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Revue internationale de droit

comparé

Réflexions sur la responsabilité civile

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Réflexions sur la responsabilité civile. In: Revue internationale de droit comparé. Vol. 28 N°3, Juillet-septembre 1976. pp. 581-
587;

doi : https://doi.org/10.3406/ridc.1976.16722

https://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_1976_num_28_3_16722

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RÉFLEXIONS SUR LA RESPONSABILITÉ CIVILE

C'est à la fois une vaste fresque historique, géographique et comparative


et une magistrale étude critique de l'état présent du droit de la responsabilité
délictuelle qu'a écrite M. André Tune dans le chapitre d'introduction qu'il a
consacré au volume XI de l'Encyclopédie internationale de droit comparé (1).
L'auteur part de la constatation d'une situation de crise : partout, la
responsabilité civile a en effet atteint un développement sans précédent
cependant qu'elle se trouve concurrencée par des systèmes de réparation
collective, comme la sécurité sociale et l'assurance, qui lui retirent en partie sa
raison d'être et modifient sa portée. Cette situation oblige donc à remettre en
cause les fondements traditionnels de l'institution.
Un premier développement est consacré à la définition du concept de
responsabilité civile et à la délimitation de son domaine. Alors que, dans les
pays de « common law ■», la notion de « tort » se définit par l'existence d'un
dommage dont la loi impose la réparation et qui se distingue de la violation
d'un contrat en ce qu'elle procède de la méconnaissance d'un devoir imposé
par la loi à l'égard de toute personne, la France reste attachée, au moins
théoriquement, à une notion de responsabilité délictuelle fondée sur la faute
et l'Allemagne de l'Ouest définit le délit comme une violation fautive ou
simplement illicite (en cas d'atteinte à un droit que la loi protège de façon
absolue) des intérêts d'autrui portant atteinte à un devoir général. Mais en
France comme en Allemagne, la jurisprudence et le législateur ont créé de
nombreux cas de responsabilité sans faute. De façon générale, les pays
d'Europe occidentale distinguent « délit » et « contrat » dont ils font les
deux sources essentielles du droit des obligations.
Quant aux pays socialistes, ils ont une approche tout à fait comparable
à celle des pays d'Europe occidentale. La faute reste le fondement essentiel
de leur droit de la responsabilité délictuelle, mais la plupart d'entre eux
adoptent la distinction allemande entre faute proprement dite et illicéité. Ils
admettent en outre que l'auteur d'un dommage est chargé d'une présomption de
faute. Comme les pays occidentaux, ils connaissent des régimes spéciaux
de responsabilité objective en ce qui concerne les activités dangereuses ainsi
que la distinction entre responsabilité délictuelle et contractuelle, bien qu'ils
aient rapproché les régimes applicables à l'une et à l'autre.
A partir de cette définition du délit, l'auteur examine les rapports
unissant la responsabilité délictuelle à certaines institutions voisines.
Et d'abord, il envisage la distinction entre responsabilité délictuelle
et sécurité sociale qui est à première vue évidentex la sécurité sociale s'effor-
çant d'assurer la réparation de tout dommage à la personne sans s'interroger
sur le caractère fautif ou illicite de l'acte qui l'a causé alors que cette
dernière considération est au contraire essentielle en matière de responsabilité

(1) André Tunc, Introduction au volume XI, Torts de Y Encyclopédie


internationale de droit comparé, 1975, 181 pages.
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civile. Celle-ci, en effet, est un moyen d'instaurer l'équilibre entre la liberté de


chaque citoyen et le respect des droits d'autrui, tandis que celle-là est un
mécanisme de protection des individus par une répartition entre tous des
incidences des dommages.
Mais il n'en reste pas moins que, dans de nombreux cas, le même
dommage peut être couvert par l'un et l'autre des deux systèmes. Or, dans une
perspective d'économie des moyens, il peut sembler souhaitable d'éviter
les doubles emplois, ce qui conduit à envisager de soustraire au domaine de
la responsabilité civile, pour la confier à la sécurité sociale, la réparation de
certains dommages accidentels.
Cette évolution, déjà réalisée en ce qui concerne les accidents du
travail pourrait être étendue aux accidents de la circulation. Et l'on peut même
se demander si un jour, à l'exemple des. pays Scandinaves, la sécurité sociale
n'aura pas le monopole de la réparation des dommages à la personne.
L'auteur s'attache ensuite à l'examen de la distinction entre
responsabilités délictuelle et contractuelle vis-à-vis de laquelle il adopte une attitude
vigoureusement critique. Après s'être livré à une étude comparative des droits
français, anglais et américain qui lui permet de souligner leur désaccord tant
au sujet du critère que des effets attachés à la distinction, il énumère les
inconvénients dont elle est la source, insistant sur l'absence de justification pratique
et logique de la plupart des différences admises entre les deux régimes de
responsabilité, notamment lorsque la responsabilité est encourue par un
professionnel dont la négligence peut indifféremment nuire au cocontractant ou
à un tiers ou lorsque la mauvaise exécution du contrat cause le décès du
contractant, ce qui amène ses proches, tiers au contrat, à exercer une action
fondée sur la violation de celui-ci. L'auteur déduit de ces observations que si
la distinction ne peut être supprimée, car elle correspond à une réalité, il est
souhaitable d'unifier à peu près totalement les règles gouvernant les deux
systèmes. Il montre d'ailleurs que les législations récentes tendent à évoluer
en ce sens.
C'est enfin de la responsabilité pénale que la responsabilité civile doit
être également distinguée. L'auteur rappelle l'origine historique de cette
distinction et son caractère de plus en plus accusé dans les droits contemporains.
Il examine ensuite les liens qui demeurent actuellement entre les deux
institutions et qui résultent non seulement du fait qu'un même acte peut constituer à
la fois un délit civil et une infraction pénale mais aussi d'une certaine
convergence de but, responsabilité civile et responsabilité pénale étant toutes deux
orientées vers la dissuasion des comportements antisociaux. Cependant,
l'auteur estime que cette convergence de but ne conduira vraisemblablement pas
à leur fusion, la responsabilité civile étant destinée à conserver son rôle
spécifique de réparation des dommages, tant que du moins la sécurité sociale
ne l'assumera pas entièrement.
Le second développement de l'ouvrage est consacré à un aperçu
historique et géographique de la responsabilité délictuelle.
Après un examen assez rapide de l'évolution du droit dans deux pays
qui ont eu une grande influence dans le monde antique, à savoir Israël et
Rome, l'auteur s'attache plus longuement à la description de la formation
du droit français jusqu'au Code civil, en montrant en particulier le rôle joué
par les canonistes dans l'élaboration du concept de la faute et la formulation
par Domat au xviie siècle des principes repris ultérieurement par les articles
1382 et 1386 du Code civil.
Un développement particulièrement intéressant est ensuite consacré à la
formation du droit anglais dont la principale caractéristique jusqu'en 1852
résidait dans la dépendance stricte des droits par rapport aux formules d'ac-
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tions délivrées par le roi. Dans le domaine qui nous occupe, l'action
punitive de trespass dont le domaine était assez étroit, fut ensuite complétée grâce
au développement du trespass on the case, formule nouvelle donnée, au vu des
circonstances, pour des cas voisins de celui du trespass. La multiplication de
ces actions on the case provoqua l'apparition d'un très grand nombre de
torts. Et lorsque, en 1852, le système des formules d'action fut aboli, le
terrain aurait pu sembler propice à l'instauration d'un principe général de
responsabilité. Pourtant ce n'est pas ce qui arriva. Les différents torts
conservèrent en effet leur autonomie tandis que l'un d'eux, le negligence, prit peu
à peu le pas sur les autres.
Après ces explications relatives à la formation des droits occidentaux,
l'auteur dresse un tableau de la période contemporaine. Il met
immédiatement l'accent sur les bouleversements apportés aux données fondamentales
du droit de la responsabilité civile par le développement de l'industrie et du
machinisme qui, en provoquant l'extension d'une catégorie de dommages
autrefois relativement peu importante, celle des accidents, a posé en termes
nouveaux le problème de leur réparation auquel les concepts classiques comme
celui de la faute, n'étaient plus adaptés. Et c'est ce qui explique la crise
actuelle du droit de la responsabilité civile ressentie presque partout.
En Angleterre, le développement du concept de negligence, d'abord
admis pour épargner l'auteur d'un acte non intentionnel, puis utilisé finalement
pour étendre la responsabilité délictuelle, en écartant les règles plus strictes
des autres torts, ainsi que l'utilisation de la règle res ipsa loquitur
permettant de présumer le negligence à partir de certains dommages, semblent
ouvrir la voie à l'instauration d'un principe général de responsabilité pour
faute. Mais, d'un autre côté les manifestations favorables à la responsabilité
objective se multiplient en jurisprudence et en législation, de telle sorte que
la situation actuelle apparaît des plus confuses et qu'une réforme générale
est envisagée en ce qui concerne la réparation des dommages accidentels à la
personne et la responsabilité des producteurs.
Si la législation allemande fut, quant à elle, la première à admettre un
principe de responsabilité sans faute par une loi de 1838 relative aux accidents
de chemin de fer, elle-même étendue en 1871 à d'autres activités
dangereuses, ainsi qu'à mettre sur pied un système complet d'assurances sociales
(1881-1884), les rédacteurs du Code civil de 1900 ne voulurent en revanche
formuler qu'un principe général de responsabilité pour faute, laissant aux
lois spéciales le soin de prévoir des exceptions. Mais les textes admettant une
responsabilité objective n'ayant cessé de se multiplier, la situation actuelle fait
apparaître aujourd'hui le point de vue des rédacteurs du code comme assez
désuet et une réforme d'ensemble est envisagée.
En France, le prestige du Code civil de 1804 ayant paralysé toute
évolution durant la majeure partie du xix" siècle, c'est seulement aux
alentours de 1870 que l'idée se fit jour, en doctrine, que le propriétaire d'une
chose dangereuse pourrait être responsable, sans faute, des dommages causés
par celle-ci. Une vaste controverse entre partisans et adversaires de la théorie
du risque amena ici encore le droit positif à un compromis, des cas de
responsabilité sans faute ayant été introduits par divers textes relatifs à certaines
activités dangereuses, ainsi que dans le domaine des accidents du travail,
tandis que l'existence d'une présomption de responsabilité imposée au gardien
de toute chose pour le dommage causé par celle-ci n'est plus contestée depuis
1930.
A côté de cette évolution propre à chacun des droits nationaux de la
responsabilité délictuelle, une évolution commune s'est manifestée sur laquelle
l'auteur insiste particulièrement. Il s'agit du développement de l'assurance de
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responsabilité civile qui, après avoir vaincu la méfiance des juges nationaux,
à des dates d'ailleurs très différentes selon les pays, est aujourd'hui admise
par tous les Etats non socialistes, où elle prend une place de plus en plus
grande et a même été rendue obligatoire pour des activités fort importantes.
Une exception est cependant signalée : il s'agit du droit soviétique qui, par
attachement à la responsabilité pour faute, continue à prohiber l'assurance
de responsabilité. Toutefois, cette attitude qui est rejetée par les autres pays
socialistes n'a probablement guère d'avenir.
Or ce développement de l'assurance de responsabilité civile qui a, d'ores
et déjà, considérablement modifié le système classique de la responsabilité
civile (en amenant les tribunaux à une interprétation souvent forcée et
tendancieuse des conditions et des effets de cette responsabilité), doit conduire à
repenser l'ensemble du système dans une optique non plus de justice
individuelle (c'est-à-dire d'un équilibre à établir entre les intérêts de l'auteur du
dommage et ceux de la victime), mais de justice collective (c'est-à-dire en
fonction des possibilités de répartition des risques par l'assurance).
Pour compléter cette présentation des droits occidentaux, l'auteur
donne ensuite un aperçu plus rapide des principaux droits des autres
continents. Il signale que les Etats-Unis ont suivi l'Angleterre dans les grandes
lignes, mais qu'une réflexion plus poussée y a été poursuivie en ce qui
concerne la responsabilité des producteurs et la réparation des accidents de la
circulation.
Quant aux pays socialistes, ils restent, on l'a vu, très attachés à la
responsabilité pour faute qu'ils tempèrent cependant à la fois par une
présomption simple de faute mise à la charge de l'auteur du dommage, ainsi que
par une faculté de modération des dommages-intérêts reconnue aux tribunaux
et par l'admission d'une responsabilité objective au détriment des personnes
et organismes qui poursuivent certaines activités dangereuses ou utilisent
des instruments créant des risques graves pour le public.
Sans pouvoir suivre l'auteur dans la savante présentation qu'il fait
des droits de l'Amérique latine, du Japon, de la Chine populaire, de l'Inde,
du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, signalons simplement le caractère
particulier des droits Scandinaves où les juristes se sont livrés à une réflexion
critique approfondie sur les problèmes de la responsabilité civile, dans le
cadre d'une prise en considération de l'assurance et de la sécurité sociale
et les codifications récentes intervenues dans certains pays africains (Ethiopie,
Sénégal, Madagascar) avec la collaboration de juristes français qui ont ainsi
eu l'occasion de proposer des modèles susceptibles d'inspirer eux-mêmes une
éventuelle remise à jour des principes de la responsabilité civile en France.
Cet aperçu historique et. comparatif amène alors M. André Tune à poser
la question qui lui paraît essentielle dans l'état actuel de l'évolution : Quelle
place convient-il de reconnaître à la faute dans un droit moderne de la
responsabilité délictuelle ? Et c'est à l'examen de cette question qu'il consacre
le troisième développement de son ouvrage.
Refusant tout à priori, l'auteur passe en revue les arguments échangés
à ce sujet par les auteurs. Après avoir rappelé les raisons tirées de la logique,
de la morale et des impératifs de la vie sociale qui militent en faveur d'une
responsabilité fondée sur la faute, il se penche sur les motifs qui ont conduit
à prôner un élargissement de la responsabilité civile. Il souligne que, dès le
xixe siècle, l'école positiviste, en mettant l'accent sur la fonction
essentiellement indemnitaire de la responsabilité civile, a fait passer au second plan le
jugement moral sur l'attitude de l'auteur dont seule la responsabilité pénale
aurait à s'occuper. Il montre que certains penseurs socialistes ont également
appuyé ce courant de pensée qui a gagné du terrain dans l'opinion publique
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en raison de l'augmentation du nombre des dommages accidentels. Mais c'est


surtout par un examen positif de la pratique actuelle que l'auteur s'efforce
de démontrer le rôle relativement faible de la faute dans la mise en jeu
effective des responsabilités. Il insiste d'abord sur le fait que très nombreuses
sont les personnes qui, bien que coupables de fautes, échappent à toute
responsabilité, simplement parce que la preuve n'en est pas rapportée. Il
montre également que des catégories entières échappent aux conséquences de
leur faute, par exemple les enfants, les salariés lorsqu'ils agissent dans le
cadre de leur travail, et surtout toutes les personnes dont la responsabilité
est assurée. Quant à prétendre que nul ne serait responsable d'un dommage
qui n'est pas imputable à sa faute, ce serait tout aussi inexact. Tous les
droits nationaux, on l'a vu, admettent dans de larges secteurs une
responsabilité plus ou moins détachée de la faute, notamment par le biais de la
responsabilité du fait d'autrui, de la responsabilité de l'entreprise et de la
responsabilité du fait des choses. Enfin, ajoute l'auteur, il n'est même plus
exact aujourd'hui que la victime soit toujours privée du droit d'obtenir
réparation des dommages qu'elle s'est causés par sa propre faute : la sécurité
sociale et l'assurance personnelle couvrent en effet quotidiennement de tels
dommages.
Réduire le domaine de la responsabilité civile à celui de la faute est
donc un mythe, conclut M. André Tune.
Mais cela ne veut pas dire que la faute doive pour autant être bannie
du droit de la responsabilité civile. Il s'agit simplement de déterminer, par
un examen objectif, quelle place elle doit occuper. Or, pour ce faire, l'auteur
cherche à apprécier la valeur du critère de la faute au point de vue moral,
social, philosophique et en considération de l'intérêt des victimes.
Au point de vue moral d'abord, il souligne très opportunément le
décalage considérable qui existe aujourd'hui entre la faute morale et la faute
civile qui ne présentent pratiquement plus aucun point commun. Ceci est
évident dans les pays occidentaux (en France et, à un moindre degré, en
Allemagne) où la faute est identifiée à un écart de conduite apprécié « in
abstracto », c'est-à-dire sans considération des qualités personnelles de
l'auteur. Mais la même constatation peut être faite dans les pays socialistes et, à
propos du ne^Uç/ence, dans les pays de common law et dans les pays
Scandinaves. En outre, remarque l'auteur, le label unique de « faute » est
appliqué à des actes qui, au point de vue moral, présentent une gravité très inégale.
Il n'est nullement certain enfin que la morale sociale n'impose pas une
solidarité dans le malheur même au profit de personnes dont le dommage n'est
pas imputable à une faute.
Le jugement porté sur la valeur sociale de la responsabilité pour faute
n'est d'ailleurs pas plus favorable. L'absence totale de corrélation entre la
gravité de la faute et l'étendue du dommage et par conséquent de la dette de
réparation, ainsi que la très grande difficulté, en cas d'accident, de prouver
la faute et d'en identifier l'auteur, apparaissent en effet comme de graves
inconvénients qui ont d'ailleurs contraint à abandonner le critère de la faute
dans certains domaines. En outre, l'auteur insiste sur une assimilation qu'il
estime abusive, bien que très généralement admise par les législations
nationales, entre la faute et la simple « erreur », c'est-à-dire l'inadvertance,
l'erreur d'appréciation ou la réaction malheureuse à un événement inattendu
qu'aucun homme, si diligent et avisé soit-il, ne peut toujours éviter. Il est
injuste et socialement inopportun, affirme M. André Tune, de faire grief
à un homme des erreurs qui sont inhérentes à la nature humaine. Seule
la répétition anormalement fréquente de telles erreurs peut révéler un
comportement fautif.
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A partir de ces constatations, l'auteur propose de soustraire en principe


la réparation de dommages accidentels aux règles traditionnelles de la
responsabilité civile et de la confier à un mécanisme assurant la répartition des
risques sur la collectivité. Il réserve cependant l'hypothèse de la faute
caractérisée et celle dans laquelle le responsable n'est pas assuré : une
responsabilité individuelle couvrant au moins partiellement la réparation reste alors
concevable et peut être souhaitable.
Mais cette option pose elle-même de graves problèmes : faut-il unifier
les systèmes de compensation des dommages accidentels en créant un régime
de sécurité sociale généralisée qui supplanterait complètement l'assurance
privée, ou bien vaut-il mieux susciter des législations spécifiques appropriées
à chacune des grandes catégories de dommages accidentels et respectant la
diversité des mécanismes apparus spontanément ? L'auteur, après un examen
des arguments présentés par les partisans des deux thèses, opte, quant à
lui, pour la seconde.
Faut-il, d'autre part, si l'on maintient l'assurance, favoriser plutôt
l'assurance de responsabilité ou l'assurance personnelle de la victime ? Les
impératifs d'efficacité sont invoqués en faveur d'un développement de l'assurance
personnelle.
Enfin, en se plaçant toujours sur le plan de l'intérêt social, M. André
Tune conteste avec force l'opportunité du maintien de la règle qui prive
la victime d'un accident, coupable d'une simple erreur, de son droit à
réparation : « si la crainte de perdre la vie ou la santé n'est pas suffisamment
dissuasive », remarque-t-il, « l'éventualité d'une responsabilité ne le sera pas
davantage » .
Quant à l'aspect philosophique il est également abordé. Mais l'auteur
se montre sceptique aussi bien en ce qui concerne la valeur éducative d'un
principe de responsabilité pour faute que quant à son efficacité pour assurer
la promotion de la dignité de l'individu.
Enfin, pour démontrer que l'intérêt de la victime est souvent sacrifié
par un tel principe, il prend deux exemples topiques : les accidents de la
circulation et la responsabilité médicale.
Il conclut donc en faveur de l'adoption d'un système de réparation
collective destiné à couvrir tous les dommages accidentels, sous réserve du
maintien d'une responsabilité individuelle au moins partielle pour les cas de fautes
caractérisées.
Le dernier développement de l'ouvrage aborde le problème des fonctions
de la responsabilité civile, ce qui permet à l'auteur de reprendre, sous un
angle plus théorique, certaines questions abordées précédemment et de
renforcer les conclusions qu'il propose.
La responsabilité civile doit-elle et peut-elle assurer la dissuasion des
comportements antisociaux ? M. André Tune pense que ce rôle, à peu près
négligeable en ce qui concerne la criminalité violente, peut être en revanche
réel dans le domaine des infractions financières et économiques ainsi que
pour l'atteinte aux droits de la personnalité (diffamation, atteinte à la vie
privée...). Quant à la prévention des erreurs et dommages accidentels, la
responsabilité civile y contribue beaucoup plus efficacement si elle est appliquée
à de grandes unités de production qui sont en mesure d'agir sur les causes
des accidents que si elle pèse sur des individus jouant le rôle d'exécutants.
De toutes façons d'ailleurs l'effet dissuasif de la responsabilité civile est
généralement inférieur à celui de la responsabilité pénale principalement parce
qu'il est surtout oblitéré par l'assurance.
La fonction d'indemnisation des victimes est unanimement considérée
comme essentielle à la responsabilité civile. Et pourtant M. André Tune
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montre que cette institution joue aujourd'hui à cet égard un rôle nettement
inférieur à celui de la sécurité sociale et de l'assurance. Et d'ailleurs, remar-
que-t-il, cette fonction est extrêmement difficile à réaliser dans la mesure où
certains dommages (les dommages moraux, les atteintes à l'intégrité
corporelle...) sont difficilement évaluables et même parfois insusceptibles d'une
véritable réparation.
L'auteur signale ensuite le rôle joué par la responsabilité civile comme
agent de répartition des dommages sur une collectivité. Cette fonction est en
effet remplie soit lorsque la responsabilité pèse sur une entreprise qui peut en
répercuter l'incidence sur le public soit tout simplement par le canal de
l'assurance de responsabilité civile. Or s'il s'agit là d'un phénomène
souhaitable en ce qui concerne les dommages accidentels, il peut en revanche se
révéler regrettable pour ceux qui sont dus à des fautes caractérisées. De plus,
la socialisation des risques est une source de parafiscalité dont le poids doit
être mesuré de façon à éviter de paralyser certaines activités. Quoi qu'il en
soit, la socialisation des risques est une réalité qui ne cesse aujourd'hui de
gagner du terrain.
La responsabilité civile assume enfin une dernière fonction qui n'est pas
la moindre, celle de garantir les droits des citoyens. M. André Tune souligne
l'importance attachée à ce rôle par certains auteurs qui en ont fait le
fondement même de la responsabilité civile. L'idée apparaît d'abord chez les
partisans de la théorie du risque pour qui « celui qui crée un risque pour autrui
doit le supporter ». Elle a inspiré également en Belgique la doctrine du
procureur général Leclerq qui juge toujours fautive l'atteinte portée à l'intégrité
physique d'autrui, quels que soient les moyens employés. Le doyen Savatier
admet, de son côté, l'existence d'un « devoir général de ne pas nuire à
autrui » pesant sur toute personne. Enfin la théorie de la « garantie » prônée
par M. Starck part du postulat selon lequel l'atteinte à l'intégrité physique
ou à la propriété d'autrui doit entraîner automatiquement la responsabilité
de son auteur. M. André Tune porte des appréciations nuancées sur ces
différentes opinions. Il reconnaît en particulier que la théorie de M. Starck
« fournirait certainement un cadre excellent pour un droit moderne de la
responsabilité civile ».
C'est d'ailleurs par un appel à un effort général de rénovation que
l'auteur conclut. 11 insiste notamment sur la nécessité de soumettre la
réparation des dommages accidentels à un droit spécial dont il esquisse les grandes
lignes et qui assurerait la prise en charge de tous ces dommages par des
mécanismes de réparation collective. Quant à la responsabilité proprement
dite, sa réglementation devrait être simplifiée et repensée en fonction des
possibilités actuelles de répartition des risques.
Pour tous ceux qui s'intéressent, sous un angle théorique ou pratique, aux
problèmes de la responsabilité civile, cette Introduction est une des
lectures les plus stimulantes et les plus fructueuses qu'il soit possible de faire.
Le problèmes essentiels que soulève actuellement cette matière devenue si
complexe y sont posés et traités avec une clarté, une rigueur et un souci
constant d'adapter le droit aux nécessités de l'époque contemporaine auxquels
l'éclairage du droit comparé, savamment exploré et utilisé, confère une force
particulière. Souhaitons que ce très bel ouvrage dans lequel M. André Tune
reprend avec l'ardeur et le talent qu'on lui connaît la plupart des idées
essentielles qu'il ne cesse de défendre depuis plusieurs années soit lu et
médité par tous ceux qui sont en mesure de contribuer à l'évolution du droit
de la responsabilité civile.
Geneviève Vtney

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