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2) Les personnages, comme des doubles du poète : le voleur, le migrant, le voyageur, l'ermite, l'enchanteur (Merlin),
le saltimbanque, le paysan.
Dans certains poèmes, Apollinaire semble se dédoubler, notamment par l’énonciation. Dans le poème « Cortège »
(11) par exemple, on trouve le pronom sujet de première personne « je », le pronom complément « me » et le sujet
de la deuxième personne du singulier « tu » : « Un jour je m’attendais moi-même / Je me disais Guillaume il est temps
que tu viennes / Pour que je sache enfin celui-là que je suis » (v. 20-22). On retrouve ce procédé de dédoublement
dans le poème « Les fiançailles » (35), dans lequel le poète s’adresse à son «ouïe» (v. 12-14): « Monstre de mon ouïe
tu rugis et tu pleures / Le tonnerre te sert de chevelure / Et tes griffes répètent le chant des oiseaux ».
Des figures d’alter ego apparaissent également dans le recueil : le voyageur dans le poème du même nom (« Le
voyageur », 13), mais aussi dans « L’émigrant de Landor Road » (28), qui est à la fois l’étranger, l’émigrant et le
voyageur solitaire, ou encore, indirectement, dans « Hôtels » (40). Dans « Lul de Faltenin » (24), le protagoniste est un
navigateur, comme le montre le champ lexical de la mer et du lointain, un Ulysse (« Sirènes j’ai rampé vers vos /
Grottes […]», v. 1-2) — figure qui apparaît aussi dans « La Chanson du Mal-Aimé » (3, v. 27). On retrouve aussi le
navigateur dans certains poèmes de « Rhénanes » (31), avec le batelier (« Nuit rhénane »).
Dans « Le larron » (22), le voyageur réapparaît, associée à l’étranger ou l’errant (« Qui donc es-tu toi qui nous vins […]?
» v. 53). La forme dialogique de ce poème favorise d’ailleurs un questionnement sur l’identité, l’autre ou le double : le
larron est un interlocuteur, parmi « l’acteur », « le vieillard » et « le chœur »; il est tantôt sujet, tantôt objet.
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« L’ermite » (26) est un autre alter ego du poète, en ce qu’il incarne le solitaire et le pénitent, comme l’est aussi l’errant
ou le noctambule, que l’on rencontre dans « Zone » (1), dans « La chanson du Mal-Aimé » (3) et dans «Vendémiaire»
(42).
Enfin, on peut évoquer le magicien, dans le poème « Merlin et la vieille femme » (20) ou encore, de manière plus
indirecte, dans « La Loreley » (dans « Rhénanes », 31, v. 6).
La figure qui incarne particulièrement le poète est celle du saltimbanque, véritable double ou alter ego d’Apollinaire,
tant elle est présente dans Alcools, notamment dans «Crépuscule» (7), «Saltimbanques» (21), «La tzigane» (25) ou
«Mai» (dans la suite «Rhénanes», 31). Le saltimbanque incarne l’artiste de la modernité, à mi-chemin entre le corps
et l’esprit. Il peut être vu comme un clown, un pitre, dont la pantomime ou les tours sont destinés à divertir le public.
Le saltimbanque incarne aussi l’errance, de même que le vagabond; il interpelle le passant. Il rend présent l’univers
des arts « populaires », l’art de rue, le spectacle forain, le cirque, et fait de la poésie un espace d’inspiration et de
création ouvert sur les autres arts.
Conclusion : dans sa poésie, le poète Apollinaire exprime une quête de soi et tente une renaissance, à travers des
figures de doubles.
3) Les figures féminines dans le recueil : femmes réelles et femmes imaginaires : femme-fée, femme-fleur, femme-
sorcière...
Le recueil Alcools est traversé de références à des femmes réelles de la vie d’Apollinaire, notamment Annie Playden
et Marie Laurencin, que le poète a aimées. C’est le cas des poèmes suivants, comme le suggèrent les titres ou
dédicaces: « Annie » (8), « Crépuscule » (7), dédicacé « À Mademoiselle Marie Laurencin », mais aussi « Marie » (14).
Des figures féminines imaginaires ou symboliques, empruntées au merveilleux des contes ou plus largement à la
littérature, peuplent également le recueil. Renouvelant un topos, Apollinaire associe la féminité à la fleur (« Colchiques
», 4). On trouve également, de manière récurrente, les figures de la sirène (dans « Zone », v. 67, ou encore « Lul de
Faltenin », 24, v. 1), de la fée (dans « Merlin et la vieille femme » : Morgane, v. 32, et Viviane, v. 57) ou de la sorcière
(Carabosse dans « Les sept épées », dans « La Chanson du Mal-Aimé », 3, v. 10). Le poème « La Loreley » (31) réunit
même ces différentes figures (« une sorcière blonde », v. 1; « Ô belle Loreley aux yeux pleins de pierreries / De quel
magicien tiens-tu ta sorcellerie », v. 5-6).
Le double féminin du saltimbanque apparaît également à plusieurs reprises, à travers l’arlequine, dans « Crépuscule »
(7, v. 3), et la tzigane, dans le poème du même titre (25, v. 1).
Enfin, on trouve des figures féminines à mi-chemin entre l’Histoire et la légende, telles que Rosemonde, maîtresse du
roi d’Angleterre qui lui aurait fait édifier un vaste palais labyrinthique (« Rosemonde », 29, et « Palais », 5).
Une dernière figure féminine de l’œuvre est celle de la prostituée, par exemple dans « Zone » : « Ferdine la fausse ou
Léa l’attentive » (v. 147) ou dans « Marizibill » (12), qui peut évoquer la vie nocturne et l’errance du désir.
4) Alcools, un recueil qui est tout entier une "chanson du mal-aimé" ? Les poèmes qui évoquent l'amour (l'échec
amoureux et la désillusion), la mélancolie, la complainte.
Plusieurs poèmes d’Alcools évoquent l’amour, en particulier l’échec amoureux ou le mal d’amour.
D’abord, les suites de poèmes que sont « La Chanson du Mal-Aimé » (3) et « Rhénanes » (31) sont inspirées
par l’amour malheureux pour la jeune gouvernante Annie Playden. Plus précisément, l’épigraphe de « La Chanson du
Mal-Aimé » évoque par la métaphore du phénix la renaissance de l’amour et peut ainsi faire discrètement référence
à l’échec amoureux avec Annie Playden et à la rencontre, ensuite, avec Marie Laurencin en 1907.
Le poète évoque l’amour non réciproque et le mal d’amour dans « Marie »: « Oui je veux vous aimer mais vous
aimer à peine » (v. 9). Il suggère l’idée de séparation amoureuse dans «Le Pont Mirabeau» (2), avec la répétition de
«L’amour s’en va» (v. 13-14), dans «La Chanson du Mal-Aimé», où «L’amour est mort» (v. 11).
Enfin dès le titre de «L’adieu» (17). Apollinaire associe aussi le sentiment amoureux à d’autres thèmes récurrents, tels
que la solitude (« Annie », 8), le topos de la fuite du temps («Le Pont Mirabeau» ; «Le brasier», 30) ou encore la mort
des amants (dans «La Maison des morts», 9, et, de manière plus métaphorique, dans «Les colchiques», 4 : «Et ma vie
pour tes yeux lentement s’empoisonne», v. 7).
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Un certain nombre de poèmes sont donc empreints de mélancolie, par exemple «Le Pont Mirabeau», «Les
colchiques», «Clotilde» (10), dont le cadre est «[…] le jardin / Où dort la mélancolie» (v. 2-3), mais aussi «Marie», «La
blanche neige» (15) ou encore «La tzigane» (25). Certains poèmes d’amour sont proches de la complainte, par leurs
effets lancinants et leur tonalité élégiaque, par exemple «Le Pont Mirabeau» (2), avec son refrain «Vienne la nuit
sonne l’heure / Les jours s’en vont je demeure» (v. 5-6, 11-12, 17-18, 23-24), ou encore «Marie», avec le thème de la
fête populaire, le topos de la fuite du temps et les effets d’échos ou répétitions.
6) La liberté formelle du recueil : formes poétiques, types de vers, comment Apollinaire utilise le vers libre. Effets
de l'absence de ponctuation.
Les formes poétiques du recueil témoignent de sa grande liberté formelle. L’alternance entre vers libres et
versification plus traditionnelle est un signe de la modernité et de l’originalité d’Alcools. « Crépuscule » (7) et « Mai »
(31) par exemple sont des poèmes versifiés, aux vers comptés et rimés (quatrains d’octosyllabes pour le premier,
quatrains d’alexandrins pour le second). Au contraire, le premier poème du recueil (« Zone », p. 11) et le dernier
(« Vendémiaire ») sont en vers libres.
Apollinaire travaille le vers libre dans le sens d’une disposition libre et originale, libérée de l’organisation
strophique. « Zone », par exemple, est composé à la fois de vers isolés (v. 106, 107 ou 108) et de groupes de vers,
avec des vers particulièrement longs (v. 82) et d’autres extrêmement courts (« Adieu Adieu », v. 154). D’autres
poèmes versifiés font l’objet d’expérimentations formelles, par exemple un poème réduit à un vers (« Chantre », 6)
ou encore un poème composé de quatrains d’octosyllabes, à l’exception d’un vers, qui est un alexandrin («Marie», v.
9).
Enfin, la suppression systématique de toute ponctuation est un autre trait majeur de la modernité poétique
d’Alcools : aucun point, aucune virgule, ni parenthèse, ni guillemet. À l’époque d’Apollinaire, ce choix stylistique est
résolument novateur et moderne. Il crée un effet de fluidité et de mouvement, restituant le flux de la pensée et de
l’imagination, pour une parole libre de toute entrave. Parfois, cette absence de ponctuation crée des effets de sens,
puisque les mots peuvent s’associer librement. Pour un exemple de l’ambiguïté liée au retrait de la ponctuation dans
le recueil, le cas du poème « Le Pont Mirabeau » (2) est significatif avec le vers « Et nos amours » (v. 2).
7) Thèmes de l'alcool et de l'ivresse : une expérience personnelle et une expérimentation poétique. Ivresse de la
création et soif d'un renouveau poétique.
Le thème de l’ivresse et de l’alcool est annoncé dès le titre du recueil : Alcools. Il s’agit en fait du second
choix d’Apollinaire : en 1910, il avait d’abord pensé au titre Eau de vie qui sera par la suite délaissé au profit
d’Alcools. Le recueil présente un certain nombre de références littérales à l’alcool et à l’ivresse, notamment dans les
poèmes « Zone », « Vendémiaire » et la section « Rhénanes » (31). Le poète y évoque en effet les tavernes,
brasseries, auberges et caveaux des villes de Paris, de Munich ou de Cologne, ou encore les vignes rhénanes. Des
images poétiques liées à l’alcool créent une sorte de leitmotiv de l’ivresse tout au long du recueil, dès le poème
liminaire et jusqu’au poème de clôture.
L’alcool et l’ivresse peuvent faire écho à l’expérience personnelle du poète. Il s’agit par l’alcool de s’étourdir
et de se griser de la vie moderne, d’où l’association des thèmes de l’alcool à celui de la ville et de la vie nocturne,
comme dans « Zone » et dans « Vendémiaire ». Ce dernier est en effet dédié à septembre, mois des vendanges, et à
Paris, associé à la recherche de l’ivresse : « Que Paris était beau à la fin de septembre » (v. 5), « déjà ivre dans la
vigne Paris / Vendangeait [...] », v. 19-20). La soif suggère aussi le désir de consommer la vie : dans « Zone », l’alcool
est assimilé à la vie même (« Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie / Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie »,
v. 148-149).
Enfin, le thème de l’ébriété, par sa récurrence et ses associations, révèle peu à peu une vision et une
expérimentation de la poésie. En effet, l’alcool et la poésie se confondent dans leur intensité, dans leur quête d’un
paroxysme : « Je suis ivre d’avoir bu tout l’univers» («Vendémiaire», v. 167). Par « la gorge » ou le « gosier », dans sa
double dimension concrète et symbolique, s’expriment à la fois la soif, le désir de vivre et de chanter : « J’ai soif
villes de France et d’Europe et du monde / Venez toutes couler dans ma gorge profonde » (v. 17-18). Le poète
semble renouveler le thème antique de l’ivresse dionysiaque, en l’associant à l’inspiration poétique, à
l’enthousiasme et à la création : « Écoutez-moi je suis le gosier de Paris / Et je boirai encore s’il me plaît l’univers »
(v. 169-170). Par le jeu des signifiants (le verre de vin / le vers poétique), on peut relire le poème « Nuit rhénane »
dans cette perspective: « Mon verre est plein d’un vin trembleur comme une flamme / [...] / Mon verre s’est brisé
comme un éclat de rire » (v. 1 et v. 13). Alcools exprime ainsi la soif d’un renouveau poétique et l’ivresse de la
création.
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