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Blanc Odile. Histoire du costume : l'objet introuvable. In: Médiévales, n°29, 1995. L'étoffe et le vêtement. pp. 65-82;
doi : https://doi.org/10.3406/medi.1995.1337
https://www.persee.fr/doc/medi_0751-2708_1995_num_14_29_1337
Abstract
History of Costume : The Undiscovered Object - This article proposes a critical examination of the
methods used and the objects treated by the history of costume, with a view to exploring new
perspectives. Since Viollet-le-Duc's manual, the main sources for this discipline have been inventories
of wardrobes and contemporary works of art, and in a lesser measure chronicles, while literary texts
have always been suspected of betraying reality. Contemporary images, however, are not photographs
of reality, nor are chronicles documentary accounts, and as for the rich terminology of the inventories, it
is not presented in the form of a dictionary. The history of costume, by limiting itself to reconstitution,
also deprives itself of a means of understanding the imaginative spirit at work in these documents. The
disregard of literary texts is, here, significant. By passing over the discursive mode of the different
writings on attire (by refusing them their status as texts), one ignores how contemporary people
perceived and expressed their relation to appearance, and consequently, the concerns that were there
involved.
Médiévales 29, automne 1995, pp. 65-82
Odile BLANC
intérêt au seul tissu, rappelle simplement les « faits connus » tels que
les a rassemblés Louis de Farcy dans une étude publiée au début de
ce siècle3 et reproduite ici ou là, sans aucun regard critique ni
élément nouveau4.
Ces exemples, malheureusement non exhaustifs, témoignent en
premier lieu de la résistance tenace au travail pluridisciplinaire.
Attitude sidérante si l'on songe qu'un travail sur la soie, par exemple,
nécessite des connaissances historiques, techniques et linguistiques très
vastes, compte tenu de la multiplicité des sources et des civilisations
concernées par un tel sujet. De même, il semble aller de soi que l'étude
de l'étoffe d'un vêtement soit présentée comme complémentaire d'un
travail sur le vêtement lui-même ou/et sur ce type de vêtements en
général. En second lieu, ils attestent du succès jamais démenti d'une
histoire du costume qu'il faut bien qualifier d'archaïque, eu égard aux
travaux qui ont tenté d'en reformuler les approches5.
Force nous est de constater, aujourd'hui, combien cette discipline
identifie connaissance et perception, au point de se méfier de tout
discours sur l'objet, immédiatement suspect de déguiser la « réalité ».
Françoise Piponnier, lors d'un colloque international sur « la culture
matérielle »6, définit ainsi étroitement, par élimination, le champ de
l'histoire du costume. Ce sont tout d'abord « la littérature épique ou
la fiction romanesque » dont on craint qu'elles « ne décrivent, à
partir de détails vrais, mais hors de leur contexte et de leurs proportions
réels, une situation purement imaginaire où se donnent libre cours
rêveries et phantasmes collectifs [...] Tout aussi suspects de partialité
sont les textes satiriques ou moralisateurs [...] On n'utilisera pas non
plus ici systématiquement les documents narratifs [qui] partagent les
défauts des textes littéraires » tout en demeurant « utiles car les
descriptions des manifestations publiques [...] y sont précises et
détaillées ». Il convient enfin de se méfier des représentations figurées,
toujours plus ou moins « stéréotypées ». En définitive, c'est tout le
domaine de la représentation, qui recèle la manière dont les contem-
L'illusion descriptive
L'illusion nominale
Pour autant, l'inventaire présente un intérêt sémantique
indéniable, qu'il partage avec bien d'autres documents écrits. Mais les mots
HISTOIRE DU COSTUME 69
13. A. Harmand, Jeanne d'Arc, ses costumes, son armure, Paris, 1929.
14. Il faut cependant signaler que le pourpoint de Lyon est actuellement daté de
la fin du xiv siècle, et sans doute est-il plus proche des années 1380 que de l'année
de la mort de Charles de Blois (1364), alors que le pourpoint décrit par A. Harmand
est situé autour de 1430. Cela fait un décalage, problématique, proche du demi-siècle.
15. Ce dernier terme désigne, comme le décrit Du Cange, un vêtement long et
ample dans sa partie inférieure. Comme on le suggérera ci-après, la longueur n'est peut-
être pas la caractéristique essentielle du pourpoint, contrairement à l'opinion répandue
en la matière.
16. F. Piponnier, Costume et vie sociale. La cour d'Anjou xiv-xv siècles, Paris-
La Haye, 1970.
17. F. Boucher, Histoire du costume en Occident de l'Antiquité à nos jours,
Paris, 1965. Cette assertion, donnée sans référence contemporaine, appartient
manifestement à l'auteur.
18. Constatation faite par F. Boucher dans l'introduction à son Histoire du
costume, mais privée de questionnement méthodologique.
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19. Décrire les modifications des pièces vestimentaires dans les mêmes termes que
l'évolution des espèces s'impose, de toute évidence, dans les ouvrages de vulgarisation.
Ainsi constate-t-on des changements, plutôt que d'en prendre la mesure et d'en
comprendre les conditions.
20. Auquel Viollet-le-Duc consacre également un long article dans le vol. 5 de son
Dictionnaire, réservé au costume militaire et aux armes, pp. 437 sq.
21. La houppelande est un vêtement long et plutôt ample, très en vogue chez les
hommes (mais aussi les femmes), autour de 1400. Certaines d'entre elles possèdent en
effet, au-dessus de la partie inférieure du corps évasée, un buste rembourré identique
à celui des pourpoints.
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22. Ainsi la fortune du mot pourpoint, établie depuis le xixe siècle et familière
aux amateurs du style troubadour, n'est pas du tout attestée à l'époque de Du Cange.
De même le mot hénin, inconnu des lexiques médiévaux, est aujourd'hui passé dans
l'usage courant pour désigner des coiffures féminines de forme conique.
23. F. Piponnier, « Le costume nobiliaire... », loc. cit.
24. Par exemple, l'ouvrage de Liselotte Eisenbart, Kleiderordnungen der deuts-
chen Stàdte zwischen 1350 und 1700. Ein Beitrag zur Kulturgeschichte des deutschen
Bùrgertums, Gôttingen, 1962. N. Bulst, « Zum Problem stàdtlischer und territorialer
Kleider-, Aufwands — und Luxusgesetzgebung in Deutschland (13.-18. Jahrhundert) »,
dans Renaissance du pouvoir législatif et genèse de l'État moderne, A. Gouron et
A. Rigaudière éd., Montpellier, 1988, pp. 29-57 (Publications de la Société d'histoire
du droit et des institutions des anciens pays de droit écrit, III). D. Owen Hughes,
« Sumptuary Law and Social Relations in Renaissance Italy », dans Disputes and
Settlements : Law and Human Relations in the West, J. Bossy éd., Cambridge, 1986, pp.
3-59.
25. L'ouvrage de L. Trichet, Le costume du clergé, Paris, 1986, est à ce titre
bien décevant.
HISTOIRE DU COSTUME 73
L'illusion narrative
26. 2 vol., Paris-Genève, réédition en 1981, avec une préface de Jacques Le Goff,
de l'édition originale de 1926.
27. Sur ce genre de texte cf. la mise au point collective La littérature didactique,
allégorique et satirique, Heidelberg, 1968 (Grundriss der Romanischen Literaturen des
Mittelalters vol. 6).
28. Ce sont, parmi les plus connus, les Rerum Italicarum Scriptores collectés par
Muratori, les Monumenta Germaniae Historica, les Scriptores Rerum Bohemicarum,
les Fontes rerum Austriacarum, la Société de l'Histoire de France, la Early English
Texte Society, etc.
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29. Il s'agit des chroniques nationales ou urbaines publiées pour la plupart dans
les grandes collections ci-dessus mentionnées, qui ont_ servi de base à ma thèse
(inédite) sur les usages vestimentaires à la fin du Moyen Âge. Je ne prétends évidemment
pas maîtriser l'historiographie des xiv et xv» siècles dans sa totalité.
30. Dans un article qui, sans susciter de nouveaux points de vue, n'a finalement
pas eu la fortune critique qu'il méritait : « Les conditions de l'apparition du costume
court en France vers le milieu du xiv siècle », dans Recueils de travaux offerts à Clo-
vis Brunei. Mémoires et Documents publiés par la Société de l'École des Chartes, n° XII,
1951, pp. 183-192.
31. Giovanni Villani, Cronica, Florence, 1823, t. 7, pp. 5ss.
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32. Vita di Cola di Rienzo, L. Muratori éd., dans Antiquitates Italicœ, t. III,
col. 307-309. On consultera aussi la nouvelle édition par G. Porta, Anonimo Romano,
Cronica, Milan, 1981, ch. 9.
33. Chronique latine de Guillaume de Nangis, avec les continuations de 1300 à
1368, H. Géraud éd., 2 vol., Paris, 1843.
34. Les Grandes Chroniques de France, J. Viard éd., 10 vol., Paris, 1920-1953.
35. Gilles Le Muisi, Annales, H. Lemaitre éd., Paris, 1906.
36. John of Reading, Chronicon, J. Tait éd., Manchester, 1914, p. 167.
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L'illusion figurative
37. Mais il pense à un vêtement porté en 136S, et non aux vêtements décrits par
les Italiens pour les années 1340.
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41. Qu'il ne faut pas confondre avec la robe courte alors très en vogue parmi
la jeunesse.
42. F. Piponnier, loc. cit.
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ble, est ramenée à un ordre culturel familier. Dès lors, la variété des
usages vestimentaires est une véritable métaphore du corps social qui
occupe alors la réflexion politique. Il s'agit bien de prendre la mesure
des différences, et les corps vêtus que l'on observe dans les
manuscrits du XVe siècle sont en définitive en nombre limité, car ils
visualisent des ports vestimentaires « fonctionnels » (les habits courts du
courtisan, la robe longue et ample du sage, etc.). L'occurrence des
mêmes vêtements, dans ces images, atteste du succès d'une
convention picturale comme de l'image du monde partagée par les
commanditaires princiers de ces livres43.
L'illusion matérielle
History
— Methodology
of costume
——Late
Phenomenon
Middle Ages
of dress — Historiography