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Engelures
A.-M. Sarteel-Delvoye, T. Wiart, A. Legrand

L’érythème pernio ou engelure est une lésion érythrocyanique des extrémités avec prurit et grattage au
réchauffement. Sa survenue lors d’une exposition prolongée au froid humide, modéré, sa régression en 2
à 3 semaines et sa récidive saisonnière sont caractéristiques. Apanage de la femme jeune et mince,
l’engelure se voit cependant à tout âge, chez l’homme plus âgé et les formes cliniques sont très
nombreuses. On retrouve un terrain familial et maternel (50 %) et une dysréactivité
microvasculotissulaire (68 à 80 %) principalement un terrain d’acrocyanose (45 %) et de phénomène de
Raynaud (32 %). Bénigne dans 60 % des cas, elle peut être invalidante (34 %) et ulcérée (7 %). Les
examens biologiques, paracliniques, le diagnostic différentiel, principalement l’engelure lupique, et la
thérapeutique en fonction de la gravité sont envisagés.
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Mots clés : Engelures ; Acrosyndromes vasculaires ; Lupus

Plan tenace et caractéristique qui appelle le grattage au réchauffe-


ment. Sa survenue se fait lors d’une exposition prolongée au
froid humide modéré (8 à 10 °C), 12 à 24 heures après l’expo-
¶ Introduction 1
sition ; elle régresse en 2 à 3 semaines mais récidive de façon
¶ Observations cliniques 1 saisonnière en automne et hiver. Les formes cliniques sont
Formes cliniques 1 nombreuses et appellent, en cas d’atypie de terrain ou de
Facteurs déclenchants 2 période, des examens biologiques et paracliniques complémen-
Terrain 2 taires. Nous envisagerons le diagnostic différentiel et la théra-
Facteurs associés 2 peutique, en fonction de la gravité.
¶ Examens paracliniques 2 À la Communauté urbaine de Lille, sur une cohorte de
Capillaroscopie 2 1832 agents volontaires sains, 513 femmes, 1319 hommes, sa
Doppler pulpaire 2 fréquence est de 1,56 %, 2,53 % chez la femme, 0,51 % chez
Échodoppler artériel 2 l’homme, le dépistage se faisant à l’interrogatoire. En pratique
Biologie 2 la fréquence peut paraître plus faible, l’engelure ne donnant pas
Histologie 2 toujours lieu à une consultation. En 1995 une enquête prospec-
¶ Diagnostic différentiel 3 tive a été réalisée auprès des angiologues et dermatologues par
Diagnostics les plus fréquents 3 questionnaire. 257 ont pu être exploités, les chiffres cités dans
Dermatoses liées au froid 3 ce texte en sont issus. [1]
Réactions au froid intense 3
Terrain vasculaire 3
Hyperviscosités sanguines 3 ■ Observations cliniques
Autres 3
Le diagnostic d’engelure est, dans la grande majorité des cas,
¶ Thérapeutique 3
cliniquement très facile en raison du terrain concernant des
Formes bénignes de l’adolescente ou de la femme jeune 4
femmes jeunes, chaussées de souliers trop serrés et de la période
Formes invalidantes 4
à laquelle surviennent ces phénomènes. Cependant, l’érythème
Formes ulcérées ou nécrotiques 4
pernio peut survenir chez les deux sexes, à tout âge. [2]
À éviter 4
Le poids moyen des patients est faible. Des antécédents
¶ Conclusion 4 familiaux sont retrouvés dans 38 % des cas, 52 % d’origine
maternelle. [1]

Formes cliniques
■ Introduction
Les engelures se manifestent par une ou plusieurs papules
Classé dans les acrosyndromes vasculaires dystrophiques par violacées qui confluent en plaques érythrocyaniques infiltrées
l’Union internationale (1972), l’érythème pernio ou pernion, de taille variable. Les lésions sont uniques ou multiples.
plus communément appelé engelure, se traduit par une lésion L’œdème des zones atteintes leur donne des contours imprécis.
érythrocyanique des extrémités, s’accompagnant d’un prurit Elles peuvent s’accompagner de fissures ou crevasses.

Angéiologie 1
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cicatrice d’intervention, une baisse de poids, un facteur médi-


camenteux (24 %) : vasoconstricteur, bêtabloquant oral ou
collyre, dérivés de l’ergot de seigle chez un migraineux. [3] Un
travail au froid humide (boucherie, poissonnerie, surgelés) est
retrouvé dans 9 % des cas contre curieusement 55 % dont le
métier n’avait aucun rapport (infirmières, secrétaires). [1]

Terrain
Un terrain de dysréactivité vasculaire est associé dans 82 %
des cas selon Bozec, [3] 70 % selon Sarteel et al., [1] 68 % à la
Communauté urbaine de Lille. Dans 45 % des cas, il s’agit d’une
acrocyanose, 32 % d’un phénomène de Raynaud, 10 % d’un
livedo ; Riera [4] montre que l’association engelure-phénomène
de Raynaud a un odds ratio de 7,3. L’étude des agents commu-
nautaires lillois montre un odds ratio de 3,36.
Figure 1. Lésions érythrocyaniques classiques des extrémités
inférieures.
Facteurs associés
Ce sont un stress (19,1 %), une migraine (12 %), une ano-
rexie (3,8 %) mais également toute pathologie, l’athérosclérose
du sujet âgé, [2] la leucémie myéloïde chronique, les
microgéodes. [5]

■ Examens paracliniques
Aucun n’est indispensable dans la forme bénigne, cependant,
en fonction de la clinique, les examens suivants seront effectués
(Fig. 4).

Capillaroscopie
.
Elle oriente sur l’intensité de l’engelure : avec un halo
péricapillaire plus ou moins important selon l’inflammation et
le diagnostic différentiel : capillaires dilatés dans l’acrocyanose,
Figure 2. Lésions lenticulaires des extrémités supérieures.
.
spasmés si un phénomène de Raynaud est associé, arborescents
dans les vascularites, énormes avec des zones désertiques dans
la sclérodermie.

Doppler pulpaire
Un signal de doppler est présent dans le phénomène de
Raynaud idiopathique, il est absent dans l’acrocyanose et les
sclérodermies. [6]

Échodoppler artériel
Ces examens sont pratiqués pour deux raisons :
• l’exiguïté artérielle liée à l’acrocyanose sous-jacente chez les
sujets leptosomes. Cet examen est à recontrôler en saison
chaude ;
• pour éliminer une étiologie vasculaire en amont et lorsqu’il
existe un blue toe d’origine plaquettaire ou cholestérolémique.
Figure 3. Lésions avec décollement phlycténulaire.
Biologie
De nombreuses formes cliniques ont été décrites par Duper-
Les plus couramment demandés sont : vitesse de sédimenta-
rat, de l’infiltrat érythrocyanique (Fig. 1) avec douleur, œdème,
tion, numération formule sanguine, protéine C réactive (CRP),
prurit au réchauffement, aux papules miliaires ou lenticulaires
cryoglobuline, agglutinines froides, facteurs antinucléaires.
(Fig. 2), aux cocardes en forme d’herpès, aux lésions ponctuées
Certains ajoutent : cryofibrinogène, anticoagulants circulants,
kératosiques, aux formes bulleuses, ulcérées (Fig. 3). Ces lésions
facteurs rhumatoïdes.
siègent le plus souvent aux orteils, mais aussi à la région
achilléenne, au bord externe du pied, aux extrémités supérieu-
res, aux oreilles. Histologie
Si les lésions sont bénignes (57 %), elles peuvent être invali-
Cribier et al. [7] observent un œdème dermique superficiel, un
dantes (34 %), se surinfecter et s’ulcérer (7 %). La récidive se fait
infiltrat intense périvasculaire lymphocytaire superficiel et
dans 80 % dans le même territoire. Le nombre moyen des
profond. Dans les formes bénignes, elle n’est pas utile. Cepen-
poussées est de deux par an, avec une durée moyenne de trois
dant, lorsque l’aspect est atypique, sa survenue est à contre-
semaines.
saisons, s’il y a résistance au traitement et s’il existe des signes
associés, il est préférable de demander un examen standard et
Facteurs déclenchants une recherche en immunofluorescence directe pour éliminer, si
Ce sont des chaussures trop étroites, la pratique du sport ou cette dernière est positive, un lupus, ou un aspect d’érythème
bicyclette par temps froid, un appartement non chauffé, une polymorphe ou vascularite (Tableau 1).

2 Angéiologie
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Figure 4. Arbre décisionnel. Engelures.

Engelures

Lésion érythrocyanique des extrémités avec prurit et grattage au réchauffement

Femme jeune, mince, Aspect atypique


période hivernale survenue à contre-saison
signes associés

Capillaroscopie Capillaroscopie
Doppler pulpaire Doppler pulpaire

Biologie courante Biologie étendue Échodoppler

Conseils hygiéno-
alimentaires, Uvedose® Traitement spécifique
Biopsie lésion
vasoactif 2 à 3 mois
protection contre le froid

Traitement symptomatique Traitement spécifique

Tableau 1.
Histopathologie.
Engelures n = 17 Lupus n = 10 “ Classification
Spongiose
Vacuolisation de la membrane
50 %
6%
0%
60 %
des acrosyndromes vasculaires
basale
Dystoniques
Œdème dermique 70 % 20 %
Permanents :
Infiltrat profond périeccrine 76 % 0%
• acrocyanose
Immunofluorescence négative
• acrorhigose
Paroxystiques :
• phénomène de Raynaud
■ Diagnostic différentiel • érythermalgie
• acrocholose
Diagnostics les plus fréquents Dystrophiques
• L’érythème polymorphe. • engelures
• Le lupus érythémateux, et ce d’autant que les engelures • livedo racemosa
peuvent apparaître dix ans avant les lésions discoïdes. [7] La • acrodynie
réalisation d’une biopsie cutanée permettra un diagnostic
précoce.

Dermatoses liées au froid Autres


• La panniculite a frigore : engelure des cuisses et fesses décrite • Sarcoïdose, lupus pernio, lupus tuberculeux, syphilis tertiaire,
chez les agriculteurs sur leur tracteur et les cavaliers. tuberculide, angiokératome., acrokératose paranéoplasique de
• L’urticaire au froid. Bazex, acrodermatite chronique atrophiante.
• La main hivernale dont la sécheresse entraîne des fissures et
crevasses avec possibilité d’intervention d’irritant externe, de
terrain atopique.
■ Thérapeutique
Réactions au froid intense Peu de médicaments, dans les engelures, ont fait l’objet
• Gelures : expositions prolongées à des froids intenses (altitu- d’études contrôlées, randomisées en double aveugle, parmi
des), syndrome des loges. ceux-ci :
• les inhibiteurs calciques, la nifépidine, à la dose de 60 mg/j,
avec une régression de l’engelure en 6 à 8 jours. Les auteurs
Terrain vasculaire montrent dans une étude ultérieure, que cette dose n’est pas
• Vascularites, périartérite noueuse (PAN), leucocytoclasie. toujours bien tolérée, et qu’une diminution de dose entraîne
• Blue toe par embolie plaquettaire ou hypercholestérolémique. une régression plus lente [9] ;
• Athérosclérose [2]. • les ultraviolets montrent des réponses trop variables [10] ;
• Acrosyndromes vasculaires [8]. • le Stérogyl ® , 1 ampoule/week-end, sans résultat et avec
possibilité d’hypercalcémie et de troubles rénaux chez les
sujets âgés. [11]
Hyperviscosités sanguines C’est pourquoi nous vous proposons, à titre d’indication, le
• Hémopathies, cancer, myélome, cryoglobulinémie, etc. schéma suivant.

Angéiologie 3
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Formes bénignes de l’adolescente des cas), témoin d’une dysréactivité microvasculotissulaire


sous-jacente.
ou de la femme jeune Bénignes dans 57 % des cas, elles peuvent être invalidantes
L’association avec l’hypothermie des acrosyndromes nous fait (34 %), se surinfecter ou s’ulcérer et se nécroser (7 %).
prescrire des vasoactifs (buflomédil, naftidrofuryl, nicergoline, Aucun bilan n’est indispensable dans la forme bénigne,
etc.) associés à une polyvitaminose, A, D2, C, en raison du cependant en cas d’atypie de terrain ou de période, une
faible poids des patientes. Des conseils sur le régime alimentaire, capillaroscopie et des examens biologiques complémentaires
légumes et fruits, le port de vêtements chauds et amples, gants sont les plus fréquemment demandés, mais également un
chauds, de chaussures larges, de crème à base de vitamines A et doppler pulpaire et échodoppler artériel. L’histologie est
F, sont primordiaux. Les dermocorticoïdes sont prescrits du fait rarement nécessaire. Le principal diagnostic différentiel est le
de l’inflammation. lupus, puis viennent l’érythème polymorphe, la vascularite, ou
un blue toe. Aucune thérapeutique n’est proposée dans cette
Formes invalidantes indication, cependant nous réservons les vasoactifs dans les
formes bénignes, les inhibiteurs calciques dans les formes
• Les inhibiteurs calciques type diltiazem sont mieux tolérés. récidivantes. Les formes ulcérées et nécrotiques relèvent parfois
• Certains emploient la calcitonine (Calsyn 100®) une injection du domaine de l’hospitalisation.
intramusculaire tous les dix jours en préventif, deux par
semaine en
(Primpéran®). [11]
curatif, associée au métoclopramide
■ Références
[1] Sarteel-Delvoye AM. Wiart T, Durier A, Crevillier M, Plettner JL,
Formes ulcérées ou nécrotiques Carpentier P, et al. Engelures. Encycl Méd Chir (Elsevier SAS, Paris),
Angéiologie, 19-2540,1997: 3p.
Selon la forme clinique, les examens complémentaires, le [2] Goette DK. Chilblains (perniosis). J Am Acad Dermatol 1990;23(2Pt1):
traitement étiologique et les équipes, sont utilisés les vasoactifs 257-62.
en perfusion, inhibiteurs calciques, hémodilution, [3] Bozec C, Lazareth I, Priollet P. Les engelures citadines sont-elles spon-
antibiotiques. [12] tanées? À propos de 111 cas. Rev Med Interne 1991(suppl):12.
[4] Riera G, Vilardell M, Vaque J, Fonollosa V, Bermejo B. Prevalence of
Raynaud’s phenomenon in a healthy spanish population. J Rheumatol
À éviter 1993;20:66-9.
• Les bêtabloquants. [5] Inoue G, Miura T. Microgeodic disease affecting the hands and feet of
• Les vasoconstricteurs par voie orale. children. J Pediatr Orthop 1991;11:59-63.
• Les dérivés de l’ergot de seigle chez les migraineux. [3] [6] Doutre MS, Beylot C, Beylot J, Pompougnac E, Royer P. Chilblain
lupus erythematosus: report of 15 cases. Dermatology 1992;184:26-8.
[7] Cribier B, Djeridi N, Peltre B, Grosshans E. A histologic and
■ Conclusion immunohistochemical study of chilblains. J Am Acad Dermatol 2001;
45:924-9.
[8] Merlen JF. Les engelures. J Mal Vasc 1986;11(supplA):28-31.
L’érythème pernio ou engelure est une lésion érythrocyani-
[9] Rustin MH, Newton JA, Smith NP, Dowd PM. The treatment of
que des extrémités, survenant lors d’une exposition prolongée chilblains with nifedipine: the results of a pilot study, a double-blind
au froid humide modéré. Le diagnostic est facile lorsqu’il s’agit placebo-controlled randomized study and a long-term open trial. Br
d’une femme jeune, mais il en va tout autrement lorsqu’il s’agit J Dermatol 1989;120:267-75.
d’un sujet âgé, d’une forme récidivante, d’une survenue à [10] Langtry JA, Diffey BL. A double-blind study of ultraviolet
contre-saison et lorsqu’il existe des signes associés. Les formes phototherapy in the prophylaxis of chilblains. Acta Derm Venereol
cliniques sont nombreuses, uniques ou multiples au niveau des 1989;69:320-2.
extrémités inférieures mais également supérieures. Un terrain [11] Dowd PM, Rustin MH, Lanigan S. Nifedipine in the treatment of
familial maternel est noté dans 52 % des cas. L’engelure chilblains. BMJ 1986;293:923-4.
survient sur un terrain d’acrosyndrome vasculaire (68 à 80 % [12] Vayssairat M. Les engelures. J Mal Vasc 1992;17:229-31.

A.-M. Sarteel-Delvoye (amsarteel@cudl-lille.fr).


Pathologie vasculaire, centre de dépistage des maladies cardiovasculaires, 1, rue du Ballon, Lille-Métropole communauté urbaine, 59034 Lille cedex, France.
T. Wiart.
Dermatologie, centre hospitalier Saint-Philibert, 115, rue du Grand-But, 59462 Lomme, France.
A. Legrand.
Pathologie vasculaire, 7, rue de l’Hospice, 62300 Lens, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Sarteel-Delvoye A.-M., Wiart T., Legrand A. Engelures. EMC (Elsevier SAS, Paris), Angéiologie, 19-2540,
2005.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


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