comparé
Réflexions sur la responsabilité civile. In: Revue internationale de droit comparé. Vol. 28 N°3, Juillet-septembre 1976. pp. 581-
587;
doi : https://doi.org/10.3406/ridc.1976.16722
https://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_1976_num_28_3_16722
tions délivrées par le roi. Dans le domaine qui nous occupe, l'action
punitive de trespass dont le domaine était assez étroit, fut ensuite complétée grâce
au développement du trespass on the case, formule nouvelle donnée, au vu des
circonstances, pour des cas voisins de celui du trespass. La multiplication de
ces actions on the case provoqua l'apparition d'un très grand nombre de
torts. Et lorsque, en 1852, le système des formules d'action fut aboli, le
terrain aurait pu sembler propice à l'instauration d'un principe général de
responsabilité. Pourtant ce n'est pas ce qui arriva. Les différents torts
conservèrent en effet leur autonomie tandis que l'un d'eux, le negligence, prit peu
à peu le pas sur les autres.
Après ces explications relatives à la formation des droits occidentaux,
l'auteur dresse un tableau de la période contemporaine. Il met
immédiatement l'accent sur les bouleversements apportés aux données fondamentales
du droit de la responsabilité civile par le développement de l'industrie et du
machinisme qui, en provoquant l'extension d'une catégorie de dommages
autrefois relativement peu importante, celle des accidents, a posé en termes
nouveaux le problème de leur réparation auquel les concepts classiques comme
celui de la faute, n'étaient plus adaptés. Et c'est ce qui explique la crise
actuelle du droit de la responsabilité civile ressentie presque partout.
En Angleterre, le développement du concept de negligence, d'abord
admis pour épargner l'auteur d'un acte non intentionnel, puis utilisé finalement
pour étendre la responsabilité délictuelle, en écartant les règles plus strictes
des autres torts, ainsi que l'utilisation de la règle res ipsa loquitur
permettant de présumer le negligence à partir de certains dommages, semblent
ouvrir la voie à l'instauration d'un principe général de responsabilité pour
faute. Mais, d'un autre côté les manifestations favorables à la responsabilité
objective se multiplient en jurisprudence et en législation, de telle sorte que
la situation actuelle apparaît des plus confuses et qu'une réforme générale
est envisagée en ce qui concerne la réparation des dommages accidentels à la
personne et la responsabilité des producteurs.
Si la législation allemande fut, quant à elle, la première à admettre un
principe de responsabilité sans faute par une loi de 1838 relative aux accidents
de chemin de fer, elle-même étendue en 1871 à d'autres activités
dangereuses, ainsi qu'à mettre sur pied un système complet d'assurances sociales
(1881-1884), les rédacteurs du Code civil de 1900 ne voulurent en revanche
formuler qu'un principe général de responsabilité pour faute, laissant aux
lois spéciales le soin de prévoir des exceptions. Mais les textes admettant une
responsabilité objective n'ayant cessé de se multiplier, la situation actuelle fait
apparaître aujourd'hui le point de vue des rédacteurs du code comme assez
désuet et une réforme d'ensemble est envisagée.
En France, le prestige du Code civil de 1804 ayant paralysé toute
évolution durant la majeure partie du xix" siècle, c'est seulement aux
alentours de 1870 que l'idée se fit jour, en doctrine, que le propriétaire d'une
chose dangereuse pourrait être responsable, sans faute, des dommages causés
par celle-ci. Une vaste controverse entre partisans et adversaires de la théorie
du risque amena ici encore le droit positif à un compromis, des cas de
responsabilité sans faute ayant été introduits par divers textes relatifs à certaines
activités dangereuses, ainsi que dans le domaine des accidents du travail,
tandis que l'existence d'une présomption de responsabilité imposée au gardien
de toute chose pour le dommage causé par celle-ci n'est plus contestée depuis
1930.
A côté de cette évolution propre à chacun des droits nationaux de la
responsabilité délictuelle, une évolution commune s'est manifestée sur laquelle
l'auteur insiste particulièrement. Il s'agit du développement de l'assurance de
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responsabilité civile qui, après avoir vaincu la méfiance des juges nationaux,
à des dates d'ailleurs très différentes selon les pays, est aujourd'hui admise
par tous les Etats non socialistes, où elle prend une place de plus en plus
grande et a même été rendue obligatoire pour des activités fort importantes.
Une exception est cependant signalée : il s'agit du droit soviétique qui, par
attachement à la responsabilité pour faute, continue à prohiber l'assurance
de responsabilité. Toutefois, cette attitude qui est rejetée par les autres pays
socialistes n'a probablement guère d'avenir.
Or ce développement de l'assurance de responsabilité civile qui a, d'ores
et déjà, considérablement modifié le système classique de la responsabilité
civile (en amenant les tribunaux à une interprétation souvent forcée et
tendancieuse des conditions et des effets de cette responsabilité), doit conduire à
repenser l'ensemble du système dans une optique non plus de justice
individuelle (c'est-à-dire d'un équilibre à établir entre les intérêts de l'auteur du
dommage et ceux de la victime), mais de justice collective (c'est-à-dire en
fonction des possibilités de répartition des risques par l'assurance).
Pour compléter cette présentation des droits occidentaux, l'auteur
donne ensuite un aperçu plus rapide des principaux droits des autres
continents. Il signale que les Etats-Unis ont suivi l'Angleterre dans les grandes
lignes, mais qu'une réflexion plus poussée y a été poursuivie en ce qui
concerne la responsabilité des producteurs et la réparation des accidents de la
circulation.
Quant aux pays socialistes, ils restent, on l'a vu, très attachés à la
responsabilité pour faute qu'ils tempèrent cependant à la fois par une
présomption simple de faute mise à la charge de l'auteur du dommage, ainsi que
par une faculté de modération des dommages-intérêts reconnue aux tribunaux
et par l'admission d'une responsabilité objective au détriment des personnes
et organismes qui poursuivent certaines activités dangereuses ou utilisent
des instruments créant des risques graves pour le public.
Sans pouvoir suivre l'auteur dans la savante présentation qu'il fait
des droits de l'Amérique latine, du Japon, de la Chine populaire, de l'Inde,
du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, signalons simplement le caractère
particulier des droits Scandinaves où les juristes se sont livrés à une réflexion
critique approfondie sur les problèmes de la responsabilité civile, dans le
cadre d'une prise en considération de l'assurance et de la sécurité sociale
et les codifications récentes intervenues dans certains pays africains (Ethiopie,
Sénégal, Madagascar) avec la collaboration de juristes français qui ont ainsi
eu l'occasion de proposer des modèles susceptibles d'inspirer eux-mêmes une
éventuelle remise à jour des principes de la responsabilité civile en France.
Cet aperçu historique et. comparatif amène alors M. André Tune à poser
la question qui lui paraît essentielle dans l'état actuel de l'évolution : Quelle
place convient-il de reconnaître à la faute dans un droit moderne de la
responsabilité délictuelle ? Et c'est à l'examen de cette question qu'il consacre
le troisième développement de son ouvrage.
Refusant tout à priori, l'auteur passe en revue les arguments échangés
à ce sujet par les auteurs. Après avoir rappelé les raisons tirées de la logique,
de la morale et des impératifs de la vie sociale qui militent en faveur d'une
responsabilité fondée sur la faute, il se penche sur les motifs qui ont conduit
à prôner un élargissement de la responsabilité civile. Il souligne que, dès le
xixe siècle, l'école positiviste, en mettant l'accent sur la fonction
essentiellement indemnitaire de la responsabilité civile, a fait passer au second plan le
jugement moral sur l'attitude de l'auteur dont seule la responsabilité pénale
aurait à s'occuper. Il montre que certains penseurs socialistes ont également
appuyé ce courant de pensée qui a gagné du terrain dans l'opinion publique
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montre que cette institution joue aujourd'hui à cet égard un rôle nettement
inférieur à celui de la sécurité sociale et de l'assurance. Et d'ailleurs, remar-
que-t-il, cette fonction est extrêmement difficile à réaliser dans la mesure où
certains dommages (les dommages moraux, les atteintes à l'intégrité
corporelle...) sont difficilement évaluables et même parfois insusceptibles d'une
véritable réparation.
L'auteur signale ensuite le rôle joué par la responsabilité civile comme
agent de répartition des dommages sur une collectivité. Cette fonction est en
effet remplie soit lorsque la responsabilité pèse sur une entreprise qui peut en
répercuter l'incidence sur le public soit tout simplement par le canal de
l'assurance de responsabilité civile. Or s'il s'agit là d'un phénomène
souhaitable en ce qui concerne les dommages accidentels, il peut en revanche se
révéler regrettable pour ceux qui sont dus à des fautes caractérisées. De plus,
la socialisation des risques est une source de parafiscalité dont le poids doit
être mesuré de façon à éviter de paralyser certaines activités. Quoi qu'il en
soit, la socialisation des risques est une réalité qui ne cesse aujourd'hui de
gagner du terrain.
La responsabilité civile assume enfin une dernière fonction qui n'est pas
la moindre, celle de garantir les droits des citoyens. M. André Tune souligne
l'importance attachée à ce rôle par certains auteurs qui en ont fait le
fondement même de la responsabilité civile. L'idée apparaît d'abord chez les
partisans de la théorie du risque pour qui « celui qui crée un risque pour autrui
doit le supporter ». Elle a inspiré également en Belgique la doctrine du
procureur général Leclerq qui juge toujours fautive l'atteinte portée à l'intégrité
physique d'autrui, quels que soient les moyens employés. Le doyen Savatier
admet, de son côté, l'existence d'un « devoir général de ne pas nuire à
autrui » pesant sur toute personne. Enfin la théorie de la « garantie » prônée
par M. Starck part du postulat selon lequel l'atteinte à l'intégrité physique
ou à la propriété d'autrui doit entraîner automatiquement la responsabilité
de son auteur. M. André Tune porte des appréciations nuancées sur ces
différentes opinions. Il reconnaît en particulier que la théorie de M. Starck
« fournirait certainement un cadre excellent pour un droit moderne de la
responsabilité civile ».
C'est d'ailleurs par un appel à un effort général de rénovation que
l'auteur conclut. 11 insiste notamment sur la nécessité de soumettre la
réparation des dommages accidentels à un droit spécial dont il esquisse les grandes
lignes et qui assurerait la prise en charge de tous ces dommages par des
mécanismes de réparation collective. Quant à la responsabilité proprement
dite, sa réglementation devrait être simplifiée et repensée en fonction des
possibilités actuelles de répartition des risques.
Pour tous ceux qui s'intéressent, sous un angle théorique ou pratique, aux
problèmes de la responsabilité civile, cette Introduction est une des
lectures les plus stimulantes et les plus fructueuses qu'il soit possible de faire.
Le problèmes essentiels que soulève actuellement cette matière devenue si
complexe y sont posés et traités avec une clarté, une rigueur et un souci
constant d'adapter le droit aux nécessités de l'époque contemporaine auxquels
l'éclairage du droit comparé, savamment exploré et utilisé, confère une force
particulière. Souhaitons que ce très bel ouvrage dans lequel M. André Tune
reprend avec l'ardeur et le talent qu'on lui connaît la plupart des idées
essentielles qu'il ne cesse de défendre depuis plusieurs années soit lu et
médité par tous ceux qui sont en mesure de contribuer à l'évolution du droit
de la responsabilité civile.
Geneviève Vtney