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La pertinence des CÉGEPS en 10 questions

AVANT-PROPOS
1. Un modèle unique
2. Une tradition perdue
3. Un nouveau paradigme
4. Le dossier de la langue d’enseignement
5. L’intégration de la clientèle générale et technique dans un même établissement
6. La persévérance ou la facilité
7. L’éducation (le being) ou l’enseignement pratique (le doing)
8. La difficile compatibilité avec plusieurs avenues d’enseignement supérieur
9. Les frais de scolarité et la diplomation
10. La formation des maîtres
CONCLUSION
_______________________________________________________________________
AVANT-PROPOS
La présente opinion, divisée en 10 points, n’invite aucunement à une éventuelle abolition des
cégeps. Il est vraiment trop tard et le coût à la fois financier et surtout humain en serait incalculable.
Elle se situe plutôt en amont de cette problématique, à savoir : pourquoi aurait-il fallu ne pas créer
les cégeps, tels qu’on les connaît aujourd’hui? C’est peut-être un questionnement purement
théorique, mais il se pose d’autant plus qu’il permet de soulever certaines réflexions encore
d’actualité.
Je reconnais volontiers à la commission Parent bien des vertus : bons diagnostics des diverses
problématiques qui se posaient en éducation au Québec avant 1967 (année de création des cégeps);
solutions innovatrices à bien des égards; vision large et profonde pour l’avenir éducatif de la société
québécoise, etc. Néanmoins, à mon humble avis, la commission Parent a erré en proposant la
création des cégeps, tels que nous les connaissons aujourd’hui. Je vais essayer d’étayer cette
opinion par 10 arguments principaux, ci-après présentés.
À chaque fois que cela était possible, j’ai cité le rapport Parent dans le texte. De plus, j’ai fourni
plusieurs autres références qui m’ont semblé pertinentes à mon propos et qui ont l’avantage, pour
plusieurs, d’apporter un éclairage que je crois nouveau sur certains aspects de l’existence des
cégeps.

1. Un modèle unique
Le modèle québécois de l’enseignement collégial est unique. Joseph Facal convient que « ni
les États-Unis ni l’Europe n’ont des institutions équivalentes à nos cégeps, qui font coexister
ceux qui se destinent à l’Université et ceux qui apprennent un métier, afin qu’ils y reçoivent tous
une formation de base commune »1. Certains mettent en question ce caractère unique et

1. Joseph Facal. Faut-il abolir les cégeps? Journal de Montréal. Lundi, 7 juin 2004.
souhaitent plutôt que le Québec rejoigne le modèle des autres nations. À cela Facal rétorque :
« Bref, point de salut hors de l’imitation des autres ».
Cela est établi dans le Rapport Parent et par bien d’autres écrits dont celui, non
équivoque, de Martial Dassylva2 : « Le cégep constitue une création unique au monde »!
Personnellement, j’aime bien l’originalité. Mais je me méfie de ceux qui prétendent être les seuls
à avoir le pas. Il est maintenant trop tard pour revenir en arrière, mais le seul fait d’obliger nos
étudiants de 17 à 19 ans à vivre un cadre éducatif qui n’a aucun comparatif au monde me laisse
perplexe, particulièrement pour les étudiants de l’enseignement général. En effet, ces derniers
sont vraiment les seuls à effectuer leur cheminement scolaire dans le modèle des cégeps
québécois. Toute comparaison devient donc impossible.

2. Une tradition perdue


En Europe et aux États-Unis, il existe de très nombreux établissements scolaires s’apparentant
de près ou de loin à nos cégeps et qui existent, non pas depuis une cinquantaine d’années,
mais depuis 1, 2 et même plus de 3 siècles. Il en va de même aux États-Unis.
Quand Napoléon institua en 1802 les Lycées, il n’élimina pas les autres types d’établissements
scolaires. Au Québec, on a fait table rase de tout établissement scolaire de niveau collégial créé
avant 1967! Collèges classiques, écoles techniques ou professionnelles, instituts divers, tout a
été nivelé en 1967.
S’il n’y a plus d’établissements de niveau collégial antérieur au milieu du XXe siècle, il y a une
trentaine d’anciens collèges classiques qui ont perduré en devenant des écoles secondaires ou
même des cégeps! Notons au passage le Petit Séminaire de Québec (1668), le Collège des
Jésuites (1635), le Collège de Montréal (1729), Cégep de Valleyfield (1892) et une trentaine
d’autres3.
Personnellement, j’aurai souhaité que l’on permette l’existence simultanée de collèges à la riche
histoire et à la longue tradition éducative avec le nouveau réseau collégial, quitte à les obliger à
une certaine conformité à ce nouveau réseau. Par exemple, on aurait pu autoriser le Séminaire
de Trois-Rivières (ou d’autres établissements similaires) à offrir un cours d’enseignement
général d’une durée de 7 ans et ainsi égaler en durée et en contenu, ce qui se fait dans les
écoles secondaires et au collégial d’enseignement général.

3. Un nouveau paradigme
Afin de proposer à la fois un renouvellement profond des fondements mêmes de l’éducation au
Québec et un regard prospectif vers l’avenir, les commissaires de la commission Parent ont fait
leur devoir. Ils ont consulté à peu près tout ce qui a pu inspirer les divers systèmes d’éducation
dans le monde occidental, américain et même d’Asie et d’autres contrées.
Au Québec, avant la création des cégeps, toute la formation supérieure avant l’université (bref,
les collèges classiques!) s’inspirait de la formation française dite des humanités : apprentissage

Bulletin d'histoire politique, 12(2), 49–65.


2 Dassylva, M. (2004). Le modèle virtuel de l'institut tel que proposé dans le Rapport Parent.
3
Établissements privés par ordre de fondation. Roger Gauvin. Pidep. U de S. 2006.
des langues anciennes, philosophie aristotélicienne (néothomisme), littérature et un peu de
sciences, tout cela dit sans vouloir caricaturer. Tout l’enseignement se rattachait à un
humanisme relativement suranné que la commission Parent souhaitait renouveler et rendre plus
contemporain.
Or, toutes les personnes s’étant intéressées à la rédaction du Rapport Parent savent très bien
l’importance qu’a exercée l’un de ses commissaires les plus illustres, soit le sociologue Guy
Rocher. Ce qui est moins connu, c’est que M. Rocher a obtenu son doctorat en sociologie de
l’Université Harvard dans les années 1945 à 1950. Or, à cette époque, le président de
l’université Harvard a mandaté 12 de ses professeurs les plus au fait du domaine de l’éducation
afin de produire un rapport sur l’éducation, mal en point en ces années d’après-guerre. Ce
rapport, intitulé « General education in a free society »4 a connu une grande notoriété et une
très large diffusion. Il a influencé nombre de chercheurs et de multiples organisations en quête
d’orientations nouvelles et prometteuses en éducation. Une nouvelle forme d’humanisme en est
issue : un humanisme contemporain. Bien sûr, M. Rocher n’a pas échappé à cette influence et
il a sans doute transmis aux autres membres de la commission cet intéressant apport à leur
réflexion collective. Ainsi que l’atteste Yves Lenoir5, cette proposition d’un humanisme
contemporain semble avoir fortement influencé les commissaires dans leur propre cheminement
les conduisant à la définition de leur propre paradigme en éducation au Québec. Jugeons-en
plutôt à la lecture de ce qui suit :
La commission Parent propose un autre modèle d’humanisme, «fondé sur les
impératifs de la société contemporaine qu’elle oppose à la société traditionnelle»
(Gouvernement du Québec, 1968, p. 23). Cet humanisme contemporain, renouvelé,
inspiré semble‐t‐il fortement du rapport produit en 1945 par le Harvard Committee,
(Harvard Committee. 1945. General education in a free society. Cambridge, MA:
Harvard University Press) repose sur son ouverture à un pluralisme culturel qui tient
compte des autres univers de connaissances (en fait surtout celui de la science et de
la technologie) en vue de favoriser la production d’un être humain idéal, polyvalent,
car nourri à la fois du passé que portent certaines disciplines et des perspectives
futures que permettent les enseignements des sciences et de la technologie ».
Ces lignes décrivent bien, à mon avis, l’ensemble de la conception de l’éducation auquel on a
demandé aux cégeps d’adhérer. Pour ajouter à ce qui précède, Yves Lenoir6 citant Hamelin (1966)
note que le rapport Parent «répond ainsi aux nouvelles élites du Québec, techniciens, ingénieurs,
administrateurs, hauts fonctionnaires, professeurs d’université, qui prônent une nouvelle vision du
monde, une promotion individuelle et sociale des Canadiens français fondées sur le désir de
l’efficacité».

Personnellement, je considère que l’opposition de l’humanisme classique à l’humanisme


contemporain ne sert pas les étudiants actuels des cégeps pour deux raisons : a) le pluralisme
culturel implicite à l’humanisme contemporain appelle davantage à la dispersion qu’à

4
Harvard Committee. 1945. General education in a free society. Cambridge, MA: Harvard University Press.
5
Le «rapport Parent», point de départ de l’ancrage de l’école québécoise dans la logique anglophone nord‐américaine.Yves Lenoir.
Queen’s University. Canadian Journal of Education/Revue Canadienne De l’éducation, 28(4), 638‐668.
6
Lenoir, Yves. Le rapport Parent, point de départ de l’ancrage de l’école québécoise dans la logique anglophone nord‐américain. p.
648
l’approfondissement; b) les cégeps se sont largement éloignés de l’idéal proposé de se nourrir
à la fois du passé que portent certaines disciplines et des perspectives futures.

4. Le dossier de la langue d’enseignement


Pour cette quatrième question, j’aborderai deux sujets, bien sûr étroitement liés au dossier de
la langue d’enseignement : a) le volet législatif; b) le volet de la place du français à l’école.
Tout d’abord, j’aborderai succinctement le volet législatif. En effet, une fois de plus, nous voilà
plongés en pleine polémique linguistique. Le projet de loi 96 va-t-il trop loin ou pas assez? Doit-
on étendre les obligations de la loi 101 aux cégeps? Voilà la question…Or, si ma proposition au
point 2 avait été appliquée, les établissements au curriculum réparti sur 7 ans seraient, de facto,
assujettis à la loi 101. Quant aux cégeps, la question demeure… à moins que la présence
d’établissements de niveau collégial uniquement français dans les parages auraient pu créer
une pression certaine sur les décideurs politiques!!!
En ce qui a trait à la place et à l’importance du français à l’école, tant primaire, secondaire que
préuniversitaire ou collégiale, il est impossible ici de le traiter en profondeur. Aussi je me limiterai
au seul domaine de la lecture. Encore ici, je me référerai au rapport Parent, puisqu’il est en
quelque sorte le « Père Fondateur » de tout le système scolaire québécois.
Ainsi, le rapport Parent définit avec beaucoup de détails quels devraient être les types de
lectures que les élèves devraient cultiver du primaire au pré-universitaire7. J’ai souligné ce qui
se rapporte surtout au collégial.
En littérature, l'ordre pédagogique de présentation ne coïncide pas toujours
nécessairement avec la chronologie des oeuvres. Les mythes, contes, légendes,
chansons correspondant aux âges primitifs de la littérature correspondent aussi assez
facilement à la fantaisie, à la liberté d'imagination des jeunes élèves ; on pourrait en
faire l'objet du cours de septième année, pourvu qu'on les présente en langue
contemporaine ; ensuite, il semblerait plus naturel pour un enfant d'environ treize ans,
de lire et étudier des oeuvres, qui parlent d'enfants de son âge : David Copperfield,
Le petit Prince, les récits écrits pour la jeunesse, que d'aborder la Renaissance ou le
XVIIe siècle. En neuvième année (vers 14 ans), on pourrait présenter à l'enfant les
poètes romantiques et parnassiens, le roman réaliste assez facile, les récits
historiques (Walter Scott, Dumas, Michelet, Maurois, etc.). En dixième année (vers
15 ans), le théâtre assez facile – théâtre romantique, comédies –, des écrits
scientifiques ayant une qualité littéraire, des romans d'aventure et romans policiers
bien écrits. En onzième année (vers 16 ans), on pourrait aborder le théâtre classique,
et la lecture de Shakespeare, des tragiques grecs. En douzième année (vers 17 ans),
le roman contemporain et l'essai. En treizième année (vers 18 ans), les moralistes,
essayistes, et philosophes en général, les ouvrages sur les sciences, la philosophie
de l'histoire, la philosophie des sciences, la géographie humaine, les problèmes
sociaux, les littératures étrangères et la littérature contemporaine de langue française,
l'histoire des arts.

7
Rapport Parent. Tome II. Volume 3. Paragraphe 605.
L’énumération est ambitieuse, et c’est un euphémisme! Mais parcourons un autre paragraphe
du même rapport8 :
On pourrait aussi suggérer aux parents quels livres acheter pour la bibliothèque
familiale. Chaque élève du niveau secondaire devrait pouvoir fournir, chaque année,
la liste d'au moins une trentaine de volumes qu'il a lus au cours de l'année, et qu'on
pourrait le laisser choisir à son gré parmi une liste de cent ou deux cents volumes.
On constate que les commissaires voyaient large et loin… Je me rappelle qu’en arrivant à la
direction du Collège Antoine-Girouard, lors de ma première rencontre de parents de 3e
secondaire de début d’année à laquelle tous les enseignants devaient participer, un parent avait
demandé à l’enseignant de français combien de livres il demandait de lire à ses élèves pendant
l’année. La réponse de l’enseignant m’a sidéré : « Bien, euh, je leur demande de lire un résumé
d’un Sélection du Reader’s Digest »!!! Je ne me rappelle pas avoir eu aussi honte d’être un
« éducateur » qu’à ce moment-là… On était à mille lieues de ce que suggéraient les auteurs du
rapport Parent, c’est le moins qu’on puisse dire.
Personnellement, je n’ai pas la prétention de croire que ma suggestion énoncée plus haut sur
le volet législatif aurait pu le régler, mais son application aurait drôlement brassé les cartes.
Quant au volet de la place et de l’importance du français à l’école, on connaît fort bien à quelle
situation fait face l’enseignement du français, à tous les niveaux de notre système
d’enseignement, notamment au cégep. Tout dernièrement, la ministre de l’Enseignement
supérieur se posait la question à savoir s’il lui fallait permettre l’usage du logiciel Antidote
pendant l’examen obligatoire de français que tous les cégépiens doivent réussir. Il m’est arrivé
de devoir réviser et corriger une présentation Power Point d’un médecin spécialiste d’un certain
âge. Cette personne qui avait réussi avec brio quelque 20 ans de scolarité n’arrivait pas à
rédiger une courte phrase sans faire plusieurs fautes… Dire que les suggestions extraites du
rapport Parent et reprises ici datent des années ’60!

5. L’intégration de la clientèle générale et technique dans un même établissement


Faire cohabiter les étudiants du général et du professionnel paraissait une excellente idée lors
de la création des cégeps. À l’époque des collèges classiques, les fréquentations mixtes, c’est-
à-dire les étudiants de ces collèges et ceux des autres établissements scolaires de même
niveau, n’existaient pas. Il fallait donc assurer un mélange social que l’on croyait non seulement
utile mais nécessaire. Il en était de même pour le niveau secondaire.
À ces deux niveaux d’enseignement, l’objectif n’a pas été atteint. En effet, tant au secondaire
qu’au collégial, les exigences spécifiques à chaque niveau d’enseignement, les horaires et les
calendriers scolaires absolument non compatibles, les locaux majoritairement distincts et
surtout l’extrême brièveté du cours collégial de 2 ans (1 an pour s’acclimater à cet immense
établissement, un an pour se préparer au choix universitaire) représentent autant d’écueils
majeurs à la réussite de cette mixité. Pour ma part, après presque 15 années à fréquenter des
élèves du secondaire général qui ont quitté pour une polyvalente ou pour un établissement
collégial (général ou technique), je ne peux plus compter le nombre d’étudiants qui m’ont dit
déplorer le fait qu’ils ont perdu leurs meilleurs amis soit à la polyvalente, soit au cégep, pour les
motifs évoqués plus haut.

8
Ibidem. Paragraphe 302.
Personnellement, je ne déteste pas la proposition du Rapport Bédard9 qui suggère de rogner la
1re année du collégial général pour la redonner au secondaire et d’amputer la 2e année de ce
même cours collégial général pour la confier à l’université au niveau du baccalauréat :
La deuxième option est semblable à la première quant à la réforme des services
éducatifs. L’enseignement préuniversitaire serait partagé entre le secondaire et le
premier cycle universitaire, tandis que la formation professionnelle et la formation
technique seraient regroupées à l’intérieur d’un même établissement collégial.
Cette proposition ne suppose pas l’abolition des cégeps. Elle propose, en effet que le volet
professionnel et technique soit confié à des établissements autonomes, semblables aux cégeps
actuels10.
6. La persévérance ou la facilité
Opérer une réforme aussi radicale que celle que proposait le rapport Parent en créant les
cégeps (les instituts) sous-entendait que les élèves y trouveraient leur compte et que leur
nouveau cheminement scolaire « polyvalent » les conduirait à une meilleure réussite11.
Il faut donc opérer une profonde réforme de l'enseignement, pour créer et entretenir
chez les jeunes la motivation nécessaire. On sait qu'il faut pour cela pouvoir offrir à
chacun le type d'enseignement qui répond à ses goûts et à ses aptitudes. Des élèves
paresseux ou indisciplinés deviennent actifs et intéressés quand on les amène en
atelier ; d'autres, rebutés par certaines matières pour lesquelles ils sont moins doués,
transfèrent à l'ensemble des études leur insatisfaction ; un bon nombre abandonne
prématurément leurs études à cause du caractère trop monolithique des programmes
et des institutions. Nous avons entendu le témoignage éloquent de jeunes ouvriers
qui regrettent d'avoir quitté l'école trop tôt, mais l'expliquent par le fait que le régime
scolaire n'a pas su éveiller ni garder leur intérêt. L'esprit de la réforme de
l'enseignement secondaire, dont nous avons déjà parlé, doit se retrouver au-delà de
la 11e année ; la même souplesse dans la polyvalence doit se continuer en 12e et
13e années.
Or, à l’usage, il semble y avoir eu bien des écarts entre les objectifs poursuivis et la réalité
observée sur le terrain. Pour illustrer un peu facilement ce propos, songeons aux nombreuses
blagues que les humoristes québécois utilisent pour parler des cégeps!
Mais pour faire plus sérieux, voici une anecdote qui résume et caractérise assez bien l’ensemble
du point de vue ci-après développé.
Dans les années 80, un regroupement d’une dizaine des plus prestigieux collèges privés du
Québec m’avait mandaté pour proposer au ministère de l’Éducation un curriculum permettant
de contracter les trois années habituellement requises pour terminer la 5e année du cours
secondaire et les 2 années du cours collégial général en seulement 2 ans. Cette proposition
découlait d’une demande de plus en plus pressante de parents désireux d’éviter à leur(s)
enfant(s) l’obligation de fréquenter un cégep.

9
Denis Bédard; Fédération des commissions scolaires du Québec. 2003. Les études secondaires et postsecondaires :
propositions de réorganisation pour améliorer la performance du système d'éducation au Québec : rapport. P. 80.
10
Ibidem. p. 80
11
Rapport Parent. Tome II. Paragraphe 262
Après moultes réflexions, recherches, consultations, j’ai produit un document qui a recueilli
l’accord unanime des mandataires. Fort de cet appui, j’ai néanmoins tenu à faire valider cette
proposition d’un nouveau curriculum auprès de quelques-uns de mes contacts haut placés dans
la hiérarchie du ministère de l’Éducation. Il est important de préciser que ces derniers
appartenaient à divers secteurs du ministère : les programmes, l’évaluation, la diplomation, etc.
Curieusement, toutes les personnes consultées ont fourni la même double réponse, dans des
termes à peu près identiques : a) la proposition formulée était fort réaliste et acceptable en tous
points – réglementaire, pédagogique, administrative, etc., b) cette proposition ne pourrait jamais
être autorisée par le ministère parce qu’elle « priverait les étudiant.e.s qui l’adopteraient d’un
temps de relâche et de loisir précieux dans la poursuite de leur cheminement scolaire (sic)»!!!
Inutile de dire ici ma consternation et surtout ma vive déception devant autant de désinvolture,
pour ne pas utiliser des mots plus blessants.
Donc, rogner quelques semaines de vacances scolaires durant l’été, compresser quelques
programmes d’études, délaisser certains cours moins pertinents à la formation générale (par
exemple les cours de yoga, de danses sociales ou de pêche à la mouche (sic) dans le cadre du
cours d’éducation physique) brimeraient le nécessaire épanouissement des étudiant.e.s.
Efforts, rigueur, ténacité et persévérance n’appartenaient plus au vocabulaire pédagogique.
Bref, le cégep, de l’aveu du moins de certains de ses concepteurs, devait être synonyme de
facilité, de relaxation, de délassement… On comprendra que mon adhésion à ce type
d’institution n’est absolument pas acquise.
Personnellement, les trop nombreuses options offertes, les conditions tellement faciles d’accès
à plusieurs de ces options, les possibilités de reprendre des cours, de réorienter son
cheminement, de multiplier les sessions à programmes allégés, de prendre non pas 4 sessions
pour compléter son parcours régulier, mais en prendre 5, 6, 7 ou plus (!), voilà que tout cela me
semble peu sérieux et indigne d’un secteur d’enseignement dit supérieur. Faire le ménage dans
les programmes, les options, les cours, augmenter les exigences, resserrer l’accès aux prêts et
bourses, telles sont quelques unes des solutions qui créeraient un milieu plus favorable à un
apprentissage quand même pluraliste mais rigoureux.
7. L’éducation (le being) ou l’enseignement pratique (le doing)
Dans plusieurs de ses textes décrivant la création des cégeps, Guy Rocher fait référence aux
nombreux voyages et aux multiples entretiens que les commissaires ont effectués, notamment
dans plusieurs états américains, pour tenter de trouver un modèle qui répondrait aux meilleures
aspirations des commissaires. Ils ont été attirés quelques temps par le modèle des « community
college », mais l’orientation trop utilitaire de ces établissements a vite fait de les en distancer.
Les commissaires rejetaient donc l’ancien curriculum basé sur l’humanisme classique12
Bref, cet humanisme reposait sur une manière d’être, sur une culture générale, et non
sur une manière de faire. Il existe donc, aux yeux de ces défenseurs, une opposition
entre deux philosophies de l’éducation que Gingras (1956/2000) qualifie d’irréductible
et dont les traits essentiels se traduisent en anglais par les expressions being‐doing

12
In Lenoir. Gingras, P.‐É. (1956/2000). Éducation libérale ou instruction utilitaire? In C. Corbo et J.‐P. Couture, Repenser l’école.
Une anthologie des débats sur l’éducation au Québec de 1945 au rapport Parent (p. 252‐255). Montréal: Presses de l’Université de
Montréal. P. 647
et training‐schooling. Le modèle de référence auquel il est fait appel est souvent celui
de l’éducation libérale (au sens britannique du terme) qui a fait la force de la tradition
occidentale. Ainsi, l’humanisme classique, par l’entremise des humanités, est vu
comme favorisant l’épanouissement de la personne humaine, assurant la
transmission de l’héritage du passé et devenant le garant du maintien de la
civilisation. En garantissant la transmission d’un certain savoir fondé sur les grands
classiques, les tenants de ce type de formation postulaient que le contact avec les
grandes figures qui ont marqué le passé de la civilisation occidentale – plutôt
francophone et même française avant tout – permettait de forger des esprits qui
s’inscriraient dans la continuité de la Renaissance et de sa pensée humaniste. Du
point de vue des membres de la commission Parent et de nombreux opposants, cet
humanisme, surtout dans son mode d’application au Québec, est à condamner et à
rejeter.
Aussi, les commissaires ont décidé d’inventer leur propre modèle : celui des instituts (ce
qui deviendra les cégeps). Cette nouvelle structure répondait à la fois aux besoins du
being (la formation générale) et au doing (la formation professionnelle et technique).
L’idée (révolutionnaire) n’était pas mauvaise, mais elle représentait dans son volet de
formation générale une sorte de raccourci où la formation générale prenait la forme
congrue d’une éducation fondamentale « à la baisse », puisque tous les étudiants (de
formation générale ou de formation professionnelle ou technique) devaient y avoir accès.
Comment un étudiant qui étudiait dans une technique infirmière pouvait-il suivre un cours
de français ou de philosophie d’exigences égales à celui qui n’avait que des cours de
formation générale à gérer?
Personnellement, je n’accorde pas beaucoup de crédibilité à ce type de mixité. Ou l’un y
perd – celui de la formation générale - (car c’est moins stimulant puisque que les
exigences et les attentes sont moins élevées) ou l’autre y perd aussi – celui de la
formation professionnelle ou technique – (puisque les exigences et les attentes sont trop
élevées)!
En passant, il y a de cela bien des années, j’étais responsable de l’animation et de la
gestion d’une douzaine d’écoles secondaires commerciales privées. Peu après la
création des cégeps, quelques -unes de ces écoles ont demandé leur permis pour
dispenser l’enseignement professionnel commercial. Il leur fallait donc organiser à la fois
un enseignement général et un enseignement technique auprès d’une clientèle
semblable à celle qui fréquentait leur école commerciale « secondaire » quelques mois
auparavant. Inutile d’énumérer ici les écueils rencontrés et les maigres résultats obtenus.
8. La difficile compatibilité avec plusieurs avenues d’enseignement supérieur
Évidemment, le fait que le Québec ait volontairement adopté une voie originale unique, les
cégeps, il doit vivre avec les conséquences de ce choix. L’une d’elles consiste à embrouiller le
cheminement scolaire de ses étudiants quand vient le temps, pour eux, de poursuivre leur
parcours scolaire après le collégial. J’ai eu l’occasion d’explorer ce sujet lorsque j’ai été
mandaté par le Collège Sainte-Anne dans le développement de leur niveau collégial. J’écrivais
alors13 :
Le Québec constitue sans doute le seul endroit au monde où un élève accède à
l’université après 13 années de scolarité de niveau primaire, secondaire et collégial.

13
Gauvin. Roger. Pour l’implantation de l’ordre collégial. Collège Sainte. Tableau de bord. Lachine. Février 2010. p. 15.
Habituellement, la norme canadienne et américaine pour accéder à l’enseignement
supérieur s’établit à 12 ans d’études primaires et secondaires. Cette situation n’est
pas sans poser problème aux étudiants québécois désireux d’étudier dans des
universités ailleurs au Canada ou aux États-Unis, notamment. L’un de ces problèmes
réside dans le fait que si un étudiant complète ses deux années d’études collégiales
préuniversitaires avant de joindre une université hors Québec, il jouit certes d’une
année de plus de scolarité que ses confrères, mais cela ne lui confère pas
nécessairement un avantage déterminant. D’autre part, si ce même étudiant se limite
à fréquenter le cégep une seule année et qu’il quitte ensuite pour une université hors
Québec, cet étudiant est loin d’être assuré qu’il sera admis à cette université et il est
certain qu’il ne sera pas admis dans une université québécoise advenant qu’il change
d’avis. À noter à cet effet que les universités anglophones québécoises n’admettent
pas d’élèves après seulement un an d’études collégiales. Pour connaître les
conditions d’admission dans les universités hors Québec, il faut consulter le site de
chacune d’elles. Les meilleures d’entre elles exigent à peu de choses près les mêmes
conditions : des résultats scolaires nettement au-dessus de la moyenne; une culture
générale solide; une implication sociale éprouvée; une ouverture au monde manifeste
de même qu’une expérience reconnue de stages ou de cours à l’étranger; la maîtrise
d’au moins deux langues, voire même trois. Cela est vrai pour les universités
canadiennes classées les meilleures au pays, mais cela est aussi vrai pour leurs
consoeurs américaines qui font partie de l’élite universitaire non seulement
américaine mais aussi mondiale, regroupées dans ce club sélect que l’on nomme
l’Yvy league. Pour vraiment se distinguer, l’offre de services du Collège devra
favoriser l’accès à ce genre de grandes écoles, ce qui est relativement peu développé
actuellement au Québec.

Personnellement, en supposant que le modèle actuel des cégeps reste inchangé, je


souhaiterais néanmoins que plusieurs d’entre eux développent une sorte de « passerelle » ou
de « pont », d’une année ou plus, permettant à certains de leurs élèves d’accéder à des études
supérieures universitaires dans des établissements étrangers de renom international. Ça
n’existe absolument pas présentement et c’est fort dommage. Cela serait une autre
manifestation originale du … modèle québécois… Grâce à cette passerelle ou pont, ces
établissements pourraient préparer leurs étudiants aux « fameux » tests qu’exigent de réussir
les grandes universités américaines. Voici ce que j’écrivais dans ce document produit pour le
collégial St-Anne14 :
L’admission aux universités américaines n’est pas qu’affaire de succès à des tests,
mais ceux-ci demeurent malgré tout une étape incontournable. Voici un aperçu de
s principaux tests utilisés. 1. Le test SAT (Scholastic Assessement Test) Le plus
utilisé à travers tous les États-Unis. Il couvre les aptitudes en lecture, en logique, en
rédaction. Il est noté sur 2 400 points si on le subit au complet (1500 sans la
rédaction). Les meilleures universités exigent un pointage minimal de 1 900 points.
2. Le test ACT (American College Test) Devient de plus en plus populaire. Toutes
les universités de l’Yvy League l’utilisent. Il couvre les mêmes sujets que le test SAT
auquel s’ajoute le volet science. Il est noté sur 36 points et le pointage généralement

14
Ibidem, p. 15
requis est de 28 points. 3. Autres tests Le TOEFL (Test of English as a Foreign
Language), qui existe même en ligne et est obligatoire pour les étudiants dont la
langue maternelle n’est pas l’anglais. Des tests pour les diplômes supérieurs (GMAT
pour le MBA, GRE) pour accéder à une maîtrise, etc..
9. Les frais de scolarité et la diplomation
Une question lancinante me turlupine depuis des années et elle est devenue une véritable
obsession depuis le « printemps érable ». Je laisse le soin à un rédacteur du journal Le Soleil
de formuler cette inquiétude 15 :
Il a été aussi souligné au cours des dernières semaines que malgré le fait que les
frais de scolarité soient beaucoup plus bas au Québec, le taux d'obtention d'un
diplôme universitaire est de 25% plus faible au Québec qu'en Ontario.
En effet, comment une telle situation peut-elle se produire? La question devient encore plus
cruciale quand on prend connaissance de l’article de Denise Bombardier16
Et si toutes les analyses, toutes les opinions publiées, déclarées, affirmées comme
parole d’Évangile rataient la cible sur la crise actuelle au Québec ? Et si Ross Finnie,
chercheur à l’Université d’Ottawa dont l’objet d’étude porte sur l’accessibilité à
l’université, avait raison ? Ses recherches l’amènent à conclure que ça n’est pas
d’abord par manque d’argent au Québec qu’on ne va pas à l’université mais bien
plutôt à cause du peu d’importance que l’on accorde à l’éducation supérieure. Cette
semaine, on pouvait lire dans La Presse des chiffres du professeur Finnie qui, sauf
aveuglement, déstabilisent. En comparant le revenu parental en Ontario et au
Québec, on est à même de découvrir une réalité brutale.
Dans la tranche des revenus familiaux entre 5000 $ et 25 000 $, 39 % des jeunes en
Ontario vont à l’université contre 18 % au Québec. Entre 25 000 $ et 50 000 $, 34 %
des jeunes en Ontario fréquentent l’université contre 20 % au Québec. De 50 000 $
à 75 000 $, les étudiants universitaires sont 43 % en Ontario et 28 % au Québec. Et
même au-dessus de 100 000 $ de revenu parental, l’Ontario domine avec 62 %
d’étudiants contre 55 % au Québec.
Des chiffres encore? Parmi les jeunes de 22 ans à travers le Canada, 42 % au Canada
anglais fréquentent l’université alors qu’au Québec ils ne sont que 30 %. Des chiffres
encore? Il en coûte en moyenne 20 404 $ au Canada anglais pour obtenir un diplôme
universitaire alors qu’au Québec le chiffre est de 6504 $.
Depuis onze semaines, les tenants du gel des droits, dont une partie non négligeable
revendique en fait la gratuité totale jusqu’à l’université, nous expliquent que tout dégel
sera catastrophique, socialement criminel, pour les jeunes de milieux défavorisés ou
de la petite classe moyenne qui ne pourront plus espérer voir les portes du haut savoir
s’ouvrir devant eux. Pourquoi l’argent serait-il au Québec la première ou l’unique
explication de la plus faible fréquentation universitaire, alors que nos droits de
scolarité sont les plus bas ?

15
Le Soleil. L élimination des cégeps comme solution. 10 juin 2012.
16
Bombardier. Denise. Contre la médiocrité ambiante …
Personnellement, je ne comprends pas encore comment il se fait que, malgré des frais de
scolarité anémiques, les jeunes québécois obtiennent une diplomation parmi les plus faibles du
Canada! La seule réponse qui me vienne à l’esprit, c’est que les québécois ont quasiment
imprimé dans leurs gènes que ce qui est gratuit ou à très bas prix n’est pas digne de leur intérêt.
En conséquence, augmenter substantiellement les frais de scolarité, quitte à augmenter de
manière équivalente les prêts et bourses d’études, pourrait sembler une réponse sinon
adéquate, du moins pertinente!

10. La formation des maîtres


Il faut d’abord éclaircir un point, au sujet de la formation des maîtres du réseau collégial17.
Puisqu’aucun document officiel ne détermine un profil de compétences à développer
en enseignement au collégial, un portrait a été dressé au Cégep de Jonquière, …
Donc, c’est formel : il n’y a aucune certification de formation à l’enseignement (un certificat, un
bac, un diplôme) pour un enseignant du collégial. On n’indique que ce qui suit18 :
De même qu'on doit prévoir que, d'ici quelques années, les enseignants du
secondaire seront titulaires d'une licence, il conviendra, au niveau de l'institut,
d'exiger, le plus tôt possible, que tous les professeurs possèdent le diplôme d'études
supérieures, et qu'une certaine proportion des enseignants soient titulaires du
doctorat.
D’ailleurs, nulle part dans le rapport Parent il n’est fait allusion à une quelconque formation
spécifique pour enseigner au collégial, contrairement à ce qui est exigé au primaire ou au
secondaire.
Par contre, le rapport Parent énumère de manière quasi exhaustive les diverses formules de
formation qui pourraient être adoptées et que les enseignants (quel que soit leur ordre
d’enseignement) pourraient exploiter19 :
Il faudra surtout donner à un grand nombre d'instituteurs l'occasion de sessions
intensives et de stages pratiques. Dans les circonstances, ces formules de
perfectionnement vaudraient infiniment mieux que les interminables courses de
brevet en brevet dans lesquelles on essouffle actuellement les instituteurs, souvent
sans profit véritable pour ceux-ci ou pour l'instauration de l'école active. On devra
aussi ouvrir les portes de l'université à beaucoup d'instituteurs d'expérience qui ne
demandent pas mieux que de se perfectionner mais que l'enseignement supérieur
repousse, à cause de la rigidité des conditions d'admission. L'année sabbatique devra
être accordée au plus grand nombre possible de maîtres ; elle devrait en conduire un
certain nombre en divers pays, particulièrement en Europe. Les instituteurs se
convaincront de la nécessité de faire équipe : le personnel enseignant d'une école
doit, comme un véritable milieu professionnel, bourdonner d'échanges et de travaux
communs, sur le plan pédagogique comme sur le plan culturel. Les instituteurs seront
à la hauteur de la tâche qui les attend s'ils tendent à évoluer rapidement et

17 http://dpcollegial.sadpcj.ca/.
18
Rapport Parent, Deuxième partie ou tome 2 : Les structures pédagogiques… (1964) paragraphe107.
19
Ibidem. paragraphe 137.
prudemment en se soutenant les uns les autres. L'entreprise ne sera pas facile mais
elle nous paraît susceptible d'enthousiasmer tous ceux qui ont la vocation de
l'enseignement. Pour créer et soutenir l'élan de tous, le ministère devra rechercher la
collaboration très étroite des associations d'instituteurs et leur déléguer le plus de
responsabilités possibles dans l'organisation des sessions et des stages de
perfectionnement. Fins de semaines et périodes de vacances devront être pleinement
exploitées, afin qu'on puisse atteindre graduellement tous les enseignants pour les
aider à réviser leur pédagogie et à évoluer.
Ces diverses formules de perfectionnement n’ont pas connu de vif succès. Notamment pour
deux raisons : la syndicalisation de la profession enseignante qui encadrait de manière rigide
les conditions à respecter pour offrir de telles formations (horaire, durée, thèmes de formation,
rémunération…); la non reconnaissance universitaire de ces formations qui n’ajoutaient rien à
la scolarité (et donc à la rémunération) des enseignants qui les suivaient.
Finalement, concernant la formation des maîtres au niveau collégial, n’eût été du programme
PERFORMA (PERfectionnement et FORmation des Maîtres) initié à l’Université de Sherbrooke
en 1973, la formation des maîtres pour cet ordre d’enseignement aurait été complètement
ignorée jusqu’à ces dernières années, où les universités ont finalement proposé des certificats,
des maîtrises et même des DESS en enseignement collégial.
Personnellement, je m’interroge encore sur les motifs qui ont justifié l’absence totale de
l’exigence d’un diplôme (donc d’une formation) spécifique pour l’enseignement collégial. Alors
qu’au primaire et au secondaire les types de diplômes et d’exigences ont foisonné, le niveau
collégial est demeuré imperméable à tout cela. Est-ce à cause des syndicats qui rejetaient toute
forme d’ingérence dans leurs prérogatives qu’ils jugeaient exclusives, des universités qui ne
s’entendaient pas sur le genre de programmes à élaborer, des divers regroupements
d’enseignants (sciences humaines, sciences pures, arts, etc.) qui croyaient pourvoir assumer
seuls cette formation? Bref, quels que soient les motifs, la formation des maîtres au niveau
collégial laisse à désirer.
Pour ma part, j’ai dirigé pendant 12 ans ce que l’on appelait les « Stages du Lac Trèfle »,
lesquels accueillaient annuellement quelques 300 enseignants pendant l’été, dans cet endroit
de villégiature situé à Saint-Zénon. Créé par l’ancien doyen de la Faculté des Arts de l’Université
de Montréal, ce milieu de stage avait à l’origine, dans les années ’60, accueilli les supérieur.e.s
et directions des services pédagogiques des collèges classiques! Ceinturons rouges et
cornettes étaient nombreux…
À ma connaissance, il n’existe plus semblable initiative de nos jours. Récemment, la Fédération
de l’enseignement privé a mis sur pied un organisme appelé CADRE 21 qui propose des
comités de travail et des formations diverses axés sur l’enseignement au XXIe siècle. Mais tout
cela ne s’adresse pas au niveau collégial. Sans doute que la Fédération des cégeps se
préoccupe de la formation de son personnel, notamment de ses enseignants. Mais l’obtention
d’un diplôme particulier, propre à cet ordre d’enseignement, est encore loin des « cartons » du
ministre!
CONCLUSION
Je dois d’abord remercier Jean-Jacques de m’avoir fourni l’opportunité d’aborder un tel sujet. En
effet, il y a vraiment très longtemps que je souhaitais ramasser mes idées à propos de l’existence
des cégeps. Ce dossier m’a questionné, embarrassé, gêné même. Ça ne m’a pas aidé quand mon
épouse, personne extrêmement éclairée dans le domaine de l’éducation au Québec, a admis que
ses études collégiales n’avaient pas été, et de loin, à la hauteur de ses attentes. Tout cela ne s’est
pas amélioré quand mon propre fils a admis, bien des années après avoir terminé ses études, que
son passage au cégep ne lui avait laissé que de mauvais souvenirs, bien qu’il ait été inscrit dans le
programme de sciences de la nature (son domaine de prédilection).
J’ai été des toutes dernières cohortes des collèges classiques (1966!). J’ai été élève, enseignant,
directeur général, président des anciens, personnalité de l’année (!) d’un établissement bi-centenaire
qui a marqué son époque et qui a fourni à la société québécoise des évêques, des juges, des
députés, des premiers ministres. À ma connaissance, aucun cégep en 67 ans n’en a fait autant! Bien
évidemment …
Ce même collège a également été un des premiers artisans du cégep de sa région. Sans lui, comme
dans bien d’autres endroits, l’implantation d’un établissement d’enseignement collégial aurait été
extrêmement difficile. Grâce à sa générosité, qui n’a d’égal que l’extraordinaire tradition éducative
qu’il a laissée à sa province et à son milieu éducatif, cet établissement séculaire a favorisé l’éclosion
d’un établissement collégial qui a déjà fait ses marques. Ce n’est pas rien. Je reste cependant
persuadé que l’impact de ce collège est carrément beaucoup plus important dans sa région dans les
secteurs professionnels et techniques que dans le domaine général. À ce que je sache, le cégep de
Saint-Hyacinthe a passablement peu d’influence sur l’évolution des programmes universitaires des
universités où ses étudiants sont admis.
À mon sens, c’est le triste legs du rapport Parent : des établissements scolaires à la polyvalence
culturelle reconnue, mais à la qualité de la formation fondamentale limitée !!!

Roger Gauvin. 23 0ctobre 2021

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