil municipal a les pouvoirs les plus larges dans tout ce qui touche
aux intérêts de la commune. La révolution opérée par la loi de 1884 réside dans le fait
qu’autrefois, excepté ce qui était limitativement autorisé, tout était interdit alors que dorénavant
sous l’empire de la loi de 1884, tout est permis sauf ce qui est formellement interdit277.

100. Pour s’opposer à l’exploitation en régie des services publics économiques, les partisans du
libéralisme économique invoquent pourtant certains articles du chapitre III de la loi de 1884 sur
la base d’une interprétation fantaisiste des textes. Mimin par exemple combine l’article 61 de la
loi de 1884 selon lequel « le Conseil municipal règle, par ses délibérations, les affaires de la
commune » et l’article 68 qui fait l’inventaire des affaires communales importantes et selon lui
ces dispositions ne font aucune allusion aux entreprises communales de nature industrielle et
commerciale278. La thèse « anti-municipalisme » serait aussi étayée par l’article 133 n°10 de la loi
qui aborde la question des produits des concessions d’eau, de l’enlèvement des boues et
immondices de la voie publique et autres concessions autorisées pour les services communaux.
Le législateur aurait ainsi consacré la concession comme mode normal des services communaux
et par conséquent si l’assemblée délibérante adopte un texte posant l’exploitation directe en régie
d’un service économique, sa décision tomberait sous le coup de l’article 63 suivant lequel « sont
nulles de plein droit les délibérations du Conseil municipal sur un objet étranger à ses
attributions ».

276
G. Revel, L’extension de la compétence des communes en matière économique, thèse Lille, imp. Taffin, 1928, p.
123.
277
Pour reprendre une expression utilisée par M. le Professeur P. Terneyre, Les montages contractuels complexes,
AJDA 1994, n°spécial, p. 44.
278
P. Mimin, Le socialisme municipal, thèse Paris, 1912, p. 80.

81
Cette analyse ne résiste absolument pas à un examen critique tant cette thèse repose sur un
abus de logique et élude le contexte historique qui a dicté la rédaction de la loi de 1884 279. La
généralité des termes de l’article 61 corrobore indéniablement l’idée selon laquelle la commune
bénéficie désormais d’une clause générale de compétence. G. Revel dans sa thèse relative à
l’extension des compétences des communes en matière économique relève à juste titre que « les
articles 61 et 68 n’ont donc pas d’autre raison d’être que de déterminer le degré d’efficacité qui
s’attache aux délibérations du Conseil municipal. Renverser le principe de la loi 1867, telle a été
la volonté du législateur de 1884. Loin d’avoir des intentions liberticides, il a voulu, au contraire
accroître la liberté communale et la rendre plus effective. Il n’a donc pas entendu trancher une
question qui, par ailleurs, ne le préoccupait pas »280. Ces dispositions de la loi de 1884 intéressent
davantage le champ de création des services publics que la question du choix des modalités de
gestion des services publics. L’argument tiré de l’article 133 qui imposerait le procédé de la
concession repose sur une interprétation erronée car l’emploi du verbe « autoriser » démontre
qu’en ce domaine il n’y a aucune injonction, la loi offre simplement la possibilité aux communes
de concéder certaines activités.

2. L’absence de structure administrative communale apte à gérer une activité


économique

101. Mimin, fervent partisan du libéralisme économique, a déduit de l’absence d’organisation


économique de la commune, l’absence de fonction économique de cette collectivité. « Dans
l’esprit du législateur, la commune a si peu dans ses attributions la fonction économique qu’il ne
lui a donné aucune organisation ad hoc. A sa fonction purement administrative correspond une
organisation purement administrative. A la fonction économique, si le législateur l’avait donnée
généralement aux communes, correspondrait une organisation économique. Les régies
trouveraient des administrateurs responsables, désintéressés, une direction autonome et bien
assise, un budget séparé, une comptabilité indépendante. Au lieu de cela, nulle responsabilité
civile des administrateurs ni de leurs agents, une direction précaire, aussi inconstante que le
Conseil municipal, la plus versatile des assemblées, le contrôle pesant d’une tutelle, un budget
noyé dans le budget communal, sous des articles si divers qu’il est impossible d’en établir le
bilan, une comptabilité confondue dans la comptabilité publique soumise aux mêmes lenteurs,
279
G. Revel, L’extension de la compétence des communes en matière économique. Régies directes, entreprises
municipales d’économie mixte, thèse préc., p. 16.
280
Ibid., p. 17.

82
aux mêmes formalités soupçonneuses et compliquées. Personne ne reconnaîtra ici les caractères
d’une organisation économique. Et le législateur serait insensé qui aurait pu assurer dans ces
conditions l’exercice de la fonction industrielle »281. Cet argument a de quoi séduire. Mais « de
l’absence d’organisation économique, on ne peut conclure logiquement à l’absence de fonction
économique. Ce n’est pas à cause d’une organisation mauvaise ou incomplète, que le principe
même de l’intervention gisant à la base de cette organisation doit être rejeté sans autre forme de
procès »282.

102. De nombreux textes législatifs et réglementaires ont reconnu expressément la possibilité


de gérer en régie directe des activités commerciales : la loi du 22 octobre 1880 autorise la ville de
Tourcoing à exploiter elle-même son usine à gaz ; des ordonnances et décrets confèrent à onze
communes ou groupes de communes le droit d’exploiter des gisements miniers ; le décret du 10
juin 1893 sur le syndicat de communes permet d’exploiter les sources minérales de Cauterets ; la
loi du 11 juin 1880 dispose à la fois que l’établissement d’un chemin de fer d’intérêt local sur le
territoire d’une commune sera décidé par le Conseil municipal, sans qu’il soit besoin de
l’approbation du préfet, et que l’exploitation directe pourra être substituée à l’exploitation
concédée, en vertu d’un décret en Conseil d’Etat »283 ; les décrets-lois des 15 et 28 mars 1790
relatifs à l’organisation des halles, des marchés et des bureaux de pesage et mesurage public ; les
décrets du 24 février 1811, les loi des 8 janvier 1905 et 8 janvier 1921 portant sur les abattoirs ; la
loi du 21 août 1900 relative aux bureaux de conditionnement ; les lois du 17 juillet 1889 et du 28
décembre 1904 relatives aux chambres funéraires et au service extérieur des pompes funèbres. La
prolifération de ces lois spéciales est susceptible de desservir les partisans du socialisme
municipal car elles peuvent être considérées comme un indice probant de l’interdiction de
principe d’exploiter en régie directe un service public économique. Dès lors, le dépôt de projets
de loi par les socialistes visant la mise en régie d’industrie accrédite malheureusement la thèse
infondée selon laquelle en principe la concession est le mode normal de gestion des services
publics économiques.

281
Mimin, Le socialisme municipal, thèse paris, 1912, p. 80.
282
G. Revel, L’extension de la compétence des communes en matière économique. Régies directes, entreprises
municipales d’économie mixte, thèse préc., p. 23.
283
A. Mater, Revue d’économie politique, mai 1905, p. 342.

83
103. Le législateur, dans certaines circonstances, n’a pas validé de « bon cœur » les projets de
régie des services industriels. Les péripéties entourant le choix du mode de gestion du service
public du gaz à Paris montrent l’hostilité du Sénat envers l’exploitation directe des services
publics économiques. Dès 1900, la compagnie concessionnaire du service public de distribution
du gaz n’a pas donné entière satisfaction ni à la Ville de Paris, ni aux usagers. Devant cette
impopularité croissante, les socialistes parisiens ont élaboré un projet de mise en régie de cette
activité qui a été adopté le 3 juillet 1903. Le conseil municipal a décidé le 5 février 1904 de voter
l’émission d’un emprunt de 120 millions de francs destiné à l’acquisition de la partie de l’actif
appartenant à la compagnie et à la constitution d’un fonds de roulement pour le fonctionnement
de la régie. Pour emprunter une telle somme, une loi est nécessaire. La Chambre des Députés a
approuvé cette politique par un vote du 25 octobre 1904 sauf que ce projet de régie du gaz a été
rejeté au Sénat. Un combat opposant les députés et les sénateurs a donc débuté car la chambre a
« ressuscité » le projet un an plus tard, le 13 novembre 1905, mais la persistance du refus du
Sénat a eu raison du socialisme municipal parisien, le projet de mise en régie a donc été enterré.

Cependant, la réaction des élus parisiens ne s’est pas faite attendre et ils ont entrepris un
mouvement radical pour imposer la gestion directe du gaz à Paris, mouvement qui peut se
résumer au slogan suivant : « c’est Paris sans gaz ou le gaz en régie ». En effet, le Sénat ne donne
pas à la commune de Paris les moyens d’organiser la régie, néanmoins, l’Etat ne peut contraindre
la commune à conclure un contrat de concession avec une entreprise privée. Un compromis a
alors été trouvé avec le pouvoir central en établissant une régie intéressée pour remédier aux
insuffisances organisationnelles du procédé de la régie directe pointées du doigt par les
sénateurs284. Cette solution n’a pas satisfait entièrement les élus socialistes car la régie intéressée
ne s’établit d’ordinaire qu’au moment où les conditions principales de la régie directe sont
réunies, donc c’est ce procédé qui aurait dû s’imposer. Ce conflit parisien démontre que la
défiance envers le procédé de la régie directe repose principalement sur des considérations
politiques et organisationnelles.

284
Cf. Les cahiers du socialiste n°6, L’action socialiste municipale, Librairie du Parti Socialiste, p.19 et s.

84
C. Le choix de la régie directe pour les services publics économiques à l’épreuve de la
jurisprudence administrative

104. A la lecture des avis et arrêts de la fin du 19 e siècle et du début du 20e siècle du Conseil
d’Etat, il est certain que le juge administratif n’entend pas valider le socialisme municipal. Le
Conseil d’Etat s’oppose en fait aux deux volets du municipalisme à savoir l’érection d’activités
commerciales et industrielles en service public et la mise en régie de ces missions. L’intérêt
d’étudier la jurisprudence est de montrer quelles raisons poussent le Conseil d’Etat à obliger les
communes au « faire faire ». Au nom de quelle doctrine le juge administratif décide qu’une
commune ne peut entreprendre elle-même une opération économique qui entre expressément
dans ses attributions comme le tramways en vertu de la loi du 10 juillet 1880 relative aux
chemins de fer d’intérêt local ? Malheureusement si la question est pertinente, la réponse
apportée par le juge l’est beaucoup moins sur le plan intellectuel parce que si le Conseil d’Etat est
hostile au système de la régie pour les activités commerciales entrant dans le domaine d’action de
la commune c’est en raison d’une incompétence pratique et juridique de la commune. Or, si le
premier argument est recevable, le second résulte encore une fois d’une interprétation fantaisiste
des textes285.

Ce qui nous fait dire que c’est essentiellement l’esprit « bourgeois » du Conseil d’Etat et
l’attachement de celui-ci aux conceptions de l’économie libérale qui expliquent la doctrine de la
haute assemblée administrative. G. Jèze note dans les « Principes généraux du droit » qu’ « à
l’heure actuelle le Conseil d’Etat est composé, en majorité d’hommes dont la formation
285
La doctrine du juge administratif prônant l’hostilité envers la régie a pu se développer grâce à la jurisprudence du
Conseil d’Etat qui a étendu le plus possible sa compétence sur les délibérations des communes en attribuant aux
simples contribuables un contrôle le plus facile possible sur les actes par lesquels une commune peut opérer la
municipalisation des services publics. Ainsi, comme l’écrit A. Mater, « les arrêts des 29 juin 1900, 1er février et 29
mars 1901 ont transformé la garantie du recours pour excès de pouvoir en une institution démocratique, puisque
toute décision des autorités municipales pourra être désormais attaquée, et qu’au lieu d’avoir à justifier d’un intérêt
direct et personnel, il suffira d’être atteint comme contribuable, c’est-à-dire pour quelques centimes, par l’acte
incriminé », v. A. Mater, Revue d’économie politique, mai 1905, p. 337. Par ailleurs, il est possible aux
contribuables d’attaquer la décision du préfet portant sur les immeubles de la commune. En effet, la réalisation d’une
industrie municipale suppose généralement l’acquisition préalable d’un immeuble, siège de l’entreprise, or
l’approbation du préfet est nécessaire pour affecter à l’industrie envisagée un immeuble communal affecté
précédemment à un autre service, ou un immeuble libre, mais dont l’affectation dépassera 18 mois, ou pour prendre à
bail un immeuble pendant plus de 18 ans, ou pour acheter un immeuble dont le prix, ajouté aux dépenses analogues
de l’exercice courant, dépasse les ressources que la commune peut se créer sans autorisation (Article 67, 68, 69 de la
loi de 1884). La palette des moyens juridiques offerts aux requérants pour empêcher la création d’un service public
industriel et la mise en régie dudit service s’articule autour de deux arguments à savoir attaquer la légalité de la
recette ou attaquer la légalité de la dépense ce qui tend à placer sous la tutelle du Conseil d’Etat les budgets
communaux.

85
intellectuelle, au point de vue économique, remonte à une époque où triomphaient les doctrines
de l’économie politique dite orthodoxe, libérale, doctrines individualistes à outrance, résolument
hostiles au développement des services publics. D’autre part, au point de vue politique, quelle
que soit la préoccupation des juges du Conseil d’Etat de ne les point manifester, il n’est pas
douteux que les programmes socialistes ou même interventionnistes n’ont point la faveur de la
majorité »286.

105. Le juge se prévaut de deux arguments juridiques. Tout d’abord, les articles 61 et 62 de la
loi de 1884 poseraient le principe de spécialité des communes consistant à ce que la capacité des
personnes publiques se limite exclusivement à l’exécution des services pour lesquels elles ont été
créées. Le Conseil d’Etat dans un avis de la section de l’Intérieur en date du 17 juillet 1894 sur
une projet de pharmacie municipale à Roubaix considère que « les communes n’ont point une
capacité illimitée et qu’elles doivent, comme les autres établissements publics se renfermer dans
le cercle des attributions qui leur sont assignées par la loi »287. Ensuite, cette incompétence
juridique résulterait du principe de la liberté du commerce et de l’industrie posé par la loi de mars
1791. L’évocation de l’argument tiré de la protection de la liberté du commerce et de l’industrie
issue de l’article 7 de la loi d’Allarde des 2 et 17 mars 1791 est quelque peu révélatrice de la
confusion des problématiques. A notre sens, l’opposabilité du principe de la liberté du commerce
et de l’industrie ne joue que pour empêcher une activité économique d’être estampillée service
public. Si la création du service public est justifiée, il est difficilement concevable d’obliger au
« faire faire » sur le fondement de la liberté du commerce et de l’industrie car l’érection d’une

286
G. Jèze, Principes généraux du droit, 2e éd., p. 307 et 308.
287
DP 1898.3.3. L’argument de l’incompétence juridique des communes à exercer un commerce ou une industrie est
parfaitement résumé dans les conclusions du commissaire du gouvernement Romieu dans la célèbre affaire de la
boulangerie coopérative de Poitiers suivant lesquelles « les attributions des corps locaux sont limitées par leur nature
même. Ils ne peuvent en dehors d’une délégation législative, porter atteinte à tout ce qui concerne certains droits
généraux ou individuels, à la liberté du commerce ou de l’industrie, aux rapports économiques des citoyens entre
eux, etc… Spécialement, pour les conseils municipaux, la loi du 5 avril 1884 porte seulement qu’ils règlent les
affaires de la commune ; elle détermine celles de leur délibérations qui doivent être approuvées par l’autorité
supérieure, mais elle s’abstient de définir la sphère d’action du corps municipal et les matières sur lesquelles, par des
délibérations exécutoires ou non, il lui appartient de statuer, en un mot ce qui doit être entendu par les mots « affaires
de la commune ». C’est donc au juge qu’il appartient de délimiter, beaucoup plus par l’examen des espèces que par
voie de théorie générale, les pouvoirs des conseils municipaux…Les conseils municipaux ne peuvent, en principe,
exercer un commerce ou une industrie : d’abord parce que cela constitue une modification au régime économique de
la liberté du commerce et de l’industrie et de la libre concurrence, auquel le législateur seul peut porter atteinte  ;
ensuite parce qu’il n’est pas sans inconvénients d’engager les finances communales dans le hasard d’une entreprise
commerciale », in CE 1er février 1901, Descroix, Deservik et autres ; concl. de M. Romieu, comm. du gouv., Leb., p.
105.

86
activité économique en service public évacue toute atteinte à ce principe vu que le service public
répond à une carence du commerce et de l’industrie. C’est la jurisprudence restrictive en ce qui
concerne l’extension de la sphère d’intervention des collectivités locales qui justifie à notre sens
le principe de liberté d’organisation des services publics. Le juge administratif, lorsqu’il invoque
la liberté du commerce et de l’industrie dans certaines espèces, s’y réfère pour annuler une
délibération créant un service public économique exploité en régie, mais cet argument ne peut
concerner que le problème de la création du service et non celui des modalités de réalisation.
D’autant que si pour qu’il y ait intérêt public local, la jurisprudence administrative tend à
consacrer le critère de la carence de la sphère privée, il paraît inopportun voire inefficient de
rendre partiellement au secteur privé ledit service au moyen d’un contrat de concession alors que
celui-ci fut incapable d’assurer convenablement une telle entreprise.

106. Dans le même sens, l’argument selon lequel l’impossibilité pour la commune de gérer en
régie directe les activités économiques reposerait sur le principe de spécialité est à rejeter. En fait,
il n’entrerait pas dans les attributions des municipalités d’exploiter une entreprise ayant un
caractère industriel. Même si la commune était soumise à un principe de spécialité, ce qui n’est
plus le cas depuis l’énonciation d’une clause générale de compétence au profit des collectivités
locales par les lois du 10 août 1871 pour les départements et du 5 avril 1884 pour les communes,
le label service public apposé sur une activité économique exclut toute limitation en ce qui
concerne les modalités de gestion. En effet, ce moyen juridique ne tient pas car il est logique
q’une activité qui est la raison d’être d’une personne publique, à savoir le service public, puisse
être réalisée directement par celle-ci.

Reprenons l’exemple de la création d’une pharmacie municipale à Roubaix, le Conseil


d’Etat dans son avis considère que la commune ne peut entreprendre une telle activité car elle n’a
pas la capacité commerciale, mais en l’espèce la municipalité comptait concéder à un tiers cette
mission288. Dans cette affaire, la problématique ne porte pas sur le faire ou le « faire faire » mais
sur l’érection en service public d’une activité commerciale. La commune ne peut intervenir dans
une entreprise de commerce ou d’industrie ni par exploitation directe ni par la voie de la
concession car il lui est impossible de réaliser par « le détour de la concession ce qu’il lui est

288
G. Revel, thèse préc., p. 44.

87
défendu de faire soi-même »289. Il est donc primordial de dissocier la problématique relative à la
capacité commerciale des communes de la problématique afférente à la libre organisation des
missions d’intérêt économique général.

107. En 1875, une décision du Conseil municipal de Tourcoing a érigé le service de l’éclairage
par le gaz en service public géré directement par la commune. A ce titre, un emprunt de 2,5
millions de francs a été prévu pour couvrir les frais de premier établissement de l’usine et des
canalisations, mais cet emprunt supérieur à un million doit être validé par une loi. Une première
ébauche du texte est élaborée, ensuite elle doit être envoyée au Conseil d’Etat pour examen. La
haute assemblée administrative dans un avis en date du 7 juin 1877 290 dresse une terrible critique
contre la régie directe. Plus précisément, le Conseil d’Etat a interdit à la ville la mise en régie du
service du gaz au motif que « l’industrie du gaz est soumise aux variations du marché, tant pour
l’achat des matières premières que pour la vente des sous-produits, est en outre, exposée, par son
débit dans les centres industriels, aux influences des circonstances économiques et qu’en
exigeant, par suite, des conditions indispensables de vigilance, d’habileté commerciale, elle
comporte des chances incertaines de succès, que les risques des actes de la Commission qui serait
chargée de gérer l’usine de Tourcoing ne seraient couverts par aucune des responsabilités que la
loi fait peser sur les administrateurs des sociétés de commerce, et qu’en cas d’insuccès, les pertes
en provenant retomberaient à la charge de la ville, que, d’autre part, et à supposer une
exploitation toujours fructueuse, les garanties dont les règles administratives ont entouré les
marchés et traités passés avec les communes feraient défaut à une entreprise de cette nature dont
les opérations quotidiennement renouvelées échapperaient forcément au contrôle de l’autorité
supérieure ; qu’il serait à craindre qu’une ville transformée en entrepreneur d’éclairage ne fut
amenée à négliger les services auxquels elle devrait pourvoir à exagérer le prix des abonnements
».

108. La doctrine du Conseil d’Etat ne repose nullement sur des arguments juridiques mais sur
des considérations d’ordre managérial et organisationnel. Tout d’abord, le Conseil invoque les
chances incertaines de succès sauf que dans une industrie de réseaux, une fois les aléas
économiques du début, l’offre et la demande en période normale se régularisent dans la mesure
289
E. Bouvier, op. cit., p. 28.
290
Annales des sciences politiques, 1905, p. 201, n°1.

88
où la clientèle est captive ce qui explique l’attrait des entreprises privées. Ensuite, les agents
communaux ne feraient pas preuve de vigilance et d’habileté commerciale. En filigrane de cet
avis, se dessine l’idée selon laquelle les conseillers municipaux sont élus pour leurs orientations
politiques et non pas pour leurs compétences techniques et scientifiques. C’est oublier que
l’administration communale est composée d’agents techniques placés sous leurs ordres qui sont
souvent débauchés par la sphère privée 291. L’exemple des villes étrangères et en particulier des
villes anglaises amoindrit énormément la portée de la thèse « de la maladresse commerciale des
communes »292.

109. Par ailleurs, le juge reproche au système de la régie son organisation désintéressée, « or
l’irresponsabilité personnelle entraîne le défaut d’initiative, car la responsabilité est remplacée
par des formalités et des surveillances qui empêchent d’agir, l’irresponsabilité complétée par
l’absence d’intérêt personnel chez l’agent permet les ingérences de la politique électorale dans les
administrations et partant, la subordination des intérêts du service aux influences électorales »293.
Selon nous, une mauvaise gestion de l’entreprise industrielle municipale gérée est sanctionnée
par le suffrage universel. La responsabilité politique doit conduire à la bonne administration des
régies directes. De plus, l’irresponsabilité n’est pas le propre des administrations publiques, c’est
« une fatalité des entreprises collectives anonymes »294. Il faut également mettre en exergue le
manque de cohérence du raisonnement du Conseil d’Etat. En même temps qu’il fustige la rigueur
et la lourdeur du contrôle administratif incompatible avec la souplesse et l’élasticité de l’organe
décisionnel dans une entreprise commerciale privée, il dénonce le fait que « les opérations
quotidiennement renouvelées échapperaient forcément au contrôle de l’autorité supérieure ». De
même, il craint un déficit de l’entreprise mais le juge critique aussi la propension du Conseil
municipal à se montrer âpre au gain au point d’exagérer le prix des abonnements ou des tarifs.
Ainsi, quelque soit la situation économique de la régie, celle-ci serait montrée du doigt par le
Conseil d’Etat car si elle est déficitaire, cela pèserait énormément sur les finances locales ce qui
nuirait au bon fonctionnement des services auxquels la commune devrait pourvoir et en cas de

291
G. Revel, thèse préc., p. 97.
292
E. Bouvier, op. cit., p. 37.
293
G. Revel, thèse préc., p. 98.
294
Propos du Doyen Hauriou rapportés par G. Revel, thèse préc., p. 99.

89
réussite, le profit constituerait une détestable forme d’impôt pour reprendre la formule
d’Hauriou295.

110. La doctrine du Conseil d’Etat se ramène strictement à un problème de politique


économique et d’organisation administrative. Rien ne sert d’invoquer des motifs juridiques, ils
n’existent pas. Comme l’affirme G. Revel, il ne faut donc pas s’étonner si le Parlement français
est passé outre l’avis négatif de la haute assemblée administrative en autorisant l’emprunt de la
Ville de Tourcoing par la loi du 30 juillet 1880. A la lumière de cet avis, on comprend pourquoi
le Conseil d’Etat a très tôt validé la mise en régie de distribution d’eau car en ce domaine, l’eau
est un bien se trouvant directement dans les communes et ne représente donc pas une grosse
dépense. Dans le même esprit, le Conseil d’Etat a été plutôt favorable aux régies directes pour
l’énergie quand il a été démontré que l’exploitation directe de ces usines n’engendrerait pas de
gros investissements et de grosses charges pour la commune296.

111. Toutefois, le Conseil d’Etat dans un avis en date du 24 février 1887 297 portant sur le
funiculaire de Belleville réaffirme son aversion envers le procédé de la régie directe pour les
activités industrielles et commerciales. En l’espèce, le conseil municipal de Paris veut gérer en
régie directe le funiculaire qui relie le faubourg du temple de la place de la République à l’Eglise
Saint Jean-Baptiste de Belleville. Ce projet s’appuie sur l’article 10 de la loi du 11 juin 1880
relative aux chemins de fer d’intérêt local et aux tramways qui prévoit « la substitution de
l’exploitation directe à l’exploitation par concession ». Le Conseil d’Etat a interprété la loi dans
un sens restrictif. Selon lui, ce texte ne viserait que la régie provisoire résultant d’un rachat ou
d’une déchéance. Ce ne serait qu’une période transitoire en attendant un nouveau traité de
concession. G. Revel dans sa thèse précitée écrit au sujet de cet avis qu’ « il s’agit d’une solution
bâtarde car si la commune ou la ville avait compétence pour exploiter directement en régie, a
fortiori, l’avait-elle dans les autres cas, et que rien ne la contraignait à concéder de nouveau »298.

295
M. Hauriou, RDP 1908, p. 78.
296
Discours de P. Strauss au Sénat, séance du 21 février 1905, Débats parlementaires, p. 275  ; v. aussi CE 13
novembre 1897, Commune de Navarrinx, Leb., p. 700.
297
Rev. gén. d’administration, 1895, I, 467.
298
G. Revel, thèse préc., p. 101.

90
Néanmoins, cette position est caractéristique d’une méfiance du Conseil d’Etat à l’égard
de la régie et ce même pour les activités où il ne fait nul doute qu’elles entrent dans la sphère
d’action communale. Cet avis du 24 février 1887 a fixé la doctrine du juge administratif et du
ministre de tutelle des collectivités locales. Par une lettre du 21 août 1894, le Ministre de
l’Intérieur dénie aux communes le droit d’exploiter en régie l’entreprise de tramways car cette
activité a un caractère essentiellement industriel et « ne rentre (donc) pas dans le cercle normal
des attributions des municipalités, et par suite des syndicats ». La mise en régie est prohibée car
cette activité n’est pas de la compétence des communes. Le Conseil d’Etat et le ministre de
l’Intérieur font une interprétation erronée de la loi de 1884 car en vertu de ce texte, la commune a
compétence pour régler par ses délibérations les affaires de la commune. L’argument de
l’incapacité de la commune en matière commerciale ne tient pas. En effet, selon la jurisprudence
administrative celle-ci deviendrait capable en raison des circonstances économiques extérieures
(critère de la carence de l’initiative privée) et il est étrange que des évènements extrinsèques à la
personne juridique puissent modifier sa capacité juridique. En droit civil, ce sont des faits
intrinsèques à la personne qui rendent incapable un sujet de droit.

112. Au-delà de ces considérations juridiques sans valeur, le Ministre rajoute la sempiternelle
allusion à l’inaptitude commerciale (pratique) des communes. Ainsi, « l’exploitation en régie
d’une voie ferrée ne donnerait, il y a tout lieu de le craindre, que des résultats défavorables. Le
comité du syndicat, composé de délégués des conseils municipaux, ne pourrait pas être maîtres
des tarifs, en présence des demandes d’abaissement qu’il serait d’autant moins porté à rejeter
qu’il n’aurait pas un intérêt dans l’entreprise et que sa responsabilité ne serait pas directement
engagée »299.

113. L’affinement de la doctrine du Conseil d’Etat s’est réalisé dans un avis du 1 er mars 1900 à
propos des vidanges lilloises300. Dans cette affaire, le juge aborde l’ensemble des questions
relatives à l’intervention économique des communes tout en les distinguant. Le conseil municipal
de Lille a adopté une délibération le 4 mai 1898 visant à racheter l’établissement privé « les
vidanges lilloises » dans le but de l’ériger en service public et de l’exploiter directement. Cette
transaction s’élevant à 800.000 francs, la ville doit emprunter ce qui nécessite le vote d’une loi au
299
Lettre citée par G. Revel, thèse préc., p. 102.
300
Revue gén. d’Adm., 1900, 1, 433.

91
Parlement. Le Conseil d’Etat a donné son avis sur le projet de loi nécessaire pour valider
l’emprunt. Le juge administratif en se basant sur les conclusions d’experts économiques a décidé
que ce rachat s’élèverait en réalité à 1.130.000 francs, et a qualifié cette opération d’acte de
mauvaise administration. L’avis aurait pu s’arrêter là mais le juge a profité de l’occasion pour
préciser sa doctrine en ce qui concerne l’intervention économique des communes.

Le juge administratif a considéré que « la ville se propose, non seulement de tirer profit de
l’extraction et de l’enlèvement des matières usées, mais encore de leur faire subir des
transformations nécessaires et de rechercher l’écoulement des produits qu’elle aura obtenus,
qu’elle serait ainsi amenée à faire une série continue d’actes d’achat et de vente ; qu’une
opération de cette nature constitue une opération industrielle et commerciale qui ne rentre pas, en
principe, dans les attributions des Conseils municipaux. Considérant que si à la vérité, quelques
villes ont été autorisées à assurer, au moyen de la régie directe en certains cas, l’alimentation en
eau potable, ou tout à fait exceptionnellement, l’éclairage public ou privé, c’est en raison de
certaines circonstances économiques qui ne permettaient qu’à elles seules de poursuivre et de
réaliser pratiquement l’ensemble des opérations nécessaires, que de même, le système de la régie
appliquée à un service public de vidanges ne pourrait s’expliquer que s’il était démontré qu’il est
pratiquement impossible d’assurer, par tout autre moyen, l’évacuation des matières usées dans
des conditions conformes aux règles de l’hygiène ; mais qu’il ne résulte pas des renseignements
joints au dossier que les vidanges ne puissent être effectuées dans la ville de Lille par l’industrie
privée et qu’il appartient à l’autorité municipale de prescrire, à cet effet, les mesures que peut
rendre nécessaire l’intérêt de la salubrité publique ».

114. Cet avis est intéressant à double titre car il corrobore d’une part la thèse selon laquelle
l’érection d’une activité économique en service public doit rester exceptionnelle et, d’autre part la
thèse selon laquelle la concession est le mode normal de gestion des services publics
économiques. En effet pour le Conseil d’Etat, l’exploitation en régie directe suppose des
circonstances économiques qui ne permettraient qu’à la commune et à elle seule de « poursuivre
et de réaliser pratiquement l’ensemble des opérations nécessaires ». Cela signifie que si une
personne privée peut prendre en charge une partie des opérations du service public à des
conditions raisonnables, il faut déléguer. En fait, le service public pourra être créé si l’initiative

92
privée fait défaut cependant la régie directe ne sera autorisée que si et seulement si l’initiative
privée même en collaboration avec la puissance publique est incapable de gérer convenablement
et à bon prix une partie des opérations du service public. Cette hypothèse vise les cas où il ne se
présentera pas des candidats à la concession ou lorsque les exigences et prétentions financières de
l’entreprise privée seront trop importantes. Ce tempérament s’inscrit dans la ligne
jurisprudentielle selon laquelle l’exploitation directe est tolérée par le juge administratif
uniquement si l’adjudication est restée infructueuse et si encore le concessionnaire présente des
exigences insoutenables301.

115. Le Conseil d’Etat statuant au contentieux a très certainement marqué son aversion envers
la régie directe en rendant des décisions en faveur des concessionnaires. Le juge interprète à leur
profit des clauses des cahiers des charges302 afin de rendre très difficile le rachat des
concessions303 et aussi en décidant d’imposer à la patente les communes exploitant en régie
directe une activité industrielle et commerciale. Ainsi, le Conseil d’Etat a jugé à plusieurs
reprises qu’ « une commune qui ne se borne pas dans l’usine qu’elle exploite en régie à produire
l’électricité nécessaire aux services publics, mais qui fournit également, moyennant rétribution
l’éclairage électrique aux particuliers, doit être considérée comme exerçant une profession, et elle
est imposable à la patente en qualité d’exploitant d’une usine d’éclairage par électricité »304. Cette
solution tend à inciter les communes à concéder cette activité économique dans la mesure où elle
ne bénéficie pas d’un régime particulier 305. En revanche, L. Blum, dans ses conclusions sous
l’arrêt Commune du Mesle-sur-Sarthe du Conseil d’Etat en date du 3 février 1911 306, estime
quant à lui que l’imposition à la patente de l’activité économique exploitée en régie directe va
dans le sens d’une banalisation de ce procédé de gestion. Il relève que « plus on souhaite que
l’activité communale élargisse son cercle, plus on souhaite qu’au régime de la concession se
substitue dans la plus large mesure possible le régime de l’exploitation directe, plus on juge
301
CE avis des 1er et 15 mars 1900, Revue générales d’administration publique 1900, n°1, p. 433.
302
A ce propos, M. Hauriou, écrit que les traités de concessions « sont des opérations de puissance publique et non
pas des contrats de droit privé, les conventions de ce genre doivent être interprétées strictement, et non pas comme
des contrats de bonne foi. Du moment qu’il y a doute, obscurité, incertitude sur la portée d’une clause, elle doit être
interprétée au profit de la puissance publique », in Précis de droit administratif, 5e éd., p. 693.
303
V. notamment, CE 25 juillet 1884, Cie des eaux du Havre, Leb., p. 644 ; CE 5 mai 1893, Ville de Toulon, Leb., p.
360. Dans son arrêt du 23 février 1906 à propos du rachat du service des eaux par la ville de Lyon, le Conseil d’Etat
n’a pas craint d’imposer des conditions très onéreuses pour la ville
304
CE 6 avril 1900, Commune de Saint-Léonard, S.1902.3.79.
305
V. en ce sens, E. Bouvier, op. cit., p. 54.
306
S. 1913.3.108.

93
nécessaire que les communes s’accoutument à gérer leurs services dans les mêmes conditions que
les particuliers, en supportant les mêmes charges que les particuliers en se prêtant aux conditions
générales du commerce en acquérant peu à peu cet esprit commercial qui fait prospérer les
entreprises particulières »307.

116. En définitive, l’hostilité du juge administratif envers la gestion en régie des activités
industrielles et commerciales provient des lacunes de la législation de l’époque. La loi de 1884 ne
prohibe pas l’intervention directe, néanmoins, elle ne prévoit pas une organisation économique
apte à prendre en charge efficacement une industrie. La bonne réalisation des missions d’intérêt
général ne suppose pas uniquement la mise en régie directe des services publics et cela même
pour les socialistes. Il ne suffit pas, déclare E. Milhaud, dans son article programme des Annales
de la Régie directe, que « l’entreprise municipalisée intègre mécaniquement les rouages
traditionnels des administrations communales pensées pour satisfaire d’autres besoins »308. Gide
s’inscrit également dans ce courant doctrinal quand il écrit que « les vices reprochés aujourd’hui
à l’action de l’Etat et des communes tiennent moins à la nature de l’Etat et des communes qu’à
leur organisation : ils n’ont été organisés qu’en vue des fonctions politiques et des fonctions
administratives, mais nullement en vue des fonctions économiques »309. La jurisprudence
administrative résulte des insuffisances du législateur empêchant que « les grandes communes
modernes deviennent en fait des maisons de commerce » car « leur système administratif date
d’une époque où elles ne faisaient pas de commerce »310.

117. Une fois les règles d’organisation de la régie modifiées, la commune devant être en
mesure d’exiger de ceux qui administrent l’entreprise économique de service public tous les
gages que doit proposer un bon gérant311, rien ne s’opposera à la banalisation de ce système à
l’instar de ce qui se fait dans les autres pays européens. Comme l’affirme E. Bouvier en 1906, il
faut « que le législateur intervienne en droit français comme il est intervenu dans les pays

307
Concl. in S. 1913. 3.109.
308
Cf. Les cahiers du socialiste n° 7, L’action socialiste municipale, Librairie du Parti Socialiste, p.4.
309
Gide, Principes d’économie politique, 8° éd., p. 34.
310
A. Mater, Revue d’économie politique, mai 1905, p. 323.
311
La loi italienne du 29 mars 1903 sur la municipalisation des services publics a modifié l’organisation de la régie
directe communale qui est encore perfectible mais constitue une avancée par rapport à ce qui se fait en France. Elle
institue une direction pour les affaires communales, elle prévoit un contrôle du préfet et du maire, elle établit la
responsabilité pécuniaire de la commission et du directeur de la régie et enfin elle oblige à l’autonomie budgétaire.

94
étrangers, (il faut) que l’action communale soit entourée de toutes les garanties nécessaires de
bon fonctionnement, c’est-à-dire que l’organisation administrative soit doublée d’une
organisation économique indispensable, alors les exploitations municipales apparaîtront enfin
comme un phénomène normal en même temps qu’elles constitueront pour les villes une précieuse
ressource pécuniaire »312.

Section 2 : La démythification de la doctrine du « faire faire » à partir de la


première guerre mondiale

118. La première guerre mondiale met en exergue l’incapacité des concessionnaires privés à
subvenir correctement au besoin du service public en période d’inflation et de pénurie de la main
d’œuvre. R. F. Kuisel écrit en ce sens que « malgré beaucoup d’improvisations, l’économie de
guerre a démontré la capacité de l’Etat à gérer l’économie nationale et elle a été l’occasion chez
certains hauts fonctionnaires de redécouvrir les potentialités de l’Etat à promouvoir la
modernisation de l’outil de production »313. En réaction à cette dévalorisation du procédé
concessif, les collectivités locales vont s’arroger la liberté de choisir le mode de gestion qui leur
était jusqu’à présent refusée par le Conseil d’Etat. L’exacerbation des inconvénients du « faire
faire » en période de crise joue en faveur de l’exploitation directe (§1). La montée en puissance
du socialisme municipal réside tout d’abord dans des motifs d’ordre financier. Les communes ont
besoin d’argent pour faire face à l’accroissement de la population urbaine qui réclame un
développement des services publics et pour faire face aussi à l’augmentation des dépenses
obligatoires que l’Etat, pour alléger son budget, transfère aux communes. Elles ont songé alors à
se faire entrepreneurs. Les exemples étrangers et aussi le cas de l’Alsace-Lorraine ont démontré
la réussite du municipalisme à condition que la loi mette en place une organisation économique
spécifique sur le modèle des sociétés commerciales privées. Cette législation locale a fortement
influencé le droit français de l’après-guerre314 en consacrant en 1926 une forme de capitalisme
municipal (§2) qui amorce un mouvement de redéploiement de la pratique du « faire faire » (§3).

§1. La valorisation de la doctrine du socialisme municipal

312
E. Bouvier, op. cit., p. 60.
313
R. F. Kuisel, Le capitalisme et l’Etat en France, Gallimard 1984, p. 243.
314
E. Bouvier, op.cit., p. 17 et s.

95
119. Bettinger a retracé l’histoire de la concession à partir de la période de l’entre deux guerres
et il montre clairement qu’à cette époque le système concessif pour la gestion des services publics
est un succès relatif315. Si «  cette vogue exceptionnelle tenait certes à un accord entre le procédé
de la concession et les principes de la démocratie libérale, plus précisément ceux du libéralisme
économique, elle tenait aussi aux avantages évidents de ce procédé »316. Cependant, au lendemain
de la première guerre mondiale, l’équilibre financier de la plupart des services concédés est
menacé. Cette situation a eu pour conséquence de détériorer les relations entre autorité
concédante et société concessionnaire, notamment à cause de la création de mécanismes
juridiques destinés à assurer le redressement financier des concessions mais qui plombaient en
revanche les finances locales. Par exemple, la naissance de la régie de Bordeaux fait suite à un
grave conflit opposant la ville et la compagnie d’éclairage concessionnaire qui a pris fin avec le
célèbre arrêt du 30 mars 1916 du Conseil d’Etat, dit « arrêt du gaz de Bordeaux »317. La ville pour
éviter de payer des indemnités a préféré exploiter les distributions du gaz et d’électricité en régie.
La ville a prononcé le rachat des exploitations le 1er juillet 1919. A compter de cette date, la
commune a exploité en régie directe son service public de distribution d’énergie suivant des
modalités qui s’éloignent du décret du 8 octobre 1917. La régie de Bordeaux a été en quelque
sorte un laboratoire pour améliorer le fonctionnement des régies municipales. D’ailleurs, une
commission interministérielle dite « Commission des régies municipales » a largement observé
les modalités d’organisation et de fonctionnement de la régie de Bordeaux qui est une réussite.

120. La construction prétorienne de la théorie de l’imprévision par le juge administratif 318 dont
l’objectif a été de pallier aux graves ruptures d’équilibre économique à la suite des circonstances
de la guerre 1914-1918 n’a pas eu le résultat escompté en ce qui concerne le rétablissement de la
sérénité dans les rapports public/privé. Aussi, les maires se sont unis pour combattre cette
jurisprudence « Gaz de Bordeaux » et ce mécontentement s’est matérialisé au travers d’une
proposition de la loi n’ayant jamais été adoptée, dite « proposition Delarue » obligeant les co-
315
C. Bettinger, L’évolution de la concession, notion du droit administratif français, Thèse Paris 1975, p. 23 et s.
316
Ibid., p. 24 et s. Ce dernier note que « déjà dans un avis du 7 juin 1877, repris par le commissaire du
gouvernement Chardenet dans ses conclusions sur l’arrêt Gaz de Bordeaux, le Conseil d’Etat, peu enclin à voir les
communes gérer elles-mêmes les services publics communaux, leur avait recommandé d’employer le procédé de la
concession dès lors que le service avait un caractère économique ».
317
CE 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux, Rec. 125 ; D. 1916.3.25, concl. Chardenet.
318
L’application de la théorie de l’imprévision n’a été en définitive sur cette période que l’occasion pour les
concédants qu’un objet de pressions afin d’obtenir des concessionnaires diverses compensations à leurs pertes
financières, v. notamment, C. Bettinger, thèse préc., p. 31 et s.

96
contractants privés à rembourser les indemnités ou produits de relèvement de prix qu’ils auraient
obtenus au titre des charges extra-contractuelles 319. Durant une dizaine d’années, le contentieux
relatif à l’application de la théorie de l’imprévision est important et se forge l’idée dans l’esprit
des élites municipales que la concession est en quelque sorte un jeu de dupes qui « n’offre
d’avantages que pour le concessionnaire puisque celui-ci peut faire participer la commune aux
résultats financiers quand il y a déficit dû à des circonstances anormales, mais est en droit de
conserver intégralement les produits de la concession quand celle-ci devient bénéficiaire »320.

121. Cette défiance vis-à-vis du système concessif a poussé les collectivités locales pendant la
première guerre mondiale à prendre en charge directement les services publics économiques sauf
que les communes se sont heurtées alors à l’hostilité du juge administratif envers ce procédé de
gestion. Sous la pression des élus locaux, à compter de la première guerre mondiale le législateur
et le gouvernement vont accroître le champ des activités économiques pouvant donner lieu à
exploitation directe comme pour l’installation et la distribution de l’énergie électrique par le
décret du 8 octobre 1917 et la loi du 2 août 1923 ainsi que pour l’énergie hydraulique par la loi
du 16 octobre 1919. M. Hauriou a écrit en 1919 qu’ « encore ce procédé de la concession, qui a
succédé à celui de la ferme, est-il vraisemblablement appelé à disparaître devant celui de la régie
directe »321. Les élus nationaux sont revenus à de meilleur sentiment en ce qui concerne la gestion
directe des services publics industriels et commerciaux.

122. Les Professeurs Guglielmi et Koubi notent qu’après la première guerre mondiale, « il
n’est plus inconcevable que certaines activités purement industrielles et commerciales soient
directement prises en charge par les personnes publiques. Cette solution résulte de deux arrêts :
l’un du Conseil d’Etat, l’arrêt Société générale d’armement en 1921 et l’autre du Tribunal des
conflits, Dame Mélinette en 1933 »322. Cette banalisation de la régie se retrouve aussi dans l’arrêt
du Bac d’Eloka323 qui certes n’use pas du terme de service public. Cette décision loin de marquer
la survivance de l'animosité du juge envers la régie pour les activités économiques s’inscrit dans

319
Sont concernés les contrats de longue durée (autant dire que cette loi visait essentiellement les concessions de
travaux et de service publics).
320
C. Bettinger, thèse préc., p. 31 et s.
321
M. Hauriou, Précis de droit administratif et droit public, Sirey 1919, p. 48.
322
G. J. Guglielmi et G. Koubi avec la collaboration de G. Dumont, Droit du service public, Montchrestien 2007, 2 e
éd., p. 102.
323
TC 22 janvier 1921, Société commerciale de l’ouest africain, Rec. 91, D. 1921.3.1, concl. Matter.

97
la nouvelle ligne jurisprudentielle qui annonce l’avènement du principe de liberté d’organisation
des missions d’intérêt général. Dans la dernière partie de ses conclusions, le commissaire du
gouvernement Matter souligne que la colonie a établi et géré un bac « dans un but des plus
louables ». Cette observation ne reflète pas l’opinion d’un homme qui trouve « dangereux,
anormal, révolutionnaire » qu’une personne publique gère un service d’ordre industriel et
commercial. D’ailleurs, M. le Professeur G. Quiot pense très justement qu’ « à partir de là, on
peut conclure que la volonté des magistrats du Tribunal des Conflits de reconnaître la
compétence judiciaire à l’égard des services d’ordre industriel et commercial exploités par
l’administration dans l’intérêt général et de tendre de la sorte qu’il leur soit fait application du
droit privé, si elle ne marque certainement pas une faveur pour les activités industrielles et
commerciales assumées par des personnes publiques ne manifeste pas davantage une hostilité de
ces juges à l’égard de telles activités »324.

§2. Le passage du socialisme municipal au capitalisme municipal ou la modification des


conditions organisationnelles de l’exploitation directe

123. L’article 25 de la loi du 31 juillet 1913 325 a autorisé les exploitations en régie des chemins
de fer d’intérêt local. Un règlement d’administration publique du 26 juin 1915, modifié par le
décret du 24 septembre 1922, a organisé cette gestion directe en précisant les modalités de
comptabilité de la régie investie alors de la personnalité juridique. Le décret du 8 octobre 1917
relatif à l’organisation du service public de distribution de l’énergie électrique calque le
fonctionnement de la régie sur celui des entreprises commerciales privées326. L’article 3 dudit
décret fixe que « l’exploitation de la régie est confiée pour le compte de la commune ou du
syndicat de commune à une administration spéciale ». Le service personnalisé est autonome
néanmoins, il demeure soumis au contrôle étroit de la municipalité.

124. La modification de l’organisation des régies a constitué une réponse à la jurisprudence


administrative qui reprochait l’inadéquation entre le mode de fonctionnement de la régie et les
opérations commerciales. A partir du moment où les pouvoirs publics nationaux et locaux
s’engagent à faire évoluer les modes d’organisation de la régie, le Conseil d’Etat cautionne cette
modalité d’exploitation. A ce titre, dans un avis du 3 mai 1921, la haute assemblée a considéré
324
G. Quiot, thèse préc., p. 652.
325
D.P., 1915, 4, 113.
326
M. Galibert, La régie municipale des distributions d’énergie électrique, thèse Toulouse 1924, p. 40.

98
que « l’exploitation d’une ligne d’autobus pouvait avoir lieu en régie et que la commune pouvait
à cet effet, profiter des subventions que l’Etat accorde pour encourager l’institution de services
publics d’automobiles mais à condition d’assurer à cette exploitation une individualité distincte
de celle des services municipaux qui lui permette de fonctionner suivant les règles
administratives et financières inscrites dans le décret du 26 juin 1915 pour l’exploitation en régie
des voies ferrées d’intérêt local »327.

125. Dès 1911, pour mettre en adéquation l’organisation économique des communes avec la
réalité de la vie commerciale et industrielle, le gouvernement a cru bon de déposer un projet de
loi visant à faciliter le recours à la régie pour les activités économiques pour combattre l’inflation
du coût de la vie pour les produits de première nécessité. Ce projet n’a pas eu de suite, en
revanche, il a ouvert la voie à un nombre important de propositions ou de projets de loi dont
l’ambition était de doter les communes de régies fonctionnant sur le modèle des sociétés
commerciales afin de rivaliser en termes d’efficacité de fonctionnement avec les pays voisins et
en particulier l’Italie. Tout d’abord, il y a eu la proposition de Veber, Brenier et Rozier présentée
à la chambre des députés le 9 juillet 1914 328. Ensuite, la proposition d’A. Thomas, le 5 septembre
1918329, a été déposée, puis il y a eu celle de C. Chautemps en date du 2 décembre 1920 330 et
enfin un projet de loi sur la réorganisation administrative a été présenté par le gouvernement à la
Chambre le 25 octobre 1925331. L’introduction d’un principe de liberté dans le droit de
l’organisation des missions d’intérêt économique général va être confirmée par l’adoption des
décrets-lois des 5 novembre et 28 décembre 1926 sur la base de la loi d’habilitation du 3 août
1926 votée pendant le gouvernement Poincaré332.

126. Ces textes vont adapter la régie aux impératifs de gestion d’une entreprise commerciale et
industrielle. Ils sont une réponse aux observations et critiques formulées par la Cour des comptes
dans son rapport annuel de 1920 et de l’inspection générale des services administratifs portant sur
l’inadéquation de modalités d’exploitation des régies municipales avec les activités

327
Avis cité par G. Revel, in thèse préc., p. 102.
328
Doc. Parl., Chambre, session. ord., 1914, Annexe n°309, p. 2020.
329
Doc. Parl., Chambre, session. ord., 1918, Annexe n°4938, p. 1201.
330
Doc. Parl., Chambre, session. extraord., 1920, Annexe n°1731, p. 355.
331
Doc. Parl., Chambre, session. extraord., 1925, Annexe n°3253, p. 73.
332
JO 4 août 1926, p. 8786.

99
économiques333. Plus précisément, le premier décret-loi de 1926 fixe dans son article 14-12 la
liste des activités industrielles et commerciales pouvant être gérées en régie. Il s’agit des tâches
relatives au fonctionnement des services publics du ravitaillement, du logement de la population,
de l’assistance. Le second décret précise dans son article premier que les communes peuvent
exploiter en régie, sous certaines conditions, les services d’intérêt public à caractère industriel et
commercial susceptibles de faire l’objet d’un traité de concession ou d’affermage. Ce sont des
décrets pris entre 1930 et 1935 qui énoncent avec précision les modalités de fonctionnement et
d’organisation des régies municipales334.

127. L’organisation des régies en 1926 tient compte des reproches adressés par le juge
administratif à l’égard de ce procédé335. Le gouvernement pouvait choisir soit la régie dotée de la
personnalité juridique (ce dispositif avait été proposé par le député Thomas et il était déjà institué
par le décret du 26 juin 1915 pour les régies portant sur l’exploitation des voies ferrées et par le
décret du 8 octobre 1917 pour le réseau électrique), soit la régie dotée de la seule autonomie
budgétaire comme il était prévu dans la proposition de loi Veber, Brenier et Rozier. Le principe
posé par les décrets de 1926 est l’autonomie financière de la régie sans personnalité juridique.
L’article 4 du décret du 28 décembre 1926 indique que les régies sont dotées de l’autonomie
budgétaire par souci de faciliter le contrôle financier de la régie. G. Revel note que « cette
autonomie budgétaire est l’un des signes caractéristiques de l’organisation prévue en même
temps qu’un critère permettant de dégager vers quelle orientation on désire mener les régies à
caractère commercial ou industriel, l’autonomie budgétaire met en relief le résultat de la gestion
économique, elle est donc destinée à prémunir les autorités locales contre des exploitations
déficitaires.
128. On a voulu mettre la régie sous la dépendance du Maire et du conseil municipal qui
exercent leur autorité sur les organes de gestion de la régie : le conseil d’exploitation et le
directeur de la régie336. De telle sorte qu’on a plutôt tendance à instituer plus un capitalisme

333
JO 12 septembre 1923, annexe, p. 654.
334
Décret du 17 février 1930, pris pour l’application des articles 1à 9 et 13 à 17 du décret du 28 décembre 1926, JO
25 février 1930, p. 2043 ; décret du 9 janvier 1933 portant approbation du règlement intérieur type pour les services à
caractère industriel et commercial susceptibles d’être assurés en régie par les communes JO 14 janvier 1933, p. 420  ;
décret du 25 octobre 1935, relatifs aux régies municipales JO 31 octobre 1935, p. 11501.
335
J. Tetreau, thèse préc., p. 119 et s.
336
Pour plus de précision, v. J. Tetreau, thèse préc., p. 121 et s.

100
municipal qu’un socialisme communal »337. L’article 5 du décret consacre le principe d’une
séparation de la comptabilité communale et de la comptabilité de la régie. Si le développement
des régies personnalisées s’opère en 1955 lorsque le statut des régies dotées de la personnalité
juridique est généralisé338 et en 1959 lorsque le droit commun des régies communales est
précisé339, dès les années 30, « le régime de la régie est en définitive le régime normal et le plus
fréquemment employé »340 pour la gestion des services publics industriels et commerciaux. Ces
mesures ont adapté l’administration des régies aux réalités de la gestion marchande. Depuis le
jour où les pouvoirs publics ont doté la commune d’une véritable organisation économique et que
celle-ci a démontré pendant la guerre une certaine capacité pratique à entreprendre dans le
domaine industriel et commercial, le Conseil d’Etat a ouvert la voie à la reconnaissance du
principe de liberté de gestion des activités d’intérêt économique général.

129. Dans les années 30, le Conseil d’Etat a rendu des décisions qui à première vue laissent à
croire que le juge administratif n’a pas infléchi sa doctrine vis-à-vis de la mise en régie des
activités économiques. Mais l’arrêt du Conseil d’Etat Chambre syndical du commerce en détails
de Nevers du 30 mai 1930 n’est pas le point de départ d’une jurisprudence consacrant la
résurgence des solutions hostiles à la régie directe. En effet, dans cet arrêt, le Conseil d’Etat
rappelle que malgré les décrets de 1926, toute entreprise à caractère commercial et industriel ne
peut pas être érigée en service public. Si la compétence de la commune est bien générale, elle
suppose la démonstration de l’existence d’un intérêt public local et peu importe le mode de
gestion choisi de l’activité. Une délégation à une personne privée d’une activité économique ne
justifiera pas l’érection de cette activité en service public si les circonstances ne s’y prêtent pas.
Cet arrêt réaffirme le principe selon lequel il est impossible à la commune de réaliser par le
détour de la concession ce qui lui est défendu de faire elle-même car son intervention directe ou
indirecte est injustifiée. Cet arrêt ne doit pas être vu comme un obstacle à l’ancrage du principe
de libre organisation des missions d’intérêt économique général. En l’espèce, par différentes
délibérations s’échelonnant du 14 août 1925 au 24 septembre 1927, le conseil municipal a
autorisé le maire à créer, maintenir et développer un service municipal de ravitaillement en
337
G. Revel, thèse préc., p. 139.
338
Décret n°55-579 du 29 mai 1955 relatif aux interventions des collectivités locales dans le domaine économique,
JO 21 mai 1955, p. 5078.
339
Décret n°59-1225 du 19 octobre 1959 portant administration publique relatif aux régies départementales et
communales dotées de la personnalité morale et de l’autonomie financière, JO 20 octobre 1959, p. 10294.
340
M. Waline, Manuel élémentaire de droit administratif, 1939, 2e éd. Sirey, p. 425.

101
denrées de toute sorte. Cette entreprise est concédée à une personne privée qui reçoit de la
commune des avantages particuliers. Ainsi, ce n’est pas le volet exploitation en régie directe du
socialisme municipal qui est condamné mais l’extension injustifiée du domaine économique des
communes.

130. De même, dans l’arrêt Planche du Conseil d’Etat en date du 23 juin 1933 341, la haute
assemblée administrative a approuvé l’extension de l’objet d’une régie départementale des voies
ferrées puisque l’achat de véhicules automobiles par la régie vise à assurer un meilleur
aménagement du service public du transport. Cet arrêt est symptomatique du nouveau contrôle
qu’opère le juge administratif sur l’action économique des communes parce que désormais il se
borne à vérifier l’existence véritable de l’intérêt public à satisfaire sans se soucier des modalités
organisationnelles de réalisation de l’activité d’intérêt général. En définitive, ces deux arrêts
confirment l’orientation nouvelle de la jurisprudence en matière d’organisation des services
publics342.

§3. Le redéploiement de la pratique du « faire faire »

131. La première guerre, en bouleversant l’ordre économique et social, a balayé les idées
reçues d’un autre temps, pour mettre en avant les insuffisances de la pratique du « faire faire ».
Le discours idéologique et doctrinal ambiant a conduit à un revirement de l’état du droit. La régie

341
CE 23 juin 1933, Planche, S., 1933.3.81.
342
V. J. Tetreau, thèse préc., p. 263 et s.

102
est devenue le régime normal de gestion des services publics et la concession l’exception 343
notamment grâce aux décrets pris par le gouvernement entre 1935 et 1937 et à la loi du 4 mars
1942 facilitant les procédures de révision et de résiliation des contrats de concessions relatifs aux
transports publics d’intérêt local344. Ce dispositif sera généralisé à l’ensemble des contrats
administratifs de longue durée par la loi du 30 juillet 1947345 non seulement lorsque l’entreprise
est en déficit perpétuel, mais aussi lorsque l’intérêt public le justifie. Il est intéressant de noter
que la prolifération des mesures d’exception favorisant l’intervention des personnes publiques
dans l’exécution des contrats de concession adoptées par un courant anti-concessionnaire
contribuera à forger la théorie générale du contrat administratif et à esquisser les nouveaux traits
de la concession de service public. Pour Mme. le Professeur M. Ubaud-Bergeron, la question de
l’admission d’un pouvoir de modification unilatérale du contrat en cours d’exécution au profit de
l’administration, même en l’absence de tout texte, « n’est pas une question de pure technique
contractuelle car elle est fortement révélatrice de la nature de la relation unissant les parties à un
contrat »346

132. Le déficit d’estime pour la concession n’a pas fait péricliter ce procédé de réalisation des
services publics en revanche, il amorcé la dénaturation de ce système. Un signe de ce processus
de mutation est la consécration jurisprudentielle de la catégorie des organismes de droit privé (ou
mixtes) chargés d’exécuter un service public administratif notamment par l’arrêt Monpeurt du 31
juillet 1942347. Cette solution est symptomatique d’un changement de l’état du droit de
l’organisation des missions d’intérêt général selon lequel les services publics administratifs sont
gérés par des personnes publiques et les services publics industriels et commerciaux par des
personnes privées. En effet, si après la première guerre mondiale, il est admis que des activités
industrielles et commerciales soient directement exploitées par des personnes publiques348, à la
343
M. Waline, Manuel élémentaire de droit administratif, 1939, p. 425.
344
L’article 6 de la loi précise qu’  « à toute époque, le Ministère des transports peut prescrire la réduction ou la
suppression des services par fer et par route, sur les transports publics d’intérêt local, lorsque l’exploitation est en
déficit important et permanent, ou lorsque cette opération est reconnue indispensable à une meilleure organisation du
service des transports. A défaut d’accord amiable, la révision ou la résiliation des contrats est prononcée dans ce cas
par un arrêté du Ministre des transports… », in Jurisclasseur Codes et Lois, loi du 4 mars 1942.
345
Loi n°47-1413 du 30 juillet 1947, commentaire au D. 1948, législation p. 69 et s.
346
M. Ubaud-Bergeron, La mutabilité du contrat administratif, thèse Montpellier, 2004, p. 157. Sur la question du
pouvoir de modification unilatérale, v. la synthèse et les développements de H-G. Hubrecht, Les contrats de service
public, thèse préc., p. 514 et s. ; M. Ubaud-Bergeron, La mutabilité du contrat administratif, thèse préc., p. 32 et s.
347
CE 31 juillet 1942, Rec., p. 239, S. 1942. 3. 37.
348
V. CE 23 décembre 1921, Société générale d’Armement, RDP 1922, p. 75, concl. Rivet  ; v. aussi TC 22 janvier
1921, Société commerciale de l’Ouest africain, D. 1921.3.1, concl. Matter

103
fin des années 30, les exemples d’organismes privés assurant un service public administratif se
multiplient349. L’originalité de la pratique du « faire faire » les services publics administratifs
repose sur l’idée selon laquelle il n’y a plus délégation de la gestion, on assiste à une simple
délégation de l’exécution du service public, car le pouvoir décisionnel du collaborateur privé se
réduit à peu de chose. C’est le prix à payer si la sphère privée désire s’associer à la puissance
publique. Cette nouvelle façon de concevoir la coopération public/privé touche également la
pratique de la concession de service public industriel et commercial.

133. La concession de service public a perdu de sa superbe par rapport au système employé à
la fin du 19e siècle et au début du 20e. En 1916, le commissaire du gouvernement Chardenet dans
l’affaire du Gaz de Bordeaux écrit que la concession est « le contrat qui charge un particulier ou
une société d’exécuter un ouvrage public ou d’assurer un service public, à ses frais, avec ou sans
subvention…. ». Le commissaire du gouvernement emploie à juste titre le terme d’« assurer un
service public » et non pas d’ « exécuter un service public » pour montrer la singularité de la
concession. Le concessionnaire ne se contente pas d’exécuter un service public, il fait bien plus
que cela. Son rôle ne se résume pas à celui d’un simple agent exécutant ce qui ne justifierait
d’ailleurs pas une exploitation aux risques et périls de l’entrepreneur privé de service public. M.
Dumont, ministre des travaux publics en 1845 affirmait déjà que « l’entrepreneur n’est qu’un
agent entre les mains de l’administration. Il fait ce qu’on veut, il travaille sur les lieux qu’on lui
indique et d’après les indications qu’on lui fournit…S’il résiste à ces ordres, un arrêté prononce
sa déchéance, l’expulse du chantier, et tout est fini… Mais quant il s’agit de concessionnaires
l’administration a le droit de regarder, voilà tout ; elle n’a pas le droit de diriger elle-même »350.
M. Hauriou, annotant un arrêt du Conseil d’Etat, a considéré que « l’acte ou contrat de
concession crée une situation qui est celle de service public concédé  ; cette situation entraîne par
elle-même délégation au profit du concessionnaire de certains droits qui lui permettront
d’organiser et d’exécuter le service, droits d’expropriation et de travaux publics, droit de lever
des péages sur le public »351 .

349
CE Ass. 13 mai 1938, Caisse Primaire Aide et protection, D. 1939.3.65, concl. R. Latournerie ; v. aussi CE 31
juillet 1942, Monpeurt, Rec., p. 239, S. 1942. 3. 37.
350
Propos rapportés de C. Dumont, ministre des travaux publics lors de l’adoption de la loi du 15 juillet 1911.
351
M. Hauriou, note sous CE 14 février 1902 Blanleuil et Vernaudon c/ Ville d’Angoulême, S. 1904.3.81 

104
134. L’évolution historique de la notion de concession de service public en droit administratif
français est caractérisée par le phénomène de la « tutellisation » du cocontractant et de la
valorisation du volet exécution du service public au détriment du volet gestion et organisation. P.
Comte, dans sa thèse « Essai d’une théorie d’ensemble de la concession de service public »352,
traduit ce processus de mutation de la concession quand il écrit que « l’autonomie du
concessionnaire se réduit à très peu de chose… la garantie contractuelle incluse dans le traité, en
l’associant étroitement à l’Administration, réduit encore son indépendance, en supprimant
presque entièrement l’aléa de l’exploitation, elle transforme le concessionnaire en un régisseur
intéressé… »353. Quelques années avant que ne soit prononcée en 1937 la nationalisation des
grandes compagnies concessionnaires de chemin de fer perpétuellement en déficit, C. Bettinger
relève que les pouvoirs publics se sont préoccupés de surveiller la gestion des concessions de
chemin de fer et les organes de direction ont vu leur liberté d’action se réduire comme peau de
chagrin par l’accroissement des mesures de contrôle sur la politique d’exploitation et de gestion
des concessions. Ce redéploiement du système concessif s’apparente à de la réquisition déguisée,
le traité de concession se transformant alors en un contrat de simple exécution du service
public354.

135. A la Libération, le sentiment de défiance vis-à-vis du procédé concessif s’accentue


notamment par la disparition des grandes concessions capitalistes en raison de l’application
anticipée de l’alinéa 9 du Préambule de la Constitution de 1946. L’étude des projets
constitutionnels de la résistance355 montre, malgré la diversité des textes et des influences, que
l’idée commune est « l’esprit de revanche et la volonté de remédier aux excès du capitalisme »
dont les forces économiques avaient failli356. L’alinéa 9 s’inspire essentiellement du programme
du Conseil national de la Résistance de 1944 dont l’ambition était d’instituer « une véritable
démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et
financières de la direction de l’économie »357.
352
P. Comte, Essai d’une théorie d’ensemble de la concession de service public, thèse Paris 1934, Librairie Sirey.
353
Ibid., p.184.
354
C. Bettinger, thèse préc., p. 45 et s. ; v. aussi C. Blaevoet, Le mirage de l’autonomie des organismes gérant des
services publics industriels et commerciaux, D. 1949, chron. p. 179.
355
V. R. de Bellescize, op. cit., p. 40 et s.
356
J-E. Caillon, (textes rassemblés par), Les projets constitutionnels de la résistance, La Documentation française
1998.
357
J-J. Israël, Commentaire de l’alinéa 9, in G. Connac, X. Pretot, G. Teboul, Le Préambule de la Constitution de
1946, Paris Dalloz, Thèmes et commentaires, 2001, p. 221 et s.

105
A cette époque, il y a en quelque sorte un renversement de la doctrine en ce qui concerne
les modes de gestion des services publics : d’une hostilité à la régie pour les services publics
commerciaux au début du 20e siècle, nous sommes passés à une hostilité envers la gestion
déléguée à des entreprises privées. A ce titre, M. le Professeur G. Quiot note que lors des débats à
l’assemblée constituante en 1946, H.-L. Grimaud, élu MRP, a déposé un amendement offrant au
législateur la possibilité d’adopter la solution la plus adéquate à la satisfaction du service public,
y compris le recours à la délégation de service public à des sociétés privées. Le rejet de cette
proposition au motif que « lorsque certains biens ou certaines entreprises acquièrent le caractère
de monopole de fait ou de service public, il est indispensable que ces biens ou ces entreprises
cessent d’être la propriété des particuliers…En effet, lorsqu’un bien devient service public, il faut
qu’il soit géré par la collectivité départementale, régionale ou nationale qui devient propriétaire
du service public… tant qu’il s’agira de particuliers, soit pris individuellement, soit associés,
nous n’aurons pas la garantie véritable que ces biens seront au service du public »358. Ces propos
du rapporteur de la commission constitutionnelle traduisent significativement une condamnation
de la pratique du « faire faire ».

136. Cependant, les nationalisations du gaz et de l’électricité s’articulant autour d’un traité de
concession avec un établissement public359, si elles ont porté « des coups funestes »360 aux
concessions accordées à des entreprises privées, préparent le terrain doctrinal et idéologique à un
certain renouveau du procédé de la concession à partir des années 50 361 sous une forme moins
ambitieuse et laissant moins de prérogatives et de libertés de gestion au concessionnaire. C.
Blaevoet, dans une chronique parue en 1949 dans le recueil Dalloz, illustre parfaitement la
dénaturation de la notion de concession amorcée dans la période de l’entre deux guerres et
confirmée par la suite. Il constate la ruine progressive des concessions capitalistes s’apparentant
juridiquement à une internalisation déguisée de l’exécution du service public362.

358
Référence au JO Assemblée nationale constituante du 21 mars 1946, p. 970. Ce débat a eu lieu avant que le texte
ne soit modifié et ne fasse plus que référence aux services publics nationaux. V. G. Quiot, De l’inconstitutionnalité
de la loi du 31 décembre 2003, chron. préc., p. 822.
359
Pour un commentaire de la loi du 8 avril 1946, v. notamment C. Blaevoet, D. 1947, législation, p. 97.
360
A. Hauriou, Cours polycopiés sur l’évolution des modes de gestion des services publics, 1954/1955, p. 158.
361
C. Bettinger, thèse préc., p. 59 et s.
362
C. Blaevoet, Le mirage de l’autonomie des organismes gérant des services publics industriels et commerciaux,
chron., p. 39, D. 1949.

106
Conclusion du Chapitre 1

137. La raison avancée pour justifier le recours au « faire faire » est la supériorité de la gestion
par une personne privée sur l’exploitation en régie en terme d’efficacité économique et de
préservation des finances publiques. Cet argumentaire est opposé par le juge administratif aux
élus locaux mais il est erroné de dire que le juge fixe une interdiction de principe pour les
collectivités locales de gérer directement des services publics économiques. A compter du jour où

107
le législateur a doté les collectivités territoriales de structures municipales aptes à supporter
rationnellement la gestion d’une activité industrielle et commerciale, le procédé de la régie a pu
s’enraciner dans le droit français. Cette position est somme toute logique parce que les services
publics dits industriels et commerciaux fonctionnent « comme tous les services administratifs, ils
disposent des mêmes prérogatives de puissance publique et leur but est celui de tous les services
publics, ainsi, les services publics industriels et commerciaux ne sont pas une catégorie
particulière des services publics, ce sont des services publics comme les autres »363. Tout au long
du 20e siècle, l’ancrage d’un principe de liberté dans le droit de l’organisation des missions
d’intérêt général est la résultante d’une double mouvement, à savoir d’une part, la réhabilitation
du procédé de la régie qui a emprunté les traits du fonctionnement des sociétés capitalistiques, et
d’autre part, la dévalorisation/dénaturation du système concessif accusé de déséquilibrer les
rapports contractuels au détriment de la personne publique et de l’intérêt général. Ce principe de
libre organisation des missions d’intérêt général, en germe en droit français dès le lendemain de
la première guerre mondiale, revêt désormais une juridicité certaine.

CHAPITRE 2 : LA CONSECRATION DU PRINCIPE DE LIBRE ORGANISATION DES


MISSIONS D’INTERET GENERAL EN DROIT POSITIF

138. Le principe de liberté d’organisation des missions d’intérêt général s’est construit
progressivement en réaction au mouvement de défiance du personnel politique vis-à-vis du
procédé de la concession. En ce qui concerne les services publics administratifs, la problématique
était renversée, c’est la gestion déléguée qui était considérée contre-nature. Dorénavant, le
principe du libre choix du mode de gestion est un principe directeur du droit de l’organisation des

363
M. Benoît, Le droit administratif français, Dalloz 1968, p. 114 et s.

108
missions d’intérêt général (Section 1) au point de valider le bien fondé du commerce intra-
administratif. Ce phénomène ne cesse de soulever des interrogations notamment au regard de sa
compatibilité avec l’ordre concurrentiel (Section 2).

Section 1 : Le libre choix du mode de gestion des missions d’intérêt général

La réflexion portera tout d’abord sur la question de l’effectivité du principe du libre choix
du mode de gestion des missions d’intérêt général (§1) pour ensuite aborder les fondements dudit
principe (§2).

§1. L’affirmation du principe

Ce principe est en fait composé de deux éléments : d’une part, le principe du libre choix
du mode de gestion des services publics (A), et d’autre part, le principe du libre choix du mode
de gestion des missions concourant à la réalisation du service public (B).

A. Le principe de libre choix du mode de gestion des services publics

139. En ce qui concerne les SPIC relevant de la compétence des collectivités territoriales,
l’affirmation d’un principe de libre choix du mode de gestion découle de l’article L. 2221-1 du
CGCT aux termes duquel « les communes et les syndicats de communes peuvent exploiter
directement des services d'intérêt public à caractère industriel ou commercial. Sont considérées
comme industrielles ou commerciales les exploitations susceptibles d'être gérées par des
entreprises privées, soit par application de la loi des 2-17 mars 1791, soit, en ce qui concerne
l'exploitation des services publics communaux, en vertu des contrats de concession ou
d'affermage ». L’article L. 2224-1 du code général des collectivités territoriales suivant lequel
« les budgets des services publics à caractère industriel ou commercial exploités en régie,
affermés ou concédés par les communes, doivent être équilibrés en recettes et en dépenses »
confirme l’existence d’un principe de liberté d’organisation des services publics industriels et
commerciaux.

109
140. Le principe de libre gestion des services publics364 concerne les services publics
industriels et commerciaux mais aussi les services publics administratifs. A cet titre, la circulaire
du 7 août 1987, prise à la suite de la doctrine du Conseil d’Etat fixée dans les avis des 7 octobre
1986 et 7 avril 1987, indique que « le caractère administratif d’un service public n’interdit pas à
la collectivité territoriale compétente d’en confier l’exécution à des personnes privées »365. En
1995, le ministre de l’intérieur a déclaré que « le chapitre IV du titre II de la loi n°93-122 du 29
janvier 1993 s’applique sous réserve des exceptions prévues par la loi, à toutes les délégations de
service public quelle que soit la nature industrielle et commerciale ou administrative du service
public délégué »366.

141. Cette consécration de la possibilité de déléguer un service public administratif a été


contestée par une partie de la doctrine367. Tout d’abord, certains auteurs comme M. Bourjol et J.-
L. de Corail ont estimé qu’un SPA ne peut faire l’objet d’une concession de service public 368,
d’autres ont généralisé l’interdiction à l’ensemble des contrats de service public 369. Mais le débat
s’est essentiellement focalisé sur l’application des dispositions de la loi Sapin au service public
administratif. Le professeur G. Marcou note que « seul un service public industriel et commercial
peut faire l’objet d’un contrat de délégation de service public au sens de la loi du 29 janvier
1993 »370. Mais s’il est vrai que pendant les discussions dans les assemblées, la réflexion s’est
faite par rapport au SPIC, par la généralité des termes employés dans la loi, celle-ci « englobe
indistinctement tous les services publics (y compris administratifs) »371.

En effet, comme l’écrit le professeur Delacour, « la position classique relative à


l’incompatibilité entre service public administratif et gestion déléguée se fondait sur le fait que la
364
En ce qui concerne la mise en œuvre et les raisons politico-économique du choix du mode de gestion et
notamment la question de la concurrence entre la gestion directe ou la gestion déléguée sur le plan fiscal, v. C.
Mondou, Le choix de la gestion déléguée des services publics locaux, thèse préc., p. 88, 161 et s. ;
Régies/délégations de service public, la nouvelle donne en matière de TVA, La gazette, 24 juillet 2006, p. 51 et s.
365
Circulaire du Ministre de l’Intérieur relative à la gestion par les collectivités locales de leurs services publics
locaux : champ d’application et conditions d’exercice de la gestion déléguée de ces services, JO 20 décembre 1987,
p. 14863. Sur un récapitulatif des services publics administratifs délégables, v. X. Bezançon, C. Cucchiarini et P.
Cossalter, Le guide de la commande publique, éd. Le Moniteur, p. 208 et s.
366
Rép. n° 26448, JO déb. AN 28 août 1995, p. 3707 ; DA 1995, n°667.
367
Sur cette problématique, v. E. Delacour, thèse préc., p. 408 et s.
368
M. Bourjol, Droit administratif, t. 1, Masson, 1972, p. 300 ; J.-L. de Corail, Cours de droit administratif, Les cours
de droit, 1976, p. 562. Pour une opinion contraire, v. G. Dupuis, Sur la concession de service public, D. 1978, p. 222.
369
J.-F. Auby, Les services publics locaux, Berger- Levrault, 1997, p. 112.
370
G. Marcou, La notion de délégation de service public après la loi du 29 janvier 1993, chron. préc., p. 698.
371
J.-C. Douence, Les contrats de délégation de service public, chron. préc., p. 942 ; P. Péréon, La délégation des
services publics administratifs, AJDA 2004, p. 1449.

110
rémunération du titulaire d’un contrat de délégation de service public devait provenir de
l’exploitation du service délégué, en particulier de redevances perçues sur les usagers dans le cas
d’une concession ou d’un affermage »372. Cependant, au regard de la jurisprudence française et
communautaire, l’origine de la rémunération n’est plus un critère déterminant en ce qui concerne
la qualification « délégation de service public ». Si pendant longtemps l’origine du paiement a été
le critère de distinction entre les marchés publics et les conventions de délégation de service
public373, aujourd’hui cet élément n’est plus qu’un indice de qualification 374. Dorénavant, le
critère du risque économique tend à se substituer à celui de l’origine de la rémunération en droit
français et en droit communautaire375. Dans la communication du 29 avril 2000, la Commission
européenne considère que « même si dans la plupart des cas l’origine de la ressource prélevée
directement sur les usagers est un élément significatif, c’est la présence du risque d’exploitation,
liée à l’investissement réalisé ou aux capitaux investis qui reste déterminante, en particulier
quand un prix est payé par l’autorité concédante »376. Aussi, l’érosion de la distinction
SPA/SPIC377 est un élément justifiant la thèse de la délégabilité d’un SPA.

142. D’ailleurs, l’article L. 1411-4 du CGCT ne fait pas référence uniquement aux SPIC : « les
assemblées délibérantes des collectivités territoriales, de leurs groupements et de leurs
établissements publics se prononcent sur le principe de toute délégation de service public local
après avoir recueilli l'avis de la commission consultative des services publics locaux prévue à
372
E. Delacour, thèse préc., p. 409.
373
Il convient de noter que les contrats de concession à paiement public avaient un fondement législatif. En effet, le
21 août 1890, la ville de Marseille signa un contrat de concession avec M. Génis pour la réalisation de travaux et
l’entretien du curage du collecteur et des égouts de la ville pendant 50 ans. Ce contrat fut entériné par la loi du 24
juillet 1891 (publiée au JO du 25 juill. 1891, n°199) relative à l’assainissement de la ville de Marseille. Dorénavant
l’acte de concession à paiement intégralement public a un statut légal. Dans le même sens, le juge administratif, dans
une série d’arrêts, qualifie de concession les contrats financés ou rémunérés par la puissance publique. Tout d’abord,
dans une affaire Samson (CE 7 mai 1937-.Section- 33674- Société Samson Spitzer, MM. Giscard d’Estaing, rapp.,
Detton, com de Gou) le Conseil d’Etat emploie la qualification de concession pour un contrat d’immersion de
gravats intégralement rémunéré par la personne publique. De même, dans une affaire Colin ( CE 22 mai1939.-
Section- 60638- Société Collin et Cie, Leb, 336, MM Maspetiol rapp., Roujou, com de Gou) il est explicitement
mentionné « la redevance annuelle payée par la ville dans  un marché de concession », expression qu’il faut
comprendre en contrat de concession. Ces exemples historiques montrent que le critère de l’origine de la
rémunération n’a jamais été un critère essentiel de reconnaissance d’une concession, par contre le critère du risque
économique est déjà un élément essentiel de définition.
374
V. notamment CAA Marseille 5 mars 2001, Préfet du Var, AJDA 2001, p. 968, note L. Marcovici et TA Besançon
ord. 26 novembre 2001, Société Gesclub c/ Communauté de communes du Val de Morteau, AJDA 2002, p. 338, note
O. Raymundie.
375
V. CJCE 7 déc. 2000, Telaustria Verlags Gmbh, AJDA 2001, p. 106, note L. Richer.
376
JOCE n° C 121 du 29 avril 2000, p. 2.
377
E. Delacour, thèse préc., p. 411 et s. ; v. aussi B. Seiller, L’érosion de la distinction SPA/SPIC, AJDA 2005, p.
417.

111
l'article L. 1413-1. Elles statuent au vu d'un rapport présentant le document contenant les
caractéristiques des prestations que doit assurer le délégataire ». En vertu de cette disposition, le
principe est la liberté du choix du mode de gestion pour tous les services publics locaux. Il
convient de souligner que sur la base de ce texte le recours à la gestion déléguée est libre mais le
principe est le recours à la régie. Comme il est écrit dan le rapport de la commission de
prévention de la corruption présidée par M. Bouchery, « le recours à la délégation de service
public est une décision importante de gestion pour une collectivité publique. Dès lors, dans un
souci de transparence et de démocratie locale, une telle décision et le choix de la personne
délégataire doivent faire l’objet d’un débat au sein des instances délibérantes de cette
collectivité » 378. Ces instances doivent donc délibérer sur le principe même d’une délégation de
service public, c’est-à-dire sur l’opportunité et la nécessité de cette opération379 alors que pour le
choix de la régie, le code n’exige pas un tel formalisme.

143. L’arrêt du 6 avril 2007, Commune d’Aix-en-Provence 380, tout en rappelant l’effectivité du
principe de liberté d’organisation des missions d’intérêt général vient-il infirmer les propos
développés dans le paragraphe précédent ? La haute assemblée administrative considère que
« lorsque des collectivités publiques sont responsables d'un service public, elles peuvent, dès lors
que la nature de ce service n'y fait pas par elle-même obstacle, décider de confier sa gestion à un
tiers ; qu'à cette fin, sauf si un texte en dispose autrement, elles doivent en principe conclure avec
un opérateur, quel que soit son statut juridique et alors même qu'elles l'auraient créé ou auraient
contribué à sa création ou encore qu'elles en seraient membres, associés ou actionnaires, un
contrat de délégation de service public ou, si la rémunération de leur cocontractant n'est pas
substantiellement liée aux résultats de l'exploitation du service, un marché public de service ». Le
juge continue en ajoutant que « lorsqu'elles sont responsables d'un service public, les collectivités
publiques peuvent aussi décider d'en assurer directement la gestion ; qu'elles peuvent, à cette fin,
le gérer en simple régie, ou encore, s'il s'agit de collectivités territoriales, dans le cadre d'une
régie à laquelle elles ont conféré une autonomie financière et, le cas échéant, une personnalité
juridique propre ; qu'elles doivent aussi être regardées comme gérant directement le service
public si elles créent à cette fin un organisme dont l'objet statutaire exclusif est, sous réserve
378
Rapport final de la Commission de prévention de la corruption présidée par M. Bouchery, La Documentation
française, 1993, p. 64 ?
379
E. Delacour, thèse préc., p. 331.
380
Req. n°284736, LPA 24 juillet 2007, n°147, p. 13.

112
d'une diversification purement accessoire, de gérer ce service et si elles exercent sur cet
organisme un contrôle comparable à celui qu'elles exercent sur leurs propres services leur
donnant notamment les moyens de s'assurer du strict respect de son objet statutaire ».

Cette solution jurisprudentielle fait partie de ces grands arrêts dont l’apport dépasse le
cadre d’espèce car elle fixe un mode d’emploi des différents modes de gestion des services
publics et précise le champ de l’application du droit de la commande publique. Mais comme le
souligne M. le Professeur Douence « la motivation de l’arrêt présente la gestion directe comme
un second choix, l’adverbe aussi semblant indiquer une possibilité supplémentaire » alors que
« l’évolution contemporaine du droit positif a renforcé le caractère primordial de la gestion en
régie »381. Doit-on y voir une signe de la prégnance de la stratégie du « faire faire » dans le droit
de l’organisation des missions d’intérêt général ? Nous ne le pensons pas car au regard des faits,
la réflexion du Conseil d’Etat doit porter en priorité sur l’identification des cas de dévolution de
service public à un tiers ce qui explique la première place réservée dans le raisonnement à la
gestion déléguée.

144. Pour les SPIC et les SPA, dans l’hypothèse d’une gestion directe, l’assemblée délibérante
doit respecter des modalités organisationnelles spécifiques. En effet, l'article L.2221-4 du CGCT
impose aux collectivités territoriales, à leurs établissements publics, aux établissements publics
de coopération intercommunale et aux syndicats mixtes d'avoir recours exclusivement à la forme
de la régie dotée soit de la personnalité morale et de l'autonomie financière, soit de la seule
autonomie financière afin de mettre en œuvre un véritable « capitalisme municipal ». Toutefois,
l'article L.2221-8 du CGCT autorise les communes qui avaient des régies municipales avant le 28
décembre 1926 à conserver la forme de la régie simple ou directe alors en vigueur. En outre,
l'article L.2221-11 de ce code autorise les communes de moins de 500 habitants à recourir à la
forme de la régie simple ou directe pour les seuls services publics de distribution d'eau potable et
d'assainissement. La régie dotée de la personnalité morale est un établissement public local,
personne morale distincte de la collectivité de rattachement. En revanche, la régie dotée de la
seule autonomie financière est une structure dotée d'organes propres mais qui ne dispose pas de la
personnalité juridique. Enfin, s'agissant des régies simples ou directes, la gestion du service est
381
J.-C. Douence, note sous le même arrêt, RFDA 2007, p. 823

113
directement confiée à la collectivité de rattachement sans l'obligation de constituer un conseil
d'exploitation.

145. L’administration dispose donc du pouvoir de choisir librement le mode de gestion des
services publics382. Le contrôle du juge sur cette décision est restreint, il ne porte que sur la
constatation d’une erreur de droit, d’une erreur de fait et/ou d’un détournement de pouvoir 383.
C’est parce que le choix de déléguer ou pas une activité est une pure question d’opportunité
politique dont l’administration doit être le seul arbitre que le contrôle du juge administratif est
minimal. En ce sens, le Conseil d’Etat dans l’arrêt Loupias considère qu' « il n'appartient pas au
Conseil d'Etat statuant au contentieux de se prononcer sur l'opportunité des choix opérés par
l'administration d'une part en écartant l'exploitation en régie directe au profit de l'affermage, et
d'autre part en choisissant comme fermier la société d'aménagement urbain et rural »384. Cette
solution a été rappelée également par la Cour administrative d’appel de Marseille 15 novembre
2001, dans l’arrêt Sté Méditerranée Plaisance385, qui a considéré qu' « il n'appartient pas au juge
administratif de se prononcer sur l'opportunité du choix opéré par l'administration lorsqu'elle
écarte l'exploitation par la voie de la délégation de service public au profit de la régie directe »386.
146. En ce qui concerne les services publics relevant de la compétence de l’Etat, aucun
principe juridique, ni aucune règle à valeur constitutionnelle à l’exception de l’alinéa 9 du
Préambule de la Constitution de 1946 qui interdit toute délégation de la gestion d’un service
public national à une entreprise privée sous peine de nationalisation de ladite entreprise ne
s’opposent à ce que l’Etat pour la gestion des services publics bénéficie de la liberté reconnue
aux collectivités territoriales. En raison de l’interprétation actuelle de l’alinéa 9 du Préambule de
1946 par le juge constitutionnel, il est même possible d’affirmer que le champ de la gestion
déléguée pour les services publics relevant de l’Etat s’accroît. Cette question sera plus amplement
traitée dans le titre suivant.

382
V. E. Delacour, thèse préc., p. 326 et s.
383
R. Chapus, Droit administratif général, T. 1, p. 979.
384
CE 18 mars 1988 Loupias, req. n°57893.
385
Req. n° 98MA00814, CMP 2002, comm. n°40 
386
V. aussi CE 30 juin 1961, Groupement de défense des riverains de la route de l’intérieur, AJDA 1961, p  ; 646,
concl. Kahn ; v. CE 28 juin 1989, Syndicat du personnel des industries électriques et gazières du centre de Grenoble,
CFDT et autres, RFDA 1989, p. 929, concl. E. Guillaume, note J.-F. Lachaume.

114
B. Le principe de libre choix du mode de gestion des missions concourant à la
réalisation du service public

147. Dans un avis du 23 octobre 2003, le Conseil d’Etat a examiné, notamment au regard du
droit communautaire, le cas de la Fondation Jean Moulin, créée en 1952 à l’initiative du ministère
de l’Intérieur pour « l’organisation d’actions sociales au profit des fonctionnaires et agent du
ministère de l’Intérieur et de leurs familles ». Cet avis « Fondation Jean Moulin », adopté par
l’Assemblée générale du Conseil d’Etat le 23 octobre 2003 387, revêt un double intérêt car d’une
part, il marque « une étape significative dans la nécessaire réflexion sur le champ exact du droit
de la commande publique »388 et d’autre part, il rappelle le principe de la liberté d’organisation
des tâches d’intérêt public par les pouvoirs adjudicateurs. En l’espèce, le Ministre de l’intérieur a
saisi le Conseil d’Etat sur des questions relatives aux conditions de dévolution de la gestion de
prestations sociales des fonctionnaires de police à la « Fondation Jean Moulin ». Lorsque « les
prestations d’action sociale en cause, qui constituent un élément de la politique de gestion des
ressources humaines de ce ministère, ne présentent pas, dans les conditions où elles sont mises en
œuvre, le caractère d’une activité économique, le ministère procède à une simple organisation du
service et il lui est loisible, soit de gérer lui-même en régie lesdites prestations, soit d’en confier
la charge par voie de convention à la « Fondation Jean Moulin » sans être astreint dans ce dernier
cas à la passation d’un marché public des prestations de services ».

148. Le conseiller d’Etat A. Ménéménis souligne qu’ « en faisant du caractère économique des
prestations une condition de l’application du droit de la commande publique, le Conseil d’Etat
suggère que les personnes publiques doivent être libre d’organiser les activités administratives de
sorte notamment que l’externalisation de certaines d’entre elles n’impliquent pas, par elle-même,
l’obligation de conclure des marchés ou des éléments »389. MM. Le professeur E. Fatôme et A.
Ménéménis ont très justement mis en exergue le point essentiel de l’avis du Conseil d’Etat quand
ils ont noté qu’ « elle conduit à considérer qu’une personne publique peut, sans méconnaître le
droit communautaire, externaliser certaines activités hors du jeu concurrentiel des marchés
économiques en faisant appel librement à un opérateur dont elle constate qu’il ne fonctionne pas
387
CE Ass., avis n°369-315 du 23 octobre 2003, EDCE 2004, n°55, p. 209 ; CMP 2004, n°76, note Llorens.
388
A. Ménéménis, L’avis de la fondation Jean Moulin et la commande publique : poursuite de la réflexion,
ACCP2004/36, p. 65.
389
A. Ménéménis, L’avis de la fondation Jean Moulin et la commande publique : poursuite de la réflexion, chron.
préc., p. 66.

115
comme un opérateur économique ou qu’elle a créé en lui imposant une telle obligation »390. Le
premier point de l’avis rappelle également la juridicité du principe de la liberté d’organisation des
tâches d’intérêt public : « il lui est loisible, soit de gérer lui-même en régie lesdites prestations,
soit d’en confier la charge par voie de convention à la « Fondation Jean Moulin ».

149. De même, le Conseil Constitutionnel, dans la décision n°2004-506 DC du 2 décembre


2004 à propos de la ratification de diverses dispositions d’une ordonnance du 17 juin 2004 ayant
trait à la passation des contrats de partenariat, observe qu’ « il ressort des termes mêmes de
l’ordonnance que si la personne publique peut confier tout ou partie de la construction d’un
ouvrage au titulaire du contrat de partenariat, elle n’est pas tenue de le faire ». Une telle rédaction
se fonde incontestablement sur la liberté d’organisation les activités d’intérêt général ne pouvant
recevoir le label de service public.

150. La jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes est claire en ce qui
concerne le degré de liberté dont disposent les pouvoirs adjudicateurs pour organiser la gestion
des missions qui relèvent de leur compétence. En effet, l’arrêt Stadt Hall pose le principe selon
lequel « une autorité publique, qui est un pouvoir adjudicateur, a la possibilité d’accomplir les
tâches d’intérêt public qui lui incombent par ses propres moyens, administratifs, techniques et
autres, sans être obligée de faire appel à des entités externes n’appartenant pas à ses services »391.
Une solution contraire reviendrait à une externalisation forcée des missions dont une personne
publique a la charge ce qui constituerait une atteinte à la liberté d’organisation des Etats
membres. En d’autres termes, « le droit communautaire n’impose pas qu’une personne publique
procède, avant d’exercer elle-même une activité, même économique, à la démonstration que cette
activité ne pourrait être exercée plus efficacement par un organisme externe »392.

§2. Les sources du principe

390
E. Fatôme et A. Ménéménis, Concurrence et liberté d’organisation des personnes publiques : éléments d’analyse,
AJDA 2006, p. 70.
391
CJCE 11 janvier 2005, Stadt Hall, aff. C-26/03, AJDA 2005, p. 898, note F. Rolin.
392
E. Fatôme et A. Ménéménis, Concurrence et liberté d’organisation des personnes publiques : éléments d’analyse,
chron. préc., p. 68.

116
151. La reconnaissance du principe du libre choix du mode de gestion des missions d’intérêt
général ne soulève guère de difficultés au niveau de l’Etat car elle découle directement du
principe de souveraineté393. Plus généralement, l’effectivité du principe de libre détermination des
modalités de gestion des activités d’intérêt général provient du pouvoir même d’organisation du
service public conféré aux personnes publiques394. Un riche débat doctrinal a nourri la littérature
juridique concernant la teneur de la notion d’organisation du service public et des fondements
juridiques de ce pouvoir395. Pour les uns, c’est une notion juridique indéterminée pour les autres,
une notion à faible juridicité396. Mais en définitive, il est admis que les mesures d’organisation
vont être celles qui fixent les conditions de fonctionnement des administrations et des services. Il
est habituel de distinguer les mesures d’organisation/création et notamment le pouvoir de décider
du choix du mode de gestion de l’activité, des mesures d’organisation/aménagement 397. En vertu
de ce pouvoir, Mme. M. Douence considère que les autorités administratives nationales et
locales, responsables du service disposent donc « d’une grande latitude d’appréciation pour
déterminer les besoins des usagers et les mesures appropriées pour y répondre, le juge
administratif n’encadre que très peu cette faculté d’appréciation souveraine, il n’exerce aucun
contrôle sur certains choix c’est-à-dire qu’il s’en tient à un contrôle restreint »398.

La reconnaissance par le texte constitutionnel de 1958 (articles 20, 34, 37 et 72) d’un
pouvoir d’organisation aux personnes publiques apparaît comme le fondement du principe de
liberté d’organisation des missions d’intérêt général399. Le juge administratif a décidé qu’« en
vertu des articles 34 et 37 de la Constitution il appartient au pouvoir réglementaire de fixer les
modalités de l'organisation d'un service public de l'Etat, sous réserve qu'il ne soit pas porté
atteinte aux matières ou principes réservés au législateur »400. Le législateur retrouve sa
compétence si le service public créé et organisé porte atteinte aux libertés publiques 401. Comme
l’écrivent M. et Mme les Professeurs Guglielmi et Koubi « la loi fondamentale de l’Etat français

393
A-S. Mescheriakoff, Droit des services publics, PUF, Coll. Droit fondamental, 1991, p. 303.
394
CE 9 octobre 1968, Pigalle, rec. 481, AJDA 1969, p. 38.
395
M. Douence, Le pouvoir d’organisation du service public, thèse Pau 2003, p. 34, p. 85, p. 130 et 141.
396
Ibid., p. 34.
397
Ibid.
398
M. Douence, Le pouvoir d’organisation du service public, thèse préc., p.563.
399
G. J. Guglielmi et G. Koubi, Droit des services publics, op. cit., p. 421.
400
CE 17 décembre 1997, Ordre des avocats à la Cour de Paris, AJDA 1998, p. 362.
401
G. J. Guglielmi et G. Koubi, Droit des services publics, op. cit., p. 175 et s.

117
contient une série de fondements généraux dont l’action du pouvoir exécutif peut se réclamer
pour choisir le mode de gestion des services publics nationaux ou locaux »402.

152. En droit communautaire, le fondement du principe de libre organisation des tâches


d’intérêt public est l’application du principe de subsidiarité 403 qui a pour corollaire le respect des
choix par les Etats membres du régime de propriété des entreprises. Les instances
communautaires et la jurisprudence de la Cour de justice reconnaissent que les traités CE et UE
confèrent aux Etats membres la liberté de définir des missions d'intérêt général et d'établir les
principes d'organisation qui en découlent pour les services destinés à les accomplir. L’article 295
(ex-article 222) consacre expressément la neutralité du droit communautaire à l’égard du statut
public ou privé des entreprises : « Le présent traité ne préjuge en rien le régime de la propriété
dans les Etats membres ». Comme l’écrit M. M. Karpenschif, « en dépit de l’article 295 CE qui
impose une stricte obligation de neutralité du droit communautaire à l’égard du régime de
propriété en vigueur dans les Etats membres, l’étude démontre qu’il s’agit en réalité d’une
neutralité positive empêchant uniquement les institutions de l’Union de se prononcer sur
l’opportunité d’une telle opération sans pour autant que ces dernières renoncent à engager les
Etats dans cette voie »404.

153. Au niveau local, le fondement de ce principe repose sur le principe de libre administration
des collectivités territoriales reconnu à l’article 72 de la Constitution de 1958. En vertu de ce
principe constitutionnel405, les collectivités territoriales s’administrent librement ce qui suppose
qu’elles règlent par les décisions des assemblées délibérantes les affaires locales. Ce principe
trouve une application directe dans la liberté de choix du mode d’organisation et de gestion des
services d’intérêt général, car selon la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, le principe de
libre administration signifie que l’organe délibérant dispose d’attributions effectives notamment

402
Ibid., p. 418.
403
V. COM. Bruxelles, le 26.4.2006, COM(2006) 177 final. Communication de la commission sur la mise en oeuvre
le programme communautaire de Lisbonne Les services sociaux d'intérêt général dans l'Union européenne, p. 6.
404
M. Karpenschif, La privatisation des entreprises publiques :une pratique encouragée sous surveillance
communautaire, RFDA 2002, p. 95.
405
L. Favoreu et A. Roux, La libre administration des collectivités territoriales est-elle une liberté fondamentale  ?,
Cah. Cons. Const. 2002, n°12, p. 88 et s.

118
dans la gestion des services publics locaux406. La force du principe de libre administration a été
accrue par les révisions constitutionnelles du 28 mars 2003 instituant une République
décentralisée407. Le juge administratif a eu l’occasion de déterminer les conséquences de ce
principe de libre administration sur la liberté dont disposent les collectivités territoriales dans le
choix du mode de gestion des missions d’intérêt public.

Par exemple, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a considéré dans un arrêt du 31


mai 2001 qu’un département ne pouvait décider de majorer ses subventions aux communes ayant
choisi la gestion directe d’un service public. Ce conditionnement de l’augmentation des aides
financières est caractéristique d’une tutelle du département sur la commune ce qui est contraire
au principe de libre administration des collectivités territoriales. Ainsi, le juge a décidé qu’
« ayant constaté une grande disparité du prix de l'eau potable dans les communes du département,
le conseil général des Landes, sur le fondement des articles L. 3232.2 et L. 3232.3 précités, a
décidé par une délibération en date du 7 février 1996, de majorer le taux de l'aide versée aux
communes et à leurs syndicats pour les travaux d'assainissement et d'alimentation en eau potable
de 5% pour les services exploités en régie et de le minorer de 5% pour les collectivités dont le
service est affermé ; que cette délibération tend ainsi à inciter financièrement les communes et
leurs syndicats à exploiter leurs services d'assainissement et d'alimentation en eau potable en
régie, même si la modulation n'excède pas 5% en plus ou en moins du taux de l'aide ; que, si cette
délibération ne crée aucune obligation, ni n'entraîne aucune autre conséquence que la minoration
du taux de l'aide à l'encontre des communes qui n'entendent pas exploiter leur service en régie, la
fixation d'un tel critère qui concerne directement le mode de gestion du service subventionné,
établit en fait une tutelle au sens des dispositions précitées de l'article 3 de la loi du 7 janvier
1983 ; que, par suite, la délibération litigieuse doit être regardée comme portant atteinte au
principe de libre administration des collectivités territoriales ; que, dès lors, le département des
Landes n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal
administratif de Pau a annulé la délibération en date du 7 février 1996 »408.

406
Cons. Constit., déc. n°85-116 DC du 8 août 1985, Evolution de la Nouvelle-Calédonie, Rec., p. 63 ; v. aussi,
Cons. Constit., déc. n° 92-316 DC du 20 janvier 1993, RFDA 1993, p. 910, note D. Parujaud.
407
Loi constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003 ? (JO, 29 mars 2003, n°75, p. 5568) relative à l’organisation
décentralisée de la République.
408
CAA Bordeaux 31 mai 2001, Département des Landes, n°97BX00803, CMP 2001, comm., n°190.

119
Le Conseil d’Etat est venu censurer cette décision au motif que la délibération attaquée
n’a eu ni pour objet ni pour effet d’instituer une tutelle car une modulation des subventions d’une
amplitude égale à 10 % du coût des travaux et en fixant le taux le plus élevé des aides à 40 % de
ce coût n’est pas de nature à entraver la liberté de choix du mode de gestion de leur réseau par les
collectivités bénéficiaires409. La loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux
aquatiques410 a clarifié la problématique relative à la modulation des aides publiques en fonction
des modes de gestion en posant en son article 54 que « les aides publiques aux communes et
groupements de collectivités territoriales compétents en matière d'eau potable ou d'assainissement
ne peuvent être modulées en fonction du mode de gestion du service. »411

154. Par ailleurs, l’accomplissement d’une tâche d’intérêt public telle la gestion d’un service
public par l’intermédiaire d’une entité externe à l’administration peut se faire sur la base d’une
délégation unilatérale mais en général la délégation à une personne privée de la gestion d’un
service public se concrétise au travers d’un contrat. Dès lors, la reconnaissance du principe de la
liberté d’organisation des personnes publiques découle du principe de la liberté contractuelle dont
bénéficie une personne publique. Au regard de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, la
doctrine a pu légitimement s’interroger sur le fait de savoir si la liberté contractuelle était
pleinement constitutionnelle412 dans la mesure où le Conseil constitutionnel a dénié expressément
à cette liberté le statut de norme constitutionnelle notamment dans une décision du 3 août 1994413.
Si le rang normatif de cette liberté pris isolément peut susciter le débat, il n’en demeure pas
moins vrai que la liberté contractuelle est une règle constitutionnelle lorsqu’elle peut
objectivement être rattachée à une liberté constitutionnelle déjà consacrée 414. Ainsi, le rang
constitutionnel du principe de la libre administration des collectivités territoriales permet de lui
adosser la liberté contractuelle qui revêt une dimension positive, à savoir la liberté de contracter
et une dimension négative, à savoir le liberté de ne pas contracter donc de ne pas déléguer à un
tiers.

409
CE 12 décembre 2003, Département des Landes n°236442.
410
JORF n°303 du 31 décembre 2006 page 20285
411
Art. L. 2224-11-5 du CGCT.
412
F. Moderne, La liberté contractuelle, est-elle vraiment et pleinement constitutionnelle ?, RFDA 2006, p. 2 et s.
413
Cons. Const. n°94-348 DC, loi relative à la protection sociale complémentaire des salariés, JO du 6 août 1994, p.
11482.
414
M. Mahouchi, La liberté contractuelle des collectivités locales, thèse Aix-en-Provence, 2001

120
155. Le Conseil Constitutionnel, dans une décision en date du 3O novembre 2006, considère
que « si le législateur peut, sur le fondement des articles 34 et 72 de la Constitution, assujettir les
collectivités territoriales ou leurs groupements à des obligations, c'est à la condition notamment
que celles-ci concourent à des fins d'intérêt général ; qu'il peut aux mêmes fins déroger au
principe de la liberté contractuelle, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789 »415. Aussi, le juge constitutionnel dans une décision en date du 14
décembre 2006 portant sur la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 de financement de la
sécurité sociale pour 2007 décide qu' « en subordonnant à la condition de représentativité la
possibilité, pour une organisation syndicale, de former opposition à un accord, le législateur n'a
méconnu ni la liberté contractuelle, ni la liberté syndicale, ni aucune autre exigence
constitutionnelle »416. Il découle de ce qui précède que la constitutionnalisation de la liberté
contractuelle est certaine sans qu’il soit besoin de la rattacher à un autre principe mais à l’instar
de la liberté d’entreprendre, elle n’est ni générale ni absolue. Le principe de liberté d’organisation
des missions d’intérêt général intègre le rang prestigieux des normes constitutionnelles du fait de
sa filiation directe à des dispositions constitutionnelles.

Section 2 : L’admission du commerce intra-administratif

156. La pratique du commerce intra-administratif résulte de la consécration en droit du


principe de liberté d’organisation des missions d’intérêt général. Le concept de commerce intra-
administratif correspond au « commerce » entre pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices 417
et des entités qui sont des faux nez de ces organismes de droit public ou de droit privé. Un
pouvoir adjudicateur ou une entité adjudicatrice peuvent confier librement, c’est-à-dire sans
devoir respecter ni les dispositions du code des marchés public, ni les dispositions des directives
marchés, une mission d’intérêt général à un opérateur qui formellement est une entité externe

415
Cons. Const. 30 novembre 2006, déc. n°2006-543 DC.
416
Cons. Const. 14 décembre 2006 , déc. n° 2006-544 DC.
417
Les entités adjudicatrices sont les pouvoirs adjudicateurs lorsqu'ils exercent une des activités d'opérateurs de
réseaux énumérées , v. Code des marchés publics version 2006 et ordonnance n°2005-649 du 6 juin 2005 relative
aux marchés passés par les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices non soumis au code des marchés
publics.

121
mais qui substantiellement est un prestataire interne. Pour les entités adjudicatrices, on parlera
d’entreprises liées418. Ces hypothèses visent ce qu’il est coutume d’appeler « quasi-régie »419 ou
encore les prestations intégrées.

157. L’article 3 du Code des marchés publics 2006 dans son chapitre intitulé « exclusions »
définit un contrat « in house » comme un contrat conclu « entre un pouvoir adjudicateur et un
cocontractant sur lequel il exerce un contrôle comparable à celui qu'il exerce sur ses propres
services et qui réalise l'essentiel de ses activités pour lui ». Le Conseil d’Etat a validé ces
dispositions du Code des marchés publics par deux décisions d’assemblée du 5 mars 2003. Il a
jugé que ledit code (celui de 2001) a pu, sans méconnaître les objectifs de la directive en cause,
exclure de son champ d’application les contrats conclus avec un prestataire « in house » car « le
cocontractant peut être une personne privée, il se trouve en raison de son étroite subordination à
la personne publique avec laquelle il passe un contrat dans une situation différente de celle des
autres personnes de droit privé qui seraient susceptibles de passer ce contrat »420.

158. L’article 138 mentionne les exclusions à l’application du Code des marchés publics pour
les contrats passés par les entités adjudicatrices. Comme il est écrit dans le manuel d’application
du Code des marchés publics, « il s’agit ici d’exclure du champ du Code les contrats passés par
une entité adjudicatrice avec une entreprise qui lui est liée dès lors que le contrat se passe dans
des circonstances telles que l’on peut considérer qu’il s’agit de prestations réalisées en
interne »421. Le Code précise que « sont des entreprises liées à une entité adjudicatrice les
entreprises qui sont soumises directement ou indirectement à l'influence dominante d'une entité
adjudicatrice au sens du IV. L'influence des entités adjudicatrices est réputée dominante lorsque
celles-ci, directement ou indirectement, détiennent la majorité du capital, disposent de la majorité
des droits de vote ou peuvent désigner plus de la moitié des membres de l'organe
d'administration, de direction ou de surveillance »422. Pour qu’il y ait dérogation au droit de la

418
Art.138 et 139 du Code des marchés publics.
419
L. Richer, in Droit des marchés publics, collectif, éd. Le Moniteur, II, 200-1, avril 2005, p. 4.
420
CE, 5 mars 2003, Union nationale des services publics industriels et commerciaux (req. n°233372) et Ordre des
avocats à la Cour d’Appel de Paris (req. n°238039), CMP 2003, chron.4, concl. D. Piveteau.
421
Manuel d’application du code, Le moniteur, cahier détaché, 11 août 2006, p. 92.
422
Art.138 du Code des marchés publics.

122
commande publique, l’entreprise doit également réaliser au cours des trois années précédant
l'année de passation du marché, au moins 80 % de son chiffre d'affaires moyen avec les
personnes publiques auxquelles elle est liée. Les deux critères rappellent fortement les critères
posés par le code pour l’identification des contrats « in house ».

159. Le principe de liberté d’organisation des missions d’intérêt général est la justification de
l’exclusion des contrats « in house » du champ du droit de la commande publique. Une solution
contraire impliquerait une mise en concurrence avec les offres privées ce qui aboutirait
potentiellement à une extériorisation forcée des tâches en raison de la confrontation des offres de
l’entité intégrée et des candidats privés. La non application des règles de publicité et de
concurrence relève du fait que « le « in house » et les entreprises liées constituent bien « une
exclusion et non une exception : il ne s’agit pas d’un contrat …mais d’une relation juridique qui
par sa nature et compte tenu des relations organiques existantes, ne présente pas le caractère d’un
contrat et donc ne relève pas du champ de la commande publique »423. La condition d’altérité,
c’est-à-dire d’existence de deux personnes distinctes, doit s’appréhender aussi bien au regard de
l’analyse formelle que substantielle.

160. En droit français, le Conseil d’Etat dans l’arrêt Unipain du 29 avril 1970 a jeté les bases
du phénomène « in house » en considérant que « d’une part, le principe de spécialité, qui
concerne les personnes morales de droit public ayant une compétence limitée ou précisée par les
textes les instituant, ne peut être utilement invoqué à l'encontre des services non spécialisés de
l'Etat, d’autre part, le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ne fait pas obstacle à ce
que l'Etat satisfasse, par ses propres moyens, aux besoins de ses services »424. Ainsi, la
423
E. de Fenoyl, Le « in house » dans tous ses états : du pluri-contrôle public appliqué à l’intercommunalité, JCP éd.
Administrations et collectivités territoriales, n°24, 11 juin 2007, p. 32. Le Conseil d’Etat, dans un avis déjà bien
ancien, a clairement exclu l’idée du contrat avec soi-même : « [Considérant] que la poudrerie nationale de Pont-de-
Buis n’a pas de personnalité distincte de celle de l’Etat ; qu’elle est juridiquement un service d’Etat dépendant du
ministère de la défense nationale ; que dans ces conditions, (…), elle ne peut passer un contrat avec l’Etat et, par voie
de conséquence, elle ne peut être admise à soumissionner à des appels d’offres pour les fournitures destinées à
l’administration des PTT » (CE, section des travaux publics, 06 mai 1958, n° 274-337). Sur la question du contrat
avec soi-même, v. B. Delcros, L’unité de la personnalité juridique de l’Etat (étude sur les services non personnalisés
de l’Etat), LGDJ 1976, spéc, p. 83 à 109 ; F. Rolin, Accord de volontés et Contrat entre personnes publiques, thèse
multig., Paris II, 1997, spéc, p. 350 à 365 ; N. Sagne, Le contrat in house, mémoire Master Paris I 2007, p.8.
424
CE 29 avril 1970, Société Unipain, req. n°77935. De même, une commune peut faire procéder par ses propres
agents aux travaux d’imprimerie nécessaires au fonctionnement de ses services (CE, 27 juin 1936, Bourrageas, rec,
p.609).

123
boulangerie militaire de Lille relevant du service de l’intendance militaire (ministère de la
Défense) a pu étendre ses fournitures de pain à divers établissements pénitentiaires (ministère de
la Justice) sans répondre à un appel public à la concurrence, c’est une application anticipée de
l’exclusion « in house ».

161. La définition de la pratique « in house » en droit français est la transposition de


l’acception donnée par la jurisprudence communautaire des prestations « in house ». Le Code des
marchés publics prévoit en plus que la personne bénéficiaire de la relation « in house » devra,
pour répondre à ses propres besoins, mettre en œuvre les règles du code ou de l’ordonnance
n°2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par les pouvoirs adjudicateurs et les
entités adjudicatrices non soumis au code des marchés publics. Il s’agit d’un transfert des
obligations pesant sur la collectivité publique au prestataire qu’elle contrôle425.

162. La théorisation du « in house » a largement été effectuée par les instances
communautaires. La Commission s’est proposée « de clarifier notamment (…) les marchés « in
house » dans sa communication du 11 mars 1998426. Mais le travail de construction intellectuelle
revient grandement aux avocats généraux. L’affaire BFI Holding de 1998 marque une étape
importante dans la conceptualisation de la pratique « in house ». En l’espèce, deux communes
néerlandaises ont choisi de confier l’activité de collecte et de traitement des ordures à une société
anonyme, ARA, qu’elles ont créée pour cette occasion. La conclusion du contrat n’a pas été
précédée d’une mise en concurrence, d’où le contentieux porté devant le juge communautaire.
Dans ses conclusions, M. l’avocat général La Pergola mentionne que: « la survie d’ARA,
remarque-t-il, du point de vue économique, ne dépend en substance, pas tant du volume des
opérations de collecte et de traitement des ordures réalisées, ni de l’efficacité avec laquelle elle
gère ces services, qu’exclusivement de la volonté des communes d’affecter à ARA des ressources
financières appropriées par le biais d’un transfert de fonds budgétaires et de la fixation à un
niveau acceptable des tarifs pour les services fournis. » Les communes exerceraient donc, selon
ses propres termes, « un droit de vie et de mort » sur la société. Au terme de l’analyse, l’avocat
général estime que la société n’a pas une qualité de tiers par rapport aux communes et que la

425
N. Sagne, Le contrat « in hous »e, mémoire préc., p. 34.
426
Les marchés publics dans l’Union européenne, COM (1998) 143 final, 11 mars 1998, JOCE, 29 mai 1999, n° C
150, p. 64.

124
situation correspond « à une forme de délégation interorganique »427. Cet arrêt illustre le
phénomène « in house » sans le nommer ainsi.

163. Dans la décision Teckal Srl, une commune a confié la gestion des installations de
chauffage de certains bâtiments communaux et la fourniture des combustibles nécessaires à
l’AGAC, un groupement de communes. Dans ses conclusions, l’avocat général précise que « si
une commune, dans le cadre d’une meilleure organisation interne de ses services, attribuait la
fourniture à l’un de ses services, cela signifierait que nous sommes en présence d’une forme de
délégation interne, qui ne sort pas du cadre de ses structures administratives propres ». Toutefois,
constate-t-il, la participation de la commune à l’assemblée du groupement ne s’élève qu’à hauteur
de 0,9% ; il s’ensuit que ce dernier, dans sa relation avec la commune, ne peut être assimilé à un
organe interne428. Sur la base des conclusions de l’avocat général dans l’affaire précitée, M. N.
Sagne écrit que la Cour de justice, dans un énoncé de principe, consacre l’exception « in house »
en esquissant, sinon une définition, du moins des critères d’identification : pour qu’il y ait marché
public, affirme-t-elle, « il suffit, en principe, que le marché ait été conclu entre, d’une part, une
collectivité territoriale et, d’autre part, une personne juridiquement distincte de cette dernière. Il
ne peut en aller autrement que dans l’hypothèse où, à la fois, la collectivité territoriale exerce sur
la personne en cause un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services et où
cette personne réalise l’essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent »429.

L’arrêt Teckal du 18 novembre 1999 dégage donc deux conditions cumulatives pour que
le prestataire de service soit qualifié de prestataire « in house ». Le juge communautaire parle
non pas de contrôle comparable mais de contrôle analogue. La doctrine s’est interrogée sur la
notion de contrôle analogue et sur la condition relative à la part d’activité que le prestataire doit
réaliser avec le pouvoir adjudicateur pour se prévaloir de l’exclusion « in house »430. Dans le cas
des contrats passés entre une entité adjudicatrice et une entreprise liée, le code des marchés
publics pose expressément le seuil minimum de 80 %, c’est-à-dire que l’entreprise doit réaliser au

427
s CJCE, 10 novembre 1998, Gemeente Arnhem et Gemeente Rheden contre BFI Holding BV, aff C-360/96, avec
les conclusions de l’avocat général Antonio La Pergola.
428
CJCE, 18 novembre 1999, Teckal Srl contre commune di Viano et AGAC, aff C-107/98, avec les conclusions de
l’avocat général M. Georges Cosmas.
429
N. Sagne, Le contrat in house, mémoire préc., p.12.
430
C. Lecuyer-Thieffry et P. Thieffry, Les prestations effectuées in house sans mise en concurrence, AJDA 2005, p.
927 et s.; P. Delvolvé, Marché publics : les critères des contrats-maisons, RDUE, n°1/2002, p. 53.

125
cours des trois années précédant l'année de passation du marché, au moins 80 % de son chiffre
d'affaires avec les personnes publiques auxquelles elle est liée431. L’enjeu de la réflexion porte sur
le fait de savoir si contrôle analogue signifie contrôle identique et si l’adjectif essentiel implique
une quasi-exclusivité.

164. La Cour a décidé que toute participation de personnes privées, même si cet actionnariat
privé est minoritaire, exclut que le pouvoir adjudicateur exerce un contrôle analogue à celui
exercé sur ses propres services: « la participation, fût-elle minoritaire, d’une entreprise privée
dans le capital d’une société à laquelle participe également le pouvoir adjudicateur en cause
exclut en tout état de cause que ce pouvoir adjudicateur puisse exercer sur cette société un
contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services »432. Aussi, la Cour en 2006 a jugé
que « ne relève pas de la notion de prestations « in house », le marché conclu par un pouvoir
adjudicateur avec une société par actions, parce que celle-ci est entièrement contrôlée par une
autre société par actions dont l’actionnaire majoritaire est ce pouvoir adjudicateur »433. L’arrêt
Asemfo434 de la Cour de justice des communautés européennes du 19 avril 2007 est un moment
jurisprudentiel important par la consécration de la notion de « in common house ».
L’éparpillement du contrôle public, c’est-à-dire le pluri-contrôle public en l’espèce sur une
société d’Etat espagnole détenue à 99% par l’Etat espagnol et à 1% par quatre communautés
autonomes espagnoles satisfait à la condition de contrôle comparable435.

165. S’agissant du critère de « la réalisation de l’essentiel de l’activité », la Cour de justice


dans l’arrêt Parking Brixen436 a rejeté la qualification de prestation « in house » si les statuts de
cette société permettent un domaine d’activité matériellement et géographiquement étendu.
L’arrêt Asemfo précise que pour l’appréciation du second critère, « essentiel des activités », « il
convient de prendre en compte l’ensemble des activités confiées à l’organisme par les
431
Art. 138 CMP.
432
CJCE 11 janvier 2005, Stadt Halle, aff. C-2603, AJDA 2005, p. 898 et s.
433
CJCE 11 mai 2006, Carbotermo Spa Consorzio Alisei c/ Commune di Busto Arsizio et AGESP Spa, aff. C-
340/04, BJCP 2006, n°47, p. 273 et s.
434
CJCE 19 avril 2007, aff. C-295/05, Association Nacional de Emperas Forsetales (Asemfo) ;
435
L’admission du pluri-contrôle public dans l’exclusion « in house » a été déjà reconnue en droit français dans
l’arrêt Commune d’Aix-en-Provence du 6 avril 2007 du Conseil d’Etat, AJDA 2007, p. 1020, chron. F. Lenica et J.
Boucher.
436
CJCE 13 octobre 2005, Parking Brixen Gmbh c/ Geimeinde Brixen, aff. C-458/03, BJCP 2006, n° 43, p. 454 et
s. ; v. aussi CJCE 21 juillet 2005, Consorzio Aziende metano (CONAME) c/ Commune di Cingia de Botti, aff. C-
231/03, BJCE 2006, n°43, p. 446 et s.

126
collectivités publiques détentrices, indépendamment du mode de dévolution desdites activités et
des modalités de leur financement »437. L’évolution jurisprudentielle en la matière corrobore la
thèse de l’appréhension stricte de la notion de contrat « in house »438 et donc « force est de
constater que la liberté d’organisation des collectivités locales et des services publics s’est
progressivement réduite »439.

Conclusion du Chapitre 2

166. Les temps ont bien changé depuis les avis et arrêts du Conseil d’Etat rendus à la fin du 19 e
siècle traduisant une hostilité envers la gestion directe des services publics économiques. Cette
évolution du droit de l’organisation des missions d’intérêt général est la position logique. C’est la
solution inverse qui pose, à notre sens, des problèmes de légalité et de constitutionnalité, car le
principe de liberté d’organisation des missions d’intérêt général est le strict corollaire de l’idée de
souveraineté nationale et du principe de libre administration des collectivités territoriales. Au
nom du principe de liberté d’organisation, qui est conforté de prime abord par les instances
communautaires, les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices peuvent décider de façon
discrétionnaire soit de gérer en interne soit de recourir à un tiers extérieur à l’administration.

437
E. de Fenoyl, Le « in house » dans tous ses états : du pluri-contrôle public appliqué à l’intercommunalité, JCP éd.
Administrations et collectivités territoriales, n°24, 11 juin 2007, p. 34.
438
S. Chavarochette-Boufferet, Application du droit communautaire des marchés publics et réorganisation
administrative des personnes publiques. Vers un second souffle de l’hypothèse particulière du « in house » ?, AJDA
2008, p. 2147 et s.
439
C. Pilone, Réflexions autour de la notion de contrat « in house », Contrats Publics, Mélanges Guibal, 2006, p.716.

127
Conclusion du Titre 1

167. Une étude historique des modes de gestion des activités d’intérêt général montre la
relativité de la théorie des services publics « à la française » qui dans son usage actuel désigne
des modalités particulières d’organisation des services publics, à savoir l’exécution des services
publics par des monopoles publics dont les agents bénéficient d’un statut particulier. Ainsi, ce
que l’on appelle aujourd’hui service public « à la française » est un phénomène récent et restreint.
L’expression s’apparente plus volontiers à une idéologie qu’au trait caractéristique du modèle
d’organisation des services publics français à l’exception de la sphère des services publics
indélégables. Cette dernière catégorie particulière de missions d’intérêt général est exclusive de
toute collaboration public/privé.

128
TITRE 2 : L’ERECTION DU DOGME DU SERVICE PUBLIC
INDELEGABLE PAR NATURE

168. En 1907, L. Duguit note que la concession « n’est guère aujourd’hui employée que pour
ce que l’on appelle souvent les services publics industriels, qui ont pour objet des opérations
d’ordre spécifiquement économique, rien ne s’opposerait à ce que ce procédé fût employé pour
un service public quelconque »440. Cette pensée du Doyen de Bordeaux résume parfaitement le
« droit de l’organisation des missions d’intérêt général » en vigueur à l’époque féodale et sous
l’Ancien Régime dans la mesure où le champ des missions délégables paraît sans borne si ce
n’est celle que le souverain s’impose à lui-même. En revanche, la période récente de l’histoire de
la gestion administrative montre que certaines activités ne peuvent être déléguées. L’émergence
d’un principe d’indélégabilité est, il est vrai, un phénomène récent qui trouve un fort écho en
droit positif. M. le Professeur Delacour dans sa thèse consacrée à « La notion de convention de
délégation de service public »441 écrit qu’« aux termes de l’avis du Conseil d’Etat (avis du 7
octobre 1986), deux types d’interdiction de déléguer un service public apparaissent. La première
440
L. Duguit, De la situation des particuliers à l’égard des services publics, RDP 1907, p. 425 et s.

129
que l’on peut qualifier de matérielle est liée, selon l’expression employée par le Conseil d’Etat, à
la nature d’un service public, la seconde reposant sur un fondement textuel qui, selon le Conseil
d’Etat, a une origine législative mais qui peut également avoir une origine constitutionnelle »442.

Le Conseil d’Etat constate cette gradation de l’indélégabilité dans un avis en date du 13


février 2007 relatif aux conditions de validité des conventions de mandat conclues en matière de
recettes et de dépenses publiques des collectivités territoriales en rappelant qu’« une autorité
publique investie d’une compétence ne peut en disposer, c’est-à-dire s’en déposséder, ne serait-ce
que temporairement et partiellement, que si la possibilité lui en a été expressément conférée par
une disposition normative d’un niveau approprié »443. Cet avis entretient certes la confusion selon
laquelle la délégation d’activité à un tiers équivaut à une délégation de compétence 444 mais cette
intervention du Conseil d’Etat invite à distinguer différentes catégories de services publics
inconcessibles.

169. La nécessité d’un travail de recherche sur l’impossibilité de « faire faire » diverses tâches
d’intérêt général provient de la facilité intellectuelle avec laquelle les juges et la doctrine
justifient l’indélégabilité de certains services publics en évoquant simplement la nature de
certaines tâches ou le caractère régalien des missions. Les fonctions de souveraineté agiraient en
quelque sorte comme un critère d’application du principe de non collaboration de la sphère privée
avec l’administration sauf que le seul renvoi à la notion de mission de souveraineté ou de services
publics régaliens ne peut donner satisfaction au juriste dans la compréhension du principe
d’indélégabilité de certains services publics. Pourtant, les auteurs sont catégoriques et le
bannissement du champ de la délégation de service public des missions de souveraineté comme
l’exercice du pouvoir de police apparaît comme un dogme patent. Ainsi, M. C. Huglo estime
simplement que cette exclusion est un principe « fortement affirmé…tant la prohibition est
441
E. Delacour, La notion de convention de délégation de service public, essai de définition d’une nouvelle catégorie
de contrat administratif, thèse préc., p. 446 et s.
442
Ibid., p. 446.
443
CE avis n°373.788, 13 février 2007 relatif aux conditions de validité des conventions de mandat conclues en
matière de recettes et de dépenses publiques des collectivités territoriales ; v. J.-D. Dreyfus, Les conditions de
validité des conventions de mandat conclues en matière de recettes et de dépenses publiques des collectivités
territoriales, AJDA 2008, p. 787 et s. ; v. aussi P. Terneyre, Les collectivités territoriales et leurs établissements
publics peuvent-ils confier par convention à des tiers l’exécution de leurs dépenses et recettes  ?, BJCP 2008, n°59, p.
294 ets.
444
P. Delvolvé, Les contradictions de la délégation de service public, in La délégation de service public, AJDA
n°spé. 1996, p. 675.

130
évidente »445. De son côté, Mme C. Maugüe écrit que « l’exécution des missions qui relève de
l’exercice même de prérogatives de puissance publique ne peut être déléguée »446.

Les activités de souveraineté correspondraient aux missions de police, de défense, de


justice et aux services des impôts. Cette définition, chère aux partisans du libéralisme
économique défendant la conception gendarmiste du rôle de l’Etat 447, ne présente aucun intérêt
juridique car elle repose sur le postulat contestable suivant lequel il existe des activités publiques
plus essentielles que d’autres448. De plus, certaines tâches sont réputées indélégables de par leur
nature sans pour autant rentrer dans la catégorie des missions de souveraineté comme
l’enseignement public. C’est pourquoi, certains commentateurs sont plus réservés en ce qui
concerne le principe d’indélégabilité car «  le droit offre des éléments de réponse qui
s’apparentent avant tout à des panneaux indicateurs signalant une direction de recherche »449. La
référence à la seule nature d’une activité n’est pas pertinente car « l’analyse de la jurisprudence
montre au demeurant qu’il est difficile de donner une définition, extensive ou compréhensive, de
la notion d’activité indélégable par nature »450 (Chapitre 1). Et s’il existe certaines dispositions
qui prohibent expressément toute opération délégatoire, il est difficile de dégager un fondement
constitutionnel général justifiant l’existence d’un principe d’indélégabilité des services publics en
raison de leur nature. Selon nous, à l’exception de rares cas, il n’est rien dans le droit positif qui
s’oppose à ce que le système concessif soit utilisé pour tous les services publics. (Chapitre 2).

445
C. Huglo, Point de vue sur une notion très discutée : la délégation de service public, LPA 16 mai 1994, n°58.
446
C. Maugüe, Les délégations de service public et le juge administratif, AJDA 20 sept. 1996, p. 598 et s.
447
« Veiller à la sécurité publique ; administrer le domaine commun ; percevoir les contributions, tel est, le cercle
rationnel dans lequel doivent être circonscrites ou ramenées les attributions gouvernementales », v. F. Bastiat,
Harmonies économiques, in Œuvres complètes, Guillaumin, 1893, p. 555.
448
Sur la distinction service essentiel/service facultatif, v. H. Berthélémy, Traité élémentaire de droit administratif, 8 e
éd., Paris, Librairie Arthur Rousseau, p. 225 et s.
449
R. de Bellescize, Les services publics constitutionnels, LGDJ 2005, tome 244, résumé en dernière page.
450
T. Dal Farra, comm. Sous l’avis n° 340.609 du CE en date du 7 octobre 1986, in Les grands avis du Conseil
d’Etat, Dalloz 1997, p. 249.

131
CHAPITRE 1 : A LA RECHERCHE DE LA CATEGORIE DE SERVICE PUBLIC
INDELEGABLE PAR NATURE

170. Dans la sphère des activités indélégables, il faut distinguer celles qui sont indélégables
parce que cette modalité d’organisation n’est pas prévue par un texte constitutionnel, législatif ou
réglementaire qui prescrit un autre mode de réalisation et celles qui sont indélégables, et ce
malgré l’intervention d’une loi qui autoriserait la collaboration public/privé, en raison de leur
nature. Au regard de l’histoire de la gestion administrative et de la jurisprudence entrent dans
cette dernière catégorie les fonctions de souveraineté (Section 1) mais aussi certaines missions
organisées par le Préambule de la Constitution de 1946 (Section 2).

Section 1. L’affirmation du principe d’indélégabilité des missions de souveraineté

L’idée d’indélégabilité des missions de souveraineté n’est pas une création récente, son
origine remonte à l’époque féodale et à l’Ancien Régime (§1). Durant l’histoire administrative
française, c’est surtout l’indélégabilité des activités de police qui a occupé la doctrine et la
jurisprudence (§2) avant que le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat ne viennent consacrer
un principe d’indélégabilité des missions de souveraineté (§3).

132
§1. L’émergence historique de l’idée d’indélégabilité des missions de souveraineté

171. A l’époque féodale, la pratique du « faire faire » n’a pour limites que celles que le
suzerain s’impose à lui-même. Les légistes du Moyen Age ont très tôt émis l’idée selon laquelle
« le Roi est source de toute justice » mais la justice déléguée au moyen des juridictions
seigneuriales, des juridictions ecclésiastiques, des Parlements, des bailliages, des présidiaux et
des prévôtés451 est la clef de voûte de l’organisation judiciaire à l’époque féodale et sous l’Ancien
Régime452. Par rapport au fonctionnement contemporain du service public de la justice, l’emploi
du terme de justice déléguée rend difficilement compte des modalités d’organisation de la justice
à l’époque médiévale et sous l’Ancien Régime parce qu’en raison de la marchandisation des
fonctions de justice, c’est-à-dire la vénalité des offices, le pouvoir de juger et de condamner est
en quelque sorte aliéné et non pas délégué.
172. En matière de sûreté, « l’Etat n’a pas cherché à lutter contre la criminalité en se dotant des
moyens de sécurité intérieure »453. Les individus sont les principaux acteurs de la sécurité parce
que la maréchaussée, ancêtre de la gendarmerie, est une juridiction qui connaît uniquement des
causes réservées à l’armée. Comme l’écrit L. Bertrand, « l’Ancien droit français fournit la
matière d’une analyse d’autant plus féconde que la pratique du concours des individus au
maintien de l’ordre se révèle pendant cette période extrêmement répandue, recouvrant la vie
journalière des sujets du Roi »454. Le règne de Louis XI marque une première extension des
compétences des maréchaux de France, d’abord juges des bandes armées, en leur conférant le
statut d’officiers de justice et de police spécialement chargés d’assurer la sécurité des grands
chemins. Pendant longtemps, la qualité de maréchaux est une récompense, elle n’est exercée que
par commission, c’est-à-dire qu’elle est gratuite et révocable. Ces fonctions sont ensuite
accordées à vie, c'est-à-dire érigées en office et une finance y est attachée. François Ier accroît
encore le champ d’intervention des maréchaux et ils reçoivent le concours de cavaliers chargés de
constater et de poursuivre les cas prévôtaux. Néanmoins, il faut noter que la vénalité des offices
de prévôts a été maintenue comme celle de tous les offices de judicature de l’Ancien Régime
jusqu’à la Révolution.
451
J. Hudault, Histoire du droit et des institutions, Les cours de droit, 1989, p. 161 et s.
452
J. Royer, Histoire de la justice en France, 3e éd. PUF 2001, p. 25.
453
Fondation Robert Schuman, Les moyens de la sécurité publique. Eléments d’analyse comparative, L’Europe en
actions 2002, p. 6.
454
L. Bertrand, Du concours des particuliers et des organismes privés au maintien de l’ordre public, thèse préc., p.
12 et s.

133
La maréchaussée est réorganisée à la fin du XVIIe siècle et durant tout le XVIIIe siècle
par une série d’édits, d’ordonnances et de règlements visant à la rendre plus efficace et plus
présente dans les campagnes à une époque où le vagabondage fait l’objet d’une répression
accrue455. Le règne de Louis XIV s’inscrit dans le mouvement d’une étatisation des moyens de la
sécurité publique par la création de la fonction de lieutenant général de police par l’édit de mars
1667 à la suite des assassinats successifs du lieutenant criminel du Châtelet puis du lieutenant
civil, Dreux d’Aubray, en 1665 et 1666 (les deux plus importants magistrats du Châtelet de
Paris). Cette mesure témoigne de la volonté du souverain d’asseoir son autorité sur Paris 456. Le
statut de ce nouvel agent royal est un signe du processus d’étatisation des moyens de la sécurité
publique. Le lieutenant général de police est qualifié de « ministre de Paris »457 même si
formellement il n'est pas membre du Conseil d'en Haut. Cette observation traduit l'importance de
la fonction et de son rôle dans la politique gouvernementale.

173. En effet, devant le constat d’une France qui n’est qu’une juxtaposition de féodalités 458,
certains légistes réfléchissent au fondement de l’autorité politique du Roi sur l’ensemble du
territoire. Cette réflexion aboutit à la définition du concept de souveraineté et surtout à
l’affirmation de l’indivisibilité de la souveraineté. « Si la souveraineté était divisible, c’est-à-dire
si plusieurs entités pouvaient indépendamment en détenir une partie, on ne pourrait la concevoir
comme l’essence du pouvoir politique, mais plutôt comme un agglomérat de différents pouvoirs
politiques »459. En 1576, J. Bodin écrit : « je vois que la souveraineté consiste en cinq attributs
essentiels : le premier et le plus important est de nommer les plus hauts magistrats et de définir à
chacun son office, le second est de promulguer ou d’abroger les lois, le troisième de déclarer la
guerre et conclure la paix, le quatrième de juger en dernier ressort par-dessus tous les magistrats,
et le dernier d’avoir le droit de vie et de mort aux endroits où la loi ne prête pas à la

455
L. Larrieu, Histoire de la maréchaussée et de la gendarmerie, Service historique de la Gendarmerie nationale,
Phénix 2002, p. 11.
456
V. V Milliot, « Saisir l’espace urbain : mobilité des commissaires et contrôle des quartiers de police à Paris au
XVIIIe siècle », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, 50-1, janvier-mars 2003, p. 58.
457
J.-L. Harouel, J. Barbey, E. Bournazel, J. Thibaut-Payen, Histoire des institutions de l'époque franque à la
Révolution, Paris, PUF 2006, p. 135.
458
R. Perrot, Institutions judiciaires, Montchrestien, 11e éd., 2004, p. 55.
459
Mogens Chrom Jacobser, Jean Bodin et le dilemme de la philosophie politique moderne, p. 136.

134
clémence »460. Malgré la formation de la monarchie absolue, il est seulement possible d’identifier
une idée de l’indélégabilité de certaines activités sans que réellement le champ du « faire faire »
soit limité.

174. Dans le domaine de la défense et du service des armées, à l’obligation militaire des sujets,
il faut ajouter les troupes permanentes du souverain comme la maison militaire du Roi, les
compagnies d’ordonnance mais aussi les troupes de mercenaires généralement étrangers 461. Ainsi
au XVIe siècle, on peut dénombrer entre 6000 et 16000 soldats suisses qui constituent une sorte
d’armée dans l’armée. Le recours important aux mercenaires étrangers, arbalétriers italiens,
archers écossais, piétons suisses et allemands est une pratique récurrente pendant tout le Moyen-
Age et l’Ancien Régime. Il faut « attendre la reprise en main du royaume par Louis XIV pour que
cessent les prises d’armes privées »462 au nom de l’absolutisme royal et de l’indivisibilité de la
souveraineté. Toutefois, on assiste à la résurgence dans les dernières années de la période
louisquatorzième des milices privées « dans la mesure où l’on estimait que les régnicoles étaient
incapables de fournir un apport militaire d’une efficacité suffisante »463.

175. Le Professeur J-L. Vullierme souligne que « la philosophie politique moderne, qui est
substantialiste, tend à définir les services publics de manière absolue. Les pouvoirs publics
disposeraient selon elle, d’un monopole intrinsèque de certaines missions qu’on a pris l’habitude
d’appeler « régaliennes » par référence à la formation des « Etats-Nations » monarchiques en
Europe aux alentours du 15e siècle. Ce monopole que les autorités royales avaient effectivement
commencé de conquérir tant sur les pouvoirs féodaux et municipaux, que sur ceux de l’Eglise et
de l’Empire, était censé porter principalement sur la défense, la police, la justice, l’impôt et la
monnaie. Or, il convient de remarquer que ces monopoles n’ont en fait jamais été complètement
réalisés »464.

460
J. Bodin, Les six livres de la Républiques, 1576, in Corpus général des philosophes français, t. V, Oeuvres
philosophiques de Bodin, PUF 1951, p. 359.
461
V. A. Corvisier (dir.), Histoire militaire de la France, tome 1, Des origines à 1715, PUF 1994, p. 310 et s.
462
Ibid., p. 313.
463
V. A. Corvisier (dir.), Histoire militaire de la France, tome 1, Des origines à 1715, op. cit., p. 555.
464
J-L. Vullierme, La gestion privée des établissements pénitentiaires : définition économique et argumentation
philosophique, in Les prisons dites « privées », op. cit., p. 87 et s.

135
176. La Révolution française est une étape importante dans le processus historique de création
d’une catégorie de service public indélégable. Il est vrai que le principal souci des
révolutionnaires est de concrétiser les nouvelles maximes du droit public, c’est-à-dire la
suppression des privilèges et surtout la suppression de la vénalités des offices notamment celles
relatives aux délégations fiscales et juridictionnelles. C’est l’objet de l’article 7 du décret des 5 et
11 août 1789 qui met fin à la vénalité des offices 465 et de l’article 9 du décret-loi des 22 novembre
et du 1er décembre 1790 suivant lequel « les droits utiles et honorifiques ci-devant appelés
régaliens, et notamment ceux qui participent de la nature de l’impôt, comme droits d’aide et
autres y joints, contrôle, insinuation, centième denier, droits de nomination et de casualité des
offices, amendes, confiscations, greffes, sceaux et tous autres droits semblables, ne sont pas
communicables ni cessibles : et toute concessions de droits de ce genre, à quelque titre qu’elles
aient faites, sont nulles, et en tous cas révoquées par le présent décret ».

La Constitution du 3/14 septembre 1791 dans son titre V relatif à la contribution publique
pose la règle selon laquelle « Le Pouvoir exécutif dirige et surveille la perception et le versement
des contributions, et donne tous les ordres nécessaires à cet effet ». L’article 4 de son Titre 4
afférent à la force publique précise que « les citoyens ne pourront jamais se former ni agir comme
gardes nationales, qu'en vertu d'une réquisition ou d'une autorisation légale » et l’article 7 indique
que « toutes les parties de la force publique, employées pour la sûreté de l'Etat contre les ennemis
du dehors, agiront sous les ordres du roi ». Au regard de ces dispositions, il est erroné de dégager
un principe d’indélégabilité des tâches régaliennes à la sphère privée. L’époque révolutionnaire
abroge expressément la marchandisation de certaines tâches d’intérêt général mais la coopération
public/privé ne semble pas être interdite.

177. D’ailleurs, si les révolutionnaires mettent fin aux juridictions ecclésiastiques et


seigneuriales dans la nuit du 4 août 1789, « la justice devenait en droit un véritable monopole de
l’Etat »466, le principe est l’élection des juges467, il n’ y a point de magistrature 468. Il faut attendre

465
J. Royer, Histoire de la justice en France, 3e éd. PUF 2001, p. 256.
466
R. Perrot, Instiutions judiciaires, 11e éd. Montchrestien, 2004, p. 56.
467
V. décret des 5 et 7 mai 1790 ; v. titre II, art. 3 de la loi des 16 et 24 août 1790 ; v. enfin titre III, chap. V, art.2 de
la Constitution du 3 septembre
468
J.-P. Royer, Histoire de la Justice en France, PUF 2001, p. 323.

136
le Consulat pour voir « le monde de la robe se recomposer »469 par la consécration des principes
de nomination et d’inamovibilité des juges. M. J.-P. Royer note qu’ « en deux articles assez
discrets, l’article 41 et l’article 68, la Constitution de l’an VIII fixe le cadre d’un statut de la
magistrature qui dans ses grandes lignes est parvenu jusqu’à nous »470.

178. Dans le domaine de la sécurité, le corps de la gendarmerie nationale, force militaire dont
la mission principale est d'assurer la paix et la sécurité publique, est créé par la loi du 16 février
1791. Institués par la loi des 28 septembre-6 octobre 1791, les gardes champêtres ont vocation à
assurer les propriétés et conserver les récoltes 471. Cependant, le monopole public en matière de
sécurité n’est pas total car chaque propriétaire peut s’attribuer les faveurs d’un garde particulier
en vertu du décret du 20 messidor an III et de la loi du 3 brumaire an IV aux termes desquels
« tout propriétaire aura le droit d’avoir pour ses domaines un garde champêtre ; il sera tenu de le
faire agréer par le conseil général de la commune et confirmer par le district ; ce droit ne pourra
l’exempter de contribuer au traitement du garde champêtre de la commune ». Concernant
l’organisation de la force publique, l’association de la sphère privée à l’exercice de la police est
un procédé nécessaire au regard de l’ampleur du désordre472. D’après la doctrine révolutionnaire,
« de même que le citoyen était appelé individuellement à faire la loi, de même il devait être
appelé à la faire exécuter : de là la conception de la garde nationale, soldat-citoyen. Mais
l’expérience a prouvé que dans le garde national la qualité de citoyen, c’est-à-dire l’homme ayant
le pouvoir de modifier les lois, l’emportait souvent sur celle de soldat, c’est-à-dire l’homme ayant
la consigne de faire observer la loi ; de telle sorte que la garde nationale contribuait souvent, par
ses insurrections, à renverser les institutions qu’elle aurait dû sauver par son obéissance à la loi.
Organisée pour la première fois par la loi du 29 septembre 1791, elle a été supprimée après de
nombreuses vicissitudes par celle du 24 août 1871 »473. C’est à compter de l’apaisement général
qui sur le plan intérieur caractérise la période du Consulat que « la garantie de la sécurité
publique ne demande plus le recours à la coopération directe des citoyens »474. Il revient « à l’Etat

469
Ibid., p. 452.
470
Ibid., p.453.
471
Art. 1er de la section VII.
472
L. Bertrand, Du concours des particuliers et des organismes privés au maintien de l’ordre public, thèse préc., p.
189.
473
M. Hauriou, Précis de droit public, 1901, Larose, p. 536.
474
L. Bertrand, Du concours des particuliers et des organismes privés au maintien de l’ordre public, thèse préc., p.
189.

137
considéré dans ses organes, et spécialement dans son organe exécutif, qu’appartient le droit de la
force publique, non point à la collectivité des citoyens »475.

§2. La portée de l’indélégabilité des missions de police

179. La police administrative est une mission de service public dont l’objet est de prévenir les
atteintes à l’ordre public et d’y mettre fin à la fois par des activités de réglementation et de
prestation476. La police judiciaire a pour mission de « constater les infractions à la loi pénale, en
rassembler les preuves et en rechercher les auteurs tant qu’information n’est pas ouverte »477. La
doctrine et la jurisprudence ont dégagé un principe d’indélégabilité des pouvoirs de police
administrative et judiciaire478 mais il n’y a jamais eu une conception absolutiste dudit principe en
droit français.

180. Le commissaire du gouvernement Teissier a écrit, sous l’arrêt du Conseil d’Etat du 23


janvier 1903, Compagnie des chemins de fer économiques du Nord 479, que «  ce droit du Ministre

475
M. Hauriou, Précis de droit public, op. cit., p. 535.
476
E. Picard, La notion de police administrative, LGDJ 1984 ; J. Morand-Deviller, Droit administratif,
Montchrestien, 10e éd., 2007, p. 561 .
477
Art. 14 du code de procédure pénale. Sur la distinction, v. J. Moreau, Police administrative et police judiciaire :
recherche d’un critère de distinction, AJDA 1963, p. 69.
478
C. Huglo, Point de vue sur une notion très discutée : la délégation de service public, LPA 16 mai 1994, n° 58, p.
12.
479
Rec. 1903, p. 61 et s.

138
d’imposer des additions aux horaires des trains, dans l’intérêt du public, n’est pas un de ces droits
de police imparti à l’Etat par la nature des choses, impératif, inaliénable, en quelque sorte,
comme l’est par exemple le droit de police qu’il exerce dans l’intérêt de la sécurité publique.
C’est un droit que l’Etat n’exerce que parce que qu’il lui est attribué par un texte, pas même
législatif, mais simplement réglementaire; ce droit, qui ne dérive pas de ses pouvoirs essentiels,
de ses pouvoirs de souveraineté, mais de sa qualité de mandataire ou plutôt de « negotiorum
gestor » des intérêts du public, l’Etat peut y renoncer en tout ou en partie ». Il y aurait donc des
droits de police délégables, la police des services, et des droits de police indélégables, la police de
l’ordre public.

181. Hauriou écrivait que « la gestion des services publics, c’est l’exercice même des droits de
police »480. Selon Hauriou, « les services publics sont pour créer l’ordre public »481 et « tout
service public doit être motivé par une pensée de police »482. Ainsi, par définition, toute
délégation de la gestion de service public opère une délégation d’un pouvoir de police. La
possibilité de déléguer à des personnes privées le pouvoir de prendre des mesures réglementaires
relatives au fonctionnement du service public est fréquemment rappelée par le juge
administratif483. Même dans le domaine de l’ordre public comme le fait remarquer H.-G.
Hubrecht, « la sécurité, la salubrité, la tranquillité publique donnent lieu à la création de services
publics qui sont fréquemment confiés par contrat (concession) à de simples particuliers »484.

L’arrêt Thérond rendu à propos d’un marché passé entre la ville de Montpellier et le Sieur
Thérond qui a pour objet la capture et la mise en fourrière des chiens errants et des bêtes mortes485
s’inscrit dans cette jurisprudence validant la collaboration public/privé pour les services publics à
objet de police. L’activité de police administrative confiée au Sieur Thérond s’apparente
davantage à une activité de prestations (de service public) qu’à une activité de prescription (de
police), car la face imperium de l’activité est moins tranchée que pour une mission de police
480
M. Hauriou, Précis de droit administratif, 11 e éd., p. 292, repris par E. Picard, in La notion de police
administrative, LGDJ 1984, p. 88.
481
M. Hauriou, Précis de droit administratif, 11e éd., p. 15 et 16.
482
M. Hauriou, note sous l’arrêt CE 2 février 1901, Chambre syndicale des propriétaires de bains de Paris, S. 1907,
III, p. 1
483
TC 15 janvier 1968, Cie Air France c/ Epoux Barbier, Rec. p. 789, concl. Kahn. La circulaire du Ministre de
l’Intérieur de 1987 range l’édiction de mesures réglementaires dans la sphère des matières indélégables
484
H.-G. Hubrecht, Les contrats de service public, thèse préc., p. 103.
485
CE 4 mars 1910, Thérond Rec., p. 193.

139
administrative classique. C’est pourquoi, la doctrine a parlé de service public à objet de police.
En ce sens, le Professeur B. Gény insiste sur le fait que « tout service public est à double face, si
l’on ose dire ; l’une dirige vers le public un regard aimable et un sourire complaisant ; l’autre
exprime la domination et l’autorité. Il n’est donc pas exact de regarder tout service public comme
constituant, par essence, de la part de l’Etat, une prestation au profit des particuliers ; il y a de
cela dans le service public, mais il y a aussi de son contraire, de l’imperium »486.

182. Mais à y regarder de plus près, si on se réfère à l’objet même de la concession signée entre
la commune de Montpellier et le Sieur Thérond, cet acte s’analyse surtout en un contrat de louage
de service plaçant le cocontractant de l’Administration directement sous son commandement.
Dans ses conclusions le Commissaire du gouvernement Pichat indique expressément qu’il s’agit
d’un « contrat communal de louage de service »487. Ce célèbre arrêt vise un cas de délégation de
l’exécution matérielle de tâches de police.

183. Le Conseil d’Etat, dans un arrêt Ville de Castelnaudary de 1932 488 rendu à propos d’une
délibération confiant à des propriétaires privés une mission de surveillance pour l’ensemble des
propriétés rurales, est venu préciser la problématique relative à la délégabilité des missions de
police. Les faits de l’espèce sont repris en ces termes par J. Moreau 489 : « Le conseil municipal de
Castelnaudary ratifie un contrat d’abonnement conclu par le maire, et aux termes duquel le
service de police rural était confié, non à des gardes champêtres, mais à des gardes privés fournis
par une association de propriétaires, la fédération audoise « chasse-pêche-agriculture ». Ce
contrat a été conclu car la ville de Castelnaudary s’est vue graduellement privée de l’assistance
des gardes champêtres à la suite d’un différend politique entre le maire et le préfet de l’Aude. Il
est vrai que la question posée au Conseil d’Etat est d’envergure, puisque la ville de Castelnaudary
a délégué la gestion à un organisme privé de son service de police rurale. Pour justifier sa
décision, la commune se prévaut d’un arrêt du 24 décembre 1909, Commune de la Bassée, dans
lequel le Conseil d’Etat a admis la légalité d’un contrat par lequel les autorités communales ont
subventionné un organisme privé pour assurer le service public de lutte contre l’incendie

486
B. Gény, La collaboration des particuliers avec l’administration, gestion d’affaires, fonctionnaires de fait, chambre
de commerce, assurances sociales, associations syndicales, fondations, associations, thèse Paris 1930, Sirey, p. 36.
487
S. 1911.3.17, concl. Pichat, note Hauriou.
488
CE 17 juin 1932, Ville de Castelnaudary, Rec. p. 595, D. 1932.III, p. 26, concl. Josse ;
489
J. Moreau, op.cit., p.161, surtout v. p. 178.

140
conformément au décret du 10 novembre 1903. La commune de la Bassée avait invoqué
l’argument selon lequel le service de lutte contre l’incendie étant un service facultatif elle a pu
librement l’organiser soit en instituant un service communal exploité en régie, soit en
subventionnant un organisme privé.

184. L’analogie entre ces deux arrêts ne manque pas de pertinence puisqu’au même titre que le
service des sapeurs-pompiers, le service des gardes champêtres est un service facultatif au regard
de la loi de 1884. Hauriou a indiqué que le procédé de la subvention à des organismes privés est
bien évidemment inenvisageable pour les services obligatoires mais aussi pour tous les services
publics facultatifs qui en raison de leur nature ne peuvent être rendus que par des agents de la
force publique. Il paraît impossible qu’une commune subventionne un garde privé pour obtenir
de lui la protection de la paix publique, « d’un façon générale, on ne concevrait pas dans notre
droit l’utilisation de corps de police particuliers et privés »490. A vrai dire, cette affirmation
laconique ne peut contenter le juriste. La question de l’indélégabilité de la police aurait mérité
des développements conséquents afin de saisir les fondements juridiques de cette interdiction de
« faire faire » et écarter ainsi toute référence implicite à ces droits de police impartis «  à l’Etat
par la nature des choses, impératif, inaliénable »491.

D’ailleurs, le droit français autorise l’utilisation de corps supplétif de police privée pour la
protection des propriétés. C’est ce qui ressort du décret du 20 messidor an III, de la loi du 3
brumaire an IV précités et aussi de la loi n°1892-04-12 du 12 avril 1892 relative à l'agrément des
gardes particuliers. Aussi, M. F. Ocqueteau écrit que « si nous portons un regard parallèle sur
l’histoire de la défense de la propriété, on s’aperçoit qu’au propriétaire organisé, tous les régimes
politiques successifs continueront de reconnaître un droit fondamental destiné à assurer la police
de son domaine »492.

185. Le Commissaire du gouvernement Josse, dans ses conclusions sous l’arrêt Castelnaudary,
a corroboré et complété les propos du doyen Hauriou en affirmant que « si le garde champêtre est
facultatif, le service public de la police rurale est obligatoire et il est confié par la loi au maire qui
490
S. 1910, III, p. 49, note Hauriou.
491
Propos du commissaire du gouvernement Teissier sous l’arrêt du Conseil d’Etat du 23 janvier 1903, Compagnie
des chemins de fer économiques du Nord, Rec. 1903, p. 61 et s.
492
F. Ocqueteau, Gardiennage, surveillance et sécurité privée, CESPID 1992, p. 58.

141
ne peut s’en dessaisir »493. Il poursuit en notant que « le système du service assuré par des
organisations privées subventionnées n’est pas possible pour tous les services facultatifs. Il faut
encore qu’en raison de sa nature, le service puisse être confié à une personne privée. Ce serait le
cas de certains services d’assistance…mais cela n’est pas le cas d’un service de police »494.
L’explication du commissaire n’est pas satisfaisante car soit il y a un fondement législatif comme
le laisse entendre la première phrase et il convient de souligner que l’emploi du verbe
« dessaisir » est inapproprié parce qu’une personne publique ne peut en aucune hypothèse se
dessaisir de la gestion d’un service public, soit le fondement relève de la nature du service de
police. La Haute Assemblée administrative tout en visant la loi du 5 avril 1884 a considéré que
« le service de la police rurale, par sa nature, ne saurait être confié qu’à des agents placés sous
l’autorité directe de l’administration ; qu’en confiant la charge de ce service à une fédération de
propriétaires privés, le conseil municipal de Castelnaudary a excédé ses pouvoirs »495. A la
lecture de cet arrêt, les services de police, seraient, par leur nature, non susceptibles d’être
exécutés par des personnes privées. Cette solution du Conseil d’Etat se fonde non pas sur des
textes mais sur un raisonnement empreint de religiosité par lequel lui aurait été révélé le caractère
non délégable des services de police. La mention « vu la loi du 5 avril 1884 » est inutile dans le
mesure où le juge fait appel à la nature des choses pour justifier sa décision.

186. Le Professeur Moreau a tenté d’expliquer cette décision. Si l’administration conserve la


haute main sur le garde particulier mis à la disposition de la commune, puisque pour être
assermenté il faut l’agrément du préfet, il n’empêche que ces agents assermentés ne sont pas des
agents de la force publique mais de simples citoyens chargés d’un ministère de service public. Ils
sont donc soustraits à l’action du maire et à la hiérarchie administrative car ils sont des salariés de
droit privé dépendant exclusivement du propriétaire qui les a commissionnés. Ces derniers
recevant leur qualité du propriétaire dont ils ne sont que les représentants, celui-ci a
incontestablement le droit de les remplacer et de les révoquer à son gré. Dans la plupart des cas,
les fonctions de garde particulier se confondent avec l’état de domesticité 496. En conséquence, le
Professeur J. Moreau a écrit que « le problème à résoudre ne concernait pas les modalités

493
Concl. Josse, op. cit. , p. 28.
494
Ibid.
495
D. 1932, III, p. 26. Ce considérant sera repris par le Conseil d’Etat dans l’arrêt du 1er avril 1994, Commune de
Menton préc.
496
R. Vidal et G. Senac de Monsembernard, Manuel des gardes et de police locale, 13e, Litec 1989, p. 106.

142
d’organisation d’un service municipal, mais bien plutôt…le transfert de pouvoirs de police
normalement dévolus au maire et aux gardes champêtres à des collaborateurs privés sur lesquels
la commune était dépourvue de tout pouvoir de contrôle »497. La jurisprudence Castelnaudary
consacre un principe d’incessibilité du service public du maintien de l’ordre mais comme pour
tous les services publics.

187. Le Professeur Moreau, en réaction à « la pauvreté » de l’explication traditionnelle de


l’antinomie contrat/police498 (s’articulant autour du syllogisme suivant : « tout contrat implique
une aliénation des prérogatives réciproques des parties ; or, les compétences de police sont
inaliénables ; -« donc, tout recours à la technique contractuelle doit ici être banni »499), a proposé
une théorie visant à expliquer le fondement du principe de l’interdiction de toute convention sur
le pouvoir de police par le syllogisme suivant : « tout contrat confère aux parties des droits et
obligations réciproques ; or, on ne peut invoquer des droits face à l’ordre public ; donc, le
procédé contractuel doit être exclu de l’exercice des compétences de police administrative ». On
serait tenté alors de formuler l’interrogation suivante : quid de la jurisprudence Thérond ? La
règle de la liberté du choix des moyens dans le domaine de la police municipale a été soulignée
par M. Teitgen dans a thèse sur « La police municipale (Etude de l’interprétation jurisprudentielle
des articles 91, 94 et 97 de la loi du 5 avril 1884) »500. L’idée même d’une incompatibilité entre le
procédé contractuel et les missions de police laisse entendre que d’autres compétences sont
parfaitement compatibles avec la notion de contrat. C. Blumann se demande si on admettrait que
« l’administration cède par contrat une compétence autre que la police ? Certes non, mais dans ce
cas, l’explication de J. Moreau s’avère insuffisante »501.

188. Des décisions récentes viennent préciser la solution Ville de Castelnaudary. En 1994, le
Conseil d’Etat censure un contrat portant délégation des prérogatives de police du stationnement
en considérant qu’ « en vertu de l’article L.131-4 du code des communes le maire a la police du

497
J. Moreau, De l’interdiction faite à l’autorité de police d’utiliser une technique d’ordre contractuel, chron. préc., p.
9.
498
Pour une synthèse des griefs développés par J. Moreau à l’encontre de la conception classique, cf. C. Blumann, La
renonciation en droit administratif français, thèse préc., p. 252.
499
J. Moreau, De l’interdiction faite à l’autorité de police d’utiliser une technique d’ordre contractuel, chron. préc., p.
13-14.
500
Thèse Nancy, SIREY 1934, p. 402.
501
C. Blumann, thèse préc., p. 253.

143
stationnement sur la voie publique ; qu’en application de l’article L.131-5, il peut, moyennant le
paiement de droits fixés par un tarif dûment établi, donner des permis de stationnement sur la
voie publique ; que le service de la police du stationnement, par sa nature, ne saurait être confié
qu’à des agents placés sous l’autorité directe du maire ; que les conventions susmentionnées
prévoient que les agents municipaux chargés de la constatation des infractions au stationnement
payant sur la voie publique seront mis à la disposition de la société Scetauparc, chargée par ces
mêmes conventions de la gestion du stationnement payant sur voirie de la commune de Menton,
qui assurera l’encadrement et l’organisation de leur travail »502. En l’espèce, ce ne sont pas des
gardiens particuliers qui sont mis à la disposition de la commune pour assurer la sécurité des
propriétés rurales (Ville de Castelnaudary) mais des fonctionnaires communaux qui sont mis à la
disposition d’une société privée pour assurer la police du stationnement. Comme l’écrit le
commissaire du gouvernement Lavisgnes, si « l’exploitation du stationnement payant sur voirie
peut être déléguée, la police de stationnement ne saurait être confiée qu’à des agents placés sous
l’autorité du maire »503.

189. Dans L’arrêt du Conseil d’Etat du 23 mai 1958, Consorts Amoudruz 504, une commune a
conclu avec un particulier un contrat de régie intéressée confiant l’exploitation du service des
bains et la charge d’assurer l’exécution de diverses mesures spécifiées dans la convention en vue
de la protection des baigneurs. Le Conseil d’Etat n’a pas censuré le contrat mais il a précisé que
ce contrat « ne saurait s’agissant de l’accomplissement d’une mission afférente à l’exercice de la
police municipale, dégager cette collectivité administrative de la responsabilité qu’elle peut
encourir envers la victime d’un accident ou envers ses ayants cause, du fait de l’existence d’une
faute provenant de l’insuffisance des mesures prescrites pour la prévention des accidents et le
sauvetage des victimes ou du fait de l’existence d’une faute lourde commise dans l’exécution
desdites mesures »505. Dans cette hypothèse, la collectivité territoriale assume la responsabilité
juridique pleine et entière dans la mesure où cette régie intéressée s’apparente juridiquement à un
contrat de louage de service. Il n’y a pas dédoublement de l’autorité et les missions confiées au
tiers ne lui laissent aucune marge de liberté : il est un simple exécutant du service public. Les
normes de police de la baignade sont fixées par la collectivité locale qui délègue à une personne
502
CE 1 avril 1994, Commune de Menton, req. n° 144152.
503
S. Lavisgnes, Concl. CE 1er avril 1994, Commune de Menton, DA nov. 1994., p. 1.
504
CE sect. 23 mai 1958, Consorts Amoudruz, Rec., p. 301.
505
V. aussi CE 4 octobre 1961, Dame Verneuil, Rec. 1961, p. 533.

144
physique le soin d’assurer l’exécution des diverses mesures. Le régime de responsabilité de la
collectivité pour faute lourde énoncé par le Conseil d’Etat qui recherche l’existence d’une faute
de service caractérisée confirme l’idée selon laquelle dans cet arrêt, le régisseur intéressé est
substantiellement un agent public communal.

190. En 2007, le Conseil d’Etat annule un contrat car les clauses du cahier des charges n° 3 ont
eu pour effet de déléguer à la société gestionnaire des prérogatives de police de stationnement sur
la voie publique que seule l’autorité administrative pouvait exercer506. La police de stationnement
consiste dans la constatation des infractions au Code de la route. La doctrine a donc distingué la
police du stationnement qui ne peut faire l’objet d’une délégation, de la gestion du stationnement
qui constitue un service public délégable507. En 2003, la Cour administrative d’appel de Douai
considère que « les parkings, propriété de la communauté urbaine de Lille et mis à la disposition
de la ville, seront gérés par un gestionnaire unique en fonction d’un cahier des charges, n’ont ni
pour objet ni pour effet de confier illégalement des prérogatives de police du stationnement à un
entreprise privée »508.

191. Dans un arrêt du 14 mai 1990, GIE Capagau-Copagly-Taxitel c/ Préfet de police 509, le
Tribunal des Conflits a considéré qu’un contrat chargeant une entreprise de l’enlèvement et du
transport des véhicules en stationnement illicite dont la mise en fourrière serait ordonnée confie
au cocontractant l’exécution du service public de la fourrière. En l’espèce, le Tribunal n’a pas dû
se prononcer sur la validité de ce contrat mais la rédaction de l’arrêt laisse à penser que le juge ne
condamnerait pas ce contrat car cette convention est une modalité contractuelle de l’exécution du
service public de la fourrière étant donné que le contrat réserve le pouvoir de décision à l’autorité
de police. Un arrêt antérieur du Conseil d’Etat en date du 24 mai 1968, Ministre de l’intérieur c/
Sieur Chambrin510, avait déjà validé ce type de contrat portant délégation de l’exécution du
service public de la fourrière. Dans l’affaire, le juge administratif a considéré que « les opérations

506
CE 19 décembre 2007, req. n° 260327
507
M. Dreiffus, Le stationnement des véhicules automobiles dans les centres urbains. La genèse d’un service public,
Thèse Lyon II, 1995 ; v. aussi M. Dreiffus, Service de stationnement payant et délégation de service public, AJDA
2001, p. 129 ; v. enfin M. Dreiffus, La délégation du service public de stationnement, Dalloz Coll. Loc., Chap. 3300,
2007.
508
CAA Douai 8 juillet 2003 N° 00DA00376
509
Rec. Leb., p. 394.
510
Rec. 1968, p. 331 et s.

145
matérielles de mise en fourrière des véhicules atteints par les mesures prévues par les articles R.
285 et suivants du Code de la route, ont été de 1955 à 1963, assurées dans l’agglomération
rouennaise, pour le compte de l’Etat, par le Sieur Chambrin qui a, sur réquisition, exécuté le
transport de ces véhicules jusqu’à la fourrière et assumé leur garde ». Il est possible de déduire de
ces arrêts que le cocontractant de l’administration agissant sur ordre des autorités de police est
une structure juridique exerçant une opération matérielle de la police au nom et pour le compte de
la collectivité publique511.

192. Ainsi, à côté du dogme de l’indélégabilié des activités de police, il faut dégager un
principe de délégabilité des activités matérielles de police512, sauf que la frontière en ces deux
types d’activité est difficile à établir. Et s’il existe un principe d’indélégabilité du pouvoir de
police, le droit français autorise l’utilisation de police privée supplétive au nom de la protection
de la propriété. Plus largement, « le service public n’apparaît guère davantage comme un élément
de restriction du champ d’application de la gestion déléguée, aucun service ne saurait être
indélégable par nature »513. Il est même légitime de s’interroger « sur l’existence de services
publics dont leur nature voudrait qu’ils soient insusceptibles de délégation »514. Il n’empêche que
les juges administratif et constitutionnel continuent d’entretenir un principe d’indélégabilité des
missions de souveraineté.

§3. La consécration jurisprudentielle du principe d’indélégabilité des missions de


souveraineté

Au début des années 90, il existe une divergence entre les juges constitutionnel et
administratif en ce qui concerne la délégabilité des fonctions de souveraineté (A). Mais à compter
de 2002, le juge constitutionnel se range sans ambiguïté derrière la position du Conseil d’Etat
dégagée en 1986 (B).

A. La reconnaissance de la délégabilité des missions de souveraineté par le juge


constitutionnel en 1991

511
M. Dreiffus, La délégation du service public de la fourrière, nouvelles récentes d’une illustre inconnue, AJDA
2007, p. 1745.
512
D. Melloni, thèse préc., p. 90 ; v. aussi E. Delacour, thèse préc., p. 479 et s.
513
D. Melloni, thèse préc., p. 108.
514
Ibid.

146
193. En 1986, le projet de loi « Chalandon » devant mettre un terme à la crise pénitentiaire
prévoyait que l’accomplissement du service public pénitentiaire pouvait être confié à une
personne morale de droit public ou de droit privée habilitée à cet effet selon un cahier des charges
approuvé par décret en Conseil d’Etat. La personne privée pouvait prendre en charge aussi bien
les missions de détention, garde des personnes incarcérées que les tâches de conception,
financement, construction et maintenance. Le directeur de la prison pouvait être un agent de droit
privé à condition de présenter une qualification équivalente à celle des directeurs des
établissements gérés par l’Etat515. Le Conseil d’Etat saisi pour se prononcer sur la validité d’un tel
projet largement influencé par le modèle économique libéral américain 516 a estimé le 13
novembre 1986 que « la direction des établissements pénitentiaires, la garde et la détention des
personnes incarcérées en exécution des décisions de l’autorité judiciaire, figurent au nombre des
tâches qui sont liées à l’exercice par l’Etat de sa fonction de souveraineté et ne peuvent par
conséquent être confiées à des personnes morales, physiques privées »517. L’ambition initiale du
texte des prisons dites « privées » s’est réduite comme peau de chagrin. C’est en quelque sorte
« une montagne qui accoucha d’une souris » après que le Conseil d’Etat ait émis un avis
défavorable.

194. Cependant, en 1991 la validation par le Conseil constitutionnel de la délégation du service


public du recouvrement de l’impôt à un organisme privé alors que « la souveraineté de l’impôt
est un de ses attributs principaux »518 donne à croire que les fonctions régaliennes ne sont pas hors
du champ du « faire faire ». L’article 131 de la loi de finances pour 1991519 confie le
recouvrement de la contribution sociale sur les revenus d'activité et sur les revenus de
remplacement à des entités qui sont déjà habilitées à recouvrer des cotisations sociales. A
515
Pour une présentation du projet, v. A. Mamy, Rapport sur le projet de loi adopté par le Sénat relatif au service
public pénitentiaire, n° 695 annexé au procès-verbal de la séance du 29 avril 1987 et aussi M. Rudloff, Rapport sur le
projet de la loi relatif au fonctionnement des établissements pénitentiaires, n° 102 annexé au procès-verbal de la
séance du 10 décembre 1986 ; cf. aussi au développement sur le renforcement de la part de l’Etat dans les
amendements de la Commission des lois du sénat, in Les prisons dites « privées », p. 211 et s.
516
Sur la « privatisation » du système américain, v. A. Normandeau, Faut-il privatiser les prisons ?, RICPT 1987, p.
284 ; v. L. Cohen-Tanugi, Le cadre juridique de la participation privée aux Etats-Unis et en France in Les prisons
dites « privées », Economica-PUAM 1987, p. 93 et s., v. aussi P-M. Thibaud, Le défi des prisons privées, Albin
Michel 1995, v. enfin P. Mazeau, E. Aubert, G. Bonnemaison, A. Mamy et D. Marchand, Rapport d’information sur
les conditions de financement et de fonctionnement des établissements pénitentiaires aux Etats-Unis, doc. AN n° 499
annexé au procès-verbal de la séance du 27 décembre 1986.
517
CE, avis, EDCE 1987, sect. De l’intérieur, p. 138.
518
Cf. discussion autour de l’article de la loi créant l’impôt sur le revenu, JO débats, Sénat, séance du 12 mars 1914,
p. 358.
519
Loi de finances n° 90-1168 du 29 décembre 1990, JO du 30 décembre 1990, p. 16388.

147
l'exception de l'agence centrale des organismes de sécurité sociale, qui est un établissement
public national à caractère administratif, les organismes compétents en matière de recouvrement
sont des personnes morales de droit privé notamment les Urssaf (unions de recouvrement de
cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales). Le Conseil des impôts a rendu un avis
très réservé à l’égard de cette solution qui soulève « de sérieux obstacles juridiques »520.
195. Le Conseil Constitutionnel a estimé que cette modalité de recouvrement ne dérogeait pas
à l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen 521 dans la mesure où les
différents organismes chargés du recouvrement sont sous la tutelle de l’Etat, ou sous son
contrôle522. Le Conseil Constitutionnel dans sa décision indique expressément que « sur le
fondement du deuxième alinéa de l’article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de
fixer les règles concernant les modalités de recouvrement des impositions de toute nature ; que
dans l’exercice de cette compétence, il doit se conformer aux principes de valeur
constitutionnelle ; que si aucun principe fondamental reconnu par les Lois de la République ne lui
impose un mode particulier de recouvrement, il n’en demeure pas moins que le recouvrement
d’une imposition contribuant, conformément à l’article 13 de la déclaration de 1789, aux charges
de la Nation, ne peut être effectué que par des services ou organismes placés sous l’autorité de
l’Etat ou son contrôle ». Le juge constitutionnel en déduit donc que « l'article 131 de la loi n'est
pas contraire à ces exigences, dans la mesure où les différents organismes chargés du
recouvrement de la contribution instituée par l'article 127 exercent une mission de service public
et sont placés sous la tutelle de l'État ou sous son contrôle»523.

196. Ce considérant ne semble pas condamner le procédé de la délégation de service public à


une personne privée pour les missions de souveraineté parce que la délégation de service public
est caractérisée par l’autonomie du cocontractant de l’administration mais aussi par la mise du
520
R. de Bellescize, op. cit., p. 6 et s. Dans leur saisine du Conseil Constitutionnel, les députés ajoutaient que ce
serait la première fois depuis l’abolition de la ferme générale que l’impôt serait prélevé par une personne privée, cf.
Lettre de saisine des députés, JO du 30 décembre 1990, p. 16630.
521
M. P. Espuglas note justement que « le fondement de l’impôt, tiré de l’article 13 de la Déclaration, a évolué dans
la mesure où les prélèvements ne sont plus seulement destinés à couvrir les dépenses de fonctionnement de
l’administration où celles liées à la force publique. C’est pourquoi, afin de tenir compte de cette évolution, le Conseil
Constitutionnel a élargi le champ d’application de l’article 13 de la Déclaration. Il a ainsi considéré par la décision
du 29 décembre 1984 (Cons. Const. n° 84-184 DC, 29 décembre 1984, Rec. p. 101) que la fiscalité pouvait être
aménagée dans un but d’intérêt général afin de faciliter certaines activités à caractère économique, social et
culturel », in P. Espuglas, Conseil Constitutionnel et service public, thèse préc., p. 53 et s.
522
CC 90-285 DC du 28 décembre 1990, loi de finances pour 1991, JO du 30 décembre 1990, p. 16609  ; L. Favoreu,
Jurisprudence du Conseil Constitutionnel, RFDC 1991, p. 145 et s.
523
Considérant 45 de la déc. Cons. Const. n°90-285 DC du 28 décembre 1990.

148
délégataire sous le contrôle de l’autorité délégante 524. Déjà, Léon Blum dans ses conclusions sous
l’arrêt du Conseil d’Etat « Compagnie générale française de tramways » rendu à propos d’un
litige portant sur un contrat de concession a affirmé que « la concession représente une
délégation, c’est-à-dire qu’elle constitue un mode de gestion indirecte, elle n’équivaut pas à un
abandon, à un délaissement »525.

197. A notre sens, il convient de ne pas sur interpréter cette décision des « sages » de la rue
Montpensier dans la mesure où les URSSAF peuvent être qualifiées de personnes privées
fictives. A ce titre, M. le Professeur J-B. Auby note dans sa thèse que « c’est ainsi que l’on voit
se répandre, dans les analyses contemporaines, l’idée de personnes privées fictives : celle-ci
s’applique aux divers cas de personnes morales privées en la forme mais dont on pourra dire
qu’elles sont, en réalité, des personnes publiques déguisées, pour des raisons variables, et
notamment parce qu’il s’avère que leur rôle, et leurs rapports avec les personnes publiques
classiques, en font, purement et simplement, une modalité particulière de la gestion
administrative »526. M. R. Connois rejette également les critères formels et défend la pertinence
du critère financier. Selon cet auteur lorsqu’un organisme, eût-il une forme de droit privé, a ses
comptes soumis à l’approbation d’une autorité publique, il a une nature publique527. Aux termes
de l’article R. 252-31 du Code de la Sécurité sociale, il ressort que le budget des URSSAF est
soumis à l’approbation des autorités compétentes de l’Etat et ces organismes sont soumis aux
règles de la comptabilité publique. Le contrôle étatique sur l’activité, le fonctionnement et
l’organisation des URSSAF n’équivaut en aucune sorte au contrôle administratif que l’autorité
délégante fait peser sur l’entreprise délégataire. D’ailleurs, il résulte des statuts de chaque
URSSAF que toute modification des statuts suppose une délibération du conseil d'administration
prise à la majorité des deux tiers des membres composant le Conseil puis approuvée par l'autorité

524
A-S. Mescheriakoff, Droit des services publics, op. cit., n°131, p. 264 et s. Sur ce point, cf. J-F. Auby, Les
délégations de service public, op. cit., p. 14 ; v. aussi E. Delacour, thèse préc., p. 138 et s.
525
Concl. sur CE 11 mars 1910, Rec. p. 218. Cela explique que l’acte de délégation fixe par voie unilatérale les
mesures relatives à l’organisation du service public telles que les clauses afférentes à la fixation des tarifs sinon une
décharge en la matière reviendrait à qualifier la délégation de service public d’abandon dudit service.
526
J-B. Auby, La notion de personne publique en droit administratif, thèse Bordeaux 1979, p. 105 et s.  ; v. aussi E. P.
Spiliotopoulos, La distinction des institutions publiques et des institutions privées en droit français, Paris, 1959. R.
Rodière écrivait en ce sens que « chacun sait que les qualifications juridiques ne dépendent pas des pouvoirs
publics », in Droit des transports, Sirey, 1953, t. 1, p. 73. De même M. Virally estimait que «  les entreprises
publiques mêmes celles ayant une forme de société anonyme sont des établissements publics », in Remarques sur le
projet de loi portant statut général des entreprises publiques, R.A. 1950, p. 365 et s.
527
R. Connois, La notion d’établissement public en droit administratif français, LGDJ Paris, 1959, p. 56 et s.

149
de tutelle. Ceci souligne l’intrusion particulièrement forte de la personne publique dans la
fixation des règles de fonctionnement et d’organisation de l’URSSAF à l’instar de l’actionnaire
contrôlaire.

198. Le schéma d’organisation et de fonctionnement des URSSAF étaye la thèse de la nature


administrative de la personnalité juridique de ces institutions tant la tutelle étatique de par son
ampleur induit une disparition de l’autonomie d’un organisme formellement de droit privé. M. A.
Demichel retient le critère du contrôle pour distinguer les personnes privées réelles des personnes
privées fictives. Il indique que « les institutions ayant une forme de droit privé ne sont pas
nécessairement des personnes privées…la forme juridique d’un organisme constitue une
présomption de la nature de cet organisme. Mais il n’y a là qu’une présomption simple, qui peut
tomber lorsque le contrôle auquel est assujetti l’organisme contrôlé aboutit à supprimer son
autonomie, dès lors quels que soient par ailleurs ses caractères, il faut décider que cet organisme
constitue une personne publique, ou plus précisément une personne administrative »528.

Au regard de ces considérations doctrinales, les URSSAF répondent parfaitement à la


notion de personne privée fictive. Pourtant, le Professeur J-P. Négrin montre que les thèses
prétendant surmonter le critère formel ne trouvent aucun écho dans les solutions
jurisprudentielles. Aussi bien le critère de la puissance publique de M. Spiliotopoulos que celui
du contrôle de A. Demichel s’avèreraient inexacts.529. Cependant, une jurisprudence récente
rappelle que les URSSAF, détentrices de prérogatives de puissance publique et étroitement
contrôlées par les pouvoirs publics quant à leur constitution et à leurs règles de fonctionnement,
ne peuvent être assimilées à des associations de droit privé530.

528
A. Demichel, Le contrôle de l’Etat sur les organismes privés, LGDJ Paris 1960, T. 2, p. 609 et s.
529
J-P. Négrin, L’intervention des personnes morales de droit privé dans l’action administrative, LGDJ 1970, p. 35.
530
CA Dijon, 1ère chambre, 12 octobre 1999, URSSAF de Saône-et-Loire c/ Gien ; CA Chambéry, 25 mars 1999,
URSSAF de Haute-Savoie c/ Benabid ; Cass. soc., 1er mars 2001, arrêt n°594, pourvoi n° 99-15.026.

150
B. La reconnaissance de l’indélégabilité des missions de souveraineté par le juge
constitutionnel en 2002

199. L’ambiguïté de la jurisprudence constitutionnelle quant à la délégabilité des fonctions de


souveraineté a perduré jusqu’en 2002. Dans une décision en date du 29 août 2002 portant sur la
loi LOPJ qui autorise l’administration pénitentiaire à confier à des personnes de droit public ou
de droit privé « les fonctions autres que celles de direction, de greffe et de surveillance » (article
3 de la loi LOPJ)531, le Conseil Constitutionnel a mentionné que sont expressément exclues de la
liste les missions afférentes aux « tâches inhérentes à l’exercice par l’Etat de ses missions de
souveraineté » (considérant n° 8)532. De même, le Conseil Constitutionnel dans sa décision
n°2003-473 DC à propos de la constitutionnalité de l’article 6 de la loi habilitant le gouvernement
à simplifier le droit533 a réaffirmé le principe suivant lequel « l'article 6 ne saurait être entendu
comme permettant de déléguer à une personne privée l'exercice d'une mission de
souveraineté »534.

200. Aussi, le juge constitutionnel dans une décision du 20 novembre 2003 portant sur la loi
relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité 535 dont
l'article 53 insère dans l'ordonnance du 2 novembre 1945 un article 35 octies qui, à titre
expérimental autorise l'Etat à passer avec des personnes de droit public ou privé, agréées en
application de la loi du 12 juillet 1983, « des marchés relatifs aux transports de personnes
retenues en centres de rétention ou maintenues en zones d'attente » a précisé qu' « aux termes
mêmes du deuxième alinéa de l'article 35 octies, les marchés en cause ne peuvent porter que sur
531
Loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice.
532
Cons. const. n° 2002-461 DC en date du 29 août 2002, P. Delvolvé, Sécurité intérieure, justice et contrats publics :
confirmations et infléchissements, BJCP 2002, n°25, p. 418.
533
Par l’adoption de trois types de mesures (la modification de la loi MOP pour créer de nouvelles formes contrats
globaux; l’extension du champ d’application des articles L. 34-3-1 du code du domaine de l’Etat et L. 1311-2 du
code général des collectivités territoriales ; l’extension du champ d’application des articles L. 34-7-1 du code du
domaine de l’Etat et L. 1311-4-1 du code général des collectivités territoriales)
534
Cons. Constit., déc. n° 2003-473 DC, AJDA 2003, p.1391, note J-E. Schoettl, et p. 1404, note E. Fatôme; A.
Ménéménis, La Constitution et les partenariats public-privé, DA, oct. 2003, n° 191, p. 24.
535
Loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité
Journal officiel du 27 novembre 2003, p. 20154.

151
la conduite et les mesures de sécurité inhérentes à cette dernière, à l'exclusion de ce qui concerne
la surveillance des personnes retenues ou maintenues au cours du transport qui demeure assurée
par l'Etat ; qu'une telle habilitation limite strictement l'objet des marchés à la mise à disposition
de personnels compétents, à la fourniture de matériels adaptés ainsi qu'aux prestations de
conduite des véhicules; que, par l'exclusion de toute forme de surveillance des personnes
transportées, elle réserve l'ensemble des tâches indissociables des missions de souveraineté dont
l'exercice n'appartient qu'à l'Etat ».

Section 2. L’insuffisance du critère de « fonction de souveraineté » dans l’identification des


services publics indélégables par nature

201. Les services publics indélégables en raison de leur nature entretiendraient un lien
indissociable avec la notion de souveraineté. Mais cette affirmation ne rend compte que très
partiellement de la teneur de la jurisprudence car la catégorie des fonctions de souveraineté qui se
résume traditionnellement aux services publics sécuritaires, c’est-à-dire police, justice, défense,
diplomatie et fiscalité, n’est qu’une composante de la sphère des services publics indélégables par
nature (§1) sauf à remettre en cause la définition restrictive du concept de souveraineté (§2). La
difficulté de l’entreprise de circonscription des fonctions de souveraineté a surgi à l’occasion du
débat parlementaire sur le projet de loi « Chalandon » prévoyant une coopération public/privé
pour le service public pénitentiaire (§3).

§1. Les fonctions de souveraineté, une composante de la sphère des services publics
indélégables par nature

202. En 1986, le Conseil Constitutionnel à l’occasion du contrôle de constitutionnalité d’une


loi portant privatisation d’entreprises publiques a considéré que « si la nécessité de certains
services publics nationaux découle de principes ou de règles de valeur constitutionnelle, la
détermination des autres activités qui doivent être érigées en service public national est laissée à
l’appréciation du législateur ou de l’autorité réglementaire selon les cas ; qu’il suit de là que le
fait qu’une activité ait été érigée en service public par le législateur sans que la Constitution l’ait
exigé ne fait pas obstacle à ce que cette activité fasse, comme l’entreprise qui en est chargée,
l’objet d’un transfert au secteur privé ». Il a ajouté qu’ « aucune des entreprises qui figurent sur la

152
liste mentionnée à l’article 4 de la loi ne peut être regardée comme exploitant un service public
dont l’existence et le fonctionnement seraient exigés par la Constitution ; qu’en particulier, à
supposer que le législateur ait, comme le font valoir les députés auteurs de la première saisine,
entendu créer par la nationalisation de l’ensemble des banques, un service public du crédit, cette
création qui ne procédait d’aucune exigence constitutionnelle n’a pu mettre obstacle à ce que
certaines activités de crédit et les banques qui s’y livrent fassent, en vertu d’une nouvelle
législation, retour au secteur privé »536.

A la suite de cette décision qui a ouvert la voie à la création par la doctrine de la catégorie
de service public constitutionnel, certains auteurs ont opposé les services publics constitutionnels
de premier type qui correspondent aux fonctions de souveraineté « qui ne souffrent d’aucune
concurrence du secteur privé »537 telles que la police, la justice, les affaires étrangères et la
défense nationale et « ceux qui ne se rapportent pas à des fonctions de souveraineté qui peuvent
538
être assurés concurremment par des personnes publiques et des personnes privées» comme
l’éducation ou la santé.

203. Pourtant, la doctrine du Conseil d’Etat relative au champ de la gestion déléguée semble
accréditer la thèse selon laquelle les fonctions de souveraineté ne sont qu’une composante des
services publics indélégables en raison de leur nature. Dans un avis du 7 octobre 1986, la haute
assemblée administrative considère qu’ « en ce qui concerne le service des cantines scolaires…
les communes ne peuvent confier à des personnes privées que la fourniture et la préparation des
repas, à l’exclusion des missions qui relèvent du service de l’enseignement public et notamment
de la surveillance des élèves ». L’enseignement public n’est pas une activité à ranger dans la
catégorie des fonctions de souveraineté. En ce sens, un arrêt du Conseil d’Etat en date du 6 mai
1998 confirme la conception restrictive en France du périmètre des fonctions de souveraineté en
excluant expressément le service public de l’enseignement public de cette catégorie. Le juge
administratif a considéré que « les dispositions précitées (qui) ont pour objet d’ouvrir aux
ressortissants des Etats membres de la communauté européenne autres que la France, dans les
mêmes conditions que pour les ressortissants français, l’accès aux corps des professeurs des
536
Cons. Con. 25-26 juin 1986, n°86-207 DC, Rec. p. 61.
537
L. Favoreu, Le droit constitutionnel jurisprudentiel, RDP 1989, p. 462 ; v. aussi du même auteur, Service public et
Constitution, AJDA 1997, n° spécial, p. 16. 
538
L. Favoreu, Le droit constitutionnel jurisprudentiel, chron. préc., p. 462.

153
écoles, professeurs certifiés, professeurs agrégés, professeurs d’éducation physique et sportive,
professeurs de lycée professionnel, conseillers principaux d’éducation, conseillers d’orientation-
psychologues et directeurs de centre d’information et d’orientation, ainsi que, pour
l’enseignement supérieur, des professeurs, professeurs techniques adjoints et chefs de travaux
pratiques de l’école nationale supérieure d’arts et métiers…n’ont pas pour effet de confier à des
personnes qui ne sont pas de nationalité française des missions inséparables de l’exercice de la
souveraineté »539.

204. La jurisprudence de la Cour de Cassation est venue préciser la problématique de


l’indélégabilité des services publics constitutionnels. En 2000, la chambre criminelle de la Cour
de Cassation a dû se prononcer sur la question de la responsabilité pénale de la ville de Grenoble
à la suite d’un drame survenu au cours d’une sortie scolaire organisée par une école privée. Le
juge judiciaire a décidé que le service public communal d’animation des classes de découverte
suivi par les enfants des écoles publiques et privées pendant le temps scolaire « participe du
service public de l’enseignement public qui n’est, par nature, susceptible de faire l’objet de
conventions de délégation de service public »540. A la lecture du seul arrêt, on pourrait croire que
le juge ne désire pas s’aventurer sur le terrain de la question du champ de la pratique du « faire
faire ». Lorsqu’il affirme que cette activité ne peut pas faire l’objet d’une convention de
délégation de service public, cela peut signifier seulement qu’au regard du critère financier, c’est-
à-dire de la rémunération substantiellement liée au résultat d’exploitation, cette mission ne
répond pas à la définition de ce type de contrat. Doit-on y voir l’affirmation d’une indélégabilité
de principe du service public de l’enseignement public ? Mme D. Commaret, avocat général,
produit en tous les cas des conclusions en ce sens. Elle écrit que « cités par le préambule de la
Constitution de 1946, l’enseignement, comme la santé ou l’aide sociale sont des services publics
exigés par le texte constitutionnel. Leur noyau dur est donc indélégable »541.

205. Cette solution a été confirmée par un autre arrêt de la chambre criminelle de la Cour de
Cassation en date du 11 décembre 2001. La Cour a décidé que « l’obligation incombant à la
région de mettre les machines affectées à l’enseignement en conformité avec les prescriptions

539
CE 6 mai 1998, req. n°144904.
540
Cass. Crim. 12 décembre 2000, BJCP 2001 n°15, p. 147.
541
Concl. D. Commaret, BJCP 2001, n°15, p. 149.

154
légales et réglementaires relatives à la sécurité des équipements de travail participe du service de
l’enseignement public et n’est pas, dès lors, en raison de sa nature même, susceptible de faire
l’objet de conventions de délégation de service public »542. Par contre, la maintenance des
machines affectées à l’enseignement professionnel peut être confiée à une entreprise privée sur la
base d’un marché public543. Il découle de ce qui précède que le champ des activités indélégables
en raison de leur nature ne correspond pas strictement aux fonctions dites régaliennes sauf à
redéfinir le concept de mission de souveraineté.

§2. La dualité des thèses relatives à l’appréhension du concept de souveraineté

206. On a coutume de présenter les missions de souveraineté comme le cœur des activités
incombant à l’Etat, mais « une fois l’existence du cœur de l’Etat admise, encore faut-il que ce
cœur soit de telle nature qu’il puisse être appréhendé par le droit »544. Le concept de souveraineté
peut se résumer à l’opposition de deux thèses. La première renvoie à la théorie selon laquelle le
cœur de l’Etat est immuable, c’est la thèse de « la souveraineté substance »545. Cette théorie
insiste sur l’existence de droits intimement liés au concept d’Etat 546. M. F. Poirat note que « l’Etat
est détenteur de prérogatives ou de droits tellement essentiels à son existence qu’ils constituent
un minimum irréductible, inaliénable, vital »547. Ces attributs essentiels ont en 1576 été mis en
évidence par J. Bodin : « je vois que la souveraineté consiste en cinq attributs essentiels : le
premier et le plus important est de nommer les plus hauts magistrats et de définir à chacun son
office, le second est de promulguer ou d’abroger les lois, le troisième de déclarer la guerre et
conclure la paix, le quatrième de juger en dernier ressort par-dessus tous les magistrats, et le
dernier d’avoir le droit de vie et de mort aux endroits où la loi ne prête pas à la clémence »548.

207. Achille Luchaire, dans son ouvrage intitulé « Histoire des institutions monarchiques de la
France sous les premiers Capétiens »549, fait remonter la détermination des attributs essentiels de
542
Cass. Crim. 11 décembre 2001, Région Franche-Comté, pourvoi n°H.00-87.705, BJCP 2001 n°21, p. 121.
543
Cass. Crim. 11 décembre 2001, Région Franche-Comté, pourvoi n°H.00-87.705, BJCP 2001 n°21, p. 126.
544
R. de Bellescize, thèse préc., p. 11.
545
Ibid., p. 12 et s.
546
S. Rials, La puissance étatique et le droit dans l’ordre international, APD, t. 32, 1987, p. 212; O. Beaud, La
puissance de l’Etat, PUF Léviathan 1994 ; L. Michoud, La théorie de la personnalité morale, t. 2, 3e LGDJ, p. 52.
547
F. Poirat, La doctrine des droits fondamentaux de l’Etat, Droits, n° 16, 1993, p. 83.
548
J. Bodin, Les six livres de la Républiques, 1576, in Corpus général des philosophes français, t. V, Oeuvres
philosophiques de Bodin, PUF 1951, p. 359.
549
A. Luchaire, Histoire des institutions monarchiques de la France sous les premiers Capétiens (987-1180), Paris
Imprimerie Nationale 1891, p. 234 ; v. aussi H. Redeuilh, La nature juridique de la concession de service public,

155
la souveraineté bien avant le 16e siècle. En effet, la justice est la première fonction de la royauté
capétienne qui ne saurait donc y renoncer en la déléguant à un tiers car « Dieu a principalement
institué les Rois pour qu’ils rendent la justice aux hommes et fassent régner partout la paix. C’est
le premier, le plus essentiel de tous les devoirs ». Cette conception des pouvoirs régaliens, c’est-
à-dire les prérogatives qui appartiennent en propre au roi, se retrouve sous la plume du premier
souverain de la dynastie capétienne, Hugues Capet. Ce dernier écrit ainsi que « la sublimité de
notre piété n’a de raison d’être en droit que si nous rendons la justice à tous et par tous les
moyens, les Rois n’ont été institués que pour examiner avec sagacité les droits de chacun, couper
tout ce qui est nuisible et faire profiter tout ce qui est bon »550. L’étude de l’administration à
l’époque féodale a prouvé que même si «  la racine et le fruit de l’office royale, ce soit la justice
et la paix »551, la délégation des fonctions régaliennes était chose courante.

208. Il n’empêche que l’idée qui apparaît en filigrane de cette première conception de la notion
de souveraineté est que les fonctions de souveraineté correspondraient aux missions incombant
naturellement à l’Etat parce que celles-ci seraient essentielles 552. L’emploi du terme de « naturel »
pose problème car comme l’écrit M. Waline à compter « du jour où l’intérêt commandait à l’Etat
d’assurer lui-même un service d’intérêt général, devant la carence ou l’insuffisance de l’initiative
privée, et où le législateur a reconnu cette nécessité, ce service doit être considéré de plano
comme rentrant dans les fonctions naturelles de l’Etat »553. C’est pourquoi, l’analyse du
commissaire du gouvernement Matter dans ses conclusions présentées au Tribunal des Conflits
sous l’arrêt du Bac d’Eloka554 a été la cible de nombreuses critiques en raison de l’utilisation du
qualificatif « naturel ». Certains auteurs ont considéré que l’analyse de Matter est d’ « une
extraordinaire faiblesse »555 en ce qui concerne la définition du service public car elle reposerait
sur la pensée selon laquelle le service public correspond aux fonctions naturelles de l’Etat, vieille
théorie libérale classique qui ne présente aucun intérêt juridique 556. En effet, que signifie

thèse Bordeaux 1925, Imprimerie Delmas, Chapon, Gounouilhou, p. 9.


550
Propos d’H. Capet cités par A. Luchaire, in Histoire des institutions monarchiques de la France sous les premiers
Capétiens (987-1180), op. cit., p.40.
551
Ibid., p. 41.
552
H. Berthélémy, Traité élémentaire de droit administratif, op. cit., p. 225 et s.
553
M. Waline, note sous TC 27 novembre 1933, Verbanck, D. 1934, 3, 12.
554
TC 22 janvier 1921, Société commerciale de l’ouest africain, p. 91, S. 1924, 3, 34, concl. Matter, Dalloz
1921.III.1.
555
G. Quiot, thèse préc., p. 635.
556
M. Waline, note sous TC 27 novembre 1933, Verbanck, D. 1934, 3, 12.

156
l’expression de service public par nature employée par Matter en opposition au service privé par
nature? M. le Professeur F. Moderne a écrit que « la notion d’attributions « naturelles » de la
Puissance publique n’a en effet rien de très séduisant ; elle relève à la limite d’une conception
ajuridique »557 parce qu’elle repose sur le postulat hautement critiquable selon lequel certaines
missions dérivent d’une fonction primordiale de l’Etat558.

209. Dans la Contribution à la théorie générale de l’Etat, R. Carré de Malberg souligne que
« les diverses activités de l’Etat peuvent se ramener aux trois principaux chefs suivants : 1°L’Etat
a pour destination d’assurer la sécurité de la nation au regard des nations étrangères ; 2° Il a pour
mission, à l’intérieur, de faire régner l’ordre et le droit dans les relations des individus, les uns
avec les autres ; 3° Il est permis de soutenir que l’Etat est fondé à revendiquer pour lui toutes les
attributions qui répondent à une nécessité ou à une utilité nationales, du moins dans la mesure où
l’activité privée des nationaux se montre impuissante ou insuffisante à y pourvoir »559. De cette
observation formulée par Carré de Malberg, on note que les missions sécuritaires ne sont pas plus
« naturelles » que celles que « l’Etat est fondé à revendiquer pour lui qui répondent à une
nécessité ou à une utilité nationales » 560.

210. A l’opposé de la thèse de « la souveraineté substance », M. R. de Bellescize mentionne la


thèse de « la souveraineté puissance » selon laquelle « le cœur de l’Etat est composé
exclusivement d’éléments périssables, la justice, la monnaie, la police et l’armée peuvent
effectivement y résider, mais ce n’est qu’une possibilité » 561. Cette conception du cœur mouvant
de l’Etat signale avant tout la tendance dynamique des attributions de ce dernier562 sans jamais y
voir des missions essentielles. En vertu de la thèse de la « souveraineté puissance », il est erroné
de réduire les fonctions de souveraineté aux seuls services publics de la justice, de la défense et
de la police. La faiblesse de cette théorie réside dans le fait que les prérogatives conférant cette
puissance ne soient pas propres à l’institution étatique. Est-il possible de nier la permanence des

557
Obs. sous TC 7 juillet 1975, Commune d’Agde, JCP 1975.II.18171.
558
J. Cadart, Les tribunaux judiciaires et la notion de service public: la notion judiciaire de service public, Sirey
1954.
559
R. Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, Dalloz 2005, p. 261 et s.
560
Ibid.
561
R. de Bellescize, thèse préc.., p. 13.
562
G. Burdeau a écrit que « le pouvoir institué de l’Etat n’est pas un pouvoir fossilisé » in L’Etat, Seuil 1970, p. 68;
v. aussi M. Debré, La mort de l’Eta républicain, NRF Gallimard 1947, p. 31.

157
fondements de la puissance publique tels que la police, la justice et la défense ? La
reconnaissance de l’Etat ne suppose-t-elle pas l’existence d’un noyau dur d’attributions qui ne
peut disparaître sous peine d’annihiler toute puissance étatique ?

211. En 1867, l’économiste Adolf Wagner a expliqué que « plus la société se civilise, plus
l’Etat est dispendieux » (loi de Wagner)563. L’histoire démontre la vérifiabilité de cette tendance
et la loi de Wagner a été d’une certaine façon retranscrite dans le Préambule de 1946. Ainsi, on
ne veut plus définir l’Etat comme détenteur du monopole de la violence mais comme « architecte
de la solidarité sociale »564. M. le professeur G. Marcou ramène la théorie de l’Etat de droit à
trois idées essentielles :

1. « Le point de départ et le but de l’ordre étatique sont les individus, qui sont
libres et égaux ;
2. Les buts et les missions de l’Etat sont d’assurer la sécurité et la liberté de la
personne et de la propriété, mais ils ne se limitent pas à la protection juridique,
ils incluent aussi la promotion du bien être à titre subsidiaire ;
3. L’organisation de l’Etat et de son activité sont fondées sur les principes de la
raison ».565

Il ressort de ce paragraphe que l’avènement de l’Etat social s’il est un phénomène


subsidiaire est une marque de la puissance souveraine de l’institution étatique. Déjà M. F.
Luchaire relevait que la sûreté est perçue pendant l’époque révolutionnaire comme une garantie
des droits, essentiellement celui de ne pas être arrêté arbitrairement et celui destiné à la
préservation des propriétés privées. Pendant le 19e siècle, la sûreté renvoie à la garantie de l’ordre
et se confond avec la sécurité publique. Mais la Libération est un moment d’enrichissement du
concept de sûreté en ce qu’il engloberait dorénavant la protection contre les risques de
l’existence566.

563
A. Wagner, Fondements de l’économie politique, Paris, V. Giard et E. Brière, 1904.
564
F. Levêque, Concepts économiques et conceptions juridiques de la notion de service public, in Le droit dans
l’action, sous la direction de T. Kirat et E. Serverin, CNRS Editions, 2000, p. 179 et s.
565
G. Marcou, Les services publics en droit allemand, in L’idée de service public dans le droit des Etats de l’Union
Européenne, Coll. Logiques Juridiques, L’Harmattan., p. 95 et s.
566
F. Luchaire, La sûreté : droit de l’homme ou sabre de M. Prudhomme ?, RDP 1989, p. 609 et s.

158
212. Lors d’un colloque organisé en 1994 par l’association Droit et Démocratie sur l’étude du
Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946567, le thème de réflexion était de savoir si ce
texte intégré dans le bloc de constitutionnalité traduisait un nouveau contrat de société se
substituant au Contrat Social fondé sur les missions sécuritaires de 1789568. Le Préambule de
1946 pose le principe suivant lequel « le peuple français proclame à nouveau que tout être
humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et
sacrés. Il réaffirme solennellement les droits et libertés de l'homme et du citoyen consacrés par la
Déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la
République. Il proclame, en outre, comme particulièrement nécessaires à notre temps, les
principes politiques, économiques et sociaux »569. Au regard de la constitutionnalité du
Préambule de 1946 et si les missions de souveraineté sont des tâches essentielles qui incombent
naturellement à l’Etat, il est légitime de soutenir qu’en 1946 il y a eu une novation contractuelle
du pacte social en augmentant le champ des missions de souveraineté dans la mesure où la
Constitution touchant à la forme de l’Etat 570, elle intéresse les fonctions essentielles relevant de la
compétence étatique. M. le Professeur J.-J. Sueur note que « l’écriture du Préambule de la
Constitution de la IV ème République marque une étape importante. On y voit mentionner, en
effet, un certain nombre de droits qui, s’ils ne sont pas nouveaux, font leur première apparition
dans un texte de droit positif »571. Il poursuit en indiquant que « les droits sociaux à l’époque du
Préambule, tout comme les droits de solidarité aujourd’hui, sont un moment dans l’évolution du
concept de droits de l’homme tel qu’il a pu être pensé, conçu par ses inventeurs »572. Il conclut
qu’ « autrement dit, il s’agit d’une nouvelle constitution sociale »573. Ces quelques observations
confirment l’idée suivante : le concept de fonction de souveraineté est une notion fuyante et il
serait maladroit de réduire cette expression à trois, quatre missions.

567
Droit et Démocratie, Le Préambule de la Constitution de 1946 : un contrat de société ?, La Documentation
française, Paris 1994.
568
J-J. Rousseau, Du contrat social, Livre II, chap. V et VI ; v. aussi L. Duguit, Jean-Jacques Rousseau et la doctrine
du « Contrat social », RDP 1918,p. 185 ; v. enfin W. Von Humboldt, Essai sur les limites de l’action de l’Etat,
Bibliothèque classique de la liberté les belles lettres, 2004.
569
V. G. Vedel et J. Rivero, Les principes économiques et sociaux de la Constitution : le Préambule, coll. Droit
social, vol. XXI, 1947, p.20.
570
O. Beaud, Etat et souveraineté, thèse préc., p. 363 et 365.
571
J.-J. Sueur, Régénération des droits de l’homme et/ou consécration de droits nouveaux ?, in Le préambule de la
Constitution de 1946. Antinomies juridiques et contradictions politiques, PUF 1996, p. 130.
572
Ibid., p. 140
573
Ibid., p. 142.

159
§3. Le service public pénitentiaire, une mission de souveraineté?

213. En 1986, pour faire face à la crise pénitentiaire, le ministre de la Justice, A. Chalandon,
dépose un projet de loi autorisant la coopération public/privé dans le domaine pénitentiaire. Le
texte prévoit un service public pénitentiaire assuré par l’Etat mais dont l’exécution peut être
confiée à une personne morale de droit public ou de droit privé habilitée à cet effet selon un
cahier des charges approuvé par décret en Conseil d’Etat. La personne privée peut prendre en
charge aussi bien les missions de détention, garde des personnes incarcérées que les activités de
conception, financement, construction et maintenance. A ce titre, le directeur de la prison pouvait
être un agent de droit privé, à condition de présenter une qualification équivalente à celle des
directeurs des établissements gérés par l’Etat574.

214. Le principe de faire participer le secteur privé à la construction et à la gestion


d’établissements a déjà trouvé une résonance pratique et concrète au travers de la loi du 12 août
1850 prévoyant des colonies pénitentiaires publiques ou privées devant accueillir des mineurs
délinquants et aussi au travers de la loi du 22 juillet 1912 et de l’ordonnance du 2 février 1945 qui
donnent une place privilégiée aux institutions privées en matière de délinquance 575. Cependant, la
gestion des centres d’éducation fermée pour mineurs délinquants s’éloigne quelque peu du
service public pénitentiaire dans la mesure où ces sanctions sont de mesures éducatives et de
socialisation, elles ne s’apparentent pas à des peines privatives de liberté.

215. Saisi pour avis, la Haute assemblée administrative a estimé le 13 novembre 1986 que « la
direction des établissements pénitentiaires, la garde et la détention des personnes incarcérées en
exécution des décisions de l’autorité judiciaire, figurent au nombre des tâches qui sont liées à
l’exercice par l’Etat de sa fonction de souveraineté et ne peuvent par conséquent être confiées à
des personnes morales, physiques privées »576. Cette initiative gouvernementale a provoqué une

574
Pour une présentation du projet, v. A. Mamy, Rapport sur le projet de loi adopté par le Sénat relatif au service
public pénitentiaire, n° 695 annexé au procès-verbal de la séance du 29 avril 1987 et aussi M. Rudloff, Rapport sur le
projet de la loi relatif au fonctionnement des établissements pénitentiaires, n° 102 annexé au procès-verbal de la
séance du 10 décembre 1986 ; cf. aussi au développement sur le renforcement de la part de l’Etat dans les
amendements de la Commission des lois du sénat, in Les prisons dites « privées », p. 211 et s.
575
Pour un développement, cf. J-L. Mestre, Historique du recours à « l’initiative privée » en matière pénitentiaire, in
Les prisons dites « privées », une solution à la crise pénitentiaire, Presses Universitaires d’Aix-Marseille,
Economica, p. 25 et s.
576
CE, avis, EDCE 1987, sect. De l’intérieur, p. 138.

160
levée des boucliers dans le milieu politique577 étant donné qu’elle prévoit la délégation à la sphère
privée d’activités régaliennes. En 1986, le Conseil d’Etat apparaît comme le gardien de
l’orthodoxie constitutionnelle. Pourtant, le Doyen Favoreu milite en faveur de la thèse de la
constitutionnalité de ce projet car le service public pénitentiaire n’étant que le service public
d’exécution des peines, il ne relèverait pas d’une fonction de souveraineté 578. Si l’histoire
constitutionnelle française a déjà rattaché directement le service public pénitentiaire au texte
constitutionnel579, ce ne serait pas le cas de la Constitution du 4 octobre 1958. Aucune disposition
du bloc de constitutionnalité ne donnerait directement ou indirectement un caractère
constitutionnel au service public pénitentiaire580.

216. Selon M. P. Espuglas le rattachement du service public pénitentiaire à la force publique et


aux fonctions de souveraineté « ne semble a priori faire aucun doute »581. Dans le même sens,
certains sénateurs relient le service public pénitentiaire à la Déclaration de 1789. Le propos est
ainsi développé au Sénat par F. Ciccolini : « Ni la commission des lois ni les rapporteurs
n’ignorent, puisqu’ils le citent, l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du Citoyen
de 1789 qui dispose : « la garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force
publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière
de ceux auxquels elle est confiée. Prétendre comme le fait M. le rapporteur, que la force
publique, au sens de cet article, ne s’entend que de l’armée et de la police n’est pas sérieux »582.
577
V. F. Mitterrand : encore une remontrance présidentielle, Le quotidien de Paris, 20 novembre 1986 (article
anonyme) ; v. Egalement B. Pellegrin, F. Mitterrand contre les prisons privées, Le Matin, 20 novembre 1986 ; enfin,
F. d’Aubert affirma le même jour qu’ « il ne peut y avoir moins d’Etat dans les domaines fondamentaux où, par
principe, il doit assurer ses missions de souveraineté », Le Monde, 21 novembre 1986. En ce sens, cf. S. Veil, Non
aux prisons privées, Le Monde, 7 novembre 1986. V. Rapport Rudloff, p. 18, Rapport Mamy, AN n° 695, annexé au
procès-verbal de la séance du 29 avril 1987, p. 17 à 19 ; v. aussi A. Mamy, JO débats AN, discussion générale,
séance du 5 mai 1987 p. 838 ; v. A. Chalandon, JO débats Sénat, discussion générale, séance du 19 décembre 1987,
p. 6432 ; v. Enfin F. Ciccolini, JO débats Sénat, séance du 19 décembre 1986.
578
L. Favoreu, Approche constitutionnelle du principe de la participation du secteur privé au fonctionnement du
service public pénitentiaire, in Les prisons dites « privées », une solution à la crise pénitentiaire, Actes du colloque
organisé à Aix-en-Provence les 23 et 24 janvier 1987, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, Economica 1987, p.
45.
579
Cf. article 4 de la Constitution du 3-14 septembre 1791, cf. article 63 de la Constitution de 1795 et enfin cf.
Constitution du 22 frimaire AN VIII.
580
R. Drago, Prisons privées : l’Etat dans son droit, Le Figaro, 14 novembre 1986 .
581
P. Espuglas, thèse préc., p. 47.
582
A vrai dire, à la question les gardiens de prisons font-ils partie de la « force publique », la réponse n’a jamais été
catégorique. Il n’empêche que le courant dominant de la doctrine publiciste défend la thèse selon laquelle le
rattachement de l’administration pénitentiaire à la notion de force publique est loin d’être évident. A cet effet, les
auteurs développent des arguments notamment au regard de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dont
la garantie des droits que devait assurer « la force publique » était surtout la garantie du droit de propriété de sorte
que les gardiens de prisons n’entrent pas dans la catégorie des agents de la force publique. V. R. de Bellescize, op.

161
217. N’est-il pas aussi possible de rattacher cette activité au service public de la Justice ?
Certains estiment que l’administration de la peine n’est pas l’exercice de la justice 583 et le service
public pénitentiaire ne « se confond pas avec l’autorité judiciaire au sens du titre VIII de la
Constitution de 1958 »584. M. J.-L. Warsmann déclare à l’occasion de l’adoption de la loi LOPJ
en 2002 que « rien ne s’oppose juridiquement à ce que l’exécution du service public pénitentiaire
soit confiée à une personne morale de droit privé. En effet, si le service public de la justice auquel
il est implicitement fait référence dans plusieurs articles de la Constitution (article 64, 65, 66)
constitue sans conteste un service public pour lequel conformément à des principes de valeur
constitutionnelle, l’Etat ne saurait abandonner sa responsabilité, l’exécution des peines
prononcées par les tribunaux est indépendante du service de la justice et par nature distincte de
celui-ci »585.

218. Le service public pénitentiaire a « pour fonction d'assurer la mise à exécution des
décisions judiciaires prononçant une peine privative de liberté ou ordonnant une incarcération
provisoire, et d'assurer la garde et l'entretien des personnes qui, dans les cas déterminés par la loi,
doivent être placées ou maintenues en détention en vertu ou à la suite de décision de justice »586.
La jurisprudence du Conseil Constitutionnel révèle que la distinction entre prononcé et exécution
n’est pas aussi tranchée587 car l'action de la justice ne s’arrête pas aux portes de la prison 588. A ce
titre, le Professeur Delmas Saint-Hilaire a justement remarqué que la crise pénitentiaire en France
est liée à la surpopulation carcérale elle-même engendrée par la multiplication des personnes
mises en détention provisoire et que « la détention préventive ce n’est pas un mode d’exécution
des peines, elle se situe au cœur de l’œuvre de la justice, l’instruction préparatoire, et la justice

cit., p. 119
583
R. de Bellescize, op. cit., p. 119; cf. A. Chalandon, JO débats Sénat, discussion générale, séance du 19 décembre
1986, p. 6424.
584
J-M. Auby, Le contentieux du service public pénitentiaire, RDP 1987, p. 547.
585
J.-L. Warsmann, A.N. Rapport n°157 fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et
de l’administration générale de la République, sur le projet de loi d’orientation et de programmation pour la justice,
30 juillet 2002, p. 86.
586
Décret nº 60-898 du 24 août 1960 art. 1 Journal Officiel du 25 août 1960. Décret nº 98-1099 du 8 décembre 1998
art. 155 Journal Officiel du 9 décembre 1998.
587
CC 93-334 du 20 janvier 1994, loi instituant une peine incompressible et relative au nouveau code pénal et à
certaines dispositions de procédure pénale, LPA 1995, n° 39, p. 4, note Mathieu et Verpeaux.
588
E. Guigou écrit que « le service public de la justice intègre aussi deux administrations qui en sont totalement
partie prenante et que l’on oublie trop dans cette réflexion : l’administration pénitentiaire et la protection judiciaire
de la jeunesse », Le service public de la justice, Odile Jacob 1998, p. 20.

162
elle-même, n’est pas le type de service public de nature constitutionnelle que l’on ne peut pas
concéder au privé »589 ?

219. D’ailleurs, la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 « juridictionnalise »590 l’exécution de la


peine. Le service public pénitentiaire n’existe plus de façon autonome, il est complètement
intégré au service public de la Justice 591. Le titre III de la loi, modestement baptisé « dispositions
diverses et de coordination », est la partie innovante de ce texte législatif en ce qu’il encourage
d’une part « à porter un regard neuf sur le procès pénal qui ne se termine plus brutalement par le
prononcé d’une condamnation définitive, mais auquel s’ajoute la phase de l’exécution des
peines » et d’autre part « à reconsidérer le rôle de l’administration pénitentiaire notamment dans
ses rapports avec le juge d’application des peines qui (re)trouve son statut plein et entier de
magistrat »592. Néanmoins, toutes les décisions du juge de l’application des peines n’ont pas reçu
l’onction de la juridictionnalisation593.

Conclusion du Chapitre 1
589
Cf. Les prisons dites “privées”, op. cit., p. 63.
590
Le doyen Cornu dans son Vocabulaire juridique (PUF, coll. Quadrige, 2000) définit la juridictionnalisation
comme le procédé consistant à attribuer à des actes qui ne le comporteraient pas normalement (par opposition aux
actes d’administration judiciaire) la qualification d’acte juridictionnel afin de leur étendre le régime de ce dernier.
591
M.E. Cartier, La judiciarisation de l’exécution des peines, RSC 2001, p. 87 et s.
592
M. Herzog-Evans, La loi présomption d’innocence et l’exécution des peines: des avancées sur fond d’aberration
juridique, LPA 24 et 25 août 2000, n° 169 et 170 ; P. Poncela, Le chantier du droit de l’exécution des peines est
ouvert. Quelques remarques sur la loi du 15 juin 2000, RSC 2000, p. 887; M. Giacopelli, Bilan de la
juridictionnalisation de l’exécution des peines, après la loi du 15 juin 2000, in Problèmes actuels de science
criminelle, tome XVII, LRDP, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2004, p. 55 et s.
593
Dans ce cadre cf. art. 125, 721, 722, 723-3, 723-6, 729-1, 733-1 du Code de procédure pénale ; v. M. E. Cartier,
La judiciarisation de l’exécution des peines, chron. préc., p. 89.Par contre deviennent d’authentiques décisions de
justice les mesures suivantes : le placement à l’extérieur, la semi-liberté, le fractionnement et suspension de la peine,
le placement sous surveillance électronique, la libération conditionnelle.

163
220. En droit français, il existe une limite à la stratégie du « faire faire » que le législateur ne
peut enfreindre. Cependant, l’identification de la catégorie des services publics indélégables en
raison de leur nature est une entreprise intellectuelle délicate à cause de la grande élasticité dont
fait preuve la jurisprudence et à cause aussi de l’insaisissabilité des concepts tels que missions de
souveraineté ou service public exigé par la Constitution. Le juge ne se fonde pas sur des textes
mais sur un raisonnement empreint de religiosité grâce auquel lui aurait été révélé le caractère
non délégable de certaines fonctions. Pour les lecteurs de Kelsen, l’impuissance du législateur à
remettre en cause l’inconcessibilité des missions de souveraineté invite à rechercher dans le bloc
de constitutionnalité un fondement de l’interdiction de déléguer à la sphère privée certaines
missions d’intérêt général.

164
CHAPITRE 2 : A LA RECHERCHE D’UN FONDEMENT
CONSTITUTIONNEL DE LA CATEGORIE DE SERVICE PUBLIC
INDELEGABLE PAR NATURE

221. L’indélégabilité de certains services publics est fréquemment rappelée par la


jurisprudence qui se base sur la nature des choses. En même temps si le juge manque de viser des
textes de droit positif, c’est parce que rien dans le bloc de constitutionnalité ne permet de justifier
l’indélégabilité des services publics exigés par la Constitution (Section 1). Au mieux, il est
possible de dégager des fondements partiels tels que le principe de la libre et égale concurrence
qui explique la non délégation d’un pouvoir de police à un opérateur économique au nom de
l’égalité des concurrents et du refus de tout abus de position dominante dans une économie de
marché, mais ce principe reste un fondement ne permettant pas de dégager une prohibition
générale d’inconcessibilité (Section 2).

165
Section 1 : A la recherche d’un fondement tiré du Préambule de 1946 et du
texte de la Constitution de 1958

L’alinéa 9 du Préambule de la Constitution de 1946, aux termes duquel « tout bien, toute
entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un
monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité », pose le principe d’un monopole
public pour la gestion des services publics nationaux. Cette disposition peut être érigée au rang de
fondement textuel de la théorie d’indélégabilité. Néanmoins, dans l’esprit des constituants de
1946, cet alinéa n’a pour but que de lutter contre les féodalités économiques privées et non de
justifier un quelconque principe général d’inconcessibilité des activités de police, de défense et
de justice (§1). Si l’existence de certains activités de service public découle de dispositions
constitutionnelles, aucun texte n’indique qu’il faille que ces missions soient gérées directement
par la collectivité publique (§2).

§1. L’indélégabilité des services publics nationaux à caractère économique

222. En vertu de l’alinéa 9 du Préambule de la Constitution de 1946, la délégation à une


personne privée de la gestion d’un service public national supposerait la nationalisation de
l’entreprise délégataire en raison de l’obligation positive contenue dans cette disposition du
Préambule de 1946594 ce qui anéantirait l’intérêt de l’opération délégatoire. M. le Professeur J.-Y.
Chérot écrit qu’il est possible d’envisager « une autre hypothèse où la loi mettrait en place un
régime juridique permettant à l’administration de confier des missions de service public à des
entreprises déterminées, la loi ne serait pas contraire à l’alinéa 9 du Préambule si elle organisait
une délégation de service public à des entreprises du secteur privé. Car dans ce cas il y a
seulement des missions de service public sans service public national »595. Une telle opinion n’est
pas conforme à la volonté des constituants de 1946 qui ont condamné dans leur grande majorité
la gestion déléguée au motif que ce procédé desservait l’intérêt général au profit des intérêts

594
E. Delacour parle d’obligation positive et théorique car « en cas de carence des pouvoirs publics pour procéder à
la nationalisation de ces activités, il n’existe pas de moyens juridiques pour forcer ceux-ci à agir », in thèse préc., p.
452.
595
J.-Y. Chérot, Droit public économique, Economica, 2002, p. 66. Pour une opinion contraire, v. G. Quiot, De
l’inconstitutionnalité de la loi du 31 décembre 2003 relative aux obligations de service public des
télécommunications et à France Télécom, AJDA2005, p. 820.

166
privés596. Le sentiment de défiance vis-à-vis de la concession de service public repose, comme le
note M. Waline, sur « un divorce entre la responsabilité financière des pertes (socialisation des
déficits), d’une part, et les chances de gain et la gestion, d’autre part. Il y a une véritable société
léonine »597.

223. H.-L. Grimaud, élu MRP, a déposé un amendement offrant au législateur la possibilité
d’adopter la solution la plus adéquate pour l’exécution du service public, y compris le recours à la
délégation de service public. Cette proposition a été rejetée car « lorsque certains biens ou
certaines entreprises acquièrent le caractère de monopole de fait ou de service public, il est
indispensable que ces biens ou ces entreprises cessent d’être la propriété des particulier.
Lorsqu’un bien devient service public, il faut qu’il soit géré par la collectivité départementale,
régionale ou nationale qui devient propriétaire du service public… tant qu’il s’agira de
particuliers, soit pris individuellement, soit associés, nous n’aurons pas la garantie véritable que
ces biens seront au service du public »598. Ces propos du rapporteur de la commission
constitutionnelle traduisent significativement une condamnation de la pratique du « faire faire »
au secteur privé599.

224. A la Libération, il est vrai que le contexte politique, économique et social n’est pas en
faveur de la défense de l’industrie privée. Les dirigeants des grandes compagnies
concessionnaires font l’objet d’une réprobation intense et générale. Ils sont « assimilés à ceux que
l’on désigne du nom de « mur d’argent ». Ils se voient reprocher certaines manœuvres
antidémocratiques de l’entre-deux guerres. On les accuse de malthusianisme économique 600,
critique particulièrement lourde dans un pays où la pénurie et les destructions de guerre ont suivi
les années de crise. Ils sont enfin rendus responsables de la défaite et accusés de collaboration
avec l’ennemi601. Dans le domaine de l’électricité, il faut reconnaître que les compagnies

596
V. G. Quiot, Service public national et liberté d’entreprendre, in Le préambule de la Constitution de 1946.
Antinomies juridiques et contradictions politiques, PUF 1996, p. 187 et s.
597
Manuel élémentaire de droit administratif, Sirey 1939, 2e éd., p. 35.
598
Référence au JO Assemblée nationale constituante du 21 mars 1946, p. 970. Ce débat a eu lieu avant que le texte
ne soit modifié et ne fasse plus que référence aux services publics nationaux.
599
G. Quiot, De l’inconstitutionnalité de la loi du 31 décembre 2003 relative aux obligations de service public des
télécommunications et à France Télécom, chron.préc., p. 822.
600
On qualifie de malthusianisme économique les doctrines qui prônent, pour des raisons diverses, la restriction
volontaire de la production
601
G. Bouthillier, thèse préc.,1968, p. 194.

167
concessionnaires avant la guerre ont réussi à porter la production de 3 à 20 milliards entre 1919 et
1939 et à étendre l’électrification rurale à 97% du pays602. Cependant, ces statistiques importent
peu et au lendemain de la seconde guerre mondiale, il faut liquider les concessions de type
capitalistique grâce auxquelles l’entreprise privée contrôle les secteurs stratégiques de l’économie
française tout en faisant primer les intérêts commerciaux sur la satisfaction de l’intérêt général.

225. M. R. de Bellescize note que « le réformisme chrétien peut valoir comme la source la plus
ancienne de l’alinéa 9 »603. L’influence de ce courant de pensée sur la classe politique française
de l’entre-deux guerres est indéniable. Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter aux propos
tenus par Vincent Auriol, alors ministre des finances de L. Blum en 1936, devant la Chambre des
députés en ce qui concerne le projet de la nationalisation de la Banque de France 604 : « ce qui à
notre époque, frappe tout d’abord le regard, ce n’est pas seulement la concentration des richesses,
mais encore l’accumulation d’une énorme puissance, d’un pouvoir économique discrétionnaire
aux mains d’un petit nombre d’hommes qui, d’ordinaire, ne sont pas les propriétaires, mais les
simples dépositaires et les gérants du capital qu’ils administrent à leur gré »605. Ce discours
empreint de l’idéologie du réformisme chrétien prend directement racine dans l’encyclique
Quadragesino anno de 1931 faite par le Pape Pie XI.
226. Il y a un consensus politique autour de l’idée de la nationalisation de pans entiers de
l’économie entre les principaux acteurs de la vie politique française : Parti Radical606, Parti
Communiste, Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO)607, la Confédération Générale
du Travail608 et le Mouvement Républicain Populaire (MRP). Toutefois, le projet des
602
Comme le reconnaît B. Paumier, délégué communiste en déclarant que « l’électrification rurale a fait de rapides
progrès dans tous les domaines », JO ACP du 4 août 1945, p. 1798.
603
R. de Bellescize, op. cit., p. 35; v. aussi G. Renard et L. Trotabas, La fonction sociale de la propriété, Sirey 1930,
en particulier cf. G. Renard, Le point de vue philosophique : la pensée chrétienne sur la propriété privée, p. 4 et s  ;
sur la démocratie chrétienne, v. M. Prélot et G. Lescuyer, Histoire des idées politiques, 13 e , Dalloz 1997, p. 631 et
s.
604
Elle interviendra avec la loi du 2 décembre 1945.
605
In JO débats, Chambre des députés, nationalisation de la Banque de France, séance du 16 juillet 1936, p. 1955.
606
Sur le programme du parti radical, v. R. de Bellescize, op. cit., p. 37et s
607
Le 29 novembre 1945, le groupe socialiste dépose sur le bureau de l’Assemblée Nationale constituante une
proposition de Constitution dont certaines dispositions rappellent ce que sera le futur alinéa 9 en impliquant « la
socialisation des monopoles de fait et la planification de la vie économique », cf. Proposition de loi tendant à établir
une nouvelle Constitution de la République française, présentée par G. Mollet, annexe n°44, séance du 29 novembre
1945, doc. de l’ANC, p. 59.
608
Dès 1919, au congrès de Lyon puis au congrès de Tours en décembre 1920, la CGT place au cœur des débats la
question des nationalisations. Sur les références à la CGT, devant la 1 er ANC, cf. à l’intervention de M. Guérin, JO
débats, séance du 8 mars 1946, p. 640.Sur les thèses de la CGT dans le domaine des nationalisations, v. M. Bye,
Nationalisations en France et à l’étranger, Sirey 1948, p. 27.

168
nationalisations n’est inscrit que tardivement en 1945 dans le programme communiste 609. G.
Bouthillier souligne pour sa part que « les démocrates-chrétiens (MRP) ont toujours refusé leur
enthousiasme à ces lois de nationalisation dans lesquelles ils ne retrouvaient pas leurs
conceptions. Le vote donné à l’appui de ces lois s’imposait dès lors que la situation politique
globale conseillait aux républicains populaires d’agir au sein du tripartisme »610. Cette hostilité
envers les lois de nationalisation découle du programme économique rédigé par les membres
conservateurs du mouvement chrétien, la grande majorité des élus démocrates-chrétiens adhère à
cette thématique chère à la doctrine du réformisme chrétien. Malgré l’existence de cette union
tripartite, l’adoption des lois de nationalisation (transport aérien, banque, énergie et assurances)
est délicate car si les trois partis se réclament tous du programme du Conseil National de la
Résistance (CNR), chacun se réserve le droit de définir le concept et les limites des
nationalisations611. Néanmoins, l’objectif partagé par tous les intervenants politiques est « de
remédier aux excès du capitalisme »612 dont les forces économiques avaient failli ce qui
nécessitait d’une part, la destruction des féodalités économiques et financières et d’autre part,
l’intervention vigoureuse de l’Etat pour remédier aux défaillances de l’initiative privée.

227. Les élus Mignot, Bergasse et Montel ont déposé un amendement devant la seconde
assemblée constituante au cours de la séance du 28 août 1946 visant à encadrer de façon étroite
l’action étatique. En vertu de ce texte, le service public national correspond aux services « qui
sauvegardent le domaine public, la sûreté intérieure et extérieure de la nation, qui coordonnent et
surveillent l’action des forces économiques et sociales, prévenant notamment toute concentration
d’industries ou de personnes qui constitueraient une menace d’oppression » 613. Cet amendement
consacre une conception strictement « gendarmiste » du rôle de l’Etat et il a pour but de

609
V. G. Bouthillier, La nationalisation du gaz et de l’électricité en France (loi du 8 avril 1946) : acteurs et
processus. Contribution à l’étude des décisions politiques, thèse Paris 1968. Il convient de noter qu’une branche du
PCF se distingue des autres partis politiques en affirmant à propos de l’alinéa 9 qu’il « ne saurait être question de
mesure socialiste, puisqu’une nationalisation n’est une mesure socialiste que lorsqu’elle est réalisée par un Etat
socialiste », A. Giovani, ANC, 2 e séance du 27 août 1946, p. 3329. Sur cette question, v. G. Quiot, Service public
national et liberté d’entreprendre, in Le préambule de la Constitution de 1946. Antinomies juridiques et
contradictions politiques, PUF 1996, p. 194.
610
G. Bouthillier, thèse Paris 1968, p. 113.
611
Ibid., p. 162. Sur les différents projets relatifs à l’étendue de la nationalisation de l’électricité et du gaz, v. P.
Sablière, La loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz, CJEG, Dalloz 1993  ; v. aussi J.
Evesque, La nationalisation de l’électricité, thèse Paris, 1947, p. 64 et s.
612
J-E. Caillon, (textes rassemblés par), Les projets constitutionnels de la résistance, La Documentation française
1998.
613
JO débats 2e ANC, séance du 28 août 1946, p. 3374.

169
contrecarrer la portée des dispositions de l’alinéa 9 en limitant le champ de la notion de service
public national au concept de service public « sécuritaire ». Cette disposition a été repoussée par
480 voix contre, et 57 pour. Ce vote est significatif de la volonté des constituants de 1946 de
mettre potentiellement certaines parties de l’économie sous le contrôle étroit de la collectivité
publique au moyen d’une mesure de nationalisation ou en interdisant une politique de
privatisation. Sans nul doute dans l’esprit des constituants, le service public correspond aussi à la
pensée des élus Mignot, Bergasse et Montel mais il ne doit pas se réduire à cela. Le texte de
l’alinéa 9 n’a pas vocation à s’occuper des services publics dits sécuritaires, ce n’est pas l’enjeu
du débat politique en 1946. D’ailleurs, l’emploi du mot « entreprise » au sens d’entité
économique et commerciale dans l’alinéa 9 n’est pas neutre.

228. Il ressort des discussions devant l’Assemblée nationale constituante que ce qui préoccupe
les députés fraîchement élus est de liquider les concessions capitalistes qui placent l’intérêt
général sous la sauvegarde de l’intérêt privé et non de sanctuariser un monopole public des
services publics sécuritaires dans la Constitution614. Cependant, il est légitime de poser la
question suivante : en extrapolant ne peut-on pas déduire de cet alinéa que sont nécessairement
indélégables dans l’esprit du constituant de 1946 tous les services publics nationaux au premier
rang desquels figurent bien évidemment les services publics sécuritaires ?

§2. L’absence de disposition relative à l’organisation spécifique des services publics


constitutionnels

614
V. en ce sens, pour la lutte contre les féodalités économiques M. Guérin, JO débats 1 er ANC, séance du 8 mars
1946, p. 641 et s ; v. aussi P. Hervé, JO débats 1er ANC, 2e séance du 21 mars 1946, p. 958.

170
229. Les services publics constitutionnels regrouperaient les missions de souveraineté ainsi que
les services publics découlant des dispositions du Préambule de 1946 et parce qu’ils sont des
services publics constitutionnels, ils seraient indélégables615. Cette opinion corroborée par
certains arrêts de la Cour de Cassation616 nous laisse sceptique, d’une part, à cause de l’incertitude
planant sur la composition matérielle des services publics constitutionnels et d’autre part, à cause
de l’absence de disposition relative à l’organisation spécifique des services publics
constitutionnels. Au regard de la jurisprudence constitutionnelle, les services publics imposés par
la Constitution sont « intransférables » au secteur privé mais cette interdiction n’est pas
complétée par une interdiction de délégation à la sphère privée617. Le terme de « service public
constitutionnel » est d’origine doctrinale618. Le Conseil Constitutionnel se cantonnant à remarquer
qu’il existait des services publics dont « la nécessité, l’existence et le fonctionnement », peuvent
soit « découler de principes ou de règles de valeur constitutionnelle », soit être exigés « par la
Constitution »619 soit enfin, avoir leur « fondement dans des dispositions de nature
constitutionnelle »620. Le Conseil d’Etat, dans son rapport de 1994, essaie d’éclairer la
terminologie employée par le juge constitutionnel en indiquant que « les catégories de service
public dont le Conseil Constitutionnel a estimé qu’ils étaient exigés par la Constitution incluent
de fait l’ensemble des services publics traditionnellement décrits comme de souveraineté ainsi
que l’Education nationale, la Santé et l’aide sociale »621.

615
V. en ce sens Mme. D. Commaret : « cités par le préambule de la Constitution de 1946, l’enseignement, comme
la santé ou l’aide sociale sont des services publics exigés par le texte constitutionnel. Leur noyau dur est donc
indélégable », in Concl. D. Commaret, BJCP 2001, n°15, p. 149.
616
Cass. Crim. 12 décembre 2000, BJCP 2001 n°15, p. 147.
617
D. Melloni, thèse préc., p. 623 et s.
618
L. Favoreu, Service public et Constitution, AJDA 1997, n° spécial, p. 16 et s. ; R. de Bellescize, Les services
publics constitutionnels, LGDJ 2005, tome 244 ; F. Marbouty, Le statut constitutionnel des services publics, thèse
Limoges 1998; P. Espuglas, Conseil Constitutionnel et service public, LGDJ 1994, tome 80. Pour une synthèse
bibliographique afférente à la notion de service public constitutionnel, cf. R. de Bellescize, op. cit., p. 1.
619
C.C 88-232 DC du 7 janvier 1988, Rec. 17, RJC I-317.
620
C.C. 86-217 DC du 18 septembre 1986, Rec. 141, RJC I-283. CC 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986, Loi
autorisant le gouvernement à prendre des mesures d’ordre économique et sociale, JO du 27 juin 1986, rectificatif au
JO du 3 juillet 1986 ; Pouvoirs 1987, n°40, p. 178, Avril et Gicquel, RDP 1989, p. 399, obs. Favoreu ; AIJC 1986, p.
427 et 454, note Genevois ; Rev. Soc. 1986, p. 606, note Guyon ; AJDA 1986, p. 575, chron., Rivero. CC 86-217
DC du 18 septembre 1986, Loi relative à la liberté de communication, JO du 19 septembre 1986  ; L. Favoreu, RDP
1989, p. 399 ; B. Genevois, AIJC 1986, p. 340 ; Wachsman, AJDA 1987, p. 102. CC 87-232 DC du 7 janvier 1988,
JO du 10 janvier 1988, Loi relative à la mutualisation de la Caisse nationale du crédit agricole  ; Guyon, Rev. soc.
1988, p. 229 ; Avril et Gicquel, Pouvoirs, n°46, p. 179. CC 96-375 DC du 9 avril 1996, JO du 13 avril 1996, Loi
portant DDOF, P. Gala, RFDC 27-1996, p. 598 ; X. Pretot, RDP 1996, p. 1147 ; O. Schrameck, AJDA 1996, p. 369.
621
Rapport Conseil d’Etat EDCE 1994 n°46, Service public, services publics :déclin ou renouveau, p. 66.

171
230. Cette liste dressée par la haute assemblée administrative n’échappe pas aux critiques car si
pour certains auteurs la catégorie de service public constitutionnel enferme certainement la
plupart sinon la totalité des grands services publics relevant des droits-créances proclamés par le
Préambule de 1946 tels que le service public de l’enseignement ou de la protection sociale,
d’autres estiment que cela ne va pas forcément de soi622. Les auteurs de la Constitution de 1946
auraient consacré des droits de « deuxième génération », droits-créances permettant aux individus
de réclamer auprès des pouvoirs publics des prestations positives 623. M. le Professeur J-J. Israël
note que « doivent être a priori considérés comme tels (service public constitutionnel), les
services publics régaliens de l’Etat (la justice, les relations internationales, la défense et la police)
et probablement ceux issus du préambule de 1946 (l’enseignement, la protection de la santé,
l’aide sociale) »624. Selon les Professeurs L. Favoreu et L. Philip, satisfont indéniablement aux
critères du service public constitutionnel « les services publics de la Défense Nationale, de la
Justice, des Affaires Etrangères, et de la Police, pour ces services publics, le rattachement à des
dispositions de la Constitution ne fait pas de difficultés et, en toute hypothèse, on pourrait en
quelque sorte les déduire de l’agencement même du système constitutionnel »625.

231. Certains auteurs, à l’instar de M. Borgetto, écrivent qu’il est possible de voir « dans ses
dispositions, beaucoup plus des objectifs que des prescriptions, beaucoup plus des obligations
morales et politiques que des obligations véritablement juridiques, beaucoup plus des dispositions
programmes que des dispositions-règles »626. Titulaire d’une créance à l’égard de la société, le
citoyen doit attendre que le législateur prenne l’initiative de lui donner vie et d’en fixer les
procédés de fonctionnement et notamment les modalités de gestion. Dans le préambule de 1946,
à l’exception de l’alinéa 9 qui concerne les services publics nationaux à caractère économique, à
aucun moment il n’est écrit que les services publics cités par ce texte doivent être gérés
exclusivement par la collectivité publique.

622
J.-F. Lachaume, C. Boiteau et H. Pauliat, Grands services publics, 3 e éd., Armand Colin, 2004, p. 116. Sur cette
question, v. M. Borgetto, La notion de service public constitutionnel face au droit de la protection sociale, in
Mélanges en l’honneur de J.-F. Lachaume, Le droit administratif : permanences et convergences, Dalloz 2007, p. 86
et s.
623
J-J. Israël, Droit des libertés fondamentales, Paris LGDJ 1998, p. 22.
624
J-J. Israël, Alinéa 9, Nationalisation et droit de propriété, in op. cit., p. 236. Sur la nature constitutionnelle des
services publics de protection sociale, v. P. Espuglas, Conseil Constitutionnel et service public, thèse préc., p. 72 et s.
625
L. Favoreu et L. Philip, Les grandes décisions du Conseil Constitutionnel, 10e éd. 1999, p. 689.
626
M. Borgetto, La notion de fraternité en droit public français, LGDJ 1993, p. 523 et s.

172
232. En 1986, « il a été question de la tradition républicaine qu’aurait invoqué le Conseil d’Etat
dans l’avis défavorable rendu sur le projet de loi en novembre 1986 »627 pour censurer la
délégation au secteur privé des missions de direction, de surveillance et de greffe des
établissements pénitentiaires. Il a été question également de l’existence d’un principe
fondamental reconnu par les lois de la République pour justifier l’indélégabilité des fonctions de
souveraineté mais il faudrait encore pouvoir identifier une loi de la République qui consacre un
tel principe. En 1987, à l’occasion d’un colloque sur le thème des « Prisons dites privées », le
Doyen Favoreu se demande si l’article 3 de la Constitution peut être invoqué pour justifier
l’indélégablité des missions de souveraineté. Il note que « le problème est qu’aucun de ceux qui
utilisent l’expression ou citent des exemples de mission ou de fonction de souveraineté ne
définissent la notion ni expliquent comment ils rattachent cela à la Constitution ou à des
dispositions constitutionnelles précises. Où sont citées ces fonctions de souveraineté et de quelle
manière sont-elles protégées constitutionnellement ? »628. A cette liste d’interrogations, on ajoute
la question suivante : existe-t-il une disposition constitutionnelle interdisant expressément le
recours au « faire faire » pour la réalisation de ces missions ?

233. L’article 3 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen précise que « le principe
de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut
exercer d'autorité qui n'en émane expressément » et l’article 3 de la Constitution du 4 octobre
1958 pose le principe selon lequel « la souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce
par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne
peut s’en attribuer l’exercice ». Au regard de ces textes, rien ne dit qu’il faille que l’institution
étatique gère directement les fonctions de souveraineté. M. le Professeur D. Truchet a remarqué :
« Qui irait perdre son temps à expliquer pourquoi la Défense, la Justice, etc., sont des services
publics, c’est tellement évident»629. Mais quid des modes de gestion de ces services publics ? Le
Professeur F. Boulan estime que « le service public de la justice a incontestablement ce caractère
constitutionnel en vertu des articles 64 à 66 de la Constitution et la Justice est bien une fonction
de souveraineté que l’Etat ne peut déléguer en vertu de l’article 3 de la Constitution »630. Or, le

627
L. Favoreu, Approche constitutionnelle du principe de la participation du secteur privé au fonctionnement du
service public pénitentiaire, in Les prisons dites privées op. cit., p. 47.
628
Ibid., p. 56.
629
D. Truchet, chron. préc., p. 429
630
F. Boulan, Rapport introductif, in Les prisons dites privées op. cit., p. 18.

173
Conseil constitutionnel dans sa jurisprudence relative à l’indélégabilité des missions de
souveraineté ne vise jamais expressément l’article 3. Aussi, la référence aux articles 3 est
ambiguë. L’alinéa 2 de l’article 3 de la Constitution pose la règle fondamentale du régime
représentatif selon laquelle l’élu est le représentant de la Nation et non pas de ses électeurs d’où
l’interdiction des mandats impératifs 631. Cependant, on pourrait soutenir qu’en vertu de ces textes
aucune personne ne peut exercer une mission de souveraineté sans avoir été expressément
mandatée par les représentants de la Nation, c’est le sens des expressions « nul corps, nul
individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément » et « aucune section du peuple
ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice », ce qui signifie qu’il n’y a donc pas a priori
d’interdiction de principe de déléguer certaines activités sous réserve d’une action en ce sens des
représentants de la Nation.

234. L’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du Citoyen de 1789 a été mis en
avant en 1986 par certains sénateurs pour justifier l’indélégabilité des fonctions de
souveraineté632. Cet article selon lequel « la garantie des droits de l’homme et du citoyen
nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour
l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée » interdirait la création d’une police privée
par exemple car il serait alors établi une force publique « pour l’utilité particulière de ceux
auxquels elle est confié »633. Le Doyen Favoreu s’est opposé vivement à cette argumentation
parce que « de toute manière, en quoi cette force publique – qui, d’ailleurs par définition n’en
serait pas une puisqu’elle serait privée – serait-elle instituée pour l’utilité particulière de ceux
auxquels elle est confiée ? Cette force serait utilisée afin d’assurer le fonctionnement du service
public pénitentiaire et non dans l’intérêt de l’établissement privé : dira-t-on d’un service public de
transports qu’il est assuré dans l’intérêt du concessionnaire ? Certainement pas. Pourquoi alors le
soutenir à propos du service pénitentiaire à la gestion duquel participe une personne privée ? »634

235. Dans le domaine de la justice, le principe de l’inamovibilité des magistrats du siège


consacré à l’article 64 de la Constitution de 1958 n’est pas non plus un élément justifiant

631
F. Luchaire et G. Cognac (dir.), La Constitution de la République française, 2e éd., Economica 1979, p. 202.
632
JO Débats Sénat, séance du 19 décembre 1986, p. 6430.
633
L. Favoreu, Approche constitutionnelle du principe de la participation du secteur privé au fonctionnement du
service public pénitentiaire, in Les prisons dites privées op. cit., p. 53.
634
Ibid., p. 54.

174
l’indélégabilité de cette fonction car ce principe remonte au règne de Philippe le Bel 635 et certains
auteurs voient dans la vénalité et l’hérédité des charges l’équivalent de l’inamovibilité636.

Section 2. Le fondement partiel issu du principe de la libre et égale


concurrence

236. Sur la base de nombreuses décisions jurisprudentielles, l’activité de police administrative


est une activité réputée indélégable637. Le fondement de cette interdiction est qualifié de matériel
car il relève de la nature même de la mission de police administrative qui « tend à assurer le
maintien de l’ordre public dans les différents secteurs de la vie sociale en prévenant les troubles
qui pourraient l’atteindre sinon, en y mettant fin »638. La thèse selon laquelle il y aurait des
activités dont la délégation serait interdite du fait de leur nature n’est pas soutenable pour un
juriste car « la nature propre des activités n’existe pas »639. Malgré le mutisme des juges, il nous
paraît possible d’isoler un fondement constitutionnel de l’interdiction de concéder le pouvoir de
police économique au regard du principe de libre et égale concurrence qui suppose une égalité
des chances entre les opérateurs qui interviennent sur un marché.

La valeur constitutionnelle de ce principe est abondamment contestée. C’est la liberté


d’entreprendre qui a un caractère constitutionnel en vertu de la décision du 16 janvier 1982
relative à la loi de nationalisation 640 (§1). Il serait erroné de dégager un principe d’indélégabilité
du pouvoir de police économique au secteur privé sur le fondement du principe de libre et égale
concurrence. En effet, il est plus juste de parler d’un principe de séparation des fonctions de
réglementation et de prestation de biens et/ou de services qui conduit à ce que la puissance
publique ne puisse déléguer un pouvoir de police économique à un entreprise publique ou privée
agissant sur un marché concurrentiel (§2). Paradoxalement, ce principe qui est un rempart contre
l’accentuation de la politique du « faire faire » implique l’extériorisation des fonctions de
régulation par la création d’autorités indépendantes de marché (§3).

§1. La valeur constitutionnelle du principe de libre et égale concurrence


635
M. Rousselet, Histoire de la magistrature, PUF 1948, p. 153.
636
G. Mangin,in La Constitution de la République française, op.cit., p. 1143.
637
C. Huglo, Les possibilités légales de délégation de service public, Gaz. Com. 23 mai 1994, p. 82 et s.
638
R. Chapus, Droit administratif général, t. 1, op. cit., p. 634.
639
F.-P. Benoît, op. Cit., p. 773.
640
Cons. Con. 16 janvier 1982, déc. n°81-132 DC, AJDA 1982, p. 209, note Rivero.

175
237. La question du rang normatif du principe de libre et égale concurrence est abordée lorsque
la doctrine s’intéresse à la problématique relative à la banalisation de l’interventionnisme des
personnes publiques dans le secteur industriel et commercial. Selon M. le Professeur D. Linotte,
le concept de concurrence, competition en anglais, « repose sur deux postulats : la liberté de
concourir et l’égalité dans la compétition »641. Ainsi, le principe de concurrence implique le droit
d’être en concurrence et le droit de ne pas être irrégulièrement concurrencé 642 d’où l’exigence
d’une égalité des chances entre les opérateurs. Cet impératif suppose un accès non
discriminatoire des tiers au marché excluant ainsi toute délégation d’un pouvoir de police
économique à un opérateur public ou privé intervenant sur un marché concurrentiel pour éviter
qu’un agent soit en situation d’abuser de sa position dominante.

238. C’est la liberté d’entreprendre qui revêt expressément un caractère constitutionnel en


vertu de la décision du 16 janvier 1982 643. Cette solution jurisprudentielle visant à ériger la liberté
d’entreprendre en règle de valeur constitutionnelle a été ardemment critiquée par le Doyen R.
Savy qui note que le Conseil «  a choisi la lecture libérale et, ce faisant…il s’est fait constituant ;
il s’est érigé en souverain ». Il s’est refusé « à prendre acte de l’absence de toute référence à la
liberté d’entreprendre dans la Déclaration de 1789 »644.

239. Le Conseil Constitutionnel n’a jamais défini précisément le contenu du principe de la


liberté d’entreprendre. M. D. Ribes écrit que « la liberté de concurrence constitue le corollaire
nécessaire de la liberté d’entreprendre » 645. D’autres soutiennent la thèse d’une intégration du
principe de libre et égale concurrence au sein du principe de la liberté du commerce et de

641
D. Linotte, Droit public de la concurrence, Economica 1987, p. 13.
642
MM. Lucas de Leyssac et Gavalda s’interrogent sur la pertinence même de l’emploi de l’expression de libre
concurrence car « la référence à la libre concurrence…est extrêmement trompeuse car elle recèle bien des
affirmations distinctes : droit à l’existence d’un marché, droit à l’accès au marché ; droit au fonctionnement libre du
marché ; droit à la protection de la concurrence sur le marché » , in Droit du marché, PUF 2002, p. 18 et s.
643
Cons. Con. 16 janvier 1982, déc. n°81-132 DC, AJDA 1982, p. 209, note Rivero.
644
R. Savy, La constitution des juges, D. 1983, p. 105 et s. ; sur cette problématique v. aussi G. Quiot, Service public
national et liberté d’entrependre, in Le Préambule de la Constitution de 1946, op. cit., p. 198 et s.
645
Cons. Con. 11 juillet 2001, D. 2002, p. 1949, note D. Ribes.

176
l’industrie646 et en déduisent que ces principes n’ont nullement valeur constitutionnelle 647. En
2002, le Conseil d’Etat défend la conception traditionnelle du principe de la liberté du commerce
et de l’industrie en notant que « l’intervention économique des personnes publiques sur un
marché ne peut-être régie par le seul principe de libre concurrence. Elle doit répondre à une réelle
légitimité, comme tendent à le faire prévaloir les principes traditionnels notamment celui de la
liberté du commerce et de l’industrie »648. Dans un arrêt en date du 26 janvier 2006 649, le Conseil
d’Etat distingue clairement les deux libertés tout en les incorporant dans le principe de la liberté
d’entreprendre. A ce titre, il considère que « la liberté du commerce et de l’industrie, lesquelles,
avec la liberté de concurrence, forment les composantes de la liberté d’entreprendre ». Le Conseil
d'Etat est attaché à ces deux principes et, à notre grande stupéfaction, la loi n° 2007-1224 du 21
août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres
réguliers de voyageurs a érigé le principe de liberté du commerce et de l’industrie en principe
constitutionnel650. Le rattachement de la libre concurrence au principe de liberté d’entreprendre
pose la question de son caractère constitutionnel.

240. M. le Professeur D. Linotte, à partir de la décision précitée du Conseil Constitutionnel du


16 janvier 1982, en arrive à la conclusion selon laquelle « le principe de concurrence est doté
d’une valeur constitutionnelle, puisqu’ainsi qu’on s’attache à le démontrer, le principe n’est rien
d’autre qu’un avatar de la combinaison des principes de liberté et d’égalité, tous deux reconnus et
appliqués aux entreprises par le Conseil Constitutionnel»651. Il ajoute qu’ « on peut faire
l’économie du combat » et même si « aucune juridiction ne l’a affirmé de façon explicite… le
principe de concurrence résulte à l’évidence d’autres principes indiscutables et indiscutés,
fondateurs de notre système »652.

646
M. Lombard, A propos de la liberté de concurrence entre opérateurs publics et privés, D. 1994, chron., p. 163. Sur
cette question, v. J-F. Sestier, L’intervention des collectivités locales entre liberté du commerce et de l’industrie et
libre et égale concurrence, in Mélanges Jacques Moreau, Les collectivités locales, Paris Economica 2002, p. 401 et s
647
M. Lombard, A propos de la liberté de concurrence entre opérateurs publics et privés, chron. préc., p. 167.
648
CE, Rapport 2002, Collectivités publiques et concurrence, p. 264.
649
Req. n°288481.
650
J.-P. Kovar, Où en est la liberté du commerce et de l'industrie ?, DA sept. 2007, études 18.
651
D. Linotte, Principes d’égalité, de liberté, de commerce et de l’industrie et droit de la concurrence, in Droit public
de la concurrence, Economica 1987, p. 15.
652
D. Linotte, Existe-t-il un principe général du droit de la libre concurrence ?, AJDA 2005, p. 1551.

177
241. L’intégration annoncée dans le bloc de constitutionnalité du droit communautaire conforte
une « constitutionnalisation » du principe de libre et égale concurrence. Un principe directeur du
droit communautaire est l’idée de neutralité, c’est-à-dire qu’il importe peu de s’intéresser à la
nature juridique des opérateurs économiques, mieux vaut se focaliser sur les conditions
d’intervention. C’est ce qu’exprime l’article 295 du Traité CE (ex. article 222). L’adhésion de la
France aux Traités communautaires a permis de doter celle-ci d’une véritable constitution
économique libérale car cet engagement implique que la France respecte le « principe d’une
économie de marché où la concurrence est libre » (art. 3 A TCE). Cette règle est réaffirmée à
l’article 97 ter du Traité de Lisbonne modifiant le Traité sur l'Union européenne, la Communauté
européenne et certains actes connexes en date du 13 décembre 2007 et ratifié en France par la loi
n° 2008-125 du 13 février 2008.

242. Même si le droit communautaire prévaut sur les règles du droit interne, principe qui a été
clairement développé dans l’arrêt Costa c/ Enel du 15 juillet 1964 suivant lequel : « issu d’une
source autonome, le droit né du Traité ne pourrait donc, en raison de sa nature spécifique
originale, se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu’il soit, sans perdre son caractère
communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-même »,
le droit supranational n’est pas une norme de référence lors du contrôle de constitutionnalité de
sorte qu’en droit interne un texte communautaire n’est pas opposable au législateur français à
l’occasion de la saisine du Conseil constitutionnel. Il ne revient pas au Conseil Constitutionnel de
veiller à la conventionnalité des lois. Il revient aux juridictions ordinaires depuis la célèbre
décision IVG du 15 janvier 1975 d’exercer ce contrôle mais « le juge n’opère pas un véritable
contrôle de la loi, placé face à deux normes incompatibles, il écarte la norme inférieure, au nom
de la hiérarchie des normes imposée par l’article 55 »653. La loi n’est ni abrogée et encore moins
annulée, son application est temporairement écartée au cas d’espèce.

243. A partir de 1992, plusieurs décisions marquent une importante ouverture du bloc de


constitutionnalité au droit communautaire et européen, d’abord dans la décision du 9 avril 1992,
où il a attribué valeur constitutionnelle à la règle Pacta sunt servanda 654, ensuite dans la décision
653
B. Mathieu, Les rapports normatifs entre le droit communautaire et le droit national. Bilan et incertitudes relatifs
aux évolutions récentes de la jurisprudence des juges constitutionnel set administratif français, RFDC 2007, p. 683.
654
D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, 7e éd., Montchrestien, p. 116 et s.

178
du 2 septembre 1992 dans laquelle le Conseil constitutionnel a jugé que « la loi organique doit
être elle-même conforme, non seulement à la Constitution, mais encore, aux modalités d’exercice
du droit de vote et d’éligibilité prévues par le Traité sur l’Union européenne et les prescriptions
édictées à l’échelon de la Communauté européenne pour la mise en œuvre du droit reconnu par
l’article 8 B, paragraphe 1 »655. Le Professeur Picard déduit de cette solution que « se trouvent
ainsi intégrés au bloc de constitutionnalité, d’une part, le Traité de Maastricht, au moins quant à
cette disposition, et, d’autre part, l’ensemble des prescriptions édictées à l’échelon de la
Communauté portant sur la question en cause »656. Comme l’écrit M. C. Geslot, « la catégorie des
normes de référence du contrôle de constitutionnalité s’est considérablement enrichie ces
dernières années »657 dans la mesure où le respect du droit communautaire est qualifié, depuis la
décision du 10 juin 2004, d’ « exigence constitutionnelle »658.

244. Le Conseil Constitutionnel complétera ultérieurement « la principale potentialité que


recelait sa jurisprudence de 2004. Ce faisant, il indique, dans sa décision du 30 mars 2006, que sa
compétence se limite au contrôle des seules lois de transposition, excluant non seulement les lois
qui n’ont pas cet objet mais également de confronter la loi à d’autres normes
communautaires »659. Cette ligne jurisprudentielle a de quoi surprendre tant l’intégration du droit
communautaire au bloc de constitutionnalité est très imparfaite alors qu’ « il paraît difficile de
trouver une explication convaincante à cette restriction du contrôle aux seules lois de
transposition et au regard des seules directives transposées, l’article 88-1 de la Constitution
impose non seulement une exigence de transposition du droit communautaire mais également une
exigence de conformité à ce droit, sans laquelle la première n’a d’ailleurs guère de sens »660. Le

655
Cons. const., Décision n°92-312 DC du 2 septembre 1992.
656
E. Picard, Vers l’extension du bloc de constitutionnalité au droit européen ?, RFDA 1993, p. 48.
657
C. Geslot, Normes constitutionnelles et normes de référence du contrôle de la constitutionnalité des lois, JCP G i,
149, n°18, p. 11.
658
Cons. const. 10 juin 2004, n°2004-496 DC, Loi pour la confiance dans l’économie numérique, JCP G 2004 II,
10117 ; v. D. Bailleul, Quand le juge ressemble au constituant, D. 2004, p. 3089.
659
; Cons. const. 30 mars 2006, n° 2006-535 DC, Loi pour l’égalité des chances, JCP G 2006 II, 10064, note G.
Drago.
C. Geslot, Normes constitutionnelles et normes de référence du contrôle de la constitutionnalité des lois, JCP G, I,
149, n°18, p. 13.
660
Ibid.

179
processus est lancé et il ne peut que s’amplifier, le droit communautaire a vocation à figurer dans
le bloc de constitutionnalité661.

245. Même si « aucune juridiction ne l’a affirmé de façon explicite… le principe de


concurrence résulte à l’évidence d’autres principes indiscutables et indiscutés, fondateurs de
notre système »662. On peut dire également qu’il y a constitutionnalité par renvoi au droit
communautaire663. C’est le droit communautaire qui a largement tiré les conséquences de la
juridicité du principe de libre et égale concurrence en posant la règle de séparation des fonctions
de réglementation et d’exploitation.

§2. Le principe de séparation des fonctions de réglementation et d’exploitation

246. La jurisprudence communautaire consacre le principe de séparation des fonctions de


réglementation et d’exploitation en se fondant sur la libre et égale concurrence 664. Le concept de
l’économie de marché où la concurrence est libre suppose une égalité des chances entre les
opérateurs de marché665, c’est pourquoi, la Cour de justice des communautés européennes
condamne le conflit d’intérêts. L’idée directrice est qu’ « une entreprise détenant des droits
exclusifs et, par ailleurs, investie de pouvoirs réglementaires et administratifs pouvant être
exercés sur ses concurrents, ne soit pas en mesure d’abuser de sa position dominante »666. Cette
règle s’oppose par exemple à ce qu’ « un Etat membre confère à la société exploitant le réseau
public de télécommunications le pouvoir d’édicter des normes relatives aux appareils
téléphoniques et de vérifier leur respect par les opérateurs économiques, alors qu’elle est la
concurrente de ces opérateurs sur le marché de ces appareils »667.

661
V. CE 8 février 2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine et autres, Rec. Dalloz 2007, n°32, p. 2272. X.
Magnon, La sanction de la primauté de la Constitution sur le droit communautaire par le Conseil d’Etat, RFDA 2007,
p. 578.
662
D. Linotte, Existe-t-il un principe général du droit de la libre concurrence ?, AJDA 2005, p. 1551.
663
A. Roblot-Troizier, Contrôle de constitutionnalité et normes visées par la constitution française, recherches sur la
constitutionnalité par renvoi, Dalloz, Nouvelles bibliothèque de thèse 2005 
664
A. Laget-Annamayer, La régulation des services publics en réseaux, télécommunications et électricité, Bruylant,
2002, p. 61 et s.
665
CJCE 20 mars 1985, République italienne contre Commission des Communautés européennes, Affaire 41/83,
Rec. I, 1985, p. 873.
666
R. Kovar, Droit communautaire et service public : esprit d’orthodoxie ou pensée laïcisée, RTDE juillet/septembre
1996, p. 494.
667
CJCE 21 septembre 1999, Albany International BV, C-67/96

180
247. Dans son Livre vert de 1987 sur l’ouverture à la concurrence du marché des
télécommunications, la Commission a reconnu expressément le principe de séparation des
fonctions de réglementation et d’exploitation668. Dans un arrêt du 19 mars 1991 France c/
Commission dit « Terminaux », le juge communautaire a dégagé un principe de séparation car
« confier à une entreprise qui commercialise des appareils terminaux la tâche de formaliser des
spécifications auxquelles devront répondre les appareils terminaux, de contrôler leur application
et, d’agréer ces appareils, revient à lui conférer le pouvoir de déterminer, à son gré, quels sont les
appareils terminaux susceptibles d’être raccordés au réseau public et à lui octroyer ainsi un
avantage évident sur ses concurrents »669. Dans cette affaire, la Cour a conclu que le maintien
d'une concurrence effective et la garantie de transparence exigent que la formalisation des
spécifications techniques, le contrôle de leur application et l'agrément soient effectués par une
entité indépendante des entreprises publiques ou privées offrant des biens ou des services
concurrents dans le domaine des télécommunications. L’argumentation de la Cour de justice des
communautés européennes s’inscrit dans la politique de condamnation d’une réglementation
créant une confusion des rôles670.

248. Le célèbre arrêt du 13 décembre 1991 de la Cour de justice, Régie des télégraphes et des
téléphones671, précise la solution précédente en reprenant l’idée selon laquelle « les articles 3 (f),
90 et 86 du traité s'opposent à ce qu'un Etat membre confère à la société exploitant le réseau
public de télécommunications le pouvoir d'édicter des normes relatives aux appareils
téléphoniques et de vérifier leur respect par les opérateurs économiques, alors qu' elle est la
concurrente de ces opérateurs sur le marché de ces appareils ». L’article 30 du Traité « s'oppose à
ce qu' une entreprise publique se voie accorder le pouvoir d' agréer les appareils téléphoniques
destinés à être raccordés au réseau public et non fournis par elle, si les décisions de cette
entreprise ne sont pas susceptibles de faire l' objet d' un recours juridictionnel ». Ce raisonnement
a aussi motivé la décision prise par la Cour de Justice à l’occasion de l’arrêt de la Cour du 27

668
COM (87) 290 final, p. 70.
669
Point 51 de l’arrêt du 19 mars 1991 France c/ Commission, C-202/88.CJCE.
670
J.-Y. Chérot, Droit public économique, Economica 2007, p. 157 et s.
671
CJCE 13 décembre 1991, RTT, C-18/88, Rec. I, p. 5941.

181
octobre 1993, M. le Procureur du Roi contre Jean-Marie Lagauche et autres 672 et de l’arrêt de la
Cour du 21 septembre 1999, Albany International BV673 C-67/96.

249. Ce principe communautaire de séparation des fonctions de réglementation et


d’exploitation est largement repris en droit interne du fait des lois de transposition. Il devient
même un principe directeur du droit dans une économie de marché 674. Cette règle ne doit pas être
comprise comme un principe d’indélégabilité des pouvoirs de police économique à des
opérateurs privés car « le maintien d' une concurrence effective et la garantie de transparence
exigent que la formalisation des spécifications techniques, le contrôle de leur application et
l'agrément soient effectués par une entité indépendante des entreprises publiques ou privées
offrant des biens ou des services concurrents »675. C’est le critère fonctionnel qui détermine
l’application du principe de séparation entre les fonctions de réglementation et d’exploitation et
non la nature juridique de l’entité. Ledit principe de séparation doit se comprendre comme un
principe d’impartialité. Il implique que l’autorité de réglementation soit indépendante vis-à-vis du
marché mais aussi vis-à-vis des pouvoirs publics en raison de l’existence d’un actionnariat public
dans l’économie. Cette règle de séparation oblige donc l’Etat à « faire faire » la fonction de
régulation.

§3. L’application de la doctrine du « faire faire » à la fonction de régulation : l’exemple des


télécommunications et de l’énergie

672
Affaires jointes C-46/90 et C-93/91, Rec. I, p. 5267.
673
Aff. C-67/96.
674
Cons. conc., avis n°08-A-10 du 18 juin 2008 relatif à une demande d’avis présentée par la Fédération de la
formation professionnelle.
675
Point 26 de l’arrêt C-18/88 préc. du 13 décembre 1991.

182
250. Le principe de séparation organique des fonctions de réglementation et d’exploitation a
conduit à l’autonomisation de la fonction de régulation 676qui ne se réduit pas au concept de
réglementation. Le terme de régulation vise la conciliation de la concurrence avec un autre
principe que la concurrence677. Plus précisément, la régulation consiste à adapter la règle de droit
« aux circonstances de l’environnement économique, comme une installation de régulation de la
température intérieure doit tenir compte de la température extérieure »678. Les autorités nationales
de régulation sont juridiquement distinctes et fonctionnellement indépendantes de tous les
organismes fournissant des réseaux, équipements ou services et des Etats membres qui
conservent la propriété ou, dans une large mesure, le contrôle des organismes fournissant des
réseaux et/ou services

251. Le domaine des télécommunications a été le secteur précurseur en ce qui concerne le


phénomène de création d’autorité de régulation 679 dont le statut est encadré par le droit
communautaire680. L’Autorité de Régulation des Télécommunications (ART) a été créée par la loi
du 26 juillet 1996 qui a ouvert le marché des télécommunications et elle a été mise en place le 5
janvier 1997. Mais la création d’une autorité indépendante de régulation nationale n’est pas le
propre des télécommunications, elle est inhérente à l’idée même de régulation, c’est « une des
conditions d’une véritable régulation économique »681. On en retrouve dans toutes les industries
nouvellement libéralisées682. L’institutionnalisation d’autorités indépendantes de régulation
repose sur une nouvelle appréhension de l’intervention de l’Etat. L’indépendance
consubstantielle du régulateur dans le domaine économique est devenue un standard
international, la création d’une autorité indépendante de régulation apparaît comme un gage de

676
A. Laget-Annamayer, La régulation des services publics en réseaux, télécommunications et électricité, thèse préc.,
p. 292.
677
V. la définition de M.-A. Frison-Roche, in Le droit de la régulation, D. 2001, p. 610 et s. Sur la logique de la
régulation, v. G. Clamour, Intérêt général et concurrence thèse préc. tome 2, p. 806 et s.
678
C. Lucas de Leyssac, G. Parleani, Droit du marché, Paris, PUF, Thémis, 2002, p. 46.
679
A. Laget-Annamayer, La régulation des services publics en réseaux, télécommunications et électricité, thèse préc.,
p. 302.
680
Ibid., p. 291 et s.
681
H. Dumez et A. Jeunemaître, Montée en puissance passée et impasses actuelles de la régulation économique
européenne des industries de réseau, in M.-A. Frison-Roche (dir.), Règles et pouvoirs dans les systèmes de
régulation, Dalloz 2004, p. 4 et s.
682
Sur les principales autorités indépendantes de marchés, v. J.-Y. Chérot, Droit public économique, op.cit., p. 348.

183
crédibilité internationale même dans l’hypothèse de l’absence d’un actionnariat public dans
l’économie683.

252. L’intégration des autorités indépendantes de régulation dans la catégorie des autorités
administratives indépendantes a été discutée en raison notamment du fait que ces entités ne
bénéficient pas toutes de la personnalité juridique et qu’elles ont été conçues comme des quasi-
juridictions, loin de l’action administrative traditionnelle684. Le Conseil Constitutionnel dans sa
décision du 23 juillet 1996685 a, il est vrai, qualifié l’autorité de régulation des
télécommunications (ART) d’autorité administrative, et celle-ci s’auto-qualifie d’autorité
administrative indépendante (AAI)686, c’est-à-dire un organe spécialisé agissant au nom de l’Etat.
En qualité d’AAI, l’ART est placée en dehors de la hiérarchie administrative, elle ne reçoit ni
ordres, ni instructions : elle exerce les attributions qui lui sont confiées en toute indépendance et
les décisions qu’elle prend dans le cadre de sa compétence sont dotées de force exécutoire 687.
L’autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) a été créée par
la loi relative à la régulation des activités postales 688 qui confie à l’autorité de régulation des
télécommunications (ART) la régulation des activités postales, l’ART est devenue alors
l’ARCEP.

253. L’ARCEP est présentée par la doctrine comme une institution revêtant trois casquettes,
« celle d’un juge, celle d’un expert et celle d’un chien de garde »689 afin de surveiller, contrôler
les prix et sanctionner d’éventuels pratiques anticoncurrentielles des opérateurs agissant sur les
réseaux. Pour ce faire, cette autorité de régulation dispose de quatre types de fonction : des
fonctions normatives, des fonctions quasi normatives, des fonctions de surveillance et enfin des
fonctions contentieuses. Depuis sa création en 1996, le champ d’intervention de cette autorité de
régulation s’est considérablement enrichi, il inclut désormais : l’analyse des marchés, l’attribution

683
V. en ce sens Rapport public du Conseil d’Etat en 2001, EDCE n°52, p. 268.
684
J.-L. Autin, Les autorités de régulation sont-elles des autorités administratives indépendantes ?, in Mélanges en
l’honneur de J.-P. Colson, Environnements. Les mots du droit et les incertitudes de la modernité, PUG, 2004, p. 446;
v. aussi N. Longobardi, AAI et position institutionnelle de l’administration, RFDA 1995, p. 175.
685
Cons. Const. 23 juillet 1996, n° 96-378DC.
686
V. Rapport d’activité de l’ART pour 1997, tome I, p. 24.
687
J. Chevallier, Réflexions sur l’institution des autorités administratives indépendantes, JCP G 1986, I, p. 36 et s.. ;
A. Laget-Annamayer, La régulation des services publics en réseaux, thèse préc., p. 312 et s.
688
JO du 21 mai 2005.
689
H. Maisl, La régulation des télécommunications : changements et perspectives, RFDA 1995, p. 449 et s.

184
et la gestion des ressources rares, le service universel, la régulation tarifaire, le règlement des
litiges et la sanction des comportements anticoncurrentiels.

254. L’article 28 de la loi du 10 février 2000 a créé la Commission de régulation de


l’électricité. C’est la loi du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l’électricité et au
service public de l’énergie690 qui a élargi la compétence de ce régulateur sectoriel en incluant la
régulation du gaz : c’est la commission de régulation de l’énergie (CRE). M. P. Sablière note que
la CRE, malgré l’emploi du mot « commission », est une autorité administrative indépendante à
l’instar de l’ARCEP à la différence que « si son indépendance est garantie par la loi, grâce
notamment à l’inamovibilité de ses membres, elle a des pouvoirs moindres que l’ART dès lors
qu’il s’agit de décider et non plus seulement de formuler des avis voire des propositions »691.

255. Mme. A.Laget-Annamayer, dans sa thèse intitulée « La régulation des services publics en
réseaux »692, retrace l’histoire de la création d’un régulateur dans le secteur de l’énergie en France
et montre qu’ « à la différence du secteur des télécommunications, la maturation de l’idée de
régulation indépendante a été plus longue et progressive »693. La mise en place d’un régulateur
autonome dans le domaine de l’électricité a déjà été abordée dans le dernier contrat de plan
d’entreprise Etat/EDF dans lequel est consacré le principe d’une régulation plus transparente dans
un système ouvert à plusieurs acteurs 694. Pourtant, le ministère de l’industrie en février 1998 a
annoncé sa volonté de continuer de réguler lui-même le marché de l’électricité 695 par
l’intermédiaire d’une direction du ministère de l’industrie distincte de celle chargée de la tutelle
d’EDF. En sens contraire, le Conseil Economique et social dans un avis du 12 mai 1998 a prôné
la création par la loi d’une agence de régulation de l’énergie électrique placée auprès du ministre
responsable mais indépendante par rapport aux autres services en charge du secteur 696. Le rapport
Dumont remis au Premier Ministre, M. L. Jospin, sur la libéralisation du secteur de l’électricité
plaidait en faveur de la mise en place d’une commission indépendante « juge de paix de la
690
JO 4 janvier 2003, p. 265.
691
P. Sablière, Le droit de l’électricité, textes et commentaires, Dalloz 2003, chapitre 91. Sur le rôle important de
l’ARCEP, v. articles L. 36-5 à L. 36-14 du codes des postes et des communications électroniques  ; v. aussi J.-Y.
Chérot, Droit public économique, op. cit., p. 403 et s.
692
A. Laget-Annamayer, La régulation des services publics en réseaux, thèse préc., p. 306 et s.
693
Ibid., p. 306 et s.
694
Contrat d’entreprise Etat/EDF, CJEG 1997, n°534, p. 249.
695
Livre Blanc, février 1998, Vers la future organisation électrique française, DGEMP
696
Avis n°9, séance du 12 mai et 13 mai 1998 au nom de la section des activités productives et techniques.

185
concurrence et du service public », non subordonnée hiérarchiquement aux ministères et
disposant de pouvoirs propres697.

256. L’ARCEP et la CRE entrent dans la catégorie des régulateurs que l’on peut qualifier de
première génération ne disposant pas d’une personnalité juridique distincte de l’Etat698 et non
dans la catégorie des « autorités publiques indépendantes » (API), « régulateurs de seconde
génération », démembrement fonctionnel de l’Etat, dotées de la personnalité juridique et de
l’autonomie financière699. La Conseil d’Etat dans un arrêt du 30 novembre 2007, M. T et autres, a
considéré que l’autorité de contrôle des assurances et des mutuelles doit être rangée dans la
catégorie des AAI tout en rappelant que la loi la qualifie d’API 700 ce qui tend à relativiser la
spécificité de l’API par rapport à l’AAI.

257. En ce qui concerne la Commission de régulation de l'énergie, l'article 117 de la loi de


finances rectificative n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 avait dotée celle-ci de la personnalité
morale701 avant que l'article 103 de la loi n° 2005-781 de la loi du 13 juillet 2005 de programme
fixant les orientations de la politique énergétique ne revienne sur le nouveau statut de la CRE.
Mme Marie-Anne Frison-Roche considère qu'« il n'est pas techniquement acquis qu'il faille cette
personnalité pour que les autorités administratives indépendantes soient effectivement
indépendantes et qu'il n'y a pas d'urgence technique à leur attribuer cette personnalité, mais il peut
697
Rapport du député de J-L. Dumont sur la future organisation électrique française présenté le 2 juillet 1998.
698
M. Degoffe, Les autorités publiques indépendantes, AJDA 2008, p. 622 et s.
699
D. Linotte et G. Simonin, L’autorité des marchés financiers, prototype de la réforme de l’Etat ?, AJDA 2004, p.
143. Sur la thèse d’un rapprochement de l’API et de l’AAI, v. N. Decoopman, « La nouvelle architecture des
autorités financières, le volet institutionnel de la loi de sécurité financière », JCP éd G., n° 42, I, 169, 2003, p. 1817,
spéc. p. 1821.
700
M. Degoffe, Les autorités publiques indépendantes, AJDA 2008, p. 623.
701
Amendements n° 142 et 143 déposés par le sénateur Philippe Marini, au nom de la Commission des Finances
(compte rendu intégral, séance du 20 décembre 2004). L’amendement n° 142, modifiant le cinquième alinéa de
l'article 30 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service
public de l'électricité, visait à doter la CRE de la personnalité morale et de l’autonomie financière. L’amendement n°
143 précisait, quant à lui, les modalités du détachement budgétaire du régulateur énergétique à travers l’instauration
d’une contribution spéciale assise sur la consommation finale d'électricité ou de gaz perçue auprès des gestionnaires
des réseaux publics de transport ou de distribution de ces énergies ; v. M. Lombard, Brèves remarques sur la
personnalité morale des institutions de régulation, CJEG 2005, p. 127 et s. M.-A. Frison-Roche, Étude dressant un
bilan des autorités administratives indépendantes, in Rapport n° 3166 (AN) et n° 404 (S.) de l’Office parlementaire
d’évaluation de la législation sur les autorités administratives indépendantes, présenté par Philippe Gélard, 15 juin
2006, Tome II – annexes ; document disponible en ligne sur .le site de l’Assemblée Nationale :
http://www.assemblee-nationale.fr/12/pdf/rap-off/i3166-tii.pdf; v. aussi du même auteur,, Les nouveaux champs de
la régulation », in La régulation – Nouveaux modes ? Nouveaux territoires ?, Colloque ENA, 29 janvier 2004, Revue
française d’administration publique, n° 109, 2004, p. 53, spéc. p. 61 et 62. ; v. enfin, J. Chevallier, Réflexions sur
l’institution des autorités administratives indépendantes, JCP G 1986, I, p. 36 et s.

186
y avoir urgence symbolique si le législateur veut expliciter sa volonté politique de soutenir
l'indépendance la plus grande possible des AAI »702.

258. Le maintien d’autorités administratives ou publiques indépendantes en qualité d’autorité


de régulation peut-être perçu comme « une anomalie constitutionnelle » dans la mesure où peu
importe le statut, le régulateur est capturé in fine par les pouvoirs publics703. C’est pourquoi, dans
le domaine des services publics en réseaux fraîchement libéralisés, « la régulation ne
s’accompagne pas forcément d’une réduction de l’intervention publique ; elle se caractérise
plutôt par l’apparition de nouvelles formes d’intervention »704 puisque comme le souligne M. S.
Rodrigues, que faut-il entendre par indépendance de l’autorité de régulation « lorsque l’Etat est
considéré comme unitaire, quelles que soient les modalités d’expression de ses fonction ? »705

Conclusion du Chapitre 2
702
M.-A. Frison-Roche, Étude dressant un bilan des autorités administratives indépendantes, in Rapport n° 3166
(AN) et n° 404 (S.) de l’Office parlementaire d’évaluation de la législation sur les autorités administratives
indépendantes, présenté par Philippe Gélard, 15 juin 2006, Tome II – annexes ; document disponible en ligne sur .le
site de l’Assemblée Nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/12/pdf/rap-off/i3166-tii.pdf).
703
C. Isidoro, L’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence communautaire et sa mise en œuvre
(Allemagne, France, Italie et Royaume-Uni), LGDJ 2006, p. 479.
704
L. Richer, L’Etat et l’entreprise, colloque de l’IFSA, LPA 8 nov. 2000, n°223, p. 29.
705
S. Rodrigues, Service public et service d’intérêt économique général dans la communauté européenne. Eléments
de droit comparé et analyse communautaire, thèse Paris I, 1999, p. 391. V. aussi J. Chevallier, L’Etat post-moderne,
LGDJ 2e éd., p. 58 et 75.

187
259. Ici et là dans le bloc de constitutionnalité, il est possible de trouver un fondement textuel
de l’interdiction de déléguer une tâche sans qu’on puisse dégager un principe général
d’indélégabilité des services publics constitutionnels. Malgré cela, les juges français essayent
d’entretenir une catégorie de service public indélégable aux fondements trop incertains. L’idée en
filigrane est que laisser des personnes privées prendre en charge certains services publics
reviendrait à admettre que l’Etat n’est pas en mesure de satisfaire à ses fonctions les plus
essentielles. M. J. Freund considère que la renonciation par l’Etat de son monopole de contrainte
serait l’acte ultime d’un Etat agonisant, « il s’agit donc là d’une question si considérable que le
pouvoir politique a sans cesse et depuis toujours fait tous les efforts pour en être le seul
dépositaire légitime »706. Ce dernier en y renonçant serait donc appelé à disparaître707. Cela
rappelle la rhétorique employée par les prosélytes de l’étatisme industriel au 19 e siècle. Ces
derniers dénonçaient le procédé de la gestion déléguée pour le service des chemins de fer par
crainte d’une montée en puissance des pouvoirs privés économiques risquant d’aboutir à terme à
l’émergence de contre-pouvoirs capables de contester la souveraineté de l’Etat. Même si la
question de l’Etat protecteur « tend à être perçue comme étant de plus en plus centrale » 708, il est
impossible de justifier d’un point de vue juridique l’effectivité du principe d’indélégabilité de
certaines tâches. Dire, comme le fait M. A. Sériaux, que le droit à la sécurité est inaliénable dans
le pacte définitif qui institue la République 709 ne va pas dans le sens de l’indélégabilité. La
délégation de service public n’a jamais signifié aliénation ou renonciation.

Conclusion du Titre 2

706
J. Freund, L’essence du politique », Sirey 1986, p. 143.
707
C Blumann, La renonciation en droit administratif français, LGDJ 1974, p. 242 ; v. aussi J. Delvolvé, Les
délégations de matières en droit public, thèse Toulouse 1930, Sirey, p. 158 et s.
708
P. Rosanvallon, La crise de l’Etat Providence, Paris Seuil 1981, p. 37-38 ; v. aussi A. Chazareix, L’Etat et le
secteur privé de la sécurité : vers une mise en cause du monopole de la fonction régalienne de sécurité ?, thèse Nice
2002, p. 59 et s.
709
A. Sériaux, Le droit naturel, Que sais-je ?, PUF 1993, p. 99.

188
260. Certains services publics seraient, par leur nature, non susceptibles d’être exécutés par des
personnes privées. Cette solution dégagée par la jurisprudence française ne repose pas sur des
textes de droit mais elle se fonde sur une intuition « quasi métaphysique » du juge par laquelle
lui aurait été dévoilé le caractère non délégable de plusieurs activités d’intérêt général. L’analyse
du texte constitutionnel offre quelques éléments de réponse pouvant expliquer le principe
d’indélégabilité de certaines matières, mais il est faux de vouloir identifier un principe général
d’indélégabilité des services publics constitutionnels. Pas plus que les autres services publics, les
fonctions de souveraineté ne présentent les traits d’une matière indélégable. D’ailleurs,
s’interroger sur la théorie de l’indélégabilité de certains services publics c’est remarquer
l’existence de tempéraments710. Ce principe d’inconcessibilité a toujours été très relatif. Le
phénomène nouveau est que la montée en puissance de la sphère privée dans le périmètre des
activités indélégables, si elle est un élément prophétisant une mutation profonde du droit français
de l’organisation des missions d’intérêt général, annonce surtout l’émergence d’un nouveau bien
économique : la sécurité. La conception « gendarmiste » du rôle de l’Etat, chère aux libéraux
classiques, ne contente plus les partisans modernes de l’économie de marché qui voient dans
chaque prestation fournie au citoyen un marché potentiel pour les entreprises privées. Le
lobbying exercé par les pouvoirs économiques privés pour accroître le champ du « faire faire »
est encouragé par le sentiment d’impuissance des pouvoirs publics pour réaliser directement
certaines tâches d’utilité publique.

Conclusion de la Partie 1

261. Le droit positif de l’organisation des missions d’intérêt général est un corps de règles qui
s’est construit tout au long de la formation de l’Etat moderne. Il s’articule autour d’un principe de
710
Certains organismes privés tels que les SAFER (société d'aménagement foncier et d'établissement rural) sont
investis d’une mission de police administrative

189
liberté et d’un principe d’indélégabilité. Toutefois, certains éléments comme la valorisation des
impératifs concurrentiels et de bonne gestion des deniers publics laissent présager une évolution
inéluctable du droit de l’organisation des missions d’intérêt général tant les signes annonciateurs
sont nombreux. La prégnance de la stratégie du « faire faire » agit comme une métastase qui
contamine aussi la théorie dogmatique des services publics réputés indélégables ce qui confirme
les propos de M. J.-B. Auby selon lequel « la prise en compte des réalités économiques ne
menace pas notre droit administratif ; elle contribue à sa régénération »711.

PARTIE 2 : LA PREGNANCE DE LA DOCTRINE DU « FAIRE FAIRE »


DANS LE DROIT EN DEVENIR DE L’ORGANISATION DES MISSIONS
D’INTERET GENRAL

262. Le droit français de l’organisation des missions d’intérêt général s’articule autour d’un
principe de liberté de choisir le mode de gestion et d’un principe d’interdiction de déléguer
711
J.-B. Auby, Anciennes et nouvelles incitations à la vérité des prix des services publics, DA 2004, Repères, n°1.

190
certaines matières. Or, ce couple semble être en crise sous le double effet de la promotion de la
contrainte gestionnaire et de l’impératif concurrentiel. Le principe de liberté se transformerait en
liberté surveillée quant au principe d’interdiction de déléguer face « aux recompositions des
concepts de sécurité et d’ordre public »712 et à la prolifération des contraintes d’ordre financier, il
se muterait aussi en obligation de déléguer. Nos contradicteurs pourront, d’une part, souligner
que le succès du recours à la sphère privée pour réaliser des missions d’intérêt général n’est que
la concrétisation du principe de libre organisation. Cependant, les indices annonciateurs d’un
changement de paradigme sont trop nombreux pour ne pas déprécier la valeur du principe et la
prégnance de la doctrine du « faire faire » touche par effet d’entraînement la catégorie des
services publics indélégables (Titre 1).

D’autre part, nos contradicteurs ne manqueront pas de noter que le droit communautaire,
loin d’imposer un mode de gestion des missions d’intérêt public, consacre le principe de liberté
d’organisation des services d’intérêt général. Mais cette observation paraît devoir s’effacer
devant le constat de la décadence du principe de liberté de gestion des services publics au nom du
respect du droit de et à la concurrence. L’encadrement du droit de l’organisation des services
publics en réseaux est symptomatique d’un changement effectif de ce droit. Les secteurs des
télécommunications et de l’énergie ont été choisis comme exemples privilégiés (Titre 2).

TITRE 1 : LA MUTATION RAMPANTE DU DROIT POSITIF DE


L’ORGANISATION DES MISSIONS D’INTERET GENERAL

263. La valorisation en droit positif du critère de l’efficience et de l’efficacité économiques


tend à relativiser l’absolutisme du principe de liberté d’organisation des missions incombant aux
personnes publiques. La montée en puissance du principe de bon emploi des deniers publics, qui
devient un principe cardinal de notre droit dans un contexte de crise des finances publiques, est
712
F. Nicoud, La participation des personnes privées à la sécurité publique, RDP 2006, p. 1273.

191
un élément susceptible d’obliger les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices à se
recentrer uniquement sur les tâches pour lesquelles la réalisation par le marché n’est pas
satisfaisante713 (Chapitre 1).

Dorénavant, la question de l’arbitrage entre le faire et le « faire faire » intéresse aussi des
matières qui jusque-là échappaient à cette problématique. En effet, la loi et la jurisprudence
valident de plus en plus fréquemment la collaboration public/privé pour des tâches gravitant dans
la sphère des missions de souveraineté. Nous pensons que l’emploi du label « privatisation des
missions de souveraineté » pour décrire ce phénomène est terriblement réducteur. Cette
expression ne rend pas compte de la réalité juridique car la coopération public/privé porte sur
certains segments délégables ou distincts des activités régaliennes mais à trop vouloir effeuiller
les fonctions de souveraineté, on se rapproche dangereusement du noyau dur. L’effritement
progressif du principe d’indélégabilité est facilité par l’aspect dogmatique et hiératique de cette
règle. La participation accrue des personnes privées à l’ensemble des tâches administratives
résulte d’une situation d’impuissance publique. L’Etat et plus largement les collectivités
publiques ne pourraient plus faire face à la multiplication des attentes des citoyens dans un climat
de prolifération des contraintes et notamment des contraintes d’ordre financier (Chapitre 2).

CHAPITRE 1 : LA LIMITE POTENTIELLE AU PRINCPE DE LIBERTE : LA


VALORISATION DE LA RATIONNALITE GESTIONNAIRE DANS LE CHOIX
PUBLIC

264. Il n’était guère de bon ton de vouloir intégrer l’intérêt financier dans le concept d’intérêt
général en droit administratif. Toutefois, il faut reconnaître que les préoccupations gestionnaires
n’ont jamais été totalement exclues de la pensée juridique. La ligne jurisprudentielle du Conseil
d’Etat de la fin du 19e siècle exprimant l’hostilité de la gestion en régie directe des services
publics industriels et commerciaux reposait déjà sur la crainte de la dérive des finances publiques
713
O. E. Williamson, « Comparative Economic Organization », Administrative Science Quarterly,1991, n° 36;
Coase, « Coase on Posner on Coase and Concluding Comment », Journal of Institutional and Theoretical Economics;
149(1), March 1993, pages 360-61. V. aussi, J. Barthélémy, L’Outsourcing : analyse de la forme organisationnelle et
des ressources spécifiques externalisées, test d’un modèle issu de la théorie des coûts de transaction et de l’approche
par les compétences, thèse en sciences de gestion, HEC, 2000 ; Klein, Crawford & Alchian [1978], « Vertical
integration, appropriable quasi-rents and the competitive contracting process », Journal of Law and Economics,
Vol/n˚ 21, 10/78, pp. 297-326.P. Joffre, La théorie des coûts de transaction, Regard et analyse du management
stratégique, éd. Vuibert 2001, p. 2.

192
locales. M. le Professeur Guglielmi sur la base d’ouvrages de droit administratif publiés de la
Révolution française jusqu’à 1850 montre qu’ « il est possible de repérer les prémices d’une
contrainte gestionnaire et parfois d’un objectif de gestion » mais il poursuit en soulignant que
« cette approche est loin d’atteindre le niveau d’une théorisation »714. Le droit positif offre des
éléments annonçant un bouleversement du droit de l’organisation des missions d’intérêt général
justement en raison de ce mouvement pérenne tendant à la promotion croissante de l’objectif de
bonne gestion des deniers publics. L’impératif financier viendrait théoriquement limiter le choix
public portant sur la détermination des modalités de réalisation d’une activité publique (Section
1). Cependant, force est de constater que la consécration au plus haut rang dans la pyramide des
normes du concept de bon emploi des deniers publics n’emporte pour l’instant que des
conséquences mineures. La méthode d’évaluation préalable reste une pratique réservée à certains
contrats. L'Ecole du Public Choice, qui préconise un ensemble de mesures, telles que l'évaluation
systématique des coûts/bénéfices de toute intervention publique715, s’implante difficilement en
France (Section 2). La banalisation de l’analyse comparative est une étape difficile à franchir car
le pendant de toute rationalisation du choix public est l’immixtion des juges dans la décision
politique (Section 3).

Section 1. La promotion du concept de « bon emploi des deniers publics » en


droit positif

L’objectif de bonne utilisation des deniers publics est en germe dans plusieurs décisions
du juge administratif (§1). Cette promotion de la rationalité gestionnaire passe par la légalisation
de la notion de bon emploi des crédits (§2) et surtout par la constitutionnalisation de l’exigence
de bonne gestion des deniers publics (§3). L’introduction du calcul économique dans le calcul
politique ne signifie pas automatiquement une obligation de « faire faire » tant l’intérêt
économique de cette pratique reste encore à démontrer (§4).

714
G. J. Guglielmi, L’émergence d’une rationalité gestionnaire dans les théories du droit administratif au début du
XIXème siècle, in http://www.guglielmi.fr/IMG/pdf/RATIO-GEST.pdf.
715
D. Carry Muller, Analyses des décisions publiques, Paris, Economica 1982.

193
§1. La prise en compte de l’intérêt financier dans le choix public par la jurisprudence
administrative

265. L’arrêt Unipain du Conseil d’Etat en date du 29 avril 1970 pose la solution suivante : « le
principe de la liberté du commerce et de l’industrie ne fait pas obstacle à ce que l’Etat satisfasse,
par ses propres moyens, aux besoins de ses services, l’extension des fournitures de pain par la
boulangerie militaire à des établissements pénitentiaires, motivée par des raisons d’économie, est
conforme à l’intérêt général ». Ainsi, la boulangerie militaire de Lille relevant du service de
l’intendance militaire (ministère de la Défense) a pu étendre ses fournitures de pain à divers
établissements pénitentiaires (ministère de la Justice) sans répondre à un appel public à la
concurrence, c’est une application anticipée de l’exclusion « in house ». Les commentateurs ont
pour habitude de reprendre uniquement le premier membre du considérant aux termes duquel « le
principe de la liberté du commerce et de l’industrie ne fait pas obstacle à ce que l’Etat satisfasse
par ses propres moyens aux besoins de ses services »716.

Il résulte du considérant pris dans sa totalité que ce qui justifie l’extension des fournitures
de pain par la boulangerie militaire à des établissements pénitentiaires est aussi le gain financier
opéré par l’administration d’Etat. Le commissaire du gouvernement G. Braibant a affirmé que par
l’arrêt Unipain, le Conseil d’Etat entend largement l’intérêt général puisque le juge administratif
y inclut l’intérêt financier de la collectivité publique717. Cette décision de la haute assemblée
administrative s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel conciliant intérêt général et recherche
de la rentabilité718. L’intérêt financier serait une sorte d’ « intérêt général périphérique »719. M. le
Professeur D. Truchet note que « le temps n’est plus où l’on pouvait affirmer que l’intérêt
financier n’était pas l’intérêt général »720 alors que l’intérêt financier et l’intérêt général ont
longtemps été perçus comme des intérêts antagonistes 721. L’arrêt Unipain confirme le processus
d’intégration de l’intérêt financier à l’intérêt général amorcé dans les arrêts Planche de 1933 722 et
716
N. Charbit, Le droit de la concurrence et le secteur public, L’Harmattan 2002, p. 296.
717
G. Braibant, Concl. sur CE 29 avril 1970, Société Unipain, AJDA 1970, p. 430.
718
S. Bernard, La recherche de la rentabilité des activités publiques et le droit administratif, LGDJ 2001, T. 218, p.
310 et s.
719
D. Truchet, Les fonctions de la notion d’intérêt général dans la jurisprudence du Conseil d’Etat, thèse préc., p.
295. C. Teitgen-Colly, La légalité de l’intérêt financier dans l’action administrative, Paris, Economica 1981.
720
Ibid., p. 300 ; v. aussi D. Truchet, l’intérêt général dans la jurisprudence du Conseil d’Etat :retour aux sources et
équilibres, EDCE n°50, p. 361.
721
R. Alibert jugeait que « l’intérêt public n’est pas l’intérêt financier », in S. 1933.III.86.
722
CE 23 juin 1933, Planche, Rec., p. 682.

194
Dame Berthod de 1954723. L’efficacité économique de l’action administrative rejoint « clairement
l’intérêt général dans une véritable stratégie des pouvoirs publics »724. Toutefois, cela ne signifie
nullement que l’intérêt financier constitue en soi un but exclusif, unique de l’action
administrative.

266. M. S. Bernard, dans sa thèse portant sur la recherche de la rentabilité des activités
725,
publiques et le droit administratif souligne que si le but financier ne peut pas constituer le
fondement essentiel des activités des personnes publiques en ce sens que par exemple une
collectivité locale ne peut faire usage de ses pouvoirs de police pour satisfaire son intérêt
financier726 et que l’intérêt financier d’une collectivité publique ne peut à lui seul justifier la
création d’un service public, il n’en demeure pas moins vrai que la rentabilité, c’est-à-dire la
recherche du meilleur coût par rapport aux finalités que l’administration s’est assignée, est un
objectif croissant dans la modernisation du service public 727. Comme le note M. Delion, « les
services publics ne sont pas des services gérés sans considération de coût, ce sont des services où
le coût n’est pas la seule considération »728. Il est donc possible de défendre la thèse selon laquelle
la légitimité de l’action administrative repose aussi sur le principe d’une bonne gestion des
deniers publics ce qui réclame la maîtrise du coût financier. La rencontre de l’efficience
économique et du droit administratif se retrouve dans les rapports de MM. Le Floch-Prigent 729,
De Closets730, Blanc731, Minc732, Picq733.

723
CE 4 juin 1954, Dame Berthod, Rec., p. 335.
724
G. Clamour, Intérêt général et concurrence, thèse préc., P. 796.
725
S. Bernard, La recherche de la rentabilité des activités publiques et le droit administratif, LGDJ 2001, T. 218, p.
26.
726
CE 24 janvier 1960, Puitg, Rec., p. 100.
727
Cf. en ce sens circulaire du 23 février 1989, JO 24 février 1989, p. 257.
728
A. Delion, Administration et management, BIIAP 1969, n°9,p. 54 et s.
729
L. Le Floch-Prigent, La modernisation de l’administration. Rapport présenté au nom du CES, JO Avis et rapports
du CES, 22 mai 1989, p. 49
730
F. De Closets, Le pari de la responsabilité. Rapport de la commission « Efficacité de l’Etat », Paris, La
Documentation française, 1989, p. 216.
731
C. Blanc, Pour un Etat garant de l’intérêt général. Rapport pour la préparation du XI° Plan, Paris, La
Documentation française, 1993, p. 208.
732
A. Minc, Rapport au Premier Ministre. La France de l’an 2000, Paris, La Documentation française et Odile Jacob,
1994, p. 320.
733
J. Picq, L’Etat en France. Servir une nation ouverte sur le Monde. Rapport au Premier Ministre, Paris, La
Documentation française, 1995, p. 218.

195
L’arrêt Unipain annonce une évolution du droit de l’organisation des missions d’intérêt
général par souci de bonne gestion des deniers publics. Près de quarante ans après cet arrêt, cette
question est posée: le recours à des fournisseurs privés s’il permet d’obtenir une meilleure
efficience (rapport moyens/résultats) et efficacité (rapport objectifs/résultats) de l’action
administrative, et donc d’améliorer l’état des finances publiques 734 en réduisant les coûts, est-il
obligatoire au nom de l’intérêt financier ?

§2. La légalisation de la notion de bon emploi des crédits

267. Nous avons montré dans la première partie qu’aussi bien dans le domaine de la délégation
de service public que dans le domaine des marchés publics, le juge administratif se refuse à
contrôler l’opportunité de l’arbitrage fait par l’administration en ce qui concerne les modes de
gestion. Toutefois, le marché public et la convention de délégation de service public sont des
modalités spécifiques de la dépense publique. Par conséquent, il est légitime de se demander si ce
contrôle de l’opportunité du choix public ne relève pas des juridictions financières sur la base du
contrôle de gestion.

734
La France est un Etat en situation de faillite sur le plan financier qui depuis 15 ans est en déficit chronique,et qui
n'a jamais voté un budget en équilibre depuis 25 ans. L’explosion de la dette financière résulte en effet, de la
succession ininterrompue de déficits publics ce qui oblige les administrations publiques à emprunter du fait de la
permanence du déséquilibre entre les dépenses et les recettes. Ce constat est largement contesté par certains
économistes et notamment Mathieu Plane, économiste à l'OFCE, qui souligne que «la dette publique française est
notée AAA par les agences de notation, la meilleure note qui soit en termes de qualité de dette, la France fait donc
partie des meilleurs élèves de la classe mondiale quant à la gestion de ses finances publiques, cela veut dire aussi que
l'Etat français ne risque pas de faire défaut au remboursement de sa dette, ce qui explique par ailleurs la faiblesse des
taux d'intérêt sur les obligations publiques (inférieurs à 4 % en moyenne depuis début 2005), considérées comme un
placement sans risques. Si elle a augmenté de plus de 7 points ces cinq dernières années, il n'en reste pas moins qu'en
termes de niveau de dette, elle ne se distingue pas des autres grands pays ».Il poursuit sa réflexion en relevant que
« la dette au sens de Maastricht est une mesure brute qui ne prend pas en compte les actifs détenus par les
administrations publiques, or ces dernières possèdent des actifs financiers mais surtout des actifs physiques, si on
comptabilise l'ensemble des actifs, c'est-à-dire aussi les actifs physiques, les administrations publiques ne présentent
plus une dette, mais une richesse nette (37,8 % du PIB en 2006). Celle-ci a d'ailleurs augmenté de plus de 22 points
de PIB entre 1995 et 2006, ce qui veut dire que les administrations publiques se sont enrichies sur cette période,
notamment en raison de la forte valorisation des terrains détenus par l'Etat (+ 200 % en dix ans) ». Cependant cet
économiste conclut que « la gestion des finances publiques doit être rigoureuse, (mais) rien n'indique donc que l'Etat
français soit en situation de faillite »,v. Mathieu Plane, économisteàl'OFCE,inhttp://www.alternatives-
economiques.fr/pourquoi lafrancedeprime_fr_pub_669.html#34813; v. aussi, G. Duval, La France est-elle proche de
la faillite, in Alternatives économiques, hors-série février 2008.

196
268. En vertu de l’article L. 111-3 du code des juridictions financières, la Cour des comptes a
notamment pour mission de vérifier sur pièces la régularité des recettes et des dépenses décrites
dans les comptabilités publiques et de s'assurer du bon emploi des crédits, fonds et valeurs gérés
par les services de l'Etat et par les autres personnes morales de droit public735. Cet objectif de
veiller au bon emploi des crédits a été introduit par la loi n°67-483 du 22 juin 1967 relative à la
Cour des comptes. Ainsi, la Cour effectue un contrôle sur la qualité et la régularité de la gestion,
sur l’efficience et sur l’efficacité des actions menées au regard des objectifs fixés par les pouvoirs
publics ou par l’organisme concerné. Ce contrôle conduit théoriquement à confronter les
différents modes de réalisation des activités d’intérêt général. Cette mission de la haute
juridiction financière s’apparente aux méthodes d’audit de la performance, c’est-à-dire de la
vérification des résultats, et d’évaluation des politiques. La Cour n’énonce pas seulement des
critiques, elle présente aussi des recommandations et fait connaître ses conclusions en s’adressant
au ministère et/ou à l’institution contrôlés. Ces « communications administratives » revêtent
plusieurs formes : référés du Premier président aux ministres, lettres du président de chambre,
rapports dits «particuliers» sur les entreprises publiques, communications du Procureur général.

En juin 2008, la Cour des comptes a publié un rapport sur la situation et les perspectives
des finances publiques, établi en application de l’article 58-3° de la loi organique relative aux lois
de finances (LOLF), qui fait la place belle à la doctrine du « faire faire » en précisant que « la
révision générale des politiques publiques (RGPP) n’a pas seulement pour objet d’améliorer la
gestion des politiques et services publics mais aussi de se prononcer sur leur légitimité à travers
un examen des besoins à satisfaire, des objectifs visés, des moyens nécessaires et du meilleur
partage des tâches entre public et privé. Elle doit pouvoir déboucher sur la suppression
d’interventions ou de services publics, ou encore leur externalisation »736.

269. Au niveau des collectivités territoriales, ce sont les chambres régionales des comptes qui
sont les juges financiers. Elles exercent trois types de missions : le contrôle budgétaire, le
735
S. Moati et J.-Y. Bertucci, La Cour des comptes "ouvrez et voyez" - Paris : découvertes Gallimard, 2007 ; C.
Descheemaeker, La Cour des comptes, 3e éd. - Paris : Documentation française, 2005.
736
V. Rapport Cour des comptes préc., p. 78.

197
contrôle juridictionnel des comptes des comptables publics et l’examen de gestion737. La
procédure susceptible de pouvoir encadrer et conditionner le choix public est à notre sens
l’examen de gestion. L’activité juridictionnelle du juge financier porte sur les comptables publics
ne sont pas à l’origine de la décision fixant les modalités de réalisation des missions d’intérêt
général738. Selon l’article L. 211-8 du CJF tel qu’il a été modifié par la loi du n°2001-1248 du 21
décembre 2001, « l'examen de la gestion porte sur la régularité des actes de gestion, sur
l'économie des moyens mis en oeuvre et sur l'évaluation des résultats atteints par rapport aux
objectifs fixés par l'assemblée délibérante ou par l'organe délibérant. L'opportunité de ces
objectifs ne peut faire l'objet d'observations »739. L’examen de gestion effectué par les Chambres
régionales des comptes s’effectue à partir des comptes administratifs des collectivités
territoriales. Il permet aux chambres d’adresser aux collectivités des observations sur leur
gestion. Cette procédure est directement calquée sur les dispositions de la loi du 22 juin 1967
concernant la Cour des comptes. Dans le cadre de la mise en œuvre de cette mission, les
chambres peuvent, après avoir respecté le principe du contradictoire, arrêter des observations qui
seront adressées au chef de l’exécutif local, puis communiquées par ce dernier à l’assemblée
délibérante concernée.

270. Cette loi est un acte important dans le processus de consécration juridique du concept de
bon emploi des deniers publics dans la mesure où elle donne une nouvelle définition de l’examen
de gestion. S’il est vrai que cette disposition borne le champ d’intervention de cette procédure,
elle s’arrête à l’opportunité des objectifs fixés par l’assemblée délibérante locale au nom du
principe de libre administration des collectivités territoriales. L’expression de « l’économie des
moyens » ouvre la voie à la remise en cause de l’absolutisme du principe de liberté
d’organisation des activités publiques. M. B. Betsch définit l’économie des moyens comme la
vérification du bon emploi d’une chose. Ainsi, il estime qu’indirectement, le législateur a
réintroduit en 2001 le concept de bon emploi des crédits que les chambres se devaient de vérifier

737
Pour une approche globale de la question, v. E. Douat, Le contrôle des marchés publics par le juge financier, in Le
nouveau droit des marchés publics, L’Hermès 2004, p. 117 et s.
738
En raison du principe de séparation des fonctions d’ordonnateur et de comptable en droit budgétaire.
739
V. B. Levallois, Quel contrôle externe pour les collectivités locales ?, RFFP n° 85, fév. 2004, p. 244.

198
jusqu’à la modification législative du 5 janvier 1988 740 utilisant alors le terme « d’emploi
régulier ».

271. La doctrine distingue au sein de l’examen de gestion, le contrôle de régularité des actes et
le contrôle de la qualité de la gestion. La première modalité de l’examen de gestion ne soulève
pas de grandes difficultés, par contre le seconde type d’examen est d’application délicate car il
brasse ce que les anglo-saxons nomment les « trois E » : « economy » (économie), « efficiency »
(efficience), « effectiveness » (efficacité)741. M. le Professeur E. Douat relève que faire preuve
d’économie, c’est vérifier que « les ordonnateurs ont effectivement choisi les titulaires des
marchés en fonction du niveau des coûts », faire preuve d’efficience, c’est rendre maximum les
résultats compte tenu des ressources disponibles (rapport moyens/résultats), faire preuve
d’efficacité, c’est atteindre les objectifs fixés (rapport objectifs/ résultats) 742. Cet examen de
gestion se fondant sur l’objectif de bon emploi des crédits est donc susceptible d’orienter le choix
public en fonction du critère de l’efficience et de l’efficacité économiques. Cela pourrait avoir
pour conséquence de conditionner l’arbitrage entre le faire et le « faire faire » au résultat d’une
évaluation préalable permettant de déterminer le mode gestion bénéficiant du meilleur rapport
moyens/objectifs/résultats743. Sur le principe, le droit tend à obliger les personnes publiques à
déterminer les modalités d’accomplissement des missions d’intérêt général au regard de la
performance du marché grâce au contrôle externe de la gestion de l’Etat et des collectivités
territoriales assuré par la Cour des comptes et par la chambre régionale des comptes.

§3. La constitutionnalisation de l’exigence de bonne gestion des deniers publics

272. En 1977, M. le professeur D. Truchet posait ironiquement la question suivante : « Qui


nierait aujourd’hui le poids que doivent avoir les données économiques dans l’action
administrative ? »744. Le calcul politique ne peut plus être dissocié de tout calcul économique. En
740
B. Betsch, Collectivités locales et chambres régionales des comptes, Tome 1, Analyse de la réglementation, MB
Edition, Collection Pratique du droit, p. 92 ; v. aussi J-B. Auby, Les chambres régionales des comptes et la gestion
locale, DA avril 1997, p. 3.
741
B. Betsch, Collectivités locales et chambres régionales des comptes, op.cit., p. 91 et s.
742
La référence à la règle des trois E est reprise régulièrement par le comité d’enquête sur les coûts et le rendement
des services publics, v. Rapport d’ensemble 1999-2001, La Documentation française, p. 6 et s.
743
V. aussi J.-P. Duprat, Les nouveaux enjeux du contrôle exercé par la Cour des comptes, RFFP n° 77 mars 2002, p.
69 et s.
744
D. Truchet, Les fonctions de la notion d’intérêt général dans la jurisprudence du Conseil d’Etat, Paris, LGDJ,
« Bibliothèque de droit public, t. 125, 1977, p. 259.

199
droit des finances publiques, la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) n°2001-692 du
1er août 2001 est à la fois « une réforme budgétaire et une réforme d’ensemble de la gestion
publique orientée vers la recherche de performance »745. Sur le plan formel, la LOLF n’est pas
une norme de rang constitutionnel, mais les modifications substantielles qu’elle apporte au droit
des finances publiques de l’Etat et des collectivités territoriales (que ce soit par réel engouement,
effet de mode ou par simple effet d’entraînement) justifient l’emploi de l’expression de
« constitution financière »746.

Le concept de bon emploi des deniers publics n’est pas expressément formulé dans la
LOLF, cependant il sous-tend l’ensemble du texte notamment en introduisant une culture de
gestion et la notion de responsabilité par souci d’assainissement des finances publiques 747.
Désormais « pour chaque politique de l’Etat, sont identifiés un programme et un responsable en
vertu du principe : un périmètre, un budget, un responsable »748. L’adaptation des outils
comptables et budgétaires ne peut être qu’un volet d’une réforme relative à la rationalisation et à
l’objectivation du choix public au nom de la valorisation de l’intérêt financier, il faut encore que
l’impératif de bonne gestion des deniers publics irradie l’ensemble du droit positif par une
consécration au plus haut rang dans la hiérarchie des normes.

273. Le Conseil Constitutionnel s’est engagé dans cette voie dans sa décision n°2003-473 DC à
propos de la constitutionnalité de l’article 6 de la loi habilitant le gouvernement à simplifier le
droit Le juge constitutionnel considère qu' « aucune règle ni aucun principe de valeur
constitutionnelle n'impose de confier à des personnes distinctes la conception, la réalisation, la
transformation, l'exploitation et le financement d'équipements publics, ou la gestion et le
financement de services ; qu'aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle n'interdit non
plus qu'en cas d'allotissement, les offres portant simultanément sur plusieurs lots fassent l'objet
d'un jugement commun en vue de déterminer l'offre la plus satisfaisante du point de vue de son
745
D. Canépa, La mise en œuvre de la LOLF. Point de vue sur la nouvelle gestion de l’Etat, RFFP n°95, septembre
2006, p. 221.
746
Expression fréquemment employée, v. A. Lambert, Renouveler notre approche des finances publiques, in
Réforme des finances publiques, démocratie et bonne gouvernance, (dir. M. Bouvier), LGDJ 2004, p. 386. En
revanche, M. F. Quérol récuse cette expression au nom de la théorie de la hiérarchie des normes, v. Faut-il modifier
la « nouvelle constitution financière »pour contribuer à l’assainissement des finances publiques ?, in RDP 2006, p.
1394.
747
D. Canépa, La mise en œuvre de la LOLF. Point de vue sur la nouvelle gestion de l’Etat, chron. préc., 221.
748
Ibid., p. 222.

200
équilibre global ; que le recours au crédit-bail ou à l'option d'achat anticipé pour préfinancer un
ouvrage public ne se heurte, dans son principe, à aucun impératif constitutionnel ; que, toutefois,
la généralisation de telles dérogations au droit commun de la commande publique ou de la
domanialité publique serait susceptible de priver de garanties légales les exigences
constitutionnelles inhérentes à l'égalité devant la commande publique, à la protection des
propriétés publiques et au bon usage des deniers publics ».

274. Sous réserve des critiques formulées à l’encontre de cette décision en raison de l’emploi
de l’expression aux contours mal définis du « droit commun de la commande publique »749, cette
solution est fondamentale car il est fait au législateur l’obligation de ne pas priver de garanties
légales des exigences constitutionnelles telles que le bon usage des deniers publics qui découle
directement de l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 750. Le
droit de la commande publique vise une autre finalité que le seul droit de et à la concurrence. Les
principes de liberté d’accès, d’égalité de traitement et de transparence « permettent d’assurer
l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics »751. L’objectif du
bon emploi des deniers publics, même en l’absence d’une reconnaissance expresse dans le code
des marchés publics comme en 2006, en 2004 et en 2001, a toujours été implicitement contenu
dans les dispositions dudit code. La protection des deniers publics est la raison d’être du droit de
la commande publique752. Dorénavant en vertu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ce
principe revêt la qualité d’exigence constitutionnelle753.

275. L’expression d’exigence constitutionnelle doit être rapprochée de la notion d’objectif de


valeur constitutionnelle754 qui est apparue pour la première fois dans la décision 141 DC du 27
juillet 1982 à propos d’une loi relative à la communication audiovisuelle. La doctrine s’est

749
E. Fatôme et L. Richer, Le Conseil constitutionnel et « le droit commun » de la « commande publique » et de la
domanialité publique, AJDA 2003, p. 2348 et s. ; v. aussi, J.-D. Dreyfus et B. Basset, Autour de la notion de «  droit
commun de la commande publique », AJDA 2004, p. 2256 et s.
750
Le Conseil constitutionnel dans se décision n° 2008-567 DC du 24 juillet 2008 portant sur loi relative aux contrats
de partenariat fait découler l’objectif du bon emploi des deniers publics de l’article 14 et aussi de l’article 15 de la
Déclaration de 1789.
751
Article 1er du code des marchés publics 2006 du décret n°2006-975 du 1er août 2006.
752
C. Emery, Passer un marché public, Delmas 2004, p. 46 et s.
753
Cons. const. 2 décembre 2004 – Déc. n° 2004-506 DC Loi de simplification du droit Journal officiel du 10
décembre 2004, p. 2087 ; v. aussi Cons. Const. Décision n° 2008-567 DC du 24 juillet 2008 portant sur loi relative
aux contrats de partenariat
754
L. Favoreu (ouvrage collectif), Droit constitutionnel, Dalloz Précis, 2007, p. 127.

201
intéressée à la place occupée par ces objectifs dans la hiérarchie des normes. Certains auteurs, à
l’instar du Professeur D. Rousseau, jugent qu’ils font partie du bloc de constitutionnalité et donc
qu’ils sont opposables au législateur par le Conseil dans l’exercice de son contrôle de la
constitutionnalité des lois755. En revanche, M. F. Luchaire écrit qu’ « un objectif n’est pas une
norme, c’est une orientation assignée à des normes, si cette assignation peut être obligatoire, elle
ne constitue pas une norme, il est donc difficile de la placer dans la hiérarchie des normes »756. M.
B. Faure considère quant à lui que ces objectifs sont « une nouvelle catégorie juridique » qui
« sont des modes de corrélation entre principes constitutionnels différents »757.

276. Au regard de la décision du Conseil en date du 26 juin 2003, l’exigence constitutionnelle


permet au juge constitutionnel d’exercer une censure préventive. Sur la base du considérant, les
sages de le rue Montpensier cherchent «  à déterminer a priori le type de mesures qu’il convient
d’adopter afin de ne pas priver de garanties légales les exigences constitutionnelles mais
également [dictent] au législateur les types de mesures qu’il convient d’adopter pour que les
exigences constitutionnelles en cause ne soient pas privées de garanties légales »758. Dans le
même sens, M. le Professeur L. Richer note que « le raisonnement adopté par la décision est le
suivant : le droit commun apporte des « garanties légales » aux exigences constitutionnelles
inhérentes à l’égalité devant la commande publique et au bon usage des deniers publics et le
législateur reste libre de déterminer d’autres formes de garanties légales de ces exigences, sans
que le Conseil Constitutionnel puisse limiter son pouvoir discrétionnaire. Toutefois, une
restriction est apportée à l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire ; elle consiste en ce que la
généralisation de dérogations au droit commun ne doit pas être telle qu’elle remette en cause les
exigences constitutionnelles définies par la décision »759.

277. La jurisprudence laisse à penser que les objectifs ou exigences de valeur constitutionnelle
font partie intégrante du bloc de constitutionnalité et sont donc opposables au législateur par le

755
D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, Montchrestien 2007, p. 111.
756
F. Luchaire, Brèves remarques sur une création du Conseil constitutionnel : l’objectif de valeur constitutionnelle,
RFDC 2005, p. 681.
757
B. Faure, Les objectifs de valeur constitutionnelle, RFDC 1995, p. 47.
758
J.-D. Dreyfus et B. Basset, Autour de la notion de «  droit commun de la commande publique », AJDA 2004, p.
2258.
759
L. Richer, L’émergence d’un droit constitutionnel des marchés public, in Le nouveau droit des marchés publics,
L’Hermès, Bibliothèque de droit, 2004, p. 27.

202
Conseil dans l’exercice de son contrôle de constitutionnalité des lois. Le Conseil constitutionnel
dans la décision n° 2008-567 DC du 24 juillet 2008 portant sur la loi relative aux contrats de
partenariat760 vient étayer la thèse du Professeur D. Rousseau de l’inclusion des exigences
constitutionnelles dans le bloc de constitutionnalité 761. Le juge constitutionnel considère qu' « en
présumant satisfaite la condition d'urgence sous la seule réserve que l'évaluation préalable ne soit
pas défavorable, les dispositions contestées du III des articles 2 de l'ordonnance du 17 juin 2004
et L. 1414-2 du code général des collectivités territoriales ont pour effet de limiter la portée de
l'évaluation préalable et d'empêcher le juge d'exercer son contrôle sur le caractère d'urgence ; que,
dès lors, elles privent de garanties légales les exigences constitutionnelles inhérentes à l'égalité
devant la commande publique, à la protection des propriétés publiques et au bon usage des
deniers publics ; que, par suite, doivent être déclarés contraires à la Constitution le III de l'article
2 de l'ordonnance du 17 juin 2004 susvisée et le III de l'article L. 1414-2 du code général des
collectivités territoriales, tels qu'ils résultent des articles 2 et 19 de la loi déférée ; qu'il en va de
même, parce qu'il en est inséparable, du IV des mêmes articles qui rend applicable la présomption
d'urgence aux projets de contrats de partenariat mentionnés au III dont l'avis d'appel public à la
concurrence a été envoyé à la publication avant le 31 décembre 2012 »762.

Cette exigence constitutionnelle revient-elle à transformer le contrôle juridictionnel des


décisions publiques en un contrôle de l’opportunité ? Par bon emploi ou bonne gestion des
deniers publics, il faut comprendre une gestion rationnelle de l’argent public. Le terme rationnel
implique qu’« un agent agit conformément à la situation »763. En conséquence, le calcul
économique doit pénétrer le calcul politique sans le supplanter car l’état des finances publiques
est médiocre. Le législateur ou le pouvoir réglementaire doivent agir en optant pour le choix
public le plus à même d’assurer l’équilibre des finances publiques. Le calcul économique peut
jouer au niveau de la détermination de l’objectif que les pouvoirs publics se sont assignés mais
aussi au niveau de la détermination des modalités de concrétisation de l’objectif.

760
H. Mouannès, Le contrat de partenariat rattrapé par le conseil constitutionnel, ou, comment sauver les PME d’un
éventuel statut éternel de sous-traitants, LPA 7 août 2008, n°158, p.11 et s., v. aussi J.-D. Dreyfus, La présomption
d’urgence viole les exigences constitutionnelles relatives à la commande publique, AJDA 2008, p. 1664.
761
D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, Montchrestien 2007, p. 111.
762
Cons. Const. Décision n° 2008-567 DC du 24 juillet 2008 portant sur loi relative aux contrats de partenariat.
763
M. Rosier, L’Etat expérimentateur, Paris 1993, PUF, p 47 ; v. aussi, P. Adair et M. Rosier, La notion de rationalité
chez F. Simiand (1873-1935), in P. Dockès, Les traditions économiques françaises, CNRS éd. 2000, p. 51 et s.

203
278. Le Conseil Constitutionnel, dans sa décision n° 2007-555 DC du 16 août 2007 relative à
la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, oppose au législateur l’impératif
gestionnaire en considérant qu' « il ressort des travaux parlementaires que le crédit d'impôt
résultant de la construction ou de l'acquisition d'une habitation principale antérieurement à
l'entrée en vigueur de la loi tend à soutenir la consommation et le pouvoir d'achat ; que, toutefois,
en décidant d'accroître le pouvoir d'achat des seuls contribuables ayant acquis ou construit leur
habitation principale depuis moins de cinq ans, le législateur a instauré, entre les contribuables,
une différence de traitement injustifiée au regard de l'objectif qu'il s'est assigné ; que cet
avantage fiscal fait supporter à l'Etat des charges manifestement hors de proportion avec
l'effet incitatif attendu ». Il ressort de ce considérant que le Conseil Constitutionnel intègre
indéniablement dans le bloc de constitutionnalité la rationalité gestionnaire ce qui lui permet
d’approcher sans encore l’atteindre le contrôle d’opportunité des décisions du Parlement au
moyen de l’erreur manifeste d’appréciation764.

279. Le pouvoir constituant a affirmé le bien fondé de la jurisprudence du Conseil


Constitutionnel en introduisant dans la Constitution par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23
juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République une disposition selon laquelle
« les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de
programmation. Elles s’inscrivent dans l’objectif d’équilibre des comptes des administrations
publiques »765. Ce texte grave dans le marbre non pas un principe d’équilibre budgétaire mais
l’objectif d’équilibre des comptes et cela pour l’ensemble des administrations publiques. La
notion d’équilibre est une notion de l’économie libérale classique qui porte sur le rapport entre
dépenses et recettes. Le droit budgétaire a repris cette notion. Une première référence au terme
d’équilibre apparaît en 1948 avec la « loi des maxima » : la procédure budgétaire doit arrêter un
équilibre donné (en fait, la plupart du temps, un déficit) à un niveau considéré comme acceptable
au plan économique et financier, avant d’aborder l’examen et le vote du détail des dépenses. Le
décret-loi de 1956 parlait « d’équilibre budgétaire et financier », faisant référence, dans une
perspective keynésienne, à un équilibre plus large que la seule égalité comptable entre recettes et
dépenses. L’ordonnance du 2 janvier 1959 consacre un principe d’équilibre sous cette formule
764
F. Chaltiel, Avantages fiscaux, proportionnalité et pouvoirs du juge constitutionnel (A propos de la décision du
Conseil Constitutionnel du 16 août 2007), LPA 30 août 2007, n°174, p.3.
765
Article 11 de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve
République, JORF n°0171 du 24 juillet 2008.

204
vague. La LOLF, quant à elle, n’apporte pas réellement d’indications supplémentaires,
puisqu’elle se contente d’ajouter que les recettes et les dépenses «  tiennent compte d’un équilibre
économique défini » (article 1766).

280. La réforme institutionnelle se démarque donc du principe classique d’équilibre


budgétaire en prônant un strict équilibre comptable. Sans véritablement être en mesure de saisir
toutes les potentialités concrètes de ce texte, désormais le pouvoir de l’organisation des missions
d’intérêt général est un pouvoir sous contrainte parce que l'apparition d’un principe
constitutionnel de l’équilibre des comptes publics conduit à la rationalisation des choix publics,
c’est-à-dire à l’organisation d'une activité d’intérêt général selon des modalités permettant
d'obtenir le maximum de rendement avec un minimum de coût. Parallèlement à ce nouveau
principe, cette réforme sur les institutions pose un impératif d’évaluation des politiques publiques
qui sera opéré par le Parlement, le Gouvernement et la Cour des comptes767.

281. Par la généralité des termes utilisés, l’évaluation des politiques publiques peut porter
aussi bien sur les résultats que sur les moyens mis en œuvre pour atteindre les objectifs fixés par
les pouvoirs publics. Cette réforme constitutionnelle porte en germe la banalisation de l’analyse
comparative en droit de l’organisation des missions d’intérêt général. Comme le déclare M.
Carrez, auteur de cet amendement, « on progresse vers une plus grande rigueur dans la gestion
des comptes publics, on y va pas à pas, mais on y va »768. La constitutionnalisation des objectifs
d’équilibre et d’évaluation doit permettre un accroissement de l’étendue du contrôle du juge
administratif et du juge constitutionnel sur les arbitrages entre le faire et le « faire faire ».

Malgré la consécration en droit du principe de bon emploi des deniers publics, la


valorisation de la doctrine du « faire faire » qui en découlerait exige au préalable de démontrer
l’intérêt économique de cette pratique. A propos de la question de la pertinence du maintien de

766
« Dans les conditions et sous les réserves prévues par la présente loi organique, les lois de finances déterminent,
pour un exercice, la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'Etat, ainsi que l'équilibre
budgétaire et financier qui en résulte. Elles tiennent compte d'un équilibre économique défini, ainsi que des objectifs
et des résultats des programmes qu'elles déterminent. »
767
Article 9 et 22 de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve
République, JORF n°0171 du 24 juillet 2008.
768
Propos rapportés dans Le Point du 19 mai 2008, in http://www.lepoint.fr/actualites-politique/feu-vert-a-un-
principe-constitutionnel-d-equilibre-des-comptes/917/0/246595

205
l’exclusion « in house », M. Marchegiani affirme que « lorsque le service en question consiste en
l’exercice d’une activité à caractère commercial ou industriel, cette activité pourrait être
accomplie à des conditions économiquement plus avantageuses par des fournisseurs privés » ; il
s’ensuit, selon ses propos, que le fait de confier un tel service à une entité «  in house », au
mépris des principes indiqués par la jurisprudence Teleaustria, « risquerait non seulement de
créer un obstacle à la libre concurrence, mais également de porter préjudice à une gestion saine
des finances et à une allocation efficace des ressources publiques »769. Il ressort de ces
observations que le recours au « faire faire » serait une panacée d’un point de vue économique et
financier. Mais il est intéressant de relever que la reconnaissance au plus haut rang normatif de
l’objectif de bon emploi des deniers publics par le Conseil constitutionnel a eu lieu à l’occasion
du contrôle de constitutionnalité d’une loi qui autorise le gouvernement à créer de nouvelles
formes de contrat de coopération public/privé. En d’autres termes, la stratégie du « faire faire »
pour le Conseil constitutionnel n’est pas en toute hypothèse un moyen de protection des deniers
publics si elle n’est pas soumise à un droit commun de la commande publique 770 favorisant la
concurrence et donc la confrontation des offres. L’intérêt économique de la stratégie du « faire
faire » serait même encore à démontrer.

§4. L’intérêt économique de la stratégie du « faire faire » en question

La stratégie du « faire faire » est présentée traditionnellement comme un outil permettant


de répondre aux objectifs suivants: réaliser des services et équipements publics dans un contexte
budgétaire difficile ; bénéficier des compétences et du savoir-faire des entreprises privées ; opérer
une répartition optimale des risques entre sphère publique et privé771 ; dynamiser le secteur public
et surtout dans une économie de marché « offrir de nouvelles opportunités d’accumulation du
capital, dans des conditions de coût favorables »772. En bref, il est habituel de distinguer les
bienfaits microéconomiques (A) des avantages macroéconomiques de la stratégie du « faire
faire » à des entités privées des missions d’intérêt général (B).

769
G. Marchegiani, « Les relations in house et le syndrome du cheval à bascule. Quelques considérations à propos de
l’arrêt Stadt Halle », RMCUE, n°494, janvier 2006.
770
Sur la définition d’un droit commun de la commande publique, v. J.-D. Dreyfus et B. Basset, Autour de la notion
de «  droit commun de la commande publique », chron. préc., p. 2258.
771
F. Marty et S. Trosa et A. Voisin, Les partenariats public-privé, coll. Repères, 2006, p. 34.
772
B. Laperche et M. D. Uzunidis, Etatisme et marchéisation du secteur public. Le cadre d’une régulation
keynésiano-libérale, v. http://riifr.univ-littoral.fr/wp-content/uploads/2007/04/doc63.pdf, p. 9.

206
A. Les bienfaits microéconomiques de la stratégie du « faire faire »

282. L’argument classique tiré de la réduction des coûts est un élément à relativiser. Il peut être
appréhendé comme un moyen d’économie budgétaire ou comme une garantie contre les
dépassements de coût773. En Angleterre, les économies espérées par la politique du Private
Finance Initiative (PFI) étaient de l’ordre de 30% par rapport au coût d’une exploitation en régie.
Or dans un rapport de 2001, Value for money drivers in the PFI, le Trésor britannique a calculé
l’écart de coût existant entre le coût public et le prix du contrat signé et il en arrive à la
conclusion que tous domaines confondus les gains tournent autour, en moyenne, de 10%.

283. D’un point de vue strictement budgétaire, certains auteurs démontrent même que le
recours au « faire faire », plus exactement le recours à la PFI, engendrerait un surcoût financier 774.
Au mieux il serait plus juste de rapprocher le coût des capitaux publics et privés 775.
L’administration peut, théoriquement, réaliser une infrastructure pour un coût inférieur au secteur
privé du fait notamment de taux d’emprunt plus réduits 776 et « le recours à une solution privée à
un coût celui du financement intermédié »777. M. le Professeur Philip à l’occasion d’un colloque
organisé sur la thème des prisons dites « privées » affirme en ce sens que « je n’arrive pas à
comprendre comment cela coûte moins cher d’avoir recours à la gestion privée que d’avoir
directement la responsabilité d’une opération. Il faut bien que quelqu’un paie et il faut bien que le
secteur privé fasse des bénéfices ! »778. Le juge français a toujours admis que le concessionnaire
de service public avait le droit, par la perception des tarifs, à une « rémunération normale » ou
« de bénéfice raisonnable »779
773
F. Marty, Réglementation et commande publique : analyses économique et juridique, Habilitation à diriger des
recherches en sciences économiques sous la direction de Jean-Luc Gaffard, Université de Nice Sophia-Antipolis,
janvier 2007.
774
D. Lebègue, Le prix du temps et la décision publique, Commissariat général du Plan, La documentation française,
février 2005.
775
F. Marty et S. Trosa et A. Voisin, Les partenariats public-privé, coll. Repères, 2006, p. 40.
776
B. du Marais et P. Cossalter, La Private Finance Initiative, IGD Mars 2001, p. 31 et s.
777
F. Marty, L’évolution des montages financiers des PFI britanniques : La montée des risques », avec Arnaud
Voisin, Revue Française de Finances Publiques, n° 94, mai 2006, p. 108. M. F. Marty note que «  la prime de risque
demandée par les prêteurs – banques ou marchés de capitaux — à une entreprise est plus élevée que celle appliquée à
un emprunt public émis par un État solvable », in F. Marty, Réglementation et commande publique : analyses
économique et juridique, op. cit., p. 34.
778
L. Philip, Les Prisons dites « privées ». Une solution à la crise pénitentiaire ?, PUAM 1987, p. 66.
779
V. CE, 23 mai 1936, Commune du Vésinet, rec. p. 591 ; v. aussi C. Bettinger, La concession de service public et
de travaux publics, Paris, Berger-Levrault (coll. « L’administration nouvelle »), 1978, p. 118. Le principe de juste

207
Comme l’écrit M. F. Marty,  « l’intérêt principal des partenariats public/privé réside
surtout dans la gestion des risques, bien plus que dans la seule économie de coût statique. En fait,
les partenariats ne sont réellement efficaces que lorsqu’ils organisent un partage des risques entre
entités publiques et privées bien plus qu’un simple transfert au privé, lequel ne manquerait alors
pas d’exiger une prime de risque »780. L’atout majeur de la logique concessive serait surtout la
limitation des probabilités de dépassement de coûts et de délais « lesquels constituent des dérives
endémiques pour le marchés de l’Etat »781.

284. La MAPPP (Mission d’Appui aux Partenariats Public-Privé), dans son avis n° 2005-02
portant sur le dossier « Pôle Energie du Centre Hospitalier de Roanne » présenté par la Mission
d’Appui à l’Investissement Hospitalier (MAINH) et l’Agence Régionale Hospitalière (ARH),
note que « l’analyse comparative menée sans prendre en compte les risques prévisibles ne permet
pas de départager le contrat de partenariat et la solution « maîtrise d’ouvrage publique plus
contrats de service » du seul point de vue du critère du coût. La prise en compte des risques de
dérive couramment observés pour les coûts de construction et d’exploitation donne un avantage
de près de 17% au contrat de partenariat par rapport au mode classique. Enfin, les critères
qualitatifs et notamment le fait que les délais sont a priori mieux maîtrisés dans l’option contrat
de partenariat conduisent à privilégier cette solution ». Il est donc envisagé que « le surcoût
éventuel du financement privé soit compensé par l’assurance fournie contre les conséquences
financières de ces dépassements »782. L’intérêt microéconomique dépend donc de l’objet des
contrats de coopération.

rémunération est également inscrit dans la loi d’orientation des transports intérieurs dite LOTI (Loi n° 82-1153 du 30
décembre 1982, d’orientation des transports intérieurs, dite « LOTI », JORF du 31 décembre 1982, p. 4004)qui
prévoit-elle en son article 6 que « les conditions dans lesquelles sont exécutées les opérations de transport public,
notamment la formation des prix et tarifs applicables et les clauses des contrats de transport permettent une juste
rémunération du transporteur assurant la couverture des coûts réels du service rendu dans des conditions normales
d'exploitation ».
780
F. Marty, Réglementation et commande publique : analyses économique et juridique, Habilitation à diriger des
recherches en sciences économiques, op. cit., p. 35.
781
T. Kirat, D. Bayon et H. Blanc, Maîtriser les coûts des programmes d’armement  :une analyse comparative de la
réglementation des marchés industriels d’armement en France, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, La
Documentation française, Les rapports de l’Observatoire économique de la défense, Paris 2003, p. 46.
782
F. Marty, L’évolution des montages financiers des PFI britanniques : La montée des risques », avec Arnaud
Voisin, Revue Française de Finances Publiques, n° 94, mai 2006, p. 109.

208
285. Nous pensons pouvoir enfin isoler une dernier intérêt micro-économique du recours à la
politique du « faire faire » qui serait la flexibilité dans l’organisation des activités offerte par
l’interaction public/privé. Même si « c’est lorsqu’elle gère véritablement un service public que la
publicisation d’une personne privée se révèle la plus forte »783, l’emprise du droit privé dans le
fonctionnement des services délégués est indéniable et permet d’assouplir la rigidité du cadre du
fonctionnariat. Si « aucune étude ne permet actuellement de dire de façon indiscutable si l’emploi
d’un personnel fonctionnaire plutôt que salarié de droit privé représente un avantage ou un
handicap du point de vue des coûts globaux »784, d’un point de vue de la flexibilité et de la gestion
des ressources humaines le recours au contrat est un avantage. D’ailleurs, la contractualisation
publique se développe dans le champ de la fonction publique. Dans une économie de marché si
l’intérêt microéconomique de la collaboration public/privé n’est pas évident, la croyance en la
supériorité de la gestion déléguée est certaine.

286. Il faut souligner que « le droit communautaire n’impose pas qu’une personne publique
procède, avant d’exercer elle-même une activité, même économique, à la démonstration que cette
activité ne pourrait être exercée plus efficacement par un organisme externe »785. Le projet de
règlement en matière de transport publics de 2002786 prévoyait un dispositif novateur dans lequel
l’autorité organisatrice du service public devait faire connaître sa volonté de gérer en interne les
transports publics de sorte que les opérateurs du marché puissent proposer des offres portant sur
les modalités de gestion du service public qu’elle n’aurait pu écarter que par une décision
motivée. Cette faculté a disparu dans la proposition révisée de règlement du Conseil et du
Parlement européen relatif aux services publics de transports de voyageurs par chemin de fer, par
route787.

Cependant, de manière détournée, le droit communautaire encourage à la mise en place


d’une évaluation préalable entre les différents procédés de gestion du fait de l’encadrement des

783
Y. Broussolle, La participation des personnes privées aux activités d’intérêt général, thèse préc., p. 248 et s.
784
Reprise dans l’avis 96-A-12 du 17 septembre 1996, relatif aux conditions de concurrence dans le secteur bancaire
français et observation citée par C. Bergeal dans ses conclusions sous CE 16 octobre 2000, Compagnie
méditerranéenne d’exploitation des services d’eau, RFDA 2001, p. 118.
785
E. Fatôme et A. Ménéménis, Concurrence et liberté d’organisation des personnes publiques : éléments d’analyse,
AJDA 2006, p. 68.
786
JOCE n°151 E du 25 juin 2002, p. 146 et s.
787
COM(2005) 319 final

209
modalités de financement des obligations de service public. L’arrêt BUPA du TPI du 14 février
2008 s’inscrit dans la ligne jurisprudentielle amorcée par l’arrêt Altmark. Cette décision vise en
effet la comparaison avec un «opérateur efficient». Pour BUPA Ireland, le quatrième critère posé
dans l’arrêt Altmark implique de choisir l’opérateur capable de fournir les SIEG à moindre coût
pour la collectivité. Il faut donc comparer l’opérateur le plus efficient avec l’opérateur investi
d’une mission SIEG. Le Tribunal confirme que la finalité du quatrième critère Altmark est de
s’assurer qu’un SIEG est fourni à moindre coût pour la collectivité, d’où l’intérêt de l’analyse
comparative des procédés de réalisation d’une mission d’intérêt général 788. Ces solutions
jurisprudentielles contribuent à établir une hiérarchie dans les modes de gestion des missions
d’intérêt général. M. P. Cossalter souligne alors que « ces conditions pourraient être à la base
d’une obligation systématique de justification du recours à des formes directes de gestion par le
biais soit d’une mise en concurrence adéquate, soit plus probablement d’une étude comparative,
du type de celle qui est effectuée antérieurement à la décision de recourir au contrat de partenariat
en droit français »789.

287. En 2007, le règlement n° 1370/2007 portant sur le transport par chemin de fer et par
route790 érige le contrat de service public en mode normal de gestion des activité d’intérêt
économique général dans la mesure où une mise en concurrence permet « de rendre ces services
plus attrayants, plus innovants et moins chers »791. Ce texte est néanmoins le fruit d’un
compromis politique entre les différents Etats membres car il prévoit « la possibilité d’instaurer
des exceptions à l’obligation d’une mise en concurrence ex ante notamment par le maintien de
mécanismes d’attribution directe, par l’utilisation plus aisée d’opérateurs internes »792. Le
règlement oblige les Etats « à mettre en place des voies de droits rapides et efficaces pour offrir
aux concurrents malheureux la possibilité de contester l’attribution des contrats de service public
ou les raisons pour lesquelles l’attribution directe a été privilégiée par l’autorité organisatrice »793.

788
G. Fabre, D. Crevel-Sander ,L’arrêt BUPA du TPI du 14 février 2008 et la mise en oeuvre des principes posés
dans l’arrêt Altmark , European Law Network, n°1/2008, p.
789
P. Cossalter, Les délégations d’activités publiques dans l’Union Européenne, LGDJ 2007, p. 459.
790
Règlement du 23 octobre 2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par
route, JO n°L. 315 du 3 décembre 2007, p. 1.
791
Considérant n°7 du règlement n°1370/2007.
792
M. Karpenschif, Contrat de service public et transport de voyageurs : nouvelles règles pour un nouvel essor ?, JCP
A, 18 février 2008, n°2038.
793
M. Karpenschif, Le financement des obligations de service public : vers une généralisation des contrats de service
public ?, BJCP 2008 n°59, p. 238.

210
Il n’empêche qu’en vertu de ce texte et de la jurisprudence communautaire sur les compensations
de service public (arrêt Altmark de la CJCE et décision BUPA du TPI), les autorités
organisatrices de service public ne peuvent que constater qu’ « il est fait entorse à leur liberté de
choix du mode de gestion»794 dans la mesure où «  l’externalisation permet une mise en
concurrence des opérateurs potentiels »795. L’intérêt économique réside dans le fait que le choix
de la gestion externe crée les conditions d’une allocation optimale des ressources publiques grâce
à la confrontation de différentes offres.

B. Les bienfaits macroéconomiques de la stratégie du « faire faire »

288. L’intérêt économique de la doctrine du « faire faire » résiderait davantage au niveau


macroéconomique. L’intérêt de la concrétisation de la doctrine du « faire faire » serait le
préfinancement privé d’ouvrages et de services publics afin d’opérer un lissage budgétaire en
transférant la dette en hors bilan ce qui permettrait de respecter le pacte de croissance et de
stabilité. Or, les contrats de collaboration public/privé n’ont pas tous pour objet un
préfinancement privé des équipements publics comme le marché public, et ils ne permettent pas
tous non plus une déconsolidation de la dette publique796.

794
Rapport CE 2002, Collectivités publiques et concurrence, EDCE n°53. p. 343.
795
Ibid., p. 342.
796
P. Lignières, L’influence de la dette publique et des normes Eurostat sur les contrats publics, DA, mai 2004,
pratiques n° 5, p. 38.

211
En ce sens, Eurostat797 a pris une décision relative au traitement comptable des
partenariats public-privé798. Cet organisme recommande que les actifs liés à un partenariat public-
privé soient considérés comme actifs non publics si les deux conditions suivantes sont réunies : le
cocontractant de la personne publique supporte le risque de construction; le cocontractant de la
personne publique supporte au moins l’un des deux risques suivants : celui de disponibilité ou
celui lié à la demande799. A côté de ces trois risques, des paramètres supplémentaires peuvent être
pris en considération comme par exemple le régime de propriété des ouvrages construits. En
d’autres termes, la déconsolidation « n’est admise que lorsque le prestataire privé prend à sa
charge d’une part le risque de construction, et d’autre part le risque de disponibilité et/ou le risque
de demande »800. Si ces conditions ne sont pas réunies les dépenses résultant de l’exécution du
contrat doivent être consolidées dans la dette publique. M. F. Marty note que « les critères utilisés
par Eurostat s’avèrent bien en retrait des exigences posées par les normes comptables
internationales IFRS, notamment en ceci qu’elles imposent une intégration des actifs dans les
comptes publics dès lors que le risque de demande est imputé à la personne publique. A l’heure
où référentiels comptables publics et privés s’engagent vers une convergence, il convient de
s’interroger sur la durabilité d’une telle option »801.

289. La banalisation du procédé de la comptabilité créative a de quoi surprendre en ces temps


de renforcement des exigences de transparence et de sincérité des comptes publics et de bonne
gestion des deniers publics. La loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de
modernisation des institutions de la Ve République grave dans la charte suprême le principe selon
lequel « les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une
image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière » 802. La
déconsolidation de la dette publique peut conduire à disperser des bombes à retardement dans les

797
Eurostat est l’office statistique des Communautés européennes.
798
Déc. Eurostat sur le traitement comptable dans les comptes nationaux des contrats souscrits par les entreprises
publiques avec des entreprises privées, 11 fév. 2004.
799
Pour plus de précisions sur la distinction de ces trois risques, v. F. Marty, Réglementation et commande publique :
analyses économique et juridique, Habilitation à diriger des recherches en sciences économiques, op. cit., p. 60 et s.
800
F. Marty et S. Trosa et A. Voisin, Les partenariats public-privé, coll. Repères, 2006, p. 35.
801
F. Marty, Réglementation et commande publique : analyses économique et juridique, Habilitation à diriger des
recherches en sciences économiques, op. cit., p. 62.
802
Article 22 de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve
République intégrant un article 47-2 dans la Constitution du 1958.

212
finances publiques803. D’ailleurs, dans la loi relative au contrat de partenariat de juillet 2008 il est
écrit que « le critère du paiement différé ne saurait à lui seul constituer un avantage justifiant le
recours à ce type de contrat »804. Au regard de l’intérêt macroéconomique de la stratégie du
« faire faire », il faut impérativement distinguer les différents contrats de coopération. Le recours
au marché public ne peut être motivé par le lissage budgétaire ou par l’étalement de la dépense
publique dans le temps contrairement à la concession ou au contrat de partenariat.

290. De plus, à côté de la volonté de déconsolidation comptable, la doctrine du « faire faire »


permettrait de stimuler le secteur public. Par exemple, la libéralisation du secteur de l’emploi doit
« favoriser l’émergence de bonnes pratiques et dynamiser le service public de l’emploi »805. Le
monopole public du placement des travailleurs a été institué par l’ordonnance n°45-1030 du 24
mai 1945. De nombreuses atteintes à ce principe ont été tolérées mais officiellement c’est la loi
de programmation pour la cohésion sociale promulguée le 18 janvier 2005 qui supprime le
monopole public. Le renforcement de la concurrence par la délégation récurrente aux agences
privées de segments du service public de l’emploi s’est fait par la loi du 13 février 2008 relative à
la réforme de l’organisation du service public de l’emploi. Cette restructuration du service public
de l’emploi est l’occasion de renverser la théorie de l’établissement modèle développée par
Hauriou806 justifiant l’exploitation en régie dans le but de réguler l’activité privée. Aussi, le
recours aux entreprises privées de placement est perçu comme un élément de régulation du
secteur public. D’ailleurs, l’argument tiré du seul bénéfice comptable de la libéralisation est
largement discuté par la Cour des comptes 807 sur la base d’études empiriques 808. Le choix du
« faire faire » pour les prestations du service public de l’emploi doit conduire à l'apparition de
bonnes pratiques et stimuler le service public de l’emploi809.

803
F. Marty, Réglementation et commande publique : analyses économique et juridique, Habilitation à diriger des
recherches en sciences économiques, op. cit., p. 64.
804
Article 2 de la loi du 26 juillet 2008 relative au contrat de partenariat.
805
Introduction du rapport fait par L. Souvet et V. Letard au nom de la commission des affaires sociales du Sénat,
doc. Sénat, rapport n°32 2004-2005.
806
V. M. Hauriou, note sous CE 2 février 1906, Chambre syndicale des propriétaires de bain, S. 1907.3.2 ; sur la
notion d’établissement modèle, v. loi du 3 février 1851, S. lois annotées de 1851, p. 21.
807
Rapport annuel février 2008 de la Cour des comptes, L’évolution des structures et des services aux demandeurs
d’emploi, p. 209, v. ccomptes.fr
808
M. Véricel, Restructuration du marché du travail et ouverture à la concurrence du service public de l’emploi, in
Personnes publiques et personnes privées dans la gestion du service public, Le droit ouvrier, avril 2008, p. 209 et s.
809
Sur les missions et composantes du service public de l'emploi, v. article L. 5311 et s du code du travail.

213
291. Au niveau macroéconomique, M. le professeur J. Chevallier relève que les contrats
d’interaction public/privé sont « par-delà leur finalité principale de satisfaire les besoins des
services administratifs, utilisés aussi comme instrument d’intervention économique, sur le plan
conjoncturel, ils seront conçus comme des instruments de relance en cas de récession et de
freinage en cas de surchauffe, sur le plan structurel, ils serviront à atteindre certains objectifs de
politique industrielle »810. MM. B. Laperche et D. Uzunidis notent que loin des considérations
microéconomiques, la politique du « faire faire » est un vecteur fondamental de pérennité pour
l’économie de marché, car le secteur des missions d’intérêt général est susceptible d’offrir de
nouvelles opportunités d’accumulation du capital, dans des conditions de coût favorables et
produit donc des ressources vitales pour la réalisation de profits privés. Ce cadre de création des
richesses révèle une mutation du kéynésianisme parce que de l’Etat Providence qui soutenait la
demande au cours de l’épisode des "trente glorieuses", la marchéisation et la financiarisation des
activités d’intérêt public conduisent à l’avènement d’un Etat Providence pour le capitalisme
« actionnarial »811.

A la lecture des observations précédentes, il est clair que la confrontation strictement


comptable du coût du financement public ou privé d’un service public est délicate 812. Certains
critères sont difficiles à mesurer comme le coût d’opportunité des fonds publics à savoir l’impact
du besoin en financement d’une personne publique sur le montant des dépenses privées des
ménages en raison de la pression fiscale et sur l’effet de la concurrence faite aux entreprises
privées dans l’accès aux marchés financiers 813. Aussi, il faut avoir à l’esprit que le choix entre le
faire et le « faire-faire » dépend de la prise en considération des coûts de transactions (coûts de
mise en concurrence, de contractualisation et de contrôle du prestataire) et ces paramètres
peuvent faire pencher la balance au profit de la réalisation de la prestation en interne même si le

810
J. Chevallier, La science administrative, Thémis droit, PUF, 2007, p. 180. Sur l’intérêt macro-économique des
marchés publics, v. L. Richer, Ce qu’est vraiment le « Small Business » aux Etats-Unis, Le Moniteur 22 février
2008, p. 90 et s.
811
B. Laperche et M. D. Uzunidis, Etatisme et marchéisation du secteur public. Le cadre d’une régulation
keynésiano-libérale, v. http://riifr.univ-littoral.fr/wp-content/uploads/2007/04/doc63.pdf.
812
La construction des méthodes de comparaison de coût public-privé. Les enseignements des expériences
étrangères », avec Sylvie Trosa et Arnaud Voisin, Politiques et Management Public, volume 22, n° 3, septembre,
2004, p. 43 et s.
813
V. Piron, La dimension économique du partenariat public-privé dans les transports, Transports, n°424, mars-avril,
p. 93 ; v. aussi F. Marty, Les enjeux liés à l’adoption d’une comptabilité patrimoniale par les administrations
centrales », Revue Internationale des Sciences Administratives, volume 72, numéro 2, Juin, p. 227.

214
coût public s’avérait supérieur au coût privé814. Cela pour montrer que l’arbitrage entre le faire et
le « faire faire » est éminemment politique. Le choix du « faire faire » résulte bien souvent d’une
orientation idéologique et il s’apparente au choix de la financiarisation et de la marchandisation
des services publics. Il « se dessine ainsi le cadre d’un nouvel étatisme qui sous couvert du
libéralisme, unit dans un même mouvement (même destin !) les intérêts de l’Etat à ceux des
groupes d’individus fortunés et politiquement influents »815. L’atmosphère juridique et aussi le
climat politique sont donc propices à un affadissement du principe de liberté d’organisation des
missions d’intérêt général qui passerait par la mutation de la liberté de contracter en obligation de
contracter.

292. La démonstration d’un meilleur rapport qualité/prix de l’offre privée par rapport au coût
public de réalisation d’un bien collectif ou d’un service public n’est pas chose aisée tant les
paramètres à prendre en considération sont nombreux et certains éléments de coût sont
difficilement quantifiables. C’est pourquoi, la confrontation du coût public et du coût privé pose
la problématique de la méthode de comparaison car la rationalisation du choix public entre le
faire et le « faire faire » suppose l’instauration d’un dispositif comptable apte à opérer une
confrontation non déformée des coûts publics et privés816. La France, par rapport aux autres Etats
membres de l’Union européenne, est en retard en ce qui concerne la réception juridique des outils
de l’analyse économique817. Le choix public paraît encore devoir être à l’abri de l’emprise du
calcul économique malgré la consécration du concept de bonne gestion des deniers publics.

Section 2 : L’impact mineur de la consécration du concept de bonne gestion


des deniers publics sur le choix public

293. L’enracinement de la contrainte gestionnaire dans le droit positif doit normalement


avoir des répercussions sur la teneur du droit de l’organisation des missions d’intérêt général.

814
F. Marty, Réglementation et commande publique : analyses économique et juridique, Habilitation à diriger des
recherches en sciences économiques, op. cit., p. 38.
815
B. Laperche et M. D. Uzunidis, Etatisme et marchéisation du secteur public. Le cadre d’une régulation
keynésiano-libérale, chron. préc., p. 19.
816
F. Marty, La construction des méthodes de comparaison de coût public-privé. Les enseignements des expériences
étrangères », avec Sylvie Trosa et Arnaud Voisin, Politiques et Management Public, volume 22, n° 3, septembre,
2004, p. 43 et s.
817
Sur la diffusion limitée en France de l’analyse économique du droit, v. F. Marty et T. Kirat, Economie du Droit et
de la Réglementation, Gualino, Mémento LMD, Paris., mai 2007 ; v. aussi E. Mackaay, Analyse économique du
droit, Dalloz éd. Thémis, 2e éd. 2008, p. 34 et s.

215
Il faut en effet s’interroger sur « la substance de la liberté contractuelle des personnes
publiques, puisque lorsqu’elles sont parties à un contrat, elles engagent l’argent public ce qui
ne peut être fait en totale liberté, cette liberté doit donc être encadrée »818. La valorisation de la
rationalité gestionnaire justifie donc l’extension du champ d’application du droit de la
commande publique. Toutefois, ce processus de marchéisation, c’est-à-dire d’expansion du
droit de et à la concurrence n’est pas sans bornes (§1). On aurait pu légitimement penser qu’à
l’instar des autres pays européens, la pratique de l’évaluation préalable se serait imposée dans
le droit de la commande publique. Pour l’instant, l’analyse comparative des différents modes
de gestion reste exceptionnelle en France. Comme l’écrit le professeur G. Marcou, « la loi du
29 janvier 1993 est le premier texte qui sépare nettement la décision sur le choix du mode de
gestion de la décision sur le choix du cocontractant, au moins en ce qui concerne les
collectivités locales »819. La doctrine demeure toutefois divisée quant à l’introduction de
l’évaluation préalable pour les conventions de délégation de service public (§2). La procédure
de l’évaluation préalable en droit de la commande publique reste une pratique exceptionnelle
(§3).

§1. Le champ d’application limité du droit de la commande publique

294. Il faut avoir à l’esprit que l’existence de situations et de matières échappant à l’application
des règles de la commande publique est un garde fou à toute valorisation de la doctrine du « faire
faire » dans le droit de l’organisation des missions d’intérêt général. Depuis quelques années, la
tendance est à l’extension du champ du droit de la commande publique. A ce titre, M. D. Moreau
note que « le droit de la mise en concurrence s’est considérablement resserré sur les sociétés
d’économie mixte françaises, qui sont devenues au regard de la commande publique des
opérateurs comme les autres »820. Aussi, la loi n°2005-809 du 20 juillet 2005 relative aux
concessions d’aménagement marque la fin du modèle français d’opération d’aménagement sous
l’influence du droit communautaire. En annulant une convention publique d’aménagement pour
non-respect des règles de publicité et de transparence, le juge administratif a pris acte des

818
J.-M. Glatt, Les modalités d’une gestion efficace des activités de service public : de l’habilitation unilatérale à
l’habilitation contractuelle, LPA 24 juillet 2007, n°147, p. 17.
819
G. Marcou, La notion de délégation de service public après la loi du 29 janvier 1993, chron.préc., p. 888.
820
D. Moreau, Les SEM entre intérêt général, service public et mise en concurrence, RJEP, avril 2008, p. 30 ; v. CE
30 décembre 2002 n°218110, Dpt Côtes-d’Armor.

216
obligations européennes et a permis d’enclencher la réforme821. Néanmoins, la jurisprudence
laisse perdurer des exceptions au droit de la commande publique.

295. Dans un avis du 23 octobre 2003, le Conseil d’Etat a eu à examiner, notamment au regard
du droit communautaire, le cas de la Fondation Jean Moulin, créée en 1952 à l’initiative du
ministère de l’Intérieur pour « l’organisation d’actions sociales au profit des fonctionnaires et
agent du ministère de l’Intérieur et de leurs familles ». Cet avis « Fondation Jean Moulin »,
adopté par l’Assemblée générale du Conseil d’Etat le 23 octobre 2003 822, est « une étape
significative dans la nécessaire réflexion sur le champ exact du droit de la commande
publique »823. En l’espèce, le Ministre de l’intérieur (service gouvernemental de l’Etat) avait saisi
le Conseil d’Etat au sujet des conditions de dévolution de la gestion de prestations sociales des
fonctionnaires de police à la « Fondation Jean Moulin ». La haute juridiction administrative
relève que lorsque « les prestations d’action sociale en cause, qui constituent un élément de la
politique de gestion des ressources humaines de ce ministère, ne présentent pas, dans les
conditions où elles sont mises en œuvre, le caractère d’une activité économique…il lui (le
ministre) est loisible, soit de gérer lui-même en régie lesdites prestations, soit d’en confier la
charge par voie de convention à la « Fondation Jean Moulin » sans être astreint dans ce dernier
cas à la passation d’un marché public des prestations de services ».

Le conseiller d’Etat A. Ménéménis souligne qu’ « en faisant du caractère économique des
prestations une condition de l’application du droit de la commande publique, le Conseil d’Etat
suggère que les personnes publiques doivent être libre d’organiser les activités administratives de
sorte notamment que l’externalisation de certaines d’entre elles n’impliquent pas, par elle-même,
l’obligation de conclure des marchés »824. MM. Le professeur E. Fatôme et A. Ménéménis ont
très justement mis en exergue le point essentiel de l’avis du Conseil d’Etat lorsqu’ils ont noté qu’
« il conduit à considérer qu’une personne publique peut, sans méconnaître le droit
communautaire, externaliser certaines activités hors du jeu concurrentiel des marchés

821
CAA Bordeaux, 9 novembre 2004, Sogedis c/ Cne de Cilaos, n°01BX00381.
822
CE Ass., avis n°369-315 du 23 octobre 2003, EDCE 2004, n°55, p. 209 ; CMP 2004, n°76, note Llorens.
823
A. Ménéménis, L’avis de la fondation Jean Moulin et la commande publique : poursuite de la réflexion,
ACCP2004/36, p. 65.
824
A. Ménéménis, L’avis de la fondation Jean Moulin et la commande publique : poursuite de la réflexion, chron.
préc., p. 66.

217
économiques en faisant appel librement à un opérateur dont elle constate qu’il ne fonctionne pas
comme un opérateur économique ou qu’elle a créé en lui imposant une telle obligation »825.

296. Cette solution intervient en plein débat européen sur la question du régime juridique des
services sociaux d’intérêt général (SSIG). Cette problématique a été soulevée lors de la
consultation publique ouverte en 2003 sur la base du Livre vert sur les services d’intérêt
général826. La catégorie des services sociaux englobe des activités différentes selon les Etats
membres (garde d’enfants, logement social, aide à l’emploi et mesures de lutte contre l’exclusion
sociale, services d’aide aux familles et aux personnes dans le besoin, soins de longue durée…).
Le principe communautaire largement consacré est que les Etats membres sont libres d’une part,
de définir ce qu'ils entendent par services d'intérêt économique général, ou par services sociaux
d'intérêt général et d’autre part, d’établir les règles d'organisation qui en découlent pour les
services destinés à les accomplir.

Cependant, cette liberté doit s’exercer en tenant compte du droit communautaire et en


particulier en tenant compte du droit des marchés publics et du droit de la concurrence. C’est en
raison de l’attractivité de la notion d’activité économique827, que certains Etats membres ainsi que
les opérateurs dans le domaine des services sociaux ont demandé à la commission de clarifier la
situation juridique des services sociaux d’intérêt général828. Dans sa communication en date du 26
avril 2006 « Mettre en oeuvre le programme communautaire de Lisbonne-Les services sociaux
d'intérêt général dans l'Union européenne »829, la Commission européenne mentionne un faisceau
d'indices pour définir les SSIG: un fonctionnement fondé sur la solidarité, une absence
d’équivalence entre prestations et cotisations, un caractère polyvalent et personnalisé, une
absence de but lucratif, une participation de volontaires et de bénévoles, une action marquée dans
une tradition culturelle. Elle précise que « les services sociaux forment un secteur en pleine

825
E. Fatôme et A. Ménéménis, Concurrence et liberté d’organisation des personnes publiques : éléments d’analyse,
AJDA 2006, p. 70.
826
Livre vert COM2003 270 final du 21 mai 2003 et Livre blanc de la commission de 2004 sur les SIG COM 2004
374 final du 12 mai 2004.
827
CJCE 23/04/1991,aff.C-41/90, Höfner et Elser; 21/09/1999,aff. C-67/96, Albany; 12/09/ 2000, aff.C-180/98 à C-
184/98, Pavlov ; 10/01/2006, aff. C-222/04, Cassa di Risparmio di Firenze
828
Les services de santé furent écartés du champ d’analyse.
829
COM 2006 177 final, v. S. Rodrigues, Communication de la commission sur les SSIG, in Concurrences,
n°3/2006, chron. secteur public, p. 159 et s.

218
expansion, aussi bien en matière de croissance économique que de création d'emplois. Ils sont
aussi l'enjeu d'une recherche intense de qualité et d'efficacité ».

297. Par conséquent, « tous les Etats membres ont entamé des processus de modernisation des
services sociaux afin de mieux faire face aux tensions entre universalité, qualité et soutenabilité
financière » de sorte que « même si l'organisation des services sociaux reste très différente selon
les Etats membres, certains aspects généraux de cette modernisation peuvent être établis:

– l'introduction de méthodes de « benchmarking », de contrôles de qualité, l'implication des


usagers dans la gestion ;

– la décentralisation de l'organisation des services vers le niveau local ou régional ;

– l'externalisation des tâches du secteur public vers le secteur privé, les autorités publiques
se transformant alors en régulateurs, gardiens d'une « concurrence régulée » et d'une
bonne organisation à l' échelon national, local ou régional ;

– le développement de partenariats public privé et le recours à d'autres formes de


financement complémentaires au financement public »830.

Cette communication suggère que « la Commission balance encore entre deux options : celle
de la reconnaissance de la spécificité des SSIG par un aménagement des règles du Traité et celle
de la banalisation de ces services dans le marché intérieur »831. La Commission défend l’idée
selon laquelle les services sociaux d’intérêt général sont un sous-ensemble de la catégorie des
services d’intérêt général pouvant se décliner soit en service économique soit en service non
économique. Dès lors, « si les pouvoirs publics décident de confier la mission à un partenaire
extérieur ou de coopérer avec le secteur privé, le droit communautaire des marchés publics et des
concessions peut entrer en jeu » en fonction de la nature juridique de l’activité et de l’entité
partenaire.

830
S. Rodrigues, Communication de la commission sur les SSIG, chron. préc., p. 161.
831
L. Driguez et S. Rodrigues, Services sociaux d’intérêt général et droit communautaire, entre spécificité et
banalisation, AJDA 2008, p. 191 et s.

219
298. La Commission, dans sa communication du 20 novembre 2007 intitulée « Les services
d'intérêt général, y compris les services sociaux d'intérêt général: un nouvel engagement
européen »832, affiche sa volonté de ne pas réserver une législation spécifique aux services
sociaux. Le Traité de Lisbonne signé le 13 décembre 2007 et ratifié par la France en février 2008
ne met pas fin à cette hésitation, source d’insécurité juridique. Néanmoins, il faut souligner que
seuls les services économiques d’intérêt général étaient évoqués dans les précédents Traités alors
que le Traité de Lisbonne introduit les « services non économiques d’intérêt général » dans le
protocole sur les services d'intérêt général annexé au traité de Lisbonne.

299. Dans ce climat d’incertitude, le Conseil d’Etat a réaffirmé la spécificité du régime


juridique de certaines activités sociales et le champ limité du droit de la commande publique. Par
l’arrêt du 6 avril 2007, Commune Aix-en-Provence, le Conseil d’Etat va dans le sens de la
solution consacrée dans l’avis « Fondation Jean-Moulin ». En l’espèce, « lorsque des collectivités
publiques sont responsables d'un service public, elles peuvent, dès lors que la nature de ce service
n'y fait pas par elle-même obstacle, décider de confier sa gestion à un tiers ; qu'à cette fin, sauf si
un texte en dispose autrement, elles doivent en principe conclure avec un opérateur, quel que soit
son statut juridique et alors même qu'elles l'auraient créé ou auraient contribué à sa création ou
encore qu'elles en seraient membres, associés ou actionnaires, un contrat de délégation de service
public ou, si la rémunération de leur cocontractant n'est pas substantiellement liée aux résultats de
l'exploitation du service, un marché public de service ; qu'elles peuvent toutefois ne pas passer un
tel contrat lorsque, eu égard à la nature de l'activité en cause et aux conditions particulières dans
lesquelles il l'exerce, le tiers auquel elles s'adressent ne saurait être regardé comme un opérateur
sur un marché concurrentiel »833. Cette décision confirme également la transcription dans le droit
de la délégation des services publics de la jurisprudence communautaire relative aux contrats « in
house ».

300. L’arrêt Commune Aix-en-Provence identifie une autre exception au droit de la commande
publique. C’est « lorsqu'une personne privée exerce, sous sa responsabilité et sans qu'une
personne publique en détermine le contenu, une activité dont elle a pris l'initiative, elle ne peut,

832
COM 2007 725 final
833
Sur la définition de l’opérateur économique, v. F. Linditch, L’évolution du droit des subventions ne menace-t-elle
pas à terme les délégations de service public ?, note sous le même arrêt, JCP A 2007, 2125, p. 24 et s.

220
en tout état de cause, être regardée comme bénéficiant de la part d'une personne publique de la
dévolution d'une mission de service public ; que son activité peut cependant se voir reconnaître
un caractère de service public, alors même qu'elle n'a fait l'objet d'aucun contrat de délégation de
service public procédant à sa dévolution, si une personne publique, en raison de l'intérêt général
qui s'y attache et de l'importance qu'elle revêt à ses yeux, exerce un droit de regard sur son
organisation et, le cas échéant, lui accorde, dès lors qu'aucune règle ni aucun principe n'y font
obstacle, des financements ». Le commissaire du gouvernement F. Séners estime que « les règles
de la loi Sapin ne peuvent pas s’appliquer au contrat conclu en pareil cas pour définir le rôle et les
modalités d’action du partenaire privé, la logique de cette analyse nous paraît non seulement
forte, mais aussi opportune, non pas du tout parce qu’elle permet de contourner les exigences de
publicité et de mise en concurrence, mais parce qu’elle légitime les initiatives privées dans des
domaines où la puissance publique a négligé d’organiser le service public »834.

301. Enfin, la haute assemblée administrative dans un arrêt du 5 octobre 2007, Société UGC-
Ciné-Cité835 a dégagé une nouvelle hypothèse d’exception au droit de la commande publique dans
un contexte de resserrement du droit de la commande publique autour des relations entre les
collectivités territoriales et leurs SEM : il s’agit du cas où « d’une part, les statuts de la SEM ne
révèlent pas l’intention de lui confier une mission de service public et où d’autre part, la relation
ne donne lieu à aucun acte contractuel donnant prise au juge pour identifier des obligations
assignées et des contrôles exercées par la personne publique »836. Au regard du droit
communautaire, « cette niche » nous semble condamner car le droit de la commande publique
s’applique lorsque la satisfaction d’un besoin public est en cause, or, la création d’une SEM
résulte de la constatation d’un besoin public. La permanence des situations échappant au droit de
la commande publique démontre que le principe de rationalité gestionnaire n’est pas encore un
principe directeur en droit français. Certains auteurs dénoncent le maintien de ces situations car
déléguer la gestion d’une tâche d’intérêt public au mépris du droit de la commande publique,
« risquerait non seulement de créer un obstacle à la libre concurrence, mais également de porter

834
F. Séners, concl sur arrêt CE 6 avril 2007, Commune Aix-en-Provence, RFDA 2007, p. 812 et s.
835
Req. n° 298773.
836
D. Moreau, Les SEM entre intérêt général, service public et mise en concurrence, chron. préc., p. 30.

221
préjudice à une gestion saine des finances et à une allocation efficace des ressources
publiques »837.

§2. L’introduction contestée du principe d’évaluation pour les conventions de délégation de


service public

302. En droit français, l’article L. 1411-4 du CGCT précise que « Les assemblées délibérantes
des collectivités territoriales, de leurs groupements et de leurs établissements publics se
prononcent sur le principe de toute délégation de service public local après avoir recueilli l'avis
de la commission consultative des services publics locaux prévue à l'article L. 1413-1. Elles
statuent au vu d'un rapport présentant le document contenant les caractéristiques des prestations
que doit assurer le délégataire ». Comme il est écrit dans le rapport de la commission de
prévention de la corruption présidée par M. Bouchery, « le recours à la délégation de service
public est une décision importante de gestion pour une collectivité publique. Dès lors, dans un
souci de transparence et de démocratie locale, une telle décision et le choix de la personne
délégataire doivent faire l’objet d’un débat au sein des instances délibérantes de cette
collectivité » 838. Ces instances doivent donc délibérer sur le principe même d’une délégation de
service public, c’est-à-dire sur l’opportunité et la nécessité de cette opération puisqu’« à
l’occasion de cette délibération, l’assemblée délibérante devra apprécier les besoins du service
public en cause et déterminer le mode de gestion de ce service le plus approprié pour satisfaire à
ceux-ci »839.

C’est pourquoi, une interprétation de cet article laisse à penser que la décision de déléguer
un service public est prise après évaluation opérée par l’assemblée délibérante. Le rapport
présentant le document contenant les caractéristiques des prestations que doit assurer le
délégataire doit-il éclairer les membres de l’assemblée délibérante sur les avantages comparés
entre la gestion directe et la gestion déléguée du service public local ? Il est permis de le penser.
Ce point de vue est corroboré par le texte même de la circulaire interministérielle du 7 août 1987
relative à la gestion par les collectivités locales de leurs services publics locaux (champ
837
G. Marchegiani, « Les relations in house et le syndrome du cheval à bascule. Quelques considérations à propos de
l’arrêt Stadt Halle », RMCUE, n°494, janvier 2006.
838
Rapport final de la Commission de prévention de la corruption présidée par M. Bouchery, La Documentation
française, 1993, p. 64 ?
839
E. Delacour, thèse préc., p. 331.

222
d’application et condition d’exercice de la gestion déléguée de ces services) 840 qui préconise de
subordonner la décision de déléguer à une étude comparative (théorie du bilan coûts/avantages).

303. L’introduction de l’analyse comparative des procédés de gestion dans le droit de la


délégation de service public est d’autant plus justifiée que la tendance est à l’ancrage de la
coopération financière entre le délégant et le délégataire. Le soutien financier paraît devoir
intégrer les éléments constants de définition de la convention de délégation de service public 841.
Par conséquent, le principe de l’évaluation préalable doit s’affirmer en ce domaine en raison du
coût pour le collectivité publique de la réalisation d’un service public même en gestion déléguée.

304. Un rapport publié en décembre 2006 par M. P. Richard intitulé « Solidarité et


performance, les enjeux de la maîtrise des dépenses des finances publiques locales » propose de
créer des référentiels de coûts standards pour les principaux services publics locaux afin d’aider
les gestionnaires et les décideurs publics locaux dans la détermination de la politique
organisationnelle des services publics. La Cour des comptes s’est également exprimée dans le
même sens dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques publié en
juin 2008 : « pour les grands services publics locaux (eau, assainissement, transport),
l’élaboration de référentiels de coûts moyens rétrospectifs permettrait à chaque collectivité, en se
comparant, de mieux asseoir sa gestion. Ce travail, qui a été confié à l’Etat, est à peine engagé.
Les textes pourraient aussi autoriser les collectivités les plus importantes à expérimenter un vote

840
JO 20 décembre 1987, p. 14863.
841
Par exemple, la Cour Administrative d’appel de Paris dans un arrêt du 24 janvier 2005, Province des îles Loyautés
c/ Cie maritime des îles a considéré qu’ « aucune disposition législative et aucun principe général du droit
n’interdisaient à la commune de prendre en charge les déficits d’exploitation alors que l’exploitation se faisait aux
risques et périls du cocontractant, lesquels ne se résument pas à l’aléa financier de l’exploitation ». Le premier alinéa
de l’article L.2224-2 interdit aux collectivités de rattachement de prendre en charge, dans leur budget propre, des
dépenses au titre de ces services. Toutefois, le deuxième alinéa prévoit trois dérogations à ce strict principe de
l’équilibre. Ainsi, la collectivité de rattachement peut décider une prise en charge des dépenses du SPIC par son
budget général : -lorsque les exigences du service public conduisent la collectivité à imposer des contraintes
particulières de fonctionnement. Ces contraintes doivent se traduire par des sujétions particulières en termes
d'organisation et de fonctionnement du service (ex. : ouverture d'un parking à des périodes de très faible affluence ou
situé dans un secteur moins attractif pour des raisons liées à des opérations d'urbanisme) ; - lorsque le
fonctionnement du service public exige la réalisation d’investissements qui, en raison de leur importance et eu égard
au nombre d’usagers, ne peuvent être financés sans augmentation excessive des tarifs ; - lorsque, après la période de
réglementation des prix, la suppression de toute prise en charge par le budget général aurait pour conséquence une
hausse excessive des tarifs. Cette prise en charge ne peut avoir pour effet de se traduire par une compensation pure et
simple d’un déficit d’exploitation. Elle revêt en théorie un caractère exceptionnel et ne saurait être pérennisée sauf
que la pratique montre une banalisation du partenariat financier public/privé dans les délégations de service public.

223
des budgets par missions-programmes-actions pour mieux mettre en perspective les politiques
locales et les choix de gestion »842.

305. Dans le domaine de la délégation de service public, l’évaluation peut s’opérer au cours de
l’exécution du contrat. En effet, en vertu de l’article L.1441-3 du CGCT, « le délégataire produit
chaque année avant le 1er juin à l'autorité délégante un rapport comportant notamment les
comptes retraçant la totalité des opérations afférentes à l'exécution de la délégation de service
public et une analyse de la qualité de service ». Ce rapport est assorti d'une annexe permettant à
l'autorité délégante d'apprécier les conditions d'exécution du service public. Dès la
communication de ce rapport, son examen est mis à l'ordre du jour de la plus prochaine réunion
de l'assemblée délibérante qui en prend acte. Au regard de ces rapports, certaines collectivités
territoriales ont repris en régie des services publics en résiliant les délégations en cours au motif
que le rapport qualité/prix du service n’était pas satisfaisant.

§ 3. L’introduction expresse de l’évaluation préalable pour les contrats de partenariat

306. Dans la grande majorité des Etats membres de l’Union européenne, la pratique de
l’évaluation préalable est bien installée843. L’analyse comparative des différents modes de gestion
doit révéler en fonction du standard de qualité du service fixé par les personnes publiques le
niveau d’efficacité du marché ou, encore pour reprendre l’expression de l’économiste J. Dupuit,
le bénéfice socio-économique ou l’utilité du recours au contrat844.

842
Rapport Cour des comptes préc., in http://www.ccomptes.fr/CC/documents/RSFPE/RSPFPJO.pdf, p. 73.
843
P. Cossalter, Les délégations d’activités publiques dans l’Union Européenne, thèse préc., p. 558.
844
B. Grall, De l’entretien des routes à la mesure de l’utilité :le calcul de substitution chez Dupuit, in P. Dockès
(dir.), Les traditions économiques françaises, 1848-1939, Paris, CNRS, 2000, p. 397 et s.

224
Les procédures de passation des contrats administratifs telles que l’appel d’offre ou
encore le dialogue compétitif sont présentées traditionnellement comme un moyen de protéger les
deniers publics845 et donc d’assurer l’efficience économique 846. En effet, elle permettrait la baisse
des prix, l’augmentation de la qualité des produits et des prestations achetés par la collectivité
publique. Néanmoins, l’exigence de bonne utilisation des deniers publics n’est à notre sens que
partiellement satisfaite dans la mesure où il est difficile de parler de bon choix public s’il n’y a
pas eu de confrontation entre les offres publiques et privées.

307. La France, sans être novice dans la théorie du bilan847, est en marge en ce qui concerne
cette tendance à la généralisation des outils d’analyse économique comparative que le
Commissariat général du Plan recommande 848. L’adoption de l’ordonnance du 17 juin 2004 sur
les contrats de partenariat849 a fait resurgir la question de la réception en droit français des
méthodes de l’analyse économique850 en raison de l’obligation de l’évaluation préalable instaurée
par ce texte.

Ainsi, l’article L. 1414-2 du CGCT précise que « les contrats de partenariat ne peuvent être
conclus que pour la réalisation de projets pour lesquels une évaluation, à laquelle la personne
publique procède avant le lancement de la procédure de passation : a) Montre ou bien que,
compte tenu de la complexité du projet, la personne publique n'est pas objectivement en mesure
de définir seule et à l'avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins ou d'établir le
montage financier ou juridique du projet, ou bien que le projet présente un caractère d'urgence ;
b) Expose avec précision les motifs de caractère économique, financier, juridique et administratif,

845
V. G. Clamour, les principes généraux du droit de la commande publique, in Intérêt général et concurrence, thèse
préc., p. 400 et s.
846
F. Jenny, Droit européen de la concurrence et efficience économique, Rev. d’éco. ind. 1993, n°63, p. 193.
847
Le droit administratif français n’a pas découvert les avantages de l’évaluation avec l’adoption de l’ordonnance sur
les contrats de partenariat le 17 juin 2004. Le principe de l’évaluation se retrouve dans le domaine des déclarations
d’utilité publique, à travers la théorie du bilan et la mise à l’enquête publique des variantes d’un projet et dans les
conventions de délégation de service public.
848
L. Baumstark ; Révision du taux d’actualisation des investissements publics, Commissariat général du Plan, 21
janvier 2005, La Documentation française.
849
Ordonnance n°2004-559 du 17 juin 2004, JORF n°141 du 19 juin 2004, p. 10994. Evaluation des contrats globaux
de partenariat (Principe, méthodes et comparaisons) - La Gazette des communes, cahier détaché (collection Etudes et
documents) n. 2 14 /1736 du 5 avril 2004; Rapport de l’IGD, sous la présidence de C. Babusiaux, Gestion directe ou
délégation ? Les conditions de compétition entre les modes d’exécution des services publics: analyse comparative et
propositions, mai 2004, à consulter sur le site internet :www.fondation-idg.org.
850
Sur l’apport de l’analyse économique, P. Cossalter, Les délégations d’activités publiques dans l’Union
Européenne, thèse préc., p. 564 et s.

225
qui l'ont conduite, après une analyse comparative, notamment en termes de coût global, de
performance et de partage des risques, de différentes options, à retenir le projet envisagé et à
décider de lancer une procédure de passation d'un contrat de partenariat. En cas d'urgence, cet
exposé peut être succinct. L'évaluation mentionnée ci-dessus est présentée à l'assemblée
délibérante de la collectivité territoriale ou à l'organe délibérant de l'établissement public, qui se
prononce sur le principe du recours à un contrat de partenariat ».

L’ordonnance n° 2003-850 du 4 septembre 2003 prise en application de la loi n° 2003-


591 du 2 juillet 2003 institue une nouvelle forme temporaire de contrat : les baux emphytéotiques
administratifs hospitaliers (BEA hospitaliers). En vertu de l’arrêté du 17 novembre 2006 relatif
au dossier technique prévu à l'article R. 6145-66 du code de la santé publique, pour les opérations
pour lesquelles il est envisagé de recourir au bail emphytéotique prévu à l'article L. 6148-2, il faut
obligatoirement établir la justification des conditions juridiques d'éligibilité de cette procédure et
la justification économique et financière du choix de cette procédure fondée sur l'évaluation
comparative entre une procédure en bail et des procédures en contrats séparés.

308. Si la rédaction de l’arrêté précité du 17 novembre 2006 est claire, celle de l’ordonnance
par la généralité des termes employés a suscité de vives interrogations : l’analyse comparative
doit-elle porter uniquement sur les modalités de gestion externe ou au contraire l’évaluation doit-
elle confronter la gestion en régie à l’ensemble des procédés contractuels d’interaction public-
privé ? Le guide sur les contrats de partenariat élaboré par les services du ministère de
l’économie, des finances et de l’industrie vient clarifier cette problématique en posant que
« l'analyse comparative demandée à ce stade doit porter sur les différents modes juridiques
envisageables (marché public, gestion en régie, délégation de service public, bail emphytéotique
administratif, contrat de partenariat) et leur éventuelle combinaison pour atteindre l'objectif que la
personne publique s'est fixé. L'analyse doit notamment porter sur le coût global, la performance
et le partage des risques. Dans la plupart des cas, la comparaison pertinente aboutira à une
alternative (par exemple un marché public suivi d'une gestion en régie qu'il conviendra de
comparer à un contrat de partenariat) »851.

851
Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, Les contrats de partenariat. Principes et méthodes, p. 25.

226
309. La délimitation du champ de l’évaluation est primordiale car pour la gestion d’un service
public, l’analyse comparative peut s’avérer très complexe puisque ce sont toutes les modalités de
gestion qui doivent être passées au crible de la théorie du bilan. Une telle précision ne doit pas
être attendue de la part des collectivités publiques. Le guide du ministère des Finances considère
que « si cette analyse doit être effectuée de manière approfondie, sauf éventuellement en cas
d'urgence, et avec sérieux, le non-respect de ces exigences pouvant entraîner la sanction du juge
au titre de son contrôle minimal, il ne peut être exigé à ce stade une démonstration formelle à
caractère mathématique. Si toute comparaison sérieuse suppose un effort de quantification,
indispensable en l'occurrence, ses résultats doivent être considérés avec prudence : par hypothèse,
l'évaluation qui doit être effectuée avant le dialogue compétitif ne peut pas préjuger des résultats
de ce dernier »852.

310. En effet, il faut relativiser l’intérêt d’une évaluation avant la remise des offres du secteur
privé pour juger de l’option la plus opportune, c’est à notre sens une fois la réception des offres
des entreprises candidates que les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices peuvent en
toute conscience arbitrer entre le faire et le « faire faire ». En outre, la personne publique n'aura
pas toujours « une connaissance parfaitement exacte de ses propres coûts. Symétriquement, les
économies et gains de productivité attendus d'une réalisation en contrat de partenariat seront
souvent difficilement quantifiables et se confirmeront, ou pas, au cours du dialogue avec les
candidats si le contrat de partenariat a été retenu, il ne faut toutefois pas perdre de vue que l'on ne
pourra comparer que des coûts prévisionnels puisque, sauf cas exceptionnel d'externalisation, il
s'agira de mener à bien des projets nouveaux soumis à aléas quel que soit leur mode juridique de
réalisation »853.

311. L’évaluation préalable n’a pas seulement pour objet de dégager la modalité
organisationnelle la plus moins onéreuse pour la collectivité publique. Il est même possible de
soutenir que cette finalité n’est pas une priorité du texte. Elle doit mettre en exergue surtout la
situation d’urgence qui résulte d'une situation imprévisible au sens de la force majeure 854  dans
laquelle se trouve la personne publique ou la complexité du projet afin de justifier le recours au
852
Ibid., p. 26.
853
Ibid.
854
Cons. const. 2 décembre 2004 – Déc. n° 2004-506 DC Loi de simplification du droit Journal officiel du 10
décembre 2004, p. 20876

227
contrat de partenariat. En réalisant l’évaluation préalable l’Etat ou les collectivités territoriales
doivent en fait vérifier la pertinence juridique du recours au contrat de partenariat pour reprendre
la terminologie de la MAPPP (Mission d’Appui aux Partenariats Public-Privé) 855. Le second
temps de l’évaluation doit permettre d’exposer « avec précision les motifs de caractère
économique, financier, juridique et administratif, qui l'ont conduite, après une analyse
comparative, notamment en termes de coût global, de performance et de partage des risques, de
différentes options, à retenir le projet envisagé et à décider de lancer une procédure de passation
d'un contrat de partenariat »856.

La difficulté réside dans l’articulation du a) et du b) de l’article 2 de l’ordonnance du 17


juin 2004 : si le critère de l’urgence ou de la complexité est satisfait mais que l’analyse
comparative n’est pas en faveur du contrat de partenariat, la passation d’un tel contrat a-t-elle un
fondement légal ? A contrario, si les conditions juridiques (urgence ou complexité) font défauts
mais que l’analyse comparative montre le bénéfice socio-économique d’un contrat de partenariat,
l’engagement d’une telle procédure est-elle valable ? Pour les BEA hospitalier, l’arrêté du 17
novembre 2006 précise également que l’évaluation préalable doit faire ressortir la justification
des conditions juridiques d'éligibilité de cette procédure et la justification économique et
financière du choix de cette procédure.

312. A la lumière des avis de la MAPPP, qui est l’organisme expert créé par le décret n° 2004-
1119 chargé d’apporter son concours à la réalisation de l’évaluation préalable, la satisfaction aux
critères de l’urgence ou de la complexité est une condition essentielle, nécessaire mais non
suffisante857. A la lecture de l’ordonnance du 17 juin 2004, il ressort clairement que la France n’a
pas voulu en 2004 s’engager dans la voie suivie par les anglais par exemple en privilégiant
855
V. avis MAPPP n°2006-12 du 2 novembre 2006 sur le projet de construction d’un cinéma multiplexe, de
l’aménagement de la gare routière et d’un parking souterrain à Saint-Raphaël, p. 12.
856
La rédaction de l’ordonnance a soulevé une difficulté compte tenu de l’expression « à retenir le projet envisagé ».
Or, il faut bien distinguer le choix du projet du choix de la procédure. En effet, l'analyse comparative n'a pas pour
objet de déterminer si la réalisation de l'investissement projeté (une infrastructure de transport, un hôpital, un musée,
un grand système informatique…) a une utilité collective. La loi n° 2008-735 du 28 juillet 2008 relative aux contrats
de partenariat portant modification de l’ordonnance du 17 juin 2004 revient sur la rédaction ambiguë de l’article 2.
On ne parle plus « de retenir le projet envisagé », désormais, il est écrit que « les contrats de partenariat donnent lieu
à une évaluation préalable, réalisée avec le concours de l’un des organismes experts créés par décret, faisant
apparaître les motifs de caractère économique, financier, juridique et administratif qui conduisent la personne
publique à engager la procédure de passation d’un tel contrat ».
857
V. avis préc. MAPPP n°2006-12 du 2 novembre 2006 sur le projet de construction d’un cinéma multiplexe, de
l’aménagement de la gare routière et d’un parking souterrain à Saint-Raphaël.

228
l’analyse économique comparative des modes de gestion. D’ailleurs, le gouvernement en
mentionnant qu’en cas d’urgence, l’évaluation peut-être succincte, a renoncé à ériger la recherche
du bénéfice économique en clef de voûte du droit des contrats de partenariat public-privé.
313. La modification de l’ordonnance du 17 juin 2004 par la loi n° 2008-735 du 28 juillet
2008858 ne résout pas la question de la hiérarchisation des critères juridiques. Contrairement à la
version de 2004, il est tout de suite énoncé que « les contrats de partenariat donnent lieu à une
évaluation préalable, réalisée avec le concours de l'un des organismes experts créés par décret,
faisant apparaître les motifs de caractère économique, financier, juridique et administratif qui
conduisent la personne publique à engager la procédure de passation d'un tel contrat…Cette
évaluation comporte une analyse comparative de différentes options, notamment en termes de
coût global hors taxes, de partage des risques et de performance, ainsi qu'au regard des
préoccupations de développement durable ». Cette nouvelle formulation va dans le sens d’une
valorisation des résultats de l’analyse comparative par rapport aux critères de l’urgence ou de la
complexité dans la démonstration de la pertinence juridique du recours au contrat de partenariat.

314. La réforme de 2008 étend les possibilités de recours à ce type de contrat : « les contrats de
partenariat ne peuvent être conclus que si, au regard de l'évaluation, il s'avère : 1° que, compte
tenu de la complexité du projet, la personne publique n'est pas objectivement en mesure de
définir seule et à l'avance les moyens techniques répondant à ses besoins ou d'établir le montage
financier ou juridique du projet ; 2° ou bien que le projet présente un caractère d'urgence,
lorsqu'il s'agit de rattraper un retard préjudiciable à l'intérêt général affectant la réalisation
d'équipements collectifs ou l'exercice d'une mission de service public, quelles que soient les
causes de ce retard, ou de faire face à une situation imprévisible ; 3° ou bien encore que, compte
tenu soit des caractéristiques du projet, soit des exigences du service public dont la personne
publique est chargée, soit des insuffisances et difficultés observées dans la réalisation de projets
comparables, le recours à un tel contrat présente un bilan entre les avantages et les inconvénients
plus favorable que ceux d'autres contrats de la commande publique. Le critère du paiement
différé ne saurait à lui seul constituer un avantage ».

858
JORF n°0175 du 29 juillet 2008, p. 12144. V. T. Reynaud, La loi du 28 juillet 2008 : une seconde chance pour les
contrats de partenariat, BJCP n°60, 2008, p. 317 et s. ; v. aussi, N. de Saint Pulgent, Les avancées de la loi du 28
juillet 2008 sur les contrats de partenariat, BJCP n°60, 2008, p. 322 et s.

229
315. Dès lors, en l'absence d'urgence et de complexité du projet, la réforme de 2008 pose le
critère de l’efficience économique859. A notre sens, le législateur a banalisé l’usage du contrat de
partenariat en créant une nouvelle condition juridique860. Cependant, le Parlement français en
mentionnant cette condition d’éligibilité laisse entendre que pour les autres hypothèses (urgence
et complexité), ce bilan positif coût/avantage n’est pas une obligation légale. Or, à notre sens, il
est dit tout aussi expressément dans l’article 2.-I. que « les contrats de partenariat donnent lieu à
une évaluation préalable, réalisée avec le concours de l'un des organismes experts créés par
décret, faisant apparaître les motifs de caractère économique, financier, juridique et administratif
qui conduisent la personne publique à engager la procédure de passation d'un tel contrat…Cette
évaluation comporte une analyse comparative de différentes options, notamment en termes de
coût global hors taxes, de partage des risques et de performance, ainsi qu'au regard des
préoccupations de développement durable ». Bien évidemment, dans le cas de l’urgence ou de la
complexité, l’analyse comparative doit aussi être favorable au contrat de partenariat.

L’article 48 de cette loi étend, à partir du 1er janvier 2009, l’obligation d’évaluation
préalable à tout projet de bail présenté par l’Etat ou par un établissement public de l’Etat conclu
dans le cadre d’une autorisation d’occupation temporaire constitutive de droit réel du domaine
public ». Cette banalisation de l’analyse comparative a été recommandée par M. Besson dans son
rapport intitulé « Mieux acheter pour un meilleur service public : des marchés publics complexes
aux partenariats public/privé » remis le 27 mai 2008 au Premier Ministre.

316. En droit français, la finalité de l’évaluation préalable consiste en une rationalisation de la


décision politique mais le calcul économique n’est pas le seul guide861. La pertinence juridique est
établie si l’une des trois conditions de 2.II est satisfaite et si l’analyse comparative est favorable.
C’est sur ce point que l’évaluation préalable française se distingue de la pratique anglo-saxonne
du Private Finance Initiative qui a vocation à valoriser indûment l’extériorisation de la gestion
d’une activité. En effet, le document du Trésor britannique rédigé pour encadrer les débuts de la

859
V. P. Terneyre, Contrats de partenariat : le Conseil constitutionnel persiste et signe, BJCP n°60, 2008, p. 311 ; v.
aussi D. Linotte, Actualité du droit des contrats de partenariat. Autour de la décision du Conseil constitutionnel du 24
juillet 2008, Gazette du Palais, 8 et 9 août 2008, p. 2.
860
Cette condition juridique rappelle le critère posé dans la version du 4 décembre 2003 de la future ordonnance du
17 juin 2004 : la personne publique « vérifie que le projet répond à des motifs d’intérêt général tels que l’urgence…
ou bien la nécessité de tenir compte des caractéristiques techniques, fonctionnelles ou économiques d’un équipement
ou d’un service déterminé ».
861
P. Cossalter, Les délégations d’activités publiques dans l’Union Européenne, thèse préc., p. 558.

230
PFI en 1995 prend comme postulat de départ la présomption selon laquelle l’approche par le PFI
sera généralement meilleure qu’une gestion selon les modes traditionnels. L’analyse du
gouvernement britannique semble avoir manqué d’objectivité, dans un premier temps, lorsque la
comparaison entre gestion publique et gestion privée était impossible, du fait de l’absence
d’indicateurs et d’exemples concrets862. La best value et la best value for money sont des outils
d’analyse économique qui sont là pour démontrer la supériorité de la gestion déléguée privée 863.
Le but de la notion de Best Value est notamment de comparer gestion publique et gestion privée :
c’est le Public Sector Comparator (littéralement le comparateur du secteur public). La Best Value
for Money permet d’établir, une fois la décision de contracter prise, le meilleur contrat possible
reposant sur l’offre économiquement la plus avantageuse.

317. Le public sector compartor a été vivement critiqué au Royaume-Uni à cause de la


méthodologie employée inapte à assurer la confrontation des coûts réels entre offre publique et
privée. D’après J. Colman, un des responsables de la Cour des comptes britannique, le National
Audit Office (NAO), la méthode de comparaison de coût public-privé est « encline à l’erreur, non
pertinente, irréaliste et fondée sur un bla-bla pseudoscientifique »864. Aussi, la nécessité d’une
évaluation qui permettrait de justifier au regard de critères rationnels la décision d’extérioriser
une fonction ou une activité suppose de disposer d’outils comptables susceptibles de calculer le
coût financier de la fourniture du service par le secteur public. La banalisation de l’analyse
comparative implique donc en droit français une réforme du droit des finances publiques sous
peine d’une méthodologie non disposée à la rationalisation des choix publics865.
862
B. du Marais et P. Cossalter, La Private Finance Initiative, IGD Mars 2001, p. 31 et s.
863
Guide du Trésor britannique, Privat Opportunity Public Benefit, POPB, p. 18 ; v. aussi P. Cossalter, Les
délégations d’activités publiques dans l’Union Européenne, thèse préc., p. 561.
864
Propos cités par F. Marty, S. Trosa et A. Voisin, Les partenariats public-privé, op. cit., p. 66
865
La généralisation de l’évaluation comme préalable à la passation des contrats de service public et des marchés
publics repose sur une comparaison gestion interne/gestion externe qui est impossible sans les instruments
comptables adéquates. Donc sans comptabilité publique analytique, il ne peut y avoir de comparaison objective. La
question est de savoir si la France dispose des moyens comptables suffisants pour rendre toute évaluation instructive
et informative. La comptabilité publique en France est traditionnellement présentée comme permettant strictement de
vérifier la régularité des opérations financières. A l’origine la comptabilité publique est un outil de mise en œuvre du
contrôle de légalité de la dépense publique. Un premier saut culturel a été effectué par le décret n° 62-1587 du 29
décembre 1962 qui dispose dans son article 49 que la comptabilité publique « a pour objet la description et le
contrôle des opérations », mais aussi « l’information des autorités de contrôle et de gestion », ainsi que « le calcul du
coût et du rendement des services et la détermination des résultats annuels ». Néanmoins, la philosophie générale de
la constitution budgétaire fixée par l’ordonnance organique de 1959 a imposé une comptabilité budgétaire dite de
caisse retraçant l'exécution des dépenses budgétaires au moment où elles sont payées et l'exécution des recettes au
moment où elles sont encaissées. La nouvelle constitution financière de la France introduite par le loi organique
relative aux lois de finances (LOLF) n°2001-692 du 1 er août 2001 a pour but en vertu de l’article 27 de la loi

231
Section 3 : Le pendant de la rationalisation du choix public: l’avènement du
gouvernement des juges

318. La valorisation en droit français de la contrainte gestionnaire passe par l’objectivation du


choix public. M. P. Cossalter estime que « le choix objectif par évaluation consiste non pas à
encadrer le choix des modes de gestion des activités publiques, mais à imposer une justification
objective au recours à une modalité particulière de gestion »866. L’analyse économique et
financière précédant la décision publique impliquerait forcément un contrôle renforcé de l’action
du législateur et des collectivités territoriales par les juges constitutionnel et administratif. Le
phénomène de juridicisation de l’action publique ne se fait pas sans heurt. La consécration de
nouveaux principes pose le problème de leur compatibilité avec les principes existants tels que le

organique de « conjuguer comptabilité budgétaire, comptabilité générale et comptabilité d'analyse du coût des
actions et des programmes ». Pour autant, la LOLF n’établit pas une comptabilité analytique stricto sensu. D'ailleurs,
ce concept, évoqué lors de la discussion sur la proposition de loi initiale, a été récusé : une réelle comptabilité
analytique aurait été d'une mise en place bien trop complexe dans le délai imparti. La comptabilité analytique a pour
objectif de calculer des coûts (des activités, des services, des biens…) et de fixer des prix, sans cette méthode, il n’y
a pas de connaissance exacte des coûts, donc pas de véritable bilan « coût/avantage » possible. Par conséquent, elle
constitue un préalable nécessaire pour rendre effectif les nouvelles exigences afférentes au bon usage des deniers
publics car elle conditionne l’avènement d’une politique publique rationnelle en permettant d'éclairer les choix : c'est
tout l'intérêt de la comptabilité analytique comme outil d'aide à la décision. Sans retenir une véritable comptabilité
analytique, les parlementaires tenaient à un instrument d'analyse des coûts. C'est un système hybride entre le budget,
acte financier d'autorisation et de prévision, et la comptabilité analytique, instrument économique d'analyse et de
pilotage qui fait son apparition: la comptabilité d'analyse du coût des actions. Il convient d’indiquer que le calcul du
coût des actions s’apparente en partie à la comptabilité analytique en ce qu'il ne doit pas s'arrêter à des coûts directs
par action. En effet, c'est l'optique du « coût complet des actions » qui est retenue pour l'information des
parlementaires. La loi organique pose le principe selon lequel les règles comptables de l’Etat ne se distinguent de
celles qu’appliquent les entreprises que de façon exceptionnelle. Il faut noter qu’il existe plusieurs référentiels
comptables applicables aux entreprises mais la loi n’en désigne aucun en particulier. Le recueil des normes
comptables de l’Etat précise que « la France se doit, en outre, d’inscrire sa réforme comptable dans la perspective des
travaux de normalisation internationale auxquels elle participe activement ». Le cadre conceptuel comptable est donc
élaboré par référence privilégiée aux trois standards suivants :- le plan comptable général et les règlements du CRC
en vigueur en France ;- le référentiel, en cours de développement, élaboré par le Comité Secteur Public de l’IFAC ;-
le référentiel de l’IASB. L’objectif de cette réforme est de doter la France d’une comptabilité patrimoniale et
analytique permettant de résoudre la problématique de comparabilité des coûts publics et privés par souci de
rationalisation du choix public. A la suite de l’adoption de la LOLF en 2001 pour le budget de l’Etat, la doctrine
s’est interrogée sur la pertinence d’une transposition pour les collectivités territoriales des mécanismes de la LOLF.
Il convient de noter que d’une part « pour ce qui a trait aux collectivités territoriales, les nomenclatures budgétaires
récemment rénovées ainsi que les règles de gestion budgétaire locales avaient intégré, avant les réformes concernant
l’Etat, un certain nombre de principes permettant une plus grande fiabilité des comptes et une plus grande
transparence de gestion » et d’autre part les collectivités territoriales ont par effet de mimétisme déployé leurs
propres outils de pilotage et d’évaluation. V. R. Poli et M. Léon, LOLF et collectivités territoriales, quelle analyse de
la performance au niveau local ?, RFFP n°99, septembre 2007, p. 112 ; F. Marty, Les enjeux liés à l’adoption d’une
comptabilité patrimoniale par les administrations centrales », Revue Internationale des Sciences Administratives,
volume 72, numéro 2, Juin, p. 213 et s.

866
P. Cossalter, Les délégations d’activités publiques dans l’Union Européenne, thèse préc., p. 554.

232
principe de libre administration des collectivités territoriales ou de liberté contractuelle. Quid
alors de l’idée même de décentralisation si l’arsenal législatif a pour effet de vider de sa
substance la règle de la libre administration ? (§1)

Aussi, le carcan normatif mis en place par le conseil constitutionnel qui pèse de plus en
plus lourdement sur les épaules du législateur nourrit le débat relatif à la perfectibilité de la
justice constitutionnelle en France. En effet, il est préjudiciable dans un Etat de droit se réclamant
de l’idéal démocratique de laisser perdurer une justice constitutionnelle dans laquelle il y a un
fossé entre l’étendue des prérogatives que s’est arrogé le conseil constitutionnel et les modalités
de désignation des « sages », censeurs de la loi (§2).

§1. Le principe de libre administration des collectivités territoriales et le renforcement de la


rationalité gestionnaire

319. La reconnaissance du principe de la libre administration des collectivités territoriales par


le constituant867, ainsi que son interprétation par le Conseil Constitutionnel 868 renforcée depuis par
la révision du 28 mars 2003869 instituant une République décentralisée, permet aux collectivités
territoriales870 de bénéficier de la liberté contractuelle 871. Ainsi, les collectivités territoriales se
sont vues reconnaître le pouvoir de multiplier les interactions contractuelles avec les opérateurs
économiques sur la base du principe de la décentralisation872.

867
V. Art. 72 de la Constitution du 4 octobre 1958.
868
Selon le Conseil Constitutionnel le principe de libre administration suppose que l’organe délibérant élu dispose
d’attributions effectives notamment dans la gestion des services publics locaux ; v. en ce sens, Cons. Constit., déc. n°
85-196 DC du 8 août 1985, Evolution de la Nouvelle-Calédonie, Rec., p. 63.
869
V. Loi Constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 ( JO, 29 mars 2003, n° 75, p. 5568 ) relative à
l’organisation décentralisée de la République.
870
L’emploi privilégié du qualificatif « territoriale » en lieu et place de celui de « locale » indique la tendance à la
création d’entité infra-étatique
871
M. Mahouachi, La liberté contractuelle des collectivités territoriales, PUAM, 2002, p. 98 et s.
872
C. Pisani, Le renouveau contractuel des collectivités locales, AJDA 2001, p. 507.

233
Ce phénomène de contractualisation croissante de l’action publique témoigne d’un
véritable changement de l’Etat de droit car comme le note M. le Professeur Terneyre si autrefois
le sentiment était qu’ «  excepté ce qui était limitativement autorisé, tout était interdit.
Aujourd’hui, le sentiment inverse prévaut, tout est permis sauf ce qui est formellement
interdit »873. Mais la liberté contractuelle suppose aussi la liberté de ne pas vouloir contracter. Or,
l’instauration par le législateur d’une évaluation préalable obligeant à contracter dans l’hypothèse
d’une démonstration de la supériorité du recours à la sphère privée en termes d’efficience et
d’efficacité économiques est susceptible de porter atteinte au principe de libre administration des
collectivités territoriales mentionné à l’article 72 de la Constitution selon lequel «  dans les
conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et
disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences ».

320. Par rapport à l’ancienne rédaction, l’article 72 résultant de la révision constitutionnelle de


mars 2003 commence par l’expression « dans les conditions prévues par la loi » alors
qu’auparavant ce membre de phrase était placé en fin d’article comme s’il fallait insister sur le
fait que l’idée de libre administration s’inscrit encore et toujours plus dans la théorie de l’Etat
unitaire. Ce principe ne signifie nullement toute puissance des collectivités territoriales. C’est
pourquoi, la consécration par le législateur d’une norme qui aurait pour objet et pour effet de
limiter le principe de libre administration ne serait pas contraire à l’essence même de ce principe
sauf si le législateur en vient à dénaturer ledit principe par des atteintes excessives.

Le Conseil Constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution une loi qui porterait une
atteinte manifeste à l’économie et à la durée des contrats 874. Le législateur se doit de respecter la
liberté contractuelle locale875 et donc la liberté de ne pas contracter. Nous pensons que la
soumission du choix public au résultat d’une évaluation ne doit pas être perçue comme une
limitation de la décision politique mais comme une obligation de justifier objectivement le
recours au procédé du faire ou du « faire faire ». Un tel dispositif normatif motivé par un souci de
bonne gestion des deniers publics est conforme à la jurisprudence constitutionnelle. En effet, le
conseil autorise un assujettissement des collectivités territoriales à des obligations si ces

873
Cf. P.Terneyre, Les montages contractuels complexes, chron. préc., p. 44.
874
Cons. const., 10 juin 1998, Rec., p. 258.
875
D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, Montchrestien, 7e éd., p. 244.

234
contraintes servent des fins d’intérêt général. A l’occasion de sa décision du 30 novembre 2006,
« les sages » ont décidé que « si le législateur peut, sur le fondement des articles 34 et 72 de la
Constitution, assujettir les collectivités territoriales ou leurs groupements à des obligations, c'est à
la condition notamment que celles-ci concourent à des fins d'intérêt général ; qu'il peut aux
mêmes fins déroger au principe de la liberté contractuelle, qui découle de l'article 4 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 »876. Selon nous, la préservation des
finances publiques peut être qualifiée d’exigence d’intérêt général comme le laisse présumer la
consécration juridique du concept de bonne gestion des deniers publics et ce au plus haut rang
normatif.

321. D’ailleurs, le juge constitutionnel, dans sa décision n° 2008-567 DC du 24 juillet 2008


portant sur loi relative aux contrats de partenariat877, a décidé que l'intérêt du bon emploi des
deniers publics, exigence de valeur constitutionnelle qui découle des articles 14 et 15 de la
Déclaration de 1789 répond à un motif d’intérêt général878. Toujours dans cette décision, les
« sages » ont estimé que le I de l'article L. 1414-2 du code général des collectivités territoriales
suivant lequel « cette évaluation est menée selon une méthodologie définie par le ministre chargé
de l'économie » n’est pas contraire au principe de libre administration des collectivités
territoriales, car « aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi détermine les principes
fondamentaux... de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et
de leurs ressources... ». Tant que l’expert ne prend pas l’ascendant sur l’élu en ce qui concerne la
décision publique, le principe démocratique n’est pas entamé.

322. Il reviendra au juge administratif de contrôler la légalité de l’action de l’administration


locale. La question de la légitimité d’un juge se substituant aux élus locaux dans la détermination
de ce qui est bon pour la satisfaction de l’intérêt public local est une problématique
incontournable. Cette interrogation a largement intéressé M. Hauriou879. Commentant l’arrêt
876
Cons. const., 30 novembre 2006 sur la loi n° 2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au secteur de l'énergie.
877
H. Mouannès, Le contrat de partenariat rattrapé par le conseil constitutionnel, ou, comment sauver les PME d’un
éventuel statut éternel de sous-traitants, chron. préc., p.11 et s. ; J.-D. Dreyfus, La présomption d’urgence viole les
exigences constitutionnelles relatives à la commande publique, chron. préc., p. 1664.
878
V. Cons. Const. Décision n° 2008-567 DC du 24 juillet 2008 portant sur loi relative aux contrats de partenariat,
considérant n°9.
879
G. Quiot, M. Hauriou et la question du droit des collectivités publiques à intervenir dans l’ordre économique (ou
les incertitudes et contradictions d’une pensée confrontée à la naissance du droit de l’interventionnisme économique
public, in Mélanges en l’honneur de J.-A. Mazères, 2008, a paraître.

235
Merlin du Conseil d’Etat en date du 29 juin 1900, il estime que « le suffrage universel est à la
base de toute notre organisation politique et administrative, on est bien obligé d’avoir foi en sa
vertu. Une séparation de pouvoir s’impose ; on ne saurait admettre que le juge administratif
s’immisce dans la gestion des assemblées élues au nom des intérêts communs car alors il n’y
aurait plus de décentralisation. Ce que les lois auraient accordé d’autonomie aux assemblées
élues, le Conseil d’Etat le reprendrait par la voie détournée de l’excès de pouvoir »880. Hauriou a
développé cette idée à l’occasion d’un arrêt relatif à l’extension possible du recours pour excès de
pouvoir à la catégorie des contribuables.

323. Dans un premier temps, Hauriou considère que si en droit le recours du contribuable est
recevable, en pratique, cette réforme peut conduire à paralyser l’action des assemblées
délibérantes et le fonctionnement de la juridiction administrative. Dans un second temps, il écrit
que « le Conseil d’Etat ne doit pas repousser cette mission qui s’offre à lui et cela pour les raisons
suivantes : le contrôle de la légalité lui appartient, par conséquent, tant qu’il se borne à
développer le contrôle de la légalité, il n’empiète pas sur les droits de l’administration active, il
ne se montrerait envahissant que s’il prétendait contrôler l’utilité des dépenses ; si en fait,
l’importance de la tutelle préfectorale se trouve diminuée, il n’y aura pas de mal, au contraire ; il
est urgent d’assurer le respect de la légalité et le bon ordre dans la gestion financière des
administrations locales »881. Lorsque le revirement s’est produit en 1901, le futur doyen de la
faculté de Toulouse a souligné qu’ « il devenait urgent que le Conseil d’Etat assumât la tutelle
des administrations locales »882 car « les conditions d’une décentralisation véritable exigent que la
tutelle administrative soit confiée à un juge, parce que le juge est seul garant possible d’une
liberté »883. Dans l’œuvre d’Hauriou, l’expression de tutelle juridictionnelle est d’emploi
fréquent. Malgré l’utilisation du mot tutelle, la notion de tutelle juridictionnelle doit
s’appréhender comme « un contrôle dont la portée n’excède pas les limites d’un contrôle de
nature juridictionnelle »884.

880
S. 1900.3.67.
881
S. 1900.3.68.
882
Hauriou, note sous CE 29 mars 1901, Casanova, Recueil des notes d’arrêts, tome 2, p. 229.
883
Ibid., p. 230 ; v. aussi, F. Fournié, Recherches sur la décentralisation dans l’œuvre de Maurice Hauriou, LGDJ
tome 245, 2005, p. 280 et s.
884
, F. Fournié, Recherches sur la décentralisation dans l’œuvre de Maurice Hauriou, thèse préc., p. 280.

236
324. Le recours au juge administratif est un moyen d’asseoir la décentralisation tant que celui-
ci se borne à faire un contrôle de légalité et non de l’utilité des dépenses. La résolution de la
question de l’arbitrage entre le faire et le « faire faire » par la méthodologie de l’analyse
économique et financière ne revient pas à contrôler l’utilité de la dépense mais consiste à
confronter le coût de l’offre publique à celui de l’offre privée afin d’assurer « le respect du bon
ordre dans la gestion financière dans les collectivités territoriales » pour reprendre la formule
employée par Hauriou.

325. La banalisation de l’intervention du juge administratif dans le contrôle de légalité des


actes des collectivités territoriales opérée par les lois de décentralisation de1982 a constitué une
véritable révolution. Ces lois ont « substitué à des rapports qui étaient fondés sur l’autorité, des
rapports fondés sur la légalité, et donc des rapports inégalitaires hiérarchiques, des rapports entre
personnes morales égales »885. Mme. le professeur D. Loschak, s’interrogeant sur la place du juge
dans un Etat démocratique, écrit que « dans la conception du droit public français, le pouvoir
ayant sa source dans la volonté nationale, ne peut appartenir qu’aux élus du suffrage universel…
Toutefois, l’existence d’un Etat de droit exige que les citoyens soient garanties contre l’arbitraire
du pouvoir, notamment grâce au contrôle d’un juge impartial, mais cette impartialité n’est-elle
pas précisément un leurre, ce qui remettrait en cause le postulat sur lequel repose toute la
conception de l’Etat de droit »886 ? A l’exception de l’épisode sur le socialisme municipal, la
marge de liberté laissée aux collectivités territoriales pour la création et la gestion des services
d’intérêt public local par le juge administratif est loin d’être négligeable 887. Une analyse de la
jurisprudence administrative n’étaye pas la thèse selon laquelle le juge serait l’ennemi de la
décentralisation. Le Conseil Constitutionnel lui-même n’a jamais consacré une interprétation
absolutiste du principe de libre administration des collectivités territoriales.

§2. La loi sous surveillance du Conseil Constitutionnel

326. Dans leur ouvrage intitulé « La loi sous surveillance », M. le Professeur F. Hamon et
Mme C. Wiener se demandent « dans un régime où la loi est censée être l’expression de la
885
J.-F. Hertgen, in Les collectivités locales, dix ans après les lois de décentralisation : de la tutelle administrative à
l’intervention des juges ; PUAM 1994, p. 343.
886
D. Loschak, Le rôle politique du juge administratif français, thèse Paris 1970, p. 13.
887
Ibid., p. 226 et s.

237
volonté générale, et où elle bénéficie donc d’une forte présomption de légitimité démocratique, à
quelle autorité peut-on confier le soin de censurer les lois « mauvaises », c’est-à-dire celles qui ne
correspondraient pas à cet idéal ou qui contreviendrait à la Constitution »888 ? Comme l’écrit M.
le Professeur D. Rousseau, c’est parce que le Conseil constitutionnel a réussi qu’il faut le
changer »889.

327. A priori, le constat de l’institutionnalisation d’un gouvernement des juges 890 en


France n’est pas pertinent. Le Conseil constitutionnel ne dispose pas « d’un pouvoir général
d’appréciation et de décision identique à celui du Parlement »891. Néanmoins, l’inflation des
normes à valeur constitutionnelle surtout celles émanant du juge lui-même limite de facto la
liberté du pouvoir législatif. La qualification de gouvernement des juges s’apparente
davantage à une impression qu’à une certitude, c’est pourquoi, M. le professeur G. Timsit a
tenté d’élaborer une grille d’analyse pour distribuer le label « gouvernement des juges »
selon des critères scientifiquement recevables892. Il y aurait trois hypothèses à distinguer :
d’une part, la transcription, d’autre part, la transdiction et enfin, la transgression. C’est
uniquement dans ce dernier cas qu’un gouvernement des juges se révélerait parce que le
juge irait à l’encontre du texte de la norme supérieure qu’il doit appliquer en tenant compte

888
F. Hamon et C. Wiener, La loi sous surveillance, édition O. Jacob, 1999, p. 69 et s. En France, il faut se demander
en priorité s’il revient bien au Conseil Constitutionnel de censurer sur le fond les lois votées par les représentants de
la Nation. Les constituants de 1958 ont créé cette institution pour assurer la répartition des compétences entre le
pouvoir réglementaire et le pouvoir législatif. C’est « une arme contre la déviation du régime parlementaire »
(Discours de M. Debré devant le Conseil d’Etat en date du 27 août 1958). L’objectif n’est pas d’instaurer une
véritable juridiction constitutionnelle compétente pour contrôler sur le fond l’activité du parlement français. Cette
position est expressément affirmée par les rédacteurs de la Constitution de 1958. Lors de la séance de travail du
comité consultatif constitutionnel présidé par P. Reynaud du 7 août 1958, un amendement visant à ce que la loi soit
votée « dans le respect des principes généraux et des droits et libertés individuels définis par le Préambule » est
discuté. R. Janot, commissaire du gouvernement représentant le Général De Gaulle, obtient le retrait de cet
amendement, son argumentation repose sur le fait qu’une telle disposition érigerait le Conseil constitutionnel en
censeur de la loi au regard du texte du Préambule et de la Déclaration de 1789 engageant ainsi la France dans la voie
d’un véritable contrôle de constitutionnalité des lois et du gouvernement des juges. Dans l’esprit des constituants, il
n’y a pas de juge constitutionnel et le préambule de 1946 n’a pas valeur constitutionnelle (Travaux préparatoires de
la Constitution, Avis et débats du comité consultatif constitutionnel, Documentation française, 1960, p. 101). Le
véritable tournant est la décision du 16 juillet 1971 dans laquelle le Conseil constitutionnel est sorti « du rôle de
gardien du domaine réglementaire qui lui était primitivement assigné pour poser en principe que les droits proclamés
par la déclaration de 1789 et le préambule de 1946 avaient valeur constitutionnelle », F. Hamon, C. Wiever, op.cit.,
p. 62.
889
D. Rousseau, Chiche pour une réforme du Conseil constitutionnel, in Mélanges en l’honneur de J.-F. Lachaume,
Droit administratif : permanences et convergences, Dalloz 2007, p. 911.
890
E. Lambert, Le gouvernement des juges, Dalloz 2005.
891
Cette formule a été consacrée pour la première fois dans la décision 54 DC du 15 janvier 1975 relative à la loi sur
l’interruption volontaire de grossesse.
892
G. Timsit, Gouverner ou juger, blasons de la légalité, PUF, coll. Les voies du droit, 1995, p 156 et s.

238
ni de la lettre, ni de l’intention de l’auteur, ni des valeurs du groupe social 893. C’est pourquoi,
l’érection par le Conseil constitutionnel d’une exigence à valeur constitutionnelle telle que le
principe de bonne gestion des deniers publics d’origine prétorienne n’est pas une
transgression. Il est possible de le rattacher directement aux articles 14 et 15 de la
déclaration de 1789894 ou à la loi constitutionnelle de 23 juillet 2008 établissant dans la
constitution l'obligation pour le gouvernement de préparer des "lois de programmation" qui
"définissent les orientations pluriannuelles des finances publiques", et "s'inscrivent dans
l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques".

Conclusion du Chapitre 1

328. L’interrogation qui sous-tend les développements précédents est la suivante : l’Etat


est-il une entreprise de services comme les autres ? La notion d’entreprise demeure un concept
mou mais l’enjeu de cette question est de savoir si l’Etat se distingue encore des sociétés
commerciales dans ses orientations et dans ses modalités de fonctionnement. En droit, l’Etat,
constituant la personnification de la Nation895 ou encore « la personne politique organisée de la
Nation »896, a une finalité différente de l’entreprise au sens de la société commerciale dont le but
897
est le partage de bénéfice ou la réalisation de l'économie . Le calcul économique est le moteur
de l’action des sociétés privées alors que le but de toute personne publique politique est la
réalisation de l’intérêt général. L’incorporation de l’intérêt financier à l’intérêt général n’équivaut
pas à privilégier le calcul économique sur le calcul politique. Cependant, compte tenu de
« l’intégration planétaire des phénomènes économiques, financiers, écologiques et culturels »898,
l’Etat est devenu aussi un bien marchand qui doit être attractif, il s’est donc mué en une
entreprise comme les autres, parmi d’autres, qui doit assimiler aussi scrupuleusement que
possible les critères de gestion des entreprises.
893
D. Bailleul, Quand le juge ressemble au constituant, D. 2004, p. 3091.
894
Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la
contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le
recouvrement et la durée.
895
Esmein, Eléments de droit constitutionnel français et comparé, Sirey, 5e éd., p.1.
896
J.-K. Bluntschli, Théorie générale de l’Etat, Guillaumin et cie, 1891.
897
Article 1832 du code civil.
898
Sylvie Brunel, in Mensuel N° 180 - SPÉCIAL - mars 2007, 10 questions sur la mondialisation.

239
329. L’obligation d’évaluation préalable qui est la transposition en droit administratif de la
pratique des sciences de gestion appelée benchmarking899 n’est pas encore un outil généralisé en
droit français. Le choix du « faire faire » une mission d’intérêt général ne peut prétendre reposer
sur les seuls instruments de l’analyse économique, elle «  ne prétend pas à l’exclusive, c’est à
ceux qui décident du droit de mettre en équilibre les résultats de cette méthode avec ceux que
produisent d’autres types d’analyse morale, systémique, proprement juridique »900. Les
collectivités publiques sont libres de mettre en place une méthodologie d’étude comparative
multicritère. Néanmoins, la consécration constitutionnelle de l’objectif du bon usage des deniers
publics et du principe de l’équilibre des comptes publics vient encourager la banalisation de
certaines pratiques comme l’analyse comparative intégrant forcément le critère de l’efficience
économique ce qui est susceptible de remettre en cause la liberté d’organisation des missions
d’intérêt général.

899
L. Hermel et P. Achard, Le benchmarking, AFNOR, 2007.
900
M.-A. Frison-Roche, Pourquoi se soucier de l’analyse économique du droit ? », Lettre de la mission de recherche
Droit et Justice, n°17, printemps 2004, p. 11.

240
CHAPITRE 2 : LA LIMITE POTENTIELLE AU PRINCIPE D’INDELEGABILITE DES
MISSIONS DE SOUVERAINETE: L’HYPOTHESE DE L’IMPUISSANCE PUBLIQUE

330. En droit français, les missions de souveraineté sont indélégables. Pourtant, chacun peut
constater la tendance lourde depuis une vingtaine d’année à la montée en puissance des
entreprises privées dans la sphère des fonctions de souveraineté. En 1986, un colloque est
organisé autour du projet de loi relatif aux prisons dites « privées » sur le thème « Les prisons
dites privées, une solution à la crise pénitentiaire »901 . Dans un secteur qualifié traditionnellement
de régalien, la stratégie du « faire faire » serait un remède à la crise pénitentiaire, d’où notre idée
de voir dans l’hypothèse de l’impuissance publique un motif d’évolution du droit de
l’organisation des missions de souveraineté. Ce mouvement est-il une entorse au principe
d’indélégabilité ? Dire que les services publics de la justice et de la défense nationale sont hors du
champ de la gestion déléguée n’est pas très instructif car au sein de ces services publics, il est
possible d’isoler des tâches qui, tout en étant une composante desdites activités, sont délégables.
La difficulté réside dans le fait que le processus de segmentation du service public par effet
d’engouement peut atteindre progressivement le cœur des fonctions de souveraineté (Section 1).
Le phénomène croissant de l’interaction public/privé dans le domaine de la sécurité correspond
non pas à l’hypothèse de la délégation d’activités détachables d’un service public indélégable

901
Presses Universitaires d’Aix-Marseille, Economica 1987.

241
mais il correspond à l’hypothèse de la délégation de matières réputées indélégables. A trop
vouloir effeuiller la sphère des missions indélégables, on se rapproche du noyau dur (Section 2).

Section 1 : La montée en puissance du secteur privé dans l’orbite des missions
de souveraineté

331. La présence des entreprises privées dans la sphère des missions de souveraineté alimente
la thèse d’une privatisation des tâches de souveraineté. Mais la valorisation de la doctrine du
« faire faire » dans le périmètre du service public de la justice ne remet pas obligatoirement en
cause le principe d’indélégabilité si le « faire faire » se limite aux activités détachables de la
mission de souveraineté (§1). La difficulté de procéder à la segmentation d’un service public
régalien en matière délégable est encore plus évidente dans le domaine de la défense nationale
d’autant que si en temps de paix la politique du « faire faire » est souvent évitable, en période de
guerre la collaboration public/privé est une nécessité (§2).

§1. Le développement du « faire faire » dans le périmètre du service public de la justice

332. L’arbitrage fait partie des modes alternatifs de règlement des conflits. L’arbitrage a une
place privilégiée au sein de cette catégorie en raison de sa finalité originale, bien différente de la
médiation ou de la conciliation qui se rapproche de la justice étatique (A). La montée en
puissance de la sphère privée dans le périmètre du service public de la justice résulte du
phénomène de segmentation du service public. Cette méthode est largement utilisée dans le
service public pénitentiaire (B).

242
A. Le monopole étatique de la justice concurrencé par l’arbitrage

333. La « crise de la justice étatique » a contribué dans la période récente au développement


des modes alternatifs de solution des litiges en opposition aux procédures juridictionnelles de
type étatique : Alternative Dispute Resolution (ADR) et Modes Alternatifs de Règlement des
Conflits (MARC), selon les acronymes consacrés en pays de common law et en France. Derrière
ces expressions, se cache l’ensemble des procédés hétérogènes, reposant largement sur le contrat
comme méthode de règlement alternatif des différends902. Sous ce vocable, on vise l’arbitrage, la
conciliation et la médiation. Or d’un point de vue théorique, ces trois modes sont distincts car
aussi bien le conciliateur que le médiateur « s’efforcent de rapprocher les parties en litige, sans
pouvoir, à la différence de l’arbitre, leur imposer son règlement »903.
Le concept d’arbitrage pris dans sa dimension internationale ou interne correspond à
l’hypothèse où « les parties conviennent de soumettre leur contentieux au jugement de
particuliers qu’elles choisissent »904. Les arbitres tranchent un litige en tenant leurs pouvoirs
d’une convention905. Ils statuent sur la base de cette convention sans être investis de la mission
juridictionnelle par l’Etat. Au regard du monopole étatique de la justice, c’est uniquement la
pratique de l’arbitrage qui soulève des problèmes juridiques par rapport au principe de
l’indélégabilité des missions de souveraineté.

334. Le thème de la privatisation de la justice prend une ampleur particulière en droit


international car l’arbitrage devient le mode normal de règlement des litiges 906. Le succès repose
avant tout sur la demande des justiciables dans la mesure où l’arbitrage est une réponse aux
carences de la justice étatique. C’est, d’une part, le fondement conventionnel de l’arbitrage soit
par l’insertion d’une clause compromissoire dans le contrat soit l’existence d’un compromis et,
d’autre part, la spécificité de la procédure et de la sentence arbitrales qui expliquent le
développement de ce phénomène en droit interne et en droit international.

902
Comité français de l’arbitrage (ouvrage collectif), Journée d’hommage et d’étude en mémoire à Philippe
Fouchard, Paris 11 mars 2005, éd. Comité française de l’arbitrage, 2005.
903
Ph. Fouchard, E. Gaillard et B. Goldman, Traité de l’arbitrage commercial international, Litec 1996, p. 16.
904
Ibid., p. 12.
905
Dès 1937, la Cour de cassation note que « les sentences arbitrales qui ont pour base un compromis font corps avec
lui et participent de son caractère conventionnel », D. 1938.I.25 ; v. aussi Ph. Fouchard, E. Gaillard et B. Goldman,
Traité de l’arbitrage commercial international, op. cit., p. 33 et s.
906
Ibid., p. 15.

243
Les sociétés qui s’engagent sur les marchés internationaux ne peuvent pas le faire sans
prendre en considération les risques encourus. Les échanges économiques font ainsi naître un
besoin de sécurité juridique bien réel. Or, il n’existe pas de droit mondial du commerce à
l’exception des principes généraux du commerce international, de la lex mercatoria et des traités
internationaux. La première conséquence apparaît sous la forme de problèmes de conflit de loi,
c’est-à-dire de détermination de la loi applicable à un contrat et au litige qui lui est lié. Le succès
de l’arbitrage réside dans la sécurité juridique qu’offre ce mode de résolution des conflits grâce à
l’autonomie de la clause compromissoire et au principe de compétence-compétence 907. Le rôle de
la convention arbitrale dans la détermination des règles applicables est double : tout d’abord,
quant au choix de la loi étatique applicable908 et ensuite, quant au choix des règles matérielles
applicables à la procédure et au fond du litige. Le contentieux peut être jugé suivant un droit
national mais aussi suivant des principes généraux du commerce international, la lex mercatoria,
ou en équité, ce que ne permet pas un tribunal étatique 909. C’est justement cette liberté qui marque
l’originalité de l’arbitrage et explique que ce procédé devienne l’instrument privilégié du
règlement des litiges du commerce international910. Par ailleurs, les parties ont la liberté de choisir
le lieu de l’arbitrage et la composition de l’institution arbitrale. Elles peuvent alors trouver plus
facilement un terrain d’entente en choisissant des arbitres neutres et indépendants puisque non
ressortissants de l’Etat d’une des parties au contrat et spécialistes dans la matière. Enfin, un
avantage qui n’est pas des moindres pour un bon nombre d’entreprises est que les sentences
arbitrales ne sont pas publiques, à la différence des jugements de tribunaux d’Etat911.

335. Le succès de l’arbitrage en droit international est incontestable, mais l’ « arbitralité »


progresse aussi dans des secteurs qui autrefois lui échappaient. En effet, l’article 2060 du code
civil résultant de la loi n°72-626 du 5 juillet 1972 consacre « le principe de liberté de
compromettre des particuliers sur les droits dont ils ont la libre disposition. Toutefois, certaines
questions sont exclues du champ de l’arbitrage et notamment les contestations intéressant les

907
D. Bureau et H.M. Watt, Droit international privé, tome 2, Thémis droit, PUF 2007, p ; 279 et s.
908
Article 1496 NCPC : «  L'arbitre tranche le litige conformément aux règles de droit que les parties ont choisies ; à
défaut d'un tel choix, conformément à celles qu'il estime appropriées ». Il tient compte dans tous les cas des usages
du commerce.
909
Article 1474 NCPC : « L'arbitre tranche le litige conformément aux règles de droit, à moins que, dans la
convention d'arbitrage, les parties ne lui aient conféré mission de statuer comme amiable compositeur ».
910
S. Lazareff, L’arbitre est-il un juge ?, in Mélanges offerts à C. Reymond, Litec 2004, p. 173.
911
L. Cohen-Tanugi, Le droit sans l’Etat, Quadrige / PUF, 1992.

244
collectivités publiques et les établissements publics et plus généralement toutes les matières qui
intéressent l’ordre public »912. Cette interdiction était déjà présente dans le code de procédure
civile de 1806 et elle était aussi consacrée par la jurisprudence administrative 913 . Elle est motivée
par la crainte que « les arbitres risqueraient d’être moins soucieux des intérêts publics que les
juges étatiques »914. Selon le commissaire du gouvernement Gazier, « les ministres ne peuvent
remettre aux mains des arbitres la solution d’une question litigieuse parce qu’ils ne peuvent pas
se dérober aux juridictions établies »915. Néanmoins, la loi n°75-596 du 9 juillet 1975 précise que
« des catégories d’établissements publics à caractère industriel et commercial peuvent être
autorisées par décret à compromettre ». L’article 9 de la loi du 19 août 1986 indique que « par
dérogation à l’article 2060 du Code civil, l’Etat, les collectivités territoriales et les établissements
publics sont autorisés, dans les contrats qu’ils concluent conjointement avec des sociétés
étrangères pour la réalisation d’opérations d’intérêt national, à souscrire des clauses
compromissoires en vue du règlement, le cas échéant définitif, de litiges liés à l’application et
interprétation de ces contrats »916. Comme l’écrit M. le Professeur C. Guettier « si le principe de
prohibition n’est pas abandonné, il est de plus en plus entamé et sa crédibilité même remise en
cause par la multiplicité et l’importance des exceptions qui lui sont apportées »917.

336. La question principale n’est plus tant de faire le bilan de cette « justice alternative » mais
de s’interroger sur le point de savoir s’il s’agit bien d’ « une justice privée ». La prétendue
atteinte au monopole étatique de la justice par l’arbitrage est infondée, d’une part, au regard de la
notion même d’arbitrage qui ne peut raisonnablement être qualifiée de justice privée. Le
Professeur R. David a écrit que « la justice de l’arbitrage est en règle très générale, une autre

912
C. Guettier, Droit des contrats administratifs, Thémis PUF, 2e 2008, p. 150.
913
CE 17 mars 1893, Cie des chemins de fer du Nord, S. 1894, 3, 119  ; CE 23 décembre 1887, De Dreux-Brézé,
évêque des Moulins, Leb., p. 842.
914
C. Guettier, Droit des contrats administratifs, op. cit., p. 150
915
CE 13 décembre 1957, Société nationale de vente des surplus, Leb., p. 678.
916
L’adoption de cette loi fait suite à l’avis du Conseil d’Etat du 6 mars 1986 dans l’affaire Eurodisneyland, EDCE
1987, n°38, p. 178. v. aussi l’article 11 de l’ordonnance n°2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat
917
C. Guettier, Droit des contrats administratifs, op. cit., p. 469 ; v. aussi Y. Gaudemet, L’avenir de l’arbitrage en
droit administratif français, in Mélanges en l’honneur de J. Moreau, Economica 2003, p . 165 ; v. encore S.
Braconnier, Arbitrage et contrats publics d’affaires. Vers la consécration d’un principe d’arbitralité, in Mélanges en
l’honneur du Professeur Guibal, CREAM, 2006, t. 2, p. 319 ; v. enfin, L’arbitrage en droit public, rapport du groupe
de travail présidé par le président Lateboulle, JCP A, 2007, n° 2082. S. Lemaire, C. Jarrosson et L. Richer, Pour un
projet viable de réforme de l’arbitrage en droit administratif, AJDA 2008, p. 617 et s. ; v. aussi P. Terneyre et C.
Vérot, Le projet de réforme de l’arbitrage des litiges intéressant les personnes publiques est tout à fait viable, AJDA
2008, p. 905 et s.

245
justice que la justice des tribunaux ordinaires. Ce n’est pas seulement le juge qui est différent,
mais la justice elle-même dans les juridictions arbitrales : la justice et le droit »918. D’autre part, la
justice dite « publique » n’est pas exclue de la procédure arbitrale. Comme le constate les
Professeurs Mazeau et Chabas, l’arbitrage se développe, ce phénomène ne s’apparente pas à un
désengagement de l’Etat renonçant à agir directement en matière de justice en recourant à une
justice privée derrière laquelle il se retirerait 919. L’arbitrage n’est en aucun cas une justice privée,
c’est un mode alternatif des règlements des conflits920.

En revanche, M. R. de Bellescize souligne que « l’arbitrage n’est admissible que dans la


mesure où il se confond avec la conciliation, seule cette modestie de prétention justifie la faculté
d’y recourir »921. Cette position revient à confondre abusivement arbitrage, conciliation et
médiation922. Le Conseil d’Etat dans son rapport de 1993 insiste sur la double nature de
l’arbitrage : justice à la fois conventionnelle et privée923. M. le Professeur J. Robert met en avant
le caractère exclusivement privé de l’arbitrage quand il la décrit comme « l’institution d’une
justice privée grâce à laquelle des litiges sont soustraits aux juridictions de droit commun, pour
être résolus par des individus revêtus, pour la circonstance, de la mission de juger »924. Et selon
H. Motulsky, il est presque absolument acquis que le trait caractéristique de l’arbitrage est d’être
une justice privée925.Dès lors, certains auteurs se demandent si le développement de l’arbitrage ne
conduit pas à une privatisation de la justice au sens où l’Etat abandonne le pouvoir de juger926.

337. A notre avis, il convient de reformuler la question de la manière suivante pour


véritablement saisir les enjeux du problème : la prolifération de l’arbitrage entre personnes

918
R. David, Droit naturel et arbitrage, Tokyo Yuhikaku 1954, p. 23.
919
Ces auteurs considèrent que « de nos jours on constate, comme une sorte de régression, un retour à l’arbitrage
privé. Dans de nombreux domaines, l’Etat retire à ses tribunaux- qui sont cependant son émanation- la connaissance
de certains procès, pour la confier à des arbitres privés », in Leçons de droit civil, introduction à l’étude du droit, 12 e
éd., Montchrestien 2000, p. 193 ; pour un développement sur l’histoire de l’évolution du droit de l’arbitrage depuis
1789, cf. R. de Bellescize, op. cit., p. 317 et s ; cf. aussi M. Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Gallimard
2000.
920
S. Lazareff, L’arbitre est-il un juge ?, chron. préc., p. 171.
921
R. de Bellescize, Les services publics constitutionnels, thèse préc.
922
P. Fouchard, E. Gaillard et B. Goldman, Traité de l’arbitrage commercial international, op.cit., p. 53 et s.
923
EDCE, Régler autrement les conflits : conciliation, transaction et arbitrage en matière administrative, op. cit., p.
22.
924
J. Robert, L’arbitrage droit interne, droit international privé, Dalloz 1983, p. 3.
925
H. Motulsky, Ecrits, Etudes et notes sur l’arbitrage, Dalloz 1974, p. 13 et s.
926
Dans ce sens v. S. Guinchard, G. Montagnier, A. Varinard, J. Vincent, La justice et ses institutions, 4 e éd., Précis
Dalloz 1996, p. 176

246
privées ou pour les personnes publiques constitue-t-elle une atteinte au monopole étatique de la
justice ? A cette interrogation, nous pensons pouvoir répondre par la négative car la distinction
entre la jurisdictio et l’imperium ainsi que le rôle de l’Etat lors de la délivrance de l’exequatur
confirment la thèse selon laquelle le monopole étatique de la justice est garanti 927. L’arbitre, s’il
dispose de la balance de la Justice, ne détient pas son glaive 928. M. le Professeur D. Cohen
analyse l’interaction entre la justice étatique et l’arbitrage et en arrive à la conclusion selon
laquelle l’influence du public sur l’arbitrage « se traduit par un double mouvement
d’encadrement des pouvoirs d’une part, d’institutionnalisation et de juridictionnalisation
croissantes, d’autre part »929. Le danger réside sans doute dans cette promiscuité entre ces deux
institutions car comme le montre le Professeur B. Oppétit l’étroite coopération entre l’arbitrage et
la justice étatique a engendré l’affadissement et le déclin de sa spécificité. Il présente désormais
« les traits d’un système mixte, à la fois mi-public et mi-privé, mi-contractuel et mi-
institutionnel »930. Tant que l’arbitrage se trouve dans la dépendance de la justice publique et ne
singe pas celle-ci, il n’y aucune atteinte au monopole étatique de la justice.

B. La segmentation du service public de la justice en activité délégable: l’exemple du


service public pénitentiaire

338. Le service public de la justice relève des fonctions de souveraineté de l’Etat, il ne peut
donc pas être délégué à une personne privée. Mais à regarder de plus près les solutions
jurisprudentielles, cette affirmation est partiellement erronée parce que les missions composant le
service public de la justice ne sont pas toutes indélégables. Elles ne sont pas toutes des fonctions
de souveraineté. Certaines tâches rattachées au service public de la justice gravitent dans l’orbite
des missions de souveraineté, elles sont par conséquent susceptibles de faire l’objet d’une
délégation à la sphère privée. Ce processus est qualifié de « segmentation du service public »931
ou encore de « fragmentation des structures de gestion »932. Ce phénomène permet d’accroître le
champ de la stratégie du « faire faire » à des matières qui lui échappaient.

927
Dans ce sens, v. P. Espuglas, Conseil Constitutionnel et service public, thèse préc., p. 41 et s.
928
C. Reymond citant G. Bernini, in Mélanges en hommage à F. Terré, Paris, 1999, p. 256.
929
D. Cohen, Justice publique et justice privé, in Archives de philosophie du droit, tome 41, Le privé et le public, éd.
Sirey 1997, p. 158.
930
B. Oppetit, Théorie de l’arbitrage, PUF 1998.
931
J. Viguier, Les régies des collectivités locales, Economica, 1992, p. 63.
932
J. Chevallier, Le service public, 3e éd., PUF, coll. Q.S.J, 1994, p. 85.

247
Il ne faut pas confondre ce procédé avec la délégation d’activités qui participent à la
satisfaction des besoins des services et qui sont donc par définition hors du périmètre du service
public. La pratique de la segmentation « consiste à considérer comme un service public
susceptible d’être délégué une activité qui n’est qu’un élément constitutif d’un service public
global »933. Par exemple, dans une décision en date du 23 novembre 1998, le Tribunal des
Conflits a considéré qu’ « un contrat entre le directeur de la maison d’arrêt d’Aix-en-Provence et
M. X..., exerçant le commerce sous l’enseigne “Depaix”, par lequel ce dernier s’engageait, d’une
part, à fournir à la maison d’arrêt le matériel et la technique nécessaires à l’installation d’une
antenne collective de télévision et au câblage de tous les locaux de détention, d’autre part, à louer
à chaque détenu qui en ferait la demande, un téléviseur en couleur, pour un loyer mensuel de 280
F…n’a pas pour objet de faire participer M. X... à l’exécution du service public administratif ;
que conclu seulement pour les besoins du service public, il ne comporte pas de clauses
exorbitantes du droit commun »934. Il ressort de cette décision que la prestation de location de
téléviseurs aux condamnés ne relève pas du service public pénitentiaire 935. C’est pourquoi, nous
délaisseront dans notre étude la pratique du « faire faire » pour des matières ne relevant pas du
service public de la Justice. La détermination des activités détachables mais constitutives d’un
service public non délégable est un travail délicat. L’exemple du service public pénitentiaire
permet d’appréhender la montée en puissance de la sphère privée dans l’orbite des missions de
souveraineté grâce à la stratégie de segmentation du service public.

933
L. Richer, L’avis du Conseil d’Etat du 18 juin 1991 relatif au marché d’entreprise de travaux publics, CJEG 1992,
chron., p. 519.
934
TC Bergeas, 23 novembre 1998, req. n°03124.
935
Dans le même sens, v. TC 21 mai 2007, req. n°C3609 : « un contrat portant sur la gestion et l’exploitation d’un
réseau d’appareils de télévision mis à la disposition des malades d’un hôpital n’a pas pour objet de faire participer
l’entreprise titulaire du contrat à l’exécution du service public administratif. Conclu seulement pour les besoins du
service public, il ne comporte pas de clauses exorbitantes du droit commun. La circonstance qu’il autorise le
prestataire à occuper un local spécialement aménagé dans l’hôpital n’a pas pour effet de lui conférer la nature d’un
contrat d’occupation du domaine public. Il s’agit donc d’un contrat de droit privé, dont le juge judiciaire est
compétent pour connaître ». Cette solution revient sur la solution adoptée par le Conseil d’Etat dans l’arrêt Codiam
du 8 juin 1994 (Rec., p. 294) aux termes duquel Le service public hospitalier comprend non seulement la
dispensation de soins mais également l’aménagement des conditions de séjour des malades. La fourniture d’appareils
de télévision aux personnes hospitalisées relève des éléments de confort proposés aux malades pendant leur
hospitalisation. Participe ainsi au service public hospitalier la société de droit privé qui propose la location des
téléviseurs aux malades. Par suite, compétence de la juridiction administrative pour connaître de la résiliation du
contrat administratif passé entre le préfet et la société et portant sur la location des téléviseurs aux malades
hospitalisés.

248
339. En 1986, le projet de loi « Chalandon » relatif aux prisons dites « privées » établissait un
service public pénitentiaire assuré par l’Etat, mais dont l’exécution pouvait être confiée à une
personne morale de droit public ou de droit privée habilitée à cet effet selon un cahier des charges
approuvé par décret en Conseil d’Etat. La personne privée pouvait prendre en charge aussi bien
les missions de détention, garde des personnes incarcérées que les missions de conception,
financement, construction et maintenance. Le directeur de la prison pouvait être un agent de droit
privé, à condition de présenter une qualification équivalente à celle des directeurs des
établissements gérés par l’Etat. Saisi pour avis, le Conseil d’Etat a estimé que « la direction des
établissements pénitentiaires, la garde et la détention des personnes incarcérées en exécution des
décisions de l’autorité judiciaire, figurent au nombre des tâches qui sont liées à l’exercice par
l’Etat de sa fonction de souveraineté et ne peuvent par conséquent être confiées à des personnes
morales, physiques privées »936. En vertu de la loi n° 87-432 du 22 juin 1987 relative au service
public pénitentiaire, la coopération public/privé ne peut porter que sur les missions de conception,
de construction et d’aménagement des établissements pénitentiaires ainsi que sur les fonctions
autres que celles de direction, de greffe et de surveillance937.

La question qui nous intéresse est de savoir si ces activités délégables sont des éléments
constitutifs du service public pénitentiaire ou des tâches extrinsèques qui contribuent seulement
au besoin du service public. Dès 1986, lors des discussions autour du projet Chalandon relatif aux
prisons dites « privées », le Professeur J-L. Vullierme note qu’ « il faut bien voir qu’une prison
n’est pas d’abord un bâtiment, mais un ensemble de services »938 de sorte que la notion de service
public pénitentiaire doit s’entendre exclusivement comme la prestation de « services ». Nous
sommes tentés d’ajouter, oui mais quels services ?

936
CE, avis, EDCE 1987, sect. De l’intérieur, p. 138.
937
Dans le domaine de l’éducation, le champ de la délégabilité des missions a été circonscrit par le Conseil d’Etat
dans un avis émis le 7 octobre 1986 selon lequel « les communes ne peuvent confier à des personnes privées que la
fourniture ou la préparation des repas à l’exclusion des missions qui relèvent du service de l’enseignement public et
notamment, de la surveillance des élèves ». Si certaines activités ne sont pas au nombre de celles pouvant être
confiées à des personnes privées c’est parce qu’elles s’identifient aux éléments constitutifs matériels du service
public de l’enseignement public gratuit et laïque, v. T. Dal Farra, comm. sous l’avis CE n° 340.609 du 7 octobre
1986, in Les grands avis du Conseil d’Etat, Dalloz 1997, p. 245 et s.
938
J-L. Vullerme, La gestion privée des établissements pénitentiaires : définition économique et argumentations
philosophiques, in Les prisons dites « privées », op. cit., p. 84.

249
340. En 1929, R. Capitant affirmait que tout travail public est un service public immobilier 939.
Ainsi, le titulaire d’un marché d’entreprise de travaux publics dans le domaine pénitentiaire serait
en charge d’un service public immobilier rattaché au service public pénitentiaire. Cependant,
cette conception extensive du service public développée par R. Capitant n’a jamais été consacrée
par la jurisprudence administrative940. Si tel avait été le cas, plusieurs contrats globaux auraient
reçu le label « exécution d’un service public ». Dans l’arrêt du 8 février 1999, Commune de La
Ciotat, le Conseil d’Etat considère que le contrat « ayant pour objet des travaux de modernisation,
d’optimisation, voire d’extension ou de création des installations du service public d’éclairage et
de signalisation tricolore ainsi que l’exploitation de ce service avec garantie de l’intégrité des
installations et du fonctionnement du service et obligation de résultats d’économies et de
performances ne confie pas au cocontractant l’exploitation ou la gestion d’un ouvrage public et
ne saurait dès lors être qualifié de délégation de service public »941.

Dans cette espèce, le titulaire du contrat étant bien chargé d’assurer des travaux publics
l’application de la conception de R. Capitant, si elle avait été reprise par le Conseil d’Etat, aurait
amené le juge administratif à reconnaître que l’entreprise exécutait un service public 942. A la
lumière de cette décision, il convient de douter de l’intégration dans le concept de service public
de la notion de travail public car pour qu’il y ait délégation de service public il faut retrouver
véritablement « l’exploitation du service public, rénover, entretenir, voire refaire entièrement un
ouvrage appartenant à une personne publique (en fait réaliser des travaux publics) et garantir dans
la durée son bon fonctionnement n’est pas l’exploiter »943. En bref, même si l’ouvrage ou les
services (blanchisserie, restauration…) en question sont consubstantiels à l’activité de service
public et si l’accomplissement de ces tâches est une condition sine qua non du bon

939
R. Capitant, La double notion de travail public, RDP 1929, p. 507. Sur la notion de travail public, v. les
développements de F. Llorens, Contrat d’entreprise et marché de travaux publics (contribution à la comparaison
entre contrat de droit privé et contrat administratif), LGDJ Paris, 1981, p. 18 et s. ; v. aussi J-P. Maublanc, De l’unité
de la notion de travail public, in Etudes offertes à J-M. Auby, Ed. Dalloz 1992, p. 227 et s.
940
A. de Laubadère écrit d’ailleurs qu’ « il a même été soutenu qu’un travail public n’était autre chose qu’un service
public » mais que « cette définition paraît forcée », in Du pouvoir de l’administration d’imposer unilatéralement des
changements aux dispositions des contrats administratifs, chron. préc., p. 61.
941
CE 8 fév.1999, Préfet de Bouches-du-Rhône c/ Cne de la Ciotat, com. préc.
942
CE 8 fév.1999, Préfet des Bouches du Rhône c/ Commune de la Ciotat, com. préc., et CE 30 juin 1999,
Département de l’Orne, Société Gespace France, AJDA sept. 1999, p. 714 et s ; v. aussi, CE 8 décembre 1997, Sté
Sotracer, D. 1998, somm. com., p. 360, note P. Terneyre.
943
V. Concl. C. Bergeal sur l’arrêt du CE du 8 fév. 1999, Cne de la Ciotat, com. préc.

250
fonctionnement dudit service, « la gestion ou l’entretien des bâtiments n’est pas l’objet du service
public mais uniquement un moyen de fonctionnement »944.

341. Avec l’adoption des nouveaux partenariats public/privé dans le domaine de la sécurité et
de la justice par les lois LOPSI et LOPJ, la doctrine s’est interrogée sur le statut des missions
telles que la maintenance, l’entretien, le transport, l’hôtellerie, la restauration, l’organisation du
travail, la formation professionnelle dans l’agencement du service public pénitentiaire 945. M. D.
Melloni note que le juge constitutionnel « tout en relevant que sont expressément exclues les
tâches inhérentes à l’exercice par l’Etat de ses missions de souveraineté, poursuit en observant
que leur délégation fera l’objet d’une habilitation et que le respect des exigences propres au
service public pénitentiaire sera dès lors imposé au titulaire dans le cadre de cette habilitation.
Comment les missions dévolues peuvent-elles alors nécessiter le respect des exigences propres au
service public pénitentiaire, sans pour autant être considérées comme s’inscrivant pleinement
dans l’exécution même de ce service »946 ?

342. A la lecture de la loi « Chalandon », l’insertion professionnelle des détenus est clairement
un élément du service public pénitentiaire. Cette mission est organisée par le service pénitentiaire
d’insertion et de probation (SPIP) qui peut très bien déléguer cette tâche à la sphère privée. En ce
sens, le 19 février 2008 un contrat de partenariat a été signé entre l’Agence Publique pour
l’Immobilier de la Justice (APIJ) et le groupe THEIA dont l’objet est la conception, la
construction, le financement et l’exploitation de trois établissements pénitentiaires situés sur les
communes de Nantes, de Lille et de Réau. Ce contrat permet de confier au partenaire privé non
seulement la conception et la construction des trois établissements pénitentiaires, mais aussi les
prestations de service suivantes : la maintenance des établissements, la fourniture des énergies et
fluides, la propreté et l’hygiène des locaux ou espaces extérieurs et la gestion des déchets, le
travail des détenus au sein de l’établissement, la formation professionnelle des détenus, la
restauration des détenus, l’hôtellerie et la buanderie (fourniture et entretien du linge, fourniture

944
V. L. Richer, note sous l’avis du CE 18 juin 199,1 CJEG 1992, p. 517 ; La Cour de justice et des Communautés
européennes a considéré qu’un contrat relatif à la construction et à l’exploitation d’un ouvrage public est une
concession de travaux et non une concession de service ( CJCE du 19 avril 1994, Gestion Hotelera International SA,
aff. n° C-331/92, Marchés publics juin/juill. 1994, n° 282, p. 31.)
945
P. Lignières et J.-P. Lévy, Un PFI à la française : les nouveaux PPP dans la sécurité et la justice, DA déc., 2002, p.
34.
946
D. Melloni, thèse préc., p. 105.

251
d’effets d’hygiène corporelle), la cantine (vente de produits et services aux détenus), le transport
(mise à disposition de véhicules et de chauffeurs), l’accueil des familles, la restauration du
personnel947. Dans le contrat, on trouve des activités étrangères au service public pénitentiaire
participant à son bon fonctionnement et également des tâches constitutives de ce service public.
343. Le service public pénitentiaire n’est donc pas seulement composé de missions de
souveraineté ce qui permet à l’administration pénitentiaire de « faire faire » un nombre
conséquent d’activités d’intérêt général sans qu’il y ait moins d’Etat dans les domaines
fondamentaux où il doit assurer ses missions de souveraineté. Le projet de loi relatif au service
public pénitentiaire présenté en juillet 2008 par le Ministre de la justice, Mme R. Dati, s’inscrit
dans le principe de la politique de segmentation du service public de la justice et pénitentiaire.
Cette fragmentation du service public a été dénoncée par certains auteurs qui se demandent « si
cette activité détachée d’un service public est susceptible d’une exploitation autonome et distincte
vis-à-vis de celui-ci ou si en fait elle n’est qu’une opération de démembrement du service
public »948.

344. La frontière entre la fonction de souveraineté et l’acte détachable est mince au point que
l’accomplissement de la fonction de souveraineté nécessite la présence simultanée de la sphère
publique et privée. Le Conseil Constitutionnel a considéré que la loi ne peut confier à des
personnes de droit privé en matière de surveillance électronique que des prestations techniques
détachables des fonctions de souveraineté. La location et la maintenance des bracelets
électroniques peuvent être déléguées au privé, en revanche la pose et la dépose du bracelet
doivent être assurées directement par l’administration pénitentiaire étant donné que ces missions
relèvent d’une fonction de souveraineté 949. Mais d’un point de vue technique, il peut sembler
difficile de dissocier ces deux actes et donc si l’administration délègue la mise en oeuvre du
dispositif technique permettant le contrôle à distance à une personne privée, le personnel de
l'administration pénitentiaire qui assure la pose et la dépose du bracelet prévu à l'article R. 57-11
peut être assisté des personnes habilitées dans les conditions fixées aux articles R. 57-23 à R. 57-
947
V. http://www.presse.justice.gouv.fr/art_pix/1_DPSignaturecontratBouygues.pdf.

948
E. Delacour, thèse préc., p. 274 ; v. aussi L. Richer, Droit des contrats administratifs, op. cit., p. 519 et O.
Raymundie, Gestion déléguée des services publics en France et en Europe, op. cit., p. 306.
949
Cons. const., 29 août 2002 déc. n° 2002-461 DC sur la loi d'orientation et de programmation pour la justice
(Journal officiel du 10 septembre 2002, p. 14953), considérant n°87.

252
30 du code de procédure pénale950. Ainsi, pour la réalisation de cette tâche, la gestion déléguée est
interdite mais le droit autorise une assistance privée ouvrant la voie à une collaboration
public/privé dans le champ des missions de souveraineté. La dernière illustration, celle du
bracelet électronique, prouve non pas qu’il y a moins d’Etat dans les domaines fondamentaux
mais qu’il y a plus de sphère privée dans le champ des fonctions de souveraineté.

§2. L’essor du « faire faire » dans le secteur de la défense

345. La prégnance de la doctrine du « faire faire » dans le droit de l’organisation des missions
de la défense nationale est symptomatique d’un changement de l’état du droit. Dans une
perspective historique, « il s’agit de la résurgence d’un réflexe très ancien, remontant, pour le
moins au temps de communes et des francs-archers »951. Cette pratique du « faire faire » est
encouragée dans certains travaux parlementaires alors que le droit positif interdit expressément
que des personnes privées gèrent une tâche inhérente à l’exercice des missions de souveraineté
(A). Dans ce secteur d’activité, le droit est amplement influencé par les circonstances factuelles,
les régimes d’exception sont légions en droit militaire pour répondre aux évènements de crise. La
prolifération des sociétés militaires privées en temps de guerre est un signe de la mutation des
règles traditionnelles de fonctionnement des armées dans les démocraties modernes (B).

A. La délégation de certaines tâches relevant du ministère de la Défense

En France, le phénomène de l’externalisation dans le secteur des armées n’a pas l’ampleur
et l’intensité que certaines démocraties occidentales peuvent connaître (1). A l’occasion de
l’adoption d’une loi encadrant le mercenariat, le droit français admet potentiellement le recours
dans certaines hypothèses à des sociétés militaires privées pour compléter l’action des forces
publiques (2).

1. L’externalisation relative dans la défense française952

346. Un rapport d’information sur l'externalisation de certaines tâches relevant du ministère de


la Défense est publié le 12 février 2002. Ce document fait suite à l’adoption de la directive

950
V. Décret 2004-243 2004-03-17 art. 3 II, V JORF 20 mars 2004
951
A. Corvisier (dir.), Histoire militaire de la France, tome 1, Des origines à 1715, PUF 1994, p. 554.
952
Nous employons le terme d’externalisation de ce paragraphe par souci de se conformer au vocabulaire utilisé dans
les rapports parlementaires.

253
ministérielle n°30892 du 3 août 2000 fixant le cadre général de la démarche d'externalisation au
sein du ministère de la Défense et tente d'en préciser les conditions et les limites. En France, la
réflexion autour du « faire faire » dans les armées est devenue une nécessité étant donné l’écart
entre l’augmentation de l’activité opérationnelle et la limitation des ressources financières 953 et la
professionnalisation des armées. Le « faire faire » n’est pas « une véritable nouveauté mais plutôt
un retour par effet de mode autant que par modification des contraintes de la défense. Le
Directoire et l’Empire avaient coutume de confier la logistique de leurs armées, subsistance
autant que train des équipages à des entreprises privées qui remplissaient apparemment leurs
obligations avec un bonheur inégal. En portant le regard cinq siècles plus loin dans le passé, on
trouverait des grandes compagnies qui n’étaient autres que des structures externes à qui l’on
confiait même l’obligation de résultat de tenir la ligne de front »954. Au regard de l’histoire
militaire de la France évoquée dans la première partie 955, le service public de la défense serait
composé d’activités strictement délégables.

347. Dans le rapport d’information précité, le ministère de la Défense considère que le champ
de l'externalisation est appelé à s'étendre à un rythme qui restera néanmoins modéré. La circulaire
du 3 août 2000 précise que trois secteurs seront prioritaires : en premier lieu, les tâches assurées
jusqu'ici par les appelés et qui sont insuffisamment attractives pour être confiés à des personnels
civils ou militaires du ministère de la Défense ; en second lieu, les fonctions de soutien général ;
enfin, les opérations de forte technicité, sous réserve des dispositions permettant de garantir la
réversibilité du mode de gestion. La directive précise qu'il n'est pas souhaitable de dresser une
liste précise des fonctions ou des secteurs susceptibles d'être externalisés, la préoccupation
d'efficacité devant conduire à rechercher une adaptation continue aux besoins. Ainsi, la
segmentation du service public de la défense se veut pragmatique et doit tenir compte des
contraintes opérationnelles pour ne pas dégrader la réactivité et la capacité de projection de
l’armée française.

953
En 1989, les dépenses militaires de la France correspondaient à 3,7 % du PIB, en 2007, ce chiffre tombe à 2,4%,
source OTAN, http://www.nato.int/issues/defence_expenditures/index-f.html.
954
J. Aben et J. Percebois (coord.), Le fardeau de la sécurité. Défense et Finances publiques, L’Harmattan, 2004,
p.15.
955
V. A. Corvisier (dir.), Histoire militaire de la France, op. cit.

254
Le Livre Blanc de la défense et la sécurité nationale de juin 2008 souligne que « les
ministères exploreront systématiquement les possibilités d’améliorer les prestations, tout en
économisant les ressources publiques au moyen de partenariats avec des entreprises privées,
rendant le même service à l’Etat qu’une opération en régie, notamment pour le maintien en
condition opérationnelle »956. L’utilisation de l’adverbe systématiquement montre que le « faire
faire » est le principe, la gestion en interne l’exception. Le deuxième Conseil de modernisation
des politiques publiques qui s’est tenu en avril 2008 dans le cadre de la révision générale des
politiques publiques (RGPP) vient conforter le principe du recours systématique au « faire faire »
pour les fonctions qui n’appartiennent pas aux missions de souveraineté. La difficulté réside dans
l’identification du cœur de métier du service public de la défense en supposant encore qu’il existe
un « cœur de métier »957. Traditionnellement, dans le domaine du management privé, les
industriels externalisent les fonctions basiques (ménage, transport, restauration), le cœur de
métier correspond alors aux fonctions stratégiques mais on assiste actuellement à un glissement
qualitatif de l’externalisation. C’est ce que les économistes appellent « la nouvelle
externalisation »958, car ce processus touche des activités de plus en plus proches du cœur de
métier des entreprises959. Les critères fonctions basiques/fonctions stratégiques sont inopérants
pour déterminer le cœur de métier d’une entreprise.

348. Jusqu’à présent, on ne peut pas dire qu’il y a un saut qualitatif dans la politique
d’externalisation du ministère de la défense. M. Philippe Leymarie écrit ainsi : « évitant de
toucher à des fonctions aussi « sensibles », l’armée française a, depuis trois ans, commencé par
confier au privé l’entretien des locaux, les espaces verts, le ramassage des ordures le nettoyage
des tenues. Des expérimentations sont en cours sur une dizaine de bases pour le transport du
personnel et la maintenance de la bureautique, ainsi que pour le soutien du réseau informatique
de l’état-major. Le ministère français de la défense a également confié au privé la gestion des
immeubles de la gendarmerie (75 000 logements), qui accapare 1 200 personnes, ainsi que celle
des réseaux de transmission et du parc automobile commercial des armées (25 000 véhicules)»960.

956
Livre Blanc de la défense et la sécurité nationale, p. 293, v.
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/084000341/0000.pdf.
957
A. Cappeau, La nouvelle externalisation, J.-P. Huguet 2006, p. 85.
958
Ibid., p. 17.
959
Ibid., p. 20.
960
P. Leymarie, Défenses européennes en voie d’externalisation, Le monde diplomatique, novembre 2004.

255
La détermination des activités détachables délégables se fera sans nul doute au coup par coup au
gré des espèces que le juge devra trancher.

2. Le statut du mercenariat d’entreprise en droit français

349. A l’occasion du débat en France sur la loi relative à la répression de l’activité de


mercenaire961, la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat
a expressément écarté du champ d’application de cette loi l’activité des sociétés militaires privées
dont l’objet social est d’assurer la sécurité, porter une assistance militaire et vendre des conseils
stratégiques. Cette nouvelle pratique du mercenariat d’entreprise consiste à recourir sous contrat
aux prestataires civils pour mener des opérations et des tâches militaires. M. Pelchat, rapporteur
du projet de loi au Sénat, a souligné que pour le moment la question du recours au mercenariat
d’entreprise, c’est-à-dire le recours à des sociétés militaires privées, n’est pas sur l’agenda
politique. Comme le précise le rapporteur, « le projet de loi ne préjuge en rien de l’attitude que
pourraient adopter les pouvoirs publics, il laisse une place éventuelle à de telles sociétés dans un
cadre qu’il resterait alors, si cette voie était suivie, à organiser et à réglementer. Le débat sur
l’intervention dans le domaine de la sécurité, voire du conseil et de l’assistance militaires, de
sociétés privées spécialisées, ne semble pas aujourd’hui véritablement lancé en France »962.

350. Le nouveau modèle de mercenariat d’entreprise a été défini en 1997, par le rapporteur
spécial des Nations unies dans un document spécial : « les activités des mercenaires ne font pas
seulement que continuer à exister, elles changent de nature. L’établissement de compagnies qui
vendent du conseil militaire, de l’entraînement et des services de sécurité à des pays clients en
échange d’argent ou de concessions minières et énergétiques (…) devient très répandu. (…).
Selon ce nouveau concept, il apparaît que tout Etat possède la liberté d’acheter des services de
sécurité sur le marché international auprès d’organisations composées de personnes de
nationalités différentes »963.

961
Loi n°2003-340 du 14 avril 2003 relative à la répression de l’activité de mercenaire.
962
M. Pelchat, Rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le
projet de loi relatif à la répression de l’activité de mercenaire, n°142, Sénat, session ordinaire 2002-2003, p. 19.
963
Y. H. Tekfa, Le mercenariat moderne et la privatisation de la guerre, Géostratégiques n°9, oct. 2005, p. 157 et s

256
351. La loi de 2003 donne une définition très classique de l’activité de mercenaire. M. Joulaud,
rapporteur du projet à l’Assemblée nationale parle de « mercenariat traditionnel à la papa »964.
Cette loi s’inspire très fidèlement de l’article 47 du protocole I du 8 juin 1977 additionnel aux
Conventions de Genève du 12 août 1949 ratifié par la France le 11 avril 2001 965 aux termes
duquel est mercenaire selon les critères suivants : (a) il est spécialement recruté dans le pays ou à
l’étranger pour combattre dans un conflit armé ; (b) il prend de facto une part directe aux
hostilités ; (c) il prend part aux hostilités essentiellement en vue d’obtenir un avantage personnel
et auquel est effectivement promis, par une partie en conflit ou en son nom, une rémunération
matérielle nettement supérieure à celle qui est promise ou payée à des combattants ayant un rang
et une fonction analogues dans les forces armées de cette partie ; (d) il n’est ni ressortissant d’une
partie en conflit, ni résident du territoire contrôlé par une partie au conflit ; (e) il n’est pas
membre des forces armées d’une partie en conflit ; et (f) il n’a pas été envoyé par un Etat autre
qu’une partie en conflit en mission officielle en tant que membre des forces armées dudit Etat .
La participation de sociétés militaires privées dans le fait de guerre relève des missions de
souveraineté.

352. D’ailleurs, le Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale, présenté en juin 2008, ne
va pas dans le sens d’une légalisation du mercenariat d’entreprise. En effet, parmi les nouvelles
formes de violence, le livre intègre le recours aux sociétés militaires privées. Ainsi, il est
mentionné que « parallèlement à la généralisation du phénomène des milices dans les Etats plus
fragiles, des sociétés militaires privées se créent en marge ou aux côtés des forces régulières. Ces
sociétés assurent la sécurité d’entreprises installées dans des régions instables, comme en
Afrique. Mais elles jouent aussi un rôle direct de plus en plus manifeste dans les phases de
stabilisation suivant les interventions militaires internationales. Cette évolution va à l’encontre du
principe de légitimité du monopole étatique de la force armée. Le soldat en uniforme n’est plus
immédiatement assimilable à un combattant qui agit dans un cadre multinational. À la confusion
qui résulte de la multiplication des milices s’ajoute alors le brouillage de l’identité des forces
disposant d’un mandat international »966.

964
Expression utilisée dans Le Monde, 5 avril 2003, p. 13.
965
T. Garcia, La loi du 14 avril 2003 relative à la répression de l’activité de mercenaire, RGDIP 2003, p. 677.
966
Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale, p. 28,
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/084000341/0000.pdf

257
B. La prolifération des entreprises privées de sécurité : l’exemple irakien

353. L’exemple de l’organisation de la sécurité par les forces américaines en Irak est instructif
quant à l’inanité de la thèse selon laquelle il existerait des tâches publiques par nature. Il aura
fallu attendre l’implication d’une société militaire privée, Blackwater, dans une fusillade à
Bagdad le 16 septembre 2007 entraînant 11 morts et 14 blessés pour que l’administration
américaine s’interroge sur la légitimité de la participation d’agents privés à des tâches relatives à
la sécurité collective. Le mercenariat d’entreprise a été réglementé aux Etats-Unis par l’adoption
de la loi International Traffic in Arms Régulations en mars 1998 et par la neutrality act de 1937.
Cette « bavure » a, en effet, relancé le débat sur le bien-fondé de l'utilisation de forces de sécurité
privées en Irak mais aussi plus largement sur la mission de base des forces américaines en Irak et
enfin sur le régime de responsabilité internationale applicable à ces sociétés militaires privées 967 .
Une critique régulièrement adressée aux sociétés privées serait le dysfonctionnement du
recrutement de leurs employés. Si la grande majorité est d’anciens soldats de l’armée américaine
qui rempilent, certaines recrutent aussi des vétérans de l’apartheid sud-africain, de la dictature
militaire chilienne ou de la guerre en ex-Yougoslavie.

354. Un rapport, en date du 1er octobre 2007968 rédigé par la Chambre des représentants des
Etats-Unis d’Amérique sur l’activité de cette entreprise en Irak, a mis en évidence une absence
flagrante de contrôle de l’administration fédérale sur les sociétés militaires privées ainsi qu’un
défaut de transparence sur les conditions de conclusion et d’exécution des contrats 969. D’après le
rapport, le coût pour les contribuables de ces contrats avec ces agences privées de sécurité est six
fois plus élevé que si ces opérations étaient effectuées en interne, c’est-à-dire par les forces
militaires américaines, alors que ces nouveaux partenariats public/ privé étaient censés répondre

967
Trois hypothèses sont envisagées par la doctrine : d’une part la mise en cause de la responsabilité individuelle des
employés de ces sociétés, d’autre part la mise en cause de la responsabilité de la société et enfin, la mise en cause de
la responsabilité internationale des Etats. Sur cette problématique v. T. Garcia, Privatisation de la guerre et droit
international public, in J.-J. Roche (dir.), Insécurités publiques, sécurité privée ? Essai sur les nouveaux mercenaires,
Economica 2005, p. 25 et s.
968
V. site : http://oversight.house.gov/documents/20071001121609.pdf.
969
T. Garcia, Sociétés militaires privées en Irak : l’affaire Blackwater, in Chronique des faits internationaux, RGDIP
2008/1, p. 147 et s.

258
aux contraintes budgétaires et dégager des fonds permettant de moderniser les forces armées, de
développer et d’acquérir de nouveaux systèmes d’armes. Le département de la défense affirmait
ainsi, en 2002, qu’il pourrait économiser plus de 11 milliards de dollars entre 1997 et 2005 grâce
à la délégation au secteur privé d’activités exploitées auparavant en régie 970. Un rapport du
Congrès américain, en date du 11 juillet 2007 intitulé « Entrepreneurs privés de sécurité en Irak :
statut juridique, et d'autres questions »971, s’est déjà penché sur le phénomène de ces nouveaux
entrepreneurs de guerre, pour reprendre la terminologie d’une étude récente 972. Ce document
insistait à l’époque sur la nécessaire complémentarité du secteur public et du secteur privé au
regard de la complexité de la mission de sûreté à accomplir sur ce territoire. L’armée fédérale
seule est dans l’impossibilité d’assurer les opérations militaires. Ainsi, le rapport indique que
« les Etats-Unis comptent fortement sur les sociétés privées pour assurer une grande variété de
services en Irak. Ceci est apparemment la première fois que les Etats-Unis comptent sur des
entrepreneurs privés pour fournir une telle sécurité étendue dans un environnement hostile. Le
déploiement des forces privées de sécurité en Irak dépasse en ampleur le phénomène de
contractualisation de la sécurité déjà amorcé en Afghanistan, Bosnie et ailleurs »973.

355. En Irak, ces sociétés privées sont connues sous le nom de sociétés de valeurs mobilières
privées. Elles fournissent des services de sécurité tels que la protection des individus non
militaires transportés en convois, des bâtiments et de toute autre infrastructure, aussi bien que la
formation de la police irakienne et du personnel militaire. Le département d'état américain
dispose de trois entrepreneurs principaux de sécurité ce qui représente 1.395 hommes issus de
Triple Canopy (257 hommes), DynCorp International (151), et, la plus importante, Blackwater,
avec 987 individus (744 Américains, 231 personnes d’autres nationalités et 12 Irakiens).

356. En vendant des prestations de sécurité en Irak, ces entreprises privées réalisent de
véritables missions de police. L'utilisation de ces entrepreneurs armés sur le territoire non
américain soulève donc plusieurs questions d’ordre juridique. En vertu du droit international,
l’intervention de ces entreprises privées qui assurent des missions de défense sans avoir la qualité

970
S. Makki, Sociétés militaires privées dans le chaos irakien, Le monde diplomatique 2004.
971
V. Rapport sur site : http://www.fas.org/sgp/crs/natsec/RL32419.pdf.
972
S. Jung, Les nouveaux entrepreneurs de guerre, Défis juridiques et implications politiques du recours aux sociétés
militaires privées, Mémoire IEP Strasbourg, juin 2006.
973
Rapport sur site : http://www.fas.org/sgp/crs/natsec/RL32419.pdf, p. 13.

259
de force militaire pose le problème de leur statut juridique 974. Ces militaires peuvent-ils être
poursuivis par des cours étrangères ? Ces agents privés peuvent-ils être qualifiés de mercenaire ?
La réponse est positive car les mercenaires sont des personnes qui ne sont pas des membres des
forces armées d'une partie au conflit mais participent au combat pour des motifs financiers. Le
droit international peut les autoriser à combattre pour une partie au conflit, cependant il faut que
les mercenaires aient fait acte d’allégeance à une des parties975. Les mercenaires sont au regard du
protocole I du 8 juin 1977 additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 des
« belligérants non privilégiés, » qui n’ont le droit ni au statut de combattant, ni au statut de
prisonnier de guerre976.

Au regard du caractère stratégique des missions assurées par les entreprises comme
Blackwater (la protection des agents gouvernementaux et le maintien de l’ordre sur certaines
parties du territoire irakien), il n’y a pas dans la doctrine militaire américaine d’activité a
priori indélégable. Le champ des tâches externalisables est déterminé en fonction de la
capacité ou de l’incapacité de la sphère publique et privée. L’exemple américain ne pourrait
être transposé en France en l’état actuel du droit. Malgré l’imprécision de la jurisprudence du
Conseil Constitutionnel qui prohibe toute délégation à des personnes privées des « tâches
inhérentes à l’exercice par l’Etat de ses missions de souveraineté », les activités confiées aux
entreprises privées par l’armée américaine  paraissent devoir entrer dans la catégorie des
« tâches inhérentes à l’exercice par l’Etat de ses missions de souveraineté ». Néanmoins, il
ressort du rapport d’information sur l'externalisation977 et du Livre Blanc que le périmètre des
missions de souveraineté est hautement malléable et que la tendance est clairement au « faire
faire ».

974
Sur cette question, v. E. Lambert Abdelgawad, Les sociétés militaires privées : un défi supplémentaire pour le
droit international pénal, Revue science criminelle et de droit pénal comparé 2007, n°1, p. 163.
975
S. Makki, Militarisation de l’humanitaire, privatisation du militaire, Cirpes, 2004.
976
T. Garcia, La loi du 14 avril 2003 relative à la répression de l’activité de mercenaire, chron. préc., p. 681.
977
Rapport d’information du 12 février 2002 n°3595.

260
Section 2 : La montée en puissance de la sphère privée dans le sillage des
fonctions de souveraineté : la redéfinition des missions des forces publiques de
police

357. Le Professeur Négrin note qu’une raison majeure justifiant le recours au « faire faire » est
l’hypothèse de l’impuissance publique978. L’auteur relève ainsi, en s’appuyant sur les recherches
de L. Bertrand979, que « la participation des personnes privées au maintien de l’ordre public, avant
et pendant la Révolution n’existe que parce que et dans la mesure où la puissance publique ne
peut assumer seule cette tâche »980. La problématique par rapport à l’arrêt Casanova est donc
permutée981 puisqu’ il ne s’agit plus de savoir si des collectivités publiques peuvent exploiter des
activités industrielles et commerciales sous la forme de service public, mais si des personnes
privées peuvent prendre en charge des activités de souveraineté en cas d’une défaillance de
l’initiative publique. De prime abord, on serait tenté d’affirmer que le droit français ne semble
pas s’orienter vers une remise en cause du principe d’indélégabilité des fonctions de souveraineté
au motif de la carence de l’action administrative, cependant derrière les déclarations de principe
des juges français, on assiste de nos jours à un processus de marchandisation 982 et de délégation
des missions de police.

Le particulier et les organismes privés ont de tout temps concouru au maintien de l’ordre
public983 et de la sécurité984. Dès 1925, les statuts d’une nouvelle société privée de gardiennage, la
Société Parisienne de Surveillance, sont déposés à la préfecture 985 sauf que dorénavant, les

978
J-P. Négrin, L’intervention des personnes morales de droit privé dans l’action administrative, thèse préc., p. 21.
979
L. Bertrand, Du concours des particuliers et des organismes privés au maintien de l’ordre public, thèse Paris,
1948.
980
J-P. Négrin, L’intervention des personnes morales de droit privé dans l’action administrative, thèse préc., p. 25.
981
CE 29 mars 1901, Casanova, Rec., p. 333, S. 1901. 3. 73, note Hauriou.
982
ENA, Promotion 1998-2000, La sécurité : le rôle de la puissance publique face à l'émergence d'un bien
économique : groupe n° 10, Direction des études / ENA / 2000.
983
V. à ce titre L. Bertrand, Du concours des particuliers et des organismes privés au maintien de l’ordre public, thèse
préc.
984
La sécurité des personnes, c’est-à-dire la violence physique, est un « droit naturel et imprescriptible de l’Homme».
Autour de ce premier cercle, apparaît la sécurité des biens qui concerne l’ensemble des atteintes aux biens. Enfin, un
troisième et dernier cercle, la sécurité morale, psychologique, sociale et environnementale qui vise à préserver les
populations de la dégradation des conditions de vie et de la transgression des règles de vie en société.
985
A. Verstraete, Des polices privées pour gardiennage d’immeubles, Revue de la Gendarmerie, 15, mai 1928, p. 1.

261
polices privées des espaces domestique et industriel empiètent sur l’espace du domaine public et
sur le champ de compétence des forces publiques. La sécurité aux personnes et aux biens est
devenue « un secteur de services composites dont le trait dominant est l’orientation du profit,
l’obéissance aux lois du marché »986.

358. Dans l’arrêt du 29 décembre 1997, Commune Ostricourt 987, le Conseil d’Etat a considéré
indirectement qu’une commune peut confier à une société spécialisée la surveillance et le
gardiennage de ses biens meubles et immeubles en vertu de la loi n°83-629 du 12 juillet 1983,
dont l’objet est d’encadrer le champ des activités des entreprises privées de surveillance ou de
gardiennage, à l’exception des voies publiques. Le juge administratif, dans l’arrêt Communauté
de communes des Vallons du lyonnais c/ Préfecture du Rhône 988 du 7 mai 2003, a estimé qu'un
contrat confiant à un tiers la triple mission d'assurer la surveillance des accès et des vestiaires du
centre nautique de Vaugneray et d'intervenir en cas de nécessité sur les bassins et les pelouses ne
se limite donc pas à confier à la société privée la sécurité des biens meubles ou immeubles, ainsi
que celle des personnes liées directement ou indirectement à la sécurité de ces biens, mais a
également pour effet de lui faire assurer le bon ordre. Le juge poursuit en notant qu’ « une telle
mission, qui relève de la compétence de la police du maire définie par l'article L. 2212-2 du code
général des collectivités territoriales, ne saurait être déléguée à une société de surveillance et de
gardiennage (car) il résulte des dispositions de la loi du 12 juillet 1983 que les sociétés de
surveillance et de gardiennage ne peuvent se voir confier des tâches d’intervention en vue de
prévenir ou faire cesser les troubles au bon ordre, lesquelles, conformément aux dispositions
précitées du code général des collectivités territoriales, relèvent, dans les communes, de la police
municipale ».

Dans une décision du tribunal administratif de Nice, SA Vigitel c/ Commune de Fréjus, en


date du 22 décembre 2006, le juge a annulé un contrat délégant à une société privée la
télésurveillance des voies publiques de la commune ce qui porterait atteinte à l’étendue des
pouvoirs de police du maire. En l’espèce, par un contrat signé le 10 novembre 1989, la Semaf,
aux droits de laquelle vient aujourd'hui la commune de Fréjus, a chargé la société de surveillance
986
F. Ocqueteau, Gardiennage, surveillance et sécurité privée, op. cit., p. 26.
987
CE 29 décembre 1997, Cne Ostricourt, req. n°170606, DA février 1998, p. 11 ; JCP 1998.II.10139, note X. Prétot.
988
CAA Lyon du 7 mai 2003, Communauté de communes des Vallons du lyonnais c/ Préfecture du Rhône AJDA
2003, p. 1999.

262
et de gardiennage Alarme et Protection, aux droits de laquelle vient aujourd'hui la société SA
Vigitel, d'assurer « la réalisation et l'exploitation (...) de la télésurveillance d'alarme et vidéo
surveillance de Port Fréjus » et notamment « la conception, le financement, l'installation,
l'équipement et la maintenance d'un centre de télésurveillance et des divers équipements qui lui
sont rattachés, ainsi que des matériels et équipements nécessaires au fonctionnement du système
de surveillance installé sur l'ensemble de la zone comprenant le port, les bateaux, les voies et les
rues, ainsi que les immeubles dont les promoteurs demanderont l'équipement ».

Ce contrat ne se limite donc pas à confier à la société privée des tâches de surveillance et
de gardiennage des immeubles et du mobilier urbain de la commune mais il a également pour
effet de lui faire assurer une mission de télésurveillance des voies publiques sur l'ensemble de la
zone de Port Fréjus989. Mme. C. Bergeal, dans ses conclusions sous l’arrêt du Conseil d’Etat en
date du 20 mars 1998, Société d’économie mixte de sécurité active et de télématique 990 a critiqué
la jurisprudence Commune d’Ostricourt en posant la distinction entre la télésurveillance
d’édifices publics qui peut se déléguer et la surveillance d’édifices publics qui ne peut se
déléguer. Il ressort du jugement du tribunal administratif de Nice que l’activité de
télésurveillance des voies publiques n’est pas non plus une mission délégable.

359. La question de la délégabilité de l’activité de télésurveillance a été soulevée en 2005 par


Mme Poletti, députée UMP des Ardennes991. Dans sa réponse du 14 février 2006992, M. Sarkozy,
Ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, précise qu’ « aux termes du deuxième
alinéa de l'article 1er de la loi du 12 juillet 1983 réglementant les activités privées de sécurité,
l'activité d'une entreprise de surveillance et de gardiennage est de fournir aux personnes
physiques ou morales, de façon permanente, exceptionnelle ou discontinue, des services ayant
pour objet la sécurité des biens meubles ou immeubles ainsi que celle des personnes liées
directement ou indirectement à la sécurité de ces biens. L'exercice par une telle entreprise de ses
missions sur la voie publique est possible mais strictement défini et toujours en lien avec la
protection des biens meubles ou immeubles contre les vols, dégradations, déprédations et
effractions. Lui attribuer la gestion d'un dispositif de vidéosurveillance filmant la voie publique,
989
Concl. AJDA 2007, p. 1482 et s.
990
Rec. Leb. 1022.
991
Question publiée au JO le 13 sept. 2005 p. 8478.
992
Réponse publiée au JO le 14 fév. 2006 p. 1604.

263
dont la finalité est la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des
lieux particulièrement exposés à des risques, s'analyserait comme une extension de sa
compétence sans rapport avec ce que la loi et la jurisprudence du Conseil d'État autorisent. En
effet, les agents de sécurité privée ne doivent se livrer à aucune opération de maintien de l'ordre
sur la voie publique ».

A vrai dire, on ne saisit pas très bien la différence de nature entre l’activité délégable de la
sécurité des biens meubles ou immeubles ainsi que celle des personnes liées directement ou
indirectement à la sécurité de ces biens qui peut être exécutée sur la voie publique et l’activité
indélégable de prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux
particulièrement exposés à des risques des atteintes à la sécurité des personnes et des biens. Cette
distinction semble reposer sur le diptyque police de l’ordre public qui ne se délègue pas / police
de la conservation qui est une tâche délégable. Pour certains, la police de conservation présente
bien les critères formels de la notion de police mais l’élément matériel lui ferait défaut : « le but
d’ordre public n’apparaît pas »993. Et si le Conseil d’Etat dans l’arrêt Commune d’Ostricourt
précité a considéré que sur la base de la loi du 12 juillet 1983, une commune ne peut confier à
une société privée la surveillance ou la télésurveillance des voies publiques de l’ensemble de la
commune, c’est parce qu’en matière de voies publiques, il serait admis que la police de la
conservation et la police de l’ordre public se confondent994.

360. La délégabilité de la police de la conservation reposerait sur le fait qu’elle révèle « un
caractère patrimonial qui lui confère une nature différente de la police générale »995. Ce point de
vue n’est pas défendable car comme l’écrit le Professeur Klein 996, l’ordre public étant un
réceptacle, il est en mesure de digérer les considérations patrimoniales normalement rattachées à
la gestion d’un domaine997. Assurer la sécurité des biens meubles ou immeubles, ainsi que celle
des personnes liées directement ou indirectement à la sécurité de ces biens, c’est déjà assurer le
bon ordre public, c’est pourquoi, la distinction opérée par la jurisprudence administrative entre la

993
G. Watrin, Quelques rapports entre la notion de police du domaine public et service public, RDP 1936, p. 155.
994
CE 16 juin 1933, Ramel frères.
995
A. de Laubadère, Traité élémentaire, t. 2, éd. 1968, p. 170. E. Picard écrit que « dans l’opinion dominante
contemporaine, l’opposition entre police de la conservation et police de l’ordre public se confirme », in La notion de
police administrative, thèse préc., p. 266
996
C. Klein, La police du domaine public, Paris LGDJ 1966.
997
P. Yolka, La propriété publique, éléments pour une théorie, thèse Paris 1996, LGDJ 1997, p. 238 et s.

264
mission de surveillance des bien qui serait délégable et les tâches d’intervention en vue de
prévenir ou faire cesser les troubles au bon ordre qui seraient indélégables est largement sujette à
caution car ces deux types de missions visent le même objectif le maintien de l’ordre public. G.
Deffere en 1983 a estimé qu’ « une très grande partie des activités confiées aux sociétés privées
par le projet de loi, (relevaient) par nature des missions générales de police »998.

Il est intéressant de noter que la loi n° 95-73 du 21 janvier de 1995 indique que « L'Etat a
le devoir d'assurer la sécurité en veillant, sur l'ensemble du territoire de la République, à la
défense des institutions et des intérêts nationaux, au respect des lois, au maintien de la paix et de
l'ordre publics, à la protection des personnes et des biens » et en même temps cette disposition
législative identifie un versant privé de la sécurité en précisant que « les entreprises de
gardiennage, de surveillance et de transports de fonds, d'une part, les agences privées de
recherche, d'autre part, exercent des activités de sécurité de nature privée…elles concourent ainsi
à la sécurité générale »999. A notre sens, la distinction sécurité publique/sécurité privée n’est pas
pertinente, cette segmentation des missions sécuritaires est purement artificielle. Ces deux sortes
de sécurité visent le même objectif : la sécurité des personnes et des biens. Cet argument de la
délégabilité des missions de la sécurité privée n’est là que pour préserver en apparence l’intégrité
du principe d’indélégabilité des fonctions de police. La légalisation des activités de surveillance,
de gardiennage et de transports de fonds n’est pas une simple extension des prérogatives
reconnues aux propriétaires qui en vertu du décret du 20 messidor an III et de la loi du 3 brumaire
an IV ont «  le droit d’avoir pour la conservation de ses propriétés un garde champêtre»1000.

361. Le secteur privé de la sécurité a bien vocation à se substituer au secteur public.


D’ailleurs, l’article 15 de la loi n°2003-239 du 18 mars 2003 qui vient modifier la loi de 1983
précise que sont soumises à ces dispositions législatives, dès lors qu'elles ne sont pas exercées par
un service public administratif, les activités de surveillance et de gardiennage, de transport de
fonds et de protection physique des personnes. On en déduit que ces activités entrent aussi dans la
compétence des forces publiques. Aussi ? l’article 12 de la loi du 21 janvier 1995 qui pose que
998
JO débats AN, discussion générale, 2e séance du 18 avril 1983, p. 264
999
V. annexe 1 de la loi ; v. aussi T. Le Goff, Réformer la sécurité par la coproduction : action ou rhétorique ? in
Réformer la police et la sécurité, les nouvelles tendances en Europe et aux Etats-Unis (sous la dir. S. Roché), Odile
Jacob, p. 80 et s.
1000
R. Vidal et G. Senac de Monsembernard, Manuel des gardes et de police locale, Guides pratiques de
l’administration territoriale, Litec, 14e éd., p. 133.

265
« les propriétaires, exploitants ou affectataires d'immeubles à usage d'habitation et de locaux
administratifs, professionnels ou commerciaux doivent, lorsque l'importance de ces immeubles
ou de ces locaux ou leur situation le justifient, assurer le gardiennage ou la surveillance de ceux-
ci et prendre les mesures permettant d'éviter les risques manifestes pour la sécurité et la
tranquillité des locaux »1001 oblige les propriétaires à assurer eux-mêmes la sécurité de leurs biens
et du public qui pénètre dans les locaux concernés1002. Cette mesure fait passer la responsabilité
de l’Etat au second plan en érigeant les entreprises privées de sécurité en acteur privilégié sinon
unique dans le domaine de la prévention et de la cessation des infractions 1003. Ce moyen n’a pas
été visé lors de la saisine du Conseil Constitutionnel1004.

362. La loi n°89-467 du 10 juillet 1989 modifiant diverses dispositions du code de l’aviation
civile1005 s’inscrit dans cette logique de remise en cause du monopole public en matière de sûreté
publique en systématisant le recours à des agents privés pour assurer la sécurité aéroportuaire.
Ces agents procèdent à la visite des bagages, du fret, des colis postaux, des aéronefs et des
véhicules à la condition d’avoir reçu l’agrément du Procureur de la République et sous le contrôle
d’un officier de police judiciaire. Ces activités ne correspondent absolument pas aux prérogatives
conférées au propriétaire1006. La loi du 15 novembre 20011007, adoptée à la suite des attentats du 11
septembre 2001, accroît également les pouvoirs des agents privés en leur donnant la possibilité
d’effectuer une palpation de sécurité sur les personnes et de procéder à la fouille des bagages
après y avoir été autorisés dans un but d’investigation. Ce mouvement de délégation de tâches
afférentes à la sûreté publique a été confirmé par la loi n°2005-357 du 20 avril 2005 relative aux
aéroports1008.

1001
V. aussi Décret n°97-46 du 15 janvier 1997 relatif aux obligations de surveillance ou de gardiennage incombant à
certains propriétaires, exploitants ou affectataires de locaux professionnels ou commerciaux.
1002
C. Meyer, Gardiennage et surveillance des locaux commerciaux et des parcs de stationnement, AJPI 1997, p. 933.
1003
F. Nicoud, La participation des personnes privées à la sécurité publique : actualité et perspectives, chron. préc., p.
1260 et s. ; v. aussi Décret 97-47 du 15 janvier 1997 relatif aux obligations de surveillance incombant à certains
propriétaires ou exploitants de garages ou de parcs de stationnement
1004
Cons. Con., décision DC n° 94-352, 18 janvier 1995, Loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité,
Rec., p. 170.
1005
JO 11 juillet 1989, p. 8673.
1006
V. aussi la loi n°96-151 du 26 février 1996 relative aux transports, JO 27 février 1996, p. 3094.
1007
Loi n°2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, JO du 16 novembre 2001, p. 18125.
1008
JO 21 avril 2005, p. 6969.

266
Ce phénomène a été validé sur le plan juridique par le Conseil Constitutionnel (qui n’avait
été saisi ni en 1989, ni en 1995 et ni en 2001) par sa décision en date du 14 avril 2005. Il a
rappelé que les sociétés privées dans le secteur aéroportuaire sont chargées directement d’une
mission de police administrative1009. Il est vrai que la délégation à un agent privé d’un pouvoir de
police administrative n’est pas chose nouvelle mais jusqu’ici les missions afférentes à la sécurité
des personnes échappaient au champ de la stratégie du « faire faire ». Le Conseil d’Etat dans un
arrêt en date du 9 mars 2005 considère que « le rôle consultatif des services de l'Etat ne saurait
ainsi être analysé comme un dessaisissement par l'Etat de la responsabilité de police lui
incombant mais se rattachent au contraire à la mise en oeuvre de cette mission, les services
compétents de l'Etat conservant les pouvoirs de direction et de contrôle qu'ils tiennent des
dispositions précitées du code de l'aviation civile »1010. Cette décision tend à intégrer les missions
de police dans le champ des activités délégables et à les soumettre au régime normal du droit des
délégations de service public. L’interdiction porte alors sur l’incessibilité des missions sauf que
cette prohibition n’est en rien nouvelle et concerne l’ensemble des services publics.

363. De par son ampleur, la marchandisation de la sécurité amorcée par la loi de 19831011
dépasse le cadre juridique du décret du 20 messidor an III et de la loi du 3 brumaire an IV
autorisant la mise en place d’un garde champêtre particulier au nom de la protection de la
propriété privée et dépasse aussi le cadre juridique de l’article 73 du code de procédure pénale
aux termes duquel toute personne peut appréhender l’auteur d’un crime ou d’un délit flagrant
pour le conduire à l’officier de police judiciaire le plus proche. M. le Professeur F. Linditch écrit
que « ce que ne veulent pas admettre les solutions du droit public, et surtout les publicistes
appelés à les commenter, et que l’actualité enseigne pourtant jour après jour, c’est que le marché
économique de la sécurité existe bel et bien. En France, ce sont désormais près de 40.000
entreprises regroupant près de 100.000 salariés, qui interviennent sur le secteur »1012.

C’est pourquoi, cet auteur défend la thèse d’ « une privatisation » de la police »1013. Les
effectifs des entreprises de la sécurité privée en 2006 sont compris entre 140. 000 et 170.000

1009
Cons. Con., décision n°2005-513 DC du 14 avril 2005, Loi relative aux aéroports, cons. n°5.
1010
CE 9 mars 2005, Union des chambres de commerce et établissements gestionnaires d’aéroports, req. n°264689.
1011
Loi n° 83-629 du 12 juillet 1983, JO du 13 juillet 1983, p. 2155 (version consolidée au 24 janvier 2006).
1012
F. Linditch, Droit administratif, l’éternel retour. L’illustration des marchés publics, RA 2004, n° 328, p. 367.
1013
F. Linditch, Droit administratif, l’éternel retour. L’illustration des marchés publics, chron. préc., p. 367.

267
agents. Ce nombre depuis le milieu des années 90 progresse de 5-10 % en moyenne par an. Le
chiffre d’affaires de la surveillance humaine privée en 2005 qui a doublé depuis 1998 est 2,9
milliards d’euro et plus important encore la part du chiffre d’affaires du secteur privé résultant de
demandes du secteur public est de 23%1014. Il convient de noter que le secteur privé de la sécurité
est caractérisé par la prééminence d’entreprises étrangères car les sociétés françaises sont
absentes des principaux groupes européens1015. Dans un contexte de crise des finances publiques,
il y a une redéfinition des missions sécuritaires des forces publiques par la création d’un niveau
infra-policier.

364. C’est le renversement de la problématique de l’arrêt Casanova qui a motivé l’adoption de


la loi du 12 juillet 1983 relative à l’encadrement des professions liées à la sécurité privée 1016. En
1981, J. Vaujour, ancien Préfet et figure emblématique de la Fédération Française des
Organismes de Prévention et de Sécurité (FFOPS), a été l’interlocuteur privilégié du
gouvernement français en ce qui concerne la réglementation des activités privées de
surveillance et de gardiennage, de transport de fonds et de protection physique des personnes.
Pour M. Vaujour, « la sécurité privée est née des circonstances, en complément du service public
et pour alléger ses tâches, dans la prévention »1017. Au début des années 80, la question de la
coopération public/privé en matière de sécurité a été expressément posée par le Conseil
économique et social : « la sécurité peut-elle être assurée en cas de besoin, à titre subsidiaire ou
complémentaire de l’action de la police, par des personnes ou des sociétés privées ? »1018. Selon
les membres du Conseil économique et social, si « une certaine conception de la liberté et du
droit répondent non, les contingences matérielles, la montée du sentiment d’insécurité ont déjà dit
oui. La situation d’insécurité pousse à accentuer la privatisation de la sécurité des citoyens »1019. Il
aurait été intéressant de voir la position du Conseil Constitutionnel sur la loi de 1983 mais
malheureusement pour le débat juridique ce texte ne lui a pas été déferré.

1014
Rapport France 2025 présenté par M. E. Besson en avril 2008, p. 20.
1015
Fondation R. Schuman, Les moyens de la sécurité publique, op. cit., p. 48
1016
F. Nicoud, La participation des personnes privées à la sécurité publique : actualités et perspectives, chron. préc.
1247 et s.
1017
J. Vaujour, Les organismes privés dans le domaine de la sécurité privée, Administration, n° 113, sept. 1981.
1018
Avis CES sur la sécurité des personnes et des biens en France, JO/ Avis et rapports du CES, 5 juin 1981, p. 381-
422.
1019
Ibid., p. 417.

268
364. La limite au principe d’indélégabilité des missions de police dans l’hypothèse d’une
carence de l’action administrative était déjà en latence dans les conclusions du commissaire du
gouvernement Josse sous l’arrêt du Conseil d’Etat Ville de Castelnaudary 1020. Néanmoins, cette
solution jurisprudentielle condamne la relativisation du principe d’indélégabilité en raison de
l’impuissance publique. Il n’en demeure pas moins vrai qu’il découle des termes mêmes du
commissaire Josse que les circonstances de l’espèce auraient pu justifier un tel contrat. En effet,
Josse écrit que « c’est sur le principe que vous aurez à vous prononcer, et nous vous demandons
de faire abstraction, qui pourraient conduire à une solution d’espèce des plus justifiées, pour ne
voir que la question générale de légalité et les répercussions possibles, pour l’administration, de
la solution que vous adopterez »1021.

365. Enfin, les entreprises privées interviennent également dans la détermination des politiques
publiques de sécurité. Les collectivités locales sont de « bonnes clientes » des sociétés privées de
sécurité. Aux missions de gardiennage, de surveillance et de télésurveillance, il faut ajouter au
panier l’expertise et le conseil. La conclusion d’un contrat local de sécurité (CLS), outil prévu par
les circulaires du 28 octobre 19971022 et du 7 juin 19991023, doit être précédée d’un diagnostic
local de sécurité afin d’établir la meilleure politique de sécurité possible en rejetant les modèles
standards1024. Cette obligation a créé un véritable marché public du conseil en sécurité car les
personnes publiques ne sont pas toujours capables d’assumer seules leur nouvelle responsabilité
et au moment de réaliser les diagnostics les élus locaux se tournent vers des experts publics
comme l’Institut National des Hautes Etudes de Sécurité 1025 créé en 1989 et placé sous la
direction du ministère de l’Intérieur, ou privés tels qu’Alain Bauer Associates et Espace Risk
Management. Les pouvoirs publics en proposant une alternative à l’instauration d’un modèle
unique de politique de sécurité ont accouché d’un dispositif permettant que la politique publique
de sécurité soit désormais proposée par le secteur privé.

1020
CE 17 juin 1932, Ville de Castelnaudary, Rec. p. 595, D. 1932.III, p. 26, concl. Josse.
1021
D. 1932.III. 27.
1022
JORF n°253 du 30 octobre 1997 page 15757.
1023
JORF n°136 du 15 juin 1999 page 8719.
1024
V. IHESI, Guide pratique pour les contrats locaux de sécurité, La Documentation française 1998, p. 145.
1025
INHES anciennement IHESI pour Institut des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieur.

269
Conclusion du Chapitre 2

365. La relativisation du principe d’indélégabilité des missions de souveraineté en France n’est


pas chose nouvelle. Ce constat peut surprendre car « l’enjeu de sécurité se trouve à l’origine
même de l’Etat moderne dans la mesure où la recherche de la sécurité, tant interne qu’externe,

270
constitue un facteur déclencheur du processus historique de la construction étatique »1026.
Toutefois, sur la période récente, on assiste à une large redéfinition des missions sécuritaires des
forces publiques au profit du secteur privé dans un contexte d’accroissement des contraintes
financières et de promotion de l’ordre concurrentiel 1027 transformant ainsi la sécurité en un bien
marchand. Le principe d’indélégabilité étant une pure création prétorienne sans aucun fondement
juridique sérieux, l’intégrité de celui-ci ne pouvait perdurer très longtemps. Mais à notre sens, la
marchandisation des missions de police ne doit pas être envisagée comme une exigence, c’est un
choix politique qui répond au mouvement contemporain d’expansion de la concurrence et de
création de nouveaux biens économiques. Il se pose alors la question de la colonisation de
l’intérêt général par les intérêts privés1028 ce qui peut entraîner une dénaturation de la décision
publique sacrifiée sur l’autel de la rentabilité financière dans des domaines aussi sensibles qui
touchent à la sécurité des personnes et des biens. Le « faire faire » n’équivaut pas au « laissez-
faire ». Pour que l’intérêt général ne soit pas mis sous la sauvegarde de l’intérêt privé, la personne
publique doit garder ses compétences de direction et de contrôle, c’est pourquoi les pouvoirs
législatif et réglementaire tentent d’assainir et d’encadrer le secteur privé de la sécurité 1029 ce qui
doit aboutir à terme à la création d’un ordre professionnel des agents privés de sécurité.

Conclusion du Titre 1

366. Pour les missions d’intérêt général délégables, il y a nettement une pratique du « faire
faire » en France, mais les pouvoirs adjudicateurs ainsi que les entités adjudicatrices ne sont
nullement contraints de recourir au secteur privé. Suivant l’impulsion donnée par les pays
1026
P. Vercauteren, L’Etat dans les relations internationales : entre chaos et ordre, entre indépendance et
interdépendance, in Que reste-t-il de l’Etat ? Erosion ou renaissance, éd. O. Paye, Académia Bruylant, 2004, p. 133.
1027
Mélanges en l’honneur d’A. Pirovano, L’ordre concurrentiel, op. cit.
1028
G. Quiot, Ordre concurrentiel et service public, in L’ordre concurrentiel, op. cit., p. 99.
1029
Décret 86-1058 du 26 septembre 1986 relatif à l’autorisation administrative et au recrutement du personnel des
entreprises de sécurité privée ; Décret 86-1099 du 10 octobre 1986 relatif à l’utilisation des matériels, documents,
uniformes et insignes des entreprises de surveillance et de gardiennage, transport de fonds et protection de
personnes ; Décret 2002-329 du 8 mars 2002 pris pour l’application des articles 3-1 et 3-2 de la loi n° 83-629 du 12
juillet 1983 et relatif à l’habilitation et à l’agrément des agents des entreprises de surveillance et de gardiennage  ;
Décret 2005-1122 du 6 septembre 2005 pris pour l’application de la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983 réglementant les
activités privées de sécurité et relatif à l’aptitude professionnelle des dirigeants et des salariés des entreprises
exerçant des activités de surveillance et de gardiennage, de transport de fonds et de protection physique des
personnes ; Décret 2005-307 du 24 mars 2005 pris pour l’application de l’article 3-2 de la loi n° 83-629 du 12 juillet
1983, relatif à l’agrément des agents des entreprises de surveillance et de gardiennage et des membres des services
d’ordre affectés à la sécurité d’une manifestation sportive, récréative ou culturelle de plus de 1 500 spectateurs et
enfin la loi sur la prévention de la délinquance du 7 mars 2007 (création de la carte professionnelle, article 75 à 78).

271
étrangers, la France a bouleversé ses modalités de gouvernance financière par la valorisation
de la rationalité gestionnaire sans pour autant que la France ne généralise les méthodes de
l’analyse comparative entre gestion interne et gestion externe. Les impératifs financiers et
concurrentiels sont des éléments annonçant une modification substantielle du droit français de
l’organisation des tâches d’intérêt public et ce même pour les matières réputées indélégables
d’autant que la croyance en la supériorité de la gestion déléguée est confortablement installée
dans les élites politiques françaises et communautaires au point de réduire les principes de
liberté et d’indélégabilité à peu de chose.

TITRE 2 : LE DECLIN CONSTATE DU PRINCIPE DE LIBERTE


D’ORGANISATION DES SERVICES PUBLICS EN RESEAUX :
L’EXEMPLE DE L’ENERGIE ET DES TELECOMMUNICATIONS

367. Les instances communautaires et la jurisprudence de la Cour de justice reconnaissent que


les traités CE et UE confèrent aux Etats membres la liberté de définir des missions d'intérêt
général et d'établir les principes d'organisation qui en découlent pour les services destinés à les

272
accomplir. Dans l'exercice de cette liberté, les Etats membres doivent tenir compte du droit
communautaire lorsqu'ils déterminent les modalités de mise en oeuvre des objectifs et des
principes qu'ils ont fixés. A ce titre, ils sont tenus de respecter le droit communautaire des
marchés publics et des concessions lorsqu'ils organisent un service public. En outre, lorsqu'il
s'agit de services de nature économique, la compatibilité de leurs modalités d'organisation avec
les principes du droit communautaire, notamment la libre prestation de services, la liberté
d'établissement et le droit de/à la concurrence, conduit à la relativisation du principe de liberté de
choix du mode de gestion. Il y a une présomption quasi-irréfragable de l’inadéquation entre une
certaine forme d’organisation fixée par les Etats et la réalisation du marché intérieur de sorte qu’il
est préférable de parler de « liberté surveillée » du choix entre le faire ou le « faire faire ». Le
« faire faire » doit permettre d’assurer « une combinaison harmonieuse des mécanismes de
marchés et des missions de service public »1030. Il convient de noter que cette politique
communautaire qui vise à organiser les services publics nationaux à caractère économique ne
remet pas en cause en France un principe de liberté d’organisation. Par l’application du droit
communautaire, il est fait entorse à un principe d’interdiction du « faire faire » consacré à l’alinéa
9 du Préambule de 1946.

368. Le droit de la concurrence n’est pas une fin en soi dans la conception communautaire,
c’est un moyen privilégié pour réaliser l’optimum économique et social. Pour autant, les seuls
mécanismes du marché sont insuffisants à satisfaire de telles finalités. C’est pourquoi, dans les
directives de libéralisation des services publics en réseaux, l’action du marché est orientée par des
obligations de service public ou de service universel imposées par l’Etat aux opérateurs
souhaitant intervenir sur le marché des industries en réseaux. Ainsi, sous l’impulsion du droit
communautaire, il apparaît, à notre sens, que les objectifs de service public sont « internalisés »
dans le marché concurrentiel. Nous irons plus loin en affirmant la création d’une modalité
nouvelle du « faire faire », d’un nouveau mariage du public et du privé dans la mesure où il y a
un véritable transfert des objectifs de service public au profit de la sphère marchande
concurrentielle, ce qui modifie substantiellement la conception française d’accomplissement du
service public. La libéralisation a, en effet, provoqué un revirement dans la prestation des
services publics en réseaux. Cette politique a tout d’abord consacré le principe de la fourniture

1030
Commission, Livre blanc sur les services d’intérêt général du 12 mai 2004, COM (2004) 374, point 1.

273
potentielle simultanée du service par une pluralité d’opérateurs 1031, par ailleurs, elle a enjoint aux
Etats membres de créer une autorité indépendante de régulation et enfin, elle a majoré la part de
responsabilité des agents privés dans la gestion des missions d’intérêt général. L’ouverture à la
concurrence pour être réelle se double inéluctablement pour les instances communautaires d’un
processus de dé-intégration des opérateurs. Ils sont alors contraints en ce qui concerne la gestion
de leurs réseaux, activité de service public, de « faire faire ». La libéralisation se concrétise par
l’internalisation d’objectifs de service public dans le marché (Chapitre 1) et par l’affirmation
d’un nouveau principe de gestion des services publics en raison de l’ouverture à la concurrence
des industries en réseaux : la dissociation des fonctions d’intérêt général (Chapitre 2).

CHAPITRE 1 : L’INTERNALISATION DES OBJECTIFS DE SERVICE PUBLIC DANS


LE MARCHE EN RAISON DE L’OUVERTURE A LA CONCURRENCE

369. L’Acte Unique Européen du 17 et 28 février 1986 1032 a impulsé un mouvement, celui de la
libéralisation des services publics en réseaux. En faisant de la concurrence le moyen pour
atteindre la réalisation du marché intérieur, ce Traité a nécessairement remis en cause les

1031
V. A. Laget-Annamayer, La régulation des services publics en réseaux, thèse préc., p. 243 et s.
1032
Signé à Luxembourg le 17 février 1986 et à La Haye le 28 février 1986, JOCE n°L.169, 29 juin 1987.

274
modalités nationales d’organisation des industries en réseaux qui contrevenaient aux principes de
libre circulation des marchandises et des services au sein de la communauté économique
européenne1033. Le modèle du marché concurrentiel est le moyen privilégié pour réaliser les
objectifs fixés par le droit communautaire1034 puisqu’il constitue « le mode de fonctionnement des
marchés qui est le plus propre à assurer la croissance et la diffusion des fruits »1035. La
concurrence est un élément de premier ordre au service de l’intérêt général à la différence du
droit américain focalisé strictement sur l’efficacité économique 1036. L’introduction de la
concurrence a agi comme un détonateur en imposant une remise en cause des monopoles publics
(Section 1). La politique de libéralisation a surtout révolutionné le mode d’accomplissement
traditionnel de la prestation du service public compte tenu du délitement du lien personne
publique/service public par l’internalisation des objectifs de service dans la sphère marchande
concurrentielle afin d’aiguiller l’économie vers la recherche de l’intérêt général (Section 2).

Section 1 : L’hostilité des autorités communautaires vis-à-vis du procédé de la


gestion par une seule entreprise publique d’une mission d’intérêt général

370. Le droit communautaire de la concurrence n’est pas une fin en soi. Il se définit par son
« instrumentalité »1037 dans la mesure où « il s’agit d’un ensemble de règles et de décisions qui

1033
J. Bergougnoux (Prés.), Services publics en réseau : perspectives de concurrence et nouvelles régulations,
Commissariat général du Plan, La Documentation française 2000, p. 3.
1034
D. Terre, Droit et marché, L’année sociologique, 1999, 49, n°2, p. 381 ; v. aussi G. Clamour, Intérêt général et
concurrence. Essai sur la pérennité du droit public en économie de marché, thèse préc., p. 160 et s.
1035
A. Bienayme, Principes de concurrence, Paris, Economica, 1998, p. 317.
1036
E. Combe, Analyse comparée des politiques de la concurrence européenne et américaine, in B. Ferrandon (dir.),
Concurrence et régulation des marchés, Cahiers français, mars/avril 2003, n°313, p. 28.
1037
G. Farjat, La notion de droit économique, ADP 1992, Droit et économie, tome 37, p. 27.

275
sont agencées en considération des effets qu’elles font produire »1038. M. le Professeur R.
Blasselle a écrit que la concurrence en droit interne et droit communautaire « n’est pas une fin en
soi, mais seulement un élément nécessaire pour se rapprocher toujours davantage d’une
répartition optimale des biens ; elle est l’un des moyens essentiels de développement du bien être
social, mais non pas le seul »1039. Il serait réducteur de considérer le droit de la concurrence
uniquement comme un droit orienté vers la protection du marché et vers le progrès
économique1040. Dans la conception communautaire, l’impératif de solidarité, les préoccupations
sociales et environnementales peuvent justifier une dérogation aux règles de la concurrence mais
au regard de la politique de libéralisation des industries en réseaux, le droit de et à la concurrence
est aussi considéré comme un vecteur de progrès social par lui-même (§1). Dans cette optique, le
principe communautaire de neutralité peut apparaître comme une chimère parce que le recours
aux entreprises privées serait un élément probant de l’effectivité des lois du marché dans les Etats
membres (§2).

§1. La concurrence, un moyen de réalisation de l’intérêt général

Les Traités communautaires intègrent des dispositions qui permettent aux institutions
européennes d’aménager les monopoles nationaux (A). Cette volonté d’attaquer ce modèle
d’organisation industrielle est souvent présentée comme la stricte application des théories
économiques d’inspiration libérale mais elle sert surtout à préparer le grand marché européen,
préalable indispensable à l’avènement de l’Europe politique (B).

A. Les fondements juridiques de la remise en cause des monopoles publics

371. La conséquence de la sacralisation du principe de concurrence comme vecteur du progrès


économique et social et du principe d’une économie de marché 1041 a été la remise en cause des
1038
M.-A. Frison-Roche, L’efficacité des décisions en matière de concurrence : notions, critères, typologie, LPA 28
décembre 2000, n°259, p. 4 ; v. aussi G. Clamour, Intérêt général et concurrence, thèse préc., p. 192 et s.
1039
R. Blasselle, Traité de droit européen de la concurrence, tome 1, Paris Publisud, 2002, p. 8 ; v. L. Idot, La notion
d’entreprise en droit de la concurrence, révélateur de l’ordre concurrentiel, in L’ordre concurrentiel, op. cit., p. 523.
1040
Ibid.
1041
Le Traité instituant la Communauté européenne du 7 février 1992 pose à l’article 3-A le « principe d’une
économie de marché ouverte où la concurrence est libre ». Dans le Traité de Lisbonne signé le 13 décembre 2007 par
l’ensemble des chefs d’Etat et ratifié par la France le 14 février 2008, l’article 2.3 du Traité sur l'Union européenne

276
monopoles publics. Les industries en réseaux ont été les cibles privilégiées de cette politique car
ce sont des secteurs susceptibles de procurer de nouvelles occasions de création de capital dans
des conditions de coût favorables, elles doivent donc être exploitées par le plus grand nombre
d’agents privés. D’un point de vue politique, ces activités relatives à l’énergie, au transport et aux
communications sont des industries clés dans une Nation et la libéralisation de ces services
publics est un moyen détourné de concrétiser l’idée de l’Europe politique. Pour autant, cette
remise en cause des monopoles publics ne s’est pas manifestée dès l’origine de la communauté
économique européenne.

372. En effet, malgré l’inscription dans le Traité de Rome de 1957 du principe de la libre
circulation des personnes, des services et des capitaux et du principe d’une concurrence non
faussée1042, les premières années de la construction constituent « une phase d’indifférence » vis-à-
vis de l’organisation des services publics en réseaux1043 parce que ces activités sont considérées
strictement comme la traduction d’une philosophie politique nationale. Le Traité de Rome est le
fruit d’un consensus, il s’inspire « de philosophies économiques partiellement divergentes »1044.
En 1957, les services publics sont considérés comme relevant davantage de la sphère politique
nationale que du champ de l’économie européenne, et l’ambition d'une Europe politique a été
stoppée lorsque la France refuse de ratifier le traité sur la Communauté européenne de défense
(CED) le 30 août 1954.

précise que « L’Union établit un marché intérieur. Elle oeuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur
une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement
compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la
qualité de l’environnement.. ». La référence à l’économie de marché est relayée plus tard à l’article 97 ter qui dispose
qu’ « aux fins énoncées à l’article 2 du traité sur l’union européenne, l’action des Etats membres et de l’Union
comporte, dans les conditions prévues par le présent traité, l’instauration d’une politique économique fondée sur
l’étroite coordination des politiques économiques des Etats membres, sur le marché intérieur et sur la définition
d’objectifs communs, et conduite conformément au respect du principe d’une économie de marché ouverte où la
concurrence est libre.. ». Ce principe est rappelé une fois encore à l’article suivant aux termes duquel «Les Etats
membres et l’Union agissent dans le respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est
libre, favorisant une allocation efficace des ressources, conformément aux principes fixés à l’article 4 ».
1042
Article 3 du Traité de Rome instituant la Communauté économique européenne du 25 mars 1957.
1043
A. Laget-Annamayer, La régulation des services publics en réseaux. Télécommunications et électricité, thèse
préc., p. 34.
1044
E. Putman, Droit de la concurrence et ordre concurrentiel, in L’ordre concurrentiel, op. cit., p. 517.

277
373. C’est l’Acte Unique européen signé en 1986 qui amorce l’aménagement des monopoles
publics dans le but de réaliser le marché intérieur en 19931045. La Commission en 1985 a élaboré
un Livre Blanc sur le marché intérieur contenant un inventaire de mesures (300) dans le but de
réaliser l’Europe des citoyens par la suppression de toutes les barrières physiques, techniques et
fiscales1046. Elle publie également une communication intitulée « Vers une communauté de la
technologie »1047 qui annonce la libéralisation des services des télécommunications. La
Commission pour réaliser le marché intérieur se base sur plusieurs dispositions du Traité relatives
à l’encadrement des entreprises chargées d’un service d’intérêt économique général. Plus
précisément, deux articles du Traité de Rome de 1957 ont permis de surveiller le comportement
des monopoles d’Etats par les autorités communautaires. Tout d’abord, il y a l’article 37 du
Traité selon lequel « Les Etats membres aménagent progressivement les monopoles nationaux
présentant un caractère commercial, de telle façon qu'à l'expiration de la période de transition soit
assurée, dans les conditions d'approvisionnement et de débouchés, l'exclusion de toute
discrimination entre les ressortissants des États membres ». Cet article n’impose en principe aux
Etats qu’une obligation d’aménagement des monopoles à caractère commercial car le droit
communautaire de la concurrence fait peu de place à la théorie de l’abus automatique de position
dominante (le seul fait de bénéficier d’un monopole ne suffit pas à caractériser l’existence d’un
abus prohibé par les règles du droit de la concurrence).

374. Ensuite, l’article 90 (article 86 du Traité UE) est également une base juridique de
l’intervention communautaire pour la remise en cause des monopoles publics. Il dispose que «les
Etats membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils
accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire
aux règles du présent traité, notamment à celles prévues aux articles 7 et 85 à 94 inclus. Les
entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le
caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles
de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à
l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le

1045
A. Laget-Annamayer, La régulation des services publics en réseaux. Télécommunications et électricité, thèse
préc., p. 34. ; v. aussi A. Pappalardo, Les monopoles nationaux à caractère commercial et le Traité CEE, CDE 1973,
p. 639.
1046
COM (85) 310, Bull. CE n°6/1985, p. 18.
1047
COM (85) 320 final, Bull. CE n°6/1985, p. 24.

278
développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de la
Communauté. La Commission veille à l'application des dispositions du présent article et adresse,
en tant que de besoin, les directives ou décisions appropriées aux États membres ». Ce texte est
fondamental car « il fonde l’applicabilité de toutes les règles du Traité aux entreprises publiques
et à celles exerçant des droits spéciaux et exclusifs »1048. La jurisprudence communautaire autour
de cette disposition est riche et elle a permis de montrer la finalité de cet article : un contrôle des
actions de l’Etat par les règles de concurrence1049.

375. La combinaison de l’article 37 n’imposant aux Etats qu’ « une obligation


d’aménagement » des monopoles à caractère commercial et l’article 90 prônant un traitement
égalitaire des entreprises privées et des entreprises chargées de la gestion d’un service d’intérêt
économique général vis-à-vis des règles de la concurrence 1050 pose donc le principe selon lequel
le recours au monopole public est un mode de gestion conditionnel et exceptionnel 1051. La remise
en cause des monopoles est souvent montrée comme la concrétisation d’analyses économiques
d’inspiration libérale, elle répond surtout à un objectif politique, celui de la constitution de la
Grande Europe.

B. Les fondements économiques et politiques de la remise en cause des monopoles


publics

376. L’organisation monopolistique des industries en réseaux autour d’une entreprise publique
est dénoncée par les prosélytes du libéralisme économique mais toujours est-il que ce système a

1048
COM (85) 320 final, Bull. CE n°6/1985, p. 41.
1049
Les professeurs Goldman, Lyon-Caen et Vogel, Droit européen des affaires, Dalloz. Paris, 5e éd., 1994, p. 756.
1050
J.-P. Colson, Les entreprises publiques et le droit communautaires, JCP éd. E, n°26, 29 juin 1995, p. 9 et s. ; v.
aussi J.-Y. Chérot, Droit public économique, 2e éd., 2007, Economica, p. 783 et s.
1051
A. Laget-Annamayer, La régulation des services publics en réseaux, Télécommunications et électricité, thèse
préc., p. 48.

279
relativement bien fonctionné en Europe car il a permis de réaliser des niveaux d’investissement
important avec « un bascount du capital »1052. Malgré ce constat, les partisans du libéralisme
estiment que les enjeux économiques majeurs auxquels sont confrontées les industries en réseaux
en Europe se sont renouvelés depuis les années 70. Les recettes classiques prodiguées par les
pouvoirs publics se révéleraient inadaptées dans un monde où les importantes évolutions
technologiques font naître de facto une concurrence intermodale par la diversification des
supports, par la constitution de réseaux de télécommunications privés et par l’apparition des
moyens décentralisés de production d’énergie1053. Depuis les récessions qui ont suivi les chocs
pétroliers de 1972-1973, 1979 et 2005-2008, la croissance de la demande en énergie se réduit. A
partir de cette période, les enjeux de l’industrie du gaz et de l’électricité porteraient davantage sur
l’amélioration de la gestion des installations existantes que sur le problème de l’accroissement
des capacités. La commission de régulation de l’électricité (la CRE dans sa première version)
estime que le marché français et européen en ce qui concerne la plaque continentale a la
spécificité d’être en situation de surcapacité de production ce qui implique l’instauration d’une
mise en concurrence afin de rationaliser l’activité1054.

377. Le progrès technologique et les nouvelles habitudes de consommation de l’énergie ont


conforté l’ancrage du tournant néo-libéral dans les années 80 dans les milieux politiques
notamment en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis d’Amérique1055. La question à cette époque qui
est en haut de l’agenda politique européen est de savoir si la propriété publique et le monopole
d’Etat sont les outils les plus performants pour appréhender les problèmes actuels et futurs. A
cette interrogation, une réponse a été donnée par la théorie des marchés contestables qui est à

1052
D. Helm, Concurrence, structure de marché et régulation du système électrique en Europe, in C. Henry et E.
Quinet, Concurrence et service public, Conférences J. Dupuiot, L’Harmattan, 2003, p. 297.
1053
Sur la question des éléments technico-économiques de remise en cause du monopole d’électricité, v. C. Isidoro,
L’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence communautaire et sa mise en œuvre en Allemagne, France,
Italie et Royaume-Uni, LGDJ 2006, p. 91 et s.
1054
V. communication de la CRE du 6 septembre 2001 relative à la liberté du négoce d’électricité ; v. aussi J.-Y.
Chérot, Droit public économique, op. cit., p. 848. En effet, le marché français de l'électricité est caractérisé par une
surcapacité de production : EDF exporte chaque année environ 70 TWh, alors que l'entreprise assure plus de 90%
des besoins français (430 TWh). Cette surcapacité sera, en outre, accrue par les investissements dans les sources
d'énergie renouvelables (notamment éoliennes) et la cogénération, grâce aux subventions dont elles bénéficient, alors
que la consommation d'électricité n'augmente que faiblement et que l'arrêt de capacités de production, notamment en
France, est assez rare.
1055
C. Isidoro, L’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence communautaire et sa mise en œuvre en
Allemagne, France, Italie et Royaume-Uni, thèse préc., p. 112 et s.

280
l’origine de la déréglementation américaine dans le secteur des télécommunications. Cette
expérience est annonciatrice de la politique communautaire de libéralisation dans les industries
en réseaux.

378. Devant la volonté du gouvernement fédéral de changer la législation en matière de


télécommunication, l’entreprise ATT en position dominante a fait du lobbying auprès des
instances fédérales afin de prouver qu’une firme dominante peut être une configuration optimale
à condition qu’il y ait la menace de la concurrence. Il faut veiller plus au comportement des
acteurs sur un marché qu’à la structure de ce marché. Pour légitimer sa position dominante, ATT
se prévaut de la théorie des marchés contestables développée par Baumol, Panzar et Willig 1056.
Un marché d’un bien ou d’un service dans lequel l’entrée est parfaitement libre et dont la sortie
s’effectue sans coûts (autre que ceux correspondant aux coûts d’usage et de dépréciation du
capital) est un marché contestable. Ainsi, la notion de marché contestable correspond « à la
situation de marché de concurrence pure et parfaite à la seule différence qu’un marché
contestable ne nécessite pas qu’il y ait un grand nombre de firmes actives ni qu’elles soient de
dimension négligeable vis-à-vis du marché »1057. Une ouverture minimale à la concurrence des
marchés est un instrument d’incitation à la bonne gestion. Dès lors que le caractère contestable
d’un marché est reconnu, il n’est aucunement besoin d’analyser davantage les structures du
marché considéré1058, un petit nombre d’entreprises peuvent conduire à un équilibre optimal.

379. L’administration Reagan a reconnu la pertinence de la théorie des marchés contestables


alors que certains auteurs ont démontré qu’ « aucune théorie économique ne permet de choisir
définitivement un système efficace de régulation des activités de télécommunications, les théories
économiques sont datées, contextualisées et la théorie des marchés contestables ne l’est pas
moins »1059. Le Président américain par souci d’accroître l’étendue du marché des
télécommunications pour les sociétés américaines et surtout de l’entreprise ATT a largement
1056
Baumol, Panzar, Willig, Contestable Markets and Theory of Industry Structure, New York, Harcourt Brace
Jovanovitch, 1982; v. aussi Baumol W. J., « Contestable Markets : an Uprising in the Theory of Industry Structure »,
American Economic Review, vol. 72, n° 1, 1982
1057
J. Barreau et A. Mouline, Des monopoles de télécommunications à la concurrence mondiale, in G. Hénaff,
Concurrence et services publics : enjeux et perspectives, PUR, 2002, p. 264.
1058
M. Glais, La politique de la concurrence : l’exemple français, in R. Arena, J. de Bandt, L. Benzoni et P.-M.
Romani (dir.), Traité d’économie industrielle, Paris, Economica, 1988, p. 820.
1059
Ibid., p. 824 ; v. aussi J. Barreau et A. Mouline, Des monopoles de télécommunications à la concurrence
mondiale, in G. Hénaff, Concurrence et services publics : enjeux et perspectives, chron. préc., p. 267.

281
encouragé la libéralisation des télécommunications en Europe. A ce stade de la réflexion, il est
important de rapporter l’observation de M. Beaud sur le bien fondé scientifique de la théorie des
marchés contestables : « ainsi se vérifie une nouvelle fois l’idée que le succès d’une théorie
économique tient bien moins à ses vertus logiques et à ses capacités explicatives propres qu’au
besoin qu’en a le pouvoir pour justifier intellectuellement la politique qu’il a choisi de mettre en
œuvre »1060.

En d’autres termes, il est aussi difficile de prouver les bienfaits de l’ouverture à la


concurrence que de nier les effets dommageables de la concurrence lorsque les perspectives de
diversification des produits et les modalités de sélections des intervenants sur le marché sont
insuffisantes. La concurrence peut alors avoir pour effet principal « de multiplier les coûts fixes
et d’abaisser les rendements, si ceux-ci sont croissants, trop de producteurs entrent et se
maintiennent sur le marché : chacun d’eux en prenant des parts de marché aux autres, augmentent
leurs coûts ; chacun est incité à le faire, et chacun en est directement victime »1061.

380. Il est commode pour les adversaires de la construction européenne de voir les directives
de libéralisation des services publics en réseaux comme la seule manifestation de « l’hydre
libérale »1062. Ces mesures répondent bien évidemment à des objectifs économiques, mais aussi
politiques car si elles doivent permettre aux entreprises d’obtenir de nouvelles parts de marché ce
qui doit engendrer des gains économiques et des bénéfices pour les consommateurs en termes de
coût et d’offre de produits, la réalisation du marché commun s'inscrit indéniablement dans
l'objectif de rapprochement des peuples européens et de l’avènement de l’Europe politique.
Lorsque Jean Monnet, commissaire au Plan, travaille à l’élaboration de la communauté du
charbon et de l'acier des pays d'Europe occidentale, c’est dans l’optique que cette mutualisation
des ressources des Etats dans certains secteurs clés de l'économie débouche sur la création des
Etats-Unis d'Europe. En ce sens, le 9 mai 1950, Robert Schuman lors d’un discours au Salon de
l’Horloge déclare que « l’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble :
elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait ». Aussi, Christian
Pineau, ministre des affaires étrangères, déclare le jour de la signature du Traité de Rome, le 25

1060
Ibid., p. 263.
1061
C. Henry, Concurrence et service public dans l’Union européenne, PUF, 1997, p. 183.
1062
G. Quiot, Ordre concurrentiel et service public, in L’ordre concurrentiel, op. cit., p. 107.

282
mars 1957 que « l'œuvre dont nous franchissons aujourd'hui la deuxième étape, après celle de la
Communauté européenne du charbon et de l'acier, n'aura point pour effet la création, comme
certains nous le reprochent, d'une petite Europe isolée, mais sera l'ébauche de la grande Europe
qui constitue notre objectif final ».

§2. La privatisation, un élément probant de l’effectivité du droit de et à la concurrence

Le principe de neutralité serait une caractéristique du droit communautaire, pourtant


certains auteurs n’hésitent pas à parler de fausse neutralité du droit communautaire 1063 (A). Le
problème est que la relativisation du principe de neutralité se heurte à l’identité constitutionnelle
de certains Etats membres et tout particulièrement celle de la France (B).

A. L’effacement du principe communautaire de neutralité en raison du droit à et de la


concurrence

381. Il peut sembler surprenant de s’intéresser au phénomène de privatisation des entreprises


publiques dans un travail portant sur le stratégie du « faire faire ». Il est vrai que si l’Etat
privatise, il ne fait plus mais la privatisation de la structure ne s’accompagne pas toujours d’une
privatisation de l’activité, on reste alors dans l’hypothèse du « faire faire » une mission d’intérêt
général qui auparavant était réalisée directement pas la personne publique soit en régie, soit par le
biais d’un établissement public, soit par le biais d’une société commerciale à capitaux
majoritairement publics.

382. Le droit communautaire primaire est clair en ce qui concerne le régime de propriété en
vigueur dans les Etat membres : «  de l’ordre juridique communautaire ne provient aucune
pression, explicite ou implicite, sur les autorités des Etats membres pour qu’ils renoncent à leurs
participations dans les entreprises en procédant à des privatisations »1064. Plus exactement,
l’article 295 du Traité CE précisant que « le présent traité ne préjuge en rien le régime de la
propriété dans les États membres » impose une stricte obligation de neutralité des institutions

1063
P. Cossalter, Les délégations d’activités publiques dans l’Union européenne, thèse préc., p. 443 et s.
1064
E. Moavero Milanesi, Les services d’intérêt économique général, les entreprises publiques et les privatisations,
RDUE 2000, p. 117.

283
communautaires à l’égard du régime de propriété. Pourtant, la libéralisation des industries en
réseaux sous l’impulsion communautaire s’est accompagnée en général d’une mutation statutaire
des opérateurs publics1065 ( à l’exception de la SNCF) combinée soit à une seule ouverture de
capital (EDF1066), soit à une privatisation (France Télécom1067, GDF1068, Air France1069). Pour
certains, le droit communautaire encourage à la privatisation des entreprises publiques car « en
obligeant les entreprises publiques à se conformer aux règles du marché et à se confronter aux
entreprises privées en condition d’égalité sur le terrain concurrentiel, la Commission soutenue par
la jurisprudence de la Cour a contribué, ne fut-ce que de façon indirecte, à créer l’environnement
favorable aux privatisations »1070. Cet encouragement à la privatisation serait largement partagé
par les dirigeants des grandes entreprises publiques puisque « soucieux de disposer des capitaux
indispensables à la conquête de nouveaux marchés, désireux de nouer des alliances stratégiques
avec d’autres opérateurs économiques, impatients de bénéficier de facilités de gestion identiques
à celles de leurs concurrents affranchis de la protection tutélaire des pouvoirs publics, les
opérateurs publics attendent tous en effet de sortir au moins partiellement du giron de l’Etat »1071.

383. La thèse selon laquelle la construction communautaire prononce à terme la mort des
entreprises publiques1072 doit être nuancée. Elle révèle une confusion entre les concepts
d’entreprise publique et d’établissement public. En 1948, le gouvernement d’H. Queuille a
déposé au Parlement français un projet de loi portant sur le statut général des entreprises
publiques selon lequel « l’entreprise publique est une personne morale dotée de l’autonomie
financière, et dont le capital est exclusivement constitué par des apports en espèces ou en nature,
faits par l’Etat en vue de leur affectation à une exploitation commerciale, industrielle ou agricole.

1065
Sur le déclin des entreprises en la forme d’établissement public, v. J.-Y. Chérot, Droit public économique, op.
cit., p. 495 et s.
1066
La loi du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz.
1067
Article 7 de la loi n°2003-1365 du 31 décembre 2003 relative aux obligations de service public des
télécommunications et à France Télécom a ajouté l’entreprise nationale sur la liste annexée à la loi n°93-923 du 19
juillet 1993 de privatisation. M. le Professeur L. Rapp estimait qu’en 2004, « France Télécom n’est pas encore une
entreprise du secteur privé, tout au plus une entreprise publique en voie de privatisation » in France Télécom entre
service public et secteur privé ou la tentation de Madrid, AJDA 22 mars 2004, 588.
1068
Loi du 7 décembre 2006 relative au secteur de l’énergie
1069
Loi n°2003-322 du 9 avril 2003 relative aux entreprises de transport aérien
1070
A. Abate, Droit communautaire, privatisation, déréglementation, Revue du marché unique européen, 1994, n°3,
p. 35 et s. ; M. Karpenschif, La privatisation des entreprises publiques :une pratique encouragée sous surveillance
communautaire, chron. préc., p. 95 et s.
1071
Ibid., p. 98.
1072
Sur cette question, v. C. Devès, L’avenir des entreprises publiques, in La réforme de l’Etat, Bruylant 2005, p. 201
et s.

284
Elle exerce son activité en se conformant aux lois et usages du commerce »1073. Ce projet de loi
n’a jamais été discuté et pendant longtemps il n’y a pas eu de définition légale de la notion
d’entreprise publique. Il est donc revenu une fois encore à la doctrine de pallier aux insuffisances
du législateur en proposant une définition du concept sur la base d’un critère formel1074.

L’Europe a bousculé la conception franco-française de l’entreprise publique en proposant


une approche plus réaliste. La directive 80/723/CEE relative à la transparence des relations
financières entre les Etats membres et les entreprises publiques transposée en droit français par
l’ordonnance n°2004-503 du 7 juin 2004 définit justement l’entreprise publique comme un
organisme qui exerce des activités de production et de commercialisation de biens ou de services
marchands et sur laquelle une ou des personnes publiques exercent directement ou indirectement
une influence dominante en raison de la propriété, de la participation financière ou des règles qui
la régissent. La conception réaliste du droit communautaire se perçoit de manière plus forte
encore à travers la jurisprudence de la Cour de justice qui exclut le critère de la personnalité
juridique pour définir la notion d’entreprise1075. Ainsi, une entreprise publique peut prendre la
forme d’une régie non dotée de la personnalité juridique, d’un établissement public, ou encore
d’une société commerciale de droit privé1076.

384. Selon nous, la Commission attaque de front non pas le statut d’entreprise publique mais le
statut de l’établissement public. En 1982, l’avocat général Rieschl dans ses conclusions sur
l’importante affaire France, Italie et Royaume-Uni c/ Commission a indiqué que «  les Etats
membres peuvent en principe décider librement de l’existence et de l’organisation de leurs
entreprises publiques, cette liberté d’organisation doit être soumise à une limitation dans la
mesure où elle ne peut pas être utilisée pour mettre en cause les bases du Traité, notamment le
principe de la libre circulation des marchandises et la loyauté de la concurrence. Cela signifie
qu’en principe toutes les règles du traité doivent s’appliquer de la même manière à toutes les
entreprises tant privées que publiques dans tous les Etats membres »1077.

1073
Cité par J.-Y. Chérot, Droit public économique, op. cit., p. 473.
1074
J. Dufau, Remarques sur la notion d’entreprise publique, AJDA 1956, p. 89 et s. ; v. aussi M. Durupty, Existe-t-il
un critère de l’entreprise publique ?; v. encore S. Albert et C. buisson, Entreprises publiques, le rôle de l’Etat
actionnaire, La Documentation française, 2002 ; v. enfin, J.-Y. Chérot, Droit public économique, op. cit., p. 481 et s.
1075
CJCE 23 avril 1991 Höfner
1076
CJCE 27 octobre 1993, Decoster, Aff. C 69/91, Rec., 1, 5335.
1077
CJCE 6 juillet 1982, aff. jointes 188/80 à 190/80, Rec., p. 2545.

285
Ce sont les avantages structurels de l’établissement public tenant à la domanialité publique
(insaisissabilité, inaliénabilité et imprescriptibilité), à l’inopposabilité du droit des procédures
collectives, à la garantie illimitée de l’Etat 1078 et au principe de spécialité qui posent des
problèmes au regard de l’effectivité du droit de et à la concurrence. On pourrait même défendre la
thèse d’une préférence envers la formule de l’entreprise publique vu que « la présence d’une
participation publique substantielle paraît le seul moyen de préserver les centres de décision
nationaux dans un contexte de mondialisation » 1079 ce qui permettrait de fabriquer des champions
européens.

385. Mais la doctrine des institutions européennes relative au régime de propriété des
entreprises se révèle au grand jour à l’occasion de la mise en place de la stratégie de pré-adhésion
à l’Union européenne. Par exemple, dans le rapport relatif aux subventions allouées à l’Ukraine,
il est écrit que « pour respecter les objectifs fiscaux généraux, les autorités ukrainiennes ont
accepté, lors de la discussion avec la commission, de supprimer des subventions à des entreprises
publiques en déficit et d’accélérer la privatisation afin d’injecter de nouvelles ressources dans
l’économie »1080. Les auteurs du livre « Services publics le livre noir des privatisations » jugent
que « les nouvelles règles de compétitivité et de rentabilité introduites en Europe entraînent la
nécessité pour les opérateurs historiques de se positionner sur les marchés internationaux ; cela
passe par des prises de participation. Des dotations en capital par l’Etat, actionnaire de
l’entreprise publique, deviennent alors indispensables, mais la Commission prohibe les aides
étatiques, et les Etats s’en tiennent à des politiques budgétaires restrictives. Dès lors, l’ouverture
du capital, l’introduction en bourse, puis la privatisation totale, en découlent de façon quasi
mécanique »1081.

1078
V. initiative de la Commission du 16 octobre 2002 portant sur le statut d’EDF ; v. G. Quiot, Ordre concurrentiel
et service public, in L’ordre concurrentiel, op. cit., p. 91 ; v. S. Clamens, Vers la remise en cause du principe
d’insaisissabilité des biens des personnes publiques, AJDA 2000, p. 767 ; sur le poids des privilèges structurels des
établissements publics, v. G. Clamour, Intérêt général et concurrence, thèse préc., p. 678 ; J.-Y. Chérot, Droit public
économique, op. cit., p. 495 et s.
1079
A. Delion, Le droit des entreprises publiques et participations publiques, chron. préc., p. 20.
1080
Rapport annuel Tacis 1998, COM. (1999) 380 final du 23 juillet 1999 ; v. aussi Rapport spé. n°6/97, JOCE C-171
du 5 juin 1997, spé., point 3.30.
1081
Services publics, le livre noir des privatisations, Préface G. Delfau, L’Harmattan, 2003, p. 105 et s. Il convient de
relativiser ces propos notamment sur l’interdiction des aides étatiques : le critère de l’investisseur normal ou avisé en
économie de marché permet d’autoriser les aides dans les opérations de participation des autorités publiques au
capital des entreprises privées ou publiques, v. J.-Y. Chérot, Droit public économique, op. cit., p. 195 et s.

286
La privatisation de la forme et de l’actionnariat des entreprises publiques permettraient
aussi aux pouvoirs publics de « se désengager financièrement d’entités qui peuvent être criblées
de dettes et dont les perfusions régulières ne sont pas seulement exigeantes pour les finances
nationales, mais peuvent également s’avérer à la longue dangereuses pour le maintien des
équilibres et des ratios budgétaires indispensables au succès de la monnaie unique »1082. La
décision de la Commission, publiée le 10 novembre 2000 à l’égard des aides accordées par
l’Italie aux banques publiques siciliennes, met en exergue les bienfaits de la privatisation en tant
qu’engagement probant des Etats membres à renoncer aux aides publiques incompatibles avec la
réalisation du marché intérieur1083. Cependant, l’analyse de la jurisprudence de la Cour de justice
montre que les aides étatiques concernent les entreprises publiques et privées1084. La privatisation
n’est pas une condition suffisante pour éliminer les aides publiques incompatibles avec la
réalisation du marché intérieur. En l’état actuel du droit communautaire, il y a bien un
encouragement à la privatisation mais un encouragement à la privatisation de la forme juridique
des entreprises publiques.

B. L’effacement de la limite constitutionnelle à la politique de privatisation en droit


français

386. Le processus de libéralisation des industries en réseaux n’oblige pas en droit à la


privatisation des entreprises mais dans les faits il a été souvent accompagné d’une modification
du statut et d’une privatisation de l’entité. Ce mouvement soulève des questions de droit au
regard de l’alinéa 9 du Préambule de 1946 disposant que « tout bien, toute entreprise, dont
l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait,
doit devenir la propriété de la collectivité ». Cette disposition constitutionnelle s’impose aux
autorités publiques nationales et même communautaires car elle constitue à notre sens un principe
« inhérent à l’identité constitutionnelle de la France »1085. L’interrogation est donc la suivante : le
1082
M. Karpenschif, La privatisation des entreprises publiques :une pratique encouragée sous surveillance
communautaire, chron. préc., p. 95.
1083
Décision n° 2000/600/CE du 10 octobre 1999, JOCE L 256 du 11 octobre 1999, point 104.
1084
CJCE 17 septembre 1980, Philip Morris, aff. 730/79.
1085
Cons. Const., 27 juillet 2006, n°2006-540 DC, Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société
de l’information, JCP G 2006, act. 393, obs. C. Caron. M. P. Mazeaud, Président du Conseil Constitutionnel a
déclaré le 3 janvier 2005 dans ses vœux au Président de la République que « mais non, le droit européen, si loin

287
couple libéralisation/privatisation est-il compatible avec le texte de l’alinéa 9 ? La privatisation
non contrôlée de France Télécom et celle autorisée de Gaz de France semblent accréditer la thèse
d’une compatibilité entre le droit interne et le droit communautaire. M. le Professeur G. Quiot
préfère parler de compatibilité forcée1086 en se référant aux privatisations de France télécom (1) et
de Gaz de France (2).

1. L’inconstitutionnalité de la loi de privatisation de France Télécom

387. L’article 7 de la loi n° 2003-1365 du 31 décembre 2003 relative aux obligations de service
public des télécommunications indique que « France Télécom est ajouté à la liste annexée à la loi
n°93-923 du 19 juillet 1993 de privatisation ». Le législateur a ainsi autorisé le transfert au
secteur privé de l’entreprise France Télécom qui sera effectué par le décret n°2004-387 du 3 mai
20041087. Notre travail résidera dans l’analyse de la constitutionnalité de cette loi en lieu et place
des « sages » de la rue Montpensier qui n’ont pas eu l’occasion de procéder au contrôle de
constitutionnalité.

388. Tout d’abord, au regard de la décision du Conseil Constitutionnel du 25-26 juin 1986 1088,
les services publics nationaux se divisent en deux catégories : ceux dont le fonctionnement est
exigé par une disposition constitutionnelle et ceux dont l’existence ne découle pas d’une norme
constitutionnelle. La distinction est fondamentale car les entreprises publiques exploitant un
service public national, qui résulte de la seule volonté du législateur sans être exigé par la
Constitution, sont susceptibles d’être privatisées à condition que cette entreprise n’exerce pas un
monopole de fait et que le législateur retire à cette activité les caractéristiques d’un service public
national. Il ressort de la décision de 19961089 que le service public des télécommunications ne doit
pas être rangé dans la catégorie des services publics constitutionnels, cette activité est un service
public national législatif. Elle peut donc cesser de l’être dans l’hypothèse d’une action en ce sens
du législateur. M. le Professeur G. Quiot développe la thèse de l’inconstitutionnalité de la loi de

qu’aillent sa primauté et son immédiateté, ne peut remettre en cause ce qui est expressément inscrit dans nos textes
constitutionnels et qui nous est propre », in Cah. Cons. Const., 2005, n°18, p. 8.
1086
G. Quiot, La révision de l’alinéa 9 du Préambule de la Constitution de 1946 par le Conseil Constitutionnel, LPA
7 mars 2007, n°48, p. 4.
1087
JO 4 mai 2004, p. 7928
1088
Cons. Const.. 25-26 juin 1986, n°86-207 DC, Rec. p. 61.
1089
Cons. Const. n° 96-380 DC, Entreprise nationale Télécom, JO 27 juillet 1996.

288
20031090. Il est vrai que dorénavant France Télécom n’est plus chargé par la loi de la fourniture du
service universel ou des services obligatoires1091 , cependant il est le seul opérateur à vouloir et à
1092
pouvoir assumer les composantes du service universel et des services obligatoires étant donné
que la loi de 2003 oblige les opérateurs à fournir les composantes du service universel « sur
l’ensemble du territoire national »1093. France Télécom, entreprise privée, exploite donc un service
public national.

389. Le Conseil Constitutionnel en 2006 précise que la notion de service public national
correspond à un service public dont l’organisation est fixée au niveau national et dont
l’exploitation est confiée à une seule entreprise 1094. Cette conception moderne du service public
national méconnaît toutefois la doctrine des constituants de 1946. En effet, la nationalisation des
concessionnaires locaux de l’énergie effectuée en avril 1946 qui s’apparente à une application
anticipée de l’alinéa 9 montre que la notion de service public national ne repose ni sur des
considérations strictement géographiques ni sur le critère de l’unicité de l’entreprise. C’est le
caractère stratégique de l’activité au regard de l’intérêt national qui justifie la politique de
1090
G. Quiot, De l’inconstitutionnalité de la loi du 31 décembre 2003 relative aux obligations de service public de
France Télécom, AJDA 18 avril 2005, p. 818.
1091
L’article L.35-2 du code des postes et des communications électroniques pose le principe selon lequel « en vue de
garantir la fourniture du service universel sur l'ensemble du territoire national dans le respect des principes rappelés
par l'article L. 35 et des dispositions de l'article L. 35-1, le ministre chargé des communications électroniques peut
désigner, pour chacune des composantes du service universel mentionnées aux 1° et 3° de l'article L. 35-1 ou les
éléments de celle décrite au 2° du même article, un ou plusieurs opérateurs chargés de fournir cette composante ou
cet élément ».
1092
V. rapport Sénat, session ord. 2003-2004, doc. N°21, p. 27.
1093
Les arrêtés résultants de la consultation publique lancée en novembre 2004 sur les trois appels à candidature en
vue de la désignation d’un opérateur chargé du service universel des communications électroniques sont les
suivants : arrêté du 29 mars 2007 portant désignation de l'opérateur chargé de fournir la composante du service
universel prévue au 2° de l'article L.35-1 du code des postes et des communications électroniques(annuaire universel
et service universel de renseignements) suite à l'appel à candidatures publié au JO du 12 février 2007  ; arrêté du 3
mars 2005 portant désignation de l'opérateur chargé de fournir la composante du service universel prévue au 2° de
l'article L.35-1 du code des postes et des communications électroniques (annuaire universel et service universel de
renseignements) ; arrêté du 3 mars 2005 portant désignation de l'opérateur chargé de fournir la composante du
service universel prévue au 3° de l'article L.35-1 du code des postes et des communications électroniques
(publiphonie) ; arrêté du 3 mars 2005 portant désignation de l'opérateur chargé de fournir la composante du service
universel prévue au 1° de l'article L.35-1 du code des postes et des communications électroniques (service
téléphonique).D’ailleurs, la commission européenne a dans un communiqué en date le 13 décembre 2006 pris des
mesures contre la France pour faire respecter la réglementation de l'UE en matière de télécommunication car elle
aurait souhaité voir l'appel d'offre découper le service universel par régions afin d’accroître le nombre d’entreprise
soumissionnaire mais cela aurait mis à mal le principe de péréquation des coûts et obligerait de repenser le
financement du service universel.
1094
Il faut remarquer que dans le domaine des télécommunications à côté d’un service public organisé au niveau
national, il existe un service public local des télécommunications. Le législateur a, par la loi n° 2004-575 du 21 juin
2004 pour la confiance dans l'économie numérique et par la loi n°2004-669 du 9 juillet 2004, inséré l’article L.
1425-1 dans le Livre IV du Code général des collectivités territoriales consacré aux services publics locaux.

289
nationalisation des entreprises concessionnaires d’énergie. En ce sens, M. P. Delvolvé considère
que la qualification de service public national ne dépend pas de la dimension locale des
entreprises dans la mesure où elle présente dans son ensemble un intérêt national1095.

390. L’exemple du tarif social en matière de télécommunication met en exergue la situation de


monopole de France Télécom sur l’activité de service public. Dans le premier semestre 2000,
deux opérateurs ont déposé auprès du ministre chargé des télécommunications, une offre prenant
en compte les difficultés spécifiques rencontrées dans l’accès au service téléphonique par
certaines catégories de personnes en raison notamment de leur niveau de revenu ou de leur
handicap. Ces deux offres ont reçu un avis favorable de la part de l’Autorité de régulation et ont
été homologuées par le ministre chargé des télécommunications. Dans son avis n° 02−308 en
date du 23 avril 2002, l’Autorité de régulation des télécommunications a pris acte du
désengagement progressif de la prestation de tarifs sociaux par la société Kertel.

A compter du 2ème trimestre 2003, France Télécom sera donc l’unique opérateur
prestataire des tarifs sociaux. Sous l’empire de la loi du 31 décembre 2003 France Télécom,
prestataire désigné par l'arrêté du ministre du 3 mars 2005 pour offrir jusqu'en mars 2009 la
composante « service téléphonique » du service universel, est tenu de proposer jusqu'à cette date
la réduction sociale tarifaire mentionnée par les dispositions précitées. Cependant conformément
aux dispositions du code des postes et des communications électroniques qui permettent à
d'autres opérateurs non désignés de proposer un mécanisme de réduction sociale tarifaire,
l'opérateur Erenis a le 18 août 2006 proposé une offre en ce sens au ministre. Cette offre a été
validée par arrêté du 18 octobre 20061096. En 2007, l’Autorité n’a reçu aucune demande de la part
d’opérateurs autres que le prestataire du service universel pour offrir un mécanisme de réduction
sociale tarifaire. En effet, l’opérateur Erenis racheté par la société Neuf cegetel, qui avait proposé
une telle offre en 2006, a finalement renoncé à la mettre en oeuvre en mai 2007. A ce jour,
France Télécom est donc le seul opérateur à offrir une réduction sociale tarifaire. Le dispositif
mis en place par le législateur en 2003 a eu pour objet et pour effet d’autoriser une entreprise
privée à exploiter un service public économique d’intérêt national et cela en contradiction avec
1095
P. Delvolvé, Droit public de l’économie, Précis Dalloz, 1998, p. 180.
1096
Avis n° 2007-0002 du 23 janvier 2007 sur le projet d'arrêté fixant pour l'année 2007 le montant mensuel de la
réduction tarifaire téléphonique pour certaines catégories de personnes au titre du service universel des
communications électroniques.

290
l’alinéa 9 aux termes duquel le monopole public est préférable à l’exploitation par les entreprises
privées des services publics nationaux.

2. L’inconstitutionnalité de la loi de privatisation de Gaz de France

391. Les entreprises Electricité de France (EDF) et Gaz de France (GDF) ont été créées le 8
avril 1946 à la suite de la proposition de nationalisation des biens de diverses entreprises privées
de production, de transport et de distribution d’électricité 1097 et de gaz. Le 19 novembre 2004,
EDF, jusque-là établissement public, devient alors une société anonyme 1098. En ce qui concerne
GDF, la loi du 9 août 2004 a permis de transformer GDF en société anonyme, mais la loi limitait
à 30 % la part de l’actionnariat privé. C’est la loi n°2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au
secteur de l’énergie qui fait sauter le verrou restreignant le capital privé dans la société anonyme
1099
GDF afin d’autoriser la fusion de cette société avec la société Suez. La décision du 30
novembre 2006 1100 du Conseil Constitutionnel valide la privatisation de l’entreprise publique Gaz
de France.

392. Selon M. le Professeur G. Quiot, « cette décision fait prévaloir une interprétation de
l’alinéa 9 manifestement contraire à la pensée des auteurs de ce texte et à la lettre de celui-ci »1101
parce que cette disposition législative prévoit le transfert au secteur privé de GDF sans remettre
en cause le caractère de service public national de l’activité gérée par cet opérateur. Les
parlementaires qui ont saisi le Conseil Constitutionnel ont estimé en ce sens que l’article 39 de la
loi déférée prévoyant une participation minoritaire de l’Etat dans le capital social de l’entreprise
est contraire à l’alinéa 9 dans la mesure où GDF conserve les caractéristiques d’un service public
national en raison des missions qui lui sont conférées.

1097
Près de 175 entreprises locales de distribution, assurent la fourniture d'électricité d'environ 5% d'utilisateurs. La
loi du 8 avril 1946, relative à la distribution publique de l'électricité, a maintenu ces entreprises. Elles présentaient la
caractéristique d'être publiques (régies municipales, société d'économie mixte ou d'intérêt public (sociétés d'intérêt
collectif agricole, ).
1098
L’entreprise a introduit une partie de son capital en bourse le 21 novembre 2005 et figure dans le CAC 40 depuis
le 19 décembre 2005. Son capital est détenu à 87,3% par l'Etat, à 10,8% par les particuliers et à 1,9% par les salariés
d'EDF.
1099
Sur la constitutionnalité de cette réforme, v. G. Quiot, La révision de l’alinéa 9 du Préambule de la Constitution
de 1946 par le Conseil Constitutionnel, chron. préc., p. 4 et s.
1100
Cons. Const., décision n° 2006-543 DC.
1101
G. Quiot, La révision de l’alinéa 9 du Préambule de la Constitution de 1946 par le Conseil Constitutionnel, chron.
préc., p. 4 et s.

291
393. Le Conseil Constitutionnel n’a pas cautionné cette analyse. Il a repris l’avis du Conseil
d’Etat du 11 mai 2006 en adoptant le considérant suivant : « si la nécessité de certains services
publics nationaux découle de principes ou de règles de valeur constitutionnelle, il appartient au
législateur ou à l'autorité réglementaire, selon les cas, de déterminer les autres activités qui
doivent être ainsi qualifiées, en fixant leur organisation au niveau national et en les confiant à une
seule entreprise ; que le fait qu'une activité ait été érigée en service public national sans que la
Constitution l'ait exigé ne fait pas obstacle au transfert au secteur privé de l'entreprise qui en est
chargée ; que, toutefois, ce transfert suppose que le législateur prive ladite entreprise des
caractéristiques qui en faisaient un service public national ».

394. Le commentateur juridique ne peut que constater l’évolution de la position du Conseil


constitutionnel en ce qui concerne l’interprétation de l’alinéa 9 du Préambule de 1946. En effet,
en 1986, à l’occasion du contrôle de la loi d’habilitation autorisant le gouvernement à opérer la
privatisation d’entreprises publiques par voie d’ordonnance1102, le juge constitutionnel a considéré
que « si la nécessité de certains services publics nationaux découle de principes ou de règles de
valeur constitutionnelle, la détermination des autres activités qui doivent être érigées en service
public national est laissée à l’appréciation du législateur ou de l’autorité réglementaire selon les
cas ; qu’il suit de là que le fait qu’une activité ait été érigée en service public par le législateur
sans que la Constitution l’ait exigé ne fait pas obstacle à ce que cette activité fasse, comme
l’entreprise qui en est chargée, l’objet d’un transfert au secteur privé »1103. En d’autres termes, la
privatisation de l’entreprise implique une privatisation de l’activité ce qui est conforme à la
pensée des constituants de 1946 mais en 2006 le Conseil constitutionnel décide que la
privatisation de l’entreprise implique seulement que l’activité gérée par l’entité perde son
caractère de service public national à savoir une organisation fixée au niveau national et une
gestion confiée à une seule entreprise sans pour autant perdre la qualité de service public.

395. En 2006, le juge constitutionnel assimile l’hypothèse du service public national à


l’hypothèse du monopole de droit. Or, en 1946, les constituants ont condamné cette position en
rejetant la proposition de R. Capitant suivant laquelle ne peuvent faire l’objet d’une appropriation

1102
JO 27 juin 1986, p. 7964.
1103
Cons. Con. 25-26 juin 1986, n°86-207 DC, Rec. p. 61.

292
par la collectivité publique que les entreprises « bénéficiant d’un monopole de fait ou de
droit »1104. Cette solution jurisprudentielle méconnaît donc la conception du service public
national élaborée par les constituants de 1946. Le considérant de 2006 n’engloberait pas a
posteriori les concessionnaires locaux d’énergie qui ont subi la nationalisation en avril 1946 par
une application anticipée de l’alinéa 9 du Préambule.

396. P. Ramadier dans le rapport n°655 du 13 mars 1946 notait qu’ « en matière gazière,
d’importantes perspectives peuvent être ouvertes par la création de réseaux régionaux de
distribution, nous avons donc prévu tout d’abord que les installations présentant un intérêt
national ou régional seraient nationalisées »1105. La nationalisation de 1946 concerne
essentiellement des entreprises et des biens d’intérêt local voire régional, mais au regard du projet
de la collectivité nationale en ce qui concerne la politique énergétique, ces activités présentaient
un intérêt national.
397. Les nationalisations qui ont suivi la libération 1106 étaient un moyen de lutter contre la
« trustophobie »1107. Brandir le chiffre de 2400 affaires privées dans le secteur électrique ne doit
pas masquer une véritable concentration à la fois verticale et horizontale des opérateurs.
L’objectif des lois de nationalisation est de déclarer la guerre aux monopoles privés chargés
d’exploiter des activités stratégiques pour le devenir de la Nation. D’ailleurs, dans les travaux
préparatoires de la loi du 8 avril 1946, une proposition de la loi n° 194 du 22 décembre 1945 était
intitulée « nationalisation des trusts d’électricité et au contrôle des entreprises électriques ». Au
lendemain de la seconde guerre mondiale, l’idéologie politique ambiante condamne la
concentration des entreprises privées dans différents secteurs et notamment dans celui de
l’énergie. Il faut souligner que pour cette industrie, la concentration a été encouragée par les
pouvoirs publics entre les deux guerres afin de stimuler les investissements nécessaires et de

1104
Cf. JO. ANC, 2 e séance du 21 mars 1946, p. 949 ; v. aussi G. Quiot, La révision de l’alinéa 9 du Préambule de la
Constitution de 1946 par le Conseil Constitutionnel, chron. préc., p. 11.
1105
. Rapport P. Ramadier du 13 mars 1946, in La loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz,
CJEG février 1993, hors série, p. 638.
1106
Les transports aériens ont été nationalisés par les ordonnances des 29 mai et 26 juin 1945. La Banque de France
et quatre autres banques de dépôt seront nationalisées le 2 décembre 1945, l’électricité et le gaz par la loi du 8avril
1946, certaines compagnies d’assurances par la loi du 25 avril 1946, certaines entreprises de presse par la loi du 11
mai 1946, les mines combustibles minéraux par la loi du 17 mai 1946 et la Banque d’Algérie par la loi du 17 mai
1946.
1107
R. Gendarme, L’expérience française de la nationalisation industrielle et ses enseignements économiques, Paris
1950, p. 85. V. aussi G. Bouthillier, La nationalisation du gaz et de l’électricité en France, thèse préc., p. 226 et J.
Evesque, La nationalisation de l’électricité, thèse Paris 1947, p. 66 et 67.

293
rationaliser la gestion des sociétés. P. Ramadier dans son rapport précité démontre ainsi que « les
trusts privés sont nés d’une nécessité technique autant que de l’impérialisme des groupes
financiers »1108. En 1946, le postulat validé par la classe politique est que l’organisation
rationnelle du secteur de l’énergie suppose obligatoirement l’instauration d’ « un trust s’étendant
à l’industrie électrique tout entière et c’est sans doute l’évolution que suivrait l’organisation
économique, si la nationalisation n’intervenait pas, on est ainsi acculé à ce dilemme : ou bien un
trust capitaliste recouvrant tout le territoire français et toute la production électrique, ou bien la
Nation prenant en mains la gestion de son domaine électrique »1109. L’idée est simple : le
monopole public est préférable au monopole privé (hypothèse du monopole de fait) et même en
l’absence de monopole privé, l’exploitation privée de certaines activités d’intérêt général est à
proscrire.

398. M. le Professeur G. Quiot indique que lors des débats à l’assemblée constituante en 1946,
H.-L. Grimaud, élu MRP, a déposé un amendement offrant au législateur la possibilité d’adopter
la solution la plus adéquate à la satisfaction du service public, y compris le recours à la délégation
de service public à des sociétés privées. Le rejet de cette proposition au motif que « lorsque
certains biens ou certaines entreprises acquièrent le caractère de monopole de fait ou de service
public, il est indispensable que ces biens ou ces entreprises cessent d’être la propriété des
particuliers…En effet, lorsqu’un bien devient service public, il faut qu’il soit géré par la
collectivité départementale, régionale ou nationale qui devient propriétaire du service public…
tant qu’il s’agira de particuliers, soit pris individuellement, soit associés, nous n’aurons pas la
garantie véritable que ces biens seront au service du public »1110. Ces propos du rapporteur de la
commission constitutionnelle traduisent significativement une condamnation de la pratique du
« faire faire ».

399. Certes, le dispositif consacré par la loi de 2006 ne confère pas à Gaz de France un
monopole sur la fourniture du gaz mais au regard de la loi du 7 décembre 2006, Gaz de France
exploite encore une activité de service public national. La privatisation autorisée de G.D.F par la
1108
V. Rapport P. Ramadier du 13 mars 1946, in La loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz,
CJEG février 1993, hors série, p. 632.
1109
Ibid.
1110
V. G. Quiot, De l’inconstitutionnalité de la loi du 31 décembre 2003 relative aux obligations de service public de
France Télécom, chron. préc., p. 816. Référence au JO Assemblée nationale constituante du 21 mars 1946, p. 970. Ce
débat a eu lieu avant que le texte ne soit modifié et ne fasse plus que référence aux services publics nationaux.

294
loi n° 2006-1537 du 7 décembre 2006 entraîne logiquement la privatisation des sociétés
gestionnaires des réseaux de transport et de distribution de gaz naturel qui seront contrôlées par la
nouvelle entité Suez-G.D.F. Dès lors, le dispositif de la loi du 9 août 2004 selon lequel « Son
capital ne peut être détenu que par Gaz de France, l'Etat ou des entreprises ou organismes du
secteur public » est détourné de son objectif initial à savoir laisser l’entreprise gestionnaire des
réseaux dans le giron de la collectivité publique. Cette privatisation par ricochet des sociétés
filiales est contraire au texte de l'alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946. Le Conseil
Constitutionnel, dans sa décision du 30 novembre 2006, n’a pas validé cette opinion en balayant
l’argument d’une atteinte à un monopole de fait dans la mesure où les activités de transport de
gaz naturel ont été exclues de la nationalisation opérée par la loi du 8 avril 1946 et l’exploitation
des réseaux est ouverte à d’autres entreprises depuis la loi du 2 août 1949 dite loi « Armengaud »
du nom de son promoteur1111.
Mme. le Professeur Lombard estime qu’en vertu de l’alinéa 9 il y a une interdiction de
privatiser une entreprise dont l’exploitation s’applique à un monopole naturel 1112. La filiale de
GDF chargée de gérer le réseau de transport de gaz naturel exploite indéniablement un monopole
naturel étant donné que pour cette activité, les rendements d'échelle sont très importants, et les
coûts de construction des infrastructures très élevés. Au regard de la jurisprudence
constitutionnelle, le juge semble borner le champ du monopole de fait aux seuls monopoles
naturels ayant un impact à l’échelon national. Or, « s’il était admis que seules les entreprises
chargées de l’exploitation de monopoles structurels à l’échelon national ne peuvent faire l’objet
de privatisation, il suffirait par exemple, pour privatiser Réseau Ferré de France, de diviser le
réseau en quatre ou cinq zones géographiques, ce qui permettrait alors de privatiser séparément
les quatre ou cinq entreprises chargées de leur gestion ». La référence à un critère strictement
géographique n’est nullement satisfaisante sinon la loi de nationalisation d’avril 1946 n’aurait pas
fait de la distribution de gaz le monopole le plus important de Gaz de France. Comme l’écrit M.
P. Sablière, le transport de gaz naturel n’est pas « à proprement parler exclu de la nationalisation
mais bien plutôt du monopole de GDF dans la mesure où il devait néanmoins être assuré par un
établissement public ou une société nationale dans laquelle la majorité était détenue par l’Etat ou

1111
Loi n°49-1090, JO 6 août 1949, p. 7712
1112
M. Lombard, Les limites constitutionnelles à la privatisation des entreprises dont l’activité a le caractère d’un
monopole, op. cit., p. 687et s.

295
par des établissements publics »1113. Le problème réside dans le fait que ces filiales gèrent un bien
et un service public tombant sous le coup de l’alinéa 9 du Préambule de 1946. Il faudrait procéder
à la révision de notre Constitution avant que ne se concrétise un « puissant mouvement tendant à
la privatisation des entreprises gérant des infrastructures constituant des monopoles naturels »1114.

M. le Professeur G. Quiot écrit qu’ « il existe une incompatibilité entre une disposition de
valeur constitutionnelle et des normes du droit communautaire dérivé obligeant les Etats à ouvrir
à la concurrence des activités correspondant à des services publics nationaux gérés, depuis près
de soixante ans, par des entreprises publiques titulaires en droit d’un monopole »1115. Certains
propos datant de 1996 du Professeur Quiot prennent une nouvelle dimension : « il n’apparaît pas
impossible qu’un jour prochain le Conseil Constitutionnel soit amené à intervenir pour empêcher
la privatisation plus ou moins déguisée d’une entreprise assurant la gestion d’un service revêtant
manifestement la caractère de service public national. A moins que d’ici là se trouve réalisée une
nouvelle réforme de la constitution tendant à faire disparaître de celle-ci un principe jugé ne plus
correspondre aux nécessité des temps nouveaux »1116. A la lumière de la jurisprudence
constitutionnelle, il est clair qu’en France il y a un effacement de la limite constitutionnelle au
« faire faire ».

Section 2 : L’orientation des industries en réseaux vers la recherche de


l’intérêt général

400. Le droit communautaire prévoit la possibilité ou l’obligation pour les Etats membres
d’imposer des objectifs de service public aux intervenants sur un marché afin d’orienter l’activité
vers la recherche de l’intérêt général ce qui matérialise ainsi une nouvelle forme de « faire faire »
les missions d’utilité publique. Le législateur et le juge communautaires ont balisé le champ des
obligations de service public que les Etats membres peuvent ou doivent imposer aux nouveaux
entrants sur un marché. Cette expression désigne les obligations spécifiques imposées par les

1113
P. Sablière, La loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz commentée, CJEG hors série,
février 1993, p. 108
1114
V. M. Lombard, Les limites constitutionnelles à la privatisation des entreprises dont l’activité a le caractère d’un
monopole, chron. préc., p. 690.
1115
G. Quiot, De l’inconstitutionnalité de la loi du 31 décembre 2003 relative aux obligations de service public de
France Télécom, chron préc., p. 824.
1116
G. Quiot, Liberté d’entreprendre et service public national, in Le préambule de 1946, op. cit., p. 208.

296
autorités publiques à un fournisseur d’un bien ou d’un service afin de garantir la réalisation de
certains objectifs d’intérêt public. L’article 2 du règlement n°1191/69 du 26 juin 1969 du Conseil
relatif à l’action des Etats membres en matière d’obligations inhérentes à la notion de service
public dans le secteur des transports1117 précise que « par obligations de service public, il faut
entendre les obligations que, si elle considérait son propre intérêt commercial, l’entreprise de
transport n’assumerait pas dans la même mesure ni dans les mêmes conditions »1118.

Le respect des obligations de service public est une élément essentiel de la politique de
libéralisation. Ces obligations visent des objectifs de service public tels que « la protection des
consommateurs vulnérables, la cohésion économique et sociale, la protection de
l’environnement »1119. Du triptyque égalité – continuité –mutabilité, on est passé à « une nouvelle
trilogie promettant équité, fiabilité et qualité »1120. Cette orientation de l’activité marchande par
les obligations de service public (qui ne portent pas toujours expressément ce qualificatif)
imposées aux acteurs dans les industries en réseaux rappelle l’hypothèse du service public virtuel
en droit français1121.

401. La politique de libéralisation des services publics en réseaux repose, en effet, sur une
imbrication forte entre le marché et le service public. La satisfaction de l’intérêt général se réalise
au moyen d’un service public et/ou d’un service universel gérés par les opérateurs historiques et
également au moyen d’obligations de service public pesant de manière variable sur l’ensemble
des agents privés. En bref, il y a une éthique du service public irradiant et aiguillant l’activité
économique par une internalisation d’obligations de service public dans la sphère concurrentielle
sans pour autant faire disparaître un service public des télécommunications ou de l’énergie par
exemple. Dès lors, s’il y a bien eu une mutation du procédé de réalisation des missions de service
public du fait des contraintes du droit communautaire 1122, elle n’a nullement coïncidé avec un
1117
JOCE n°L156 du 28 juin 1969, p. 1, modifié par le règlement n°1893/91 du Conseil du 20 juin 1991, p. 1.
1118
Sur la notion d’obligations de service public, v. A. Laget-Annamayer, La régulation des services publics en
réseaux, thèse préc., p. 97 et s.
1119
V. article 3 de la seconde directive électricité, cf. C. Isidoro, L’ouverture du marché de l’électricité à la
concurrence communautaire, thèse préc., p. 368 et s.
1120
M-L. Basilien-Gainche, La libéralisation communautaire des marchés de l’électricité et du gaz, une
reconfiguration des obligations de service public, AJDA 2007, p. 74.
1121
CE 6 février 1944, Soc. Radio-Altantique, Rec., p. 65, RDP 1948, p. 244, concl. Chenot, note Jèze.
1122
D. Simon, Les mutations des services publics du fait des contraintes du droit communautaire, Service public et
Communauté européenne : entre l’intérêt général et le marché, tome I, Travaux CEDCE, Actes du colloque de
Strasbourg, Faculté R. Schuman, 17-19 octobre 1996, Paris, La Documentation française, 1997.

297
réflexe « de défense du tout service public contre le tout concurrence, la lutte titanesque de la loi
1123
du marché contre le droit de l’intérêt général » dans la mesure où les directives portant
libéralisation ont esquissé une nouvelle rencontre entre le public et le privé caractérisée par une
dilution du service public dans le marché.

L’émergence de nouvelles conditions d’accomplissement des missions d’intérêt général


n’est pas un phénomène qui touche de la même façon l’ensemble des industries en réseaux. Il
convient selon nous pour apprécier l’ampleur du changement de s’intéresser en priorité au secteur
de l’énergie (§1) et des télécommunications (§2). Ces secteurs annoncent en quelque sorte la
physionomie organisationnelle de l’ensemble des activités en réseaux. Si traditionnellement en
droit français, « l’Etat est le moyen de réconcilier équilibre et optimum dans tous les cas où
l’existence reconnue d’échecs de marché interdisait leur coïncidence automatique »1124,
dorénavant, le postulat est que la conciliation de l’équilibre et de l’optimum doit être exécutée par
les agents du marché qui doivent participer au financement et/ou à l’exécution des missions
d’intérêt général (§3).

§1. L’orientation de l’activité concurrentielle dans le secteur de l’énergie

402. La politique de libéralisation des services publics en réseaux a profondément bouleversé


l’organisation du secteur de l’énergie issue de la loi du 8 avril 1946. Cette mesure législative a
institué en France dans le domaine de l’électricité, d’une part, un monopole public sur la
distribution1125 et le transport permettant néanmoins aux entreprises locales (régies, SICAE et
SEM) de continuer leurs activités, d’autre part, un monopole public sur la production pour les
installations de production d'une puissance supérieure à 8 MVA 1126. Dans le domaine du gaz, la
loi de 1946 a conféré à GDF un monopole pour le service public de la distribution du gaz. GDF
n'a jamais eu de monopole pour l'approvisionnement des entreprises et des particuliers.
Désormais, il faut dissocier les activités de transport et de distribution relevant du service public

1123
Ibid., p. 65 et s.
1124
L. Cartelier, L’Etat et le marché : quelques éléments de problématique, in L’Etat et le marché, 1994, Economica,
p. 26.
1125
Près de 175 entreprises locales de distribution, assurent la fourniture d'électricité d'environ 5% d'utilisateurs. La
loi du 8 avril 1946 a maintenu ces entreprises. Elles présentaient la caractéristique d'être publiques (régies
municipales, société d'économie mixte ou d'intérêt public (sociétés d'intérêt collectif agricole, ).
1126
L'article 8 de la loi prévoyant des exceptions pour la SNCF, les Régies, les Charbonnages de France.

298
de l’énergie qui restent sous monopole des opérateurs historiques, des activités de production et
de fourniture ouvertes à la concurrence1127.
403. L’ouverture à la concurrence n’a jamais signifié déréglementation. Le marché de l’énergie
est structuré par une série d’obligations de service public qui s’impose aux opérateurs afin de
garantir l'approvisionnement en énergie sur l'ensemble du territoire national, l'indépendance, la
sécurité d'approvisionnement et la cohésion sociale1128. Comme l’écrit C. Isidoro, « les Etats
membres peuvent donc restreindre au nom des obligations de service public, le principe de la
liberté d’établissement des producteurs, l’accès au réseau et la construction de lignes
directes »1129. Il faudrait plutôt retenir « l’idée d’activités concurrentielles imprégnées
d’obligation de service public…le service public n’étant plus seulement un facteur de dérogation
aux règles de la concurrence, mais un facteur d’orientation de l’activité concurrentielle »1130.

C’est pourquoi, l’accentuation de la politique du « faire faire » des missions d’intérêt


général ne se limite pas à réaffirmer le rôle incontournable des opérateurs historiques dans le
secteur de l’énergie, elle se concrétise surtout par l’imposition d’obligations dites de service
public aux opérateurs privés souhaitant intervenir sur le marché. L’autorisation conditionnelle est
« un instrument préventif permet(tant) d’éviter les conséquences irréparables qui seraient
générées par un exercice incorrect de ces activités privées, ce qu’une intervention a posteriori ne

1127
Le monopole de production et de fourniture a été progressivement contesté à partir de 2000, au fur et à mesure de
la transposition en France (la loi n°2000-108 du 10 février 2000 et la loi n°2004-803 du 9 août 2004) des directives
européennes (les directives 96/92/CE du 19 décembre 1996 et 2003/54/CE du 26 juin 2003). Les Directives
établissent un certain nombre d'obligations pour les États membres dont les plus significatives sont la possibilité
offerte aux consommateurs d'électricité de choisir leur fournisseur d'énergie. En France cette possibilité est offerte
graduellement par seuil de consommation établi par décret en Conseil d'État. L’ouverture est totale depuis le 1 er
juillet 2007. Le 19 février 1999: la directive 96/92 est applicable directement pour les sites consommant plus de 100
GWh/an. Le 29 mai 2000 : le décret 2000-456 fixe le seuil d'éligibilité à 16 GWh/an (environ 30 % de la
consommation est concernée sur 1400 sites principalement industriels). Le 5 février2003: le décret 2003-100 abaisse
le seuil à 7 GWh/an (environ 37 % du marché représentant près de 3000 sites). Le 23 juin 2004 : le décret 2004-597
établit que toute consommation non résidentielle est éligible à partir du 1 er juillet 2004 (environ 70 % de la
consommation est concernée sur environ 2,3 millions de sites). Le 1 er juillet 2007: les directives européennes
prévoient qu'au plus tard au 1° juillet 2007 tous les clients seront éligibles.
La loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l’électricité traite de l’ouverture à la
concurrence du marché du gaz et du service public du gaz en organisant l’entrée sur ce marché d’un grand nombre
d’opérateurs. En matière d’ouverture à la concurrence, la loi de 2003 reprend le calendrier d’ouverture défini à
l’article 18 de la directive gaz de 1998 selon lequel la part minimale libéralisée devait être de 20% en 2000, de 28%
en 2003 et de 33% en 2008.
1128
Article 1 de la loi n°2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service
public de l'électricité
1129
C. Isidoro, L’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence communautaire, thèse préc., p. 370.
1130
S. Nicinski et P. Pintat, La libéralisation du secteur gazier, AJDA 2003, p. 229.

299
pourrait éviter »1131. Elle a donc pour finalité de conduire l’action des opérateurs vers l’intérêt
général et ce aussi bien dans le domaine de l’électricité (A) que dans celui du gaz (B).

A. Dans le secteur de l’électricité

404. La première directive précise que « pour certains Etats membres, l’imposition
d’obligations de service public peut être nécessaire pour assurer la sécurité d’approvisionnement,
la protection du consommateur et la protection de l’environnement que selon eux, la libre
concurrence, à elle seule, ne peut pas garantir »1132. Le préambule1133 de la seconde directive
dispose que « le respect des obligations de service public est un élément essentiel de la présente
directive, et il est important que des normes minimales communes, respectées par tous les Etats
membres, soient fixées dans la présente directive, en prenant en compte les objectifs de la
protection des consommateurs, de la sécurité d'approvisionnement, de la protection de
l'environnement et de l'égalité des niveaux de concurrence dans tous les Etats membres. Il est
important que les exigences relatives au service public puissent être interprétées sur une base
nationale, compte tenu des conditions nationales et dans le respect du droit communautaire »1134.

Si la soumission des entreprises du secteur de l’énergie à des impératifs de service public


était une éventualité dans la première directive électricité, dans la seconde la prescription de

1131
A.Laget-Annamayer, thèse préc., p. 147.
1132
Cf. 13e considérant du Préambule de la première directive électricité.
1133
Sur la question de la valeur juridique donc de l’opposabilité des dispositions du préambule de la seconde
directive électricité, la cour de justice a reconnu que certains considérants d’un préambule sont des règles juridiques
qui permettent d’interpréter certains articles de la directive elle-même en cas de connexité importante entre les textes,
v. ce sens CJCE 23 février 1988, Royaume-Uni c/ Conseil, aff. 131/86, Rec. CJCE, p. 905.
1134
Cf. 26e considérant du Préambule de la seconde directive électricité

300
contrainte de service public est érigée en obligation. Le chapitre II de la seconde directive
électricité intitulé « Règles générales d’organisation du secteur » fixe de façon limitative le
champ des obligations de service public : la sécurité, la régularité, la qualité et le prix de la
fourniture, la protection de l’environnement. Par la généralité de ces obligations, il convient de
noter que cette énumération est suffisamment large pour englober les obligations de service
public prévues dans le cahier des charges d’EDF. Ceci apparaît comme un aveu de l’impuissance
des « lois du marché », d’une part, à garantir l’accès pour tous les citoyens sur l’ensemble du
territoire national à l’électricité à un prix raisonnable, d’autre part, à assurer la sécurité de
l’approvisionnement énergétique et le respect des exigences environnementales.

405. Les obligations de service public pesant sur les activités de transport et distribution de
l’énergie sont organisées dans le cadre traditionnel de la concession de service public. La mission
de fourniture d’électricité qui est dorénavant distincte du transport et de la distribution connaît
une organisation particulière qui dénote par rapport aux modalités classiques de réalisation du
service public en droit français. Tout d’abord, la fourniture d’électricité ne revêt la qualité de
mission de service public que dans les hypothèses suivantes : les clients domestiques n’ayant pas
exercé le droit de changer de fournisseur, la fourniture d’électricité de dernier recours et de
secours aux clients qui ont fait jouer l’éligibilité. Dans cette dernière hypothèse, la seconde
directive électricité parle de service universel de l’électricité en soulignant que « les Etats
membres veillent à ce que tous les clients résidentiels et, lorsqu'ils le jugent approprié, les petites
entreprises (à savoir les entreprises  employant moins de 50 personnes et ayant un chiffre
d'affaire annuel ou un bilan qui n'excède pas 10 millions d'euros) bénéficient du service universel,
c'est-à-dire du droit d'être approvisionnés, sur leur territoire, en électricité d'une qualité bien
définie, et ce à des prix raisonnables, aisément et clairement comparables et transparents. Pour
assurer la fourniture du service universel, les Etats membres peuvent désigner un fournisseur de
dernier recours »1135.

1135
Cf. article 3, paragraphe 3 de la seconde directive.

301
406. Comme nous l’avons dit précédemment à côté de ce service public de l’énergie, le reste
de l’activité n’est pas laissé à la seule loi du marché. La loi n° 2000-108 du 10 février 2000
relative à la modernisation et de développement du service public de l'électricité, modifiée par les
lois n° 2004-803 du 9 août 2004 et n° 2006-1537 du 7 décembre 2006, a transposé les directives
européennes relatives au marché intérieur de l'électricité. L’objectif de ce texte est bien de
concilier l’ouverture des marchés et la satisfaction de missions d’intérêt général. L’internalisation
des objectifs de service public dans la sphère concurrentielle se concrétise au moyen de trois
procédés législatifs : l'accès réglementé des tiers aux réseaux, un régime d'autorisations et
d'appels d'offres pour la production, (permettant d'assurer sécurité d'approvisionnement et
développement des énergies renouvelables) et un régime de déclaration pour l’activité de négoce
d’électricité. L’article 22. IV de la loi du 10 février 2000 prévoit la règle selon laquelle « les
fournisseurs souhaitant exercer l'activité d'achat d'électricité pour revente aux clients éligibles
adressent une déclaration au ministre chargé de l'énergie. Un décret en Conseil d'Etat fixe les
conditions d'application du présent IV et notamment le contenu et la forme de la déclaration. Il
précise les obligations qui s'imposent en matière d'information des consommateurs d'électricité,
tant aux fournisseurs mentionnés au présent IV qu'aux services de distribution et aux
producteurs ».

407. L’article 2 du décret n°2004-388 du 30 avril 2004 relatif à l'exercice de l'activité d'achat
d'électricité pour revente aux clients éligibles et aux obligations des fournisseurs relatives à
l'information des consommateurs d'électricité indique que « le ministre chargé de l'énergie peut,
dans un délai de deux mois à compter de la délivrance du récépissé, s'opposer par une décision
motivée à l'exercice de l'activité par le déclarant s'il estime que celui-ci ne présente pas de
garanties suffisantes de ses capacités techniques, financières et commerciales, notamment pour
assurer la continuité de l'approvisionnement ». Quant à l’article 5 dudit décret, conformément aux
dispositions de l’article 3 de la directive électricité sur le service universel de l’électricité, ce
texte oblige les distributeurs mentionnés au III de l'article 2 de la loi du 10 février 2000 susvisée,
les producteurs qui vendent de l'électricité aux consommateurs éligibles et les négociants au sens
du présent décret, à informer les consommateurs finals, éligibles ou non, sur l'origine de
l'électricité fournie, dans les conditions prévues ci-après. « A cet effet, ils indiquent, sur les
factures d'électricité ou dans un document joint et dans les documents promotionnels relatifs à

302
l'électricité adressés aux consommateurs finals : 1° Les différentes sources d'énergie primaire
utilisées pour produire l'électricité qu'ils ont commercialisée au cours de l'année qui précède ; 2°
La contribution de chaque source d'énergie primaire à leur offre globale d'électricité au cours de
l'année précédente ; 3° La référence des publications dans lesquelles les consommateurs peuvent
trouver les informations relatives à la quantité de dioxyde de carbone ou de déchets radioactifs
générée par la production d'un kilowattheure à partir de la totalité des sources d'énergie primaire
utilisées par l'opérateur ». L’octroi de la qualité de fournisseur d’électricité suppose donc de
respecter des contraintes qui ont pour objectif principal d’assurer la sécurité d’approvisionnement
et la continuité de l’énergie ce qui correspond à la définition du service public de l’électricité
formulée par l’article 1er de la loi du 10 février 2000 aux termes duquel « le service public de
l’électricité a pour objet de garantir l’approvisionnement en électricité sur l’ensemble du territoire
national et dans le respect de l’intérêt général ».

408. Dans le domaine de la production d’électricité, la loi française prévoit également une
procédure d’autorisation. En vertu de l’article 7 de la loi du 10 février 2000 précitée,
« l'autorisation d'exploiter est délivrée par le ministre chargé de l'énergie. L'autorisation est
nominative et incessible. En cas de changement d'exploitant, l'autorisation ne peut être transférée
au nouvel exploitant que par décision du ministre chargé de l'énergie. Lors du dépôt d'une
demande d'autorisation d'exploiter une nouvelle installation de production, le ministre chargé de
l'énergie en rend publique les principales caractéristiques en termes de capacité de production, de
source d'énergie primaire, de technique de production et de localisation afin d'assurer une parfaite
transparence dans la mise en oeuvre de la programmation pluriannuelle des investissements ».
L’article 9 de cette loi complète les dispositions de l’article 7 : « les critères d'octroi de
l'autorisation mentionnée à l'article 7 portent sur :- la sécurité et la sûreté des réseaux publics
d'électricité, des installations et des équipements associés ; - la nature des sources d'énergie
primaire ; - le choix des sites, l'occupation des sols et l'utilisation du domaine public ; -
l'efficacité énergétique ; - les capacités techniques, économiques et financières du candidat ou du
demandeur ; - la compatibilité avec les principes et les missions de service public, notamment les
objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements et la protection de
l'environnement ; - le respect de la législation sociale en vigueur. Les mêmes critères servent à
l'élaboration des cahiers des charges des appels d'offres mentionnés à l'article 8. L'octroi d'une

303
autorisation au titre de la présente loi ne dispense pas son bénéficiaire d'obtenir les titres requis
par d'autres législations ».

409. La loi rappelle ainsi que les producteurs contribuent à la réalisation des objectifs d’intérêt
général1136. Ces conditions d’octroi des autorisations de production, telles que la sécurité, la sûreté
des réseaux et installations, la nature des sources d’énergie primaire, le choix des sites,
l’efficacité énergétique et les capacités techniques et financières, s’apparentent à de véritables
obligations de service public qui doivent être supportées par les nouveaux entrants. Dans le même
esprit, les tarifs de solidarité pour les personnes en situation précaire doivent être proposés par
l’ensemble des opérateurs d’énergie, la CRE demande ainsi au fournisseur postulant de mettre en
place un tarif social1137. Certains auteurs à l’instar de Mme. S. Nicinski y voient simplement « une
juridicisation d’objectifs purement commerciaux, ce qui pourrait s’interpréter comme la
découverte d’un compromis entre les attributs de l’usager et ceux du consommateur »1138.

B. Dans le secteur du gaz

410. Dans le secteur du gaz, le droit pose le principe de l’autorisation conditionnelle pour
exercer l’activité de fournisseur de gaz en dehors de tout contrat de concession de service public.
L’article 5 de la loi du 3 janvier 2003 énonce que « sont reconnues comme fournisseurs les
personnes installées sur le territoire d'un Etat membre de la Communauté européenne ou, dans le
cadre d'accords internationaux, sur le territoire d'un autre Etat, qui sont titulaires d'une
autorisation délivrée par le ministre chargé de l'énergie. La fourniture de gaz naturel consiste à
alimenter les clients éligibles et non éligibles. L'autorisation de fourniture précise les catégories
de clients auxquels peut s'adresser le fournisseur. Elle est délivrée ou refusée en fonction : - des
capacités techniques, économiques et financières du demandeur ; - de la compatibilité du projet
du demandeur avec les obligations de service public mentionnées à l'article 16. Cette autorisation,
nominative et incessible, peut, en cas de changement d'opérateur, être transférée par décision du
ministre chargé de l'énergie au nouvel opérateur. Les modalités de délivrance des autorisations
sont fixées par décret en Conseil d'Etat. Les fournisseurs exercent leur activité dans les conditions
1136
J.-Y. Chérot, Droit public économique, op. cit., p. 858 et s.
1137
Article 16-2 de la loi n°2003-8 du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l'électricité et au service
public de l'énergie du 3 janvier 2003 introduit par la loi n°2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au secteur de
l'énergie.
1138
S. Nicinski, L'usager du service public industriel et commercial Logiques Juridiques Etude broché, L'harmattan
2003, p. 70 et s.

304
fixées par leur autorisation de fourniture ainsi que, pour les clients qui bénéficient des tarifs
réglementés de vente mentionnés à l'article 7, raccordés à leur réseau de distribution, par les
autorités organisatrices de la distribution publique et du service public local de fourniture de gaz
naturel. Un décret en Conseil d'Etat fixe les obligations qui s'imposent aux titulaires, en tenant
compte des diverses catégories d'opérateurs et des caractéristiques de leurs clients, et les
conditions de révision de ces obligations. Le ministre chargé de l'énergie peut imposer aux
fournisseurs de lui communiquer chaque année leur plan prévisionnel d'approvisionnement en
gaz naturel. Lorsque le bénéficiaire de l'autorisation de fourniture est tenu de présenter une
diversification suffisante de ses approvisionnements en gaz naturel pour préserver la sécurité
d'approvisionnement, le ministre chargé de l'énergie peut le mettre en demeure de procéder à
cette diversification ou de prendre toute mesure utile pour assurer la continuité de fourniture ».

411. Par ailleurs, le décret n°2004-251 du 19 mars 2004 relatif aux obligations de service
public dans le secteur du gaz fait peser sur l’ensemble des fournisseurs de gaz d’authentiques
contraintes de service public au nom de la protection du consommateur et de la libre concurrence.
Ce texte montre notamment à l’article 3 que « le bénéficiaire d'une autorisation de fourniture est
tenu d'assurer, sans interruption, la continuité de fourniture de gaz à ses clients dans la limite des
quantités, des débits et des clauses stipulées par le contrat qui le lie à ces derniers » ce qui
s’apparente à la loi de continuité du service public. L’article 4 fait assumer aux opérateurs une
obligation de service « pour être en mesure d'assurer la continuité de fourniture même dans les
situations suivantes : - disparition pendant six mois au maximum de la principale source
d'approvisionnement dans des conditions météorologiques moyennes ; - hiver froid tel qu'il s'en
produit statistiquement un tous les cinquante ans ; - température extrêmement basse pendant une
période de trois jours au maximum telle qu'il s'en produit statistiquement une tous les cinquante
ans ».

412. L’orientation de l’activité concurrentielle vers l’intérêt général se manifeste également au


travers de l’article 16 de la loi du 3 janvier 2003 aux termes duquel « des obligations de service
public sont imposées : - aux opérateurs de réseaux de transport et de distribution de gaz naturel et
aux exploitants d'installations de gaz naturel liquéfié mentionnés à l'article 2 ; - aux fournisseurs
et aux distributeurs mentionnés aux articles 3 et 5 ; - aux titulaires de concessions de stockage
souterrain de gaz naturel régies par le titre V bis du livre Ier du code minier. Elles portent sur : -

305
la sécurité des personnes et des installations en amont du raccordement des consommateurs finals
; - la continuité de la fourniture de gaz ; - la sécurité d'approvisionnement ; - la qualité et le prix
des produits et des services fournis ; - la protection de l'environnement, en particulier
l'application de mesures d'économies d'énergie ; - l'efficacité énergétique ; - le développement
équilibré du territoire ; - la fourniture de gaz de dernier recours aux clients non domestiques
assurant des missions d'intérêt général ; - la fourniture de gaz naturel au tarif spécial de solidarité
mentionné au V de l'article 7 de la présente loi ; - le maintien, conformément à l'article L. 115-3
du code de l'action sociale et des familles, d'une fourniture aux personnes en situation de
précarité ». Le Conseil constitutionnel dans sa décision en date du 30 novembre 2006 a d’ailleurs
constaté que « les obligations de service public définies par l'article 16 de la loi du 3 janvier 2003
susvisée s'imposent non seulement à Gaz de France, mais encore à l'ensemble des entreprises
concurrentes intervenant dans le secteur du gaz naturel ; qu'il en est ainsi en ce qui concerne les
obligations de service public fixées par la loi, au niveau national, sur chacun des segments de ce
secteur d'activité »1139. En définitive, l’octroi de ces autorisations implique que tous les
intervenants respectent de strictes obligations qui portent à la fois sur la construction, l’entretien
des ouvrages, sur la qualité du matériel et sur l’exécution du service.

§2. L’orientation de l’activité concurrentielle des télécommunications

France Télécom n’est plus nominativement chargé par la loi du service universel ou des
services obligatoires sauf qu’il est l’unique opérateur à vouloir et à pouvoir assumer les
1140
composantes du service universel et des services obligatoires en raison de la loi de 2003 qui
oblige les opérateurs à fournir les composantes du service universel sur l’ensemble du territoire
national (A). Toutefois, cela ne signifie pas que le marché des communications électroniques est
libre car l’accès des opérateurs au marché fait l’objet d’une réglementation (B).

A. France Télécom, l’opérateur en charge des obligations de service public dans le


domaine des télécommunications

413. La loi n° 2003-1365 du 31 décembre 2003 relative aux obligations de service public des
télécommunications qui parachève la politique de libéralisation du secteur des

1139
Cons. const. déc. n°2006-543.
1140
V. rapport Sénat, session ord. 2003-2004, doc. n°21, p. 27.

306
télécommunications revêt un caractère particulier du fait qu’elle opère un changement de
terminologie dans le domaine des télécommunications en substituant l’expression « obligations
de service public » aux mots « service public des télécommunications ». La modification
sémantique est selon nous révélatrice de l’évolution du procédé de réalisation des missions de
service public. Les objectifs de service public sont directement intégrés dans la sphère
marchande. La notion d’ « obligations de service public » a une consistance propre en droit des
télécommunications. Ainsi, en vertu de l’article L.35 du code des postes et des communications
électroniques « les obligations de service public sont assurées dans le respect des principes
d'égalité, de continuité et d'adaptabilité. Elles comprennent : a) Le service universel des
communications électroniques défini, fourni et financé dans les conditions fixées aux
articles L. 35-1à L. 354 ; b) Les services obligatoires de communications électroniques offerts
dans les conditions fixées à l'article L. 35-5 ; c) Les missions d'intérêt général dans le domaine
des communications électroniques, en matière de défense et de sécurité, de recherche publique et
d'enseignement supérieur, assurées dans les conditions fixées à l'article L. 35-6 ».

414. L’article L.35-2 du Code des postes et des communications électronique pose le principe
selon lequel « en vue de garantir la fourniture du service universel sur l'ensemble du territoire
national dans le respect des principes rappelés par l'article L. 35 et des dispositions de l'article L.
35-1, le ministre chargé des communications électroniques peut désigner, pour chacune des
composantes du service universel mentionnées aux 1° et 3° de l'article L. 35-1 ou les éléments de
celle décrite au 2° du même article, un ou plusieurs opérateurs chargés de fournir cette
composante ou cet élément », mais en pratique la gestion du service universel des
télécommunications relève strictement de la compétence de France Télécom1141.

415. L’article L. 35-5 du Code des postes et des communications électroniques réservait les
services obligatoires à France Télecom, le nouvel article L. 35-5 issu de la loi du 31 décembre
2003 modifie le champ de ces services. Cette disposition ne désigne pas l’opérateur historique
comme fournisseur des services. En d’autres termes, si France Télécom n’est plus
nominativement chargé par la loi du service universel ou des services obligatoires, il est l’unique

1141
La commission européenne a dans un communiqué en date le 13 décembre 2006 pris des mesures contre la
France pour faire respecter la réglementation de l'UE en matière de télécommunication car elle aurait souhaité voir
l'appel d'offre découper le service universel par régions afin d’accroître le nombre d’entreprise soumissionnaire.

307
opérateur privé à vouloir et à pouvoir assumer les composantes du service universel et des
services obligatoires.

416. Le cœur des obligations de service public est le service universel des télécommunications
qui est un concept directement issu du droit communautaire dérivé, lui-même découlant du droit
américain1142. La juridicisation de cette notion n’a pas manqué de provoquer de virulents débats
en France1143. L’article L.35-1 du CPCE indique que « le service universel des communications
électroniques fournit à tous : 1º Un service téléphonique de qualité à un prix abordable. Ce
service assure l'acheminement des communications téléphoniques, des communications par
télécopie et des communications de données à des débits suffisants pour permettre l'accès à
Internet, en provenance ou à destination des points d'abonnement, ainsi que l'acheminement
gratuit des appels d'urgence. Les conditions tarifaires incluent le maintien, pendant une année, en
cas de défaut de paiement, d'un service restreint comportant la possibilité de recevoir des appels
ainsi que d'acheminer des appels téléphoniques aux services gratuits ou aux services d'urgence au
bénéfice du débiteur saisi en application de la loi nº 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des
procédures civiles d'exécution et du débiteur qui fait l'objet de mesures prévues aux articles
L. 331-1 et suivants du Code de la consommation. Toute personne obtient, sur sa demande,
l'abonnement au service d'un opérateur chargé du service universel dans les conditions prévues
par le présent code. Le propriétaire d'un immeuble ou son mandataire ne peut s'opposer à
l'installation de la ligne d'abonné demandée par son locataire ou occupant de bonne foi ; 2º Un
service de renseignements et un annuaire d'abonnés, sous formes imprimée et électronique,
conformément aux dispositions de l'article L. 35-4 ; 3º L'accès à des cabines téléphoniques
publiques installées sur le domaine public ; 4º Des mesures particulières en faveur des utilisateurs
finaux handicapés afin d'assurer, d'une part, un accès aux services mentionnés aux 1º, 2º et 3º qui
soit équivalent à l'accès dont bénéficient les autres utilisateurs finaux et ,d'autre part, le caractère
abordable de ces services. Le service universel est fourni dans des conditions tarifaires et
1142
D. Custos, Le service universel des télécommunications américain, d’hier à demain, Juris PTT, n°52, p. 3  ; v.
aussi L. Rapp, L’expérience américaine, AJDA 1997, p. 159 et s.
1143
O. Raymundie, Sur le service universel, renouveau du service public ou nouvelle mystification, AJDA 1996, p.
183. Sur la réception en droit français du concept de service universel, v. L. Rapp. La politique de libéralisation des
services publics en Europe, entre service public et service universel, RMCUE, n°389, 1995, p. 352 et s. ; J.
Aralandis, Service universel : évolution d’un concept clé, communications et stratégies, 1994, n°3 ; A. Laget-
Annamayer, La régulation des services publics en réseaux, thèse préc., p. 102 et s. ; v. enfin A. Ficquet, Vers une
réconciliation entre l’Europe et les services publics : l’exemple de l’électricité, AJDA 1998, p. 864 et s.

308
techniques prenant en compte les difficultés particulières rencontrées dans l'accès au service
téléphonique par certaines catégories de personnes, en raison notamment de leur niveau de
revenu et en proscrivant toute discrimination fondée sur la localisation géographique de
l'utilisateur ».

417. Le service universel des télécommunications concentre trois caractéristiques :


l’universalité de l’offre, la continuité du service et la tarification abordable dudit service. La
résolution de la Conseil européen en date du 7 février 1994 insiste sur le fait que « le principe
d’universalité, d’égalité et de continuité sont à la base d’un tel service (universel) pour permettre
l’accès à un ensemble minimal de services définis d’une qualité donnée, ainsi que la fourniture de
ces services à tous les utilisateurs, indépendamment de leur localisation géographique et, à la
lumière des conditions spécifiques nationales, à prix abordable »1144. Une autre caractéristique du
service universel qui n’est pas expressément reprise en droit interne est l’aspect évolutif du
service universel. Ainsi, le Conseil dans sa résolution du 13 juin 1995 souligne qu’ « il est
essentiel de donner une définition dynamique du service universel (…) pour tenir compte de la
nécessité de s’assurer que les avantages de la société d’information soient accessibles à tous les
citoyens »1145.

418. Les dispositions du cahier des charges annexé à l’arrêté du 3 mars 2005 portant
désignation de l’opérateur chargé de fournir la composante du service universel prévue au 1° de
l’article L. 35-1 du code des postes et des communications électroniques (service téléphonique)
confèrent une plus grande liberté de gestion à l’opérateur historique dorénavant société
commerciale privée. Il faut mettre en exergue tout d’abord la longueur du cahier des charges de
2005 comportant seulement 12 articles alors que celui de 1990 est composé de 48 articles 1146. Plus
concrètement, en vertu de l’article 6.2 du cahier des charges, « l’opérateur ne peut modifier les
1144
Résolution du Conseil du 7 février 1994, JOCE 16 février 1994. La doctrine française s’était déjà intéressée sur
la désincarnation des obligations de service public, notamment le Professeur M. Lombard qui a écrit que «  les
obligations de service universel apparaissent supérieures, en l’état, à celles du service public dit à la française,
puisqu’elles imposent d’assurer la possibilité d’accès à des prix abordables pour tous les utilisateurs, alors que
l’égalité devant le service public, en droit français, n’a jamais impliqué, ni bien sûr, la gratuité ni même l’existence
de normes de tarifs maximaux de nature à rendre le service effectivement abordable pour chacun », in M. Lombard,
Service postal communautaire, AJDA 20 septembre 1998, p. 718.
1145
Résolution du 18 septembre 1995, JOCE du 3 octobre 1995.
1146
Décret n°90-1213 du 29 décembre 1990 portant cahier des charges France Télécom. Nous laissons au lecteur le
soin de tirer les conclusions de ce raccourcissement du texte d’habilitation en termes d’encadrement, de consistance
des droits et obligations pesant sur l’opérateur.

309
conditions matérielles d’utilisation d’une des prestations de service universel qu’après
information des utilisateurs et des organisations d’utilisateurs concernées et recueil de leurs
remarques éventuelles. Les conditions et les délais de résiliation ou de modification sont publiés
au moins six mois à l’avance. Lorsqu’il s’agit de modifications techniques entraînant des
remplacements ou des adaptations significatives des installations connectées au réseau,
l’opérateur informe au moins dix-huit mois à l’avance les utilisateurs. L’opérateur informe les
utilisateurs et associations d’utilisateurs concernées et recueille leurs remarques ».

419. Ce texte est symptomatique d’une évolution des modalités d’accomplissement des
missions de service public. France Télécom n’exerce pas seulement la fonction d’exécutant du
service universel, cette entreprise privée incarne l’organe en charge de la gestion opérationnelle
du service universel dans la mesure où il peut modifier les conditions matérielles d’utilisation
d’une des prestations de service universel. Les pouvoirs publics ont prévu une méthode de
contrôle de ces modifications des conditions matérielles en indiquant que « les projets de
modifications mentionnées aux deux alinéas précédents, leurs conditions de mise en oeuvre et les
délais de mise en conformité des équipements font l’objet d’une approbation préalable par
l’Autorité de régulation des télécommunications »1147. Cette prérogative de France Télecom quant
à la définition des conditions d’utilisation des prestations et installations du service universel était
déjà inscrite dans le cahier des charges de l’opérateur en 1990 quand ce dernier avait le statut
d’établissement public. Ainsi, l’annexe 23 du cahier des charges de 1990 afférente aux relations
avec les usagers disposait de façon laconique que « France Télécom définit les conditions de
fourniture de ses produits et services ». La grande différence avec les circonstances actuelles est
qu’à cette époque France Télécom était un démembrement de l’autorité étatique. Dès lors,
l’autonomie de l’établissement public dans la fixation des modalités de fournitures du service
public ne correspondait pas à un délaissement, un abandon du service public.

420. En 1996, le décret n°96-1225 portant approbation du cahier des charges de France
Télécom disposait que «  France Télécom ne peut supprimer une prestation ou en modifier les
conditions matérielles d'utilisation qu'après information des utilisateurs et des organisations

1147
Article 6 du cahier des charges annexé à l'arrêté du 3 mars 2005 portant désignation de l'opérateur chargé de
fournir la composante du service universel prévue au 1° de l'article L. 35-1 du code des postes et des
communications électroniques (service téléphonique).

310
d'utilisateurs concernées et recueil de leurs remarques éventuelles. Les conditions et délais de
résiliation ou de modification sont publiés au moins six mois à l'avance ». A priori, le dispositif
institué en 2005 exclut toute suppression d’une prestation à l’initiative de France Télécom mais si
l’on se réfère à l’article 14 des conditions générales d’abonnement, il est expressément mentionné
que « France Télécom peut être amenée à supprimer une prestation relevant des obligations de
service public ou à en modifier les conditions matérielles d’utilisation en respectant un préavis de
six mois ». Dorénavant, France Télécom est une personne morale de droit privé qui a en charge la
fourniture des missions de service universel et dispose à cet effet de pouvoirs exorbitants par
rapport au simple délégataire de service public de la fin du 20 e siècle qui s’apparente davantage à
un exécutant du service public.

421. Le pouvoir de fixer les tarifs d’un service public est une compétence déterminante. C’est
pourquoi, s’interroger sur l’autorité compétente pour instituer le tarif du service public revient à
identifier l’organe qui maîtrise véritablement l’organisation dudit service. La convention de
délégation de service public est caractérisée par le fait que le délégataire de service public ne
dispose pas de la liberté tarifaire alors que l’autorité délégante bénéficie d’un statut privilégié en
cette matière ce qui se traduit a minima par un contrôle des tarifs appliqués par les entreprises de
service public1148. Or, le dispositif institué par la loi du 31 décembre 2003 s’éloigne du cadre
juridique de la délégation de service public ce qui souligne l’originalité des modalités de
réalisation du service universel des télécommunications.

422. Dans sa décision n° 06-0725 en date du 25 juillet 2006 portant sur l’encadrement tarifaire
des offres de communications téléphoniques, l’Autorité de régulation des communications
électroniques et des postes (ARCEP) note que le législateur lui a confié le contrôle des tarifs du
service universel, et notamment de leur caractère abordable. L’ARCEP a choisi de substituer une
mesure d’encadrement pluriannuel d’un panier de tarif de communications électroniques à la
procédure de contrôle individuel préalable des tarifs du service universel 1149. L’article L. 36-7 du
CPCE définit les missions de l’ARCEP, et notamment, au 5°, l’intervention de l’ARCEP consiste

1148
M. le professeur S. Braconnier s’interrogeait sur le bien fondé du « maintien, en l’état, de ce pouvoir de décision
tarifaire, qui constitue fréquemment un handicap pour les entreprises concernées dès lors que la logique économique
est, trop souvent, parasitée par des préoccupations politiques », in S. Braconnier, Le droit des services publics, PUF
Droit 2003, p. 310.
1149
L. 35-2 du CPCE.

311
à « exercer le contrôle des tarifs du service universel afin de garantir l’efficacité de l’intervention
de l’autorité de régulation au bénéfice du client final du service universel » et à « préserver la
liberté tarifaire de l’opérateur privé en charge dudit service »1150. Par cette décision, l’autorité de
régulation dans le secteur des télécommunications rappelle le principe d’une liberté tarifaire sous
surveillance au profit de l’opérateur chargé de fournir le service universel, principe parfaitement
étranger au régime de la délégation de service public.

La liberté tarifaire de l’opérateur doit être tempérée en raison de l’encadrement effectué


par l’ARCEP. L’encadrement tarifaire des offres de communications téléphoniques du service
universel porte sur les propositions de France Télécom faites lors de l’appel à candidature pour la
désignation de l’opérateur chargé du service universel. L’ARCEP doit prendre en compte
l’évolution générale des prix, les gains d’efficacité et l’évolution des charges externes
d’interconnexion et d’accès1151. Par conséquent, l’encadrement tarifaire est un contrôle restreint
reposant sur des critères objectifs et limitativement énumérés. La censure de l’ARCEP ne joue
donc qu’en cas d’erreur manifeste d’appréciation de France Télécom.

423. Certains tarifs de prestations du service universel, notamment dans les départements
d’outre-mer, ne font pas l’objet d’un encadrement pluriannuel mais d’un contrôle préalable
individuel. Conformément à l’article R. 20-30-11 du Code, le dossier complet des tarifs des
prestations de service universel ne faisant pas l’objet d’un encadrement tarifaire est transmis à
l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes au moins un mois avant
la date prévue pour leur mise en oeuvre. Ce dossier comprend les informations permettant
d’évaluer les évolutions tarifaires ainsi que les éléments de l'offre correspondante. Ainsi,
l’ARCEP dans un avis n° 2007-0252 en date du 15 mars 2007 a dû contrôler la décision tarifaire
n° 2007014 de France Télécom relative à une modification du prix mensuel de l’« Abonnement
Principal » en Guyane, dans les îles du Nord de la Guadeloupe, à Mayotte et à Saint-Pierre-et-
Miquelon.

En l’espèce, France Télécom envisageait d’appliquer le 3 juillet 2007 une hausse du prix
de l’abonnement téléphonique de base – dit « Abonnement Principal » – en Guyane, dans les îles

1150
ARCEP, décision n° 06-0725 en date du 25 juillet 2006.
1151
Cf. article 9 du cahier des charges préc.

312
du Nord de la Guadeloupe (Saint-Martin et Saint-Barthélemy), à Mayotte et à Saint-Pierre-et-
Miquelon. Le prix mensuel de l’« Abonnement Principal » s’élevait à 11,70 € dans les
départements et collectivités d’outre-mer susvisés. France Télécom prévoyait de l’augmenter de
0,90 € le 3 juillet 2007. Cette hausse fixera le montant de l’abonnement mensuel à 12,6 €.
L’ARCEP, compte tenu des éléments d’analyses présentés dans l’avis, ne s’est pas opposé à la
mise en oeuvre des tarifs proposés par France Télécom et a donc émis un avis favorable sur la
décision tarifaire n° 2007014 car le prix proposé par France Télécom est abordable. Dans cette
hypothèse, France Télécom apparaît comme l’autorité compétente pour instituer les tarifs du
service universel sous réserve de l’approbation de l’ARCEP. Il y a donc bien un dessaisissement
de la compétence tarifaire de l’autorité publique organisatrice du service universel qui est
simplement contrebalancé par une intervention limitée de l’ARCEP en ce domaine1152.

1152
V. Commentaires sous loi n°2004-669 relative aux communications électroniques et aux services audiovisuelle,
AJDA 2004, p. 1513 et s.

313
424. Pour les branches publiphonie et annuaire universel, les cahiers de charges annexés
aux arrêtés du 3 mars 2005 portant désignation de l’opérateur chargé de fournir la composante
du service universel prévue au 2° de l’article L. 35-1 du code des postes et des
communications électroniques (annuaire universel et service universel de renseignements)
prévoient également que « les tarifs de la composante du service universel objet du présent
cahier des charges sont contrôlés dans les conditions prévues à l’article L. 35-2 du Code des
postes et des communications électroniques (c’est-à-dire les tarifs du service universel
peuvent faire l'objet soit d'une mesure d'encadrement pluriannuel, soit d'une opposition ou
d'un avis préalable de l'ARCEP). Sans préjudice des dispositions particulières en matière de
contrôle tarifaire fixées en application de l’article L. 35-2, l’opérateur communique les
modifications des tarifs du service universel au ministre chargé des communications
électroniques et à l’Autorité de régulation des télécommunications, au moins un mois avant
leur mise en œuvre ».

425. En revanche, l’autorité étatique retrouve ses prérogatives traditionnelles en matière


tarifaire en ce qui concerne le montant mensuel de la réduction tarifaire téléphonique pour
certaines catégories de personnes au titre du service universel des communications
électroniques. Les paragraphes 1 et 2 du I de l’article R. 20-34 du Code des postes et des
communications électroniques indiquent que « les personnes physiques qui ont droit au
revenu minimum d'insertion ou qui perçoivent l'allocation de solidarité spécifique ou
l'allocation aux adultes handicapés et qui ont souscrit un abonnement au service téléphonique
fixe auprès de l'opérateur qui les dessert, autorisé selon les conditions fixées au III,
bénéficient, sur leur demande, d'une réduction de leur facture téléphonique ». Si France
Télécom, prestataire désigné par l’arrêté du Ministre du 3 mars 2005 pour offrir jusqu’en mars
2009 la prestation de la composante « service téléphonique » du service universel, doit
proposer jusqu’à cette date la réduction sociale tarifaire citée dans l’article précédent, c’est le
ministre qui dispose de la compétence tarifaire en vertu du paragraphe 3 du I de l’article R.
20-34 aux termes duquel « le ministre chargé des communications électroniques fixe au

er
1 novembre de chaque année pour l’année suivante, par arrêté, pris après avis de l’Autorité
de régulation des communications électroniques et des postes, le montant mensuel de la
réduction tarifaire accordée ».

Il découle de ce qui précède que l’opérateur historique, dorénavant société privée, a


indéniablement une place privilégiée dans l’accomplissement des obligations de service

314
public des télécommunications ce qui étaye la thèse d’une prévalence de la stratégie du « faire
faire » . A la suite de la transposition des directives de libéralisation, l’ensemble des agents du
marché est associé à la réalisation des missions d’intérêt général concrétisant une forme
atténuée du « faire faire ».

B. L’internalisation d’objectifs d’intérêt général dans l’ensemble du marché des


communications électroniques

426. M. le Professeur Chevallier note que « la diversité et la précision de ces contraintes qui
couvrent tous les aspects de l’exploitation…montrent que la liberté des opérateurs sera toute
relative et qu’ils sont notamment appelés à assumer d’authentiques obligations de service
public »1153. Aux termes de l’article L.33-1 du CPCE, (Loi nº 2005-516 du 20 mai 2005 art. 14
Journal Officiel du 21 mai 2005), «  I. - L'établissement et l'exploitation des réseaux ouverts
au public et la fourniture au public de services de communications électroniques sont libres
sous réserve d'une déclaration préalable auprès de l'Autorité de régulation des
communications électroniques et des postes. L'établissement et l'exploitation des réseaux
ouverts au public et la fourniture au public de services de communications électroniques sont
soumis au respect de règles portant sur : a) Les conditions de permanence, de qualité et de
disponibilité du réseau et du service ; b) Les conditions de confidentialité et de neutralité au
regard des messages transmis et des informations liées aux communications ; c) Les normes et
spécifications du réseau et du service ; d) Les prescriptions exigées par la protection de la
santé et de l'environnement et par les objectifs d'aménagement du territoire et d'urbanisme,
comportant, le cas échéant, les conditions d'occupation du domaine public, les garanties
financières ou techniques nécessaires à la bonne exécution des travaux d'infrastructures et les
modalités de partage des infrastructures et d'itinérance locale ; e) Les prescriptions exigées
par l'ordre public, la défense nationale et la sécurité publique, notamment celles qui sont
nécessaires à la mise en oeuvre des interceptions justifiées par les nécessités de la sécurité
publique, ainsi que les garanties d'une juste rémunération des prestations assurées à ce titre ;
f) L'acheminement gratuit des appels d'urgence. A ce titre, les opérateurs sont tenus d'assurer
l'accès gratuit des services d'urgence à l'information relative à la localisation de l'équipement
du terminal de l'utilisateur, dans la mesure où cette information est disponible ; g) Le
financement du service universel et, le cas échéant, la fourniture du service universel et des
services obligatoires, dans les conditions prévues aux articles L. 35-2 à L. 35-5 ; h) La
fourniture des informations prévues à l'article L. 34 ; i) L'interconnexion et l'accès, dans les

1153
J. Chevallier, La mise en œuvre de la nouvelle réglementation des télécommunications, RFDA 1997, p. 118.
315
conditions prévues aux articles L. 34-8 et L. 38 ; j) Les conditions nécessaires pour assurer
l'équivalence de traitement des opérateurs internationaux conformément aux dispositions du
III du présent article ; k) Les conditions nécessaires pour assurer l'interopérabilité des
services ; l) Les obligations qui s'imposent à l'exploitant pour permettre son contrôle par
l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et celles qui sont
nécessaires pour l'application de l'article L. 37-1 ; m) L'acquittement des taxes dues par
l'exploitant pour couvrir les coûts administratifs occasionnés par la mise en oeuvre des
dispositions du présent livre, dans les conditions prévues par les lois de finances ;
n) L'information, notamment sur les conditions contractuelles de fourniture du service, et la
protection des utilisateurs ».

427. L’article L.32-1 du CPCE pose le principe selon lequel « les activités de
communications électroniques s'exercent librement, dans le respect des déclarations prévues
au chapitre II, et sous réserve, le cas échéant, des autorisations prévues au titre II et par la loi
n° 86-1067 du 30 septembre 1986 » mais il existe des dispositions relatives aux opérateurs
exerçant une influence significative sur un marché du secteur des communications
électroniques1154. L’article L.38 du CPCE souligne que « les opérateurs réputés exercer une
influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques peuvent se
voir imposer, en matière d'interconnexion et d'accès, une ou plusieurs des obligations
suivantes, proportionnées à la réalisation des objectifs mentionnés à l'article L. 32-1 : 1°
Rendre publiques des informations concernant l'interconnexion ou l'accès, notamment publier
une offre technique et tarifaire détaillée d'interconnexion ou d'accès lorsqu'ils sont soumis à
des obligations de non-discrimination ; l'Autorité de régulation des communications
électroniques et des postes peut imposer, à tout moment, des modifications à une telle offre
pour la mettre en conformité avec les dispositions du présent code. L'opérateur communique à
cette fin à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes toute
information nécessaire ; 2° Fournir des prestations d'interconnexion ou d'accès dans des
conditions non discriminatoires ; 3° Faire droit aux demandes raisonnables d'accès à des
éléments de réseau ou à des moyens qui y sont associés ; 4° Ne pas pratiquer de tarifs
excessifs ou d'éviction sur le marché en cause et pratiquer des tarifs reflétant les coûts
correspondants ; 5° Isoler sur le plan comptable certaines activités en matière

1154
Article L. 37 du CPCE : « Est réputé exercer une influence significative sur un marché du secteur des
communications électroniques tout opérateur qui, pris individuellement ou conjointement avec d'autres, se trouve
dans une position équivalente à une position dominante lui permettant de se comporter de manière indépendante
vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs. Dans ce cas, l'opérateur peut également être
réputé exercer une influence significative sur un autre marché étroitement lié au premier ».

316
d'interconnexion ou d'accès, ou tenir une comptabilité des services et des activités qui
permette de vérifier le respect des obligations imposées au titre du présent article ; le respect
de ces prescriptions est vérifié, aux frais de l'opérateur, par un organisme indépendant désigné
par l'autorité ; 6° Le cas échéant, dans des circonstances exceptionnelles, respecter toutes
autres obligations définies, après accord de la Commission européenne, en vue de lever ou
d'atténuer les obstacles au développement d'une concurrence effective identifiés lors de
l'analyse du marché prévue à l'article L. 37-1. II. - Les opérateurs réputés exercer une
influence significative sur le marché du raccordement aux réseaux téléphoniques fixes ouverts
au public sont tenus de fournir à tout opérateur les prestations d'interconnexion et d'accès
nécessaires pour que leurs abonnés puissent, à un tarif raisonnable, présélectionner le service
téléphonique au public de cet opérateur et écarter, appel par appel, tout choix de présélection
en composant un préfixe court ; les tarifs de ces prestations reflètent les coûts
correspondants ».

428. L’article L. 38-1 continue en indiquant que « les opérateurs réputés exercer une
influence significative sur un marché de détail du secteur des communications électroniques
peuvent, lorsque l'application de l'article L. 38 ne permet pas d'atteindre les objectifs
mentionnés à l'article L. 32-1, se voir imposer une ou plusieurs des obligations suivantes,
proportionnées à la réalisation de ces objectifs et établies en tenant compte de la nature des
obstacles au développement d'une concurrence effective identifiés lors de l'analyse du marché
prévue à l'article L. 37-1 : 1° Fournir des prestations de détail dans des conditions non
discriminatoires ; ne pas coupler abusivement de telles prestations ; 2° Ne pas pratiquer de
tarifs excessifs ou d'éviction sur le marché en cause ; pratiquer des tarifs reflétant les coûts
correspondants ; respecter un encadrement pluriannuel des tarifs défini par l'Autorité de
régulation des communications électroniques et des postes ; prévoir la communication des
tarifs à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes préalablement
à leur mise en oeuvre, dans la mesure où ces tarifs ne sont pas contrôlés en application de
l'article L. 35-2 ; l'autorité peut s'opposer à la mise en oeuvre d'un tarif qui lui est
communiqué en application du présent alinéa par une décision motivée explicitant les
analyses, notamment économiques, qui sous-tendent son opposition ».

429. L’article 110 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie 1155
s’inscrit dans ce mouvement d’orientation de l’activité privée vers la recherche de l’intérêt
général en insérant un article L. 38-4 ainsi rédigé : «  dans le respect des objectifs mentionnés
1155
JORF n°0181 du 5 août 2008 page 12471 texte n° 1
317
à l'article L. 32-1, et notamment de l'exercice d'une concurrence effective et loyale au bénéfice
des utilisateurs, les opérateurs réputés exercer une influence significative sur le marché de la
sous-boucle locale sont tenus de fournir une offre d'accès à ce segment de réseau, à un tarif
raisonnable. Cette offre technique et tarifaire recouvre toutes les dispositions nécessaires pour
que les abonnés puissent notamment bénéficier de services haut et très haut débit ». Surtout
l’article 111 de cette loi introduit un article L. 33-9 dans le CPCE suivant lequel: « une
convention entre l'Etat et les opérateurs de téléphonie mobile détermine les conditions dans
lesquelles ceux-ci fournissent une offre tarifaire spécifique à destination des personnes
rencontrant des difficultés particulières dans l'accès au service téléphonique en raison de leur
niveau de revenu ».

M. François Brottes, député socialiste, a remarqué lors des discussions parlementaires


que « le véritable combat à mener est que le téléphone mobile entre dans le service universel »
afin que l’instauration d’un tarif social soit une réalité. En effet, on peut déplorer que les
opérateurs puissent avoir le choix d'appliquer, ou non, ce tarif social, et dans des conditions
qui ne seront pas fixées par décret, comme le sont le tarif social du gaz, de l'électricité ou de
la téléphonie fixe. Un paradoxe alors que « les personnes abonnées au mobile sont plus
nombreuses que celles abonnées au fixe », explique le député F. Brottes1156.

430. La libéralisation s’accompagne d’une internalisation d’objectifs d’intérêt général dans


le marché ce qui est une manifestation du pouvoir de police administrative de l’Etat. Dès lors,
la libéralisation des industries en réseaux corrobore la thèse déjà soutenue par un pan entier de
la doctrine administrativiste selon laquelle l’opposition entre police et service public s’est
bien estompée1157. M. le professeur D. Linotte écrit aussi qu’ « en réalité le but de toute action
administrative est relativement homogène, la police, tout comme le service public est une
catégorie de l’intérêt général dans la mesure où l’ordre public est une catégorie de l’intérêt
général et où la complémentarité des buts donne à la police une extension notable. Si
l’hypothèse d’une tendance à l’unité quant aux buts est exacte, on devra vérifier, sur le plan
des moyens également, une unité de l’action administrative tendant à la confusion des notions
de police et de service public »1158. La loi aiguille le secteur des communications électroniques
vers la recherche de l’intérêt général, d’une part, en prévoyant la désignation d’un ou
plusieurs opérateurs privés chargés de fournir le service universel et les services obligatoires,
1156
Propos rapportés par F. Grenier, Journal du net, 11 juin 2008, in
http://www.journaldunet.com/ebusiness/mobile/actualite/l-assemblee-nationale-cree-un-tarif-social-pour-le-
mobile.shtml
1157
D. Linotte (sous la direction), La police administrative existe-t-elle ?, PUAM 1985.
1158
Ibid., p. 11.
318
d’autre part, en faisant planer l’éthique du service public sur l’ensemble de l’activité
concurrentielle soulignant ainsi la place privilégiée des personnes privées dans
l’accomplissement des missions d’intérêt général.

§3. La place des agents privés dans l’accomplissement des missions de service public

L’accomplissement des missions de service public a un coût mais les conditions de


financement desdites activités doivent être compatibles avec un système libéralisé. Le sphère
privée peut contribuer à la réalisation des tâches d’intérêt général par le paiement d’une
contribution au financement des obligations de service public (A) et/ou par la participation
matérielle des opérateurs à ces obligations, ce qui correspond au principe américain « pay or
play »1159. La question se posera alors de savoir s’il est légitime de parler dans cette hypothèse
d’« exécutant même du service public » (B).

A. Le financement des obligations de service public par le marché

431. Le droit communautaire et interne autorisent sous certaines conditions les mécanismes
de financement des obligations de service public sous la forme d’aides publiques 1160.
Cependant, la politique de libéralisation des industries en réseaux réserve une place
privilégiée au financement des obligations de service public par le marché concurrentiel. Tout
d’abord, le financement par le marché des obligations de service public repose sur la
compensation opérée par la méthode de subvention croisée inversée, c’est-à-dire que ce n’est
pas l’activité d’intérêt général sous monopole qui finance les activités concurrentielles
(mécanisme de subvention croisée en principe proscrit), au contraire, c’est la rente tirée des
activités purement commerciales soumises à la concurrence qui permet à un opérateur chargé
également d’une mission de service public d’assurer le financement des obligations de service
public.

432. Ensuite, l’autre procédé de financement des obligations de service public par le
marché est le mécanisme de mutualisation entre tous les intervenants sur un marché selon la
logique du « play or pay », c’est-à-dire soit l’opérateur assure les obligations de service public
soit les opérateurs utilisant les réseaux publics contribuent à financer lesdites obligations en
alimentant un fonds du service public tel que le fonds du service public de la production

1159
D. Custos, Le service universel des télécommunications américaines d’hier à demain, Juris PTT, n°52.
1160
La bibliographie relative aux aides d’Etats est riche, pour une synthèse de la matière, v. M. Karpenschif, Face
au droit communautaire : quel avenir pour le financement des services publics ?, CJEG février 2006, n° 628, p.
45 et s.
319
d’électricité (FSPPE) prévu par la loi n° 2000-18 du 10 février 2000 modifiée par l’article 37
de la loi du 3 janvier 20031161 ou le fonds du service universel des télécommunications
introduit par la loi n°96-659 du 26 juillet 1996.

433. M. le professeur J.-Y. Chérot constate que « les Etats membres ont dans leur immense
majorité considéré que les coûts du service universel des communications électroniques ne
constituaient pas une charge inéquitable pour les opérateurs devant le fournir et d’autres Etats
membres ont pensé qu’ils ne justifiaient pas les coûts liés à la mise en place d’un système
administratif de gestion du financement »1162. Les modalités françaises de financement du
service universel des télécommunications sont originales car seule la France a mis en œuvre
un mécanisme de financement du service universel sous la forme d’un fonds de péréquation.
Toutefois, quand les coûts nets d'un opérateur soumis à des obligations de service universel ne
représentent pas une charge excessive pour cet opérateur, aucun versement ne lui est dû1163.
Dans le cadre des télécommunications, le décret du 17 novembre 2004 détermine les
opérateurs qui contribuent au fonds du service universel ainsi que les modalités de cette
participation. La contribution est ainsi calculée au prorata du chiffre d’affaires réalisé au titre
des services de communications électroniques à l’exclusion de certaines activités et après un
abattement de 5 millions d’euros sur le CA annuel.

434. Dans les industries en réseaux, le procédé de la mutualisation est l’outil de prédilection
du financement des missions d’intérêt général, c’est la contrepartie de l’autorisation
d’intervenir sur un marché. Cette idée se retrouve dans la communication de la commission
portant sur l’activité postale aux termes de laquelle « tout financement (additionnel) du
service universel pourrait être obtenu en imposant des obligations aux opérateurs
commerciaux en contrepartie de l’autorisation qui leur est octroyée, par exemple sous forme
de contributions financières à un fonds de compensation administré à cet effet par une entité
indépendante du (des) bénéficiaires ».

B. L’application de la notion « mission de service public assurée par une personne


privée » aux industries en réseaux

1161
Ce fonds assure le financement des charges liées aux obligations d’achats, aux coûts échoués, aux zones non
interconnectées au réseau métropolitain continental et enfin les charges de service public de la distribution
d’électricité, C. Isidoro, L’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence communautaire, thèse préc., p.
392 et s.
1162
J.-Y. Chérot, Droit public économique, op. cit., p. 816 et s.
1163
L.35-3 III du CPCE.
320
435. L’éthique du service public plane sur l’ensemble du marché de l’énergie et des
communications électroniques ce qui remet au goût du jour les conclusions, dont l’acuité ne
faiblit avec le temps, du commissaire du gouvernement Chénot sous l’arrêt Compagnie
maritime de l’Afrique orientale en date du 5 mai 19441164. L’imposition d’obligation de
service public dans les industries en réseaux n’est pas surprenante car même si la
transformation du statut des opérateurs historiques en société anonyme fait sortir bon nombre
de biens du régime de la domanialité publique, il n’empêche que l’exploitation des activités
de réseaux suppose l’occupation du domaine public. Ainsi, dans l’arrêt du Conseil d’Etat du 5
novembre 1937, Société industrielle des schistes1165, le juge affirme qu’ « il incombe à
l’autorité administrative qui délivre une permission de voirie de veiller non seulement aux
intérêts proprement dits du domaine public dont elle a la garde, mais encore à la sauvegarde
d’autres intérêts de caractère général ». La thèse du commissaire Chénot s’inscrit dans ce
courant de pensée. Il indique que « le titulaire de la permission participe à l’exécution du
service public dans la mesure où il utilise le domaine public, sa situation juridique est
différente de celle d’un concessionnaire, ses obligations peuvent être les mêmes »1166.

436. Dans l’arrêt Narcy du 28 juin 19631167, la section du contentieux du Conseil d’Etat a
isolé trois critères pour identifier l’hypothèse d’un service public confié à une personne
privée : une activité d’intérêt général, un contrôle de l’administration et des prérogatives de
puissance publique. La doctrine s’est alors interrogée sur le caractère cumulatif ou alternatif
de ces critères jurisprudentiels et en particulier sur l’importance de la prérogative de puissance
publique1168. Le président Odent déclarait que « si l’organisme qui gère un service d’intérêt
général est un organisme privé, le service qu’il assure ne peut être qualifié de service public
que si des prérogatives de puissance publique ont à cet effet été accordées à cet
organisme »1169. Cependant, la ligne jurisprudentielle fixée en 1963 a été troublée dès 1978
par la décision Bernardi du Tribunal des conflits 1170. Le juge a admis l’existence d’un service
public exécuté par une personne privée sans l’octroi de prérogative de puissance publique
alors que le juge administratif la même année a exclu la qualification de service public à une
activité d’intérêt général confiée à une personne privée sans prérogative de puissance

1164
S. 1945.3.15.
1165
Rec., p. 897.
1166
S.1945.3.16.
1167
CE 28 juin 1963 Narcy, Leb., p. 401.
1168
R. Chapus, Le service public et la puissance publique, RDP 1968, p. 237 et s. ; P. Amselek, Le service public
et la puissance publique- Réflexions autour d’une étude récente, AJDA 1968, p. 492 et s.
1169
Contentieux administratif, cours IEP Paris, 1970-1971, p. 370.
1170
T. C 6 nov. 1978, Lebon, p. 652.
321
publique1171. Dans les années 90, le Conseil d’Etat dans un arrêt du 20 juillet 1990, Ville de
Melun1172 reconnaît l’existence d’un service public confié à une personne privée sans
prérogative de puissance publique.

437. La section du contentieux du Conseil d’Etat a rendu un arrêt le 22 février 2007 1173 qui
clarifie la notion de « mission de service public assurée par une personne privée ». Ainsi, le
Conseil d’Etat a considéré qu' « indépendamment des cas dans lesquels le législateur a lui-
même entendu reconnaître ou, à l'inverse, exclure l'existence d'un service public, une
personne privée qui assure une mission d'intérêt général sous le contrôle de l'administration et
qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l'exécution d'un
service public ; que, même en l'absence de telles prérogatives, une personne privée doit
également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service
public lorsque, eu égard à l'intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de
son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu'aux
mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que
l'administration a entendu lui confier une telle mission »1174. Comme l’écrit M. D. Moreau,
« de trois choses l’une : soit l’intention du législateur est manifeste, soit l’activité est d’intérêt
général et la personne privée, sous le contrôle de l’Administration, dispose de prérogatives de
puissance publique pour l’exercer, soit la personne privée ne dispose pas de prérogatives de
puissance publique, et il convient alors de rechercher si l’administration a entendu confier à la
personne privée une mission de service public eu égard 1/ à l’intérêt général de son activité, 2/
aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, 3/ aux
obligations qui lui sont imposées, 4/ ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs
qui lui sont assignés sont atteints »1175. Ce faisceau de critères présente un caractère cumulatif
et exhaustif mais la recherche d’obligations imposées par la personne publique est un travail
qui fait une large place à la subjectivité du juge. Il paraît en falloir beaucoup au juge pour que
les obligations imposées par une collectivité à un tiers emportent qualification de l’activité en
mission de service public1176.

1171
CE Sect. 13 octobre 1978, Association départementale pour l’aménagement des structures agricoles du
Rhône, Leb., p. 368, D. 1979, p. 249, note P. Amselek et J. Waline. Dans le même sens, v. TC 25 janvier 1982,
Mme Cailloux c/ CONSUEL, Leb, p. 449, CJEG 1982, p. 337, note G. Dupiellet ;
1172
Leb., p. 220.
1173
AJDA 2007, p. 793, chron., F. Lenica et J. Boucher ; v. aussi C. Boiteau, Vers une définition du service
public ?, RFDA 2007, p. 813.
1174
V. aussi CE 25 juillet 2008, Commissariat à l’énergie atomique, req. n°280163.
1175
D. Moreau, Les sociétés d’économie mixte entre intérêt général, service public et mise en concurrence, RJEP
avril 2008, p. 28.
1176
CAA Lyon 24 juillet 2003, Dpt Rhône, AJDA 2003, p. 2159 ; v. aussi CE 5 octobre 2007, Sté UGC-Ciné-
Cité, RJEP avril 2008, p. 28.
322
438. Les fournisseurs en communication électronique, à l’exception de France télécom, et
les fournisseurs en énergie, à l’exception d’EDF et de GDF, ainsi que les producteurs
d’électricité n’entrent pas dans la catégorie « mission de service public assurée par une
personne privée »1177. L‘article 2 de la loi du 10 février 2000 sur le service public de
l’électricité précise que la fourniture d’électricité aux clients ayant fait jouer leur éligibilité
n’entre pas dans les missions de service public et que la production d’électricité n’est plus
qu’incidemment une activité de service public1178. L’expression « service public géré par une
personne privée » suppose un véritable droit de l’administration de regarder et de contrôler les
modalités d’accomplissement de la mission de l’organisme en cause. Certes, l’administration
est dotée d’un pouvoir de contrôle des marchés en pouvant restreindre au nom des obligations
de service public le principe de liberté d’établissement des producteurs, l’accès au réseau et la
1179
construction de lignes directes mais il s’agit d’une activité de police administrative
spéciale1180.

439. Selon nous, il ne faudrait pas trop exagérer la portée des obligations réglementaires qui
pèsent sur les nouveaux entrants. Celles-ci n’impliquent pas l’attribution d’une mission
particulière définie par un acte de puissance publique. Le professeur J.-Y. Chérot considère
que le marché de l’énergie et des communications est libre « en ce sens que ceux qui peuvent
y intervenir ne font pas l’objet d’une trop forte réglementation »1181. D’ailleurs, le Conseil
Constitutionnel affirme que « les missions de service public dans le secteur de l'électricité et
du gaz sont essentiellement assurées par Electricité de France et Gaz de France ; que les
autres opérateurs participant à leur exécution ne sont pas placés dans la même situation »1182.

440. Sur la distinction entre la réglementation de l’activité des opérateurs et l’existence


d’une mission SIEG, la décision British United Provident Association Ltd (BUPA) du TPI en
date du 12 février 20081183 est intéressante. En l’espèce, les requérants contestent l’existence
d’une mission SIEG, ils estiment que la législation en cause ne fait que soumettre l’activité de

1177
CE sect. 19 janvier 1973, Sté d’exploitation électrique de la rivière de Sant, CJEG 1973, concl. Rougevin-
Baville.
1178
G. Chavrier, DA octobre 2002, p. 11.
1179
V. art. 33 et 34 de la loi du 10 février 2000 préc. ; v. art. 31.II de la loi du 3 janvier 2003 préc. ; v. aussi art.
L. 36-11 du CPCE.
1180
V. Préface de P. Delvolvé, in C. Isidoro, L’ouverture à la concurrence de l’électricité à la concurrence
communautaire, thèse préc.
1181
J.-Y. Chérot, Droit public économique, op. cit., p. 848.
1182
Cons. const., - Déc. n° 2004-501 DC, 5 août 2004 portant sur la loi relative au service public de l'électricité et
du gaz et aux entreprises électriques et gazières.
1183
TPI 12 février 2008 British United Provident Association Ltd, BUPA, T-289/03.
323
l’ensemble des assureurs à des obligations réglementaires « normales », sans que cela
implique l’attribution d’une mission particulière définie par un acte de puissance publique. Le
juge communautaire souligne que « l’attribution d’une mission de SIEG peut également
consister en une obligation imposée à une multitude, voire à l’ensemble des opérateurs actifs
sur un même marché. Par conséquent, l’argument des requérants selon lequel l’existence
d’une mission SIEG serait exclue du fait de la soumission de l’ensemble des assureurs à
certaines obligations ne saurait prospérer »1184. Le juge continue en notant que « la législation
irlandaise pertinente ne constitue pas une réglementation ou une autorisation quelconque
relative à l’activité des assureurs, mais doit être qualifiée d’acte de puissance publique portant
création et définition d’une mission particulière » vu que les obligations mentionnées dans les
articles 7 à 10 du 1994 Health Insurance Act telles que la tarification commune, l’adhésion
ouverte, la couverture à vie et les prestations minimales, auxquelles est soumis l’ensemble des
assureurs au sens de cette législation, restreignent la liberté commerciale des assureurs dans
une mesure allant très largement au-delà de conditions d’autorisation ordinaires pour exercer
une activité dans un secteur particulier1185. Les nouveaux entrants dans les industries en
réseaux malgré l’intervention conditionnée ne voient pas restreindre leur liberté commerciale
dans une mesure allant très largement au-delà de conditions d’autorisation ordinaires pour
exercer une activité dans un secteur particulier. Ce dernier élément permet de distinguer « le
service relevant d’une mission SIEG de tout autre service fourni sur le marché et, partant, de
toute autre activité exercée complètement librement »1186.

Conclusion du Chapitre 1

441. Sous l’impulsion du droit communautaire, « dans le domaine de l’organisation de la


gestion des services publics, divers éléments (qui) sont révélateurs, sinon l’instauration de
l’ordre concurrentiel, tout du moins de l’existence d’un mouvement poussant à la

1184
Ibid., point 178 et 179.
1185
Ibid., point 182.
1186
Ibid., point 190. Sur la distinction service public, entreprise réglementée, v. G. Jèze, Les principes généraux
du droit administratif, tome 2, op. cit., p. 8.
324
dépublicisation de cette gestion et à son organisation dans un cadre libéral et
concurrentiel »1187. Cette dépublicisation des modes de gestion, consécutive notamment à la
libéralisation du secteur des industries en réseaux, a emporté « une mutation du service public
en obligation d’intérêt général »1188. En effet, l’application du droit de la concurrence ne peut
permettre d’atteindre l’optimum économique et social dans les nouveaux secteurs
concurrentiels. C’est pourquoi, loin de toute déréglementation, la libéralisation s’est
accompagnée d’une « reréglementation » en conditionnant l’accès au marché et aux réseaux
par souci de réaliser les objectifs posés dans les Traités. L’internalisation d’objectif de service
public dans la sphère concurrentielle est parfaitement compatible avec la conception
communautaire du droit de la concurrence selon laquelle contrairement au droit américain, les
objectifs du droit de la concurrence ne se limitent pas exclusivement à l’efficience
économique1189.

442. De ce constat est né le besoin d’employer une nouvelle expression pour qualifier le
système économique de l’Union européenne. Le nouveau concept d’économie sociale de
marché est ainsi apparu dans le projet de traité constitutionnel pour l’Union européenne et
dans le Traité de Lisbonne. L’économie sociale de marché renvoie directement à
l’ordolibéralisme qui est un courant développé en Allemagne entre les années 1930 et
19501190. L’Etat ordonnateur n’est ni l’Etat providence qui est prestataire de service, ni l’Etat
incitateur qui oriente les comportements sans établir des normes obligatoires 1191. L’Etat
ordonnateur est un Etat propulsif qui développe une action contraignante au moyen de normes
juridiques « pour agir sur la société civile pour l’influencer dans des directions autres que
celles qu’elle risquerait d’emprunter sous l’empire des règles spontanées gouvernant les
rapports individuels1192. Pour les partisans de la théorie ordolibérale, « la concurrence est un
système moralement et sociologiquement non sans risques ; elle exige des réserves morales en
dehors de l’économie »1193. A ce titre, MM. C. Lucas de Leyssac et G. Parleani défendent
l’idée suivante : « le droit du marché contemporain ajoute au droit traditionnel de la

1187
G. Quiot, Ordre concurrentiel et service public, in L’ordre concurrentiel, op. cit., p. 89.
1188
D. Truchet, Renoncer à l’expression « service public, Tribune, AJDA 2008, p. 553.
1189
E. Combe, Analyse comparée des politiques de la concurrence européenne et américaine, in B. Ferrandon
(dir.), Concurrence et régulation des marchés, Cahiers français, mars/avril 2003, n°313, p. 28. V. aussi G.
Clamour, Intérêt général et concurrence, thèse préc., p. 169 et s.
1190
Sur les sources de l’économie sociale du marché, v. L’ordolibéralisme allemand, sous la direction de P.
Commun, CIRAC/CICC, 2003 ; v. aussi A. Bienayme, Dimension éthique de la concurrence, Cahiers du
CERESA-CERDO, Université de Paris-Dauphine, 2001, n°1, p. 1. Sur l’éthique du marché, G. Clamour, Intérêt
général et concurrence thèse préc., p. 247 et s.
1191
C-A. Morand, Le droit néo-moderne des politiques publiques, LGDJ 1999, P. 82 et s.
1192
C-A. Morand, L’Etat propulsif. Contribution à l’étude des instruments d’action de l’Etat, Publisud 1991, p.5.
1193
Franz Böhm cité par D. Villey in F. Bilger, La pensée économique libérale dans l’Allemagne contemporaine,
LGDJ Paris 1964, Préface IX, ,p. 139.
325
concurrence qui visait à la protection du marché contre les atteintes qu’il pouvait subir, une
nouvelle finalité qui est l’organisation préalable du marché dans le but d’optimiser son
fonctionnement naturel, et de rendre compatible avec d’autres valeurs essentielles de la vie de
l’homme »1194.

443. La dilution des obligations de service public dans le marché peut-être perçue comme
un processus a priori contre-nature1195. Ainsi, en 2003, l’association « Promouvoir les services
publics » juge que « soit l’ouverture du marché est illusoire, et un seul opérateur maîtrise le
marché ; soit l’ouverture est réelle, mais l’écrémage du marché contraint l’opérateur chargé
du service universel à lutter avec les armes de la concurrence et à délaisser ses missions sous
peine d’être déficitaire »1196. Mais certains auteurs abondent dans le sens d’une redécouverte
d’une collectivité d’usagers solidaires en raison d’« une inflexion d’un marché pleinement
concurrentiel vers la prise en compte d’impératifs de solidarité »1197. La doctrine économique
développée par les instances communautaires est éloignée du « laissez-faire, laissez-passer ».
L’intensification du « faire faire » ne tend pas seulement à organiser le marché de façon à
concilier l’efficience économique et l’ordre social, elle doit aussi pérenniser l’ordre
concurrentiel en assurant l’instauration d’une concurrence réelle. La problématique porte alors
sur le degré de séparation à mettre en œuvre pour opérer la juste « dé-intégration » des
industries en réseaux.

CHAPITRE 2 : L’AFFIRMATION D’UN NOUVEAU PRINCIPE DE GESTION DES


SERVICES PUBLICS : LA DISSOCIATION DES FONCTIONS D’INTERET
GENERAL (L’EXEMPLE DE L’ENERGIE)

444. La politique du « faire faire » a pris une ampleur nouvelle avec la libéralisation des
services publics en réseaux. La liberté des Etats membres dans l’organisation des SIEG est
limitée car ils ne peuvent mettre en place un système qui placerait une entreprise dans une

1194
C. Lucas de Leyssac et G. Parleani, Droit du marché, Paris, PUF, Thémis 2002, p. 119. Les Professeurs C.
Lucas de Leyssac et G. Parleani ont également écrit que « l’économie de marché du IIIe millénaire se caractérise
par la prise en considération de bien d’autres valeurs que l’optimum économique autrefois méconnues ou
laissées de côté. Elle a conduit et conduira de plus en plus à l’intégration de valeurs humaines et sociales dans le
champ économique, ibid., p. 117.
1195
A. Pirovano, Droit de la concurrence et progrès social , après la loi NRE du 15 mai 2001, D. 2002, p. 62 et s.
1196
Promouvoir les services publics, Services publics, le livre noir des privatisations, Préface de G. Delfau,
L’Harmattan, 2003, p. 148. C. Stoffaës, Services publics, question d’avenir, édition O. Jacob, 1995.
1197
S. Nicinski, L'usager du service public industriel et commercial Logiques Juridiques Etude broché,
L'harmattan 2003, p. 83 et s. ; S. Rodriguez, Le marché intérieur entre concurrence et utilité publique, chron.
préc., p. 34.
326
situation injustement privilégiée par rapport aux autres acteurs du marché. Ainsi, l’ouverture à
la concurrence des industries de réseaux dont l’organisation en France reposait sur une
structure intégrée et monopolistique implique de remettre à plat l’organisation et le
fonctionnement de ces secteurs. L’objectif est de « faire faire », plus précisément, le but est de
« dé-intégrer » ou « dé-verticaliser »1198 les opérateurs publics ou privés, c’est-à-dire de
segmenter par activité les industries en réseaux et de confier les différentes missions à des
entités distinctes, afin de prévenir tout abus de position. L’activité de gestion des réseaux,
mission de service public, est directement visée par le droit de la concurrence qui pousse « le
plus souvent dans un sens que l’on peut qualifier de dissociatif »1199. Il est intéressant de noter
que le rapport de P. Ramadier relatif à la nationalisation de l’électricité et du gaz de 1946
parlait d’indivisibilité de la fonction de production, de transport et de distribution 1200.
L’exemple du marché de l’énergie français est significatif de la pression qu’exercent les
contraintes concurrentielles sur les schémas institutionnels des gestionnaires publics ou privés
des missions d’intérêt général.

445. L’application du droit communautaire opère donc un changement de paradigme. Dans


le domaine de l’énergie, il faut différencier deux genres de réseaux : le réseau de transport et
le réseau de distribution. L’article 2 de la directive 2003/54/CE du 26 juin 2003 précise ce
qu’il faut entendre par les mots « transport » et « distribution ». L’activité de transport désigne
le transport d'énergie sur le réseau à très haute tension et à haute tension interconnecté aux
fins de fourniture à des clients finals ou à des distributeurs. L’activité de distribution désigne
le transport d'énergie sur des réseaux de distribution à haute, à moyenne et à basse tension aux
fins de fourniture à des clients.

446. Comme l’écrit M. L. Richer, « le lien entre le statut juridique du réseau et le droit
d’accès est étroit…à partir du moment où le réseau est la propriété d’une entreprise intégrée,
qui est en même temps opérateur de service, ladite entreprise risque de se réserver à elle-
même un accès privilégié aux installations et de chercher à faire subventionner ses activités de
production et de service par ses concurrents à travers les coûts d’accès »1201, d’où l’exigence

1198
Sur ce concept, v. M. Bazex, La dissociation-désintégration des fonctions autres que celles de régulateur et
d’opérateur, Colloque CEDECE ; v. également sous la direction de Jean-Bernard Blaise, Jacqueline Dutheil de la
Rochère, Colette Nême, L’entreprise dans le marché unique, Documentation française, 1995 ; v. C. Stoffaës,
Services publics questions d’avenir, Ed. Odile Jacob, 1995, p. 178 et s. ; v. enfin G. Savary, L’Europe va-t-elle
démanteler les services publics ?, L’Aube essai, 2005, p. 44.
1199
J. B. Auby, Droit de la concurrence et schémas institutionnels, repère, p. 7, DA juillet 2008.
1200
Rapport n°655 du 13 mars 1946.
1201
L. Richer, Droit d’accès et service public, AJDA 16 janvier 2006, p. 77.
327
de « dé-intégration » qui est une réponse à la théorie des conflits d’intérêts 1202. Le souci
d’impartialité des gestionnaires des réseaux renvoie à la théorie des facilités essentielles selon
laquelle l’instauration d’une concurrence réelle exige que les nouveaux entrants sur un
marché puissent bénéficier dans des conditions non-discriminatoires d’une infrastructure
indispensable pour l’accès au marché pertinent1203. Dans le domaine de l’énergie, les réseaux
de transport et de distribution sont clairement des infrastructures indispensables, certains
diront des monopoles naturels car les réseaux ne sont ni interchangeables ni duplicables en
raison du coût prohibitif de reproduction.

447. La question est de savoir si par impartialité, il faut entendre indépendance


fonctionnelle, indépendance juridique ou encore indépendance patrimoniale du gestionnaire
des réseaux. Dans un premier temps, les instances communautaires ont exigé une dissociation
comptable, l’« unbundling », pour prévenir toute atteinte aux règles de la concurrence 1204. La
cohabitation, au sein d’une seule et unique entreprise, des fonctions d’opérateurs des réseaux
et celles de producteur et de fournisseur d’énergie, activités ouvertes à la concurrence, n’est
pas une situation saine. Dans une économie de marché, la présomption de distorsion de
concurrence est autant dommageable que la preuve d’une distorsion de concurrence. Dans un
second temps, pour remédier à l’insuffisance de la simple dissociation comptable pour assurer
l’efficience des lois du marché, le droit communautaire a contraint les Etats membres à
procéder à une séparation juridique entre les entités exerçant les activités de transport et de
distribution d’énergie et celles produisant ou vendant de l’énergie. En France, cette exigence
communautaire s’est concrétisée au moyen du procédé de filialisation des activités.

448. La séparation juridique des gestionnaires des réseaux doit permettre aux usagers du
service public, c’est-à-dire les producteurs, les fournisseurs et les consommateurs, de
bénéficier des prestations du service public de transport et de distribution dans le respect des
lois du service public1205. L’égalité devant le service public apparaît en définitive comme un
facteur de sauvegarde du fonctionnement loyal du marché. Cependant, il est légitime de
s’interroger sur le bien fondé d’une séparation juridique des gestionnaires des réseaux si elle
ne s’accompagne pas d’une séparation patrimoniale capitalistique. D’un point de vue de la
1202
Pour un développement, v. N. Charbit, Le droit de la concurrence et le secteur public, L’Harmattan 2002, p.
282 et s.
1203
F. Weingarten, La théorie des infrastructures essentielles et l’accès des tiers aux réseaux en droit
communautaire, chron. préc., p. 461.
1204
Sur le thème de la réalisation de la concurrence par le respect de règles comptables, v. C. Isidoro, L’ouverture
du marché de l’électricité à la concurrence communautaire, thèse préc., p. 214 et s.
1205
Sur l’articulation entre le service public de transport et l’accès au réseau, v. L. Richer, Droit d’accès et
service public, AJDA 2005, chron. préc., p. 73 et s. v. aussi F. Weingarten, La théorie des infrastructures
essentielles et l’accès des tiers aux réseaux en droit communautaire, chron.préc., p. 461 et s.
328
propriété juridique, la France a réalisé la séparation patrimoniale entre la société mère,
prestataire de biens et de services et la société fille, gestionnaire du réseau, mais moins que le
critère de la propriété juridique, c’est le critère de la propriété économique qui doit être pris en
compte pour parler de véritable séparation patrimoniale.

449. Si la filialisation des activités dans un environnement concurrentiel est apparue


d’abord comme une condition nécessaire à l’existence d’une concurrence effective 1206
(Section 1), cette modalité organisationnelle a très vite été perçue comme une condition
insuffisante. L’autorité française de régulation de l’énergie met fréquemment en exergue
l’indépendance relative des gestionnaires des réseaux par rapport aux opérateurs historiques.
La libéralisation des services publics en réseaux impliquerait une application de la doctrine du
« faire faire ». La gestion des réseaux effectuée par une filiale détenue à 100% par une
entreprise qui produit et qui commercialise de l’énergie s’apparente, d’un point de vue de
l’analyse substantielle, à de la gestion directe par la société mère. Le droit de la concurrence
pousse à la dissociation des fonctions d’intérêt général sous monopole (Section 2).

Section 1 : La « dé-intégration-filialisation », diptyque structurant la


libéralisation des industries en réseaux

450. L’ouverture à la concurrence du secteur de l’énergie doit permettre aux


consommateurs de bénéficier des avantages supposés des lois du marché, encore faut-il que la
politique de libéralisation soit susceptible d’instaurer une concurrence réelle. L’exigence
communautaire de transparence de gestion a une triple utilité : éviter d’une part tout abus de

1206
Cons. Con., avis n°97-A-07 du 27 mai 1997 relatif à la coexistence à France Télécom, cf. 11 e rapport
d’activités 1997, p. 551 ; v. aussi avis n°96-A-10 du 25 juin 1996, 10e rapport d’activités 1996 ; et enfin avis
n°95-A-18 du 17 octobre 1995 concernant le service de messagerie de la SNCF.
329
position dominante dans la mesure où un opérateur vendant des biens ou des services à partir
d’un réseau dont il est également le propriétaire et gestionnaire est susceptible d’abuser de sa
qualité d’opérateur d’infrastructure essentielle en restreignant l’accès des tiers aux
réseaux1207 ; interdire d’autre part le mécanisme des subventions croisées étant donné que le
cumul d’activités peut être un moyen d’assurer le financement des activités concurrentielles
grâce aux missions sous monopole ; aboutir enfin à la détermination du juste prix pour les
prestations fournies1208. La transparence dans la gestion des différentes activités des services
publics de réseaux peut revêtir différents degrés. Ainsi, la dissociation a pu être dans un
premier temps seulement comptable (§1), mais cette méthode s’est révélée insuffisante de
sorte que le droit communautaire a prôné la séparation juridique accomplie en France au
moyen du procédé de la filialisation (§2).

§1. La dissociation comptable, un élément présumant le respect du droit de la


concurrence par les opérateurs du marché

La règle de dissociation comptable opposable aux entreprises intégrées a été consacrée


par le droit communautaire (A). Elle est « destinée à la sauvegarde de la concurrence entre

1207
F. Robbe, L’ouverture du marché de l’électricité et l’adoption du service public (la transposition par la loi du
10 février 2000 de la directive du 19 décembre 1996, CJEG 2000, p. 228 et s.
1208
En ce sens, R. Kovar, Droit communautaire et service public : esprit d’orthodoxie ou pensée laïcisée, partie
II, RTDE, juillet-septembre 1996, p. 498.
330
l’opérateur de service public et les tiers »1209 car elle contribue à garantir un accès non-
discriminatoire aux réseaux (B).

A. La consécration du principe de dissociation comptable

451. C’est le secteur des transports qui a inauguré le principe de dissociation comptable en
distinguant, d’une part, la séparation comptable entre les activités soumises à des obligations
de service public et les autres activités 1210 et d’autre part, la séparation comptable entre les
activités relatives à l’exploitation des services de transport de celles relatives à la gestion de
l’infrastructure ferroviaire1211. L’instauration d’une comptabilité analytique qui établirait de
manière certaine l’absence ou l’existence de subvention croisée entre les activités sous
monopole et les activités concurrentielles d’une entreprise intégrée est largement reprise par
le juge communautaire1212.

452. Le principe de la dissociation comptable est présent dans l’ensemble des directives de
libéralisation. Dans le secteur de l’énergie, cette règle est inscrite en droit français dans les
lois n° 2000-108 du 10 février 2000 1213, n°2003-8 du 3 janvier 20031214 et n°2004-803 du 9
août 20041215 adoptées dans le cadre de la transposition des directives européennes 1216. C’est la
directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne du 19
décembre 1996 qui a fait pour la première fois le constat suivant lequel « la coexistence, au
sein des opérateurs historiques intégrés verticalement dont la directive n’a pas exigé le
démantèlement, d’activités sous monopole et d’activités ouvertes à la concurrence, rend
nécessaire a minima la séparation comptable entre les activités de production, de transport, de
1209
M. Bazex, La dissociation-désintégration des fonctions autres que celles de régulateur et d’opérateurs, chron.
préc., p. 233.
1210
Règlement 1191/69/CEE du Conseil relatif à l’action des Etats membres en matière d’obligations inhérentes
à la notion de service public dans le domaine des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable.
1211
Directive 91/440/CE du Conseil du 29 juillet 1991 relatif au développement des chemins de fer
communautaires, JOCE 24 août 1991
1212
TPI 27 février 1997, aff. T-106/95, Fédération Française des Sociétés d’Assurance (FFSA) c/ Commission,
Rec. II, p. 229. M. F. Robbe écrit qu’« elle permet d’éviter que les bénéfices éventuellement réalisés dans la
gestion des activités monopolistiques de transport et de distribution puissent servir à renflouer les activités de
production éventuellement déficitaires ou à pratiquer en la matière des prix prédateurs », in L’ouverture du
marché de l’électricité et l’adoption du service public (la transposition par la loi du 10 février 2000 de la
directive du 19 décembre 1996, CJEG 2000, p. 228 et s.
1213
Art. 10 de la loi du 10 février 2000: relative à la modernisation et au développement du service public de
l'électricité.
1214
Art. 8 de la loi du 3 janvier 2003: relative aux marchés du gaz et de l'électricité et au service public de
l'énergie.
1215
Art. 34 de la loi du 9 août 2004: relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises
électriques et gazières.
1216
Art.19 Directive 2003/54 du 26/06/03 : concernant des règles communes pour le marché intérieur de
l'électricité et abrogeant la directive 96/92/CE ; art.17 Directive 2003/55 du 26/06/03 : concernant des règles
communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 98/30/CE.
331
distribution et les autres activités ainsi que l’indépendance, « sur le plan de la gestion », du
gestionnaire du réseau de transport »1217. Ainsi, les 3 et 4 de l’article 14 de la directive précitée
énoncent que « les entreprises d’électricité intégrées tiennent, dans leur comptabilité interne,
des comptes séparés pour leurs activités de production, de transport et de distribution et, le cas
échéant, des comptes consolidés pour d’autre activités en dehors du secteur de l’électricité,
comme elles devraient le faire si les activités en question étaient exercées par des entreprises
distinctes, en vue d’éviter les discriminations, les subventions croisées et les distorsions de
concurrence. Elles font figurer dans l’annexe de leurs comptes un bilan et un compte de
résultats pour chaque activité ».

453. Dans le secteur de l’énergie, le principe de dissociation comptable est le résultat d’un
compromis entre les instances communautaires et certains Etats membres notamment la
France qui était défavorable à la séparation organique1218. Le gestionnaire de réseau de
transport d’électricité (RTE) a été créé le 1er juillet 2000, sous la forme d'un service
indépendant sur le plan financier, managérial et comptable au sein d'EDF, c’est une entreprise
sans personnalité morale. Il convient de noter que cette exigence s’impose à tous les
opérateurs intégrés et pas seulement aux opérateurs historiques1219. Elle consiste à isoler
comptablement les bilans et les comptes de résultat des activités de production, de transport et
de distribution, et, le cas échéant, des activités autres qu’électriques pour les opérateurs
électriques et des activités de transport, de distribution, de stockage du gaz naturel,
d’exploitation des installations de gaz naturel liquéfié et, le cas échéant, des activités en
dehors du secteur du gaz naturel pour les opérateurs gaziers. La loi du 9 août 2004 imposait
1217
V. Cons. Con. Avis n° 2000-A-29 du 30 novembre 2000 relatif à la séparation comptable entre les activités
de production, transport et distribution d’électricité.
1218
C. Isidoro, L’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence communautaire, thèse péc., p. 316 et s
1219
Le préambule de la première directive électricité (La directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil
de l’Union européenne du 19 décembre 1996 concernant des règles communes pour le marché intérieur de
l’électricité) définit dans son paragraphe 18 une entreprise verticalement intégrée comme étant une entreprise
assurant au moins deux des fonctions suivantes : production, transport ou distribution d’électricité. L’entreprise
horizontalement intégrée est définie au paragraphe 19 de la même directive, comme une entreprise assurant au
moins une des fonctions de production pour la vente ou le transport ou distribution d’électricité, ainsi qu’une
autre activité en dehors du secteur de l’électricité. La seconde hypothèse d’EVI résulte de la situation dans
laquelle l’exploitation du réseau est assurée par une entreprise juridiquement distincte qui est cependant sous le
«contrôle» de l'entreprise de fourniture/production, ou par une société mère qui «contrôle» une entreprise de
fourniture/production au sens de l'article 3, paragraphe 3, du règlement n°4064/89 du Conseil du 21 décembre
1898. Il peut s'avérer difficile de trancher, en particulier dans les cas où le «contrôle» exercé par l'entreprise de
fourniture/production liée est diffus, par exemple lorsque cette dernière détient moins de 50% des parts de
l'entreprise chargée du réseau. En ce sens, la directive renvoie à la définition du «contrôle» donnée par l'article 3,
paragraphe 3, du règlement sur les concentrations. En vertu de cet article et de la communication de la
Commission relative à son interprétation, une entreprise «contrôle» une autre entreprise du même groupe si elle
détient la majorité des parts/voix de l'autre entreprise. C’est aussi le cas si elle ne détient pas la majorité des parts
mais que l’entreprise mère exerce sur la fille un contrôle exclusif de fait en raison de la dispersion des autres
actionnaires qui sont de petits porteurs. Par ailleurs, un actionnaire minoritaire peut aussi exercer un contrôle de
fait en vertu de modalités contractuelles particulières qui lui confèrent le droit de déterminer effectivement la
politique commerciale de l'entreprise.
332
aux opérateurs de tenir, à compter du 1er juillet 2004, des comptes séparés pour les activités
de fourniture aux clients éligibles et les activités de fourniture aux clients non éligibles. La loi
du 7 décembre 2006 a modifié la règle de dissociation. Dorénavant, à partir du 1er juillet
2007, les opérateurs doivent présenter des comptes dissociés de leur activité de fourniture
entre les clients ayant exercé leur éligibilité et les clients n’ayant pas exercé leur éligibilité.

454. Les comptes de résultat et les bilans de ces différentes activités ainsi que les règles
ayant servi à leur élaboration (règles d’imputation des postes de comptes de résultat et de
bilan, périmètres comptables1220) sont communiqués, chaque année, à la CRE. Ces règles
doivent faire l’objet d’une approbation par la CRE1221 , qui peut, en tant que de besoin les fixer
elle-même par voie réglementaire1222. Le respect des règles de dissociation comptable est un
gage d’un fonctionnement normal et loyal des marchés car la transparence comptable doit
permettre d’éviter toute discrimination, subvention croisée ou encore distorsion de
concurrence1223. Le Conseil de la concurrence considère que « la séparation comptable vise à
résoudre le problème posé par la coexistence, au sein d’un même opérateur historique intégré,
d’activités de production et d’acheminement de l’électricité. Elle doit permettre de veiller à ce
que les conditions d’accès aux réseaux soient identiques pour toutes les installations de
production, en vérifiant l’orientation vers les coûts de la tarification adoptée, son caractère
non discriminatoire et l’absence de subventions croisées entre activités. La tentation existe, en
effet, pour les opérateurs intégrés, de placer le maximum de charges sur les activités de
monopole au bénéfice des activités en concurrence »1224.

B. La détermination du juste prix d’accès aux réseaux

1220
Sur la définition des périmètres comptables, v.
http://www.cre.fr/fr/acces_aux_reseaux/dissociation_comptable.
1221
Article 25 de la loi du 10/02/2000 et article 8 de la loi du 3/03/2003.
1222
Article 37§6 de la loi du 10/02/2000.
1223
Les principes de séparation comptable ont été approuvés par la CRE pour les opérateurs électriques  :
Délibération du 14/06/06 : relative aux principes, applicables à Electricité de France, de tenue de comptes
séparés, pour les activités de fourniture aux clients éligibles et de fourniture aux clients non éligibles  ;
Délibération du 10/06/04 : relative aux principes de dissociation comptable applicables aux entreprises exerçant
une ou plusieurs activités dans le domaine de l’électricité ; Délibération du 15/02/01 : relative aux principes de
dissociation comptable ; Avis du conseil de la concurrence n° 00-A-29 du 30/11/00 : relatif à la séparation
comptable entre les activités de production, transport et distribution d’électricité. Ces principes ont été approuvés
par la CRE pour les opérateurs gaziers : Délibération du 13/07/04 : à la présentation des comptes dissociés de
Gaz de France pour l’exercice 2003 ; Délibération du 10/06/04 : relative aux principes de dissociation comptable
applicables aux entreprises exerçant une ou plusieurs activités dans le domaine du gaz naturel ; Délibération du
23/10/03 : relative aux principes de dissociation comptable applicables aux entreprises exerçant une ou plusieurs
activités dans le domaine du gaz naturel ; Avis du conseil de la concurrence n° 03-A-16 du 05/09/03 : relatif à la
séparation comptable des activités des opérateurs de gaz naturel.
1224
Cons. Con. Avis n° 2000-A-29 du 30 novembre 2000 relatif à la séparation comptable entre les activités de
production, transport et distribution d’électricité.
333
455. Comme il est indiqué sur le site internet de la CRE, « la bonne application des règles
de dissociation comptable revêt une importance particulière pour la CRE dans la mesure où
elle constitue un instrument permettant de s’assurer de l’absence de discrimination,
subvention croisée ou distorsion de concurrence »1225. A cet égard, la loi a confié à la CRE un
droit d’accès à la comptabilité des entreprises (droit d’enquête prévu également par les articles
33 et 34 de la loi du 10 février 2000) ainsi qu’un pouvoir de sanction en cas de manquement à
l’une des règles posées au titre de la séparation comptable. L’instauration de comptes
dissociés est un préalable à la fixation du niveau des charges que les tarifs d’accès aux
réseaux doivent couvrir.

456. A titre d’exemple, la CRE a opéré une analyse approfondie des comptes de l’année
2002 d’EDF afin de s’assurer de leur conformité aux principes de dissociation comptable
fixés par sa délibération du 15 février 2001. L’objectif poursuivi par la CRE était triple:
vérifier la bonne application des principes de dissociation; s’assurer de la correcte imputation
des charges aux différents comptes (production, transport, distribution, autres activités) pour
arrêter le montant des charges de transport et de distribution d’électricité devant être couverts
par les tarifs d’accès aux réseaux ; s'assurer du suivi par EDF des recommandations formulées
par la CRE à la suite de l'examen des comptes dissociés de l'année 2000. En fait, la
transparence comptable doit permettre de déterminer un juste tarif d’utilisation du réseau de
transport1226 puisque la bonne imputation des charges à chacune des activités séparées permet
en effet de garantir que le tarif d'utilisation des réseaux reflète les coûts des réseaux et donc
qu’il n’y a pas de pratiques discriminantes à l’égard de nouveaux entrants sur le marché. En
d’autres termes, le principe de dissociation comptable est un élément permettant à l’autorité
de régulation de veiller à ce que les gestionnaires des réseaux orientent leurs tarifs d’accès au
réseau vers les coûts qu’ils supportent réellement.
457. Au total, l'audit des comptes 2002 a conduit à diminuer les charges imputées aux
activités de transport et de distribution d'un montant de 245,8 millions d’euros (contre près de
600 millions d’euros à l'issue de l'audit des comptes 2000), soit 2,4% du total des charges
couvertes par le tarif d'utilisation des réseaux. Les charges de l'activité transport ont été
diminuées de 109,3 millions d’euros, celles de l'activité distribution de 136,5 millions d’euros.
La CRE a procédé à la réaffectation d'éléments d'actif et de passif incorrectement répartis
entre les activités dissociées. Les ajustements réalisés sur les écritures de bilan se sont montés
1225
http://www.cre.fr/fr/acces_aux_reseaux/dissociation_comptable.
1226
La CRE, tant dans le secteur du gaz naturel que dans le secteur électrique propose les tarifs d'utilisation des
réseaux publics d'électricité et ceux des réseaux de gaz naturel et des installations de GNL aux ministres chargés
de l'économie et de l'énergie qui disposent d'un délai de deux mois pour s'y opposer, v. Art.4 loi 10/2/2000 et
art.7 loi 03/01/2003.
334
à 2,22 millions d’euros et leur incidence nette sur le bilan s'est élevée à 131 millions d’euros.
Ces ajustements ont fait diminuer la rémunération financière allouée aux activités de réseaux
de 12,2 millions d’euro1227.

458. Il serait facile de conclure que l’entreprise EDF/RTE a volontairement exagéré ses
coûts d’exploitation du réseau en raison de sa position dominante. Pourtant, avant sa
filialisation en 2005, RTE reste une structure relativement bien isolée par rapport à EDF.
Certaines mesures phares prises dès la création du gestionnaire indépendant en témoignent
comme les règles d’accès à plusieurs interconnexions, la décision de mettre les producteurs et
les fournisseurs en concurrence pour l’achat des pertes techniques du réseau de transport.
Comme l’écrit M. le Professeur Bazex, « en pratique, la mise en place de cette séparation,
même limitée au plan comptable, ne devrait pour autant pas se faire sans difficultés, en raison
tant des incertitudes affectant la comptabilité analytique de bon nombre d’opérateurs publics
que l’absence de méthode objective et non contestable de ventilation des coûts fixes et
communs à plusieurs activités »1228. Le problème est que même en l’absence d’intention de
fausser les lois du marché, le cumul d’activités économiques laisse présumer un abus
automatique de position dominante. Or, dans un système où la concurrence est libre, la
présomption d’un abus de position dominante est tout aussi dommageable que la preuve d’un
abus pour l’ouverture des marchés. Aussi, dans les premiers rapports de la CRE,
l’insuffisance de la seule séparation comptable pour assurer un bon respect des règles de la
concurrence et l’égalité des chances est toujours mise en exergue1229.

§2. La filialisation, un élément probant de l’effectivité du droit à la concurrence

459. Dès l’origine, la doctrine de la commission européenne prônait la dé-intégration des


opérateurs historiques par le mécanisme de la séparation juridique mais face à la levée de
boucliers de certains Etats membres et notamment la France la consécration de ce principe en
droit communautaire a dû être retardée (A). Ce système qui s’est concrétisé en France par le
mécanisme de la filialisation est avant tout une étape supplémentaire dans le processus de

1227
Rapport d’activité CRE juin 2004, p. 70 et s.
1228
M. Bazex, colloque CEDECE 1996, p. 234 et s.
1229
C. Isidoro, L’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence communautaire, thèse préc., p. 319.
335
réalisation du marché intérieur qui doit permettre de remédier aux insuffisances de la seule
dissociation comptable (B).

A. La consécration du principe de séparation juridique

460. Dès 1999, la commission européenne privilégie la séparation juridique entre le


gestionnaire du réseau de transport (GRT) et de distribution (GRD) et l’entreprise exerçant
d’autres activités dans le domaine de l’énergie pour garantir un accès au réseau transparent et
non discriminatoire1230. Si la directive électricité de 1996 imposait simplement aux Etats
membres de désigner un gestionnaire du réseau de transport, la directive électricité de 2003 a
ordonné la séparation juridique des gestionnaires de réseau de transport (article 10) et de
distribution (article 15). La politique communautaire relative à l’organisation du marché du
gaz est calquée sur le modèle d’organisation du marché de l’électricité. Les gestionnaires des
réseaux de transport (GRT) et de distribution (GRD) sont des rouages importants du nouvel
agencement du marché de l’énergie dans un univers concurrentiel. Par conséquent, les
activités de GRT (1) et de GRD (2) doivent être gérées par des structures juridiquement
indépendantes des opérateurs producteurs et/ou fournisseurs d’énergie.

1. Dans le transport de l’énergie

461. L’article 10 de la seconde directive électricité prévoit la séparation juridique du


gestionnaire du réseau de transport en disposant que « lorsque le gestionnaire de réseau de
transport fait partie d’une entreprise verticalement intégrée, il doit être indépendant, au moins
sur le plan de la forme juridique, de l’organisation et de la prise de décision, des autres
activités non liées au transport. Ces règles ne créent pas d’obligation de séparer la propriété
des actifs du réseau de transport, d’une part, de l’entreprise verticalement intégrée, d’autre

1230
Commission, Situation et perspective de la réalisation progressive du marché commun de l’électricité après
entrée en vigueur de la directive de libéralisation, 3 mars 1999, Agence Europe.
336
part ». La directive laisse entendre que la séparation organique de l’activité de gestion du
réseau est un gage de loyauté et d’impartialité du gestionnaire vis-à-vis des nouveaux
entrants.

462. En France, en vertu de l’article 5 de la loi n°2004-803 du 9 août 2004 aux termes
duquel « la gestion d'un réseau de transport d'électricité ou de gaz est assurée par des
personnes morales distinctes de celles qui exercent des activités de production ou de
fourniture d'électricité ou de gaz ». L’entité, Réseau de transport de l’électricité (RTE),
chargée de la gestion du service public du transport d’électricité, est dans un premiers temps
service indépendant au sein d’EDF. Elle a été transformée le 1er septembre 2005 en société
anonyme, filiale à 100% d’EDF1231, à Directoire et Conseil de surveillance. L’entreprise RTE
est devenue propriétaire de tous les ouvrages et de tous les biens, droits et obligations relatifs
au réseau de transport d’électricité en France, conformément à la loi du 9 août 2004 par apport
partiel d’actifs rétroactif au 1er janvier 2005. Sur ce point le droit français va plus loin que les
impératifs posés par la seconde directive en consacrant la séparation juridique et patrimoniale.

463. La société RTE  est dotée de statuts approuvés par décret du 30 août 2005 qui doivent
garantir son indépendance fonctionnelle vis-à-vis de la société EDF SA. Cette exigence
d’impartialité résulte de l’application des lois du marché et aussi des lois du service public :
l’égalité de traitement de tous les usagers du service public de transport. Le Conseil de
surveillance comprend douze membres : quatre représentants des salariés, six représentants de
l’actionnaire EDF et deux représentants de l’Etat. Leur mandat est de cinq ans. La mission
essentielle du Conseil de surveillance est de veiller à ce que les intérêts patrimoniaux de
l’actionnaire, EDF, soient correctement pris en compte. Le décret n°2005-1481 du 25
novembre 2005 confirme les principes d’indépendance managériale de RTE. En application
de la loi du 9 août 2004, il rappelle que le Président du Directoire de RTE est nommé par le
Conseil de surveillance, après accord du ministre chargé de l’Energie. De plus, « les membres
du directoire ne peuvent être révoqués qu’après avis motivé préalable de la Commission de
régulation de l’énergie ». Ce décret précise aussi que le « Directoire dispose des pouvoirs les
plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom de la société. A cet égard, il ne peut
recevoir d’instructions du Conseil de surveillance au sujet de la gestion quotidienne de la
société ». Par ailleurs, « le Directoire a seul autorité sur les directeurs opérationnels ainsi que
sur les cadres et agents exerçant au sein de la société gestionnaire du réseau de transport
1231
A la lecture de la directive électricité, il semble possible pour l’entité gestionnaire du réseau de transport
désignée par les Etats membres de déléguer cette mission à un tiers car la directive parle uniquement de
responsable de la gestion du réseau sans mentionner l’entité assurant cette gestion.
337
d’électricité ». La loi sur les orientations de la politique énergétique de 2005 prévoit en outre
que les membres du Directoire sont nommés par le Conseil de surveillance sur proposition du
Président du Directoire.

464. Dans le cadre du marché du gaz, le gaz naturel importé arrive sur le territoire français,
soit par gazoducs depuis Dunkerque, Taisnières, Obergailbac, Oltingue, Lacal, soit par les
méthaniers qui livrent le gaz dans les terminaux de regazéification  de Fos sur Mer et de
Montoir de Bretagne. Ce gaz est ensuite transporté sous haute pression dans un réseau de
transport qui  se décompose fonctionnellement en deux parties : le réseau principal, dit aussi
réseau « grand transport » qui rejoint les points frontières avec les opérateurs étrangers et les
stockages et le réseau régional qui achemine le gaz naturel jusqu’aux distributions publiques
et aux plus gros consommateurs industriels. Un régime d’autorisation d’exploitation de ces
réseaux s’est substitué au régime de la concession à partir de 2002. Cette autorisation, qui
confère à son titulaire le droit d’occuper le domaine public, est assortie de cahiers des charges
précisant les contraintes de service public, de protection de l’environnement et de sécurité. En
2002, les sociétés Total et Gaz de France sont devenues propriétaires des différents réseaux de
transport cédés par l’Etat. Ensuite depuis le 1er janvier 2005 ces groupes ont créé des filiales
de transport dénommées TIGF pour le Sud-Ouest (Total Infrastructures Gaz France, filiale à
100% de Total). et Gaz de France Réseau Transport, devenu GRTgaz (filiale à 100% de Gaz
de France) afin de respecter les dispositions de l’article 5 de la loi du 9 août 2004 suivant
lequel « la gestion d'un réseau de transport d'électricité ou de gaz est assurée par des
personnes morales distinctes de celles qui exercent des activités de production ou de
fourniture d'électricité ou de gaz ». GRTgaz et TIGF sont propriétaires, en sus de leur réseau,
des stations de compression attenantes et également, pour TIGF, des installations de
compression au niveau des stockages souterrains qui sont connectés à son réseau1232.

2. Dans la distribution de l’énergie

465. L'article 15 de la seconde directive électricité et l'article 13 de la directive gaz de 2003


énoncent que «  lorsque le gestionnaire de réseau de distribution fait partie d'une entreprise
verticalement intégrée, il doit être indépendant, au moins sur le plan de la forme juridique, de
l'organisation et de la prise de décision, des autres activités non liées à la distribution. Ces
règles ne créent pas d'obligation de séparer la propriété des actifs du gestionnaire de réseau de
distribution, d'une part, de l'entreprise verticalement intégrée, d'autre part ».

1232
Cf. Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Emploi, DGEMP, 13/07/2007.

338
466. En droit interne, l’article 13 de la loi du 9 août 2004 pose le principe selon lequel
« lorsqu'une entreprise d'électricité ou de gaz exploite, sur le territoire métropolitain, un
réseau de distribution desservant plus de 100 000 clients et exerce une ou plusieurs autres
activités dans le même secteur, elle constitue en son sein un service chargé de la gestion du
réseau de distribution, indépendant, sur le plan de l'organisation et de la prise de décision, des
autres activités ». Ce texte ne prévoit pas la séparation juridique des gestionnaires de réseau
de distribution. Sont concernés par cette séparation managériale, dans le secteur de
l’électricité, EDF, Électricité de Strasbourg, Usine Électricité de Metz, Sorégies et Régie du
SIEDS et, dans le secteur du gaz naturel, Electricité de France, Gaz de France, Gaz de
Strasbourg et Gaz de Bordeaux. A ce titre, EDF a informé la CRE de la mise en place de deux
entités dissociées dédiées à la gestion des réseaux de distribution : EDF Réseau de distribution
(ERD) et EDF Gaz Distribution (EDG). Ces entités doivent bénéficier d’une indépendance de
gestion analogue à celle de la filiale de transport d’électricité.

467. C’est la loi n°2006-1537 du 7 décembre 2006 qui a modifié l’article 13 de la loi de
2004 en disposant qu’à compter du 1er juillet 2007 «  la gestion d'un réseau de distribution
d'électricité ou de gaz naturel desservant plus de 100 000 clients sur le territoire métropolitain
continental est assurée par des personnes morales distinctes de celles qui exercent des
activités de production ou de fourniture d'électricité ou de gaz naturel ». Les sociétés EDF et
GDF ont fait apport à leurs filiales respectives ERDF (Electricité Réseau Distribution France)
et GRDF (Gaz Réseau Distribution France) créées le 1 er janvier 2008 de leurs biens propres
ainsi que des contrats de concession1233. GRDF et ERDF ne sont pas propriétaires des réseaux
de distribution de gaz naturel car la distribution est assurée dans le cadre de concessions. La
séparation juridique de Gaz de Bordeaux et Gaz de Strasbourg, par filialisation de l’activité de
fourniture (Gaz de Bordeaux Energie Service), n’était toujours pas effective au 30 mai 2008.
B. Les bénéfices escomptés de la séparation juridique

468. L’indépendance juridique des gestionnaires de réseaux n’est pas une finalité en soi.
C’est un moyen d’atteindre une séparation fonctionnelle certaine entre les différents acteurs
du marché que la seule dissociation comptable est incapable de mette en œuvre afin d’assurer
un accès transparent de tous les concurrents des opérateurs historiques aux infrastructures
essentielles

1233
V. L. Richer, chronique de droit économique, AJDA 2008, p678 et s.
339
469. La séparation juridique des gestionnaires des réseaux, c’est-à-dire la création d’entité
juridiquement distincte des producteurs/fournisseurs d’énergie, serait un moyen d’assurer une
plus grande indépendance fonctionnelle. La seconde directive électricité détaille les éléments
à prendre concrètement en compte pour appréhender l'indépendance réelle du gestionnaire de
réseau de transport. Les critères sont les suivants :

a. les personnes responsables de la gestion du gestionnaire de


réseau de transport ne peuvent pas faire partie des structures
de l'entreprise intégrée de gaz naturel qui sont directement
ou indirectement chargées de la gestion quotidienne des
activités de production, de distribution et de fourniture de
gaz naturel;
b. des mesures appropriées doivent être prises pour que les
intérêts professionnels des responsables de la gestion du
gestionnaire de réseau de transport soient pris en
considération de manière à leur permettre d'agir en toute
indépendance;
c. le gestionnaire de réseau de transport dispose de pouvoirs de
décision suffisants, indépendamment de l'entreprise intégrée
de gaz, en ce qui concerne les éléments d'actifs nécessaires
pour assurer l'exploitation, l'entretien et le développement du
réseau. Ceci ne devrait pas empêcher l'existence de
mécanismes de coordination appropriés en vue d'assurer que
les droits de supervision économique et de gestion de la
société mère sur le rendement des actifs d'une filiale,
réglementé indirectement en vertu de l'article 25, paragraphe
2, soient préservés. En particulier, la présente disposition
permet à la société mère d'approuver le plan financier annuel
du gestionnaire de réseau de transport, ou tout document
équivalent, et de plafonner globalement le niveau
d'endettement de sa filiale. En revanche, elle ne permet pas à
la société mère de donner des instructions au sujet de la
gestion quotidienne ni en ce qui concerne des décisions
individuelles relatives à la construction ou à la
modernisation de conduites de transport qui n'excèdent pas
340
les limites du plan financier qu'elle a approuvé ou de tout
document équivalent;
d. le gestionnaire de réseau de transport établit un programme
d'engagements qui contient les mesures prises pour garantir
que toute pratique discriminatoire est exclue et que son
application fait l'objet d'un suivi approprié. Ce programme
énumère les obligations spécifiques imposées aux employés
pour que cet objectif soit atteint. La personne ou l'organisme
chargé du suivi du programme d'engagements présente tous
les ans un rapport décrivant les mesures prises à l'autorité de
régulation visée à l'article 25, paragraphe 1. Ce rapport
annuel est ensuite publié.

470. Il appartient aux Etats membres de définir les mesures appropriées en fonction des
circonstances nationales. Il convient de signaler que les mesures de séparation fonctionnelle
prévues par les directives correspondent à des «critères minimaux». Les Etats membres
peuvent donc envisager de compléter la série de critères minimaux par d'autres mesures afin
de garantir la séparation la plus efficace possible compte tenu des circonstances nationales
particulières et notamment du droit national des entreprises 1234. Toutefois, pour se conformer
aux directives, les Etats membres devront absolument prendre les mesures qui s'imposent en
ce qui concerne les aspects suivants : le salaire des responsables de la gestion du réseau ne
doit pas dépendre des performances de la société mère ou de la société qui assure la
fourniture, et doit être établi sur la base d'éléments prédéfinis liés aux performances de
l'entreprise réseau ; les raisons justifiant le remplacement d'un membre du conseil
d'administration de l'entreprise réseau sur décision de l'entreprise mère doivent être clairement
énoncées dans les statuts de l'entreprise.

471. L’objectif de séparation fonctionnelle est d’éliminer toute divulgation d’informations


commercialement sensibles (ICS) ce qui est tout aussi préjudiciable à l’ouverture du marché
que l’accès faussé aux infrastructures essentielles. Toutes les décisions commerciales et
organisationnelles en rapport avec l'exploitation, l'entretien et le développement du réseau
doivent être prises par la branche réseau, indépendamment de la branche approvisionnement
de l'entreprise verticalement intégrée. Cela revêt une importance particulière pour les
1234
Sur la question de la séparation juridique et fonctionnelle du gestionnaire du réseau, v. note de la Direction
générale énergie et transports sur les directives 2003/54/CE et 2003/55/CE relatives au marché intérieur de
l’électricité et du gaz naturel du 16 novembre 2004.
341
questions susceptibles d'influer sur le marché de l'approvisionnement, telles que l'extension ou
la construction d'interconnexions avec d'autres réseaux. Un aspect important en matière de
séparation de la gestion est celui du traitement des services communs, c'est-à-dire des services
qui, du temps des monopoles, ont souvent été partagés par le transport/la distribution, la
fourniture et peut-être d'autres activités. Il s'agit en règle générale du personnel, des services
financiers, des services informatiques, des locaux.

472. En cas de filialisation, l’autonomie du gestionnaire du réseau doit être effective sous
réserve des « droits de supervision économique et de gestion » reconnus à l’entreprise
intégrée par les directives du 26 juin 2003. Les droits de supervision s’appliquent au plan
financier de l'entreprise gestionnaire du réseau ou tout document équivalent et au niveau
global d'endettement de cette dernière. Pour ce qui est des limites de ces droits de supervision,
la directive est également claire : la société mère n'est pas autorisée à donner des instructions
au sujet de la gestion quotidienne de la branche réseau, notamment en ce qui concerne les
décisions relatives à la construction ou à la modernisation de lignes n'excédant pas les limites
du plan financier. En bref, dans les limites du plan financier approuvé, l'entreprise réseau doit
jouir d'une totale indépendance. Par ailleurs, le plan financier, bien qu'il puisse être adopté par
l'entreprise mère, doit être compatible avec l'obligation de veiller à ce que l'entreprise réseau
dispose de moyens financiers suffisants pour entretenir et développer l'infrastructure existante
de façon à ne pas verrouiller artificiellement le marché par un phénomène de congestion des
réseaux.

473. La séparation juridique des missions doit permettre d’assurer une gestion loyale et non
discriminatoire des infrastructures essentielles, c’est-à-dire d’éviter tout abus de position
dominante. Cependant le mécanisme de filialisation du gestionnaire des réseaux est
largement mis en cause en raison de modalités de gouvernance des groupes de sociétés. Dès
2005, la CRE a relevé que « compte tenu des dispositions légales en vigueur, le contrôle
économique exercé par la maison mère sur sa filiale et l’information qu’elle détient sur
l’ensemble des activités du groupe pourraient lui permettre d’influer sur les modalités
d’exécution des missions du gestionnaire de réseau dans un sens contraire au développement
du marché intérieur1235. C’est pourquoi, l’intensification de la politique du « faire faire » est en
marche dans le troisième paquet énergie.

1235
Rapport CRE préc. novembre 2005, p. 22.
342
Section 2 : L’insuffisance du diptyque « dé-intégration-filialisation »
dans la pérennisation de l’ordre concurrentiel

474. Le Conseil d’Etat, dans son rapport de 2002 intitulé « Collectivités publiques et
concurrence », arrive à la conclusion suivant laquelle « si elle constitue une condition majeure
pour permettre un meilleur respect des règles de la concurrence par les grands groupes
publics, la filialisation est loin d’être suffisante pour garantir contre les pratiques
anticoncurrentielles ou les subventions croisées, comme le montre abondamment l’avis du
Conseil de la concurrence au sujet d’EDF »1236. La CRE dans ses rapports successifs met aussi
en exergue la thèse selon laquelle « l’indépendance des gestionnaires de réseaux n’est pas
suffisamment garantie »1237. Le problème viendrait des dispositions mêmes du droit des
sociétés régissant les relations mère/fille. Le mécanisme de filialisation d’une activité
économique combiné à un transfert des biens au profit de la fille repose sur « une dissociation
de l’appartenance et de la maîtrise » des biens1238. Il est évident que le contrôle économique
exercé par la maison mère sur sa filiale et l’information qu’elle détient sur l’ensemble des
activités du groupe pourrait lui permettre d’influer sur les modalités d’exécution des missions
des gestionnaires des réseaux. (§1). La meilleure garantie de l’impartialité du gestionnaire des
réseaux consisterait dans la totale absence de lien juridique et capitalistique entre celui-ci et
une entreprise de production ou de fourniture de biens. Le rapport Dumont, rendu au premier
ministre en 1998 sur la future organisation du système électrique, préconisait déjà la mise en
place d’un gestionnaire du réseau public de transport parfaitement indépendant ce qui aurait
dû aboutir à la création d’un nouvel établissement public. (§2).

§1 : L’impossibilité du droit des sociétés à instaurer une « déverticalisation »


satisfaisante

475. Le constat est largement fait et ce aussi bien dans les rapports annuels de la CRE que
dans les rapports de la direction générale de la concurrence : le droit des sociétés est
insuffisant à assurer l’indépendance fonctionnelle des gestionnaires de réseaux. Le principe
d’indépendance, dans le cadre d’une société verticalement intégrée, est très relatif car le droit
des sociétés permet aux administrateurs ou aux membres du conseil de surveillance des

1236
Rapport public CE 2002, Collectivités publiques et concurrence, EDCE n°53, p. 277 et s.
1237
Rapport CRE préc. novembre 2005, p. 22.
1238
C. Del Cont, Propriété économique, dépendance et responsabilité, L’Harmattan 1997, p. 19 ; v. aussi C.
Champaud, Le pouvoir de concentration de la société par actions, Sirey 1962, p. 161, n°184 bis.
343
gestionnaires de réseaux d’accéder à toutes les informations qui leur semblent nécessaires.
Les modalités de gouvernance des groupes de société sont susceptibles de faire remonter au
sein de la société-mère des informations qui, connues du fournisseur, lui donneraient un
avantage concurrentiel ce qui est incompatible avec les objectifs posés dans les directives. Il
serait donc logique de prévoir au niveau législatif une dérogation au droit des sociétés 1239.
Dans son rapport de 2006, la CRE a formulé des critiques en matière du non-respect de
l’indépendance du gestionnaire du réseau public de transport de l’électricité. Les représentants
de l’actionnaire EDF au sein du conseil de surveillance de RTE ne doivent pas faire partie des
instances décisionnaires d’EDF.

476. Dans son rapport de 2007, la CRE relève que GRTgaz fait preuve d’indépendance en
matière de gestion et de décision d’investissements. Toutefois, cette indépendance est
affaiblie par un recours systématique à la maison mère pour des prestations de services
généraux. GRTgaz doit, d’une part, justifier ce choix auprès de la CRE et, d’autre part, faire
contrôler ces achats de prestations avec la même rigueur que ses autres achats. Le recours aux
services de la maison mère est susceptible de porter atteinte à l’indépendance de la filiale.
C’est tout particulièrement le cas de la gestion de la trésorerie, des ressources humaines et de
la comptabilité. RTE a fait le choix de ne pas recourir aux services d’EDF pour ces
prestations, TIGF et GRTgaz ont fait le choix inverse. Le recours doit être limité aux cas où il
est impossible à la filiale d’assurer elle-même ce service dans des conditions économiques
acceptables. En aucun cas il ne doit faire obstacle à l’indépendance de la filiale sur le plan de
l’organisation et de la prise de décision. La question de la mutation de personnel au sein des
groupes devra être clarifiée avec chacun des gestionnaires. Le gestionnaire de réseaux doit
conduire sa politique de gestion des ressources humaines de façon indépendante et, si des
salariés sont détachés par le groupe, les conditions de leur détachement et de leur retour dans
le groupe doivent être clairement définies dans un avenant à leur contrat ou tout autre
document.

477. De façon plus générale, la CRE indique dans son rapport de 2007 que le non-respect
de l’indépendance fonctionnelle se manifeste dans l’ensemble des gestionnaires filialisés des
réseaux de transport et de distribution par une communication externe mélangeant le domaine
sous monopole et le domaine concurrentiel, par des garanties insuffisantes en termes
d’indépendance des dirigeants et de communication d’informations économiquement

1239
Rapport annuel sur le respect des codes de bonne conduite et l'indépendance des gestionnaires de réseaux
d'électricité et de gaz naturel du 19 décembre 2007.
344
avantageuses à des administrateurs représentant la maison mère dont certaines entités ont des
intérêts dans la vente d’énergie 1240. La création d’un esprit de groupe de société est néfaste
aussi pour l’ouverture à la concurrence des marchés, aucune confusion ne doit pouvoir exister
entre les activités de fourniture d’énergie et les activités d’acheminement de l’énergie.

Les changements opérés chez Gaz de France Réseau Transport, devenu GRTgaz et chez
Gaz de Bordeaux, dont le GRD a été baptisé Régaz, vont dans le sens de l’indépendance et
constituent un exemple à suivre. Tel n’est pas le cas d’EDF et Gaz de France Distribution. De
même, la dénomination de RTE EDF Transport SA constitue une régression que la possibilité
d’utiliser commercialement la marque RTE ne compense pas 1241. Les gestionnaires de réseaux
doivent avoir une politique de communication indépendante de celle du reste du groupe. Il en
est ainsi, en particulier, de l’identité visuelle. En 2008, la CRE note qu’ « aucune des
vérifications faites n’a révélé l’existence de pratiques délibérées de discrimination à l’égard
d’un fournisseur ou la divulgation d’informations commercialement sensibles. Toutefois, elle
a relevé certains dysfonctionnements. Ainsi, il ressort d’une enquête « client mystère »
commandée par la CRE que les informations données au client par un gestionnaire de réseau
avaient parfois pour effet d’orienter le client vers les fournisseurs historiques »1242.

478. Le propos sous-entendu dans les rapports de la CRE est que le droit des sociétés est
inapte à préserver cette indépendance fonctionnelle en raison de l’apparition du contrôle de la
société mère. Le groupe de société est « bâti autour d’un antagonisme fondamental celui de
l’unité de décision et de l’autonomie juridique des membres du groupes» 1243. Les biens qui
sont apportés à la société fille peuvent représenter, pour les actionnaires contrôlaires, un
patrimoine d’affectation semblable au patrimoine fiduciaire. Dès lors, la société fille revêt le
rôle d’une personne simplement intercalée entre, d’une part, ses actionnaires et d’autre part, la
propriété des biens portés à son actif. Les droits sociaux viennent se substituer à la propriété
des biens apportés à la nouvelle société. La société mère est le propriétaire économique des
biens de la société fille, c’est « un propriétaire juridique qui n’entend pas dire son nom »1244.

1240
Rapport annuel sur le respect des codes de bonne conduite et l'indépendance des gestionnaires de réseaux
d'électricité et de gaz naturel du 19 décembre 2007, p. 56.
1241
Rapport annuel sur le respect des codes de bonne conduite et l’indépendance des gestionnaires de réseaux
d’électricité et de gaz naturel, novembre 2005, p. 1 et s.
1242
CRE – Rapport d’activité – juin 2008 4e partie, p. 60.
1243
C. Hannoun, Réflexions sur les groupes de sociétés, La vie judiciaire, 1992.
1244
G. Blanluet, Essai sur la notion de propriété économique en droit privé français. Recherches au confluent du
droit fiscal et du droit civil, LGDJ 1999, p. 250.
345
479. L’indépendance réelle des gestionnaires/concessionnaires1245 des réseaux de transport
et de distribution de l’énergie est aussi une exigence en vertu droit du principe de l’égalité des
usagers devant le service public. Ainsi, une disposition de la loi Sapin codifiée à l’alinéa 3 de
l’article L. 1411-1 du CGCT insiste sur le fait que le gestionnaire du service public doit être
apte « à assurer l’égalité des usagers devant le service public ». Or, si les gestionnaires des
réseaux sont des filiales à 100% des opérateurs fournisseurs d’énergie, cela peut
compromettre l’absence de capture du service public de transport ou de distribution de
l’énergie par un seul usager1246. Un usager du service public du transport de l’énergie (EDF,
GDF) ne peut pas contrôler la société concessionnaire dudit service public (RTE, GRTGAZ)
car c’est contraire au droit du service public mais aussi aux lois de l’économie de marché qui
doivent permettre d’instaurer une confiance légitime entre les différents acteurs du marché.

480. Le droit anglais a mis en place des mécanismes sociétaires justement pour contrecarrer
ce phénomène de contrôle économique des actionnaires sur les biens de la société gestionnaire
du réseau. En Grande- Bretagne, la gestion du transport de l’électricité entre les producteurs et
les fournisseurs d’électricité est une activité sous monopole assurée par une société unique, la
National Grid Transco (NGT)1247, détenue par une holding regroupant douze entreprises de
distribution. Ce mécanisme peut être qualifié selon nous d’ « externalisation coopétitive »
dans la mesure où des entreprises concurrentes sur le secteur de l’énergie s’allient (les
économistes parlent de « coopétition » ou de « concurralliance ») dans le domaine du
transport de l’énergie afin d’assurer une concurrence loyale entre les différents opérateurs.
Cependant, le pendant anti-concurrentiel de cette organisation du marché de l’énergie est le
risque d’entente.
481. Le constat de l’insuffisance du couple filialisation/dé-intégration est développé dans
tout un titre des rapports de 2006 et de 2007 de la CRE, l’indépendance fonctionnelle des
activités de gestion du réseau implique la création de « murailles de Chine » avec les activités
de fourniture et de production. La Direction générale de la concurrence de la Commission
européenne (DG COMP) a effectué une enquête sectorielle sur le gaz et sur l’électricité dans
le courant de l’année 2006 auprès d’un large échantillon d’acteurs du marché. Dans la
synthèse du rapport préliminaire publié le 16 février 2006, elle fait le bilan suivant : « la
structure du marché souffre de conflits d’intérêts de principe du fait de l’intégration verticale,

1245
Décret n° 2006-1731 du 23 décembre 2006 approuvant le cahier des charges type de concession du réseau
public de transport d'électricité.
1246
Sur la question de la capture du service public par les usagers, Cass. com. 14 mars 2006, pourvoi n° M.05-13-
048, AJDA 2006, p. 2437 et s.
1247
En 2002, National Grid, l’opérateur du réseau de transmission d’électricité en Angleterre et au Pays de
Galles, fusionne avec le réseau gazier britannique Lattice pour former National Grid Transco.
346
que l’on rencontre fréquemment, de la fourniture, du transport et de la distribution. Les
dispositions des secondes directives sur le gaz et sur l’électricité doivent être totalement
respectées, non seulement dans leur lettre, mais aussi dans leur esprit. Si un progrès réel n’est
pas enregistré dans ce domaine pour aboutir à des conditions identiques pour tous les acteurs,
des mesures supplémentaires telles qu’une séparation de propriété devraient être
envisagées»1248.

§2 : L’intensification de la pratique du « faire faire » par la séparation patrimoniale

482. L’affirmation d’un déficit de la concurrence dans le secteur de l’énergie est largement
répété par les régulateurs nationaux et les instances communautaires1249. La principale raison
avancée est la trop grande concentration et intégration des entreprises. Aussi les débats autour
du troisième paquet énergie présenté par la Commission en septembre 2007 tournent autour
de l’idée d’une séparation capitalistique des différentes activités de production, de transport,
de distribution et de commercialisation.

483. Reprenant les observations formulées lors du Conseil européen des 8 et 9 mars 2007,
la Commission européenne estime qu’en dépit des progrès accomplis, l’achèvement du
marché intérieur est loin d’être atteint1250. Elle considère notamment d’une part, que
l’intégration verticale de l’offre, de la production et des infrastructures empêche un accès
équitable aux structures de réseaux, d’autre part, que les mécanismes de formation des prix
sont peu transparents et enfin que les marchés de détail sont encore trop peu compétitifs 1251.
La Commission européenne a donc publié le 19 septembre 2007 le projet de « 3e paquet
énergie » composé de cinq propositions de textes visant à compléter et améliorer les
dispositions des directives 2003/54/CE et 2003/55/CE de juin 2003 fixant les règles
communes pour le marché intérieur de l’électricité et du gaz. Il y a deux directives modifiant
les directives précitées, deux règlements modifiant les règlements 1228/2003 (électricité) et
1775/2005 (gaz), et un nouveau règlement créant une Agence de coopération des régulateurs
de l’énergie. Ces mesures sont complétées par une étude d’impact qui préconise tout d’abord

1248
http://ec.europa.eu/comm/competition/antitrust/others/sector_inquiries/energy/issues_paper15112005.pdf, p.
45.
1249
CRE, Rapport d'activité 2008 http://www.cre.fr/fr/documents/publications/rapports_annuels, 3 e partie, p. 46.
1250
P. Geoffron et S. Méritet, La concentration de l’industrie électro-gazière : risques concurrentiels versus
sécurité d’approvisionnement et d’investissement, Economies et sociétés, n°10, octobre 2006, p. 1393 et s.
1251
CRE, Rapport d'activité 2008 http://www.cre.fr/fr/documents/publications/rapports_annuels, 3 e partie, p. 46.
347
la séparation de propriété entre les gestionnaires des réseaux et les activités de production et
de fourniture, et ensuite le renforcement du rôle et de la coordination des régulateurs1252.

484. La Commission européenne estime que « l’expérience d’un certain nombre d’Etats
membres montre que la séparation de propriété conduit à des investissements dans les
infrastructures ». Elle poursuit en observant que «  la part des revenus de congestion
réinvestie dans les capacités d’interconnexion est deux fois plus élevée chez les opérateurs de
réseaux non-intégrés que celle constatée chez les opérateurs verticalement intégrés »1253. Les
instances communautaires privilégieraient également la séparation de propriété car, entre
1998 et 2006 dans les pays pratiquant la séparation patrimoniale, les prix hors taxes de
l’électricité auraient baissé de 3 % alors qu’ils auraient augmenté de 6 % dans les pays ayant
conservé des groupes de société comme la France1254. Ces chiffres sont dénoncés par les
opposants à cette politique. Dans les pays où existe une séparation patrimoniale complète
- comme en Italie, aux Pays-Bas ou au Danemark - les prix auraient eu plutôt tendance à
augmenter1255.

485. Les débats entre Etats membres et les instances communautaires ont été tendus. Ces
discussions ont permis de faire émerger une alternative au dégroupage de propriété en
modifiant les règles de gouvernance par la création d’un nouveau système de surveillance
national par le biais d’un Opérateur Indépendant du Système (ISO). Cette option permettrait
notamment aux entreprises organisées sous la forme de groupe de rester propriétaires de leurs
actifs. La gestion devrait être transférée à une entreprise ou un organisme entièrement
indépendant. La mise en oeuvre de l'option ISO devrait s’accompagner d'un renforcement des
pouvoirs de surveillance des autorités nationales de régulation afin de garantir une
transparence des prix, un accès aux réseaux et aux investissements.

486. Cette proposition n’a pas fait l'unanimité. La Commission avait déjà émis quelques
réserves quant à cette option dans son rapport « Une politique de l’énergie pour l’Europe »
publié en janvier 2007 en indiquant que « les régulateurs ne pourront pas lever complètement
les obstacles qui découragent à investir convenablement dans des réseaux là où il n'y a pas

1252
J.-P. Tran Thiet et V. Jaunet, Energie  : Séparation patrimoniale entre activités de fourniture et de production,
d’une part, et de gestion d’autre part (Proposition de directives), Concurrences, N° 4-2007, pp. 135-136.
1253
CRE, Rapport d'activité 2008 http://www.cre.fr/fr/documents/publications/rapports_annuels, 3 e partie, p. 56.
1254
Délégation pour l’Union européenne du 12 décembre 2007, Compte rendu n o 23, Présidence de M. Pierre
Lequiller Président de la Délégation pour l'Union européenne de M. Patrick Ollier Président de la Commission
des affaires économiques, de l’environnement et du territoire
1255
Communication de M. Aymeri de Montesquiou sur le troisième paquet de libéralisation du marché intérieur
du gaz et de l'électricité.
348
séparation de propriété ». Le système du gestionnaire de réseaux indépendant est aussi perçu
comme étant assez complexe à maîtriser, c’est pourquoi, la Commission européenne voit
simplement en cette mesure une éventuelle dérogation au principe de la séparation
patrimoniale. En février 2008, le numéro un allemand de l’énergie lance une bombe dans ce
débat en proposant de vendre ses réseaux. Cette initiative affaiblit largement la position
franco-allemande1256. Le 18 juin 2008, le Parlement européen a voté le rapport Morgan sur le
marché intérieur de l'électricité. L'enjeu de ce vote était de positionner le Parlement sur la
séparation patrimoniale. A une large majorité, cette institution s'est prononcée en faveur d'un
modèle unique de séparation patrimoniale.

487. Dans un entretien accordé à France Inter le 19 octobre 2007, le président de GDF, M.
J.-F. Cirelli n’a pas épargné la Commission estimant  que la séparation patrimoniale
représentait une « stupidité », qui répondait à une vision « idéologique » de Bruxelles. M.
Cirelli dénonce une pratique qui « n’a aucune utilité », et qui, au contraire, pourrait s’avérer
dangereuse. « Qui peut nous assurer que les gens vont investir pour la sécurité, pour le
développement du réseau ?», s’interroge-t-il. Depuis l’ouverture des marchés, « les tuyaux de
GDF peuvent être utilisés par les concurrents [de GDF], au même tarif que le propriétaire » a-
t-il rappelé.

488. Le président de GDF met en exergue les problématiques de la dissociation des


fonctions. Certes, les opérateurs historiques ont été amenés à vendre des services de détail et à
prester des services de gros à leurs concurrents pour que ceux-ci puissent vendre les mêmes
services. Pour préserver leur prépondérance sur le marché, ils pourraient être incités à offrir à
leurs concurrents un accès plus onéreux aux infrastructures de réseaux, d’où le processus de
dé-intégration encouragé par les instances communautaires. Or, une séparation verticale a
incontestablement « pour conséquence de briser la coordination entre les décisions
d’investissement et les impératifs de mise en marché des services de détails. On obtient à la
place une structure monopolistique artificiellement créée par la régulation, en charge du
déploiement d’un réseau de fibre mais dépourvue de toute incitation à le faire »1257.

489. En France, la séparation patrimoniale existe mais nous avons montré que la propriété
économique a pris le relais de la propriété juridique. En application du troisième Paquet
Energie, « les opérateurs de réseau de transport deviendraient des entités autonomes du point
1256
K. De Meyer, Energie : EON lance une bombe dans le débat en vendant ses réseaux, Les Echos du 29 février
et 1er mars 2008.
1257
M. Masse, Télécommunications : la séparation fonctionnelle, un remède pire que le mal, p. 3, in
http://www.institutmolinari.org/pubs/note20082fr.pdf
349
de vue capitalistique et non plus de simples filiales de la maison mère. Aucune personne ou
entreprise (publique ou privée) ayant un contrôle direct ou indirect sur l’opérateur de réseau
ne peut avoir des participations dans une entreprise de fourniture ou le contrôle d’une telle
entreprise et aucune personne ou entreprise (publique ou privée) ayant un contrôle direct ou
indirect sur l’opérateur de réseau ne peut désigner les membres du conseil de surveillance ou
du conseil d’administration dans une entreprise de fourniture et inversement. Les GRT ne
peuvent plus être affiliés ou être partie d’un groupe actif dans la production et la fourniture de
gaz ou d’électricité »1258. Ainsi, la séparation patrimoniale préconisée par les instances
communautaires s’apparente à une séparation de la propriété juridique et de la propriété
économique. Ce processus ne constitue plus alors une concrétisation de la doctrine du « faire
faire » dans la mesure où elle correspond à un délaissement de l’activité. Certains Etats, dont
l’Espagne (avec la société Red Electrica de España), l’Italie (avec la société Terna), le
Royaume-Uni (avec la société National Grid Transco), sont allés dans cette direction en
imposant aux sociétés de production et de commercialisation une sortie totale ou partielle du
capital du gestionnaire du réseau de transport et de distribution. Aux Pays-Bas, l’Etat est
actionnaire à 100% du gestionnaire de réseau national TenneT. Le mouvement à la
dissociation des fonctions au nom des lois du marché et du service public peut-être un vecteur
d’un renouveau de la gestion publique.

Conclusion du Chapitre 2

490. Certaines missions d’intérêt général concernent l’exploitation d’un monopole naturel 
ou  d’une facilité essentielle. Ces infrastructures sont des « points de passage obligés pour le
public et les entreprises de service qui veulent offrir des services au public »1259. Les lois du
marché et du service public obligent à ce que le gestionnaire du service public ne soit pas
aussi un usager du service public. Une séparation verticale entre les activités concurrentielles

1258
CRE, Rapport d'activité 2008 http://www.cre.fr/fr/documents/publications/rapports_annuels, 3e partie, p. 54.
1259
J.-Y. Chérot, Droit public économique, op. cit., p. 781.
350
et les activités non concurrentielles réduirait la tentation, pour les propriétaires des réseaux, de
restreindre l’accès à des entreprises rivales sur des marchés. L’affirmation de la concurrence
suppose donc l’affirmation d’un nouveau principe de gestion du service public :
l’individualisation des fonctions. En 2001, M. S. Rodrigues écrit que ce nouveau principe «  n’a
pas encore acquis un statut unifié dans la mesure où son intensité demeure variable selon les
secteurs »1260. Il oscille entre séparation comptable, fonctionnelle, juridique et patrimoniale. Au
regard des dernières mesures adoptées ou en cours d’adoption au niveau communautaire, cette
obligation de « faire faire » reposant sur l’alternative séparation fonctionnelle/organique 1261 est
appelée à être érigée en principe directeur du droit de l’organisation des industries en réseaux.
Conclusion du Titre 2

491. Le principe est fréquemment rappelé en droit communautaire : les Etats membres sont
libres de déterminer les modalités d’organisation des services d’intérêt général. Cependant, en

1260
S. Rodrigues, La régulation communautaire des services publics de réseaux. Vers une théorie générale de la
« concurrence régulée » ?, FLUX 2001/2-3 - N° 44, p. 80 et s.
1261
V. Directive 2001/12/CE du 26 février 2001 modifiant la directive n°91/440 du Conseil du 29 juillet 1991
relative au développement de chemins de fer communautaires qui pose le principe de la séparation organique à
compter de mars 2003 (JOCE n°L 75 du 15.3.2001). Le rapport public thématique de la Cour des comptes
intitulé « le réseau ferroviaire, une réforme inachevée, une stratégie incertaine » pointe du doigt la dissociation
organique artificielle en ce qui concerne la gestion des infrastructures ferroviaires entre RFF et la SNCF. Selon
la Cour des comptes, « dix ans de pratique montrent que la séparation, unique en Europe, entre RFF, le
gestionnaire de l’infrastructure, et la SNCF à la fois entreprise ferroviaire utilisatrice et gestionnaire délégué de
l’infrastructure est à l’origine de sérieux dysfonctionnements. Une interrogation subsiste également sur la
compatibilité du dispositif institutionnel fixé en 1997 avec l’ouverture à la concurrence du trafic international de
voyageurs en 2010. La délégation par RFF de l’attribution des sillons à la SNCF et les conditions actuelles de
fixation des péages peuvent créer des doutes sur l’égalité de traitement entre la SNCF et les entreprises
ferroviaires concurrentes. Sur le dispositif institutionnel, le rapport indique qu’il faut «  clarifier la répartition des
moyens et des missions entre la SNCF et RFF. Le système actuel pourrait être réformé à la marge. RFF pourrait
ainsi obtenir le transfert des agents de la SNCF qui, pour son compte, assurent la confection du graphique de
circulation. Il faudrait sans doute un temps considérable pour réformer ainsi le système par petites étapes.
L’organisation institutionnelle pourrait à l’inverse être profondément revue en regroupant la branche
infrastructure de la SNCF et RFF. Deux formules seraient envisageables, chacune correspondant à un modèle
existant en Europe : a) La première option consisterait à suivre beaucoup d’autres pays et à faire de RFF un
véritable gestionnaire d’infrastructure en lui donnant tous les moyens nécessaires pour exercer cette fonction. En
pratique, cela impliquerait de lui transférer la quasi-totalité des 55 000 cheminots de la branche infrastructure de
la SNCF. La deuxième option consisterait à filialiser la branche infrastructure de la SNCF et à faire de la filiale
de la SNCF ainsi créée le gestionnaire unique de l’infrastructure, tout en maintenant les conditions nécessaires à
une séparation entre gestionnaire de l’infrastructure et entreprise ferroviaire, sous le contrôle du régulateur. Ceci
supposerait que RFF soit au préalable soulagé des dettes ferroviaires non amortissables.
Dans le secteur des télécommunications, v. proposition de directive du Parlement européen et du Conseil, 13
novembre 2007, modifiant les directives 2002/21/CE relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux
et services de communications électroniques, 2002/19/CE relative à l'accès aux réseaux et services de
communications électroniques ainsi qu'à leur interconnexion, et 2002/20/CE relative à l'autorisation des réseaux
et services de communications électroniques, disponible
à http://register.consilium.europa.eu/pdf/fr/07/st15/st15379.fr07.pdf. Lors de la discussion du paquet télécom en
septembre 2008 au Parlement européen, les eurodéputés ont durci les conditions d'utilisation de la "séparation
fonctionnelle" qui obligerait les opérateurs à séparer strictement leurs activités commerciales et de gestion de
réseau. Les députés estiment que les régulateurs nationaux ne devraient pouvoir utiliser ce nouvel outil qu'en cas
de "problèmes de concurrence ou des défaillances du marché importants et persistants Ce remède devra rester de
dernier recours, et être approuvé à la fois par la Commission et le régulateur européen, v. Amendement 103
Proposition de directive – acte modificatif Article 2 – point 9 Directive 2002/19/CEArticle 13 bis - paragraphes
1, 2 et 3.
351
raison de l’effet utile des règles du droit de et à la concurrence, le constat suivant s’impose : le
principe de libre organisation des services publics en réseaux doit être relativisé. En France,
cette remise en cause du principe conduit à revenir sur un principe d’indélégabilité consacré
par les constituants de 1946. Nous avons tiré des conclusions sur la base d’une analyse du
marché de l’énergie et des télécommunications. En se référant au secteur postal ou des
transports, la politique de libéralisation s’articule également autour de l’ouverture à la
concurrence des activités, de l’instauration d’un service universel géré par un ou plusieurs
opérateurs, de l’obligation de participer à un mécanisme de partage des coûts du service
universel, de la dissociation des gestionnaires des réseaux et des opérateurs et enfin de la
soumission de l’activité des opérateurs à des obligations réglementaires plus ou moins
contraignantes1262.

492. Cette prégnance du « faire faire » les missions d’intérêt général est un phénomène qui
ne touche pas seulement les industries en réseaux. Ainsi, la directive 2006/123 du Parlement
et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur amorce un
mouvement général de libéralisation des services d’intérêt économique général 1263. Dans
l’hypothèse des SIEG tombant sous le coup de cette législation communautaire, les Etats
membres ont la faculté de fixer, d’une part, des obligations portant sur le maintien de tarif
raisonnable1264, d’autre part des obligations spécifiques au nom de raisons impérieuses
d’intérêt général par l’instauration d’un régime d’autorisation. Il est impossible de parler
d’internalisation d’obligations de service public dans le marché, car les objectifs de service
public passés au tamis de la libéralisation se mutent en exigences consuméristes, mais le
marché gagne une nouvelle dimension. Il ne lui est pas seulement demander d’atteindre
l’optimum économique, il doit dorénavant assurer la réalisation d’objectifs d’intérêt général.

1262
Directive 2008/6/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 février 2008 modifiant la directive
97/67/CE en ce qui concerne l’achèvement du marché intérieur des services postaux de la Communauté, JOUE L
52/3.
1263
Sont exclus les SNEIG, les SIEG régis par des directives sectorielles, les services de soins de santé et trois
catégories de services sociaux sous réserve de mandatement.
1264
Les tarifs obligatoires enserrés par un minimum et/ou par un maximum, dont le maintien ou au contraire la
suppression pourra être décidé après évaluation par les Etats membres et la Commission et après consultation des
parties intéressées, notamment sur la base des critères établis par la Cour de Justice (article 15 ou « liste grise »). 
352
Conclusion de la Partie 2

493. L’intégration de la préoccupation gestionnaire et des contraintes concurrentielles dans


le concept d’intérêt général tend à modifier le droit positif de l’organisation des missions
d’intérêt général. Dans une économie de marché, les personnes publiques doivent accomplir
les objectifs de service public sans nuire aux forces de la concurrence 1265 et grâce aux forces
du marché par souci d’améliorer l’efficacité des services d’intérêt général et de stimuler la
1265
J.-Y. Chérot, Droit public économique. Op. cit., p. 12.
353
croissance économique en fournissant de nouvelles perspectives d’accumulation du capital à
la sphère privée. On peut parler alors de l’Etat animateur ou stimulateur du progrès
économique et social parce qu’il aurait pour fonction de propulser l’action du marché vers la
recherche de l’intérêt général.

Conclusion générale

494. Si le principe publiciste de concurrence n’est pas une idée neuve, son complément
naturel dans le secteur privé, la logique de rentabilité a vocation à être le nouveau logiciel de
l’action administrative1266, ce qui conduit indéniablement à bouleverser le droit français de

1266
S. Bernard, La recherche de la rentabilité des activités publiques et le droit administratif, LGDJ 2001, T.
218 ; P. Bourdieu, La misère du monde, Paris, Seuil, 1993 ; P. Chambat, Service public et néolibéralisme, in
Annales ESC, n°3, 1990 ; B. Jobert, Représentations sociales, controverses et débats dans la conduite des
politiques publiques, in Revue française de science politique, vol.42, n°2, 1992 ; P.Muller, Entre le local et
l’europe. La crise du modèle français des politiques publiques, in Revue française de science politique, vol.42,
n°2, 1992.
354
l’organisation des missions d’intérêt général en favorisant la pratique du « faire faire » et ce
aussi pour les activités de service public réputées « indélégables ». La contrainte gestionnaire
n’est pas non plus une idée neuve, elle était déjà en germe dans l’esprit de Colbert. Ainsi, à
propos du développement de la marine française pour rattraper le niveau de la flotte
britannique, « la question de savoir si l’on obtiendra le meilleur service au meilleur coût, en
recourant au privé plutôt qu’au public, est clairement posée en France »1267. D’ailleurs, les
pères fondateurs du droit administratif ont plus tard repéré un objectif ou une préoccupation
gestionnaire1268. Cependant, comme l’écrit M. le Professeur G.J.Guglielmi, « cette approche
est loin d’atteindre le niveau de théorisation, mais elle n’en demeure pas moins une
manifestation du désir ou de la nécessité d’insérer la logique gestionnaire dans le
fonctionnement de l’Etat, de tendre ainsi à une certaine rationalité »1269.

495. La concrétisation des objectifs de concurrence est aussi un élément tendant à dénaturer
le principe de liberté de l’organisation des missions d’intérêt général. Certains auteurs
constatent que les règles de la concurrence regroupant le droit de la concurrence et
l’obligation de mise en concurrence pour la passation des contrats publics poussent « le plus
souvent dans un sens que l’on peut qualifier de dissociatif »1270, nous parlerons de « faire
faire ». Un nouveau mode de réalisation des missions de service public est né de la politique
de libéralisation par l’instauration d’un processus d’internalisation des objectifs de service
public dans le marché grâce « au pouvoir de police, entendu comme l’affirmation du devoir
de l’Etat d’assumer la défense des intérêts publics »1271. Nous qualifions ce procédé de
« fertilisation croisée »1272 entre les services d’intérêt général et privé. Ce mouvement loin de
renier les thèses économiques libérales met fin à la distanciation entre l’économie et l’éthique.
M. Amartya Sen a d’ailleurs souligné que le père de l’économie moderne, Adam Smith, était
professeur de philosophie morale à l’Université de Glasgow et défendait la thèse selon
laquelle les échanges mutuellement avantageux ne suffisent pas à garantir une bonne
société1273. La conciliation du progrès économique et du progrès social repose sur
l’intervention d’un Etat ordonnateur et non plus prestataire de biens et/ou de services.
1267
D. Lorrain, Les services urbains, le marché et le politique, in C. Martinand (dir.), Financement privé des
équipements publics, Paris, Economica, 1993, p. 22.
1268
M. Hauriou, La gestion administrative, Paris, Larose, 1899 ; v. aussi L. Duguit, Traité de droit
constitutionnel, t. II, Paris De Boccard, 1923.
1269
G.J.Guglielmi, L’émergence d’une rationalité gestionnaire dans les théories du droit administratif au début du
XIXème siècle.
1270
J.-B. Auby, Droit de la concurrence et schémas institutionnels, chron. préc., p. 2.
1271
L. Richer, Remarques sur les entreprises privées de service public, AJDA 1997, n°spé., p. 103 citant Préface
à F. Trevoux, Le développement et la réglementation de l’industrie électrique aux Etats-Unis, Giard, 1933.
1272
Cette expression est utilisée par Mme. J. Schpilberg-Katz pour caractériser l’action du groupe public la
Caisse des dépôts, in La Caisse des dépôts, PUF, Que-sais-je ? 2008, p. 53.
1273
A. Sen, Ethique et économie, PUF 2002, p. 6 et 25.
355
496. Le développement du « faire faire » n’est pas forcément le signe d’un Etat agonisant,
au contraire seul un Etat omniprésent et puissant peut tirer pleinement bénéfice de
l’accroissement du champ de la gestion déléguée en assurant la réussite du mariage d’intérêts
potentiellement antagonistes. Le « faire faire » ne revient pas à mettre l’intérêt général sous la
sauvegarde de l’intérêt privé, ce qui implique bien évidemment que le champ du « faire faire »
ne soit pas sans bornes. La personne publique ne peut se décharger totalement sur la sphère
privée, elle doit conserver certaines prérogatives en propre afin de pouvoir revendiquer sa
qualité de gestionnaire de l’intérêt général. C’est pourquoi, on serait tenté de dire que par
définition, le « faire faire » n’est pas le « laissez-faire ». Il s’accompagne de la réaffirmation
de l’existence de matières, que certains appellent « fonction supérieure ou direction
stratégique »1274, qui échappent au champ du « faire faire ». L’évolution du droit positif de
l’organisation des missions d’intérêt général s’inscrit dans la pensée du Doyen de Bordeaux
n’acceptant pas la différenciation entre les fonctions d’intérêt général pour lesquelles il est
impossible de concevoir leur accomplissement par des particuliers, et celles qui pourraient
être exécutées par de simples citoyens. Une fois encore la doctrine de Duguit marque la
théorie moderne des services publics.

INDEX ANALYTIQUE
(les chiffres renvoient aux numéros des paragraphes)

Abus de position dominante : 237, 375, 379, 444, 450


Abus de comportement : 378, 450
Abus de structure : 474 et s.
Accès des tiers aux réseaux : 237, 450, 455
Adjudication : 52, 53
Affermage : 3, 55, 73, 145
Arbitrage : 332 et s.
AOT : 315
1274
A.-S. Mescheriakoff, Droit des services publics, PUF 1997, p. 268 et s.
356
Autorité administrative indépendante : 251 et s., 256
Autorité de régulation : 250 et s., 423 et s.
Autorité publique indépendante : 251 et s., 256

B
Bailliage : 48, 171
Bail emphytéotique administratif : 307, 308
Benchmarking : 329
Best value : 317
Best value for money : 317
Bilan (théorie du) : 302, 307
Bon emploi des crédits : 267
Bon emploi des deniers publics : 57, 58, 83, 91, 92, 261, 263 et s., 270, 273, 324 et s., 329
Bracelet électronique : 344

Calcul économique : 23, 76, 306, 316, 328


Capitalisme municipal : 124, 127
Cœur de métier : 347, 349
Commande publique : 24, 158 et s., 295
Commerce intra-administratif : 156 et s.
Comptabilité analytique: 317
Concession d’aménagement : 294
Concession : 45, 51 et s., 74, 115, 121, 132, 168
Concession de service public : 3, 15, 16, 59, 74, 83, 100 et s., 133 et s.
Concession de travaux publics : 53
Conciliation : 332
Concurrence : 32, 367 et s., 371 et s.
Conscription : 71
Constitutionnalité (contrôle) : 241 et s.
Contrat local de sécurité : 365
Contrat « in common house »: 164
Contrat « in house » : 4, 6, 7,156 et s.,160 et s., 265 et s.,281
Contrat de partenariat : 10, 306, 312 et s.
Contrat de service public : 29 et s.
Contrôle : 163, 186, 198, 462, 474
Contrôle de gestion : 268
Corvée : 41 et s.
Conventionnalité (contrôle) : 241 et s.

Décentralisation : 153, 323 et s., 326


Décret d’Allarde : 102, 105
Défense nationale : 50, 71, 173, 174, 346 et s.
Déintégration : 444
Déficit public : 23
357
Délégation de service public : 2, 8, 9, 45, 141 et s., 302 et s., 421
Dette publique : 22, 23
Déverticalisation : 444
Dissociation : 444
Distribution d’énergie : 445
Division du travail : 38
Domaine privé : 73
Domaine public : 73
Droit régalien : 65, 171, 176

E
Ecole des ponts et chaussées : 75
Ecole du Public Choice : 264
Economie de marché : 26, 371 et s.
Economie des moyens : 267 et s.
Economie sociale de marché : 371, 442
Efficacité: 263 et s.
Efficience économique : 263 et s.
Egalité des usagers :
Enseignement public: 203
Entité adjudicatrice : 24, 154, 166
Entreprise intégrée : 461
Entreprise liée : 157 et s.
Entreprise publique : 383 et s.
Equilibre budgétaire : 279, 329
Etablissement public : 3, 6, 7, 383 et s.
Etat : 1, 21, 63, 66, 169
Evaluation : 281, 304 et s., 329
Examen de gestion : 268 et s.
Exécution du service public : 83, 189, 191
Exigence constitutionnelle (objectif constitutionnel): 154, 274 et s.
Externalisation : 3 et s., 12, 349, 150

Facilités essentielles : 446, 489


Faire faire : 6 et s., 48 et s., 59, 77 et s., 131, 171
Ferme : 57 et s., 65
Filialisation : 447, 459 et s., 491 et s.
Force publique : 67, 178 et s., 216

358
Gérance : 3
Gestion déléguée : 3, 6 et s., 11, 18, 90, 92, 142, 166, 196
Gestion directe : 3, 6 et s., 70, 92 et s., 166
Gestionnaire du réseau de distribution : 460 et s.
Gestionnaire du réseau de transport : 460 et s.
Gouvernement des juges : 318 et s.

Imprévision (théorie de) : 119 et s.


Impuissance publique : 4, 357 et s.
Indélégabilité (théorie de) : 19
Indépendance ( du gestionnaire du réseau)
Indépendance (du régulateur) : 250 et s.
Instruction publique : 69
Intérêt financier : 25, 263, 265, 283 et s.

J
Justice déléguée : 47
Justice retenue : 47

Lex mercatoria : 334


Libéralisation : 31, 371 et s., 450 et s.
Libéralisme économique : 37, 77, 86, 104
Libéralisme politique : 37
Liberté contractuelle : 154, 321 et s.
Liberté de concurrencer : 371
Liberté d’entreprendre : 236, 238
Liberté du commerce et de l’industrie : 105, 160, 236 et s.
Liberté tarifaire : 422
Libéralisme économique : 371, 377
Libre administration des collectivités territoriales : 153, 166, 318, 321 et s.
Libre et égale concurrence : 236 et s.
Libre organisation des missions d’intérêt public : 1, 153 et s.
Loi organique relative aux lois de finances (LOLF) : 272, 319 et s.
Louage de service : 182 et s.

M
Marché contestable (théorie) : 378 et s.
Marché intérieur : 369, 371
Marché public : 2, 8, 9, 59, 141
Maréchaussée : 172 et s.
Mercenariat : 350 et s.
Médiation : 333
Mise en concurrence : 30
359
Mode alternatif des règlements des litiges : 332 et s.
Monopole de fait : 399
Monopole naturel : 380, 445, 446, 489
Monopole public : 373 et s., 402

Nationalisation : 3, 134, 136, 146, 221 et s., 226


Neutralité communautaire : 241, 381 et s.
Nouveau management public : 21

Obligation de service public : 27, 400 et s., 413 et s.


Ordolibéralisme : 372, 442
Ordre public : 180 et s., 359 et s., 430
Organisation du service public : 151, 179 et s.

Partenariat public/privé : 10, 282 et s.


Personne publique/personne privée (critère de distinction) : 197
Play or pay : 432
Pratique anticoncurrentielle : 474, 483
Police : 179 et s., 430
Police administrative : 179 et s., 430, 438
Police judiciaire : 179
Police de la conservation : 359 et s.
Police de l’ordre public : 179, 359 et s.
Police de stationnement : 190
Pouvoir adjudicateur : 24, 154, 166
Préfinancement privé : 90
Prévôt : 47, 49, 171
Private finance initiative : 282
Privatisation : 146, 381, 386 et s.
Progrès économique : 370 et s.
Propriété économique : 479 et s.
Public sector comparator : 317, 318

Rationalité gestionnaire : 22, 34, 264, 278


Régie : 4, 6, 15, 57, 65, 77, 81, 92 et s., 109, 119, 121, 125, 143
et s., 147, 290
Régie individualisée : 94, 115, 123,
Régulation : 250 et s.
Rentabilité administrative : 265 et s.
Résiliation : 131
Révision générale des politiques publiques : 23, 268
Risque économique : 141, 288 et s.
360
S

Secours public : 69 et s.
Sécurité privée : 177, 183, 357 et s., 360
Sécurité publique : 172, 177, 184, 357 et s., 360
Segmentation (service public) : 338 et s., 343
Séparation des activités : 445
Séparation comptable : 447, 451 et s.
Séparation des fonctions de réglementation et d’exploitation : 236, 246 et s.
Séparation fonctionnelle : 468 et s.
Séparation juridique : 447 et s., 459 et s.
Service d’intérêt économique général : 296, 439, 444
Service d’intérêt général : 296, 438 et s.
Séparation patrimoniale : 486 et s.
Service social d’intérêt général : 296 et s.
Service postal : 33, 81
Service public : 15, 116, 38 et s., 372
Service public administratif : 5, 95, 137, 140
Service public conception fonctionnelle : 68
Service public constitutionnel : 202, 204, 229 et s., 233, 386 et s.
Service public de la justice : 48, 67, 177,217, 218, 219
Service public de l’énergie : 406
Service public des chemins de fer : 86 et s.
Service public financement : 82 et s., 432 et s.
Service public immobilier : 340
Service public indélégable : 1, 19 et s., 39, 74, 135, 167, 168 et s., 330 et s.
Service public industriel et commercial : 95, 137, 139
Service public national : 135, 146, 221 et s., 367, 386 et s.
Service public par nature : 168 et s., 207
Service public pénitentiaire : 193, 213 et s., 339 et s.
Service public de recouvrement de l’impôt : 194 et s.
Service public sécuritaire : 227 et s.
Service public virtuel : 435 et s.
Service universel : 388, 416 et s.
Socialisme municipal : 62, 93 et s., 104, 107 et s., 118
Société d’économie mixte : 298 et s.
Souveraineté : 66, 169, 173 et s., 179, 193 et s., 203 et s., 229 et s., 232,
330 et s., 357 et s.
Spécialité (principe de) : 14, 105, 106, 160, 265
Surveillance : 358 et s

Tarif social : 390, 409, 429


Télésurveillance : 358 et s.
Transport d’énergie : 40 et s. 445
Travail public : 49, 72, 75, 91, 340

U
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Urgence (critère) : 314 et s.
URSSAF : 196 et s.

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