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Langues, Cultures, Communication -L2C-

Volume 2 – N° 1
Janvier – juin 2018

La production cinématographique sud-sud :


pour une dynamique africaine

Accords bilatéraux de coproduction


cinématographique en Côte d’Ivoire : Contextes
et pratiques

Yao N’DRI et Jean-Baptiste Assié BONI

Édition électronique Édition imprimée


URL :https://revues.imist.ma/index.php?journal=L2C Dépôt légal : 2017PE0075
ISSN : 2550-6501 ISSN : 2550-6471

Publications du Laboratoire : Langues, Cultures et Communication (LCCom)


Faculté des Lettres et des Sciences Humaines
Université Mohammed Premier
Oujda, Maroc
Accords bilatéraux de coproduction cinématographique en Côte
d’Ivoire : Contextes et pratiques

Yao N’DRI/Jean-Baptiste Assié BONI


Université Félix Houphouët Boigny
Abidjan, Côte d’Ivoire
ndri_y@yahoo.fr/assieci@yahoo.fr

Résumé
En 1995 et 2011, la Côte d’Ivoire signe respectivement avec la France et le
Maroc un accord de coproduction. Ces textes offrent aux producteurs
ivoiriens plusieurs possibilités de financements. Cependant, un état des
lieux de la production ivoirienne montre que les résultats ne sont pas à la
hauteur des ambitions. En effet, aucune coproduction filmique n’a vu le
jour dans le cadre de ces accords. Cet article met à jour les difficultés qui
font obstacle à la mise en œuvre de ces accords.

Mots-clés : accord, coproduction, communication, financement,


professionnalisation

Abstract
In 1995 and 2011, Côte d'Ivoire signed a co-production agreement with
France and Morocco. These texts offer Ivorian producers several financing
possibilities. However, an inventory of Ivorian production shows that the
results are not up to the ambitions. Indeed, no film co-production has
emerged under these agreements. This article highlights the difficulties
that hinder the implementation of these agreements.

Keywords : agreement, co-production, communication, financing,


professionalisation

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Introduction
Produire un film requiert de réunir les fonds nécessaires au
financement des coûts de fabrication de l’œuvre. Cette recherche de
fonds est parsemée d’embûches pour les producteurs africains. En
témoigne cet aveu d’impuissance de l’ex-directeur de l’Office National
du Cinéma de Côte d’Ivoire: « Nous avons tous des scénarios.
Personnellement j’en ai quatre. J’ai transformé le 5ème en roman à cause
de la rareté des moyens de productions » (Fadika, cité par Yéo, 2013,
p.5). Dans un tel contexte, les coproductions internationales constituent
une véritable alternative pour pallier l’insuffisance des financements
nationaux.
Ainsi, en mars 1995, la Côte d’Ivoire signe une convention de
coproduction avec la France. Ce traité devait améliorer les conditions de
productions ivoiro-françaises permettant l’accès de leur droit à l’avance
sur recettes du Centre National du Cinéma et de l’image animée (CNC) et
l’entrée des films coproduits dans le quota des chaînes réservé aux films
africains. Si L’intention du texte reste très favorable aux cinéastes
ivoiriens qui, grâce à la coproduction française et à un apport minimal de
leur part, accèdent à des moyens importants, les résultats cependant
sont moins satisfaisants.Depuis sa signature, ce texte n’a jamais été
exploité. Dès lors, une diversification des partenaires s’impose.
En novembre 2011, un autre accord de coproduction et
d’échanges cinématographiques est signé entre le Centre
cinématographique marocain (CMC) et l’Office National du Cinéma de
Côte d’Ivoire (ONAC-CI). Un survol rapide de l’état de la production
ivoirienne montre qu’il n’existe pas encore de films coproduits entre la
côte d’Ivoire et le Maroc. Quelles sont alors les difficultés de mise en
œuvre de ces accords? Peut-on encore espérer des productions
cinématographiques ?
En se prêtant à ces interrogations, cet article se veut une
connaissance approfondie des réalités de mise en œuvre des accords
bilatéraux et des difficultés rencontrées, afin d’en améliorer les
mécanismes de fonctionnement et les pratiques qui y sont liées de la
part des professionnels concernés, des partenaires impliqués et des
autorités compétentes dans les deux pays.

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Au plan méthodologique,cette réflexion s’inscrit dans une analyse
qualitative1. Elle corrobore l’approche économique du cinéma telle que
définie par L. Creton (2008, pp.11-12): « l’analyse économique privilégie
une approche inductive, fondée sur l’étude des faits et des situations,
des structures et des comportements. Il est également utile d’analyser
les discours et les représentations des acteurs…».
A travers cette méthode, nous allons explorer la problématique
de la coproduction cinématographique en Côte d’Ivoire.La collecte des
informations découle de l’observation directe, pour appréhender les
réalités du terrain sur la coproduction en Côte d’Ivoire; des entretiens
semi-directifs avec des acteurs publics et privés du cinéma ivoirien.

1. Accords franco-ivoirien et ivoiro-marocain: contexte et particularités

Cette première partie situe le cadre de l’élaboration des accords


bilatéraux franco-ivoirien et ivoiro-marocain.

1.1. Côte d’Ivoire/France : un accord signé dans un environnement


austère
L’accord de mars 95 a été signé entre Jacques Toubon pour le
Gouvernement de la République Française et Bernard Zadi pour le
Gouvernement de la République de Côte d'Ivoire, tous deux ministres de
la culture. Ce traité rentre dans la politique d’exception culturelle de la
France2. La mise en œuvre du côté français revenait au Centre National
du Cinéma et de l’image animée (CNC) et à la Compagnie Ivoirienne du
Cinéma et de l’Audiovisuel (CIVCA) du côté ivoirien. Le contexte de cet
accord porte les germes même d’un avenir peu radieux. En effet, lors de
la signature de cette convention, la CIVCA venait de voir le jour et « rien

1
Ce qui caractérise les techniques de traitement et d'analyse dans les études
qualitatives, c'est essentiellement la mise en œuvre des ressources de l'intelligence,
pour saisir des significations. Les rapprochements, les confrontations et la mise en
relation de données, les mises en perspective et les cadrages, la saisie des récurrences
et des analogies ainsi que les généralisations et les synthèses font surgir ces
significations. Il s'agit donc de faire surgir, par un travail intellectuel, le sens qui n'est
jamais une donnée immédiate et qui est toujours implicite et à la fois structurant et
structuré, participant de manière diffuse à un ensemble de phénomènes. (A. Mucchielli,
P. Paillé, 2008, p. 11)
2
Des conventions de ce type sont d’ailleurs signées avec d’autres pays africains :
Burkina Faso, Guinée, Sénégal, etc.

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ne protégeait les cinéastes ivoiriens: aucune disposition légale ne
règlementait la profession, l’exploitation, la production ou la distribution
cinématographique» (N’Dri, 2018, p.169). Dans ces conditions
d’amateurisme qui sont de règle sous les tropiques, aucune initiative en
matière de coproduction nepouvait être envisagée. Ensuite, 1995
correspond à un déclin de la pratique cinématographique en Côte
d’Ivoire, situation due en partie à la dévaluation du Franc CFA, qui a une
incidence sur la conduite des projets notamment la culturels3, dernière
des priorités des pouvoirs publics, étranglés par la dette. Enfin, l’on
passe progressivement à un changement de support. L’argentique tend à
disparaitre au profit du numérique sans oublier la concurrence du petit
écran qui commence à faire rage. Ce changement heurte la sensibilité
des adeptes du support argentique: « Il y a les puristes qui disent que
tant qu’on ne tourne pas en argentique pas question de faire du cinéma»
(Entrevue,Bégro, 2018). Autant de pesanteurs qui ne militaient pas en
faveur de gros investissements dans la production d’un film surtout en
argentique. Dans un tel contexte, on ne peut s’étonner que le traité ait
rejoint le silence des armoires à archives. La solution serait-elle alors
dans une coproduction Sud/Sud ?

1.2. Côte d’Ivoire/Maroc: un environnement moins contraignant


Il est à signaler que le Maroc a toujours offert ses services en Post
production aux cinéastes ivoiriens en dehors d’un accord officiel. Mais
c’est le 28 novembre 2011 que cette collaboration a été officialisée par
la signature d’un «accord de coproduction et d’échanges
cinématographiques » entre l’Office National du Cinéma de Côte d’Ivoire
(ONAC-CI) et le Centre Cinématographique Marocain(CCM) bien
évidemment sous la supervision du ministre en Charge de la culture de
Côte d’Ivoire et l’Ambassadeur du Royaumedu Maroc. Contrairement au
précédent accord (Nord/Sud), celui-ci se veut pragmatique et dont
l’application devrait être très souple « car une convention qui se passe
de ministère en ministère devient lourde par contre un accord entre

3
V. Bachy pouvait dire à cet effet : « La Côte d’Ivoire ne s’est pas fixé une politique
culturelle cohérente et durable. A cette absence s’ajoutent de sérieuses imperfections
de structures, dues notamment à l’a-technicité des dirigeants, au fonctionnarisme, à la
politisation des cadres, à la non considération pour les spécialistes et aussi à une
certaine irrégularité professionnelle.» (1983, p.17)

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deux directeurs est plus facile à être exécuté.» (Entrevue, Bégro, 2018).
Malheureusement, cet optimisme de Bégro ne restera qu’à sa phase
théorique car le répertoire de la production ivoirienne n’a enregistré
aucune coproduction. La question est alors de savoir les difficultés liées à
l’application de ces accords. Ces traités ne contiendraient-ils pas des
points contraignants ? Les lignes qui suivent éclaireront notre lanterne.

2. Partenaires publics-privés: tous coupables


Notons que le cadre du texte juridique est basé sur un canevas
d’accord standard. Ainsi, du point de vue de leurs contenus, les deux
accords sont identiques. Cependant le traité franco-ivoirien comporte
dix-sept (17) articles et ivoiro-marocain, vingt (20) articles. Le texte
ivoiro-marocain étant mieux élaboré dans la forme, nous en ferons
recours comme éléments de citation. Ci-dessous une présentation des
principaux problèmes identifiés lors des entretiens avec les différents
partenaires4
S’appuyant sur les points essentiels du traité, l’analyse montrera
que les problèmes sont imputables aux acteurs publics, privés et au texte
lui-même.

2.1. Absence de communication entre publics et privés


Dans les « dispositions générales » du traité de coproduction avec
le Maroc, en son article 12, il est mentionné ce qui suit: « Les autorités
compétentes des deux pays se communiquent toutes informations
concernant les coproductions et les échanges de films, comme en
général, toutes précisions relatives aux relations cinématographiques
entres les deux pays ».
Ce point fait référence au développement d’un réseau commun
de professionnels et prestataires techniques au sein des deux industries,
à l’accès direct et exhaustif à l’information concernant l’accord de
coproduction et le renforcement du savoir-faire des professionnels,
conditions indispensables au développement d’une coproduction.
Malheureusement dans la réalité, il existe un manque de clarté
quant à la mise en œuvre de cet article. Résultat: les producteurs
ivoiriens ignorent l’existence de textes sur la coproduction. Owell Brown

4
Nos remerciements à Owell Brown, hyacinthe Hounsou, Hélène Edanh, Henriette
Duparc, Michel Gueu, Désiré Bégro.

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est réalisateur et producteur de longs métrages. Il pense que« le contrat
qui a été signé n’a jamais été utilisé par manque de connaissance ou
d’explication…Les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas connaissance de ce
texte.» (Entrevue, Brown, 2018). En effet, des événements plus élaborés
et plus réguliers devraient être organisés dans ce sens, avec une
communication et un impact plus importants et plus rapides. Plus
d’information pourrait être alors mise à disposition à l’occasion de ces
ateliers tout en faisant en sorte qu’elle soit aussi diffusée en dehors des
ateliers.

2.2. Insuffisance des moyens financiers


Sans ignorer les raisons évoquées par les praticiens, Bégro,
responsable des opérations de l’Office national du cinéma ivoirien
évoque d’autres pesanteurs :
Certains cinéastes ont l’information mais estiment que ce n’est pas le
moment de porter ces projets dans le cas d’une coproduction car quand
on parle de coproduction chacun apporte quelque chose et le cinéma à
l’époque se faisait en argentique et une caméra 35mm c’est deux à trois
millions la semaine. Combien sont-ils qui ont ce budget-là? (Entrevue,
Bégro, 2018)

Il ressort de ces propos un problème d’ordre financier. Il y a en


effet des pourcentages requis lors d’une coproduction. Nous faisons
référence ici à une clause de l’article quatre (4) qui stipule que :
Les films doivent être produits dans les conditions suivantes : la
proportion des apports respectifs des producteurs des deux pays peut
varier de 20 à 80% par film. La participation minoritaire peut être
ramenée à 10%, avec l’accord des autorités compétentes des deux pays.
Tout film de coproduction doit comporter de part et d’autre une
participation artistique et technique effective.

Ceci est un principe très important du traité définissant le


minimum requis de participation financière de chaque partie au budget
total du film. Il est bien entendu ici que les incitations fiscales sont
incluses dans les apports financiers respectifs de chaque société. La
collaboration entre les parties ne peut en aucun cas être uniquement
financière et doit inclure la collaboration artistique et technique, ce qui
est également une des idées fondatrices du traité. De fait, chaque partie
doit engager des techniciens et/ou talents nationaux (ou ressortissants)

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pour le tournage et/ou la post-production et également partager la
chaîne de fabrication du film. Ainsi, le plus souvent, la post-production
est prise en charge par le pays où le film n’a pas été tourné.
Malheureusement, il est parfois difficile pour un coproducteur ivoirien
de parvenir à un tel pourcentage (même minoritaire20%) compte tenu
de l’insuffisance des financements offerts sur son territoire. D’où le sens
des propos de M’Balla5: « si rien n’est fait, j’arrête.» (Cité par Koffi, 1998,
p.10).
En plus des frais inhérents, mais marginaux induits par une telle
coproduction (traductions de documents, frais de dossiers), l’application
des différentes règles de chaque pays (agrément) déclenche d’autres
obligations qui peuvent avoir une incidence beaucoup plus forte sur le
budget et le financement d’une coproduction entre les deux pays.
Afin de pouvoir obtenir suffisamment d’éléments techniques et
créatifs pour être qualifié comme production nationale, l’obligation de
délocaliser la post-production au Maroc peut entraîner des frais
supplémentaires. Dans certains cas, l’augmentation des coûts de
production liée aux règles du traité, combinée au fait que la distribution
du film ne soit pas garantie dans les deux pays, n’est pas compensée par
les incitations financières offertes par le traité. En effet, la diffusion sur le
marché dépend des distributeurs et les structures en charge du cinéma
n’ont aucune influence dans ce domaine. Elle peut rendre les
producteurs enclins à ne pas utiliser l’accord de coproduction pour leur
collaboration.

2.3. Manque de professionnalisme des producteurs ivoiriens


Pour être admis au bénéfice de la coproduction, les films doivent
être entrepris par des producteurs ayant une bonne organisation
technique et financière et une expérience professionnelle reconnue par
l’autorité nationale dont ils relèvent. (Article 2)
Le contenu de cet article constitue un frein pour les producteurs
ivoiriens. En effet, depuis l’avènement du numérique, le cinéma ivoirien
a enregistré l’arrivée d’une nouvelle catégorie de cinéastes non rompus
aux métiers du cinéma. Ils ont tous appris « sur le tas ». Ils ne maitrisent
pas les mécanismes de l’industrie cinématographique. A ce sujet, les

5
Roger Gnoan M’Balla est cinéaste ivoirien. Il a à son actif plusieurs œuvres filmiques
Dont Au Nom du Christ qui remporte l’Etalon de Yennenga au FESPACO 1993.

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critiques de Koula sont très acerbes:« on constate aujourd’hui que des
gens ont filmé des baptêmes, des soirées, se font appeler réalisateurs »
(p.7). Dans ces conditions, ils ne peuvent pas prétendre engager des
coproductions car il faut «avoir de bons projets, audacieux ; un projet
bien préparé et élaboré. Sortir des sentiers battus. Traiter des
thématiques fortes. S’encadrer d’une bonne équipe.» (Entrevue,
Hounsou, 2018).

2.4. Lourdeurs administratives


Le processus administratif pour l’obtention d’un agrément de
coproduction par les autorités de tutelle de chaque pays peut être perçu
par les producteurs comme extrêmement long, inutilement chronophage
et compliqué. Hyacinthe Hounsou, réalisateur et producteur que nous
citions plus haut l’exprime clairement : « Ces accords existent…Ces
structures n’existent que de noms. Je les ai sollicité par deux fois mais ça
n’a rien donné » (Entrevue, 2018). Pour mieux comprendre ce dont il est
question, rappelons la procédure d’agrément telle que l’indique l’annexe
du traité :
Pour bénéficier des dispositions de l'accord, les producteurs de chacun
des pays doivent, trois mois avant le tournage, joindre à leurs demandes
d'admission à la coproduction, adressées à leurs autorités compétentes
respectives, un dossier qui comporte notamment :un document
concernant la cession des droits d'auteurs, un scénario détaillé, le contrat
de coproduction passé entre les sociétés coproductrices, un devis et un
plan de financement détaillés, la liste des éléments techniques et
artistiques, un plan de travail de l'œuvre cinématographique. Les
autorités du pays à participation financière minoritaire ne donnent leur
agrément qu’après avoir reçu l’avis des autorités à participation
financière majoritaire.
Ainsi, de nombreux documents6 (propres à la société, aux individus
participant au projet, aux financements ou à la fabrication du film) sont

6
Un dossier en douze exemplaires comprenant un synopsis en un feuillet, une copie du
scénario dans la langue choisie pour le film, soit en langue locale, sous-titré en français
et protégée par le BURIDA; fournir une attestation délivrée par l’administration des
impôts certifiant que l’entreprise est en situation régulière, un numéro de compte
contribuable, une fiche d’identité de la société précisant le statut juridique de celle-ci,
une note d’intention du réalisateur, un relevé bancaire au nom de la société précisant
le statut juridique de celle-ci, un curriculum vitae du réalisateur, une fiche technique et
artistique du film, une autorisation de tournage avec les différents lieux ou liste des

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demandés en plus des documents habituels pour un simple
enregistrement du film aux différents registres et l’obtention d’un visa
d’exploitation.
Les délais de réponse et d’obtention de l’agrément ont été
décrits comme étant extrêmement longs et souvent retardés par
certains producteurs.
Il a été également souligné par certains le manque de clarté et de
transparence sur les critères d’obtention de l’agrément. Cela pourrait à
terme découragercertains partenaires étrangers à coproduire avec la
Côte d’Ivoire.

2.5. Les barrières culturelles


La Côte d’Ivoire et le Maroc parlent des langues différentes. Est-
ce qu’un film tourné en Afrique subsaharienne peut intéresser le
Maghreb ? Il faut avoir un sujet d’un intérêt commun sans compter les
questions de Sous-titrage. Ce qui constitue un obstacle majeur pour la
grande majorité des cinéastes ivoiriens. Avec les burkinabés et autres
pays de l’Uemoa, cela marche bien car les barrières culturelles sont
minimes. On se souvient encore de Run7 de Philippe Lacôte8 tourné en

sites. Le budget estimatif doit être détaillé et une date proposée pour la sortie du film.
Il faut joindre à tout cela une lettre d’accord des engagements obtenus.
7
Premier prix du Jérusalem Film Lab, Run fait partie des 15 projets retenus par la
Cinéfondation du Festival de Cannes, ouvrant là une opportunité de confirmer son
talent de cinéaste. Ce film de 102 minutes est tourné en Côte d’Ivoire et Burkina Faso ;
dans la lignée de Chroniques de guerre en Côte d’Ivoire, se nourrissant de l'actualité et
la crise qui a secoué son pays, Run est à la jonction de ces deux regards -fiction et réel -
e
qui traverse le travail de Philippe. Ce film est sélectionné au 67 Festival de Cannes,
dans la section Un Certain Regard.
8
Philippe Lacôte est né et a grandi à Abidjan. Après un passage au Lycée Classique
d'Abidjan, il fait ses études en Europe et obtient une maîtrise de linguistique à
l'Université Toulouse II-Le Mirail. De 1989 à 1992, il est reporter et chroniqueur à Radio
FMR et réalise notamment une série de portraits sonores sur la chute du Mur de Berlin.
Sa passion pour la radio le conduit à Radio France, où il sera assistant auprès du
réalisateur Maurice Audran. Il coréalise avec Laurent Gil, Pense à la mer et aux oiseaux,
une fiction radiophonique de 50 minutes. Par la suite, Philippe Lacôte se tourne vers le
cinéma et commence comme projectionniste au cinéma "Le Cratère". Il occupera le
rôle d'assistant à la programmation sous la direction de Michel Dédébat. Il a à son actif
plusieurs courts-métrages ; Run est son premier long métrage.

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Côte d’Ivoire et au Burkina Faso, Ma Grande Famillede Akissi Delta9 qui a
été tourné au Burkina, Togo et Sénégal.
Il existe également certaines différences culturelles ou de pratiques
entre les deux autorités de tutelle (CCM et ONAC-CI), même si toutes deux
partagent la même mission: réglementer, soutenir et promouvoir l'économie
du cinéma, nationalement et à l'étranger. En effet, les critères de soutien
financier de ces deux institutions ne sont pas forcément basés sur les mêmes
éléments du projet. Certains sont attachés au scénario et ses qualités
artistiques. D’autres critères s’attachent beaucoup plus aux dimensions
économiques (remontées de recettes, impact sur le tissu industriel et son
renforcement).
Ainsi, certains des producteurs ivoiriens rencontrés ont pu qualifier les
deux systèmes de soutien comme « n’étant pas forcément culturellement
compatibles ». Or, « la politique coproductrice en matière de cinéma requiert ni
plus ni moins la présence de l'autre culture » (Nadeau, 1990, p.62), car « Même
si chaque pays est aujourd'hui à la recherche de son identité, il n'y a plus de
cloisonnement étanche entre les cultures. ». (Trnka, 1993, p.44). Donc, c'est
plus particulièrement à travers les sujets contemporains que la coproduction
permet d'interpréter les grands courants socioculturels d'aujourd'hui. Le
monde ne connaît plus de frontières ; nous vivons en direct les mêmes
événements, à travers les mêmes images. Et c'est bien la même émotion qui
unit au même moment malgré leurs différences, les téléspectateurs de tous les
pays devant la détresse, le courage ou l'exploit. Peu importe alors l'histoire qui
est proposée à ces différents publics, si elle leur permet de se retrouver à
travers les joies, les douleurs, les inquiétudes, les espérances et le courage des
personnages, c'est-à-dire des autres. L'universel n'a pas de nationalité.

9
Loukou Akissi Delphine est née le 05 mars 1960 à Dimbokro dans le centre de la Côte
d’Ivoire. Très tôt orpheline de père et de mère, elle est élevée par sa grand-mère, puis
sa tante chez qui elle demeure jusqu’en 1974 à Abidjan. Sa tante n’ayant plus la
capacité de subvenir à ses besoins, elle devient domestique. A la fin de l’année 1976,
elle entre dans le monde artistique par la danse puis participe à plusieurs romans-
photos grâce à Paul Kodjo. En 1977, elle croise Leonard Groghuet, artiste-comédien et
producteur d’une série satirique ivoirienne télévisée ‘’Comment ça va ?’’ Elle y est
engagée comme comédienne, bien qu’elle soit analphabète. En 1994, elle en devient la
directrice artistique. Elle a joué dans de nombreux films de grands réalisateurs
africains :Joli cœur, Rue princesse, Une couleur café, Caramel de Henry Duparc, Afrique
mon Afrique de Idrissa Ouédraogo, Bouka et Au nom du Christ de Roger Gnoan M’Bala.
Elle a reçu de nombreuses distinctions parmi lesquelles Le Galian 2005 du meilleur
communicateur du Burkina Faso, Le Top d’Or 2005 de la femme la plus élégante du
showbiz ivoirien, le prix Bayedasisters 2005 de la femme la plus entreprenante, le prix
Yéhé 2006, le prix du Meilleur scénariste 2006 décerné par le Burida (Bureau ivoirien
des droits d’auteur).

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Autant de contraintes qui mettent à mal la réalisation d’une
coproduction. Un producteur français a bien traduit cette attitude
générale en précisant: « La coproduction est un pis-aller plus qu'une
œuvre commune. Lourde à mettre en œuvre, elle reste une formule de
compromis, dont les résultats sont rarement à la hauteur des ambitions.
Il n'y a pas de solution miracle, c'est affaire de dosage, d'amalgame entre
les éléments hétérogènes qui la composent. » (Moreau, 1990, cité par
Trnka, 1993, p.1).
Au regard de ce qui précède, un certain nombre de problèmes
constituent un frein au développement des coproductions, pouvant
parfois avoir un effet dissuasif. Cependant, ces textes comportent en
eux-mêmes des points qui sont une véritable panacée qui permettent
des coproductions.

3. Accords de coproduction, un avantage pour la création


cinématographique
Avant d’aller plus loin, présentons les actions-réalisations dans le
cadre de ces accords.

3.1. Quelques travaux de postproduction et activités de promotion


Le Maroc s’est engagé à assister les réalisateurs ivoiriens pour les
opérations de finition de leurs films:
Le Centre Cinématographique Marocain s’engage à favoriser, à la
demande des autorités ivoiriennes, les travaux de postproduction dans
son laboratoire de films ivoiriens. Les conditions de cet apport du CCM
doivent faire l’objet d’un contrat passé avec le producteur du film.
(Article 18)

Dans ce cadre, vingt-cinq (25) millions FCFA ont été accordés à


Eugénie Ouattara dit "Djédjéssi" et Loukou Akissi Delphine dit "Akissi
Delta" pour les saisons 2 de leurs séries Nafi et Ma famille tandis que
huit (8) millions FCFA ont été octroyés à Guy Kalou pour la finition au
Maroc de son film: Et si Dieu n’existait pas. Owell Brown, pour son film
Braquage à l’Africaine et Prisca Macellini avec La villa d’à côté sont au
nombre des producteurs ivoiriens ayant bénéficié des services du Maroc
en termes de postproduction.
Concernant les acquis, cet accord a également permis la
promotion des films des deux pays à travers l’organisation de la semaine

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du cinéma marocain en Côte d’Ivoire et du cinéma ivoirien au Maroc, de
manière alternative, depuis 2013, concrétisant ainsi l’article 12:
Les deux parties mettront tout en œuvre pour favoriser la promotion et la
diffusion des films en organisant périodiquement, selon un calendrier à
déterminer d’un commun accord, « la semaine du cinéma marocain » en
Côte d’Ivoire et « la semaine du cinéma ivoirien » au Maroc, avec la
participation de sept films et la présence effective de cinq personnes. Les
frais de transport international des participants etdes copies de films sont
à la charge du pays d’envoi. Quant aux frais de séjour des participants, ils
sont à la charge du pays d’accueil.

Considérant ces acquis, nous pensons que des productions sont


encore possibles dans le cadre de ces accords. Il faut cependant que les
producteurs ivoiriens empruntent la voie de la professionnalisation.

3.2. La professionnalisation, point de départ des coproductions


C’est à niveau que l’article 16 prend son importance :
Pour relever le niveau du cinéma dans les deux pays, les autorités
compétentes mettront à la disposition de la profession, le cas échéant
des stages, des séminaires, et des ateliers pour le perfectionnement des
professionnels du cinéma et de l’audiovisuel. Les conditions et les
modalités de mise en œuvre de ces actions seront arrêtées, au cas par
cas, d'un commun accord entre les deux parties.
La réalisation de cet articlepeut prendre la forme d’ateliers-
rencontres de coproduction pour des projets ciblés (tous ne pouvant se
prêter à une coproduction) et une masse critique de professionnels
(institutions, producteurs, distributeurs). Outre la mise en relation entre
coproducteurs potentiels, ces ateliers-rencontres serviraient de plate-
forme pour renforcer les connaissances des professionnels, leurs
compétences et leur savoir-faire en matière de production et
coproduction, diffusion des informations utiles, ateliers de formation
thématiques, conseil juridique et financier.
Pour pouvoir vraiment générer des résultats, ce type de
rencontres doit connaître une certaine régularité et pérennité (une fois
par an minimum), en alimentant régulièrement le réseau de
coproduction entre les deux pays en nouveaux projets et nouveaux
professionnels, tout en renforçant leurs compétences/connaissances sur
le long terme. Elles doivent s’accompagner d’un renforcement des aides
à la mobilité (aide financière tout autant que la facilitation d’obtention

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de visa). Ces dernières existent déjà dans les deux pays, mais gagneraient
certainement à être développées et coordonnées.
Dans cette optique, le 24 aout 2017, une nouvelle convention
d’échanges cinématographiques et de coopération cinématographique
avec le Centre National Cinématographique et de l’image animée et
l’Office National du Cinéma de Côte d’Ivoire a été signée à Angoulême en
France. Elle a pour objectif de mettre à jour la convention de 1995. Que
comprend cette nouvelle convention ? En quoi diffère-t-elle de la
première ? Ici, l’accent est mis sur l’éducation à l’image. En effet, la Côte
d’ivoire veut mettre un accent sur la formation :
Les écoles naissent en Côte d’Ivoire, mais pas des écoles foncièrement
assises dans l’enseignement du cinéma ; la convention prendra donc en
compte l’éducation en image. Et dans ce domaine nous pouvons
bénéficier de l’expertise du CNC en matière de mise à disposition du
programme pédagogique et didactique et en matière de formation de
formateur. (Entrevue, 2018)

Des accords du genre peuvent se substituer aux accords d'hier et


c'est une véritable stratégie des alliances, avec des objectifs communs,
des méthodes de travail homogènes, des analyses de résultats, qu'il
faudra envisager pour ne pas être exclu de la compétition. Un nouveau
risque pour la création ivoirienne? Indiscutablement, si rien n'est
entrepris pour sauver le cinéma ivoirien de production et pour changer
l'image de la Côte d’Ivoire à l'étranger.
On peut également se servir des coproductions d’autres pays qui
fonctionnent bien. Le cas, par exemple, de la France et de l’Afrique du
Sud10. L’accord de coproduction entre ces deux pays a été signé en
2010. Le processus de négociation a été lancé à la demande de l’Afrique
du Sud qui avait alors une volonté de développer la coproduction
internationale pour aider son industrie nationale à mieux se structurer et
se développer. De 2010 à 2015, quatre films ont été coproduits. Le
rythme d’un film par an montre qu’il s’agit d’un accord qui fonctionne et
qui vit. Cela s’explique en grande partie par le dispositif particulièrement
attractif, de soutiens financiers supplémentaires auxquels donne accès la
coproduction officielle côté sud-africain. Un autre facteur incitatif pour la
dynamique de coproduction à long terme est l’accès réciproque dont

10
Voir Etude sur les coproductions entre la France et l’Afrique du sud dans le cadre de
l’accord de coproduction. Etude réalisée par LUCAS Rosant – Melia Films en Décembre
2015.

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bénéficient les coproductions officielles aux marchés français/européen
d’un côté et sud-africain de l’autre (rôle prescripteur du marché sud-
africain à l’échelle continentale).
Par ailleurs, le choix du ou des partenaire(s) est déterminant pour
la réussite de l'entreprise. Il est donc nécessaire de sélectionner les
partenaires susceptibles d'aider à préserver la qualité recherchée. Une
politique de coproduction internationale suppose donc qu'il existe non
seulement une bonne connaissance de ces différents partenaires et de
leurs productions, mais aussi, des relations de confiance réciproques,
pour rechercher le talent à partir duquel va se bâtir la coproduction .

Conclusion
Comme le montre l’analyse, les accords de coproduction signés
avec la France et le Maroc n’ont pas fait preuve d’efficacité depuis leur
signature respective en 1995 et 2011. Ce sont des traités dont les bilans
sont jugés insatisfaisants par les acteurs publics et privés.
Plusieurs raisons peuvent être évoquées. Il s’agit notamment
d’un manque de communication entre les acteurs publics et privés, de
pesanteurs économiques, principalement la dévaluation du Franc Cfa qui
a mis en veilleuse plusieurs projets culturels, du changement de support,
passage de l’analogie au numérique, du manque de formation des
cinéastes, des barrières culturelles et des lourdeurs et délais
administratifs.
Dans un tel contexte, il s'avère dès lors indispensable que tous les
acteurs de la création, pouvoirs publics, diffuseurs, producteurs,
créateurs et investisseurs, décident ensemble volontairement de «
changer de cap ». La coproduction internationale, par les enjeux qu'elle
représente et par les mécanismes qu'elle met en œuvre, apparaît bien
comme l'un des moyens de vaincre les habitudes; elle peut, à ce titre,
être une chance pour la création ivoirienne : celle qui lui permettra
d'exister encore demain.

Références bibliographiques
Accord cinématographique entre le gouvernement de la République
française et le gouvernement de la République de Côte d'Ivoire signé à
Abidjan le 2 mars 1995 (1) Décret n° 951235 du 16 novembre 199 5 (J.O.
du 23 novembre 1995).

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Accord de coproduction et d’échanges cinématographiques entre la
république de Côte d'Ivoire et le Royaume Uni du Maroc signé le 28
novembre 2011à Abidjan.
Bachy, V. (1983). Le cinéma en Côte d’Ivoire. Bruxelles: OCIC/
l’Harmattan.
Yéo, I. T. (2013). Entretien avec Fadika Kramo. Fraternité Matin du
Samedi 23 au Dimanche 24 février.
Koffi, M. (2010). Comme un si long métrage de maux. Fraternité Matin,
13708.
Koffi, M. (2010). Entretien avec Jean-Louis Koula. Fraternité Matin du
jeudi 17 juin.
Creton, L. (2009). L’économie du cinéma en 50 fiches. Paris : Armand
Colin.
Mucchielli, A. & Paillé, P. (2003). L'analyse qualitative en sciences
humaines et sociales. Paris: Armand Colin.
Nadeau, C. (1990). Américanité ou américanisation : l’exemple de la
coproduction au Québec. Cinémas, 1 (1-2), 60-71. Doi :
10.7202/1000991ar.
N’dri, Y. (2018). La difficile évolution du cinéma ivoirien : Analyse et
perspectives. Revue de littérature & d’esthétique Négro-Africaines, 3
(18).
Trnka, M. (1993). Les coproductions internationales : une fatalité et une
chance pour la création. Communication et langages, 95, 1er trimestre
33-46. [en ligne] : http://www.persee.fr/doc/colan_0336-
1500_1993_num_95_1_2413 (consulté le 10 juillet 2018).

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