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Vocabulaire critique.
Analepse. Terme de narratologie qui désigne dans la mise en intrigue romanesque un retour sur
des événements passés. C'est donc une anachronie. L'analepse manifeste un décalage entre l'ordre
des événements dans la narration et l'ordre des événements dans le quasi-monde créé par le roman
auxquels les premiers renvoient:
Sa femme, plus âgée que lui, était une créole toujours belle et lente comme un après-midi de fin
juin.
Au début, on l'avait prise ici pour une sauvage, mais, pas du tout. Elle sortait, paraît-il, d'un couvent
espagnol très célèbre qui donnait l'éducation supérieure à toutes les filles de bonnes familles du
Mexique [...] (Giono, Un roi sans divertissement)
La prolepse, qui manifeste le même décalage, est à l'inverse l'annonce d'événements, c'est une
anticipation :
Cette fois, Frédéric Il prend le pas de course. C'est ainsi qu'il tombe tout à coup sur un village :
dans lequel l'homme est en train d'entrer. Frédéric Il dira exactement ce qu'il a pensé et ce qu'il
a fait. Mais ils suivent paisiblement la rue [... ]
(Giono, Un roi sans divertissement)
Il voyagea.
Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l'étourdissement des
paysages et des ruines, l'amertume des sympathies interrompues.
Il revint.
L'ellipse peut être explicite, si l'auteur la marque par une formule comme les années passèrent ou
implicite.
> Ellipse, intrigue, narration, temps
- Genette G., 1973.
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Apollinien. Concept forgé par Nietzsche, dans La Naissance de la tragédie (1872), en même
temps que son corrélatif dionysiaque pour définir, dans un rapport dialectique, les deux forces à
l'oeuvre dans l'art grec, et, plus généralement, au sein de tout travail créateur. L'apollinien est l'art
de la mesure, la mise en forme des matériaux désordonnés, par opposition au dionysiaque qui exalte
la démesure. Face à l'idéal de beauté majestueuse, incarné par Apollon, dieu de la musique, l'idéal
de la beauté convulsive est incarné par Dionysos, dieu du vin, en l'honneur de qui sont célébrées,
dans la Grèce antique, les fêtes orgiaques.
Il ne faudrait pas confondre ce terme avec l'adjectif apollonien, qui qualifie un certain type de
beauté masculine et caractérise l'idéal grec, mélange de virilité et de grâce, tel qu'on peut le voir
réalisé sur les statues antiques d'Apollon.
Apologie. Discours ou texte qui relève du genre apologétique et qui consiste à justifier un individu
ou une conception et à en faire l'éloge. Les Pensées de Pascal constituent l'ébauche d'une Apologie
de la religion chrétienne. On appelle apologistes, de manière absolue, ceux qui défendent les
dogmes du christianisme et font ainsi de l'apologétique.
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La favorite aimait les beaux esprits, sans se piquer d'être bel esprit elle-même.
(Diderot, Les Bijoux indiscrets)
et certaines modalités~. 1~2emploi de verbes modaux, de tiroirs verbaux comme le futur, la forme
en -rait ou l'imparfait permet d'adoucir une affirmation :
Aube. Poème médiéval appelé aussi chanson de séparation qui évoque le réveil de deux amants
surpris par le jour, au terme d'une trop courte nuit de ~bonheun
Ainsi s'achève par exemple ~l'« aube » du troubadour ~Rimbaut de ~Vacqueyras :
Dame, adieu, je ne peux plus demeurer. Malgré moi je dois vous quitter. Mais l'aube me pèse
beaucoup quand je la vois se lever si tôt. Elle veut nous tromper, l'aube, oui l'aube. ~> Courtoise
~(litt.)
Autobiographie. Genre littéraire surtout fréquent dans la littérature occidentale qui se développe
avec l'expansion de l'intros~pection liée au ~christia~nisme dans la pratique de l'examen de
conscience. Au sens strict, il s'agit d'un récit, le plus souvent en prose, par lequel un narrateur qui
a réellement existé raconte sa propre vie. Le récit est rétrospectif, alors que dans le journal intime,
il se fait au jour le jour. L'autobiographie fait partie de la littérature narrative, mais se distingue,
du moins théoriquement, des romans dont le narrateur est en même temps un personnage (narrateur
~intradiégétique), en ce ~qu'elle ne présente pas une fiction, mais est censée être fidèle aux
événements réellement survenus dans la vie du narrateur. Il est bien évident ~qu'en pratique, soit
parce que le souvenir s'estompe et que les événements sont recomposés, soit par souci d'embellir,
ou de noircir la réalité, l'image de la vie donnée dans l'autobiographie et la vie elle-même peuvent
être très différentes. L'autobiographie se distingue des mémoires (Mémoires du cardinal de Retz,
Mémoires du général de Gaulle) - on prendra garde au titre de Mémoires souvent donné à ce qui est
plutôt une autobiographie - en ce que dans celles-ci l'attention ne se centre pas sur le moi, mais sur
une époque, comme dans les chroniques. Enfin, l'autobiographie implique un dessein global, une
mise en intrigue pour reprendre un terme utilisé par Ricoeur à -propos du roman, qui la distingue
d'un simple
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livre de souvenirs. ~Uautobiographie présente le bilan d'une vie quasiment achevée (Mémoires
~d'Outre-Tombe de Chateaubriand), d'une enfance ou d'une jeunesse (Renan, Souvenirs d'enfance et
de jeunesse), d'un moment ou d'un aspect de la vie particulièrement importants (Edgar Quinet,
Histoire de mes idées). Elle est un instrument privilégié de la connaissance de soi. On comprend
alors que le ter~me de « confessions » soit parfois employé (Confessions de Saint-Augustin, de
Jean-Jacques Rousseau) lorsque cette réflexion sur soi s'accompagne plus particulièrement d'un but
moral.
Le genre autobiographique est lui, plus large, et comprend également par exemple les récits de
souvenirs, le journal intime, les romans inspirés par la vie de l'auteur et que l'on qualifie de romans
autobiographiques ou romans autobiographies comme ~L'Homme foudroyé de Cendrars, A la
Recherche du temps perdu de Proust, Mort à crédit ou Voyage au bout de la nuit de Céline.
Auto-sacramental. Pièce en un acte oui est un drame sacré, joué en Espagne pour la Fête-Dieu, à
la gloire de ~l'Eucharistie. Le genre, créé par ~Gil Vicente à la fin du ~xve siècle, est
l'aboutissement baroque de la tradition des Mystères. Il est illustré par Calder~ôn, Lope de Vega,
etc. Ce sont les mêmes auteurs qui, au Siècle d'Or, écrivent ~comedias et ~autos-sacramentales.
Très populaire, le genre sera vivace en Espagne ~jusqu'au ~xix, siècle.
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Avant-texte. Terme introduit en 1972 par Jean ~Bellemin-Noël dans Le Texte et l'Avant-Texte
(Paris, Larousse) pour désigner l'ensemble des matériaux qui préexistent à l'oeuvre achevée,
brouillons, manuscrits, etc. La critique génétique s'est spécialisée dans l'étude de « l'avant-texte »,
essayant de reconstituer par l'examen des brouillons et des manuscrits le processus créateur, et de
découvrir les secrets du style de l'auteur.
- Littérature, ~déc. 1977, ~n' spécial : « Genèse du texte ».
Avertissement. Texte préambule dans lequel l'auteur, romancier ou auteur dramatique, « avertit »
le lecteur de ses intentions. C'est un ~paratexte. Ex : ~Comeille, dans l'édition de ses oeuvres de
1660, écrit souvent un « avertissement » ~qu'il insère avant le texte de chacune de ses pièces.
~I> ~Intertextualité
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Ballade. -Forme fixe médiévale issue d'une chanson à danser. Elle est composée de trois strophes,
où le nombre de vers peut varier, de même que le type de mètre utilisé, et qui sont suivies -d'un
refrain d'un ou deux vers. Un envoi, qui correspond souvent à une demi-strophe, termine le poème :
il est adressé le plus souvent au prince ou à la dame. La ballade appariait dès la fin du ~Xjjle siècle,
chez Jean de ~Lescurel. Machaut et Deschamps lui confèrent ses lettres de noblesse. Viennent
ensuite Christine de Pisan et Charles d'Orléans. Lorsque Villon, au ~xve siècle, mêle des ballades
(Ballade des pendus, Ballade des Dames du temps jadis) aux strophes en octosyllabes du Testament,
c'est un genre déjà désuet. Villon signe parfois l'envoi d'un acrostiche (ex : Ballade pour prier
Notre Dame).
La Pléiade n'utilise plus la ballade, parfois reprise au xv~iie siècle, par exemple par La Fontaine, et
au ~xixe siècle par certains parnassiens comme Banville (Trente-six ballades joyeuses).
Le chant royal constitue une variante de la ballade: il comprend cinq strophes de onze vers suivies
d'un envoi (ex : le Chant royal de la Conception de Marot).
- Ballade romantique : genre qui n'a plus rien à voir avec la ballade médiévale. Elle est issue des
imitations de chansons populaires fréquentes dans la poésie allemande (Le Roi des Aulnes de
Goethe) et se caractérise par ses thèmes (elle offre un récit touchant) et son style ~na:if. Hugo dans
les Odes et Ballades l'a utilisée pour des sujets légendaires ou historiques (La Fiancée du timbalier,
Le Sylphe, La Chasse du burgrave, etc.).
Baroque. Phénomène artistique européen des ~xvil et ~XVI,E siècles, difficile àdéfinir, sinon par
opposition au classicisme et où se manifeste un goût marqué pour le bizarre.
A l'origine, le baroque est une catégorie esthétique qui ne s'applique pas à la littérature, mais à la
musique, à la peinture et à l'architecture. Le terme, emprunté au portugais où il désigne une perle
irrégulière, qualifie ce qui est irrégulier, c'est-à-dire non conforme aux règles. Il est longtemps
perçu dans une acception négative par rapport au classicisme. Son utilisation pour qualifier
certaines oeuvres littéraires du ~xvie et du xv~iie siècle, récente, est le fait de critiques littéraires du
~xxe siècle, dans les années 30, d~'Eugenio ~d'Ors (Du baroque, 1935) et d'Henri Focillon (La Vie
des formes, 1934) puis, dans les années 50~-60, de Marcel Raymond et de Jean ~Rousset.
Historiquement, le baroque littéraire français s'étend des années 1570 jusque vers 1660 avec, en ce qui
concerne la première génération, des poètes comme d'Aubigné (Les Stances, 1572), Saint-Amant, puis
des auteurs dramatiques comme Rotrou, Alexandre Hardy, le jeune ~Comeille des premières
comédies, des romanciers comme Scarron.
Le baroque appar~at dans une société en pleine mutation. Il est le produit d'une crise de conscience,
d'un moment de contestation de l'ordre établi, sur le plan religieux (il ~na7it en même temps que la
Contre-Réforme), comme sur le plan politique (il se développe surtout sous la Fronde). Il est un
questionnement de l'homme face à un univers difficile à saisir, car instable et protéiforme. Il n'est pas
d'absolu pour les baroques. Tout n'est ~qu'apparence. L'amour n'existe que dans le changement et
dans l'inconstance, que celle-ci soit affectée d'un signe négatif, « colorée d'une ombre noire », selon
l'expression de ~Rousset, comme la poésie de Sponde, ou ~qu'elle soit perçue positivement. Cette
inconstance « blanche » est à l'origine du mythe de Don Juan, chez Tirso de Molina, puis chez
Molière. La mort elle-même n'est ~qu'une transition dans la transformation de la matière, aussi
n~'hésite-t-on pas à la théâtraliser de façon ostentatoire.
Les poètes baroques sont attirés par toutes les formes changeantes, par l'eau, qui est image de
l'écoulement, et par le feu, symbole de l'éphémère, deux éléments utilisés avec magnificence dans les
mises en scène des fastueux spectacles de cour. La thématique baroque se caractérise par le sentiment
d'impuissance à saisir l'être sous l'infinité des formes que revêt le paraître. Ceci explique que les
baroques cultivent la métamorphose, que des peintres religieux, comme ~Fransc;.sco de Zurbar~àn
par exemple, tentent de fixer sur la toile visions ou apparitions insaisissables et ~qu'ils exploitent
toutes les ressources ~qu'offrent le trompe-l'oeil, le travestissement et le masque. Romanciers et
auteurs dramatiques recourent à des intrigues complexes, avec des actions multiples qui interfèrent,
car le réel leur ~appar~dit trop opaque pour ~qu'une action unifiée les satisfasse. Les auteurs
dramatiques usent souvent du procédé de théâtre dans le théâtre, dans de vertigineuses mises en
abyme. Ex : Calder~ôn, La vie est un songe, Rotrou, La Véritable Histoire de Saint ~Genest. Les
baroques cultivent surtout le roman d'aventures, inspiré du roman picaresque espagnol. Ex. ~: Cyrano
de Bergerac: ~L'Autre Monde ou les ~Etats et empires de la Lune (1649) ou Scarron -. Le Roman
comique (1657), et la tragi-comédie, ex. : Alexandre Hardy : ~Scédase (1624). Ils sont fascinés par
les passions violentes, ex. ~Théophïle de Viau: Pyrame et Thisbé (1 620) est une pièce sanglante.
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Burlesque. Terme tiré de l'italien, qui désigne une forme de comique lié à la culture populaire et à
ces fêtes carnavalesques, médiévales ou renaissantes, dont l'atmosphère est si bien décrite par
Ba~khtine. Ce type de comique use de la dérision, du pastiche, inversant systématiquement les signes
de l'univers représenté : son domaine de prédilection est la farce, les spectacles de la commedia
dell'arte, ou ceux des clowns. Il est très présent chez les grands comiques du cinéma des années
1920~-1930 comme Max Linder, Chaplin, ~Buster Keaton ou les Marx Brothers.
Le burlesque devient une mode littéraire en France au xvi~re siècle, de 1643 à 1653 essentiellement.
La mode est lancée par Scarron, avec son Recueil de quelques vers burlesques (1643) et son Virgile
travesti (1648). Elle est exploitée par d'Assoucy avec Le Jugement de Pâris (1648) et par Perrault
qui, dans Les Murs de Troie (1653), démythifie le~k grands héros de ~l'Enéide, ravalés au rang de
personnages ordinaires. Le rire ~nicit, dans ces oeuvres, de la disproportion entre la noblesse des
sujets et la grossièreté voulue de l'expression. Le burlesque, sombrant dans la vulgarité, décline
rapidement. Boileau, dans son Art poétique en 1674, condamne le genre. Marivaux, toutefois,
continue cette tradition au xvi~iie siècle dans son Homère travesti (1736). Le genre ne survit pas en
tant que tel, mais son esprit se perpétue dans le pastiche. ~L'héroi-comique, qui est une parodie du
ton ~hér6fque, est une forme de burlesque.
On qualifie de ~macaronique une poésie burlesque dans laquelle on affecte de terminaisons latines
les mots de la langue vulgaire. Molière, ~lorsqu'il veut se moquer du jargon des médecins,
affectionne le procédé. Ex. : lors du troisième et dernier intermède du Malade imaginaire, le
chirurgien qui intronise ~Argan dans ses fonctions de médecin, clôt la pièce ainsi :
Puissent ~toti a~nni
Lui ~essere boni
Et ~favorabiles
Et n~'habere jamais
~Quam pestas, ~verolas,
~Fievras, ~pltiresias.
~Fluxus de sang, et ~dyssenterias!
~> Carnavalesque, comique, commedia dell'arte, farce, pastiche
- ~Bakhtine, 1970; Bar ~F., Le Genre burlesque en France au xvi~e siècle.
~Etude de style, Paris, d~'Artrey, 1960.
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Calligramme. Terme créé par Apollinaire pour désigner des poèmes où le texte est disposé de
façon à former une image. Ce type de poésie iconique existait en fait depuis ~l'Antiquité sous le
nom de vers figurés ~(carmina ~figurata) ou vers rhopali~ques ~(Simmias de Rhodes, au ,je
Siècle av. J.~-C. passe pour être le premier à les avoir utilisés). ~Morier (1961) pense que la
tradition des vers ~rhopaliques sort de la chanson à boire (cf. les vers de Charles-François Panard,
1674~-1765, en forme de bouteilles ou de verres). Au ~XV,e siècle, les vers figurés constituent un
genre mondain, un jeu de société. C'est Apollinaire qui va leur donner leurs lettres de noblesse.
~Uemploi des calligrammes s'inscrit dans le mouvement de réflexion sur la typographie présent
dès les symbolistes et sur la relation de la poésie et de la peinture, et l'on sait combien Apollinaire
était proche des peintres cubistes. Les poèmes où il dispose le texte de façon à représenter un
objet, La Colombe poignardée et le Jet d'eau, La Cravate et la Montre, Lettreocéan, Coeur
couronne et miroir, se sont d'abord appelés idéogrammes lyriques
CET
ARBRISSEAU
QUI SE PRÉPARE
A FRUCTIFIER
TE
~RES
SEM
~BLE
(Paysage)
Lapacherie J.G., « Ecriture et lecture du calligramme », Poétique, 1982; Morier H., 1981;
Peignot J., Du Calligramme, Paris, Ed. du Chêne, 1978.
30
Classicisme. Courant artistique qui se développe au xvi~ie siècle sous Richelieu, Mazarin et
Colbert, et qui se caractérise par un idéal d'équilibre et de mesure, et touche tous les arts, la littérature,
la peinture (Poussin), la sculpture (Coysevox), l'architecture ~(Mansard), la musique (Lulli).
A l'origine, en littérature est considéré classique ce qui est « digne d'être enseigné dans les classes »,
selon la définition du Dictionnaire de ~Richelet (1680), c'est-à-dire les auteurs de ~l'Antiquité gréco-
~latîne. A ceux-là s'ajoutent au ~xviiie siècle les auteurs consacrés du ~xviie siècle, ~Comeille,
Racine, Molière, La Fontaine, Fénelon, jugés susceptibles, eux aussi, de former le goût des élèves.
Depuis Voltaire, qui rend hommage au classicisme dans son Siècle de Louis ~XIV, on situe
approximativement le classicisme en littérature de 1635 à 1685. Il se définit par quatre
caractéristiques, le respect de la raison, l'imitation de la nature et celle de ~l'Antiquité, l'élaboration de
règles qui permettent d'atteindre à une maîtrise artistique parfaite. Le Discours de la méthode pour
bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences de Descartes qui, en 1637, est la
première grande oeuvre philosophique en français, est venu démontrer l'universalité de la raison. Très
marqué par le cartésianisme, le classicisme se défie de l'imagination, « cette puissance trompeuse »,
selon Pascal, et accorde à la raison une place prépondérante. L'imitation de la nature que prônent les
classiques, ~c'est-àdire de la nature humaine, loin de se faire l'écho d'un désir de réalisme, est à
interpréter comme une volonté de transformation artistique du réel. S'il faut imiter les anciens, c'est
~qu'ils ont parfaitement imité la nature. Le Grand Siècle est profondément marqué par l'héritage
antique. Depuis la Renaissance qui a érigé en principe le culte de ~l'Antiquité, les oeuvres gréco-
latines, ~conside@rées comme des modèles dans tous les arts, représentent le beau absolu. Les
auteurs dramatiques composent leurs pièces en utilisant les règles des Anciens, tout comme les
architectes construisent selon le plan du temple grec. ~Uidée moderne que la conception du beau
puisse varier selon les individus, les pays, les époques, est tout à fait étrangère à la Renaissance
comme au classicisme. Les classiques désirent donc dégager des règles pour atteindre cette perfection
dont les Anciens sont les modèles. Le texte de référence dont se servent tous les théoriciens, notam-
ment La ~Ménardière (Poétique, 1639), d'Aubignac (La Pratique du théâtre, 1657), ~Comeille (Trois
discours, 1660), Boileau (Art poétique, 1674) est La Poétique d'Aristote.
Sur le modèle antique, les classiques introduisent, au niveau littéraire, une hiérarchie entre les styles
et entre les genres. Le style noble ou élevé est réservé à l'épopée et à la tragédie, le style moyen à la
haute comédie, à ~I-'art oratoire ou épistolaire, le style bas ou familier, à la comédie ou au roman
comique. Au niveau des genres, sont considérés comme des genres nobles, l'épopée, la tragédie
~hér6fque, l'art oratoire, comme des genres moyens, la haute comédie et la satire, comme un genre
bas, le roman. Quant à la farce, elle n'est même pas classée, elle ne saurait plaire à « l'honnête homme
», homme de la bonne société, noble ou grand bourgeois, mesuré en toute chose, tel que nous le
présente Faret dans ~L'Honnête Homme (1630).
En matière de théâtre, le classicisme édicte la règle des trois unités, afin que la pièce ainsi construite
satisfasse le goût de l'époque qui exige le respect de la vraisemblance.
~> Baroque, genre, querelle des Anciens et des Modernes, règle des trois unités, vraisemblance
~- ~Scherer, 1950; ~Bénichou, Morales du Grand Siècle, Paris, Gallimard, Idées, ~rééd. 1967;
Hazard P., La Crise de la conscience européenne 1680~1715, Paris, ~Fayard, 1961.
Conte. Genre littéraire narratif assez mal défini qui peut prendre des formes très diverses, du conte
de fées au conte philosophique. Sa seule caractéristique est sa brièveté. Aussi est-il parfois difficile
de le différencier de la nouvelle. Ex : Mérimée qualifie La Vénus d'Ille à la fois de « conte » et de «
nouvelle ».
Du Moyen ~Age à nos jours, le terme a changé de sens. S'il désigne un récit véridique du ~xiie
siècle au ~xve siècle, il est aujourd'hui synonyme de récit fictif, après avoir revêtu un double sens aux
~xvie et ~xviie siècles, comme l'atteste le Dictionnaire de l~'Académie (1 694) : « récit de quelque
aventure, soit vraie, soit fabuleuse, soit sérieuse ».
Le conte populaire a une origine orale, souvent marquée formellement par la présence du narrateur
dans le récit, qui interpelle le lecteur, comme jadis le conteur le faisait pour l'auditoire (et comme il le
fait encore aujourd'hui dans certaines régions d'Afrique et du Proche-Orient).
La plupart des contes populaires empruntent leurs thèmes à un fonds folklorique commun, ce qui
explique leur structure ~archétypale que les travaux de Propp ont formalisée. Toujours irréaliste, le
conte met en scène,
dans un passé intemporel (souligné par ~l'incii)it traditionnel « il était une fois... ») et dans un lieu
imaginaire, des personnages de toutes conditions. Constatant que les contes prêtent souvent des
actions identiques à ces différents personnages, Propp a été amené à étudier les contes d'après les
fonctions ~qu'ils accomplissent. Ces contes populaires, dont les contes de fées font partie, sont dotés
d'éléments merveilleux. Certains contes oraux sont consignés par écrit par des auteurs de génie,
comme Marie de France dans les Lais au xii e siècle, Perrault dans ses Contes (1697).
Le conte devient un genre littéraire dès le ~xviie siècle où il est très à la mode dans les salons sous
l'aspect d'histoire galante, souvent dotée d'éléments merveilleux. Au xv~iiie siècle, Voltaire lui donne
ane grande profondeur, utilisant le conte philosophique comme une parabole. La narration n'est alors
~qu'un moyen commode et efficace de démontrer la validité d'une thèse. Il en explicite souvent le but
par un sous-titre; ex. : Candide ou l'optimisme. Au xvi~ie siècle, les lecteurs se passionnent pour le
conte fantastique, créé par Cazotte avec Le Diable amoureux. Le genre est toujours bien vivant
aujourd'hui.
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,Dadaïsme. Mouvement situé entre 1916 et 1923 qui affiche un nihilisme radical et qui se
manifeste par son goût du canular et sa mise en oeuvre constante d'un humour féroce. « Dada, affirme
Georges ~Ribemont-Dessai~gnes, est l'amertume qui ouvre son rire. » Né de l'effondrement des
valeurs causées par la guerre de 1914~-1918, le ~dad;iisme se caractérise par le refus de tous les
canons esthétiques comme de l'engagement politique.
Le mouvement part de Zurich en 1916 où réside Tristan Tzara, poète d'origine roumaine. Lorsqu'il
gagne Paris, se réunissent autour de lui un certain nombre d'artistes qui fondent une revue, Cabaret
~Voltaire. Dans le premier numéro (mai 1916) où collaborent entre autres Apollinaire, Arp,
Cendrars, Marinetti, Modigliani, Picasso, appar~at, sous la plume de Tzara, le ter~me de « dada », qui
donne son nom au mouvement. Trouvé au hasard par Tzara en ouvrant un dictionnaire, le mot est
symbole de l'incohérence, du refus absolu de l'ordre et de la logique et même du re~fus de l'art et de la
poésie : « Dada, c'est l'insolence, Dada, c'est l'anti-ar~t », affirme Tzara. Tzara publie dans ce numéro
La Première Aventure céleste de ~Mr ~Antipy~rine, poème-manifeste ~qu'il déclame au cabaret. Dès
1917, Breton, séduit par la volonté destructrice et par l'humour de Dada, participe au mouvement.
En 1918 la rencontre de Tzara et de Picabia signe la naissance d'une internationale Dada. Picabia et
Tzara composent ensemble, l'année d'après, une anthologie Dada en deux versions : français et
allemand. On y trouve des noms nouveaux comme ceux de Cocteau, Radiguet, Soupault, Breton,
Aragon. De nombreux artistes viennent alors rejoindre les dadaïstes : Ribemont-Dessaignes, Crevel,
Vitrac, Péret, le musicien Erik Satie.
Le mouvement est représenté à New York par Picabia qui crée à la fois des poèmes et ses «
machines inventées », intitulées par exemple : Tamis du vent, et par Marcel Duchamp qui défraie la
chronique avec des oeuvres comme son Grand Verre intitulé La Mariée mise à nue par ses
célibataires même (de 1915 à 1923) et avec l'invention des ~ready-made. Il appelle ainsi un objet
quelconque (un porte-bouteille, par exemple) ~qu'il signe comme une oeuvre ~qu'il aurait créée. Le
choix de ces objets, dit-il, est « toujours basé sur l'indifférence visuelle en même temps que sur
l'absence totale de bon ou de mauvais goût ».
H. Arp et Max Ernst se retrouvent en 1919 à Cologne, où ils expérimentent la technique du collage,
usant de matériaux hétéroclites, découpés dans des catalogues, journaux, vieux livres, etc., espérant
ainsi que le hasard apporte des révélations sur des choses inconscientes. Ils souhaitent trouver une
communication entre les formes plastiques et écrites de la poésie.
51
A partir de 1920, tous les dada~ïstes se retrouvent à Paris, Picabia, Tzara, Arp, ~Emst. Le
mouvement épuise assez vite ses possibilités. Une série de brouilles met fin dès 1922 à l'aventure
Dada, à laquelle va succéder le surréalisme qui lui doit beaucoup. Tzara lui-même rejoindra les
surréalistes dans les années 1930.
#Décadents., Écrivains et artistes qui présentent une sensibilité issue du ~x ~1 ~A'dandysm le et liée
à la fin du xx~e siècle. Ils ne constituèrent jamais une école ou un mouvement à proprement parler.
Après le choc de la guerre de 1870 et la fin du Second Empire, la République, en proie à des crises
répétées. ne parvient pas à faire croire en elle, et la fin du x~ix siècle appara~ît ainsi àcertains comme
une période sans perspective où l'on ne peut que ressasser un passé plus glorieux. Cet état d’esprit est
une des constantes de l'esprit décadent, d'où sortira le symbolisme. En 1884 est publié A Rebours de
~J.K. Huysmans, dont le personnage des ~Esseintes est le type même du dandy décadent, et en 1886
est lancé un journal, Le Décadent, qui parut ~jusqu'en 1889 et auquel collaborèrent entre autres
Verlaine, Barbey d'Aurevilly, Mallarmé, Rachilde et Jean Lorrain. Les décadents continuent les
dandys, et leur pessimisme est directement issu de Schopenhauer dont les oeuvres furent traduites
pour la première fois en 1886 en français. Les décadents en effet cultivent le spleen comme leur
ma~ître Baudelaire. A leur critique de la société industrielle de masse, du prétendu progrès, de la
science et de l'esprit matérialiste qui s'incarne pour eux dans les oeuvres réalistes et naturalistes, ils ne
voient d'autre issue que l'artifice (ils ont horreur de la nature et du naturel) et l'art, qui constitue la
forme la plus authentique de la volupté. Ils cultivent une forme de mysticisme généralement sans
Dieu et cherchent souvent dans l'occultisme et l'ésotérisme àsatisfaire leur soif de spiritualité. Contre
la femme, pour eux suppôt de Satan, ils prônent l'androgyne. Leur sensibilité, faite d'une curiosité
pour ~l'archziisme et d'une fascination pour la ~modemité ~qu'ils croient trouver en particulier dans la
ville, est exacerbée et compliquée. C'est ce qui apparaît à travers leur style, fait de ces néologismes,
vieux mots et constructions heurtées dont se moquent Les Déliquescences. Poèmes décadents
d~'Adoré ~Floupette, de Gabriel Vicaire et Henri ~Beauclair (Paris, Léon Vanier, 1885).
53
Les principaux poètes décadents sont Laurent Tailhade, Rodenbach et Ephraim Mikhaël, et surtout
Jules Laforgue. En peinture, leurs faveurs vont à Odilon Redon, Félicien Rops ou Gustave Moreau.
Enfin, la musique allemande représente pour eux avec Wagner un art total.
- Adam P., Petit glossaire pour servir à l'intelligence des auteurs décadents et symbolistes, Paris,
Léon Vanier, 1888.
54
Drame. Étymologiquement, le terme signifie action, sans préjuger du caractère émotif de cette
action, qui peut être comique ou pathétique. Il devient ensuite synonyme d'action horrible, digne de
pitié (ex. : le drame des Atrides, c'est la série des malheurs qui a frappé cette famille maudite).
Plus tard, avec la naissance du drame bourgeois, le terme sera synonyme, par extension, de genre
dramatique. Comme l'action est l'élément majeur de la pièce de théâtre, l'auteur de théâtre est appelé
auteur dramatique, ou dramaturge (termes qui ont remplacé celui de « poète dramatique », le terme
de poète de ~l'Antiquité au ~xixe siècle étant synonyme d'écrivain). Quant à la dramaturgie, c'est
l'ensemble des règles de composition qui président à l'écriture d'une pièce de théâtre.
Drame bourgeois. Genre dramatique, appelé aussi « genre sérieux » ou « tragédie domestique et
bourgeoise », qui naît dans la seconde moitié du ~xviir siècle avec des auteurs comme Diderot,
Beaumarchais et Sébastien Mercier. Théâtre de théoriciens plus que de créateurs de génie, le drame
bourgeois est défini par Diderot dans les Entretiens sur Le Fils naturel, en 1757, et dans le Discours
sur la poésie dramatique, en 1758, par Beaumarchais dans son Essai sur le genre dramatique sérieux
en 1767 et par Sébastien Mercier dans Du Théâtre ou Nouvel Essai sur l'art dramatique, en 1773.
C'est un genre mixte auquel Diderot assigne une place médiane entre les deux « genres extrêmes »
de la comédie et de la tragédie. Cela ne signifie pas que le drame mélange les genres, mais ~qu'il leur
emprunte des tonalités multiples.
Le genre se caractérise essentiellement par trois traits majeurs
- La peinture des « conditions » (des professions) et celle des « relations »(liens de parenté), dictée par
un souci réaliste, remplace celle des caractères.
64
Ex. -. Sedaine, en 1765, dans Le Philosophe sans le savoir, étudie un type social, le négociant,
comme Sébastien Mercier dans La Brouette du vinaigrier, en 1775. Diderot, dans Le Fils naturel,
en 1757, et dans Le Père ~defamille, en 1758, s'intéresse aux « relations ».
- La subordination de la pièce à l'exigence morale (selon laquelle il faut faire triompher la vertu) et le
désir de susciter l'émotion rendent souvent les personnages incohérents. Le drame, abusant des
péripéties, sombre dans l'invraisemblance : le hasard remplace ici la « nécessité » classique.
- ~Uinscription de la mise en scène dans le texte transforme l'écriture. Les indications scéniques
occupent brusquement une place importante. Diderot, conscient de l'impact de la mise en scène,
souhaite que les oeuvres la contiennent virtuellement. Les auteurs dramatiques se font ainsi
costumiers et machinistes. Diderot et Beaumarchais décrivent les habits de leurs personnages avec
une minutie extrême. Le vêtement devient un moyen de saisir le personnage et surtout sa « condition
». Le décor crée l'atmosphère intimiste d'une maison bourgeoise. La position des personnages sur le
plateau permet de figurer les relations ~qu'ils entretiennent. Marquer les grands moments du drame
par des tableaux, tel est le désir de Diderot, qui a toujours abordé les problèmes de la scène d'un oeil
de peintre. Beaumarchais note même des «jeux muets » destinés à meubler le temps mort de
l'entracte.
Drame romantique. Genre dramatique créé au ~xixe siècle par les poètes romantiques qui ont, les
plus grands du moins, une pratique déjà ancienne de l'écriture poétique ~lorsqu'ils écrivent pour le
théâtre. Les théories du genre ont précédé les réalisations. Ce sont celles de Stendhal (Racine et
Shakespeare, 1823~-1825), de Hugo («Préface » de Cromwell, 1827), de Vigny (Lettre à Lord ***
~sur la soirée du 24 octobre 1829). Après le premier drame, Henri III et sa cour, d'Alexandre Dumas
père (1 829), c'est la création de tous les grands drames de Hugo, Musset, Vigny, de 1830 à1835, sauf
~Ruy ~Blas (1838) et Les Burgraves (1843), plus tardifs.
Les romantiques prônent la liberté de l'art; aussi le genre se caractériset~-il par le refus des règles
classiques d'unité de temps et d'unité de lieu. Stendhal définit le drame comme « la tragédie en prose
qui dure plusieurs mois et se passe en des lieux divers ». L'unité d'action est « la seule admise [... ]
parce qu'elle résulte d'un seul fait : l'oeil ni l'esprit humain ne sauraient saisir plus d'un ensemble à la
fois », comme l'explique Hugo dans la « Préface » de Cromwell. Seul Musset, particulièrement
novateur, l'abandonne dans Lorenzaccio.
Le mélange des tons reste théorique, comme dans le drame bourgeois. Le drame romantique,
réintroduisant le sublime et jouant sur le pathétique, utilise les mêmes ressorts que la tragédie : pitié et
crainte. L'histoire, traitée sur un mode épique, constitue pour le drame un réservoir inépuisable
d'événements grandioses. Ex. : Hernani offre le tableau de l'Espagne encore à demi féodale, ~Ruy
~Blas celui de la décadence de la monarchie espagnole. Tandis que Vigny dans Chatterton en 1835 et
Musset dans ~Lorenzaccio en 1834 conservent la ~t)rose, Hugo, afin d'accentuer le sublime, va
~jusqu'à ~réintroduire l'alexandrin, abandonné au théâtre depuis le drame bourgeois, dans quelques-
uns de ses drames, notamment Hernani, ~Ruy ~Blas, Les Burgraves.
Le drame romantique ~n'entrîcina pas, en son temps, l'adhésion du public, qui lui préférait le
mélodrame.
Drame satyrique. Pièce tragi-comique avec un choeur de satyres, représentée pour clôturer, lors
des concours, dans la Grèce antique, les trilogies. On appelait ainsi le cycle de trois tragédies ou de
trois comédies présentées successivement dans une même journée à Athènes. Les plus anciennes
trilogies étaient des trilogies liées. Ex. : Eschyle présente le drame des Atrides en trois temps :
dans Agamemnon, Clytemnestre assassine le roi et Cassandre sa concubine. Dans Les Choéphores,
Oreste revient quelques années plus tard pour venger son père et tuer sa mère ainsi qu~'Egisthe,
l'usurpateur. Dans Les Euménides, Oreste se réfugie à Athènes, poursuivi par les ~Erynies
vengeresses. Les trois pièces constituent un ensemble, le final de chacune des deux premières
annonçant une suite. Les auteurs dramatiques, dès Eschyle, prirent assez vite l'habitude de
présenter trois pièces sans lien les unes avec les autres.
Écholalie. Répétition de la dernière syllabe d'un mot, du dernier mot d'une phrase ou de la
dernière phrase d'un discours, en écho :
OCTAVE
Et tu tiens ces nouvelles de mon oncle ?
SYLVESTRE
De votre oncle.
OCTAVE
A qui mon père les a mandées par une lettre ?
SYLVESTRE
Par une lettre.
(Molière, Les Fourberies de Scapin)
Un cas particulier est constitué par la rime couronnée dans laquelle une syllabe est répétée à la
fin du vers :
et par la rime fratrisée dans laquelle le mot qui apparait à la fin du vers est repris au début du
vers suivant :
L'écholalie est aussi un trouble du langage, qui est utilisé comme tel par Beckett (cf. En attendant
Godot).
Écriture. Mode d'existence spatial du langage. On dit souvent que l'écriture est la transcription,
sous forme de traces sur un support, du langage oral. En réalité, l'écriture constitue un medium
autonome, qui dans certains cas se relie à l'oral, mais dans d'autres est un mode spécifique
d'organisation de la pensée et du monde. On distingue selon les époques et les pays plusieurs types
d'écritures. Un premier mode est iconique, c'est-à-dire que les signes utilisés, des pictogrammes,
reproduisent plus ou moins schématiquement les objets du monde, comme les hiéroglyphes (images
sacrées) égyptiens. La relation du signe à l'objet qu'il représente est ici naturelle et non
conventionnelle et il n'y a aucun lien avec la langue parlée. Les idéogrammes représentent un autre
mode d'écriture qui n'est pas davantage liée à l'oral. L'idéogramme, lui, renvoie non à l'objet, mais à
son idée. La lecture est donc globale. Comme dans l'écriture chinoise, les idéogrammes représentent
souvent le terme de l'évolution de pictogrammes dont la relation au réel n'est plus visible. Ils
apparaissent donc comme conventionnels. Enfin, le phonogramme se relie à l'oral, et les signes
ut~ilisés aux sons. Dans certains cas les phonogrammes transcrivent la syllabe, et constituent un
syllabaire, comme l'écriture mycénienne, ou celle du ~Cherokee, inventée en 1821. Dans la plupart
des cas, le phonogramme se relie au phonème et appartient à un alphabet. La lecture est
essentiellement analytique. Ce sont les alphabets grec et latin qui ont donné naissance à la plupart de
ceux qui sont utilisés en Europe. L'écriture du français qui est fondamentalement
~phonogrammatique comprend malgré tout des éléments ~idéogrammatiques, qui constituent ce que
l'on appelle l'orthographe grammaticale. Ainsi, si un mot se termine par ~-ent, alors même ~qu'aucun
son ne correspond à ces lettres, on sait ~qu'il s'agit dans la majorité des cas d'un verbe à la troisième
personne du pluriel : chantent, chantaient.
Écriture artiste. Style très en vogue chez les romanciers de la fin du ~xixe siècle, en particulier
chez les Goncourt et chez Huysmans sous l'influence du mouvement symboliste et de la peinture
impressionniste. Il s'agit pour ces écrivains de traduire la sensation dans ce qu'elle a d'unique et de
fugace. La vision proposée n'est donc pas synthétique, mais fragmentée, impressionniste. Ce style se
caractérise par un certain nombre de procédés, parfois même de tics, comme l'utilisation du substantif
au lieu de l'adjectif, comme celle de l'adjectif antéposé, comme celle du participe présent, du pluriel,
et par des phrases qui se développent par petites touches successives :
La face recueillie, solennelle, presque auguste, elle commence la lubrique danse qui doit
réveiller les sens assoupis du vieil Hérode; ses seins ondulent et, au rottement de ses colliers qui
tourbillonnent, leurs bouts se dressent; sur la moiteur de la peau les-diamants, attachés, scin-
tillent
(Huysmans, A Rebours)
~> Décadents, impressionnisme, symbolisme
Églogue. Terme qui, à l'origine, signifie morceau choisi, puis désigne, avec la bucolique et l'idylle,
une forme de la poésie pastorale, genre qui met en scène des bergers dans un paysage idéal situé par
Théocrite, poète alexandrin initiateur du genre, en Sicile, puis à partir de Virgile, en Arcadie. Le
terme est surtout employé à la Renaissance, comme synonyme du substantif bucolique : les
Bucoliques de Virgile se composent de 10 églogues. Ces bergeries ont parfois été interprétées de
manière allégorique, et on rencontre également au Moyen ~Age des églogues religieuses.
Élégie. Originellement poème à forme fixe formé de deux vers, le distique élégiaque, dont l'un est
fait de six pieds et l'autre de cinq. A partir de la poésie alexandrine, la forme n'est guère utilisée que
pour chanter les joies et surtout les peines de l'amour. C'est le cas dans la poésie latine. Le genre
sera très en vogue à la Renaissance et Ronsard le définit dans la Préface du Second livre des Amours
par la simplicité :
Les préromantiques et les romantiques l'utiliseront fréquemment. Leurs odes et leurs méditations
ne sont en fait que des formes de l'élégie. L'élégie s'associe à la plainte et à la déploration :
-> Ode
Il est issu de la philosophie allemande, celle de Heidegger ~(Etre et temps, 1927) et de ~Karl Jaspers
(Philosophie, 1932). Ces deux philosophes, accordant une importance déter~minante au paramètre
temporel, pensent que l'existence se constitue dans le temps. Sartre, le grand théoricien de
l'existentialisme, systématise leur pensée dans ~L'Etre et le Néant (1943). Refusant toute
transcendance, il affirme que rien ne légitime l'existence humaine. Ce constat est source d'une
angoisse douloureuse. Il crée ce sentiment de l'absurde que Sartre prête à Antoine ~Roquentin dans
La Nausée (1938), roman qui marqua toute une génération. L'homme est ainsi dénué d'une essence
qui lui préexisterait, comme c'était le cas dans les philosophies antérieures, dites ~essentialistes. Pour
Sartre, « l'existence précède l'essence » et la crée. L'homme « n'est » que par ses actes. L'exis -
tentialisme se situe aux antipodes d'une morale de l'intention, héritée des jésuites, où l'on juge
l'homme sur ses intentions plutôt que sur ses actions. « Condamné à être libre », l'homme se définit
par ses choix, par son rapport au monde, à l'autre comme à la société, comme le montre Sartre dans
L'existentialisme est un humanisme (1946). Les structuralistes, dans les années soixante, lui
reprocheront de conserver, comme dans la vieille philosophie, le sujet au centre de sa réflexion. Le
problème de l'engagement est au coeur de la pensée sartrienne. Si Sartre crée la revue Les Temps
modernes en 1945, c'est pour affirmer que la littérature est un combat. Aussi conçut-il son oeuvre
littéraire, et particulièrement son théâtre (car la scène rassemble un vaste public), comme l'illustration
de sa philosophie. Ses pièces sont toutes des pièces à thèse. Dans Les Mouches (1943) par exemple,
Sartre pose le problème de la liberté.
L'originalité de l'oeuvre de ~Simone de Beauvoir, sa compagne, est d'avoir nuancé, d'un ~r)oint de
vue féminin, les thèses existentialistes, notamment dans ses trois volumes de Mémoires (écrits de
1958 à 1963), comme dans son essai sur la condition féminine, Le Deuxième Sexe (, 1 949).
Si Camus adhère pendant quelques années aux thèses de Sartre, dans son essai Le Mythe de
Sisyphe (1942) notamment, il ne peut toutefois partager son entière désespérance. Il désire, dans un
monde où il n'est plus de place pour une transcendance, retrouver un idéal. « ~Etre un saint sans
Dieu », tel est le but ~qu'il prête dans La Peste, roman de 1947, à ses deux héros, le docteur ~Rieux
et ~Tarrou.
Quant à Gabriel Marcel, qui est à l'origine de l'existentialisme chrétien, il ~réintroduit une véritable
transcendance.
Les existentialistes sont des philosophes avant d'être des littéraires. Si leurs théories sont avant-
gardistes, la forme dans laquelle ils s'expriment, tant sur le plan romanesque que dramatique, est
résolument classique. Ils ont exercé -une grande influence sur la pensée d'après-guerre, sur le
Nouveau Roman comme sur le Nouveau Théâtre, bien ~qu'il y ait une rupture pro~fonde entre leur
écriture et celle des nouveaux écrivains qui pulvérisent toutes les for~mes antérieures.
1> Nouveau Roman, Nouveau Théâtre
Exposition (scène dl). Début d'une pièce de théâtre. ~Uauteur dramatique y présente le conflit
tout en instruisant le spectateur sur l'identité des personnages. L'exposition ne doit pas être longue,
au risque de para~ître artificielle. Cette fonction ~d'infon-nation risque en effet d'entrer en conflit
avec la vraisemblance de l'action, les personnages étant directement impliqués dans les événements
au courant desquels ils mettent le spectateur. Cette ~invrài~semblance est inhérente à toute
exposition, comme le souligne i~roniquement Beaumarchais dans La Mère coupable où Figaro se
fait gentiment rabrouer par Suzanne à qui il expose... leur propre situation :
SUZANNE Sais-tu, mon pauvre Figaro, que tu commences à radoter ? Si je sais tout cela,
qu'est-il besoin de me le dire ?
FIGARO Encore faut-il bien s'expliquer pour s'assurer que l'on s'entend.
(1,2)
Fable. Court récit dans lequel une anecdote est narrée à des fins didactiques. Les protagonistes y
sont le plus souvent des animaux. Leur univers, comme dans le bestiaire, figure celui des hommes.
Des passages dialogués animent bien souvent la narration. La partie finale de la fable, appelée
moralité, explicite la morale contenue. Certaines d'entre elles, particulièrement célèbres, sont
devenues proverbiales, comme celle des Animaux malades de la peste de La Fontaine :
Le genre, qui nous vient d'Orient, est représenté au vie siècle av. J.-C. en Grèce par Esope qui nous
a laissé des fables très courtes que Phèdre (écrivain latin du le, siècle ap. J.-C.) a reprises et
amplifiées, leur donnant une qualité littéraire dont elles étaient dépourvues. Au Moyen ~Age, Marie
de France, à son tour, adapte Esope dans son Isopet. Le titre de ce recueil désignera par la suite tout
recueil de fables. La Fontaine au XVIE siècle donne ses lettres de noblesse à ce genre qui aura des
continuateurs jusqu'au xixe siècle, avec par exemple Houdar de la Motte au XVIIE siècle et Florian
qui écrit ses Fables en 1792. Le genre décline au xxe siècle, sans doute en raison de son aspect
didactique qui n'est plus au goût du jour.
1> Bestiaire
Fantastique. Genre littéraire dans lequel deux logiques se superposent, l'une rationnelle qui refuse
d'admettre ~l'inexpliquable, l'autre irrationnelle. Le fantastique, selon la définition de T~. ~Todorov,
n'existe qu'en référence à deux catégories voisines avec lesquelles il entretient des rapports complexes,
l'étrange et le merveilleux.
Dans un monde qui est le nôtre se produit brusquement un événement qui ne peut pas s'expliquer
selon l'ordre rationnel qui régit notre univers. Celui qui perçoit l'événement doit opter pour l'une ou
pour l'autre des deux solutions possibles. Ou bien l'événement est le fruit d'une illusion des sens, de
l'imagination, et les lois du monde restent inchangées; ou bien l'événement a réellement eu lieu, ce qui
signifie que le monde dans lequel il s'est produit est régi par des lois qui nous sont inconnues. « Le
fantastique, dit Todorov, occupe le temps de cette incertitude. » Le fantastique implique donc une
intégration du lecteur au monde des personnages. L'hésitation du lecteur est la condition même du
fantastique. Elle peut - ou non - être ressentie par un personnage auquel le rôle du lecteur est dévolu.
L'ambiguité peut se maintenir jusqu'à la fin de l'oeuvre. Ex : dans Le Tour d'écrou, d'Henry James, il
est impossible, pour le lecteur, de savoir si des fantômes hantent la vieille propriété ou s'il s'agit
d'hallucinations de l'institutrice. Dès qu'on choisit l'une ou l'autre réponse, on quitte le fantastique
pour l'étrange ou le merveilleux.
Dans le cas du merveilleux, ce n'est pas une attitude envers les événements rapportés qui caractérise
la catégorie mais la nature même de ces événements. Le surnaturel ne produit alors aucune surprise,
ni chez un personnage du récit, ni chez le lecteur. Dans les contes de fées, ceux de Perrault par
exemple, les dons magiques des fées n'étonnent personne. Le charme agit sur le personnage comme
sur le lecteur qui abandonne alors, par convention, tout esprit critique. Le plaisir causé par le
merveilleux provient du fait que le lecteur retrouve l'appréhension du réel qui était la sienne dans
l'enfance, avant l'acquisition du rationnel.
Dans le cas de l'étrange, des événements qui paraissent surnaturels pendant une partie du récit,
reçoivent à la fin une explication rationnelle, soit que ces événements ne se soient pas produits (ils
n'étaient que le fruit d'une imagination déréglée : rêve, folie, etc.), soit qu'ils finissent par
s'expliquer rationnellement (hasard, supercherie, etc.). Ex. : à la fin du Manuscrit trouvé à
Saragosse de Jan Potocki, tous les phénomènes apparemment surnaturels sont explicités.
Le fantastique a peu de place dans la littérature médiévale où les mentalités, encore proches du
mythe, établissent une frontière moins nette entre le rationnel et l'irrationnel, le merveilleux étant
presque perçu comme une réalité. A l'époque classique, cartésienne, il n'occupe ~qu'une place
mineure. C'est à partir de la fin du xviiie siècle où l'irrationnel fait irruption dans la littérature, que
le fantastique y occupe une place importante. Il sera un des domaines de prédilection du
romantisme. C'est l'article de Nodier, en 1830, intitulé Du fantastique en littérature, qui lui
confère le statut de catégorie littéraire.
~> Mythe, romantisme
~- ~Todorov ~T., Introduction à la littérature fantastique, Paris, Seuil, Poétique, 1970.
Farce. Pièce comique médiévale très courte (de 300 à 500 vers, sauf La Farce de Maître
Pathelin : 1600 vers), initialement destinée à «farcir» d'éléments burlesques les spectacles sérieux
(mystère et moralité). Elle se joue sans décor. 150 farces environ nous sont parvenues, créées
entre 1440 et 1560. Le genre offre trois caractéristiques essentielles : - ~U action, simpliste,
représente le plus souvent un mauvais tour joué à une dupe, cocu (ex. : La Farce du Cuvier) ou
benêt (ex. ~. Maître ~Mimin étudiant). Elle n'est généralement pas divisée en scènes car, statique,
elle ne progresse pas.
- Les personnages, caricatures grossièrement ébauchées, sont si peu individualisés ~qu'ils sont
désignés par un nom commun (ex : la femme). Ce sont des « personnages collectifs ».
- ~Ueffet sur le public est un rire franc qui s'exerce à l'encontre de tous les personnages, car
aucun n'attire la sympathie, à l'inverse de la comédie où le spectateur prend le parti d'un
personnage sur qui il s'apitoie.
Très populaire au Moyen ~Age, la farce l'est encore à la Renaissance, malgré le discrédit que font
peser sur elle les poètes de La Pléiade, et même au ~xviie siècle où elle est représentée sur les
tréteaux de foire comme chez les Grands : ~Tabarin joue au Pont-Neuf, le trio de l'hôtel de
Bourgogne, (Turlupin, Gros-Guillaume, Gaultier-Garguille) attire les foules. Le genre perd son
prestige à la fin du ~xviie siècle, où il est jugé grossier.
~> Comédie, ~con-fique, parade, moralité, mystère
- Rey~-Flaud B., La Farce ou la machine à rire, 1450~-1550, Genève, ~Droz,1984.
81
Hagiographie. Récit de la vie des saints. Le genre appareit au Moyen ~Age dès le milieu du ixe
siècle. La plus ancienne hagiographie qui nous soit parvenue est la Séquence de Sainte Eulalie (88 1).
Premier texte littéraire en langue vulgaire, elle est parfois considérée comme l'acte de naissance de la
littérature française. L'hagiographie qui est restée la plus célèbre est la Vie de Saint Alexis (xie
siècle).
Ces oeuvres pieuses, destinées à compléter l’enseignement de la chaire pour le peuple sans
instruction, sont composées par des clercs anonymes, mus par un but édifiant, qui témoignent parfois
d'un grand talent de conteur. Présentant les saints comme des héros dans l'ordre de la sainteté, les
hagiographies préparent la voie aux chansons de geste qui exalteront des vertus semblables. Elles
constitueront la matière de la Légende Dorée, écrite au xiiie siècle.
89
Herméneutique. Art de l'interprétation des signes. Cette réflexion philosophique est issue de la
pensée d'Heidegger qui définit, dans L'Etre et le Temps, l'existence humaine comme un signe dont il
faut rechercher le sens. Elle tente de déchiffrer tous les univers symboliques, et particulièrement les
mythes, les symboles religieux, les formes artistiques.
Au sens strict, qui seul nous intéresse ici, l'herméneutique désigne une méthode d'interprétation du
texte littéraire. Elle met nécessairement en jeu la subjectivité du critique. Paul Ricoeur, ainsi que la
plupart des membres de la revue Esprit, sont parmi les grands représentants de cette méthodologie.
Issue de l'exégèse biblique qui recherche le sens caché du texte, cette méthode ne vise pas à évacuer
l'étude structurale mais prétend la dépasser. Au-delà de l'examen des structures (que le structuralisme
met en évidence), elle recherche le sens. Herméneutique et structuralisme étant fondés sur des
méthodologies fort différentes, les représentants de ces deux tendances ne manquèrent pas de
s'affronter, Ricoeur et Lévi-Strauss notamment.
-> Sens
90
~Homéotéleute. Figure de diction dans laquelle on utilise des mots de même finale dans des fins de
phrase ou des membres de phrase :
[... ] celui [qui] joue aux dés, aux osselets, au jeu des gobelets [... ]
(Saint-John Perse, Anabase)
91
Humanisme. Esprit nouveau qui caractérise l'enthousiasme renaissant, fasciné par la redécouverte
de ~l'Antiquité, assoiffé de connaissances nouvelles dans tous les domaines.
Le terme, qui n'existe pas à la Renaissance, appar~ait en Allemagne pour désigner le réveil des
langues nationales et le mouvement de redécouverte des littératures anciennes. En 1859, l'ouvrage de
l'historien allemand ~Georg ~Voigt, Le Réveil de l~'Antiquité classique ou le premier siècle de
l'humanisme, lie définitivement humanisme et Renaissance. Le terme, lors~qu'il se répand en France
en 1875, prend un sens large. Par les «humanités», on désigne les belles lettres; l'humaniste, c'est
alors celui qui pratique les textes antiques. Aujourd'hui, le terme revêt une acception encore plus
large : l'humaniste est celui qui valorise tout ce qui fait la grandeur de l'homme. Aussi Sartre peut-il
définir l'existentialisme comme un humanisme. (Tel est le titre ~qu'il donne à l'un de ses ouvrages.)
Pionniers des temps modernes, les humanistes, au sens strict du terme, rejettent le Moyen ~Age,
époque barbare, gothique; ~qu'ils taxent d'obscurantisme, « ténébreuse » selon l'expression de
Rabelais. Celui-ci mène une véritable polémique contre les Sorbonnards, tenants de la scolastique
médiévale.
Grâce à l'imprimerie qui facilite la circulation du livre, les humanistes, férus d'hellénisme,
redécouvrent les textes grecs que le Moyen ~Age ne connaissait plus que dans des traductions latines.
Ils insistent sur la nécessité d'apprendre les langues, le grec et l'hébreu surtout, afin de retourner aux
textes fondateurs de la culture occidentale : la littérature grecque et la Bible. Ils éditent les textes
anciens : ~Etienne Dolet est lui-même imprimeur. Ils traduisent les textes grecs, restituant les textes
originaux, les débarrassant des gloses, introduites par les commentateurs successifs, qui les
obscurcissaient. Ex. : Guillaume Budé, 1529, Commentaires sur la langue grecque, 1530, De la
philologie.
Ils accomplissent un immense travail ~philologique. Ils sont conscients en effet que pour traduire
avec pertinence un texte, c'est-à-dire pour le transposer dans un nouveau système linguistique, il faut
se livrer au préalable à une analyse syntaxique cohérente du texte d'origine. En 1530, Le~fevre
d~'Etaples traduit la Bible. Appliquant les mêmes méthodes critiques à la Bible qu'aux autres textes,
les humanistes sont considérés avec suspicion par l'Eglise, d'autant que leur démarche est proche de la
Réforme, par son esprit de libre examen.
Accordant à l'apprentissage des langues et à l'esprit de libre examen une grande importance, les
humanistes s'intéressent à l'éducation, comme en témoigne la fameuse Lettre de Gargantua à
~Pantagruel (Rabelais, Pantagruel, 1532, 11, chap. 8). Ils obtiennent de François ler, favorable à
l'esprit nouveau, la création, en 1530, du Collège des Lecteurs royaux (l'actuel Collège de France), où
des professeurs, chargés d'enseigner le latin, le grec et l'hébreu, échappent à la tutelle de la Sorbonne,
grâce à la protection royale.
Ils espèrent avoir un impact sur la vie politique par l'éducation des princes. Erasme, qui est
hollandais, écrit L'Institution du prince chrétien.
~> Existentialisme
93
--Hymne. Un des plus anciens genres poétiques. Dans la Grèce antique, les hymnes, toujours
versifiés, sont d'abord destinés à des fêtes religieuses et célèbrent dieux et héros comme les odes.
L'hymne est musical ~jusqu'à l'époque alexandrine où il devient littéraire. C'est cette tradition que
Ronsard perpétue au xvie siècle dans ses Hymnes, dont les uns sont mythologiques (Hymne de Pollux
et de Castor) et les autres sont écrits à la louange de grands personnages (Henri II) ou de grandes
entités (les Démons, la Justice).
Avec le christianisme, issue du culte, se développe à partir du iv e siècle une hymnologie latine
(Stabat Mater, Dies Irae, etc.). Le mot hymne est alors du féminin. Les hymnes de la liturgie, qui
rassemblent tout chant, y compris les psaumes, constituent un hymnaire.
~I> Ode, psaume, théogonie
Hypallage. Figure de construction qui consiste à apparier à un terme d'une phrase un mot qui
convient en fait à un autre :
Ibant obscuri sola sub nocte (Ils allaient obscurs dans la nuit solitaire)
(Virgile, Enéide)
~> Figure
94
Hypéronyme. Terme lié à un autre par une relation de genre à espèce, ou d'espèce à individu :
fleur est un hyperonyme de rose ou violette, qui en sont inversement des hyponymes. La relation
d'hypéronymie est fondamentale dans les définitions, les synecdoques du genre ou de l'espèce et
souvent aussi pour annoncer ou clore les énumérations :
Mme Pradonet racontait de vagues choses de sa vie quotidienne, le propriétaire qui était
discourtois, le chat qui était foirard, la clientèle enfantine qui avait du goût pour la mystification
et la chapardise; bref, tous les petits empoisonnements d'une vie tranquille.
Les termes hyponymes sont souvent ainsi utilisés pour récapituler, résumer.
Hypotaxe. Construction de la phrase par subordination. L’hypotaxe explicite ainsi les liens entre
les propositions et marque clairement la dépendance de certaines propositions par rapport à d'autres.
C'est l'hypotaxe qui domine dans la période liée :
Puis donc qu'une pensée n'est belle qu'en ce qu'elle est vraie, et que l'effet infaillible du vrai,
quand il est bien énoncé, c'est de frapper les hommes, il s'ensuit que ce qui ne frappe point les
hommes n'est ni beau ni vrai, ou qu'il est mal énoncé, et que, par conséquent, un ouvrage qui
n'est point goûté du public est un très méchant ouvrage.
(Boileau, Préface de l'Art poétique)
Ajoutez à ce pain ou à l'équivalent une hutte et un méchant habit; voilà l'homme tel qu'il est en
général d'un bout de l'univers à l'autre. Et ce n'est que dans une multitude de siècles qu'il a pu
arriver à ce haut degré. Enfin, après d'autres siècles, les choses viennent au point où nous les
voyons. Ici on représente une tragédie en musique; là on se tue sur la mer dans un autre hémisphère
avec mille pièces de bronze; l'opéra et un vaisseau du guerre du premier rang étonnent toujours mon
imagination.
~> Période
96
Impressionnisme. Mouvement pictural de la fin du xixe siècle qui tire son nom du tableau
Impression, soleil levant, de Monet, exposé dans une exposition collective de peintres en réaction
contre l'art académique du Salon officiel. Les impressionnistes (Monet, Sisley, Bazille, Renoir,
Pissaro, Cézanne, Degas, Berthe Morisot) organisèrent huit expositions de 1874 à 1866. Ils
affirmaient le primat de la sensation dans l'instant. Pour la rendre, c'est à la couleur posée par petites
touches, la forme se dissolvant, qu'ils apportèrent toute leur attention, et aux variations de la couleur
avec la lumière, c'est-à-dire aussi avec le temps. On le voit par exemple dans la série des cathédrales
de Rouen ou des nymphéas de Monet, car cela supposait évidemment une peinture de plein air,
comme chez leur précurseur Manet. L'impressionnisme influença beaucoup les autres arts, comme la
littérature : citons les poètes décadents et l'écriture artiste dans la prose romanesque. La plupart des
descriptions des romanciers réalistes ou naturalistes transposent la fragmentation des tableaux
impressionnistes en multipliant par exemple les pluriels ou la juxtaposition d'éléments énumérés. La
description de Paris dans Une page d'amour de Zola, qui a toujours défendu les peintres
impressionnistes, à différentes heures et sous différentes lumières, n'est pas sans évoquer les
variations de Monet. Enfin, en musique, Fauré ou Debussy affinnèrent la même esthétique.
Impromptu. Pièce de théâtre qui semble improvisée et dans laquelle un auteur dramatique s'explique
sur son art. Les acteurs sont censés inventer une histoire devant les spectateurs. Molière a créé le
genre avec L'Impromptu de Versailles (1663), pièce dans laquelle il répond aux attaques lancées
contre sa « Critique de L'Ecole des femmes » et dans laquelle il se met en scène lui-même (dans le
rôle de directeur de troupe) avec ses comédiens.
Nos contemporains, fascinés par les procédés de mise en abyme, cultivent l'impromptu, notamment
Giraudoux (L'Impromptu de Paris, 1937) et Ionesco (L'Impromptu de l'Alma, 1956).
Intertextualité. Terme introduit par Julia Kristeva en 1969 (Recherches pour une sémanalyse,
Paris, Seuil) qui traduit ainsi le concept de dialogisme forgé par Bakhtine, pour désigner le rapport
que les différents énoncés littéraires entretiennent entre eux. En effet, il n'est pas d'énoncé sans
relation aux autres énoncés. Tout énoncé se rapporte à des énoncés antérieurs, ce qui donne lieu à
des relations intertextuelles ou dialogiques, parmi lesquelles la citation et le plagiat ne sont que des
cas particuliers.
Comme l'a montré Genette, il existe des relations particulières entre les textes. La paratextuatité
est la relation d'un texte avec ce qui l'accompagne, titre, préfaces, notes, illustrations, avertissement,
etc. La métatextualité est la relation critique, c'est-à-dire le commentaire d'un texte par un autre.
L'architextualité est la relation qui marque l'appartenance d'un texte au genre qui le définit,
l'architexte étant, selon Genette, « l'ensemble des catégories générales dont relève chaque texte
particulier. » L'hypertextualité, c'est, pour Genette, « toute relation reliant un texte B (hypertexte) à
un texte antérieur A (hypotexte), à l'exclusion du commentaire. L'Enéide de Virgile, Ulysse de
Joyce sont deux hypertextes du même hypotexte, l'Odyssée d'Homère ».
- Todorov T., M. Bakhtine, Le Principe dialogique, Paris, Seuil, « Poétique », 1981; Genette G.,
Palimpsestes, Paris, « Poétique », Seuil, 198 1.
100
Ironie. Figure de pensée, qui consiste à dire le contraire de ce que l'on veut dire. L'ironie n'est
décelable que dans un décalage entre ce qui est dit et la situation qui est visée, et à laquelle les paroles
ne s'adaptent pas. Elle suppose, pour être perçue, la connaissance des normes de celui qui l'utilise.
L'ironie, qui crée souvent un effet comique, a une visée critique et les grands ironistes, comme La
Bruyère ou Voltaire, se sont attaqués aux défauts de l'homme ou de la société. C'est une arme
précieuse dans l'argumentation, en particulier polémique, où elle se rattache souvent à l'argumentation
par l'absurde.
Champagne, au sortir d'un long dîner qui lui enfle l'estomac, et dans les douces fumées d'un vin
d'Avenay ou de Sillery, signe un ordre qu'on lui présente, qui ôterait le pain à toute une
province, si l'on n'y remédiait. Il est excusable : quel moyen de comprendre, dans la première
heure de la digestion, qu'on puisse quelque part mourir de faim?
(La Bruyère, Les Caractères)
l'exagération comme dans cette fin du portrait de l'amateur d'oiseaux, Diphile, du même La Bruyère :
Il retrouve ses oiseaux dans son sommeil : lui-même il est oiseau, il est huppé, il gazouille, il perche;
il rêve la nuit qu'il mue ou qu'il couve.
l'opposition :
Onuphre n'a pour tout lit qu'une housse de serge grise, mais il couche sur le coton et sur le duvet;
de même il est habillé simplement, mais commodément, je veux dire d'une étoffe fort légère en été,
et d'une autre fort moelleuse pendant l'hiver.
(La Bruyère, Les Caractères)
Le Celte dit que les Scythes, ses ancêtres, étaient les seules gens de bien qui eussent jamais été au
monde; qu'ils avaient, à la vérité, quelquefois mangé des hommes, mais que cela n'empêchait pas
qu'on ne dût avoir beaucoup de respect pour sa nation [... ]
(Voltaire, Zadig ou la destinée)
103
Kitsch. Terme allemand, sans équivalent en français, employé pour désigner le sentiment que
provoque une classe d'objets, objets d'art de mauvais goût, imitations dépourvues d'authenticité (Ex :
chromos, romans roses, musique légère, etc.), ou ces objets eux-mêmes.
Le terme nait en Europe centrale dans les années 1870, à la cour de Louis Il de Bavière, encline au
romantisme et au maniérisme. Il est introduit en France depuis quelques décennies seulement.
«Le kitsch est lié historiquement au romantisme sentimental du xixe siècle», écrit Milan Kundera. «
Puisqu'en Allemagne et en Europe centrale le xixe siècle était beaucoup plus romantique et beaucoup
moins réaliste qu'ailleurs, c'est là que le kitsch s'est épanoui outre mesure, c'est là que le mot kitsch est
né, qu'il est encore couramment utilisé. » (L'Art du roman, Paris, Gallimard, 1986.)
Le terme apparait en même temps que le désir des masses de consommer de l'art et que la
prolifération des imitations née de la technique industrielle. Le kitsch tente de compenser deux
carences de l'objet industriel, l'impersonnalité et la perte de signification. Aussi tout objet kitsch
accumule-t-il les signes culturels du passé afin de susciter chez celui qui le regarde un phénomène de
reconnaissance : « Le besoin du kitsch, c'est le besoin de se regarder dans le miroir du mensonge
embellissant et de s'y reconnaître avec une satisfaction émue. » (M. Kundera.)
I> Maniérisme
107
Lipogramme. Contrainte d'écriture selon laquelle il convient dans un texte de ne pas employer telle
ou telle lettre :
E
(Il n'y a pas une Apostrophe pour sauver l'e)
Pour ravir la toison quand Jason courut tant,
il y parvint pour vray, l'arrachant hors du sort
Aux dragons fl amboyans : mais non par son bras fort,
Non par son bac fatal à Cholsos loing flottant.
(Salomon Certon, 1552-?)
Le lipogramme a été en particulier utilisé par l'Oulipo, et Georges Perec a écrit un roman entier de
cette façon, en s'interdisant la lettre e, La Disparition
Il mit la radio : un air afro-cubain fut suivi d'un boston, puis un tango, puis un fox-trot, puis un
cotillon mis au goût du jour. Dutronc chanta du Lanzmann, Barbara un madrigal d'Aragon,
Stich-Randall un air d'Aida.
Hélène crèche chez Estelle, près de New Helmstedt Street, entre Regent's Street et le Belvédère.
« Défense d'entrer », me jette le cerbère. Sept pence le dégèlent et j'entre, pépère.
111
L'esprit des Lumières se concrétise dans une entreprise de vaste envergure, l'Encyclopédie, premier
dictionnaire moderne qui a pour but de faire le point sur toutes les connaissances de l'époque. Tout le
savoir humain doit être concentré dans cet ouvrage qui a pour maître d'oeuvre Diderot. Celui-ci en
rédige le « prospectus » en 1750. Il confie la responsabilité de coordonner toute la partie scientifique
à d'Alembert, qui rédige le « Discours préliminaire » en 175 1, à la parution du premier volume.
Diderot introduit une partie sur les techniques avec des planches qui illustrent les arts mécaniques.
L'entreprise, immédiatement attaquée par les jésuites à cause de l'esprit de libre examen qui la
caractérise, est soutenue par Malesherbes. Les plus grands auteurs du XVIIE siècle y participent,
rédigeant plusieurs articles, notamment Montesquieu, Voltaire, Rousseau.
Résolument moderne, l'esprit des Lumières signe la fin de la conception médiévale d'un univers clos.
Cette I;ifcisation du monde débouche tantôt sur le déïsme (Voltaire conserve l'idée d'un dieu créateur,
conçu comme le premier moteur), tantôt sur le matérialisme, chez Diderot par exemple. Ces
divergences profondes se solderont par des ruptures, la brouille retentissante de Rousseau et des
Encyclopédistes, la dissension plus voilée de Voltaire et des matérialistes.
Dans le domaine social et économique, les philosophes des Lumières, apôtres de la tolérance,
soucieux d'égalitarisme, préparent lentement l'éclosion des idées révolutionnaires. Plusieurs points
essentiels de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen sont directement empruntés au
Contrat social de Rousseau (1762). Malgré la modemité de leur pensée, les philosophes des
Lumières, en matière politique, appartiennent encore à l'Ancien Régime, optant pour le gouvernement
du despote éclairé (c'est le cas de Voltaire et de Diderot). La république ne leur apparait convenir
qu'à un tout petit nombre. Les derniers représentants des Lumières en 1789 applaudiront la
Révolution, tout en marquant une certaine peur à l'entrée du peuple sur la scène politique.
> Libertin
- Hazard P., La Crise de la conscience européenne, 1680-1715, Paris, Fayard, 1961.
113
Mal du siècle. Expression qui apparait après 1830 sous la plume des romantiques pour désigner
l'inadéquation fondamentale entre le moi et l'ordre du monde. Musset, en 1836, dans Confession
d'un enfant du siècle, exprime le désarroi de la jeunesse désabusée sous la Restauration.
> Romantisme
- Canat R., Une forme du mal du siècle. Du sentiment de la solitude morale chez les romantiques
et les parnassiens, Genève, Slatkine Reprints, 1967.
Le concept de maniérisme littéraire a été forgé en 1935 par E.R. Curtius pour caractériser la
première période du baroque, c'est-à-dire en France les années 1530 à 1580. La technique des
écrivains consiste alors à raffiner sur la règle et sur les procédés d'expression. Cet art se caractérise
par la recherche de l'effet, la distorsion des formes, l'étrangeté des atmosphères. Issu du
pétrarquisme, ce courant accorde à l'amour, sublimé, une place essentielle.
Manifeste. Déclaration publique par laquelle un courant littéraire ou un auteur définit ses
conceptions (procédés, buts, etc.). Au Moyen Age où le rapport à l'art est fort différent et où la
notion d'originalité n'existe pas, l'artiste, qui reste le plus souvent anonyme, ne s'explique pas. Le
manifeste nait avec les Temps modernes. La Défense et illustration de la langue française de Du
Bellay (1549) est le premier manifeste. Les manifestes se multiplient depuis le xixe siècle, époque
où la critique littéraire commence à se constituer en tant que genre. Certaines préfaces comme
certains avant-propos ont valeur de manifeste. Ex. : la Préface de Cromwell de Victor Hugo
(1827), ou l'Avant-propos de la Comédie humaine (1842) de Balzac.
Marivaudage. Terme qui apparaît, du vivant même de Marivaux, pour caractériser un style où le
badinage, quoique imité de la conversation, se teinte de préciosité. « Jamais on n'a mis autant d'apprêt
à vouloir paraître simple », lui reprochera La Harpe (1799).
A l'acception strictement stylistique du terme, s'ajoute, après le xviiie siècle, une notation
psychologique. Le marivaudage prend en effet la forme d'un jeu constant entre le mensonge et la
vérité dans des relations amoureuses où le conflit n'est pas insoluble. C'est une joute, faite de
coquetterie, entre l'amour propre qui tente de dissimuler l'aveu, et l'amour, manège que Marivaux,
selon d'Alembert, a défini ainsi :
J'ai guetté dans le coeur humain toutes les niches différentes où peut se cacher l'amour lorsqu'il
craint de se montrer, et chacune de mes comédies a pour objet de le faire sortir d'une de ces niches.
(Eloge de Marivaux)
-> Préciosité
Deloffre F., Une préciosité nouvelle, Marivaux et le marivaudage, Paris, A. Colin, 197 1.
115
Métalangue. Discours de la langue sur la langue. La métalangue est liée à la propriété des
langues naturelles dite de réflexivité qui leur permet de parler d'elles-mêmes. Cette propriété est
l'une de celles qui permettent de définir une langue naturelle. Aucun autre système de signes en
effet ne peut parler de lui-même. Ceci est possible grâce à l'existence de termes explicitement
métalinguistiques, comme les termes de la grammaire
ou certains termes du langage ordinaire, qui renvoient à la parole, comme dire,murmurer, discours,
etc., et grâce au fonctionnement autonyme du signe :
-> Autonymie
116
Naturalisme. Courant littéraire qui systématise la voie ouverte par le réalisme, par l'observation
méthodique et objective de la réalité, et dont Zola est le chef de file. Deux textes consacrent, en 1880,
la naissance du naturalisme. Le Roman expérimental est un recueil d'articles où Zola expose sa
théorie du roman. Les Soirées de Médan sont un recueil collectif (publié sous l'égide de Zola) de
nouvelles écrites par cinq de ses amis qui se réunissent régulièrement chez lui à Médan. Ce sont
Maupassant, Huysmans, Hennique, Céard, Alexis.
Zola se réclame de Flaubert, de Balzac et même de Stendhal, chez qui il trouve déjà la recherche de
la vérité psychologique et la constitution de documents humains, toutes deux absentes des romans
antérieurs. C'est grâce aux contemporains de Flaubert, à cette « génération de 1850 », selon la
terminologie de Thibaudet (critique de la N.R.E dont l'oeuvre domine l'entre-deux-guerres) que
pourra s'opérer le passage du réalisme au naturalisme. Ce sont notamment Henri Murger, Husson,
Champfleury, Duranty.
Les prédécesseurs immédiats de Zola sont les frères Goncourt, Edmond et Jules. Pour ces deux
historiens, le roman ne doit pas être le produit de l'invention, mais le récit d'événements réels :
souvenirs personnels ou histoires rapportées. Ils font entrer le peuple sur la scène littéraire, peignant
crûment la misère du prolétariat (le monde des prostituées, celui des hôpitaux, etc.). Ex. : Germinie
Lacerteux, 1865, raconte la vie d'une servante hystérique. Les Goncourt annoncent les buts de Zola
qui déclarera dans la Préface de L'Assommoir en 1877 : « C'est une oeuvre de vérité, c'est le premier
roman sur le peuple, qui ne mente pas et qui ait l'odeur du peuple. »
Zola emprunte à Claude Bernard, dont l'Introduction à l'étude de la médecine expérimentale date de
1865, sa définition de la méthode expérimentale. Cette caution scientifique est pour lui une
confirmation de sa méthode de romancier. Selon Claude Bernard, cette méthode applicable àl'étude
des corps bruts (en chimie et en physique) l'est également aux corps vivants (en physiologie).
Conduisant à la connaissance de la vie physique, elle devrait également, selon Zola, mener à la
découverte des mécanismes de la vie passionnelle et intellectuelle. Reprenant la distinction établie
par Claude Bemard entre science d'observation et science d'expérimentation, et sa définition de
l'expérience comme une observation provoquée, Zola demande que le romancier, qui jusqu'ici n'a été
qu'un observateur, soit aussi un expérimentateur. Il doit exposer les faits tels qu'il les a observés puis,
en tant qu'expérimentateur, faire mouvoir les personnages d'une histoire particulière pour montrer que
la succession des faits y est telle que l'exige le déterminisme des phénomènes étudiés: « Le problème
est de savoir ce que telle passion, agissant en tel milieu et dans telle circonstance, produira au point de
vue de l'individu et de la société. »
Empruntant à Claude Bemard l'idée que, dans l'étude du vivant, deux facteurs sont à considérer : le
milieu intérieur et le milieu extérieur, Zola veut analyser l'influence sur l'individu de deux paramètres,
la société et l'hérédité. Aussi élabore-t-il de 1871 à 1893 cette Histoire naturelle et sociale d'une
famille sous le Second Empire, cycle de dix-neuf romans consacrés aux Rougon-Macquart, famille
qu'il étudie à travers cinq générations successives et dont il dessine même l'arbre généalogique dans
Le Docteur Pascal, roman qui constitue la clausure du cycle.
Une telle conception du roman infléchit l'écriture du romancier. Le roman étant une enquête
impersonnelle comme celle d'un greffier, la description est l'outil majeur de l'écrivain. Zola, pour
chacune de ses oeuvres, constitue un « dossier préparatoire » rassemblant notes, documents.
Les naturalistes sont surtout des romanciers. Zola, qui rêve également d'un théâtre naturaliste, définit
sa conception du théâtre, héritée de celle de Diderot et de Sébastien Mercier en qui il salue ses
prédécesseurs, dans Le Naturalisme au théâtre, texte de 1881. Il crée, en 1887, avec un metteur en
scène, Antoine, le Théâtre Libre où sont produites les pièces naturalistes. Lui-même adapte pour la
scène quelques-uns de ses romans, dont Thérèse Raquin et Nana. Comme la scène est censée
représenter le monde réel, Zola attache beaucoup d'importance au décor, qui est l'équivalent, selon lui,
de cette « tranche de vie » que le romancier essaie de saisir. Le décor doit fonctionner comme des
« descriptions continues ».
Les oeuvres dramatiques créées par les naturalistes, celles de Victorien Sardou, d'Alexandre Dumas
fils, d'Augier, de Becque (Les Corbeaux, 1882) ne répondent pas à l'attente de Zola. Cet échec du
théâtre naturaliste était inévitable dans la mesure où l'exigence du réalisme est incompatible avec la
scène. Zola et Antoine, voulant substituer la réalité brute à sa représentation, nient la théâtralité.
L'influence du naturalisme en France est immédiate sur des romanciers comme Jules Vallès, Jules
Renard, Octave Mirbeau. A l'étranger cette influence est immense, notamment en Allemagne sur le
théâtre de Hauptmann, en Russie, sur Tolstdf, Tchékov, en Scandinavie sur Ibsen, Strindberg, Knut
Hamsun, enfin en Italie sur Giovanni Verga, fondateur du vérisme, et aux Etats-Unis sur Steinbeck,
Hemingway (tous deux très marqués par Maupassant).
132
Nouveau Roman. Roman créé après la guerre par des écrivains qui témoignent d'un refus commun
des formes romanesques antérieures. Si certains ont commencé à écrire avant-guerre, comme
Sarraute, Beckett, Duras, la plupart des oeuvres sont produites entre 1950 et 1970. On regroupe sous
cette étiquette des romanciers comme Nathalie Sarraute, Marguerite Duras, Michel Butor, Alain
Robbe-Grillet, Jean Ricardou, Claude Ollier, qui constituent un groupe, et comme Samuel Beckett,
Robert Pinget ou Claude Simon qui font cavalier seul. Certains de ces écrivains sont aussi auteurs
dramatiques. C'est le cas de Beckett, de Pinget, Duras, Sarraute. Duras et Robbe-Grillet, passionnés
par les recherches cinématographiques, écrivent également des scénarios de film. Ex: en 1959, Duras
écrit, pour Alain Resnais, le scénario d'Hiroshima mon amour.
Ce courant est reconnu dès les années soixante, grâce aux théorisations de Robbe-Grillet (Pour un
nouveau roman, 1963), de Butor (Répertoire I et Il, 1960-64), puis grâce à celles de Ricardou
(Problèmes du Nouveau Roman, 1967).
Pour les nouveaux romanciers, « le monde n'est ni signifiant ni absurde, comme l'affirme Robbe-
Grillet. Il est tout simplement». Selon eux, cette réalité, opaque, est très difficile à saisir par le
langage. Aussi le roman leur appardit-il comme le domaine phénoménologique par excellence, le lieu
où étudier de quelle façon la réalité nous apparaît. De cette prise de conscience résulte une esthétique
nouvelle, amorcée au xixe siècle par Flaubert, puis au début du xxe siècle par Proust, Kafka, Joyce et
Faulkner. La littérature est entrée désormais dans « l'ère du soupçon » (titre d'un recueil d'articles de
Sarraute, sur le roman, datant de 1956). Comme ces écrivains ont le sentiment que l'expérience vécue
est une énigme indéchiffrable, leur écriture est entachée d'incertitude, à tous les niveaux de la fiction.
La crédibilité de l'intrigue est sans cesse mise en question. Le paradoxe du menteur est au coeur de
l'écriture d'un Robbe-Grillet ou d'un Beckett (cf. Molloy, 1951). Les repères temporels,
volontairement brouillés, ne permettent pas de distinguer scènes présentes et passées. L’absence de
frontière entre le réel et l'imaginaire, dans cette littérature très marquée par la psychanalyse, ne permet
pas non plus de différencier scènes remémorées ou imaginées. Le romancier ne croit pas davantage à
l'existence de son personnage, que parfois il ne nomme pas, comme en témoigne le titre du roman de
Beckett L'Innommable, ou affecte de noms différents, ou désigne simplement par une lettre (héritage
de Kafka). Uespace, scrupuleusement décrit, est également perçu comme un labyrinthe. Uobjet,
appréhendé dans des descriptions interminables, échappe toujours à la saisie. L'abondance de détails,
loin de le caractériser, augmente son opacité. Le paradoxe de ce « nouveau réalisme », selon les
termes de Robbe-Grillet, c'est qu'il crée une atmosphère d'étrangeté. « Rien n'est plus fantastique, en
définitive, que la description », déclare Robbe-Grillet.
Le Nouveau Roman se caractérise par son autoréflexivité, s'interrogeant sans cesse sur ses matériaux
(le langage est l'objet d'un questionnement perpétuel, dans tous les romans de Beckett), sur ses modes
de fonctionnement.
Nouveau Théâtre. Théâtre créé par un certain nombre d'auteurs dramatiques qui, dans les années 50,
font table rase de la dramaturgie antérieure. A la différence des Nouveaux Romanciers, ils ne
constitueront jamais un groupe. Seul Ionesco théorisera sur cette dramaturgie nouvelle, dans Notes et
contre-notes en 1956. Certains d'entre eux sont des étrangers qui écrivent en français : Eugène
Ionesco est roumain, Samuel Beckett irlandais, Arthur Adamov Russe arménien, Georges Schehadé
libanais. La plupart d'entre eux sont venus à la scène tardivement, après une expérience de romancier
(c'est le cas de Jean Genet, Robert Pinget, Marguerite Duras, Nathalie Sarraute), ou de poète (comme
Romain Weingarten, Jean Tardieu, Georges Schehadé, Jean Vauthier) qui a marqué leur écriture pour
le théâtre. Ils sont tous admirablement servis par les jeunes metteurs en scène d'alors, Barrault, Blin,
Mauclair, Serreau, etc. Les étiquettes sont multiples pour regrouper ces auteurs dramatiques. La
critique a parlé de « théâtre d'avant-garde », de « théâtre des années 50 », de « théâtre de l'absurde »,
terme désavoué par Ionesco et par Adamov qui récusent toute appartenance à l'existentialisme.
Héritiers de Jarry et des surréalistes, ces nouveaux dramaturges cultivent l'insolite. La scène n'est
plus censée, pour eux, reproduire le réel, mais figurer le fantasme. Ils critiquent le théâtre engagé,
trop rationnel. Introduisant l'incohérence au sein du langage, ils mettent en doute sa fonction de
communication. La Cantatrice chauve, première pièce de Ionesco, jouée en 1950, est, de ce point de
vue, exemplaire. Nourris de Freud et des phénoménologues, ces écrivains mettent en scène un
personnage profondément divisé, désorienté dans le temps comme dans l'espace, image du désarroi de
l'homme qui n'a plus aucun repère dans le monde moderne. Comme le langage est pour eux objet de
suspicion, ils tentent de saisir leur personnage autrement que par le discours, dans son corps. C'est
Beckett, avec son cortège d'éclopés, qui est allé le plus loin dans cette voie. Le discours didascalique,
destiné à décrire les gestes, occupe chez eux une place très importante qui tend parfois à concurrencer
le dialogue.
> Didascalie, mimodrame, Nouveau Roman, phénoménologie, surréalisme - Hubert M.-C.
Langage et corps fantasmé dans le théâtre des années cinquante : Beckett, Ionesco, Adamov, Paris,
Corti, 1987.
Nouvelle. Genre narratif de forme brève, difficile à saisir car protéiforme. La frontière entre le
roman et la nouvelle est peu aisée à établir, le seul critère (nécessairement flou) étant la longueur. Les
écrivains eux-mêmes hésitent parfois sur la classification. Ainsi Mérimée, à propos de Colomba,
déclaret-il : « mon roman ou plutôt ma nouvelle ». Ce qui permet de -distinguer la nouvelle du conte,
c'est qu'elle se situe dans un univers de vraisemblance, tandis que le conte, franchement irréaliste, crée
un monde de fantaisie, soit que l'action soit entachée de merveilleux, soit que la narration, dans son
mode d'expression, soit irréalisante, comme dans -certains contes de Voltaire par exemple.
L'ancêtre de la nouvelle est le lai, tel qu'il apparaît avec Marie de France dans le dernier tiers du xiie
siècle. Le genre proprement dit naît en France au xve siècle avec un recueil anonyme, les Cent
Nouvelles (1462), où se marque l'influence de la novella italienne, forme attestée depuis longtemps en
Italie et déjà consacrée par Boccace avec le Décameron (1 353).
Exceptionnellement une ou plusieurs nouvelles peuvent être enchâssées dans un roman. C'est le cas,
dès le xiiie siècle, dans La Mort du roi Arthur. Scarron, dans Le Roman comique au xviie siècle,
Diderot, dans Jacques le fataliste-au xviiie siècle, usent également du procédé.
Vu la brièveté du genre, il est rare que la nouvelle soit publiée seule. Elle est presque toujours
insérée dans un recueil où les différentes nouvelles n'ont aucun lien entre elles. Il peut arriver quelles
soient reliées par un artifice narratif. C'est le cas dans le Décameron où cent nouvelles sont
distribuées en dix journées (à cause de la peste, dix jeunes nobles sont isolés ensemble pendant dix
jours; chacun, pour divertir les autres, raconte une nouvelle chaque jour), procédé que Marguerite de
Navarre imite dans l’Heptaméron (1547).
> Conte, lai
136
Pantoum. Poème à forme fixe d'origine extrême-orientale, pratiqué en particulier par Hugo, qui a
traduit dans une note des Orientales un pantoum malais, par Leconte de Lille et par Théodore de
Banville. Le pantoum comprend plusieurs quatrains qui s'enchaînent l'un à l'autre en ce que le
deuxième et le quatrième vers de l'un deviennent le premier et le troisième du suivant:
De surcroît, le pantoum a une composition circulaire, puisque le dernier vers reprend le premier, si
bien que Harmonie du soir de Baudelaire n'est pas véritablement un pantoum. Selon Banville, en
outre, deux sens doivent se poursuivre parallèlement dans les deux premiers et les deux derniers vers
de chaque strophe, comme dans l'exemple cité.
- Banville Th. de, Petit traité de poésie française, Paris, Lemerre, 1891.
Parnasse. Groupement de poètes tenants de l'art pour l'art qui se forme entre 1860 et 1866. Ils sont
très influencés par Théophile Gautier, Théodore de Banville et Leconte de Lisle. Le nom de
Parnasse est un vieux mot qui signifie recueil et c'est le titre d'un volume : Le Parnasse
contemporain, recueil de vers nouveaux publié en 1866. Un autre volume paraîtra en 187 1, daté de
1869, et un dernier en 1876. Les principaux poètes qui y publient sont Sully Prudhomme, François
Coppée, Albert Glatigny, Catulle Mendès et José Maria de Heredia dont le nom reste attaché au
mouvement (Les Trophées, 1893). Bien qu'il n'y ait jamais eu de doctrine clairement affirmée, on
peut cependant dire que les parnassiens, s'ils ont cultivé la forme, se sont défendus du reproche
d'impassibilité qu'on leur faisait, et ont généralement introduit dans leurs poèmes des idées morales ou
philosophiques.
> Art pour l'art
Parodie. Oeuvre d'imitation qui détourne les intentions de l'oeuvre originale dans une intention
satirique. Le sujet et le ton peuvent être ainsi transposés de façon caricaturale et même burlesque.
Don Quichotte de Cervantès est par exemple la parodie des romans de chevalerie du Moyen Age. Le
théâtre de Molière est rempli de parodies ponctuelles où il se moque du langage des médecins, des
femmes savantes, des précieuses. L’ambiguité de la parodie réside dans le fait qu'au moment même
où elle tourne en dérision un modèle, elle le reprend et l'illustre.
Pastiche. Toute oeuvre d'imitation où l'on reproduit le style d'un artiste. En littérature, les pastiches
sont nombreux (cf. les Pastiches de Proust, 1919): Les uns sont des « faux » qui donnent par exemple
pour non littéraires et authentiques des oeuvres qui sont de pure invention, ainsi les poèmes composés
par MacPherson au xviiie siècle comme étant dus à un barde celte, Ossian, ou les Lettres de la
religieuse portugaise, en réalité composées au xviie siècle par Guilleragues. Les autres sont des textes
satiriques ou plaisants, comme A la manière de de Muller et Reboux (1908-1913). Le pastiche
suppose l'assimilation parfaite et la reproduction de l'oeuvre imitée, au point qu'il est parfois difficile
de le déceler, ce qui n'est pas le cas dans la parodie, qui caricature.
>. Parodie
142
I - L’autre jour, auprès d'une haie, j'aperçus une jeune pastoure pleine de grâce et d'esprit.
C'était la fille d'une paysanne; elle portait cape, jupe, pelisse et chemise tricotée, avec souliers et
bas de laine.
Il - Je m'approchais d'elle à travers le pré. [... ]
III - Pieuse fille, je me suis détourné de ma route pour vous tenir compagnie, car une jeune
vilaine (= paysanne) ne saurait autrement faire paître ses moutons, en tel lieu solitaire.
IV - Sire, dit-elle, telle que je suis, je sais bien distinguer la folie du bon sens. Je n'ai cure de
votre compagnie, car telle croit la posséder qui n'en a que l'apparence.
En 1285, Adam de la Halle adapte le genre à la scène, avec Le Jeu de Robin et de Marion, grâce
aux potentialités mimétiques du thème et à la structure formelle de ce poème lyrique à plusieurs
voix. Telle est la lointaine origine de la pastorale.
I> Pastorale
Zink M., La Pastourelle. Poésie et folklore au Moyen Age, Paris, Bordas, 1972.
Performatif. Terme introduit par Benveniste et emprunté aux philosophes du langage anglo-
saxons. Il désigne une catégorie de verbes ou d'expression verbales, qui, énoncés à la première
personne du présent, accomplissent l'acte qu'ils désignent. Par exemple, dire je vous promets, c'est
accomplir l'acte de langage de la promesse. Mais dire j'ai promis que, c'est simplement faire le récit
d'un acte antérieur. Le problème de la vérité ne se pose pas pour les performatifs comme pour les
autres verbes. Ainsi, dire il pleut alors qu'il fait un soleil radieux, ou dire je lis alors qu'on regarde la
télévision, c'est énoncer des contre-vérités, mais dire je déclare la séance ouverte, c'est dans tous les
cas la déclarer effectivement ouverte, même si l'on n'a aucune autorité pour cela, auquel cas l'acte ne
sera pas suivi d'effet.
Pétrarquisme. Courant poétique hérité de Pétrarque (1304-1374), poète italien qui inaugure avec le
Canzoniere (1342) la mode du recueil de poèmes consacré à la femme aimée. Cette femme idéale,
telle la Laure de Pétrarque, à peine entrevue et inaccessible, est une entité désincarnée. Elle perpétue
la tradition courtoise de l'amour que Pétrarque emprunte à Dante, qui lui-même se réclame des
troubadours français. Cette conception platonicienne de l'amour, qui prépare la voie de la préciosité,
s'exprime dans un style où l'artifice tue souvent la spontanéité.
La poésie de Pétrarque est aussitôt imitée en Italie par Bembo et par l'Arioste. Au xvr siècle, elle
exerce une grande influence sur la poésie française. Les poètes qui constituent le groupe de La
Pléiade lisent tous l'italien et admirent les poètes italiens qui ont créé une grande littérature nationale.
Aussi imitent-ils les sonnets de Pétrarque comme, dans leur admiration de l'Antiquité, ils imitent les
odes de Pindare et d'Horace. L'Olive, recueil de sonnets de Du Bellay (1549), immédiatement
accueilli avec enthousiasme, inaugure en France la mode du pétrarquisme. Ronsard en 1552 donne
Les Amours de Cassandre où il chante une jeune fille àpeine entrevue, puis en 1555 Les Amours de
Marie, recueil plus spontané, quoique très marqué par le pétrarquisme. Il retoumera à l'imitation
pétrarquiste en 1578 avec les Sonnets pour Hélène. Dans le sillage immédiat de Du Bellay et de
Ronsard, la plupart des poètes, ceux de la Pléiade notamment, s'adonnent au pétrarquisrne. Pontus de
Tyard écrit les Erreurs amoureuses, Baïf les Amours, Olivier de Magny la Castianire, Jodelle Diane.
La poésie pétrarquiste, savante, sombre bientôt dans un académisme froid et compassé. Les poètes
abusent de figures de rhétorique compliquées (allégories, périphrases ou métaphores obscures),
d'allusions mythologiques. La poésie devient exercice d'école, ce que Du Bellay, tôt revenu du
pétrarquisme et désireux d'une poésie personnelle, est le premier à souligner, dans cette satire de 1533
Contre les pétrarquistes
Le terme de pétrarquisme prend dès lors une acception péjorative et désigne une poésie amoureuse
savante et artificielle.
> Allégorie, courtoise (litt.), métaphore, ode, périphrase, platonisme, Pléiade, préciosité, sonnet
148
Pléiade. Nom donné à un groupe de poètes qui, à la Renaissance, sous le règne d'Henri Il (1547-
1559), se réunissent à Paris autour de Ronsard et qui adhèrent aux idées développées par Du Bellay
dans sa Défense et illustration de la langue française (1549). Le groupe se nomme d'abord la
Brigade. Le terme de Pléiade, qui désigne une constellation de sept étoiles, déjà usité dans l'Antiquité
grecque par sept poètes alexandrins, est adopté par Ronsard en 1556. Il choisit à ses côtés Du Bellay,
Jodelle, Baïf, Pelletier (traducteur d'Horace), Belleau, Tyard. Au groupe des sept s'ajoute Dorat
(grand helléniste), La Péruse, Gamier, Grévin, etc.
Ces poètes poursuivent un double but. Ils veulent, selon les termes même de Du Bellay, « défendre
» la langue française contre ses détracteurs qui lui préfèrent le latin. De 1500 à 1549, fleurit en effet
une poésie néolatine, inspirée de Virgile, d'Horace, etc., qui frise le plagiat. Les poètes de la Pléiade
accomplissent sur la langue un travail considérable, ce qui leur vaudra, au début du XVIIE siècle, les
foudres de Malherbe, soucieux de purisme. Ils introduisent quantité de termes techniques (empruntés
au langage des petits métiers), de termes dialectaux, de mots tombés en désuétude. Ils forgent des
termes savants, à partir de mots grecs ou latins qu'ils francisent, des mots composés. Ils créent des
mots nouveaux par dérivation, c'est-à-dire en adjoignant à des termes existants des suffixes.
Sur le modèle des poètes italiens comme Dante, Boccace, Pétrarque, L'Arioste, les poètes de La
Pléiade désirent également « illustrer » la langue en lui donnant une grande littérature nationale, qui
ne saurait être obtenue que par l'imitation des Anciens et par le refus de l'héritage médiéval. Ils
préfèrent à la traduction scrupuleuse des oeuvres antiques, telle que la concevait la première
génération d'humanistes au tout début du siècle, une imitation originale. Du Bellay qui emprunte
partiellement à Quintilien sa théorie de l'imitation, incite l'écrivain à pratiquer journellement la poésie
grecque et latine jusqu'à la faire sienne. La Pléiade prépare ainsi la voie au classicisme qui voudra
également imiter les Anciens car ils ont eux-mêmes imité la nature à la perfection. Ces poètes
condamnent les genres médiévaux, « comme rondeaux, ballades, virelais, chants royaux qui
corrompent le goût de notre langue », comme le dit Du Bellay. Ils pratiquent les petits genres
antiques, épigrammes, élégies, épîtres, satires et églogues que Marot a ressuscités au début du siècle.
Ils prônent surtout le retour aux grands genres antiques : ode, tragédie, comédie, poème épique. En
outre, ils importent en France le sonnet italien, dans lequel ils introduisent l'alexandrin. L'Olive
(1550), premier recueil de sonnets de Du Bellay, inspiré de Pétrarque, jouit, dès sa parution, d'un
grand succès et inaugure la vogue du pétrarquisme, à laquelle s'adonne Ronsard dans Les Amours de
Cassandre.
Poème en prose. Forme poétique issue du mouvement de libération à l'égard de la versification déjà
entamé par le romantisme. Aux règles préexistantes de la métrique, le poème en prose substitue les
lois créées par le poète pour donner à son poème une organisation interne. S'il utilise la prose, le
poème en prose se distingue pourtant de la prose poétique en ce que celle-ci n'est pas un genre à part,
mais apparaît dans -des oeuvres en prose quelconques. Dans la prose poétique du xviiie siècle, il
s'agit de donner à la prose, par exemple romanesque, comme le Télémaque de Fénelon, un aspect
poétique. Le poème en prose, lui, selon Suzanne Bemard, est d'abord de la poésie et résulte d'un
choix conscient, qui en fait une forme le plus souvent courte, close, et organisée, même si les
principes de cette organisation sont difficiles à mettre en évidence. C'est Aloysius Bertrand qui, avec
Gaspard de la nuit, publié après sa mort en 1842, est l'initiateur du genre, préparé par les traductions
en prose, vraies ou fausses, de poèmes, comme ceux d'Ossian, à la fin du xviiie siècle ou au début du
xixe. Le genre sera ensuite illustré en particulier par Baudelaire, Lautréamont, Rimbaud, Mallarmé
Un beau matin, chez un peuple fort doux, un homme et une femme superbes criaient sur la place
publique: «Mes amis, je veux qu'elle soit reine! Je veux être reine! » Elle riait et tremblait. Il
parlait aux amis de révélation, d'épreuve terminée. Ils se pâmaient l'un contre l'autre.
En effet, ils furent rois toute une matinée où les tentures carminées se relevèrent sur les maisons,
et toute l'après-midi, où ils s'avancèrent du côté des jardins de palmes. (Rimbaud, Royauté)
et au xxe siècle par un très grand nombre de poètes, dont on ne citera que Maeterlinck, Artaud,
Breton, Ponge, Michaux ou Char.
Narratif - ce qu'il est souvent - ou lyrique, le poème en prose se présente soit de façon compacte,
comme Le Port de Baudelaire, soit sous forme de paragraphes où l'on reconnaît parfois des
équivalents de la strophe, comme dans Un hémisphère dans une chevelure. L'existence d'un refrain,
de répétitions et de parallélismes peut rendre plus sensible l'architecture du poème, comme dans ce
dernier texte ou comme dans l'illumination Barbare de Rimbaud. La langue du poème va de la prose
ordinaire à l'utilisation de certaines régularités que l'on trouve dans la poésie versifiée, comme
l'organisation de mesures syllabiques sinon régulières, du moins approximatives ou l'emploi concerté
d'échos phoniques.
On ne fera pas entrer dans le poème en prose les poèmes en vers libres, car l'unité de composition y
est, comme dans le poème en vers réguliers, la ligne isolée graphiquement. Au contraire, dans le
poème en prose, il n'y a pas d'unité inférieure au paragraphe, même lorsque, dans le cours d'un poème,
il se réduit à une ligne. Les poèmes qui utilisent le verset, comme ceux de Claudel ou de Saint-John
Perse constituent un cas particulier, puisque le verset qui présente moins de régularité que le vers libre
n'est pourtant pas un paragraphe ordinaire. On a tout de même coutume de les ranger parmi les
poèmes en prose.
- Bernard S., Le Poème en prose de Baudelaire jusqu'à nos jours, Paris, Nizet, 1959.
Poésie pure. Au sens strict, conception d'origine mystique et antirationaliste que l'on doit à l'abbé
Brémond, et selon laquelle toute expérience poétique, par son pouvoir d'incantation, et au-delà du
sens qui importe en définitive peu, nous met en contact avec l'ineffable et la présence du divin : «
Tout poème doit son caractère proprement poétique à la présence, au rayonnement, à l'action
transfonnante et unifiante d'une réalité mystérieuse que nous appelons poésie pure. » Tout ce qui
détourne de cet ineffable est au contraire impur. Le terme de poésie pure avait été utilisé bien
avant par Hugo ou Baudelaire entre autres. Au sens large, la recherche de la poésie pure est une
caractéristique fréquente depuis le xviiie siècle soit qu'il s'agisse de la libérer des contraintes
métriques (prose poétique de Fénelon, poème en prose, vers libre, etc.) soit qu'il s'agisse de lui ôter
toute finalité utilitaire (art pour l'art, recherche de la « magie verbale » mallarméenne, etc.) pour
trouver son essence même.
> Art pour l'art, Parnasse, poème en prose, prose, vers libre - Brémond H., La Poésie pure. Prière
et poésie, Grasset, 1916.
152
Positivisme. Doctrine philosophique qui tire son nom du Cours de philosophie positive d'Auguste
Comte, disciple de Saint-Simon et inventeur de la sociologie. Contre l'idéalisme, contre les religions
et la métaphysique, il affirme la supériorité de l'étude positive et scientifique des faits. Le bonheur
naitra pour l'homme de la connaissance des lois scientifiques et sociologiques. Les idées positivistes
se répandirent dans tous les secteurs de la pensée, philologie, critique littéraire, histoire, médecine,
etc. La Médecine expérimentale de Claude Bemard, par exemple, qui marqua tellement Zola, est
issue du positivisme. L'influence de ce mouvement de pensée fut très grande sur des auteurs comme
Littré, Taine ou Renan, mais aussi sur les poètes alors même qu'ils affirmaient l'art pour l'art. Le
tableau des religions antiques qui appariait chez Leconte de Lisle est par exemple àmettre au compte
de l'idée positiviste que le travail critique sur le passé pourrait libérer les hommes de toute forme de
servitude.
Préciosité. Phénomène social et littéraire qui se développe au xviie siècle et qui, en France,
connzcit son apogée entre 1650 et 1660.
Le phénomène est lié à la vie des salons parisiens où se réunissent, sous la houlette de femmes de
tête, écrivains et intellectuels. L’hôtel de Rambouillet (de 1620 à 1665), salon de Catherine de
Vivonne, surnommée « l'incomparable Arthénice » (selon l'anagramme de Malherbe), est le plus
célèbre. Madame de Sévigné et Madame de La Fayette l'ont fréquenté. Corneille y vint parfois lire
ses pièces. A la mort de la marquise de Rambouillet, c'est le salon de Madeleine de Scudéry qui le
supplante. Il est moins aristocratique et plus studieux. Mademoiselle de Scudéry est une romancière
infatigable qui a déjà publié pas moins de deux romans de dix volumes chacun en douze ans: Le
Grand Cyrus (1 649-1653), puis Clélie (1654-1661).
Cette littérature de salon excelle dans les genres particulièrement appréciés en société : la lettre
(celles de Voiture feront l'objet d'une publication posthume), l'énigme en vers (le recueil d'énigmes de
Cotin, paru en 1638, jouit d'une grande vogue pendant tout le siècle), toutes les formes poétiques
brèves comme l'épigramme, le madrigal et enfin le portrait. (Le Grand Cyrus, roman à clef où pouvait
se reconnaître toute l'intelligentsia parisienne de l'époque offre une collection de portraits et introduit
la mode du portrait dans la littérature romanesque.)
La préciosité est un art d'aimer, hérité de la courtoisie. Les « questions d'amour » sont constamment
débattues dans les salons précieux, comme elles l'étaient au Moyen Age dans les Cours d'amour. Un
roman comme La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette se fait l'écho de cet usage, puisque
c'est la question : « faut-il ou non aller à un bal où l'aimé n'assistera pas? », qui permet l'aveu indirect
des sentiments de l'hérdine. La lecture de prédilection des précieuses est celle des romans galants et
hérc;fques, tel L'Astrée d'Honoré d'Urfé (1607). La « Carte de Tendre » (insérée dans Clélie) règle
les conduites amoureuses. La femme, vénérée comme une déesse, fait attendre très longuement
l'amant avant d'avouer son amour. Cet amour, sublimé, porte les marques du néoplatonisme. En
matière de sexualité, les précieuses sont, selon l'expression de Ninon de Lenclos, des «jansénistes de
l'amour» qui méprisent les relations charnelles. Féministes avant l'heure, elles se refusent le plus
souvent au mariage qui asservit la femme aux volontés du mari.
La rhétorique précieuse se caractérise par son souci élitiste. Les précieux cultivent le « bel esprit ».
Ils raffolent de la trouvaille, de la pointe, aiment les exagérations dans les discours, aussi abusent-ils
des adverbes superlatifs en -ment du type furieusement, effroyablement, etc. Ils épurent la langue,
bannissant les mots grossiers, remplaçant les mots jugés « bas » par des périphrases. Par « les
commodités de la conversation », on désigne un fauteuil, si l'on en croit Molière dans Les Précieuses
ridicules (1659) qui se moque du jargon de ses deux hérdfnes et qui reviendra à la charge en 1672
dans Les Femmes savantes. Somaize, dans son Dictionnaire des Précieuses, recense toutes leurs
expressions.
Le phénomène est européen au xviie siècle. C'est l'euphuisme en Angleterre, créé par John Lily
(Euphues, 1579-1581), le marinisme en Italie, introduit avec Adone (1623) par le Cavalier Marin, le
gongorisme en Espagne, créé par Gongora (Ode sur la prise de Larache, 1610).
Après le xviiie siècle, par le terme de « préciosité », on désignera, de façon quelque peu péjorative,
un mélange de raffinement excessif dans les sentiments et de recherche dans le langage. On parle
ainsi de la préciosité de Marivaux ou de Giraudoux.
156
Prosopopée. Figure par laquelle on fait parler des êtres comme les morts et les absents ou des
choses qui ne le peuvent pas. Ainsi Vigny dans La Maison du Berger donne-t-il la parole à la Nature
Quatrième mur. Terme forgé par Diderot pour distinguer le mur fictif qui est supposé fermer le
cube de la scène dans le dispositif « à l'italienne ». Infranchissable, le quatrième mur sépare le monde
des acteurs et celui des spectateurs, rendant l'illusion maximale. « Soit que vous composiez, soit que
vous jouiez, ne pensez pas plus au spectateur que s'il n'existait pas. Imaginez sur le bord du théâtre un
grand mur qui vous sépare du parterre. Jouez comme si la toile ne se levait pas. » (Diderot, De la
poésie dramatique, 1758.)
Querelle des Anciens et des Modernes. Conflit littéraire qui oppose, de 1650 environ à 1715,
deux groupes d'écrivains et qui se fait l'écho de la «crise de la conscience européenne » que décrit
Paul Hazard. Les Modernes, parmi lesquels se rangent Corneille et son neveu Fontenelle, Donneau de
Visé, Perrault, Bayle, Houdart de la Motte, etc., sont désireux de s'affranchir de l'esthétique classique
de l'imitation. Ces esprits, pétris de cartésianisme, luttent pour que triomphe la raison et que se
développe l'esprit de libre examen. Passionnés par les progrès scientifiques, ils ouvrent la voie des
Lumières. Les Anciens, chez qui on trouve, parmi les plus célèbres, Boileau, Racine, La Fontaine,
Bossuet, La Bruyère, Fénelon, ont le sentiment qu'ils doivent beaucoup aux écrivains grecs et latins
dont ils sont nourris. Ils louent la simplicité avec laquelle ces derniers ont imité la nature. Ce goût du
« naturel » est exacerbé chez eux par la répugnance qu'ils éprouvent devant les boursouflures de style
qui foisonnent dans la littérature de l'époque, tant chez les précieux que chez les burlesques.
La querelle se déroule en quatre phases. L'épopée de Desmarets, Clovis (1657), est l'un des premiers
textes à illustrer les thèses des Modernes. Il contient un éloge des auteurs contemporains, tout comme
le refus des modèles anciens. Survient ensuite un grand débat sur le choix du français ou du latin,
déclenché par l'érection d'un monument en l'honneur de Louis XIV. Quelle langue fallait-il choisir
pour l'inscription qu'il devait comporter? On renonça finalement à toute inscription, mais l'affaire
marqua le triomphe du français, grâce aux Modernes, ardents défenseurs du français comme l'étaient
les hommes de la Renaissance et tout particulièrement les poètes de la Pléiade. Plus tard, Charpentier
écrira, en 1683, L'Excellence de la langue française.
La troisième joute, qui se déroule dans la dernière décennie du siècle, oppose les Académiciens entre
eux. Perrault, dans Le Siècle de Louis le Grand (1687), affirme la supériorité du siècle de Louis XIV
sur celui d'Auguste, Fontenelle, dans sa Digression sur les Anciens et les Modernes (1688), défend le
cartésianisme contre les superstitions des Anciens. A ces critiques, La Fontaine riposte par son Epître
à Huet (1687), Boileau par ses Réflexions sur Longin (1 694).
Après un long apaisement, la querelle renaît, dans un dernier sursaut, lors de la parution en 1711 de la
traduction de l'Iliade par Mme Dacier, helléniste célèbre qui voue à Homère un véritable culte.
Houdart de la Motte, pillant sa traduction, écrit, à l'indignation des Anciens, une Iliade abrégée, en
vers français. Les passions s'apaisent avec la mort des principaux protagonistes. La querelle
s'essouffle et se termine peu à peu par le triomphe des Modernes, qui lèguent au xviiie siècle le culte
de la raison.