Vous êtes sur la page 1sur 8

DU WELFARE AU COMMONFARE

Sortir de la crise de la dette par le haut

Carlo Vercellone

Association EcoRev' | « EcoRev' »

2012/1 N° 39 | pages 50 à 56
ISSN 1628-6391
DOI 10.3917/ecorev.039.0050
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
© Association EcoRev' | Téléchargé le 05/01/2022 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)

© Association EcoRev' | Téléchargé le 05/01/2022 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)
https://www.cairn.info/revue-ecorev-2012-1-page-50.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Association EcoRev'.


© Association EcoRev'. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


Du Welfare
au Commonfare
Sortir de la crise
de la dette par le haut
Carlo Vercellone

Maître de Conférences en économie à l’Université de Paris Panthéon Sorbonne,


Carlo Vercellone replace la question du Commun dans le contexte de la crise financière
actuelle. Aux prises avec les politiques néolibérales de démantèlement du Welfare State et
la logique rentière et prédatrice d’un capitalisme cognitif financiarisé, le Commun est
© Association EcoRev' | Téléchargé le 05/01/2022 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)

© Association EcoRev' | Téléchargé le 05/01/2022 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)
présenté comme une solution politique alternative pour l’organisation et la production de
biens et de services collectifs. Une solution qui rappelle combien la crise économique
actuelle sape les processus démocratiques de décision, de gestion et de contrôle fondateurs
de la vie sociale et collective.

L a crise de la dette peut s’interpréter comme


une contradiction structurelle entre la
luttes au sein même du développement du
capitalisme et qui, en tant que tel, dessine
logique rentière du capitalisme cognitif et les termes d’une alternative radicale.
les conditions sociales à la base d’une
économie fondée sur la connaissance et D’une part, face à des tendances stagna-
les productions de l’homme par l’homme. tionnistes de plus en plus prononcées
Au centre de cette contradiction se trouve avant même l’éclatement de la crise, la
le système du Welfare-State qui, dans son colonisation des institutions du Welfare
double aspect indissociable de mode de constitue l’une des dernières frontières à
production et de distribution de la richesse, une possible extension de l’emprise de la
constitue la cible principale des politiques finance et des rapports marchands. Plus
d’austérité et de libéralisation réclamées encore, son internalisation de la part du
par les marchés financiers et la célèbre capital se présente comme une condition
Troïka (FMI, BCE et Commission de essentielle du contrôle bio-politique de la
Bruxelles). population mais aussi de l’orientation
Loin d’être un simple coût, institutions et d’une économie fondée sur la connais-
services non marchands du Welfare repré- sance.
sentent en fait la force productive première
permettant le développement de cette De l’autre, le système de Welfare contient
économie fondée sur la connaissance dont aussi in nuce la possibilité d’évoluer vers
se nourrit le capitalisme cognitif et finan- un mode de développement alternatif
ciarisé. Sur ce plan, le système de Welfare fondé sur la logique du commun et ce tant
apparaît sur bien des aspects comme une pour ce qui concerne les normes de
sorte d’"extérieur" au capital, mais d’un production et de consommation que celles
extérieur construit historiquement par les de la répartition.

- p.50 -
DU WELFARE AU COMMONFARE - SORTIR DE LA CRISE DE LA DETTE PAR LE HAUT

Le Commun, cible d’un modèle rentier collectives à la base de la reproduction


d’accumulation par dépossession d’une économie fondée sur le savoir et sa
diffusion.
Dans un contexte exacerbé par l’approfon-
dissement de la crise, il se dessine ainsi Nous avons là – portée par la crise actuelle
une alternative entre deux modèles à son paroxysme – l’une des expressions
opposés de société et de régulation d’une les plus claires du paradoxe propre à la
économie fondée sur la connaissance. logique rentière du capitalisme cognitif et
financiarisé, un paradoxe qui pourrait le
Le premier peut être qualifié de modèle conduire de manière endogène, s’il suit
rentier d’accumulation par dépossession et jusqu’au bout sa pulsion prédatrice, au
expropriation du commun. Il correspond à bord de l’autodestruction. En effet, la
l’accentuation des politiques néolibérales tentative de s’assurer un prélèvement
d’austérité et de démantèlement du maximal de valeur dans le court terme
Welfare, sous l’égide du pouvoir de la rente repose sur une déstructuration progressive
et d’une hybridation de plus en plus des leviers de la croissance sur laquelle ce
prononcée des logiques du public et du même prélèvement rentier peut s’opérer et
privé, comme en témoignent la mise en se renouveler au fil du temps. (1) Nous
œuvre des principes du New Public avons là aussi – bien que pour une cause
© Association EcoRev' | Téléchargé le 05/01/2022 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)

© Association EcoRev' | Téléchargé le 05/01/2022 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)
Management ou encore les critères des opposée à celle suggérée par le célèbre
politiques de sauvetage et de recapitali- article de Hardin – ce que nous pouvons
sation sans conditions dont a bénéficié le appeler la nouvelle "tragédie des
système bancaire. Notons pourtant que ce Commons" provoquée par la dynamique
régime "d’accumulation par dépossession" du capitalisme cognitif et financiarisé,
et le mode de régulation sur lequel il tragédie des Commons qui – il ne faut pas
repose, se heurte à des contradictions l’oublier – se double de celle des anti-
majeures. Sur le plan de la gestion macro commons liée à la privatisation de la
de court terme de la crise, il accentue les connaissance.
tendances stagnationnistes des économies
de l’UE avec pour résultat celui de creuser La logique dévastatrice de ce modèle recèle
davantage, au lieu de les réduire, les pourtant un élément en quelque sorte
déficits et la dette des Etats et partant, le positif : ce régime d’accumulation n’est ni
risque d’une crise simultanée d’insolvabilité économiquement ni socialement viable et
des Etats et du système bancaire. Sur le devient de plus en plus, au sens de
moyen-long terme, le démantèlement des Gramsci, un pur système de coercition
institutions et des services du Welfare dépourvu de tout élément d’hégémonie
risque aussi et surtout d’éroder les ressorts véritable.
les plus essentiels de la croissance et de la
compétitivité. Certes, l’extension de la Plus encore, ce modèle pourrait même
logique marchande dans ces secteurs est imploser assez rapidement bien avant
théoriquement possible. Toutefois santé, d’avoir porté à terme son entreprise
éducation, recherche etc. constituent des d’expropriation du commun et des condi-
activités qui ne peuvent être soumises à la tions sociales et institutionnelles d’une
rationalité économique du capital sinon au économie fondée sur la connaissance. La
prix d’un rationnement des ressources, raison en est que la dette que la finance
d’inégalités sociales profondes et prétend combattre, est en réalité l’un des
finalement d’une baisse drastique de l’effi- piliers structurels de sa logique de valori-
cacité sociale de ces productions, ce qui sation et du contrôle biopolitique qu’elle
risquerait à terme de saper les conditions exerce sur la société.

- p.51 -
U NE ÉCONOMIE DU COMMUN ?

Le pouvoir de la finance ne peut pas se (pensé à tort comme le seul secteur


reproduire sans créer les conditions d’un producteur de richesse). Dépenses et
endettement généralisé, qu’il s’agisse des services collectifs du Welfare devraient être
institutions financières, des Etats, des en revanche considérés comme les facteurs
ménages, des étudiants etc. Nous avons là moteurs d’une économie intensive en
une logique aveugle et autoréférentielle du connaissance et des investissements
pouvoir de la finance qui poussée à son productifs qui par leur propre activité
paroxysme en constitue aussi la limite engendrent une richesse monétaire non
structurelle. marchande "qui n’est pas détournée mais
C’est pourquoi il devient plus que jamais directement produite" (Harribey, 2004).
nécessaire d’essayer de comprendre la Pour mieux comprendre cette affirmation, il
manière dont le concept de Commun peut faut prolonger le raisonnement qui avait
nous aider à penser les piliers d’un autre conduit à se débarrasser de l’idée selon
mode de développement (2). Dans cette laquelle l’investissement présuppose l’accu-
perspective, il est possible d’ébaucher mulation d’une épargne préalable, et ce
quelques pistes de réflexion concernant ce justement grâce à la création monétaire
que l’on pourrait appeler un modèle de par le crédit (3). Autrement dit, il faut
Common-fare fondé sur la réappropriation considérer que les dépenses et les inves-
démocratique du Welfare-State et la re- tissements sociaux du Welfare ne font en
© Association EcoRev' | Téléchargé le 05/01/2022 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)

© Association EcoRev' | Téléchargé le 05/01/2022 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)
socialisation de la monnaie et du crédit. réalité qu’anticiper et ante-valider la
création d’une richesse non marchande
Le Commonfare, matrice politique d’un produite pour satisfaire des besoins
mode de développement alternatif collectifs dont l’impôt sera après-coup la
contrepartie, ou si l’on veut le prix
Trois axes principaux pourraient en collectif (4).
constituer l’ossature et poser les jalons de
ce mode de développement alternatif. … et promouvoir des formes démocratiques
d’auto-gestion de la production
Reconnaître les services collectifs non
marchands comme une activité productive… Ce point, bien évidemment, renvoie à deux
autres questions essentielles pour penser le
Le premier axe renvoie à la priorité donnée passage du public au commun : la question
à l’investissement dans les services plus générale de la socialisation de l’inves-
collectifs non marchands et les productions tissement et de la monnaie sur laquelle
de l’homme par l’homme qui assurent qui nous reviendrons en conclusion de cette
assurent en même temps la satisfaction contribution  ; la question des modes de
des besoins essentiels, la reproduction gestions et d’organisation permettant une
d’une économie fondée sur la connaissance véritable réappropriation démocratique des
et un modèle de développement socia- institutions du Welfare.
lement et écologiquement soutenable. La
mise en place de ce modèle implique bien Il est essentiel de noter à ce dernier propos
évidemment la remise en cause du que les productions de l’homme par
paradigme dominant selon lequel les l’homme constituent aussi un gisement
dépenses et les services collectifs du d’emploi à haute qualification dans des
Welfare représenteraient exclusivement un activités où la dimension cognitive et
coût dont le financement dépendrait d’une relationnelle du travail est dominante. Les
ponction effectuée, via les prélèvements productions de l’homme par l’homme sont
obligatoires, sur la valeur et la plus-value en somme toujours, presque par définition,
créées par le secteur privée marchand une co-production de services.

- p.52 -
DU WELFARE AU COMMONFARE - SORTIR DE LA CRISE DE LA DETTE PAR LE HAUT

Dans ce cadre, il est alors possible d’envi- repose sur la critique de la conception
sager, tant sur le plan de l’organisation du naturaliste propre à une grande partie de la
travail que des finalités sociales de la théorie économique des biens communs.
production, le développement de formes
démocratiques et inédites d’auto-organi- Une institution du commun donc, car le
sation de la production impliquant RSG ne relève pas de la sphère publique
étroitement les usagers, et ce selon un mais, correspond "en fin de compte, à la
modèle qui pourrait s’étendre progressi- mise en commun d'une partie de ce qui est
vement aux autres secteurs et activités produit en commun, délibérément ou non"
économiques. Nous avons là – comme en (Gorz, 2003, p. 101) et cela en dehors de
témoignent les récents mouvements d’auto- toute logique contributive qui rechercherait
gestion d’hôpitaux en Grece et en Espagne, un rapport de mesure et proportionnalité
par exemple - un champ d’expérimentation entre effort individuel et droit au revenu.
fondamental afin de penser le mode de Un revenu primaire car la proposition du
production du commun sur la base d’une RSG comme institution du Commun repose
rupture radicale avec les principes de la sur un réexamen et une extension de la
privatisation de la connaissance et du New notion de travail productif menée d’un
Public management qui combine aujour- double point de vue (Monnier et Vercellone,
d’hui ce qu’il y a de pire dans la logique 2007).
© Association EcoRev' | Téléchargé le 05/01/2022 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)

© Association EcoRev' | Téléchargé le 05/01/2022 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)
bureaucratique du public et dans celle du
résultat quantifié et de la productivité débit Le premier a trait au concept de travail
du privé. productif, conçu selon la tradition
dominante au sein de l’économie politique,
Mettre en place un Revenu Social Garanti comme le travail qui engendre un profit. Il
s’agit là du constat selon lequel nous
Le deuxième axe reposerait, lui, sur le assistons aujourd’hui à une extension
renforcement de la logique du salaire importante des temps de travail, hors
socialisé au moyen de l’extension de journée officielle du travail, qui sont direc-
formes d’accès à un revenu garanti fondées tement ou indirectement impliqués dans la
sur des droits objectifs et une logique formation de la valeur captée par les entre-
opposée à celle de la dépendance écono- prises. Le RSG, en tant que salaire social,
mique et subjective façonnée par la dette. correspondrait, de ce point de vue, à la
Dans cette perspective, à terme, la mise en rémunération collective de cette dimension
place d’un véritable Salaire ou Revenu de plus en plus collective d’une activité
Social Garanti (RSG) inconditionnel et créatrice de valeur qui s’étend sur
indépendant de l’emploi pourrait s’inscrire. l’ensemble des temps sociaux en donnant
lieu à une énorme masse de travail non
Ce revenu de base pourrait se présenter reconnue et non rétribuée.
comme étant à la fois une institution du
commun et un revenu primaire pour les Le second point de vue renvoie, lui, au
individus, c’est-à-dire un revenu résultant concept de travail productif pensé comme
directement de la production et non de la le travail producteur de valeurs d’usage,
redistribution. Il importe de remarquer que source d’une richesse échappant à la
ces deux dimensions, revenu primaire et logique marchande et du travail salarié
institution du Commun, sont par ailleurs subordonné. Il s’agit en somme d’affirmer
étroitement imbriquées. En effet notre que le travail peut être improductif de
approche du Commun, au singulier, se capital tout en étant productif de richesses
fonde historiquement sur le caractère de et partant, trouver sa contrepartie dans un
plus en plus social et cognitif du travail et revenu.

- p.53 -
U NE ÉCONOMIE DU COMMUN ?

C'est par ailleurs déjà le cas, d'un point de l’instar des dépenses et des services
vue strictement théorique, pour les activités collectifs du Welfare, l’essor d’un mode de
réalisées au sein des services publics non développement fondé sur la primauté du
marchands qui produisent de la richesse et non marchand et des formes de coopé-
non de la valeur (marchande). Le caractère ration alternatives aussi bien au public
inconditionnel du RSG se distingue qu’au marché dans leurs principes d’orga-
cependant, de manière radicale, du salaire nisation.
versé aux travailleurs de ces services car il
ne se fonde ni sur un travail dépendant, ni Socialiser la monnaie et le système de
n'implique de la part des bénéficiaires une crédit
quelconque démonstration de l'utilité
sociale de leur activité. Il présuppose la Enfin – et c’est le troisième axe – il est
reconnaissance d’une activité créatrice de impossible de nier que, s’il est une fonction
richesses et d’une coopération productive dans laquelle la finance n’est pas parasi-
qui se développent en amont et de manière taire c’est celle du pilotage de
autonome par rapport à la logique adminis- l’accumulation et de l’allocation du capital,
trative de la sphère publique et à la logique voire même, et d’une manière de plus en
de la rentabilité marchande du privé. plus explicite et directe, celle d’un véritable
Notons aussi le rapport à la fois d’antago- pouvoir qui à travers ses institutions, ses
© Association EcoRev' | Téléchargé le 05/01/2022 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)

© Association EcoRev' | Téléchargé le 05/01/2022 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)
nisme et de complémentarité que ces deux agences de notation et ses fonctionnaires
formes contradictoires de travail productif publics détermine et gère l’orientation des
entretiennent dans le développement du politiques économiques. C’est pourquoi
capitalisme cognitif. L’expansion du travail aucune alternative n’est véritablement
libre va en fait de pair avec sa subordi- envisageable sans remettre en cause, en
nation au travail social producteur de même temps que la dette illégitime, cette
valeur en raison même des tendances qui fonction de coordination et de planification
poussent vers un brouillage de la économique assurée par la finance.
séparation entre travail et non travail, Nous avons là l’un des enjeux fonda-
sphère de la production et sphère de la mentaux des luttes autour de la question
consommation et de la reproduction de la de la dette et de son annulation. La
force de travail. La question posée par le question qui se pose est ici alors celle de
RSG reste donc non seulement celle de la penser la resocialisation de la monnaie et
reconnaissance de cette deuxième du système de crédit et, au delà, celle de
dimension du travail productif, mais aussi penser la monnaie comme un véritable bien
et surtout celle de son émancipation de la commun, c'est-à-dire comme une
sphère de la production de valeur et de construction sociale appartenant de
plus-value. En ce sens, l’atténuation de la manière indivisible à la communauté
contrainte au rapport salarial autorisée par politique qui en fait usage (Aglietta, 2008)
le RSG constitueraient une condition clé et qui donc doit dicter les règles de son
pour permettre au travail cognitif de se fonctionnement et ses finalités, en
réapproprier de la maîtrise de son temps de empêchant aussi bien son appropriation
vie et d’utiliser le temps et l’énergie unilatérale par la logique du privé que par
psychiques ainsi libérées dans le dévelop- celle du pouvoir de l’Etat.
pement des diverses formes de production Pour contribuer à ouvrir le débat sur ce
du commun. Finalement, le RSG se sujet crucial, nous nous bornerons ici à
présente à la fois comme une institution du quelques remarques préliminaires sur deux
commun, un revenu primaire pour les problématiques clé et étroitement imbri-
individus et un investissement collectif de quées.
la société dans le savoir permettant, à

- p.54 -
DU WELFARE AU COMMONFARE - SORTIR DE LA CRISE DE LA DETTE PAR LE HAUT

La première concerne la nécessité de aussi bien la France que l’Italie, à l’âge


rompre avec le principe de la soi-disant fordiste. Par rapport au régime actuel de
autonomie de la Banque Centrale privatisation de la monnaie, sa re-mise en
Européenne (BCE), indépendance qui, en place présenterait d’indiscutables
réalité, ne correspond qu’à une constitu- avantages, dont celui de rendre à nouveau
tionnalisation du pouvoir de la finance et possible une resocialisation partielle et
une quasi privatisation de fait de la indirecte de la monnaie à travers la monéti-
création de monnaie. Pour ce faire, un sation étatique des conflits sociaux.
premier pas indispensable consisterait dans Toutefois, ce modèle contient aussi en son
le rétablissement de mécanismes keyné- sein un ensemble de risques inhérents à
siens subordonnant la politique monétaire une autonomisation de la logique du
au pouvoir politique exprimé par une pouvoir publique par rapport à une gestion
communauté démocratique. C’est une démocratique de la monnaie comme bien
condition essentielle pour permettre, y commun. Il s’agit, par exemple, de la
compris face à l’urgence de la crise, la tentation de sélectionner le crédit en
monétisation des déficits publics et le fonction de critères de type clientéliste, ou
financement hors-marché de l’essentiel de celle d’un mimétisme par rapport aux
la dette publique, en la soustrayant à l’arbi- normes de gouvernance et de rentabilité
trage des marchés. En effet seule la financière du privé, comme en témoignent,
© Association EcoRev' | Téléchargé le 05/01/2022 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)

© Association EcoRev' | Téléchargé le 05/01/2022 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)
puissance quasi-illimitée de création pour ne citer qu’un cas bien connu, les
monétaire de la BCE permettrait de juguler déboires du Crédit Lyonnais en France.
la spéculation, tout en assurant à long
terme le financement des investissements Consciente aussi de ces risques, la seconde
collectifs nécessaires à la mise en place orientation correspond sur bien des aspects
d’un mode de développement fondé sur le à ce que Frédéric Lordon (2009) appelle la
Commonfare et la reconversion écologique "communalisation" du système bancaire.
de nos systèmes productifs. Cette orientation tout en prônant une dépri-
vatisation à grande échelle du système de
La deuxième problématique concerne les crédit, se propose de renouer, sur des
modalités de resocialisation du système bases nouvelles, avec la tradition du
bancaire qui, dans un scénario idéal, modèle bancaire mutualiste. Il serait ainsi
pourraient aller de pair avec un possible d’instaurer un compromis institu-
changement du statut et des objectifs tionnel inédit entre les modèles polaires
assignées à la BCE. A ce propos, dans le purs de la centralisation et du fraction-
débat actuel il est possible de distinguer nement du système bancaire décrits par
deux orientations principales. Aglietta et Orléan (1982). Un compromis
inédit car l’instauration d’un système
La première prône le rétablissement d’un socialisé de crédit n’aboutirait pas au
pôle public centralisé adossé à une monopole monétaire de l’Etat (comme dans
politique classique de nationalisation des un pôle public unifié), mais s’articulerait à
principales banques, un modèle, en des entités décentralisées disposant d’une
somme, dans lequel la quasi totalité de la autonomie opérationnelle, toutefois de
création monétaire et du système de crédit nature non "privée" et dont le statut et les
serait régenté par l’Etat et la propriété fonctions seraient régies par un cahier de
publique. Ce modèle publique de régulation charge précis plaçant "explicitement la
centralisé du système bancaire et de la concession [du pouvoir d’émission du
création monétaire trouve sa référence crédit] sous un principe de service public"
historique première dans le célèbre circuit (Lordon, 2009).
du trésor qui a caractérisé, par exemple,

- p.55 -
U NE ÉCONOMIE DU COMMUN ?

Pour conclure sur une note optimiste, un Notes


(1) Ce qui contribue aussi à expliquer les réactions
optimisme fondé tout autant sur la
ambigües des marchés aux mesures d’austérité qu’eux-
"volonté" que sur la "raison", la richesse mêmes ont demandé.
même de ce débat sur un modèle de (2) Sans que le commun soit relégué dans des
société alternatif allant jusqu’à interroger et enclaves économiques concernant des biens spéci-
remettre en cause les institutions les plus fiques comme l’eau, par exemple, et dans une position
subalterne de colmatage des défaillances du binôme
essentielles du capitalisme, comme la
public-privé, comme tend souvent à le faire la théorie
monnaie, montre toutes les potentialités économique des biens communs inspirés par les
et la force constituante dont les luttes qui travaux d’Elinor Olström.
se développent au cœur de la crise sont (3) C’est aussi pourquoi "l’investissement peut être
porteuses. entravé par manque de monnaie, jamais par manque
d’épargne", comme le souligne Aglietta (2001, p.70) en
rappelant cet enseignement théorique essentiel de
Carlo Vercellone Keynes.
(4) En somme, qu’il s’agisse de la production
marchande ou des services collectifs du Welfare-State,
NDLR : La version intégrale de cette contribution est dans les deux cas, comme le montre toujours Harribey
consultable sur le site du séminaire du Public au (2004), c’est l’injection de monnaie sous forme de
Commun : http://dupublicaucommun.blogspot.fr/search salaires et investissements qui  lance le circuit écono-
/label/Carlo%20Vercellone. mique et permet la distribution des revenus qui vont
ensuite être dépensé pour l’achet de biens marchands
© Association EcoRev' | Téléchargé le 05/01/2022 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)

© Association EcoRev' | Téléchargé le 05/01/2022 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)
ou bien pour le paiement de l’impôt.

Eléments de bibliographie
Aglietta M., Orléan A., (1982), La violence de la
monnaie, PUF.
Aglietta (2001), Macroéconomie financière. 1.Finance,
croissance et cycles, La Découverte.
Aglietta (2008), La crise, Michalon
Gorz A. (2003), L’immatériel, Galilée.
Hardt M., Negri A., (2010), CommonWealth, Harward
University Press.
Hardin, G. (1968), "The Tragedy of the Commons",
Science, 162, 1968, pp. 1243-1248.
Harribey J.M. (2004), "Le travail productif dans les
services non marchands  : un enjeu théorique et
politique", Economie Appliquée, Tome LVII, n° 4,
décembre, p. 59-96.
Lordon F. (2009), "Pour un système socialisé du
crédit", http://blog.mondediplo.net/2009-01-05-Pour-
un-systeme-socialise-du-credit.
Laval Ch, Vergne F., Clément P, Dreux G., (2011), La
nouvelle école capitaliste, La Découverte.
Monnier J.M., Vercellone C. (2007), "Fondements et
faisabilité du revenu social garanti", Multitudes, n. 27,
Janvier, pp. 73-84.
Vercellone C. (2007), "La nouvelle articulation rente,
salaire et profit dans le capitalisme cognitif", in
European Journal of Economic and Social Systems,
Volume 20 – n° 1/2007, pp.45-64.

- p.56 -

Vous aimerez peut-être aussi