Algorithmes Pourquoi les Gafam Houellebecq Son nouveau

doivent rendre des comptes : roman, « anéantir », entre

le livre de Bruno Patino démolition et possibilité d’aimer

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centenaires
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Leurs manuels d’optimisme

Avec Philippe de Gaulle, Simone Rozès,

Michel Peyramaure.
René de Obaldia, André Chandernagor, Marcel Conche, L’écrivain, qui aura 100 ans
le 30 janvier, pratique le tai-chi
Michel Klein, Michel Peyramaure, Odile de Vasselot chez lui, à Brive-la-Gaillarde.

D’où viennent les violences religieuses, par Nassim Nicholas Taleb

A LA POURSUITE DU RÊVE
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 L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert
Les Dalton se pavanent
Mais où est passé Lucky Luke ?
C’est comme un conte qui, hélas, ne serait pas
de Noël. Une histoire vraie qui en dit long sur l’état du
pays et peut nous faire rire, mais jaune. À la fin, la mo-
rale est qu’il n’y en a plus et que les Dalton ont toujours
l’avantage.
Dans la BD, c’est Lucky Luke, le cow-boy solitaire ti-
rant « plus vite que son ombre », incarnation de l’autorité
et de la justice, qui l’emporte chaque fois sur les « mé-
chants bandits » que sont les frères Dalton. En France,
­aujourd’hui, dans l’histoire en forme d’apologue que je
vais vous raconter, ce sont les Dalton qui gagnent et, à
la fin, font la loi.
Les « Dalton », c’est le surnom que s’est donné
un collectif de rappeurs lyonnais. Habillés en te-
nues rayées noir et jaune comme leurs modèles, ils sont
spécialisés dans les rodéos sauvages sur le périphérique
ou dans les rues piétonnes, jusque sur la place Bellecour,
au cœur de la capitale des Gaules, où ils terrorisent la
­population. Sans parler de clips avec exhibition d’armes
à feu, d’intrusion dans les stades de foot ou de tirs de mor-
tier répétés contre les forces de l’ordre, une routine en
France.
Il faut bien que jeunesse se passe, m  ême si c’est
parfois pitié de voir comme les jeunes la galvaudent.
Qu’on ne compte pas sur nous pour sonner le tocsin : de-
puis Robin des bois, ce n’est pas la première fois qu’un
gang fait la nique aux pouvoirs publics. Ajoutons que
les Dalton de Lyon peuvent se comporter en joyeux far-
ceurs dans ce qu’ils appellent leur « jeu du chat et de la sou-
ris » avec les policiers. Seulement voilà : l’affaire révèle
l’abyssale faiblesse de l’État, qui frise le ridicule.
L’État n’en mourra pas : il y a longtemps que le ridi-
cule ne tue plus, chez nous. Mais y a-t-il encore un État
et, si oui, où est-il passé ? Sous la table, pardi. Pendant
que le ministre de l’Intérieur fait des moulinets en récla-
mant la fermeture de leur compte Instagram, les Dalton,
arrêtés par la police, sont à peine inquiétés par la justice.
Relâchés ou écopant de petites peines, ils reçoivent ainsi
un permis de continuer leur manège. Quant à leur chef,
il s’est fait livrer un colis dans sa prison de Lyon-Corbas
par un comparse qui a franchi l’enceinte, au nez et à la
barbe des surveillants. Ils n’ont pas osé réagir, ont-ils ex-
pliqué, de peur de n’être pas soutenus par la hiérarchie
si ça dégénérait. Faut-il leur donner tort ?
Les Dalton sont des petits malins : d  ans ce siècle
où tout le monde est victime de tout le monde, ils aiment
montrer leurs stigmates. Bénéficiant de la complaisance
crasse de certains élus, ils dénoncent la situation difficile
de leur quartier tout en lançant une marque de vêtement.
S’ils en sont arrivés là, ce n’est pas leur faute, mais celle
de la société, que voulez-vous. « Tout ceci a un nom, ful-
mine Laurent Wauquiez, président (LR) de la région Au-
vergne-Rhône-Alpes, la déliquescence de l’ordre et de
l’autorité dans un pays qui ne sait plus punir. » Et, face aux
Dalton, Wauquiez en appelle à un nouveau Lucky Luke !
Si nous avons connu une longue décrue des
crimes pendant les deux derniers siècles, c’est
fini. A
 lain Bauer, l’un des meilleurs experts en crimina-
lité, qui n’est pas un excité, poussait récemment un cri
d’alarme : « Un profond mouvement de retour à la violence
physique est en train de se produire, particulièrement en Oc-
cident. Il est ignoré ou sous-estimé. » (1) Et de rappeler que
le dernier bilan du ministère de l’Intérieur, publié début
2021, confirme une dégradation continue malgré les
confinements.
De quoi souffre la France avant une échéance prési-
dentielle qui, dans trois mois et trois semaines, s’annonce
cruciale ? Tout a été dit sur sa désindustrialisation, son
délitement économique, sa dislocation en archipels,
mais c’est sans doute sa déresponsabilisation qui, avec
la chute du civisme, les défis à la loi et sa tendance à l’au-
todénigrement, produit les effets les plus pervers. D’où
l’angoisse diffuse qui monte et gonfle les voiles de la
droite dure. C’est le « vivre-ensemble », donc le pacte
­social, qui est désormais en question.
Emmanuel Macron n’en peut, mais. Il serait ab-
surde de lui faire porter le chapeau d’une démission de
l’État et d’une perte des repères qui ont commencé bien
avant lui. Mais le président n’a pas su enrayer le mouve-
ment d’incivilités qui roule sa meule sur la France. L’ar-
rêter serait-il si compliqué ? Sans doute pas si, à tous les
niveaux de responsabilités, on avait enfin le courage de
refuser l’inversion des valeurs qui, aujourd’hui, fait des
bourreaux des victimes et inversement, quand il ne trans-
forme pas le Mal en Bien et réciproquement. Lucky Luke,
reviens !
Bon bout d’an ! §
(1) Cf. l’article d’Alain Bauer dans Front populaire, numéro 6 : « Le droit
à la sécurité contre l’ensauvagement ».
Le Point 2577 | 30 décembre 2021 | 5
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 À nos lecteurs
Il faut imaginer Houellebecq optimiste…
I
l est en quelque sorte devenu notre prophète natio-
nal et, cette fois-ci, nous annonce de bonnes nou-
velles. Comment mieux commencer 2022 ? Dans son
nouveau roman, anéantir (Flammarion), Michel Houelle-
becq nous raconte la vie, la maladie, la mort et surtout
– magnifiquement – l’amour (lire la critique de Christophe
Ono-dit-Biot p. 70). Mais surprise, au passage, il rompt
avec son légendaire déclinisme. Est-il tombé sur la tête ?
Nous sommes en 2027 et, grâce à l’action du ministre de
l’Économie Bruno Juge – le personnage dans lequel on
reconnaît parfois Bruno Le Maire –, « la France était rede-
venue la cinquième puissance économique mondiale, talon-
nant l’Allemagne pour la quatrième position : son déficit
représentait maintenant moins de 1 % du PIB, et elle rédui-
sait peu à peu sa dette ; tout cela sans contestations, sans grèves,
dans un climat d’acquiescement étonnant »…
Le déficit sous les 1 % du PIB ? Cela ne s’est pas pro-
duit depuis 1980. Et, en 2021, il est attendu à 8,2 %… La
nouvelle France de Houellebecq serait donc formidable-
ment gérée, tout en entretenant un État providence gé-
néreux, un système de santé remarquable, et en s’occupant
bien des personnes âgées. Un point noir subsiste toute-
fois : le chômage, tant la productivité dans l’industrie a
augmenté. Car oui, le pays s’est réindustrialisé, notam-
ment grâce à l’automobile. Houellebecq voit ainsi C ­ itroën
bousculer mondialement Mercedes et Audi dans le seg-
ment du haut de gamme. Dans la vraie vie, Citroën est
plutôt positionnée comme une marque populaire alors
que DS, par exemple, est conçue comme une griffe de
luxe. Mais, comme l’écrit l’auteur dans ses remercie-
ments, « Après tout, c’est un roman ».
Quel choc tout de même ! Depuis Les Particules élémen-
taires, en 1998, dans lequel Houellebecq voyait la France
s’enfoncer « dans la zone économique des pays moyen-
pauvres », l’écrivain n’a cessé de décrire le renoncement
français. Dans La Carte et le Territoire, en 2010, il poussait
le raisonnement jusqu’au bout, peignant un pays sans
usines, survivant grâce à son art de vivre muséifié, voire
ÇA SE PASSE AU « POINT »
Hors-série
« La Montagne »,
les grands textes de
Rousseau, Frison-
Roche, Chateaubriand,
Rébuffat, Giono,
Vialatte et les autres.
8 | 30 décembre 2021 | Le Point 2577
folklorisé, attirant les touristes des pays riches, notam-
ment la Chine et l’Inde.
Le tableau n’avait rien d’absurde, il était même étayé
par bien des indicateurs économiques. Cette glissade
avait donné naissance à l’expression – aujourd’hui dé-
passée, donc – de « houellebecquisation ». L’auteur ne
s’en lamentait d’ailleurs pas. Lors d’une interview au Point
de 2013, le romancier « postindustriel », selon la formule
de notre éditorialiste Pierre-Antoine Delhommais, prô-
nait de « faire autre chose ». Quoi ? « Du foie gras, des confi-
tures artisanales de griottes pour les Russes, ils en sont friands.
On ne sera pas très riches avec ça, mais on peut arriver à être
un pays demi-pauvre pas si malheureux. » Dans un autre en-
tretien, en 2014, il ajoutait ceci : « Si j’étais ministre de l’Éco-
nomie, j’aurais un plan immédiat à proposer. Abandonner les
filières industrielles inutiles et tout recentrer sur l’artisanat. »
Que s’est-il passé ? Le combat aurait-il changé d’âme ?
Ne nous emballons pas. Houellebecq joue peut-être avec
ses lecteurs comme un chat avec une pelote. On peut
néanmoins saisir au vol son inspiration revigorante : la
possibilité d’un sursaut. Si Houellebecq ne désespère
plus, pourquoi le ferions-nous ?
En revanche, pour la méthode, on repassera. Les
« charmes de l’économie dirigée à la française » et le recours
au protectionnisme, évoqués dans anéantir, sont des so-
lutions particulièrement douteuses. Ses références le
sont aussi. Houellebecq voit dans Bruno Juge « probable-
ment le plus grand ministre de l’Économie depuis Colbert ».
On tressaille, quand on sait la vérité sur Colbert, cette
fausse valeur qui ne fit rien, précisément, pour sauver
les finances publiques de la faillite…
Et puis, bien sûr, l’économie n’est pas tout. Houelle-
becq n’y consacre d’ailleurs que quelques pages. La France,
dans anéantir, demeure un volcan politique, entre black
blocs, terroristes technophiles, attentats islamistes, po-
larisation sociale et Rassemblement national : « des choses
inconcevables, parfois, se produisent », prévient l’auteur.
Sauf qu’à le lire, les bonnes choses aussi § ÉTIENNE GERNELLE
« Fautes de com » Meurtre de Sophie
REX/SIPA – EUROPA PRESS/ABACA
Cinq années de sorties Toscan du Plantier
de route politiques Vingt-cinq ans après
racontées, analysées l’assassinat de Sophie,
et décryptées. en Irlande, « Le Point » a
Une série à retrouver retrouvé les acteurs du
sur lepoint.fr. drame. À lire sur notre site.
 SOMMAIRE2577

46
Algorithmes Pourquoi les Gafam Houellebecq Son nouveau
doivent rendre des comptes : roman, « anéantir », entre CULTURE
le livre de Bruno Patino démolition et possibilité d’aimer
70 Houellebecq : bonne année 2027
§ LES LEÇONS DE VIE DES CENTENAIRES § ALGORITHMES : POURQUOI LES GAFAM DOIVENT RENDRE DES COMPTES § HOUELLEBECQ : SON NOUVEAU ROMAN, « ANÉANTIR »

75 La Minute antique de Christophe

L 13780 - 2577 - F: 5,00 €

www.lepoint.fr Hebdomadaire d’information du jeudi 30 décembre 2021 n° 2577 - 5 €
Ono-dit-Biot : Néron dans
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Les leçons
ALLEMAGNE : 6,40 € - BENELUX : 5,30 € - CANADA : 8,30 $CAN – SUISSE : 7,20 CHF - DOM : 5,20 € - TOM : 920 CPF - ESPAGNE/GRÈCE/ITALIE/PORTUGAL CONTINENTAL : 5,50 € - MAROC : 48 MAD – TUNISIE : 9 TND - CÔTE D’IVOIRE/CAMEROUN/GABON/SÉNÉGAL : 3 900 CFA

75 Livres : le palmarès de la Fnac

76 Cinéma (The Card Counter) -
de vie des Paul Schrader : « Le grand art
centenaires
Pour surmonter les crises,
n’est pas toujours poli »
78 Cinéma (Licorice Pizza) : l’échappée
belle de Paul Thomas Anderson
23e
les conseils de ceux
JOURNÉE
KHANH RENAUD POUR « LE POINT ». ANDREU DALMAU/EPA/MAXPPP
qui en ont vu d’autres…
80 Brèves
DU
Leurs manuels d’optimisme

Avec Philippe de Gaulle, Simone Rozès,

LE POINT N° 2577

LIVRE
Michel Peyramaure.

STYLE
René de Obaldia, André Chandernagor, Marcel Conche, L’écrivain, qui aura 100 ans
le 30 janvier, pratique le tai-chi
Michel Klein, Michel Peyramaure, Odile de Vasselot chez lui, à Brive-la-Gaillarde.

D’où viennent les violences religieuses, par Nassim Nicholas Taleb 82 Évasion : et la montagne inventa
la station D’ÉCONOMIE
86 Mode : quand le cachemire ose tout
5 L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert 88 Vins : la Savoie remonte la pente
8 L’éditorial d’Étienne Gernelle 92 Montres : sous le soleil exactement
11 La chronique de Patrick Besson 94 Mode : Courrèges, estampille
Jérôme Fourquet
12 Les éditoriaux de Luc de Barochez, indémodable
Pierre-Antoine Delhommais, 95 Auto : Renault Captur TCe 100 GPL, Jean-Laurent Cassely
Bruno Tertrais, Gérald Bronner le bon plan La France sous nos yeux
18 Le point de la semaine
96 Le bloc-notes de Bernard-Henri Lévy Éditions le Seuil
FRANCE
30 Gabriel Attal, un sniper 98 Bridge & Mots croisés
si bien élevé
38 Baromètre des émotions :
LE POSTILLON
grosse fatigue
99 2022, une élection sous le cygne
noir, par Sébastien Le Fol
MONDE
99 Nassim Nicholas Taleb :
40 La démocratie vacille
pourquoi la violence religieuse
en Amérique
n’a rien à voir avec la théologie
103 Les PUF, une vieille dame
EN COUVERTURE
qui garde tous ses appas,
46 Ce que les centenaires
par Laetitia Strauch-Bonart
ont à nous dire
104 François Jullien : Dieu, la Chine 
54 Marcel Conche : « Il ne faut croire
et l’incommensurable
que ce que l’on sait »
106 La vérité ou le mythe ?,
56 René de Obaldia : « Je vais bientôt
par Kamel Daoud
me quitter »
57 Simone Rozès : « Soyez sensible
Le Point is published weekly by Société d’exploitation de l’hebdo­
et créatif » madaire Le Point-Sebdo – 1, boulevard Victor, 75015 Paris, France.

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Copyright Le Point 2021. Origine géographique

SCIENCES
du papier : Allemagne, Autriche, Italie. Taux de
fibres recyclées : 0 %. Certification des fibres :
d’Économie 2021
PEFC. Eutrophisation Ptot : 0,014 kg/T.
66 Bruno Patino : « Les Big Tech doivent PRINTED IN FRANCE
ouvrir le capot » Un encart abonnements jeté (ventes).

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 Mon dernier taxi parisien
Patrick Besson
U
n samedi matin de décembre 2021, place
Pigalle. On dirait le début d’un roman
d’anticipation écrit à la fin du siècle der-
nier. Je dois rejoindre, au Marché du livre ancien
et d’occasion du parc Georges-Brassens, un ami
écrivain. Métro (ligne 2), bus (95) ou taxi ? C’est
une belle journée d’hiver, avec une bonne quan-
tité de froid sous une agréable dose de soleil. Pas
envie de rentrer sous terre. Et, pour prendre le 95,
je dois remonter jusqu’à la rue Joseph-de-Maistre
ou bien aller à pied place de Clichy. Et non place
Clichy, comme l’écrit de façon erronée Louis-Fer-
dinand Céline au début de son premier roman,
Voyage au bout de la nuit (prix Renaudot 1932). À
la station de taxis, pas de voiture. Je décide d’at-
tendre cinq minutes. Surgit un de ces corbillards
à six places spécialisés dans la cueillette des tou-
ristes étrangers à la sortie des aéroports. Le chauf-
feur s’arrête au milieu de la place, descend sur le
trottoir pour m’ouvrir la portière coulissante. Qu’il
referme derrière moi. Et nous nous engageons
dans le boulevard de Clichy. À 30 km/h.
Que se passe-t-il, sur la chaussée, à 30 km/h ?
On reste derrière les vélos, non sans angoisse car
ils roulent à 33 ou 34 km/h. Sont en infraction.
Mais, comme ils circulent sans plaque d’immatri-
culation, personne ne les verbalise. Ce n’est pas
comme mon chauffeur, qui m’assure avoir reçu
avant-hier une amende de 135 euros après avoir
été flashé à 32 km/h. C’est à ce moment-là que j’au-
rais dû descendre de voiture, ça m’aurait évité le
calvaire de la rue de Miromes-
nil, la torture de l’avenue de
Marigny, l’angoisse de l’ave-
nue Winston-Churchill, l’hor-
reur du pont Alexandre-III et
ainsi de suite jusqu’à notre
Que se passe-t-il, sur la chaussée, à 30 km/h ?
THOMAS SAMSON/AFP
C’est à ce moment-là que j’aurais dû descendre de voiture,
ça m’aurait évité le calvaire de la rue de Miromesnil.
a­ rrivée à destination, rue Brancion – le tout à 28,
29, 30 km/h. Pendant le laborieux trajet, avons été
dépassés par une demi-douzaine de trottinettes
électriques. Il y avait même des joggeurs qui cou-
raient plus vite que nous. Les motocyclistes étaient
incapables de rester au-dessous des 30 km/h pres-
crits, craignant de perdre l’équilibre. Ils bravaient,
sous leur casque désolé, la limitation. Quand, de-
vant l’entrée du parc Georges-Brassens où m’at-
tendait depuis un bon moment Christian Giudicelli,
le chauffeur me rendit la monnaie, je l’ai regardé
avec une attention émue, une coupante nostal-
gie. C’était donc lui. Lui : mon dernier taxi pari-
sien. Après cette longue, lente et douloureuse
course, je venais de prendre une décision irrévo-
cable : je ne monterais plus jamais dans un taxi à
Paris, on met trop de temps à en sortir.
Mon premier taxi parisien ? Peut-être celui qui,
le jour des résultats du bac, nous a emmenés, ma
petite fiancée montreuilloise et moi, rue Saint-
Jacques, où nous avons déjeuné à la terrasse d’un
restaurant grec. J’avais baissé ma vitre, et le vent,
renforcé par les 60 ou 70 km/h du conducteur, ca-
ressait mon front comme j’aimais tant, enfant,
que ma mère le fasse. Je crains en outre que Chris-
tian Estrosi, le maire de Nice, ne prenne bientôt
exemple sur Anne Hidalgo et ne bride mes chers,
dans les deux sens du terme, taxis niçois. Ils ont
si belle allure quand ils longent à toute blinde la
promenade des Anglais ou le boulevard de Cimiez.
La protection de la planète, comme l’avarice, est
une passion sans fin : on peut
protéger la planète de tout,
partout et tout le temps. Il y
a même peut-être un jour où
30 km/h nous paraîtra un
­excès de vitesse.
Le Point 2577 | 30 décembre 2021 | 11
ÉDITORIAUX
Trente ans après la chute de l’Union soviétique,
Moscou tente de redessiner en sa faveur l’équilibre
géopolitique de l’Europe.
Le Yalta rêvé de
Vladimir Poutine
par Luc de Barochez
À
l’époque soviétique, les diri-
geants du Kremlin voyaient l’af-
frontement avec les Occidentaux
comme la meilleure façon de conforter
leur pouvoir. Parce que le dernier d’entre
eux, le pacifique Mikhaïl Gorbatchev,
oublia cette « composante essentielle du
code génétique de l’URSS », il conduisit
celle-ci à sa perte, écrit l’historien russe
Andreï Gratchev*. Vladimir Poutine, lui,
a retenu la leçon.
Le président russe, qui a décrit la fin
de l’Union soviétique, en 1991, comme
une « catastrophe géopolitique », pense que
l’ordre international issu de la fin de la
guerre froide lui est défavorable.
Il est préoccupé d’une chose : la pé-
rennité de son régime, chaque année un
peu plus autocratique. Et il a une obses-
sion : éviter la contagion démocratique
et libérale de l’Occident, qui menacerait
sa survie politique. Voilà pourquoi l’as-
Un monument fut érigé à la mémoire des déserteurs.
12 | 30 décembre 2021 | Le Point 2577
piration européenne de l’Ukraine lui est
intolérable.
Pour reprendre le contrôle sur les
pays voisins, il lui faut y installer des
potentats à sa solde. Cela implique de
faire reconnaître par les Occidentaux
une zone d’influence russe, comme Jo-
seph Staline l’avait obtenu de l’Améri-
cain Franklin D. Roosevelt et du
Britannique Winston Churchill à l’is-
sue de la Seconde Guerre mondiale. La
conférence, que les trois dirigeants
Le président russe
veut éviter la conta-
gion démocratique
de l’Occident, qui
menacerait sa survie.
Vladimir le Terrible.
tinrent en février 1945 dans la station
balnéaire de Yalta, sur la mer Noire, ou-
vrit la voie à la division de l’Europe de
part et d’autre du rideau de fer.
En 2014, Poutine a redessiné la carte
politique du continent en arrachant à
l’Ukraine la péninsule de Crimée, où se
trouve Yalta. Il passe aujourd’hui à la
phase suivante : restaurer, au moins en
partie, l’ancien glacis soviétique.
Il exige des Américains et des Euro-
péens de revenir à la situation de 1997,
lorsque l’Alliance atlantique n’avait pas
encore accueilli parmi ses membres la
Pologne et les autres pays d’Europe cen-
trale. Il a proposé deux projets de trai-
tés en ce sens, l’un avec Washington et
l’autre avec l’Otan. Devant la presse in-
ternationale le 23 décembre, il a enjoint
aux Occidentaux de les accepter « immé-
diatement, maintenant ».
Pour appuyer sa revendication, il a
massé des dizaines de milliers de sol-
dats à la frontière de l’Ukraine. Et, pour
faire bonne mesure, il a utilisé le robi-
ILLUSTRATION :JEAN POUR « LE POINT » – ALEXEY NIKOLSKY/SPUTNIK/AFP
net du gaz afin d’accélérer la hausse des
prix et de faire sentir aux Européens
combien ils étaient dépendants de son
bon vouloir.
En Russie, Vladimir Poutine attise le
ressentiment que la perte du statut de
superpuissance a fait naître dans une
grande partie de la population. Il répète
jusqu’à plus soif le mensonge historique
selon lequel l’Amérique aurait promis,
en 1990, de ne pas étendre l’Otan vers
l’Est. Il joue sur du velours : les trois
quarts des Russes, selon un sondage de
l’institut Levada en 2020, jugent que la
période soviétique était la meilleure de
l’histoire de leur pays.
L’ancien lieutenant-colonel du KGB

entend restaurer la grandeur de la Rus-
sie mais plus à la manière d’un Ivan le
Terrible, qui reconquit des territoires
sur les Mongols, que d’un Pierre le Grand,
le tsar proeuropéen qui fit édifier
Saint-Pétersbourg.
L’ambition impériale lui permet de
détourner l’attention des vrais problèmes
du pays, qu’il est incapable de résoudre :
un système kleptocrate et sclérosé, une
économie plus faible que celle de l’Ita-
lie, une dépendance excessive aux hy-
drocarbures, une démographie
calamiteuse.
La quête poutinienne d’un nouveau
Yalta menace les intérêts essentiels de
l’Europe, son unité, sa cohésion, ainsi
que son alliance avec les États-Unis. Les
Européens, s’ils veulent progresser vers
leur souveraineté stratégique, auraient
tort de laisser les Américains gérer seuls
ce dossier qui les concerne directement.
Ce défi s’adresse d’abord à la France, qui
prend ce semestre la présidence tour-
nante du Conseil de l’UE §
(*) Le jour où l’URSS a disparu, Éditions de l’Obser-
vatoire, 2021.
Jamais les États n’ont été
aussi endettés. Et ce sont
les plus riches qui attirent
le plus de capitaux.
Une situation intenable.
Dette, la grande
fracture
par Pierre-Antoine
Delhommais
I
l n’y a pas que les chiffres de conta-
minations au variant Omicron qui
donnent le tournis, ceux de la dette
mondiale aussi. Selon les données pu-
bliées mi-décembre par le FMI, celle-ci,
privée et publique, a augmenté de
28 000 milliards de dollars en 2020, pour
atteindre le montant assez irréel, mais
pourtant bien réel, de 226 000 milliards
de dollars. Ce qui représente aussi –
même si ce n’est guère plus parlant –
256 % du PIB mondial, une hausse
de 28 points de pourcentage en un an,
soit la plus forte augmentation depuis
la Seconde Guerre mondiale.
Pour mener la bataille planétaire
contre le Covid-19, pour protéger tout à
la fois les vies humaines, les entreprises,
les emplois et le pouvoir d’achat, les
États ont très lourdement utilisé la seule
arme financière qui était à leur disposi-
tion, celle de l’emprunt. La dette pu-
blique a bondi de près de 15 000 milliards
de dollars en 2020, pour atteindre
87 000 milliards de dollars et un ratio
record de 99 % du PIB, contre 98 % du
PIB pour la dette des entreprises et 58 %
du PIB pour celle des ménages. La dette
des États représente désormais près de
40 % de toute la dette mondiale, un ni-
veau inédit depuis le milieu des années
1960, qui ne peut guère réjouir que les
nostalgiques des économies socialistes.
Au-delà de l’extrême vulnérabilité à
laquelle elle expose l’économie mon-
diale en cas de hausse des taux, l’envo-
lée vertigineuse de la dette publique cache
d’importantes disparités. Tous les gou-
vernements n’ont pas recouru dans les
mêmes proportions à l’emprunt pour
lutter contre la crise sanitaire et écono-
mique, tous n’ont pas mené des poli-
tiques du « quoi qu’il en coûte ».
Les économistes du FMI sou-
lignent d’abord la « grande fracture finan-
cière » entre les pays riches et les pays
pauvres, comme il en existe une en ma-
tière vaccinale. À eux seuls, les vieux
pays industrialisés et la Chine ont été
responsables de plus de 90 % de l’aug-
mentation de la dette mondiale enregis-
trée en 2020. Grâce au maintien de taux
d’intérêt extraordinairement bas, grâce
à leur puissance monétaire et au sou-
tien indéfectible de leurs banques cen-
trales, tous ces « privilégiés » ont
pu déployer des mesures budgétaires de
très grande envergure pour faire face à
la pandémie. Notamment, avec les prêts
garantis par l’État, pour aider, voire in-
citer, les entreprises à s’endetter massi-
vement. Résultat, la dette privée a
elle-même augmenté de 14 points de PIB
dans le monde en 2020, deux fois plus
que lors de la crise des subprimes. …
Le Point 2577 | 30 décembre 2021 | 13
ÉDITORIAUX

… Les pays émergents n’ont pas eu

cette possibilité et surtout cette chance,
ils ont au contraire vu leurs conditions
de financement se durcir, leurs taux
d’intérêt augmenter, et ils n’ont pu
par conséquent qu’apporter une aide
budgétaire très limitée pour secourir
leurs populations et leurs entre-
prises. Cette inégalité devant l’accès à
l’emprunt – qui bizarrement ne semble
guère émouvoir les belles âmes huma-
nistes de gauche – fait que la dette pu-
blique des pays les plus riches de la
planète a progressé en 2020 de près
de 19 points de PIB, passant de 103,8 %
à 122,7 %, quand celle des pays les plus
pauvres n’a augmenté que d’un peu
plus de cinq points, passant de 44,2 %
à 49,9 % du PIB. Ah non, ici c’est la discussion sur le Covid. La présidentielle, c’est juste à côté.
À l’intérieur même du groupe des
pays riches, les politiques d’endette-
ment face à la pandémie affichent des La pression migratoire entre croissance démographique et émi-
différences considérables. Certains gou- africaine est souvent gration. Cette dernière dépend de dyna-
vernements ont emprunté avec parci- miques complexes : état du marché du
monie, d’autres sans aucune modération. surestimée. Et elle peut travail, opportunités à l’étranger, dispo-
C’est le cas aux États-Unis, où la dette reculer si des actions nibilité ou non d’un pécule, présence ou
publique aura progressé en deux ans de adéquates sont entreprises. non dans les pays d’immigration d’une
près de 25 points de PIB. communauté nationale… Les Maghré-
L’Europe présente, quant à elle, de bins émigrent beaucoup en France alors
très forts contrastes. Dans une tribune
publiée sur le site Telos, les économistes
L’Afrique que la natalité des pays concernés a consi-
dérablement diminué. Le Niger a la crois-
Pierre-André Buigues et Denis Lacoste
observent que les pays de l’UE qui étaient va-t-elle sance démographique la plus forte au
monde, mais la communauté nigérienne
les plus endettés avant la crise sanitaire
sont aussi ceux qui se sont le plus en- vraiment en France n’est que de quelques centaines
de personnes. Surtout, les Africains
dettés depuis l’arrivée du virus.
Entre 2019 et 2021, la dette publique a nous envahir ? émigrent assez peu. Ils représentent 16 %
de la population mondiale, mais seule-
augmenté de 25,1 points de PIB en Es- ment 14 % des migrants (40 millions de
pagne, de 22,2 points en Grèce, de personnes). Et la proportion des émigrés
20,1 points en Italie, de 17,1 points en par Bruno Tertrais africains au regard de la population de
France, alors qu’elle n’a progressé dans leur continent d’origine est quasiment
le même temps que de 2,4 points en constante depuis trente ans (environ 3 %).

Suède, de 7,4 points au Danemark ou
encore de 9 points aux Pays-Bas. Que ce
soit à l’échelle européenne ou mondiale,
il y a tout lieu de s’inquiéter de cette
grande fracture de la dette §
U
n spectre hante l’Europe : celui
d’un exode des Africains vers le
Vieux Continent. Le candidat à
la présidentielle Éric Zemmour affirmait
en novembre : « Dès lors que l’Afrique comp-
Il est de bon ton d’avancer que, si
dans vingt ans 1 % des Africains chaque
année émigraient hors du continent, cela
représenterait 20 millions de personnes.
Mais l’émigration africaine annuelle to-
ILLUSTRATION : TARTRAIS POUR «LE POINT»

tera bientôt 2 milliards d’habitants et l’Eu-
rope 400 à 500 millions, le trop-plein afri-
En deux ans, la dette cain se déversera chez nous. » Il est vrai que
la population de l’Afrique pourrait être
publique a augmenté en 2050 de 2,4 milliards d’habitants, soit
plus de trois fois celle de l’Europe. En un
de 17,1 points de PIB siècle, les deux continents auront échangé
en France, contre leurs poids respectifs dans la population
mondiale.
2,4 points en Suède. Il n’y a pourtant aucun lien mécanique
tale est à peine supérieure à 0,1 % de la
population, et essentiellement régionale.
Plus de la moitié des migrants africains,
soit 21 millions, résident sur le conti-
nent, contre 19 millions en dehors. Seuls
700 000 à 800 000 émigrent chaque an-
née hors d’Afrique, surtout vers les pays
de l’OCDE. On voit mal pourquoi cette
propension migratoire serait multipliée
par 15 ou 20 dans les décennies …

14 | 30 décembre 2021 | Le Point 2577

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Villeret

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ÉDITORIAUX
… qui viennent… Ces tendances sont
aussi vraies pour les Subsahariens : seuls
10 millions d’entre eux vivent hors
d’Afrique, dont la moitié en Europe (no-
tamment au Royaume-Uni et en France).
Toutefois, l’émigration africaine vers
l’Europe va certainement s’accroître. Le
flux Afrique-Europe a doublé en volume
entre 1990 et 2015 et, sur la période 2010-
2015, a concerné 400 000 à 500 000 per-
sonnes par an. L’émigration hors d’Afrique
des seuls Subsahariens augmente elle
aussi : seulement un quart de ces émigrés
sortaient du continent en 1990, c’est un
tiers aujourd’hui. Cette émigration sub-
saharienne lointaine a ainsi doublé entre
la première décennie du siècle et la sui-
vante et représente plus de 400 000 per-
sonnes par an en moyenne aujourd’hui.
Les transports sont devenus plus rapides,
même si la traversée du Sahara reste une
épreuve. Et surtout, les Africains sont de
plus en plus nombreux à disposer des
fonds nécessaires pour quitter le conti-
nent. En effet, ce ne sont pas les plus
pauvres qui émigrent, mais au contraire
ceux qui sont sortis de la grande pauvreté.
Ce flux est sans doute amené à gros-
sir car, si le nombre de personnes dispo-
sant d’un pécule de départ augmente, le
« dividende démographique », lui, n’existe
quasiment pas en Afrique subsaharienne.
Cette notion reflète l’avantage potentiel
dont dispose une population jeune et en
croissance dès lors que l’environnement
politique et économique le permet. Mais
la baisse de la fécondité est aujourd’hui
trop lente et les perspectives de crois-
sance de l’emploi sont trop modestes pour
que ce dividende se manifeste sur l’en-
semble du continent. Et c’est sans comp-
ter l’impact des conflits internes et de la
répression, sur un continent dont le dé-
veloppement démocratique est encore
insuffisant. Ce n’est que dans un scéna-
rio volontariste d’action publique sur
l’éducation, la santé, les infrastructures
et la productivité économique que la dy-
namique de l’émigration hors d’Afrique
pourrait s’affaiblir §
Ce sont les Africains qui
sont sortis de la grande
pauvreté qui émigrent.
16 | 30 décembre 2021 | Le Point 2577
Éric Zemmour a élargi
le spectre du débat public,
Sandrine Rousseau l’a
rétréci à coups de wokisme.
Deux formes
de radicalisation.
D’une fenêtre
d’Overton
à l’autre
par Gérald Bronner
T
out a été écrit sur la candidature
d’Éric Zemmour et en particulier
qu’elle a contribué à modifier le
centre de gravité du débat public. À ce
titre, la primaire des Républicains a mon-
tré que l’ombre du chroniqueur de
CNews planait sur tous les débats au
point de placer en tête du premier tour
un candidat qui proposait de créer un
« Guantanamo à la française ».
Cette proposition extrême a eu pour
effet de faire passer d’autres idées radi-
cales pour acceptables. C’est là un effet
de l’élargissement de ce que l’on nomme
la fenêtre d’Overton, du nom de son
concepteur, Joseph Overton, un polito-
logue conservateur. Il utilisait cette image
pour désigner l’ensemble des idées consi-
dérées comme acceptables par l’opinion.
Cette dynamique contribue à placer cer-
tains sujets dans cette fenêtre alors qu’ils
se situaient précédemment dans l’inad-
missible, voire l’inimaginable, c’est-à-
dire en dehors du cadre. Zemmour, bien
avant même qu’il fût candidat, avait
élargi le dormant de notre fenêtre. Son
succès médiatique a montré qu’il était
possible de défendre certaines idées sans
être exclu du débat public. Cela a enhardi
d’autres – plus timorés –, qui n’ont fait
voir leur propre radicalité qu’une fois
rassurés par la pérennité de la sienne.
On trouverait facilement d’autres
sources plus minuscules qui ont alimenté
cette radicalisation du débat public,
parmi lesquelles une cohorte de Youtu-
Victime du wokisme.
beurs d’extrême droite. Il n’y a pas lieu
de s’étonner lorsque l’on sait que ce camp
politique a depuis longtemps détourné
la pensée de Gramsci pour la faire sienne.
Certains de ces influenceurs numériques
revendiquent même le rire comme stra-
tégie d’élargissement de cette fenêtre
d’Overton, l’humour permettant de
rendre plus admissible l’inacceptable.
Mais la légitime préoccupation que
l’on peut avoir pour ce phénomène ne
doit pas en occulter un autre, symétrique.
Au lieu de s’élargir, cette fenêtre peut se
rétrécir en transformant l’ordinaire en
inacceptable. Alors que la droite est aspi-
rée par un mouvement, la gauche paraît,
elle, possédée par un autre, son négatif.
De ce point de vue, le succès de San-
drine Rousseau à la primaire d’EELV a du
sens. La candidate, qui incarne jusqu’au
ridicule la « culture woke », veut rendre
moralement inacceptables et donc ex-
clure du débat public (cancel culture) toute
une série de choses jusque-là considérées
comme admissibles. Elle fait partie de
ces acteurs sociaux qui veulent changer
le nom des rues, faire interdire des spec-
tacles et, d’une façon générale, vous ins-
pirer la terreur avant toute prise de parole
avec cette menace que vous pourriez ré-
véler votre sexisme, votre racisme caché
ou on ne sait quelle abjection morale dont
vous seriez coupable.
Nous avons beau les moquer, ils ont
tout de même réussi, semble-t-il, à ré-
KARINE PIERRE/HANS LUCAS VIA AFP
duire cette fenêtre d’Overton. Nous sur-
veillons nos blagues, faisons acte de
contrition, sommes prêts à nous excu-
ser à tout moment. Ces deux fenêtres,
l’une qui s’ouvre grand, l’autre qui se re-
ferme, font souffler un vent mauvais
sur le débat public et nous font perdre
la raison §
 Le point de la semaine
Par Michel Revol, Fabien Roland-Lévy et les services du « Point »
EN FORME
Sylvie Pierre-Brossolette
67 ans. L’ancienne journaliste
(Le Point) devient présidente
du Haut Conseil à l’égalité
entre les femmes et les hommes
(HCE), chargé de lutter contre le
sexisme, les violences de genre.
Jean Todt
75 ans. Il achève le troisième
et dernier de ses mandats à la tête
de la Fédération internationale
de l’automobile, jugés positifs
notamment pour son combat pour
la sécurité sur la route et les circuits.
Brigitte Barèges
68 ans. L’ex-maire Les Républicains
de Montauban a retrouvé son siège,
dont elle avait été déchue en février,
après la relaxe en appel de sa
condamnation pour détournement
de fonds publics.
EN PANNE
Jean-Michel Aulas
72 ans. Déjà sanctionné après le
match contre Marseille, le président
de l’Olympique lyonnais voit son
club éliminé de la Coupe de France
après les incidents du match contre
le Paris FC, lui aussi sanctionné.
Michel Beaugas
61 ans. Le dirigeant de FO
a vu les sept recours
des principaux syndicats,
dont FO, contre le nouveau
calcul de l’allocation chômage
rejetés par le Conseil d’État.
Jérôme Bourbon
49 ans. Le directeur de Rivarol
a été condamné à 8 000 euros
d’amende pour contestation
de crime contre l’humanité
et provocation à la haine
envers les juifs.
18 | 30 décembre 2021 | Le Point 2577
Virée, Rama Yade exige
une voiture de fonction
Dans son livre, Pour une fois, il n’y avait pas d’argent liquide
(L’Archipel, en librairie le 6 janvier), Jérôme Lavrilleux
règle son compte à Rama Yade. L’ex-directeur de cabinet
JULIEN DE ROSA/AFP – GERMAIN HAZARD/DPPI VIA L’AFP – PHOTOPQR/« LA DÉPÊCHE DU MIDI » – JEFF PACHOUD/AFP – XOSE BOUZAS/HANS LUCAS VIA L’AFP –
de Jean-François Copé quand celui-ci dirigeait l’UMP
rapporte comment celle-ci, après son débarquement
du gouvernement Fillon, fin 2010, a voulu se faire
embaucher par le parti. « Je la vis débouler dans mon bureau
en me lançant sans préambule : “J’arrive lundi et j’aimerais avoir
une 406 comme voiture de fonction. Où sera mon bureau
et comment fait-on pour le contrat avec mon collaborateur ?” »,
écrit-il. Jérôme Lavrilleux répond à Rama Yade
qu’il n’accédera à aucune de ses demandes. « La tension
est montée d’un cran lorsqu’elle m’a annoncé qu’elle s’attendait
à être rémunérée par le parti, alors que seuls les permanents
bénéficiaient d’un salaire. Elle n’a rien voulu entendre et a quitté
les lieux en m’annonçant “Claude va vous appeler” », poursuit-il,
YANN CASTANIER/HANS LUCAS VIA L’AFP – THOMAS PADILLA/MAXPPP
faisant allusion à Claude Guéant, l’ex-secrétaire général
de Nicolas Sarkozy à l’Élysée. Mais l’affaire en restera là §
Alexis Kohler va digérer Castex aime sa compagnie
les notes des ministres À Matignon, Jean Castex, quand il
Les ministres souhaitant participer n’a pas d’obligations, dîne tous les
à l’élaboration du projet soirs avec son directeur de cabinet,
présidentiel d’Emmanuel Macron Nicolas Revel, et Thibault
ont été invités à envoyer de Cacqueray (photo), conseiller
leur contribution sous forme chargé des territoires,
de note à Alexis Kohler. C’est le collaborateur dont
le secrétaire général de l’Élysée, il est le plus proche.
second cerveau du président, Auditeur à la Cour
qui coordonne, en effet, des comptes, dont est
le programme que le probable aussi issu Jean Castex,
candidat devrait proposer l’énarque de 28 ans
aux Français durant sa campagne l’avait déjà épaulé
pour un second quinquennat. au printemps 2020,
L’éducation et la formation juste avant sa
tout au long de la vie devraient nomination
en être des axes centraux. Rue de Varenne.
 Les lapsus de l’année

En 2021, leur langue a fourché. Voici quelques-uns de ces lapsus qui nous enchantent
et, parfois, en disent plus long que ce qu’aurait voulu leur auteur…
« Marine La Peste… Euh ! Marine Le Pen est un ennemi « Nos policiers font aujourd’hui un travail déplorable… un travail
que j’exècre. » Éric Dupond-Moretti. Entre la peste noire admirable. » Jordan Bardella. Mélenchon, sors de ce corps !
et la peste brune, il faut choisir. Le Parisien, le 9 mai. LCI, le 13 octobre.
« Les mesures concernent le renforcement des contrôles des passes « Plus ça allait, plus [m]a femme [Françoise Hardy] me filait
sanitaires et le port du voile… le port du masque, pardonnez-moi ! » le caviar, le cafard. » Jacques Dutronc. Le cafard d’esturgeon,
Gilles Bouleau. Ouf, il a évité le voile sanitaire et le passe islamique. bien sûr… Europe 1, le 19 juin.
TF1, le 9 novembre.
« Monsieur Macron est en train de, permettez-moi
« Beaucoup me disent qu’Éric Zemmour, euh, non, pardon, l’expression, sucer la droite… de sucer la roue de la droite ! »
AFP (X9) – HANS LUCAS VIA L’AFP – GRAZIANO QUAGLIA/SIPA

Éric Ciotti, a de grandes chances de gagner la primaire LR. »
Gérald Darmanin. Quand Ciotti disait préférer le polémiste
à Emmanuel Macron. Maintenant, il préfère Valérie Pécresse.
BFM TV, le 29 novembre.
« Mon livre, Le Suicide français, aux 500 000 électeurs… lecteurs ! »
Éric Zemmour. 500 000, c’est 1 % des électeurs… CNews, le 28 juin.
« Merci Jean-Pierre Belmondo d’avoir porté haut le cinéma français
(…). » Séverine, euh, Sandrine Rousseau. Twitter, le 6 septembre.
« Je ne vais pas gagner seul, et si les Français ne me font pas
confiance… Si les Français me font confiance, je ne gouvernerai pas
seul. » Xavier Bertrand. La première version était la bonne : les
adhérents de LR ne lui ont pas fait confiance. RTL, le 19 septembre.
Patrick Kanner. Édouard Philippe avait fait mieux : « La France
veut sucer de grands, susciter de grands champions. »
RMC, le 11 novembre.
« Il y a une stratégie qui consiste à aller faire les EnR, les énergies
non renouvelables (…). Nous aurons un objectif d’investissement
de plus de 500 millions d’euros (…) dans les énergies
non renouvelables. » Emmanuel Macron, ignorant peut-être
que EnR est l’acronyme d’énergies renouvelables, le 12 octobre.
« J’ai grandi dans le théâtre et le cinéma, dans une culture
que je me suis faite. Ce n’est pas l’alcool qui me l’a apprise,
euh… l’école. » Gérard Depardieu. Encore que…
France Inter, le 28 mai.

1,89
LE CHIFFRE DE PIERRE-ANTOINE DELHOMMAIS
Les vaches contre la forêt
Causes de la déforestation tropicale annuelle en moyenne
ha

entre 2010 et 2014,

00
93
ha
ha

en hectares (ha)
0

37
0

60
00

et en % du total Légumes,
0
10

95

fruits et noix
21

7,3 %
million de chercheurs
dans l’Union européenne
57

Oléagineux Sucre
008

18,4 % 1,1 % Selon Eurostat, on recensait en 2020 dans l’Union

ha

européenne 1,89 million de chercheurs,

67

Bovins
87

546 000 de plus qu’en 2010. Plus de la moitié

00

40,8 %
ha

Exploitation d’entre eux (55 %) travaillent dans les entreprises

forestière du secteur privé, 33 % dans l’enseignement supérieur,
13,1 %
Céréales et 11 % dans le secteur de l’État. L’Allemagne en emploie
84 % Autres
de la déforestation 15,2 % 451 000, la France, 321 000, et l’Italie, 161 000. À l’échelle
cultures mondiale, la Chine compte 2,1 millions de chercheurs,
due à l’élevage
20
78

4,1 %
les États-Unis, 1,6 million, le Japon, 681 000,
70

93

de bovins se déroulent
00

00

Source :
en Amérique latine. Our World in Data. la Corée du Sud, 430 000, et la Russie, 400 000.
ha

ha

Le Point 2577 | 30 décembre 2021 | 19

LE POINT DE LA SEMAINETECH&NET

MONDES PARALLÈLES

Plongée. Les lunettes VR Luxe. Chez le sud-coréen

sont la porte d’entrée dans Zepeto (ci-dessous),
les métavers. Ci-dessous, l’essentiel est de travailler
une expérience de « live son look : votre avatar se
shopping » par le parfumeur promène en Gucci ou en Zara.
d’intérieur Maison Berger.

Shaolin. Le géant chinois du

moteur de recherce Baidu a
annoncé le 27 décembre son
métavers Xi Rang (à droite).
Il permettra bientôt de visiter
une reproduction du temple
bouddhiste shaolin.
Réseaux sociaux. Horizon Worlds (ci-dessus), de Meta, la
maison-mère de Facebook, offre « une expérience de réalité
virtuelle sociale »… mais présente déjà des cas de harcèlement.

Et pendant ce temps-là, dans le métavers…

C’est le nouveau western. Les métavers,
ces mondes parallèles où notre double
numérique peut, sous forme d’avatar,
partir à la conquête d’un univers en 3D,
aiguisent l’appétit des géants de la tech-
nologie. C’est le cas de Meta, la maison
mère de Facebook, de Disney ou encore
a décidé de répliquer son manoir. L’en-
gouement était tel qu’un internaute a dé-
pensé 450 000 dollars pour s’offrir une
propriété virtuelle adjacente. Autre mé-
tavers en pleine expansion, Zepeto, né
en Corée du Sud, qui compte 250 mil-
lions d’utilisateurs au Japon, en Chine,
l’événement plus intense, explique, à pro-
pos de cette expérience immersive, une
internaute dans un message posté sur
la page de Horizon Worlds, le métavers
de Facebook. Non seulement j’ai été tripo-
tée la nuit dernière, mais il y avait d’autres
personnes là-bas qui ont soutenu ce com-
SP (X4) – VLADIMIR ASTAPKOVICH/SPUTNIK VIA AFP

du chinois Baidu, qui proposera bientôt
de se balader dans une reproduction du
temple de Shaolin. Tous aimeraient s’im-
poser sur ce marché qui, d’après PwC,
devrait rapporter 1 660 milliards de dol-
lars à l’économie mondiale d’ici à 2030.
En attendant leur montée en puis-
sance, il se passe déjà beaucoup de choses
dans ces univers parallèles. À l’instar
de The Sandbox, un monde immersif
cocréé par le Français Sébastien Borget
et dans lequel le rappeur Snoop Dogg
20 | 30 décembre 2021 | Le Point 2577
mais également aux États-Unis. Sa spé-
cificité ? 70 % de ses utilisateurs sont des
femmes et la majeure partie a entre 13 et
24 ans. Les marques y sont présentes, de
Louboutin à Ralph Lauren, mais aussi
Zara, Samsung ou encore Starbucks. Le
groupe de K-pop Blackpink y a même
organisé des événements.
Attention, toutefois, aux mésaven-
tures. « Le harcèlement sexuel n’est déjà pas
drôle sur Internet, mais être en réalité vir-
tuelle ajoute une nouvelle couche qui rend
portement, ce qui m’a fait me sentir isolée. »
Un avatar a-t-il des droits ? « Aujour­
d’hui, nous avons un vide juridique sur le trai-
tement des avatars tels qu’ils seraient conçus
dans le métavers, à savoir une extension de
nous-mêmes dans le monde virtuel. Nous
ne sommes pas encore protégés », détaille
l’avocat Constantin Pavléas. À suivre,
alors que Facebook travaille avec l’uni-
versité de Carnegie Mellon pour mettre
au point une peau artificielle. Vous avez
dit immersif ?  § GUILLAUME GRALLET
 Au-delà des Millésimes rares
Recréer l’année parfaite

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L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.

LE POINT DE LA SEMAINESCIENCES
Masses en gigatonnes
(milliards de tonnes)
Poids des objets
solides inanimés
produits par l’homme
(hors déchets)
Bois, verre, plastique…
Avec 8 gigatonnes, le plastique pèse
presque 3,5 fois plus que règne animal.
Métaux 39
Le fer est le métal le plus
couramment utilisé, présent
dans des alliages comme l’acier.
Asphalte 65
L’asphalte est une forme semi-
solide de pétrole habituellement
mélangée à des agrégats pour
réaliser des routes.
Briques 92
1500 milliards de briques
sont produites chaque année.
85 % proviennent d’Asie.
Granulats 386
Les granulats sont des
matériaux particuliers
utilisés dans la construction,
comme le sable, le gravier,
la pierre concassée et
les scories. Les agrégats
sont les matériaux les plus
extraits du monde.
Béton 549
Le béton est le matériau
de construction le plus
exploité et la deuxième
substance la plus utilisée
du monde, après l’eau.
Pour estimer la masse
du vivant, nous avons
retenu la masse sèche,
après élimination de
l’eau, comme il est
d’usage dans les
milieux scientifiques.
Source : Elements Visual Capitalist.
22 | 30 décembre 2021 | Le Point 2577
L’homme produit plus que la nature
Masse anthropique Poids de toute la vie C’est un chiffre effrayant. Chaque
entre 1900 et 2020 sur Terre (plantes, animaux, seconde, 190 m3 de béton sont cou-
êtres humains, bactéries, lés quelque part dans le monde.
1154 Gt champignons, protistes,
archées et virus)
L’homme est devenu une impi-
toyable machine à transformer
son environnement. D’ores et déjà,
Biomasse mondiale la production humaine de maté-
1120 Gt riaux depuis 1900 dépasse toute la
matière vivante couvrant la pla-
23 Biomasse animale
nète, matières végétales comme
matières animales. À la précision
près que la matière vivante est ici
2,39 exprimée en matière sèche, car
c’est ainsi que les scientifiques
comptent. Pour avoir le poids vé-
Biomasse végétale
ritable, il faudrait multiplier le
1117 chiffre par un facteur compris
entre 5 et 10.
Ce qui est certain, par ailleurs, c’est
que la masse globale du vivant re-
La masse humaine
est presque dix fois plus cule sous la poussée humaine.
importante que celle Chaque année, la forêt mondiale
des mammifères sauvages. perd des millions d’hectares au
Répartition de la biomasse profit des cultures, bien moins
animale, en gigatonnes denses. Et, pendant ce temps,
l’homme s’étale sur la planète. Les
8 milliards d’humains pèsent déjà
huit fois plus lourd que l’ensemble
Arthropodes 1 des mammifères sauvages. Les
villes couvriront 1,5 % de la sur-
face des continents en 2030. Au-
trement dit, chaque jour, la nature
perd l’équivalent de la surface de
Poissons 0,7 Paris. C’est ainsi que, en 2040, la
quantité de matériaux produits
par l’homme devrait avoir triplé !
Ces matériaux n’ont pas tous le
Mollusques 0,2
même pouvoir de nuisance. Celui
qui monopolise aujourd’hui toutes
Annélides 0,2 les attentions, c’est le plastique. La
production cumulée à ce jour re-
Bovins, ovins, présente 8 milliards de tonnes. En
porcins 0,1 principe, cette matière est ultras-
table. Elle ne se décompose pas, ce
Cnidaires 0,1 qui signifie qu’elle n’interagit pas
avec l’air ou l’eau, ni avec les autres
Êtres humains 0,06 composants de l’environnement,
pour faire des toxines. Mais elle
Nématodes 0,02 s’effrite ! Et c’est là que le bât blesse,
car ces fragments microscopiques
Mammifères
0,007 s’introduisent dans toute la filière
sauvages
du vivant, provoquant des mala-
Oiseaux dies et des dégâts. Et dire qu’on
sauvages 0,002
vient de trouver de la poussière de
plastique au-dessus du mont
Source : Planet Vie. Blanc !  § PAGE RÉALISÉE PAR FRÉDÉRIC LEWINO
 ÉCONOMIE CIRCULAIRE

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LE POINT DE LA SEMAINE
CARNET
Prix
Jérôme Fourquet
et Jean-Laurent
­Cassely ont
­remporté le prix du
Livre d’économie
2021 pour La France
sous nos yeux. Économie, paysages,
nouveaux modes de vie (Seuil).
Récompenses
L’actrice australienne Cate Blanchett
recevra un César d’honneur lors de
la 47e cérémonie des César, qui doit
avoir lieu le 25 janvier. Isabelle
­Huppert se verra remettre un Ours
d’or d’honneur pour l’ensemble de
sa carrière à l’occasion du prochain
Festival du film de Berlin prévu du
10 au 20 février.
Dynastie
Caroline Kennedy, dernier enfant
encore en vie de John F. Kennedy, a
été choisie par le président Joe
­Biden comme ambassadrice des
États-Unis en Australie.
Siège
François Fillon entre au conseil
­d’administration du géant russe de
la pétrochimie Sibur. L’ancien
­Premier ministre avait rejoint en juin
le conseil d’administration de Za-
roubejneft, une autre société russe.
Nomination
Anne-Laure
Kiechel, fondatrice
de Global Sovereign
Advisory, a été
nommée par le
secrétaire général
des Nations unies
au Comité des politiques de déve-
loppement (CDP), pour la période
2022-2024. C’est la seule Française
parmi les 24 membres nommés.
Mission
Après neuf ans passés à la tête du
diocèse d’Oran, Mgr Jean-Paul Vesco
est nommé archevêque d’Alger.
PAGE RÉALISÉE PAR JEAN-MARC TURC
24 | 30 décembre 2021 | Le Point 2577
DÉCÉDÉS
Desmond Tutu
90 ans. Instituteur sud-africain, il démis-
sionne pour protester contre l’éducation de
moindre qualité réservée aux Noirs et entre
au séminaire. Ordonné prêtre à 30 ans en
1961, il s’établit à Johannesburg en 1975,
puis est nommé archevêque du Cap et chef
de la communauté anglicane de son pays. Il
se fait connaître aux pires heures du régime
raciste de l’apartheid en organisant des
marches pacifiques contre la ségrégation,
plaide pour des sanctions internationales
contre le régime blanc de Pretoria et prend
la tête du combat pour la libération de Nel-
son Mandela. Cet homme au rire espiègle et
au franc-parler légendaire reçoit le prix No-
bel de la paix en 1984. Après l’avènement de
la démocratie en 1994 et l’élection de Man-
dela à la tête du pays, il avait inventé le terme
de « nation arc-en-ciel ». Il préside la com-
mission ­Vérité et Réconciliation (TRC) en
1995 afin de tourner la page de la haine ra-
ciale et dénonce les dérives du gouverne-
ment de l’ANC, des errements dans la lutte
contre le sida aux scandales de corruption.
Il a aussi défendu les droits des homosexuels
et milité pour le droit au suicide assisté.
Joan Didion
87 ans. Figure du journalisme littéraire amé-
ricain. Son reportage à San Francisco en
1967 sur la contre-culture hippie fait d’elle
une figure du nouveau journalisme. Après
les décès de son mari puis de sa fille, elle
écrit deux récits autobiographiques forts,
L’Année de la pensée magique (2007), couronné
par le National Book Award et le prix M­ édicis
Essai en France, et Le Bleu de la nuit (2011).
Laurent Bouvet
53 ans. Politologue, cofonda-
teurdu ­Printemps ­républicain.
Ancien membre du PS, il fonde
avec Gilles Clavreul ce mou-
vement qui milite pour la
laïcité après la vague d’atten-
tats islamistes qui a frappé la
CONWAY STUART/SIPA – AFP – GETTY IMAGES VIA AFP – ERIC DESSONS/JDD/SIPA – BALTEL/SIPA
France en 2015. Très actif sur les réseaux
sociaux, cet intellectuel, tenant d’une gauche
républicaine, était l’auteur de nombreux ou-
vrages sur l’identité et l’insécurité culturelle.
Richard Rogers
88 ans. Architecte britannique, cocréateur
avec Renzo Piano du Centre Georges Pom-
pidou de Paris, Prix Pritzker en 2007.
Grichka Bogdanoff
72 ans. Un des deux jumeaux stars, anima-
teurs de l’émission télévisée Temps X.
Alain Carrière
78 ans. Cofondateur des Éditions Anne
­Carrière, ancien patron de Stock.
Gabriel Cohn-Bendit
85 ans, frère aîné de Daniel Cohn-Bendit, le
leader étudiant de Mai 68. Un des fondateurs
du lycée expérimental de Saint-Nazaire.
L’ a b u s d ’ a l c o o l e s t d a n g e re u x p o u r l a s a n t é . À c o n s o m m e r a v e c m o d é r a t i o n .
LE POINT DE LA SEMAINEARGENT

PROTECTION SOCIALE BOURSE

Une assurance-dépendance
d’un nouveau genre
Coupler l’assurance-santé et la dépendance :
c’est la dernière proposition de la Fédération
française de l’assurance (FFA) pour financer
ce risque qui va croissant. Jusqu’alors, les
tentatives d’assurance n’ont jamais rencon-
tré le succès escompté, que ce soit dans les
années 1990, avec l’offre d’une garantie au
sein d’un contrat d’assurance-vie, ou plus
cette garantie selon l’âge auquel l’assuré
commence à cotiser et selon la rente visée
(voir tableau). Ainsi, pour une rente men-
suelle de 300 euros, il en coûterait 8,20 eu-
ros par mois pour une personne qui Stéphane Déo
commencerait à cotiser à 42 ans et 14,60 eu- Ostrum Asset Management
ros pour celle qui débuterait à 62 ans. Un
barème établi dans l’hypothèse d’un com- Comment voyez-vous

227 
récemment, avec la création de contrats dé- mencement en 2022. « Pour chaque année les marchés évoluer d’ici
pendance spécifiques. « Moins d’un de report, une hausse des cotisa- à la fin de l’année ?
Français sur dix en a souscrit un alors tions de 2 % devrait être appliquée Les marchés seront très
qu’un sur deux se dit préoccupé par pour permettre l’équilibre financier ­volatils, pour au moins cinq
le risque de sa propre dépendance », de la solution », met en garde raisons : on ne saura qu’en
soulignent les auteurs du livre euros par an ­Florence Lustman, présidente de ­janvier si les vaccins peuvent
blanc sur lequel s’est appuyée la C’est le coût la FFA. combattre le nouveau variant ;
FFA. Cette dernière préconise la moyen actuel de Qui paiera ? Les complémen- les banques centrales tergi-

601 
mise en place d’une garantie au l’assurance-dépendance. taires santé étant majoritaire- versent sur la politique moné-
sein de la complémentaire santé, ment souscrites dans le cadre de taire à mener (nombre de
au même tarif pour tous, selon le l’entreprise, y aura-t-il un partage hausses de taux, calendrier de
principe de la mutualisation. des cotisations avec l’employeur ? la fin des injections de liquidi-
Cette garantie élaborée avec la Quid des dépendances partielles ? tés), ce qui nuit à la visibilité ;
Mutualité française prendrait la euros Le livre blanc n’y répond pas, la le niveau actuel d’inflation
forme de services (aides à domi- C’est le montant moyen décision étant éminemment po- crée des perturbations qui
cile, aides au réaménagement du de la rente mensuelle litique. En revanche, la FFA plaide ­devraient se répercuter
logement…), d’un bilan de santé, versée aux personnes pour un allègement des taxes qui ­négativement sur les marges
mais surtout d’un versement à déjà assurées. frappent ces contrats dits respon- des entreprises ; avec un taux
toutes les personnes reconnues sables. de croissance plus faible, la
comme « dépendantes totales » d’une rente « L’enjeu de la dépendance est de taille, et la Chine aura en 2022 un effet
viagère comprise entre 300 et 500 euros par réponse aujourd’hui insuffisante », souligne Flo- d’impulsion plus faible sur
mois. « Ce maximum correspond à peu de chose rence Lustman. Le coût de la dépendance la croissance mondiale ; enfin,
près au reste à charge, une fois les diverses aides pour les ménages est aujourd’hui estimé à après chaque récession,
déduites », justifie Jean Malhomme, président 6,3 milliards d’euros par an, et ce chiffre est les pays n’ont jamais retrouvé
de la commission des assurances de per- appelé à exploser. En 2030, la France comp- leur croissance d’antan.
sonnes de la FFA. tera 3 millions de personnes en perte Faut-il prendre ses bénéfices ?
À quel prix ? La FFA a chiffré le coût de ­d’autonomie  § Nous restons positifs à court
terme, car les fondamentaux
sont solides, et tablons sur un
Des souscriptions en faible nombre Niveau des cotisations mensuelles indice Euro Stoxx à 4 550. Nous
Répartition des Français couverts uniques* selon l’âge à partir duquel privilégions les valeurs qui
par un contrat dépendance la garantie dépendance est prélevée conservent un potentiel de
croissance : les financières (qui
Auprès d’une Auprès d’une Pour une rente mensuelle de...
compagnie mutuelle Âge devraient profiter de la hausse
d’assurances 7,4 millions 56 % de début 300 € 400 € 500 € des taux), les médias (secteur
40 % de Français en reprise), la technologie
couverts 22 ans 5,70 € 7,60 € 9,50 € (pour jouer l’atout de la numé-
par un contrat risation), la santé (pour sa résis-
dépendance 42 ans 8,20 € 10,90 € 13,70€ tance à l’inflation), l’énergie et
à fin 2019
les ressources de base, le luxe
DAMIEN GRENON/SP

52 ans 10,50 € 14€ 17,60€

(pour sa capacité à augmenter
Auprès d’une 62 ans 14,60€ 19,40€ 24,20€
les prix) et enfin les voyages et
institution de les loisirs hors aérien §
prévoyance 4 % Source : FFA. * Hors taxes et frais annexes. Source : étude FFA-FNMF. PAGE DIRIGÉE PAR LAURENCE ALLARD

26 | 30 décembre 2021 | Le Point 2577

LE POINT DE LA SEMAINEARCHITECTURE

À Cannes, un campus
cinématographique
Avant de rejoindre la Croisette pour fouler le tapis rouge des
fameuses marches du Palais des festivals, nombre de stars du
7e art transitent par l’aéroport Cannes-Mandelieu. Non loin
de là, dans le quartier de la Bocca, à l’ouest de la ville, l’univer-
sité du Cinéma – au sein du campus Georges-Méliès – s’affiche
depuis juin au cœur de la Bastide rouge, technopôle consacré
aux métiers de l’écriture et de l’image. Accolé à un cinéma
multiplexe flambant neuf de 2 400 places réalisé par Rudy Ric-
ciotti, et bientôt complété par une résidence universitaire de
172 chambres (Comte & Vollenweider architectes), cet établis-
sement public d’enseignement supérieur accueillant 1 000 étu-
diants fait son show. Des brise-soleil géométriques rythment
ses façades en béton architectonique qui semblent se déhan-
cher jusqu’au dernier étage, véritable ouvrage d’art en forme
de pont reliant les ailes latérales au-dessus de l’entrée princi-
pale. « Dans l’immense patio central baigné de lumière naturelle,
rez-de-chaussée et mezzanines veulent favoriser les échanges et les
rencontres informelles », note l’architecte Christophe Gulizzi.
L’épaisse dalle acoustique microperforée rivée au plafond de
l’atrium ? Une parade pour atténuer l’effet d’écho dans le hall
et profiter ainsi au mieux de cette grande fenêtre sur cour §

STÉPHANE ABOUDARAM/WE ARE CONTENTS – LISA RICCIOTTI – STÉPHANE ABOUDARAM/STÉPHANE ABOUDARAM/WE ARE CONTENTS
La façade en béton
architectonique de
l’université du Cinéma,
signée Christophe Gulizzi.
Au dernier étage du
bâtiment, au-dessus de
l’entrée, un pont relie les
ailes latérales.
À l’intérieur, le patio
central et les mezzanines,
où se rencontrent les
1 000 étudiants inscrits.

58
C’est, en nombre de jours, la durée
moyenne du délai des transactions
sur le marché immobilier ancien
à Nantes, selon une récente étude
de MeilleursAgents.
Coup d’arrêt. Volontiers
citée en exemple pour
illustrer la récente ruée
immobilière vers l’Ouest, la
vigueur du marché nantais
s’affaisserait-elle ? Peut-être,
au vu des derniers
indicateurs fournis par la
plateforme d’estimations
immobilières
MeilleursAgents. Leur
constat est sans appel : alors
qu’en avril un bien trouvait
preneur au sein de
l’ancienne cité des ducs
de Bretagne en quarante-
deux jours à peine, il faut
désormais compter
seize jours
supplémentaires.
Ce ralentissement n’est
sans doute pas étranger à
l’insolente flambée des prix
de l’immobilier dans la
métropole nantaise. En
effet, on enregistre 57 %
de hausse des valeurs
depuis janvier 2015 ! §
PAGE DIRIGÉE ET RÉALISÉE
PAR BRUNO MONIER-VINARD

28 | 30 décembre 2021 | Le Point 2577

 1% pour la planète, un grand pas
pour les générations futures
crédit photo : Getty image

Si toutes les grandes marques donnaient 1% de leur chiffre d’affaires pour préserver
la planète, nous ferions un pas de géant pour la santé de l’Homme et de la Nature.
Les entreprises ou les marques affichant le logo 1% for the Planet reversent 1% de leur
chiffre d’affaires à des associations environnementales. Rejoignez les 1000 entreprises
françaises déjà engagées, pour que l’émerveillement sur notre planète perdure.
onepercentfortheplanet.fr

Eau Thermale Jonzac®, marque de cosmétique bio thermale, est membre 1% for the Planet,
et soutient l’association Générations Futures, qui lutte contre les perturbateurs endocriniens.
Eau Thermale Jonzac® a également soutenu plus de 20 projets de préservation de la
nature en 2021.
Eau Thermale Jonzac® est une marque de Compagnie Léa Nature, dont 18 des marques
adhèrent au mouvement mondial 1% for the Planet. Depuis 2007, 16 millions d’euros ont
été reversés à plus de 2200 projets de protection de la nature (à fin 2021) et 2,6 millions
d’euros sont désormais reversés chaque année.
FRANCE

Gabriel Attal, un sni

30 | 30 décembre 2021 | Le Point 2577

per si bien élevé
Balzacien. Le porte-parole du gouver-
nement, malgré ses faux airs d’enfant
sage, est déjà un roué crocodile avec
lequel il faut désormais compter.
PAR NATHALIE SCHUCK
«L
a première carte, à gauche,
symbolise ton énergie », dé-
voile Marlène Schiappa,
devant le jeu de tarot étalé en face
d’eux. Un Cavalier d’épée, c’est un
heureux présage. En ce dernier mois
de juillet du quinquennat qui voit
les ministres trépigner à l’idée d’un
hypothétique remaniement,
Gabriel Attal piaffe d’impatience,
dans l’attente de savoir s’il va béné-
ficier d’une ultime promotion et
gravir encore les échelons avant la
présidentielle. En attendant la fu-
mée blanche élyséenne, son amie
et collègue ministre chargée de la
Citoyenneté, experte à ses heures
perdues en divination, consent à
lui tirer les cartes pour l’aider à éclai-
rer l’avenir. Sous les yeux du jeune
homme s’affichent quatre figurines,
indéchiffrables. « Celle de droite, c’est
ta réponse », poursuit-elle en dési-
gnant l’Étoile, figure bienfaisante,
signe de bonne fortune. Au centre,
deux femmes censées représenter
les influences extérieures veillant
sur sa destinée, dont la carte de l’Im-
pératrice, annonciatrice de projets
prometteurs. « En gros, il faut que je
devienne une femme pour avoir une
promo ! » s’esclaffe Gabriel Attal, lu-
ÉLODIE GRÉGOIRE POUR « LE POINT »
cide sur les effets collatéraux de la
parité pour la gent masculine. Mar-
QG. Gabriel Attal dans son bureau lène Schiappa rectifie : « Non, tu as
de l’hôtel de Rothelin-Charolais, une femme de pouvoir plus âgée qui
rue de Grenelle (Paris, 7e) après est positive pour toi. Ce n’est pas Bri-
un Conseil des ministres en juin. gitte, qui sort avec la carte de la Papesse
chez moi. À mon sens c’est une ministre,
ancienne ministre ou future ministre,
Le Point 2577 | 30 décembre 2021 | 31
qui soit va te coopter, soit avec qui tu
vas bosser, soit dont tu vas prendre la
place. » Qui est donc cette mysté-
rieuse intrigante qui doit donner
un tour nouveau à sa fulgurante
carrière ? Le porte-parole l’ignore
encore à ce jour…
Nuits blanches. La scène dit
tout de l’ambition, plus aiguisée
qu’il ne veut bien l’admettre, du
plus jeune ministre de la Ve Répu-
blique, nommé à l’automne 2018 à
29 ans pour piloter le Service na-
tional universel (SNU), promesse
d’Emmanuel Macron, avant de de-
venir, au poste de porte-parole, le
visage du pouvoir macroniste, l’in-
carnation de ce gouvernement dont
nul n’est capable de citer plus de
dix membres, au mieux. Depuis
qu’il a gagné la confiance du pré-
sident, c’est lui qui annonce aux
Français la plupart des mises en
garde et restrictions sanitaires.
Jusqu’à avoir été privé cette année
de vacances de Noël, hormis deux
jours en famille en Bretagne, pour
cause de menace Omicron. Depuis
un an et demi, il est de toutes les ré-
unions stratégiques à l’Élysée et
Matignon, petite souris qui
consigne tout sur de précieux car-
nets Moleskine convoités par des
éditeurs prêts à lui faire un pont
d’or. À la faveur de la crise du Co-
vid-19, sa parole a pris du poids, de
conférences de presse en journaux
télévisés, du plateau de Pascal Praud
aux colon­nes de Valeurs actuelles,
avec une aisance qui n’est que feinte,
lui qui ne s’était j­amais …
FRANCE

sacienne, celle de l’élite dans le 6e ar-

rondissement, famille aimante
malgré le divorce : un père, Yves At-
tal, avocat et producteur de­­ciné­ma
à qui l’on doit Talons aiguilles d’Al-
modovar et Beauté volée de Berto-
lucci ; une mère d’origine russe qui
lui a transmis sa foi orthodoxe –
édifiant pour celui qui se fait trai-
ter de « sale juif » sur les réseaux
sociaux ; trois sœurs et un petit frère
adoré adopté sur le tard, qu’une
cousine avait eu seule avant de pé-
rir dans un accident de voiture à
16 ans. « J’ai eu une enfance heureuse,
je n’ai jamais manqué de rien », ra-
conte-t-il. Il a toujours des copains

… ­exprimé ­devant une caméra
avant 2017 et quelques séances de
média training avec Laurent Fon-
taine, animateur des deuxièmes
parties de soirée de TF1 dans les an-
nées 2000. Immense stressé, capable
de perdre brutalement plusieurs
kilos à force d’anxiété, la cigarette
électronique toujours à portée de
main, il confesse avoir connu des
nuits blanches avant ses passages
chez Jean-Jacques Bourdin.
Trop pressé, Gabriel Attal ? Il s’en
défend, tout en égrenant les der-
niers sondages qui le classent parmi
les ministres les mieux notés.
« Quand on est jeune et qu’on a des res-
ponsabilités, on est vu comme ambi-
tieux. Je ne serais pas là si je ne l’étais
pas, ce n’est pas un gros mot. Ce que je
veux éviter, c’est le côté arrogant. Après,
je ne vise rien, je n’ai pas de plan. »
Voire. Il y a peu, son collègue de la
Santé, Olivier Véran, qui l’apprécie,
lui a rappelé ces propos de 2017 :
« Je nous revois quand on venait d’être
élus députés. Tu m’avais dit : “Je vais
être dans la commission parlementaire
chargée du SNU, puis je serai nommé
au gouvernement pour m’en occuper.”
Je m’étais dit : “Il rêve.” »
Rive gauche. Le trentenaire est
l’enfant chéri de la macronie. En
apparence, tout fut facile, au point
que les mauvaises langues ont parlé
à son propos de « promotion copinage
et canapé ». La réalité est plus abra-
sive. Enfance dorée sur la Rive
gauche de Paris, études à l’École al-
ÉLODIE GRÉGOIRE POUR « LE POINT » – AFP (X3) – SUREAU/TF1/SIPA – UNIVERSAL PHOTO/SIPA – MOUSSE/ABACA
d’enfance et sa bande d’élus fidèles,
qu’il reçoit dans la demeure fami-
liale de l’île aux Moines, dans le
Morbihan. Il sourit : « La blague au
lycée, parce que je parlais tout le temps
de politique, c’était de m’appeler “Pré-
Com.Gabriel Attal, sident”. » Dans le « Year Book » réa-
avec, à sa gauche, lisé en fin de terminale, des amis
Louis Jublin, ont créé un photomontage de lui
son conseiller chargé inspiré du portrait officiel de
de la communication Georges Pompidou dans la biblio-
et de la presse, et, thèque de l’Élysée. En novembre
à sa droite, Fanny Anor, 2015, le bonheur se déchire. Yves
sa directrice de cabinet. Attal est terrassé en quelques jours
Et, au bout de la table : par un cancer foudroyant. « Je ne
Maxime Cordier, son comprenais pas avant, quand on di-
chef de cabinet et sait de quelqu’un : “Il a disparu.” Je
conseiller spécial. trouvais ça ridicule », souffle-t-il. C’est
son père, électeur du PS et lecteur
de Libération, qui l’a poussé en poli­
tique. Il est parti trop tôt pour as-
sister à son ascension. Pas un jour
ne passe sans que Gabriel Attal y
songe. Quand il est devenu secré-
taire d’État à la Jeunesse, il a fait
­venir au ministère le bureau …

Les plus jeunes ministres de la République

Jean Zay François Mitterrand Valéry Giscard d’Estaing François Baroin Rama Yade

À 31 ans, sous le gouver-
nement Léon Blum,
il est le plus jeune
ministre de toute
la Troisième République.
En 1946, il se fait élire
député de la Nièvre
et devient le benjamin
des gouvernements de
l’après-guerre. Il a 30 ans.
En janvier 1959, Avant la nomination de En 2007, à 30 ans,
il est, à 32 ans, Gabriel Attal, il détenait le elle devient secrétaire
le plus jeune ministre record : il fut porte-parole d’État chargée des Affaires
du gouvernement du gouvernement Juppé étrangères et des Droits
de Michel Debré. en 1995 à l’âge de 29 ans. de l’homme.

32 | 30 décembre 2021 | Le Point 2577

 REVENEZ AU MONDE
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L’ESSENTIEL DE LA CROATIE
Chutes de Krka, bouches de Kotor, palais
de Dioclétien... Entre trésors naturels et sites
classés Unesco, embarquez pour une croisière
à la découverte des joyaux de la côte dalmate.
FRANCE
… sur lequel travaillait son
père. La violence du job fait ­depuis
toujours frémir sa mère.
­Aujourd’hui encore, elle tremble
devant les menaces de mort et les
attaques, homophobes et antisé-
mites, qu’il subit. Un jour qu’on le
traitait sur Instagram de « fils de
p… », elle a vertement répondu de-
puis son compte personnel : « Je
suis la maman de Gabriel Attal, je ne
vous permets pas ! »
En politique aussi, on l’a sus-
pecté d’avoir la main trop heureuse,
ignorant que derrière ce beau jeune
homme aux faux airs d’enfant sage
se cachait un roué crocodile. Certes,
il a bénéficié d’un stage au Parle-
ment auprès de Marisol Touraine
parce qu’il était un camarade de
classe de sa fille à l’Alsacienne. Mais
c’est parce qu’elle appréciait sa vi-
vacité qu’elle l’a recruté, une fois
devenue ministre de la Santé de
François Hollande, dans son cabi-
net – il détient la palme du plus
jeune conseiller ministériel, à
23 ans – pour seconder un certain
Benjamin Griveaux. « Je l’ai connu
tout petit », se souvient-elle. Ils ont
en commun d’avoir connu l’école
Strauss-Kahn au PS, auquel Attal
a adhéré à l’âge de 17 ans. En 2007,
pourtant, il a voté Ségolène Royal.
Un de ses premiers émois politiques
est d’avoir assisté au grand mee-
ting de la candidate s­ ocialiste à Vil-
lepinte. Il peut réciter de tête, le
poing sur le cœur, sa tirade fameuse
sur les mômes de banlieue : « Cette
ferme volonté, je l’ai là, chevillée au
corps ! » Clin d’œil de l’histoire, il a
rencontré Royal aux obsèques de
Jacques Chirac. L’ex-ministre, atta-
chée aux valeurs patriotiques et
séduite par le SNU, lui avait lancé,
en désignant le cercueil de l’ancien
président dans l’église Saint-Sul-
pice (Paris 6e) : « C’est étrange de le
dire ici, mais quelle bêtise il a faite de
supprimer le service militaire ! »
On a également accusé Attal
d’avoir gravi les marches du pou-
« Je ne serais pas là si je n’étais pas ambitieux,
ce n’est pas un gros mot. Ce que je veux éviter,
c’est le côté arrogant. » Gabriel Attal
34 | 30 décembre 2021 | Le Point 2577
Marcheur. Avec Emmanuel Macron,
sur les Champs-Élysées, le 14 juillet 2019.
Quand Attal attaque
« Valérie Pécresse, c’est le retour
de la rente en politique. Elle collec-
tionne les mandats comme une
carte de fidélité. Elle cumule trente-
quatre ans de mandats locaux
et nationaux superposés… »
Le Parisien, le 5 décembre
« Zemmour, c’est le triomphe
de l’esprit de défaite, le culte de la
nostalgie, le renoncement à toutes
les ambitions pour se concentrer
sur la désolation. »
Le Parisien, le 18 juillet
La vaccination, « un grand pas
pour l’immunité ».
nouvelobs.com, le 8 juillet
« LR est en train de devenir
l’école des fans du RN. »
Libération, le 11 juin
Marine Le Pen « reste un danger
absolu. Lui faire confiance, c’est
jouer à la roulette russe ».
Les Échos, le 16 avril
voir grâce à son union avec l’an-
cien conseiller du président
Stéphane Séjourné, devenu chef
des eurodéputés centristes. C’est
mépriser le fait qu’ils n’ont jamais
joué au « power couple », déclinant
les propositions de Paris Match de
leur offrir la couverture. « On a cha-
cun notre parcours », insiste Attal,
si réservé sur sa vie personnelle
qu’il n’existe qu’une photo d’eux
lors d’une cérémonie officielle.
Fans de… Morano. Ceux qui
le prennent pour un enfant gâté
omettent que le « gamin » a du pif
politique. Il y a deux mois, il a pa-
rié que la primaire LR se solderait
par un second tour entre ­Valérie
Pécresse et Éric Ciotti, se trompant
simplement sur l’ordre d’arrivée,
là où tout LREM misait sur Michel
Barnier ou Xavier Bertrand. En té-
moignent aussi ses affinités poli-
tiques, parfois improbables. Tout
sauf sectaire, il a recruté dans son
cabinet des anciens sarkozystes et
copéistes. Et voue une affection
particulière à Nadine Morano. Ils
se voient régulièrement et se
tiennent en haute estime. « Elle est
loyale et courageuse, ça force l’admi-
ration. Je suis diamétralement oppo­sé
à certaines de ses idées, mais je la
trouve sympa, on se marre bien, elle
a du recul sur elle-même et moi aussi »,
salue-t-il. Cette sarkozyste histo-
rique le lui rend bien : « C’est un
garçon qui a un vrai talent, il bosse
beaucoup ses dossiers. C’est un adver-
saire politique, je le combats mais,
d’un point de vue humain, il est extrê-
mement chaleureux, il a une vraie
force intérieure. Il n’est pas de ma fa-
mille politique, mais il faut savoir re-
connaître les gens qui ont des valeurs. »
De même échange-t-il souvent
avec le sénateur centriste Hervé
Marseille, élu des Hauts-de-Seine
comme lui. Un « Tonton flingueur »
à l’ancienne, expérimenté et tru-
culent, qui a vite compris que der-
rière le jeune geek qui passe ses
RAPHAEL LAFARGUE/POOL/REA
coups de fil juché sur un hover-
board et dévore des McDo se ca-
chait un politique avisé, bien
éloigné des clones de la « start-up
nation », qui n’ont jamais croisé un
électeur. Nicolas Sarkozy ne s’y est
pas trompé. « Il se débrouille …
FRANCE
… bien », reconnaît l’ancien
chef de l’État, rarement tendre avec
les Marcheurs. Il le lui a dit de vive
voix début octobre. Alors qu’ils
grimpaient côte à côte l’escalier de
la questure de l’Assemblée pour re-
mettre la Légion d’honneur à
l’ex-ministre Nora Berra, il lui a
confié : « Le président Macron dit beau-
coup de bien de vous. Et pourtant, il dit
beaucoup de mal des gens ! »
« Bromance ». Gabriel Attal a
mis du temps à intégrer le premier
cercle présidentiel. Il n’était pas un
intime des Macron, pas plus qu’il
ne participait aux dîners politiques
à l’Élysée. Le poste de porte-parole
lui a permis d’accéder au Graal. De-
puis, avec son compagnon, il lui
arrive de déjeuner avec la première
dame, qu’il tutoie. Parfois, il lui ra-
mène du vin et des friandises de
ses déplacements, comme ces
brioches aux pralines de la choco-
laterie Pralus de Roanne, venues
agrémenter un matin le petit dé-
jeuner du couple présidentiel. Dé-
licate attention. Signe qu’il est tout
sauf blasé par les dorures du pou-
voir, il arbore au poignet un brace-
let brésilien tricolore que seuls
reconnaissent les initiés : un cor-
don de menu en tissu, souvenir
d’un repas de gala au palais prési-
dentiel. Emmanuel Macron, avec
qui il échange plusieurs fois par
semaine désormais, a appris à se
reposer sur celui qu’il surnomme
« Je n’ai jamais considéré que la présidentielle
c’était : on se met sur les skis, sur le tire-fesses
et on attend ! » G
 abriel Attal
36 | 30 décembre 2021 | Le Point 2577
« Attalian » pour le chambrer. Non
qu’il ait des origines arméniennes,
mais parce que sa « circo », qui fut
celle d’André Santini, abrite une
importante communauté. Peu
après sa nomination comme
porte-drapeau de l’équipe Castex,
Attal s’est brièvement laissé eni-
vrer, fasciné que sa parole se tra-
duise par des dépêches inscrites en
rouge « urgent » sur le fil AFP. « Une
erreur, un mot de travers, ça peut faire
dévisser un cours de Bourse, provo-
quer une crise diplomatique »,
s’étonne-t-il alors. Rapidement, il
dégrise. S’il dit aujourd’hui vivre
une « bromance » [contraction de bro-
ther, frère en anglais, et romance,
NDLR] avec Jean Castex – « mon
pote ! » ose-t-il –, il feint d’oublier
que le Premier ministre lui a fait
vivre deux expériences cuisantes.
Lorsque Castex, d’abord, s’est fait
attraper avec ce mot griffonné de
sa main dans le vestibule de l’Ély-
sée : « Finalement, on a trouvé un os
supplémentaire à ronger pour le jeune
Gabriel ? » Condescendant. Le rouge
lui est monté aux joues de se voir
ainsi traiter en capricieux. Puis
lorsque Matignon l’a contredit sè-
chement parce qu’il avait annoncé
trop tôt un couvre-feu dans la ca-
pitale, au risque de fâcher Castex
avec Anne Hidalgo. Avec le recul,
il relativise : « C’est ma cicatrice à
moi. Ça fait le cuir. » Il sourit même
du glorieux surnom que certains
ont donné à son poste, réputé casse-
gueule : « La station d’épuration. »
Grimaces. Ci-dessus
avec ses frères et Porte-flingues. Dans la campa­
sœurs : Nikolaï, Iris et gne présidentielle qui se profile, il
Fanny. Ci-contre, quand sera « à fond » aux avant-postes. Il
il n’était encore qu’un se verrait bien coordonner la ri-
petit garçon choyé. pos­te, sniper en chef à la tête d’une
armée de porte-flingues, tout en
conservant son poste au gouver-
nement. Déjà, le président lui a
passé consigne de tirer à vue sur
Valérie Pécresse, Éric Zemmour et
L’École Marine Le Pen. Contrairement à
alsacienne, certains Marcheurs, il ne croit pas
pépinière VIP
Le huppé établisse- la victoire acquise. Élu sur une
ment de la rue vague « dégagiste », il sait qu’il peut
Notre-Dame-des- en être à son tour victime. « Je n’ai
Champs, dans le jamais considéré que la présidentielle
6e arrondissement c’était : on se met sur les skis, sur le tire-
de Paris, accueille fesses et on attend ! » observe-t-il. Si
depuis toujours fils
et filles de stars Emmanuel Macron était recon-
du show-biz et de la duit, il aimerait prolonger l’aven-
politique. Ce fut ture au gouvernement. Ses amis le
le cas des enfants rêvent dans un poste régalien ou
Veil, Flammarion, au Budget. « Un truc de grande per-
Olivennes,
Wolinski. Alain
sonne », insiste l’un, qui considère
Juppé, Élisabeth qu’il a largement fait ses preuves.
Guigou, Martine Dans le parc de l’hôtel particulier
Aubry, Louis de Rothelin-Charolais (Paris, 7e),
Schweitzer et qu’il occupe, Gabriel Attal regarde
Vincent Peillon « Doudou » clopiner. Offerte par
y ont eux aussi
scolarisé les leurs. Édouard Philippe à Christophe
Plus près de nous, Castaner, la poule obèse au plu-
les derniers anciens mage sombre se traîne pénible-
élèves, outre Gabriel ment. Facétieux, il joue à se faire
Attal, à faire parler peur en imaginant la passation de
d’eux : la chanteuse pouvoirs avec Jordan Bardella,
Joyce Jonathan et
l’inénarrable avocat 26 ans, si le RN accédait au pou-
d’extrême gauche voir : « Je prie pour qu’il ne batte pas
Juan Branco. mon record d’âge… Je serais capable
COLLECTION PERSONNELLE (X2)
de faire des blagues : “La poule est
noire, ne lui faites pas de mal !” » Il le
niera mordicus et répétera qu’il
peut travailler dans le privé, mon-
ter sa boîte, lui qui a fait de la poli-
tique toute sa vie, mais il n’a qu’une
crainte : que tout s’arrête net §
 COMMUNIQUÉ

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(1) Allergan. Système CoolSculpting® manuel d’utilisation, BRZ-101-TUM-FRA-F, mars 2017.(2)Klein KB, et al Lasers Surg Med 2009;41:785-90.(3) Sasaki GH, et al.
FR-CSC-210140 – Octobre 2021

Aesthet Surg J 2014;34:420–31. Étude réalisée sur 112 patients. 85 patients disponibles pour évaluations de suivi. Critère évaluation = réduction moyenne de l’excès
graisseux par rapport à l’état initial, mesurée à l’aide d’un pied à coulisse. Réductions moyennes par zone : abdomen inférieur 27% (n=55), flancs 25% (n=20). Les effets
indésirables observés durant cette étude sont érythèmes et ecchymoses aux sites traités pour la majorité des patients.(4) Zelickson B, et al. Dermatol Surg 2009 ;35
;1462-70.(5) Donnéesnon publiées: Nombrede cycles detraitementCoolSculpting® à cejour.Juillet2019.(6) Safety, Tolerance,and Patient SatisfactionWithNoninvasive
Cryolipolysis Dierickx CC, Mazer JM, Sand M, Koenig S, Arigon V.Dermatologic Surgery. 2013; 39(8):1209-16. Étude réalisée sur 518 patients européens. Etude rétros -
pective réalisée dans des sites cliniques en Belgique et en France.
CoolSculpting®/ Coolscupting® Elite sont des marques de systèmes, cartes, applicateurs et accessoires destinés à être utilisés simultanément pour le traitement non in-
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réglementation, le marquage CE0197. L'utilisation de ces dispositifs médicaux nécessite l'intervention d'un médecin. Cette procédure n'est pas une méthode d'amaigris-
sement et ne se substitue pas à un régime alimentaire varié associé à de l'exercice physique. Pour plus d'informations, demander conseil à un médecin. Des effets indé-
sirables peuvent survenir.Fabricant : Zeltiq Aesthetic Inc. (Californie, États-Unis).
FRANCE
Grosse fatigue
Baromètre. Viavoice
a sondé les émotions
des Français. Constat
sombre : ils se sentent
usés, et la présidentielle
ne les emballe pas.
PAR MICHEL REVOL
U
n an plus tard, ça ne va pas mieux.
Le moral des Français tient à peu
près bon, mais le corps flanche. In­
terrogés par l’institut Viavoice, qui réa­
lise pour la deuxième année consécutive
le baromètre France-Émotions pour
Le Point et la Fondation Jean-Jaurès, plus
de la moitié d’entre eux (57 %) se disent
fatigués. Pandémie, confinements suc­
cessifs et dilution des rapports sociaux
pèsent sur leur état physique. Une majo­
rité d’entre eux se disent d’ailleurs plus
fatigués qu’avant la crise sanitaire, et
près de 1 sur 2 se sent « plus sensible et plus
émotif » qu’aux premiers jours du Covid.
Le moral, s’il résiste, prend forcément
un coup. Alors que la rentrée s’annon­
çait plutôt bien, avec une épidémie en
reflux et une reprise des activités, les
­semaines suivantes ont plombé les
­esprits, d’autant que les vagues de virus
se succèdent désormais. On n’espère
plus grand-chose, on doute. Après la fa­
tigue, les émotions les plus couramment
ressenties sont l’incompréhension face
à la période, suivie par l’espoir – tout de
même –, la colère, la tristesse et la peur.
Comment retrouver de l’entrain ?
L’idéal est, pour les Français, de se b­ lottir
en famille. Les émotions associées au
cercle familial sont largement positives :
sérénité (38 %), joie (29 %), confiance
(28 %). Comme souvent, et notamment
en période de fêtes, la famille redevient
un abri contre les vicissitudes de la vie
extérieure. En revanche, la thérapie par
le travail est à écarter. Si celui-ci procure
La famille redevient un abri
contre les vicissitudes de la vie extérieure.
38 | 30 décembre 2021 | Le Point 2577
de l’espoir et de la sérénité, il est surtout
vecteur, là encore, de fatigue. Les amis ?
Quand tout est «bof» Pas mieux. La vie sociale post-confine­
Quand vous pensez à tout ce que vous vivez ments est devenue, pour la plupart des
sondés, synonyme d’ennui et de ­tristesse.
en ce moment, diriez-vous que votre état
d’esprit est... La période présidentielle devrait
­logiquement revigorer la vie en société.
Ne se prononce pas
C’est un moment où l’on s’intéresse à la
Très négatif Très positif chose publique, donc aussi à l’autre. En
2021, c’est râpé. Les émotions v­ éhiculées
43 % 10 4 9 53 %
Négatif Positif par cette campagne naissante ne sont
pas reluisantes : le trio de tête, c’est « in­
- 1 point Pareil
Réponses
depuis 33 en % 44 depuis différence », « espoir » – ouf ! –, « incom­
2020 2020 préhension » ! Puis la colère et l’ennui…
Autrement dit, cette campagne
Plutôt négatif Plutôt positif ­n’emballe pas les foules. Tout d’abord,
les thèmes essentiels aux yeux des
­Français sont anxiogènes. Ce sont,
Quelles émotions ressentez-vous le plus dans l’ordre, la santé, le pouvoir d’achat
souvent actuellement ? et la sécurité. Ensuite, les candidats
Plusieurs réponses n’éveillent aucun enthousiasme. Em­
possibles,
en % Incompréhension
manuel Macron (probable postulant)
40 % est associé d’abord à la colère, Jean-Luc
Mélenchon, Marine Le Pen et Éric
Fatigue Colère ­Zemmour au dégoût, alors que Yannick
57 % 36 % Jadot, Anne Hidalgo et Valérie Pécresse
suscitent avant tout de l’indifférence…
Espoir Tristesse
36 %
30 % « Espoir ». En croisant les émotions
des électeurs avec leur choix électoral,
Viavoice a dessiné trois grandes familles.
Quand on vous parle aujourd’hui de
Il y a d’abord le camp de la colère, in­
l’élection présidentielle qui aura lieu
en 2022, que ressentez-vous ? carné par Le Pen et Zemmour. Vient
­ensuite le camp de la fatigue : curieuse­
Plusieurs réponses Évolution depuis ment, ces électeurs usés par la crise et
possibles, en % mars 2021, en points
emplis d’incertitudes se retrouvent
Indifférence
25 % -18
dans la candidature de Pécresse. Il y a
Espoir
enfin le camp plus optimiste, porté sur
22 % +10 l’espoir et l’enthousiasme : ces électeurs
Incompréhension penchent vers Macron.
22 % Nouveau Le cocktail entre l’usure et l’indiffé­
Colère rence face à la campagne électorale n’est
20 % +9 évidemment pas très porteur pour les
Dégoût candidats. Comment enthousiasmer des
20 % +7 foules anémiées ? Tout n’est pas perdu,
Étude réalisée par Viavoice pour « Le Point » et la Fondation
cependant, pour les prétendants à l’Ély­
Jean-Jaurès sur un échantillon national représentatif de sée comme pour le pays : quand on leur
la population française de 1 500 personnes, âgées de 18 ans
et plus, interrogées en ligne du 9 au 14 décembre 2021.
demande leur sentiment pour les pro­
Méthode des quotas. chains mois, les Français répondent
d’abord « espoir ». Mais, puisque le mo­
ral est décidément dans les chaussettes,
ce maigre espoir est à égalité avec la peur,
et talonné par l’incompréhension, la
­colère et, encore une fois, la… fatigue §
MONDE

La démocratie vacille
Choc.Le 6 janvier 2021, jour où le
Congrès, qui siège au Capitole,
doit certifier les résultats de la
présidentielle, des partisans
de Donald Trump prennent d’assaut
ce palais de Washington symbole
de la démocratie américaine.

40 | 30 décembre 2021 | Le Point 2577

en Amérique
Inquiétude. L’attaque du
Capitole par des pro-Trump,
il y a près d’un an, a ébranlé
tout le système.
DE NOTRE CORRESPONDANTE AUX ÉTATS-UNIS, CLAIRE MEYNIAL

A
ndrew Hatley souffle. Il se lève face au juge,
penché, mains sur le pupitre, jambes écartées.
Les cheveux blonds sont tirés en catogan, la
barbe dépasse du masque. Il porte une chemise
bleue serrée, un pantalon beige. On peine à recon-
naître l’homme de la photo du 6 janvier 2021. Sur
le selfie à l’intérieur du Capi­tole, il portait un cha-
peau de cow-boy et un autre masque, à gaz celui-là.
Au début, il a dit que ce n’était pas lui. « J’étais terri-
fié, Votre Honneur », se justifie-t-il. Tout de même,
cela intrigue le juge : pourquoi un masque à gaz,
s’il n’avait aucune mauvaise intention ? « Je pèse
plus de 136 kilos, Votre Honneur. Je ne cours pas vite. Et
j’avais vu que, dans d’autres manifs, ils gazaient les
gens. » Le juge soupire. En cet hiver trop chaud à
Washington, les cyclistes empruntent en bras de
chemise la majestueuse perspective, ensoleillée et
vide, de Pennsylvania Avenue. Au bout, le Capitole.
Il y a presque un an, il neigeotait et l’avenue était
noire de monde, des partisans de Donald Trump
emmitouflés. Depuis des mois, ils réapparaissent,
endimanchés, au tribunal fédéral du district, tout
proche. Chaque juge a sa salle lambrissée, en de-
mi-cercle, son drapeau semblable à celui dans le-
quel tant d’accusés s’étaient drapés, ses bancs en
bois vides, car les familles ont honte. Hatley, chauf-
feur de camion de Caroline du Sud, est entré dans
le Capitole par une fenêtre cassée, y a passé un quart
d’heure. Il dit qu’il est venu pour se faire des amis,
qu’il s’est laissé entraîner. Qu’il regrette. Le juge
rappelle : « Il s’agissait d’empêcher le processus démo-
cratique de transmission du pouvoir. Certains disent
que rien de grave ne s’est passé le 6 janvier. C’est une
version que nous devons dégonfler. » Hatley écope de
LEV RADIN/SIPA USA/SIPA

trois ans de prison avec sursis.

L’émeute du 6 janvier a déclenché la plus vaste
enquê­te fédérale de l’histoire des États-Unis, en
nombre de documents et d’accusés. Les dossiers
dessinent une Amérique divisée. Ils signent l’échec
de Biden, qui avait promis de réunir les …
Le Point 2577 | 30 décembre 2021 | 41
MONDE
Riposte. Le 6 janvier 2021, les policiers tentent d’empêcher les émeutiers d’entrer dans la Chambre des représentants.
… Américains. Ils démentent
son premier discours au Congrès,
en avril, où il avait lancé : « Nous de-
vons montrer que la démocratie fonc-
tionne encore. » Hatley était un cas
facile, pour son avocat, Joseph
Conte, dont c’est le douzième client
du 6 janvier. Ses regrets semblent
sincères. Tous ne les expriment pas.
Tous, en revanche, pensent que
Trump a gagné l’élection de novem­
bre 2020. « Ils n’en démordent pas »,
constate-t-il.
Le lendemain comparaît Antho­
­ny Mariotto, trader de porcs en Flo­
ride. Le juge est ulcéré car le prévenu
a refusé le vaccin contre le Covid,
trait commun aux accusés du 6 jan­
vier. S’il avait su, il aurait rendu sa
sentence par lien vidéo. La procu­
reure, cas contact, apparaît sur un
écran. Elle transmet des vidéos du
téléphone de Mariotto dans les­
quelles lui et son groupe forcent
l’entrée, dépassant les poli­ciers pa­
niqués. On les voit monter à l’étage,
tambouriner aux portes : « Coucou !
Où sont les traîtres ? », puis « Défends
ta Constitution, défends ton pays ! » La
procureure lance : « Heureusement
que les bureaux étaient vides. » Ma­
riotto expri­me des regrets ambi­
gus : « Si seulement le président Biden
avait gagné à des milliards de voix,
rien de tout ça ne serait arrivé. » « Il a
gagné avec 7 millions de voix », ré­
« J’étais horrifié, absolument dévasté
de me voir là-bas. » R obert Palmer
42 | 30 décembre 2021 | Le Point 2577
pond le juge. « J’aurais préféré 1 mil-
liard », reprend Mariotto. Le juge
regrette que certains aient été « as-
sez crédules » pour accorder du cré­
dit aux « allégations ridicules » de
Trump. « C’est de la foutaise. Ceux
qui ont fait ça, le 6 janvier, étaient tout
sauf des patriotes. » Verdict : trois ans
avec sursis.
Plus d’un an après l’élection, « la
foutaise » est loin de se dissiper.
D’après un sondage de Bright Line
Watch en novembre, seuls 27 % des
républicains pensent que Joe Biden
est le président légitime. « Ce n’est
pas étonnant, décrypte Susan Stokes,
codirectrice du programme au Chi­
cago Center on Democracy. Trump
est un maître de la répétition, il mar-
tèle qu’il a gagné l’élection, dont beau-
coup d’Américains ne maîtrisent pas
le fonctionnement. D’autant que per-
sonne de crédible pour ses partisans ne
le contredit. » Cela l’inquiète : « C’est
très dangereux que la majorité de l’un
des deux gros partis pense qu’un can-
didat a été victime d’une fraude mas-
sive. S’y ajoutent de nouvelles lois, dans
certains États, réduisant l’accès au vote,
et le remplacement d’institutions non
partisanes par des élus pour valider
les élections. Donc beaucoup de démo-
crates ne croiront pas au résultat non
plus. On a presque la garantie d’une
présidentielle, en 2024, qui géné­rera
une méfiance énorme. »
Selon le Brennan Center for Jus­
tice, 19 États ont promulgué 33 lois
qui tendent à rendre le vote plus
difficile. Le projet de loi Freedom
to Vote, poussé par les démocrates,
qui aurait une portée nationale,
vise à l’inverse à le faciliter, notam­
ment en élargissant le vote anticipé
et par correspondance. Il est blo­
qué par les républicains au Sénat.
Pour Rebecca Green, spécialiste des
lois électorales de la William and
Mary Law School, la « guerre du
vote » traduit des objectifs différents :
« éviter la fraude » et « améliorer l’ac-
cès au vote ». En outre, le redécou­
page des circonscriptions, comme
après chaque recensement, a lieu
cette année, ce qui suscite de nou­
velles controverses. Le ministère
de la Justice vient d’attaquer le
Texas, dont la population a aug­
menté et dont la nouvelle carte « em-
pêche ou réduit les droits des électeurs
latinos et noirs », souvent démo­
crates. Certains États démo­crates,
comme l’Illinois, appli­quent la
même technique, avec moins de
succès. Tout cela ajoute à la défiance.
Grand écart. Dana Winn et Ra­
Build Back… cha­el Pert comparaissent ensem­
Later ble. Sur la photo dans le Capitole,
C’était le program­me cette dernière a fait une cape d’un
phare de Joe Biden, drapeau Trump. Son avocat sou­
Build Back Better
(« Reconstruire en tient qu’elle est venue « pour que
mieux »), qui devait M. Winn n’aille pas seul à la mani-
réformer le pays en festation à laquelle il tenait ». Le juge
profondeur. Ce plan lit leur dialogue filmé. Pert : « Il y
à 1 700 milliards en a qui disent qu’on a arrêté le vote. »
de dollars prévoyait
des mesures sur le
Winn : « C’est pas pour ça qu’on était
climat, l’éducation, venus ? » Pert : « On a tenté d’entrer
l’immigration, de force [dans l’hémicycle] pour stop-
per le vote et ils nous ont gazés et sor-
ANNA MONEYMAKER/GETTY IMAGES VIA AFP – KEVIN DIETSCH/UPI//SIPA
la santé, la taxation
des riches. Il lui a tis ! » Ils font référence au vote des
manqué une voix grands électeurs des États, étape fi­
démocrate au Sénat,
où les partis sont na­le de la présidentielle. « Je suis
à 50-50, celle du choqué que vous ayez pensé que vous
sénateur de Virginie­ pouviez prendre la loi entre vos
Occidentale, Joe mains », dit le juge. Ce n’est pas tout.
Manchin (en photo Le couple s’est filmé dans le bus de
ci-dessus). Un coup l’aller. Winn : « Elle a pris son dra-
de massue pour
Biden, qui en faisait peau [des États-Unis], avec son mât,
la pierre angulaire comme ça, je pourrai frapper des an-
de sa présidence. tifas ! » Pour le juge, « ça montre
quelqu’un qui cherche les problèmes ».
Sentence : deux ans de sursis pour
lui, un pour elle. Selon le sondage
de Bright Line Watch, 9 % des répu­
blicains con­vaincus approu­vent
 les violences du 6 janvier, et 17 %
y sont favorables pour réins­taller
Donald Trump au pouvoir. Car il
y a eu de vraies violences, beau-
coup d’armes. Robert Palmer com-
paraît en combinaison orange. Il
est détenu. Son fils, sa fille et une
amie sont venus de Floride. Le
6 janvier, Palmer, portant un dra-
peau « Biden est un pédophile », a
frappé des policiers avec un ex-
tincteur, une planche et un bâton.
Il a plaidé coupable avant de col-
lecter des fonds sur Internet pour
sa défense, en se présentant comme
un « patriote » qui avait agi en légi-
time défense, car les policiers lui
avaient tiré dessus. En fait, il a reçu
des balles en caoutchouc après les
avoir agressés. Pour la juge, cela
montre que ses remords n’étaient
pas sincères. « Regardez derrière
vous, ordonne-t-elle. Ce sont des US
marshals. Ils ont quitté ce tribunal en
courant. Ils se sont mis en danger pour
protéger les occupants du Capitole.
Ce sont eux, les patriotes… Ils ne
­savaient pas s’ils rever­raient leurs
­enfants ce soir-là. » Palmer a honte.
En prison, il s’est vu sur les images
de la chaîne de gauche MSNBC.
« J’étais horrifié, absolument dévasté
de me voir là-bas. » C’est un autre
aspect de la démocratie américaine
qui déraille. Selon un sondage de
Pew Research d’août 2021, le pour-
centage de républicains faisant
confiance aux médias nationaux
est passé de 70 % en 2016 à 35 %
en 2021, et de 83 % à 78 % chez les
SOURCE FBI (X2) – USAO/FBI – ANDREW HARNIK-POO/GETTY IMAGES VIA AFP
Andrew Hatley. Si ce camionneur de Caroline
du Sud a d’abord nié, il a été identifié par les
agents du FBI. Entré par une fenêtre, il est
resté un quart d’heure dans les bâtiments.
Une méga-
enquête
sur l’attaque
du Capitole
- 55 agences du FBI
sur 56 impliquées.
- Des millions de
photos et de vidéos
sur les réseaux Déséquilibre. Liz Cheney et Adam Kinzinger sont les deux seuls républicains siégeant
sociaux analysées. à la commission « bipartisane » du Congrès.
- Près de 250 000
tuyaux envoyés
par Internet. démocrates. L’écart n’a jamais été Trump. On a ainsi découvert le
- Des centaines aussi grand, et chaque groupe s’in- plan élaboré par John Eastman,
d’heures tournées forme par ses sources. L’avocat de son avocat, pour le maintenir au
par les caméras Palmer plaide que son client a été pouvoir. Sept États devaient sou-
de surveillance « motivé par Trump, qui l’a convaincu mettre leurs propres grands élec-
ou les participants.
- 727 accusés.
que l’élection lui avait été volée », et teurs, au mépris des résultats de
- Venus de 45 États qu’« il constate qu’aucun architecte » l’élection chez eux. On a aussi lu
et du district du 6 janvier « n’a été accu­sé d’un dé- les textos d’animateurs de Fox News
de Columbia (DC). lit ». La juge acquiesce, et ajoute : (et de Don Jr, fils du président) sup-
- En tête : la Floride, « Je n’ai pas d’influence dessus. » pliant le chef de cabinet de Trump
la Pennsylvanie
et le Texas. C’est le Congrès qui s’en charge. de lui demander d’ordonner aux
- Âge moyen : Devant le refus des républicains manifestants de se retirer. « La com-
39 ans. de participer à une commission bi- mission rendra un rapport détaillé et
- 12 % de militaires. partisane, comme celle qui avait le ministère de la Justice choisira d’ac-
suivi les attentats du 11 septembre cuser tel ou tel autre, explique Kim-
2001, l’Assemblée législative en a berly Wehle, spécialiste des cours
créé une incluant cinq démocrates fédérales à l’université de Balti-
et les deux seuls élus républicains more. Mais rien ne l’oblige à le faire,
qui ont accepté, Liz Cheney et Adam cela pourrait ne mener à rien. Et c’est
Kinzinger. Ils enquêtent sur l’or- une course contre la montre. En
ganisation ainsi que sur les finan­ ­novembre 2022, il est probable que les
cements et tentent de remonter à républicains gagne­ront la …
Sur le banc des accusés
Antho­ny
Mariotto.
L’Américain,
qui s’est pris en
photo au Sénat
le 6 janvier 2021,
a commenté
ainsi le selfie
qu’il a posté
sur Facebook :
« Je suis à Robert Palmer. Le quinquagénaire, qui a été
l’intérieur. On est condamné à cinq ans de prison ferme,
juste quelques- a écopé de la plus lourde peine. L’insurgé
uns. C’est notre a agressé des policiers, qu’il a frappés avec
maison. » plusieurs objets aux abords du Capitole.
Le Point 2577 | 30 décembre 2021 | 43
MONDE
… ­majorité à l’Assemblée législa-
tive, et ils tueront la commission. » Cela
explique la gravité des propos des
juges, au tribunal du district. Celle
qui décide du sort de Palmer assène :
« Chaque jour, on entend parler de vio-
lences potentielles en 2024, et il faut
qu’il soit très clair que ce genre d’ac-
tion a des conséquences. » Sentence :
cinq ans de prison ferme. La plus
dure rendue pour l’instant.
2024. La juge ne fait que refléter
une idée omniprésente, un an après
ce que les démocrates appellent
une « insurrection », et les partisans
de Donald Trump, une « manifesta-
tion pacifique ». « L’insurrection a eu
lieu le 3 novembre », jour de l’élec-
tion « truquée », vient d’affir­mer l’ex-­
président. Les titres des journaux
sont édifiants. Le New York Times :
« Comment déceler quand votre pays
a dépassé le point de non-retour. » Ou
« 2024 sera-t-elle l’année de la mort de
la démocratie américaine ? » – partant
de l’étude d’un politologue de l’uni-
versité de Californie. « Les États-Unis
font face à un risque sérieux que l’élec-
tion de 2024 et les élections à ­venir ne
soient pas organisées de façon honnête
et que les candidats qui prendront leurs
fonctions ne reflètent pas les choix des
électeurs suivant les règles », prédit
Richard Hasen. Il décrit un coup
d’État exécuté non par des insur-
gés, mais par des « avocats en cos-
tume ». The Atlantic : « Le prochain
coup d’État de Trump a déjà com-
mencé. » Le Wall Street Journal :
« L’étrange mort de la démocratie amé-
ricaine. » Le Washington Post : « Les
18 étapes d’un effondrement démocra-
tique. » Cet article, qui prévoit l’im-
plication de la Garde nationale au
côté des insurgés, va plus loin que
la plupart des autres, qui se conten­
tent de décrire l’installation, dans
les États, d’élus pro-Trump. Selon
le Brennan Center for Justice, au
moins dix candidats à des postes
de secrétaires d’État (qui valident
le résultat de l’élection au niveau
local) et huit qui se présentent pour
être procureurs généraux (qui tran-
« Un coup d’État, ce ne sont pas forcément
des troupes dans la rue. » S usan Stokes
44 | 30 décembre 2021 | Le Point 2577
Sous pression. Joe Biden, qui avait promis d’endiguer le Covid-19,
présente, fin décembre, un nouveau plan, contre le variant Omicron.
cheront d’éventuels litiges) ont été
adoubés par Trump et ont soutenu
sa version de l’élection volée. « La
décentralisation du système électoral
est sa force, elle empêche une ingérence
étrangère, analyse Molly Reynolds,
spécialisteduCongrèsàlaBrookings
Institution. C’est aussi sa faiblesse :
les républicains prennent le contrôle,
il y a un potentiel d’intervention. » Les
États-Unis jouent-ils à se faire peur ?
« Nous, chercheurs, commençons à
peine à prendre conscience que le 6 jan-
vier était une tentative de coup d’État »,
répond Susan Stokes. On lui ob-
jec­te que les manifestants entrés
dans le Capitole n’ont rien fait d’au­
tre que de le vandaliser. « Ils n’avaient
pas de plan, mais nous savons main-
tenant que Trump en avait un. Et un
coup d’État, ce ne sont pas forcément
des troupes dans la rue. C’est plus dif-
ficile à déceler quand c’est une lente éro-
sion de la démocratie. »
Niall Ferguson, historien conser-
vateur de la Hoover Institution à
Stanford, est d’accord que la démo-
cratie est en danger. Mais il réfute
l’idée que ce serait uniquement du
fait de la droite. Ce sont les progres-
sistes, écrit-il pour Bloomberg, qui
veulent ajouter des juges à la Cour
suprême (dans le but d’y renverser
la majorité conservatrice), abolir le
collège électoral, faire de Porto Rico
ou du district de Columbia des États
(afin d’augmenter le nombre de
séna­teurs démocrates) ou faire ­voter
des étrangers. « Les libéraux, qui
partent du principe que l’élection de
2024 sera serrée, sont obsédés par les
lois électorales. Ils ignorent la forte
proba­bilité que le candidat républicain
gagne avec une marge indiscutable,
car le pays exprimera son méconten-
tement envers un gouvernement qui a
promis qu’il mettrait un terme à la
pandémie et a échoué, qui a mené l’in-
flation à son plus haut niveau depuis
1982, qui a présidé à une épidémie
d’homicides dans de nombreuses villes,
qui a perdu tout contrôle de la frontière
sud du pays, qui a honteusement livré
l’Afghanistan aux mains des talibans
et qui a poursuivi des objectifs de “di-
versité, équité et inclusion” aux dépens
des standards académiques dans tout
le système éducatif », écrit l’historien.
Depuis la semaine dernière, il pour-
rait ajouter « et qui a échoué à passer
son plan de réformes », le Build Back
Better de Joe Biden, incapable d’ob-
tenir la majorité au Sénat.
Pour Patrick Eddington, du cen­
tre de réflexion libertarien Cato Ins-
titute, ancien de la CIA, tout cela
révèle une vieille scission : « Si les
fondateurs du pays se sont unis contre
la Grande-Bretagne, deux courants de
pensée s’affrontaient : la vision fédéra-
liste et la confédérée, qui refusait un
pouvoir exécutif permanent. La pre-
mière l’a emporté, mais cette peur de
la concentration du pouvoir n’a pas
disparu. » Il dénonce les vieux dé-
mons américains de la surveillance,
déjà vus après le 11 septembre 2001.
Eddington regrette aussi la tri-
bune, dans le Washington Post, de
trois généraux à la retraite : « L’ar-
mée doit se préparer maintenant à
une insurrection en 2024. » Ils y signa­
lent une lettre ouverte de 124 an-
ciens militaires reprenant la thèse
de la fraude électorale et insistent
sur le danger d’une mutinerie. « On
risque la prophétie autoréalisatrice »,
s’inquiète l’analyste, qui souligne
DREW ANGERER/GETTY IMAGES VIA AFP
l’urgence à sortir de la pandémie,
pour que les Américains se parlent
à nouveau, et qui espère que ces
tensions tiennent au seul Donald
Trump. « Tout dépen­dra de la pan-
démie et de la situation économique »,
ajoute Susan Stokes. La démocra-
tie américaine, en attendant, tra-
verse une crise majeure §

Combles : l’endroit idéal pour aménager votre bureau
La lumière naturelle,
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© 2021 Groupe VELUX VF 7403-1221 ® VELUX et le logo VELUX sont des marques et des modèles déposés et utilisés sous licence par le groupe VELUX.
30 %
des heures d’éveil sont
passées au bureau
Ce document n’est pas contractuel. VELUX France, S.A.S. au capital de 6 400 000 euros, R.C.S EVRY 970 200 044.
Source : Baromètre de l’Habitat Sain 2020
3/4
des Français ont recours à
l’éclairage artificiel pendant la
journée en raison de l’insuffisance
de lumière naturelle.
Source : Baromètre de l’Habitat
Sain 2016 Synthèse France
Un apport d’éclairage naturel
peut améliorer la productivité de
15 %
Source : Revue de littérature sur les effets de la
lumière naturelle sur les occupants des bâtiments,
L. Edwards & P. Torcellini (2002)
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de travail confortables et vous permettant de cloisonner univers professi-
onnel et sphère privée. Trouver davantage de place dans votre maison déjà
bien remplie n’est pas chose facile, heureusement il est toujours possible
d’investir vos combles !
Concentration et productivité
Vos combles sont probablement le meilleur endroit pour installer un bureau
dans lequel vous prévoyez de passer jusqu’à huit heures par jour. C’est un lieu
calme, isolé du reste de la maison, où aucun bruit ni passage ne vient
troubler votre concentration. La pièce étant située au dernier étage, vous
profitez d’une vue dégagée sur les environs : les pauses que vous vous
autoriserez pendant la journée de travail n’en seront que plus ressourçantes !
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l’éclairage naturel dès les prémices de votre réflexion.
Importance de la lumière naturelle
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bienfaits de la luminosité naturelle sur les performances intellectuelles, avec
notamment une vigilance accrue et moins de fatigue. Par ailleurs, vous faites
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pièce.
Selon les activités que vous prévoyez d’y réaliser (bureautique, écriture,
travaux manuels…) et la disposition de l’endroit (taille, forme, nombre de
pans de toit…), vous pouvez opter entre les différents moyens d’amener
l’éclairage naturel : fenêtres disposées l’une au-dessus de l’autre, côte à côte
ou aux quatre coins de la pièce… En combinant plusieurs entrées de lumière,
vous ferez de votre nouveau bureau un espace multi-activités baigné de
lumière et ouvert sur l’extérieur, qui pourra facilement évoluer dans le temps.
 EN COUVERTURE

« À mon âge, les

­événements s’épurent.
Je suis d­ evenu un orpailleur
de la mémoire. »
Michel Peyramaure
KHANH RENAUD POUR « LE POINT »

Inventaire. Michel Peyramaure,

chez lui, à Brive-la-Gaillarde,
le 20 décembre. Le quasi-­
centenaire, qui achève un
­recueil de souvenirs, pratique
le tai-chi pour s’entretenir.

46 | 30 décembre 2021 | Le Point 2577

 Ce que
les centenaires
ont à nous dire
Mémoire. Ils se nomment René de Obaldia, Simone Rozès, Odile de
Vasselot, Philippe de Gaulle, Michel Peyramaure, André Chanderna-
gor, Michel Klein. Ils furent ou sont encore académicien, juge, résis-
tante, philosophe, écrivain, ministre, vétérinaire. Ils nous confient
leurs passions, leurs motivations, leurs joies et leurs secrets.
PAR FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN, AVEC NICOLAS BASTUCK,
MARION COCQUET ET JÉRÔME CORDELIER.
N 26 512
ous ne leur avons demandé ni leur carte géné-
tique ni leur dernier bulletin de santé. Dans
Le Centenaire, livre prophétique publié en 1959, Français
René de Obaldia, aujourd’hui 103 ans, écrivait ces ­centenaires
En 2021, ils étaient
lignes : « On ouvrira grande la porte du salon et les contem- 26 512. En 1900, ils
porains viendront me toucher. Au final de l’inévitable n’étaient que 100 ; en
­banquet : un gâteau orné de 100 bougies… Je vous jure de 1980, 1 545 ; en 2008,
ne pas tricher, de ne pas jouer au vieillard exténué qui ne 14 500. Dans trente
tient qu’à un souffle. » Ils n’ont pas joué aux vieillards ans, leur chiffre aura
quadruplé. Même
exténués. Ce sont eux au contraire qui, avec leur im- s’ils sont analysés
périssable envie de vivre, nous auraient presque ex- de près, il n’existe
ténués. « Je reçois encore beaucoup de gens intéressants. qu’une seule étude
Je continue à donner des conférences dans les écoles, pour globale, qui date
témoigner et transmettre auprès des plus jeunes, c’est très de 1990, menée par
important pour moi », déclare Odile de Vasselot, résis- Jean-Marie Robine et
Michel ­Allard. « À
tante dans le réseau Comète, qui a dédié sa vie à l’époque, se souvient
­l’enseignement en créant notamment le lycée Allard, ils n’étaient
Sainte-Marie d’Abidjan, et vit désormais dans une que 3 000, et nous
maison religieuse, en face du musée d’Orsay : « Je sou- en avions suivi 1 000,
haite transmettre l’amour de la patrie, ce sentiment qui dont Jeanne C ­ alment.
se délite, je souhaite transmettre la compréhension mu- Une autre étude avait
souligné l’importance
tuelle entre les individus, l’empathie, le respect des reli- des traits génétiques
gions, des cultures, de tout ce qui fait l’autre. » Dans son de familles
regard on devine encore les élans et les combats de ­longévives.  » § F.-G. L.
sa jeunesse, quand elle s’était engagée contre les na-
zis dès 1940, à l’âge de 18 ans, avant de guider,
­notamment, les aviateurs alliés à travers la France.
L’attention à ses cadets, on la retrouve aussi chez
Simone Rozès, première femme présidente de la Cour
de cassation (1984-1988), née sous le signe du Bélier,
qui déclare avoir follement aimé un métier certes
difficile mais où elle a pris ses décisions sans jamais
avoir peur d’être mal vue. Et de se rappeler d’emblée
un cinglant coup de téléphone du ministre Alain
Peyrefitte, quand elle présidait la 17e chambre de la
presse, alors qu’il l’avait saisie pour une insertion
forcée dans Le Monde. Huit personnes lui avaient dit
qu’il en avait le droit, ce à quoi elle lui avait répondu :
« Huit courtisans. » Courage, passion, indépendance,
telles furent ses vertus. « Je comprends la frustration
actuelle des magistrats. C’est frustrant de ne pas avoir le
temps d’étudier un dossier comme on le voudrait, de ne
pas pouvoir faire les diligences nécessaires. Ce n’est pas
nouveau, vous savez. Il ne faut jamais désespérer. C’est
un mot qu’un magistrat ne devrait jamais employer. Il
faut toujours nourrir l’espoir de dépasser ces contraintes
et de se sentir détenteur de la bonne formule pour ressen-
tir ce que nos concitoyens attendent de nous et de la loi. Si
on passe à côté, c’est raté. » Derrière elle, dans l’appar-
tement d’une résidence médicalisée de Dijon, le por-
trait d’un jeune délinquant, offert quand elle …
Le Point 2577 | 30 décembre 2021 | 47
 EN COUVERTURE
… dirigeait, dans les années 1970, l’éducation
surveillée. Dans son salon, une gravure du palais de Combattante. Odile
justice de Paris, son diplôme de docteur honoris causa de Vasselot, 100 ans en
de l’université d’Édimbourg, le portrait, toge conqué-