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Jérôme Proulx
Université du Québec à Montréal
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Chroniques: fondements et épistémologie de l'activité mathématique / fondations and epistemology of mathematical activity View project
Epistemological issues and/in mathematics education / Épistémologie et/en didactique des mathématiques View project
All content following this page was uploaded by Jérôme Proulx on 30 December 2019.
C
par Jérôme Proulx
Ainsi, tant sur le plan individuel que pour la domaine inaccessible. L’important est de nous aident à apprendre. De plus, ces erreurs
classe, il y a donc à la fois un intérêt pour un demeurer dans le monde de l’utile, du com- nous font mieux comprendre les notions,
enseignant de diversifier ses façons de dire et patible et de la création de sens. justement parce que nous avons déjà commis
de faire pour proposer plusieurs angles et une erreur dans ce contexte – un peu comme
approches possibles, et un intérêt à répéter Ce n’est donc pas un rejet du concept de lorsqu’on affirme connaître les routes de la
pour arriver à clarifier les propos et les con- vérité des connaissances (le constructivisme nouvelle ville dans laquelle nous habitons
cepts. Il faut noter la nuance : la répétition ne fait qu’affirmer notre impossibilité d’y parce que nous nous sommes trompés à
n’est pas mauvaise en soi, et personne ne accéder), mais plutôt une insistance sur le fait maintes reprises auparavant. Toutefois, en
pourrait le nier, mais elle n’est toutefois pas que l’accès unique au monde d’expérience enseignement, ce n’est pas le cas que l’on
garante de résultats, ni d’ailleurs le fait implique que nous pouvons demeurer sans souhaite que les élèves se trompent ni que
d’utiliser des approches diverses; ce sont là problème dans le monde de l’utilité et de la l’on ne veuille corriger les erreurs lorsqu’elles
des stratégies et non des remèdes. En plus création de sens en tout temps, les connais- se produisent, bien au contraire. Par contre, il
des diverses approches et de l’importance de sances étant des clés qui permettent d’ouvrir est possible d’apprendre à les comprendre
clarifier et de redire, il y a aussi l’emploi des des portes. On se centre ici sur l’utilité et la pour peut-être les éviter et à l’avenir les
métaphores pour expliquer, des caricatures fonctionnalité des connaissances et non sur prévoir, pour en tirer profit et mieux com-
pour simplifier ou préciser un point, des leur « existence » en soi. prendre les notions travaillées, pour voir la
nuances pour enrichir, etc. différence entre l’erreur commise et la bonne
réponse, etc. En fait, un constructiviste
En fait, le constructivisme offre une concep- affirmera qu’il n’y a pas grand-chose à tirer
tion différente de la communication. d’un enseignant qui, lorsqu’une erreur
Différente, en effet, puisqu’il y a une recon- survient, dira uniquement que cela n’est pas
naissance explicite de la présence d’un récep- bon et qu’il faut plutôt faire « ainsi » (dans
teur (et non uniquement de celle d’un une intention de transfert direct).
émetteur) et de son rôle fondamental dans la
compréhension de ce qui est dit. Cela a Encore une fois, on pourrait affirmer qu’il est
évidemment un effet sur la position de impossible d’agir ainsi avec un groupe de 30,
l’émetteur (ici, si on veut, l’enseignant5) dans mais l’idée réside autant dans la possibilité de
ses façons de dire, de faire, d’écouter, etc. On le faire individuellement avec chaque élève
s’éloigne donc énormément des « recettes (selon la situation), que dans celle de le faire
miracles » et on s’approche davantage des avec l’ensemble de la classe, c’est-à-dire de
« tentatives » que l’on croit porteuses de tirer profit des erreurs commises par les
Photo : Denis Garon
résultats. Il y a donc, dans cette considération élèves lorsqu’elles se manifestent dans leurs
du récepteur (ici, l’élève), une double prise commentaires, dans les questions posées ou
en compte : une prise de conscience du rôle les réponses, dans l’explication de solutions,
des connaissances antérieures pour l’ap- etc.
prenant (dans la réception et la compréhen-
sion du message) et une attention portée aux Le traitement de l’erreur Intérêt envers la créativité
mots utilisés, une prise en compte dans L’erreur a une place importante pour un ou l’invention
l’action et une importance accordée à l’action constructiviste. Évidemment, il ne s’agit pas Dans la perspective où on laisse place à l’er-
effectuée. d’entraîner les élèves dans l’erreur, de les reur (dans le sens où elle n’est pas vue
« mêler », de les empêcher de réussir ou de comme une défaillance) et où les connais-
L’existence indépendante les blesser en faisant ressortir publiquement sances sont utiles et fonctionnelles pour arri-
des connaissances leurs erreurs, loin de là. Toutefois, lorsque ver à mieux comprendre les notions et à leur
Affirmer que la seule chose à laquelle nous des erreurs se produisent – et cela arrive! – le donner du sens, on s’intéresse à la produc-
avons accès est notre monde expérientiel constructiviste y voit une source potentielle et tion des connaissances des élèves. En effet,
nous permet de nous éloigner des questions riche pour l’avancée des connaissances et l’intérêt devient non seulement de reproduire
de « vérités absolues » des connaissances; pour l’apprentissage. L’erreur n’est pas vue ce qui a déjà été fait et ce qui est standardisé,
cela devient en quelque sorte secondaire. On de façon négative, comme une « défaillance » mais aussi de permettre la créativité ou
s’intéresse davantage à l’utilité – et non à la de l’apprenant; elle est perçue comme faisant l’« invention » chez les élèves. Et ici, j’utilise le
vérité – des connaissances. Cela ne dit pas naturellement partie du processus d’appren- mot « création » dans le sens que lui donne
que les connaissances peuvent être fausses, tissage. Jalongo (1991), à savoir l’habileté de produire
mais plutôt que l’idée de savoir si les connais- de nouvelles idées par la recombinaison ou la
sances sont parfaites (celles des élèves, des Nos erreurs nous informent beaucoup sur juxtaposition d’éléments existants. Ce n’est
enseignants, des manuels, des programmes, notre processus d’apprentissage et nous per- donc pas de vouloir que les élèves réinven-
des mathématiciens, des scientifiques, etc. – mettent de mieux comprendre les notions tent la roue, bien entendu, mais on serait
de tous, en fait) devient secondaire et d’un abordées; souvent elles nous éclairent et peut-être intéressé à sa réinvention possible,
c’est-à-dire que l’on manifestera une ouver- ment devient directement influencé par
ture envers le développement et la produc- l’apprentissage qu’il fait. On s’éloigne du but
tion de connaissances chez les élèves. Ces unique d’enseigner les notions au sens de
derniers arrivent souvent à créer de nouvelles seulement les expliquer, et on s’intéresse
façons de voir et de faire, ils remettent sou- aussi à les faire apprendre. C’est donc le
vent en question des éléments que nous processus d’apprentissage de l’élève qui est
tenons pour acquis, ils simplifient plusieurs la porte d’entrée, et non l’élève lui-même.
choses, etc.6 On s’intéressera donc à ces pro- Sans vouloir entrer dans la critique, cette
ductions, ces constructions et ces réappro- démarche ne réclame pas une pédagogie
priations des connaissances par les élèves centrée sur l’élève (student-centred) ou cen-
ainsi qu’à leur façon, souvent inusitée, de trée sur l’enseignant (teacher-centred), mais
tirer parti des connaissances déjà établies et plutôt un recadrage implicite qui s’appuie sur
standardisées (Désautels et Larochelle 2004). le processus même d’apprentissage chez
l’élève (la façon dont les notions pourraient
La nuance ici ne se situe pas dans le fait que être apprises ou comprises) : une sorte de
Remerciements Références bibliographiques 1 Voir les éditions du 23 février, du 16 mars et des 12, 14
Je tiens à remercier les étudiants du cours de DAVIS, B. et D. SUMARA. « Why aren’t they getting this? et 31 mai 2005.
Working through the regressive myths of constructivist 2 Dans le présent article, je prends essentiellement
maîtrise MAT 7195, que j’ai donné à pedagogy », Teaching Education, vol. 14, no 2, 2003, p. appui sur les écrits de Ernst von Glasersfeld et Jean
l’Université du Québec à Montréal à la ses- 123-140. Piaget. La raison en est fort simple : Glasersfeld est
sion d’été 2005, au cours duquel plusieurs de DEACON, T. The symbolic species : The co-evolution of l’auteur qui a promu la théorie piagétienne pour
language and the human brain, New York, W.W. Norton, l’éducation et il représente donc un des auteurs à la
ces idées ont été travaillées. Je remercie aussi 1997. base du constructivisme en éducation.
la professeure Marie Larochelle pour ses judi- DÉSAUTELS, J. et M. LAROCHELLE. « Les programmes 3 Même si la discussion se rapporte ici au contexte sco-
cieux commentaires lors de la lecture d’une d’études à l’heure du constructivisme et du socio- laire, les intérêts du constructivisme radical sont beau-
constructivisme : quelques réflexions », dans P. coup plus larges que cela et ne peuvent être réduits
version préliminaire de l’article. JONNAERT et A. M’BATIKA, Regards croisés sur les uniquement à l’apprentissage en contexte scolaire. Le
réformes des programmes d’études, Montréal, Presses constructivisme radical concerne les apprentissages
M. Jérôme Proulx complète actuellement de l’Université du Québec, 2004, p. 49-67. en général dans la vie – qu’ils soient faits à l’école, au
GLASERSFELD, E. VON. « Introduction à un construc- travail ou dans la vie de tous les jours.
un doctorat en éducation à l’Université tivisme radical », dans P. JONNAERT et D. MASCIOTRA, 4 Ce terme est difficile et très critiqué. Les construc-
d’Alberta. À compter de janvier 2007, il Constructivisme, choix contemporains – Hommage à tivistes vont souvent se prononcer contre l’idée de
sera professeur à la Faculté d’éducation de Ernst von Glasersfeld, Québec, Presses de l’Université du « découverte », mais ces critiques sont quelquefois mal
Québec, 2004, p. 11-36. comprises et associées au fait que les constructivistes
l’Université d’Ottawa. GLASERSFELD, E. VON. « Pourquoi le constructivisme disent que nous construisons tout à partir de zéro et
doit-il être radical? », Revue des sciences de l’éducation, que tout est invention et même illusion. Toutefois, ils
vol. 20, no 1, 1994, p. 21-27. ne font qu’affirmer que nous ne découvrons pas un
GLASERSFELD, E. VON. Radical constructivism : A way of monde qui serait indépendant de notre monde
Knowing and Learning, London and Washington, Falmer d’expérience.
Press, 1995. 5 Ce qui n’implique aucunement que l’enseignant soit la
GLASERSFELD, E. VON. « Constructivisme radical et seule personne qui communique en classe et qu’il
enseignement », Revue canadienne de l’enseignement représente le seul émetteur et les élèves les seuls
des sciences, des mathématiques et des technologies, récepteurs. J’utilise cette façon de dire parce que le
vol. 1, no 2, 2001, p. 211-222. présent article s’intéresse à l’enseignement et les
JALONGO, M. R. Creating learning communities : The retombées pour les enseignants – ce qui ne nie pas le
role of the teacher in the 21st century. Bloomington, IN, fait qu’en classe, les élèves communiquent et devien-
National Education Service, 1991. nent des émetteurs à leur tour.
LERMAN, S. « Intersubjectivity in mathematics learning : 6 À titre d’exemple, les enfants jouent souvent un rôle
A challenge to the radical constructivist paradigm? », des plus importants dans l’évolution de la langue
Journal of Research in Mathematics Education, vol. 27, (Deacon 1997).
no 2, p. 133-150. 7 Il est intéressant de noter que les mots « implication »
TOBIN, K. Constructivism, teaching and research on et « implicite » possèdent la même racine éty-
teaching, communication présentée à la rencontre mologique, implicare, qui signifie « plier dans, entor-
annuelle du National Council of Social Studies, Nashville, tiller, emmêler »; ce qui souligne d’autant plus le
TN, novembre 1993. caractère subtil et nuancé des causes, qui ne se veu-
lent pas directes ou explicites, mais plutôt implicites,
emmêlées, entortillées, etc., à l’intérieur du phéno-
mène en question.