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DE
UÉDUGÀTION FRANÇAISE
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L’auteur et l’éditeur déclarent se réserver leurs droits de traduction
et de reproduction à l’étranger.
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Cet ouvrage a été déposé au ministère de [intérieur (section de la
librairie) en décembre 1871. '
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UÉDUGATION FRANÇAISE
PAR
M. LAURENTIE
PARIS
HENRI PLON, IMPRlMEUR-ÉDITEUR
1o, RUE GARANCIËRI‘
1871
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Les mots éducation, instruction, enseignement, ont
chacun un sens propre et distinct; néanmoins tous
trois se rapportent à une même idée, que le latin
énonce par un seul mot, le mot institution, lequel
fait entendre une sorte de formation, de création de
l’homme élevé, instruit, enseigné.
C’est pourquoi, si ces mots semblent parfois en cet
écrit être pris l’un pour l’autre, je prie le lecteur de
ne se point arrêter à des nuances qui paraîtraient
manquer de logique.
Quand je parle de l’éducation française, j’embrasse
en ma pensée tout ce qui se rapporte à cette insti
tution morale de l’homme , saint devoir de la société
domestique, devoir non moins sacré de la société
civile ou politique , double ministère hors duquel les
meilleures lois ne peuvent rien pour l’ordre et le
bonheur public.
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LES CRIMES
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UÉDUGATION FRANÇAISE
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DE UÉDUCATIQN FRANÇAISE. 5
Cela est connu. Nous avons la collection des décrets
portés par les Assemblées et par les pouvoirs de la
Révolution, à dater du rapport de M. de Talleyrand en
1’789; la théorie d’éducation de Rousseau y est
vivante ; tous ont pour objet d’abolir jusqu’à la trace
et au souvenir des institutions catholiques que douze
siècles avaient enracinées dans le sol français pour la
direction et l’enseignement des générations natio
nales.
ll n’y a point à argumenter sur ce travail concerté
de démolition; l’œuvre accomplie s’étale au grand
soleil; tout ce qu’avaient construit les siècles a été
extirpé, tout est évanoui : Etiam periere ruinæ.
Et pourtant sur cette table rase improvisée en
quelques moments on avait tout aussitôt senti le he
soin de tenter quelque reconstruction. Même les for
cenés démolisseurs nïmaginaient pas que les géné
rations pussent être sans une conduite quelconque;
ils les enlevaient à la seule puissance qui ait empire
sur la pensée et sur l’âme humaine, qui est la Reli
gion ; ils crurent avoir la force de les saisir, de les
maîtriser et de les assouplir, rien qu’au moyen d’une
déclaration en vertu de laquelle IÎÉTAT, cet être idéal,
serait maître de l’instru‘ction publique, partant
maître de l’homme, partant maître de son intelli
gence, c’est-à-dire de ce qui le fait homme.
Ce fut là toute la raison des législations criminelles
de l’éducation.
Or, il me faut remarquer que ce n’est pas de prime
abord que la Révolution française énonga le dessein
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s LES cmMEs
de s’emparer des générations au moyen d’une for
mule unique d’éducation nationale.
Les premiers législateurs restaient sous l’impres
sion subsistante de la liberté universelle promise à la
terre par les philosophes.
« Si chacun, disait Talleyrand a l’Assemblée con
stituante, a le droit de recevoir les bienfaits de l’in
struction, chacun a réciproquement le droit de con
courir à la répandre, car c’est du concours et de la
rivalité des efforts individuels que naîtra toujours le
plus grand .bien. La confiance doit seule déterminer
le choix pour les fonctions instructives. Tous les ta
lents sont appelés à disputer le prix de l’estime pu
blique. Tout privilège est, par sa nature, odieux:
un privilège en matière d’instruction serait plus
absurde et plus odieux encore l. »
Le projet de loi, conséquent à ces déclarations,
pronongait en ces termes la liberté Œenseignement:
« Il sera libre à tout particulier, en se soumettant
aux lois générales sur l’enseignement public, de for
mer des établissements d’instruction. Ils seront tenus
d’en instruire les municipalités et de publier leurs
règlements. » v
Seulement la loi ne fut pas votée; l’Assemblée
constituante n’eut que le temps d’approuver le rapport
et de transmettre à d’autres le dessein dont il était le
préambule.
Mais l’Assemblée législative courait à son tour à
III.
IV.
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DE L’ÉDUCATION FRANÇAISE. 13
1 Voir les actes de destruction des écoles et des universités dans les
Mémoire: de Fabry sur l’instruction publique, tome II.
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16 LES CRIMES
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« La liberté conquise par la puissante énergie du
peuple, disait Chénier, ne s’aflermit que par des lois
sages , ne s’éternise que par les mœurs. Tous les pré-_
jugés tendent à la détruire, et les plus redoutables
sont ceux qui, fondés sur des idées mystiques, s’em
parent de I’imagination sans donner aucune prise à
l’intelligence humaine. Ainsi, sur les deux conti
nents, les nations se sont égorgées pour des religions
rivales, mais également ennemies des nations, et le
sang des hommes a coulé pour des opinions que les
hommes ne comprenaient pas. C’est avec une raison
active et pratique, c’est avec des institutions tuté
laires de la liberté, qu’il faut attaquer des institutions
tyranniques et antisociales. La philosophie ne com
mande pas de croire; les dogmes, les mystères, les
miracles lui sont étrangers; elle suit la nature, et n’a
pas la folle prétention de changer ses lois immuables,
d’interrompre son cours éternel. Aussitôt que l’im
posture domine, elle étend son joug de fer sur les
consciences; mais la vérité ne doit pas avoir ses
inquisiteurs comme l’imposture. Quand le fanatisme
persécuté, il avance sa perte; quand il est persécuté
par un fanatisme contraire, il se prépare à des triom
phes, et dans les matières religieuses, dans les ma
tières politiques même, l’édifice de l’erreurn’a jamais
été cimenté que par le sang des martyrs.
_ « C’est d’après ces réflexions préliminaires, qui
peut-être auraient du guider constamment les légis
lateurs, et dont l’examen sérieux importe plus que
jamais dans les circonstances actuelles, que votre
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‘Z6 LES CRIMES
VI.
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négations, de renonciations, et le plan le plus na
tional est celui où la nation se renie le plus elle
même l. »
Telle était donc la vue principale de tous les inven
teurs de lois sur l’éducation; ils voulaient l’éducation
nationale; ces mots n’énonçaient rien de défini; mais
le vague était une sorte de fascination; l’imagination
voyait apparaître un monde nouveau; la nouveauté
de la langue servait aux illusions de l’enthousiasme ,
et parce que tout semblait devenir national, on crut
que la nation entrait pour la première fois dans
la vie.
C’est ainsi que notamment dans les choses de l’édu
cation, les législateurs se sentirent dispensés de formu
ler des doctrines; ils avaient détruit et saccagé les uni
versités; ils avaient chassé et égorgé les savants, les
lettrés,les religieux, qui éclairaient et gouvernaient
les générations; ils se crurent après cela assez maî
tres de l’éducation publique. La puérilité métaphy
sique de l’enseignement dans les écoles, la puérilité
fastueuse des fêtes dans la place publique, fut le
grand artifice de leur domination; et c’est pourquoi
la formule farouche de Danton et de Robespierre
glissa sur l’imagination des législateurs, et aussi
pourquoi ils ne songèrent ni àapprofondir ni à définir
les réserves de liberté énoncées dans les projets de
Lakanal et de Daunou : étourdir les foules fut tout
l’art de les asservir.
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XI.
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ne L’ÉDUCATION FRANÇAISE. 55
Ceci donc nous avertit de n’être pas sans pitié dans
la dénonciation des erreurs, disons mieux, des crimes
de l’esprit; et c’est ce qui fait le trouble de mon des
sein; car je ne pourrais, ce semble, le poursuivre
sans accuser les maîtres qui, au nom de l’État,. ont
enseigné aux générations françaises le mépris du
christianisme et de ses lois. '
Mais mon scrupule va s’atténuer, puisque l’accu
sation a été déjà portée par d’autres. . "
J’ai là, en quelques livres contemporains, le relevé
de toutes les professions doctrinales de scepticisme
public jetées sur la France depuis 1814 par les
représentants de- l’enseignement de l’État, revue
attristante et que je ne saurais refaire sans une
amère douleur. Ces dénonciations à des intervalles
divers ont fait du bruit, tout me dispense de les 1
renouveler. .
On a dit qu’elles étaient passionnées; elles l’étaient
peut-être; et qu’importe‘? ce que j’écris ici ne va-t-il
pas aussi être taxé de passion‘? Étaient-elles justes‘?
c’est ce qu’il fallait examiner d’a'bord.'
Si la plainte portée contre les doctrines les avait
altérées pour le plaisir de les diffamer, elle ne serait
pas passionnée, elle serait criminelle et lâche.
Mais comment arnive-t-il que ceux qui s’attaquent
à la foi des peuples par l’enseignement et par les
livres ne souffrent pas qu’on relève et qu’on recueille
leurs professions doctrinales‘? Les relater seulement
est une mortelle offense; ils ne sont pas chrétiens, et
le dire les fait entrer en d’étranges accès d’insulte et t
56 LES CRIMES
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ou L’ÉDUCATION FRANÇAISE. 51
comme le trouvait philosophique M. Guizot en 1816.
Les élèves choisis pour cette épreuve hasardeuse,
élèves qu’on devait croire armés contre tout péril par
l’esprit chrétien de la maison, revenaient parfois du
contact de l’enseignement devenu royal, mais tou
jours sceptique, avec un certain trouble d’intelligence
et de foi qui attristait les maîtres que leur avait donnés
la famille. Un de ces élèves, que je contenais de
mon mieux par le conseil, finit par m’échapper tout
à fait, et un an plus tard, l’ayant rencontré dans Paris,
je lui dis : « Eh bien , mon ami! où en êtes-vous de
la philosophie‘? -,- Je suis athée! a me répondit-il. Et
comme je me récriais douloureusement, il m’expli
qua comment il en était venu à cette extrême folie :
« Tourmenté de doute, me dit-il, je suis allé interro
ger Cousin à la sortie de son cours, et je lui ai posé
nettement ma question : « Qu’est-ce que DieuŸjaut-il
croire un Dieu? j’ai besoin d’une réponse catégo
rique. _ Monsieur, 1n’a-t-il répondu après une mi
nute d’inspiration, « Dieu est l’être qui n’est pas! »
Vous voyez, ajoutait le pauvre insensé, c’est l’a
théisme! Et sur la parole de Cousin, mon parti est
pris : je suis athée! i» '
Le malheureux est mort dans ce délire.
Je cite ce souvenir pour montrer ce que peut être
le prosélytisme d’une chaire où parle l’État '.
1 C’est vers ce même temps que tout Paris frissonne au récit du suicide
d’un jeune élève de rhétorique, qui avait écrit son testament ainsi conçu :
n Je lègue mon corps aux pédants et mon âme s. Voltaire et à Rous
seau. 1 (Voir les Mémoires de Ilabry, 3e vol.)
58 LES CRIMES
1 Fragments de philosophie.
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DE L’ÉDUCATION FRANÇAISE. 59
x
XIII.
Je m’arrête.
Le crime principal de l’éducation française s’énonce
à présent de lui-même.
Le crime , ce n’est pas seulement d’avoir fait de
l’éducation un prosélytisme antichrétien, c’est d’avoir
fait de ce prosélytisme une partie de l’action publique
de l’État. -
/ C’est un grand malheur pour un peuple d’avoir en
l son sein des maîtres corrupteurs des générations;
mais si ces maîtres exercent leur action au nom de
l’autorité publique, quel nom donner à cette œuvre
de perversion‘? Crime ou délire, la langue ne sait pas
caractériser ce renversement de toutes les lois, de
tous les devoirs et de tous les droits.
On va dire qu’ici commence la diffamation de l’édu
cation française!
La plainte serait fondée si j’entendais que l’éduca
tion française a voulu le mal qui sort de ses théories
et de ses chaires. Je fais la part de l’inconséquence
de l’esprit humain, et elle est grande dans tout ce qui
se rapporte à l’énoncé et à la pratique des systèmes
d’éducation.
(c.-- . -
DE L’ÉDUCATION FRANÇAISE. 61
Mais pourtant il ne faut pas que l’indulgence ŒIIIQ
nue la logique, et parce que l’esprit de l’homme ne
va pas toujours au bout de l’erreur, il ne faut pas que
l’erreur cesse d’être abominable et d’être condamnée
comme source des malheurs ou comme raison des
crimes qui désolent la terre. . s)
Après tout, ce sont ici des questions de sincérité
entre l’accusation et la défense de l’éducation fran
çaise.
Celte ‘éducation, l’éducation de l’État, est-elle et
veut-elle être une éducation chrétienne‘? Ajoutons,
puisque nous sommes une nation catholique : Veut-elle
être, est-elle une ,éducation catholique‘?
Je défie la réponse des apologistes, s’ils veulent
que je les tienne pour gens d’honneur et de
loyauté. _
f’ Non! l’éducation française n’est pas catholique,
n’est pas chrétienne; elle devait l’être, aux termes du
décret de 1808; elle ne l’a point été, et peu s’en faut
queje ne dise qu’elle n’a pas pu l’être, dès que l’État)
qui la donnait ne l’était pas. ' '
X‘IV. '
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DE L’ÉDUCATION FRANÇAISE. 63
l’âme, sur la conscience et sur l’intelligence de
l’homme. u .
Laissons ce qui semblerait métaphysique en cette
question, et reprenons ce qui tombe sous la clarté de
l’évidence
, et de la lo i q ue. ..
L’Etat non chrétien n’a pas pu vouloir une éduca-q
tion chrétienne sans se mentir à lui-même; mais
comme il ne P ouvait P as la vouloir athée sans mentir
au I’ eu P le v chrétien encore 1 en dé it"du sce P ticisme
de ses mœurs et de ses lois 7 il a cherché des ex P é
dients par où ce double mensonge parût se dissimuler)!
De là des dispositions de lois et de règlements où
l’on a fait sa part à l’Eglise dans les chose-s de l’édu
cation, mais sous la condition de la suprématie de
l’Etat 1 même en ce q ui se ra PP orte à la direction de
l’esprit, c’est-à-dire de la conscience et dela foi.
Ainsi le I! rêtre 1 dans l’école de l’Etat a a eu une
chaire devant laquelle les disciples sont venus à jour
fixe entendre sa P arole-1 et à ce titre il est devenu
professeur comme tous les maîtres, si ce n’est que sa
classe était une chapelle, et que son enseignement
tombait de l’autel.
C’est quelque chose, et je rends grâces à l’État.
Mais si la fonction du prêtre n’est rien de plus,
elle peut être en sens inverse de la mission qu’il
accomplit. '
Il va lui arriver, en effet, de porter dans sa chaire‘.
un enseignement qui sera contradictçire à l’enseigne
ment des maîtres, en ce qui touche les choses essen
tielles de l’esprit , la morale, la foi, la conduite de la
S
6h LES CRIMES
XV.
XI/I
Que conclure?
C’est, apparemment, que si l’éducation française a
engendré les maux que j’ai dénoncés, l’éducation
française doit être corrigée, et elle ne le peut être que
par l’abolition du système public d’où elle découle.
Je veux dire que l’éducation organisée en monopole
doit avoir sa fin. L’Université de 1808, toujours
vivante quoique transformée, est un déni public de la
liberté catholique, de la liberté politique, de la liberté
morale des Français.
Je ne dis pas que l’État, comme État, sera dé
sarmé de tout droit en matière d’éducation ; il y a un
droit dont l’État ne peut se dessaisir sans forfaiture,
c’est le droit protecteur de l’ordre public et des lois
qui le constituent. Ce n’est pas des plumes ‘chrétien
nes que sortira une parole pouvant atténuer l’action
naturelle de l’État dans la bonne conduite de la société
politique.
Le droit de l’État est une fonction sociale; c’est
plus qu’un droit, c’est un ministère et un devoir.
Mais si dans les choses d’éducation ce droit est
transformé en monopole, par la délégation qui en est
faite à un corps privilégié, il devient aisément une
tyrannie‘
76 CONCLUSION. .
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CONCLUSION. 79
CONCLUSION. 81
chrétien, et pour cela nous lui donnons les semblants
de l’affranchissement avec les réalités de la servitude.
Et c’est pour cela que l’un dénie aux catholiques la
faculté de faire des écoles ou des universités ayant
leur droit‘ propre , et surtout le droit de faire produire
à leur enseignement les effets civils réservés à l’ensei
gnement sceptique ou athée. C’est pour cela finale
ment que le présent écrit va sembler bien téméraire;
il appelle la liberté : le monde présent ne veut pas la
liberté, il veut le monopole, il s’y complaît; le mo
nopole est pour lui toute la révolution; on le croirait
parfois épris de transformations et de nouveautés géné
reuses; vaine illusion! Après quatre-vingts ans d’es
sais il cherche encore César; et César, s’il se retrouve,
pourra lui jeter le mot de Tibère : Homines acl ser
vitutetn paratos! Les hommes sont toujours prêts à
la servitude, lorsqu’ils ne demandent upas au Ciel la
liberté.
FIN.
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